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ANNE MARTIN LE JUMELAGE ENTRE LES NOUVEAUX ARRIVANTS ET LES QUÉBÉCOIS DE LA SOCIÉTÉ D'ACCUEIL Thèse présentée à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval pour l’obtention du grade de Philosophiae Doctor (Ph.D) ETHNOLOGIE, DÉPARTEMENT D'HISTOIRE FACULTÉ DES LETTRES UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC FÉVRIER 2002 © Anne Martin, 2002

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ANNE MARTIN

LE JUMELAGE ENTRE LES NOUVEAUX ARRIVANTSET LES QUÉBÉCOIS DE LA SOCIÉTÉ D'ACCUEIL

Thèseprésentée

à la Faculté des études supérieuresde l'Université Laval

pour l’obtentiondu grade de Philosophiae Doctor (Ph.D)

ETHNOLOGIE, DÉPARTEMENT D'HISTOIREFACULTÉ DES LETTRES

UNIVERSITÉ LAVALQUÉBEC

FÉVRIER 2002

© Anne Martin, 2002

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Résumé

Notre thèse s'inscrit dans une approche ethnologique, la méthodologie de recherche est

qualitative. Notre objectif de recherche est de cerner la complexité de l'intervention sociale

qu'est le jumelage entre nouveaux arrivants et Québécois de la société d'accueil. Notre

terrain de recherche est le Réseau jumelage interculturel : regroupement d'intervenantes en

jumelage. Le jumelage tel qu'appliqué par la majorité des intervenantes du Réseau jumelage

interculturel est un programme défini et subventionné par l'État. Toutefois, l'intervention

sociale du jumelage dépasse la simple mise en place d'une relation sociale; la complexité du

processus migratoire et du processus d'intégration à laquelle est confrontée le nouvel

arrivant et indirectement son jumelé aura une influence marquante sur la dynamique

relationnelle. Nous démontrons que si les objectifs du programme de jumelage des

organismes communautaires rejoignent dans leur fonction de régulation sociale ceux définis

par l'État, les acteurs du communautaire donnent davantage d’importance à la notion du

lien social dans sa fonction d'innovation et de transformation des rapports sociaux.

Cependant, l'analyse de nos données révèle que si cette vision proclame l’esprit du

jumelage, la réalité peut se manifester différemment. L'incertitude de l'intervenante,

incertitude liée à la prise de conscience des limites de ses propres compétences, est doublée

de multiples contraintes qui ont un impact important sur l'intervention jumelage. Le

recrutement de même que la sélection des participants sont deux défis de taille, mais ne

sont pas exclusifs. La question du lien entre les intervenantes et les jumelés, entre les

jumelés eux-mêmes, s'est révélée être au cœur des préoccupations. Les pratiques

silencieuses de même que les zones d'incertitude poussent les intervenantes à questionner

leur rôle et les limites de leurs fonctions. Les intervenantes acquièrent ainsi une capacité

d'accepter le doute et découvrent d'autres espaces d'intervention, développent des alliances.

Car la complexité du processus de l'intégration exige non seulement une certaine

compréhension individuelle du processus, mais demande une acceptation collective des

implications de ce processus. Le jumelage ne peut être qu'un agent de régulation sociale; il

est aussi, sinon davantage, un agent de transformation.

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Abstract

This thesis takes an ethnological approach and the research methodology is qualitative.

The objective of the research is to demonstrate the complexity of the specific social

intervention represented by the ‘twinning’ of newcomers with Quebecois from the

receiving society. Our research ground is the Intercultural Twinning Network: an umbrella

group of community practitioners in this area.

The twinning program applied by the majority of practitioners in the Intercultural Twinning

Network is one defined and funded by the state. However the social intervention of

“twinning” goes beyond the simple setting up of a social relationship. The complexity of

both the migration process and the integration process into the new society with which the

newcomer is confronted, and thus indirectly confronts his/her twin, will have a decisive

influence on the dynamics of their relationship.

We will demonstrate that, while the objectives of the twinning program as set by the state

are respected by the community organisations with regard to its function as a social

regulator, community practitioners tend to give more weight to the innovative function of

social linking, and the transformation of social relations.

Nevertheless, an analysis of our results reveals that even though this view permeates the

spirit of the twinning program, reality may be expressed in a different way.

The uncertainty of the practitioner, which is linked to her awareness of her own limitations

is reinforced by multiple constraints which have a considerable impact on the practice of

twinning.

The recruitment and selection of the participants are two major challenges, but by no means

the only ones. It has become clear that the issue of the relationship between the

practitioners and those who are twinned, and between the twins themselves, is at the heart

of their concerns.

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Unspoken practices and zones of uncertainty push the practitioner to question their role and

the limits of their functions. The practitioners acquire an ability to accept doubt, to discover

other spaces for intervention and to develop alliances. The complexity of the integration

process requires not only an individual comprehension of the process, but demands a

collective acceptance of the implications of this same process. Twinning cannot be only a

form of social regulation; it is also, more importantly, an agent of transformation.

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Avant-Propos

La candidate au doctorat ne parcourt pas seule le long chemin qui la mène au dépôt final de

la thèse. Au cours de ces six années de recherche, d'analyse et d'écriture, durant lesquelles

nous avons dû, comme plusieurs autres étudiantEs, travailler pour vivre, plusieurs

personnes nous ont accordé leur soutien et cela de différentes façons. Nous voudrions ici

leur rendre hommage, en laissant de côté le nous de modestie.

En premier lieu, je veux adresser mes remerciements aux intervenantEs du Réseau

jumelage interculturel. Vous et moi, nous leur devons une meilleure compréhension de ce

qu'est l'intervention du jumelage. C'est la lucidité de leur regard sur cette pratique, leur

capacité de douter et de se remettre en question qui m'aura permis d'analyser et de souligner

la nécessité de prendre en compte la complexité de cette intervention sociale qu'est le

jumelage entre les nouveaux arrivants et les Québécois.

Je tiens à remercier Mme Lucille Guilbert, directrice de ma thèse, pour sa fine

compréhension de ma démarche. Je veux aussi souligner la précieuse collaboration de M.

André Jacob, co-directeur, qui m'a accueillie à l'Université du Québec à Montréal et qui m'a

adroitement initiée aux différentes approches de l'intervention sociale.

Je désire aussi remercier Michel, mon compagnon de vie qui, plusieurs fois m'a encouragée

à abandonner, sachant très bien que je ne pouvais accepter cette idée et que cela allait

davantage me stimuler à me rendre au bout du périple.

Je désire aussi souligner le soutien de ma sœur Louise et celui d'une amie et collaboratrice

au Jumelé, France, qui par le don d'une relecture attentive m'auront permis de déposer ma

thèse selon l'échéancier que je m'étais fixé.

Et il est temps, à présent, d'inscrire cette démarche intellectuelle dans le temps et de la

relier aux êtres, pour la suite du monde, comme dirait Pierre Perreault. Aussi, je veux

dédier cette thèse à ma mère Germaine qui en 2001 a décidé de poursuivre ailleurs sa vie.

J'aurais aimé lui présenter en personne le fruit de ma recherche, mais il en fut autrement.

C'est sa liberté d'être, sa présence, son grand amour de la vie, son intelligence et son

indépendance d'esprit qu'il faut retenir d'elle et que je veux rappeler à votre mémoire.

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Enfin, c'est à Anabelle, ma fille, que j'offre ma thèse. Elle en porte déjà le cœur et l'esprit,

par les efforts qu'elle met à comprendre l'autre, elle dévoile son grand humanisme en même

temps que sa détermination à vouloir faire partie de ce monde.

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Table des matières

RÉSUMÉ............................................................................................................................................................ I

ABSTRACT......................................................................................................................................................II

AVANT-PROPOS.......................................................................................................................................... IV

PREMIÈRE PARTIE : PROBLÉMATIQUE, ORIENTATIONS THÉORIQUES ETMÉTHODOLOGIQUES ............................................................................................................................... XI

CHAPITRE I .....................................................................................................................................................1

INTRODUCTION.............................................................................................................................................1

1.A PROBLÉMATIQUE ET OBJECTIFS DE RECHERCHE ....................................................................................6

CHAPITRE II .................................................................................................................................................14

ÉTAT DE LA QUESTION : LE PHÉNOMÈNE MIGRATOIRE ET LA SOLIDARITÉ SOCIALE .......................................142.A. SOMMAIRE .............................................................................................................................................142.1. LE PHÉNOMÈNE MIGRATOIRE.......................................................................................................15

2.1.1. La dynamique des migrations internationales ...............................................................................152.1.1.1. Les pays d'émigration .............................................................................................................................152.1.1.2. Les facteurs d'émigration, les pays d'immigration ..................................................................................152.1.1.3. La dynamique fédérale/provinciale; les possibilités et les limites..........................................................172.1.1.4. La dynamique région métropolitaine de Montréal et les autres régions du Québec ................................192.1.1.5. Nécessité d'un accueil différencié ...........................................................................................................192.1.1.6. Clients potentiels des ONG et des programmes de jumelage..................................................................21

2.2. D'UN BÉNÉVOLAT CHARITABLE...................................................................................................22À UN BÉNÉVOLAT D'ENGAGEMENT SOCIAL....................................................................................22

2.2.1. Bref historique du contexte social de l'action communautaire ......................................................222.2.2. La revalorisation du rôle des pratiques bénévoles ........................................................................292.2.3. L'appel au partenariat ...................................................................................................................33

2.3. VERS L'APRÈS ÉTAT-PROVIDENCE...............................................................................................372.3.1. Le regain du communautaire.........................................................................................................372.3.2. Les tensions au cœur du bénévolat ................................................................................................38

2.4. LE JUMELAGE ....................................................................................................................................442.4.1. Le jumelage en tant que processus ................................................................................................442.4.2. Le Réseau jumelage .......................................................................................................................47

2.5. CONCLUSION..........................................................................................................................................50

CHAPITRE III ................................................................................................................................................52

CADRE THÉORIQUE........................................................................................................................................523.A. SOMMAIRE .............................................................................................................................................523.1. INTÉGRATION ET LIEN SOCIAL ................................................................................................................54

3.1.1. La notion d'intégration ..................................................................................................................543.1.1.1. Le contexte global, États-Unis, France, Québec .....................................................................................54

3.1.2. Le contrat.......................................................................................................................................633.1.2.2. Le contrat moral......................................................................................................................................633.1.2.2. Le contrat social......................................................................................................................................65

3.1.3. La Citoyenneté ...............................................................................................................................683.1.4. Le lien social..................................................................................................................................71

3.1.4.1. La notion de confiance............................................................................................................................713.1.4.2. Le don .....................................................................................................................................................743.1.4.3. L'engagement ..........................................................................................................................................773.1.4.4. La négociation.........................................................................................................................................783.1.4.5. L'adaptation mutuelle..............................................................................................................................80

3.2. LE JUMELAGE.........................................................................................................................................82

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3.2.1. Similitudes et différences entre le mentorat et le jumelage...........................................................823.2.2. Le jumelage, « l'utopos » de la rencontre......................................................................................843.2.3. Le contexte de la relation interculturelle : ....................................................................................85les concepts d'interaction et de choc culturel ..........................................................................................853.2.4. Le jumelage, le réseau, et la culture organisationnelle .................................................................883.2.5. L'intervention sociale du jumelage ................................................................................................923.2.6. L'approche interculturelle .............................................................................................................973.2.7. L'autre à titre de partenaire...........................................................................................................993.2.8. L'approche interculturelle au quotidien ......................................................................................101

3.3. CONCLUSION........................................................................................................................................104

CHAPITRE IV ..............................................................................................................................................107

ORIENTATIONS MÉTHODOLOGIQUES ..............................................................................................107

4.1. RÉFLEXION ÉPISTÉMOLOGIQUE ............................................................................................................1074.2. CONTEXTE DE LA DÉCOUVERTE............................................................................................................1074.3. DÉMARCHE PRAXÉOLOGIQUE...............................................................................................................1104.4. LE PARADIGME INTERPRÉTATIF ET COMPRÉHENSIF ..............................................................................1134.5. LE PARADIGME DIALECTIQUE...............................................................................................................1164.6. ÉTUDE DE CAS ......................................................................................................................................1184.7. TRIANGULATION DES DONNÉES............................................................................................................1204.8. ENTRETIENS-PRÉ-TERRAIN ..................................................................................................................1214.9. SÉLECTION DES INFORMATEURS...........................................................................................................1224.10.ENTRETIENS-TERRAIN.........................................................................................................................124

4.10.1. L'entretien semi-directif .............................................................................................................1244.10.2. L'entretien pseudo-conversation-...............................................................................................1264.10.3. Discussions, conversations et entretiens non-formels ...............................................................1264.10.4. Règle de confidentialité .............................................................................................................127

4.11. SOURCES DOCUMENTAIRES ...............................................................................................................1274.12. L'OBSERVATION .................................................................................................................................128

4.12.1. L'observation participante.........................................................................................................1284.13. OBJECTIVITÉ ET VALIDITÉ ..................................................................................................................1314.14. ANALYSE DES DONNÉES .....................................................................................................................132

4.14.1. Entretiens individuels ................................................................................................................1324.14.2. Analyse de contenu ....................................................................................................................1324.14.3. Analyse sémiotique des entretiens .............................................................................................1334.14.4. Analyse des pratiques d'intervention .........................................................................................136

DEUXIÈME PARTIE :ANALYSE DES DONNÉES.................................................................................138

CHAPITRE V................................................................................................................................................139

PRÉSENTATION DES ORGANISMES ET DES INTERVENANTES .........................................................................1395.A. SOMMAIRE ...........................................................................................................................................1395.1. PRÉSENTATION DES ORGANISMES (MISSION, DOMAINE D'INTERVENTION, QUARTIER), DU DIRECTEUR ETDE L'INTERVENANT EN JUMELAGE ...............................................................................................................139L’ORGANISME A .........................................................................................................................................140

Objectifs selon les documents officiels ..................................................................................................140Le programme de jumelage ...................................................................................................................141Parcours du directeur............................................................................................................................142Parcours de l’intervenante ....................................................................................................................142

L’ORGANISME B..........................................................................................................................................143Programme du jumelage........................................................................................................................144Parcours de la directrice .......................................................................................................................145Parcours de l’intervenante ....................................................................................................................145

L’ORGANISME C..........................................................................................................................................146Programme de jumelage........................................................................................................................147Parcours de la directrice .......................................................................................................................148

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Parcours de l’intervenante ....................................................................................................................149L’ORGANISME D .........................................................................................................................................150

Programme de jumelage........................................................................................................................150Parcours de l’intervenante ....................................................................................................................151

L’ORGANISME E..........................................................................................................................................152Programme de jumelage........................................................................................................................152Parcours des intervenantes....................................................................................................................154Parcours de la deuxième intervenante...................................................................................................154L’organisme F .......................................................................................................................................155Programme de jumelage........................................................................................................................156Parcours de l’intervenant, de l’intervenante .........................................................................................156

L’ORGANISME G .........................................................................................................................................157Programme de jumelage........................................................................................................................158Parcours du directeur............................................................................................................................159Parcours de l’intervenante ....................................................................................................................159

L’ORGANISME H .........................................................................................................................................160Programme de jumelage........................................................................................................................160Parcours de la directrice .......................................................................................................................161Parcours de l’intervenante ....................................................................................................................161

L’ORGANISME I ...........................................................................................................................................162Programme de jumelage........................................................................................................................163Parcours de la directrice .......................................................................................................................164Parcours de l’intervenante ....................................................................................................................165

5.2. ANALYSE DES OBJECTIFS D’ACCUEIL ET D’INTÉGRATION TEL QUE DÉFINIS PAR LES ORGANISMES .......1665.3. ANALYSE DES OBJECTIFS DU PROGRAMME DE JUMELAGE ....................................................................167TELS QUE DÉFINIS PAR LES ORGANISMES .....................................................................................................167

CHAPITRE VI ..............................................................................................................................................173

LE JUMELAGE ET LES PERCEPTIONS DE L'INTÉGRATION ET DE L'ADAPTATION............173

6.A. SOMMAIRE ...........................................................................................................................................1736.1. L'ADAPTATION .....................................................................................................................................1746.2. L'INTÉGRATION ....................................................................................................................................1826.3. LE JUMELAGE, OUTIL D'INTÉGRATION ET DE PRÉVENTION AU DÉSÉQUILIBRE SOCIAL...........................1886.4. LE JUMELAGE ACTE DE PARTICIPATION CIVIQUE ..................................................................................1896.5. L'ACTE DE CITOYENNETÉ DU JUMELAGE INFLUENCÉ PAR LE CONTEXTE SOCIAL ET LA QUESTION DE LALANGUE.......................................................................................................................................................192

CHAPITRE VII.............................................................................................................................................198

RECRUTEMENT ET PROFIL DE LA CLIENTÈLE ...............................................................................................1987.A. SOMMAIRE ..........................................................................................................................................1987.1. LE RECRUTEMENT ................................................................................................................................199

7.1.1. Pourquoi la difficulté d'avoir des jumelés d'accueil ? .................................................................2017.1.2. Jumeler à Montréal......................................................................................................................2027.1.3. L'unité familiale ...........................................................................................................................2037.1.4. Recrutement/Manque d’hommes seuls.........................................................................................2047.1.5. Le Recrutement et les affinités professionnelles ..........................................................................205

7.2. LA PROMOTION ....................................................................................................................................2067.2.1. Lier l'interpersonnel au collectif..................................................................................................208

7.3. LE LIEN SOCIAL DU JUMELAGE .............................................................................................................2107.3.1. L'axe du « benevolens » ...............................................................................................................2107.3.2. L’amitié........................................................................................................................................2177.3.3. L’interculturel..............................................................................................................................220

7.4. LE JUMELAGE INTÉGRÉ À L'ORGANISME ...............................................................................................2227.4.1. Lettre de bienvenue et travail de sensibilisation..........................................................................2237.4.2. Lien avec l'organisation...............................................................................................................224

7.5. TROUVER DES JUMELÉS QUI ONT DES INTÉRÊTS SEMBLABLES ..............................................................225

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LA SÉLECTION - BIEN ÉVALUER «C'EST UN PEU DÉPARTAGER TOUT ÇA» .......................................................2257.5.1. Profil de la clientèle.....................................................................................................................2257.5.2. Première zone d'incertitude : établir les motivations ..................................................................226

7.5.2.1. Partager des intérêts semblables............................................................................................................2277.5.3. Évaluation de la situation des candidats .....................................................................................2287.5.4. Statuts des immigrants .................................................................................................................2307.5.5. Jumelé d'accueil : Québécois « de souche » ou Québécois de toutes origines............................2317.5.6. Bien évaluer la compréhension que les futurs jumelés ont du jumelage : deuxième zoned'incertitude ...........................................................................................................................................2357.5.7. Évaluer les compétences : troisième zone d'incertitude ..............................................................2377.5.8. Les attentes : autres incertitudes .................................................................................................2397.5.9. Comment faire partager leur vision aux participants..................................................................2407.5.10. Représentations des intervenantes concernant les jumelés .......................................................2417.5.11. La difficulté pour l'intervenante d'exclure des candidats ..........................................................2427.5.12. Un révélateur de tendances discriminatoires ............................................................................243

7.5.12.1. La demande des Québécois pour les Latinos et stratégies des intervenantes ......................................2437.5.12.2. Discrimination envers la communauté arabe ......................................................................................248

7.6. PREMIÈRE RENCONTRE ET RÈGLES DU JUMELAGE ................................................................................251

CHAPITRE VIII ...........................................................................................................................................256

CONTRAINTES, RÉALITÉS ET DIFFICULTÉS EN COURS DE JUMELAGE............................................................2568.A. SOMMAIRE ...........................................................................................................................................2568.1. LES CONTRAINTES................................................................................................................................257

8.1.1. Les contraintes organisationnelles ..............................................................................................2578.1.2. Les contraintes structurelles........................................................................................................2588.1.3. Contraintes reliées au parcours de l'intervenant.........................................................................2588.1.4. Contrainte de l’admissibilité et du contexte d’immigration en ce qui concerne les revendicateurs ........................................................................................................................260

8.2. LE LIEN ENTRE L'INTERVENANTE ET LES JUMELÉS................................................................................2658.2.1. Des pratiques silencieuses ...........................................................................................................265

8.2.1.1. La complicité avec les aînés..................................................................................................................2658.2.1.2. La complicité dans le non-dit ................................................................................................................267

8.3. LA RENCONTRE INTERCULTURELLE......................................................................................................2708.3.1. Lieu des chocs culturels...............................................................................................................2708.3.2. Améliorer la connaissance de l'autre par : la formation............................................................2738 3.3. L'interculturel et les zones d'incertitude dans l'intervention .......................................................275

CHAPITRE IX ..............................................................................................................................................279

LE SUIVI ET L'ÉVALUATION DES JUMELAGES ...............................................................................................2799.A. SOMMAIRE ...........................................................................................................................................2799.1. LE SUIVI INFORMEL AU COURS DES ACTIVITÉS DE GROUPE ...................................................................2809.2. LES DÉFIS RELIÉS AU SUIVI ...................................................................................................................2819.3. L'IMPORTANCE DU SUIVI ......................................................................................................................2839.4. LA RESPONSABILITÉ DU LIEN ENTRE LES JUMELÉS : LA NOTION DE L'ENGAGEMENT .............................2879.5. INTÉGRATION SOCIALE ET ÉVALUATION DE LA PRATIQUE ....................................................................2909.6. CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE : ANALYSE DES DONNÉES .......................................................292

CONCLUSION..............................................................................................................................................294

LIMITES DE NOTRE THÈSE............................................................................................................................317

BIBLIOGRAPHIE........................................................................................................................................319

SOURCES ORALES........................................................................................................................................319Entrevues ...............................................................................................................................................319Sources documentaires écrites ..............................................................................................................321

OUVRAGES CONSULTÉS...............................................................................................................................322

ANNEXE A....................................................................................................................................................337

GRILLES D'ENTRETIEN.................................................................................................................................337

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Première grille d'entretien.....................................................................................................................339RESPONSABLE DU JUMELAGE...................................................................................................................339

Deuxième grille d’entretien ...................................................................................................................342DIRECTEUR D'ORGANISME.........................................................................................................................342

Troisième Grille d’entretien ..................................................................................................................344AGENT ET RESPONSABLE DES POLITIQUES ET PROGRAMMES (MRCI)...........................................344

Quatrième Grille d’entretien .................................................................................................................346AGENT DU MRCI............................................................................................................................................346

ANNEXE B ....................................................................................................................................................348

CODAGE ......................................................................................................................................................348Analyse de contenu ................................................................................................................................348

ANNEXE C....................................................................................................................................................353

LETTRE DE BIENVENUE – ORGANISME G.....................................................................................................353

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Première partie : Problématique, orientations théoriqueset méthodologiques

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CHAPITRE I

IntroductionC'est au lendemain de la seconde guerre mondiale que serait apparu le concept des

jumelages1. Afin de prévenir tout risque d'une nouvelle guerre fratricide en Europe, le

Conseil des Communes d'Europe proposait une nouvelle approche de relations entre les

communes, ces collectivités locales séparées par des frontières, en introduisant la notion

d'une Europe des citoyens et créait le nom de jumelage. Le jumelage est alors défini comme

la rencontre de deux communes inscrites localement qui entendent ainsi proclamer qu'elles

s'associent pour confronter des problèmes communs, pour développer entre elles des liens

d'amitié de plus en plus étroits et pour agir dans une perspective plus large, la perspective

européenne. Ainsi la motivation profonde de la mise en place des jumelages était de faire

prendre conscience aux citoyens des différents pays au sein de l'Europe que ce qui les

rapprochait était plus fort et davantage essentiel que ce qui les séparait. Depuis lors cette

notion de jumelage entre localités s'est répandue à l'échelle internationale, notamment dans

l'axe de coopération Nord/Sud.

Le jumelage dont il est question dans cette thèse s'inspire en partie et est teinté de cette

philosophie de rapprochement bien que son objectif de départ soit l'aide à l'intégration des

immigrants. Il s'agit de jumelage entre Québécois et nouveaux arrivants immigrants.

C'est en 1985 que la direction de l'établissement immigration au ministère de la Main

d'œuvre, Emploi et Immigration du gouvernement fédéral du Canada décida d'implanter le

programme du jumelage, le « Host Program. » Cette décision fut fondée sur la

démonstration que les réfugiés parrainés par des groupes s'établissaient mieux, plus

rapidement, et à moindre coût que ceux pris en charge par le gouvernement, et sur une

étude comparée qui révélait que les réfugiés jumelés s'adaptaient mieux au pays que ceux

non-jumelés2. Le programme fut implanté à Winnipeg, Régina et London.

1 Source documentaire : Internet http://www.ccre.org/jumelages/origfr.html

2 La notion de parrainage au Canada comporte deux aspects et implique une responsabilité financière du

parrain que l'on qualifie de garant (individu ou groupe d'individus, selon le cas). Le parrain désigne une

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Les objectifs du « Host Program » étaient : de réduire les coûts du programme ainsi que la

charge de travail des conseillers gouvernementaux et de favoriser une adaptation plus

rapide et plus complète des réfugiés publics au sein de la communauté d'accueil. Favoriser

une adaptation rapide impliquait pour les « bénévoles » de faciliter l'intégration

linguistique, sociale, culturelle et surtout l'intégration des nouveaux arrivants sur le marché

de l'emploi. Un des objectifs visés par le jumelage était la sensibilisation de la population

québécoise au mouvement des réfugiés afin qu'un plus grand nombre de membres de la

société d'accueil s'impliquent auprès de ceux-ci.

La mission donnée aux bénévoles canadiens par le biais d'organismes communautaires était

donc d'aider les nouveaux arrivants3 à s'intégrer et à s'adapter le plus rapidement possible à

la société canadienne. En juin 1987, le programme fut implanté à Québec sous la

responsabilité du Centre international des femmes de Québec. Quelques mois plus tard, en

août 1987, l'Hirondelle adopte le programme devenant alors le premier organisme de

Montréal à offrir le programme jumelage subventionné. L'Hirondelle veut alors se

démarquer de l'orientation qu'avait le programme-jumelage du Centre International des

femmes de Québec qui définissait la relation dans l'axe aidant/aidé plus apparenté à la

notion de parrainage.

personne ou un groupe qui parraine la demande de droit d'établissement d'un membre de la catégorie de la

famille. Le parrainage de réfugiés est un programme qui permet aux résidants du Canada d'aider de manière

concrète des réfugiés et des membres de catégories désignées à l'étranger à se faire admettre au Canada, à s'y

réinstaller et à s'y intégrer. (Citoyenneté et Immigration Canada, Vers le 21e siècle: une stratégie pour

l'immigration et la citoyenneté, 1994: annexe 1) Dans d'autres contextes, notamment en ce qui concerne le

parrainage des jeunes en emploi tel qu'appliqué en France, la notion de parrainage dont l'emphase porte sur la

notion d'accompagnement s'apparente davantage à celle du mentorat, notion que nous expliciterons au

chapitre 3.

3 Le genre masculin est employé dans le texte pour alléger la structure du texte; évidemment une Québécoise

peut être jumelée avec une nouvelle arrivante. Le jumelage peut aussi se faire entre un Québécois et une

famille de nouveaux arrivants, entre une famille québécoise et un nouvel arrivant, entre une famille

québécoise et une famille de nouveaux arrivants.

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3

L'organisme de Montréal le définit comme une occasion de créer des contacts entre les

nouveaux arrivants immigrants et les membres de la société d'accueil en insistant sur le

jumelage entre famille québécoise et immigrante. L'Hirondelle définit alors ses propres

principes : le jumelage doit permettre d'établir des relations égalitaires, ainsi il laisse place à

la naissance d'une relation d'amitié, et le jumelage implique l'établissement d'une relation

où les deux parties apprendront l'une de l'autre. En contrepartie, le jumelage ne doit pas

entraîner la création d'une relation d'aide (dans le sens aidant-aidé), des échanges d'ordre

économique ou amoureux ne doivent pas avoir lieu et les participants québécois ne doivent

pas être perçus comme des travailleurs sociaux4. « Pour la première fois », écrit

l'anthropologue Aiquel dans son rapport sur le programme de l'Hirondelle, « un organisme

au service des immigrants et des réfugiés propose des services à la population d'accueil. »

De 1988 à 1999, plusieurs autres villes du Québec ont développé le programme de

jumelage mentionnons, Sherbrooke, Hull, St-Jérôme et Victoriaville. Le programme

s'implante en même temps dans l'ensemble des provinces du Canada. Au Québec, en 1997-

1998, 35 organismes offraient le programme de jumelage dont 17 étaient situés sur l'île de

Montréal. La dernière entente fédérale-provinciale de 1991 concernant les pouvoirs

accordés à la province de Québec dans le secteur de l'immigration lui a attribué la gestion

du programme.

Ainsi, depuis 1991, le programme de jumelage est inscrit dans le cadre du programme

provincial subventionné d'accueil et d'établissement des immigrants (PAEI)5; les

4 Extrait du Rapport final Évaluation du programme Amitié-Jumelage de l'Hirondelle, G. Aiquel (1994:10-

11).

5 La relation de jumelage pouvait aussi être réalisée lors d'activités de jumelage dans le cadre du programme

subventionné de relations communautaires (PRI), programme de rapprochement interculturel; les objectifs du

programme sont alors de l'ordre "du rapprochement communautaire" (MAIICC, septembre 1994).Des

associations de bénévoles non inscrites à ces programmes font aussi du jumelage entre nouveaux arrivants et

membres de la société d'accueil; ce sont des associations religieuses de paroisse, des associations bénévoles

de quartier.

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4

objectifsdu programme étant d'améliorer chez les nouveaux arrivants la connaissance de la

société d'accueil par la constitution de liens et d'échanges » (MAIICC6, septembre 1994).

Le programme de jumelage entre Québécois et nouveaux arrivants implique donc la

reconnaissance par l'État de l'importance du réseau informel7 dans le processus

d'intégration et révèle la volonté de responsabiliser chaque membre de la société d'accueil

en ce qui concerne l'intégration des nouveaux arrivants. L'accueil et l'aide à l'établissement,

en ce qui concerne les nouveaux arrivants, deviennent des actes d'engagement social du

membre de la société d'accueil envers le nouveau venu.

Au Québec, l'intégration des immigrants est basée sur un idéal communautaire fondé sur

l'ouverture aux multiples apports et la nécessité de l'échange intercommunautaire, mais

alors que le contrat moral entre la société d'accueil et l'immigrant, énoncé en 1990, fait

connaître aux immigrants ses attentes et exprime à la société québécoise les « obligations »

que lui impose son propre projet démocratique à l'égard des citoyens de toutes origines qui

la composent » (1990:15), le concept de citoyenneté et de participation civique, mis de

l'avant quelques années plus tard par le ministre du MRCI, M. André Boisclair, insiste sur

la notion individuelle : « l'intégration, c'est aussi dans le rapport latéral de citoyen à citoyen

» (mars 1998).

Les intervenantes8 du Réseau jumelage interculturel, regroupement des intervenantes et

intervenants des organismes qui offrent le programme de jumelage, reconnaissent que le

jumelage répond effectivement aux deux objectifs précédemment cités : soit celui d'aider

6 Le ministère de l'Immigration au Québec a changé plusieurs fois de nom depuis 1968, aujourd'hui il se

nomme MRCI: Ministère des Relations avec les citoyens et de l'Immigration.

7 Nous qualifions le programme de jumelage informel ou non-formel car la relation de jumelage se passe en

privé, les acteurs sont autonomes et responsables du déroulement et de la progression de la relation. Mais ce

réseau informel a un caractère formel parce que l'initiative du programme, la sélection des jumelés et

l'encadrement relèvent de l'organisation.

8 Puisque la majorité des intervenantes au sein du Réseau jumelage interculturel (RJI) sont de sexe féminin ,

nous utiliserons le genre féminin pour parler de façon générique des intervenantes (hommes et femmes) qui

forment le RJI.

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5

les immigrants à s'intégrer et celui d'engager les membres de la société d'accueil envers les

immigrants. Par ailleurs, elles voient dans le jumelage un autre aspect : celui du

rapprochement interculturel. Le jumelage devient alors un lieu d'une découverte mutuelle,

d'un partage de savoirs, lieu d'une rencontre interculturelle qui, selon le contexte et les

personnes impliquées, pourra donner naissance à un lien d'amitié.

Nous l'avons mentionné, le programme de jumelage tel qu'appliqué par la majorité des

intervenantes du Réseau jumelage interculturel est un programme défini et subventionné

par l'État ; toutefois, en lui donnant forme, en le recréant, l'intervenante pose un acte

légitimé tout en s'inscrivant dans le processus de la reconstruction du tissu social. Car

l'intervention sociale du jumelage dépasse la simple mise en place d'une relation sociale; la

complexité du processus migratoire et du processus d'intégration à laquelle est confronté le

nouvel arrivant et indirectement son jumelé aura une influence marquante sur la dynamique

relationnelle. L'intervenante en jumelage sera, elle aussi, confrontée à cette complexité et

aura à questionner sa pratique.

Le programme de jumelage que nous analysons fait partie du programme gouvernemental

provincial d'accueil et d'établissement PAEI, mais est aussi influencé par l'idéologie du

rapprochement interculturel véhiculée par le programme de rapprochement interculturel

PRI. Notre terrain de recherche est Montréal et plus précisément les programmes de

jumelage mis en place par les intervenantes des organismes communautaires qui font partie

du Réseau jumelage interculturel.

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1.a. Problématique et Objectifs de recherche

Conscients que l'immigration est un facteur nécessaire et un atout pour relever les défis

démographiques et économiques que doit relever le Québec, le gouvernement et la société

d'accueil québécoise reconnaissent que le succès du projet migratoire de chaque individu de

même que le maintien de rapports harmonieux entre les Québécois de toutes origines

dépendent du degré d'insertion et de participation des immigrants et de leurs descendants à

la société québécoise. Cette insertion et participation sont liées, comme l'indique l'Énoncé

de politique en matière d'immigration et d'intégration (1990), à l'idée symbolique d'un

contrat moral en tant qu'engagement réciproque impliquant des droits et des responsabilités

mutuels de l'immigrant et de la société d'accueil.

Le programme de jumelage, entre Québécois et nouveaux arrivants implique, comme nous

l'avons mentionné, la reconnaissance par l'État de l'importance du réseau informel dans le

processus d'intégration. L'accueil et l'aide à l'insertion en ce qui concerne les nouveaux

arrivants ne relèvent donc plus uniquement de l'aide charitable, des organismes religieux,

des associations ethniques, mais deviennent un acte d'engagement social du membre de la

société d'accueil envers le nouveau venu.

Une pré-enquête nous a permis de constater que le programme de jumelage n'est pas vécu

par les Québécois et les immigrants ni considéré par les agents de l'immigration et

responsables d'organismes communautaires et d'associations bénévoles de la même façon

selon les contextes de réalisation. En effet, plusieurs facteurs influencent les interactions :

les énoncés de politique et les acteurs politiques en place, les orientations idéologiques du

concept d'intégration, les visions et ressources consacrées au programme par les directions

d'organismes communautaires qui en ont la responsabilité d'exécution, le profil des

nouveaux arrivants et des Québécois qui s'engagent dans le programme et enfin les

compétences, le pouvoir d'action et les conceptions des intervenantes qui animent le

programme.

Le jumelage évolue dans un certain flou du fait qu'il peut répondre à plusieurs objectifs et

combler différentes attentes. Selon le cas, le jumelage sera considéré comme un moyen

d'intégration sociale : l'objectif est alors d'aider les nouveaux arrivants à devenir autonomes

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7

le plus rapidement possible. Par ailleurs, le jumelage sera défini par certains organismes

comme une rencontre interculturelle, un lieu de découverte des différences et des

similitudes ou encore il sera présenté comme une relation d'amitié. Si ces objectifs peuvent

refléter les attentes des intervenantes des organismes communautaires, des agents du

ministère et des jumelés9, il demeure souvent une ambiguïté non seulement dans la

définition des objectifs communs, mais aussi dans l'atteinte de ces objectifs.

Se pourrait-il que l'ambiguïté vienne du fait que la relation au sein du jumelage est

considérée par le gouvernement qui classifie le programme dans le PAEI comme une

relation d'aide et d'accompagnement alors que les intervenantes considèrent le jumelage

comme un lieu de découverte mutuelle ?

Dans la relation d'aide et d'accompagnement, les nouveaux arrivants sont guidés dans leurs

premières démarches d'intégration à leur nouvelle société par des membres de la société

d'accueil. La relation d'aide dans ce cadre du jumelage est une action sociale, un acte

bénévole qui s'inscrit dans le bénévolat de service social qui, s'il n'est pas représentatif du

domaine du bénévolat en chiffres (10,9%)10 demeure un domaine extrêmement important

puisqu'il se voit interpellé de manière de plus en plus directe par l'État pour prendre la

relève dans l'aide sociale auprès des démunis et des exclus. L'État attribue ainsi au

bénévolat de service social une fonction de régulation sociale et ce faisant le définit comme

étant un pivot de la cohésion sociale de la société québécoise.

9 Nous nommons jumelés, les personnes engagées dans le jumelage; personnes de la société d'accueil et

nouveaux arrivants.

10 L'anthropologue Isabelle Cellier dans son article « Le bénévolat à travers la littérature” (1995) déplore que

les auteurs qui s'intéressent au domaine du bénévolat ne parlent presqu'exclusivement que du bénévolat de

service social et que cet état de fait contribue à entretenir les préjugés de la dame patronnesse se dévouant à la

cause puisque que dans le domaine du service social ce sont majoritairement des femmes. La chercheure fait

remarquer, avec raison, que le bénévolat ne se limite pas à ce domaine et que bien au contraire celui-ci, ajouté

au domaine de la santé atteint tout au plus 10.9% du total. Les autres domaines seraient selon l'étude de

Carpentier, Vaillancourt (1990) : éducation – occupé majoritairement par des femmes – (13,9%); sport – où

évoluent une majorité d'hommes – (12,3%); religion (12,3%); service social (10,9%); multidomaines

(9,6%).

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8

Pourtant, la majorité des intervenantes considèrent le jumelage comme un lieu de

découverte mutuelle, de partage de savoirs et de transformation des représentations. Le

jumelage c'est le lieu d'une rencontre interculturelle qui pourra donner naissance à un lien

d'amitié. Cette conception rejoint un autre programme du ministère, celui du PRI11,

programme de rapprochement interculturel au sein duquel certaines activités de jumelage

pouvaient être réalisées.

L'ambiguïté pourrait venir aussi des attentes face à ceux que l'on nomme Québécois de la

société d'accueil ou de la compréhension que ces derniers ainsi que les nouveaux arrivants

ont du jumelage.

Le programme de jumelage existe au Québec depuis 14 ans, il est peu connu au sein de la

société québécoise. Serait-ce un indicateur d'une certaine résistance de l'État à inciter les

citoyens à s'engager dans une action dont il ne saisit pas toute la portée ? Dont il ne peut

mesurer à court terme l'impact ? Le programme a-t-il fait l'objet d'une analyse symbolique

en tant qu'espace créant des situations de solidarité, mais aussi des confrontations

identitaires, des remises en question ?

Notre recherche veut répondre à trois préoccupations qui rejoignent celles décrites par

Taylor dans le Malaise de la modernité (1994) que sont la recherche de sens, de la liberté et

de la finalité.

• Par la quête de sens, nous voulons situer le jumelage dans toute sa complexité,

pragmatique et axiologique. Dans la recherche de sens nous nous demandons : Comment

doit-on situer le jumelage entre nouveaux arrivants et Québécois de la société d'accueil

dans le contexte socio-politique actuel ? Quel est le sens que les différents acteurs attribuent

à ce programme ?

• La recherche de la finalité nous demande de dépasser la notion coûts-bénéfices et de voir

comment le jumelage revêt une valeur symbolique et en tant que tel s'avère être un agent

d'intégration sociale. Dans la recherche de la finalité nous nous demandons : Comment le

11 Le PRI est devenu en 98-99 (année financière) le PSPC, programme de soutien à la participation civique,

programme dorénavant ouvert à tous les organismes communautaires peu importe leur champ d'intervention.

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9

jumelage est-il perçu en tant qu'intervention sociale ? Le jumelage est-il vu comme un outil

d'intégration afin de permettre l'harmonisation de la société ou comme une mise en relation

où se déploie un lien social avec tout ce qu'il comporte de tensions, de conflits et de

compromis ? Le jumelage peut-il procéder de l'un et de l'autre ? Comment les intervenantes

analysent-elles les motivations et les comportements des individus qui s'engagent dans la

relation de jumelage ?

• La quête de la liberté signifie situer la relation de jumelage et sa mise en pratique dans un

espace de créativité, un (nouveau) lieu : a-historique, relationnel et identitaire. Dans la

recherche de la liberté nous cherchons à savoir : Comment les intervenantes qui sont les

artisanes du jumelage le perçoivent, le définissent, l'articulent et le présentent aux uns et

aux autres. Comment les jumelés le vivent ? Pourquoi et de quelle façon les intervenantes,

travailleures au sein d'organismes communautaires, responsables du programme jumelage,

occuperont cet espace de transformation de la pratique, le Réseau jumelage ?

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10

Ces démarches complémentaires que sont la quête de sens, de finalité, et de liberté ont

alimenté nos premières démarches d'exploration et d'observation et nous ont amenée

à formuler quatre hypothèses :

a – Le fait de définir le jumelage comme une relation d'aide ou comme une relation d'amitié

conditionne les interactions des personnes engagées dans le jumelage et oriente le rôle

qu'ils se donnent, les amènent à interpréter différemment les éléments des contextes de la

relation. Cela oriente les interprétations qu'ils feront de la situation et amène une

construction distincte de la relation, du « fait social » de la relation.

b – Bien que les textes gouvernementaux sur les programmes de jumelage évoquent le rôle

du citoyen bénévole comme agent d'intégration sociale, il ressort que les objectifs

financiers des programmes de jumelage, fondés sur une logique de coûts-bénéfices, aient

voilé sinon supplanté l'importance accordée à la construction du lien social en lui-même et

à la reconnaissance de la complexité de ce lien social.

c – Cette primauté des objectifs financiers sur la construction du lien social s'actualise dans

des critères de sélection et des règlements à observer et produit soit un non engagement ou

un désengagement dans le programme de jumelage, soit suscite des espaces de

transgression.

d – La reconnaissance de la complexité de ce lien social, tant de la part des politiques

gouvernementales, des intervenantes des organismes de jumelage, des nouveaux arrivants

et des Québécois engagés dans cette relation du jumelage, ouvrirait ou du moins enrichirait

des espaces de créativité.

Afin de répondre à ces questionnements, nous avons cru pertinent de diviser notre thèse en

deux parties. La partie 1 présente la problématique, les orientations théoriques et

méthodologiques. Dans cette partie nous situons au chapitre 2.1.1, le contexte de

l'immigration au Québec ainsi que le parcours migratoire des nouveaux arrivants en lien

avec la politique d'immigration et des mesures d'intégration. Nous mentionnons le contrat

moral en terme de responsabilisation du citoyen et du nouvel arrivant en même temps que

nous abordons le mouvement de décentralisation et son corollaire, le désengagement de

l'État. Ces tendances font émerger chez l'État un besoin plus pressant de faire appel d'une

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11

part aux organisations civiques dans un type de collaboration dorénavant nommé

partenariat et d'autre part aux citoyens afin qu'ils s'engagent dans l'acte du bénévolat. Au

chapitre 2. nous présentons l'évolution de la représentation du bénévolat au Québec, d'une

vision charitable à une vision sociale, en soulignant les tensions de l'acte bénévole : l'intérêt

individuel et la solidarité envers une collectivité. Puis nous présentons, en parallèle, le

jumelage en tant que processus et le contexte de l'émergence du Réseau jumelage. Dans la

première partie du chapitre 3, cadre théorique, nous réfléchissons aux notions d'intégration

(3.1) et d'adaptation dans les contextes culturels et géographiques des Etats-Unis, de la

France, et du Québec. Nous voulons démontrer que la notion d'intégration est liée à

l'histoire des sociétés et aux représentations d'un certain idéal. Au cœur du concept

d'intégration, nous retrouvons la notion de contrat moral (3.1.2.1) et la notion de contrat

social, (3.1.2.2) celle-ci faisant référence à la participation civique. Par ailleurs, la notion

d'intégration est aussi un concept politique qui sert à modeler le concept de citoyenneté

(3.1.3). Nous affirmons que cette notion est beaucoup plus difficile à imposer comme

action collective parce que plus difficile à circonscrire, prenant sa source dans l'éthique,

dans le sens attribué au vivre-ensemble et dans la projection dans l'avenir, donc dans une

certaine part d'incertitude. Cette notion est ainsi liée à la question ontologique qui est au

cœur du questionnement sur la vie en société, sur le rapport à l'autre, sur le pourquoi et le

comment du lien social (3.1.4). Nous abordons alors, les notions de confiance (3.1.4.1), de

don (3.1.4.2), d'engagement (3.1.4.3), de négociation (3.1.4.4) et d'adaptation mutuelle

(3.1.4.5) qui sont inhérentes à la question du lien social et de façon plus spécifique à celle

du jumelage interculturel. En introduction à la deuxième partie du cadre théorique, nous

établissons ce qui différencie les notions de mentorat et de jumelage (3.2.1), puis nous

tentons de définir l'utopos de la rencontre entre un nouvel arrivant et un Québécois (3.2.2)

et ce à quoi ces derniers seront confrontés en terme de choc culturel (3.2.3). Au point

(3.2.4) nous questionnons la responsabilité de l'organisation (État et organisme) à faire en

sorte que le jumelage devienne un acte de solidarité. La partie (3.2.5) porte sur

l'intervention sociale et est centrale à notre thèse. Celle-ci révèle toute la complexité de

l'intervention sociale du jumelage, les zones d'incertitude, mais en même temps la créativité

qu'offre aux intervenantes cet espace nouveau qu'est l'interculturel.. Le chapitre 4, chapitre

méthodologique, décrit le contexte de découverte qui a orienté notre recherche, présente

notre démarche praxéologique, commente notre approche phénoménologique et révèle des

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12

situations où nous avons été confrontée au paradigme dialectique. Ainsi avons-nous opté

pour une démarche qualitative et une méthode d'observation participante. Nous avons eu

des entretiens semi-dirigés et notre analyse des données en est une sémiotique et de

contenu. La deuxième partie de notre thèse est l'analyse des données. Au chapitre 5, nous

présentons les missions des organismes et les parcours des intervenantes. Le chapitre 6 a

comme premier objectif de cerner le sens attribué au jumelage par les différents acteurs

impliqués ou ayant une certaine influence en lien avec les notions d'intégration et

d'adaptation. Puis nous analysons la réalité de l'intervention jumelage en tant que pratique.

Au chapitre 7 nous traitons du recrutement et du profil de la clientèle. Au chapitre 8 nous

présentons la complexité de la dynamique du jumelage en tant que processus relationnel,

intervention sociale et agent d'intégration sociale qui se traduit en contraintes et difficultés

pour l'intervenante. Puis au chapitre 9 nous analysons le processus du suivi et celui de

l'évaluation du jumelage. Enfin, la conclusion de la thèse fait ressortir les principales

contraintes de l'intervention sociale du jumelage dans une perspective sociétale.

Notre réflexion sur le jumelage en tant que mode d'intervention sociale et déploiement d'un

lien social est ancrée dans une approche ethnologique qui privilégie l'analyse des rapports

interpersonnels tout en faisant appel aux contributions des autres disciplines. L'ethnologie

est la science du particulier, du micro social. Par son acharnement à saisir la complexité du

phénomène étudié, du fait social sur lequel le chercheur pose un regard attentif, cette

science permet de révéler la complexité du commun et du quotidien. Le questionnement

initial de notre recherche, qui fut le QUOI : Qu'est ce qui fait que le jumelage est si peu

connu au sein de la société ? a été suivi du COMMENT : Comment les acteurs liés au

programme de jumelage le perçoivent-ils ? Ce questionnement a orienté la démarche

ethnologique dans un mouvement dualiste qui nous a conduit de l'explicite à l'implicite, qui

nous a fait rechercher la qualité d'un fait social auquel sont confrontés les acteurs sujets et

objets de notre étude. Car comme le souligne Mucchielli (1991) la méthode des sciences

humaines en est une qualitative en ce qu'elle recherche, explicite et analyse des

phénomènes.

Notre réflexion s'alimente aussi de la réflexion des sociologues Crozier et Friedberg (1993),

et Miranda (1986) du psychologue social Zuniga (1993), du théoricien du management

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13

Aktouf (1990), des ethnologues Dodier et Baszanger (1997) qui attribuent aux acteurs un

pouvoir de transformation sur leurs actions.

Enfin, notre sujet d'étude s'inscrit dans une réflexion épistémologique au-delà des barrières

scientifiques et reflète notre propre préoccupation à savoir : la représentation que se font les

acteurs des possibilités de transformation des rapports sociaux par les réseaux informels de

sociabilité; que ceux-ci soient entre des intervenants sociaux et ceux qui font appel à eux ou

entre des Québécois membres de la société d'accueil et des nouveaux arrivants.

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CHAPITRE II

ÉTAT DE LA QUESTION : LE PHÉNOMÈNE MIGRATOIRE ET LASOLIDARITÉ SOCIALE

2.a. Sommaire

Au cours de ce chapitre nous présentons en première partie (2.1) la dynamique des

migrations internationales en rappelant que celle-ci est déterminée par un projet politique

motivé par des considérations économique, sociale et démographique. De même

l'immigrant a plusieurs motivations d'émigrer, ce qui marquera son statut d'immigrant et

son processus d'insertion. Dans la seconde partie (2.2) nous faisons l'historique de l'action

communautaire en mettant l'emphase sur l'évolution du bénévolat, de dévouement

charitable à engagement social. Nous verrons que la revalorisation du rôle des pratiques

bénévoles est due en partie à la recherche de « l'affect de la tribu » chez l'individu et en

partie à la redéfinition de l'acteur social que propose l'État qui, dans une ère de

néolibéralisme, fait de plus en plus appel au partenariat lorsqu'il veut s'associer aux

organismes sociaux pour dispenser des services à la population. Enfin, dans la dernière

partie (2.3), nous soulignons que le regain du communautaire est un phénomène complexe

qui relève du spontané et du caractère opaque du social et nous relevons les tensions au

cœur de la notion de bénévolat : entre l'intérêt personnel et la solidarité sociale. Dans le

jumelage en tant que processus (2.4) nous verrons que l'analyse des données d'une

recherche commandée par le MRCI réaffirme la pertinence tout en insistant sur la

singularité d'un tel programme. L'étude révèle, entre autres, que l'objectif présumé de la

sensibilisation du milieu est peu atteint via ce programme; cette donnée est importante car

elle soulève la dimension collective de l'acte social du jumelage et est au cœur de nos

préoccupations. De même nous verrons que la contrainte du financement et la remise en

question du programme par l'État ont fait émerger chez les intervenantes le besoin de faire

front commun au sein d'un regroupement : le Réseau jumelage interculturel (2.4.2).

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2. 1. LE PHÉNOMÈNE MIGRATOIRE

2.1.1. La dynamique des migrations internationales

2.1.1.1. Les pays d'émigration

Dans un contexte de mondialisation, de bouleversements politiques et économiques, de

nouveaux pays d'émigration émergent sur la carte du monde; suivant ce cours, la

composition ethnique s'est radicalement transformée au Canada et au Québec. En 1968,

l'immigration en provenance de l'Europe occidentale représentait au Québec plus de 60 %;

en 1989 ce n'est plus que 21 %. Pour la même période, la part de l'immigration en

provenance de l'Asie est passée de 12 % à 50 %. Si on ajoute l'immigration provenant de

l'Afrique, des Caraïbes, de l'Amérique centrale et de l'Amérique du sud c'est près de 70 %

de l'immigration qui émigre aujourd'hui de pays dits en voie de développement (Daigle

1992). Ces dernières années, les conflits en Algérie, au Rwanda, et depuis 1991 dans les

Balkans ont fait fuir des milliers de personnes. Le Québec en a accueilli un certain nombre.

2.1.1.2. Les facteurs d'émigration, les pays d'immigration

Tout comme il y a plusieurs motifs pour un individu, une famille, de quitter son pays,

d'émigrer, il y a plusieurs raisons pour un pays de recevoir et de permettre l'établissement

des immigrants. Pour l'immigrant, la décision de migrer peut être liée à une question de

survie, cela peut être aussi pour améliorer ses conditions de vie sociales, économiques, pour

combler des ambitions professionnelles ou par intérêt culturel.

Il faut distinguer l'immigration volontaire de l'immigration involontaire. L'immigrant qui

quitte son pays de façon volontaire,12 l'immigrant de la catégorie indépendant, a le temps de

rêver sa future terre d'accueil, il peut élaborer des projets; ce qui ne veut pas dire qu'il sera à

12 Même si objectivement il peut exister dans le pays de résidence des conditions sociales, économiques et

politiques qui le pousseront à partir.

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16

l'abri des déceptions, des non-équivalences. Par contre, celui qui quitte son pays à cause de

la guerre, de la répression, d'un désastre écologique, n'a pas choisi délibérément d'aller

vivre ailleurs. Celui qui doit abandonner, contre son gré, sa terre, sa famille, son emploi,

tout ce qui lui est familier, connaîtra le déchirement du départ, de la séparation, le difficile

séjour dans un camp de réfugiés, le choc de l'arrivée; il aura à faire le deuil de sa terre

d'origine et à faire face à l'impossibilité du retour.

Pour un pays, inscrire l'immigration comme politique, peut être motivé par des besoins

économiques, des besoins de main d'œuvre, un souci de s'ouvrir sur le monde, des besoins

démographiques, la pérennité de sa langue, pour répondre à un devoir humanitaire ou pour

respecter l'engagement pris lors de la Convention de Genève (1951)13. Cette volonté

d'accueil des immigrants n'est pas illimitée; les pays se fixent des quotas et exercent un

contrôle et une planification quant à l'acceptation d'immigrants sur leur territoire.

Le Canada est un des quatre pays de l'OCDE (Organisation de coopération et de

développement économique) à avoir une politique active d'immigration. En effet, le

Canada, les Etats-Unis, l'Australie et la Nouvelle-Zélande sont des pays que l'on qualifie

d'établissement : cela signifie que ces pays considèrent le phénomène de l'immigration en

terme d'établissement, donc dans un long terme, ce qui se traduit au Canada par l'attribution

du droit de résidence qui offre après 3 ans la possibilité de demander le statut de citoyen.

Ces pays se sont construits avec l'immigration. Au fil des ans, et selon leurs besoins, selon

le contexte socio-économique, ils se sont donnés une politique d'accueil et d'établissement

en ce qui concerne les immigrants.

13 La Convention de Genève de 1951 énonce les droits et obligations des réfugiés et les obligations des États

envers les réfugiés en précisant les normes internationales pour leur traitement. La Convention des Nations

Unies de 1951 et le Protocole de 1967 (qui lève la restriction aux événements survenus avant le premier

janvier 1951)restent le seul instrument universel du droit international des réfugiés. Au 31 décembre 1999,

131 États sont signataires de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967, et 138 États ont ratifié au moins

un des deux textes (Les réfugiés dans le monde; cinquante ans d'action humanitaire, HCR, Autrement 2000).

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17

2.1.1.3. La dynamique fédérale/provinciale; les possibilités et les limites

Le ministre responsable de l'immigration au gouvernement fédéral fixe le taux d'acceptation

annuelle des immigrants. En 1998, le Canada avait fixé ce nombre à 225,000, sur ce

nombre le Québec en a reçu 27,000. Si l'immigrant choisit une terre d'accueil, la terre

d'accueil choisit aussi ses immigrants. Selon la dernière entente fédérale-provinciale

(1991), l'accord Canada-Québec, le Québec a le pouvoir de sélectionner les candidats

indépendants à l'étranger. Par cette entente, le fédéral a aussi conféré au Québec, avec

compensation financière, l'entière responsabilité de l'accueil et de l'intégration linguistique

et culturelle des immigrants sur son territoire. Toutefois le Québec s'engage à fournir à cet

égard le même type de services que ceux offerts dans les autres provinces. Le

gouvernement fédéral décide pour les questions d'immigration humanitaire14; c'est aussi le

fédéral qui admet les étrangers en territoire canadien, qui a le pouvoir d'accorder le statut de

résident permanent à un étranger, le pouvoir d'accorder la citoyenneté canadienne au bout

de trois ans de résidence permanente (Vincent, 1994).

Au Canada et au Québec il y a quatre grandes catégories d'immigrants dans le taux annuel

fixé. La catégorie des indépendants regroupe les gens d'affaires : les travailleurs autonomes,

les entrepreneurs, les investisseurs et les travailleurs indépendants. La deuxième grande

catégorie est celle des réfugiés sélectionnés à l'étranger. Cette catégorie s'inscrit dans le

cadre de l'immigration humanitaire. Le Canada sélectionne un certain nombre de réfugiés

selon certains critères. Il suit les priorités établies par le Haut Commissariat pour les

réfugiés (HCR) de façon relative toutefois car comme le souligne Gildas Simon, « le HCR

est financé par les contributions des nations les plus riches du monde occidental et il est le

principal organisateur et dispensateur de cette aide internationale15» avec les ONG.

14 L'immigration humanitaire inclut la catégorie des réfugiés et la catégorie de la réunification familiale.

15 Gildas Simon, Géodynamique des migrations internationales dans le monde, Paris, Presses internationales

de France 1995, pp.107-110, 139-159 (p. 164).

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Le gouvernement annonce combien de réfugiés la société va accueillir chaque année. Les

agents gouvernementaux sélectionnent parmi les réfugiés « ceux qui ont le plus besoin »

tout en regardant le critère de facilité d'insertion. En 2000 le Canada en a accueilli 7 300 :

plus de 70 % venait d'Europe et 12 % d'Afrique, alors que le plus grand nombre de réfugiés

se retrouvent en Afrique et en Asie.

La troisième catégorie concerne le processus de réunification familiale. La notion de la

famille est nucléaire et a même été réduite ces dernières années : aujourd'hui sont admis

dans le cadre de la réunification familiale le conjoint et les enfants mineurs. La

responsabilité envers les réunis (le parrainage) est de 10 ans partout au Canada. Au Québec,

suite aux revendications de la Marche du Pain et des roses en 1995, le parrainage envers le

conjoint (e) a été réduit à 3 ans, cette mesure a été prise dans le but de rendre à la femme

son autonomie le plus rapidement possible, la femme étant la personne parrainée dans la

majorité des cas de réunification familiale. D'autres parents pourront être admis dans le

parrainage (parents aidés), mais il devient de plus en plus difficile de les faire admettre dans

un contexte de restriction des admissions.

Il y a aussi du parrainage de groupes pour les réfugiés et certains cas humanitaires. Ces

groupes sont composés de citoyens et de communautés religieuses comme ce fut le cas pour

les Boat people dans les années 70.

Les revendicateurs du statut de réfugié ne sont pas inclus dans le taux annuel fixé. Les

revendicateurs du statut de réfugié ou demandeurs d'asile sont ceux qui entrent au pays et

qui demandent sur place le statut de réfugié. Ces derniers doivent passer devant la

Commission d'Immigration du statut de réfugié (CISR) et prouver qu'ils sont en situation de

danger dans leur pays selon la définition de la Convention de Genève de 1951. Environ

40 % des demandes sont acceptées au Canada, le délai entre la demande et l'obtention du

statut va, dans certains cas, au-delà de 3 ans.

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2.1.1.4. La dynamique région métropolitaine de Montréal et les autres régions duQuébec

Au Québec, non seulement le clivage entre Montréal et les autres régions est manifeste

quant au nombre d'immigrants qui vivent dans ces lieux, mais aussi quant aux catégories

d'immigrants : ces deux facteurs influencent les politiques d'intégration économique,

linguistique et socioculturelle. De 1991 à 1995, les données sur les admissions indiquent

qu'en moyenne au cours des cinq années, 65.3 % des personnes qui se sont établies à

l'extérieur de la grande région de Montréal appartiennent à la catégorie des réfugiés

sélectionnés à l'étranger (32.2. %) ou à la catégorie de la famille (33.1 %). Dans la région

de Montréal métropolitain (incluant Laval, Laurentides, Lanaudière et Montérégie) cette

proportion est plutôt de l'ordre de 52.3 % (réfugiés : 20,7 %) ; famille : 31,5 %). Cette

différence entre les deux proportions s'explique par la part importante des autres catégories

d'immigration, notamment celle des gens d'affaires (97,3 %) et des autres indépendants

(89,3 %) qui choisissent plutôt la région de Montréal et ses environs. Cependant, il ne faut

pas oublier les revendicateurs de statut qui sont en très grande majorité à Montréal. En

1998, 5 000 revendicateurs ont été acceptés.

2.1.1.5. Nécessité d'un accueil différencié

Les politiques d'immigration du gouvernement du Québec tentent de concilier différents

objectifs liés aux intérêts et valeurs du Québec : « L'action gouvernementale doit contribuer

à l'atteinte des grands défis de développement sur les plans démographique, économique et

linguistique, tout en respectant les principes de réunification familiale et de solidarité

internationale, qui font l'objet d'un large consensus dans notre société » (Gouvernement du

Québec,1990:24). Les immigrants indépendants ou économiques (entrepreneurs,

investisseurs, travailleurs indépendants16) de l'immigration volontaire ont été sélectionnés à

partir d'une grille de sélection évaluant les chances d'établissement du nouvel arrivant au

16 Même si les étudiants et les travailleurs temporaires font partie de l'immigration volontaire, nous les

excluons de notre typologie parce qu'ils ne font pas partie du programme de jumelage auquel nous nous

référons.

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sein de la société québécoise. Et parce que la volonté du gouvernement du Québec est

d'associer le plus étroitement l'immigration aux objectifs de développement de la société

québécoise, celui-ci a mis sur pied divers services pour cette catégorie d'immigrants (tel le

counseling, le programme des investisseurs). En ce qui concerne les travailleurs

indépendants, la grille de sélection tente de s'ajuster au marché, à la mondialisation, ce qui

implique des modifications rapides en besoin de main d'oeuvre qualifiée. Le fait d'avoir été

choisi ne veut pas dire que l'immigrant n'aura aucun défi à surmonter pour réussir son

intégration; en effet, les travailleurs sélectionnés butent devant différents obstacles au sein

de leur société d'accueil (non reconnaissance du diplôme, de l'expérience, protectionnisme

de certaines professions...). Ainsi la catégorie des indépendants aura besoin de certains

services qui contribueront à leur intégration professionnelle, linguistique et sociale : que ce

soit au niveau du perfectionnement de la langue, de conseils dans le domaine de l'emploi,

du milieu des affaires, mais aussi de l'information en ce qui concerne le fonctionnement

général, les normes, les valeurs, les us et coutumes de la société québécoise dans les

domaines de l'éducation, de la justice, du logement, des services de santé et de services

sociaux. L'immigrant développera aussi un réseau primaire de relations, il aura peut-être

besoin de se retrouver à l'intérieur de son groupe ethnique, mais il devra aussi développer

des liens avec les membres de la société d'accueil pour se sentir réellement intégré à la

société québécoise.

En vertu des principes de solidarité internationale, mais dans les limites de ses capacités

d'accueil, en ce qui concerne l'immigration involontaire (les réfugiés sélectionnés et

reconnus17) le gouvernement du Québec souhaite maintenir l'effort d'accueil et

conséquemment accentuer le soutien à l'intégration. D'après les statistiques canadiennes sur

l'immigration, le Québec se classe au 2e rang pour ce qui est des provinces d'établissement

des réfugiés (Citoyenneté et Immigration Canada, 1994).

17 La catégorie de la famille est dans les faits une immigration volontaire mais peut aussi être involontaire. En

effet, une part d'immigrants considérés administrativement dans la catégorie de la famille est en situation

effective de « personnes en danger » selon l'expression de Gildas Simon. Ils vivent un état de migrant forcé et

de réfugié, même s'ils obtiennent le statut de la catégorie de la famille parce que des personnes membres de la

famille sont arrivées avant eux.

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Selon Jacob (1991: 76) « les réfugiés constituent la majorité des utilisateurs des services

sociaux spécialisés dans les questions interethniques (...) la plupart des services relèvent des

organismes non gouvernementaux. Alors que le nombre de réfugiés ne cesse d'augmenter,

les ressources financières ne cessent de diminuer ».

2.1.1.6. Clients potentiels des ONG et des programmes de jumelage

Car si 5 000 revendicateurs sont acceptés annuellement, il faut parler de 25 000

revendicateurs en attente qui circulent d'un organisme à l'autre (Mekki-Berrada, Jacob,

TCMR, 1999). Les revendicateurs du statut de réfugié ne sont pas considérés comme des «

clients » admissibles dans le cadre du PAEI, programme d'aide à l'établissement des

immigrants, sauf pour la recherche de logement. Ce qui explique que même si les

organismes communautaires leur donnent les services qu'ils demandent, certains les

comptabilisent dans leur rapport annuel, d'autres les rendent invisibles. Qu'ils adoptent l'une

ou l'autre de ces stratégies, les organismes donnent ces services gratuitement, c'est-à-dire

qu'ils ne reçoivent pas de fonds spécifiques pour l'aide accordée à cette catégorie

d'immigrants. Le fait que ces services soient donnés dans une semi-clandestinité a des

répercussions non seulement sur les conditions de vie des revendicateurs, mais aussi sur la

qualité de l'intervention notamment, en ce qui nous préoccupe, l'intervention en jumelage.

