Le Libertin de Qualite - Mirabeau, Le Cte De

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    Monsieur Satan, vous avez instruit mon adolescence ; c'est vous que je dois quantit de tours de passepasse quim'ont servi dans mes premires annes.

    Vous savez si j'ai suivi vos leons, si je n'ai pas su nuit etjour pour agrandir votre empire, vous fournir des sujetsnouveaux.

    Mais, Monsieur Satan, tout est bien chang dans ce pays ;vous devenez vieux ; vous restez chez vous ; les moinesmme ne peuvent vous en arracher. Vos diablereaux,pauvres hres ! N'en savent pas autant que des rcitsinfidles, parce que nos femmes les attrapent et les bernent.

    Je trouve donc une occasion de m'acquitter envers vous ;je vous offre mon livre. Vous y lirez la gazette de la cour,les nouvelles la main des filles, des financiers et desdvotes. Vous serez instruit de quelques tours de bissac o,tout fin diable que vous tes, vous auriez eu un pied de nez.Mais que votre chaste pouse n'y fourre pas le sien ; caraussitt cornes de licornes s'appliqueraient sur votre frontsraphique.

    Dfiezvous surtout de ces grandes manches gros (...), etne laissez pas aller votre femme en confrrie sans une

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  • ceinture. Cependant, que la jalousie ne trouble pas votrerepos ; car voyezvous, Monsieur Satan, si elle le veut, cocuserez, et quand vous la mettriez en poche, s'y foutraitellepar la boutonnire.

    Puissent les tableaux que j'ai l'honneur de mettre sous vosyeux ranimer un peu votre antique paillardise. Puisse cettelecture faire (...) tout l'univers !

    Daignez recevoir ces voeux comme un tmoignage duprofond respect avec lequel je suis, Monsieur Satan, devotre altesse diabolique le trs humble, trs obissant et trsdvou serviteur, ConDsiros.

    Jusqu'ici, mon ami, j'ai t un vaurien ; j'ai couru lesbeauts, j'ai fait le difficile : prsent, la vertu rentre dansmon coeur ; je ne veux plus (...) que pour de l'argent ; je vaism'afficher talon jur des femmes sur le retour, et je leurapprendrai jouer du (...) tant par mois.

    Il me semble dj voir une dondon, qui n'a plus que sixmois passer pour finir sa quarantaine, m'offrir la mollepaisseur d'une ample fressure.

    Elle est frache encore dans sa courte grosseur ; ses ttonsrougissants d'une substance trs abondante sont d'accordavec ses petits yeux pour exprimer tout autre chose que de lapudeur ; elle me patine la main ; car la financire, comme

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  • son mari, patine tout et toujours ; je rougis : ah !

    Voyez comme cela me va, comme mes yeux s'animent,comme mon pucelage m'touffe ; car vous noterez que j'aimon pucelage et que je cherche me faire lever. Onm'offre plus que je ne veux ; les agaceries sont de vraiesorgies... foin ! Je ne (...) point... je deviens triste ; mesmalheurs me tourmentent ; des cranciers avides... pendantce tempsl, ma main erre ; elle s'anime ; quelle lgret !Comme la cadence est brillante ! Ma voix exprime l'adagiod'un presto vigoureux et soutenu. Ah ! Mon ami, voyez le(...) de ma dondon, comme il bondit ! ... sa poitrine siffle,son gosier se serre, son (...) dcharge, elle est en fureur, elleveut m'entraner... l, l, tout doux... la douleur meressaisit... on me fait des offres : hlas ! Comment sersoudre accepter d'une femme qui on voudraittmoigner le sentiment le plus pur ! On redouble ; je pleure :l'or parat. L'or ! ...

    sacredieu ! Je (...) et je la (...).

    Mais ma chaste dondon en paie plus d'un ; aussi, bienttaprs ma facile victoire, je me fais prsenter chez MmeHonesta (famille presque teinte). Tout y respire la pudeuret l'honntet ; tout prche l'abstinence, jusqu' son visage,dont la tournure, quoique assez piquante, n'a cependantaucun de ces dtails qui inspirent la tendresse.

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  • Mais elle a des yeux, de la physionomie, une taille quiserait trop maigre, si toute l'habitude du corps ne s'yproportionnait pas. Je ne louerai pas sa gorge, quoiqu'unegaze qui s'est drange m'ait permis d'entrevoir du lointain ;ses bras sont un peu longs, mas ils sont flexibles, onpourrait souhaiter une jambe plus rgulire ; telle qu'elle est,un joli pied la termine. Nous avons les grands airs , desnerfs , des migraines , un mari que l'on ne voit qu' table,des gens discrets, de l'esprit bizarre, capricieux, mais vif,mais quelquefois ne ressemblant qu' soi... pardieu !

    Allezvous me dire, cellel ne vous paiera pas...

    oh ! Que si ! Parce qu'elle est vaniteuse, parce qu'elle sepique de gnrosit, parce qu'elle veut primer.

    D'abord, vous imaginez bien que nous faisons du respect,de l'esprit, des pointes, des calembours ; que madame araison, que tout chez elle est au mieux possible... iraije satoilette ? Pourquoi non ? ... je placerai une mouche ; jedonnerai cette boucle tout le jeu dont elle est susceptible...

    un chapeau arrive... bon dieu ! Les grces l'ont invent ; ledieu du got luimme a plac les fleurs, et tous les zphyrsjouent dans les plumes qui le couvrent. Comme cette gazeprunedemonsieur coupe avec ce vert anglais... mais quil'a envoy ? ... vous sentez que je suis le coupable ; etpourquoi un coupable ne rougiraitil pas ? ...

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  • je suis trahi, dconcert, boud... victoire, que son emploide femme de chambre, quelques baisers des plus vifs et unlouis ont mise dans mes intrts, les plaide en monabsence... ah ! Madame, si vous saviez ce que l'on me dit devous ! ...

    combien ce monsieur est aimable ! Il vaut bien mieux quevotre chevalier, et je suis sre qu'il ne vous coterait qu'unemisre... il n'est pas joueur, je le sais de son laquais ; c'est uncoeur tout neuf. mais croistu que je sois assez aimablepour... ah !

    Dieu ! Madame, comme ce chapeau est tourn ! Vousvoil l'ge de vingt ans. taistoi, folle, saistu que j'en aitrente, et passs ? ...

    (pardieu, oui, passs, et il y a dix ans que cela est public...)je reviens l'aprsmidi ; on est seule : pourquoi ne leseraiton pas ? Je demande pardon en offensant davantage ;on s'attendrit, je me passionne ; on se... (foutre ! Attendezdonc... cette femmel est d'une prcipitation me faireperdre les frais de mon chapeau.) vous sentez bien que monlaquais n'est pas assez bte pour ne pas me faire avertir quele ministre (ah ! Pardieu ! Tout au moins) m'attend. Je jetteun coup d'oeil assassin ; j'embrasse cette main qui trembledans la mienne...

    je me relve et je pars.

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  • Pendant ce tempsl, je fais connaissance avec une de cesfemmes qui, blases sur tout, cherchent des plaisirs quelque prix que ce soit. Elle me fait des avances, parce queson honneur, sa rputation, la biensance... tout cela estaussi loin que sa jeunesse. Nous sommes bientt arrangs ;elle me paie, je la lime ; car je ne veux, sacredieu ! Pasdcharger... mon infante le sait ; les tracasseries viennent.Ah !

    Doux argent ! Je sens que ton auguste prsence ! ...

    enfin, on se dtermine ; il y a dj quinze mortels joursqu'on languit. Je fais entendre, modestement, que lareconnaissance m'attache, que j'ai des obligations d'ungenre...

    n'estce que cela ? ... on me paie au double ; et ds lors jesuis quitte avec ma messaline ; je vole dans les bras quim'ont combl de bienfaits nouveaux, et je gote... non pasdu plaisir...

    mais la satisfaction de prouver que je ne suis pas ingrat.

    Las ! Que voulezvous ? Quand on a engraiss la poule,elle ne pond plus ; les honoraires se ralentissent, et je dors.comment ! Tu dors ? oui, la nuit, et, qui plus est, le matin...ce matin chri qui anime l'esprance, qui claire les combatsamoureux. On se plaint, je me fche ; on me parle de

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  • procds, d'ingratitude, et je dmontre que l'on a tort, car jem'en vais.

    Dieu Plutus, inspiremoi ! ... un dieu m'apparat ; mais iln'est point charg de ses attributs heureux : c'est le dieu duconseil, le diligent Mercure, il me console et m'envoie chezM Doucet.

    Vous ne le connaissez srement pas : or, coutez.

    Une taille qu'une soutane et un manteau long font paratredgage ; un visage qui rassemble la maturit de l'ge,l'embonpoint et la fracheur ; des yeux de lynx, une perruqueadonise ; l'esprit en a trac la coupe ; sa physionomieouverte, mais dcente, rpand l'clat de la batitude ; il ne sepermet qu'un sourire, mais ce sourire laisse voir de bellesdents... tel est le directeur la mode troupeaux de dvotesabondent, les consultations ne tarissent pas.

    Mais il existe des privilgies, de ces femmes enseveliesdans un parfait quitisme de conscience et dont la charniren'en est que plus mobile. Le pre en dieu cache sous unmaintien hypocrite une me ardente et de trs belles qualitsoccultes... vous vous doutez bien que c'est ces femmesqu'il faut parvenir. Je m'insinue donc dans la confiance dubonhomme, je lui dcouvre que je suis presque aussi tartuffeque lui : il m'prouve ; et quand toutes ses srets sontprises, il m'introduit chez Mme .

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  • C'est l que la saintet embaume, que le luxe est solide etsans fas te , que tout es t commode, recherch sansaffectation... mais, quoi ! Un jeune homme chez une femmede la plus haute vertu ! ...

    eh ! Justement ; c'est afin de ne pas perdre la mienne ; carvous noterez que je dois en avoir au moins autant qued'impudence. Mes visites s'accumulent, la familiarit s'enmle, et voici une des conversations que nous aurons, j'ensuis sr.

    la sortie d'un sermon (car j'irai, non pas avec elle, mais jeserai plac tout auprs, les yeux baisss, jetant vers le cieldes regards qui ne sont pas pour lui), la sortie d'un sermonduquel elle m'a ramen, je commencerai par la critique detoutes les femmes rassembles autour de nous.

    Notez que les questions viennent de ma bate. commentavezvous trouv Mme une telle ? ah ! Bon dieu !

    Elle avait un pied de rouge. pourtant, elle est jolie. elleaurait de vos traits, si elle ne les dfigurait pas ; mais lerouge... cependant, je lui pardonne ; elle n'a ni votre teint, nivos couleurs . . . (c royezvous qu ' ces mots e l lesn'augmenteront pas ? ) par exemple, la comtesse n'tait pashabille dment. du dernier ridicule, elle montre unegorge ! Et quelle gorge ! Je ne connais qu'une femme qui etle droit d'taler de pareilles nudits. (remarquez ce coup

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  • d'oeil sur un mouchoir dont les plis laissaient passage mavue...

    un autre coup d'oeil me punit, et je deviens timide,dcontenanc.) que pensezvous du sermon ? moi, jevous l'avouerai, j'ai t distrait, inattentif. cependant, lamorale tait excellente. j'en conviens ; mais prsented'une manire si froide ! Une belle bouche est bien pluspersuasive. Par exemple, quel effet ne font pas sur moi vosexhortations ! Je me sens plus anim, plus fort, pluscourageux... hlas ! Vous me faites aimer la vertu parce queje vous aime... (ah !