Les organismes communautaires doivent donc de plus en plus faire appel aux bénévoles qui

s'engageront, peut-être au nom de cette même solidarité sociale à donner de leur temps pour

accompagner les nouveaux arrivants dans leurs premières démarches d'intégration à la

société québécoise.

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2.2. D'UN BÉNÉVOLAT CHARITABLE

À UN BÉNÉVOLAT D'ENGAGEMENT SOCIAL

2.2.1. Bref historique du contexte social de l'action communautaire

Les motivations à faire du bénévolat, le type de bénévolat auquel le citoyen sera interpellé,

ne peuvent être détachés du contexte social, économique politique et culturel d'un pays. « A

travers la variété extrême des conduites, écrit Ferrand-Bechmann (1992:97), on lit la variété

des motivations, des réseaux, des contraintes que chaque culture fait porter sur les citoyens.

» Si le recours aux « énergies créatrices latentes » (Beaudouin, 1978) n'est pas nouveau au

Québec, il a tout de même déjà connu une période moins glorieuse que présentement alors

que près de 1 Québécois sur 5 pratique des activités bénévoles de tout genre et y consacre

en moyenne 184 heures par année traduisant une augmentation de 9 % entre 1979 et 1987

(Carpentier, Vaillancourt, 1990:157). Au Canada des chiffres récents démontrent que 7.5

millions de personnes, soit environ 31 % de la population, se sont impliquées dans des

activités de bénévolat, un milliard d'heures auraient été ainsi consacrées au bénévolat pour

l'ensemble des Canadiens (Hall et al, 1998, cité dans Chantal et Vallerand, 2000). Les

données américaines, selon Chantal et Vallerand, révèlent une situation comparable.

Au Québec, il est juste de dire que le bénévolat est une valeur culturelle intégrée à notre

système social et cela depuis l'ouverture du bureau des pauvres par Mgr de Laval au 17e

siècle. Toutefois, avant 1840, le milieu primaire, la famille et le réseau de voisinage, était le

lieu d'ancrage pour les « personnes nécessiteuses » hormis quelques associations charitables

dotées de la mission de soulager la misère humaine en milieu urbain (Cossette, 1994:51).

L'Église fut la grande coordonnatrice des bonnes œuvres jusqu'à la Révolution Tranquille et

l'initiatrice des activités bénévoles (Beaudoin, 1978; Robicaud, 1994; Cossette, 1994).

À la fin des années 1950, les associations d'œuvre chrétienne et les agences sociales

deviennent privées et sont subventionnées par l'État. L'espace laïque est majoritairement

occupé par « les dames patronnesses ou dames de charité » (Redjeb, 1991) issues de la

bourgeoisie qui prennent en charge les œuvres de charité et qui défendent les valeurs

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chrétiennes rurales traditionnelles et l'idéologie nationaliste prônées par l'Église (Beaudoin,

1978). Les valeurs chrétiennes auxquelles s'identifiaient les bénévoles reposaient sur

l'altruisme et la foi en un destin meilleur : le dévouement, la compassion, l'amour du

prochain, la charité et l'espérance motivaient l'acte bénévole (Lamoureux, 1996). Jusqu'en

1960 le bénévolat est donc héritier d'une double tradition : l'une religieuse, l'autre laïque.

Les bénévoles œuvraient surtout dans les domaines de la santé, de l'hygiène, de l'éducation,

de la moralité et de la formation professionnelle (Cossette, 1994).

« Dans la perspective axiologique du christianisme, l'autre est "objet de compassion" et est

aimé peu importe ce qu'il est ou ce qu'il fait » (Lamoureux, 1996:82). Le bénévolat

signifiait alors bene volens, « vouloir du bien. » Jusqu'à l'arrivée de l'État-Providence,

souligne Aline Charles dans Travail d'ombre et de lumière, réflexion sur le bénévolat

féminin à l'Hôpital Ste-Justine (1990, cité dans Cossette, 1994), l'activité bénévole des

femmes est liée à deux perceptions : le substitut compensatoire (substitut à une carrière

qu'elles ne pouvaient exercer) et le don de soi (le bénévolat pour lui-même). L'analyse

sociologique du passage du « nous » au « je » au sein de la notion du bénévolat, mémoire

de maîtrise de Guylaine Cossette (1994) apporte un point de vue original pour la

compréhension des motivations et résistances actuelles des « bénévoles » à poser cet acte

gratuit et des intervenantes à le considérer comme tel, quoique nous ne partagions pas

complètement les résultats de son analyse. Cossette suggère que dans le bénévolat

traditionnel des femmes « le renoncement à soi représentait cette part de devoir qui

maintenait l'équilibre social et empêchait le "je" à l'intérieur du bénévolat de se développer

» (Cossette, 1994:58). Nous convenons que cette implication maintenait l'équilibre social

en permettant à ces femmes de contribuer gratuitement au mieux-être des démunis tout en

ne remettant pas en cause les rapports de pouvoir, et d'exercer publiquement leur foi.

Cependant, nous croyons que le bénévolat leur permettait d'avoir une utilité sociale et

d'obtenir une certaine reconnaissance sociale en tant que sujet, par justement cet espace

social qu'elles occupaient et par le réseau qu'elles se créaient. Le « je » pouvait s'exprimer

même au cœur du bénévolat traditionnel.

Jusqu'en 1960, l'État a donc un rôle complémentaire aux œuvres de bienfaisance; ce sont les

communautés religieuses, les réseaux informels (famille, voisins, parenté) ce que Ouellet

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(1988) et d'autres qualifient de « filet de secours » qui ont la plus grande part de

responsabilité sociale autant en ce qui concerne l'aide matérielle et monétaire (les

campagnes annuelles de charité) qu'en ce qui concerne le support moral. « Le volontariat

relevait alors d'un nous ecclésial empreint d'une idéologie de survivance » (Cossette,

1994:64). Comme le précise Cossette, à l'instar d'autres historiens, « en milieu rural le

renforcement du nous se faisait par l'agriculture, gardienne de foi et de mœurs, alors qu'en

milieu urbain le nous était plus global et dans la perspective de la mission caritative de

L'Église » (Cossette, 1994:64); la structure sociale était la paroisse, lieu de ferveur

catholique, espace d'entraide et territoire identitaire.

Jusqu'à la seconde moitié du XXe siècle, nous rappelle Lamoureux, « l'éthique chrétienne a

marqué l'éthos d'un grand nombre d'individus actifs dans les mouvements syndical et

coopératif » (1996:82). Nous convenons avec Lamoureux, que « si on peut critiquer

l'inaptitude de l'Église à suivre l'évolution rapide de la société québécoise (...) nous ne

pouvons ignorer que les activités des communautés religieuses aient été un facteur

déterminant de la constitution de la société québécoise et ainsi que de l'émergence de

nouvelles avenues éthiques et de formes plus modernes d'engagement social » (Lamoureux,

83).

En ce qui concerne les services aux nouveaux arrivants, c'est également l'Église qui y

jouera là comme ailleurs, jusqu'aux années 1960, un rôle important, mais paradoxal. Dans

les années 50, les Semaines sociales du Canada, rencontres annuelles organisées par les

diocèses, mettent à l'ordre du jour la question de l'accueil des immigrants (Jacob, 1992:39).

Constatant qu'une grande majorité des immigrants, notamment les immigrants d'origine

juive se dirigeaient vers les écoles protestantes anglophones, mais refusant de les intégrer

au système francophone parce que non catholiques, l'Église crée des services avec l'espoir

d'un retour, si ce n'est une conversion du moins une certaine reconnaissance envers les

autorités religieuses et scolaires catholiques. L'Église met aussi sur pied le Centre Social

d'aide aux immigrants (CSAI) qui a toujours pignon sur rue à Montréal et qui est un des

organismes membres du Réseau jumelage. Puis en concertation, le Service social diocésain

de Montréal et le Service familial de Québec offrent un service spécialisé d'accueil des

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immigrants et des réfugiés qui jouera un rôle de premier plan durant les années 60 (Jacob,

1992).

À la fin des années 50 a lieu une remise en question de l'action des agences sociales et

conseils d'œuvres subventionnés par l'État. De nouvelles formes d'organisation

communautaire se dessinent et mettent l'accent sur la participation de la population. « Les

années 60 sont l'occasion d'une redéfinition majeure de l’orientation des mouvements

nationalistes hermétiques et défensifs dominés par les élites bourgeoises et cléricales des

années 50 » (Beaudoin, 1978:252). On voit l'apparition d'un nouveau projet collectif, un

projet politique qui suscite la mobilisation populaire. Mobilisation inspirée par les actions

des groupements populaires dans les pays en voie de développement, marquée par l'éveil

d'une conscience de classe du mouvement ouvrier des années 50 de même qu'influencée par

les penseurs des Écoles de service social fondées dans les années 1940.

Parallèlement au cours des années 60, l'État prend en charge l'assistance publique et son

intervention se fait de plus en plus pressante dans les secteurs de la santé et des politiques

sociales. Le bénévolat traditionnel perd alors ses lettres de noblesse au profit de la

professionnalisation du travail social. Comme le souligne Beaudoin (1978:255) : « L'action

bénévole est alors objet de redéfinitions fondamentales au cours des années 60 pour prendre

un caractère complémentaire et supplétif face aux différents systèmes institutionnels

existants. En même temps qu'une nouvelle forme d'action volontaire fait son apparition,

l'action des associations de participation volontaire. »

Entre 1963 et 1969 apparaissent les comités de citoyens inspirés par les courants

américains. Une des caractéristiques de l'approche du travail introduite dans les agences de

service social est la participation du bénéficiaire à l'identification et à la solution de ses

propres problèmes. Cette approche qualifiée de consensuelle est influencée par les

méthodes appliquées de Murray Ross, sociologue américain, qui « visaient à faciliter la

rationalité dans l'action collective » (McGraw, 1978:160). Une deuxième approche plus

radicale s'inspire des écrits de Saul Alinsky. Celui-ci croit en la nécessité de groupe de

pression pour changer l'ordre des choses et les rapports de pouvoir (McGraw, 1978). Pour

Alinsky « la démocratie est en fait un conflit permanent et évolutif interrompu

périodiquement par des compromis » (Mathieu, Mercier, 1991:19).

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Ces comités mettent en pratique le concept « d'animation sociale. » Ceux-ci revendiquent

une amélioration des qualités de vie dans leur quartier, leur ville, leur région. Selon

plusieurs auteurs, ces comités de citoyens sont à l'origine du mouvement populaire et

communautaire (Larochelle et Robichaud, 1991:651; Hamel, 1991:105; Bélanger,

Lévesque 1992:716 cité dans Couillard, Côté, 1995) alors que d'autres attribuent la

naissance du mouvement communautaire aux courants de la pastorale ouvrière (JOC etc; )

et de l'humanisme chrétien inspiré du Père Lebret, curé français et de l'abbé Pierre. Si l'on

se fie à McGRaw (1978), les deux influences ont façonné les mouvements sociaux, mais ce

dernier en ajoute une troisième qui s'inspirait des courants de pensée européens. Dans ce

courant, l'accent est mis sur la nécessité de la transformation des structures économiques et

politiques par les syndicats et partis politiques.

Les comités de citoyens introduisent la notion de « self-help » ou « bottom-up process » et

celle de revendication directe, c'est-à-dire revendication sans intermédiaires. Le « self-help

», concept emprunté à une nouvelle conception de la coopération internationale, a comme

principe que l'initiative de l'action doit venir de la base.

Les actions de ces comités de citoyens de même que celles des associations d'entraide, dont

le nombre augmente de façon considérable, reposent sur les valeurs qui composeront

l'éthique communautaire : les valeurs de respect, d'autonomie, de solidarité, d'égalité,

d'équité, de réciprocité, de démocratie et de justice. La communauté devient le lieu

d'engagement (Lamoureux, 1996). Les groupes laïques plus traditionnellement voués à

l'action caritative prennent dorénavant en compte la dimension collective des problèmes

sociaux (Turcot, 1990). Un nouveau « nous » se profile.

Les années 70, teintées de la réforme sociale, inscrivent les services sociaux au sein de la

structure bureaucratique, ainsi les œuvres de bienfaisance sont transformées en agences

sociales puis intégrées au système de santé et des services sociaux en 1971. Dans le

domaine de l'immigration, il aura fallu la création du ministère de l'Immigration en 1968

pour qu'il y ait conscientisation des institutions et concertation avec le milieu.

Par ailleurs, à la fin des années 60, « conscients de la limite de l'action des comités de

citoyens » (Couillard, Coté, 1995:30), les militants décident d'investir deux champs d'action

collective : l'action politique et le développement de services alternatifs. Dans les années

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70, décennie des revendications et manifestations sociales, l'action

revendicatrice/transformatrice née d'une radicalisation du mouvement populaire se

démarquait. Il était pertinent à la fin de cette décennie de distinguer le champ et les intérêts

de l'action communautaire en deux axes18 entre le secteur volontaire axé sur les services, ce

que Beaudoin nomme les associations d'entraide et de services et le secteur volontaire axé

sur les changements sociaux, ce que Beaudoin nomme les associations de mouvement

social, qui sont en fait les groupes populaires. Cette fragmentation marquera le mouvement

de l'action communautaire partagée entre une vision pragmatique et une vision idéologique.

Elle contribuera aussi à la confusion chez certains chercheurs des notions de volontariat19,

(concept emprunté aux américains) qui signifie parfois bénévolat qui se rapproche plus du

service donné à autrui et parfois militantisme, qui lui est une prise de position. Ainsi la

sociologue Ferrand-Bechman (1984) - établit une échelle de valeurs à accorder au

bénévolat selon que celui-ci est plus militant donc « volontaire » que bénévole.

Nous constatons toutefois, en accord avec plusieurs analystes (Hamel, 1991, 1993;

Robichaud, 1994, 1995; Larochelle, 1993, 1995; Couillard, Côté, 1995; Gingras, 1991),

que les mouvements sociaux donc progressistes et l'action pragmatique plus alternative

tendent à se confondre ces dernières années dans les organismes communautaires qui

œuvrent dans le champ du social. En fait, le communautaire est devenu, selon les termes de

Hamel, « un espace de recomposition sociale. » Le mouvement social en tant que pratique

et idéologie se serait intégré à l'intérieur de l'organisme communautaire. Nous reprenons en

la modifiant quelque peu la définition du mouvement social donnée par Hamel (1991:18-

19) : le mouvement social est un processus de remise en question qui vise une certaine

reformulation20 par les acteurs de la société civile impliqués à l'intérieur d'associations

bénévoles, des modèles d'intervention et de gestion habituelle formulés et rendus

18 Comme l'a fait un membre du conseil consultatif de l'action communautaire, distinction reprise par

Beaudoin (1978).

19 La notion action volontaire signifie dans notre texte bénévolat.

20 C'est nous qui ajoutons.

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opérationnels par la classe politique et les classes dominantes. Le mouvement social est

donc action et non pas simplement réaction.

Le militantisme des années 1960-1980 ne cherche pas à prendre en charge la société

québécoise dans son ensemble, mais à défendre des groupes d'intérêts « des petits nous

spécifiques » (Cossette,1994:70). Il y a pénétration de l'individualisme et changement

idéologique. Il en sera de même pour le bénévolat. À l'intérieur du bénévolat moderne

coexistent, selon Cossette (1994:72), deux formules. La première concerne l'assise du

nous : les grandes causes, axe similaire à celui d'avant 1960, mais des causes qui sont

devenues écologiste et féministe. La deuxième formule dévoile l'assisse du « je », dont les

valeurs sont centrées sur l'individualité. Dans le bénévolat traditionnel, les bénévoles se

dévouaient principalement en fonction d'autrui, aujourd'hui et avec l'ajout de nouveaux

secteurs de bénévolat que sont les loisirs, les arts, l'économie, l'éducation, « la relation

d'aide vise autant la satisfaction et la croissance personnelle de l'aidant que la solution des

problèmes de l'aide. L'aidant peut se comporter en "je" et obtenir par le jeu de l'échange son

propre salut » (Cossette 1994:73). La pratique moderne du bénévolat aurait ainsi adopté

l'échange comme valeur marchande.

Faut-il le préciser, il y a une nécessaire corrélation entre la capacité des acteurs

communautaires de s'inscrire à l'intérieur du système politique, d'y déployer leur vision du

social, et, la reconnaissance par ce système politique que ces acteurs ont un espace de

créativité. Car l'action collective des comités de citoyens, si elle a contribué au

développement de l'État-Providence en revendiquant le développement de services à la

communauté, aurait échoué « à faire accepter à l'État leurs revendications concernant le

développement d'une démocratie locale passant notamment par le contrôle des services par

les usagers », selon la thèse de Bélanger et Lévesque (1978, cité dans Couillard, Côté,

1995:30).

Les organismes communautaires des années 1980 et 1990 butent aux mêmes difficultés car

s'il y a désengagement financier de l'État, il y a renforcement du contrôle par une logique

bureaucratique à laquelle doivent souscrire les organismes subventionnés par l'État.

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29

Les orientations que prennent les politiques gouvernementales sont révélatrices de cette

tendance. Alors que la réforme Rochon, tout en regroupant les organismes communautaires

en fonction des services offerts, soulignait que les organismes communautaires « favorisent

la constitution de nouvelles solidarités, participent à l'amélioration de la vie démocratique

et à la consolidation du tissu social lui-même » (Commission d'enquête sur la santé et les

services sociaux, 1988:316), deux ans plus tard une autre réforme affirme que les

organismes communautaires contribuent à la prestation directe de services, au

raffermissement du lien communautaire.../ et s'avèrent particulièrement aptes à répondre

aux nouveaux besoins (Gouvernement du Québec, 1990, cité et souligné dans Couillard,

Côté, 1995:17). La proposition de politique de reconnaissance et de financement de l'action

communautaire autonome, d'avril 2000 reconnaît le milieu communautaire acteur essentiel

au développement du Québec, tout en admettant que la « coopération recherchée » entre

l'État et les organismes communautaires dans le cadre du partenariat sera « le fruit d'une

relation complexe et à l'occasion difficile. »

La plupart des analystes notent à la fin des années 1980 un affaiblissement des stratégies

conflictuelles et des mobilisations de masse et une remontée des stratégies de type

consensuelles voire une augmentation des actions assistantialistes (R. Mathieu, C. Mercier,

1991).

2.2.2. La revalorisation du rôle des pratiques bénévoles

Depuis la crise des États-Providence, crise qui s'est manifestée de façon aiguë au début des

années 1980, le bénévolat est une ressource de plus en plus en demande et en offre dans la

majorité des pays occidentaux. Ces pays sont traversés par ce que Larochelle (1992)

nomme « un nouveau paradigme de gestion des rapports sociaux. » Celui-ci découle de la

crise financière de ces États, qui les oblige à se désengager de plusieurs programmes

sociaux et de la thèse du néolibéralisme21 que l'on identifie comme le remède à cette crise.

21 La thèse du néolibéralisme fait appel ici à certaines caractéristiques énoncées par Larochelle (1992:71) :

l'accroissement du rôle dévolu au marché, réduction de la taille de l'État, l'élargissement de la liberté des

individus, privatisation, déréglementation, etc.

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D'un côté du paradigme, nous retrouvons un regain notoire de l'individualisme-

égocentrique, de repliement sur soi, ce que le philosophe Taylor (1994) nomme la « face

sombre de l'individualisme » qui serait en fait la manifestation de la désillusion face à

l'idéal d'un projet de société basé sur l'égalité, la justice et l'équité. De l'autre coté du

paradigme, un foisonnement apparent de nouvelles solidarités sociales indique en fait le «

retour de l'acteur social » (Touraine, 1984) porté par l'expression de « l'idéologie de

l'épanouissement du soi » (Taylor, 1994).

D'un côté, l'éclatement des liens sociaux, la perte des horizons, la communauté perdue

(Piotte, 1987), l'incapacité de l'État à formuler ce que serait un idéal de société, l'incapacité

qu'ont les citoyens de devenir des agents sociaux, de se lier pour formuler un projet

commun et pour se donner des allégeances communes. De l'autre côté, la trame tissée du

tissu social à même la revigoration du champ communautaire dans lequel s'inscrit un projet

individuel de réappropriation du sens de l'action collective. Par ce projet s'exprime une

vision romantique de la société où il y aurait libération du moi (Touraine, 1984; Maffesolli,

1982). Et au cœur de cette libération du moi, « dans les silences du langage unificateur de

la rationalisation, résonne une parole plurielle qui accueille et répond en un échange

incessant à l'opacité imprévisible et inexplicable du social » (Miranda, 1986:180).

Comme le souligne Larochelle (1992:69) « la revalorisation du rôle socio-politique des

pratiques bénévoles au Québec peut être lue comme l'expression paradoxale en apparence

de l'une et de l'autre de ces tendances. » Cependant, nous ne dirons pas, comme ce dernier

l'affirme, « qu'elles puisent l'une à l'égoïsme, l'autre à l'altruisme », mais plutôt qu'elles

démontreraient peut-être le caractère tragique de la vie sociale « dans la mesure où

l'épaisseur de nos sociétés réside dans l'interpénétration et l'opposition d'une socialisation

spécifiquement moderne (dans l'atomisation des individus et dans la rationalisation) et

d'une société traditionnelle » (dans le sens et l'importance accordés à l'irrationnel, cette

infinité de possibles et à l'affect de la tribu) (Miranda, 1986:180). Cette dialectique est au

cœur de la modernité, ce que d'autres nomment post-modernité. Nous trouvons pertinent de

reprendre l'analyse de Marcel Bolle de Bal qui souligne que « dans la réalité

psychosociale, la participation à tout groupe comporte à tout moment de l'histoire, dans la

mentalité de chaque membre, des expressions communautaires (sentiments d'appartenance,

solidarité psychique, conscience collective, élans spontanés) et sociétaires (sentiment

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d'interdépendance objective, solidarité fondée sur le calcul rationnel, conscience de sa

personne, de ses devoirs et de ses intérêts en tant que membre d'un groupe, participation

contractuelle et recherche échangiste de réciprocités) » (De Bal, 1985:17-18). L'avenir,

selon le psychosociologue, résiderait dans une synthèse consciente et organisée de ces

éléments.

D'une part, l'engagement communautaire favorisé par la désinstitutionnalisation et le

désengagement de l'État permet à des groupes d'occuper des lieux nouveaux, condition

nouvelle pour l'expérimentation sociale (Mathieu, Mercier, 1991:360). D'une autre part, le

désengagement de l'État conduit à une redéfinition du rôle des acteurs sociaux dans la

gestion du socio-économique. En France et en Grande-Bretagne, les associations bénévoles

sont dorénavant perçues comme des relais d'assistance sociale devenus nécessaires à un

système social étatique débordé (Le Net, Werquin, 1985) en même temps qu'au Québec on

met en place l'après État-Providence, signifiant ainsi « la fin de l'idéal de protection

collective et universelle » (Robichaud, Larochelle, 1995:129).

La concertation, la décentralisation sont les nouvelles modalités d'intervention. Dans l'ère

de la mondialisation des échanges, la régionalisation et la décentralisation répondent à un

impératif de l'OCDE : « tous les pays membres, de rappeler Hamel (1993:182) se sont

engagés au cours des années 1980 à revoir leur cadre institutionnel de gestion des politiques

publiques afin de mieux s'adapter aux demandes sociales et aux exigences de la compétition

internationale. » L'un de ces engagements, en ce qui concerne la gestion des services

urbains, est de « mettre l'accent sur une gestion mixte des services urbains avec l'aide du

secteur privé et du milieu communautaire appelés à prendre la relève des institutions

publiques ou à jouer un rôle complémentaire auprès de celles-ci » (OCDE, 1987, cité dans

Hamel, 1993).

Afin de mobiliser les ressources, « d'harnacher ainsi une énergie sociale disponible »

(Beaudoin, 1978) qui pourra se transformer en action collective, le discours politique met

l'accent sur les notions de responsabilisation du citoyen, de civisme, il fait appel au

bénévolat, au bon vouloir. Mais alors que Touraine parle du retour d'un acteur qui s'inscrit

dans une historicité, c'est-à-dire qu'il participe à la cohésion sociale par sa capacité d'action

sur la société, par sa réappropriation du sens de l'action collective, et qu'Arai (2000) voit

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dans l'action bénévole une possibilité pour le citoyen d'occuper un espace de citoyenneté en

investissant des lieux de parole et d'action où les conflits sont porteurs de changement,

celle-ci en accord avec d'autres sociologues (Larochelle, 1992, 1995; Hamel, 1991, 1993;

Robichaud, 1994, 1995) considère que l'action du bénévole est limitée car définie par une

certaine conception de l'échange et de la réciprocité qu'applique l'État.

L'axe sociétaire de l'acte bénévole s'actualise aujourd'hui dans un néo-bénévolat qui, selon

Redjeb (1991), porte en lui-même les traces du bénévolat traditionnel, tout en s'en

distinguant en plusieurs points. Selon l'analyse comparée de Redjeb, le néo-bénévolat,

contrairement au bénévolat traditionnel, est fortement institutionnalisé. Le bénévolat est en

fait devenu une question d'organisation par la division du travail et de gestion efficace,

rapport quasi inexistant, rappelle Redjeb, dans le bénévolat traditionnel. Le bénévole est

recruté, sélectionné, formé, mis sous contrat et évalué par des gestionnaires qui occupent

les lieux de conception et d'encadrement de la pratique. On assiste, selon Redjeb (1991:72),

à « une rationalisation du don volontaire dans la logique du coût-bénéfice et à la

scientificisation de son contenu » alors que le bénévolat traditionnel était influencé par la

morale chrétienne et les pratiques de l'entraide spontanée. La scientificisation du contenu de

la pratique bénévole en tant que transmission des savoir-faire et des savoir-être oriente,

comme le signale Redjeb, malheureusement22, le bénévolat en une relation de service «

instaurée entre le donateur de don et le destinataire qui lui devient le « client, l'usager, le

bénéficiaire » (1991:74).

Le travailleur bénévole d'aujourd'hui a une responsabilité sociale envers une clientèle qui a

des droits. Cette logique moderne devoir/droit justifierait l'obligation sociale de donner. La

légitimation du néo-bénévolat devient alors le référent démocratique qui devient le référent

organisateur de la société. À la limite, souligne Redjeb inspiré par Grand' maison (1984), «

le bénévolat est garant de la démocratie par le rôle sociétaire important qu'assume ainsi le

citoyen » (cité dans Redjeb, 1991:74). D'autant plus que l'État valorise les vertus

rationnelles du bénévolat : lieu de promotion sociale et de socialisation (Cossette, 1994).

22 C'est nous qui qualifions.

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C'est ainsi que le discours de la gratuité de l'action s'insèrerait dans une stratégie de

régulation sociale. On assisterait, selon plusieurs auteurs, à la structuration politique des

solidarités sociales (Hamel, Robichaud, 1994, 1995; Larochelle, 1992, 1995; White,

1994). N'ayant plus la capacité financière d'offrir la même qualité et quantité de services à

la population, l'État concède aux organismes communautaires une partie de la gestion du

social et officialise la nécessité d'une collaboration : le partenariat.

2.2.3. L'appel au partenariat

Le partenariat est généralement défini comme étant cette convergence d'acteurs sociaux

d'ancrage structurel fort différent, voire même contradictoire (Klein, 1991, cité dans

Duperré, 1992). Même s'il est vécu sous le mode de coopération-conflictuelle

(Dommergues 1988, cité dans Duperré, 1992), l'équité est essentielle au partenariat. Et

pourtant, il semble bien que la notion de partenariat de même que ses qualités essentielles

soient évaluées différemment selon les acteurs en présence. L'idée du partenariat qui a surgi

dans les années 1980 avec l'avènement au pouvoir du Parti Québécois et son projet de

social-démocratie reposait sur la recherche d'un consensus social. Dans l'Énoncé de

politique en matière d'immigration et d'intégration de 1990, le partenariat avec les

organismes communautaires est vu comme un moyen de soutenir l'adaptation des

institutions à la réalité pluraliste (MCCI, 1990:61).

En ce qui concerne les organismes qui offrent des services aux réfugiés « L'État, selon

Jacob, définirait "ses" ONG23, comme des partenaires indispensables.. » De fait, les ONG

ont une place extrêmement importante sur la scène sociale, mais l'inégalité entre l'État et les

services publics fait en sorte « qu'après des années de pratique sociale valable, ils n'ont pas

encore conquis l'espace politique qui leur permettrait de vivre un partenariat en toute justice

» (1991:78). Cette tendance s'est accentuée ces dernières années, avec la politique de

décentralisation, de localisation, notamment dans le cas de la réforme appliquée

actuellement par le MRCI : la création des Carrefours d'intégration qui ont le mandat de

23 ONG : organismes non-gouvernementaux.

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définir les paramètres des partenariats entre les organismes des milieux concernés et

d'identifier quels seront les acteurs clé dans le parcours d'insertion des nouveaux arrivants.

On ne peut toutefois passer sous silence les effets positifs du partenariat. Entre autres, celui

d'avoir fait réaliser aux acteurs communautaires les avantages de développer une approche

plus pragmatique pour se donner une meilleure représentation lors des consultations

convoquées par les différents ministères. Par libre choix ou non, les organismes se sont unis

au sein de regroupements d'organismes communautaires et de tables de concertation24.

Toutefois, si leurs revendications peuvent être mieux entendues, c'est au prix parfois de

vives tensions entre des organismes ou regroupements qui ne partagent pas la même vision

de leur mission25. C'est aussi en certains moments dans une atmosphère de frustrations car,

selon Hamel (1993:178), le partenariat « demeure circonstanciel et est peu compromettant,

il n'exige pas de revoir les modes de fonctionnement de part et d'autre, de revoir aussi le

partage des coûts et des bénéfices » quoique nous constations une évolution des relations de

partenariat notamment entre le MRCI et les organismes communautaires qui offrent des

services aux nouveaux arrivants. S'installe une complicité entre les « nommés » (J.T

Godbout, 1986), ces fonctionnaires responsables de l'élaboration des politiques et

programmes, et les représentants désignés des organismes communautaires. Dans cet

espace de collaboration sont questionnés les politiques, pratiques, et modes de

fonctionnement, selon la logique des « petits pas », mais toutefois soumis à l'approbation

ou la désapprobation des élus qui ont en définitive le dernier mot.

Ainsi face à cet appel de coopération lancé par l'État, les réactions des organismes

communautaires sont fort contrastées. Ces positions ont été résumées par le directeur de la

revue Nouvelles pratiques sociales, Yves Vaillancourt (1995) : ces trois positions qui sont

devenues trois thèses sont celle de la complémentarité, de la récupération et celle de la

24 Mentionnons le Regroupement des organismes communautaires régionaux (ROC), la Table de concertation

des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI), la Table municipale de

concertation des communautés culturelles de Québec et le Réseau jumelage interculturel.

25 Citons notamment entre le ROC 03 de la région de Québec et le Centre d'action bénévole de Québec

(CBAQ), entre le CBAQ et la Fédération des Centres d'action bénévole (FCAB) concernant la place des

bénévoles et le rôle des salariés au sein des organismes communautaires et bénévoles.

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concertation conflictuelle. Dans la thèse de la complémentarité, est occulté le rapport

asymétrique entre les établissements publics et les organismes communautaires. Dans la

thèse de la récupération, l'arrimage est presque vu comme un péril à éviter, dans la mesure

où il représente une menace pour l'identité des organismes communautaires autonomes.

Avec le concept de la concertation conflictuelle, le communautaire et le public peuvent se

concerter, tout en demeurant conscients de leurs identités et de leurs objectifs propres. C'est

ce dernier mode d'approche qui est en ce moment le plus utilisé et le plus valorisé, ce qui ne

va pas sans susciter des tensions et des luttes.

Le défi étant pour les associations communautaires subventionnées par l'État et par les

organismes privés de trouver un équilibre entre le pragmatisme et l'idéologie, entre les

demandes sans cesse croissantes de prise en charge des démunis et la possibilité de

l'expérimentation sociale et le maintien de la démocratie. Les associations doivent trouver

un modus vivendi entre une gestion capitaliste fondée sur une approche unidimensionnelle

guidée par des critères de rentabilité à court terme26 par opposition et au détriment d'une

gestion patrimoniale qui mise sur les ressources locales, préserve leur particularité et tente

de mettre en valeur leur potentiel de créativité (Barel, Arbaret-Schulz et Butel, 1981 cité

dans Hamel, 1991:35). Comme le signale Hamel (1991) : alors que l'acteur désire prendre

sa place dans le contexte social, son action est entravée ou libérée par le contexte dans

lequel il s'inscrit. Un autre défi pour les organismes communautaires est de conserver leur

marge critique face à l'État, de collaborer dans un contexte difficile de demandes de plus en

plus pressantes de l'État en termes d'investissement humain tout en gardant leur liberté

26 En ce qui concerne le jumelage, sur les 5 agents du MRCI que nous avons rencontrés, 4 considèrent que le

programme de jumelage est un programme dispendieux. – « On en arrive à la conclusion que le jumelage est

une activité qui est dispendieuse même si on trouve que l'activité doit se poursuivre”. – « Je ne dis pas que ce

n'est pas une activité qui est inintéressante, mais comment faire pour en diminuer les coûts; pourquoi dans un

organisme, il en coûte tant et dans un autre plus? C'est pour ça que les paramètres de financement sont

arrivés” – « Ce n'est pas la pertinence qui est mise en cause, ce sont les coûts, de 700 à 800 $ par jumelage. Je

pense que le jumelage, (c'est une opinion personnelle), c'est une activité qui coûte cher! Et les résultats... ce

n'est pas évident!”

En constatant que le jumelage est plus dispendieux à Montréal qu’en régions, un agent du MRCI dira : « On

doit se poser la question : "Est-ce qu'on maintient le jumelage à MTL ou on privilégie le jumelage en région”.

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d'action, mais surtout leur liberté de pensée, leur individualité et cela tout en restant

solidaire des autres. Le pragmatisme de l'État en tentant de réduire le différent dans le

même, dans l'unidimensionnel, en ne prenant pas en compte l'historicité des acteurs du

communautaire les confinerait à n'être que des agents circonstanciels d'intégration sociale.

Etzioni parle de la nécessaire reconnaissance par la société du fait que « ces associations

sont des agents collectifs qui ont la liberté et la possibilité d'agir effectivement dans la

société » (1968, cité dans Beaudoin, 1978:7) et qu'ils ne sont pas seulement des

fournisseurs de services.

C'est dans ce contexte qu'il faut situer le développement des services sociaux27 offerts aux

populations immigrantes. Dans le domaine de l'immigration, une soixantaine d'organismes

de services aux réfugiés et aux immigrants28 ont été mis sur pied depuis le début des années

80. Et de façon générale, constatent plusieurs auteurs, il y a, au Québec, dans cette ère de

l'après État-Providence, une prolifération sans précédent des services à la collectivité

(Hamel, 1993; Larochelle, Robichaud, 1995; Ferrand-Bechmann, 1992; White, 1994, Le

Net, Werquin, 1985).

27 Nous avons constaté, en accord avec Jacob (1992), que la plupart de ces organismes comme bon nombre

d'organismes communautaires vivent dans des situations difficiles : financement précaire, personnel sous-

payé, conditions matérielles inacceptables (locaux exigus) sur-utilisation des bénévoles, multiplication de

services d'assistance et de dépannage à court terme.

28 Le terme immigrants est employé par le ministère pour établir une distinction entre réfugiés, la catégorie de

la famille et les indépendants.

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2.3. VERS L'APRÈS ÉTAT-PROVIDENCE

2.3.1. Le regain du communautaire

Les interprétations des variables structurelles du regain du communautaire au Québec,

autres qu'économique et politique, sont de l'ordre de l'idéologique et du sociologique et

s'inscrivent dans les théories de la participation aux associations. Un premier courant

idéologique (dont font partie Kolm, 1983; Bergeron, 1987; et Larochelle, 1992) attribue à

la thèse néolibéraliste le recours à des choix existentiels pour mobiliser les ressources se

situant ainsi dans le courant de pensée de la théorie de la mobilisation des ressources de

l'école américaine (Zald et Ash, 1966; Jenkins, 1983, cités dans Comeau, 1995). Ce

courant se fonde sur « l'amorce d'une action collective qui suppose la réunion ou

l'investissement de ressources par un acteur social ou politique » (Comeau, 1992:124).

L'acteur serait donc ici l'État et sa stratégie ferait appel à des valeurs humanistes : le recours

à la morale, au devoir, à l'idée de mérite, à l'humanisme intimiste et à un néo-

traditionalisme qui lui repose sur l'attitude philanthropique (Larochelle, 1992).

Une deuxième approche, selon l'interprétation sociologique telle qu'analysée par Comeau

(1995), revient au concept d'anomie de Durkheim; celui-ci aurait inspiré les recherches sur

le sens de l'action collective à partir du thème de l'identité en Europe. Cette approche

propose la théorie de la société de masse (Kornhauser, 1965) qui voit dans l'action

communautaire une alternative volontariste à l'échec de la société moderne à façonner le

lien social (Ferrand-Bechmann, 1984, White, 1994).

Il existe une autre théorie, celle de la privation ou théorie du conflit (Piven, Cloward, 1977;

Gurr, 1971; Skocpol, 1985; cités dans Comeau, 1995 ; Touraine, 1984) que l'on devrait à

Aristote. Selon le philosophe, l'inégalité sociale est la principale motivation d'un

mouvement populaire. Cependant, il doit exister des conditions particulières pour que des

personnes s'associent et cherchent à faire valoir leurs intérêts (Skocpol, 1985). Cette théorie

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contredit l'approche d'inspiration marxiste radicale, politique et même féministe qui

considère la mobilisation ou la démobilisation de façon unidimensionnelle et asymétrique.

La théorie du conflit s'apparente davantage à la notion de résistance, d'espaces de liberté

(Taylor 1994; Morin 1990; Friedberg et Minztberg 1990; Boyte 1992), d'espaces de

créativité (Melucci, 1993; Hamel, 1991). C'est le paradigme du « nous », de l'homme

capable d'agir collectivement sur la société par les mouvements sociaux (Bajoit, 1992). Par

ailleurs, cette théorie ne peut expliquer à elle seule l'envergure du mouvement

communautaire actuel. Nous constatons, (en accord avec Hamel,1991, 1993; Morin 1994;

Minztberg, 1990; Comeau 1995; Godbout 1992; Castells, 1983), que le phénomène de la

participation aux associations volontaires relève de la complexité, de l'interaction entre

l'institutionnel et les acteurs et de l'interaction entre les acteurs eux-mêmes qui s'identifient

à de multiples références. Ce phénomène de participation se situe à l'intérieur de la société

civile et ne se fonde pas nécessairement sur une appropriation du pouvoir en tant que

rapport de forces. En fait, nous croyons que l'occupation de cet espace communautaire

serait la manifestation d'une volonté citoyenne de se réapproprier un peu d'intime et de

spontané dans l'anonymat de la modernité, d'opposer et d'affirmer le sens du lien au contre

sens légitimé de la « déliance » sociale. La déliance, pour reprendre les termes de Marcel

Bolle De Bal, révélerait les symptômes d'une maladie sociale, « un manque de liens

humains, une carence des structures sociales incapables d'assurer ces relations directes (...)

intimes (...) engagées (...) qui font la joie du vivre-ensemble » (1985:117). Le jumelage en

tant que « système plus ou moins institutionnalisé reliant les acteurs sociaux entre eux »

(1985:30) serait, selon les termes de Bolle De Bal, une « structure de reliance. »

2.3.2. Les tensions au cœur du bénévolat

Si l'on tient compte du bénévolat non encadré, c'est-à-dire sans l'intermédiaire d'un

organisme, le pourcentage des Québécois engagés dans le bénévolat, selon un sondage de

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Fédération des centres d'action bénévole, se situerait à 41 %. (Cossette, 1994:19, citant le

Journal de Québec, 1993)29.

Dans leur étude sur L'activité bénévole au Québec, Vaillancourt, professeur en sciences

économiques à l'Université de Montréal et Carpentier économiste à Hydro Québec donnent

deux raisons à ce phénomène. La première raison est le fait qu'ailleurs au Canada le

système d'éducation est non-confessionnel; les Sunday's school requièrent de nombreux

bénévoles. La seconde explication concerne le système social du Québec qui fait davantage

appel au secteur public pour produire des biens et services (Robichaud, 1994:50-51 citant

Carpentier, Vaillancourt, 1990). Si ce sont là les deux seules raisons pour expliquer ce

phénomène, et nous nous permettons d'en douter, cette situation risque de changer au cours

des prochaines années au Québec. D'une part parce que le statut confessionnel des écoles

est remis en question et d'autre part parce que la tendance va à la privatisation des services

sociaux. Il est intéressant de mentionner que le jumelage, tout en étant intégré à l'intérieur

d'une structure organisationnelle, est une activité de bénévolat30 très peu encadrée, les

participants ayant une très grande autonomie. Y aurait-il là motivation à s'impliquer dans ce

type de bénévolat, difficile d'y répondre pour l'instant.

Les deux courants de pensée qui mettent l'accent l'un sur la notion de service, l'autre sur

celle de la solidarité se retrouvent dans les études sociologiques qui, depuis une vingtaine

d'années, tant aux Etats-Unis, en France, qu'au Canada et au Québec, traitent du bénévolat.

Le premier courant, dont bon nombre d'études issues du milieu bénévole, s'est intéressé aux

déterminants, aux types et aux motifs de bénévolat avec comme objectif le recrutement des

bénévoles (Anderson, Moore,1974; Knowles, 1972; Carter,1975; Carpentier,

29 Pour l'ensemble du Canada, les chiffres donnent 1 canadien sur 2 qui s'adonne à une activité de bénévolat.

30 Nous employons le terme activité de bénévolat et les termes personnes-ressources ou bénévoles pour

désigner les Québécois impliqués dans le jumelage. Nous savons que le terme bénévole (s) ne fait pas

consensus au sein du Réseau jumelage. Le fait d'employer ce terme n'indique pas une prise de position ferme

de notre part mais puisque l'acte du jumelage n'est pas nommé comme un acte citoyen en terme de devoirs et

responsabilités, il s'inscrit jusqu'à ce jour dans un geste volontaire d'aide à l'intégration ou de rapprochement

interculturel. C'est ce geste et le temps qui y est associé que nous inscrivons comme acte bénévole.

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Vaillancourt, 1990; Payette, Vaillanvourt, 1986; Chazaud, Jenner-Reynolds, 1984; Lang,

1984; Abdennur, 1987).

Au Canada, Anderson et Moore (1974) ont été les premiers à émettre des doutes sur la

notion d'altruisme comme principale motivation du bénévole. Carter (1975), dans son étude

pour le compte du Conseil canadien de développement social intitulée Le bénévolat :

potentiel inexploité, insiste sur la notion d'intérêt personnel, l'égoïsme, tout autant que sur

la notion d'altruisme, soulignant les notions d'épanouissement personnel et de participation

à la vie collective (Carter, 1975).

L'autre courant animé par les sociologues Ferrand-Bechmann (1992) Hamel (1991) et

Melucci (1993) définit le bénévolat comme un générateur de solidarité et de lien social.

Une des motivations, selon Melucci (1993), doit être associé à la théorie du conflit à

laquelle est liée la dimension du « défi symbolique qui par l'existence de l'action volontaire,

défie le pouvoir, renverse la logique et présente d'autres significations possibles », ce qui

rejoint en grande partie la conception du don de Godbout : « à l'efficacité des rapports

moyens/fins, écrit Melucci (1993:195), on oppose la gratuité du don, l'engagement

personnel et direct dans l'ici et le maintenant de l'existence concrète, le besoin d'une

communication non-manipulée. »

Les deux courants de pensée qui mettent en parallèle et parfois en opposition les notions de

service et de solidarité se retrouvent dans les définitions du bénévolat. Pour le sociologue

Larochelle, « la pratique bénévole pourrait être comprise de manière opérationnelle comme

une relation d'aide, entre deux acteurs ou plus, différenciée par les rôles respectifs de

donateur et bénéficiaire dans l'exercice desquels, le premier refuse du second ou d'un tiers

toute compensation monétaire pour son action, et ne subit pour ce faire aucune contrainte

extérieure autre que celle qu'il accepte lui-même, suivant ses propres choix » (Larochelle,

1992:71). Ferrand-Bechmann considère qu' « est bénévole toute action qui ne comporte pas

de rétribution financière; le bénévolat s'oppose essentiellement au travail rémunéré; il a

comme caractéristique de s'exercer sans aucune contrainte ni sanction sur celui qui ne

l'accomplirait pas (..) enfin c'est une action qui est dirigée vers autrui ou vers la

communauté » (1992:35). Pour Melucci (1993), l'action volontaire est une forme d'action

collective, caractérisée par un lien de solidarité qui engage ceux qui y participent sans en

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retirer aucun avantage économique direct. Les autres bénéfices (avantages symboliques,

prestige, estime de soi, pouvoir) sont présents dans l'action volontaire de la même façon

que dans toute autre forme d'échange social » (Melucci, 1993).

Dans un effort de conciliation de ces deux tendances, nous dirons que dans toute forme de

bénévolat peuvent coexister les notions de service entre un aidant-aidé et un aidé-aidant,

d'intérêt personnel et enfin de solidarité envers une collectivité. L'individuel et le collectif

peuvent cohabiter au sein de la relation et cette tension est plus ou moins manifeste selon

les contextes de réalisation et les motivations de l'acte bénévole. Ainsi rejoignons-nous

l'approche des psychologues Chantal et Vallerand (2000) qui ont intégré ces deux

dimensions dans leur Échelle des motivations envers l'action bénévole (ÉMAB). Ces

auteurs ont toutefois ajouté une troisième dimension celle de l'autodétermination, le libre-

exercice du choix, axe de la théorie de l'autodétermination de Deci et Ryan (1985, 1991).

L'intérêt de leur échelle des motivations est dans l'analyse en parallèle des motivations,

mais aussi des facteurs qui influencent les bénévoles à persévérer. Pour Deci et Ryan,

comme nous l'expliquent Chantal et Vallerand, « le déclenchement, l'orientation et la

persévérance du comportement humain trouvent leur source dans la satisfaction de trois

besoins fondamentaux, celui d'autodétermination, celui de compétence – qui correspond au

besoin d'agir concrètement et efficacement sur son propre environnement – et

d'appartenance sociale » (Chantal et Vallerand, 2000:479). Ces trois besoins correspondent

dans la hiérarchie de Maslow aux besoins d'appartenance, d'estime et d'auto actualisation

(cité dans Malenfant, 1993). En lien avec les besoins d'autodétermination, de compétences

et d'appartenance sociale, Deci et Ryan dans une approche de type fonctionnaliste,

proposent trois grands types de motivations à l'acte bénévole : la motivation intrinsèque,

l'individu s'implique dans une activité pour les plaisirs inhérents à celle-ci, la motivation

extrinsèque qui porte l'individu à se servir d'une activité pour obtenir ou éviter certaines

conséquences et l'amotivation où l'individu a l'impression de ne pas avoir de contrôle sur

les forces qui motivent son comportement (cité dans Chantal et Vallerand, 2000:479) Aux

fins de l'ÉMAB, Chantal et Vallerand intègrent les différentes motivations aux dimensions

d'altruisme et d'égoïsme. Les résultats de leur étude menée auprès des bénévoles de trois

Centres d'action bénévole de la région de Montréal démontrent en fait que les activités

bénévoles à caractère interpersonnel devraient davantage faire appel à des motivations

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altruistes. En effet, l'analyse des données de l'ÉMAB révèle que les motivations les plus

autodéterminées correspondent au plaisir qu'éprouve le bénévole au moment où il apporte

son aide à autrui (motivation intrinsèque altruiste), au plaisir d'acquérir des connaissances,

le plaisir d'apprendre (motivation intrinsèque égoïste), et l'impression que l'individu a que

le bénévolat fait partie de sa personnalité, est le reflet de ce qu' il est : le concept de soi

(régulation intégrée altruiste).

Concernant la qualité de l'implication bénévole, ce sont les motivations autodéterminées

altruistes qui influenceront la satisfaction et l'intention de persévérer dans le bénévolat.

Celles-ci sont encore une fois le plaisir d'aider autrui, l'impression d'avoir le reflet de ce

qu'on est, et le fait de choisir le bénévolat comme un moyen idéal de lutter contre des

problèmes sociaux importants, « de faire sa part » (régulation identifiée altruiste) (2000,

480). Le pouvoir « faire sa part » et l'acquisition de connaissances sont deux bénéfices cités

par les bénévoles qui ont participé à une recherche qualitative menée en Ontario par

Susan M. Arai (2000:336)31. Un autre bénéfice mentionné par l'étude de Arai, concerne le

développement de relations interpersonnelles, l'occasion de rencontrer des gens de

différentes cultures; cela permet, selon un participant, une plus grande ouverture et

acceptation de l'opinion des autres (2000:337).

Par ailleurs, les motivations des bénévoles peuvent trouver écho chez ceux auprès de qui ils

actualiseront leur action bénévole, en même temps qu'elles peuvent répondre à d'autres

besoins fondamentaux tels que définis par Maslow (1954) : les besoins physiologiques et de

sécurité.

Une première étude exploratoire sur le programme de jumelage menée au Centre

International des Femmes de Québec par deux étudiants en sociologie de l'Université Laval

(Allen,Gagnon, 1991) auprès d'un groupe restreint de réfugiés jumelés donnait comme

élément de réflexion que le programme de jumelage pouvait apporter en plus d'une aide

culturelle, linguistique et professionnelle, un soutien psychologique aux réfugiés. Il leur

permettrait d'alléger leur solitude et par les connaissances acquises leur procurerait un

31 Cette étude mentionne un autre facteur de satisfaction pour les bénévoles, celui-ci réside dans la rencontre

avec l'autre, le fait d'être en contact avec des personnes de différentes cultures, de différents horizons.

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sentiment de sécurité face aux règles de leur nouvelle société. Cette constatation, fruit d'un

travail de baccalauréat, est en fait un indice de l'importance du lien humain en tant

qu'élément d'intégration sociale. Cette notion sera reprise par la suite entre autres par

l'équipe de recherche Jacob, Bertot, Frigault et Lévy (1996) dans leur rapport de recherche

sur le processus d'intégration des réfugiés et l'intervention préventive et communautaire.

Ces chercheurs rappellent que les deux notions qui reviennent le plus fréquemment chez les

réfugiés, notions qui faciliteraient leur intégration sociale et leur adaptation culturelle, sont

d'avoir la possibilité de nouer des liens amicaux avec les Québécois et d'être introduits et

reçus dans des familles québécoises (1996:404).

Ces constatations rejoignent la théorie des échanges sociaux, basée sur les coûts-bénéfices

qu'a utilisé entre autres Chazaud (France, 1978) ainsi que les résultats de deux autres études

sur les motivations, celle de Lang (Ontario, 1984) et Abdennur (Ottawa, 1987). Lang, suite

à une étude longitudinale, a défini les événements majeurs et mineurs de la vie comme

facteurs influençant non seulement les motivations, mais le déroulement de la relation de

bénévolat. La recherche d'Abdennur (1987) est celle qui arrive avec les conclusions les plus

pertinentes pour notre sujet de recherche. Son étude veut démontrer que la résolution du

conflit joue un rôle central dans la motivation du bénévolat tout particulièrement chez les

bénévoles qu'il étudie, ceux dans les services sociaux et services correctionnels. Si la

vérification de ses hypothèses l'amène à faire une typologie quelque peu réductrice en

traçant sous forme de caricature des traits de personnalité des bénévoles32, son hypothèse

voulant que les bénévoles dans les services sociaux aient tendance au déni du conflit amène

des pistes de réflexion. Selon Abdennur (cité dans Malenfant, 1993) les bénévoles

n'attaqueront pas la source du conflit, mais auront l'impression d'avoir réduit la sévérité des

conflits graves. Par ailleurs, une enquête de Statistiques Canada (1987) auprès des

bénévoles arrive à ce constat : les bénévoles ne considèrent pas comme critère

d'engagement l'influence qu'ils pourraient avoir sur la communauté ou sur la vie politique,

contrairement aux bénévoles des conseils d'administration qui, selon l'étude de Arai en

Ontario, disent désirer exercer une certaine influence, apporter une contribution (2000:336).

32 Par exemple, celui-ci désignera par le vocable « concret », le bénévole des services sociaux qui a une

pensée davantage concrète qu'abstraite.

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La principale motivation des bénévoles dans les services sociaux, de façon générale, serait

l'aide qu'ils peuvent apporter à l'autre. En fait, le bénévole des services sociaux en

intervenant de façon superficielle favoriserait l'intégration à la société et participerait à la

cohésion sociale. Leur action absorberait « une part du désordre et des tensions potentielles

» (Melucci, 1993:196), c'est aussi la position de Petitat (1995:21) qui considère que « la

revitalisation du communautaire doublée d'une ouverture aux réseaux anonymes de don

contemporain représenterait un remède à certains maux des sociétés modernes. » Qu'en est-

il alors de l'action bénévole au sein du jumelage ?

2.4. LE JUMELAGE

2.4.1. Le jumelage en tant que processus

Peu d'articles scientifiques ou d'analyses ont été écrits sur le programme de jumelage dans

le cadre d'une relation interpersonnelle entre personnes issues de culture différente. Du côté

anglophone, nous n'en connaissons aucune; au Québec, les études de Guilbert (1993, 1994)

sur l'enjeu relationnel des récits et des discours, Québécois francophones et Vietnamiens

d'origine font figure de pionnier. Ce contexte particulier de relation constitue, selon

l'auteure, « un bon terrain pour examiner comment peuvent s'établir des relations

signifiantes lorsque la distance culturelle est très forte entre porteurs de culture

différente, quels sont les facteurs qui en favorisent le bon développement ou au contraire

l'entravent » (Guilbert, 1994:4).

Le MRCI, conscient de la limite du type d’évaluation qu'il utilise dans le cas du jumelage :

« L'évaluation du jumelage ? c'est plus quantitatif, on n'a pas le temps de suivre des groupes

de jumelés » (agent 2 du MRCI, 1998) et désireux d'avoir un meilleur portrait de l'apport du

jumelage en tant qu'agent d'intégration, commande en 1999, à une équipe de chercheures (J.

Charbonneau, F. Dansereau (INRS-Urbanisation) et M. Vatz-Laaroussi (Université de

Sherbrooke) une évaluation du processus relationnel du jumelage entre familles. La

recherche a comme objectif d'identifier les facteurs positifs et négatifs du jumelage et son

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impact en tant qu'agent de rapprochement interculturel et d'intégration. Cette étude compare

différents types de jumelage offerts par divers organismes dans différents milieux. Les

résultats de l'analyse s'attardent d'une part à la structure du jumelage au sein des organismes

en insistant sur les contraintes organisationnelles, la promotion, le suivi, la formation puis

décrivent les qualités relationnelles du jumelage, et enfin pour une large part décrivent

comment le jumelage répond aux objectifs du programme et attentes du MRCI tels que «

l'aide pratique à l'établissement, la socialisation des immigrants à la culture québécoise; les

apprentissages linguistiques, culturels et sociaux; la communication linguistique, civique et

institutionnelle, la participation de la population native à l'accueil et, ce faisant, la

transformation des perceptions du milieu d'accueil concernant l'immigration »

(Charbonneau, Dansereau, Vatz-Laaroussi, 1999:6). Nous précisons que ce dernier sous-

objectif n'apparaît pas toutefois comme tel dans les sous-objectifs du programme tel que

décrits par le MRCI. Celui-ci se lit plutôt ainsi : « permettre aux personnes de la majorité

francophone de contribuer à l'intégration des immigrants et ce faisant d'être sensibilisées à

cette problématique et à celle de la diversité culturelle » (MRCI, 1999). Il s'agit donc des

personnes impliquées dans le jumelage et non, comme tel, du milieu d'accueil.

L'observation participante de même que l'analyse des données conduisent les chercheures, à

l'instar des autres études faites sur ce même programme, à constater non seulement la

pertinence, mais la singularité d'un tel programme : « des relations interculturelles

concrètes, affectueuses, mutuellement tolérantes, ont bel et bien été créées entre des

familles immigrantes et des familles de la société d'accueil et plusieurs de ces liens

semblent bien là pour durer de nombreuses années; peu de programmes permettent une

telle rencontre et encore moins entre des familles « (1999:191). En ce qui concerne

l'organisation du jumelage au sein de l'organisme, les chercheures soulignent des difficultés

qui sont maintes fois discutées entre intervenantes, notamment au sein du Réseau jumelage.

Certaines de leurs observations et recommandations seront reprises dans les autres études

mentionnées ci-après telles : la forte personnalisation du programme de jumelage à la

personne responsable, la nécessité d'une ressource permanente pour la gestion du

programme et le soutien quant à la promotion, la nécessité de garder une structure souple en

ce qui concerne la mise en œuvre des jumelages et le suivi des jumelages enfin, la

pertinence d'offrir aux jumelés des formations sur les éventuels conflits interculturels qui

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peuvent survenir au quotidien. L'analyse révèle de façon originale les qualités relationnelles

essentielles aux personnes impliquées dans la relation de jumelage telle l'ouverture à l'autre,

la réceptivité et une certaine tolérance à l'ambiguïté.

En ce qui concerne l'atteinte des objectifs du jumelage précédemment cités, l'étude

confirme que, dans l'ensemble, ils sont atteints, soit directement par les échanges au cœur

de la relation du jumelage, soit indirectement par les connaissances et le déchiffrage des

codes culturels transmis dans ce cadre. Par contre, l'analyse des données relève certaines

limites et ambiguïtés auxquelles sont confrontées les intervenantes. En ce qui a trait aux

apprentissages linguistiques, selon l'étude, certains immigrants ont éprouvé un malaise

devant l'attente exprimée par les Québécois notamment à l'égard de l'espagnol; nous

verrons dans le chapitre 7 de notre thèse, que ce jumelage « d'intérêt » est problématique

pour bon nombre d'intervenantes. Enfin, selon les résultats de l'étude, c'est l'objectif de la

sensibilisation du milieu qui semble, a priori, le moins atteint. Cette donnée est importante

car elle questionne la dimension collective de l'acte social du jumelage qui est au cœur de

nos préoccupations et de nos questionnements. Les chercheurs écrivent à ce sujet : « partant

d'un programme à visée collective, les jumelés mesurent leur réussite à l'aulne de

l'exceptionnel et du singulier. C'est sans doute pourquoi la sensibilisation du milieu reste

atomisée, ponctuelle et peu mesurable. » Nous y reviendrons dans le cadre de notre analyse.

Il nous faut signaler les 5 autres études d'évaluation des programmes de jumelage : une

étude commandée à un anthropologue par un organisme communautaire de Montréal

(Aiquel, 1994), puis une autre par l'organisme communautaire responsable du jumelage à

Sherbrooke (Monfette, 1992), un mémoire de maîtrise en communication portant sur le

projet de jumelage à Sherbrooke (Bourbonnais, 1995), un autre de l'école de Service social

analysant le programme de jumelage entre femmes immigrantes d'un organisme de

Montréal (Daignault, 1996), enfin une analyse du programme de jumelage de Québec,

mentionnée précédemment, analyse réalisée par deux étudiants en sociologie de l'Université

Laval (1991).

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2.4.2. Le Réseau jumelage

La contrainte du financement et la remise en question du programme par le MRCI,

principal subventionnaire, ont fait émerger chez les intervenantes le besoin de faire front

commun. Aussi les interrogations et les hésitations sur le sens à attribuer à tel

comportement ou tel geste à poser dans telle circonstance, de même que le constat du

résultat positif ou négatif de telle initiative, ont fait en sorte que les intervenantes en

jumelage ont manifesté le besoin de se concerter. Se concerter pour échanger sur leurs

pratiques, mais aussi pour réfléchir aux moyens de mieux faire connaître au sein de la

société le jumelage comme étant un « moyen de rapprochement interculturel et un outil

d'intégration. »

En se regroupant au sein d'un espace commun, hors de l'organisme, hors du couloir de

concertation État-ONG, les intervenantes occupent un lieu de dissidence : un lieu où elles

se retrouvent entre elles, où elles se donnent le temps de l'évaluation, de la mise en

perspective et de l'émergence de propositions par une réappropriation du sens de leur action

et une mise à profit de leurs connaissances. Le Réseau est à la fois un espace de

transgression parce que créé hors cadre organisationnel et sans autorité directe, et un espace

de création, c’est-à-dire un lieu de « l'innovation, un lieu de prophétie, (...) où l'on annonce

qu'autre chose est possible » (Melucci, 1993:196).

Le Réseau jumelage, formé officieusement en février 1996, est à ce moment-là un

regroupement de 9 intervenantes de la région de Montréal et de ses environs dont la

première motivation est « de se regrouper pour s'entraider ». Ainsi donc le sens donné au

concept de réseau par les intervenantes se rapproche de celui de « système d'entremises » :

relations stratégiques où l'individu mobilise des ressources humaines, les membres du

Réseau, « afin d'accéder à des ressources matérielles ou symboliques », sens que nous

empruntons à Boissevain (1974) et Kissing (1971), cité dans Ferrié et Boëtsch (1993:242).

Mais avant de prendre la forme stable d'un système d'échanges entre intervenantes

membres, le Réseau a gardé quelques temps la forme d'un regroupement plus ou moins

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défini, ayant en son centre un acteur clé qui a des dispositions de rassembleur et qui agit

aussi à la périphérie à titre de porte-parole. Le Réseau a un noyau de fidèles qui partagent

des objectifs communs, de même que quelques exploratrices qui par leur va-et-vient

démontrent un intérêt pour l'idée d'un lieu d'échange. Ce va-et-vient a un double effet sur le

regroupement : un effet stimulant et un effet démobilisant. Leur venue traduit un besoin ou

du moins une curiosité. Les exploratrices réconfortent les intervenantes précurseures du

bien-fondé du projet et si elles reviennent, elles confirment sa nécessité, mais en ne

revenant pas, elles provoquent l'impression d'une perte d'investissement. Ce mouvement

d'allées et venues de nouvelles adhérentes, s'il n'avait été contré par une constance au

niveau de la présence de certains membres, aurait pu compromettre l'identification et le

sentiment d'appartenance au collectif Réseau.

Cependant peu à peu le regroupement s'est stabilisé, devenant Réseau, un noyau de

membres assidus qui décident de partager leurs différentes visions, leurs modes

d'applications du programme, leurs stratégies face à des contraintes communes, mais aussi

particulières, leurs expériences de partenariat avec d'autres organismes, d'autres institutions.

En ce sens, le Réseau est devenu un système d'entremise ouvert qui est perméable aux

influences extérieures, qui se nourrit d'elles et qui a, par rétroaction, un pouvoir d'influence

sur elles.

Les objectifs du regroupement répondent à la fois à des motivations d'aspect défensif et

d'aspect offensif : les motivations à caractère défensif étant liées au besoin de résoudre une

difficulté ou de réduire une contrainte, alors que celles de type offensif sont guidées par un

désir de développement et une volonté de croissance (Gherzouli, 1997:76). « Sortir de

l'isolement, trouver des solutions ensemble à nos problèmes » se situent davantage dans

l'axe de défense, alors «qu'échanger sur les pratiques, se stimuler, faire (peut-être) des

actions communes » seraient dans l'axe du projet.

Le Réseau revêt aussi un aspect communicationnel à travers duquel sont échangées les

significations à l'intérieur d'un continuum (Payatos, 1983, cité dans Ferrié et Boëtsch, 1993:

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242). Le porte-parole du Réseau33, membre du conseil d'administration de la Table de

concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes et

membre du comité aviseur auprès du MRCI, transmet des informations pertinentes aux

autres membres du Réseau, concernant certaines décisions gouvernementales, certains

projets en cours, informations auxquelles les intervenantes n'ont souvent pas accès au sein

de leur organisme. Cette transmission de connaissances renforce ainsi leur pouvoir

décisionnel.

Enfin le Réseau est une action volontaire collective : l'action volontaire en tant que

catégorie sociologique implique, tel que décrite par Melucci (1993:193), « la nature

volontaire du lien social à l'intérieur duquel l'action est accomplie », les intervenantes ont

adhéré librement au Réseau, en accord toutefois avec la direction de leur organisme34, de

même que les jumelés adhèrent librement au programme jumelage. Nous attribuons d'autres

caractéristiques de l'action volontaire énoncées par Melucci au Réseau. L'action volontaire

collective implique qu'il y ait un partage d'objectifs communs même si les buts individuels

peuvent être divergents; toutefois, les intervenantes adhèrent « à une forme de solidarité

collective. » Le Réseau n'est pas une structure rigide, mais a une forme d'organisation avec

distribution de rôles par consensus avec possibilité de changement.

L'objectif premier du regroupement est de faire reconnaître et d'affirmer la nécessité du

jumelage en tant qu'outil d'intégration sociale et de rapprochement interculturel. Cet

objectif donne à l'implication des intervenantes au sein du Réseau « une forme d'altruisme

social » (Ranci, 1990, cité dans Melucci, 1993:194), en ce sens que « l'action est orientée

de telle sorte qu'elle produit des bénéfices ou des avantages au profit de sujets autres que

ceux qui y participent » (Melucci, 1993:194). Toutefois, le fait que l'action des

intervenantes soit principalement dirigée vers les jumelés et les futurs jumelés ne signifie

33 Nous parlons ici du porte-parole au moment de la mise en place du Réseau. Depuis 1999 l'agente de liaison

du RJI assume cette fonction. Il arrive aussi qu'une intervenante, au fait de tel programme ou politique, prenne

le relais.

34 Le directeur d'organisme s'attend à ce que l'intervenante propose des actions qui iront dans le sens non

seulement de la mission de l'organisme mais aussi, dans certains cas, selon la vision qu'il a, de concert avec

les autres membres de l'organisme, du programme jumelage.

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pas qu'elles-mêmes ne retirent aucun bénéfice à l'action volontaire collective; au contraire,

ces dernières pourront, selon le degré d'investissement, retirer comme le rappelle Melucci,

des bénéfices symboliques (estime de soi, pouvoir, reconnaissance) et économiques

indirects (l'acquisition de compétences professionnelles, la construction de réseaux sociaux

avantageux sur le plan politique et professionnel).

En se regroupant au sein d'un espace intermédiaire, un lieu de médiation entre l'État et

l'organisation, les intervenantes posent les premiers jalons d'un travail social collectif dont

les objectifs visent « à créer des espaces collectifs d'échange, de débats et de conflits. » Ces

espaces peuvent préfigurer « l'émergence de nouvelles formes d'arrimage possible entre la

société civile et l'État » (Charlot, 1996:45). En dépassant la «logique de l'offre

institutionnelle », qui par ses exigences de démonstration de rentabilité a tendance à vouloir

les cantonner à un rôle de recruteur de bénévoles, les intervenantes explorent des avenues

nouvelles et renouent, comme le mentionne Jean-Luc Charlot, « avec ce qui est le propre du

travail social collectif, (...) le caractère intrinsèquement généraliste de celui-ci. » En effet, le

caractère généraliste du travail social collectif implique la prise de conscience de

l'interinfluence de ces divers éléments sur l'intervention même et sur le déroulement de la

relation dans une perspective de développement social, avec la préoccupation du sens

collectif et du rôle que devront jouer les usagers ou les principaux intéressés, en

l'occurrence les jumelés, dans l'action (Charlot, 1996).

2.5. Conclusion

Nous avons vu que les motivations des individus qui répondent à l'appel du communautaire

sont doubles : combler un besoin de retrouver un peu d'humanité dans le froid de la

modernité et répondre à la demande exprimée par l'État de faire le devoir civique. Si les

individus s'investissent dans une action bénévole, cela peut être par peur du conflit et pour

un désir de réguler le social ou pour vouloir rendre service et par pur intérêt. Nous avons vu

aussi que poser un geste bénévole peut être à la fois motivé par un intérêt personnel tout en

étant mû par le désir de commettre un acte collectif. L'engagement dans le jumelage,

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relation interpersonnelle, s'inscrit dans un contexte social, économique, politique et culturel

d'une société et dans un processus d'immigration qui lui-même renvoie à un ou plusieurs

autres contexte social, économique, politique et culturel. De plus, le jumelage fait aussi

partie d'un contrat moral d'intégration, l'accompagnement du nouvel arrivant par les

membres de la société d'accueil et institutions ainsi que l'engagement des uns et des autres à

l'établissement de relations communautaires harmonieuses. Quelles seront alors les

motivations des individus qui établiront le lien social du jumelage ? L'implication dans le

jumelage interculturel est-elle la manifestation de l'un et de l'autre, un vouloir aider l'autre

et un désir d'harmonisation des rapports sociaux ? Mais d'abord qu'entend-on par jumelage

interculturel ? Qu'est-ce que l'interculturel ?

Nous avons constaté aussi que l'intervention sociale du jumelage pose certaines difficultés

aux intervenantes. Mues par le désir de répondre à certains questionnements et aussi portées

par un vouloir faire front commun, les intervenantes se sont regroupées au sein d'un réseau

qui devient un lieu d'échange et de réflexion sur la pratique du jumelage. Quelles sont les

limites et contraintes de l'intervention jumelage ? L'intervenante inscrit-elle son

intervention qui s'immerge dans la quotidienneté des relations primaires « où le sens se

confond avec l'acte » (Lavoué, 1986) dans la perspective globale des rapports sociaux ?

Est-ce que l'intervenante en jumelage croit que son intervention contribue au renforcement

des liens sociaux ? (Renaud, 1995) Les paramètres de son intervention sont-ils définis selon

le modèle d'intégration suggéré par l'État ?

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CHAPITRE III

Cadre théorique

3.a. Sommaire

À partir de la description des modèles d'intégration aux Etats-Unis, en France, au Canada et

au Québec, nous voulons démontrer que la notion d'intégration (3.1) est liée à l'histoire des

sociétés et aux représentations d'un certain idéal. De " l'uniformisation culturelle" à la

vision plurielle d'une société en mouvance, la logique de l'intégration puise ses modèles à

des idéaux: démocratique, de citoyenneté ou communautaire et fait référence à la mémoire

collective: la recherche du bonheur, de l'harmonie, de l'égalité. Toutefois, la notion

d'intégration est aussi un concept politique qui sert à modeler le concept de citoyenneté tout

en réaffirmant le modèle social que l'État-Nation veut sauvegarder ou définir, celui qu'il est

prêt à proposer. Au cœur du concept de citoyenneté, nous retrouvons la notion de contrat

moral (3.1.1) inspirée par les notions de droits et responsabilités sociales (le devoir-faire) ,

nous retrouvons également la notion du contrat social (3.1.2) qui fait référence à la

participation civique (le devoir-être). Cette notion est beaucoup plus difficile à imposer

comme action collective parce que plus difficile à circonscrire, prenant sa source dans

l'éthique, dans le sens attribué au vivre-ensemble et dans la projection dans l'avenir, donc

dans une certaine part d'incertitude. En effet, la notion de contrat social fait appel au pour-

quoi-faire, question ontologique qui est au cœur du questionnement sur la vie en société,

sur le rapport à l'autre, sur le pourquoi et le comment du lien social. Nous aborderons donc

les notions de confiance, de don, d'engagement, de négociation, et d'adaptation mutuelle qui

sont inhérentes à la question du lien social et de façon plus spécifique à celle du jumelage

interculturel. Puis nous abordons le jumelage en tant que processus et intervention. Au

point 3.2, nous établissons la distinction / similitude entre le mentorat et le jumelage. Et

nous situons le jumelage dans « l'utopos » de la rencontre (3.2.1) dans un nouveau lieu où

se crée le lien social, où la rencontre avec l'autre est susceptible de provoquer une

modification profonde dans la vision du monde de l'individu. Nous abordons dans la partie

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3.22, les concepts d'interaction et de choc culturel, ce dernier selon l'anthropologue Oberg

(1960), manifeste l'angoisse provoquée par le sentiment de perdre les signes et les symboles

qui nous sont familiers dans le cadre des relations sociales. Mais bien que le jumelage soit,

avant tout, une relation interpersonnelle qui se déploie dans l'espace informel, il est aussi un

programme mis en place par des organismes communautaires subventionnés par l'État :

donc un acte formel devant avoir une certaine portée sociale. C'est pourquoi dans le

jumelage, le réseau, et la culture organisationnelle (3.2.3) nous réfléchissons au lien entre la

capacité qu'a l'organisme de croire en sa mission et de la transmettre et le sentiment qu'a

l'acteur social d'appartenir à une communauté, source de stimulation importante dans

l'engagement. Au point 3.2.4 de notre thèse, point central à notre réflexion, nous

questionnons l'intervention sociale du jumelage. Nous voulons démontrer que celle-ci est

marquée par la complexité du processus migratoire et du processus d'intégration à laquelle

est confronté le nouvel arrivant et indirectement son jumelé et que cette rencontre peut

donner à l'intervention une difficulté supplémentaire: c'est ce que certains nomment une

situation d'interculturalité. Nous soulignons le fait que les réflexions sur les transformations

de l'intervention en contexte d'interculturalité ne font pas consensus et que parallèlement à

ce débat, une autre voix s'élève qui estime que la complexité du contexte de l'immigration

commande à l'intervenante de dépasser l'approche interculturelle en fondant celle-ci dans

une approche intégrée. La considération de l'autre à titre de partenaire demeure un principe

guide de l'intervention sociale. Cet espace intermédiaire, espace où la rencontre à lieu de «

personne à personne » se révèle être, comme le rappelle Gyslaine Roy, chercheure et

travailleuse sociale, un espace de liberté (Roy, 1992). Toutefois nous verrons que s'il est

juste de dire que l'inconnu enthousiasme les intervenantes par la possible création qui

s'offre à elles, il est aussi réaliste de dire que l'interculturel leur pose des dilemmes.

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3.1. Intégration et lien social

3.1.1. La notion d'intégration

3.1.1.1. Le contexte global, États-Unis, France, Québec

L'intégration des nouveaux arrivants ne peut être comprise qu'en étant replacée dans le

contexte global dans lequel elle s'insère (Schulte-Tenckhoff, 1985:85). Il faut aussi

considérer que les concepts d'adaptation et d'intégration sont des concepts polysémiques, et

sujets à différentes interprétations. Ces interprétations sont dépendantes des champs

d'étude, mais surtout des buts visés par telle ou telle définition, d'autant plus lorsque

jumelées à des indicateurs, mesure du quantitatif, outil d'analyse et de vérification des

politiques du gouvernement de la société d'accueil.

Il est nécessaire de comprendre l'évolution de ce concept et son application dans les

contextes spécifiques puisque dans une certaine mesure, l'évolution du Québec est une

création, une synthèse originale de son voisin géographique et de son « cousin » culturel.

L'intégration des immigrants a longtemps été associée à l'assimilation de ceux-ci, suivant

une « logique d'uniformisation culturelle » (Rocher, 1994). Jusque dans les années 1970,

avant l'apparition des mouvements de revendication ethnique, l'idéologie assimilationniste

prévalait dans les sociétés occidentales : depuis, celle-ci a fait place à celle de l'intégration.

L'idéologie assimilationniste est liée à l'idéologie libérale. Celle-ci conçoit un État-Nation

où tous les individus peuvent participer pleinement, quel que soit le groupe ethnique

culturel ou racial auquel ils appartiennent, mais pour ce faire, les individus doivent se

libérer de leur appartenance ethnique et culturelle. Par exemple, et selon cette théorie, aux

États-Unis l'assimilation des immigrants leur permettrait d'accéder aux idéaux

démocratiques d'égalité. Toutefois, afin d'accéder à la citoyenneté, les immigrants doivent

adopter la culture américaine de la réussite personnelle et les préceptes judéo-chrétiens

(Banks, 1998). En France, l'assimilation proposée aux immigrants est liée à la tradition

révolutionnaire fondée sur la laïcité en tant que valeur commune dans l'espace public

(Henry-Lorcerie, 1988).

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Au Québec, l'intégration des immigrants est fondée sur un idéal communautaire que

certains nomment utopie. Le Québec, comme les États-Unis d'ailleurs, est une terre

d'immigration et les aspirations politiques visent à une installation durable des nouveaux

arrivants plutôt qu'à des migrations de passage. Dès 1974 (rappelons que le Ministère de

l'immigration au Québec a été créé en 1968) le principe fondamental de la politique

d'intégration est l'intégration dans le respect des valeurs culturelles d'origine. On incite «

par des moyens variés et non par contraintes les nouveaux arrivants à rejoindre le groupe

majoritaire, la communauté francophone, et à s'y intégrer » (M.I.Q, 1974 cité dans Jacob,

Bertot, 1991:82), mais bien avant, le Conseil du civisme à Montréal, fondé en 1958, faisait

la promotion d'un dialogue constructif et d'une meilleure compréhension entre les citoyens

de toutes origines. Ce dernier encourageait « une intégration harmonieuse à la collectivité

montréalaise et québécoise » (cité dans Jacob, Bertot, 1991:74).

On le voit, l'intégration au Québec est imaginée ou souhaitée pouvoir se faire en harmonie

et sans contraintes avec l'espoir que les immigrants développeront un sentiment

d'appartenance à une province francophone minoritaire. Province dans les faits, mais pays

dans l'imaginaire. Province francophone dans un pays majoritairement anglophone, le

Canada, où l'idéologie d'intégration est le multiculturalisme alors qu'au Québec on prône

tour à tour ou tout à la fois, et en réaction à la politique du multiculturalisme, la

convergence culturelle, l'interculturel, la culture publique commune.

Le « contrat moral » entre la société d'accueil et l'immigrant, énoncé dans les politiques

gouvernementales depuis 1990 par le MRCI, s'appuie et prend légitimation sur les concepts

de citoyenneté et de participation civique. En fait, on assiste à une interaction évidente entre

une théorisation des chercheurs et une appropriation des concepts dans la sphère politique.

Malheureusement cette appropriation est souvent faite de façon maladroite, décousue ou de

manière précipitée.

En témoigne l'oubli d'impliquer le citoyen à titre individuel. À notre avis, une des

difficultés de l'appropriation par le membre de la société d'accueil du phénomène de

l'immigration, et des changements qu'il provoque au sein de la société québécoise, a résidé

dans cette association les nouveaux arrivants /la société d'accueil. Cette mise en relation des

individus avec une entité politique implique que nous avons d'un côté des individus et de

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l'autre une entité abstraite, un système social qui dépasse l'individu en même temps qu'il

l'absorbe. Le membre de la société d'accueil n'a pas à se sentir impliqué parce que c'est

justement à ce système qui le dépasse à qui on donne la responsabilité d'accueillir sans que

le citoyen soit nommé. En même temps, il peut être très réconfortant de savoir que nous

faisons partie d'une société accueillante : une fois la qualité attribuée, la remise en question

n'est pas de mise, d'autant plus que de nombreuses structures d'accueil ont été mises sur

pied au Québec.

Tous ces idéaux : l'un basé sur l'idéal démocratique fondé sur l'égalité de tous dans la

recherche du bonheur, l'autre sur l'idéal de citoyenneté où « le social et le politique ont le

primat sur les liens d'appartenance ethnique » (Sayad, 1994), l'autre sur un idéal

communautaire, se rejoignent. Les deux premiers attribuent de façon unilatérale la

responsabilité de l'intégration à l'immigrant et les trois se fondent sur la conception d'un

système socioculturel englobant, immuable, intangible et imperméable. Encore aujourd'hui,

écrivent certains auteurs (Helly, 1992, Rocher, 1990 Juteau, 1993), les politiques

d'intégration du Québec, visent moins à reconnaître les différences de sujets ayant d'autres

champs de référence, d'autres champs d'appartenance, qu'à les faire entrer à l'intérieur de

frontières déjà établies.

Pour complexifier encore plus la problématique de l'intégration des immigrants, les

chercheurs, qu'ils soient dans les domaines de l'anthropologie, de la sociologie, de la

psychologie et de l'ethnologie, ont, selon le contexte politique, social et culturel,

interchangé les termes intégration, acculturation, adaptation, insertion, assimilation (Park,

1928, Frazier, 1939, Merton, 1965, Berry, 1987, De Vries, 1988 a, 1988 b, Dorais, 1989,

Breton, 1994).

Certains auteurs ont contribué plus que d'autres à l'ambiguïté des termes. Merton (1965),

dans un effort pour nuancer la finalité de l'intégration, a introduit la notion d'adaptation en

la caractérisant de cinq façons différentes : le conformisme social, l'innovation dans le sens

du succès américain, la ritualiste dans le sens de compensation à l'échec de la réussite de

l'idéal américain, l'évasion, cette catégorie rassemble ceux qui ne fonctionnent pas selon les

normes et la rébellion (cité dans Jacob, Bertot, 1991). Ce modèle fonctionnaliste a influencé

N. Hutnik (1986 cité dans Jacob Bertot, 1993) et Berry (1980) qui proposent à leur tour

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quatre modèles d'adaptation ou d'acculturation chez les réfugiés et les immigrants :

l'assimilation, lorsque l'individu se perçoit comme membre de la majorité uniquement, la

dissociation-séparation, lorsqu'il se perçoit comme membre d'un groupe ethnique

uniquement, l'acculturation/intégration, lorsqu'il s'identifie aux deux groupes, la

marginalisation, lorsqu'il n'y a aucune identification. Pour ces deux chercheurs, l'adaptation

est un choix, une « option » de la part des immigrants. D'où le glissement sémantique du

terme intégration « on veut intégrer des immigrés qui sont mal ou pas du tout intégrés »

(Cordeiro, 1994:168).

Milton Gordon (1978) devancé par Park (1914) a contribué à donner une nouvelle

perception du concept d'adaptation des immigrants (quoiqu'ils utilisent le terme

assimilation). Il démontre que si « l'assimilation » (adaptation) dépend en partie de

l'immigrant, elle dépend aussi de l'acceptation par la société d'accueil du nouvel arrivant

que ce soit au niveau culturel, social, politique ou économique (Jacob, Bertot, 1991,

Coulon, 1992).

Parallèlement à cela, si on lit attentivement les objectifs de la politique de l'immigration du

Québec de 1967 (Gauthier, 1967) et qu'on les compare à ceux de 1996 (MRCI 1995-96) et

aux niveaux d'immigration 2000-2001, l'on peut constater une certaine constance :

l'immigration répond à des orientations économique, démographique et linguistique :

l'orientation humanitaire n'apparaissant pas dans les priorités, mais plutôt dans les objectifs

que sont le soutien à la réunification familiale et dans l'accueil aux réfugiés35 (MIRC, 1995-

96).

35 Et cela en dépit du fait qu'il y ait eu jusqu'en 2000, une baisse des immigrants de la catégorie indépendants

et une augmentation de celle des réfugiés : et malgré le fait qu'il y ait eu au Québec en 1996, 12,000

revendicateurs du statut de réfugié et que « bien que sans statut définitif, ces personnes soient prises en charge

par le Québec, ce qui augmente sensiblement son effort d'accueil humanitaire” (MAIICC,1995-96:21). Cette

phrase est lourde de sens quand on sait que les intervenantes des organismes communautaires « partenaires”

du ministère, particulièrement à Montréal où se retrouvent la presque totalité des revendicateurs, demandent

depuis plusieurs années que les revendicateurs du statut de réfugié soient considérés admissibles aux

différents services d'accueil et d'établissement (outre ceux concernant le logement).Cette demande est

toujours qualifiée en principe de non-recevable par l'État québécois. Toutefois cette question est actuellement

au cœur des négociations entre les organismes de la région de Montréal et le ministère qui cherchent un

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Ces orientations sont liées à des politiques d'intégration des immigrants, politiques qui

elles-mêmes sont déterminées selon le contexte politique et selon la représentation que les

acteurs se font de l'intégration. Comme le rappelle Danielle Juteau, « la notion d'intégration

est polysémique, labile, fluide, indissociable d'un contexte sociohistorique lui-même

soumis à plusieurs transformations, (...) l'intégration est liée à la conception de la bonne

société, de ce qui est désirable » (1993)36. Si le concept d'adaptation est le plus souvent

associé à l'adaptation à l'environnement, celui d'intégration est synonyme d'adaptation

mutuelle et de cohésion sociale. A partir de 1991, avec l'entente Canada-Québec il n'y

aura plus de distinction nette entre adaptation et intégration, l'accueil fait partie de

l'intégration sociale et économique et en matière d'intégration, les objectifs sont ceux

d'intégration linguistique, sociale et économique et de relations interculturelles37 (MAIICC

1995-96) et depuis 1995, de participation civique.

La réalité de l'adaptation se complexifie encore lorsqu'on tient compte des étapes cycliques

d'adaptation décrites par Kirshenblatt-Gimblett (1978) : le folklore de l'héritage culturel,

traditions acquises par l'immigrant dans son pays d'origine, le folklore de l'immigrant qui se

espace de transgression aux règles établies qui permettrait l'accessibilité des revendicateurs aux services

donnés par les organismes.

36 En 1979, par exemple, on définit les organismes d'accueil « comme étant ceux qui s'occupent des

immigrants, clientèle spécifique du ministère. Celui-ci a une responsabilité directe et prioritaire à l'endroit de

ces organismes”. Les organismes d'adaptation quant à eux s'occupent des « Québécois d'arrivée récente » et

doivent assurer « une meilleure jonction entre les besoins de ces personnes et les ressources du milieu »alors

que les organismes d'intégration « agissent sur l'ensemble de la société pour faire évoluer les mentalités, les

attitudes, les comportements et ainsi assurer l'harmonie et la cohésion sociale” (M.I.Q' 1980:46 cité dans

Jacob, Bertot, 1991). En 1990, on met en parallèle deux projets : d'un côté, l'immigrant qui veut améliorer son

sort, de l'autre la société d'accueil qui tient à ses caractéristiques et à son projet social. C'est la

rencontre de ces deux projets qui détermine le processus d'intégration et d'adaptation

(MCCI, 1990: 1-2).

37 Les objectifs seront liés à des programmes institués en 1991 suite à l'entente Canada-Québec: PAEI

(programme d'accueil et d'établissement des immigrants) PSIE (programme de soutien à l'intégration à

l'emploi) PRI (programme de rapprochement interculturel) PAO (programme d'adaptation des institutions) et

il faut ajouter le PAFI (programme aide à la francisation des immigrants)

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rapporte à l'expérience même de l'immigration et le folklore de l'ethnicité qui exprime

l'adaptation au nouveau pays et la revendication de l'identité ethnique. Au Québec, l'étude

de Labelle, Turcotte, Kempeneers et Meintel (1987) sur les ouvrières immigrantes ainsi que

les études Cohen et Lévy (1987) sur les trajectoires individuelles de même que les travaux

de Guilbert (1993) sur la notion de travail de deuil nous fournissent des données pertinentes

pour comprendre toute la complexité du phénomène de l'adaptation.

Complexité qui dépasse la seule volonté de l'immigrant car outre le fait objectif qu'il existe

une frontière territoriale et un droit juridique d'immigrer, la chercheure Helly (1992:24)

mentionne dans L'immigration pour quoi faire ? une frontière interne qui serait de l'ordre de

l'identité collective décidant l'appartenance ou non des immigrés et de leurs descendants à

la société d'accueil, et par ailleurs définissant leur traitement par l'État. Les paramètres de

cette frontière fixeraient les fondements de l'exclusion ou de l'inclusion des « autres » à la

société québécoise, augmentant ainsi le défi de l'immigration.

Ainsi, nous voyons que les termes assimilation et intégration sont conceptualisés

différemment selon les utopies et les contextes géopolitiques des États-Unis, de la France,

du Canada et du Québec tout en ayant certaines similitudes. La notion d'intégration telle

que définie jusqu'à tout récemment dans ces différents contextes met en évidence un

paradoxe, en réaffirmant le caractère permanent du fait culturel, de sa conservation et de

sa spécificité tout en mentionnant que l'ensemble s'enrichit de cette complexité. Comment

peut-on parler de spécificité et de conservation, donc d'intégralité alors que l'on admet qu'il

y a interinfluence, interaction des composantes culturelles et ethniques. L'ensemble et

l'élément d'ensemble ne s'influencent-t-ils pas ? Est-ce que l'effet de l'interaction n'est pas

plutôt une transformation (transvalue) qu'un enrichissement (plus-value) ? L'interaction des

composantes ethniques et culturelles, elles-mêmes plurielles, ne fait-elle pas en sorte que

d'elle se compose une nouvelle réalité elle-même appelée à se transformer ?

Alors qu'aux États-Unis, les sociologues analysent les stratégies d'intégration adoptées par

l'immigrant, en France les politiciens s'interrogent sur le processus qui fera de l'étranger un

résident permanent de la société française. Les termes et les concepts sous-jacents en

France (Barou, 1993), assimilation, intégration, insertion, qui seront tour à tour adoptés

puis rejetés, le sont en « réaction à des tendances » à des réponses à des récupérations

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politiques, à certains éléments d'une mémoire collective que l'on voudrait effacer. Fait

partie de cette mémoire collective, la notion d'assimilation associée à la période coloniale,

le terme est devenu tabou à la fin des années 1960. Cet embargo sur le terme a fait oublier

l'aspect transitif du concept. L'ethnologue Jacques Barou et le sociologue John Crowley le

rappellent en resituant le concept à l'époque de son utilisation par Durkheim. Barou nous

explique que la pensée de l'assimilation de Durkheim se déroule sur fond historique de

passage d'une société à une autre : société mécanique, tissée serrée, où les valeurs et normes

sont transmises par la famille, par l'autorité du groupe, à une société organique, où les liens

sont plus distendus, où l'espace intermédiaire de socialisation qu'est l'École devient

primordial pour permettre à tous même « les non-nés dans la communauté » d'avoir accès à

l'histoire, les traditions, la culture et les normes de fonctionnement qui leur permettra, en

étant assimilés, d'être membres actifs de la société. Ce concept, rappelle Barou, avait un

caractère progressiste et démocratique, bien que « l'élasticité des contenus substantifs »

(Crowley, 1991) et le doute épistémologique n'étaient à l'époque aucunement envisagés.

D'ailleurs, l'éducation, comme lieu de transmission des valeurs communes et de

construction de solidarités nouvelles, est encore considérée aujourd'hui un lieu privilégié

d'acculturation dans toutes les sociétés. Il est entendu qu'une société a besoin que les

citoyens, peu importe l'âge, l'origine, la classe sociale, adhèrent à des normes communes

afin d'éviter de sombrer dans l'anomie sociale. L'assimilation est donc un « concept

opératoire et nécessaire » (Barou, 1993:126, Pagé, 1991).

Toutefois, si en France le terme assimilation a disparu, la notion de faire taire, voire, faire

disparaître les caractéristiques sociales et ethniques de l'autre (Gaillard, 1997:124) a

persisté avec la notion d'intégration. La valse politique entre la droite et la gauche se traduit

dans l'adoption des termes intégration ou insertion au gré des affrontements idéologiques et

politiques « (...) ils sont interchangeables parce que liés à des actions sociales » (Gaillard,

1997) et non aux dimensions socioculturelles et ethniques. Dans les années 1970-1980,

l'intégration est un terme que la droite réserve aux immigrants « il faut les intégrer, ils ne

sont pas intégrés » il n'est alors plus nécessaire de dire qui on veut intégrer (Cordeiro, 1994;

Gaspard, 1992) (...) « la permanence ou l'émergence des identités ethniques et culturelles ne

sont concevables qu'en terme de dysfonctionnement » (Cordeiro, 1994:171). Il semble que

la recherche d'indices d'obstacles structurels à l'intégration n'a pas été une préoccupation

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majeure dans la réflexion. Afin de sortir l'intégration du domaine de la politique, on la

transforme en opération technique, « la technicisation est pensée comme s'opposer à la

politisation » (Gaspard, 1992). Alors dans une tentative d'intégrer la problématique dans un

problème d'ordre général, la gauche, parle, elle, de programmes sociaux d'insertion qui

s'adressent à la population française en difficulté. Dans les années 1980, dans une volonté

de restreindre l'immigration, la droite mentionne l'insertion de ceux qui sont sur le territoire,

en insistant sur l'urgence de fermer les frontières. La gauche récupère alors le terme

intégration, et revient au rôle de l'intégration scolaire des enfants d'immigrés pour « l'unité

de la nation », celle-ci comporte deux aspects : « préparer les enfants à la vie économique et

à ses transformations, d'où la nécessité d'apprendre la langue et donner à ces enfants la

possibilité de maintenir le contact avec la langue et la culture maternelle » (Gaspard,

19:17).

Le terme intégration se serait imposé à la fin des années 1980, alors que le ministre de la

Solidarité proclame « il faut préserver les identités culturelles qui s'exercent dans le cadre

des valeurs fondatrices qui sont l'héritage de notre histoire et le ciment de notre société »

(Elvin, cité dans Gaspard, 1992). Mais, comme le signale Cordeiro, s'il y a une tentative

d'un « retour de la légitimation éthique du respect de l'autre » (...) il n'en reste pas moins

que « les cultures immigrées doivent, selon l'idéologie de l'intégration, rejoindre le creuset

français » (1991:68, 171). Et pour ce faire, on structure le processus d'intégration : après

avoir mis sur pied un Secrétariat général de l'intégration, on crée en 1991 un Haut Conseil à

l'intégration. Celui-ci définit l'intégration en ces termes :

il faut concevoir l'intégration comme un processus spécifique: par ce processus, il s'agit de

susciter la participation active à la société nationale d'éléments variés et différents, tout en

acceptant la permanence, conservation et spécificités culturelles, sociales et morales et en

tenant pour vrai que l'ensemble s'enrichit de cette complexité. Sans nier les différences, en

sachant les prendre en compte sans les exalter, c'est sur les ressemblances et convergences

qu'une politique d'intégration met l'accent afin, dans l'égalité des droits et des obligations,

de rendre solidaires les différentes composantes ethniques et culturelles de notre société et

de donner à chacun, quelle que soit son origine la possibilité de vivre dans cette société

dont il a accepté les règles et dont il devient un élément constituant (1991 cité dans Barou,

1993:128).

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Il faut souligner que cette définition de l'intégration évoque, comme le signale Barou

(1993), plutôt le concept anglo-saxon que le modèle républicain d'assimilation, par

l'acceptation des différences et l'affirmation de l'égalité des chances.

Comme l'écrit Barou, apparaît ici un nouveau passage de société : d'une société

centralisatrice, républicaine, où le monde du travail et celui de l'éducation apparaissent être

les principaux instruments de l'assimilation, à une société pluraliste, fragmentée, fragilisée,

où on reconnaît maintenant à d'autres structures intermédiaires, celles communautaires, une

fonction intégrative. L'intégration ce n'est plus alors seulement l'affaire des immigrants,

mais devient aussi l'affaire des Français! (Begag et Chaouite, 1990).

Ainsi la société d'accueil a une responsabilité dans la réussite du projet migratoire de

l'immigrant, une responsabilité quant à ses choix et aux conséquences de ses choix.

Comme on le sait et tel qu'il est affirmé dans l'Énoncé de politique de 1990 au Québec,

l'immigration répond à des préoccupations : le redressement démographique, la prospérité

économique, la pérennité du fait français et l'ouverture sur le monde, mais il répond aussi à

un devoir de respecter un engagement moral envers les demandes humanitaires. Le projet

d'immigration est donc basé sur un choix et un non-choix tant pour l'immigrant qui a choisi

ou non choisi de quitter son pays que pour la société d'accueil qui choisit ou ne choisit pas

le fait d'accueillir les immigrants.

Si la réussite du projet migratoire de l'immigrant est liée à sa capacité de comprendre les

codes culturels et le fonctionnement des différentes institutions du pays d'accueil et de s'y

adapter, c'est à dire de tirer profit de ses compétences initiales et de son aptitude à en

acquérir de nouvelles, (Costa-Lascoux, 1994) elle est liée aussi à la capacité intégratrice de

la société d'accueil qui se traduit par sa capacité de s'interroger sur ce qu'implique accueillir

et intégrer des immigrants et réfugiés, sur ce qu'est la culture publique commune et aussi

par la compréhension qu'ont du phénomène migratoire tous les citoyens de la société

d'accueil. C'est le regard de l'autre, ses paroles, ses silences, ses actes, qui feront que

l'intégration pourra se traduire chez l'immigrant par « être chez soi, se sentir bien, en

sécurité, avoir l'impression qu'on existe, qu'on compte pour quelque chose » (Begag,

Chaouite, 1990, cité dans Lefaivre, 1995: 62)) qu'on « se reconnaît une place et un droit de

se construire une place dans le système social » (Guilbert, 1996:28). Pour se réaliser, «

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l'intégration doit être reconnue positivement et fortement valorisée par les collectivités et

par la société » (Guilbert, 1996:28).

Nous pouvons ainsi considérer l'intégration comme un processus d'inclusion dont la

dynamique est l'interdépendance. Nous reprenons la définition de l'historien Rochdy Alili,

parce qu'elle rejoint notre réflexion : « L'intégration est la construction d'interdépendance

entre des composantes individuelles et collectives d'un ensemble qu'on appelle la société »

(1994:15). Nous précisons que nous concevons l'intégration comme un processus,

processus qui produit et qui a pour résultat la cohésion, la solidarité, l'interdépendance

d'une société (Zehraoui, 1994:130-131). L'intégration implique évidemment une

participation active aux instances économiques et sociales de la collectivité, participation

facilitée par la société : l'intégration est un droit et un devoir des deux parties en cause . Ce

qui veut dire la possibilité d'avoir un emploi stable et suffisamment rémunéré, l'acquisition

de la langue officielle, la constitution d'un réseau social incluant des membres de la société

d'accueil ainsi que l'apprentissage de valeurs et parfois la soumission à des normes

culturelles autres (Dorais, 1989; Doutreloux, Guilbert, 1992; Morin, 1992, cité dans

Guilbert 1993).

Ainsi allons-nous dans le sens de Dorais (Dorais et all, 1992:4 cité dans Guilbert, 1993) «

l'intégration en tant que participation aux institutions et réseaux sociaux de la société

d'accueil », ce qui exige le partage des compétences et des savoir-faire, expression d’une

intégration citoyenne qui serait favorisée, croit-on, par la notion de contrat moral.

3.1.2. Le contrat

3.1.2.2. Le contrat moral

Le phénomène de l'intégration à la population francophone au Québec étant un phénomène

récent, les Québécois francophones prennent conscience qu'il est nécessaire de remettre en

question certaines manières d'agir et d'être, d'admettre l'hétérogénéité comme une qualité

dorénavant intrinsèque de la société québécoise, qu'il y a obligation de faire le deuil de «

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l'entre-nous. » En même temps, l'État tente de définir les balises qui permettront de

préserver la langue et jusqu'à un certain point la culture en imaginant le concept du contrat

moral qui redit l'égalité en droits, reprécise la notion d'accessibilité et d'ouverture, en même

temps qu'il insiste sur le devoir qu'incombe à tous d'adhérer aux principes de démocratie, de

partager une langue publique commune et de développer des relations intercommunautaires

harmonieuses.

Nous nous posons alors la question qu'est-ce qui fera que les individus voudront établir des

relations intercommunautaires harmonieuses, partager des valeurs communes, avoir des

projets communs ? Quelle motivation conduira les individus à se lier ? Pourquoi le ferait-il

? Dans quel but ?

Nous nous éloignons de l'approche fonctionnaliste parce qu'elle nie la dynamique du conflit

au cœur du social et ne le conçoit qu'en terme de dysfonctionnement ou d'incompatibilité

(Mucchielli, 1991). Et comme le souligne si justement Alili, « le principal de l'intégration

n'est pas l'entrée dans une fonction, mais l'entrée dans un univers de signes, le partage d'un

capital symbolique quelque soit la fonctionnalité sociale de celui qui est intégré »

(1994:20). L'approche structurelle, telle que mise de l'avant par Jacob et Bertot, ne nous

satisfait pas davantage parce qu'en focusant sur l'invariance du rapport dominant/dominé en

terme de classe sociale de même que sur les conditions objectives qui influencent le

processus d'intégration, cette approche ne permet pas de s'interroger sur l'impact du

caractère subjectif de l'intégration, du sens donné individuellement (intra-subjectif) et

collectivement (inter et supra-subjectif) à la notion de l'être collectif, celle du lien social.

Cette approche ne nous permet pas de réfléchir sur « ce qu'il y a de commun dans les

différents intérêts et qui forme le lien social » (Rousseau, cité dans Crowley 1991:198).

Ce qui nous ramène à Crowley et au paradigme contractualiste. Ainsi donc la première

qualité de l'intégration dans le paradigme contractualiste c'est l'ouverture : cet espace offert

à l'individu pour qu'il puisse véritablement prendre une place. C'est pourquoi l'intégration

systémique doit aussi être vu, selon Crowley « comme un processus conduisant d'un mode

d'intégration à un autre ou de la désintégration à l'intégration » (ibid,:193).

Crowley nous renvoie à Durkheim, à sa définition d'un système social intégré. Selon

Durkheim, un groupe social est intégré à trois conditions, s'il y a l'existence d'une

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conscience commune, de croyances et de pratiques, s'il y a une intense interaction entre les

membres du groupe et s'il y a adhésion à des buts communs (cité dans Crowley, 1991).

Nous retrouvons ici38 les qualités mentionnées pour réaliser « le contrat moral », tel que

défini dans les politiques d'immigration du Québec : partage de pratiques communes, de

valeurs communes, engagement à développer un Québec pluraliste et établissement de

relations intercommunautaires harmonieuses (Énoncé de politique 1990).

C'est en ce sens que nous tenterons d'analyser l'élaboration du lien social fondé sur un idéal

communautaire, le contrat social, ce que le MRCI du Québec a traduit par contrat moral et

qu'il tente aujourd'hui de reformuler sous l'appellation contrat civique.

3.1.2.2. Le contrat social

Avec un contrat moral, nous avons le « devoir-faire », par exemple le devoir de solidarité

qui se manifeste aujourd'hui à devoir respecter des règles imposées « sans trop de

justification ou à devoir adhérer à des principes d'action après avoir fait certains compromis

» (Fortin, 1995:14).

Ce qui est différent du contrat social tel qu'imaginé par Harvey. Ce dernier a donné au

Québec, l'expression « intégration cordiale » (Harvey, 1993). Celle-ci est-elle seulement

une manifestation du déni de toute conflictualité dans le processus d'intégration ? Est-elle

dérivée d'une approche fonctionnaliste qui nierait que l'intégration sociale correspond à

une dynamique de rapports sociaux où individus et groupes peuvent soit s'allier ou

s'opposer selon les circonstances ou les conjonctures ? (Jacob et Bertot, 1991:37) A lire la

définition de l'intégration cordiale : le développement du sentiment d'appartenance des

immigrants au vécu collectif, le partenariat entre organismes, privés et publics, l'importance

de la mise en valeur des apports des groupes ethniques (Harvey, 1993:924), on ne voit en

effet ni tension, ni confrontation, ni rupture. Harvey définit le processus d'intégration

38 La notion de croyances dans le sens religieux ne fait plus partie des préceptes essentiels à partager

aujourd'hui, puisqu'il y a dans une société multiethnique pluralité de croyances.

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sociale, comme « un processus interactif entre la société d'accueil et les nouveaux arrivants

qui constitue une nouvelle dynamique et une nouvelle synthèse. » Cette définition sous-

entend un processus de négociation des enjeux, donc de possible confrontation et

d'inévitable réconciliation pour la réalisation d'un projet commun. Or, ce qui pourrait lever

cette ambiguïté face aux notions de buts et de conscience commune, c'est, comme le

souligne Crowley, « que leur pérennité en tant que telle est parfaitement compatible avec la

plasticité de leurs contenus » (ibid:193).

Contrairement au contrat moral qui est subordonné au sens du devoir, le contrat social

relève de l'éthique, « de la science des actions de la vie » (Aristote). Pierre Fortin, éthicien,

nous indique trois avantages de la société pluraliste : « la critique du devoir-faire,

l'appréciation du vouloir-faire et l'examen du pour-quoi-faire qui constitue l'apprentissage

de l'éthique » (Fortin, 1995:14).

La réflexion sur l'intégration nous confronte ainsi au questionnement sur la légitimité de

l'ordre politique. Pour y répondre, Crowley nous invite à subordonner le politique à la

philosophie, et nous entraîne dans la théorie contractualiste, entre autres celle de Rousseau

et de Rawls. La théorie contractualiste est profondément préoccupée par le conflit entre

l'universalisme et le particularisme. La question pour Rousseau est comment s'associer tout

en gardant son autonomie ? Comment se contraindre à devenir une personne sans perdre

son individualité ? La solution proposée par Rousseau est qu'on ne peut entrer dans la

société civile que pour autant que l'on soit capable de se concevoir comme universel

(abstrait) égal en qualité politique et essentiellement semblable à autrui. Le contrat comme

création de la société civile, comme recherche d'amitié civique et d'unité est un contrat

abstrait.

Mais pas complètement abstrait, car comme le rappelle Crowley, « si c'est la capacité

d'abstraction des individus qui leur permette d'adhérer au contrat social, ce sont des êtres de

chair et de sang avec leurs passions et leurs intérêts qui composent la société civile. » Cette

contradiction apparente montre que le contrat est intra-subjectif, « en ce sens qu'il n'y a pas

de distinction entre la vie en société et la vie tout court et que c'est la capacité à synthétiser

les deux aspects de lui-même qui fait de l'Homme un citoyen.»

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Crowley insiste sur la notion de buts et de conscience commune dont la concrétisation

passe par le contrat social et le rôle de citoyen dans la cité. Pour notre part, nous accordons

plus d'importance à l'intégration par la vie quotidienne, et nous soutenons que les réseaux

de bon voisinage sont révélateurs de l'intégration d'une société. La confiance en l'autre

passe par la capacité d'établir avec lui non seulement un rapport, mais aussi une relation. Ce

qui suppose une discipline personnelle. Nous rejoignons Michel Lallemant (1994:128)

lorsque celui-ci dit que « sans un minimum de confiance, le lien social ne peut perdurer et

cette confiance fonctionne dans les multiples interactions de la vie quotidienne. » Et s'il

fallait se contraindre, non sans résistance, à établir des indicateurs d'intégration, nous

devrions privilégier, en accord avec Breton, celui de l'élargissement du réseau des relations

sociales et la participation plus grande dans le fonctionnement des organismes qui seraient

eux pluriethniques (Breton, 1994).

Mais ce qui suppose une discipline personnelle demande aussi une discipline collective

(Rocher, 1992:pp 3-8). La discipline collective et la discipline personnelle font appel au

lien social de base. Nous faisons référence ici à Touraine (1992 cité dans CCCI, 1993) pour

qui ce lien social de base exige un esprit et une attitude fondamentale : l'adaptation. Il ne

peut y avoir de véritable intégration si la société ne peut gérer sa propre transformation

comme une famille sait s'adapter à l'arrivée d'un nouvel enfant. Tout comme l'individu ne

peut s'intégrer s'il n'acquiert pas, comme nous l'avons indiqué selon les termes des

anthropologues Ferrié et Boëtsch (1993:243), cette « capacité de négociation »,

l'adaptation. L'adaptation est liée « à la possibilité et à la capacité qu'a un individu de se

mouvoir à travers des codes différents et d'investir entre eux des formules de connexion

satisfaisantes » (Ferrié et Boëtsch, 1993:243).

La discipline personnelle serait celle de l'esprit du don, telle que décrite par Godbout

(1992) sorte de loi non écrite qui régit le lien de base : « on crée conjointement ce lien

social de base – on s'y intègre – apprenant à vivre selon la discipline, à la fois obligée et

spontanément consentie » (CCCI, 1993:30), de donner, de recevoir en toute confiance et en

toute bonne foi qu'un jour les choses nous seront rendues : cet espoir du retour serait à la

base de toute relation sociale. Cet espoir de retour qui est en fait un acte de reconnaissance

sociale est au cœur du concept de citoyenneté.

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3.1.3. La Citoyenneté

Le concept de citoyenneté fait référence, tel que mentionné par Joël Roman, à un rapport

latéral (de citoyen à citoyen) qui s'ancre dans le fait de reconnaître à chacun une place dans

la communauté : Roman lie cette logique de la reconnaissance au fait de donner à chacun

les moyens d'accéder à une visibilité sociale minimale (1996). Le rapport à autrui, la prise

en compte de sa présence signifiante, est une démonstration de sa compréhension et de son

appropriation, il « n'est pas un élément du contrat, mais plutôt un résultat » (Crowley,

1991:197).

En se référant à Rousseau, Crowley précise que le respect par l'individu de ses

engagements, c'est-à-dire en dernière analyse, sa capacité de soumettre sa particularité à

son universalité, suppose nécessairement qu'il soit fondé, à priori, d'un caractère mutuel

(ibid:197). Ainsi la citoyenneté est le résultat d'une compétence acquise individuellement,

ce qui lui confère un aspect construit, et non pas un état donné par une collectivité.

Et, comme le rappelle Crowley, si le concept de citoyenneté fait appel à la capacité qu'ont

les individus de faire appel à l'abstraction, l'exercice de la citoyenneté, lui, se fait dans un

lieu, il est situé.

Le concept de citoyenneté, tel que véhiculé au Québec, fait appel aux citoyens habitant le

territoire afin qu'ils développent des relations civiques. Ainsi, veut-on interpeller et

responsabiliser davantage l'individu citoyen. En 1990, le MAICC s'appuyait sur une

conception de l'intégration définie comme un processus multidimensionnel d'adaptation à

long terme, processus dans lequel la maîtrise de la langue d'accueil joue un rôle essentiel,

ce processus n'étant achevé que lorsque l'immigrant ou ses descendants participent

pleinement à l'ensemble de la vie collective, de la société d'accueil et développent un

sentiment d'appartenance.

Les deux concepts de participation et d'appartenance sont repris avec le concept de

citoyenneté et de relations civiques dont veut s'inspirer actuellement le MRCI pour

l'élaboration d'un contrat civique. Toutefois, nous tenons à signaler qu'en mettant l'emphase

sur la notion de participation, le MRCI abroge la période d'adaptation en la situant dans les

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premières années d'arrivée du nouvel arrivant. De même, l'intégration en tant que processus

et résultat de l'insertion sociale, devrait par le fait même et selon cette tendance, se faire

assez rapidement puisque l'on considère dorénavant le nouvel arrivant comme un citoyen

au même titre et statut que les Québécois de la société d'accueil : en cela on lui attribue les

mêmes droits et les mêmes responsabilités. Nous nous demandons si en défendant

uniquement la thèse égalitariste, on ne compromet pas la notion d'équité qui commande

qu'on tienne compte des spécificités, notamment en ce qui concerne les nouveaux

arrivants : le parcours migratoire et la complexité de l'intégration. En tenir compte exige

que l'on admette que l'on doive y accorder une attention particulière, que l'on reconnaisse la

pluralité des parcours et la diversité des actions qui doivent être posées afin de répondre au

mieux au défi que pose le processus de l'intégration tant du côté de l'immigrant que de celui

de la société d'accueil.

Le concept d'appartenance réaffirme dorénavant la multiplicité des références identitaires

de chaque individu dans une société pluraliste et moderne, incluant l'identité ethnique

(Pagé, 1995). Il s'agirait d'une multiplicité compatible avec une certaine homogénéité dans

le partage de valeurs communes, d'un espace civique commun (Pagé, 1995), d'un noyau de

la cohésion sociale. Cette pensée est liée à la relation de réciprocité entre les citoyens ou

groupes de citoyens habitant sur un même territoire qui tout en adhérant à des consensus

sociaux créés peu à peu au fil de l'Histoire participent au développement social, culturel,

politique et économique de la société. Ces consensus formant le cadre civique commun

renvoient à des valeurs fondamentales telles la démocratie, le respect de la Charte, le

français comme langue publique commune. Les autres valeurs, mentionne discrètement le

MRCI, peuvent être discutées (Therrien, MRCI, 1998).

Ainsi, la réflexion des conseillers au MRCI va doucement dans le sens de la négociation

identitaire et de l'adaptation au contexte selon les termes de l'anthropologue Barth (1969) en

distinguant entre le noyau dur et les zones fluides du système culturel. Ces distinctions ont

été adoptées par maints auteurs et intellectuels (Begag et Chaouite, Costa-Lascoux, Bergue,

Harvey et Berthelot). Berthelot précise que s'il « appartient à la société québécoise de

définir le cadre de l'intégration(…) il faut distinguer les éléments inaliénables de la culture

publique commune des éléments qui sont ouverts à des espaces de négociation et de ceux

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qui relèvent des décisions privées ou communautaires » (Berthelot, 1993:cité dans Lefaivre

1995:62).

L'État québécois irait non plus dans le sens de l'idéologie d'insertion de la convergence

culturelle, mais plutôt dans le sens de l'intégration pluraliste qui en insistant « sur le

caractère dynamique du processus d'intégration, sur l'interdépendance des citoyens dans le

partage par consensus de valeurs communes en même temps que sur la possibilité qu'il se

donnent d'en formuler d'autres doit mener à l'émergence d'une nouvelle société construite »

(Harvey, 1993).

S'inspirant de Rawls, Crowley rappelle qu'adhérer à des principes communs ne veut pas

dire qu'il ne peut y avoir d'intérêts divergents et que ceux-ci ne puissent mener à la

manifestation « d'oppositions d'intérêts. » Car comme nous le signale Michel Miranda, « la

permanence de toute société repose sur sa capacité non pas à gérer, mais à laisser

s'équilibrer ses forces conflictuelles » (1986:141). Le lien social est ainsi confrontation de

valeurs en ce qu'il établit un rapport d'identité, mais aussi d'altérité .

Ainsi, pour paraphraser Jacob et Bertot, l'intégration peut être analysée comme une «

dynamique de rapports sociaux des individus qui s'allient ou s'opposent selon les

conjonctures et les circonstances », mais ceux-ci, insistons-nous, doivent être animés d'un

désir de construire ensemble un espace commun dans lequel ils se reconnaissent et se

projettent. La citoyenneté ferait donc appel à la fois au contrat moral qui implique le

devoir-faire et au contrat social en tant que pouvoir-être qui lui, est basé sur la notion de

confiance. C'est lorsque les citoyens pourront lier les deux que nous pourrons parler alors

de contrat civique, mais avant de parler de contrat nous devons aborder la question du lien

social. Quelles sont les qualités inhérentes au lien social ? Quels sont les éléments

essentiels à son maintien ?

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3.1.4. Le lien social

3.1.4.1.La notion de confiance

L'appel aux forces vives, aux efforts concertés de tous pour l'amélioration des conditions

économiques et sociales dans un contexte de restructuration technologique et

organisationnelle oblige les dirigeants à recourir aux notions de négociation et par ce fait

même à la notion au cœur de ce processus : la confiance. « Pour gouverner intelligemment

face aux turbulences du marché, aux exigences des technologies post-mécaniques, aux

flexibilités en tout genre qui s'imposent à elle, l'entreprise ne peut plus se passer d'une

démocratisation des pratiques : de la concertation, du débat et de la négociation, y compris

au plus bas de l'échelle sociale » (Borzeix, 1987:102).

Car si la situation de la guerre froide entre les deux grandes puissances a permis, dans les

années 1950-1960, à la théorie des jeux et sa notion de méfiance (en terme de distanciation

de l'autre) de prendre une place importante dans l'analyse des relations sociales, « la volonté

de rupture avec le taylorisme, l'introduction des formes inédites de coopération dans

l'atelier et dans l'usine » (Lallement, 1994:127) et l'appel au partenariat, entre autres,

remettent à l'ordre du jour la nécessité d'en appeler à la notion de confiance dans les

rapports sociaux (Gambetta, 1988; Karpik, 1996; Neuville, 1997).

Le jumelage, comme toute forme de relation partenariale39, emprunte la voie de la

négociation, et les partenaires doivent apprivoiser le compromis en surmontant «

l'incertitude qualitative40 », qui revêt un « caractère central et critique dans la construction

d'une relation de coopération à long terme » (Neuville, 1997:298). La dynamique de cette

39 Les différentes formes de participation peuvent être activées à un moment ou à un autre de l'alliance des

partenaires comme elles peuvent être des relations structurées entre partenaires ayant une entente spécifique

ponctuelle ou à long terme.

40 Cette incertitude peut être liée à la nature de l'engagement, à ses exigences, à sa durée, aux modes et types

d'investissements, à ses tensions, et à ses résultats.

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alliance qu'est le jumelage repose sur le « codéveloppement qui passe par l'élargissement

des réciprocités de base (celles établies à l'origine de l'accord) et la recherche continue

d'espaces coopératifs féconds » (Gherzouli, 1997:73).

Car la notion de projet est au cœur du partenariat. Celui-ci a trois dimensions : le

prolongement de ce qui est, la transformation de ce qui a été, et la réalisation de ce qui n'est

pas, l'objet du projet est appelé à être. Les déplacements vers l'autre traduisent chez les

acteurs un besoin tout autant qu'un projet. L'idée de projet renvoie comme le signale

Guilbert (1994:165) à deux aspects fondamentaux : « celui d'une quête, compris au sens

sémiotique du terme de la tension du sujet vers l'objet relié à une intention » c'est ce que

nous nommons la posture, et celui « d'une intentionnalité, du projet de vie de l'individu

conscient de ce vers quoi il tend », c'est la position. La finalité du projet doit être reliée aux

motivations et au contexte des déplacements vers l'autre.

Pour que le projet se concrétise, il faut qu'il y ait la conviction partagée du bien-fondé de

l'entreprise. Ce qui veut dire que la nécessité de l'échange est une valeur commune, mais

pour qu'il y ait échange, il faut que chacun ait confiance que l'autre va coopérer. S'engager

à coopérer avec un autre dont on a une connaissance limitée et dont on ne peut prédire avec

certitude ses actions futures implique nécessairement de lui accorder sa confiance

(Neuville, 1997), mais il n'en demeure pas moins qu'accorder sa confiance dans ce contexte

imprégné d'ignorance est un geste risqué. Comme le rappelle Neuville « la coopération

interindividuelle sur le long terme traduit une double problématique du risque et de

l'engagement, décomposée en trois éléments fondamentaux : la confiance (engagement

risqué), l'opportunisme (risque de l'engagement) et le contrat (limitation des risques par

formalisation partielle des engagements) , mais parce que « le contrat ne fait pas lien (...),

mais qu'il le présuppose » (Roman, 1996) sans un minimum de confiance le lien de la

relation partenariale comme tout lien social ne pourrait être « ni ne saurait perdurer »

(Lallement, 1994:128).

Le lien social est basé sur un système de confiance : dans l'interaction de la vie quotidienne,

la confiance que l'autre reproduira et réactualisera la règle(Cordonnier, 1994) : dans

l'espace social, il s'agit de « l'éthique partagée et historiquement construite » (Fukuyama,

1997) qui se traduit au niveau systémique par la confiance partagée dans les vertus des

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différents systèmes sociaux, ce que Luhmann (1979, cité dans Lallement, 1994) nomme la

confiance en la confiance. Cependant, si selon Simmel, ces deux principes sont constitutifs

de la société moderne (1987 cité dans Lallement, 1994) il est évident que les deux ne

cohabitent pas avec la même énergie en tout temps. L'appel au partenariat lancé par l'État

n'est-il pas une invitation à raviver la confiance envers les institutions, envers le politique ?

La réponse que donnent les acteurs du communautaire n'est-elle pas la manifestation d'un

désir d'aller vérifier le bien-fondé de cette confiance ? Les nouvelles formes de partenariat

qu'établissent les acteurs du communautaire entre eux et avec les personnes qui bénéficient

de leurs interventions ne sont-elles pas un désir de rétablir la confiance en l'autre ?

L'alliance du jumelage n'est-elle pas la démonstration de la confiance en l'autre en tant

qu'humain et en la collectivité en tant qu'unité de sens ? La confiance est la pierre d'assise

de la relation partenariale, elle est le premier jalon de cette construction sociale.

En fait, la confiance est un processus dynamique qui se traduit par une forme d'abandon

d'une certaine autonomie, une attribution d'un certain pouvoir en échange d'une garantie

d'une qualité d'être ou d'action : la reconnaissance. « La confiance est donc une relation

d'échange régie par une norme de réciprocité » (Karpik, 1996:528) ancrée dans l'historicité

et liée au temps. Elle s'enracine dans un présent co-construit, se nourrit d'un passé lointain

et de la mémoire réactivée lors de chaque expérience « à travers les grilles de lecture des

représentations » (Servet, 1994:46). La confiance, tout comme le don, ce non-dit du

partenariat « n'est pas étrangère au savoir, mais dans un au-delà de la connaissance, elle

s'enracine dans une représentation particulière du monde » (Karpik, 1996:529) :

l'intangible.

Mais parce que donner sa confiance à autrui n'est pas sans risque, « de se tromper ou d'être

trompé » (Karpik, 1996), que exit (défection) peut toujours être préférée à voice (prise de

parole), les acteurs voudront avoir un minimum d'assurance et chercheront les signes qui

permettront de les réconforter dans leur choix.

Ainsi, la foi en l'autre ne suffit pas à elle seule à assurer le maintien de la confiance : que

celle-ci soit entre supérieurs et subordonnés (confiance verticale) ou entre individus ayant

des statuts égaux (confiance horizontale) (Servet, 1994). Les acteurs impliqués dans une

relation auront donc recours à ce que Karpik (1996) nomme des délégués de jugement (de

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connaissance) et de promesse, ce que Servet (1994) nomme des éléments de validation ou

de preuve de la parole donnée. Si ceux-ci ne suffisent pas ou ne donnent pas les résultats

escomptés, on aura recours à des mécanismes de coordination plus classiques : l'autorité

(hiérarchie) et le prix (libre marché ou concurrence) Neuville, 1997).

En fait, de rappeler Servet, analyste du jeu social et Karpik analyste du jeu économique, si

la confiance est au départ un acte de foi, l'acteur a besoin de manifestations qui lui

donneront raison de croire en l'autre, entre autres, celle du don.

3.1.4.2. Le don

Pourquoi donne-t-on ? – « Pour faire partie d'un monde où les choses circulent et nous

reviennent et où on veut en être » –, telle semble être la réponse la plus courante (Godbout,

1995:47). Ainsi le don serait au service d'un lien social (Godbout, 1992, Petitat, 1995,

Ferrand-Bechmann, 1992) d'un vouloir être-ensemble. Il est le lien communautaire, il

exprime le désir d'avoir une place indéterminée dans l'univers, ce qui, croyons-nous, rejoint

la théorie de la complexité (Morin, 1990) l'individu veut être une partie du tout, en même

temps qu'intégrer le tout en soi.

Le don réciproque va de pair avec l'indétermination, les modalités et l'ampleur du retour : il

implique confiance et foi. Le don n'est pas gratuit, écrit Mary Douglas (1989, cité dans

Godbout, 1992), il sert à nouer des relations sociales parce qu'une relation sans espoir de

retour n'en serait pas une. Le don en fait ne serait pas un don absolu. Il y aurait toujours

implicitement la réciprocité, une « réciprocité restreinte dyade symétrique ou généralisée

ouverte, en chaîne sous la forme de transmission » (Godbout, 1992 :135), une réciprocité

située dans le temps.

Parce que le don est porteur d'identité, « le don conserve les traces des relations antérieures

au-delà de la transaction immédiate, il en a la mémoire » (Godbout, 1992:241). Il porte

aussi en lui le secret, l'implicite, le non-dit, l'ambigüité. C'est pourquoi l'analyse du contexte

de la relation, de l'espace imaginaire de l'échange de l'anthropologue-sémioticien Petitat

(1995) est si importante. A notre connaissance, il n'existe pas semblable analyse qui ait

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tenté de définir le cadre normatif de l'échange, ses axes de référence, ses règles du jeu. Les

acteurs du don créent leur propre histoire dans le geste du don et ils le font dans un espace

relationnel normatif, l'espace normatif de leurs échanges (Petitat, 1995). De plus, le don se

situe dans un « utopos », un espace imaginaire un lieu nouveau a-historique, relationnel et

identitaire. Prendre en considération l'espace normatif des échanges, c'est considérer les

rôles des acteurs, les attitudes et les contextes du don. Parmi les axes de référence, l'axe

détermination/indétermination est, souligne Petitat, l'un des plus importants. » Le don

réciproque va avec une indétermination de la nature, de l'ampleur et des modalités du retour

» (Petitat, 1995:35). Et dans l'espace du jeu de l'échange, il ne faut pas oublier que l'objet-

usage, l'objet-valeur qui est l'enjeu du don est aussi « un objet-signe parmi d'autres objets-

signes », un objet-synthèse combinant des "substances" tangibles et invisibles (biens,

influence, etc) et des styles d'échange tels le degré de gratuité et d'intérêt, de liberté et

d'obligation... » (Petitat, 1995 :17).

Au risque de nous voir accuser, par Godbout, d'être utilitariste, « de ne voir qu'intérêt dans

le don », nous croyons qu'il est essentiel de ne pas minimiser cet aspect de l'engagement.

Réfléchir sur le don, c'est d'abord se poser la question sur les motivations qu'ont les acteurs

à entrer dans l'espace du don, sur les rôles qu'ils y tiendront, mais c'est aussi se demander

quels seront les bénéfices qu'ils en retireront, ce qu'ils gagneront ou perdront (ou auront

l'impression de gagner ou de perdre) en tant qu'individus (groupe et société) dans l'échange.

Car même si on célèbre « les plaisirs du don et non plus les sacrifices » comme le rapporte

Godbout (1990) il y a un enjeu et un risque dans l'échange.

En effet, si le don appelle un contre-don, il peut aussi y avoir absence de contre-don. Car si

l'individu a une responsabilité du lien, cette responsabilité libérée de toute contrainte peut

être dépassée au profit de l'exit (Hirschman, 1977). Cette notion empruntée au système du

marché signifie que chacun est libre de poursuivre ou d'arrêter la relation d'échange, de

quitter le cercle de l'échange lorsque la nature de l'échange ne lui satisfait pas, selon les

termes du contrat (marchand ou moral dans le cas qui nous préoccupe) ou (de l'absence de

contrat). Si Godbout dans son Essai sur le don le mentionne, il n'insiste peut-être pas assez

sur cette question tout comme il ne parle pas suffisamment, comme le mentionne

Schwimmer (1995) du don pouvoir/soumission, du don asymétrique. Nous croyons qu'il est

particulièrement important dans la relation de jumelage de parler de la notion d'exit et de la

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relation asymétrique, parce que l'exit pourrait provoquer le ressentiment envers non pas

seulement un individu, mais aussi envers tout un groupe social, parce que la relation

asymétrique pourrait confirmer le sentiment de supériorité, entre autres celui du membre de

la société d'accueil ou conforter le sentiment d'ethnocentrisme.

Les disciples de Mauss voient dans le don une alternative à la centralisation-redistribution

opérée par l'État et la dépersonnalisation-aliénation du marché (Petitat, 1995 :21). Cette

position, contestée par les anthropologues Schwimmer (1995) de même que par Cellier

(1995) et questionnée par nous-mêmes, met en opposition/disjonction le mouvement de

l'âme vers autrui et la gestion rationnelle des ressources disponibles, l'échange/don et

l'échange/marchand comme si nous assistions à une répartition irrévocable, une pure

atomisation. Plus intéressante est cette conception des maussiens qui considèrent qu'alors

que l'État a vis-à-vis de l'individu une responsabilité informelle définie en termes de droits

et d'égalité, dans le don, chaque individu aurait une responsabilité du lien avec l'autre, où

chacun se reconnaîtrait en tant qu'unique : c'est le contrat moral et le contrat social. Les

différences personnelles contribueraient au dynamisme du système du don contrairement à

l'État qui est embarrassé par elles.

Façon particulière aussi de se situer dans le cycle relationnel de l'univers, où les enfants

rendent leurs parents grands-parents, où selon les termes de Lewis Hyde (1983 cité dans

Godbout, 1992) tout don tend à retourner à son lieu d'origine (original homeland). Le don

est un système ouvert, un système de relations sociales, un mouvement social perpétuel,

constitué de « rythmes, d'alternances qui lui procurent les conditions nécessaires à son

maintien » (Godbout, 1992:267)

Par ce mouvement perpétuel, le don exige un déséquilibre, une non-équivalence (Godbout

1992, 1995, Petitat 1995; Lacan, 1975) « l'équilibre du don est dans la tension de la dette

réciproque » (Godbout, 1992:300). On reçoit plus que ce qu'on a donné, on donne plus que

ce qu'on a reçu. On peut alors se demander si le don ne serait pas qu'une histoire de manque

ou de surplus ? Une occasion d'aller chercher ce qu'on n'a pas, en donnant ce qu'on n'a pas,

ce qu'on voudrait avoir. Le bénévolat en tant que don moderne entre étrangers, où le « don

tend à ce que l'inconnu soit le moins étranger possible » (Godbout:1992, 141) posséderait

aussi cette tension de la dette. On peut se demander alors pourquoi certaines personnes dans

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cette société de libre-échange, du donnant-donnant, où l'on ne veut rien devoir à personne

s'engagent dans une relation de don où il y a espoir de retour donc une certaine obligation,

qui se situe dans le temps, à rendre plus que ce qu'on nous a donné. On doit réfléchir aussi

sur cette notion de dette, quelle est la dette de celui qui est aidé dans ses premières

démarches d'intégration, quelle est celle de l'individu qui l'aide à évoluer dans ce processus,

quelle sera celle de la société d'accueil ? La dette est-elle liée à une certaine forme de

respect de l’engagement ?

3.1.4.3. L'engagement

Revenons aux motivations du désir de l'être-ensemble ? Pourquoi l'acteur se lie-t-il,

pourquoi coopère-t-il ? Ou qu'est-ce qui fait en sorte qu'un acteur initie le jeu coopératif ?

Et qu'est-ce qui fait que l'autre y répond ? Pourquoi échanger alors qu'on préfère recevoir

sans donner ? Pourquoi donner si on ne reçoit rien ? (Cordonnier, 1994). Nous sommes

tentée de répondre tout comme Pagé (1995) parce que le lien social de la coopération fait

référence à l'importance de la responsabilité individuelle, au sens de l'initiative de

l'engagement, de l'être doté d'autonomie, être qui est conscient de son historicité.