    Mon cher ami, voyezmoi tremblant, interdit ; la pleurcouvre mon visage... je demande pardon...

    plus on me l'accorde, plus j'exagre ma faute, afin de nepas tre coupable demi...) ma dvote se remet pluspromptement ; cependant, elle est encore mue, elle mepropose de lire, et c'est un trait de l'amour de Dieu. Placvisvis d'elle, mon oeil de feu la parcourt et l'pie : jeparaphrase, je compose ; ce n'est plus un sermon, c'est duRousseau que je lui dbite...

    je saisis l'instant, un oratoire est mon boudoir, et je suisheureux.

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  • Mais l 'argent ! L 'argent ! foutre , un moment ;laisseznous dcharger... quelle jouissance qu'une dvote !Que de charmants riens ! Comme cela vous retourne ! Quelmoelleux ! Quels soupirs ! ...

    ah ! Ma bonne sainte vierge ! ... ah ! Mon doux Jsus ! ...ami, senstu cela comme moi ?

    Mais l'argent ! Eh ! Me croyezvous assez bte pour allerfaire un mauvais march ? Nenni...

    quelque sot...

    je revois mon cafard, je lui raconte le tout ; il est discret ;il perdrait trop ne pas l'tre, et c'est lui qui va me servir ;bien entendu qu'il aura son droit de commission.

    Depuis trois jours, ma dvote, en abstinence, n'a eu pourressource que son godemich. Le pre en Dieu arrive.hlas ! Ce pauvre jeune homme ! Il est encore retombdans le vice ! Des femmes perdues l'entranent... (quel coupde poignard ! ) ah ! Mon pre, quel dommage ! Il a un bonfond ! madame, ce n'est pas sa faute ; il y a mme en lui uneespce de vertu, car il est franc. " monsieur, m'atil dit, j'aides dettes d'honneur, ma conscience me tourmente ; je vaisme perdre peuttre, je serai la victime de mon devoir...

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  • hlas ! Ce qui me perce l'me, c'est de quitter Mme . (icielle baisse les yeux.) cette femme est adorable ; elle possdemon coeur... n'importe, il faut la fuir... toile malheureuse !Dplorable destin ! " voil, madame, ce qu'il m'a dit leslarmes aux yeux... on me plaint ; on parle d'autre chose, onrevient... mais quoi montent ces dettes ? trois centslouis...

    et vous croyez qu'une femme qui connat mes caresses etmes reins, qui est sre du secret, qui ne me trouve pas unbutor, qui aime surtout les variantes, ne me les enverra pasle lendemain ?

    Je vous vois d'ici faire le moraliste : mais cela est odieux ;l'amour pur est gnreux ; vous tes un fripon... foutre !Vous badinez, vous gteriez le mtier ; elle a trentesix ans,j'en ai vingtquatre ; elle est encore bien, mais je suismieux ; elle met de son ct du temprament et de l'argent,moi de la vigueur et du secret...

    ne voiltil pas compensation ?

    D'ailleurs, voulezvous que je m'acquitte ? Je lui faisl'honneur de l'afficher. Elle quitte sa dvotion ; je la rends la socit, ellemme ; elle change d'tat, enfin... non, jeme trompe, elle ne change que de robe et de coiffure.

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  • Voil ma dvote dans le monde, et par mes soins. mais ilvalait bien mieux la laisser dans son obscurit : vous allez laperdre, on vous l'enlvera. j'ai d'autres projets peuttre ;son argent est consomm, ses diamants sont vendus, moncaprice est pass... vous verrez cependant que, pour me faireenrager, elle s'avisera d'tre fidle ; il faut que je prenne lapeine d'avoir des torts avec elle. vous en aurez bientt.non ; car voici ma conclusion : " madame, je ne rappelleraipoint vos bonts, elles me sont chres, et mon coeur aime vous avoir des obligations que toute autre ne m'et pas faitcontracter ; mais plaignezmoi ; c'est ma reconnaissance quime cotera la vie ; c'est le soin de votre gloire qui vadtruire mon bonheur. Je vous dois de cesser des visites quivous compromettraient : hlas !

    Je sais trop qu'en prononant cette sparation funeste, jedicte mon arrt. " puissances du ciel ! Combien vous tesattestes !

    force de singeries, je parviens m'attendrir ; ma dulcineverse tour tour les larmes de la douleur et celles du plaisir :ma fuite est combine par des points d'arrt sur tous lessophas des appartements, et c'est sa dernire extase que jeme sauve.

    Parbleu ! Voil bien des faons. pauvre sot tu ne voisdonc pas que cette femme fait ma rputation pour l'ternit ;je n'ai plus besoin de me vanter, je n'ai qu' lui en laisser le

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  • soin, et je suis le phnix des oiseaux de ces bois.

    D'ailleurs, je n'ai pas perdu la tte ; elle est amie intime dela prsidente de , et depuis longtemps je lorgne cette richeveuve ; elle ne manquera pas d'tre la confidente de madlaisse, et me croyezvous assez novice pour n'avoir paspersuad celleci que ce serait un moyen de nous voirencore ; l'autre, que je ne quitte madame une telle que pourses beaux yeux.

    Tout russit mon gr... mais il faut que je les brouille...allons, discorde, vole ma voix... on se pique, on serefroidit, les deux insparables ne se voient plus ; laprsidente exige que j'embrasse son ressentiment ; je me faisvaloir, je deviens exigeant mon tour. Que ne peut le dsirde la vengeance ! On se livre moi pour faire pice sabonne amie.

    La prsidente a trentecinq ans, et n'en parat pas plus devingthuit ; elle est bien conserve, mais sans affectation.Ce serait une petitematresse, si le jargon ne l'ennuyait pas.Elle a de l'esprit avec les femmes, de la gentillesse avec leshommes, beaucoup de retenue dans le public, un ton defemme de qualit et des dehors imposants.

    Dans le particulier, je n'ai gure connu de tempramentplus vif, plus soutenu, et en mme temps plus vari. Sescaresses sont sduisantes, parce qu'elles sont franches, et

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  • vingt fois j'ai t tent de l'aimer. Au reste, elle n'est passans dfaut : e l le a une profonde vnrat ion pourellemme ; ses dcisions sont des oracles, ses prceptes,des lois ; je n'ai rien vu de si imprieux. Il est vrai qu'elle yjoint l'adresse et que souvent vous croyez faire votre volonten ne suivant que la sienne.

    Sa socit, qui nous devine, ne tarde pas me fter, je suisle saint du jour ; elle a de la confiance en moi : rien n'estbien si je ne l'ai conseill. Nous passons ainsi six mortellessemaines. J'oubliais qu'elle veut tre la confidente de mesaffaires. Un jour, j'arrive chez elle ; mon oeil est agit. mais, qu'astu donc, mon ami ? Tu es bien sombre. quoi !Disje (en m'efforant de sourire), pourraisje apporter chezvous de l'humeur ? ... on me perscute, je m'obstine metaire, j'ai des distractions que le monde qui abonde pour lesouper ne saurait dtruire : on me propose une partie, je larefuse, et je sors minuit en m'chappant.

    Voil qui est bien simple, direzvous ; qui n'en feraitautant ? ... je vous le donne en dix : coutez seulement.

    Estce que mon laquais, qui est un crispin des mieuxdgourdis, n'a pas eu l'esprit de foutre la femme de chambrepour viter l'ennui ? Or, ce jourl, il est presque aussi tristeque moi ; sa charmante le presse autant que la mienne, etcomme il est d'un naturel confiant, il avoue que la nuitdernire j'ai soup chez la duchesse une telle, que l'on m'a

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  • fait, malgr moi, tailler un pharaon ; que le jeu taitdiabolique, que j'ai perdu normment, et qu'tant peu riche,je suis trangement incommod ; mais, ce qui me tourmente,c'est d'avoir t oblig de mettre en gage le diamant que m'adonn la prsidente. Hlas !

    Cette bague n'a pas mme t suffisante avec tous mesbijoux pour dgager ma parole, et je suis sans un sou !

    Il retombe ensuite sur luimme, car le drle est presqueaussi coquin que moi : on l'a forc aussi de jouer, et samontre est avec mes effets chez Madame La Ressource. Lapauvre Adlade, qui aime le pendard, tire de son armoirequarante cus, qui composent sa petite fortune et sont mmele fruit de mes dons. Le sclrat les empoche ; mais il y abien un autre mange.

    J'ai aperu des chuchotages de la prsidente sa femme dechambre, des alles, des venues : c'est que l'on a cont toutcela madame ; que madame a fait rpter tout cela monbandit, et que surlechamp elle lui a remis cinq cents louis.douze mille francs ? en or, vous disje, pour aller toutdgager et fournir le supplment...

    quand je sors, je retrouve mon fourbe dans mon carrosse,et nous portons le magot en triomphe chez moi. comment !Tout cela n'tait pas vrai ? mais d'o diable vienstudonc ? C'est incroyable ! Tu ne te formes point ; mais

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  • aiguise donc ton intelligence.

    Le lendemain, sept heures, en dshabill leste, je courschez la prsidente ; une joie douce brille dans ses yeux ; j'aison diamant au doigt...

    je veux la faire parler (car vous noterez que, sous peine dela vie, mon laquais ne doit m'avoir rien avou), elle me faitun mensonge avec toute l'adresse, toute la noblesse de lagnrosit ; mais elle voit bien, la vivacit de mescaresses, que la reconnaissance les enflamme et que je nesuis pas sa dupe. Un peu remis de mes transports, je parle debienfaits ; on m'impose silence, en me disant que si l'onavait t assez heureuse pour me rendre un service, j'enterais tout l'agrment.

    Dieu ! Comme ma voix est touchante !

    Comment, monstre ! Tant d'amour et de gnrosit ne tetouche pas ? Si fait pardieu ! Et pour lui montrer magratitude (un peu aussi pour m'en dbarrasser), je la marieavec un homme de ma connaissance qui la rend la femme laplus heureuse de Paris. D'amants que nous tions, nousdevenons amis, et je vole, non pas de nouveaux lauriers,mais de nouvelles bourses.

    Dgot de l'amour parfait, de la jouissance mthodiquede la dvote et de la prsidente, je languissais tristement,

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  • quand mon bon ange me conduisit chez Madame SaintJust( f ameuse maque re l l e pou r l e s pa r t i e s f i ne s , r ueTiquetonne) ; je lui annonce que je suis vacant et surtout quele diable est dans ma bourse ; elle me prsente sa liste ;parcouronsla : 1 Mme La Baronne De Conbille... foutre !Voil un beau nom. Qui estce que cette femmel ? c'estune petite provinciale qui est venue Paris dpensercinquante ou soixante mille francs qu'elle amassait depuisdix ans. en restetil encore beaucoup ? non. passons ;pourquoi cette bougressel s'avisetelle de prendre unnom de cour ?

    2 Mme De Culsouple. combien donnetelle ?

    vingt louis par sance. paietelle d'avance ?

    jamais, et puis ce n'est pas votre affaire : elle est troplarge.

    3 Mme De Fortendiable. tenez, voil ce qu'il vous faut.C'est une amricaine, riche comme Crsus ; et si vous lacontentez, il n'y a rien qu'elle ne fasse pour vous. eh bien !Tu me prsenteras. demain, si vous voulez. ici ? dansson htel mme. ce noml a quelque chose d'infernal quime divertit. je rends la liste, quand, d'un air de mystre, labonne SaintJust m'adresse cette exhortation : " mon cherami, vous avez beaucoup vu de jeunesses : qu'y avezvousgagn ? La vrole. Pourquoi ne pas couter les conseils de la

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  • sagesse ? J'ai dans ma maison une vraie fortune, une vieille.le diable te foute !

    eh ! Que votre souhait s'accomplisse ! Encore mieux vautlui que rien ; mais il ne s'agit pas de cela, je vous parle d'untrsor : fiezvous moi, et nous la plumerons. allons, je leveux bien : je m'en rapporte ta prudence. " en attendant, jeme rends le lendemain, sept heures du soir, chez monamricaine. Je trouve de la magnificence, un gros luxe,beaucoup d'or plac sans got, des ballots de caf, des essaisde sucre, des factures, enfin un got de marin que je n'ai,sacredieu ! Que trop reconnu dans mainte occasion.