Mais comme nous l'avons mentionné, coopérer avec l'autre contient une part d'indéterminé

et une part de risque. Il y a la possibilité du non-retour ou de la défection. Ainsi, comme le

souligne Cordonnier (1994), l'acteur doit prendre « l'initiative d'une perte », ce principe de

l'échange marchand. Et pourquoi prendre l'initiative d'une perte ? Ici nous nous approprions

la réflexion de Cordonnier (1994:110-111): parce que « l'action humaine est au plan des

motivations la seule manière de se révéler aux autres » ainsi « invoquer le lien social c'est

admettre que l'on agit pour les autres » . Donc, on donne non pas pour recevoir, mais « pour

que l'autre donne » (Lefort 1951, cité dans Cordonnier, 1994). On agit pour que l'autre à

son tour agisse, qu'il agisse en retour. On prend l'initiative d'une perte, on risque pour que le

lien se crée et se perpétue. « On coopère pour que l'autre coopère » (Cordonnier, 1994).

Goffman, se référant à Shelling et à sa théorie des jeux, nomme engagement « la posture

qu'adopte un individu lorsqu'il tente sa chance et, partant, court aussitôt des risques de

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perte. » Tout en admettant qu'il y a dans l'engagement une part de risque, nous croyons que

l'engagement présuppose une prise de conscience et une acceptation de cette prise de

risque, qu'il nous faille donc parler de risque assumé. Les relations partenariales permettent

le partage de risques, mais pour ce faire elles demandent l'engagement mutuel des

partenaires (Gherzouli, 1997).

Dans l'engagement, il y a, comme le mentionne Jean Ladrière (1967 :3), deux aspects : la

conduite et l'acte. La conduite d'engagement est une posture par laquelle « on assume

pleinement une situation donnée, dans laquelle on accepte de prendre ses responsabilités. »

face à un état des choses, une situation qui contient une part d'indéterminé. La conduite

d'engagement nous amène à poser des actes, actes qui nous inscriront dans le cours des

choses où d'autres actes sont posés : nous entrons dans l'écologie de l'action, dans

l'imprévu. Comme le souligne Ladrière, « l'action ne prendra sa véritable dimension que si

elle comporte une certaine continuité. »

L'acte d'engagement ou « l'engagement-acte » est une décision où l'individu « se met en jeu

lui-même » (1967:4). Par cette mise en situation, l'individu lie son avenir et celui des

autres. L'engagement-acte devient promesse en même temps qu'il s'inscrit dans le présent.

Mais un des risques de l'engagement est de ne plus pouvoir recourir à exit parce que la perte

de l'investissement est plus importante que l'alternative qui s'offre. D'où la tension continue

au sein de l'espace social de la coopération (ou de tout autre espace social) entre la

poursuite de l'intérêt individuel (l'indépendance) et l'élargissement des intérêts communs

(l'interdépendance) et l'importance que revêt la capacité de chacun à dialoguer, à occuper

un espace intermédiaire. Et la capacité de chacun à dialoguer repose sur le pouvoir de

négociation.

3.1.4.4. La négociation

Comme le souligne Amselm Strauss, sociologue interactionniste, la négociation est à la fois

un moyen que les acteurs utiliseront pour obtenir quelque chose et un processus complexe

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où des visions se confrontent, des représentations se manifestent. Un processus au cours

duquel les acteurs déploieront des stratégies adaptées et particulières dans le but de réaliser

au plus près leurs désirs projetés. Mais avant tout, la négociation est un « acte de

reconnaissance » (Borzeix, 1987). Acte de reconnaissance parce que, comme le souligne A.

Borzeix, par elle, on reconnaît à l'individu le « droit d'être considéré comme partie

prenante, partenaire à part entière pour les affaires le concernant. » Accepter qu'un individu

participe au processus de négociation c'est donc lui reconnaître une qualité, celle de la

responsabilité individuelle, et un attribut, celui du « sens de l'initiative » : le « lien social de

coopération » (Pagé, 1995) est celui d'individus individualisés.

Le lien social implique une coexistence, le lien social de coopération indique une volonté

des acteurs de « dégager des interstices, des marges à l'intérieur desquels la coexistence est

possible » (Cohen-Emerique, 1993). Le processus de la négociation reposera, comme le

rappelle Cohen-Emerique, sur l'élaboration de compromis où chacun se reconnaît « en

tolérant l'autre » ou en « créant de nouveaux modèles. » Ce qui est important donc dans la

négociation, et en cela nous reprenons les propos de Enriquez, c'est le processus en lui-

même, c'est le moment de la négociation, « le moment où des acteurs sociaux sont en

situation d'apprentissage, d'expérience, de découverte de soi » (Enriquez, 1997) et de

l'autre. C'est aussi souligne Enriquez, « ce qui s'est passé et qui laisse des traces

indélébiles».

Lorsqu'on parle de processus, il faut aussi parler de dynamique. Le processus de la

négociation est animé par la diversité des points de vue des acteurs impliqués, ce qui

signifie de possibles conflits, de probables oppositions, qui eux-mêmes sont influencés par

le contexte immédiat dans lequel se déroule la négociation, ce que Strauss nomme le

contexte de négociation, et par le contexte structurel influençant le contexte de la

négociation (Strauss, 1992). Deux jumelés négocient l'observation de certaines normes

comportementales et le point de convergence devra tenir compte de la représentation que

s'en fait l'immigrant, de la représentation que s'en fait le Québécois, mais aussi du contexte

social où s'inscrit l'observation de la dite norme. Des intervenantes négocient une certaine

autonomie d'intervention, le contexte de la négociation est influencé par la représentation

du pouvoir, par le contexte organisationnel, mais aussi structurel et politique.

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La capacité à dialoguer rappelle Pagé (1995), « à coconstruire avec d'autres un

aménagement social » est, souligne Enriquez, « un moment essentiel de notre vie sociale. »

La capacité de négociation que ce soit dans la relation du jumelage proprement dite ou dans

l'intervention sociale du jumelage est liée au processus d'adaptation, c'est-à-dire, comme

nous l'avons mentionné, inspirée par Ferrié et Boëtsch (1993:243), aux possibilités et à la

capacité qu'a un individu de se mouvoir à travers des codes différents et d'investir entre eux

des formules de connexion satisfaisantes.

3.1.4.5. L'adaptation mutuelle

Pouvoir se mouvoir à travers des codes différents exige de l'individu « une tolérance à

l'ambiguïté » (Taft, 1981) à l'incertitude, à l'imprévisible.

La rupture avec le bien-être de la certitude de ses propres référents culturels, « l'inconscient

collectif », serait prévisible parce que lorsque deux individus, deux groupes, se référant

chacun à sa manière à deux systèmes culturels différents, entrent en communication, se

manifeste d'abord la confrontation entre deux manières d'imaginer la réalité, de la

construire (Doutreloux, 1991, Lipiansky, 1989, Guilbert, 1994, Cohen-Emerique, 1994).

Cette manière d'imaginer la réalité prend ses assises dans les références du passé, du

présent et les projections dans l'avenir. Voilà pourquoi tout désir de changement, de

déplacement fait cohabiter l'espoir, sentiment associé à un meilleur futur, avec la crainte,

sentiment lié aux expériences passées. La dialectique de ces deux sentiments se retrouve

dans la notion de l'altérité, qui implique à son tour les dimensions d'ouverture, de fermeture,

du connu et de l'inconnu, du familier et de l'étranger, de la continuité et de la rupture.

Lipiansky (1989:152), lorsqu'il parle de la rencontre interculturelle dans laquelle s'engage

l'émigré québécois, la décrit comme une tension entre « une démarche d'ouverture, un désir

de contact avec des personnes ayant une autre identité et d'autre part un sentiment

d'insécurité dû à la confrontation avec cette identité différente. » Mango (1988:14) parle

d'une double tension sollicitée par la vie d'exil : « celle qui appelle et désire du côté du

natal, de l'intime, du familier, de la source, et celle qui appelle et désire du côté de

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l'étranger, de l'inconnu, de l'universel, de la dispersion. » Cette dialectique de l'ici et de

l'ailleurs qui porte les individus au-delà des frontières de leur propre système culturel crée

une situation de déséquilibre, il y a alors fragilisation des repères et des référents habituels.

L'identité de lieu, cette liaison imaginaire à l'espace, créée consciemment ou non, qui fait de

certains lieux des ancrages psychologiques, qui insuffle à l'individu le sentiment

d'enracinement (Munoz, 1994), cette identité est compromise. Alors, il y a risque de repli

sur ce territoire connu, l'espace lié au milieu d'origine, et c'est la représentation de cet

espace qui entre en jeu. Dans ces moments de crise identitaire, l'espace nouveau du

partenariat, de la rencontre avec l'autre devient un non-lieu, un lieu privé de sens (Augé,

1992). C’est ainsi que « la naissance à une redéfinition de son identité s'accompagne d'un

deuil nécessaire » (Guilbert, 1996:83). Le deuil est une dimension intrinsèque de

l'expérience de l'immigration, encore plus marquée chez celui qui ne peut envisager un

possible retour. Mais le deuil est une étape à laquelle seront confrontés aussi les membres

de la société d'accueil. Le deuil est l'acceptation du changement : changement de la

composition ethnique et culturelle, la re-définition de qui nous sommes, le deuil de l'entre-

nous. « Une opération clé de l'adaptation mutuelle, (...) qui est un travail d'harmonisation

entre les attentes de chacun et celles de la société (...) réside dans ce travail de deuil »

(Guilbert, 1995:83, 1996:83). Ce travail d'harmonisation se retrouve aussi dans la notion de

citoyenneté.

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3.2. Le jumelage

3.2.1. Similitudes et différences entre le mentorat et le jumelage

Le jumelage possède des similitudes avec le mentorat, le jumelé avec le mentor : quelles

sont-elles ? Nous présentons certaines qualités attribuées au mentorat et au mentor par

Renée Houde, professeure en communications puis nous préciserons ce qui différencie le

jumelage du mentorat.

La relation de mentorat, selon Houde (1992), s'inscrit dans un cadre d'apprentissage et se

déroulera dans des contextes académique, professionnel ou organisationnel. Les objectifs

d'apprentissage et les mécanismes d'évaluation sont fixés dès le début de la relation jusqu'à

terme. Le mentorat a comme finalité l'intégration chez le protégé ou l'apprenti de nouvelles

compétences et du même coup son autonomie. La relation de mentorat est une relation

circonscrite dans le temps. Si la relation est au départ de type complémentaire et

asymétrique, celle-ci doit évoluer vers un rapport symétrique, indicateur de la réussite du

mentorat et annonciateur de la fin de la relation.

La relation de mentorat favorise une identification entre les deux personnes, ce qui

développe chez l'apprenti un sentiment d'appartenance au groupe de référence auquel le

mentor appartient et dans lequel l'apprenti s'introduit progressivement. Ce rapport

d'identification comporte le plus souvent une composante affective qui, selon Houde, fait

de la relation de mentorat « l'une des relations les plus importantes, les plus significatives et

les plus complexes de la vie humaine » (idem:25). Il faut mentionner cependant que cette

composante affective se réalise dans le cadre structurant d'une distance professionnelle et

que la relation doit se libérer de l'aspect « fusionnel » du début de la relation, dans le cas

contraire cela signifierait l'échec de la relation de mentorat.

Le mentorat est une relation de réalité, relation au cours de la quelle il y a « des transactions

réelles entre les deux personnes en cause » (Houde, 1995:26). Des échanges de

connaissances, de représentation et d'attention ont lieu, que ce soit dans le domaine

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interpersonnel ou professionnel. Le mentor, d'une certaine manière, tient un rôle de passeur:

il transmet des connaissances, des savoir, des normes et des modèles de comportement

attendus par le groupe (corporation ou autre).

La relation de jumelage présente certaines caractéristiques similaires à la relation de

mentorat, mais s'en éloigne sur plusieurs points. Elle a aussi un commencement, un

déroulement et une fin quoique, et malgré le terme d'un an inscrit dans les programmes de

jumelage, la durée de la relation fluctue beaucoup d'un couple de jumelés à l'autre, selon

plusieurs facteurs circonstanciels et d'affinité. La relation de jumelage comporte une

dimension d'apprentissage dans la poursuite de son objectif d'aider le nouvel arrivant à

progresser rapidement dans son insertion sociale et son adaptation à la société québécoise.

En ce sens, la relation de jumelage est aussi asymétrique et se départit difficilement de cette

caractéristique.

Par ailleurs, les contours de cette relation asymétrique sont moins précis que dans la

relation de mentorat. Les objectifs d'apprentissage sont le plus souvent non exprimés

verbalement ni toujours clairement pensés dans la conscience des deux jumelés: en

conséquence la notion d'évaluation des apprentissages est quasi absente sinon absente de la

relation de jumelage. La perspective de développer une relation d'amitié permet d'aspirer à

la construction d'une relation symétrique dans laquelle des échanges de réciprocité

s'établiraient. Toutefois la relation inégale et complémentaire du mentor et de l'apprenti

peut perdurer sous la figure de l'ami, et si parfois, la transformation d'un type de rapport à

un autre se fait positivement, un certain nombre de cas de figures présentent une relation à

la fois complémentaire et fusionnelle qui s'apparente au modèle mère-enfant. Le jumelé

accueillant tient aussi un rôle de passeur : il ouvre l'accès à la connaissance et à la

compréhension des valeurs, des normes culturelles, des modes de comportement de la

société d'accueil. Nous précisons que dans le cas du jumelage, l'immigrant peut aussi jouer

le rôle de passeur pour l'émigré québécois en lui révélant des choses sur lui-même ou sur sa

société.

La notion de passeur retient notre attention pour comprendre le rôle de « partenaire

transitionnel » (Houde, 1995:27) que tient le jumelé accueillant auprès du jumelé accueilli.

En effet, le jumelé accueillant est une figure de transition : d'une part parce que le jumelage

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se situe à un moment de transition dans la vie de l'immigrant, dans les premiers mois ou

années de son installation dans son pays d'adoption et, d'autre part parce que le jumelage est

une relation passagère qui répond à des besoins spécifiques à un moment précis dans le

parcours de vie et dans le processus d'intégration et d'adaptation à un nouvel

environnement.

La relation de jumelage est donc une rencontre interpersonnelle, produite et reproduite qui

s'échelonne dans le temps de façon non déterminée, et se transforme. Une interrelation qui

procure l'occasion d'échanger et de découvrir l'autre dans l'espace relationnel informel.

3.2.2. Le jumelage, « l'utopos » de la rencontre

L' immigrant qui a quitté un lieu spatial lointain, sa mère patrie et qui a imaginé une terre

d'accueil, le Québec, est jumelé à un Québécois qui quitte momentanément l'espace de sa

routine, son banal, parce qu'il a imaginé un ailleurs. L'intervenante sociale, responsable du

programme jumelage, confrontée aux attentes de l'un et de l'autre, s'interpose pour que la

rencontre ait lieu dans un espace interculturel. Dans cet espace relationnel, dans cet espace

de créativité cohabitent la notion de deuil, de rupture, de discontinuité avec la notion de

renouveau, de découverte, de continuité. Un lieu où il y a équilibre et déséquilibre. Parce

que le geste vers l'autre est libre et incomplet, le poser c'est accepter un risque, c'est définir

ce risque comme condition préalable à tout lien social, c'est entrer dans l'écologie de

l'action. Edgar Morin précise que celle-ci est un univers d'interactions et que « le sens que

l'action prend peut être contraire à l'intention initiale » (Morin, 1990:107). Le jumelage

procède d'un désir d'instaurer une rencontre entre un citoyen accueillant et un immigrant

accueilli afin que se développe une interaction qui se transformera en relation. La rencontre

avec l'autre est susceptible de provoquer une modification profonde dans la vision du

monde de l'individu, c'est ce que nous nommons « l'utopos », le lieu à venir.

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3.2.3. Le contexte de la relation interculturelle : les concepts d'interactionet de choc culturel

La relation de jumelage est une relation interpersonnelle, interculturelle et sociale, où il y a

interaction entre deux individus porteurs de différentes cultures et ayant des parcours de vie

en certains points différents, en certains autres points semblables. Au cours de cette

interaction les individus se donnent mutuellement un sens (Guilbert, 1993; Cohen-

Émerique, 1993; Abdallah-Pretceille, 1983). Selon Marc et Picard (1989:15) « toute

rencontre suppose des interactants socialement situés et caractérisés et se déroule dans un

contexte social qui imprime sur elle sa marque en lui apportant un ensemble de codes, de

normes et de modèles qui à la fois rendent la communication possible et en assurent la

régulation. » Toutefois dans la relation de jumelage, la rencontre avec l'autre, porteur de

références à un autre système socioculturel, est susceptible de provoquer une modification

profonde dans la vision du monde de l'individu, dans son rapport aux valeurs de la culture

d'origine. Elle est susceptible de faire naître des bouleversements, des remises en question.

Après avoir été les premiers à étudier le phénomène de la marginalisation des groupes

ethniques, notamment avec l'École de Chicago, les chercheurs américains ont introduit le

concept de choc culturel. L'anthropologue Oberg (1960) fut le premier à l'utiliser. Il attribue

le choc culturel à l'angoisse provoquée par le sentiment de perdre tous les signes et les

symboles qui nous sont familiers dans le cadre des relations sociales. Ces signes et

symboles font partie des multiples comportements et attitudes que nous adoptons dans la

vie quotidienne (cité dans Furnham, Bochner, 1986:48). Ce concept est repris aujourd'hui

dans maintes études sur la relation interculturelle. On parle alors de « déséquilibres », de «

rupture causée par la conscience des différences, des caractéristiques de soi et de l'autre,

génératrice de distance culturelle » (Guilbert, 1990:17; Apfelbaum, Vasquez 1983:85), de

réaction d'impuissance devant notre incapacité à contrôler ou à prédire le comportement de

l'autre (Bock 1970, cité dans Bochner 1986:51). Ce sentiment de ne pas pouvoir déchiffrer

le langage de l'autre que ce soit au niveau de son espace, de son temps, de ses codes

sociaux et de ses rituels (Hall, 1986) provoque « une réaction de dépaysement, de

frustrations, de rejet, de révolte et d'anxiété. Cette situation émotionnelle et intellectuelle

apparaît chez les personnes qui, placées par occasion ou profession hors de leur contexte

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socioculturel, se trouvent engagées dans l'approche de l'étranger » (Cohen-Émerique, 1985

cité dans Hohl, Cohen-Emerique, 1999:107).

Mais dans l'espace de la rencontre et comme le soulignent Janine Hohl et Margalit Cohen-

Émerique, suite à l'analyse approfondie de chocs culturels racontés par les professionnels et

« travaillés avec eux », le choc culturel peut aller au-delà d'une confrontation culturelle et

toucher le cœur de l'identité. Ainsi, reprennent-elles l'hypothèse de Zaharna (1989) voulant

que le choc culturel se transforme dans ces situations, en un « self shock », c'est-à-dire en

un choc identitaire.

L'étude de psychologie appliquée de Bochner (1986) sur le choc culturel qu'éprouvent

différentes catégories d'immigrants présente une typologie des variables qui peuvent

influencer le contexte du contact interculturel : les motivations du contact, la durée, le type

d'engagement et les conséquences du contact sur le groupe et sur l'individu. Cette étude,

comme certaines autres le feront par la suite (Doutreloux, 1991, 1993; Lipiansky, 1989;

Guilbert, 1993, 1994, Abou, 1986; Laperrière, 1993), a le mérite d'insister sur le fait que le

contact interculturel procède d'une interaction qui a un impact sur les deux individus ou

groupes mis en présence. Ainsi le contact entre deux personnes fait naître des

transformations qui sont en fait des adaptations à un contexte nouveau, ce processus de

transformation du rapport que l'individu entretient face à certaines valeurs de la culture

d'origine, Guilbert le qualifie de « transform culturel » (1993:117). Ce concept de «

transform culturel » trouve ses racines, même s'il s'en distingue par l'investissement

axiologique du sujet (Dumont, 1991, Greimas, 1983, cité dans Guilbert, 1995), dans les

travaux de Werner et d'Espagne (1988) sur les transferts culturels franco-allemands, dans

les travaux sur les Transferts, adaptations et emprunts culturels en Nouvelle-France de

l'historien Jacques Mathieu, de même que dans les notions de désorganisation et de

réorganisation que les sociologues Park (1921) et Frazier (1932) de l'École de Chicago

associent aux définitions de l'adaptation et de l'assimilation. Ce concept s'inscrit dans un

nouveau champ de recherche, celui du rapport que l'individu entretient avec les systèmes de

référence culturelle de son groupe d'origine et d'un groupe autre, de leur interaction et du

processus qui y est lié : l'acculturation (acquisition de nouveaux traits culturels).

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En effet, dans nombreux domaines des sciences humaines et sociales, on constate une

émergence de la notion d'interaction dans les réflexions épistémologiques et empiriques : le

rapport entre le soi (objet, sujet) et la culture, de même que le rapport entre le soi (objet,

sujet) et l'autre (objet, sujet) et sa culture, est actuellement un thème important de la

réflexion scientifique.

Clanet (1990:21) apporte des éléments de réflexion épistémologique sur la notion

d'interculturel : il introduit les notions de « réciprocité dans les échanges et de complexité

dans les relations entre cultures » alors que le sociologue Selim Abou parle des problèmes

de l'acculturation.

En France, les travaux de quelques ethnopsychologues et sociologues des écoles de pensée

structuraliste abordent la notion de rencontre « où la communication y est médiatisée par

les représentations que les cultures se font les unes des autres » (Lipiansky, Ladmiral,

1989). On aborde la dialectique du je (identité) et de l'autre (altérité) et la problématique de la

réciprocité, du « comment instituer du commun dans l'altérité » (Camilleri 1989:363). Dans un

même courant d'idées, Taboada-Leonetti, Malewska-Peyre et Camilleri (1990) insistent sur

la mise en présence de modèles culturels différents qui provoquent des stratégies

identitaires. Ces stratégies identiraires sont, selon les termes de Malewska-Peyre

(1989:326) « l'ensemble d'opérations conscientes et insconscientes ayant pour but la

valorisation ou la revalorisation de soi. » Par ailleurs, Cohen-Émerique situe le contact

culturel dans un modèle intégratif des modèles de société « collectivisme et individualisme

» producteurs de filtres, d'écrans au niveau du système de représentations notamment dans

le milieu de travail du travailleur social. Car la forme que prendra l'échange dans la

rencontre interculturelle sera influencée par l'intentionnalité individuelle, oui, mais aussi

par l'agir collectif. La question sera d'identifier quels sont les objectifs individuels, quels

sont les objectifs communs ?

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3.2.4. Le jumelage, le réseau, et la culture organisationnelle

Comme nous l'avons mentionné, la relation de jumelage est à la fois insérée dans un réseau

formel et informel de relations sociales. La notion de réseau social est pertinente si on veut

étudier l'impact qu'a la relation de jumelage entre nouveaux arrivants et membres de la

société d'accueil sur l'ensemble de la société. Car la relation de jumelage, si elle peut se

passer entre deux individus, peut aussi exister entre un individu et une famille, entre deux

familles. Par ailleurs, ceux-ci sont en relation avec d'autres membres de la société, en en ce

sens, la relation de jumelage est un système de relations sociales, un système ouvert.

La notion de non officialisation, de non-institutionnalisation et de non-hiérarchisation

oppose le réseau à l'appareil, à l'organisation. Le réseau fait référence à la sociabilisation, à

l'axe horizontal, à l'égalité, aux solidarités de base, alors que l'appareil fait référence à la

sociétation, à l'axe vertical, au pouvoir décisionnel (Lemieux, 1986). Si l'on adopte la

définition que donne Lemieux à la notion de réseau d'acteurs sociaux, le Réseau jumelage

interculturel serait un réseau intégral en ce qu'il est fait de liens d'identification entre les

intervenantes, liens serrés ou mi-serrés (forts ou faibles en intensité émotionnels). Au sein

de ce réseau intégral il y a une connexion directe ou indirecte de chacun des participants à

chacun des autres, ce qui permet la mise en commun des ressources dans le milieu interne

(Lemieux, 2000: 18).

Si l'on peut considérer qu'il existe un mini réseau, une triade, entre l'intervenante et la paire

de jumelés, et si l'intervenante peut élargir le capital social d'un jumelé en le présentant à

d'autres jumelés ou à d'autres acteurs sociaux, qu'en est-il des alliances entre les jumelés ?

Le jumelage est-il l'amorce d'un nouveau paradigme social, un réseau entre les nouveaux

arrivants et membres de la société d'accueil ? Dans tous les réseaux (d'acteurs) sociaux,

mentionne Lemieux, « il y a reconnaissance des liens et des appartenances et mise en

commun de cette reconnaissance » (2000: 21). Pour qu'il y ait réseau entre des acteurs

sociaux, en l'occurrence entre les jumelés, il faut que l'on y retrouve ces trois dimensions : «

la dimension de l'appartenance qui réfère aux liens d'identification, de différenciation ou

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d'indifférence, celle de l'appropriation qui renvoie aux transactions et enfin celle de la

gouverne, du contrôle qu'exercent les acteurs les uns sur les autres » (Lemieux, 1999: 1).

Dans l'espace du jeu de l'échange, nous avons signalé, en nous référant à Petitat (1995 :17),

qu'il ne faut pas oublier que l'objet-usage, l'objet-valeur est aussi « un objet-signe », un

objet-synthèse combinant des « substances » tangibles et invisibles (biens, influence, etc)

et des styles d'échange tels le degré de gratuité et d'intérêt, de liberté et d'obligation.

Un réseau existe-t-il entre les jumelés et si oui de quel type de réseau s'agit-il ? Selon les

catégories de Lemieux (1976) un réseau peut-être intra-systémique (tel le jumelage, groupe

informel au sein d'un appareil, l'organisme communautaire) inter-systémique (un jumelage

peut être en relation avec un autre jumelage) trans-systémique (les processus de négociation

qu'il y a dans le jumelage seraient appliqués dans d'autres types de relation, d'autres

contextes) et para-systémique.

Le jumelage en tant qu'aide à l'intégration et rapprochement interculturel correspondrait,

selon la catégorie établie par Lemieux, à un réseau de communication, de partage

d'informations, d'affinités et de soutien. Alors que dans le réseau de communication et de

partage d'informations, ce sont les liens faibles en intensité émotionnelle qui font que la

circulation des ressources a lieu; dans le cas des réseaux de soutien, ce sont les liens basés

sur une forte intensité qui permettent l'élargissement des solidarités de base. En effet, dans

les réseaux de soutien, il peut y avoir un échange restreint entre deux personnes, l'échange

restreint est propre à la majorité des jumelages interculturels et, des échanges généralisés où

existe un fort degré de confiance à l'endroit de tous les acteurs concernés (Ekeh, 1974 cité

dans Lemieux 1999). Des liens d'identification serrés où il y a une importante mise en

commun permettent l'échange généralisé. Une importante mise en commun signifie selon

Granovetter (1973, cité dans Lemieux, 1999: 31) qu'il y ait du temps qui y soit consacré,

qu'il y ait de l'intensité émotionnelle, de l'intimité, des services réciproques. Degenne et

Forsé (1994 cité dans Lemieux, 1999: 31) ajoutent un cinquième trait : la multiplexité de la

relation qui se concrétise dans une pluralité des contenus de l'échange. Il nous semble

qu'une majorité de jumelages repose sur des liens mi-serrés, d'intensité moyenne, basés sur

la sympathie et l'échange de conseils et ont lieu dans un échange restreint, une dyade. Cela

pourrait expliquer que selon les résultats de l'étude, (Charbonneau, Dansereau, Vatz-

Laaroussi, 1999) l'objectif de la sensibilisation du milieu semble, a priori, le moins atteint.

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Enfin, le jumelage peut être fondé sur une troisième catégorie de liens, des liens lâches,

liens composés à la fois par des liens d'identification et de différenciation et où l'intensité

émotionnelle est faible. Dans ce cas, le jumelage ne durera pas.

Par ailleurs si la relation de jumelage évolue, comme nous l'avons déjà mentionné, à

l'intérieur d'un réseau informel, si elle est une relation interpersonnelle, elle s'insère en

premier lieu dans une organisation, « dans une action collective à la poursuite de la

réalisation d'une mission commune » (Mintzberg, 1990:14)41.

Le sentiment pour l'acteur social d'appartenir à une communauté, source de stimulation

importante dans l'engagement, dépend de la capacité qu'a l'organisme de croire en son

idéologie42, de la transmettre et de développer ainsi un « esprit de corps », un « sens de la

mission », afin d'intégrer les bénévoles et les nouveaux arrivants jumelés à l'organisation

pour produire une synergie qui est liée à ces trois facteurs : le sens de la mission, le temps,

l'établissement des traditions, le système de croyance (Mintzberg, 1990). Cette incapacité à

transmettre l'idéologie fait dire à une responsable de la Fédération des centres d'action

bénévole du Québec : « Ce qui échappe aux bénévoles c'est l'ampleur de la portée sociale

de leur engagement » (1986, cité dans Robichaud, 1994:168).

Quels sont les processus d'identification que mettent en place les organismes

communautaires qui offrent le programme de jumelage ? L'identification passe-t-elle de

façon indirecte par la sélection des membres ou par les soirées d'information où se

réunissent les membres du groupe d'accueil ou encore lors des rencontres sociales entre les

membres du groupe d'accueil et les jumelés nouveaux arrivants où l'on célèbre les fêtes

traditionnelles de la culture québécoise. Ces moments sont-ils une occasion de transmettre

l'idéologie du programme de jumelage à travers « les traditions, le temps, les histoires, les

41 Il ne s'agit pas ici de faire une revue de la littérature sur la théorie des organisations. Il s'agit plutôt

d'identifier les éléments qui contribueront (ou non) au sentiment d'appartenance des bénévoles à une

communauté. Nous nous référons à Henry Minztberg, Le management, 1990, parce que sa pensée est

complexe, parce qu'il propose une vision holiste de l'organisation, du management.

42 Nous nous référons à la définition de l'idéologie de Minztberg « l'idéologie est la signification d'un riche

système de valeurs et de croyances concernant une organisation et qui est partagé par tous ses membres et qui

la distingue ainsi de toutes les autres organisations” (1990: 322).

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mythes » (Minztberg, 1990) qui ont cours dans l'organisation du programme, dans

l'évolution des relations, dans leur insertion dans la société. Lors de ces soirées, est-il

possible de déterminer les forces progressistes et conservatrices, leurs complémentarités et

leurs conflits ?

Car si les jumelés d'accueil s'engagent dans une relation de jumelage pour des motivations

personnelles animées par des préoccupations égoïstes et altruistes, s'il est possible que tout

au long de leur engagement ils se fixeront des objectifs particuliers, leur engagement de

départ est basé sur un objectif commun qui est celui défini par l'organisme et par l'État :

l'aide à l'intégration des immigrants. La complexité du processus de l'intégration, si elle

implique la participation de chaque individu, si elle nécessite une certaine compréhension

individuelle du processus, demande aussi une acceptation collective des implications de ce

processus. Ces mobilisations collectives (selon Melucci, 1993:190) sont des espaces

nécessaires, des mécanismes de liaison, « où les liens deviennent explicites, où l'on permet

au réseau latent de faire surface et de s'agréger pour ensuite s'immerger à nouveau dans le

quotidien. » La tendance de plus en plus marquée des organismes communautaires vers la

bureaucratisation, la logique de l'efficacité où tout doit être quantifiable, alors que comme

le mentionne Minztberg « l'intégration, la croissance, la créativité dépendent en grande

partie de l'autre processus de pensée, en considérant les choses sous un aspect holistique à

partir d'une perspective de synthèse » (1990:500), peut-elle être un frein à l'élaboration et à

la transmission du sens de la mission ? Les conséquences envisageables seraient alors la «

perte des horizons » (Taylor, 1994), l'oubli de la portée sociale de l'engagement, le non-

sentiment d'appartenance à la communauté émancipée43, l'isolement, « le sentiment d'être

inutile parce que l'autre semble déjà tout savoir sur les mécanismes de la société d'accueil »

(bénévole, 1996).

43 La communauté émancipée est une des trois thèses de l'étude de Wellman et Leighton (1981). Cette thèse

affirme que les communautés continuent de prospérer dans la ville, mais qu'elles s'organisent rarement au sein

des quartiers (...). La communauté de voisinage n'est plus perçue comme un havre de sécurité et de soutien :

on ne fait plus appel aux institutions officielles pour tout résoudre. Il s'agit plutôt de mobiliser des réseaux,

d'en créer lorsqu'ils n'existent pas afin de fournir aux citadins des lieux où trouver assistance (cité dans

Gingras, 1991:44).

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3.2.5. L'intervention sociale du jumelage

Des théoriciens et praticiens du travail social définissent l'action du travailleur social

comme une inter-position qui se traduit en rôles d'intermédiaire, de conseiller, de

médiateur, de facilitateur, de protecteur (Bilodeau et all, 1993:26). Dans le cas de

l'intervention du jumelage, l'interposition de l'intervenante se fera plus particulièrement

entre l'immigrant et le membre de la société d'accueil participants au programme. Nous

disons particulièrement car l'intervenante aura à s'interposer aussi entre le demandeur-

immigrant et les autres membres de l'organisme communautaire, entre les agents du

ministère subventionnaire du programme et les demandeurs, entre les autres acteurs et

institutions de la société et les demandeurs. Car tout en ayant sa propre vision du

phénomène, ses propres motivations à faire le jumelage, l'intervenante se confronte aux

visions, attentes et motivations des acteurs impliqués dans la relation proprement dite. Elle

se confronte également aux structures et à la culture de l'organisation, aux contingences du

programme, à son histoire, au système politique, aux représentations que se font les

différents acteurs de la société du phénomène de l'immigration et des relations

communautaires. Ainsi peut-on « appréhender la complexité de l'action du travailleur social

au centre d'une pluralité d'univers, de perceptions, de valeurs, de contraintes mettant en

scène des acteurs et des institutions multiples » (Bachman et Simonin, 1982, cité dans

Bilodeau et all, 1993:27).

Nous définissons le jumelage comme une intervention sociale. Et nous nous inspirons de la

réflexion de Ricardo Zuniga dans L'évaluation dans l'action. Zuniga écrit : « l'intervention

sociale (et l'action collective) renvoie à cette action novatrice qui est le produit d'une

conscience et d'une volonté de plusieurs de comprendre et d'agir sur une réalité sociale et de

la considérer comme un objet à transformer » . C'est une conscience d'un possible souhaité :

la situation pourrait être autre, devrait être autre : il faut qu'elle change, et pour qu'elle

change, il faut faire quelque chose, et non pas n'importe quoi « mais ce qui pourrait le

mieux produire un résultat conforme au changement social » (1992:26).

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L'intervention dans le cadre du programme jumelage, est de rendre possible, par

l'élaboration et la mise en place de rituels, l'interaction entre trois acteurs sociaux

(intervenante, immigrant, membre de la société d'accueil) qui interagissent et s'influencent

mutuellement pour la réalisation d'un projet. Si le projet commun est la transformation d'un

état de non-relation à celui de relation (interpersonnelle) dans un but déterminé, qui de

façon officielle se veut être l'intégration de l'immigrant et le rapprochement interculturel,

chaque acteur a sa propre représentation de ce qu'elle doit être, a ses propres motivations

pour la faire être, et poursuit ses propres objectifs. De plus, l'action que l'intervenante

déclenche « confronte une réalité extérieure à son intention, produit des résultats imprévus,

ce qui exige une adaptation de sa part, une négociation, une transaction. S'ensuit un

apprentissage, qui est un changement, un enrichissement réciproque : les transformations

changent la réalité-objet tout en changeant l'intention-sujet » (Zuniga, 1992:27).

C'est ce que Edgar Morin nomme l'écologie de l'action, où l'effet de l'action ne peut être

prévisible pour le Sujet, en ce sens qu'elle le relie à un environnement qui ne lui est pas tout

familier, qui a sa propre autonomie. Le Sujet actant entre ainsi dans la complexité de

l'univers social où il y a une part certaine d'incertitude. Divers scénarios peuvent se

présenter qui n'auront été pensés ni par l'intervenante ni par les jumelés. De plus, le

jumelage est une rencontre entre des individus se référant à un moment ou à un autre, et de

façon variable, à des systèmes culturels, économiques, politiques et sociaux différents.

Nous avons donc lors de la mise en place de la relation trois acteurs (et parfois plus) en

interaction qui non seulement ont des parcours de vie différents, mais qui ont aussi des

motivations, des attentes, des intérêts, des objectifs différents.

L'incertitude de l'intervenante devant les choix, incertitude liée à la prise de conscience des

limites de ses propres compétences, est doublée des contraintes qui se présentent à elle :

contrainte de financement, de temps, de manque de ressources, manque de bénévoles, de

soutien, contrainte de formation, d'isolement. Ces contraintes sont à la fois systémique (le

système État/ONG qui établit une relation duelle) organisationnelles (la place de

l'intervenante au sein de l'organisme, le temps accordé au programme jumelage),

relationnelles (le vécu, la formation, motivations et personnalité de l'intervenante, le vécu,

les motivations et la personnalité des acteurs avec lesquels elle interagit), représentatives (le

phénomène de l'immigration tel que perçu par les membres de la société d'accueil) et

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contextuelles (le profil de l'immigration et les mécanismes d'intégration ou de

non/intégration de la société québécoise).

Comment alors attribuer telle difficulté rencontrée à telle contrainte ? Quel lien

l'intervenante devra-t-elle établir entre ces contraintes, entre ces difficultés et contraintes ?

L'intervention sociale du jumelage dépasse la simple mise en place d'une relation sociale :

la complexité du processus migratoire et du processus d'intégration à laquelle est confronté

le nouvel arrivant, et indirectement son jumelé, aura une influence marquante sur la

dynamique relationnelle. Processus qui imprime l'espace de la relation de non-dits, de

silences, d'anxiétés, d'impatiences, d'attentes, d'incompréhensions pouvant produire du

ressentiment.

Chaque nouvelle dimension dans l'intervention apporterait son espace de contraintes et de

liberté. Cet espace de contraintes et de liberté implique que l'intervenante puisse faire des

choix et poser en toute légitimité un acte.

Un autre aspect de l'intervention auprès de nouveaux arrivants est celui de « traducteur de

la réalité de la société d'accueil » (Bilodeau et al, 1993). Ce rôle exige de l'intervenante une

prise de conscience de son identité socioculturelle, mais aussi une capacité de distanciation

qui lui permettra de relativiser ses propres valeurs et normes, de poser un regard critique sur

le fonctionnement de la société. L'intervenante devrait être en mesure d'expliquer le

pourquoi du consensus social sur certaines normes et valeurs. Ce processus lui permettra de

pénétrer le système socioculturel de l'autre en situation d'apprentissage culturel, et de mieux

comprendre certaines des difficultés d'intégration. Afin de comprendre les résistances ou

difficultés liées au processus de l'intégration, l'intervenante doit, nous le soulignons,

inspirée par Cohen-Émerique (2000, p:163), revenir à son propre schème de valeurs,

pouvoir le décoder, c'est-à-dire en tisser la trame historique de façon à trouver en elle ses

propres certitudes, dans un va-et-vient exploratoire, afin que la résistance de l'autre ne

devienne pas, grossie par le malentendu, une menace.

Nous insistons, le jumelage est une rencontre entre des individus se référant à un moment

ou à un autre, et de façon variable, à des systèmes culturels, économiques, politiques et

sociaux différents. Cette rencontre peut donner à l'intervention une difficulté

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supplémentaire. C'est ce que certains nomment une situation d'interculturalité (Bilodeau,

1993, Boucher 1993).

Pourquoi parle-t-on d'interculturalité ?

Devant la complexité de l'impact du phénomène migratoire, les intervenantes ont été

appelées à remettre en question leur savoir. Dès 1971, la Loi sur les services de santé et

services sociaux avait comme un de ses objectifs de « favoriser à l'intention des membres

des différentes communautés culturelles du Québec l'accessibilité à des services sociaux

dans leur langue » (c.48,a.3) (cité dans Bibeau et al, 1992:235). C'est alors le principe de

l'universalité de l'accès qui est mis de l'avant : celui-ci commande d'éliminer tout obstacle

pouvant empêcher l'utilisation des services publics. Toutefois la réflexion sur la

transformation des pratiques sociales en regard de la formation à l'intervention sociale en

milieu interethnique a surgi au début des années 1980, période d'arrivée massive des

réfugiés de la guerre venant des pays du tiers-monde44 . Cette réflexion était alimentée par

le constat du plan d'action gouvernemental de 1981 à l'intention des communautés

culturelles, plan d'action qui déplorait que « les immigrants et même les citoyens de

diverses origines qui sont au Québec depuis nombre d'années utilisent très peu ces services

» (MCCI, 1983, cité dans Bibeau et all.1992: 236). Le gouvernement attribue alors cet état

de fait au manque de personnel spécialisé familier avec le milieu, aux valeurs culturelles et

difficultés linguistiques de cette clientèle.

Au même moment, un certain lobbying commence à faire pression sur le Ministère des

Communautés Culturelles et de l'Immigration (MCCI) : les représentants des communautés

culturelles dénoncent l'inaccessibilité des services aux nouveaux arrivants et en attribuent

les causes au manque de formation des intervenantes. En 198745, le rapport Bibeau

contredit cette position en soutenant « que la prétendue sous-utilisation des services ne peut

44 Ces faits sont extraits d'un article de Nicole Boucher, Société multiethnique: implications pour la

déontologie et l'éthique professionnelle, 1993. L'auteure présente un résumé de faits qui sont généralement

connus et reconnus par le milieu.

45 Cette même année le rapport Sirros insistait sur la nécessité de procéder à des modifications dans le réseau

des services sociaux.

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s'expliquer uniquement par le manque de compétence linguistique et culturelle de la part

des intervenantes et, d'autre part, que pour les rendre plus accessibles, il est nécessaire de se

situer dans une approche globale et de partir de la construction globale des problèmes »

(cité dans Boucher, 1993:48). Cette même année, le Comité consultatif sur l'accessibilité

des services du MSSS conclut « qu'il faut former les intervenantes et leur donner des

compétences pour établir des rapports interculturels satisfaisants et pour intervenir en

tenant compte de la dimension culturelle » (Boucher, 1993).

En 1988, le Ministère de la Santé et des Services Sociaux crée un bureau de coordination :

le Bureau des services aux communautés culturelles. Préoccupé par les différents constats

et fort des recommandations des rapports du MSSS, le MCCI préconise en 1990,

l'adaptation des institutions à la réalité pluraliste. Comme le souligne Bibeau, « on ne sait

pas très bien comment on peut vraiment construire une société pluraliste, mais on sait au

moins clairement que c'est dans cette direction qu'on veut aller » (Bibeau, 1992: 37). La loi

120, votée à l'automne 1991, livre, selon Bibeau, des indicateurs pour la mise en place de

services publics pluralistes. Celle-ci place le citoyen qui a des droits, et non plus le

bénéficiaire, au centre du système, elle insiste sur le partenariat entre le secteur public et

privé et favorise l'approche locale. Mais en 1992, selon Bibeau et al, il n'existe encore

aucune politique générale dans les institutions et les écoles de formation en services de

santé et sociaux « traitant d'une approche multiculturelle des problèmes. » Si certaines

initiatives sont saluées telles celle de l'Hôpital de Montréal pour enfants qui a mis sur pied

un programme de formation à l'interculturel à l'intention de ses employés « axée

directement ou indirectement sur les questions de santé mentale » (Bibeau et al, 1992: 241)

une incertitude persiste notamment dans les CLSC de la région de Montréal quant « à la

manière d'adapter culturellement la pratique clinique » (Bibeau et al, 1992: 243). Ce

malaise doublé d'une incompréhension des concepts favorise le retour chez les

intervenantes de la prise en compte des dimensions structurelles et environnementales

comme pistes de solution aux problèmes que les nouveaux arrivants et immigrants

rencontrent et leur permet de prendre une distanciation face aux approches d'essence

culturaliste et à tendance psychologisante (Jacob, Bertot, Cordova,1994). Comme le

souligne Bibeau « le virage vers le pluralisme ne pourra être véritablement initié que

lorsque les professionnels auront clairement pris conscience du fait que leurs manières de

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faire et de penser sont relatives et non universellement valables, qu'elles ne sont pas

nécessairement les meilleures ni surtout les seules » (Bibeau, 1992: 40). Cette prise de

conscience est considérée incontournable, elle est le préalable à l'ouverture interculturelle

des services publics.

3.2.6. L'approche interculturelle

Des intervenantes sociales du CSSMM définissent la pratique interculturelle comme : « une

sorte de va-et-vient entre la culture de l'autre et la sienne propre(…)comme une ouverture à

la différence, une capacité d'écouter, de prendre le temps de donner une place réelle à cette

différence » (Roy 1991, cité dans Roy 1992:55).

Fort de cette réflexion, le Centre de services sociaux du Montréal Métropolitain (CSSMM)

a élaboré un mode d'intervention : l'approche interculturelle (Jacob, Bertot, 1991), une

approche qui en accord avec Cohen-Émerique (1993) tient compte du parcours migratoire

en même temps que des valeurs culturelles et qui propose la décentration comme étape

préalable à la pénétration du système de l'autre puis à la négociation des points de vue.

Chiasson et autres en synthétisant la décrivent « dans son application comme une approche

d'exploration et de négociation » (Roy, 2000:141).

Toutefois, l'interculturalité comme mode d'approche n'a pu s'imposer de façon générale en

tant que modèle d'intervention, parce que l'approche est autant une attitude et une

conception devant mener à l'acquisition d'une compétence qu'une méthode de travail, d'où,

semble-t-il, « sa difficulté à faire consensus » (Roy et Cantin-Torrez cité dans Jacob et

Bertot, 1991:182). Aussi parce que les pré-requis de la compétence interculturelle

nécessitent que les intervenantes aient accès à des formations pointues sur, entre autres, la

trame historique du Québec en lien avec l'évolution des valeurs. De même, les

intervenantes doivent avoir accès à des ateliers de discussion et des analyses de cas

d'incidents critiques rencontrés dans divers contextes d'intervention. Ces formations doivent

de plus permettre la présentation, l'analyse, l'élaboration et l'assimilation d'outils

d'intervention et de grilles d'analyse. Acquérir une compétence interculturelle demande du

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temps, un espace de dialogue et une certaine distanciation face à sa pratique

d'intervention46.

Les réflexions sur les transformations de l'intervention, d'autre part, ne font pas non plus

consensus : celles-ci oscillent entre l'accent mis sur l'adaptation de l'intervention (savoir-

faire) ou sur l'adaptation de l'intervenante en situation d'intervention (savoir-être). Le débat

tourne principalement autour de deux pôles : L'intervention doit-elle devenir une

intervention « interculturelle » par l'ajout de certains savoirs, le processus de la

décentration, les mécanismes de négociation et de médiation (Cohen-Émerique, Chiasson-

Lavoie, 1992) ou plutôt l'intervenante doit-elle être plus attentive à certaines qualités de son

savoir-être entre autres l'intuition, l'empathie et la tolérance (Roy, 1992, Boucher 1993,

Bilodeau et al, 1993.) afin de les activer davantage en contexte de pluralité ?

Parallèlement à ce débat, une autre voix s'élève qui estime que la complexité du contexte de

l'immigration commande à l'intervenante de dépasser l'approche interculturelle en fondant

celle-ci dans une approche intégrée, l'approche structurelle inspirée de Maurice Moreau.

Car selon Jacob et Bertot (1991:200) « les difficultés du réfugié ne proviennent pas

automatiquement des problèmes au niveau de dysfonctionnement psychologique résultant

de l'anxiété post-migratoire ou de difficultés culturelles, tel que le laisse croire un courant

dominant, il faut analyser les situations sociales dans une dynamique complexe. » Cette

approche exige de l'intervenante « qu'elle fasse une démarche avec la personne pour que

cette dernière puisse faire les liens entre sa situation actuelle, l'organisation sociale, les

rapports dominants/dominés et le développement de sa personnalité » (Moreau,1987, cité

dans Jacob et Bertot:198). L'objectif de cette démarche étant le renforcement du pouvoir

du client, « l'empowerment. ». L'empowerment est cette pratique qui vise à amener

l'individu à développer ses compétences et habilités afin qu'il devienne un sujet social et

politique et qu'il assume une citoyenneté active. Cette approche, telle que présentée,

46 L'approche interculturelle ne s'est pas imposée comme modèle d'intervention, toutefois son influence

grandit car de plus en plus d'intervenantes œuvrant auprès des immigrants demandent des sessions de

formation sur cette pratique, session au cours desquelles elles ont accès aux grilles d'analyse et méthodes

d'analyse de cas. Et à l'approche interculturelle les formateurs intègrent d'autres éléments empruntés à des

approches complémentaires telles celle systémique et perceptuelle (Bibeau et autres, Pigler-Christensen, voir

Legault 2000:136,137) (données de la TCRI).

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99

demande à l'intervenante de dépasser les limites de l'organisation, de démontrer

publiquement sa solidarité autrement que dans l'ombre des « pratiques silencieuses » pour

assumer, lorsque la situation l'impose, un rôle social d'analyste critique des rapports sociaux

et de défenseur des droits des réfugiés.

Même si on peut être tentée de partager le point de vue de Jacob et Bertot sur l'attitude

critique que devrait développer l'intervenante afin d'assumer un rôle actif tant au niveau de

l'analyse critique que dans la manifestation des liens de solidarité allant si nécessaire

jusqu'à la dénonciation, nous nous demandons comment des intervenantes, elles-mêmes

assujetties à des conditions de travail précaires, au manque de temps, à la surcharge de

travail, occupées à lutter pour garder non pas seulement leur travail, mais aussi pour être

solidaires de leur organisme lorsqu'il s'agit d'occuper l'espace jeu de la négociation afin d'

obtenir une juste subvention, comment donc, dans ces difficiles conditions, les

intervenantes peuvent pleinement et librement assumer ce rôle ? Nous nous demandons

aussi si toutes les intervenantes ont cette capacité et ce désir de manifester publiquement

leur esprit de solidarité alors qu'elles peuvent le faire discrètement et sans confrontation

dans l'ombre des pratiques silencieuses. Dans ce contexte, il est intéressant de constater que

les intervenantes se laisseront séduire par d'autres alternatives pour manifester leur esprit de

solidarité et de dénonciation non pas de façon directe, mais via l'intermédiaire d'un réseau

d'alliances, un espace de partenariat.

3.2.7. L'autre à titre de partenaire

Un des principes guides de l'intervention sociale promu par ces auteurs et qui est repris par

les intervenantes du communautaire est la considération de l'autre à titre de partenaire : ce

qui signifie que l'autre est capable par ses compétences et ses propres ressources de

participer à l'élaboration de solutions au problème. Ce qui implique que l'intervenante n'est

pas la seule détentrice du savoir (Bilodeau, et all, 1993; Jacob et Bertot, 1991; Cohen-

Émerique, 1993), qu'elle admet « le doute épistémologique », les limites de ses

compétences. L'intervenante en laissant questionner non seulement ses façons d'être

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(Cohen-Émerique, 1993), mais aussi ses façons de faire (Bilodeau et all, 1993, Jacob, 1991,

Chiasson-Lavoie, 1992) acquiert une capacité d'autocritique et découvre d'autres espaces

d'intervention.

Le cadre de l'interaction entre l'intervenante et le ou les demandeurs s'inscrit pour ce qui est

des approches interculturelles dans un mode d'insertion contractuelle (Bajoit, 1992) selon

trois formes : sous forme de contrat négocié dans les limites de l'institution et de la

profession (Chiasson-Lavoie, 1992; Boucher 1993) sous forme de négociation conflictuelle

à la périphérie du rapport social dominant/dominé (Cohen-Émerique), sous forme de

consensus dans un espace intermédiaire interpersonnel (Bilodeau, Roy). Dans le cadre de

l'approche structurelle, le mode d'insertion est l'identification, sous forme de collaboration

dans l'espace social (Jacob, Bertot, 1991).

Et ces interactions se font dans trois espaces : une relation de négociation dans les limites

de l'institution ou de la profession dont l'objectif est la résolution d'un problème selon

l'approche fonctionnaliste (Boucher, 1993 Chiasson-Lavoie 1992); une relation de

confrontation entre un dominant et un dominé dans le cadre de l'intervention

professionnelle dont l'objectif est la création d'un espace commun et la transformation des

rapports sociaux selon l'approche structuraliste (Jacob, Bertot, 1991, Cohen-Émerique,

1993); enfin, une relation de complicité dans un espace intermédiaire dont l'objectif est la

relation selon l'approche humaniste (Bilodeau et al, 1993, Roy, 1992).

Ainsi des théoriciens et praticiens rattachés au CSSMM (Bilodeau et al et Roy) considèrent

que dans l'interaction il n'y a pas d'abord un rapport social, hiérarchie de statut

dominant/dominé « une identité menaçante face à une identité menacée » (Cohen-

Émerique, 1993:73), mais qu'il se tisse en premier lieu une relation, un lien fondant le cadre

de l'intervention. S'il y a reconnaissance d'une altérité différente culturellement (Cohen-

Émerique 1993, Boucher, 1993), donc d'un potentiel conflit de valeurs, il y a aussi

reconnaissance de similitudes (Bilodeau, et al, 1993). Il n'y aurait plus seulement Ego et

Alter en vue de résoudre l'Objet comme finalité comme dans le contrat négocié ou la

négociation conflictuelle, mais bien Ego-Alter et Objet, (Moscovici, cité dans Marc et

Picard, 1989), une triade dont la finalité serait la relation entre ces trois éléments, le lien qui

se construit. L'objet ne serait pas seulement le faire social, mais aussi l'être social.

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Cet espace intermédiaire, espace où la rencontre a lieu de « personne à personne » est un

espace de liberté (Roy, 1992). L'analyse stratégique que nous empruntons à Roy (inspirée

entre autres de Crozier (1997) « qui examine le rapport créé entre le facteur humain et la

structure de l'organisation » (Roy, 1992:55) confirme la vivacité du pouvoir personnel et

professionnel qui s'exprime même encadré par un pouvoir administratif. « Une

organisation bureaucratique est (..) "agie" par une multiplicité d'acteurs qui ont leurs

intérêts propres. Parmi ces acteurs, il y a les intervenantes sociales souvent silencieuses au

sujet de leurs méthodes de travail, mais dont on commence à entrevoir la forte allégeance

professionnelle et la complicité avec la clientèle » (Roy, 1992:57). En effet, les

intervenantes, « artisan(e)s du lien social », comme les nomme Jean Lavoué (1986),

évoluent dans un rapport social « d'une secondarité fortement primarisée » (Le Gall, Martin

cités dans Lavoué 86:3).

De cette manière, le jumelage, en tant qu'acte volontaire d'engagement et de désir

relationnel, s'inscrit très fortement dans la quotidienneté du rapport social et demande à

l'intervenante d'investir son intervention de façon privilégiée dans cet axe primaire. Car

même si l'intervenante en tant que représentante de l'organisation établit certaines balises

dans le cadre formel de la relation, il n'en reste pas moins que le lien social, lien primaire,

qu'elle aura à maintenir avec les jumelés prime sur le lien formel secondaire défini par son

statut professionnel. C'est alors la spontanéité et les démonstrations de l'affect qui

deviendront pour l'intervenante les signes de la réussite de l'intervention. En effet, c'est

pour sa qualité d'artisane du lien social, qui implique celles de créatrice, de médiatrice et «

d'agent(e) de liaison » (M. de Certeau, 1983, cité dans Lavoué 1986) que l'intervenante sera

reconnue et appréciée des jumelés.

3.2.8. L'approche interculturelle au quotidien

Citant Deslauriers (1989), Roy mentionne l'espace d'autonomie que possèdent les

intervenantes et que revendiquent les intervenantes en jumelage, ce que confirment notre

propre observation et les données de notre analyse au chapitre 6. Pour conserver cette

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autonomie au sein de l'institution, les stratégies adoptées iront de la résistance passive à

l'adoption de pratiques silencieuses. L'intervenante, par la conscience ou l'intuition,

apprivoise et même apprécie les « zones d'incertitude » en manifestant un « esprit

d'invention » et un « enthousiasme devant l'inconnu. » Ces zones d'incertitude sont, selon

Roy (1992:57), « des interstices de liberté inhérents à tout type d'organisation, qu'il suffit

d'apprendre à reconnaître et à utiliser » . Dans ces interstices se manifestent entre autres, cet

« esprit d'invention devant les contraintes bureaucratiques » et « des pratiques silencieuses,

pratiques rebelles faites de ruses et de complicité avec le vrai monde » (Deslauriers, 1989,

cité dans Roy, 1992:58) : ces particularités d'intervention, telles « l'utilisation différente de

la notion du temps et la capacité d'intégrer la notion du doute », témoignent, selon Roy, de

l'habilité professionnelle et ajoutent par leur créativité, de l'inattendu, mais aussi de la

complexité à l'approche interculturelle. Toutes ces manifestations font état, selon Roy «

d'une acceptation de non-uniformité et de déviance » (1992:58) et de « l'expression de la

socialité, une forme d'expression quotidienne et tangible de la solidarité de base »

(Maffesoli, 1989:62). C'est, toujours selon Roy, cette solidarité de base qui incitera les

intervenantes sociales à recourir à « l'immoralisme éthique », notion maffesolienne, qui est

« un espace de jeu et de ruse pour résister aux contraintes quelles qu'elles soient » (Roy,

1992:62).

A cela, Nicole Boucher, sociologue en service social à l'Université Laval répond qu'il faut

reconnaître que les intervenantes puisent à même leur formation et leur pratique les

réponses aux difficultés que peuvent représenter certaines particularités de la pratique en

contexte interculturel47 car le plus souvent « l'adaptation de l'intervention représente pour

les intervenantes un risque et une charge supplémentaire de travail, alors que ses capacités

d'adaptation culturelle restent inconnues sinon dévalorisées » (1993:53).

La chercheure mentionne que l'approche interculturelle, telle que définie et présentée aux

intervenantes, provoque chez ces dernières une part d'ambiguïté, d'insécurité devant

l'inconnu comme d'inconfort. Cependant, convaincue de la force du pouvoir professionnel

des travailleurs sociaux, la chercheure signale que, devant ces particularités, les

intervenantes ajustent leurs pratiques à même le renforcement de certaines qualités de la

47 Prise ici dans le sens de rencontre entre individus marqués culturellement.

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pratique traditionnelle telles l'empathie, l'écoute, le temps accordé, l'intuition, la tolérance,

la souplesse, l'autoréflexion, l'acceptation inconditionnelle de soi et de l'autre, la

reconnaissance des différences et reconnaissance des conflits (Boucher, 1993:51).

Boucher (1993) souligne la nécessité d'une méthodologie d'analyse cas par cas appropriée

pour permettre aux intervenantes de dégager elles-mêmes les adaptations qu'elles jugent

nécessaires. Une telle démarche aurait l'avantage « de faire reconnaître les compétences

interculturelles acquises par l'expérience » (Boucher, 1993:48, 49).

Ici nous nous référons à Schön (1995) qui insiste sur le rôle et les qualités du praticien.

Schön (1995) insiste sur le fait que le savoir produit par le praticien n'est pas un obstacle à

la connaissance scientifique car la contribution du praticien est celle d'un générateur de

connaissances, d'un créateur de savoirs en action. Schön (1995:52) décrit la méthodologie de

recherche du praticien comme celle « d'une réflexivité dans l'action » surtout dans des situations

incertaines où l'appris ne peut s'appliquer : s'il « know how in action », le praticien est aussi

confronté au « not knowing how in action » . Selon ce dernier, ces situations de savoir comment

et ne pas savoir comment, (la certitude et l'incertitude) oblige le praticien « à repenser ses

stratégies d'action, à réinterpréter les contextes, à recadrer les problèmes, à redéfinir les rôles »,

comme en témoigne cette question demeurée sans réponse jusqu'à présent « qu'est-ce qu'un

jumelage réussi » ? Cette question souligne toute la complexité de l'intervention jumelage. Ainsi

les praticiennes rejoindraient la position épistémologique du chercheur par cette posture du doute,

en ne faisant pas « que mettre l'accent sur l'expérience vécue et le caractère indéterminé de

l'action » (Friedson, 1984, cité dans Groulx, 1994:39).

Cependant deux autres dimensions de l'approche interculturelle que sont le risque et

l'isolement professionnel ont, selon Nicole Boucher, suscité chez les intervenantes le

recours à une référence éthique solide, à une rigueur de leurs choix, de même qu'à une

négociation d'ajustement institutionnel, à une affirmation de soi, une visibilité et une

création d'alliances et de ressources (1993:51). En ce sens, cette analyse rejoint celle de

Chiasson-Lavoie, anthropologue au CSSMM, qui recommande de développer des outils

d'intervention pour l'amélioration des pratiques en partenariat avec des intervenants d'autres

institutions confrontés à la même problématique de la pratique interculturelle. Ainsi insiste

Boucher (1993:49) « en s'appuyant sur la connaissance pratique, sur l'expérience concrète,

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les intervenantes devraient "pouvoir parvenir à innover et à dépasser leurs limites »

(1993:49).

3.3. Conclusion

Nous le constatons, les intervenantes en jumelage évoluent dans un contexte extrêmement

complexe, contexte fait de zones d'ombre, de contraintes et d'espaces de liberté. Le

jumelage procède d'un désir d'instaurer une rencontre entre un citoyen accueillant et un

immigrant accueilli afin que se développe une interaction qui se transformera en relation.

Toutefois la rencontre avec l'autre est susceptible de provoquer une modification profonde

dans la vision du monde de l'individu, c'est ce que nous nommons « l'utopos » , le lieu à

venir. S'il est juste de dire que l'inconnu enthousiasme les intervenantes par la possible

création qui s'offre à elles, il est aussi réaliste de dire que la dimension interculturelle du

jumelage, en tant qu'espace parsemé de zones d'incertitude et de turbulence, leur pose des

dilemmes.

Nous retenons donc pour le cadre de notre analyse que si la réussite du projet migratoire de

l'immigrant est liée à sa capacité de comprendre les codes culturels et le fonctionnement

des différentes institutions du pays d'accueil et de s'y adapter, elle est liée aussi à la capacité

intégratrice de la société d'accueil. Celle-ci se traduit par la capacité collective de

s'interroger sur ce qu'implique accueillir et intégrer des immigrants et réfugiés, sur ce qu'est

la culture publique commune de même que sur la compréhension qu'ont du phénomène

migratoire tous les citoyens de la société d'accueil. Le concept de l'intégration, vu comme

un processus d'inclusion dont la dynamique est l'interdépendance, exige le partage et la

reconnaissance des compétences et des savoir-faire.

L'État québécois tente actuellement de dépasser les balises du contrat moral et suggère la

notion de contrat civique qui repose sur les notions de participation et de sentiment

d'appartenance. Nous nous posons alors ces questions : comment les intervenantes lient-

elles le jumelage au processus d'intégration, et pourquoi considèrent-elles que les individus

voudront établir des relations intercommunautaires harmonieuses, partager des valeurs

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communes, avoir des projets communs ? Ce qui nous ramène à Crowley et au paradigme

contractualiste. Alors que le contrat moral est subordonné au sens du devoir, aux principes

d'action, le contrat social relève de l'éthique, « de la science des actions de la vie »

(Aristote). Les contrats moral et social réunis en un contrat civique font référence à un

rapport latéral, de citoyen à citoyen, ancré dans le fait de reconnaître à chacun une place

dans la communauté. Ainsi l'État québécois irait non plus dans le sens de l'idéologie

d'insertion de la convergence culturelle, mais plutôt dans le sens de l'intégration pluraliste

qui doit mener à l'émergence d'une « nouvelle société construite » (Harvey, 1993).

Mais puisque, comme nous l'avons constaté, le contrat ne fait pas lien, mais le présuppose,

nous nous devons de réfléchir aux qualités inhérentes au lien social ? Il nous faudra

analyser les motivations et les bénéfices à s'engager dans le jumelage. Nous disons pour le

moment que c'est parce que le lien social de la coopération fait référence au sens de

l'initiative de l'être doté d'autonomie, être qui est conscient de son historicité et qui désire

s'engager. Dans l'engagement, il y a comme le mentionne Jean Ladrière (1967:3) deux

aspects : la conduite et l'acte, mais parce qu'un des risques de l'engagement est ne plus

pouvoir recourir à « exit » , existe la tension continue au sein de l'espace social du jumelage

entre la poursuite de l'intérêt individuel et l'élargissement des intérêts communs. D'où la

nécessité du dialogue qui lui repose sur le pouvoir de négociation. Le processus de la

négociation est fondé, comme le rappelle Cohen-Emerique, sur l'élaboration d'un

compromis qui aura comme effet de maintenir la cohésion sociale ou de transformer ce qui

est. La capacité de négociation que ce soit dans la relation du jumelage proprement dite ou

dans l'intervention sociale du jumelage est liée au processus d'adaptation. Dans la relation

de jumelage, nous parlerons d'adaptation mutuelle. Cette dialectique de l'ici et de l'ailleurs

qui porte les individus au-delà des frontières de leur propre système culturel crée une

situation de déséquilibre, il y a alors fragilisation des repères et des référents habituels,

préalable au deuil, difficile et nécessaire. Cette fragilisation des repères sera vécue aussi par

les intervenantes en jumelage qui doivent assumer les rôles d'intermédiaires. Elles

occuperont, comme nous l'avons vu, des espaces d'intervention telles que des pratiques

silencieuses, seront confrontées à des zones d'incertitude, bien souvent sources de créativité

ou alors devront jongler avec la notion d'immoralisme éthique. Car le jumelage comme

toute forme de relation partenariale emprunte la voie de la négociation et les partenaires

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doivent apprivoiser le compromis en surmontant « l'incertitude qualitative », élément

critique dans la construction d'une relation de coopération à long terme.

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CHAPITRE IV

Orientations méthodologiques

4.1. Réflexion épistémologique

L'ethnologie est la science du particulier, du micro. Par son acharnement à saisir la

complexité du phénomène étudié, du fait social sur lequel le chercheur pose un regard

attentif, cette science permet de révéler la complexité du commun, du quotidien. Le

questionnement initial de notre recherche, le quoi -Qu'est ce qui fait que le jumelage est si

peu connu dans la société ? immédiatement suivi du comment- comment les acteurs liés au

programme de jumelage le perçoivent-ils ? a orienté la démarche ethnologique dans un

mouvement dualiste. Cela nous a conduite de l'explicite à l'implicite, qui nous a fait

rechercher la qualité d'un fait social auquel sont confrontés les acteurs sujets et objets de

notre étude. Car comme le souligne Mucchielli (1983:18) la méthode des sciences

humaines en est une qualitative en ce « qu'elle recherche, explicite et analyse des

phénomènes. »

4.2. Contexte de la découverte

Le terme qualitatif de notre recherche renvoie aussi, comme le mentionnent Lessard-Hébert

et al. (1990), au type de données que a produites, à nos façons de faire et à nos postulats;

prémisses, hypothèses et mise en relation que nous avons énoncées. Notre recherche

qualitative se situe dans un contexte de découverte et dans une démarche praxéologique.

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Même si nous convenons avec Erikson (1986) Evertson et Green (1986) que nous sommes

arrivée sur notre terrain de recherche en « ayant déjà en tête un cadre conceptuel et des

intérêts de recherche » (Erickson, 1986 cité dans Lessard-Hébert 1990:96) nous ne voyons

pas d'opposition systématique entre le contexte de la preuve qui corrobore ou contredit

certaines données, certaines hypothèses induites à partir d'un cadre de référence et le

contexte de la découverte qui en formule de nouvelles à partir de choix de données

empiriques.

La réflexion que nous entreprenions était nourrie par nos lectures, nos observations et par

une première mise en contact avec le terrain. Elle découlait à la fois d'une déduction et à la

fois d'une induction, induction faite à partir d'une expérience de travail dans le milieu

communautaire de services aux nouveaux arrivants immigrants et réfugiés, déduction

énoncée en regard du contexte social et économique de la société québécoise actuelle,

regard alimenté par certaines analyses sociologiques, anthropologiques, psychosociales,

philosophiques du contexte de la mise en place du partenariat, de l'appel aux bénévoles et

finalement de l'instauration du programme de jumelage.

Le comment les acteurs liés au programme du jumelage le perçoivent-ils ? nous a amenée à

diriger en premier notre regard vers l'État puisque le programme jumelage est défini et

subventionné par le MRCI. Constater que le programme jumelage est peu connu au sein de

la société québécoise tout en étant défini par des acteurs influents du ministère et les acteurs

du communautaire comme un moyen efficace d'aide à l'intégration des nouveaux arrivants

nous demandait d'investiguer plus en profondeur le pourquoi de ce paradoxe. Il nous fallait

plonger dans la dynamique des organisations, dans la réalité du programme jumelage ainsi

que dans l'univers relationnel de l'État et des organismes communautaires. Cette plongée au

coeur du phénomène jumelage nous a fait découvrir de multiples variables, et nous a fait

requestionner une des premières hypothèses – L'évaluation du programme de jumelage

uniquement sur le critère coûts-bénéfices traduit dans les faits la non-considération par

l'État de l'importance du programme de jumelage. Nous nous sommes demandée si cette

logique ne traduisait pas plutôt un non-pouvoir reconnaître toute la complexité de la mise

en place de ce programme, complexité qui lui donne toute sa valeur , mais aussi qui révèle

toutes ses exigences ? Nous avons reformulé alors notre hypothèse: les objectifs financiers

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des programmes de jumelage, fondés sur une logique coûts-bénéfices voilent sinon

supplantent l'importance accordée à la reconnaissance de la complexité du lien social.

Le jumelage est une relation complexe parce qu'ambiguë, définie comme un acte de

bénévolat, comme un geste d'amitié, parfois un peu des deux. Cette tension que vivent les

jumelés entre la posture aidant/aidé dans l'axe de la complémentarité et celle de

l'amitié/réciprocité dans l'axe de la symétrie, fut rapportée par les jumelés eux-mêmes lors

des soirées témoignages auxquelles nous avons participé. Car nous l'avons constaté lors de

nos entrevues individuelles avec les intervenantes, la relation au sein du jumelage est

présentée par les intervenantes sociales comme une relation d'aide et d'accompagnement

dans l'univers du bénévolat, une relation d'échange interculturel, une relation basée sur

l'amitié ou tout à la fois. La forme que prendra l'échange sera donc influencée par

l'intentionnalité individuelle, mais aussi par l'agir collectif.

Puis nous nous sommes demandée comment l'intervenante fait concorder les objectifs

individuels (les siens, ceux des participants au programme) avec les objectifs communs

(ceux de l'organisation au sein duquel elle travaille, ceux de l'État bailleur de fonds) en

ayant comme toile de fond le concept diffus de l'intégration ? Est-ce que le fait de définir la

relation de jumelage dans un axe relationnel ou dans l'autre influence la dynamique même

de la relation ? Cette interrogation nous nous la sommes posée aussi à partir de notre propre

expérience en tant que jumelée.

Les entretiens individuels que nous avons menés auprès des intervenantes en jumelage,

auprès des directeurs d'organismes et auprès d'agents du ministère, nous ont permis de

constater que la problématique de l'interaction des acteurs liés au jumelage impliquait

plusieurs variables : leur vision du programme, la perception de leur implication, leur

conception de l'engagement des jumelés, leur fonction au sein de l'organisme, leur

personnalité, leur horaire de travail, leur aptitude à gérer des conflits, leur définition de

l'intégration, leurs préjugés, leurs acquis à titre d'intervenante, leur formation, et enfin, le

contexte organisationnel, politique, social et économique. Nous avons découvert que ce

contexte doit être pris en compte dans la conduite des acteurs du communautaire, dans ce

non-vouloir ou non-pouvoir sortir de l'étroit couloir État-Ong, afin de trouver des espaces

de créativité; nous avons découvert aussi l'hétérogénéité des points de vue parmi les

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acteurs gouvernementaux et du communautaire; ces découvertes et notre disponibilité à les

recevoir, à les analyser nous a permis de ré-orienter notre réflexion.

Au cours de cette réflexion nous avons élargi notre angle de perception de la situation.

Nous avons découvert une dimension jeu dans la négociation entre les acteurs du

communautaire et ceux du gouvernement ainsi que des espaces de transgression multiples

qui font partie de l'espace-jeu.

En plus des entrevues individuelles menées auprès des intervenantes et directeurs

d'organismes communautaires offrant le programme de jumelage, nous avions projeté de

participer aux réunions du Réseau jumelage interculturel à titre de chercheure observatrice;

notre démarche n'en fut point une de recherche-action, nous n'avons pas répondu à l'appel

d'un groupe en vue de transformer une action par la production d'un nouveau savoir. Nous

avons demandé à intégrer le groupe à titre de chercheure désirant observer leur praxis.

Notre admission au Réseau le fut par cooptation. Cependant, la synergie émanant du

collectif traduite en transfert de connaissances, d'expériences, de mise en commun de

situations vécues, de réflexion dans l'action nous a fait assez rapidement ré-orienter notre

recherche dans une démarche praxéologique inscrite dans un partenariat de recherche. Le

Réseau jumelage étant un lieu de réflexion critique sur l'intervention du jumelage, il

devenait évident que nous aurions dans le cadre de notre thèse, une relation privilégiée et

soutenue avec des praticiens en réflexion sur leur propre praxis et cela sur une assez longue

période de temps.

Nous avons investi temps et énergie afin que la relation s'établisse sur la confiance, l'estime

et la réciprocité dans la réflexion et le transfert des connaissances, selon le rythme des

contributions, de la réflexion, de l'analyse, des besoins, des demandes, selon le contexte, et

selon l'évolution du partenariat lui-même.

4.3. Démarche praxéologique

Notre recherche s'inscrit dans une démarche praxéologique; si la recherche qualitative doit

focuser sur la « praxis des personnes et des groupes – domaine de l'action humaine basée

sur la réflexion et l'expérience » (Deslauriers, 1991:17); la recherche qualitative qui se fait

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dans une démarche praxéologique est une implication active du chercheur, partenaire des

praticiens au coeur de l'action/réflexion. Nous nous inspirons des travaux de Y. St-Arnaud,

psychologue et théoricien de la science-action et R. Zuñiga, psychologue social, auteur de

L'évaluation dans l'action (1994).

Nous convenons avec Y. St-Arnaud et A. Lhotellier (1994) que « la praxéologie est moins

une conceptualisation d'une pratique que la création d'un savoir nouveau issu de cette

pratique » et nous reprenons leur définition « la praxéologie est une démarche construite

(visée, méthode, processus) d'autonomisation et de conscientisation de l'agir (..) dans son

histoire, dans ses pratiques quotidiennes, dans ses processus de changement et dans ses

conséquences » (1991:95). Cette démarche s'inspire donc du principe méthodologique de la

connaissance par l'action (Lotellier, St-Arnaud, 1994) et renforce la posture

épistémologique de la connaissance comme processus (Zuñiga, 1994:163).

Au cours de notre démarche praxéologique nous nous sommes imposée, nous

acteure/chercheure en accord avec les acteures/praticiennes, de lier la théorie et la pratique:

c'est-à-dire l'action dans la réflexion, la réflexion dans l'action (Zuñiga, 1994).

Nous convenons avec Lhotellier et St-Arnaud (1994:101) « que la praxéologie présuppose

que le sens est produit, création, que le travail du sens est pluriel, qu'il exige un partenariat

et que c'est en variant les discours que l'on peut créer du sens nouveau. » Ce qui veut dire

qu'il y aura pluralité de discours parce que pluralité d'acteurs impliqués et impliqués de

différentes façons à différents moments. Cette démarche praxéologique s'inscrit alors dans

une perspective dialogique, c'est à-dire que des partenaires aux champs de compétence

diversifiées coopèrent dans un esprit de complémentarité. Il y a mise en commun des

connaissances et « modelage mutuel d'un monde commun au moyen d'une action conjuguée

» (Varela, 1989, cité dans St-Arnaud et Lhotelllier, 1994:101) une praxis renouvelée. C'est

dans un continuel mouvement d'aller-retour du pouvoir d'action de la pratique (action

sensée) sur la théorie et de la théorie sur la pratique (St-Arnaud, Lhotellier, 1994) que la

démarche praxéologique contribue à la mise en forme d'un nouveau savoir. C'est dans ce

pouvoir d'influence mutuelle et dans son acceptation que la démarche praxéologique se

distingue de la recherche-action. La démarche praxéologique n'a pas comme fonction de

régler un problème par une action nouvelle; elle vise plutôt par « son principe

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d'autorégulation, d'apprentissage par essais et erreurs à réintroduire dans le creuset de

l'action toute idée nouvelle, qui serait issue du dialogue » (St-Arnaud, Lhotellier,

1994:103) de faire participer des acteurs à l'élaboration d'un nouveau savoir qu'ils

intégreront dans leur action pour l'actualiser.

C'est au sein du Réseau jumelage que s'est concrétisée, au fil du temps, cette démarche

praxéologique. « C'est en analysant comment l'acteur constitue le sens de son agir et en

précisant en quoi l'agir crée un acte personnel que la démarche praxéologique se précise »

(St-Arnaud, Lhotellier, 1994:96). C'est ce que nous avons expérimenté. Pour donner plein

sens à l'action et à notre collaboration au projet, nous avons, tout comme les praticiennes,

en suivant les objectifs de l'action partenariale à court, à moyen et à long terme, considéré

les conditions de l'action sensée, telles que décrites par St-Arnaud et Lhotellier (1994:96,

99). Une action est sensée dans la mesure où les acteurs « prennent en considération

l'ensemble des données factuelles pertinentes à une situation, mettent en oeuvre un système

de valeurs cohérent par rapport à la situation et produisent une action dans un espace-temps

optimal. » Ainsi, poursuivent les chercheurs, « dans une démarche praxéologique visant

une pluralité de sens, l'agir présente trois axes : une approche axiologique des valeurs, une

approche ryhtmanalytique de l'espace-temps (situation) et une approche analytique des

faits. »

Lors de notre première rencontre avec les membres du Réseau, en décembre 1996 (la 5e

réunion du Réseau), notre posture de recherche était plus de l'ordre de l'observation, cette

posture était liée à notre projet d'analyse comparative des trois contextes du jumelage : à

Montréal, à Québec et en régions via les stratégies de trois catégories d'acteurs : les

responsables de programmes au MRCI et dans les organismes communautaires et les

jumelés eux-mêmes. Suite au recadrage de notre terrain d'étude, nous avons présenté lors

notre deuxième participation en mai 1997 (10e réunion du Réseau) notre cadre d'analyse

qui allait porter sur les stratégies de collaboration entre les intervenantes au sein du Réseau

jumelage. Au cours de cette rencontre nous leur avons distribué un protocole d'entente sur

les principes de notre collaboration, protocole d'entente que les membres ont accepté, signé

et que nous avons co-signé, mais au fil du temps nous avons mesuré la démesure de notre

entreprise dans le contexte d'une thèse. Nous avons décidé de nous concentrer sur l'analyse

non pas de la relation partenariale au sein du Réseau , mais plutôt sur l'analyse de la

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problématique de l'intervention en jumelage qui était au cœur des échanges au sein du

Réseau.

Adopter une démarche praxéologique en tant que chercheure demande certaines qualités :

une capacité de réceptivité, d'écoute et un vouloir confronter le point de vue de l'autre avec

le sien. Il faut apprendre à savoir quand se taire et quand parler (Aktouf, 1990), il faut

pouvoir se décentrer (Cohen-Émerique 1993); mettre entre parenthèses ses propres

préjugés, ses préoccupations, pour se laisser séduire par l'intention, le projet de l'autre ou

pour découvrir le pourquoi de ses résistances au nôtre. Il faut s'abandonner à l'aléatoire, à

l'inattendu. Il faut aussi tendre vers une certaine humilité pour reconnaître les limites du

savoir , mais aussi se doter d'une permanente lucidité pour en découvrir l'originalité. Cette

démarche exige l'honnêteté et l'objectivité pour reconnaître aussi nos erreurs de jugement.

Zuñiga (1994) parle d'adaptation réciproque, l'action transforme une situation et cette

situation transforme à son tour l'acteur. Intervenir dans un groupe a des effets multiples, sur

la praxis, sur la dynamique du groupe, sur notre relation avec les acteurs et sur nous-

mêmes.

Il nous a semblé qu'il y avait un temps pour donner de façon systématique le fruit de notre

collaboration, synthèse de notre analyse : pas trop tôt, , mais pas trop tard non plus pour

que notre contribution puisse être profitable aux praticiens au cours de leur association.

Nous avons transmis aux acteures/praticiennes après 1 an d'assistance (12 réunions

mensuelles), des éléments de réflexion sur les besoins des intervenantes en terme d'actions

et de formation. Ces données ont été discutées, infirmées ou contredites, d'autres ont été

amenées par les praticiennes qui de leur côté avaient tiré, chacune pour soi ou en

groupuscule, des conclusions de leurs échanges, avaient formulé certaines hypothèses, les

avaient confirmées ou rejetées.

4.4. Le paradigme interprétatif et compréhensif

La phénoménologie est une démarche double de compréhension et d'interprétation d'une

situation particulière dans laquelle se trouve un acteur sujet de l'action et objet de la

recherche. En cela la phénoménologie est « une porte d'entrée sur les réalités humaines et

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les pratiques sociales (...) à travers « les interprétations que les humains construisent »

(Bernier, 1987, cité dans Lessard-Hébert et al, 1990:5).

Nous (égo – observateur) sommes avec Alter (acteur) et nous construisons ensemble l'objet

(la réalité étudiée) qui à son tour influence l'interprétation qu'on en fait. Nous sommes dans

un rapport de réciprocité, d'échange et dans un mouvement circulaire; ce qui fait en sorte

que les données que nous retiendrons de cette réalité étudiée ne seront le fruit ni de la

simple relation entre eux et l'objet, entre nous et l'objet, ni de la simple relation entre eux et

nous, mais tout cela plus « une qualité émergente » (Watzlawick 1988, : 92) ce que nous

nommons l'énergie du lieu.

L'approche compréhensive dans l'étude d'un phénomène signifie que le chercheur, en toute

humilité contraignante, mais en même temps porté par une curiosité intellectuelle, reconnaît

l'ampleur du défi qui l'attend : découvrir, apprendre, des autres, sur les autres, de soi-même

et sur soi-même, retenir et reconstruire. Nous nommons notre approche « compréhensive »

car nous nous mettons en quelque sorte dans la posture critique du journaliste d'enquête qui

pour comprendre l'essence d'un phénomène interroge les acteurs en action et analyse le

regard qu'ils posent sur l'action tout en y ajoutant l'élément introspectif de l'analyse,

l'interinfluence de la situation et des acteurs en présence sur leur interprétation du réel.

La première qualité du chercheur est l'empathie : une aptitude intellectuelle d'ouverture à

l'aléatoire, une disponibilité à se laisser pénétrer par la réalité sensible, le phénomène, et à

faire jongler cette réalité avec le noumène, dans une dialectique. L'empathie n'est pas un «

talent clinique » (...) qui permettrait au chercheur d'entrer dans la transparence du point de

vue d'autrui » (Dodier, Baszanger, 1997:43-44) , mais une sympathie intellectuelle qui nous

permet « de comprendre le vécu de quelqu'un sans l'éprouver de façon réelle dans notre

propre affectivité » (Mucchielli, 1991:36). Nous croyons en accord avec Dodier et

Baszanger que l'empathie cohabite et doit cohabiter avec un questionnement initial lui-

même ancré dans la tradition de l'interprète. Le choix de recherche que nous faisons n'est

pas neutre; non plus que l'acte d'interprétation des données que nous en faisons. Le risque

de trop de sympathie le «going native» est latent, le chercheur doit en être conscient : ce

trop de sympathie face à l'objet (la création) et face aux acteurs (les créateurs de cette

réalité étudiée). Le questionnement critique, l'introspection, la validation des données

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auprès des acteurs, la confrontation des données entre acteurs de milieu différents

impliqués dans l'action, la discussion, et la pratique de l'implication contrôlée sont autant de

techniques auxquelles le chercheur devra avoir recours. Nous en reparlerons.

L'expression « recherche interprétative » veut souligner « l'intérêt pour la signification

donnée par les acteurs aux actions dans lesquelles ils sont engagés » (...) et puisque ces

actions s'enracinent dans des choix de significations, elles sont toujours ouvertes à de

nouvelles interprétations et au changement » (Erickson, 1986, cité dans Lessard-Hébert,

1990:32, 40), car « dans les univers contemporains, il apparaît nécessaire de prendre en

compte le fait que plusieurs références possibles puissent coexister malgré leurs

contradictions parfois chez les mêmes personnes et qu'elles s'imbriquent dans le guidage de

l'action » (Dodier, Baszanger, 1997:46). Notre posture compréhensive face à l'objet d'étude

est alimentée bien sûr par l'interprétation que les acteures donnent de leur réalité, mais aussi

par notre propre interprétation de cette réalité et de leurs propos. C'est en toute subjectivité

que nous aussi nous nous approprions cette réalité; il ne s'agit pas de nier cette subjectivité,

mais d'en être consciente et de l'analyser comme une donnée.

Nous avons tenté tout au long de notre recherche d'établir des liens entre l'explicite et

l'implicite, c'est-à-dire comme le souligne Erickson, de « postuler face à l'objet » action-

signification » ( » meaning-in-action » ) une variabilité de relations entre les formes de

comportement et les significations ( « sense-making » ) que les acteurs leur assignent à

travers leurs actions sociales ». Nous avons tenté de comprendre ce phénomène « en entrant

dans la logique des acteurs sociaux (dans ce cas-ci les intervenantes sociales, les agents du

MRCI, les directeurs d'organismes communautaires ), en insistant sur l'autonomie de

l'individu et sa capacité à modifier le cours des événements » (Mucchielli, 1991:13). C'est

la reconnaissance de ce « fond commun de compétences » selon l'expression des

ethnologues N. Dodier et I.Baszanger (1997), donnant aux acteurs le pouvoir de

transformation sur leurs actions, qui constitue l'ancrage de notre réflexion et définit notre

posture de recherche.

Mais si nous reconnaissons ce pouvoir de transformation de l'action donc d'influence aux

acteurs, nous ne nions pas que ceux-ci soient influencés dans leurs réflexions et actions par

le contexte social dans lequel ils évoluent. C'est pourquoi en accord avec Érickson (1986)

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nous avons tenu compte du niveau immédiat (proximal) et du niveau éloigné (distal). Dans

le milieu immédiat nous reconnaissons l'éthos du groupe, le Réseau jumelage, qui est un

partage de « certaines compréhensions et traditions propre à un groupe donné, une micro-

culture » (..) De même que l'éidos, l'idée que les membres de ce groupe se font de la

pratique jumelage et de leurs échanges au sein du Réseau. Au niveau du contexte social

éloigné, nous considérons que les « significations ont une histoire », qu'elles s'ancrent dans

une culture plus large et que les significations que les acteurs accordent aux actions, aux

événements sont nourries par « les perceptions d'avantages ou de contraintes reliés à un

contexte social plus large que celui des relations immédiates » (Érikson, 1986,cité dans

Lessard-Hébert et al, 1990:42.). Dans le cadre de notre étude, le contexte immédiat est le

vécu des intervenantes en jumelage au sein de l'organisme et au sein du Réseau jumelage,

le contexte plus large est celui du contexte des relations entre le MRCI et les organismes

communautaires qui oeuvrent dans le domaine de l'immigration, des relations entre les

organismes communautaires et d'autres acteurs ou organisations de la société civile

intéressés ou confrontés au phénomène de l'immigration.

4.5. Le paradigme dialectique

Le premier principe du paradigme dialectique c'est l'acceptation de la dynamique au coeur

de la recherche, au coeur de la réalité sociale étudiée, au coeur de la vie. La dialectique,

selon Gingras (1993:113) est une méthode consistant à saisir les faits d'abord dans leur

mouvement dynamique et historique (plutôt que dans leur réalité statique) et dans le

complexe global dont ils font partie et dans leurs contradictions apparentes. » Deslauriers

(1991:12) insiste pour dire que la dialectique est une façon de regarder la société comme

système vivant (..) celle-ci n'attire pas seulement « notre attention sur les tensions qui

surgissent dans une société », mais aussi sur la nouveauté qui cherche à émerger.

L'approche dialectique s'est imposée au cours de notre recherche à trois moments ou lieux

différents; premièrement, lors d'une première analyse de contenu des entrevues

individuelles avec les intervenantes, les directeurs, les agents du ministère où nous avons

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découvert tout au long du récit des contradictions entre des critères demandés par le MRCI

et des actions posées par les acteurs du communautaire, des tensions aussi entre

l'ouverture/fermeture à l'autre chez les intervenantes, chez les jumelés, des tensions entre

des stratégies d'intervention ou de non-intervention de l'intervenante dans la relation du

jumelage...

Nous avons exploré ces pistes dévoilées par les intervenantes elles-mêmes jusqu'à constater

les possibles des acteurs du communautaire. Cette démarche exploratoire nous a fait

découvrir entre autres, pour citer un exemple, que ces tensions amenaient les acteurs à

adopter des alternatives dans ce que nous avons nommé des « espaces de transgression »

limités par l'interdit, et des « espaces de créativité » libérés de l'interdit.

Le deuxième moment où le paradigme des contradictions s'est imposé à nous en tant que

chercheure c'est lors de l'analyse des échanges au sein du Réseau jumelage. Des tensions à

un premier niveau : en terme de contenu notamment des termes utilisés pour désigner les

personnes de la société d'accueil impliquées dans le programme jumelage (bénévoles,

bénévoles d'accueil, jumeaux, parrains, personnes ressources...) termes qui au-delà du

substantif, illustrent une conception particulière de la relation au sein du jumelage.

Le troisième lieu nous le nommons « notre capacité dialectique » à titre de chercheure

(Mucchielli, 1991; Morin, 1967) capacité que nous lions à notre capacité d'empathie, cette

disponibilité intellectuelle qui nous a prédisposée à entrer dans un « processus constant de

modification » de la façon de percevoir les relations partenariales, les stratégies des acteurs,

leurs motivations, leurs limites. C'est cette capacité dialectique qui nous a permis de

formuler de nouvelles hypothèses, à partir de l'analyse des entretiens, à partir des

confidences de certains informateurs, grâce aussi à un difficile, mais nécessaire «

questionnement critique » (Moreau, 1979, Fook, 1986) sur notre propre praxis, sur la leur et

sur l' interinfluence de l'une sur l'autre. Nous attribuons aussi à cette capacité dialectique,

l'heureuse décision de nous laisser conduire sur de nouveaux terrains d'exploration

(l'activité de la Foire du jumelage; le partenariat avec des associations et organisations de la

société civile) événements déterminants dans l'évolution du Réseau et du programme

jumelage. Nous nous sommes ainsi adaptée à l'agenda du Réseau jumelage, agenda parfois

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planifié, parfois imprévisible parce que fruit des énergies spontanées et mises en commun

portées par un désir d'action immédiat.

Omar Aktouf (1990:160) écrit à partir de son expérience de terrain comme observateur-

participant au sein d'organisations : « étant donné que la manière dont les gens entrent en

relation entre eux et avec le monde naturel c'est l'expression de la manière dont ils vivent ce

monde et ces personnes, l'enquêteur ne peut avoir d'autres choix que de recourir à des

stratégies de pénétration des intentions et des expériences en jeu de ces relations (...)

l'expérience et l'action sont alors étudiées dans leur réciprocité, dans leur mouvement, dans

leur intentionnalité. La phénoménologie est alors conçue comme une science de la chose

sociale et historique. »

4.6. Étude de cas

L'objet de notre d'étude est le jumelage, un programme subventionné par le MRCI et animé

par des intervenantes au sein d'organismes communautaires dans le contexte du partenariat.

Quel est ce contexte que nous qualifions partenarial : contexte au sein duquel les acteurs

(directeurs ou intervenantes) des organismes communautaires oeuvrant auprès des

nouveaux arrivants ont une relation structurée et privilégiée avec certains acteurs (agents,

directeurs de politique, sous-ministre et ministre) du MRCI, ont des relations structurées

entre eux (Table de concertation, ROSNA, Réseau jumelage) et tentent d'établir parfois

avec difficulté, parfois avec succès des relations privilégiées avec des organismes publics et

para-publics. Ce contexte partenarial se justifie aussi par le fait que les intervenantes en

jumelage ont établi une collaboration soutenue au sein du Réseau jumelage et tentent

actuellement d'établir des relations continues avec des partenaires sociaux. La forme que

prendra le programme de jumelage sera influencée par la vision qu'en ont les différents

acteurs ci-haut mentionnés, par le contexte politique, économique, social et culturel, par les

relations que les différents acteurs ont entre eux et avec d'autres acteurs (chercheurs,

praticiens, théoriciens, journalistes... ) intéressés ou préoccupés par la problématique de

l'intégration, par les jumelés eux-mêmes qui vivent et analysent leur relation de jumelage.

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Le contexte du partenariat ne soustrait pas les intervenantes qui ont la responsabilité du

programme jumelage à respecter certaines règles dictées par le MRCI afin d'obtenir le

financement. Règles qui provoqueront inévitablement le choix entre respecter la règle ou

trouver des stratégies pour la déjouer tout en évitant la sanction négative. Nous

mentionnons , entre autres ces deux règles d'exclusion : pas de revendicateurs du statut de

réfugié, pas d'immigrants qui sont au pays depuis plus de 3 ans48. Une autre règle liée à la

finalité du programme qu'est la pratique du français peut parfois ne pas répondre au besoin

de soutien du nouvel arrivant. Toutefois le cadre de la relation proposé par le MRCI est peu

défini et laisse place aux échappatoires (espaces de transgression, espaces de créativité).

Toutefois, d'autres contraintes s'ajoutent au travail des intervenantes. Nous les avons déjà

identifiées : les contraintes bureaucratique, organisationnelle, politique, sociale et

historique.

Comme nous l'avons mentionné, le Réseau jumelage est né du désir des intervenantes de

contourner ensemble ces contraintes et de proposer de nouvelles avenues pour faire

connaître le jumelage auquel elles accordent la qualité d'agent d'intégration sociale. Nous

rappelons que le fait que des intervenantes se réunissent, forment un comité de concertation

et de collaboration autonome est une première au sein des organismes communautaires (du

moins dans le champ des services aux nouveaux arrivants).

Notre recherche est donc une étude cas : le jumelage en tant qu'intervention sociale. Nous

le nommons étude de cas car nous respectons les conditions de réalisation de l'étude de cas

tel que formulées par De Bruyne et al (1974) et Yin (1984) cités par Lessard-Hébert et al

(1990:165) 1) « l'étude de cas prend pour objet un phénomène contemporain situé dans le

contexte de la vie réelle; 2) les frontières entre le phénomène étudié et le contexte ne sont

pas clairement délimitées et des sources multiples de données sont utilisées par le

chercheur».

Afin de bien cerner notre objet d'étude, nous avons délimité notre terrain principal

d'observation et d'enquête : les intervenantes au sein du Réseau jumelage. Nous le

48 Critère modifié en 2001; les immigrants qui sont au Québec depuis plus de 5 ans et qui démontrent des

difficultés d'intégration peuvent bénéficier des services.

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qualifions de principal car nous avons aussi observé à l'occasion certains autres lieux de

partenariat afin de mieux comprendre le contexte global des politiques entourant le

jumelage: la Table de concertation49 et le Rosna.

Pour bien comprendre la dynamique du jumelage, nous avons jugé qu'il nous fallait

connaître individuellement les acteurs du Réseau, les connaître pour comprendre qui étaient

les acteurs en présence, quelle était leur vision personnelle du jumelage, leurs attentes, leurs

façons de faire, leurs difficultés, leurs réussites, leurs perceptions des personnes impliquées

dans la relation, leurs motivations à participer au Réseau, leurs attentes face au Réseau,

leurs craintes. Pour ce faire, nous avons donc procédé à des études multi-cas. Comme

l'intervenante travaille au sein d'un organisme communautaire, nous avons cru nécessaire

de rencontrer les directeurs d'organisme pour saisir la culture organisationnelle de

l'organisme et pour voir si les visions du directeur et de l'intervenante étaient concordantes.

Ainsi, nous avons eu des entretiens individuels avec des directeurs d'organisme et avec des

intervenantes en jumelage membres du Réseau, « pour découvrir les convergences entre

plusieurs cas » (De Bruyne et al (1974); Yin (1984) cités dans Lessard-Hébert, 1990).

4.7. Triangulation des données

Afin de bien saisir la particularité de l'action-jumelage, nous avons adopté une pratique de

recherche englobante, c'est-à-dire un questionnement incessant des données, un vouloir

saisir le moindre détail, une fine curiosité qui s'est traduite par une vision panoramique

(Morin, 1967) « l'emploi d'angles multiples, de méthodes complémentaires de recherche et

d'analyse » (Fielding et Fielding, 1986, cité dans Jacob, 1996:17). Cependant, nous

considérons la triangulation des données non seulement comme un mode d'investigation ,

mais en accord avec Lefrançois (1991, cité dans Jacob, 1996:18) comme une philosophie

nouvelle suivant laquelle la connaissance est une construction sociale permanente, une

49 Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiés et immigrantes : TCRI.

ROSNA : regroupement des organismes de services aux nouveaux arrivants; comité de la TCRI.

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démarche de collaboration, un mode d'interprétation et de réinterprétation des phénomènes

sociaux dans leur contexte réel et dans leur déroulement même. » L'entretien semi-dirigé,

l'entretien pseudo-conversation (Morin, 1967) qui est un mode d'entretien impressionniste

où une certaine marge d'autonomie est donnée à l'informateur, et l'observation

phénoménographique furent nos modes d'investigation pour joindre et rejoindre les acteurs,

nos « instruments de découverte » (Fabre, 1986) pour reformuler le sens de l'action. Ceux-

ci impliquent : la participation à la réflexion en groupe, à l'action en tant que participante

aux activités, les échanges informels, la discussion ouverte en toute intimité, le «

questionnement critique », moment de réflexion sur le pourquoi et le comment de la

situation.

4.8. Entretiens-Pré-terrain

Nous avons eu des entretiens téléphoniques et une première entrevue en septembre 95 avec

un agent du MRCI, responsable d'organismes qui offrent le programme jumelage, nous

avons eu aussi une rencontre informelle avec un autre fonctionnaire en lien avec le

programme jumelage. Nous avons eu deux entrevues avec un fonctionnaire de la direction

régionale du MRCI de Québec, responsable du programme jumelage. Nous avons réalisé en

juin 1996, un premier entretien avec le porte-parole du Réseau et initiateur du projet

jumelage-régions. Et nous avions notre propre expérience en tant que jumelée (depuis

février 95) et participante à des soirées de formation et d'information données par

l'organisme responsable de notre jumelage (jumelage toujours actif). Nous avions aussi en

mémoire notre expérience de travail comme agente de communications au sein d'un

organisme d'accueil et d'intégration des nouveaux arrivants à Montréal.

Les entrevues pré-terrain avec les fonctionnaires nous a permis de constater qu'il y avait au

MRCI des évaluations différentes du programme de jumelage; nous a fait découvrir aussi

que le MRCI s'apprêtait à faire évaluer le programme jumelage à Montréal et en régions par

une équipe de recherche de Métropolis. Notre entrevue avec l'intervenant nous a fait voir

qu'il pouvait y avoir différentes façons de proposer le jumelage et que le programme

pouvait prendre la couleur personnelle de l'intervenant, par sa personnalité, ses acquis et

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par la place et le rôle qu'il, qu'elle occupe au sein de l'organisme. Nous avons tenu compte

de ces observations dans l'élaboration de la grille des entretiens.

4.9. Sélection des informateurs

Les intervenantes que nous avons rencontrées sont membres du Réseau jumelage. Nous

avions entendu parler du Réseau par une des intervenantes membres que nous connaissions

personnellement. Toutefois, c'est suite à la rencontre avec un agent du MRCI que nous

sommes entrée en contact avec un premier intervenant et que nous avons été, par son

intermédiaire, introduite au Réseau. Le choix des autres intervenantes-informateurs fut

décidé lors de notre première présence au Réseau. C'est lors de cette rencontre (en

novembre 1996) que nous leur avons fait part de notre désir d'avoir des entretiens

individuels avec elles. Nous avons sélectionné des intervenantes membres du Réseau qui

étaient responsables d'un programme jumelage à ce moment-là. Notre objectif en les

rencontrant individuellement était de bien situer la personne, le sujet (influent et

influençable) et puis l'acteur : l'intervenante responsable d'un programme jumelage intégré

dans un organisme. Cette première démarche nous a permis de connaître l'acteur qui allait

interagir au sein du Réseau jumelage : quelle était sa vision du jumelage, quelle était sa

relation avec les jumelés, ses méthodes de recrutement, de promotion, le type de formation

qu'il offrait aux jumelés, le suivi, les difficultés rencontrées, ses ajustements, ce qui nous a

permis d'identifier ses motivations à entrer dans le Réseau et ses attentes envers celui-ci.

Depuis notre première participation au Réseau, il y a eu un certain roulement des

intervenantes-participantes; parmi celles que nous avions sélectionnées, quatre ont cédé

leur place à une autre intervenante de l'organisme, (fin de contrat de travail ou délégation)

les organismes ont donc pu continuer à être représentés. Après une période instable au

niveau de la représentativité des organismes (participation ponctuelle de certains) le réseau

s'est stabilisé, même si parfois de nouveaux visages apparaissent. Dix intervenantes

participent de façon régulière, 15 organismes étaient en 1999 officiellement membres du

Réseau. Nous avons eu des entretiens individuels avec les 9 intervenantes que nous avions

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rencontrées lors de notre première participation au Réseau. Toutefois nous avons eu des

entretiens informels avec les autres participantes-membres, nous avons lu le rapport annuel

de leur organisme et avons visité leur centre. De plus, nous avons participé aux réunions

partenariales que les intervenantes ont eues avec les partenaires syndicaux et sociaux. Les 9

intervenantes informateurs travaillent dans des organismes situés dans la région de

Montréal; au moment de notre enquête il n'y avait pas d'organismes d'autres régions

membres du Réseau jumelage.

Nous avons eu des entretiens du type pseudo-conversation avec 5 directeurs d'organisme.

Ces entretiens ont duré entre 1.30 et 2 h. Nous avons eu un entretien écourté et très direct

avec un directeur, ce dernier n'ayant que très peu de temps à nous accorder. Notons que

dans ce cas particulier, ce directeur avait beaucoup de réticence à nous rencontrer. Nous

avons insisté et comme le rappelle Aktouf, nous n'aurions peut-être pas dû puisque de toute

façon nous n'avons pas obtenu grand chose de cet informateur. Nous attribuons cet « échec

» ou « difficulté » à de multiples facteurs : peut-être à la personnalité de la personne, peut-

être à sa fatigue parce que débordée de préoccupations, de sa non-disponibilité parce

qu'occupée à de multiples fonctions, de sa méfiance parce que les organismes

communautaires ont une longue tradition en tant qu'objet d'investigation des chercheurs;

leur collaboration ne leur a, jusqu'à ce jour, que très peu rapporté, les chercheurs ayant peu

donné de retour de résultats.

Nous avons donc eu 5 rencontres avec les directeurs d'organisme sur les 7 envisagées, car

nous avions planifié d'interviewer les directeurs des organismes au sein duquel travaillaient

les intervenantes rencontrés en entrevue individuelle. Un entretien a été annulé parce que le

directeur était en congé de maladie. Nous considérions cet informateur comme un

informateur important parce qu'impliqué depuis plusieurs années dans l'élaboration du

contexte de partenariat et dans la mise en place du programme jumelage. Dans le deuxième

cas, nous n'avons pas jugé nécessaire de rencontrer le directeur (qui du reste a été remplacé

depuis) parce que l'intervenant est dans ce centre, responsable du secteur jumelage et

immigration et a toute autonomie et responsabilité dans ce dossier.

En ce qui concerne les agents de programmes du MRCI, notre objectif en les rencontrant

était de comprendre leur vision du jumelage, la définition des critères de financement, le

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type de relations dites partenariales que le MRCI entretient avec les directeurs ou

intervenantes du MRCI, considérant que le programme jumelage est subventionné par le

MRCI. Nous avons rencontré 4 agents et un responsable des politiques et programmes.

4.10. Entretiens-Terrain

Nous avons eu deux types d'entretien selon les informateurs.

4.10.1. L'entretien semi-directif

L'entretien semi-directif tel que décrit par Aktouf (1990) impliquait que les informateurs

répondent le plus directement possible à des questions précises, mais à angle ouvert.

Toutefois si les informateurs, par leurs réponses, pouvaient réorganiser le canevas de

l'entretien, nous prenions autorité pour réorienter l'entrevue sur des points précis de manière

à obtenir les informations que nous cherchions. Nous avons élaboré notre grille de

questionnaires selon le modèle de Allaire et Firsirotu (1981, 1984). Ce schéma conceptuel

est composé de variables endogènes et exogènes et tient compte de 3 éléments interreliés :

les acteurs en tant qu'individus, un système culturel (idéologie, valeurs et pratiques

culturelles de l'organisation) et un système socioculturel (relations interdépendantes entre

structures, stratégies et politiques) . Selon Allaire et Firsirotu, ces 3 éléments prennent

forme sous le jeu de deux forces soit leurs interactions synchroniques et les influences

diachroniques exercées par la société environnante, le passé de l'organisation et l'ensemble

des facteurs de contingence. Aux fins de notre étude, nous avons lié ces facteurs non pas à

l'organisme, mais plutôt au programme de jumelage; dans quel contexte sociétal se déroule

le programme de jumelage, quelle a été la forme qu'il a prise jusqu'à ce jour, quel axe

relationnel emprunte-t-il ? Quels sont les facteurs de contingence notamment les critères

imposés par le MRCI, bailleur de fonds et les contraintes de l'organisation du programme

lui-même. Comment répondront les acteurs du communautaire à ces facteurs de

contingence ? Quelles seront les attitudes des acteurs du MRCI ? De même nous avons

intégré à la grille d'entretien, pour ce qui est du parcours des acteurs, le modèle de Guilbert

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et Labrie (1990), inspiré de Camilleri (1989), modèle formulé à partir des notions identité

(fonction identitaire), altérité (fonction pragmatique) et réciprocité (fonction axiologique).

La première partie de l'entretien veut cerner l'acteur : son parcours, sa formation, sa

fonction, sa vision de l'organisme, son rôle et ses relations avec les autres acteurs au sein de

l'organisme, sa vision du jumelage basée ou non sur son expérience personnelle; la

deuxième partie qui est le cœur de l'entretien concerne le phénomène jumelage

(représentations pratiques et stratégies des acteurs impliqués) de même que le système

institutionnel (politiques et pratiques de l'organisme et du MRCI vis-à-vis le jumelage); la

troisième partie concerne le contexte évolutif des relations partenariales entre le MRCI et

les organismes communautaires, entre les intervenantes au sein du Réseau, entre les

directeurs d'organismes entre eux au sein de la TCRI, du ROSNA, et entre les organismes

communautaires et les organismes de quartier50 .

Nous avons ainsi adapté ce modèle selon la fonction de l'acteur que nous rencontrions. Les

entretiens semi-directifs ont duré entre 1h.30 et 2.h. Nous avons eu des entretiens semi-

directifs avec 2 fonctionnaires du ministère MRCI, et 7 intervenantes en jumelage.

De plus nous avons eu 2 entretiens semi-directifs de courte durée (30 minutes) avec 3

agents du MRCI : une rencontre individuelle et une autre de groupe (2 agents). Les

entretiens étaient centrés sur la relation qu'entretenaient les agents du ministère avec les

directeurs ou (les intervenantes jumelage) des organismes communautaires dont ils étaient

responsables. L'entretien de groupe nous a été imposé. La direction du département

concerné au MRCI jugeant que nous avions pris suffisamment de temps aux agents sur le

lieu de travail nous a alors demandé de rencontrer ces agents ensemble et d'écourter notre

temps d'entrevue.

50 Dans un souci de complétude , nous avons très peu utilisé ces données, puisqu'elles ne correspondaient

plus au cadre redéfini de notre thèse.

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4.10.2. L'entretien pseudo-conversation

Nous adoptons cette terminologie entretien pseudo-conversation de E. Morin (1967) pour

définir un entretien où nous posions un nombre limité de questions ouvertes, mais toujours

selon les mêmes grandes lignes de questions et selon le modèle de Allaire et Firsirotu. Les

informateurs par leurs façons de répondre ou d'entrer dans le propos pouvaient bousculer

l'ordre des questions, nous en suggérer de nouvelles, faire des retours, des liens, nous

amener sur de nouvelles pistes de réflexion. Cette manière d'investigation est plus

impressionniste, plus diffuse, elle laisse plus d'autonomie à l'informateur. Ce qui ne nous a

pas empêché d'aller chercher l'information que nous désirions obtenir, mais nous

ramenions, de façon plus subtile, l'informateur à nos préoccupations en partant davantage

d'un élément de son discours qu'en imposant un élément détaché qui aurait bousculé l'ordre

de son énoncé ou rompu le fil de ses idées.

4.10.3. Discussions, conversations et entretiens non-formels

L'intérêt d'être dans en relation privilégiée et dans un long terme avec des partenaires de

terrain, engagés comme nous dans la production d'un savoir, c'est la notion même de

l'engagement. L'engagement qui lie le chercheur et les praticiens, l'engagement envers le

projet, le produit d'une nouvelle connaissance. C'est cet engagement qui permet le

rapprochement entre tous les acteurs. C'est la conviction que nous y parviendrons ensemble

qui nous guide. Cette conviction permet l'ouverture à l'autre parce que chacun sait que

l'autre réinvestira ce savoir dans la production de la connaissance. Pour que l'engagement

perdure, il faut la sympathie, la convivialité, la confiance. Il faut qu'il y ait un réel

rapprochement, une certaine spontanéité, qui prédispose aux confidences si ce n'est avec

tous les informateurs du moins avec certains d'entre eux. Nous croyons avec Whyte (cité

dans Aktouf, 1990:173) qu'il est important de tisser avec les personnes et la situation un

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rapport de familiarité, d'intimité pour une meilleure compréhension, pour une acceptation

réciproque. Sans lien d'affection et d'estime, il n'y pas de recherche possible parce qu'il n'y

a pas cette motivation à collaborer.

C'est cette atmosphère qui nous a permis de recueillir des confidences lors de conversations

téléphoniques ou de rencontres. De plus avec certains collaborateurs, collaboratrices, nous

sommes parvenue à un degré d'acceptation tel que nous pouvions comme le mentionnent

Whyte, avoir des « discussions franches et ouvertes avec eux, avec elles. » La discussion

permet une mise en perspective de nos points de vue, une validation d'inférences ou au

contraire une infirmation. Elle permet aussi le transfert d'informations de part et d'autre,

informations qui circulent de façon spontanée et que peut-être nous n'aurions pas ou ne

donnerions pas autrement. Elle favorise aussi le resserrement des liens. Nous croyons

toutefois qu'il faut se méfier de toute témérité, la vigilance s'impose. Ces discussions

doivent être occasionnelles afin de ne pas créer un lien trop intime qui ferait que l'un serait

influencé par l'autre, se sentirait lié par quelque degré d'amitié, ou que l'un et l'autre

pourraient bien malgré eux divulguer des données confidentielles.

4.10.4. Règle de confidentialité

Afin de préserver l'anonymat de nos informateurs, nous avons attribué à chaque organisme,

ainsi qu'au directeur et à l'intervenante travaillant dans cet organisme, une lettre de

l'alphabet ex: organisme A, l'intervenante A et le directeur A. Nous avons donné aux agents

du MRCI, informateurs, un numéro ex: agent 1, du MRCI.

4.11. Sources documentaires

Le recours à la documentation des organismes ou du ministère vise à circonscrire le

phénomène du jumelage du point de vue officiel. Il y a lieu de distinguer quatre sources de

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documentation qui servent à l'analyse : a) la législation et les productions officielles des

gouvernements fédéral et provincial concernant les orientations du programme de jumelage

b) les critères d'évaluation des ministères impliqués dans le financement du programme c)

les programmes spécifiques d'action- règles institutionnelles, dépliants publicitaires- que les

organismes communautaires émettent sur le fonctionnement et les objectifs du programme

de jumelage qu'ils adoptent ainsi que les rapports annuels des organismes.

4.12. L'observation

4.12.1. L'observation participante

L'observation et la participation furent nos moyens privilégiés de mise en contact avec le

terrain; nous avons assisté en tant qu'observatrice invitée à des activités/jumelage

organisées par les différentes intervenantes; soirée culturelle, soirée d'information sur le

processus migratoire, fêtes, rencontre de formation, sorties animées ou libres, Foire-

Jumelage. Nous avons participé assidûment de mai 1997 à juin 1998 aux réunions

mensuelles du Réseau jumelage à titre d'observatrice, de participante, de chercheure; nous

nous sommes jointe également aux différents sous-comités qui ont établi des liens avec des

partenaires sociaux, à titre de chercheure/participante. Nous avons assisté à titre

d'observatrice/participante aux réunions du Regroupement des organismes au service des

nouveaux arrivants (ROSNA).

Nous entendons par observation participante une immersion du chercheur dans la praxis

d'un groupe, praxis prise ici au sens donné par M. J.P Resweber, théoricien de la recherche-

action « perspective (moyens, buts, valeurs et finalités) sous laquelle on envisage l'action

collective » (1997). Une immersion au cours de laquelle le chercheur échange avec les

acteurs, sujets de l'action et objets de son observation. Comme l'écrit E. Morin : «

L'échange (fut) notre valeur déontologique-clé. » Échange de points de vue sur un aspect ou

un autre de l'intervention, échange d'observations sur l'action, et sur les acteurs, échange

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d'impressions sur les processus, d'informations sur les politiques, échange à l'intérieur de

l'espace-groupe, échange à l'interface du couple chercheur/informateur, échange fait dans la

confidence et tenu dans le secret.

Nous avons adopté le principe de base de l'observation participante tel que formulé par A.

Fortin, sociologue, (1988:24) « de nous insérer dans la communauté, de nous mêler à sa vie

en la perturbant le moins possible. » Perturber le moins possible la dynamique du groupe

du Réseau, a signifié tenter de faire oublier l'influence de notre incursion. C'était compter

sur le temps ou sur notre manière d'être dans le groupe, sur notre capacité à saisir les

dispositions du groupe envers nous, notre capacité à nous intégrer dans ce groupe. Il nous a

fallu comme l'écrivent Dodier et Baszanger (1997:44) entrer dans le groupe et trouver la

bonne distance entre le groupe et nous (..) parce que ce sont les interrelations et en final, le

chercheur lui-même et le travail sur son expérience qui constituent l'instrument privilégié

de l'observation. » Le chercheur est le premier responsable de la qualité de la recherche.

Nous n'avons pas séjourné dans un organisme ou une entreprise quotidiennement pendant

quelques mois, notre étude de cas n'a pas exigé de nous une immersion active soutenue

dans la productivité du travail, nous n'avons pas accompagné de façon assidue les

travailleurs dans l'exécution de leur tâche; mais nous avons suivi l'évolution de leur

collaboration et de leur réflexion sur la transformation de la pratique du jumelage en

assistant aux réunions mensuelles, en ayant des conversations informelles avec les

participants, en suivant l'organisation et la présentation de la Foire, activité conjointe, en

participant à titre d'observatrice aux activités propres à chaque organisme tout en reliant ces

activités aux préoccupations formulées par le groupe.

Un des moyens de se faire accepter par le groupe est selon l'avis de W.F Whyte, d'avoir

l'appui des personnes influentes du groupe. Nous abondons dans le même sens. Dans notre

cas, nous n'avons pas eu à nous faire accepter par la personne-clef du groupe, à lui

consacrer du temps pour la convaincre du bien-fondé de notre projet. Nous connaissions

l'intervenant, désigné porte-parole du Réseau-Jumelage, un des initiateurs du projet. Nous

avions participé à l'automne 1996, à titre de chercheure à un autre projet-pilote initié par cet

intervenant, un projet-jumelage en région. Nous sommes convaincue que ce lien d'estime

réciproque que nous avons développé au cours de cette collaboration de recherche a

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contribué à notre acceptation au sein du groupe Réseau. Au moment de notre présentation

au groupe, cette personne jouissait au sein du Réseau d'un certain prestige dû à ses

compétences dans le jumelage, à sa capacité d'organiser des activités dont une première

Foire-Jumelage. Le groupe lui attribuait aussi un certain pouvoir de référence en raison de

ses différents niveaux d'implication dans divers réseaux. Enfin on lui donnait, en même

temps qu'il s'était approprié, un rôle de médiateur, et celui de créer des liens entre les

différents membres qui se joignaient ou qui désiraient se joindre au Réseau. Cette personne

jouissait alors d'une bonne crédibilité.

Toutefois, il ne suffit pas d'être bien intégré dans un groupe, le groupe a lui aussi son mot à

dire sur la façon qu'il conçoit la participation du chercheur. Comme le rappelle A.Fortin, «

certains groupes refusent un observateur passif. » La nature de notre collaboration au

groupe fut redéfinie en cours de route; au gré de l'évolution de notre réflexion, selon les

demandes des intervenantes, dépendant des orientations que prenait le partenariat et aussi

selon les exigences de notre démarche que nous voulions praxéologique.

Mais la frontière entre l'observation et la participation n'est pas aussi franche, ne se définit

pas une fois pour toutes, elle est à re-négocier constamment; l'implication du chercheur

dans l'action doit être contrôlée, c'est-à-dire qu'elle doit être soumise à de fréquentes

vérifications de pertinence.

La recherche de l'équilibre entre l'observation/ la participation est une préoccupation

constante du chercheur /participant. C'est le quoi, le quand, le comment et leurs

conséquences sur la praxis du chercheur et sur celle du praticien qui deviennent des remises

en question des choix méthodologiques du chercheur. Celui-ci doit constamment se

questionner sur la nature de ses choix et lorsqu'il y a doute, s'assurer auprès des observés de

leur validité.

Frieedrichs et Lüdtke (1975, cité dans Aktouf, 1990:172) voient 2 pièges méthodologiques

à l'observation participante; « la perception sélective, du fait que toute observation en tant

qu'expérience subjective sera structurée par l'individu observant » . Nous croyons que la

triangulation des données permet d'éviter cette fabrication de la réalité; la deuxième, «

l'interinfluence de l'observateur/observé », qui est en fait selon leur définition, l'influence

du chercheur sur la situation, le pouvoir de transformation qu'il a sur elle de par sa seule

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présence. Cette présence influente ferait, selon ces auteurs, que le chercheur étudierait une

situation artificielle se passant seulement en sa présence. Nous avons ressenti cette crainte à

un certain moment, mais nous l'attribuons plus au fait d'avoir fait ressurgir, par une prise de

position idéologique notre statut particulier de chercheure qu'à notre présence devenue

familière au groupe.

4.13. Objectivité et validité

L'objectivité, selon Kirk et Miller, « réfère à la décision de prendre un risque intellectuel, le

risque d'être réfuté . » Prendre le risque d'être réfuté c'est affirmer la construction de toute

réalité, c'est donc réfuter l'absolue vérité, mais c'est aussi nier l'absolue relativité en

admettant la temporalité de la réalité. En effet, le chercheur n'a-t-il pas construit cette

réalité dans l'interaction avec le monde empirique qui lui-même oppose sa propre

construction du réel (Aktouf, 1990:65) ? « La vérité (ou ce qui est considérée

provisoirement comme telle à un moment donné) (...) médiatisée par le sujet-connaissant

(Lessard-Hébert et all, 1990:65) (..) est limitée à la fois par la capacité de tolérance de la

réalité empirique et par le consentement de la communauté scientifique (Kirk et Miller,

1986, cité dans Lessard-Hébert, 1990:65). Nous nous attarderons pour l'instant à la

validation donnée par les acteurs du terrain.

Nous avons confronté nos données en procédant par « validation théorique » en divulguant

aux acteurs en cours de situation nos liens de réflexion, nos hypothèses; selon la demande

ou selon la nécessité que nous éprouvions. Cette validation de nos inférences avec celles

des sujets observés devient telle que nommée par Pourtois et Desmet (1987:57) une «

validité de signifiance ». Comme le mentionnent Lessard-Hébert et al. , les sujets observés

peuvent opposer ou manifester une certaine résistance au dévoilement de conceptions les

concernant. Des réactions variées, parfois insoupçonnées ont émergé, ce qui confirmait

pour nous l'aspect délicat appréhendé de la démarche.

Comme nous l'avons mentionné, nous considérons la durée de notre participation au Réseau

comme un facteur de validation de nos données. Cette longue collaboration nous a permis

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de confirmer et d'infirmer certaines de nos hypothèses en lien avec l'évolution de la

situation. Et en accord avec Gauthier (1987, cité dans Lessard-Hébert, 1990:74) nous

considérons aussi le facteur de « proximité » de l'interaction personnelle basée sur un lien

d'estime et de confiance, comme un élément de validité de la recherche. Ce lien d'estime et

de confiance dans l'interaction ne signifie pas qu'il n'y aura pas de non-dit, mais permettra

qu'il y ait plus de dits et de meilleure qualité.

En ce qui concerne la validité de la recherche nous considérons que la triangulation des

techniques d'investigation, « la validation instrumentale » (« convergent multiple-méthods

approach » – Webb, 1970, mentionné par Lessard-Hébert, 75) a permis la confrontation des

données en cours de situation.

4.14. Analyse des données

4.14.1. Entretiens individuels

Nous avons interprété les données recueillies lors des entretiens individuels selon l'analyse

de contenu de Laurence Bardin (1977) et selon l'analyse sémiotique telle que proposée par

Everaert-Desmedt (1981).

4.14.2. Analyse de contenu

Le modèle d'analyse de contenu de L. Bardin nous suggère un codage comprenant les

référents (thèmes pivots), les personnages et les événements et une catégorisation des

attitudes, des comportements, des rôles, des valeurs.

La structuration de notre questionnaire nous a guidée pour déterminer les éléments du

codage. Parmi les référents, nous avons identifié : le jumelage, l'intégration, l'adaptation, le

partenariat, la culture organisationnelle et institutionnelle, les politiques. Parmi les

personnages : les intervenantes, les bénévoles, les nouveaux arrivants, les directeurs, les

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agents, le ministre MRCI, le quartier, l'organisme, la population Montréal, la société

québécoise, la société d'origine du nouvel arrivant. Parmi les événements : les rencontres de

mise en contact-jumelage, la formation, les activités, le suivi, la promotion, l'évaluation. La

catégorisation par contre n'était pas pré-déterminée, c'est à la lecture et à la re-lecture du

récit et c'est par l'analyse sémiotique, « la recherche de formes sous-jacentes aux conduites

humaines et aux faits sociaux (Mucchielli : 1991:120) que nous avons découvert le contenu

implicite des énoncés, les contradictions, les tensions et les axes relationnels

(complémentarité, symétrie).

4.14.3. Analyse sémiotique des entretiens

Nous avons fait une analyse sémiotique des entretiens selon la méthode de Everaert-

Desmedt (1988). La sémiotique du récit, telle qu'appliquée par l'auteur, est divisée en trois

niveaux et parcours d'analyse. Les niveaux et parcours narratif, figuratif et thématique. Ces

trois niveaux (ou structures) et parcours (ou programmes) entretiennent des rapports entre

eux pour permettre de dégager la signification du récit, ce que Desmedt (1988:13) nomme «

le parcours génératif de la signification » et d'en faire l'interprétation.

Everaert-Desmedt part du principe que le récit est la représentation d'un événement,

événement qui comporte une situation initiale et une situation finale. Entre les deux, ont

lieu des séquences au cours desquelles apparaissent des transformations d'actions, d'états,

selon des indicateurs et des marqueurs de temps, d'espace, de contexte, d'acteurs et de rôles.

La situation finale et initiale du récit doit posséder au moins un trait en commun. Dans le

récit de l'intervenant en jumelage, par exemple, la situation initiale pourra être la quête de

rapprochement entre deux personnes, la situation finale, la rencontre interculturelle. Entre

ces deux situations a eu lieu le moment de la transformation. Lors de cette transformation,

il y a une situation conflictuelle, (forces ou volontés contradictoires) impliquant l'acteur

principal, des personnages définis comme étant des participants à une sphère d'action. Les

personnages sont classés selon trois grands axes de l'agir : la communication, le vouloir, la

lutte à soutenir. La variation des personnages est réduite à six personnages nommés «

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actants » : destinateur/destinataire, sujet/objet, adjuvant/opposant. Les relations que les

actants entretiennent sont représentées par un modèle actantiel :

destinateur -------- objet -------> destinataire

adjuvant ------->sujet -------- opposant

Lorsqu'un sujet est en quête il agit et a donc le pouvoir de transformer le « faire

transformateur » pour arriver à un état de conjonction ou de disjonction avec l'objet

convoité. Ce processus est nommé programme narratif. Dans ce programme narratif nous

retrouvons quatre phases : la performance, l'action par laquelle le sujet agit en fonction de

sa quête, la compétence de celui-ci (les qualités et les moyens appropriés). L'exécution de

cette tâche à accomplir, ici la quête, sous-entend que le sujet a été placé en situation de

devoir ou de vouloir accomplir cette tâche et que cette mission lui a été dictée par une

instance, nous parlons de contrat. Une fois la mission accomplie, qu'il y ait échec ou

réussite, il y a l'évaluation ou la sanction (récompense ou châtiment).

Les séquences narratives sont donc :

Situation initiale ----- Transformation ------ Situation finale

– compétence (épreuve qualifiante)

– performance (épreuve principale)

– sanction (épreuve glorifiante)

En ce qui concerne l'analyse discursive ou thématique, nous nous sommes inspirée de la

méthode d'Everaert-Desmedt, jumelée à celle présentée par Guilbert (1992) qui s'inspire

des sources linguistiques et d'analyse du récit de Jakobson (1963) et Todorov (1971) ainsi

que du groupe d'Entrevernes (1962).

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Dans l'analyse discursive, il nous faut regarder non plus le mot, mais la valeur de l'unité de

contenu, qui, selon le contexte, aura une fonction sémantique ou une valeur thématique

particulière. Il nous faut analyser les relations entre les personnages et leurs rôles, leurs

interactions avec les autres personnages du récit, les personnages et leurs actions en rapport

aux lieux, aux temps; ainsi, pourrons-nous dégager les thèmes, les oppositions

fondamentales qui traversent le texte. Ces relations entre les personnages de même que les

relations des rôles thématiques joués par un personnage définissent des axes sémantiques

organisés selon un ordre hiérarchique et selon des oppositions.

Prenons comme exemple, l'analyse sémiotique des relations entre jumelés dans la relation

de jumelage. Les oppositions fondamentales qui relèvent des axes sémantiques tels les

codes d'assiduité, relationnel et axiologique de la relation pourraient être :

Code assiduité | négligent // non négligent

Code relationnel | non engagé // engagé

Code axiologique | individualisme // collectivisme

Nous avons par cette technique d'analyse catégorisé des pôles contraires dans les attitudes

(ouverture/fermeture) les valeurs, (individuelles/collectives) les rôles

(médiateur/intermédiaire, initiateur/observateur) les stratégies des acteurs

(intervention/non-intervention, engagement/non-engagement). Une fois faite cette analyse

verticale des entrevues, nous avons analysé de façon horizontale et en les croisant les

différentes entrevues.

Ce que nous a révélé l'analyse sémiotique des entretiens, c'est la multiplicité et la pluralité

des stratégies déployées par les acteurs en situation, c'est l'espace-jeu des interactions.

Considérant cela nous avons décidé de poursuivre l'analyse selon l'angle proposé dans

l'analyse stratégique de Crozier et Friedberg (1977) L'analyse stratégique considère le

pouvoir de l'acteur au sein de l'organisation, « l'homme est aussi une tête », dit Crozier (cité

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dans Mucchielli, 1977:21) c'est-à-dire une volonté personnelle, des objectifs personnels. La

rencontre de ces projets personnels avec les contraintes de l'Organisation (nous prenons

l'Organisation, dans le sens de l'Organisation du programme-jumelage ce qui implique les

politiques, les contraintes structurelles, les contraintes relationnelles) produit des

comportements qui sont de deux grandes catégories; la protection d'avantages (ou la

recherche d'un bénéfice social) et la négociation comme forme de lutte pour le pouvoir «

considéré comme une liberté d'action » . Nous entendons par pouvoir, pouvoir d'influence

qu'a l'acteur sur sa propre vie, ses propres actions et sur l'environnement. Cependant nous

ne considérons pas l'Organisation comme uniquement contraignante, mais comme pouvant

être également facilitante.

4.14.4. Analyse des pratiques d'intervention

Au niveau de la pratique d'intervention, nous retenons dans le cadre de notre analyse ces

notions de l'intervention en jumelage tirées de l'analyse stratégique de Crozier appliquée

par Gyslaine Roy.

Les Zones d'incertitude. « Ces zones d'incertitude sont des interstices de liberté inhérents à

tout type d'organisation et qu'il suffit d'apprendre à reconnaître et à utiliser » (Roy,

1992:57).

Les Pratiques silencieuses. Dans ces interstices se manifestent entre autres, cet « esprit

d'invention devant les contraintes bureaucratiques » et « le repérage des pratiques

silencieuses (Deslauriers, 1989, cité dans Roy, 1992:58) pratiques rebelles faites de ruses et

de complicité avec le vrai monde » ; toutes ces manifestations font état, selon Roy « d'une

acceptation de non-uniformité et de déviance (1992:58) et d'expression de la socialité » ,

une forme d'expression quotidienne et tangible de la solidarité de base » (Maffesoli, 1989;

cité: 62)

L'immoralisme éthique. C'est, toujours selon Roy, cette solidarité de base qui incitera les

intervenantes sociales à recourir à « l'immoralisme éthique » notion maffesolienne, qui est

« un espace de jeu et de ruse pour résister aux contraintes quelles qu'elles soient » (Roy,

1992:62).

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137

Cette démarche exploratoire nous a fait découvrir entre autres, pour citer un exemple, que

ces tensions amenaient les acteurs à adopter des alternatives dans ce que nous avons

nommé des « espaces de transgression » limités par l'interdit, et des « espaces de créativité

» libérés de l'interdit jumelage.