    Ce qui me tourmentait tait d'entendre, dans un cabinetvoisin, une voix d'homme dont les gros clats me mettaienten souci ; enfin, la porte s'ouvre : qui seraitce ? Madesse... mais, foutre ! Quelle femme !

    Imaginezvous un colosse de cinq pieds six pouces ; descheveux noirs et crpus ombragent un front court, deuxlarges sourcils donnent plus de duret des yeux ardents, sabouche est vaste ; une espce de moustache s'lve contre unnez barbouill de tabac d'Espagne ; ses bras, ses pieds, toutcela est d'une forme hommasse, et c'est sa voix que jeprenais pour celle du mari.

    foutre ! Ditelle la SaintJust, o astu pch ce jolienfant ? Il est tout jeune ; mais qu'il est petit ! N'importe,

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  • petit homme, belle queue... pour faire connaissance, ellem'embrasse m'touffer. sacredieu ! Il est timide ! Oh !

    C'est un garon tout neuf. Nous le ferons... mais estceque tu es muet ? madame, lui disje, le respect... (j'taisabasourdi.) eh ! Tu te fous de moi avec ton respect... adieu,SaintJust.

    a, a, je garde mon fouteur : nous soupons et couchonsensemble.

    Nous restons seuls, ma belle se plonge sur un sopha ; sansm'amuser la bagatelle, je saute dessus ; dans un tour demain, la voil au pillage.

    Je trouve une gorge d'un rougebrun, mais dure commemarbre, un corps superbe, une motte en dme, et la plusbelle perruque... pendant la visite, ma belle soupirait commeun beugle ; semblable la cavale en furie, son (...) battaitl'appel et son (...) la chamade... sacredieu !

    Une sainte fureur me transporte ; je la saisis d'un brasvigoureux, je la fixe un moment, je me prcipite... prodige ! ... ma bougresse est troite... en deux coups dereins, j'enfonce jusqu'aux couillons... je la mords... elle medchire... le sang coule... tantt dessus, tantt dessous, lesopha crie, se brise, tombe... la bte est bas ; mais je resteen selle ; je la presse coups redoubls... va, mon ami... va...

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  • foutre ! ... ah ! ... ah ! ... va fort...

    ah ! ... bougre ! ... ah ! ... que tu fais bien a !

    Ah ! Ah ! Ah ! ... sacredieu ! Ne m'abandonne pas...

    ho, ho, ho, encore... encore ! ... v'l que a vient... moi, moi... enfonce... enfonce ! ...

    sacre bougresse ! Son jeanfoutre de (...), qui va comme lagrle, m'a fait dconner... je cours aprs... mon (...) brle...je la rattrape par le chignon (ce n'est pas celui du cou), jerentre en vainqueur. ah ! Ditelle, je me meurs. foutuegueuse (je grince des dents ! ...) si tu ne me laisses pasdcharger, je t 'trangle... enfin, haletante, ses yeuxs'amollissent ; elle demande grce. non, foutre ! ... point dequartier... je pique des deux... ventre terre... mes couillesen fureur font feu ; elle se pme... je m'en fous, et je ne laquitte que quand nous dchargeons tous deux le (...) et lesang ensemble...

    il est temps, je crois, de remettre sa culotte.

    Un peu rendus nousmmes, ma housarde me flicite ense congratulant ; elle va faire bidet, et moi je relve lesopha du mieux que je puis. que faistu l ? Me ditelle enrentrant. Mon ami, mes gens sont accoutums cela, et j'aiun valet de chambre tapissier qui fait la revue tous les

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  • matins. vous pensez bien que nous ne parlons passentiment. Estce qu'elle s'embarrasse de ces foutaisesl !Nous voyons sa maison, son magasin, qui est de l'or enbar re ; l es t rsors des t ro i s par t ies du monde s 'yrassemblent... enfin, nous arrivons dans un cabinet ; elleouvre un coffre... tiens, me ditelle, prends ce portefeuille...(je fais des faons...) allons, foutre ! Quand on (...) commetoi, on a le moyen d'acquitter ces bagatelles... je le mets dansma poche, non sans avoir remarqu qu'il contient pour cinqcents louis de bonnes lettres de change...

    voil ce qui s'appelle des douceurs.

    Nous soupons : ma foi, j'en avais besoin. C'est elle qui mesert des morilles, des truffes au coulis de jambon, deschampignons la marseillaise ; au dessert, les pastilles lesplus chauffantes, sans oublier les liqueurs de Mme Anfou...de la table nous nous lanons au lit, et de la vie, je crois, onn'a vu pareille scne.

    Rendezvous pris au surlendemain, j'arrive...

    madame est malade. Hlas ! Et c'est tout simple ; elle avaitexcessivement chaud quelque chose que j'aie dit, elle avoulu que j'ouvrisse la fentre au mois de janvier. Unefluxion de poitrine l'enterre en trois jours... douleur ! ... jevais lui dire un de profundis chez la SaintJust.

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  • Aprs avoir essuy ses larmes et ses dolances (car elleme proteste que ma princesse tait une de ses meilleurespratiques), je l'assure que, trs touch de cet accidentfuneste, j'ai fait des rflexions, et qu'ayant toujours honor lavieillesse, je viens lui demander ses bons offices pour meconsacrer au service de la douairire dont elle m'a parl.Nous prenons jour, et j'obtiens sous huitaine l'avantaged'tre introduit chez Mme In Aeternum. On m'avait prvenuqu'elle tait fort riche, en sorte que la grandeur de l'htel, labeaut des livres et des ameublements ne me firent pasd'effet ; au contraire, j'en dvorais d'avance la substance...eh ! Sacredieu ! La fe ne devaitelle pas s'alimenter de lamienne ?

    Le ttette tait mnag, l'on m'attendait, j'avais relevmes appas : force de vouloir rparer les siens, ma vieilletait encore sa toilette, asile impntrable ; je suisintroduit, en attendant, dans un boudoir lilas et blanc ; despanneaux placs avec art rflchissaient en mille manirestous les objets, et des amours dont les torches taientenflammes clairaient ce lieu charmant. Un sopha large etbas exprimait l'esprance par les coussins vert anglais dont iltait couvert ; la vue se perdait dans les lointains forms parles glaces et n'tait arrte que par des peintures lascives quemille attitudes varies rendaient plus intressantes ; desparfums doux faisaient respirer longs traits la volupt ;dj mon imagination s'chauffe, mon coeur palpite, ildsire ; le feu qui coule dans mes veines rend mes sens plus

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  • actifs... la porte s'ouvre, une jeune personne s'offre mesyeux ; un nglig modeste, une simplicit nave, descharmes qui n'attendent pour clore que les hommages del'amour, des dtails dlicieux... telle se montre la jolie nicede ma douairire, la belle Julie ; elle m'offre les excuses desa tante, qu'une affaire arrte, et me prie d'agrer qu'elle metienne compagnie. Je rponds ce compliment par lespolitesses d'usage, et nous nous asseyons sur des fauteuilsdans un coin de la chambre ; Julie s'loignait du sopha(hlas ! Qu'il tait bien plus craindre pour moi ! ), mesyeux erraient sur elle ; je sentais toute la timidit d'un amournaissant, tous les combats de ma raison contre mon coeur ;le feu de mes regards en imposait Julie, notre conversationlanguissait en apparence, mais dj nos mes s'entendaient.

    mademoiselle fait srement le bonheur de sa tante,puisqu'elle est sa compagne ? monsieur, ma tante a del'amiti pour moi. la foule qui abonde chez elle a sansdoute de quoi vous plaire, et vos plaisirs (Julie soupire)...mille adorateurs... (le feu me monte au visage). ah !

    Monsieur !

    Combien de ces adorateurs mritent d'tre valus ce qu'ilssont en effet ! quoi ! Vous n'en auriez pas trouv dontl'hommage et su vous intresser ? (elle se trouble...)pardon... bon dieu ! J'allais commettre une indiscrtion...mais, mademoiselle, me condamnerezvous le dsirer ?

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  • Nous entendons du bruit ; un regard assez expressif esttoute la rponse de Julie.

    La tante avait fini sa toilette ; elle s'avance...

    peignezvous, mon ami, un vilain enfant de soixante ans.Sa figure est un ovale renvers ; une perruque artistementmle, avec un reste de cheveux, reteints en noir, enombrage la pointe ; des yeux rouges et qui louchent pour sedonner un regard en coulisse ; une bouche norme, mais queBourdet a fort bien meuble ; du blanc, du rouge, duvermillon, du bleu, du noir, arrangs avec un art, unesymtrie que des yeux connaisseurs et un odorat exercpeuvent seuls dcouvrir.

    Une robe l'anglaise puce et blanche se rattache par desnoeuds de gaze, d'o s'chappent des coulants de perles ,qui, retombant en ondes, se terminent par des glands d'ungot exquis ; un coutil couvre la place o pouvait tre unegorge il y a quarante ans ; voil ce que je dmlai aupremier coup d'oeil... heureux si je n'en eusse vu ni sentidavantage !

    mon dieu, mon cher coeur, me ditelle en minaudant etse laissant aller sur le sopha o elle m'entrane, je suisdsole de vous avoir laiss ennuyer avec une petite fille(Julie s'est clipse) ; c'est ma nice, et cela connat si peu lemonde ! comment, madame, votre nice ? Mais on ne le

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  • croirait pas l'ge dont elle parat. cela est vrai ; mais samre est infiniment mon ane...

    puis saisissant une de mes mains... la SaintJust, moncher, m'a parl de vous, mais d'une manire extraordinaire,elle raconte des choses ! ... oh !

    Pour cela, incroyables. ces sortes de femmes nousvantent quelquefois ; mais si je lui eus jamais uneobligation, c'est de m'avoir mis porte de vous offrir meshommages. tiens, mon coeur, bannissons la crmonie ;ton air me prvient ; tu es joli, sois sage, et srement tu net'en repentiras pas. Il est temps de passer dans mon salon :j'ai du monde, tu souperas... une rvrence est ma rponse ;un baiser me ferme la bouche... (ah ! Sacredieu ! C'est duvernis tout pur.) ne joue pas, continuatelle ; cause avecma nice, tu sembleras tre son amant... (ah !

    Charmante vieille, l'aurore de l'amour vient me luire ! Queje t'embrasse de bon coeur ! ... mais, foutre ! la peinture ! )...et nous nous rejoindrons quand ces importuns seront bannis.

    Mon supplice est donc retard... nous entrons au salon :nombreuse compagnie s'y rassemble, et pendant que Julie etsa tante arrangent les parties, moi je rflchis.

    Amour ! Amour ! Tu viens donc encore me dcevoir,m'garer, me percer ! Dieu cruel !

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  • N'aije donc pas t assez longtemps ta victime ? Veuxtute venger ? Quel rle vastu m'imposer ? ... objet du capriced'une hideuse vieille, la beaut, les grces feront montourment. Hlas ! ... enfant trop aimable ! Si j'ai jamais suconqurir des coeurs, en soumettre ton empire, si j'ai faitfumer sur tes autels un encens qui te fut agrable, ah !Protgemoi ! ... je suis exauc ; une ardeur nouvellem'embrase ; Julie, la belle Julie, recevra mon coeur, mestransports, et sa tante abuse n'aura de moi qu'un tributchrement achet.

    Le jeu fait rgner le silence ; tout le monde est occup.Julie, au bout du salon, tient un ouvrage par convenance, etje suis auprs d'elle ; elle est inquite, je suis timide.quoi ! Me di tel le , on vous a dj assign votrepersonnage ? ah !

    Mademoiselle, si vous daignez lire dans mon coeur, vousverrez combien il m'est cher. je l'avoue, monsieur, quelqueaccoutume que je sois ces propos et au motif qui les faittenir, j'aurais plus de peine les supporter de vous que detout autre.

    vous me les dfendez donc, mademoiselle ? ...

    ah ! Je ne le vois que trop, vous me confondez dans lafoule des lches que votre tante entretient ses gages ; vousme croyez revtu d'un masque trompeur ; je l'ai bien mrit !

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  • ... n'importe, il faut vous dlivrer d'un objet qui vousdplat ; peuttre vous feraije m'estimer... ah ! BelleJulie ! Vous saurez un jour que je ne me suis expos votrehaine.. . mais vous ne voudrez pas m'entendre vousm'abhorrez, me mprisez... et je ne pourrai pas soutenirlongtemps vos ddains.. . (je me lve.) mon dieu !Monsieur, me ditelle, tout effraye, qu'allezvous faire ? Jeserais perdue, ma tante m'accuserait... que saisje ? ...peuttre de l'avoir trahie. non, non, elle aurait tort, vous laservez trop bien... vous, la servir, Julie ! ... dieu !

    Quelle ide... et pour votre amant ! (Julie se trouble et faitun effort pour sourire...) mon amant, y pensezvous ?Vous tes cependant arriv sous des auspices... je vousentends, mademoiselle.

    Et si ce moyen et t le seul pour parvenir auprs devous, me trouveriezvous si condamnable ? Depuis six moisje vous adore (vous vous doutez, mon cher ami, que je n'ensavais pas un mot) ; je suis partout vos pas, je brle ensecret, je m'informe, on m'instruit sur l'humeur de votreargus, et je suis oblig de couvrir du voile le plusdshonnte le sentiment le plus pur qui ft jamais. (lapauvre petite, comme elle est oppresse ! Comme son seins'lve ! Quel sein, grand dieu ! ... chienne de vieille ! Ilfaudra donc que je te donne ce profitl ! ...) vous nerpondez pas... de grce, Julie, nous n'avons qu'un moment,dcidez de mon sort. Pourquoi me rendre la double victime

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  • de vos rigueurs et des faveurs de votre tante ? (ce motfaveurs fut prononc d'un ton si triste qu'il tait persuasif ; lapetite en sourit.) eh bien !

    J e v o u s c r o i s , m e d i t e l l e ; p o u r q u o i m etromperiezvous ? ... je suis dj si malheureuse !

    Hlas ! Il ne tient qu' vous de me le rendre biendavantage...

    je ne vous dtaillerai pas le reste d'une conversation gnepar les observateurs ; mais, pour tout dire en un mot, nousconvnmes que je serais l'amant de la tante et que noussaisirions tous les moments favorables pour nous voir, enaffectant, la petite et moi, beaucoup d'indiffrence l'un pourl'autre.

    On soupe. Aprs souper, je fais un brelan avec ma chretante ; tout le monde dfile. Julie, ds minuit, s'tait retire ;je reste seul. C'est alors que la vieille, par ses tendrescaresses, me montre toute la rigueur de mon sort ; cependantj'y rponds en grimaant ; elle sort pour se rendre sachambre coucher, et moi pour faire ma toilette de nuit.Enfin, l'heure du berger, l'heure fatale sonne ; une femme dechambre m'appelle, j'arrive, cherchant partout ce que tu sais,et ne trouvant rien. rien ? rien, ou le diable m'emporte :devine o il tait all se nicher. ct d'une grosse boursebien remplie, place entre deux bougies sur la table de nuit

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  • de madame ; je le repris en passant. Ma desse tait encornette... sacredieu ! Qu'elle avait d'appas !

    Son lit la turque, de damas jonquille, semblait assorti son teint (car celui du jour tait rpandu sur dix mouchoirsqui invoquaient la blanchisseuse) ; un sourire qu'ellegrimace me fait apercevoir qu'elle ne mord point. Enfin, jegrimpe sur l'autel. (...) ? hlas ! Il fallait bien (...) demisre, ou renoncer Julie et cette bourse devenuencessaire, car le maudit brelan m'avait arrach les dernierslouis qui fussent en ma possession...

    que parlaije de possession ! ... j'en ai, sacredieu bien uneautre. Regarde, mon cher ami, c'est pour toi que je n'abaissepas la toile.

    Je parcours des mains et des pieds les vieux charmes dema dulcine... de la gorge... je lui en prterais au besoin...des bras longs et dcharns, des cuisses grles et dessches,une motte abattue, un (...) fltri et dont l'ambre qui leparfume peine affaiblit l'odeur naturelle...

    enfin, n'importe, je (...) ; je ferme les yeux ; j'arpente maharidelle et j'enfourne. Ses deux jambes sont passespardessus mes paules ; d'un bras vigoureux, je la chaussesur mon (...). Une bosse de grandeur honnte que je viens dedcouvrir me sert de point d'appui pour l'autre main. Soncou tendu m'allonge un dplaisant visage qui, gueule bante,

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  • m'offre une langue appesantie, que j'vite par une fortecontraction de tous les muscles de ma tte. Enfin, je prendsle galop... ma vieille sue dans son harnais ; sa charnireenrouille s'lectrise et me rend presque coup sur coup ; sesbras perdent de leur raideur, ses yeux se tournent ; elle lesferme demi, et rellement ils deviennent insupportables...sacredieu ! J'enrage, cela ne vient pas ; je la secoue... et tout coup la bougresse m'chappe...

    foutre ! La fureur me prend, je m'chauffe ; le talon tenducontre une colonne, je la presse, je l'enlve ; la voil quimarche... ah ! Mon ami !

    Mon petit ! Ah ! Mon cher coeur ! ... je me meurs...

    ah ! Je n'y comptais plus... il y a si longtemps...

    ah ! Ah ! Ah ! ... je (...), mon cher ami, je dcharge ! ... lediable m'emporte ! Ses convulsions me tiennent cinqminutes dans l'illusion ; la vieille coquine avait unejouissance comme trente ans ; elle fut longtemps seremettre ; elle tait puise dans toute la force du terme.Moi, j'tais en eau... mais voici une bien autre histoire. Enm'essuyant je trouve une double perruque : c'tait celle dema ribaude qui, n'tant que colle, se joignait la miennepar esprit de sympathie. Le dsordre de la bonne dame taitrisible ; son bonnet et la toison qui lui tenait lieu dechevelure, tout tait au diable... elle avait l'air honteux. tiens,

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  • ma bonne, lui disje, entre nous, point de faons ; je t'aimemieux tout naturellement et, pour preuve de cela, je veux terecommencer. ces mots, je la ressaute, et j 'amnel'aventure bien. Pour cette fois, elle n'avait point de dents,dieu merci ! Car j'eusse t dvor.

    Aprs cette seconde reprise, elle sonne... Mlle Macao, quinous servait d'eunuque noir, lui arrange ses affaires. Tandisque je me rhabille, la bonne vieille ne tarissait pas sur monloge...

    deux fois, ma chre... deux fois ! Oh ! Ce petit angel estun prodige ; les autres me faisaient bien venir l'eau labouche ; mais lui... mets la main l, j'en suis pleine.

    Il tait quatre heures du matin, je m'approche pour prendrecong ; la vieille, en m'embrassant (foutre ! Ce n'tait pas lle plaisant de l'histoire), m'offre deux bourses au lieu d'uneet m'accuse qu'elles contiennent deux cents louis, tandisqu'elle n'en donne ordinairement que cent. non, madame,lui disje avec gnrosit, si j'ai t plus heureux qu'unautre, je n'aspire point une rcompense double ; j'acceptele tmoignage ordinaire de vos bonts, mais je ne veuxm'ter ni la possibilit de revenir plus souvent, ni vouscelle de contenter un got qui parat vous satisfaire. mafoi ! Je l'aurais prise au mot. nigaud, qui ne sais pas quevoil comme on ruine ces bougressesl... la preuve :transporte, elle tire de son doigt un beau brillant (je l'ai,

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  • pardieu ! Vendu deux mille cus) et le met au mien ; alors jeme retire avec une permission indfinie pour toutes lesheures du jour et de la nuit, et la consigne de paratreamoureux de Julie, afin de cacher notre intrigue... je fais ledifficile ; mais la sublime tante me dmontre si bien cettencessit que je me rends pour l'amour d'elle.

    Revenu chez moi, doisje y trouver du repos ?

    Non, Julie... Julie, ton image me trouble ; je te vois :hlas ! Dans cet instant, en proie des dsirs inconnusjusqu'alors, tu m'accuses et tu gmis ; moimme jesoupire... vile soif de l'or !

    quelle horrible divinit me forcestu de sacrifier dusang ! ... bien plus encore, c'est la substance la plus pure quis'panchera sans fruit sur cet autel odieux... mais ne suisjepas ddommag ?

    O trouveraije une enfant plus jolie ? Julie, que l'amourme peigne dans tes rves, et que l'attrait d'un songe teprpare au charme de la ralit ! ...

    allons, ma valeur, mon secours, qu'tesvous devenue ?...

    de l'or, morbleu ! De l'or ; c'est le nerf de la guerre : frontpartout ; que les feux de l'amour embrasent mon courage,

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  • me rendent cette vigueur premire qui fit tomber sous lecouteau sanglant tant de vierges dans Isral... et toi, Priape,patron des fouteurs ! Je t'invoque : qu'une ivresse lubriqueme saisisse auprs de ma vieille ! Je t'offre le sacrifice detoutes ses perfections... qu'elle crve en foutant ! ... c'est unholocauste digne de toi.

    On s'imagine bien que la matine ne se passe pas sans queje me rende chez ma bonne. On m'introduit au petit jour. Lafidle Macao me donne des conseils pour plaire madame,et je lui sacrifie une parcelle de mon or pour en gagner unmonceau. Ma vieille me reoit avec toutes les grcespossibles... mais, surprise ! ... avezvous jamais vu unepomme qu'on place sur le rcipient d 'une machinepneumatique ? Chaque coup de piston semble lui rendre safracheur, sa peau ride devient lisse, et les rayons du jourqui s'y rflchissent lui donnent un vermeil qu'elle avaitperdu... voil l'tat de ma vieille ; ses yeux sont drougis,elle semble souffle, et si elle avait des cheveux, de la gorgeet des dents, elle serait foutable... ma main batifole, unsourire enfantin la ranime... quand elle me chasse trssrieusement pour mettre ordre ses affaires.

    Mlle Macao est gouvernante en chef de ma Julie ; son nomd'heureux prsage n'est point dmenti par son caractre ;cette fille qui, dans sa jeunesse, a frquent les seigneursdans les lieux o tout est gal, est compatissante pourl'innocence ; elle a mme fourni Julie les lments d'un jeu

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  • de mains, badinage renouvel des grecs, et trs utile, mmeaux franaises.

    Somme toute, je lui fais comprendre que Julie est appele changer d'tat, et je lui prouve par un argument irrsistibleque je suis tomb de lhaut tout exprs pour oprer cegrand oeuvre : elle devient donc ma confidente, et j'entrechez Julie, que je trouve sa toilette.

    Ma foi ! Je ne sais, mais la timidit me reprend...

    qu'elle est belle ! Mon ami... de grands cheveux blondcendr, des yeux noirs et bien fendus, des traits quej'aimerais moins s'ils taient plus rguliers... nous restonsseuls : pour dbuter, je me prosterne et j'embrasse l'idole.foutre !