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138

Deuxième partie : Analyse des données

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139

CHAPITRE V

Présentation des organismes et des intervenantes

5.a. Sommaire

Le jumelage entre nouveaux arrivants et Québécois est un programme qui s'inscrit à

l'intérieur du programme d'accueil et d'établissement des organismes au service des

nouveaux arrivants et immigrants. Dans la première partie de ce chapitre 5.1 nous

présentons un à un les organismes où travaillent les intervenantes et directeurs avec qui

nous avons eu des entretiens afin de démontrer les particularités et les visions respectives.

Au point 5.2 nous précisons les objectifs des programmes d'accueil et d'établissement des

organismes. Dans un effort de synthèse, au point 5.3, nous donnons les objectifs du

jumelage tels que définis par les organismes communautaires en comparant et en

différenciant ceux-ci de ceux attribués par l'État. Nous démontrons que si les objectifs du

programme de jumelage de ces organismes rejoignent dans leur fonction de régulation

sociale ceux définis par l'État via le MRCI, les organismes communautaires donnent

davantage d’importance à la notion du lien social dans sa fonction d'innovation et de

transformation des rapports sociaux.

5.1. Présentation des organismes (mission, domained'intervention, quartier), du directeur et de l'intervenant enjumelage

Sept des neuf organismes participant à l'étude sont des organismes d'accueil et d'intégration

des nouveaux arrivants. Les deux autres sont, l'un centre d'éducation populaire qui s'adresse

aux citoyens du quartier et qui offre des services de francisation et de jumelage aux

nouveaux arrivants, et l'autre, un organisme dont la clientèle est exclusivement féminine et

qui a développé un volet service aux femmes immigrantes. Le plus ancien existe depuis

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140

1890 et fut institué par la communauté du pays d’origine afin de répondre aux besoins de

leurs congénères émigrés; le plus récent, créé en 1993 est un petit organisme de quartier

mis sur pied par un comité de citoyens issus de l’immigration. La clientèle immigrante des

organismes se répartit ainsi : des réfugiés au sens de la Convention, des requérants au statut

de réfugié, des gens en situation de détresse, des gens de la réunification familiale et des

immigrants indépendants.

Dans un souci de confidentialité et animée d'un vouloir sauvegarder l'anonymat des

informateurs, nous rappelons que nous leur avons attribué une lettre de l'alphabet. Ainsi le

directeur et l' intervenante en jumelage d'un même organisme sont identifiés par la même

lettre : ex : organisme C, directeur C, intervenante C.

L’organisme A

L’organisme A a été fondé en 1890. Il a suivi l’évolution et l'histoire du Québec, « il a

évolué avec son temps » de dire le directeur. Il a toujours sa vocation sociale première,

l'entraide entre français, mais n'y sont plus le vestiaire, la soupe populaire et les services en

santé qui ont été repris par d'autres organismes.

Objectifs selon les documents officiels

L’organisme offrait jusqu’à tout récemment des services à des nouveaux arrivants français

(activités d'accueil, de loisirs, activités sociales); ainsi, les nouveaux arrivants accueillis et

personnes–ressources, les « parrains », étaient exclusivement de nationalité française.

Aujourd'hui, ils sont de langue française. « Ça rejoint des aspirations qui proviennent de la

communauté, de même que du gouvernement situé au pays d’origine qui est le principal

bailleur de fonds » (directeur). Le MRCI est un petit bailleur de fonds « même s'il devient

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141

important », selon le directeur, puisque l’organisme rejoint la volonté politique du MRCI

quant à la sélection d’immigrants francophones indépendants.

Il y a aussi des activités de service communautaire ou d'ordre culturel. Il faut dès lors

considérer l'organisme comme un centre communautaire où il y a d'autres organismes qui

viennent donner soit des services ou des activités. L’organisme A est situé près du centre-

ville.

Le programme de jumelage

Le jumelage est défini comme une relation d’accueil et d’accompagnement dans les

premiers mois d’installation au nouveau pays, comme une activité socio-culturelle et de

loisirs où est donnée l’information sur la vie politique et sociale d’ici, et comme un outil au

niveau de l’employabilité.

Le jumelage existait de façon informelle à l'organisme A bien avant l’entente de 1991;

sous forme d'activités, de mises en contact informelles. Selon le directeur, « les gens se

jumelaient spontanément; on appelait ça des parrains; quand le programme est arrivé, les

organismes ont adapté le service pour le faire entrer dans le programme. » L'intervenante a

adopté deux façons de faire : le jumelage individuel, où elle donne le numéro de téléphone

du nouvel arrivant au bénévole qui doit faire le contact, et le jumelage par rencontre de

groupe. Cette rencontre de groupe se fait lors d'un brunch; l'intervenante a l'impression

qu'ainsi le jumelage relève plus de la responsabilité des jumeaux qui se choisissent eux-

mêmes. L'intervenante est là à titre d'hôtesse, d'animatrice qui au besoin va présenter les

personnes, va suggérer l'une à l'autre. Le jumelage à l'organisme A est fait principalement

entre nouveaux arrivants français et anciens immigrants francophones, quoique le profil

tend à changer pour accueillir des francophones d'Afrique et d'Europe de l'Est.

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142

Parcours du directeur

D’origine française, le directeur A était au Québec depuis 15 ans lors de notre entretien en

98 (il quittera l'organisme à l'automne 2000). Ce dernier se définit comme un gestionnaire,

mais surtout comme un visionnaire, « moi ce qui m'intéresse le plus c'est de développer des

services, des activités, faire en sorte qu'on puisse se rapprocher de la clientèle et de la

société d'accueil. »

Venu au Québec par désir de changement, il veut « mettre des choses sur pied » . Le

directeur est représentant du personnel au conseil d'administration; invité à titre

d'observateur, sans droit de vote : « Mais moi je suis plus qu'un observateur (rire ) je peux

influencer par mes observations, mes rapports... » ajoute-t-il.

Parcours de l’intervenante

Précisons immédiatement que les intervenantes en jumelage ont différentes formations

académiques et différents parcours professionnels : sur les 9 intervenantes que nous avons

interrogées, une seule a une formation universitaire en travail social, les autres ont des

formations diverses et ont travaillé dans différents domaines soit ceux de l'andragogie, de

l'animation en milieu multiethnique, de l'enseignement du français, de l'anthropologie, et

autres.

D'origine française, l'intervenante A a migré au Québec il y a 30 ans avec son mari qui y est

venu enseigner. L'intervenante faisait du travail social à l’organisme depuis 2 ans lorsque

nous l'avons rencontrée en 1996. Ayant débuté à titre bénévole, elle est devenue

permanente et s'occupe du travail social, notamment de la question des fonds de retraite et

du jumelage (1 jr semaine). Elle a quitté le programme jumelage en 2000. Considérant que

le Réseau jumelage répondait peu à ses attentes, notamment en ce qui a trait à des activités

débats, à des échanges culturels, celle-ci y a peu participé. L’intervenante croit que le

Réseau a un bien-fondé, mais que « ce n'est peut-être pas elle qui est la bonne personne. »

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143

Le jumelage est un aspect de son travail, mais selon ses dires, ce n'est pas sa priorité : «

même si ça a l'air de le devenir parce que ça prend de l'ampleur. » L’organisme a tenté de

mandater des bénévoles au Réseau, sans plus de succès, toutefois depuis mars 2000, la

nouvelle intervenante responsable du jumelage s’y implique. Son intérêt, outre de répondre

à certaines difficultés propres à la pratique, est le développement des liens avec les

syndicats et organisations.

L’organisme B

L'organisme B a été fondé en 1989. Sa mission de départ visait l'adaptation des immigrants

par les services d'accueil et d'établissement. En 1994, l'organisme réoriente sa mission en

fonction de l'intégration. Celle-ci devient : intervenir auprès des immigrants dans les étapes

d'établissement et d'intégration personnelle, professionnelle et sociale en adaptant les

services à leur vécu et à la société d'accueil (tiré du rapport annuel, 1997). L’organisme B

est situé à Ville St-Laurent, il est un organisme de quartier, c'est-à-dire que la clientèle

immigrante vit à proximité du centre. Un des quartiers que dessert l'organisme B est un

quartier de classe populaire où vit une importante communauté asiatique. Le départ des

Québécois d'origine francophone va de pair avec la multiethnicisation du quartier. L'intérêt

pour ce quartier serait lié, selon l'étude de J. Charbonneau (1993:227), aux avantages du

site où est situé le métro et plusieurs institutions telles le CLSC, le YMCA, une Mosquée,

des organismes communautaires comme le Centre Échange entre Femmes (partenaire de B)

qui reçoit aussi les femmes d'un autre quartier. Un autre quartier à proximité, autrefois

quartier aisé très multiethnique, vit aujourd'hui une tendance à la réduction de sa

multiethnicité. Même si les Québécois anglophones et francophones sont encore

majoritaires dans le quartier, leur nombre diminue constamment. La communauté libanaise

devient la plus importante en nombre. Le « sens du lieu » s'est ainsi créé, selon

Charbonneau, (1993:227) « autour de la présence d'un certain noyau de population qui agit

comme un aimant vis à vis des nouveaux résidents. »

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144

Programme du jumelage

En 1991, des jumeaux se réunissaient sur une base amicale par le biais d'une église

chrétienne. En 1992, l’organisme B s'est joint à l'église. Le jumelage en tant que

programme subventionné y existe depuis 1994, mais a eu un arrêt d'un an, en 1995-1996.

En 1995, l'organisme amorce une restructuration du programme de jumelage : « on s'est

rendu compte que ce n'était pas la meilleure façon, les attentes des gens étaient tellement

grandes » de souligner l'intervenante B.

Le rapport annuel de 1996-1997 précise en ces termes les objectifs généraux du jumelage :

« ce dernier vise à fournir du support aux nouveaux arrivants qui désirent s'intégrer à la

société d'accueil en étant guidés et soutenus par des Québécois qui souhaitent les

accompagner dans leurs démarches. Les objectifs spécifiques sont favoriser le

rapprochement interculturel, faciliter la connaissance culturelle et sociale de la société

québécoise; informer les jumeaux sur la problématique de l'intégration des immigrants et

leur suggérer des moyens pour y parvenir; et pour les immigrants avoir une occasion de

pratiquer le français. »

Un des objectifs du jumelage inscrit dans le rapport annuel 1997 et au moment de notre

entretien était le jumelage des intervenants sociaux et des nouveaux arrivants. Ce n'est plus

l'objectif en 1998.

L'originalité du programme de cet organisme est l'ouverture dite du recrutement des

bénévoles québécois aux « Québécois de toutes origines » (rapport annuel 1996-1997). En

1996, l’intervenante B travaille en collaboration avec une autre intervenante d'origine

cambodgienne. « La directrice, dit-elle, trouvait ça intéressant qu'il y ait une Québécoise et

une immigrante au jumelage, cela fait une dynamique intéressante. Elle m'apporte

beaucoup, je lui apporte le point de vue québécois, on peut échanger sur les problèmes,

mais c'est un gros défi. La difficulté c'est de trouver le fil conducteur. » En fait les deux

intervenantes ne font pas les entrevues ensemble, c'est ainsi que l’une peut assumer le suivi

auprès d'un couple jumelé au départ par l’autre. L’intervenante dit avoir essayé de s'adapter

à cette situation; faute de temps pour faire les entrevues ensemble, « on essaie, précise-t-

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145

elle, de partager les tâches, car l'avantage est dans l'organisation commune des activités » .

Depuis, il y a eu une restructuration à l’organisme; les deux intervenantes ne travaillent

plus ensemble et l’intervenante B est responsable du volet interculturel : Femmes du

Monde, le PRI, le jumelage, la problématique de la pauvreté et les liens avec les quartiers.

En 1998, une stagiaire anthropologue seconde l’intervenante B. Celle-ci apprécie cette

collaboration : « Travailler à deux, c'est mieux, ce programme là, seule, c'est lourd; il faut

créer des liens, faire de la promotion, faire un plan d'action... »

Parcours de la directrice

La directrice vit au Québec depuis 1989. Elle a laissé une société où il y avait une montée

de l’intolérance pour une société où elle trouverait la paix et l’harmonie pour ses enfants.

Au Québec, elle décide de s’impliquer au niveau social auprès des immigrants « pour aider

cette société à évoluer de la bonne façon. » Au moment de notre entretien, en 1998, elle

était directrice de l’organisme B depuis cinq ans (elle quittera en 1999). Avant d’occuper ce

poste, elle y avait travaillé pendant six mois à titre de technicienne en informatique et de

coordonnatrice. La directrice lance à l’organisme l’idée du jumelage d’adaptation qui veut

susciter la participation à titre de personnes–ressources de bénévoles qui ont connu un

parcours migratoire.

Parcours de l’intervenante

Lors de l'entrevue, en novembre 1996, l’intervenante travaillait à l’organisme B depuis 6

mois. Elle quittera l'organisme à l'automne 2000. Originaire de la ville de Québec,

diplômée en anthropologie de l'Université de Montréal, elle a travaillé dans des institutions

financières et possède un certificat des HEC. « J'ai voulu comprendre le monde des affaires

» (...) parce que tu ne peux critiquer ce que tu ne connais pas. » Ce qui l'intéresse, ce sont

les relations internationales et l'intégration des immigrants. « J'essaie de comprendre le côté

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social, le côté économique et le côté politique » (...) Elle croit nécessaire qu’il y ait des

partenariats entre les trois domaines ci-hauts mentionnés et entre les différents acteurs.

Au début, comme elle le rappelle, elle ne « s'est pas trop investie dans le jumelage; elle a

fait une « fouille archéologique », a essayé de comprendre les années passées, les anciens

jumeaux, les structures » . Au moment de l'entrevue, elle travaillait deux jrs/s au jumelage

(trois jrs par la suite), et le reste du temps à titre d'intervenante sociale. L’intervenante est

elle-même jumelée tout comme l’intervenante I et comme l’a été l’intervenante E.

L’intervenante B s’implique au Réseau jumelage depuis sa mise en place. Elle y a assumé

le mandat de porte-parole de mars 1998 à l’été 1999. Le Réseau permet selon elle, de voir

qu'il y a différentes façons d'aborder le jumelage, différentes manières de le structurer. En

novembre 1996, ses attentes face au Réseau étaient que les intervenantes solidifient

l'approche du jumelage, qu'ils essaient de voir les défis et d'avoir des solutions en commun.

Son intérêt est la réflexion sur la transformation de la pratique, les liens avec les syndicats

et associations de même que le renforcement des mécanismes de collaboration entre les

intervenantes, notamment le « mécanisme de transfert » qui consiste à la création de

jumelages entre deux organismes dans le but de réduire le temps d’attente des jumelés et de

faire de meilleurs pairages.

L’organisme C

L'organisme C est le plus ancien des organismes d'aide aux immigrants. Il fut fondé en

1947 par les Sœurs de Notre-Dame du Bon-Conseil pour accueillir les milliers de personnes

déplacées qui fuyaient l'Europe à la fin de la Seconde Guerre mondiale (rapport annuel

1996-1997). L'organisme C est situé dans un quartier huppé; sa clientèle immigrante n'est

donc pas de ce quartier. De même, notamment dans le jumelage, les bénévoles viennent

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aussi majoritairement d'autres quartiers puisque la majorité des résidents avoisinants le

centre sont anglophones51.

L’organisme C a une culture organisationnelle bien établie, mais laisse place tout de même

à un espace de créativité. L’intervenante en jumelage a établi une relation interpersonnelle

d'estime et de confiance avec la directrice, basée sur leur personnalité peut-être, mais aussi

sur les compétences de l’intervenante et sur la non-ingérence de la directrice dans

l’intervention en jumelage. Ce qui a comme conséquence que l'intervenante jouit de

beaucoup d'autonomie, qu'elle peut même discuter de certaines orientations avec la

direction, entre autres en ce qui concerne le jumelage et ses implications selon qu'il sera

subventionné dans le cadre du PAEI ou du PRI.

L’intervenante dit : « j'ai de la place dans mon travail, mais c'est très subjectif, peut-être

qu'avec une autre intervenante, elle n'aurait pas le même genre de relation. » Cette dernière

a été élue en 1997-1998- membre avec droit de vote au conseil d'administration.

Programme de jumelage

Le programme de jumelage dans sa forme actuelle existe à l'organisme C depuis septembre

1995. L'idée de départ était le jumelage aînés/enfants, idée refusée par le MRCI.

L'organisme C l'a reconverti en jumelage intergénérationnel, où l'on retrouve dans plusieurs

jumelages la relation grand-mère/ enfant, mère/fille. La justification d'un tel programme

auprès du MRCI fut basée sur des indicateurs : tel l'isolement des aînés, sur des postulats

émis par le MRCI dans le cadre des programmes PAEI que sont l'aide à l'adaptation et à

l'intégration, et dans le cadre du PRI52, un geste manifestant l'ouverture à l'autre et une

occasion de s'enrichir culturellement. Toutefois, au moment de notre entretien, l’organisme

ne reçevait qu’une petite subvention dans le cadre du PRI.

51 Nous rappelons qu'un des objectifs du jumelage est la pratique du français

52 PRI, aujourd'hui PSPC : programme pour les relations interculturelles (PRI), il est devenuprogramme de soutien à la participation civique (PSPC).

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Le projet en 1996-1997, nommé alors Amitié-Jumelage avait comme objectif, le partage

interculturel et le rapprochement de nouveaux arrivants avec des aînés en particulier. Ce

programme propose aux immigrants de briser leur isolement, de se constituer un premier

réseau social pour découvrir le pays d'accueil par le biais de l'amitié, de se familiariser avec

les modes de vie des Québécois, de parler de ses découvertes de son pays d'origine et de

pratiquer la langue française dans une ambiance chaleureuse. Il offre aux aînés d'ici une

expérience intergénérationnelle et interculturelle : faire connaître le Québec et sa culture à

travers son histoire personnelle et ses expériences, accueillir les richesses des autres

cultures et favoriser l'apprentissage du français aux néo-québécois (rapports annuels 1995-

1996-1997).

Même si la caractéristique principale du programme jumelage à l'organisme C est le

jumelage intergénérationnel, les jumelages ne sont pas tous intergénérationnels, et ne sont

pas tous entre familles. L'intervenante commente ainsi cette situation :

Parce que les projets de jumelage, il ne faut pas non plus les fermer(...) donc tous les gens

de bonne volonté en quelque sorte qui viennent me voir, quel que soit leur âge, du côté

des gens d'ici, je te dirais même aussi d'anciens émigrants aînés (intervenante C, 1996).

Parcours de la directrice

La directrice actuelle est en poste depuis 1992, mais elle connaissait le centre depuis

longtemps :

J’étais étudiante, dit-elle, le dimanche nous passions pour aller à la grand-messe et on nous

avait dit que c'était un centre pour immigrants, mais dans ce quartier, tu n'avais pas le droit

de t'afficher (...). On est venu faire les services le jeudi53 (...) et j'avais travaillé un peu avec

les immigrants à Longueuil.

53 Les soupers du jeudi peuvent être considérés comme étant les premiers lieux d'échange interculturel où on

invitait des Québécois à venir rencontrer, autour d'un repas, des réfugiés.

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Parcours de l’intervenante

L’intervenante C était intervenante à l'organisme C depuis un an et demi lorsque nous

l'avons rencontrée à la fin de l'année 1996 (elle quittera son emploi en 1998). Celle-ci a eu

« plusieurs parcours migratoires et plusieurs parcours interculturels » : de nationalité

française, elle est née et a grandi au Vietnam; elle a vécu en France ainsi qu’au Maroc. Elle

est diplômée en sciences et en andragogie, et a travaillé à la formation des adultes au Maroc

et en France. C’est pour améliorer sa qualité de vie et celle de sa famille qu’elle migre au

Québec en 1993. Elle connaissait peu son nouveau pays d'accueil si ce n'est par quelques

lectures. Le côté multiculturel de Montréal l'a attirée; elle affirme « détester l'homogénéité.

» Considérant ses expériences de travail en formation interculturelle auprès des Québécois,

puis avec des nouveaux arrivants au niveau de la francisation, elle trouve logique que ce

parcours l’ait amenée à travailler au programme jumelage, c'était, selon son expression,

comme « fermer la boucle. » Elle est entrée à l'organisme C en francisation, dans le cadre

d'un programme d'emploi subventionné par l'État. En 1996, elle travaille quatre jours/

semaine : deux jours et demi en jumelage, un jour et demi en francisation et en

employabilité pour l'organisation d'activités collectives. Au moment de son départ en 1998,

elle travaillait cinq jours/semaine. La nouvelle intervenante possède un certificat en relation

multiethnique; elle est plus jeune, elle a le goût de recruter les participants québécois du

jumelage au sein de son réseau. Toutefois, elle maintiendra aussi le jumelage avec les aînés

en accord avec les conseils de l’intervenante C, pour répondre aux besoins des gens déjà

inscrits dans le programme et selon les désirs de la directrice qui a institué ce type de

jumelage.

L’intervenante C a participé à la mise en place du Réseau jumelage et s’y est beaucoup

investie. Son intérêt porte sur l'approfondissement de la réflexion sur la pratique du

jumelage et l’échange des points de vue dans le but d’une amélioration de la pratique. Entre

autres sujets, elle mentionne la question de la responsabilité de l'intervenante en jumelage à

penser d'autres lieux de rencontre interculturelle que celui du jumelage interpersonnel, où il

y a présentation d'individu à individu qui selon l'intervenante « est malgré tout très limité

(...), il faut élargir. »

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L’intervenante qui est depuis devenue responsable du programme continue de s’impliquer,

au nom de l’organisme, au Réseau jumelage; ses préoccupations rejoignent celles de

l'intervenante C.

L’organisme D

L’organisme D, créé en 1979, bien qu’il ait développé des liens de collaboration et des

espaces de concertation et de partenariat avec les organismes et institutions du quartier a

une approche régionale, c'est-à-dire qu’il dessert la clientèle immigrante de l'île de

Montréal: « on a des gens de partout », de dire l’intervenante. L'organisme D est situé à la

frontière du Plateau Mont-Royal.

Programme de jumelage

Le programme du jumelage existe à l’organisme D depuis 1987, à Montréal, il est le

premier organisme à offrir le programme jumelage subventionné par le gouvernement

fédéral. Celui-ci, comme nous le verrons, a servi de modèle à d’autres.

Lorsqu’en 1987, l'organisme D démarre le programme, il veut alors se démarquer de

l'orientation qu'avait un autre programme-jumelage, créé la même année, et qui orientait la

relation dans l'axe aidant/aidé plus apparenté à la notion de parrainage. L'organisme de

Montréal définit alors ses propres principes : « le jumelage doit permettre d'établir des

relations égalitaires, des échanges d'ordre économique ou amoureux ne doivent pas avoir

lieu; les Québécois d'origine, participants, ne doivent pas être perçus comme des

travailleurs sociaux, le jumelage implique l'établissement d'une relation où les deux parties

apprendront l'une de l'autre; le jumelage ne doit pas entraîner la création d'une relation

d'aide (dans le sens aidant-aidé), mais bien de permettre la naissance d'une relation d'amitié

» (extrait du Rapport final, Évaluation du programme Amitié-Jumelage, G. Aiquel,

1994:10-11).

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Tel que décrit dans le dépliant de l'organisme D : Le programme de jumelage a comme

objectif général « de contrer les obstacles qui ralentissent l'intégration des nouveaux

arrivants en sol québécois » . Ces obstacles sont identifiés comme étant des difficultés

linguistiques, des préjugés, des barrières racistes et une méconnaissance de part et d'autre.

L’organisme oriente le programme selon trois axes : le rapprochement interculturel, l'amitié

et l'accompagnement dans les étapes d'intégration.

Parcours de l’intervenante

L’intervenante travaillait à l’organisme D depuis environ huit mois lorsque nous l’avons

rencontrée en 1996; elle quittera en 2000. Ses expériences antérieures de travail ont été

dans des groupes de femmes, dans le domaine de la violence conjugale, et dans le domaine

des communications, notamment, il y a plusieurs années, au ministère de l'Immigration, et

dans les organismes qui font de l'info-référence, de la recherche et de la formation aux

bénévoles « mon expérience, dit-elle, est très variée, ça touche un peu tous les points ! »

L’intervenante est impliquée, depuis une dizaine d’années, à l'organisme D comme

bénévole et elle travaille à temps partiel, trois jours semaine en tant qu’intervenante en

jumelage. Québécoise d'origine, c’est en référence à sa propre union mixte et à partir des

expériences de voyage, de la découverte des autres cultures, des chocs culturels et de la

difficulté parfois vécue d'établir des liens avec les habitants des pays visités que

l’intervenante affirme à la fois ses compétences pour œuvrer dans le champ des relations

interculturelles et la nécessité du programme de jumelage pour les nouveaux arrivants. Elle

a participé aux premières réunions du Réseau, puis y est venue de façon sporadique, faute

de disponibilité, quoique peu de temps avant son départ de l’organisme, sa présence était

plus assidue54.

54 Depuis l'automne 2000, la nouvelle intervenante en jumelage de l'organisme D participe aux réunions du

Réseau

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L’organisme E

L’organisme E est né en 1973 d'un besoin d'information concernant leurs droits manifesté

par plusieurs femmes, suite à la publication d'un journal féministe au centre ville. La lutte

initiale était de contrer la violence faite aux femmes. L’organisme a donc une vocation

spécifique et dessert la clientèle d'un vaste territoire, celui de l'île de Montréal. Le service

aux femmes immigrantes a été mis sur pied en 1977 : ses objectifs sont d'encourager

l'autonomie et l'intégration à la société d'accueil.

Programme de jumelage

Le programme de jumelage qualifié d'échange interculturel a débuté comme un projet

supervisé par deux stagiaires de l'École de service social de l'Université de Montréal;

celles-ci se sont inspirées du programme jumelage existant à l’organisme C55. En 1991-

1992 il fut intégré aux services de l’organisme et, selon la directrice, structuré davantage :

Il y a encore beaucoup de travail à faire parce qu'on n'a jamais eu tellement de ressources

permanentes et ça c'est un gros problème, ce qui fait que la superviseure, moi ou une autre

personne de l'équipe supervisait les personnes responsables du jumelage qui ont toujours

été des personnes à temps partiel soit des stagiaires, soit des mesures extra.

Le budget de l’organisme ne lui permet pas de donner un poste permanent à une

intervenante étant donné que dans le PAEI, programme au sein duquel est le jumelage,

l’organisme doit inscrire en priorité d’autres services essentiels.

55 Données extraites de Femmes immigrantes et intégration sociale; évaluation d'un

projet d'échange interculturel, par Samanta Daignault, École de Service Social, Université

de Montréal , avril 1996.

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Moi j'ai remarqué que, notamment dans le cas de cet organisme, on lui a accordé peu de

subventions pour son programme jumelage. L'attribution des subventions, il y a comme un

historique; traditionnellement on a consacré l'argent au volet première ligne. À l’organisme

C aussi, les gens le font à bout de bras (agent 2 du MRCI).

Confrontée à des contraintes budgétaires, à des choix dans la gestion financière et

administrative de l’organisme, la direction doit négliger le jumelage. Comme nous le

verrons, ce choix dans une situation qualifiée de non-choix complexifie le travail de

l’intervenante car son intervention est marquée de façon indéniable par la discontinuité,

dans le lien constamment rompu avec les jumelés.

Le jumelage tel que défini dans le dépliant de l’organisme E favorise un échange

interculturel et facilite l'intégration des femmes immigrantes à la communauté québécoise.

Les objectifs sont : favoriser un échange interculturel, faciliter l'intégration des femmes

immigrantes à la communauté québécoise en brisant l’isolement des femmes immigrantes

et en leur permettant d'améliorer leur français.

Dans son analyse du programme de jumelage, S. Daignault lie l'ouverture à la différence

interculturelle et la conception du jumelage dans une perspective égalitaire au modèle

féministe utilisé dans plusieurs centres de femmes. Les objectifs du jumelage inspiré par ce

modèle sont : « développer une solidarité entre femmes et groupes de femmes, développer

une estime de soi, favoriser une prise en charge de leur propre vie, promouvoir l'autonomie

des femmes sur le plan personnel et social » (1996:29,30). Les bénévoles ne doivent pas

devenir ou s’improviser travailleuses sociales. La directrice insiste sur ce dernier aspect : «

on dit aux gens si vous vous apercevez que la personne a trop de dépendance revenez-nous

avec ça parce qu'on est là pour intervenir comme travailleuse. »

Parcours de la directrice

Lorsque nous l’avons rencontrée, la directrice de l'organisme E avait travaillé au service

des femmes immigrantes à titre de conseillère à l’immigration puis à titre de directrice, de

1985 à 1998. Elle quittera ce poste en 1999. Elle a une formation en travail social et une

formation juridique en droit. « Mais dans ce travail là, commente-t-elle, le côté légal ce

n'est pas perdu ! »

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Selon ses dires, elle est venue à l’immigration un peu par hasard quoique, affirme-t-elle, ce

travail soit lié à sa formation, et alors qu'elle était encore imprégnée par un voyage en

Amérique centrale. Comme dans le cas des directeurs des organismes A et B, elle est restée

« parce qu'il y avait une ouverture et un développement possible il y avait ici des défis pour

moi. C'était des années où justement en ce qui concernait les partenariats avec les deux

niveaux fédéral et provincial, il commençait à y avoir des débouchés. »

Au conseil d'administration, la directrice et une représentante du personnel ont le droit de

vote. Cependant la directrice décrit son rôle comme l’un d’information et d’échange plutôt

que « d'apporter des revendications. »

Parcours des intervenantes

Depuis 1996, nous avons rencontré trois intervenantes stagiaires qui ont travaillé tour à tour

au programme jumelage à l'organisme E dans le cadre du programme subventionné,

programme extra56. Nous avons réalisé l'entrevue avec la deuxième intervenante, nous

avons eu toutefois des contacts plus réguliers avec la troisième intervenante qui a participé

au Réseau pendant un an.

Parcours de la deuxième intervenante

L’intervenante est venue au Canada pour des raisons politiques et de guerre en 1993

comme réfugiée sélectionnée. Originaire du Salvador, elle travaillait avec des groupes de

femmes à la campagne en lien avec des organisations de lutte pour les droits de la personne.

Après onze mois d'établissement et d'implication bénévole à Régina en Saskatchewan, et ne

56 Une a travaillé en 1995, la deuxième terminait son mandat quelques jours après notre entretien en

novembre 1996, une autre intervenante y a travaillé du printemps 1997 au printemps 1998, puis fut à son tour

remplacée. Depuis c'est la coordonnatrice du programme qui assiste aux réunions du Réseau.

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trouvant pas de travail, elle décide de venir à Montréal. Ayant terminé les cours de français

au COFI puis une formation de deuxième niveau, elle est devenue bénévole à l’organisme

E auprès des femmes immigrantes puis responsable du jumelage dans le cadre d’un

programme extra.

L’organisme F

L'organisme F, à la différence des autres organismes qui font partie du Réseau jumelage est

un centre d'éducation populaire, qui ne s'adresse pas de façon prioritaire aux nouveaux

arrivants. Ce centre d'éducation populaire existe depuis 25 ans. Les services qui s'adressent

aux nouveaux arrivants sont la francisation et le jumelage. Les nouveaux arrivants sont

invités ainsi que les autres résidents du quartier à participer à des activités « de formation,

de sensibilisation, et de loisirs » par le biais du programme de rapprochement interculturel.

Cette dynamique propre au centre permet à l’intervenant de par la compétence démontrée et

l'expérience acquise de jouir d'une grande autonomie : « Il (le directeur) me fait entièrement

confiance et même lorsqu'on se rencontre, c'est moi qui apporte les doutes par rapport à la

boîte, c'est moi qui apporte les nouveaux projets » (intervenant 1996).

Le fait aussi que l’intervenant soit sur différents comités influents dans le domaine de

l'immigration tel, membre du conseil d'administration de la Table de concertation des

organismes de Montréal au service des réfugiés (TCMR)57, membre du ROSNA, et depuis

septembre 1997 pour un mandat de deux ans révocable ou renouvelable, membre du comité

aviseur auprès du MRCI, lui donne un prestige au sein de l’organisme et une visibilité à

l'extérieur du centre. Ses responsabilités lui confèrent un pouvoir de représentation et

d'information qui sera bénéfique non seulement à l’organisme, mais aussi aux autres

intervenantes, membres du Réseau jumelage interculturel de même qu'à différents acteurs

du MRCI.

57 Aujourd'hui TCRI.

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Programme de jumelage

Le jumelage est né d'une constatation d'un besoin : besoin des immigrants de pratiquer le

français et non-occasion de le faire; il fut mis en place en 1992 avec ces deux options :

soutien linguistique en français et rencontre interculturelle.

Trois formes de jumelage

Actuellement, il existe trois formes de jumelage à l'organisme : le jumelage soutien en

français oral/écrit, il est écrit dans le dépliant que « de cette façon, le Centre fait appel à des

personnes bénévoles désirant aider un participant des cours de français langue seconde

(une personne immigrante) soit par la conversation ou par des exercices écrits. » Ce

jumelage fait appel, selon l’intervenant, davantage à la philosophie du bénévolat, dans un

axe complémentaire où l'un donne et l'autre reçoit ce qui n'empêche pas toutefois que cette

relation puisse évoluer vers une relation plus symétrique de découverte mutuelle et

d'établissement d'un lien plus approfondi.

Un autre type de jumelage est appelé échange interculturel; celui-là, tel que décrit dans le

dépliant, « offre la possibilité aux nouveaux arrivants et aux Québécois de se rencontrer

pour pouvoir échanger sur une foule de sujets dans un climat amical. » Ce type de jumelage

se situe dans l'axe symétrique de réciprocité que l’intervenant situe à l'opposé du bénévolat.

Le troisième type de jumelage est intégré au projet « Découvertes en région » : des

nouveaux arrivants sont conviés à aller explorer une région tout en séjournant chez des

familles d’accueil. Dans ce cas, le jumelage se situe dans la découverte mutuelle, et

l’échange interculturel.

Parcours de l’intervenant, de l’intervenante

L’intervenant responsable du jumelage est né à St-Jean sur Richelieu; lorsque nous l’avons

rencontré en 1996, il était intervenant à l'organisme F depuis depuis 4 ans, et responsable

des programmes de jumelage depuis septembre 1997. Il quittera l’organisme F en 1999. Il

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partage la responsabilité du jumelage interculturel avec une autre intervenante. Il a un

baccalauréat en animation culturelle et a obtenu un certificat en immigration et relations

ethniques de l'UQÀM.

L’intervenant F est un acteur qui met de l'avant des projets, un acteur « innovateur » qui

possède une vision globale du phénomène de l'immigration; vision qui le porte à s'engager

dans plusieurs projets, à proposer de nouvelles avenues : le Réseau jumelage, les séjours

d'immersion en région, l'alliance PSIE/PAEI, un café à l'intérieur du centre, l'internet

comme outil de rapprochement... L'intervenant F a été à l'origine de Réseau. Lors d'un

entretien en janvier 1998, l’intervenant mentionne le pourquoi du nom Réseau : « d'une part

c'était pour sortir de l'appellation de la Table, c'était aussi réseau dans le sens de s'entraider

: « j'ai donné le ton , mais j'avais cette idée d'aller chercher des partenaires. » Les membres

du Réseau ont été recrutés par ce dernier. Les objectifs du Réseau qui sont encore valables

aujourd’hui, il les définit ainsi : se créer un réseau d'échanges » pour s'entraider, s'outiller,

se donner de la formation, s'autoformer en allant chercher ce que les autres font sur certains

sujets, certains thèmes et avoir la possibilité de faire des activités communes » . Ces

activités communes ont comme but de faire connaître davantage le programme de jumelage

au sein de la population.

L’autre intervenante, qui a été responsable du programme jusqu'à l'été 2000, a enseigné le

français aux nouveaux arrivants au COFI, puis à l’organisme F. Elle a participé à la mise

sur pied du programme jumelage. Elle y a travaillé depuis septembre 1997 et a participé

activement au Réseau jumelage de 1998 à 2000. Son intérêt est tout ce qui concerne la

transformation de la pratique, notamment la question du suivi et l’amélioration des

formations aux intervenantes.

L’organisme G

L’organisme G fut fondé en 1981. A ses débuts, il répondait aux besoins de la communauté

latino-américaine. Le MAICCI lui demande en 1993 d'offrir ses services à plus d'une

communauté, de devenir multi-ethnique. L'organisme G est situé dans un quartier à 90%

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multiethnique, un quartier défavorisé démuni tant au niveau économique qu'au niveau des

ressources. Ce quartier est défini comme « un quartier de passage », quartier de première

résidence des nouveaux arrivants.

Programme de jumelage

L’organisme G est un organisme subventionné, qui connaît, comme plusieurs autres

organismes, des difficultés financières, ce qui a comme conséquence, des conditions de

travail précaires et un roulement du personnel : « le problème dans les organismes,

commente le directeur, c'est qu'il y a beaucoup de rotations, ça peut créer des difficultés de

collaboration entre les travailleurs », ce qui crée des difficultés au sein même du

programme du jumelage. Le fait que l'intervenante travaille à contrat et qu'il y a un manque

de suivi provoque un désintéressement des futurs jumelés : « tu les rappelles, ils ont perdu

intérêt », déplore l'intervenante.

Le jumelage a été créé en 1995 à l'organisme G, sous le nom : « Nouveaux départs,

nouveaux amis. » L’objectif du programme décrit dans le rapport annuel est de faciliter

l'intégration des nouveaux immigrants à la société d'accueil à travers un contact direct avec

un citoyen ou une famille québécoise. Les autres objectifs décrits sont : pratiquer la langue

d'accueil ainsi que celle du nouvel arrivant (échanges linguistiques), prévenir l'isolement en

façonnant des liens d'amitié, sensibiliser le citoyen québécois aux réalités multi-ethniques,

faciliter la voie vers l'autonomie du nouvel arrivant.

La première année il y avait, comme à l’organisme B, deux intervenantes au jumelage : un

Québécois d'origine et l’intervenante G. L'avantage de la collaboration entre deux

intervenantes en jumelage est, selon l'intervenante, « que tu peux partager le travail. »

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Parcours du directeur

Originaire du Chili, le directeur a été intervenant à l'organisme pendant neuf ans avant de

devenir directeur, poste qu’il occupera jusqu'à son départ de l’organisme en 1999. Le

directeur et un représentant du personnel siègent sur le conseil d'administration et ont droit

de vote.

Parcours de l’intervenante

L’intervenante travaillait à l’organisme G depuis deux ans lorsque nous l’avons rencontrée

en 1997 : un an comme intervenante en jumelage dans le cadre de programmes d'emploi

subventionnés (programmes extra article 25) et dix mois à titre de remplaçante au poste

d'intervenante à l'établissement et intervenante en jumelage. En 1998, elle partage la

responsabilité du jumelage avec une autre intervenante qui deviendra à son tour responsable

du jumelage et participante au Réseau jumelage puis intervenante à l'établissement à temps

plein.

Venue du CHILI avec ses parents à l'âge de 15 ans, l’intervenante G a une formation en

travail social de l’UQÀM. Celle-ci a toujours travaillé avec la clientèle immigrante, « plus

une question de circonstances que de choix délibéré » dit-elle.

L’intervenante dit avoir une relation assez cordiale avec le directeur, ce qui ne l'empêche

pas d'être critique sur certaines de ses façons de faire; annoncer des choses sans toujours la

consulter, exigeant quoique souvent absent de l'organisme. Elle avoue ne pas connaître les

mesures administratives (subventions et critères).

L’intervenante s’implique au Réseau jumelage parce qu’elle croit que le Réseau peut

donner une certaine visibilité et peut permettre l'échange d'idées, ce qui rejoint la vision

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qu'en a le directeur. L'intervenante commente ainsi son implication : « pour se donner des

idées parce que moi je marche à ma façon, ce programme de jumelage c'est moi qui l'ai

construit avec une autre personne... au fur et à mesure j'ai commencé à improvise r.» Elle

participe donc au Réseau afin d’avoir l’occasion d’échanger avec les autres intervenantes,

de sortir de l’isolement et dans le but d’avoir un soutien en ce qui concerne la mise en place

des activités collectives. Celle qui la remplacera partage les mêmes motivations et

s’implique de façon active au RJI58, à l’organisation d’activités collectives pour les jumelés.

L’organisme H

L’organisme H fut créé en 1988. L’objectif de départ était de former un groupe

multiculturel et multiconfessionnel pour travailler à l'intégration des réfugiés et immigrants

et aussi à la promotion de la justice et des droits humains dans le quartier. L'organisme dit

s'inscrire dans un mouvement de transformation sociale qui « vise et s'engage à bâtir un

projet alternatif de société » (rapport annuel 96-97). L’organisme H est situé et est bien

ancré dans un quartier à forte densité multiethnique, surnommé le quartier des nations.

Programme de jumelage

Le programme « Amitié-jumelage » de l’organisme H existe depuis 1993 et épouse la

philosophie de l'organisme qui, tel que mentionné dans le rapport annuel 1996-1997, se

veut être un agent de liaison qui s'inscrit dans un mouvement de transformation sociale. Il

propose aux jumelés de vivre une expérience humaine enrichissante en apprivoisant leurs

différences, contribuant ainsi à bâtir une société nouvelle. Amitié-jumelage propose aux

Québécois de se sensibiliser à la réalité des nouveaux arrivants, de les accompagner dans

58 RJI : Réseau jumelage interculturel.

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les étapes d'intégration, de faciliter aux nouveaux arrivants leur démarche vers l'autonomie

en sol québécois; de développer des liens dans le sens d'un rapprochement interculturel, de

découvrir et de prendre contact avec d'autres cultures.

Il propose aux nouveaux arrivants de découvrir le pays par le biais de l'amitié; de mieux

saisir les réalités québécoises, de s'orienter vers une meilleure prise en charge, de briser la

solitude et l'isolement; d'apprendre et de pratiquer la langue française.

Parcours de la directrice

Celle-ci a été 25 ans en mission au Japon. À son retour, elle participe à la mise sur pied de

l’organisme et en devient la directrice.

Parcours de l’intervenante

L'intervenante H a enseigné pendant vingt ans. À sa retraite, en 1992-1993, elle entre à

l’organisme H et devient responsable du programme Amitié-jumelage. Elle y travaille à

temps plein quatre jours semaine, entourée par une équipe de bénévoles, ce qui la démarque

des autres organismes. Elle dit avoir une formation en relation d'aide.

Concernant le Réseau, l’intervenante exprime plusieurs réticences. Après y avoir vécu

certaines tensions qui ont mis en évidence les différences de vision, les différentes façons

de travailler, elle décide de ne plus participer aux réunions, une autre intervenante de

l’organisme assistera pendant presque un an aux réunions et fait part à l’intervenante H des

décisions et discussions qui y ont eu lieu. Récemment une étudiante bénévole a assisté à

quelques réunions.

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L’organisme I

Jeune organisme institué en 1993, il est situé à Bordeaux Cartierville. C’est un petit

organisme de quartier59. Celui-ci fut mis sur pied par un comité de citoyens issus de

l'immigration alerté par d'autres organismes du quartier (entre autres le CLSC, le CLIC –

conseil local des intervenantes communautaires) qui se sentaient dépassés par les besoins

des nouveaux arrivants, notamment les services de première ligne tels que la traduction de

documents, l'accompagnement, etc.

Selon les dires de la directrice, le profil du quartier a évolué : « d'un quartier classe

moyenne aisée, il est devenu le quartier le troisième plus pauvre à Montréal. » Quartier

autrefois à majorité francophone d'origine québécoise cohabitant avec les communautés

grecques et italiennes, celui-ci est aujourd'hui multi-ethnique : 45% de la population est née

à l'extérieur du Québec (selon le recensement de 1991). C'est un quartier divisé selon le lieu

d'habitation et la date d'arrivée dans le quartier : les blocs appartements où vivent les

nouveaux arrivants, les duplex où résident les Québécois d’origine italienne et grecque,

puis les petites maisons unifamiliales habitées par les Québécois d’origine, âgés, qui

revendent à de « jeunes couples québécois . » Alors que la démographie est en déclin à

Montréal, dans ce quartier elle se maintient ou augmente légèrement (0.6%, selon le

recensement de 1996). Un quartier multiethnique habité principalement, selon les termes de

l’intervenante, par deux grandes communautés : arabe et hispanophone.

Le conseil d'administration donne les orientations, les priorités; la directrice n'a pas droit

de vote et est la seule représentante du personnel sur le conseil d'administration.

59 Au moment de l'interview en mai 1997, il y avait 4 permanentes.

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Programme de jumelage

Il y avait eu avant l'arrivée de l’intervenante, une première tentative de programme appelé «

Visites amicales. » Ces visites à domicile étaient faites par des bénévoles aux nouveaux

arrivants, mais selon la directrice, « cela n'a pas eu l'air de plaire au ministère, on en est

venu au programme actuel de jumelage. »

Tel que défini dans le dépliant, le jumelage est une opportunité de découvrir et d'échanger

sur les cultures, les idées dans une atmosphère amicale entre les personnes immigrantes et

québécoises. Plusieurs objectifs sont poursuivis tels que : Briser l'isolement; créer de

nouvelles amitiés; faciliter l'intégration et l'adaptation des nouveaux arrivants; favoriser des

rapports harmonieux au sein de la société d'accueil; favoriser la connaissance de nouvelles

cultures et réalités; permettre à certaines personnes immigrantes d'améliorer leur français

(rapport annuel 1995-1996). Les bénévoles peuvent être des Québécois d'origine ou des

néo-québécois établis dans la société d'accueil.

L’organisme I reçoit une subvention globale pour le PAEI; alors que, comme le souligne la

coordonnatrice, le ministère évalue la subvention au nombre de jumelages, au nombre de

personnes rencontrées en entrevue. Mais « dans la réalité, précise-t-elle, ce n'est pas ça qui

se passe, dans la réalité on met tout ça ensemble et on fait une glaise. » Nous notons que

parler d'un tout comme d'une glaise, peut faire référence à la malléabilité, au contrôle de la

matière, à la liberté quant à la forme que l'on veut lui donner, mais certaines marges de

manœuvre impliquent aussi que si le ministère coupe la subvention du programme de

jumelage, « l’organisme I devra couper autre chose. » Ici le jumelage est vu comme un

apport au niveau de la subvention.

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Parcours de la directrice

Celle-ci a été choisie en 1993 pour le poste de coordonnatrice60 par le comité provisoire de

l'organisme I, parce qu'elle parlait trois langues, pour son côté humaniste, sa « capacité

d'entrer en contact avec une autre personne » en relation d'aide puisqu'au début, elle agira à

titre d'intervenante, et également pour sa capacité à atteindre l'objectif d'amener les gens à

venir à l'organisme. Elle quittera l’organisme I en 1999. C'est par intérêt personnel qu’elle

voulait ce travail, elle a un baccalauréat en sociologie, quelques cours en relations

ethniques, elle a résidé en Espagne et en Angleterre et elle a enseigné le français aux

nouveaux arrivants, « j'avais une idée de c'était quoi s'intégrer dans un autre pays. » La

directrice avait une représentation du processus de l'intégration à partir de sa propre

expérience.

Selon la directrice I, le conseil d'administration l'a choisie selon les compétences et l'intérêt,

aussi par la manifestation d'un « coup de coeur », qui par l'implication (exigée ou inhérente

à) devient « quasiment une cause. » Choisir selon les compétences et les qualités

personnelles rejoint la vision qu'a la directrice quant à la façon de sélectionner le personnel,

« on ne fait pas de discrimination positive » je ne vois pas de différence, c'est plus une

vision « nous », vision inclusive basée sur l'égalité des personnes et la « non-différence »

faisant référence à la différence qui serait basée a priori sur l'origine de la personne.

60 La coordonnatrice n'a pas le titre de directrice parce que le C.A « s'y oppose” (question de salaire), mais

celle-ci considère que finalement le fait d'être coordonnatrice « lui permet d'être plus proche du personnel”.

Son successeur a obtenu le titre de directeur.

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Parcours de l’intervenante

Originaire du Maroc, l'intervenante est venue au Québec en 1989 comme conjointe-

parrainée. Elle est elle-même jumelée par l’organisme E où elle a été bénévole, elle qualifie

sa jumelle comme étant « une grande amie. » L’intervenante a une formation en lettres

modernes et études commerciales, et a travaillé comme interprète dans une ambassade en

Irak. Puis elle est repartie 4 mois à l'extérieur du Québec (Maroc, Italie..) « j'étais tannée, je

n'avais pas trouvé d'emploi » . Quand elle est revenue, elle a suivi une formation

préparatoire en emploi. : « je restais dans le social. » Puis elle a réalisé un stage à

l’organisme E, ce qui lui a donné, selon ses dires, « un petit bagage » au niveau de

l'expérience. Elle « aime le contact avec les gens », elle « aime le monde », elle « aime

voyager aussi. »

L'intervenante travaille à l’organisme depuis juillet 1994, elle y est responsable à temps

partiel du programme de jumelage un jour/semaine, programme qu'elle a mis sur pied. Dans

le cadre de son travail, l’intervenante en jumelage n'est pas au courant des subventions, « je

fais ce que je dois faire. » « C'est la coordonnatrice qui répartit la subvention qui

communique avec le ministère »61.. La culture organisationnelle de l'organisme en est une

hiérarchisée avec centralisation de l'information concernant les orientations annuelles des

politiques du ministère et les critères de financement au niveau de la direction et du conseil

d'administration. Toutefois, l'organisme étant un petit organisme, avec seulement 4

permanentes, l'information sur la dynamique interne du travail au quotidien circule de façon

circulaire entre les employées.

L’intervenante I a été à l’origine de la mise en place du Réseau jumelage en 1996, elle s’y

est toujours impliquée activement et s’y implique toujours en cet automne 2000. Le Réseau

jumelage serait né, selon l’intervenante d'un désir manifesté de travailler ensemble pour la

61 Par contre M a reçu une formation intensive de la coordonnatrice en vue d'occuper le poste de

coordonnatrice-intérimaire, poste qu'elle occupera durant une année, année d'absence de la directrice.

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même cause « j'ai dit à l’intervenant F, "parce que lui il est permanent et les autres

personnes qui travaillent sur le programme de jumelage ne sont pas permanentes", je lui dis

mon Dieu, c'est dommage qu'on soit chacun dans son coin, pourquoi on ne va pas se réunir,

on peut s'entraider, on peut communiquer... » L’échange, le partage d’expériences pour

l’amélioration de la pratique et les idées qui peuvent surgir dans cet espace de collaboration

est ce qui motive l’intervenante à participer au RJI.

5.2. Analyse des objectifs d’accueil et d’intégration tel quedéfinis par les organismes

Les objectifs décrits dans les rapports annuels, bien qu’ils reflètent les visions et

particularités défendues par chaque organisation, de même que les rôles qu’ils entendent

privilégier, peuvent se résumer selon deux axes. Le premier vise à soutenir au maximum

l’immigrant dans son parcours d’intégration : les interventions consistent à accueillir et

accompagner les nouveaux arrivants dans leur processus d'adaptation et leur parcours

d’intégration par les services accordés dans le cadre soit du PAEI, du PSIE (programme de

soutien à l’intégration en emploi) et des cours de français. Selon le deuxième axe, les

interventions visent à sensibiliser la population à la réalité de l'intégration, à la nécessité du

rapprochement interculturel : les interventions sont, pour les citoyens, la mise en place du

programme de jumelage, et pour les agents des milieux, des activités de sensibilisation dans

le cadre des institutions et organisations. De plus, certains organismes qui ont le volet

employabilité font de la sensibilisation aux employeurs dans le milieu des entreprises.

Ainsi, comme le souligne S. Moreau (1997 :3) les organismes d’accueil et d’intégration des

nouveaux arrivants deviennent des organismes communautaires qui agissent « à titre de lien

entre la société d'accueil et les immigrants. »

Les objectifs tel que décrits par l'organisme D résument bien la représentation que les

organismes d’accueil et d’intégration se font de leur mission bien que tous ne l’écrivent pas

ou ne la précisent pas de la même façon ou aussi globalement. Celle-ci vise certes

l’intégration de l’immigrant, mais aussi celle de la société en ce qu’elle permettrait, par les

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actions que les organismes font, une harmonisation des rapports sociaux via la rencontre

avec l’autre. Les objectifs de l’organisme tels que présentés par l'organisme D sont : « aider

à l'adaptation du Québécois de nouvelle souche, développer la confiance en soi (...) et la

prise de conscience par l’immigrant de son rôle comme citoyen à part entière » susciter

chez les Québécois de vieille souche, la sécurité et la diminution de la peur du nouveau

venu et la compréhension de l'apport de l'autre; enfin favoriser la rencontre (...) et semer

l'harmonie (rapport annuel de 1997). Cette vision sera reprise, comme nous le verrons, dans

les objectifs des programmes de jumelage.

Un organisme ajoutera la défense des droits pour les personnes aux prises avec des

situations difficiles (C), un autre, la promotion de la justice sociale (H); ce qui ne sous-

entend pas que les autres organismes, qui s’inspirent eux aussi d’une vision communautaire

basée sur les notions d’équité et de justice sociale, n’ont pas à cœur ces préoccupations. Les

valeurs d’autonomie et de respect de la personne basées sur la confiance en l’autre et en soi,

bien qu’elle ne soient mentionnées que par l’organisme C, D et E, peuvent être considérées

des valeurs intégrées à l’intervention des travailleurs sociaux. Si nous soulignons que seul

l'organisme D mentionne dans ses objectifs « la prise de conscience par l’immigrant de son

rôle comme citoyen à part entière », nous croyons que celle-ci est le but ultime de toute

intervention qui vise l’intégration de l’immigrant. De même, si l'organisme H dit s'inscrire

dans un mouvement de transformation sociale qui « vise et s'engage à bâtir un projet

alternatif de société », on peut envisager que les acteurs qui font de l’intervention sociale,

qui travaillent à recomposer le lien social dans l’immédiateté de la quotidienneté, le plus

souvent dans des pratiques silencieuses, s’inscrivent dans un mouvement de transformation

sociale, que celui-ci soit réfléchi et révélé ou non-dit et spontané.

5.3. Analyse des objectifs du programme de jumelage

tels que définis par les organismes

Les objectifs du jumelage, comme toute forme de relation partenariale, reflètent à la fois

des motivations d'aspect défensif et d'aspect offensif : les motivations à caractère défensif

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étant liées au besoin de résoudre une difficulté ou réduire une contrainte, alors que celles de

type offensif sont guidées par un désir de développement et une volonté de croissance

(Gherzouli, 1997).

L’organisme D décrit très clairement l’objectif ou la motivation d’aspect défensif du

jumelage : contrer les obstacles qui ralentissent l'intégration des nouveaux arrivants en sol

québécois. Cette définition sert de modèle car on en retrouve les éléments, avec toutefois

des variables, chez les autres organismes. Le jumelage, posséderait ainsi, selon les termes

de Melucci (1993), ce pouvoir de « révélateur du dilemme » de l’intégration qui en

contribuant à sensibiliser l’extérieur, l’Autre, à un problème assumerait une « fonction de

changement. »

Dans le but d’atteindre cette fonction de changement, l’organisme D oriente le programme

selon trois axes qui ouvrent sur l’aspect offensif, la créativité et un lieu de possibles. Le

premier axe est le rapprochement interculturel, celui-ci consiste à s'enrichir mutuellement

des cultures différentes et ce faisant à « prendre conscience des seuils de tolérance. » Le

deuxième axe est l'amitié, celui-ci se concrétise en créant des espaces où pourront se tisser

des liens d'amitié, une connaissance personnalisée du pays d'accueil, du pays de l'autre. Le

troisième axe est l'accompagnement dans les étapes d'intégration afin de favoriser une

meilleure intégration à la société québécoise. Celui se manifeste par l'aide à la pratique du

français et le soutien apporté au nouvel arrivant afin qu'il chemine vers l'autonomie.

Telle que définie par les organismes, pour l’accueillant, la manifestation du don, qui se

traduira par le recevoir chez l’immigrant, est dans la possibilité qu'il offre à l’immigrant de

sortir de son isolement et dans les savoirs qu'il transmet sur la société d'accueil, entre

autres, les mécanismes de fonctionnement et les codes culturels. Elle se révélera aussi dans

l’aide apportée à la pratique du français, dans la confiance qu’il lui accorde et dans la

reconnaissance de son apport.

Pour les accueillis, la manifestation du don qui sera dans l'acte du recevoir chez les

accueillants, est dans la connaissance qu’il donne de son pays d’origine, de sa culture, dans

le partage qu’il fait des découvertes dans son pays d’adoption, dans l’acceptation des façons

de faire et d’être de son pays d’accueil. Nous soulignons le fait que deux organismes

mentionnent dans l’axe du recevoir pour les accueillants l’apprentissage d’une langue

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étrangère (G, E) qui a un potentiel de contrariété à l’objectif d’apprentissage du français

chez l'immigrant, et le sortir de l’isolement (I, F) qui a un potentiel de contradiction à

l’objectif d’intégration citoyenne pour les nouveaux arrivants, puisque que dans ce cas, les

accueillants témoignent peut-être de leur propre difficulté d'intégration sociale.

La pratique du français pour les allophones est considérée un élément essentiel. Toutefois,

alors que l’on affirme l’importance de proposer d’autres formules de jumelage qui

pourraient être moins engageantes pour le bénévole et moins exigeantes pour l’un et l’autre,

un seul organisme offre le jumelage axé sur la francisation, forme de jumelage qui ne

s’inscrit pas en tant que tel dans l’axe interculturel , mais dans un axe de bénévolat

aidant/aidé. Celui-ci se déroule dans les locaux de l'organisme et n’a pas comme finalité a

priori le développement d’un lien.

Dans le cas du jumelage avec des immigrants francophones ou avec ceux qui parlent

français, le cœur de la relation est davantage l’espace interculturel.

Pour quelques organismes, le lien de jumelage se situe d’emblée dans l’amitié comme

condition d’être (D, H) pour d’autres dans une atmosphère amicale qui pourra donner lieu à

une amitié (G, I, E, C) alors que pour les organismes B, F, et A, ce lien d'amitié est tissé à

même l’expérience du jumelage et ne peut être ainsi qualifié au départ de la relation. La

fibre du bénévolat colore le pourquoi de l’engagement social et influence le recrutement

chez deux organismes (D, H) qui ne le définissent toutefois pas de la même façon alors que,

chez les autres, les motifs de l’incitation à l’engagement sont davantage flous. Certains,

parmi ces derniers manifesteront leur agacement ou à tout le moins prendront une distance

face à la notion de bénévolat qu’ils considèrent s’abreuver au « missionnariat » (G), au

paternalisme (F, C) voire à l’ethnocentrisme (B). Chez l’organisme D, le bénévolat est

analysé comme un acte civique, alors que l'organisme H le considère dans un axe judéo-

chrétien de « bienveillance, de don de soi. »

Les rôles de multiplicateur, de porteur de projet, et d’intégrateur dans un réseau social

dévolus aux personnes-ressources, sont souhaités et dits dans les objectifs des organismes

C, D, E. Toutefois, les organismes D et E mettent clairement les balises en ce qui concerne

le rôle attendu des personnes-ressources : un rôle d’intégrateur dans un réseau social et non

pas un rôle d’initiateur dans le sens montrer à l’immigrant les mécanismes de base de

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fonctionnement de la société québécoise, ceci rejoignant davantage l’axe d’accueil du

jumelage, tel que présenté de façon formelle dans certaines régions hors Montréal. D’autres

organismes demanderont aux personnes-ressources d’être porteurs du projet jumelage,

c’est-à-dire des les aider à en faire la promotion en parlant de leur implication sociale au

sein de leur réseau (C, H,). Tous les organismes préviennent les personnes québécoises

engagées dans le jumelage qu’elles ne sont pas des travailleuses sociales, qu’elles ne

doivent pas s’improviser intervenantes sociales en tentant de solutionner des problèmes

d’ordre émotif ou psychologique.

Deux organismes indiquent jumeler les nouveaux arrivants avec les Québécois « de souche

» et à l’occasion avec des immigrants de longue date (G, D). Chez les autres, les Québécois

sont de diverses origines et le critère concernant le nombre d’années d’installation au

Québec ou le degré d’insertion varie d’un organisme à l’autre.

Tous les organismes analysés qui offrent le programme de jumelage le définissent dans

l'axe relationnel animé par la réciprocité basée sur une ouverture à découvrir la réalité de

l’autre, l’échange interculturel et l’interconnaissance. Cette dynamique vise en premier lieu

à contrer l’isolement de la personne immigrante en permettant l’établissement d’un lien

social avec un citoyen d’ici, gage d’une intégration plus harmonieuse à la société

québécoise, parce qu'elle permet l'ouverture à l’autre. L’enrichissement mutuel est fondé

sur une prise de conscience et « une connaissance plus juste et réaliste de la réalité de l’autre

» re-situées dans un contexte local et global : le, la « Québécois(e) de vieille souche » (...) «

s'engage socialement, prend conscience de certaines injustices sociales (...) (D) se

sensibilise aux difficultés que vivent les nouvelles arrivantes et leur famille (E) de même

qu'à des réalités internationales (D) a la chance de s'impliquer dans un processus de

changement social d'une façon agréable et enrichissante » (E), alors que le, la « Québécois

(e) de nouvelle souche s'initie aux us et coutumes du Québec » (D). Nous pouvons dire que

le jumelage, tel qu’imaginé, participe à l’élaboration d’une « société nouvelle » tel que

l’écrit l’organisme H.

Les objectifs du programme de jumelage tel que définis par les organismes rejoignent donc

dans leur fonction de régulation sociale ceux définis par l'État via le MRCI. Il est

généralement admis que le jumelage, en tant que programme et service, est le porte-

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étendard du contrat moral entre la société d’accueil et les immigrants, et qu’en cette qualité

celui-ci doit promouvoir les valeurs que sont l’importance du français, l’égalité entre les

individus et la démocratie comme fonctionnement social et politique. Tout comme le

bailleur de fonds, les organismes considèrent que les initiatives des personnes-ressources

par leurs actions, « faciliter (ont) l’établissement des immigrants au Québec »

(Charbonneau, Dansereau, Vatz, Laaroussi, 1999) en leur apportant une aide pratique à

l’établissement, l’apprentissage des codes culturels, linguistiques et sociaux, la socialisation

des immigrants à la culture québécoise, l’initiation aux espaces de communication

linguistique, civique et institutionnelle. Toutefois, les organismes communautaires donnent

davantage d’importance à la notion du lien en tant que prise de conscience de la réalité de

l’autre et au possible que ce lien social entre étrangers offre en tant que lieu

d’interconnaissance. La réciprocité de l’espace interpersonnel au sein duquel se

développera le lien social, basée sur la confiance en l’autre, bien que prioritairement située

dans l’espace interculturel, traduit la capacité de ce lien établi par le jumelage à contrer les

facteurs qui pourront ralentir le processus de l’intégration : outre la difficulté linguistique,

les préjugés, les barrières racistes et la méconnaissance mutuelle. Cette prise de conscience

de la méconnaissance de l’autre, et son corollaire la découverte de sa réalité, ne font pas

que transformer les perceptions des membres de la majorité francophone dorénavant

sensibilisés à la problématique de l'immigration et à celle de la diversité culturelle (sous-

objectif du jumelage tel que décrit par le MRCI), ce qui est tout de même à inscrire dans

l’axe du projet d’une société plus harmonieuse, mais permettrait de redonner à l’autre son

statut de sujet, de le re-situer partenaire. Ce faisant les organismes inscrivent davantage le

processus du jumelage dans un « utopos » et lui attribuent une fonction d’innovation et de

transformation de la société.

Toutefois, si cette projection proclame l’esprit du jumelage, la lettre, elle, peut se

manifester différemment. Car la relation du jumelage est avant tout intersubjective et tient

de la représentation que s’en font les acteurs qui la mettent en place, en l'occurrence les élus

et nommés du MRCI, les directeurs d’organismes, les intervenantes, et ceux impliqués dans

cette interactivité, les jumelés. Car nous le rappelons, si le projet commun est la

transformation d'un état de non-relation à celui de relation dans un but déterminé qui de

façon officielle se veut être l'intégration de l'immigrant et le rapprochement interculturel,

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chaque acteur a sa propre représentation de ce qu'elle doit être, a ses propres motivations

pour la faire être, ses propres objectifs. De même, les axes du don et du recevoir, s’ils sont

implicites à l’échange, ne campent toutefois pas les acteurs, accueillis et accueillants, dans

une position donnée puisque fondés sur le don/contre-don et l’espoir du retour.

L’investissement est conditionnel pour chacun des actants, à l’acte de reconnaissance de

son être, de son faire, de son savoir, de son pouvoir être et faire; il est aussi lié pour

certains au devoir faire. De plus, l’indétermination propre à tout lien social est accentuée

dans la relation/ échange entre étrangers qu’est celle du jumelage, l’investissement que l’on

y fait sera d’autant plus remis en question ou à tout le moins questionné.