    Quelle timidit ! srement, en voil la preuve...

    quand j'ai bien peur, je me jette corps perdu tout aumilieu du danger. mais Julie doit se fcher ? oui, si elle enavait le temps... et puis, Julie est franche, sa pudeur rpugnesans doute mes caresses ; mais elle est bien aise de lesrecevoir. Enfin, aprs quelques petites faons, je reste enpossession de ma place ses genoux et de tous les petitslarcins que me fournit le dsordre d'une toilette et ledrangement d'un peignoir qui voile seul ses hmisphresenchanteurs, sur lesquels je n'ose encore voyager que des

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  • yeux.

    Nos jours coulent ainsi pendant quelque temps dans lapaix. J'avance en grade auprs de Julie.

    La tante me comble de bienfaits : cela veut dire que je lesmrite. Enfin je me rends un samedi saint pour dner. Machre tante m'annonce qu'elle est force de sortir et qu'ellene reviendra qu' huit heures et demie ; qu'une assemble decharit, un sermon, une qute et toute la simagre sont pourelle d'une obligation indispensable (car, par contenance, labonne dame place l'ordre dans le temple de Dagon). Jepeste, je me fche... on se flatte d'un jour de bonheur... onest cruellement abus. la bonne dame me console avecattendrissement...

    eh bien ! Mon petit, ne te fche pas ; je m'arrangerai poursouper avec toi, et puis...

    hein ? ... dis donc, petit fripon ! ... mais je ne veux pas quetu sortes. Julie restera avec toi, et vous ferez de la musique...mademoiselle, j'espre que vous ne laisserez pas ennuyermonsieur ! non, ma tante (et l'embarras et la rougeur). Moi,je fronce le sourcil ; j'ai des affaires... bref, Mlle Macao estcharge trs expressment de m'excuter ; la vieille part etnous laisse seuls, Julie et moi, dans le joli boudoir.

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  • Puissances du ciel ! Vous dont mane ce feu cleste quinous lve audessus des mortels, vous vtes mon bonheur !... curieux, indiscret ami, tu veux donc aussi pntrer lesmystres de Paphos ? ...

    eh bien ! Lis, dvore et (...).

    Tout favorisait mes feux ; la beaut du jour, dont lesrayons, amollis par une gaze diaphane, attendrissaient pournous les objets ; le printemps, son influence, l'innocence deJulie ; mon exprience qui l'chauffe pour la dtruire ; destableaux lascifs que je lui explique d'une manire pluslascive encore ; des voeux prononcs ses pieds, reus parsa tendresse... les dsirs nous animent l'un et l'autre ; un tactassur, et qui ne me trompa jamais, redouble ma hardiesse ;dj la bouche de Julie est en proie ma bouche qui lapresse ; son sein trop soulev s'irrite contre les rubans qui leretiennent... noeuds odieux, disparaissez ! ... des larmescoulent de ses yeux, je les sche par mes baisers ; monhaleine s'embrase ; le feu de nos coeurs s'exhale et se rpanddans nos poitrines brlantes ; nos mes se confondent...j'entreprends davantage ; les bras de Julie ne semblent merepousser que pour m'attirer mieux ; dj elle ne se dfendplus, son oeil se ferme demi, sa paupire vacillante se fixe peine... que de trsors je dcouvre et je parcours ! ...arrte ! ...

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  • tmraire ! S'crie la tendre Julie... cher amant ! ... dieu...je... je... meurs... et la parole expire sur ses lvres roses...l'heure sonne Cythre ; l'amour a secou son flambeaudans les airs ; je vole sur ses ailes, je combats, les cieuxs'ouvrent... j'ai vaincu... Vnus !

    Couvrenous de la ceinture des grces ! ...

    peindraije ces extases voluptueuses o l'me semble jouirdu repos, alors mme qu'elle se rpand davantage audehors ! ... non, non, de telles dlices ne s'expriment pas.

    Loin de nous les reproches ! Julie ne m'en fera pas ; elleme voulait pour matre, elle dsirait le bonheur, elle renatpour le goter encore... mais quel prodige ! Notre sophas'anime ! Une multitude de mouvements combins avec artfait clore pour la sensible Julie mille motions plus vives,s'il est possible. Enfin, puiss de plaisirs, de caresses, nousnous arrtons... et j'arrte aussi le diable de ressort quim'avait prt son secours d'une manire si peu attendue. Jene connaissais pas le sopha, et Julie met tous ses plaisirs surmon compte... je me garde bien de la dsabuser.

    Je ne reste pas plus longtemps ; ma toilette est diablementdrange ; d'ailleurs, ma vieille aurait une sotte offrande.sans rpter les dtails monotones, notre commerce duratrois mois : Julie m'aima constamment ; la tte tourna latante au point de dranger ses affaires pour moi. Une

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  • assemble de famille la fit interdire et mettre dans uncouvent. On arracha Julie ma tendresse et comme onsouponna qu'elle avait pu prendre certaines leons chez satante, il y eut des explications dont le parlement se seraitml sans une protectrice que je trouvai dans la parentmme.

    Mme La Marquise De VitAuConas, place la cour,accommoda toute l'affaire. C'est de mes arrangements avecelle qu'il me faut vous parler.

    Un tendre engagement va plus loin qu'on ne pense. J'eus lebonheur d'intresser Mme De VitAuConas ; elle medemanda les dtails de mon affaire ; je lui peignis monaventure avec bonne foi ; elle tait femme, pouvaitelle trebien svre pour un crime qui, dans le fond, n'tait qu'unhommage la beaut ? Elle aimait le plaisir ; mon doubleemploi lui parut tre une preuve de solidit prcieuse : mondieu, me ditelle, il y avait de quoi vous tuer.

    La modestie et t hors de saison ; je rpondis toutbonnement que ma sant, loin d'tre affaiblie, exigeait unservice au moins aussi fort : ses yeux s'ouvrirent, les mienss'garrent, nous nous rencontrmes ; elle n'tait pasnovice ; je lui avais des obligations qu'il m'tait douxd'acquitter, c'est dire assez que nous nous entendmes.

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  • Son service la retenait souvent Versailles ; le mien, quicommenait cette poque, me rendait assidu : la cour onest si dsoeuvr ! Le mari de la marquise tait sonrgiment ; il lui laissait du vide. Je m'offris le remplir.

    Les premiers jours de notre connaissance, j'allais passerchez elle quelques moments pour attendre le coucher du roi.Parmi les hommes qui composaient le cercle de la marquise,je remarquai un grand chevalier de Malte, fort maigre, fortple, mais qui se donnait des airs de privaut ; le tonmaussade de la marquise me convainquit que c'tait mondevancier et qu'il allait tre congdi.

    Pour aider le pousser dehors, je l'attaquai, je le persiflai ;il se dfendit mal. Je sortis, il me suivit. Aprs le coucher, ilme pria de gagner avec lui la pice des suisses, m'assurantqu'il avait quelque chose me confier. La nuit tait belle,nous nous promenmes ; arrivs dans un lieu assez solitaire,il mit brusquement l'pe la main ; je la saisis, je l'enlveet la jette vingt pas, du plus grand sangfroid du monde ;mon homme, tout tonn, se fche, et je n'en ris quedavantage.

    Enfin, je lui dis : mon cher chevalier, je crois entrevoirvos motifs ; vous tes bien avec la marquise, elle vousrejette, vous pensez que je suis votre successeur, et vousn'avez pas tort ; vous voulez vous couper la gorge avec moi,et je suis bien sensible cette marque de votre amiti ; mais

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  • je vous dirai franchement que je ne me battrai qu'aprs avoirvu si elle en vaut la peine ; ma rputation est faite, on ne mesouponnera pas ; nous prendrons, vous, le temps de larflexion, moi, le temps de coucher avec elle ; ensuite, si lecoeur vous en dit, nous nous amuserons... je coursramasser son pe, je la lui prsente, je lui souhaite lebonsoir, et je vais me coucher.

    Le chevalier vint chez moi le lendemain ; il convint de sestorts, nous nous embrassmes, et je me rendis chez lamarquise, qui, dj instruite du fond de l'aventure, ne m'enfit pas plus mauvaise mine, parce qu'elle en ignorait lesdtails.

    Enfin, les jours s'accumulaient, la marquise jouait lacoquette, semblait vouloir irriter mes dsirs et me donner unvritable amour. Nous tions dans la saison des petitsvoyages ; nous ne nous voyions que des moments, et cesmoments taient perdus pour mes projets. Tout celam'ennuya ; j ' ta is ois i f , je la pressai ; j 'obt ins unrendezvous pour le lendemain, et quelques gestes trssignificatifs, de part et d'autre, m'annoncrent qu'il seraittout ce que je voulais qu'il ft. Je me rends l'heuremarque ; le roi tait la chasse ; tout le monde dehors ; lechteau semblait un dsert. Mais l'appartement de lamarquise n'estil pas assez peupl ? Nous tions deux : lesdsirs accouraient en foule, ils appelaient les plaisirs... mafoi ! Je ne sais pas o l'on aurait pu trouver meilleure

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  • compagnie.

    Les feux du midi embrasaient l'atmosphre. Un jour demi touff rgnait dans le boudoir : on y respirait lafracheur, les parfums et la volupt.

    Reprsentezvous sur une pile de carreaux une grandefemme bien taille, encore mieux dcouple ; quelquesrubans galamment nous sont le seul lien qui retienne lagaze lgre qui la voile ; sa gorge est belle, sa figure assezcommune, mais ses yeux disent ce qu'ils veulent ; d'assezbelles dents, des cheveux d'un noir admirable, toutm' invi ta i t : les pr l iminai res commencrent ; lesmnagements auraient ennuy. Je dtourne sur elle et surmoi des voiles importuns. En deux tours de mains, j'arrangela marquise ; je me prcipite...

    dieu ! le flot qui m'apporta recule pouvant. eh !Qu'astu donc ? ce que j'ai... le diable peuttre... je mesigne et je crois que M Satan s'est venu planter l en proprepersonne. mais encore... estce une illusion ? foutre ! Tun'as qu' juger... un braquemart de huit pouces levait sa crtealtire et dfendait les approches. Le coquin avait pensm'ventrer. La marquise, nullement dconcerte, riait auxlarmes. Enfin, je me rassure, j'examine, puis adressant laparole au papelard : hlas ! Lui disje, j'tais venu dansl'intention de le mettre monsieur votre frre ; mais, beausire, tout seigneur tout honneur...

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  • alors, je me retourne et je lui prsente, bien humblement,ce que Berlin rvre et ce que l'italien encense. Sacredieu !De ma vie je ne l'ai chapp si belle. La marquise m'attire elle... un moment plus tard... hein ? ... oui, pardieu ! Jel'tais, et tout vivant.

    Cependant, mon tonnement cesse, et aprs avoir rendu cetribut d'admiration, je plaai VitAuConas de la manirequi nous convenait tous deux. La marquise tait vive sanstre tendre ; un temprament ardent lui commandait,l'entranait ; elle croyait aimer l'objet qu'elle tenait dans sesbras, et, les sensations effaces, les dsirs satisfaits, soncoeur s'puisait. Dix annes de cour forment bien unefemme : elle tait intrigante, adroite, dissimule ; elle avaitenfin le caractre de son tat. Aussi jouissaitelle d'uneconsidration que la crainte de son esprit malin et mdisantlui avait attire. Au reste, levant effrontment le masque surle chapitre des moeurs, elle m'afficha avec une impudencequi m'et fait rougir, si l'on rougissait encore. J'affectais dela discrtion, de la retenue.

    " allons, me disaitelle... mais tu es un enfant : tout celaest reu, mon ami. Dans les commencements que j'ai habitce paysci, tout me rvoltait.

    Je sortais du couvent, j'tais jeune, assez jolie ; j'avais dela pudeur, j'tais d'un gauche inconcevable. Les femmesm'ont forme ; les hommes m'en ont trouve mieux. J'ai

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  • gagn de tous cts. " je vivais chez elle comme chez moi ;nous couchions ensemble, et comme elle me trouvaitvigoureux, elle s'en tenait l. Mais l'argent ne venait point ;car comment tirer l'argent d'une femme de cour encore jeuneet jolie ? ... le diable y pourvut. Un jour que, dans le dliredes sens, nous avions fait, ma foi, toutes les folies que lebon Artin a dpeintes dans son livre si religieux, lamarquise ne prendelle pas subitement de l'amour pour monpostrieur ? Ma plaisanterie et le compliment que j'avais fait son monsieur fortifient cette ide.

    toute force elle en veut venir l'excution...

    astu jamais vu, mon ami, un perroquet dfendre sa queuecontre un chat rus et malin ? ... me voil, je fais le saut decarpe, des ptarades... la diablesse ne perd pas la carte... je lesens... ahi, ahi !

    mais, madame, c'est un pucelage, foi de chrtien. ehbien ! Je le paierai cent louis. oh ! Non, de par tous lesdiables, deux cents... eh, foutre ! Me voil... (j'en meurs dehonte) me voil enfil !

    Aprs ce bel exploit, la marquise m'apostrophe...

    Rodrigue, qui l'et cru ? ... et moi, en portant la main aupauvre bless, et faisant piteuse grimace... Chimne, quil'et dit ? ... ses baisers, ses caresses, ses folies, le triomphe

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  • qu'elle se flattait d'avoir remport lui donnaient une gaiet laquelle je ne pus rsister... tiens, lui disje, mauvaise, tum'as diablement fait du mal, mais je te pardonne. Nousscellmes la rconciliation de manire ne pas laisser leplus petit vent de rancune.

    Le bon roi Dagobert avait bien raison : il n'y a si bonnecompagnie qu'il ne faille quitter ; mon intrigue avec laVitAuConas durait depuis six mortelles semaines ;d'ailleurs, j'avais profit de son got htroclite ; je luicotais des monceaux d'or. " mon cher, me ditelle un jour,je vois que nous ne nous aimons plus. Tu me parais toujoursaimable, je veux te conserver comme connaissance intime,mais prvenons le dgot ; tu ne saurais manquer defemmes ; tu es jeune, je ne veux pas te faire perdre un tempsprcieux, et je prtends te guider. Tiens, je te le dis avecfranchise, les femmes de cour, commencer par moi, sontdangereuses au del de l'expression ; rien ne leur manquepour plaire, et les hommes trouvent en nous la socit de labonne compagnie et tous les vices de la mauvaise, vices qui,communiqus et rendus, font entre les deux sexes unecirculation dont les effets, varis l'infini, ont presquetoujours pour base, pour motif et pour but la perfidie.

    " nous sommes coquettes par ton, vicieuses par caractre ;le plaisir a pour nous de l'attrait, mais nous jouissons parhabitude. Un amant nouveau est sr de nous plaire ; cela estau point qu'il m'arrive tous les hivers de recevoir mon mari

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  • avec une joie incroyable, de lui prodiguer pendantvingtquatre heures les caresses de la passion : l'illusioncesse, le bandeau tombe, je le reconnais, je me reconnaismoimme, et nous nous quittons.

    " le sentiment est regard parmi nous comme une chimre,nous en parlons avec emphase, avec esprit, raffinementmme, prcisment parce qu'il ne nous a jamais touchs. Tudois russir ici par ta complaisance, ta vigueur et surtout tascience dans l'art de la volupt. Je connais vingt femmes quise ruineront pour toi ; tu leur creras un temprament ou turanimeras ce qui leur en reste.

    " mais, mon ami, prends garde certains dsagrments ;moins honntes que les filles, nous donnons sans dlicatessece que l'on nous a communiqu sans scrupule, et souventnous ne valons pas le repentir que nous causons. Pour viterces prcipices, que les fleurs qui les couvrent rendent plusdangereux, abandonne la timidit, la dlicatesse : elles teperdraient, et l'on n'y donnerait ici que des noms ridicules.

    " la pudeur est grimace, la dcence hypocrisie, les qualitsse dnaturent, les vertus sont charges des couleurs du vice,mais la mode, les grces embellissent tout ; on ne prisel'esprit que par le jargon qui l'accompagne ; en un mot, c'estde nous que dpend la fortune, et nous sommes aussiaveugles qu'elle, parce que souvent un sot ouvre la nuit unavis important.

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  • " prends donc un extrieur hardi, impertinent mme, dansle ttette ; brusque les aventures, tu ne serais tmraireque dans le cas de faiblesse, et le seul manque de respectque nous ne pardonnions pas, c'est une faute d'orthographe.

    Mais en public, change de ton, fais ta cour assidment,prodigue les soins et les loges ; ce n'est pas de la discrtionque l'on te demande.

    Nous ne craignons, mon ami, la rvlation des mystresque lorsqu'ils ne sont pas notre avantage... " la marquises'arrta. Son sopha n'tait pas loin, nous nous fmes desadieux trs circonstancis, et j'obtins, en la quittant, lapermission de renouveler de temps en temps connaissance...sauf tre encore empal.

    Me voil donc libre ; je m'introduis dans les diffrentessocits de la cour : je jette sur les femmes qui lescomposent un oeil curieux et perant. Du plus au moins, jefais mainte application des peintures de la marquise. Lasaison des bals arrive, j'aime la danse la fureur, mais,n'tant point talon rouge, elle m'tait interdite chez lesh a u t e s p u i s s a n c e s ; l ' o b s e r v a t i o n m ' o f f r i t d e sddommagements. J'avais obtenu la permission de merendre chez une princesse qui joint tout plein d'esprit lemeilleur ton et le coeur le plus sensible. Je la jugeai faitepour inspirer un attachement durable, mais trop sage pours'afficher aussi. son ge, avec tous les moyens de plaire, se

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  • fixer ! ... eh ! Que dirait l'amour ?

    Lui atil confi ses flches pour les laisser oisives oupour les ficher sur un seul coeur, comme des pingles sur lapelote de sa toilette ?

    Je consultai mon grimoire, et je sus qu'on ne pouvait allierplus de gnrosit, de talents et d'adresse. Je sus encorequ'en prdicateur excellent, ses prceptes ne nuisaient pas ses plaisirs, et je crus sentir qu'un peu de contrainte pouvaity ajouter du prix. mais qui estce donc ? oh ! Vous endemandez trop ; allez sur le grand thtre, quand on jouerala gouvernante , vous lui verrez remplir un rle que sonc o e u r l u i r e n d c h e r e t q u i l u i m r i t e t o u s l e sapplaudissements.

    Confondus dans un groupe d'hommes, nous exercionsnotre critique sur les danseurs. eh !

    Bon dieu ! Quelle est cette petite personne, si folle, siextravagante ? Elle est tout bouriffe, son panier penched'un ct, tout son ajustement est en dsordre... je ne l'entrouve, ma foi ! Que plus jolie ; tous ses attraits sont anims,ses gestes sont violents, tout ptille en elle. c'est laDuchesse De me rpond le Comte De Rhdon ; vous ne laconnaissez pas ? Je vous prsenterai ; elle aime la musique,vous l'amuserez. Le lendemain, je somme le comte de saparole, et nous partons.

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  • six heures du soir, la duchesse tait en peignoir ; degrands cheveux s'chappaient d'une baigneuse place detravers sur sa tte. Embrasser le comte, me faire larvrence, me proposer vingt questions et me prendre pourrpter le pas de deux de Roland, ne fut l'affaire que d'uninstant.

    Je fus froid les premiers pas ; une passe trs lascive,qu'elle rendit comme Guimard, m'enhardit, m'chauffa, mefit... (ah ! Mon ami, la jolie chose qu'un pas de deux, quandon (...) ! ) le comte applaudit tout rompre ; elle s'crie queje danse comme Vestris, que j'ai un jarret la Dauberval, mefait promettre de venir rpter avec elle, et me donne carteblanche pour les heures ; puis mon lutin sonne ses femmes.Le comte se sauve, je demeure ; elle se coiffe faire mourirde rire, me demande mon avis ; je touche l'ajustement, etje lui donne un petit air de grenadier qu'elle trouve unique...elle s'habille, sort ; je lui donne la main, et je me retire.

    Parbleu ! Disje en moimme, cellel n'a pas le tempsd'tre mchante. Je me couche ; sa friponne de mine metourmente toute la nuit. Je me lve en raffolant, et je courschez la duchesse dix heures du matin ; elle sortait du bain,frache comme la rose. Une lvite la couvre des pieds latte ; on apporte du chocolat ; je suis barbouill du haut enbas ; elle saute son clavecin ; sa jolie menotte a toute lavlocite possible ; elle a du got, un filet de voix, des sonscharmants, mais pour de l 'me... , serviteur. Je vois

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  • cependant qu'elle est susceptible. Nous prenons un duo ; jela presse, je l'attendris malgr elle ; elle perd la tte, soncoeur se serre : j'en arrache un soupir ; la voix meurt, lamain s'arrte ; le sein palpite, mon oeil enflamm saisit tousses mouvements... zeste !

    Elle jette tout au diable ; elle plante l le clavecin, me bat,me demande pardon, passe un entrechat, se jette en boudantsur un sopha, et se relve par un grand clat de rire.

    Heureusement pour moi, Gardel arrive ; nous dansons ; jeremarque cependant avec plaisir qu'elle prend de l'intrt :elle me loue avec affectation. Gardel n'a garde de lacontredire ; avant que je sorte, elle me demande excuse,implore son pardon, me prie de lui imposer sa pnitence ;vois donc d'ici, bourreau, cette mine hypocrite ; je saisis unemain que je couvre de baisers ; l'autre me donne un souffletqu'un baiser plus hardi rpare l'instant.

    Le lendemain, j'y vole sur les ailes du dsir ; elle m'avaitdemand quelques ariettes nouvelles, je les lui portais ; elletait au lit ; une femme de chambre ouvre ses rideaux, jeparais ; un fauteuil plac ct d'elle me tendait les bras...j'aime bien mieux m'appuyer contre une console qui me tientde niveau.

    O estu, divin Carrache ? Prtemoi tes crayons pouresquisser cette enfant ! ...

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  • un bonnet la paysanne couvre sa tte moiti ; ses traitsn'ont aucune proportion ; ce sont de noirs yeux superbes, laplus jolie bouche, un nez retrouss, un front trop petit, maisombrag dlicieusement ; deux ou trois petits signes noirscomme jais assassinent leur monde sans rmission ; sonteint est moins trs blanc qu'anim, mais le carmin le pluspur n'gale pas le vermeil de ses joues et de ses lvres.

    Aprs quelques folies dbites de part et d'autre, je luimontre ma musique ; elle me prie de chanter... je dployaistoute la lgret de ma voix, quand tout coup un drapsoulev me dcouvre un sein de lis et de roses... et lacadence chevrote... je continue : tantt c'est un bras arrondipar l'amour, une cuisse frache rebondie, une jambe fine, unpied charmant qui, tour tour, se promnent sur le lit etfrappent tous mes sens... je tremble ; je ne sais plus ce que jechante...

    allons donc ! Me dit la duchesse, avec un sangfroiddont je ne la croyais pas capable. Je recommence, et lemange d'aller son train ; mon sang bouillonne, tous mesnerfs s'agacent et s'irritent ; je palpite, mon visage s'inondede sueur ; la mchante, qui m'observe, sourit et cependantsoupire... un dernier bond la dcouvre tout entire...sacrebleu ! Mes yeux font feu ; je jette la musique, je faissauter les boutons qui me gnent, je m'lance dans ses bras ;je crie, je mords, elle me le rend bien, et je ne quitte prisequ'aprs quatre reprises redoubles.