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173

CHAPITRE VI

Le jumelage et les perceptions de l'intégration et del'adaptation

6.a Sommaire

Comme nous l'avons mentionné, les concepts de l'adaptation (6.1) et de l'intégration (6.2)

sont polysémiques. La définition que les acteurs en donnent témoigne de ce qu'ils ont vécu,

de ce qu'ils vivent ou de ce qu'ils connaissent du phénomène. Elle témoigne également de

leurs projections individuelles et collectives en tant que réalisation d'un idéal. Nous verrons

que ces interprétations sont aussi influencées par les discours des institutions et

organisations de la société civile de même que par le milieu au sein duquel ces acteurs

évoluent.

Nous avons recueilli deux définitions des concepts de l'intégration et de l'adaptation parmi

les cinq agents du MRCI62 que nous avons rencontrés; les autres agents n'ayant pas répondu

faute de temps. Nous croyons intéressant de rapporter ces définitions car elles témoignent à

la fois d'opinions personnelles tout en reflétant la pensée politique du MRCI. Ces agents,

62 Un de ces agents, a été jumelé il y a 2 ans, un autre agent a été jumelé il y a quelques années. Tous deux

l'ont été par des organismes communautaires membres du Réseau. Le premier (agent 1), à qui on a présenté

le programme comme étant une relation d'amitié potentielle, prend ses distances et se dit même agacé par une

telle insistance à concevoir le jumelage en termes d'amitié à développer, conception qu'il juge déplacée, voire

nuisible au programme. L'axe du bénévolat lui semble mieux convenir, axe moins équivoque parce qu'il

permet de clarifier les attentes et les objectifs.

Le deuxième agent explique en ces termes sa motivation à être jumelé : « Je me disais moi, qu'est-ce que je

fais pour les immigrants, et le problème, c'est qu'il y manque de Québécois… alors… quand moi je suis allé à

cette soirée, il y avait cette famille qui se plaignait qu'ils n'avaient pas de jumeaux. »(agente 4)

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tout comme la majorité des intervenantes, identifient l'adaptation comme étant un processus

précédant ou accompagnant le processus d'intégration.

Par ailleurs, le jumelage est considéré par les acteurs du communautaire comme un outil

d'intégration et de prévention au déséquilibre social (6.3) par la possibilité qu'il offre

d'établir une communication entre deux êtres : le jumelage est aussi considéré un acte de

participation civique (6.4) en tant que responsabilité partagée face au processus

d’intégration des nouveaux arrivants et à sa réussite. Toutefois, l'acte du jumelage est

réalisé dans une société d'accueil donnée, caractérisée par sa dynamique communautaire,

institutionnelle ainsi que par son contexte politique et social. Le jumelage sera donc

influencé, comme nous le verrons au point 6.5, par le contexte social du Québec et la

situation de la langue de même que par sa capacité de faire en sorte que les individus se

lient. C'est dans ce contexte que les Québécois sont invités à s'engager dans la relation de

jumelage. Influencées par ce contexte social, confrontées à diverses contraintes, les

intervenantes en viendront à revoir certaines stratégies d’intervention et à en créer de

nouvelles.

6.1. L'adaptation

Une seule intervenante en jumelage considère l'adaptation comme étant l'aboutissement du

processus de l'intégration; processus qu'elle définit comme un processus d'apprentissage à

tous les niveaux : apprentissage de la langue, de la société, de la culture, du marché du

travail, processus qui peut s'échelonner sur 15 ans. L'adaptation, selon l'intervenante E, «

c'est le processus qui est terminé. » L’immigrant atteindrait alors le même niveau de

compétences que tout autre citoyen. Cette conception rejoint celle de l'intégration adoptée

par le MAICC en 1990 et qui est définie comme un processus multidimensionnel

d'adaptation à long terme, processus dans lequel la maîtrise de la langue d'accueil joue un

rôle essentiel; ce processus n'est achevé que lorsque l'immigrant ou ses descendants

participent pleinement à l'ensemble de la vie collective de la société d'accueil et a

développé un sentiment d'appartenance. Ainsi, l'intervenante donne en contre exemple le

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cas de certaines familles issues de l'immigration qui sont ici depuis 20 ans et qui continuent

à vivre à la « chinoise ou à la latino-américaine » (intervenante E).

L'adaptation est liée avant tout, chez les intervenantes, directeurs et agents, à la maîtrise de

l'environnement. L'adaptation consiste en l'acquisition de connaissances, en un savoir-être

individuel, un pouvoir-faire :

Pour en arriver à être intégré, il faut avant s'adapter. S'adapter, c'est d'apprendre rapidement

des choses élémentaires dans la société, (agent 2 du MRCI).

L'adaptation ça vient avant l'intégration, s'adapter c'est connaître plus, c'est s'adapter au

climat, à l'espace, au temps, au langage non-verbal (intervenante H).

L'adaptation, c'est d'avoir les instruments qui te permettent de vivre..., de l'information et de

l'orientation pour ne pas tomber... te cogner la tête contre un mur... de savoir qui est qui,

comment... (directeur G). C'est pouvoir fonctionner dans la société (directrice B).

L'adaptation consisterait donc pour l'immigrant à acquérir une certaine autonomie.

Par ailleurs, le processus de l'adaptation est lié au vécu de l'immigrant, à son processus

migratoire et à la trajectoire de l'immigration.

Ça dépend aussi quelle immigration tu as eue, si tu l'as fait par choix, ou si tu as été obligé

et l'âge du départ; l'âge où moi j'ai immigré, 15 ans, je ne le conseille à personne

(intervenante G).

Le fait de départager les deux processus, l'adaptation et l'intégration, de tenir compte de

leur dynamique sur les stratégies d'insertion à la société d'accueil, sur les modes d'entrer en

relation des immigrants influencera non seulement la sélection des personnes-ressources

pour le programme de jumelage, mais en délimitera, dans certains cas, les objectifs. Un des

organismes du RJI ira même jusqu'à établir une distinction formelle entre le jumelage

d'adaptation et le jumelage d'intégration en attribuant à l'un et à l'autre des qualités

spécifiques. Les qualités de ces deux types de jumelage reflètent les étapes du parcours

migratoire, telles que se les représente l'intervenante de cet organisme. Elle établit ces

distinctions entre les deux types de jumelage à la lumière de ses observations et

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expériences, observations et expériences qui, d'autre part, rejoignent et reflètent l'ensemble

des témoignages que nous avons reçus :

Quand il n'y a pas d'emploi, il y a une remise en question. Les nouveaux arrivants se posent

des questions; ils sont en phase d'adaptation. Quand ils ont décidé de rester, ils ont dit "oui

j'y vais". Ils sont en processus d'intégration. Des fois, c'est au niveau inconscient; il y en a

qui se posent des questions consciemment, mais d'autres essaient de s'adapter, s'adapter et

puis ils sentent qu'il y a des portes qui s'ouvrent et là ils plongent au niveau de l'intégration.

L'intégration ça va se faire avec des gens que ça fait 1 an, 2 ans, des fois 3 ans qui sont ici

et ils désirent se jumeler : là on passe au phénomène, on veut connaître les valeurs des

Québécois, on veut connaître ce que pensent les Québécois, on veut comprendre l'aspect

historique du Québec. Pourquoi le gouvernement ? Pourquoi les gens prennent telles, telles

décisions ? On veut comprendre les enjeux de société; ne pas être seulement des acteurs

passifs, on veut essayer de comprendre et ensuite se positionner et peut-être agir à un

moment donné. Ça c'est plus l'intégration, avant il faut que tu aies fait un bon processus

d'adaptation (intervenante B).

Le jumelage d'adaptation s'adresse principalement aux bénévoles québécois de toutes

origines. Tel qu'il est écrit dans le rapport annuel de l'organisme B (1997) : « Ces

immigrants de longue date représentent un support technique et social qui peut faciliter la

confiance et la compréhension que le nouvel arrivant recherche dans ses premières

démarches d'adaptation à la société québécoise. »

Le critère de sélection63 tient compte de façon subjective du nombre d'années passées au

Québec, dans ce cas : un minimum de sept ans. L'intervenante B dit évaluer le niveau

d'intégration des gens, sans en définir toutefois le comment. Par contre, elle juge que leur

passé de migrant les rend emphatiques et que leur expérience d’intégration en fait des

accompagnateurs désignés. Les immigrants de longue date « comprennent les nécessités de

départ du nouvel arrivant », leur rôle c'est « d'essayer de les aider au niveau de leur

intégration, de leur adaptation. »

63 Ce critère du nombre d'années varie d'un organisme à l'autre parmi ceux qui sélectionnent des personnes-

ressources issues de l'immigration.

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La directrice B nous décrit une situation que plusieurs immigrants vivent : parmi eux,

d’autres directeurs d’organismes d’accueil, des intervenantes en jumelage, des jumelés

nouveaux arrivants et autres immigrants. Le contexte du récit de la directrice B en est un de

changement, de mouvement. L'axe sémantique de ce récit peut se résumer ici : quitter une

société désintégrée, où il y a une montée d'un mouvement d'intolérance, où les enfants

pourraient être menacés pour aller vivre dans une société intégrée où ceux-ci grandiront en

paix. La quête de la directrice B est de vivre dans une société intégrée pour ses enfants,

société où existent des rapports sociaux harmonieux.

Il s'agit d'un parcours de vie qui conduit à une implication sociale auprès des immigrants : «

Si je veux que mon rêve se réalise pour mes enfants, il faut que je travaille dans ce domaine

pour aider cette société à évoluer de la bonne façon (...) que je puisse amener une certaine

participation. » C'est à partir, dirons-nous, de cette appréhension des conflits64 dus à la

méconnaissance, à l'intolérance, au non lien, à partir de cette réflexion que la directrice de

l'organisme B décide de s'engager au niveau social. Elle constate que les nouveaux

arrivants ne connaissent pas les gens de la société d'accueil, leur histoire, leurs valeurs, et

que les gens de la société d'accueil ne connaissent pas les nouveaux arrivants, leur parcours

de vie, leurs difficultés : « Il y a une méconnaissance de part et d'autre. » C'est pourquoi

elle décide que, pour réaliser son rêve d'une société intégrée, elle doit s'impliquer au niveau

social auprès des immigrants : elle fera une implication préventive.

La directrice B dit avoir lancé l'idée du jumelage d'adaptation : « Jumeler, c'est à dire

établir des liens entre des gens d'une même ethnie, d'une même région, d'un même pays

d'origine. » Elle décide, alors qu'elle occupe le poste de directrice, de se jumeler avec une

famille nouvellement immigrée de son pays d'origine, « moi je connais leur vécu » (...).

Moi je connais leur vécu signifie qu'elle sait que si elle a une « carapace », elle,

immigrante volontaire qui a fait un choix, qui est disposée à s'intégrer, mais qui a tout de

même une certaine distance à franchir, eux, dans ce cas, immigrants involontaires, parce

que forcés à immigrer pour des raisons d'ordre économique « ont une double carapace » , ce

qui fait qu'ils regardent l'autre « de façon pas très acceptante, pas très compréhensive. »

64 L'appréhension des conflits chez ceux qui font l'acte social du bénévolat est une motivation que nous

avons déjà mentionnée

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Ainsi, parce qu'elle connaît le vécu des immigrants, par le partage de ces points qu'ils ont

en commun (la langue, la culture, la connaissance du contexte social, politique, économique

de ce pays qu'ils ont quitté; le fait aussi de s'intégrer dans une nouvelle société, ce que ça

représente) elle peut « les aider à avoir un autre regard » , un regard de compréhension de

leur nouvelle réalité et si possible les amener à plus que comprendre, « à accepter cette

nouvelle réalité. » Nous dirons que la directrice B a une attitude de médiatrice, en ce sens

qu'elle tente d'harmoniser les rapports entre les nouveaux arrivants et la société d'accueil, de

créer un pont pour la construction d'un interface où aura lieu la reconstruction de sens.

C'est à partir de sa formation, mais aussi de son expérience et de ses observations, de

l'empirisme donc, qu’elle définira ses actions : elle a vécu le processus migratoire, elle s'est

intégrée à la société québécoise, y a développé un sentiment d'appartenance, mais elle

rencontre encore aujourd'hui des difficultés à être acceptée par certains membres de la

société québécoise :

Je suis venue planter mes racines (...) moi je dis nos valeurs parce que je me sens appartenir

à cette société (...) on me dit "ah vous les arabes !" (...) comment voulez-vous que je

m'intègre si vous ne m'acceptez pas ? Il faut qu'il y ait acceptation au départ.

Cette situation vécue de rejet, un anti-sujet qui fait obstacle à son « projet d'immigration qui

était de m'intégrer à cette société » jumelée à l'observation de la méconnaissance des uns et

des autres se reflètent dans sa conception de l'intervention au niveau de l'immigration, sa

définition de l’intégration « c’est la compréhension et l’acceptation de l’autre » sa

conception du partenariat et sa vision d'une société intégrée, « où existent des rapports

sociaux harmonieux. »

En ce qui concerne le jumelage d'intégration, les personnes-ressources sont des Québécois

d'origine. Selon les intervenantes B et I, les nouveaux arrivants ne veulent pas être jumelés

avec des Québécois d'autres origines, avec d'anciens immigrants : « C'est clair qu'ils veulent

des Québécois, ils veulent les connaître, savoir leurs valeurs, c'est vraiment le but du

jumelage pour les nouveaux arrivants. » Ce qui rejoint les propos des nouveaux arrivants

jumelés (Charbonneau et al, 1999:114) « qui n’auraient pas aimé que leur famille jumelée

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soit d’origine étrangère, car cela serait moins utile dans le processus d’échange

interculturel65. »

Les nouveaux arrivants cherchent ainsi à découvrir les clés de compréhension des

mécanismes de fonctionnement de la société d’accueil, les éléments historiques qui leur

permettront de mieux saisir les actes qu’il leur faut adopter et poser en accord avec ce

qu’on attend d’eux à titre de nouveaux citoyens. Ils perçoivent les Québécois d’origine, à

tort ou à raison, comme les traducteurs idéels66 de cette réalité. Le jumelage, en étant un

lieu d’apprentissage, a donc une fonction de médiation, en ce sens qu’il permet à

l’immigrant, comme le rappelle Ferraroti (1981, cité dans Deslauriers, 1991), d’intérioriser

la société dans un rapport indirect, comme toute personne le fait à travers son réseau

primaire : sa famille, son voisinage, et à travers les liens de « socialité » qu’elle développe

dans son milieu de travail ou dans le cadre d’associations volontaires. D'autre part, le

jumelage permet au Québécois de s’approprier le passé, comme le présent en ce qui

concerne l’accueil des immigrants, et le devenir en ce qui concerne la société québécoise.

Dans le même sens, les intervenantes considèrent l'adaptation comme un processus

d'harmonisation entre la socialisation (valeurs transmises dans le milieu d'origine) et

l'acculturation (valeurs acquises dans la société d'accueil) au contact d'un nouvel

environnement et par la rencontre de personnes socialisées ou acculturées dans ce nouvel

univers : un continuum, une rencontre entre l'ici et maintenant et l'ailleurs et l'avant.

C'est commencer à prendre des choses, une rotation (...) tu commences à prendre des

choses, à laisser d'autres. C'est une rencontre aussi avec des êtres nouveaux, (...) des amitiés

(intervenante G).

Il serait bon pour vous de ne pas rejeter tout ce que vous avez , mais de l’adapter au

nouveau contexte (directrice B).

65 Selon un document de travail du MRCI (1998), on retrouverait les mêmes réticences dans le cadre du «

Host Programm” en Colombie-Britannique chez les immigrants qui désirent être jumelés à des citoyens

d'origine canadienne. Dans ce cas la raison évoquée est " parce qu'ils parlent anglais sans accent".

66 Le terme idéel est emprunté à la sociologue Danielle Juteau, idéel qui se situe entre le réel et un certain

idéal projeté.

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180

Ce processus d'harmonisation doit se traduire par certaines concessions que l'on fait sinon

pour soi-même, du moins pour les enfants afin que ceux-ci ne soient pas ou ne se sentent

pas marginalisés, ostracisés par leurs amis. Ces concessions deviennent des stratégies

d'accommodement qui permettent un certain équilibre identitaire, un modus vivendi entre

les valeurs de la culture d'origine et les valeurs de la société d'accueil.

Pour illustrer cette stratégie d'accommodement qu'elle propose aux immigrants, une

intervenante donne l'exemple de la fête de Noël, fête chrétienne qui n'a pas d'écho dans la

religion musulmane. L'intervenante conseille aux arabes musulmans : « Vous n'allez pas

prier devant ce sapin là, mais vous le mettez pour vos enfants, pour le bonheur de vos

enfants » (intervenante I). Nous traduisons par : pour que vos enfants vivent cette fête avec

les enfants de la société d'accueil et qu'ils partagent leur joie de la fête.

L'adaptation, stratégie d'accommodement, peut être aussi un mouvement vers l'autre qui

permet à l'immigrant de sauvegarder son honneur, valeur pivot qui assure la stabilité de la

structure sociale, qui est au cœur de la définition des rôles et des fonctions des membres de

la cellule familiale et qui est un gage de reconnaissance du statut social dans certaines

sociétés traditionnelles. Sauvegarder son honneur veut dire pour l'homme, garder sa place,

maintenir son rôle, en toute confiance, en toute reconnaissance, en n'ayant crainte : « Sans

perdre ton orgueil, parce que lui il a peur de [perdre]son orgueil, sa personnalité, sa place »

(intervenante I).

Mais l'adaptation, comme le signale une intervenante, c'est aussi entre les citoyens de toutes

origines. Il faut dépasser le dualisme Québécois (insinuant d'origine) / immigrants.

L'adaptation, c'est aussi l'acceptation entre gens de diverses origines sociales, culturelles,

ethniques, l'acceptation de la pluralité au sein de l'espace social.

L'intégration se fait aussi entre ethnies, nous on les accueille, mais entre eux, il faut qu'ils

s'accueillent aussi, et puis qu'ils s'adaptent, ils disent pourquoi vous les acceptez, eux ?

(intervenante H).

Ce n'est pas juste intégrer les nouveaux arrivants à la société québécois, mais c'est aussi

entre eux, ensemble (directrice C).

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Cela nous rappelle les entretiens que nous avons eus avec de nouveaux arrivants dans le

cadre d'un séjour d'immersion dans le Bas St-Laurent et qui nous disaient à quel point ils

étaient surpris et déçus de voir tant d'immigrants à Montréal. Le fait est que nous avons

tendance peut-être à oublier qu’un grand nombre d’immigrants viennent de société

monoethnique ou pluriethnique, mais dont les communautés ethniques sont originaires du

même pays ou de sociétés où les différences sociales se mesurent davantage en terme de

classes sociales ou d’appartenance religieuse. Nous oublions aussi qu’un certain nombre

ont vécu, dans leur pays d’origine ou dans un pays de transit, des tensions ethniques, de

violents conflits ou ont été ostracisés.

Comme nous l'avons mentionné, la compréhension qu'ont les individus des processus de

l'adaptation et de l'intégration est imprégnée de l'histoire collective de leur société d'origine,

de leur contexte de socialisation et marquée par leur parcours de vie individuel. Il est une «

valse identitaire. »

Le concept d'adaptation pour une intervenante d'origine française veut dire soit une

stratégie d'assimilation qui rappelle un des modèles d'adaptation ou d'acculturation de N.

Hutnik (1986) et Berry (1980) lorsque l'individu se perçoit comme membre de la majorité

uniquement, soit une stratégie de résistance à cette assimilation par

l'acculturation/intégration, lorsqu'il s'identifie aux deux groupes. L'adaptation est ici un

choix, une « option » de la part des immigrants.

L'adaptation ça dépend des êtres, il y en a qui éprouvent le besoin de ressembler aux autres,

de se fondre, d'autres qui restent avec leur petite différence (intervenante A).

Une intervenante qui est arrivée au Québec à l'adolescence, au moment de la quête de

l'identité personnelle, à l'âge du désir de conformité avec les pairs et d'un besoin de

distanciation face aux parents, à la famille, interprétera le processus d'intégration à la

lumière de cette expérience. Ainsi dans ce cas, le processus d'adaptation se traduira par une

volonté de s’identifier au groupe majoritaire, par un rejet de sa culture, un appel à l'oubli de

ses origines, à l'assimilation. » Parce que l'intégration c'est oublier complètement... Ça veut

dire que tu es intégrée, avalée » (intervenante G).

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Mais la majorité des témoignages indiquent que si l'adaptation précède l'intégration en tant

qu’acquisition de connaissances, ce qui ferait davantage référence à l'adaptation à

l'environnement, elle peut tout aussi bien s'échelonner sur de nombreuses années, en tant

que processus de négociation, selon les ressources des personnes, et selon le contexte.

Toutefois, en liant le processus d'adaptation uniquement au processus d'intégration, les

intervenantes risquent d'amenuiser le caractère dynamique et résurgent du processus qui fait

appel, comme nous l'avons souligné déjà en référence à Ferrié et Boëtsch, « à cette capacité

qu'a un individu de se mouvoir à travers des codes différents et d'investir entre eux des

formules de connexion satisfaisantes. »

Tu t'adaptes au climat, tu t'adaptes, ça peut prendre 5 ans chez certaines personnes... une

génération chez une autre... il faut respecter le rythme d'une personne... dans certains cas,

l'adaptation est bloquée tant que la personne n'est pas certaine de rester ici (agent 2 du

MRCI).

L'adaptation se fait la première année, même on pourrait dire dans les premiers mois, on est

au niveau des connaissances et ressources du milieu. La personne, dépendamment de son

statut, va décider de rester ou non, décision liée au choc culturel, choc des valeurs et

surtout au choc de l'emploi (...) quand ils ont décidé de rester... ils ont dit oui, j'y vais, ils

sont en processus d'intégration » (intervenante B).

6. 2. L'intégration

Ainsi, l'adaptation est intimement liée au processus de l'intégration, au comment seront

solutionnés les obstacles à la pleine participation citoyenne de l'immigrant et au pourquoi

de l'émigration, aux motivations qui ont conduit l'immigrant à vouloir refaire sa vie ailleurs.

Toutefois, l'adaptation en tant que capacité à dialoguer est un processus complexe et unique

à chaque individu; elle est une stratégie des petits pas échelonnée dans le temps.

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Si la décision de s'établir est la première étape du processus d'intégration, la réussite de

l'intégration est liée à la qualité des liens interpersonnels que l'immigrant développera avec

des citoyens de la société d'accueil :

L'intégration ça prend du temps, c'est au fur et à mesure... c'est étape par étape… ça se fait

au cours des ans et dépendamment de l'âge de l'arrivée, du pourquoi de l'arrivée, de qui

arrive (homme, femme, famille); de manière plus profonde, se sentir accueilli, et

tranquillement, se sentir des affinités, ensuite être intégré, avoir des amis (intervenante D).

Par ailleurs, le dynamisme du processus d'adaptation et son corollaire, la réussite de

l'intégration, sont en partie attribuables aux responsabilités qu'en assume la société d'accueil

et aux possibilités qu'elle offre à ce futur citoyen.

Pourtant, les agents du MRCI qui appliquent les critères de subvention aux organismes

d'accueil et d'établissement sont confrontés à des situations paradoxales telle que définir

une mesure arbitraire67 en ce qui concerne le temps nécessaire pour l'adaptation. Ainsi, ce

même agent qui reconnaît qu'il faut respecter le rythme d'une personne dira : « 3 ans c'est la

période qu'on croit suffisante pour les immigrants pour apprendre la langue et apprivoiser

l'environnement. »

Ce qui rejoint la vision des directeurs qui jugent inévitable et nécessaire que l'État définisse

les paramètres de subvention. Ce faisant, les organismes deviennent des acteurs

incontournables et essentiels pour accompagner les nouveaux arrivants dans cette phase de

leur processus qui les amène à jongler avec l'acquisition de nouvelles normes sociétales et

l'adaptation à un nouvel environnement.

L'adaptation, ça je pense que ça peut se faire dans les 3 premières années. Le mandat qu'on

a d'aider les gens. C'est un préalable (directrice C).

L'adaptation, c'est plus ponctuel et ça nécessite évidemment une intervention pour que la

personne puisse être fonctionnelle le plus rapidement possible, répondre à ses besoins de

base, pour sa survie (directrice E).

67 Nous qualifions cette mesure d'arbitraire parce que les organismes communautaires, membres du ROSNA,

ont obtenu en 1996 que le critère passe de 18 mois d'arrivée au Québec à celui de 3 ANS. CETTE ANNÉE, LES

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Mais au moment où l'État met de l'avant son concept de citoyenneté et les mesures visant à

promouvoir davantage l'approche locale pour l'insertion des immigrants, les organismes du

ROSNA craignent que l'on ne reconnaisse plus la spécificité du parcours migratoire comme

étape préalable à l'exercice de la pleine citoyenneté non plus que leur rôle à titre

d'organisme d'accueil et d'intégration.

Moi je me dis qu'au Ministère des Relations avec les citoyens et de l'Immigration, il n'y

aura plus de critère défini, ils vont atténuer la question des nouveaux arrivants et moi j'ai

un peu peur de ça (directrice C). Le danger c'est qu'on confonde l'aspect de citoyen avec

égalité (directeur G).

Les directeurs redisent le rôle que l'État doit jouer pour que l'on prenne en compte la

spécificité de la réalité immigrante afin que celle-ci ne devienne pas un élément contribuant

à l'inégalité sociale. L'État doit être celui qui s'assure de l'équité entre citoyens afin que tous

puissent avoir accès à une qualité de vie. « Pourquoi il y a des programmes sociaux, c'est

parce qu'il y a des inégalités, l'État doit s'assurer que ces inégalités soient moins

profondes».

Cependant, si les directeurs croient essentiel que l'État leur reconnaisse ce rôle

d'accompagnateurs dans le processus d'adaptation, ils revendiquent en même temps la

reconnaissance du long terme inhérent à la dynamique du processus de l'intégration, ainsi

que le respect du rythme d'intégration propre à chaque individu. Ils demandent de

reconnaître aussi que leurs interventions peuvent être nécessaires bien au-delà du 3 ans

admissible. « Parce que ce n'est pas vrai que les institutions sont adaptées à cette

problématique des gens qui sont en processus de base; parce que 4 ans au pays ce n'est

rien» (directeur G).

Si un fonctionnaire répond « oui, mais ce sont les normes » le directeur répond « oui, mais

qu'est-ce qu'il y a autour de ça, est-ce que ça nuit à l'intégration de la personne ? » (...) «

c'est la même chose pour la francisation... il y a des gens qui veulent s'inscrire, si ça fait

5 ans ( qu'il sont arrivés au Québec), peut-être qu'ils ont appris le français alors qu'ils

avaient autre chose en tête, avec quelle morale pourrais-je leur dire non ? »

organismes ont obtenu qu'on élargisse ce critère à 5 ans pour les nouveaux arrivants en difficultéd'intégration.

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Ici sont mises en contrariété deux visions : une vision centrée sur les normes

administratives/ une vision centrée sur les besoins humains. Une vision qui compte sur le

prévisible, une vision qui doit composer avec l'imprévisible. Une vision qui fait intervenir

la morale, les possibles dans le cadre normatif, une autre qui jongle avec l'éthique, les

limites dans le cadre axiologique.

Mais si ces visions peuvent entrer en contradiction, elles n'entreront pas en confrontation

parce qu'il y a d'une part une certaine tolérance à l'occupation d'espaces de transgression de

la part du MRCI et que d'autre part, les acteurs du communautaire respectent certaines

limites à ne pas dépasser : « Donc, oui, on essaie, quand même on n'est pas rêveur, au point

de dire on s'en fout, oui on essaie de respecter certains critères, mais sans être excluant »,

(...) « si tu dis non parce qu'il arrive que ça fait 3 ans et demi que l'immigrant soit là… bon

et bien… les prix que l'on paie comme société, un peu plus tard. »

Occuper l'espace de transgression toléré permet à court terme d'inclure le « non admissible

» et de prévenir à long terme la désintégration de la société québécoise. Occuper cet espace

de transgression permet de poser un acte préventif. Nous verrons que le jumelage est

majoritairement considéré par les directeurs et les intervenantes en jumelage comme un

acte préventif contre la désintégration de la société et l'exclusion sociale.

Car le processus d'intégration relève d'un acte de volonté des deux parties en présence, « un

acte qui est dirigé vers l'extérieur de soi » (Ladrière, 1967), un acte qui lie le nouvel

arrivant et la société d'accueil. L'intégration, selon la majorité des intervenantes et

directeurs, repose sur la reconnaissance de l'apport, sur la possibilité de prendre sa place,

elle naît d'un désir de se projeter en avant dans un projet lié à la collectivité. Il est

particulièrement intéressant de noter que pour la majorité des intervenantes en jumelage,

l'intégration se situe dans un rapport interpersonnel, dans l'ordre du micro, lieu de

déploiement d'un lien social, et dans le développement d'un réseau social. Ainsi le

jumelage, le mentorat et le parrainage, ce programme d'accompagnement des jeunes en

insertion en emploi en France, ainsi que le rappelle Moubir Nabil (1999:398), « permet

d'intervenir là où le manque de réseaux relationnels constitue une difficulté supplémentaire

dans l'intégration des personnes et dans la progression vers une intégration (sociale) et

économique. »

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186

Les intervenantes lient donc de façon directe et conséquente la pratique du jumelage à

l'intégration sociale des individus et à l'intégration/harmonisation de la société, société

québécoise en devenir, société qualifiée d’ « oeuvre inachevée » (intervenante C).

Pour la majorité des intervenantes, l'intégration c'est être bien. Être bien, signifie pouvoir et

vouloir participer, s'impliquer, « pouvoir montrer qui tu es » (intervenante H.), et pouvoir

être évalué à sa juste valeur, « considéré et valorisé, reconnu pour ses capacités

professionnelles, reconnue par la société d'accueil » (intervenante B).

Cependant l'intégration est vue par l'intervenante G, qui a émigré à l'adolescence, comme le

point final du processus d'adaptation qui se traduit par une capacité d'oublier, de s'assimiler

à la nouvelle société, à la nouvelle culture, au nouveau pays. Cette assimilation permettrait,

selon elle, l'unification de l'être, car celui-ci n'est plus écartelé entre deux cultures, deux

manières d'être. L'assimilation devient un acte d'identification, un sentiment d'appartenance

qui est peut-être impossible à ressentir pour la première génération, mais qui pourrait aller

de soi pour ceux qui naissent ici.

Toutefois les autres intervenantes contredisent cette représentation de l'intégration. Car

l'intégration, de rappeler l'intervenante C, n'est pas la « désintégration. » Les immigrants

ont une histoire, ils ont aussi « des appartenances politiques » et autres. L'intégration veut

dire alors « que l'individu se sent bien quelque part intégralement », nous traduisons par

globalement, de façon unifiée, authentique, en toute légitimité. Toutefois, selon les dires de

l'intervenante C, il appartient à l’intervenante de juger le degré de réussite du processus

d’adaptation de l’immigrant, en toute subjectivité. Serait-ce là son privilège « d’artisane du

lien social » (J. Lavoué, 1986) ? Par exemple, les jumelés d'accueil issus de l'immigration

seront non-admissibles au programme jumelage s'ils manifestent des signes évidents de

frustration face à l'aide (qualifiée de peu ou d'inadéquate) qu'ils auraient obtenue (ou non)

lors de l'intégration, ou frustration exprimée de façon générale face à la société québécoise.

Comment se situer face à cette pratique qui rejette la collaboration de personnes issues de

l'immigration motivées à contribuer au changement tout en exprimant leur insatisfaction

face aux structures d'accueil ? Il nous apparaît que dans ce cas, le jumelage, en tant

qu'intervention sociale, revêt la valeur symbolique d'une régulation des rapports sociaux où

le conflit doit être absolument évité. Les intervenantes ne veulent pas commettre d'erreur

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qui pourrait nuire à la bonne intégration du nouvel arrivant. « Notre travail à nous, de

préciser l'intervenante C, comme ce que peuvent apporter les jumeaux québécois, c'est de

ne pas faire partie du problème, mais de la solution. Il faut partir de bases qui ne soient pas

déjà porteuses de tension. »

Cette décision de ne pas jumeler des gens qui occupent un espace critique face à la société

qui les a accueillis est donc en accord avec la définition du concept de l'intégration tel que

se le représente l'intervenante C : c'est lorsque la personne « a retrouvé un certain équilibre

», équilibre qui serait l'aboutissement ou le produit du processus d'adaptation. En effet, dans

ce cas, l'intervenante juge que ces personnes, habitées par la critique ou le ressentiment, ne

se sont pas adaptées à leur société d'accueil, ce qui contredit son désir de vouloir présenter

aux nouveaux arrivants des individus qui sont « des modèles d'évolution en ce qui concerne

la réussite de leur intégration. » L'état d'équilibre auquel serait parvenu le jumelé d'accueil,

l'intervenante C le lie aussi à la réussite de l'intégration socio-professionnelle ainsi qu'au

niveau de vie économique de la personne jumelée. Lorsque l'intervenante a appliqué ce

critère, elle a été confrontée, selon son expression, à « ses propres contradictions » et à ses

propres préjugés: vouloir que le jumelage soit accessible à tous, mais le fermer à certains

alors qu'ils ont démontré une qualité essentielle, « une sensibilité à l'interculturel. » Comme

nous l'avons mentionné, les intervenantes doivent se soumettre à des critères de sélection/

évaluation, notamment en ce qui concerne le statut et la date d'arrivée des immigrants. Elles

doivent aussi atteindre des objectifs, entre autres, l'aide à l'intégration du nouvel arrivant, et

réaliser un certain quota annuel de jumelages. Par contre, chaque intervenante, dans la

majorité des cas en accord avec le directeur de l'organisme, définit, non sans difficulté, les

qualités que, selon elle, le jumelé d'accueil doit posséder. Ces qualités doivent permettre au

jumelé de réaliser les objectifs du jumelage tels qu'attribués par l'intervenante, selon les

propres représentations qu'a cette dernière du processus de l'intégration et de l'adaptation.

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6.3. Le jumelage, outil d'intégration et de prévention audéséquilibre social

Ainsi le jumelage, programme mis en place par l'organisme d'accueil et d'intégration des

nouveaux arrivants, est défini comme un outil d'intégration, en tant que geste préventif à

une non-intégration, parce qu'il fait intervenir les contacts humains et qu'il implique

l'individu. L'impact du jumelage tel que décrit par les intervenantes C, A, G, E, c'est à la

fois de permettre à un individu de retrouver un certain équilibre mental ou de ne pas le

perdre, car il prévient la crise de la solitude. « Ça a une utilité et ça aide les gens qui sont

isolés et qui le réalisent, parce qu'il y en a qui ne réalisent pas et ils se sentent bien et ils

fonctionnent bien… ils vont être bien pendant des années et puis ils vont craquer... et ils

vont se demander d'où ça vient » (intervenante A).

Le jumelage, parce qu'il y a rencontre, donc communication et échange, peut éviter une

détérioration de la santé mentale, et aider à surmonter une détresse psychologique chez un

nouvel arrivant, « à éviter un craquement. » L’intervenante G nous a rapporté l'histoire

d'une femme qui était venue à l’organisme pour faire jumeler son mari. Au cours de

l'entretien, l’intervenante s'est rendu compte qu'en fait c'était elle qui avait besoin d'un

jumelage, qu'elle était au bord de la dépression. Et cette détresse, comme le soulignent les

intervenantes G, H, et B, peut se retrouver aussi chez la personne-ressource (bénévole) : «

Le jumelage ça aide des deux côtés » « ce sont les immigrants aussi qui peuvent aider

l'autre que ce soit pour des problèmes de couple, de toxicomanie » « par exemple un

couple mexicain a apporté beaucoup de support à une femme québécoise qui était délaissée

par son mari. »

De même le jumelage est considéré comme un moyen de prévention au déséquilibre social,

un rempart contre l'anomie sociale (l’intervenante C, directeurs B et G et intervenante G) :

« C'est une façon de prévoir les possibilités dérangeantes », parce qu'il est un acte de

découverte de l'autre, d'apprivoisement, l'autre n'est plus l'inconnu. Ainsi le jumelage recrée

le sens du lieu, lieu qui donne sens à « l'être ensemble » dans un rapport latéral (Roman,

1996). Le jumelage en permettant de créer des liens, deviendrait un outil d'intégration pour

la société québécoise. « Je travaille à faire se rencontrer les gens en groupe parallèle avant

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qu'ils ne prennent chacun leur chemin (...) les gens qui vont essayer de construire les ponts

que ce soit entre jeunes et vieux, je trouve que c'est un travail important à faire parce

qu'autrement, on va devenir n'importe quoi » (intervenante C). Le jumelage répondrait ainsi

à un besoin d'humanité. C’est ainsi qu’une personne est intégrée lorsqu’elle peut se sentir

citoyenne à part entière, quand elle a des réseaux, qu’elle connaît des gens de la place. Le

jumelage favorise la réciprocité, valeur essentielle à la reconnaissance. Par exemple, un

jeune jumelé reçoit et donne dans le contexte du jumelage, puis va redonner et recevoir à

son tour, cette fois, par son implication dans le bénévolat auprès des personnes âgées. Le

jumelage favorise l'intégration dans des réseaux informels et permet la diminution des

préjugés. Car comme le rappelle l'intervenante I, les objectifs du jumelage se trouvent au

niveau « de montrer un chemin » la personne « bénévole » va aider le jumelé au début, «

elle ne va pas jusqu'à faire son éducation, son instruction, elle va lui aider un peu, lui

donner les outils. » L'intégration devient ainsi une aide apportée par le bénévole au nouvel

arrivant pour s'intégrer, en même temps qu'une aide « à se prendre en main, à trouver des

facilités pour fonctionner en enlevant les barrières », précise-t-elle. Le jumelage est

considéré comme un moyen d'intégration pour atteindre les notions d'autonomie,

d'empowerment, notions inhérentes à l'idéologie communautaire, mais aussi répond à l'idéal

d'intégration « cet idéal qui est lié à la conception de la bonne société, de ce qui est

désirable » (Juteau, 1993).

6.4. Le jumelage acte de participation civique

Le jumelage doit être associé, selon l'intervenante G, à la notion de responsabilité du lien

social, responsabilité de l'intégration : « moi je trouve que n'importe qui doit avoir un

contact avec un immigrant. » L'intégration est donc intimement liée à l'acte de participation

civique, à la condition d'être citoyen, à la citoyenneté. Si la possibilité d'avoir un travail à la

mesure de son désir et de ses compétences, objet-signe de reconnaissance de l'apport, est la

pierre d'assise de cet acte citoyen, la citoyenneté se trouve de façon prioritaire, comme nous

l'avons mentionné, dans le rapport latéral de citoyen à citoyen, rapport qui s'ancre dans le

fait de reconnaître à chacun une place dans la communauté (Roman, 1996) :

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Si on est heureux dans son travail, on est bien avec les gens qui nous emploient, on a

automatiquement une relation, ça permet d'être à l'aise pour demander justement des petits

trucs... des petites choses qui font qu'on va vivre mieux (intervenante A).

L'intégration doit passer par les contacts humains, il faut personnaliser l'intégration;

l'intégration c'est quand une personne peut se sentir citoyen à part entière, quand elle a des

réseaux, elle connaît des gens de la place (intervenant F).

Il faut qu'individuellement, les gens se sentent concernés (directrice E).

Le programme de jumelage serait, selon le directeur A, le premier programme identifié au

processus d'intégration parce que les organismes communautaires étaient reconnus pour

aider à l'adaptation, mais non pas à l'intégration. « Un organisme à l'heure actuelle qui fait

de l'accueil et de l'établissement fait de l'intégration » (directeur A). Mentionnons que seul

l’organisme A lie, dans ses objectifs, le jumelage à l’aide au parcours vers l’employabilité,

en tant que transmission de connaissances sur le marché du travail.

Pour la majorité des intervenantes et des directeurs, l'intégration est associée à un acte de

volonté de l'immigrant et à un acte de reconnaissance des membres de la société d'accueil,

une implication de ceux-ci dans l'aide à l'intégration. Le jumelage se situe dans cet axe de

réciprocité, dans un univers symbolique nourri par le désir de la rencontre avec l’autre : il

se manifeste, comme le souligne le directeur A, d’une part dans le vouloir apprendre le

français, et d’autre part dans le message de bienvenue. Le jumelage se situe ainsi dans un

axe communicationnel.

L'ouverture des Québécois envers les immigrants, c'est déterminant pour l'intégration

(intervenante B).

C'est déterminant parce que si on a une fenêtre ouverte, une porte ouverte pour connaître ce

qui se passe dehors, l'intégration c'est plus rapide (intervenante E).

Ainsi l'intégration est un processus qui va dans les deux sens, c'est une manifestation d'une

réciprocité à la fois du nouvel arrivant qui fait des efforts pour s'intégrer et de la société

d'accueil qui fait des efforts pour l'intégrer. Pour qu'il y ait intégration, il faut donc que

l'immigrant se sente à sa place, ce qui implique lui faire une place. « L'intégration c'est

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sentir qu'on fait partie de la société, qu'on est des acteurs principaux, qu'on peut apporter

quelque chose » de dire la directrice E.

Mais cette réciprocité doit se traduire par un acte de reconnaissance. Pour que le processus

réussisse, « il faut faire en sorte que la personne qui est en processus d'intégration puisse

recevoir des reflets de son identité; un miroir de son identité à divers paliers de la société »

(directeur G.). Et selon l'agent 1 du MRCI, il faut reconnaître l'apport de l'immigrant et son

pouvoir de transformation :

L'intégration c'est un processus pas juste unilatéral, ce n'est pas le différent qui doit

s'intégrer à une société homogène... C'est toute la société qui est en train de changer, et tout

le monde doit s'intégrer à une nouvelle société qui est en devenir.

Cet agent, bien que nous convenions qu'il s'agisse ici de son opinion personnelle, épouse la

position formelle du ministère. Comme nous l'avons écrit, le MRCI irait non plus dans le

sens de l'idéologie d'insertion de la convergence culturelle, mais plutôt dans le sens de

l'intégration pluraliste qui en insistant « sur le caractère dynamique du processus

d'intégration, sur l'interdépendance des citoyens dans le partage par consensus de valeurs

communes en même temps que sur la possibilité qu'ils se donnent d'en formuler d'autres

doit mener à l’émergence d'une nouvelle société construite » (Harvey, 1993).

L'immigrant ayant acquis une possibilité de reconnaissance pourra lier son devenir au

devenir de la société. Ce qui peut, selon la directrice I peut se manifester ainsi : « quand il

dit moi je suis ici et mes enfants vont grandir ici, je vis ici et j'ai des projets d'avenir ici. »

Ceci traduit un sentiment d'identification à un projet collectif, la conviction d'être membre

actif de la collectivité, et la manifestation d'un sentiment de confiance, d'appartenance et de

reconnaissance envers la société d'adoption.

Car le contrat moral dépasse le simple fait d'accueillir, il se manifeste, comme nous l'avons

mentionné, dans l'acceptation de l'autre et dans le pouvoir qu'on lui accorde, dans la

symbolique de la reconnaissance qui elle prend source dans l'axe de réciprocité : « Reconnu

par la société d'accueil, le nouvel arrivant reconnaîtra la société d'accueil » insiste

l'intervenante B. L'intégration est donc plus qu’un contrat moral.

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Et les organismes d'accueil et d'intégration, structures intermédiaires communautaires, ont

la conviction de porter la responsabilité de faire en sorte que la rencontre interculturelle

se concrétise. Les organismes offrent un lieu privilégié, l'interface : « Les

organismes, on a aussi notre part à faire : les échanges entre bénévoles de toutes cultures, il

y a des apprentissages qui se font... des expériences humaines qui se font » (directrice

E68). Le jumelage permet « de recréer des liens sociaux, de reconstituer des familles »

(intervenante C). En cela, nous disons que l'organisation communautaire remplace le rôle

traditionnellement dévolu à la Famille, au Travail, en tant qu'Institution. L'organisme

communautaire facilite l'intégration, il est médiation.

6.5. L'acte de citoyenneté du jumelage influencé par le contextesocial et la question de la langue

Toutefois, comme le rappelle Crowley, l'acte de citoyenneté se concrétise dans un lieu

situé, dans un contexte précis. Une réalité plus facile à traduire peut-être par qui est venu

d’ailleurs et s’investit dans l’ici avec une approche interculturelle. À son arrivée au Québec,

l'intervenante C découvre une société qui laisse d'une part place à l'innovation, qui offre un

espace de créativité et d'autonomie, mais qui en même temps présente des contradictions,

notamment sur le plan identitaire et linguistique, des vides aussi. Car il est entendu que le

Québec moderne n'est plus une société monolithique; elle est plutôt « une société où les

codes multivoques sont privés d'un centre organisateur » (Corin, 1993:4) et apparaissent

souvent flous (Camilleri, 1989). Situation déstabilisante à maints égards pour les nés ici,

déroutante pour les venus d’ailleurs. Il y a souvent perte brutale de repères pour le nouvel

arrivant qui ne possède pas les clés d'interprétation qui définissent les marges de conduite,

les zones de tolérance, les attentes, les incontournables, les faits et signes que toute société

prescrit et suggère de façon originale.

68 Nous soulignons que seul l'organisme E mentionne l’apport des activités collectives ou de groupe au projet

jumelage.

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Ces vides, éléments perturbateurs de la cohésion sociale, se traduisent selon

l’intervenante C, par l’éclatement des liens familiaux et sociaux. « Les jeunes d’un côté, les

vieux de l’autre, les travailleurs au milieu qui essaient de s’en sortir. » Fragmentation qui

fait « que les gens ne se sentent pas concernés par la responsabilité de l’intégration des

nouveaux arrivants » et sur son incidence sur l’intégration de la société. Vides aussi créés

entre autres, par le non-enseignement de l’histoire à l’école, par l'absence de transmission

des références historiques alors que « l'histoire est importante dans la rencontre

interculturelle. Si tu n’as pas le recul historique, tu ne peux pas comprendre le présent. »

Cet inachèvement qui pourrait signifier une « transition en rupture » (Bujold, 1972), fait

dire à l’intervenante que la société québécoise est une société actuellement « éclatée et

sectarisée. »

Société fragmentée, comme d'autres occidentales, faite de liens distendus, situation qui a,

selon l'intervenante C, un impact direct sur le programme de jumelage « parce que si les

gens n'ont pas de liens entre eux, sont isolés, il devient plus difficile d'intégrer le nouvel

arrivant dans un réseau. » Société fragmentée dans un contexte de mondialisation et de

chômage relatif qui ne remplit pas toujours ses promesses, qui ne comble pas toujours les

attentes, notamment en ce qui concerne l’emploi. Ces attentes non comblées font alors

échouer la quête de plusieurs immigrants, quête sur laquelle était basé leur projet

d’immigration, l’amélioration de leur situation socio-économique.

Un Québec aussi où une majorité de Québécois sont en questionnement identitaire, où un

certain nombre de francophones questionnent leur avenir en tant que peuple, sont indécis,

sont en plein paradoxe face aux immigrants. L'intervenante C revoit le dilemne eux/nous

vécu en France par certains groupes ethniques, mais « de façon plus pernicieuse. Ce n'est

plus le « t'es qui » (identité basée sur le statut socio-professionnel), mais « t'es pour qui ? »

(identité basée sur le statut socio-politique) « Dans le sens t'es pour qui, t'es contre qui ? »

Pour qui (ou contre qui) en tant qu'individu, individu qui par ce choix devient une menace

pour une collectivité ?

L'immigrant se retrouve encore une fois au cœur d’un débat identitaire qui d’emblée ne lui

appartient pas, où les pôles exclusion/inclusion sont exacerbés; « on leur demande de

prendre position » au risque de s'exclure alors qu'il est en processus d'insertion.

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Cette quête de reconnaissance politique des groupes en présence met dans l'embarras

l'immigrante qu’est l’intervenante C. Elle qui, analysant le contexte nord-américain et de

mondialisation, constate l'importance d'apprendre aussi l'anglais; « pas au détriment du

français, mais comme une langue qui est importante aussi. » Comme si, en faisant ce choix,

l'immigrant deviendrait suspect. « Il y a un écart entre les perceptions et la réalité comme si

la loi 101 n'avait pas eu d'impacts », déplore l'intervenante.

De plus, l’apprentissage de la langue de la majorité se fait dans le contexte où certains

immigrants parlent ou ont appris ou entendu parler un autre français, celui de la France,

français qui devient la norme en terme de qualité. Cette référence à la langue française telle

que parlée en France, fait porter à certains un jugement sévère sur la qualité du français que

l'on parle ici; jugement qui peut devenir un irritant dans la rencontre interculturelle.

L'apprentissage de la langue se fait aussi dans le contexte où certains Québécois portés par

la fierté de montrer qu'ils sont bilingues ou par méconnaissance de la réalité immigrante ou

par une attitude d'accueil, vont parler en anglais à l'immigrant peu importe son origine

(même si celui-ci vient d'Algérie, il a un visage d'étranger). L’intervenante C souligne aussi

les paradoxes, les contradictions qu'elle retrouve au sein de la société québécoise : le

paradoxe identitaire des Québécois qui a aussi une influence sur le parcours d'intégration de

l'immigrant, en obligeant ce dernier à faire un choix pro-francophone (anti-anglo) ou pro-

anglophone (anti-franco).

L’intervenante C analyse la complexité de la question de la langue et des susceptibilités qui

entourent les attitudes envers la pratique de celle-ci. L'intervenante l'analyse en termes

d'oppositions dans les systèmes de références et de significations des motivations à vouloir

parler (faire parler) le français : « Le Québécois dit parle à mon cœur, l'immigrant dit parle

à ma tête ! » Il apparaît que pour l'un le français, langue maternelle, est lié à son identité, à

sa survie en tant qu'ethnie, alors que pour l'autre la pratique ou l'apprentissage de la langue

d'adoption serait liée à sa survie économique.

Somme toute, comme le constate l'intervenante I, le Québec est une société, avec ses

qualités et ses défauts, ses contradictions, ses forces et ses faiblesses; « une société comme

les autres sociétés, il faut s'accommoder avec ça et fonctionner si on veut bien vivre, si on

veut donner une bonne éducation à nos enfants » (l'intervenante I).

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Une société, comme toute autre société moderne, animée par l’individualisme et la

primauté du marché, touchée par ce que Bolle de Bal nomme la « déliance » et un vide

définissant le pourquoi de l’être-ensemble.

Cet état d’éclatement qui n’est pas seulement, faut-il le mentionner, l’apanage de la société

québécoise, l’intervenante le mentionne parce qu’il a un impact sur le programme de

jumelage « parce que si la société est fragmentée, ça ne va pas faciliter le travail... parce

que si l’individu qui s’implique n’a pas de famille, pas de réseau, l’impact au niveau social

est plus limité dans les faits. »

L'intervenante C avoue avoir une conviction toute personnelle en l'agir individuel comme

prise de conscience de la responsabilité sociale des individus face à l'immigration, face à la

réussite de l'intégration des immigrants et de la société québécoise, au-delà de la volonté

gouvernementale. Mais si la projection personnelle dans un avenir ici doit entrecroiser le

projet collectif, il faut un minimum de consensus sur ce que doit être le projet collectif.

Dans un même courant d'idées, la directrice B dit poursuivre sa réflexion avec d'autres

membres du conseil d'administration de son organisme sur la nécessité pour la société

québécoise d'élaborer et de dire un cadre commun, un espace civique commun qui suppose

des droits, mais qui insiste surtout sur les devoirs collectifs pour atteindre l'objectif qu'elle-

même s'est fixé après avoir immigré au Québec : participer à la vie collective pour mieux

vivre au sein d'une société intégrée. Ce qui guide ses actions, c'est une vision rassembleuse

« qu'il faut tabler plus sur les ressemblances que sur les différences. » Elle parle de

l'importance de réfléchir à ce que sera la société de demain « moi je me suis posé la

question » :

Comment va être notre société de demain si on n'a pas un cadre commun, si chacun vient

dire moi c'est mon droit, c'est ma liberté et je vais faire ce que je veux. La première étape

c'est de définir ce cadre, ensuite de demander à cette personne (nouvellement arrivée) viens,

tu vas être dans ce cadre, il n'est pas un carcan pour toi, il est large, il te permet de

t'épanouir, de respirer (...) Le changement il faut qu'il soit organisé, je suis contre l'anarchie.

(...) quand on dit nous sommes une terre d'accueil, on va accueillir, on respecte, c'est bien,

mais qui sommes-nous pour qu'ils viennent ? Le cadre n'est pas clair, il y a des ambiguïtés :

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ex: la laïcité, le double message qui y est véhiculé. En ce qui concerne ce cadre, les

organismes veulent être consultés (directrice B).

C’est le nouvel immigrant qui dit c’est quoi votre société... on se le fait dire souvent...on est

peu… je dirais la société d’accueil, je dirais, est très effacée, est très curieuse des autres

cultures... , mais quand on nous pose une question sur notre propre culture..., on a rien à

dire... (agent 1 du MRCI).

C’est dans ce contexte que le « bénévole » défini comme un accompagnateur et perçu

comme un intermédiaire, lien entre l'organisme et les institutions de la société d'accueil

devient une référence lorsque le nouvel arrivant a besoin d'être sécurisé dans ses

démarches. C’est à lui aussi qu’incombe le rôle de vulgarisateur/ transmetteur en ce qui

concerne l'histoire, les normes et les valeurs de la société québécoise.

L’intervenante qui a le mandat de travailler sur le lien social du jumelage, et qui tente de

l’établir, animée par la perspective de l’échange interculturel, portée par l’espoir d’une

possible harmonisation des rapports sociaux et la conviction que le jumelage permettra une

meilleure intégration de l’immigrant, est plongée, bien malgré elle, dans la dialectique

sociétale de l’alliance et de la déliance. Cette dialectique se trouve, comme nous l'avons

précédemment décrit, dans le désir manifesté par les citoyens de se réapproprier un peu

d'intime et de spontané dans l'anonymat de la modernité, d'opposer et d'affirmer le sens du

lien au contre sens légitimé de la « déliance » sociale. La déliance, pour reprendre les

termes de Marcel Bolle De Bal, révélerait les symptômes d'une maladie sociale, « un

manque de liens humains, une carence des structures sociales incapables d'assurer ces

relations directes (...) intimes (...) engagées (...) qui font la joie du vivre-ensemble » (1985:

117). Le jumelage en tant que « système plus ou moins institutionnalisé reliant les acteurs

sociaux entre eux » (1985:30) serait, selon les termes de Bolle De Bal, une « structure de

reliance. »

Le contexte social au sein duquel est mise en place la relation de jumelage a une influence

sur la connaissance et la représentation que se font les citoyens du phénomène de

l'immigration. Cette connaissance ou méconnaissance a un impact sur le recrutement des

jumelés et la dynamique des jumelages. Cette réalité, qui peut devenir un obstacle pour la

réalisation des jumelages, ne doit pas, par contre, nous faire oublier l’espace de liberté

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qu’occupent les intervenantes. Comme nous le verrons, l’intervenante par la conscience ou

l'intuition apprivoise et même apprécie les « zones d'incertitude » qui lui permettent de

manifester un « esprit d'invention » (Deslauriers, 1989, cité dans Roy, 1992 : 58). Les

intervenantes en viendront ainsi à revoir certaines stratégies d’intervention. Elles en

abandonneront, en trouveront de nouvelles. Nous définissons la stratégie comme un

ensemble d'opérations réfléchies ou spontanées dont le but est de faire se réaliser une

relation de jumelage en accord avec la conception que s'en fait l'intervenante modérée par

les balises qui lui sont imposées.

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CHAPITRE VII

Recrutement et profil de la clientèle

7. a. Sommaire

Recruter des Québécois et jumeler des intérêts semblables qui ne sont pas nécessairement

les mêmes sont les deux défis que pose le jumelage. Le recrutement (7.1) est la principale

difficulté des intervenantes en jumelage. Nous décrivons en premier lieu dans ce chapitre

les principales difficultés liées au recrutement telles que se les représentent les

intervenantes : la méconnaissance du programme de jumelage et du phénomène de

l'immigration chez les citoyens (7.1.1), la dynamique communautaire et sociétaire d'une

métropole (7.1.2), le manque de famille nucléaire (8.1.3) et d'hommes (8.1.4) qui seraient

intéressés au jumelage, les obstacles organisationnels et structurels de certains lieux ciblés,

tels les entreprises (7.1.5) Le temps que les intervenantes doivent accorder à la promotion

(7.2) et les défis que posent la sensibilisation de la collectivité (7.2.1, 7.2.2) sont considérés

des défis majeurs. Comment est présenté alors le lien social du jumelage ? (7.3) Le

jumelage est présenté selon trois axes : celui du bénévolat (7.3.1), celui de l'amitié (7.3.2) et

celui de l'interculturel (7.3.3). Par ailleurs, le jumelage, relation primaire certes, mais aussi

secondaire, est présenté aux futurs jumelés comme un programme intégré à un organisme

(7.4, 7.4.1), deux espaces leur sont offerts pour développer ce sentiment d'appartenance à

l'organisation, des formations et des activités de groupe (7.4.2), mais jumeler des intérêts

semblables qui ne sont pas nécessairement les mêmes repose en premier lieu sur le

processus de sélection (7.5) qui tient compte du profil de la clientèle (7.5.1). Une première

zone d'incertitude survient : comment cerner les motivations des gens à être jumelés?

(7.5.2) Comment savoir s'ils partagent des intérêts semblables? (7.5 2.a). Les intervenantes

tentent d'évaluer la situation des candidats (7.5.3), en considérant le statut et le parcours

migratoire (7.5.4). La question du choix du jumelé d'accueil en lien avec l'atteinte des

objectifs du jumelage dans le contexte d'une société multiethnique implique d'offrir ou non

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ce rôle d'accueillant aux Québécois de toutes origines (7.5.5) et d' évaluer le pourquoi et la

portée de ce choix.

Une fois la première sélection effectuée, le comment évaluer la compréhension qu'ont les

jumelés du processus du jumelage (7.5.6) puis le comment bien évaluer leurs compétences

constituent deux autres zones d'incertitude (7.5.7) ; celles-ci doivent être analysées à la

lumière des attentes des jumelés (7.5.8), des attentes des intervenantes et de la

représentation qu'ont les intervenantes des jumelés. Celles-ci élaborent différents moyens

pour faire partager leurs visions aux participants (7.5.9). Mais les intervenantes sont

confrontées à un dilemme : comment exclure un candidat (7.5.11) qui à la fois démontre un

geste d'ouverture en s'inscrivant au jumelage tout en démontrant une incompréhension des

objectifs du jumelage ou une tendance discriminatoire en disant une préférence

presqu'exclusive pour une ethnie (7.5.12.1) ou en manifestant des préjugés face à une autre

(7.5.12.2) Enfin, lorsque l'intervenante juge qu'elle a fait les bons choix, elle invite les

futurs jumelés à une première rencontre, la rencontre pour le jumelage (7.6), et leur en

donne les règles.

Les deux défis que pose le jumelage, tels que résumés par l'intervenante B, sont : trouver

des jumelés d'accueil69 qui implique le recrutement par, entre autres, des actions de

promotion, et jumeler des intérêts semblables qui ne sont pas nécessairement les mêmes;

que ce soit entre le jumelé d'accueil et le nouvel arrivant ou entre le jumelé d'accueil et

l'organisme.

7.1. Le recrutement

La principale difficulté du programme semble être la gestion du temps accordé au

programme du jumelage en lien avec les actions liées au recrutement (les activités de

promotion, la réalisation de la vidéo, la publicité dans les médias). « Il faut, selon

69 Nous adopterons pour la suite de notre thèse le terme « jumelés d'accueil” pour désigner les bénévoles ou

personnes-ressources, puisque c'est le terme choisi par les intervenantes du Réseau jumelage.

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l'intervenante B, faire attention aux priorités. » Sinon une autre difficulté peut survenir,

celle là d'ordre logistique : le non-dosage de la promotion auprès des nouveaux arrivants.

Ceci occasionne une trop longue liste d'attente surtout quand la promotion se fait dans les

classes de français et que tous les nouveaux arrivants ou presque répondent qu'ils veulent

être jumelés.

Le défi de trouver des jumelés d'accueil est partagé par la majorité des intervenantes que

nous avons rencontrées et est souligné par les agents du MRCI comme étant un obstacle

majeur à la réalisation des jumelages (entrevues 1998)70. Tous les agents ont pris bonne

note que la première difficulté dans la réalisation du jumelage est le recrutement des

Québécois et le pairage par affinités. Ces deux éléments peuvent prolonger le temps

d'attente avant l'offre souhaitée du jumelage.

Les organismes n'arrêtent pas de nous le dire : ce qui prend énormément de temps c'est de

recruter des bénévoles, c'est ça qui est difficile et faire le jumelage, l'entrevue. Ils ont

beaucoup de gens en attente, des immigrants ou des bénévoles parce qu'ils n'ont pas trouvé

le match parfait (...) ça crée beaucoup d'attentes (agent 1 du MRCI).

Moi je trouve que c'est une formule drôlement intéressante qui aide et accélère l'intégration

et l'établissement des immigrants. Le grand problème, c'est le recrutement des Québécois

(agent 4 du MRCI).

Ce problème est redit dans l'étude de Charbonneau, Dansereau et Vatz-Laaroussi (1999) et

était au cœur des discussions de la réunion entre les représentants du MCCI et des

organismes communautaires en 1992. Les participants avaient alors recommandé que, «

compte tenu de l'importance de la promotion dans le recrutement des candidats, il est

proposé que le MCCI soutienne les organismes en organisant une campagne de promotion

du jumelage auprès du public québécois. » Recommandation qui, par la suite, ne fut pas

retenue par le MCCI.

70 Cette difficulté à recruter peut aussi être liée, comme c'est le cas en Colombie-Britannique, à la compétition

non seulement entre les organismes offrant le jumelage mais aussi entre tous les secteurs qui ont besoin de

bénévoles; La compétition sur le marché du bénévolat (document de travail MRCI, 1998).

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Lors du premier événement public organisé par le Réseau jumelage en 1996, la Fête du

jumelage, l'intervenant F, alors porte-parole du Réseau, rappelait dans son discours les

objectifs du regroupement : améliorer le service et organiser des activités communes pour

mieux faire connaître le jumelage. Il interpellait alors le MRCI qui devait assumer le

leadership au niveau financier et au niveau promotionnel en redisant le modèle mis de

l'avant par ce dernier d'une société pluraliste de caractère français.

7.1.1. Pourquoi la difficulté d'avoir des jumelés d'accueil ?

Faire connaître le jumelage est difficile, selon l’intervenante H, parce que, selon sa

perception, l'immigration est un phénomène nouveau au Québec : « moi si je ne travaillais

pas, je ne connaîtrais pas ça, la question est comment le faire connaître aux Québécois ? »

En fait cette méconnaissance du programme de jumelage peut être liée à la méconnaissance

de l'évolution de l'immigration au Québec, méconnaissance qui contribue au lieu commun

que l'immigration est un phénomène nouveau. Comme nous l'avons déjà souligné, le

phénomène de l'intégration à la population francophone au Québec étant un phénomène

récent, les Québécois francophones prennent conscience, parfois difficilement, qu'il est

nécessaire de remettre en question certaines manières d'agir et d'être, d'admettre

l'hétérogénéité comme une qualité dorénavant intrinsèque de la société québécoise, qu'il y a

obligation de faire le deuil de « l'entre-nous. »

Cette invisibilité, ces silences concernant l'évolution de l'immigration pourraient expliquer

le fait que le jumelage, acte de rapprochement et outil d'intégration, selon la perception de

l'intervenante C, ne soit pas inscrit dans un « vouloir collectif » d'une société, et le fait que,

« partant d'un programme à visée collective, les jumelés mesurent leur réussite à l'aulne de

l'exceptionnel et du singulier » selon l'analyse qu'en fait l'étude de Charbonneau et al. La

non prise en compte de l'aspect collectif de l'acte de jumelage pourrait aussi être liée au

phénomène de « déliance sociale », phénomène qui empêche l'attribution de la portée

collective à l'implication sociale, celle-ci étant motivée et valorisée davantage par des

intérêts et bénéfices individuels. La fragmentation de la société, c'est-à-dire le non

sentiment d'appartenance à un « vivre-ensemble », ferait, comme le souligne l'intervenante

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C, « que les gens ne se sentent pas concernés de façon collective par la responsabilité de

l’intégration des nouveaux arrivants » et par son incidence sur l’intégration de la société.

7.1.2. Jumeler à Montréal

Selon l'intervenante E, ce n'est pas le fait qu'il y ait beaucoup plus d'immigrants à Montréal

qui rendrait le jumelage difficile. L'intervenante G croit qu'il est même plus facile de

jumeler parce qu'il y a plus d'immigrants, le jumelage permettrait de diminuer des préjugés

« si tu as des problèmes avec ton voisin, on te jumelle. » Le fait que Montréal soit une ville

multi-ethnique ne signifie pas, par contre, que les gens ont nécessairement des contacts

avec des immigrants, d'autant plus qu'à Montréal, selon une autre intervenante (F) tout est

organisé : « pour trouver l'âme sœur, par exemple, les gens passent par des associations »

indiquant par là la culture du corporatisme qui existe dans une métropole comme Montréal.