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  • La duchesse tait vanouie, cela commena m'inquiter ;j'employai un spcifique qui ne m'a jamais manqu : j'ai lalangue d'une volubilit incroyable ; j'applique ma bouchesur le bouton de rose qui termine un joli globe : untrmoussement presque subit me rassure sur son tat...dieu !

    dieu ! Me ditelle en me sautant au cou, cher ami, tu l'astrouv ! et quoi ? Lui disje tout tonn. hlas ! Untemprament que l'on m'avait persuad que je n'avais pas...et baisers d'entrer en jeu, et les pices de mon habillementde couvrir le plancher. Enfin, nous nous trouvmes, commedit la prcieuse ridicule, l'un visvis de l'autre ; je vousjure que ma petite duchesse n'tait point de ces prudes quicraignent un homme absolument nu. Elle avait des doutes ;il fallut bien les claircir. Chaque situation nouvelle medcouvrait de nouveaux charmes. C'est bien le corps lemieux fait ! Charnue sans tre grasse, svelte sans maigreur,une souplesse de reins qui ne demandait que de l'usage...eh ! Parbleu ! Je lui en donnai de toutes les faons.

    J'aime bien foutre ; mais comme le bon Dieu n'a pas vouluque nous trouvassions le mouvement perptuel, il fauts'arrter enfin, car ce jeu lasse plus qu'il n'ennuie .

    Or ma duchesse n'avait qu'un jargon, toujours le mme ; etcomme j'avais ralenti son feu, ce n'tait plus qu'un petit trefort plat, fort monotone. Que j'aime voir sortir d'une

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  • bouche ces riens que rend si prcieux une femme enivre devolupt ! Qu'un mot plac propos sait bien relever le prixd'une caresse et la rendre plus touchante ? tez les prludesde la jouissance et les paroles magiques qui, faisant sortir del'extase, aident si souvent s'y replonger... l'ennui billeavec nous sur le sein de nos belles : l'amour fuit, l'essaimdes plaisirs s'envole, et l'on s'endort pour ne jamais serveiller.

    Voil des dgradations que j'prouvai chez la duchessependant quinze jours : nos commencements furent trop vifset la satit amena le dgot. J'en tais l, quand, un soir, enentrant chez moi, on me remit un crin et ce petit billet.

    un instant me rendit votre amante, un instant a toutchang ; mais j'ai, monsieur, de la reconnaissance de vossoins ; je vous prie de conserver cet crin : i l vousreprsentera l'image d'une femme qui parut vous tre chreet qui se reproche de n'avoir pas pu faire plus longtempsvotre bonheur. je vis surlechamp de quelle main partaitce billet : la duchesse tait incapable de l'avoir dict. J'yrpondis : vos bienfaits, madame, ont droit de me toucher,si votre coeur a daign apprcier le peu que je vaux. J'ai misdans notre liaison des procds dont l'nergie paraissait vousplaire ; je n'ai ni dpit, ni colre. C'est bien assez pour moid'avoir eu les honneurs du triomphe, sans aspirer ceux dela retraite : depuis huit jours, j'attendais vos ordres, et lapreuve de mon respect est de ne les avoir pas prvenus.

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  • Votre portrait sera pour moi le gage de l'estime que vousaccordez mes talents . Puisse, madame, le fortun mortelqui me remplace vous en porter de plus heureux ! Vousm'aurez tous deux une obligation bien douce : celle de vousavoir mis dans le cas d'en sentir tout le prix. monsuccesseur, homme d'esprit, n'a pu y tenir comme moi, quepeu de jours ; elle l'a remplac par un prince , et rellement,quant au moral, ils se convenaient ; pour le physique, elleeut ses laquais : c'est le pain quotidien d'une duchesse.

    Mon billet crit, j'ouvris l'crin, j'y trouvai de fort beauxdiamants et le portrait de la duchesse en baigneuse : il taitfrappant ; je l'approchai machinalement de mes lvres.Avoueraije ma faiblesse ? Je sacrifiai encore une fois cejoli automate, et mon caprice s'coula avec la libation que jevenais de rpandre en son honneur.

    Je me rendis chez la VitAuConas, elle tait enpossession de mes jours de cong ; d'ailleurs nous avonscontract une amiti commode. que cette femmel gagne tre approfondie ! Rellement, la manire dont elle mereut (la rception dura deux grandes heures), je crus qu'ellene me reconnaissait pas. Quand elle fut en tat d'couter, jelui racontai mon aventure ; le Comte De Rhdon lui en avaitdit quelque chose ; la catastrophe lui plut, l'gaya, et nous entions sur la chronique scandaleuse, quand on annona MmeDe Sombreval et une autre femme chez qui j'avais ngligde me faire prsenter. Elle m'en fit la guerre avec chaleur ;

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  • j'y rpondis avec intrt, et je demandai pour la forme unepermission de faire ma cour qui tait tout accorde.

    La visite finie, la chre VitAuConas me dit : mon ami,je vais te perdre encore : voil un dvolu jet sur toi. Pourceluil, c'est une trouvaille : conduistoi bien... poussela,pousse... ah ! Madame, vous savez comme je le pousse ;tmoin... (vous sentez le geste que je fis). Elle prit au mot, etle tmoin fut en confrontation. Nous nous quittmes ; machre marquise me souhaita bonne chance, et je courus meprparer la mnager.

    Dor comme un calice, pimp, card, musqu, je me rendschez Mme . Le cercle tait nombreux ; aprs ls premierscompliments, une minute d'examen me mit au fait del'assemble : huit ou dix freluquets pirouettaient sur destalons rouges ; vils adulateurs de la matresse de la maison,dont ils briguaient un regard, ils honoraient de leurs airspenchs, de quelques fades polissonneries et de ricanementspitoyables une douzaine de femmes, hardies dans leurmaintien, impudentes dans leurs propos, et, ce que j'appris,dans leur conduite. Mon instituteur tait un monseigneur , qui un bon vch et deux abbayes affermes cent millefrancs donnaient le privilge de prcher la vertu chez lesfilles de la capitale ou chez les titres de la cour, ce quirevient au mme.

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  • voyezvous, me disaitil, cette grosse baronne ; sonvisage est enlumin, ses gros yeux ronds sont surmontsd'un sourcil noir, pais, dur... tudieu ! C'est une matressefemme : cochers, laquais, elle met tout sur les dents. Sanstre mauvaise matresse, elle en change souvent ; mais elleleur fait un sort. La semaine dernire, elle en a plac deuxaux invalides ; elle prenait son mari quand elle ne trouvaitpersonne ; elle a rendu le pauvre diable, il est fourbu, et aumoment o je parle, il est aux incurables. quelle est cettegrande blonde fade ? quoi ! Vous ne connaissez pas laComtesse De Minandon ? non, mais elle tourmentecruellement son ventail. bon, c'est qu'elle joue la mijaure ;mais, foutre !

    (notez bien que c'est monseigneur qui sacre) bien fou quis ' y f i e r a ; e l l e m ' a d o n n , i l y a s i x m o i s , u n echaudepisse..., le (...) m'en cuit encore. voil ce que c'est,monseigneur, que de sortir de son diocse (condom)...quelle est celle qui lui parle l'oreille ? la sauteaucorps :c'est l'auberge des gardes du roi... elle deviendra gargote, etgare la vrole ! J'allais en savoir davantage, quand quelqu'unadressa la parole monseigneur, et la conversation devenantgnrale, notre aparte finit.

    Un de ces jolis individus qui, avec un minois de poupe,une voix grle et un ton glapissant, jugent, dcident ettranchent, tenait le d ; on en tait aux spectacles. Desauteurs furent siffls, berns ou lous d'une manire qui, je

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  • vous assure, devait peu leur importer.

    Enfin, l'on en vient la musique. Mme m'apostrophe :monsieur, ceci est de votre ressort. je ne suis pointmusicien ; mon seul mrite est de bien couter . parbleu !Mon cher, reprend le Marquis De FierEnFat, en cecasl, coutezmoi, et vous vous rendrez mon avis... moi,je suis fait pour la musique ; j'ai un tact moi qui ne metrompe jamais, et il y aurait de la fatuit de tirer vanit d'unbienfait de la bonne nature. Qui diable s'est jamais vant deses oreilles ?

    (j'observerai qu'en cela le marquis tait modeste.)... or jen'aime point ce Glck ; il n'y a pas le mot pour rire dans samusique ; pas un pauvre petit air qui aide sabler gamentson vin de Champagne. Il faut dcomposer cet hommelpour y trouver deux ou trois phrases qui fassent un rondeau.

    Votre Piccini n'entend point l'harmonie, et sans l'air deballet que danse Guimard, j'aurais siffl son Roland de fonden comble. monsieur n'aime point l'ouverture d'Iphignie ?eh ! Mon cher, non ; cela fait venir la chair de poule.

    Parlezmoi de celle du dserteur ; voil ce que l'onappelle une ouverture ! Cela se chante tout comme unpontneuf . Le Floquet vous fait joliment un opra, je lesoutiens contre vent et mare, et, pardieu ! Je ne conois pascomment ce parterre s'est avis de le siffler, tandis que

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  • j'applaudissais du geste et de la voix ; ses basses fonttoujours un second dessus ; il est vrai que le violon dit lamme chose, mais cela renforce l'harmonie... ces animauxde danseurs prtendent que l'on ne saurait danser ses airs deballets, moi je les dcide sautillants au dernier point. ilsvoudraient peuttre du fourr, du voluptueux. oui, del'ennuyeux... ma passion moi, c'est l' allegro . monsieurle marquis, on s'y lasse bien vite. un sourire de Mme De etun peu d'embarras chez le marquis me dmontrrent qu'ilpouvait bien en tre se reposer. L'arrangement des partiesfinit la conversation. Je me retirai avant souper ; mais MmeDe trouva un moment pour me donner rendezvous lelendemain sa toilette.

    J'ai oubli de vous tracer sa figure. Mme De a trentehuitans, elle ne s'en cache pas. Assez blanche, elle a la peaud'une finesse et d'une galit singulires ; l'ovale qui formeson visage serait arrondi si elle avait plus d'embonpoint ; desyeux assez beaux disent sans minauderie ce qu'elle veutexprimer ; sa bouche est bien ; elle est grande, mais sa tailletrop longue n'est pas assez marque ; sa poitrine est tropserre, sa gorge est petite, place en femme de condition,c'estdire un peu bas, mais ferme, et surtout d'unesusceptibilit qui la fait tressaillir ; le bras et la main sonttrop maigres, la jambe est bien, le pied charmant. Sondiscours en public est concis, serr et prtention... le roi luia dit cela... cette nouvelle vient de mesdames... les ministressont ses amis. Elle leur donne quelquefois des leons et

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  • toujours des conseils. Racontezvous une affaire ? Elle endveloppe les ressorts secrets.

    Un mariage se faitil ? C'est elle qui a prsent l'pouse,qui protge le jeune mari, elle sait tout, pntre tout, a toutvu, tout devin ; elle met en avant sa faveur, offre saprotection, a des audiences, un secrtaire, des bureaux, untaxateur, un trsorier et des gens d'affaires.

    parbleu ! Tu feras fortune avec cette femellel... tuattends des grces, bientt tu les distribueras. je gage quetu vas me demander l'honneur de ma protection... genoux,sacredieu ! Et dpchonsnous. Je vais prendre possessionde mon emploi, et je t'offre ma survivance...

    j'arrive chez Mme De . On me reoit comme un hommeattendu ; la toilette se passe en galanteries de ma part, endfenses de la sienne ; je fais tourner la tte aux femmes dechambre force de contrler ; elles finissent par rire, et leurmatresse dride sa gravit.

    Enfin, nous restons seuls... foutre ! Du coeur !

    Je crois que la timidit me gagne... un sopha reoit MmeDe ; je me place ses pieds. (j 'ai un grand fonds detendresse pour les sophas.) en vrit, me ditelle, je fais unedmarche bien extraordinaire. moi, je ne vois rien de sinaturel. je me croyais l'abri de certaines faiblesses, et le

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  • rang que je tiens... en vrit, madame, il est trs favorable certains arrangements. mais qu'imagineraiton ? que jevous adore, et que je suis heureux de ne pas vous dplaire.j'ai des vues sur vous, mon cher ami. mon bonheur serade les remplir. vous avez de l'esprit, du feu. ah ! Madame,peuton en manquer auprs de vous ? Vous lectriseriez lanature... (elle s'lectrise, pardieu ! Son front se colore, sesyeux brillent, sa main tremble...

    amour ! ... amour ! ... viens donc, petit bougre ! ) vousavez l un joli habit. cette couleur m'a paru vous plaire ; jela porterai longtemps...

    bon dieu ! Voil des rubans d'une nouveaut (et l'chellese dnoue ! ) que faitesvous ? Que faitesvous donc ?

    Que diront mes femmes ? ah ! Madame, nous perdons untemps... un temps qui pourrait tre bien mieux employ.bon dieu ! Si l'on entrait.

    tant pis pour les curieux (et mains de trotter et bouche des'appuyer sur un sein qui bondit sous les coups de langue).ah ! ... ah ! ... ditelle en changeant de note, petit dmon,tu m'as vaincue ! ...

    les grands mots sont lchs, mon Pgase est dbrid, laville rendue, et ma charmante foutue ; mais c'est au secondcoup que je l'attends. Je presse, je pousse, je lime ; elle est,

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  • sacredieu !

    Tortille autour de moi comme un serpent : il n'y a pas uneligne de perdue... ah ! ... ah ! ...

    mon ami ! Le... ah ! ... le duc ne le fait pas mieux que toi...le prince m'aurait rate l...

    l'ambassadeur ne m'a jamais fait dcharger... (je crus, ou lediable m'emporte ! Qu'elle allait me passer toute la cour enrevue.)... quand nous nous fmes bien convaincus que nousn ' av ions p lus r i en nous f a i r e , nous r enoumesconversation. Mme De abandonna cet air de dignit que jelui avais toujours vu. J'tais amant heureux ; elle m'enaccorda toutes les prrogatives.

    Comme je ne pouvais mieux faire ma cour qu'enl'entretenant de son crdit, je sus l'en faire parler ; j'avais,d'ailleurs, mon intrt pntrer ses secrets, ses ruses, sonmange ; je ne perdais point de vue mon objet principal,mon cher argent ! ... mes connaissances devaient me guiderdans les manoeuvres qui pouvaient m'en faire tirer parti. Lepremier moment d'une jouissance que je sais, mon gr,rendre imptueuse et brillante avait tourdi mon adorable.Mais les femmes dvores d'ambition sont insensibles auplaisir ; la vanit, l'intrigue absorbent toutes leurs facults.

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  • Sans cesse livres l'envie, la haine, les poisons de l'une,les poignards de l'autre cartent les amours. Je ne devaisdonc m'attendre qu' une jouissance froide, inanime ; je nepouvais me flatter de la captiver par les sens, mais par sespropos ; je lui reconnus de la suffisance, beaucoup d'estimed'ellemme, une vanit sans bornes, par consquent uneimagination resserre ; point de vues, ou elles taientcourtes, aucun plan fixe... ds lors, le mien fut form del'assujettir, de la matriser, de m'en servir pour ma fortune,ou de la planter l si elle quinze jours d'habitude mesuffirent pour russir.

    Je sus faire goter Mme De mes projets ; elle adopta mesides en ne croyant suivre que les siennes ; son secret futdans mes mains sans que je la laissasse disposer du mien. Cen'tait pas tout : elle faisait des affaires, il fallait m'en rendrematre... je n'avais qu' vouloir...

    tout me fut remis. Ds lors, je devins l'arbitre des traits ;je corrigeai le tarif (non pas, comme vous pensez bien, pourdiminuer), mes honoraires ne furent point oublis, et mapatronne partageait en outre avec moi ce que ma conscienceassez commode m'engageait lui restituer.

    Trop sage pour me mettre au grand jour, j'avais prvu quetout cela finirait mal, que Mme De porterait la peine de sesexactions ; je ne voulus donc aucune place. Faire et ne pointparatre, c'est l'adresse des gens habiles. Avant de vous

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  • conter la catastrophe, je vous dois deux ou trois aventuresdignes d'tre distingues de la foule de celles qui sontpasses sous mes yeux.

    L'abb Ricaneau, connu de toute la terre, postulait depuislongtemps un bnfice. Le sien tait cependant bon ; mais lecher abb, dou de vertu prolifique, faisait rgulirementquatre enfants tous les ans, et, par principe de conscience, ilpayait les mois de nourrice avant d'enrichir la collection desenfants trouvs. On lui indiqua notre bureau ; il vint mevoir ; sa demande me parut simple, ses motifs excellents ; jelui demandai un mmoire bien circonstanci ; le lendemain,il me l'apporta et me tortilla un compliment pour m'offrirune bourse dont la maigre apparence frona mon sourcil.ceci, monsieur, lui disje en la pesant, est pour les menusfrais...

    trennes de portier, de valet de chambre, de maquereau, desecrtaire... l 'abb, tremblant, n'osa me contredire...j'examinai le mmoire ; j'y trouvai des difficults... il mepria d'appuyer, de porter des paroles. en ce casl, l'abb,vous prenez le bon parti, vous voulez une abbaye de douzemille livres de rentes... vous tes de mes amis... mille louis,elle est vous... il se rcrie... comment ! Monsieur... maisc'est rien. J'en suis fch, je ne puis rien faire pour vous ;vous me rompez bras et jambes... (je sonne...) le ministre nem'atil pas demand ? La rponse est connue. Je prendsmon chapeau ; l'abb me talonne ; je le mne mal ; il se

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  • fche ; je parle plus haut que lui, et je le menace d'informerle teneur de la feuille de sa conduite... je marmotte lettre decachet ... il se sauve ; il court encore, et je garde la bourse,o je trouvai cent misrables louis que le faquin imaginaitdevoir payer une femme comme Mme De .

    Quelques jours aprs, on m'annonce une trs jolie femme ;mes yeux se drident ; elle demandait pour son mari unelieutenance du roi achete par vingt ans de services et desblessures. Vous croyez que la gnrosit va me parler ?Parbleu !

    Vous ne vous trompez pas ; je dbute par tous les signesqui pouvaient mieux lui marquer ma bienveillance. Elle futd'abord timide ; elle s'apprivoisa, nous nous apprivoismeset devnmes si familiers, en moins d'une heure, que nous nefmes plus qu'une mme chair. comment, tu l'as foutue ?non..., je l'ai envoye quelque autre...

    sacredieu ! Ne serastu jamais qu'un sot ? ... c'est une desplus jolies remueuses que j'aie trouves dans ma vie... pourune provinciale, cette femmel avait un vrai talent. aumoins tu as fait son affaire sans lui demander de l'argent.oh ! Cela, c'tait juste, et nous convnmes seulement qu'ellecrirait son mari de dposer dix mille livres chez unnotaire, qui les remettrait vue du brevet.

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  • Pour elle, je lui offris une bote d'or, dont un faquin, quivoulait des lettres de noblesse, m'avait fait prsent le matin ;elle valait vingtcinq louis. Vous voyez que je suisgnreux... c'tait plus que l'intrt de son argent.

    Nos affaires allaient bien. Sous mon heureuse main lecuivre devenait or ; Mme De m'adorait ; elle couchait avecl'univers, mais j'tais le favori, car j'avais la bourse.Cependant je sentais quelquefois des soulvements deconscience ; elle m'en gurissait bien vite : cela aurait putirer consquence pour sa cuisine. Je m'appliquaiseulement la mettre toujours en avant, ne jamais paratre,afin de me laver les mains sur tous les vnements.

    Bien m'en prit... voici le fait. Une femme jeune, riche,avait un amant. beau dbut ! Et quelle est la sotte qui n'en aqu'un ? un mari jaloux.

    allons donc : quel conte ! foi d'homme d'honneur ! Cesoriginauxl sont rares, mais il y en a encore quelquesunspour la conservation de l'espce. Le susdit animal trouvaitmauvais que sa femme coucht avec un reprsentant.Comme elle ne pouvait le supposer que fou, elle prit le sageparti de le faire enfermer ; elle vint me le proposer : etsurtout d'viter quelques petites formalits embarrassantesqui auraient pu retarder, mme dranger un projet aussi bienvu.

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  • Mme De la loua infiniment, d'autant plus qu'elle faisaitbien les choses ; elle assurait son mari six cents francs depension et l'habillait trs proprement.

    Je lui demandai quelques petites attestations faites par cesmains habiles qui ne rougissent pas plus que le papierqu'elles emploient, et nous fixmes tous les frais dix millecus ; assurment, c'tait grand march. Enfin, huit joursaprs, mon vilain fut enlev sans bruit, coffr et crou parordre du gouvernement. Sa femme pleura, rclama, fit lediable quatre, mais de loin. Je lui rendis le service de luifaire imposer le silence, et elle n'eut pas de peine le garder.

    Qui diable n'aurait pas cru cette affaire finie !

    Ce vieux coquin devait crever, au moins devenir fou : ilavait le diable au corps, il n'en fit rien.

    Certain magistrat (m. L. N., lieutenant gnral de police)fut visiter la prison ; je ne l'avais pas mis du complot. Cethommel est du vieux temps, il s'avise d'tre vertueux,d'avoir dans le coeur cette humanit que les autres n'ont qu'la bouche ; il comptit aux souffrances du coupable, mais ildonnerait sa vie pour sauver celle d'un innocent. Il instruisitle ministre ; celuici, dans un moment d'indignation,peuttre de crainte, nomma Mme De , cria la tromperie(pourquoi ne l'auraitil pas fait ? Je criais bien, moi ! ) ellefut sacrifie, perdit sa place et courut ensevelir dans ses

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  • terres sa honte et nos amours.

    Vous croyez peuttre, mon cher, que je vais me pendre ?... nenni, je vais compter mon argent...

    vingt mille cus en espces sonnantes, des diamants, desbijoux... ma foi, je suis fch du sort de cette pauvrefemme ; elle m'aurait valu beaucoup... paieraije mesdettes ? ... fi donc !

    Cela porte malheur ; d'ailleurs ces coquins d'usurierss'imaginentils que je leur donnerai mon sang, ma plus puresubstance, dvorer ? ...

    qu'ils attendent mon mariage ou mon testament.

    Pardieu ! Ces ides tristes ont abattu mon courage...

    allons, allons, volons au Potosi, cherchons quelque minenouvelle, et que l'or couronne mes ardeurs !

    Une fte d'apparat avait runi la cour et la ville ; mes yeux,errant sur l'assemble, cherchaient un objet qui les fixt ; ilsfurent distraits quelques instants par des figures friponnes etagaantes...

    Satan ! vade retro... dj je sentais mon coeur s'vanouiret ma bourse se vider... enfin arrive avec bruit Mme De

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  • CulGratulos ; son tat l'oblig