Cette culture du corporatisme, où l'invividu doit faire appel aux associations pour l'aider à

établir des relations interpersonnelles démontrerait en fait, selon nous, deux tendances

contradictoires : d'une part le recours à l'organisation pour pallier à la difficulté de se doter

d'un réseau primaire serait un indicateur de l'absence de la communauté dans la ville, en

tant que réseau spontané; d'autre part le recours à l'organisation communautaire irait à

l'encontre du corporatisme, en se révélant espace médiateur capable de restaurer le sens de

la communauté, en permettant aux citoyens de se lier en tant que tels et d'établir une

relation.

La difficulté de jumeler à Montréal se situerait aussi, selon les intervenantes F et E, dans le

manque de temps des Montréalais, « leur temps est organisé » , ce qui a une influence sur la

dynamique du jumelage puisque la difficulté principale est la non-disponibilité.

Toutefois, ce ne serait pas tant l'idée du jumelage qui serait difficile à répandre à Montréal,

selon l'intervenante A, mais sa réalisation. L'intervenante attribue cette difficulté aux

critères, aux paramètres qu'il faut respecter, et parce qu'elle a affaire à la nature humaine «

le jumelage est devenu à la mode, mais quand les gens veulent en savoir un peu plus, on se

rend compte qu'ils n'ont pas bien compris, certains n'ont pas conscience que c'est du

bénévolat, ils pensent à un certain retour. Certains vont espérer que le jumelé leur trouve un

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emploi, d'autres croient que ça va être un travail. » Nombre de nouveaux arrivants ne

saisissent pas la nature exacte du programme de jumelage, ses objectifs, la structure

organisationnelle au sein de laquelle il est offert de même que les motivations des

Québécois à donner de leur temps pour cette relation. Devant tant de confusion et dans un

effort de clarification, les intervenantes, notamment l'intervenante C, ont cru nécessaire de

donner aux jumelés une fiche qui définit ce qu'est et ce que n'est pas le jumelage.

En ce qui concerne la question des distances géographiques entre les jumelés, les

intervenantes ne croient pas en général que celle-ci pose problème quoique plusieurs

essaient de jumeler des gens qui vivent le plus possible à proximité l'un de l'autre; d'autant

plus que les nouveaux arrivants possèdent rarement une voiture.

7.1.3. L'unité familiale

Une difficulté du programme de jumelage que rencontre particulièrement l'intervenante D,

puisqu'elle priorise ce type de jumelage, c'est de trouver des couples et des familles. Dans

son rapport, Daignault (1996) mentionne la présence ou non d'enfants dans le jumelage

comme pouvant être un obstacle à la réussite du jumelage entre les participantes. Les

participantes québécoises sans enfant représentaient 54,8% des candidates

comparativement aux femmes immigrantes, 32,5%. Daignault écrit : « Dans notre pratique,

cet écart entre les deux groupes concernant le nombre d'enfants par femme, a provoqué

quelques déceptions chez les immigrantes. Puisque les valeurs familiales et

communautaires sont très valorisées dans plusieurs des sociétés d'où proviennent les

femmes, plusieurs d'entre elles auraient aimé partager des activités de type familial avec

une femme québécoise et se familiariser avec les modèles éducationnels québécois. »

Daignault poursuit : « nous sommes sensibles à la déception des immigrantes concernant

l'impossibilité (...) d'être jumelées avec des mères de familles québécoises. Toutefois, nous

devons demeurer réalistes face à nos capacités de recrutement puisque cette situation reflète

la réalité démographique du Québec » (1996:47). Dans les recommandations du rapport,

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Daignault suggère d'accentuer le recrutement de femmes québécoises ayant des enfants en

publicisant le projet dans les établissements d'enseignement primaire.

Enfin le manque de jumelés d'accueil de sexe masculin71 est partagé par l'ensemble des

intervenantes.

7.1.4. Recrutement/Manque d’hommes seuls

Il est en effet ardu pour la plupart des intervenantes de réaliser le jumelage entre hommes

seuls. Parmi les futurs jumelés immigrants, les hommes célibataires sont nombreux; ceux-

ci sont soit des revendicateurs de statut ou des immigrants indépendants. Les quelques

jumelages que l’intervenante C a réussi à faire entre hommes, précise-t-elle, sont presque

tous « ratés. » L’intervenante lie cet échec à la difficulté de s’engager, de se lier « parce

que finalement on retrouve l'aspect humain, ce qui fait que les jumelages réussissent, c'est

le lien affectif. »

Ce qui nous amène à formuler deux hypothèses : une première hypothèse pourrait être que

la sphère sociale, que ce soit dans le domaine de l’intervention sociale, de l’enseignement,

de services de santé ou du bénévolat, tout ce qui concerne l’attention portée à l’autre dans

un acte de dévouement, de gratuité, et de non-équivalence, donc hors marché, même si cet

acte est rémunéré, est encore majoritairement occupée par les femmes. À titre d’exemple,

sur 20 organismes membres du Réseau jumelage lors de notre étude, il y avait trois

intervenants hommes responsables du jumelage.

L'autre hypothèse s'inspire de la réflexion de l’anthropologue W. Apollon sur la notion du

contenu du contrat et du fondement de l’alliance. Le « pourquoi s’allier ? » Bien que la

réflexion d’Apollon questionne la baisse de l’intérêt concernant l’alliance du mariage, il

nous apparaît intéressant de tisser un lien avec la notion de l’alliance du jumelage. Selon

71 Le plan d'action 2000 du Réseau prévoit des actions de recrutement ciblées auprès d'associations nationales

ayant majoritairement des membres de sexe masculin (notamment dans le domaine du sport).

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Apollon, les hommes ne voient plus intérêt dans l’alliance interpersonnelle du mariage

parce que celle-ci ne conditionne plus la filiation comme structure de transmission du nom,

des biens, des signifiants du lignage. Dans le jumelage, c’est la transmission de

connaissances qui est au cœur du jumelage de même que le développement d’un lien

affectif. Pourquoi les hommes se lieraient-ils, s'ils ne peuvent transmettre concrètement par

l’acte de l’alliance une part de leur identité ? Pourquoi se lieraient-ils aussi s'ils ne peuvent

contribuer par le don de biens à transmettre une part de leur héritage ? L’homme désire une

certaine reconnaissance sociale de sa contribution. Le contrat de l’alliance telle que conçue

par l’homme doit être une réalisation, doit se manifester de façon tangible et mesurable,

c’est le « lien effectif », la certitude. Le jumelage présenté comme une relation d'amitié

serait peut-être trop dans l'ordre de l'affect, dans le flou, pour que l'homme s'y intéresse de

façon spontanée. Ceci n'étant qu'une hypothèse, la promotion auprès des associations

d'hommes devrait nourrir ces éléments de réflexion et apporter d'autres pistes.

7.1.5. Le Recrutement et les affinités professionnelles

La formation et les expériences de travail des intervenantes influencent le mode de

recrutement des Québécois, par contre, des obstacles structurels et organisationnels peuvent

les obliger à modifier leurs stratégies. L'intervenante B oriente ses activités promotionnelles

vers les grandes entreprises, Bell, les Caisses Populaires, etc. Elle établit un lien entre ce

qu'elle a observé en milieu de travail et les possibles intérêts des gens à être jumelés « j'ai

travaillé dans une compagnie d'assurances avec des gens bien ordinaires, bien simples, qui

aimeraient ça ce genre de choses là. » , mais parce qu'elle manque de temps, et parce que ce

type de partenariat est exigeant, celle-ci a du ralentir ces démarches auprès des entreprises.

Toutefois elle a noté que la principale difficulté rencontrée au sein des grandes entreprises

se situe au niveau de la culture organisationnelle; la situation de concurrence et de

coupures de postes force la restructuration chez Bell, les responsables des services

changent, il y a un problème de communication à l'intérieur de la boîte. Aussi rencontre-t-

elle des difficultés à identifier la personne de l'entreprise qui devrait être mandatée pour le

dossier jumelage.

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En ce qui concerne le jumelage professionnel, si plusieurs immigrants le demandent, le

principal obstacle c'est le temps d'investissement que cela exige et le manque de temps des

intervenantes. L'intervenante B précise : « Je ne suis pas rendue là dans mes étapes (...)

mon but cette année c'est d'aller voir les grandes entreprises là où il y a un grand bassin de

population québécoise » 72. Pourtant, notamment en ce qui concerne les immigrants

indépendants, la problématique de l'intégration professionnelle est au centre des

préoccupations de l'immigrant, d'où, selon l'intervenante C, l'importance que pourrait

prendre le jumelage basé sur des affinités professionnelles qui favoriserait des échanges

d'information sur la profession. Cependant, lors de la formation donnée à l'APEIQ au

printemps 97, elle soulignait la complexité de ce type de jumelage qui pourrait susciter des

attentes irréalistes envers le Québécois de qui on espérerait un contact pour l'obtention d'un

emploi.

Même si les intervenantes ne donnent pas au jumelage un objectif d'accompagnement vers

l'emploi, elles tentent de tenir compte dans leur pairage, lorsque cela s'y prête et est

possible, des affinités professionnelles.

7.2. La Promotion

La promotion semble demander énormément de travail aux intervenantes : « Pour faire un

jumelage, je peux appeler 10 fois (...) j'ai des réunions, des tables de concertation, les gens

ne sont pas prêts, quand moi je le suis » (intervenante H).

72 Au sein du Réseau jumelage l'intervenante B a coordonné en 1999 avec l'agente de liaison du Réseau un

projet-pilote « accompagnement en milieu de travail » , qui se rapproche du programme mentorat de certains

organismes et qui permettait à un immigrant d'être jumelé en milieu de travail avec un travailleur en

l'occurrence un délégué syndical à la FTQ, section des Métallos. L'objectif était d'initier l'immigrant

(l'immigrante dans ce cas) aux modes de fonctionnement du travail dans son domaine professionnel et de

sensibiliser un Québécois et ses confrères de travail à la réalité et à la complexité de l'intégration en milieu de

travail pour un nouvel arrivant.

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L'intervenante A aussi trouve difficile le recrutement, celle-ci déplore que « ce sont

toujours les mêmes bénévoles qui reviennent de fois en fois se jumeler. » Elle a

l'impression de faire beaucoup de promotion pour peu de résultats. Les intervenantes

déplorent que les activités de promotion prennent énormément d'énergie et de temps en

réalisation et en préparation, peut-être au détriment justement de la formation. Toutefois

l'intervenante C est consciente que l'impact réel est encore limité parce que le jumelage est

peu connu ou mal connu, « si tu parles à des gens, jumelage, c'est quoi ce mot là ? Ils

pensent parrainage ou ils ne pensent rien. » Celle-ci déplore les répercussions négatives du

discours véhiculé par les médias qui créerait un effet de « brouillard. »

Ainsi les premières réalisations des intervenantes au sein du Réseau jumelage furent des

activités promotionnelles. Alors que le premier événement du Réseau jumelage en 1996

visait à sensibiliser principalement le MRCI, les deux autres événements, la Foire du

Jumelage en 1997 et Solidairement Artistes en 1998, avaient comme objectif de faire

connaître le jumelage. L'un visait les médias, les organisations civiles et associations de la

société québécoise (Syndicats, Forum des Aînés, Fédération des femmes, Fédération

étudiantes, SSJB) l'autre voulait rejoindre la population en général par le biais d'un

événement culturel de même qu'acquérir une certaine crédibilité auprès du MRCI.

Lors de la validation des données, l'intervenante C poussait plus loin sa réflexion et

attribuait aux jumelés un rôle au niveau de la promotion du jumelage tout en se demandant

comment les soutenir dans cette démarche. Ainsi revient-elle à la vision du rôle des

jumelés : porteurs du projet et multiplicateurs. L'intervenante C croit qu'il serait nécessaire

que les intervenantes au sein du Réseau réfléchissent davantage au comment outiller les

jumelés d'accueil à devenir porteurs du projet de la même façon que les intervenantes

devraient réfléchir à d'autres façons, d'autres lieux où pourrait se concrétiser la rencontre

interculturelle. Elle appuie l'idée émise au Réseau d'un club jumelage, selon le modèle

adopté par un organisme d'accueil des nouveaux arrivants en région hors Montréal, au sein

duquel les jumelés deviennent responsables de certaines activités73; alors que l'intervenante

73 La réflexion menée au sein du Réseau a porté fruit. Des jumelés (nouveaux arrivants et Québécois) référés

par les intervenantes ont créé, avec l'agente de liaison du RJI, en mars 2000, le journal Le Jumelé, journal de

réflexion et de témoignages sur le jumelage, les relations interculturelles et le phénomène de l'immigration.

Ce journal vise à sensibiliser les citoyens et citoyennes et est distribué gratuitement via les Maisons de la

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G se sentirait menacée dans un trop donner de responsabilités aux jumelés, ce qui pourrait

remettre en question la nécessité de son intervention. Cette crainte nous apparaît fondée sur

le caractère temporaire des postes de travail au sein du communautaire de même que sur

l'incertitude entourant les renouvellements de contrat liés aux subventions.

Par ailleurs les agents du MRCI se demandent si la formule, telle que présentée dans le

cadre d'une relation interpersonnelle, ne devrait pas être réévaluée. Le questionnement

porte, entre autres, sur comment en augmenter l'impact et comment trouver des formules

moins engageantes et surtout moins contraignantes pour le bénévole.

7.2.1. Lier l'interpersonnel au collectif

Être accompagné d'aînés pour faire la promotion du jumelage fait partie d'une stratégie de

rendre les aînés « porteurs du projet, et multiplicateurs dans les milieux. » Cette stratégie

vise à responsabiliser les aînés face à leur engagement et à lier ce projet individuel à un

projet d'ensemble, à un projet social pour que celui-ci devienne une responsabilité

collective face à l'intégration. D'ailleurs, cet objectif peut être relié au fait que l'intervenante

C considère qu'une des raisons possibles au fait que le jumelage est si peu connu au sein

de la société québécoise est que « ça reste une affaire d'individus. » Cette

responsabilisation permet aux jumelés de répondre à un autre objectif que s'est fixé

l'intervenante « qu'ils s'affranchissent de sa présence. » Cette stratégie permet aussi d'éviter

que l'intervenante ne « s'essouffle », ce qui aurait, nous apparaît-il, un impact non

seulement sur sa disponibilité, mais aussi sur sa faculté d'innover.

Pour l'intervenante H, l'objectif d'être des bénévoles multiplicateurs semble être de trouver

d'autres bénévoles pour faciliter son travail puisque, comme les autres membres du Réseau,

celle-ci est confrontée à la surcharge de travail et au manque de temps. Augmenter le

nombre de bénévoles l'aidera par le fait même à répondre à la mission du programme de

Culture, bibliothèques, centres de loisirs de la région métropolitaine. Un certain nombre d'exemplaires est

distribué en régions, hors Montréal.

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jumelage et de l'organisme au sein duquel il s'inscrit. Cette mission est le changement des

mentalités, donc une meilleure compréhension des uns et des autres. Le bénévole, dans ce

cas, considéré nouveau converti à la cause qu'il a choisie, a le mandat d'accueillir et de

guider le nouveau venu dans sa nouvelle demeure et doit répandre la bonne nouvelle qu'un

nouveau venu est arrivé afin que d'autres, comme lui, deviennent bénévoles au sein de

l'organisation. Les jumelés prennent ainsi un rôle actif en « épaulant » l'intervenante H.

L'intervenante B a adopté un moyen original et pour le moins surprenant pour contrer cette

difficulté de promotion du jumelage : les annonces dans le journal de quartier décrivent le

jumelage d'intégration avec texte et photo en présentant les nouveaux arrivants à la

recherche d'un jumelé québécois. Par cette annonce personnalisée, les nouveaux arrivants

décrivent ce qu'ils recherchent dans le jumelage. Avec la photo, l'intervenante a

l'impression que le jumelé d'accueil a le choix, que c'est lui qui choisit selon ses intérêts et

qu'il fait les démarches en fonction d'un individu en particulier. La photo créerait un lien;

elle permet au Québécois, selon l'intervenante B, « de mettre un visage sur un inconnu. »

Cet outil promotionnel nous semble motivé par le désir de rendre le processus moins

anonyme Mais s'il permet d'apprivoiser l'inconnu de la situation pour les Québécois, cette

façon de promouvoir le jumelage risque d'augmenter l'étrangeté du processus chez le

nouvel arrivant qui devient en quelque sorte un objet pour l'autre. Cette façon de faire

inusitée peut provoquer un malaise. D'ailleurs en mai 1998, l'intervenante B était

confrontée au fait que certains nouveaux arrivants avaient des réticences à se faire

photographier. Elle est à revoir ce mode de promotion du programme74.

Nous spécifions que des jumelés, autant nouveaux arrivants que Québécois, ont accepté de

témoigner dans la vidéo promotionnelle réalisée par le Réseau jumelage, d'autres, souvent

les mêmes, acceptent à l'occasion, de témoigner lors d'activités promotionnelles et de

sensibilisation, enfin quelques jumelés collaborent au journal Le Jumelé, journal de

74 Dans le Jumelé, il y a une chronique, Des nouveaux arrivants désirent être jumelés, où il n'y a pas de photo,

mais une présentation du nouvel arrivant (profil, profession, statut civil, intérêt). Il nous semble que cela

donne au futur jumelé d'accueil l'impression qu'il fait un choix personnel en même temps qu'il permet au

nouvel arrivant de dire ce qu'il recherche. Toutefois, la nouvelle intervenante de l'organisme B préfère une

annonce plus générale qui fait appel aux Québécois de façon collective tout en orientant leurs intérêts vers

l'échange d'expertises, l'élargissement du réseau professionnel dans un contexte de mondialisation ".

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sensibilisation au phénomène de l'immigration et de promotion du jumelage. En

s'investissant dans l'espace public, ces quelques jumelés dépassent le cadre organisationnel

du jumelage de même qu'ils sortent de l'espace intime de la relation interpersonnelle. Par

cette participation civique, ces jumelés démontrent la possibilité et disent l'importance de

donner à l'acte du jumelage une dimension collective, de le rendre acte citoyen.

7.3. Le lien social du jumelage

Le lien social du jumelage tel que présenté par les intervenantes se définit selon trois axes

relationnels : celui du bénévolat, de l’amitié, de la rencontre interculturelle. Ces

représentations amèneront les intervenantes à poser des actions en accord avec l'un ou

l'autre, et selon les difficultés rencontrées et les résultats obtenus, à les remettre en question.

7.3.1. L'axe du « benevolens »

L’axe du bénévolat et l’axe de l’amitié ont été tour à tour et en même temps les axes

privilégiés pour présenter la relation de jumelage. Comme nous l’avons mentionné, le

jumelage ayant été d’abord institué dans le but d’aider les réfugiés à s’intégrer, le bénévolat

dans le sens aidant/aidé a été mis de l’avant dans l’appel à l’engagement des jumelés

d'accueil.

Le jumelage des organismes H et D s'inscrit, quoique de façon différente, dans le champ du

bénévolat. Pour l’intervenante H, décider de se jumeler avec un nouvel arrivant, c'est poser

une action bénévole. Une action bénévole dont la philosophie est imprégnée de la charité

chrétienne. « Le bénévolat c'est un don qu'une personne fait de son temps, de sa présence,

de son amitié. » Pour le bénévole, la gratification du don de soi, du don de son amitié est «

dans la joie de donner, dans la satisfaction d'entrer en contact avec une personne qui a

besoin de lui. » « Le plus grand don, c'est donner sa vie à ceux qu'on aime », cet extrait de

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la Bible est écrit dans le document retransmis oralement par l’intervenante aux bénévoles

lors de la première soirée de formation. Le code axiologique sur lequel repose la relation de

jumelage est donc basé sur le don de soi, de son affection, sur l'aspect humain. La charité

chrétienne commande l'amour du prochain. Le don de soi veut dire un don de sa présence,

de sa disponibilité d'esprit, un don incalculable, non quantifiable, un acte gratuit opposé à la

société de marché où tout est comptabilisé. « Dans une société de consommation, du

"j'achète, je jette" la personne a un besoin aigu d'un geste gratuit (...), c'est à ce moment

précis que le bénévolat trouve son sens et sa valeur » précise l'intervenante H. L'aspect

humain de la relation vient contrebalancer « les structures sociales perfectionnées, mais

trop souvent sans âme (...) où on oublie l'aspect humain sous prétexte d'efficacité, de

rendement, de rentabilité. » Le jumelage s'inscrit ainsi dans la perspective axiologique du

christianisme où l'autre est objet de compassion et est aimé de façon inconditionnelle. C'est

par devoir de chrétienté que l'on pose cet acte bénévole.

Ainsi vient l'importance d'accorder du temps à l'autre, de s'intéresser à l'autre, « d'aller lire

sur la culture de l'autre », d'être responsable du lien qu'on développe avec l'autre. « Il faut

faire attention de ne pas jeter tout de suite. » Tout en dictant ses conseils, l’intervenante H

prévient le bénévole que ça ne réussit pas tout le temps. La dynamique de l'échange leur est

donnée : le lien se crée, se situe entre deux individus qui se rencontrent et qui échangent. À

l'image du bénévolat moderne, le « je » s'exprime et peut obtenir, par la relation, une

reconnaissance en tant qu'individu, mais aussi en tant que membre d'une société. Ainsi que

nous l'avons indiqué précédemment, la relation d'aide vise autant la satisfaction et la

croissance personnelle de l'aidant que la solution des problèmes de l'aidé.

L’intervenante H explique longuement aux bénévoles le sens du mot bénévolat. Tel que

défini dans le dictionnaire : « Avec bienveillance », et gracieusement : bonté et gratuité. « Il

faut aller chercher ce qu'on a de meilleur en soi » ajoute-t-elle. Le bénévolat signifie aussi,

précise-t-elle, un « acte libre » ; un acte que le bénévole a choisi; s'il a choisi c'est qu'il en

devient responsable « en toute bonne volonté. » Ici l'intervenante fait référence à l'acte

d'engagement ou « l'engagement-acte » qui est, comme nous l'avons mentionné en nous

référant à Ladrière (1967:4), une décision où l'individu « se met en jeu lui-même. » Par

cette mise en situation, l'individu lie son avenir et celui des autres. L'engagement-acte

devient promesse en même temps qu'il s'inscrit dans le présent. Cependant, s'engager en

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acte ne veut pas nécessairement dire que l'individu assume pleinement une conduite

d'engagement qui est, nous le rappelons, une posture par laquelle on assume pleinement une

situation donnée, dans laquelle on accepte de prendre ses responsabilités face à un état des

choses, une situation qui contient une part d'indéterminé. L'intervenante rappelle aux

jumelés d'accueil que si ceux-ci posent un acte bénévole, celui-ci implique tout de même

une contrainte : celle du respect de l'engagement envers soi-même et envers l'autre.

Le bénévole a donc non seulement le mandat de sécuriser un nouvel arrivant qui, leur dit-

elle, « se sent étranger et déraciné de son pays d'origine », il a aussi le pouvoir de combler

un besoin affectif, social, et spirituel. Le lien se crée, libéré de toute contrainte, en d'autres

mots libre de tout intérêt matériel. Ce sera, prévient l'intervenante, « un lien entre deux

individus qui échangent des impressions, des connaissances, des expériences. » La

personne accueillie peut donner d'elle-même par le jeu de l'interaction qui est possible

lorsque deux personnes sont mises en présence l'une de l'autre. L'échange au cœur du

jumelage est ainsi un don et un contre-don.

Par ailleurs le bénévolat peut aussi avoir une autre portée, celle de l’engagement social. Le

bénévolat en tant qu'engagement social est présenté par l’organisme E et D. Pour

l’organisme et l’intervenante D, s’il est un engagement moral, « notre jumelage certains me

disent qu'il est très demandant parce que nos bénévoles vont s'engager et c'est un

engagement moral », c'est aussi un engagement qui peut devenir social.

L’intervenante D exige des bénévoles une implication soutenue et assidue, deux heures

semaines, c’est pourquoi elle insiste sur l’importance de la responsabilisation du bénévole

face à son implication et son engagement. « La principale chose avant d'accepter quelqu'un,

souligne-t-elle, ça va être sa motivation, quelqu'un qui est motivé, qui veut vraiment, qui a à

cœur l'intégration, qui veut découvrir une autre culture, qui veut partager la sienne. » Puis,

après avoir expliqué aux bénévoles les services existants pour les nouveaux arrivants à

l’organisme, l’intervenante leur parle d'amitié « c'est de faire des activités et se donner de

l'amitié et c'est vraiment sur une base plus humaine que juste du jumelage. » Le jumelage

enprunte ici aux deux axes sociétaire et communautaire : l'axe sociétaire révèle la

responsabilité assumée par le bénévole-citoyen d'aider le nouvel arrivant dans son parcours

d'intégration, et se manifeste dans le désir d'interconnaissance. Le contrat balise cet axe.

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D'ailleurs l'humanisme est au cœur de l'axe communautaire, la solidarité psychique, les

élans spontanés, pour reprendre les termes de De Bolle, animent l'axe communautaire.

Toutefois, l'intervenante freine cet élan en donnant dès la mise en place de la relation une

contrainte : celle de l'amitié. Du coup, elle rétrécit l'axe et l'oriente davantage dans l'angle

du devoir, créant ainsi une ambiguïté voire une contradiction. Si le bénévole peut devenir

un ami en étant motivé dès le départ par des considérations communautaire et sociétaire,

l'ami ne peut être un bénévole qui répond à l'appel de l'intervenante par devoir.

Un autre organisme emploiera le terme bénévoles. Celui-ci les désigne bénévoles d’accueil

ou parrains, et ces derniers accueillent des personnes du même pays d’origine, ils ont ou se

voient attribué un proche lien, on leur donne une fonction de guide, d’éclaireur. Les autres

membres du Réseau prennent leur distance face à la notion de bénévolat, ils en en ont

contre l’utilisation du terme bénévole pour désigner les personnes de la société d’accueil.

L’intervenant F ne dit pas qu’il est à la recherche de bénévoles lorsqu’il fait la promotion

du jumelage « je dis voulez-vous connaître des gens d'autres cultures, voulez-vous en

connaître davantage sur les autres cultures, voulez-vous voyager tout en restant à Montréal,

ils vont chercher quelque chose. »

Dans la perception de l’intervenant F, le bénévolat peut être associé à la notion de

paternalisme et d'assimilation; si tel est le cas, celui-ci interviendra pour repréciser les

objectifs du jumelage et présenter la dynamique du don/contre-don, l'axe de réciprocité

dans l'échange, le transfert de connaissances :

Si la personne se considère bénévole, ok, mais si elle prend un rôle paternaliste, je vais faire

une rectification lors de l'entrevue, je vais lui dire ce qu'elle peut aller chercher là-dedans!

(…) Parce qu'il y en a qui veulent intégrer les immigrants (...) ils viennent ici pour intégrer

voire assimiler les immigrants, il faut faire attention à leurs objectifs.

Dans ce cas, l’intervenant ne rejette pas la candidature parce qu'il « considère qu'elle a plus

à apprendre », mais tentera d'adopter une attitude plus vigilante, de veiller à ce qu'elle

vienne aux activités. Les intervenantes F et B ne font pas appel aux Centres d'action

bénévole pour le recrutement des personnes ressources. Le premier considère que « c'est

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plus lourd qu'autre chose. » Quant à l’intervenante B, elle ne semble pas apprécier

l'orientation, les motivations des gens référés par ces Centres.

Il apparaît un certain paradoxe dans la représentation que l’intervenant F se fait du

bénévolat. S’il accepte la notion de bénévole dans le cadre du soutien linguistique où l'un

apporte des connaissances linguistiques à l'autre, ce dernier refuse d'utiliser le terme et

entrevoit avec suspicion le désir de bénévolat de la personne-ressource dans le cas du «

jumelage social. » Un bénévolat qui impliquerait que la personne de la société d'accueil

apporterait, pour un court terme, une aide à l'adaptation à l'immigrant nouvel arrivant.

Comme si l'objectif, l'aide au français, permettait ce don initié par le jumelé Québécois

alors que dans l'échange social ce don initié semble désavoué parce que le jumelage social

est basé sur l'échange, le don/contre-don, « ce n'est plus une question de dire venez on a

besoin de vous, venez donner du temps » précise-t-il. Resurgit alors la référence au don de

soi sans compter, associée à la notion caritative et religieuse du bénévolat. Sans qualifier le

jumelage d'acte bénévole, l'intervenant F place tout de même le jumelage dans une pratique

moderne de don, le troc, l'échange est la valeur marchande.

Le jumelage que propose l’intervenante C ne se situe pas dans l'axe du bénévolat qu’elle

définit comme une relation déséquilibrée où l'illusion est de donner sans recevoir « je ne

crois pas du tout à la philanthropie (...) il y a toujours un truc qui te revient. » Le jumelage

doit permettre de déséquilibrer cette relation aidant/aidé, doit affranchir les personnes

impliquées des idées préconçues sur les immigrants, le jumelage doit établir des relations

où chacun va apporter à l'autre. Pour l’intervenante C, le bénévolat qu’il soit associé ou non

au jumelage, c'est de « l'auto-gargarisation, c'est le Québécois qui donne » et l’intervenante

d'apporter l'exemple de l'affiche de la Semaine interculturelle, « le cœur québécois » ; « on

est accueillant, dit-elle, c'est ce qu'on entend partout ! »

Ces divergences de point de vue dans la représentation de la nature de l'engagement des

personnes de la société d'accueil de même que dans la façon de les nommer seront révélées

au sein du Réseau jumelage notamment lors de la production en 1998 de la vidéo

promotionnelle sur le jumelage interculturel. Les intervenantes ont confronté leurs points de

vue, et tout en gardant chacune leur position, en sont arrivées à un compromis : la personne

de la société d'accueil est nommée jumelé d'accueil dans le document. Faute de temps et

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peut-être par crainte de plonger au cœur de notions empreintes d'émotivité parce que liées

aux diverses représentations et acceptation ou non/acceptation de la dimension religieuse de

l'acte du don et de son inscription dans l'histoire d'une société, les intervenantes ont opté

pour une troisième voie, celle de la neutralité. Ainsi n'ont-elles pas abordé la notion

d'engagement et de ses limites, notion non seulement à la base du « bénévolens », mais au

cœur nous semble-t-il de l'acte du jumelage.

Cependant, les intervenantes du Réseau jumelage, confrontées au besoin de préciser

davantage quelles seraient les règles à respecter pour une personne qui s'engage

volontairement et librement dans une relation de jumelage, ont remis à l'ordre du jour la

réflexion sur la notion de bénévolat lors d'une réunion du Réseau jumelage en avril 2001.

Elles ont davantage précisé leurs raisons pour ne pas inscrire l'acte du jumelage dans l'axe

du bénévolat. Le fait que le terme bénévole soit donné de façon exclusive aux jumelés

d'accueil est évoqué; cette restriction brise, selon les intervenantes, l'axe symétrique au sein

duquel la majorité des intervenantes veulent inscrire la relation. Des intervenantes

soulignent aussi le fait qu'inscrire les jumelés en tant que personnes bénévoles les

astreindrait à appliquer les critères de sélection, d'encadrement et d'autre part à donner les

privilèges d'action tels qu'octroyés par les Centres d'action bénévole. Ce qui signifie

qu'elles devraient davantage formaliser l'acte, ce qui va dans le sens opposé du vouloir

insérer le jumelage comme un geste spontané, libre, « gratuit »; un geste du cœur.

Une intervenante redit la dimension du travail non rémunéré qui est associée à la notion de

bénévolat faisant référence à la rationalisation du don volontaire dans la logique du côut/-

bénéfice, qualité attribuée par Redjeb (1991) au néo-bénévolat. Cependant, selon la

perception de l'intervenante, ce sont les intérêts individuels qui y priment. Les bénévoles,

précise-t-elle, ont des besoins tout comme les clients ont des besoins soulignant qu'il y a

plusieurs parcours et motivations en ce qui concerne le vouloir faire du bénévolat : un souci

professionnel qui vise à l'accumulation de connaissances, une aide dans le parcours

d'employabilité, une occasion d'insertion sociale, dans le cas, par exemple, de jeunes

contrevenants, une possibilité de recréer un réseau pour atténuer des problèmes de santé

mentale notamment le sentiment d'isolement ou de fragilité suite à un épuisement relié à la

surcharge de travail.

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Ainsi, le bénévole a des droits de même que l'aidé a des droits. La dimension du devoir

envers une clientèle qui a des droits, cette logique moderne devoir/droit qui justifie

l'obligation sociale de donner, telle que dite par Redjeb, ne se manifesterait pas dans ce type

de néo-bénévolat.

C'est pourquoi l'intervenante réaffirme, en accord avec ses collègues, qu'elle est aussi plus à

l'aise avec la notion d'échange : « Dans le jumelage, on donne et on reçoit » répète-t-elle.

Comme si le jumelage ne devait pas se situer dans une logique devoir/droit dans un axe

sociétaire, mais bien de façon exclusive dans la chaîne du don, basé sur la confiance

partagée du bien fondé de l'entreprise : le lien social du jumelage a comme valeur partagée

la nécessité de l'échange, une nécessité mue par la curiosité de découvrir l'autre. C'est ainsi

que les intervenantes croient à l'instar de l'intervenante B « que les gens qu'ils recherchent

n'ont pas tant besoin de savoir-être bénévole, mais plus un savoir être dans l'interculturel. »

Toutefois, l'intervenante de l'organisme H surprise d'entendre dire des intervenantes une

autre conception de l'acte du jumelage, réaffirme, que « pour l'organisme H c'est clair que

le jumelage c'est du bénévolat, en tant que don de soi, et c'est aussi évident qu'il y a un but

dans le jumelage, c'est l'intégration de l'immigrant même si celle-ci passe par un échange de

langue, de culture et de notions sur le travail. »

Alors demande-t-elle aux autres intervenantes qui disent ne pas avoir de réponse claire à

apporter « si ce n'est pas du bénévolat, qu'est-ce que le jumelage » ? Car si on ne peut le

définir, comment peut-on en établir les règles ? Nous voilà donc au cœur de la

problématique : si le jumelage n'est pas un acte bénévole, qu'est-il ? Comment le

présentera-t-on aux futurs jumelés, aux nouveaux arrivants ? Quelles en seront les règles de

fonctionnement ? En quête d'une nouvelle symbolique, l'intervenant F suggère une piste : le

jumelage serait une activité spéciale où les gens viennent participer. Une activité spéciale

est un concept encore trop flou. Les intervenantes du Réseau jumelage conviennent qu'il

leur faudra poursuivre la réflexion pour définir en quoi cette activité est spéciale et quelles

en seront les règles de participation.

Page 229: Le jumelage entre les nouveaux arrivants et les …...jumelage entre les nouveaux arrivants et les Québécois. Je tiens à remercier Mme Lucille Guilbert, directrice de ma thèse,

217

7.3.2. L’amitié

En 1992, lors d’une réunion d’évaluation du programme jumelage qui réunissait des agents

du MCCI et des directeurs d’organismes communautaires, on a évalué qu’il serait plus

facile et plus fidèle à l’esprit du jumelage, en tant que relation symétrique où l’immigrant

est davantage perçu comme un être doté d’aptitude à acquérir son autonomie, de situer le

programme dans l’axe amitié. Là encore, certaines intervenantes du Réseau jumelage

remettent en question le fait d’ancrer dès le départ la relation dans un contrat d'amitié.

Dans son rapport, S. Daignault mentionne que le « désir d'émergence d'un lien d'amitié est

au centre de la philosophie du projet. » Il est écrit : « En mettant l'emphase sur l'amitié lors

de la sélection, nous espérons éviter que la relation interculturelle revête un caractère

bénévole », c'est-à-dire référant aux obligations d'un contrat de services. Ainsi, poursuit

l'auteure « nous espérons conserver la spontanéité propre aux relations d'amitié »

(1996:40). De même, il est écrit dans le rapport de recherche de Charbonneau, Dansereau et

Vatz-Laaroussi (1999:48) : « L’ajout d’une composante amicale assure en théorie une

notion plus égalitaire et correspond dans les faits au développement de nombreuses

expériences. » Nous nous demandons si inscrire a priori la relation dans l'axe de l'amitié (le

contrat du lien) n'est pas non plus une forme de contrainte à l'épanouissement du lien ?

Comme il apparaît que le bénévolat comme axe relationnel n’est pas nécessairement un

empêchement à l'émergence d’un lien l'amitié (Charbonneau et al, 1999).

Le programme de jumelage, tel que présenté par les intervenantes H et D, se nomme

Amitié-Jumelage. L'objectif donné est : « Apprivoiser les différences, permettre la

reconnaissance d'une amitié mutuelle, découvrir le monde avec les yeux d'un ami »

(organisme H). Découvrir le monde avec les yeux d'un ami peut vouloir dire transmettre à

l'autre sa vision du monde, peut vouloir dire aussi donner une vision d'un monde

accueillant, tolérant, convivial. Il n'y a pas de contrat écrit, pas de contrat formel, mais un

contrat moral qui est de tisser un lien privilégié avec une personne qu'on ne connaît pas, un

lien d'amitié. « C'est la connaissance qui amène à aimer » précise l'intervenante H.

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218

À l’organisme D, le but de l'entrevue avec le futur jumelé est, écrit Aiquel (1994:13), «

de faire comprendre aux bénévoles québécois et aux nouveaux arrivants que le jumelage

cherche avant tout à promouvoir des rapports d'amitié. » Le jumelage nommé Amitié-

Jumelage s’inscrit de façon formelle dans la durée « quand les gens viennent, c'est pour

faire un long bout de chemin ensemble » précise l'intervenante D.

Bien que le programme se nomme Amitié-Jumelage, l’intervenante C se questionne sur le

fait de proposer dès le départ l'amitié comme forme de relation alors que celle-ci s'inscrit

dans le temps, dans un contexte de l’impromptu, et qu'elle est vouée à se développer (ou

non) sous certaines conditions, alors que le concept même de l'amitié « ne veut pas dire la

même chose pour tout le monde. » Cette réflexion à propos du concept d'amitié lié d'emblée

au jumelage est partagée par d'autres membres du Réseau. D'ailleurs, lors de notre entretien

de validation des données, l’intervenante C a mentionné qu'elle avait suggéré à

l’intervenante qui allait la remplacer d'abandonner le terme Amitié dont elle-même avait

hérité lorsqu'elle est devenue responsable du programme. Ce terme avait été récupéré, selon

l’intervenante C, à partir d'autres exemples de programmes déjà existants.

La dynamique du jumelage telle que décrite par l’intervenante B en serait une de

don/contre-don, d'un échange. « On a voulu se détacher un peu du concept de l'amitié; on

trouve que ça ne devrait pas être la base du jumelage, mais plutôt une conséquence. » Le

jumelage est présenté comme étant une relation complémentaire, un certain lien social entre

partenaires. Ainsi l'intervenante prend position face à d'autres programmes de jumelage

offerts. Celui de l’organisme B n'est pas basé sur le concept de l'amitié; l'amitié peut

résulter de la relation dans le cadre du jumelage , mais n'en est pas le moteur. Pour appuyer

ses dires, l’intervenante B donne l'exemple d'une personne bénévole qui présente un vide

émotif et dont l'espoir de rencontrer un ami serait la motivation de son engagement. Le

concept de l'amitié créerait ici une attente démesurée pouvant exercer une pression sur

l'évolution de la relation.

L’intervenant F a lui aussi quelques réticences face à la notion d'amitié associée dès le

départ à la relation dans le cadre du jumelage. Dans les cas où un jumelé insiste pour

trouver un ami, l’intervenant F va lui faire voir « qu'une amitié ça ne se vit pas comme ça

du jour au lendemain » il leur dit « voyez à ouvrir un peu votre horizon, peut-être que vous

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219

apprendrez (...). » Cette stratégie de prise de conscience de ce qu'est et de ce que peut être

la relation dans le cadre du jumelage semble, selon l'intervenant, porter fruit « la personne

va dire, mais oui, c'est sûr! » L’intervenant sait que d'autres présentent le programme en le

nommant Amitié-jumelage. Sans les juger, il considère que sa « vision est plus large, plus

libre (...) la relation va peut-être devenir une relation d'amitié après quelques rencontres. »

Ainsi donc, le lien social du jumelage dans l’axe amical est soit défini dès le départ comme

une amitié (H, E, D), soit proposé dans une ambiance amicale (I, F, G, A). Le jumelage

procède ici de la découverte de l'autre (altérité) et de la notion de l'échange (réciprocité). Le

lien proposé est un lien symétrique, un lien d'amitié qui évoluerait dans un climat

d'harmonie. Alors que le contrat d’amitié lie les protagonistes, surtout les jumelés d'accueil,

à respecter leur engagement et à faire évoluer la relation selon cette orientation, ceux à qui

on suggère l’ambiance amicale seraient non-liés par un contrat. Les jumelés sont ainsi

libres d'articuler leur relation comme ils le veulent, mais influencés par le désir d’une

atmosphère amicale suggérée par l’intervenante responsable du programme. L’espace de

liberté/créativité est considéré plus souple que le contrat/responsabilité. La responsabilité

du lien dans le second cas n'existe pas formellement, mais est conséquente à la nature des

échanges qui tendent à resserrer le lien d'amitié, avec toute l'incertitude de la possible

complémentarité de ces échanges. La responsabilité est une responsabilité individuelle en

tant qu'engagement « affectif » envers une autre personne, basé sur le désir de partager les

connaissances, la culture et la langue. Dans les deux cas, la notion du manque semble être

le moteur de ce mouvement vers l'autre pour combler l'absence (des amis d'ailleurs) ou du

vide (créé par un sentiment d'isolement).

Le jumelage, tel que proposé dans ce cadre, mise sur les ressemblances, sur le partage des

expériences de vie, afin de trouver le point commun qui permettra d'accepter les

différences. Les valeurs véhiculées et transmises aux jumelés sont celle de l'accueil, de

l'affection, du respect, de la réciprocité, de la liberté, de la créativité, du partage, de la

solidarité, de l'équité, de la dignité, de l'accommodement.

Toutefois, si fonder le jumelage sur l'espoir d'une relation d'amitié permet un espace de

créativité où l'échange-don non-encadré se fait en toute liberté de donner et de recevoir,

cela laisse une marge d'incertitude très grande, incertitude qui est présente même dans le

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cas où le cadre de l’amitié est clairement défini. L'incapacité d'atteindre cette qualité du

lien, l'amitié, pourrait devenir l'obstacle à la réussite du projet de jumelage et le prétexte à

l'abandon de la relation et de sa fin première qu’est l'intégration des immigrants à la société

d'accueil. « Les immigrants veulent une amie ou un ami avec qui partager », disent les

intervenantes. Mais, comme le rappelle l’intervenante I, « une relation d'amitié, ça peut être

tissée! » Cependant, pour être tissée, il faut lui accorder une certaine disponibilité d'esprit,

de corps et de temps, et une des difficultés du jumelage c'est, déplorent les intervenantes, «

le manque de temps. »

Qu'entendent les gens lorsqu'ils disent vouloir un ami ou une amie avec qui partager ?

Quelle est l'ampleur de la déception de la non réception du don et du non-retour du don

lorsque certains disent : « Il ne retourne pas mes appels. » Y a-t-il une responsabilité du lien

créé dans le cadre du jumelage lorsque les gens ne sont pas liés par un contrat ? Voilà

certaines questions que nous retenons pour la suite de notre réflexion.

7.3.3. L’interculturel

Le lien social interculturel du jumelage conçu au cœur de la relation par tous les

intervenantes et priorisé par les intervenantes F, B, G et C, est vu comme un moyen de

rapprocher les nouveaux arrivants et les gens de la société d'accueil, comme un lieu de

partage. Cette perception rejoint la notion de « réciprocité dans les échanges » de Clanet.

Ce rapport entre individus, permet, selon l’intervenante C, de voir les individus dans leurs

multiples dimensions, leurs multiples appartenances, ce que ne permet pas une relation de

groupe, « ça permet de voir l'autre dans sa dynamique identitaire, parce que comme il y a

une relation dans le temps, souvent les gens vont penser que les choses sont statiques, que

tu gardes ta culture d'origine, un jumelage ça permet d'être témoin de ça, du changement

dans l'individu... » L’espace interculturel du jumelage devient ainsi un lieu où se manifeste

une prise de conscience identitaire en même temps qu’une occasion pour chacune des

parties en cause de prendre de la distance par rapport à ses valeurs, et souvent de les

relativiser.

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221

Le jumelage est ici vu dans un espace de l'aléatoire parce que rencontre humaine, un espace

en développement, un espace fragilisé parce que lieu de chocs culturels. Cet espace est

décrit par l’intervenante C comme un espace de savoir-être, d'attitudes, de prise de

conscience de ses qualités, de prédispositions à l'autocritique, à la décentration, d'ouverture

à l'autre. C'est ainsi que revient aux intervenantes la responsabilité morale de faire tout leur

possible pour bien évaluer qui va être jumelé avec qui et pourquoi.

Cette responsabilité implique, selon elles, d'écouter, d'être disponible, d'adopter la posture

d'observatrice dans certaines situations délicates, de conseiller, d'informer, d'évaluer, d'être

flexible, de s'adapter. Comme le signale l’intervenante I, elles sont appelées à déconstruire

les idées pré-conçues dans les situations de conflits de valeurs, de manifestations de

préjugés, de racisme et en certains moments à être médiatrices, mais jusqu'à une certaine

limite car l'objectif ultime à atteindre, comme le rappelle l'intervenante C, c'est l'autonomie

des individus, en référence à la notion « d'empowerment. »

Ainsi et inévitablement, les situations complexes au sein desquelles interagissent différents

acteurs sociaux commandent l'inattendu. Cet inattendu pousse les intervenantes, et ceci est

très marqué chez l’intervenante B, à se questionner sur son rôle, sur les limites de ses

fonctions. Pourquoi certaines situations se produisent-elles? Comment éviter des situations

de crise où seront révélés des préjugés latents ? Lui revient-elle de faire de l'éducation

interculturelle ? Quels sont les meilleurs outils de sélection des personnes, d'évaluation de

leurs habiletés à répondre aux objectifs du jumelage ? Le doute épistémologique suscité par

les zones d'incertitude fait partie de la démarche des intervenantes. Comme nous l'avons

souligné, nous référant à Schön (1995), ces situations de savoir comment et ne pas savoir

comment, la certitude et l'incertitude, obligent le « praticien » à repenser ses stratégies

d'action, à réinterpréter les contextes, à recadrer les problèmes et à redéfinir les rôles. »

Les intervenantes D et H semblent moins enclines à faire cette démarche critique ou moins

portées à le dire, semblant se fier davantage pour affirmer la justesse de leurs interventions

sur l’expertise de l’organisme en jumelage, sur l’implication des autres intervenantes de

l’organisme et sur leurs propres compétences acquises. Convaincues de la qualité de leur

programme de jumelage, elles considèrent que celui-ci pourrait servir de modèles à

d’autres. C’est ainsi que l’intervenante H ne voit pas les avantages de l’échange

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d’expériences au sein du Réseau : « Elles (les nouvelles intervenantes) ont seulement à

demander à quelqu'un si elles peuvent le rencontrer; je n'ai jamais refusé à personne, c'est la

première chose à faire, ça donne des idées, après tu y vas selon ta personnalité. »

Pour la majorité des intervenantes75, la remise en question est manifeste. Pour certaines, en

particulier chez les intervenantes C, F, B, la distance critique accompagne le processus

d'intervention et permet de l’évaluer. Ce travail d'introspection, de réflexivité, toute cette

mise entre parenthèses de leur savoir, qui est une attitude très présente chez l’intervenante

B, leur permettent de proposer de nouvelles actions, d’en reformuler certaines autres. C’est

ainsi que l’espace interculturel du jumelage devient un lieu de possibles. Le jumelage

occupe un espace de création, d'innovation, un espace de risque aussi, où prend place

l'aléatoire. Nous tenons cependant à préciser que si ces intervenantes situent la relation

comme une rencontre interculturelle, seuls les intervenantes B, C et l'intervenant F

connaissent et mettent en pratique dans leurs interventions les principes et actions de

l'approche interculturelle tels que décrits par Cohen-Émerique et autres disciples. La

majorité des intervenantes tentent plutôt de s'appuyer, parfois de façon fragile, sur leurs

savoirs et leurs compétences en les adaptant au contexte de l'intervention jumelage.

7.4. Le jumelage intégré à l'organisme

Les intervenantes présentent le jumelage dans le sens du prolongement des services

d'accueil, d'adaptation et d'intégration du centre. Il existe des services au centre, il n'est pas

question que les jumelés de la société d'accueil assurent des services professionnels76. Afin

d'encourager l'autonomie des nouveaux arrivants, les intervenantes leur donnent des

75 Une intervenante non informatrice dans le cadre de notre thèse, mais participante au Réseau jumelage

n'entrevoit pas de difficultés dans le processus relationnel du jumelage mais identifie plutôt le besoin

d'organiser des activités collectives qui donneraient un sentiment d'appartenance aux personnes engagées dans

le jumelage.

76 Bien que les intervenantes soient conscientes que dans la réalité et selon le contexte, des jumelés voudront

apporter une aide en ayant recours à des ressources (matérielles ou autres).

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documents et de l'information sur les services du quartier où ils habitent. Une des finalités

que poursuivent la majorité des intervenantes qui travaillent auprès des nouveaux arrivants,

c'est de rendre l'immigrant le plus autonome possible : c'est aussi l'esprit qui doit régner au

sein du jumelage.

En ce sens, l'intervenante B rappelle à la personne québécoise qu'elle est un « pont entre les

ressources, qu'elle n'est pas une intervenante de l'organisme et qu'elle doit référer lorsque

les besoins dépassent ses compétences. » Elle leur explique aussi que

lorsqu'il y a un échange sur les valeurs, sur la société québécoise, la personne québécoise

doit leur expliquer que c'est bien son point de vue, « j'essaie d'aller dans ce sens là. » Les

intervenantes demandent aux jumelés d'accueil de faire preuve alors d'intégrité et

d'honnêteté intellectuelle.

7.4.1. Lettre de bienvenue77 et travail de sensibilisation

L'intervenante G a conçu pour les jumelés une lettre de bienvenue sur laquelle est écrit «

nous espérons que cette expérience puisse rejoindre vos objectifs et vous apporte

mutuellement le désir de vous connaître davantage. » La lettre de bienvenue présente en

quelques mots la dynamique relationnelle et en filigrane, les concepts de l'identité, de

l'altérité et de la réciprocité. Le texte met l'accent sur l'implication et les objectifs de chacun

à l'instant présent du début de la relation (se recentrer sur le moi et le pourquoi) en même

temps qu'il situe la relation dans une démarche de connaissance et de découverte de l'autre,

dans la projection de l'évolution de la relation, dans l'avenir. En employant le « nous

espérons » « puisse » et « désir » l'intervenante place la relation dans le mode du possible,

et dans un univers de potentialités et de projection. La responsabilité de l'évolution de la

relation appartient aux personnes concernées et est liée à la dynamique de la rencontre des

personnalités. Rien n'est tracé à l'avance (l'amitié n'est pas au départ), mais tout est

possible. Nous révélons le contenu de cette lettre car à notre connaissance l'organisme G est

77 Voir en annexe : l'annexe C

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le seul organisme à souligner ainsi le début de la relation de jumelage; en tant que jumelée

nous sommes séduite par cette façon de faire, en tant que chercheure nous y voyons toute la

force d'évocation.

Les intervenantes font aussi à l'occasion un travail de sensibilisation auprès des gens pour

les amener à s'impliquer. Notamment, selon l'intervenante C, auprès des aînés pour

diminuer leurs résistances à l'implication. Dans ce cas-ci, s'il y a résistance, nous nous

demandons si ça n'est pas parce que les aînés (et particulièrement les aînées) ont déjà

beaucoup donné auparavant dans leur vie. Par ailleurs, une fois qu'ils sont sensibilisés au

devoir de s'impliquer, l'intervenante C dit devoir les rassurer quant à leurs capacités et leurs

compétences pour contrer leurs réticences à s'investir auprès et avec les immigrants : «

Quand tu es aîné, tu peux te dire que tu as toute une vie de préjugés derrière toi, plus la

personne est âgée, moins elle a de contacts, plus elle va avoir de préjugés. Il faut essayer de

tester les niveaux d'ouverture » souligne-t-elle.

7.4.2. Lien avec l'organisation

Les formations, les cafés-rencontre de même que les activités collectives sont pensés dans

le but de resserrer les liens, de développer le sentiment d'appartenance, afin que les jumelés

ressentent qu'ils font partie d'un programme de jumelage, d'une organisation. Deux

organismes offrent des formations aux jumelés québécois. Cinq organismes donnent de la

formation aux jumelés; un seul en donne avant de réaliser le jumelage. Certains le font de

façon ponctuelle ou selon les ressources disponibles, d'autres de façon systématique, les

formations étant alors intégrées au programme de jumelage et présentées comme un

élément de l'engagement, ce qui est le cas de l'organisme D. À l'organisme D, il y en a huit,

l'intervenante les décrit ainsi : « Ça commence par un partage, après il y un témoignage

d'une personne qui est jumelée, puis c'est la partie formation avec thèmes. » Nous

approfondirons au chapitre 9 la réflexion des intervenantes sur le type de formation que

celles-ci croient nécessaire d'offrir au jumelés et les répercussions que ces formations

peuvent avoir sur leurs interventions.

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225

Les cafés-rencontre et les activités collectives, culturelles ou de loisirs, sont une autre façon

de lier le jumelage à l'organisation et de lui insuffler une dimension collective. Dans les

fiches d'évaluation, les activités de groupe sont jugées nécessaires « parce que, écrivent les

jumelés, "elles sont un lieu d'échanges et d'expériences; parce qu'elles donnent accès à

d'autres cultures, à d'autres jumeaux, parce qu'elles permettent de développer un sentiment

d'appartenance. » Nous analyserons au chapitre du suivi (chapitre 10) un autre aspect des

activités collectives : la possibilité de faire un suivi informel que celles-ci offrent aux

intervenantes.

7.5. Trouver des jumelés qui ont des intérêts semblables

La Sélection - Bien évaluer «c'est un peu départager tout ça»

7.5.1. Profil de la clientèle

Chez les candidats, jumelés d'accueil,78 certains sont déjà impliqués au sein des organismes,

d'autres viennent du quartier, d’autres ont été référés par des Centres d’action bénévole,

recrutés dans les églises, les universités, mais la plupart ont été rejoints par différentes

actions promotionnelles réalisées par les intervenantes dans les médias locaux, régionaux,

nationaux et dans divers lieux publics. Des retraités, un grand nombre de femmes

célibataires, des couples, quelques familles79, des jeunes universitaires, des enseignantes à

la retraite, des universitaires, des gens qui ont voyagé ou qui ont été en contact par leur

78 Les jumelés nouveaux arrivants viennent en très grande majorité des classes de français des organismes ou

référés par les autres intervenantes, par des institutions que les immigrants fréquentent ou dans certains cas

par des membres de leur communauté culturelle. Au sein du Réseau jumelage un seul organisme déplore le

manque de nouveaux arrivants, l'organisme est situé sur la Rive-sud de Montréal.

79 L’organisme D cible spécifiquement la catégorie famille afin de répondre à la demande des nouveaux

arrivants; mais comme tous les autres organismes, celui-ci est confronté au manque de disponibilité et à la

rareté de cette unité familiale nucléaire. La famille monoparentale semble être plus facile à recruter, celle-ci

répond à un certain profil familial des nouvelles arrivantes.

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travail ou leur milieu avec des gens d’autres pays, des gens impliqués dans des activités de

bénévolat, voilà leur profil. Ces futurs jumelés aux parcours divers se présentent à

l'organisme avec leurs propres motivations à participer au jumelage.

7.5.2. Première zone d'incertitude : établir les motivations

Puisqu'il s'agit d'individus aux parcours divers, comme le mentionnent les intervenantes C

et B, ce n’est pas évident dans une entrevue exploratoire de découvrir les véritables

motivations des jumelés d'accueil et des nouveaux arrivants, de déchiffrer la préméditation

profonde de la personne. « Parfois je découvre dans le contact que j'ai avec cette personne

en quoi ça s'inscrit son projet de jumelage (...) et ça peut être un truc très construit, mais

qu'il ne m'a pas exprimé la première fois », précise l'intervenante B.

Cette zone d'incertitude est liée au flou de la dynamique du jumelage, aux motivations

profondes reliées au parcours de vie, à la compréhension des objectifs du programme,

programme à la fois structuré et intégré dans une organisation, dans un univers des rapports

sociaux secondaires et à la fois spontané et intégré dans l’univers des rapports sociaux

primaires. Par ailleurs, bon nombre d’immigrants ne saisissent pas bien ce qu’on leur offre,

étant peu familiers avec ce genre de service/don de soi financé par l’État et offert par des

structures intermédiaires. Comme nous l'avons mentionné, les familles immigrantes ne

comprennent pas vraiment pourquoi les gens font ça, comme le démontre ce témoignage

d'une famille immigrante de Montréal : « Moi je pensais que c’était typique d’ici, que

c’était normal, je pensais que tout le monde avait un immigrant à sa charge »

(Charbonneau, Dansereau, Vatz-Laaroussi, 1999:79).

Les motivations des immigrants peuvent être liées à des besoins d'aide à l'établissement et à

des besoins relationnels (de socialisation, d'établir des relations, de retisser la filiation dans

le cas de jumelage avec les aînés). Ce peut être des objectifs très fonctionnels, et dans ce

cas, si ces objectifs correspondent à ce que l'autre désire apporter (connaître les ressources

du milieu, la francisation) le jumelage sera souvent satisfaisant pour les deux.

Les motivations des jumelés d'accueil combinées aux objectifs des programmes de

jumelage qui leur sont présentés confirment, comme l’indique l’étude de Charbonneau,

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Dansereau et Vatz-Laaroussi (1999), deux grandes orientations au jumelage : la

démonstration d’un geste d’accueil et le désir d’entrer en relation.Le geste d’accueil, dans

un axe aidant /aidé, est motivé par le « benevolens », la bonne volonté, un esprit charitable,

et la prise en compte du besoin de l’autre notamment en ce qui a trait à son parcours

migratoire ou par l'engagement social, le devoir-faire; la personne-ressource québécoise se

considère, dans ce dernier cas, avant tout « ambassadrice » (Charbonneau, Dansereau,

Vatz-Laaroussi, 1999:95). Celle-ci se donne comme mission de faire connaître son pays,

son histoire, ses codes culturels, à celui, celle, qui vient y vivre.

Le désir d’entrer en relation, dans l’axe de l’amitié ou de partenariat est motivé par

l’échange (aspect interculturel), les besoins mutuels (besoin affectif, besoin de sortir de

l'isolement) ou par l’opportunisme, la prise en compte de son propre besoin (vouloir

apprendre ou pratiquer une langue). Les motivations puisent donc autant à des motivations

altruistes qu'égoïstes bien que le jumelage, se situant dans l'axe des relations

interpersonnelles, devrait faire davantage appel à l'altruisme (Chantal, Vallerand, 2000). Il

est entendu toutefois que tous le font pour en retirer quelque chose, la gratuité absolue

n’existant pas. D’autre part, le jumelage étant une relation humaine donc imprévisible et

changeante, la dynamique de la relation empruntera bien souvent aux deux axes ci-avant

mentionnés de façon synchronique ou diachronique. De plus, les motivations peuvent être

au départ insoupçonnées; elles se révéleront en cours de route, ce qui complexifie

l’intervention.

7.5.2.1. Partager des intérêts semblables

Partager des intérêts semblables, mais pas nécessairement les mêmes peut signifier avoir le

désir d'entrer en relation avec l'autre tout en ayant ses propres motifs. En ce qui concerne

les jumelés, les motifs peuvent être l'apprentissage de la langue, de la culture ou un désir de

sortir de l'isolement. Toutefois les objectifs de la relation devraient être les mêmes pour les

deux jumelés de même que la vision devrait être partagée : le don/contre-don, l'échange,

basé sur le principe d'équité. De plus, les jumelés devraient idéalement adhérer à la vision

de l’organisme, sinon surgit le risque d'avoir des attentes non-comblées. Et si ces

insatisfactions ne peuvent être résolues, il y aura rupture de contrat. Par exemple, si un

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organisme insiste sur la notion de don/contre-don et que le jumelé d'accueil n'entrevoit que

l'opportunité de pratiquer l'espagnol, ou si un organisme entrevoit l'amitié comme une

conséquence possible à la relation de jumelage alors que les jumelés le voient comme une

motivation de départ, des tensions, et même un certain désintéressement, si celles-ci ne

sont pas diminuées, risquent de survenir. Ainsi, différentes conceptions du lien peuvent

animer le projet de jumelage.

7.5.3. Évaluation de la situation des candidats

Face à l'immigrant, la stratégie des intervenantes est de bien évaluer sa situation : évaluer

où il se situe dans la période d'adaptation, dans son parcours d'intégration (dans sa

connaissance des ressources) dépendamment du pays d'origine, de la langue parlée etc. Aux

nouveaux arrivants, l'intervenante G pose des questions sur les préjugés qu'ils peuvent avoir

sur le Québec; dans une tentative de lier ces préjugés à leur vécu afin d'en expliquer le

pourquoi. Cette stratégie d'évaluation a comme objectif d'éviter certaines tensions qui

pourraient nuire à la relation. L'évaluation est ainsi liée à l'intuition « pour jumeler, il faut

beaucoup se fier à son instinct » , insiste-t-elle. Généralement, les intervenantes jumellent

les immigrants du moment qu'ils ont une base en français.

En avril 1995, à l'organisme D, on revise les critères de sélection pour les nouveaux

arrivants. On précise que le programme de jumelage ne convient pas aux personnes en

situation de détresse (on souligne que les Québécois ne remplacent pas l'intervenante). On

rappelle que l'intervenante tiendra compte des motivations qui, elles, doivent répondre aux

objectifs du programme de jumelage tels que le désir de connaître le Québec avec ses us et

coutumes, de s'enrichir d'une autre culture et de mieux s'intégrer au Québec en ayant un

réseau d'amis. On souligne que le candidat au jumelage doit parler suffisamment français

pour se faire comprendre et qu'il doit adhérer au principe de la relation gratuite (sans aide

matérielle). L'organisme E écrit que le nouvel arrivant doit avoir l'intérêt de poursuivre

l'apprentissage du français, doit être convaincu que le programme Amitié Jumelage n'est

pas une agence de rencontre. De plus on précise que les nouveaux arrivants doivent être des

personnes susceptibles de demeurer au pays, (ce qui exclut certains revendicateurs et

étudiants), doivent avoir le désir de s'intégrer. On évaluera le cas des personnes isolées ou

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229

ayant peu de connaissances au Québec. Enfin, on précise que les personnes doivent être

suffisamment disponibles. Ces organismes sont les seuls à définir des critères de sélection

qui s'adressent de façon spécifique aux nouveaux arrivants, même si la presque totalité de

ces critères valent aussi pour les Québécois.

Dans la majorité des organismes, la sélection des nouveaux arrivants est basée sur le

nombre de mois d'arrivée ici : « Au minimum 4 mois (...) quand ils commencent à

s'exprimer » précise l'intervenante G. Contrairement aux autres intervenantes, mais surtout

dû au fait que les nouveaux arrivants parlent déjà français, l'intervenante A tente de jumeler

les nouveaux arrivants francophones le plus rapidement possible à leur arrivée, « c'est là

qu'ils en ont le plus besoin » souligne-t-elle.

Par contre, si les intervenantes reçoivent des demandes d'immigrants arrivés depuis plus de

3 ans, elles tenteront d'y répondre, ne respectant pas la norme d'admissibilité en ce qui

concerne les nouveaux arrivants. Dans ce cas, l'intervenante A évalue, vérifie auprès d'eux

pourquoi ils veulent être jumelés : « Je vais leur demander de se remettre en question, soit

qu'elles sont moins liantes qu'elles le pensent, soit qu'elles ont des blocages. »

Les intervenantes font aussi l'évaluation des motivations des jumelés d'accueil : « Il y en a

qui ne sont pas du tout intéressés à faire ces démarches d'adaptation » constate

l'intervenante B, leurs motivations sont plus de l'ordre de la transmission des connaissances,

de l'échange des savoirs et non de l'aide. La sélection sert alors d'évaluation des apports : «

Chaque personne a son parcours » précise l'intervenante D.

Lors de la sélection des futurs jumelés, notre principal « garde-fou », selon l'intervenante C,

est l'équilibre de la personne. Cette notion d'équilibre est liée à la vision qu'a l'intervenante

de l'intégration. Selon cette dernière, l'intégration c'est lorsque la personne a ou « a retrouvé

un certain équilibre. » L' équilibre serait l'aboutissement ou le produit du processus

d'adaptation, processus au cours duquel « l'immigrant fait le tri » dit-elle, fait un travail de

sélection « à l'intérieur de soi », par une attitude d'ajustement et de prise de conscience de

ce qu'il a hérité et gardé de son passé en terme d'attitudes, de règles, de coutumes, et ce qu'il

voit dans son environnement présent, ce qu'il désire, ce qui lui convient, ce qu'il lui faut

adopter. L'immigrant ferait ce travail de sélection tout en étant conscient que ces choix et

ces non-choix sont faits aussi en fonction d'un futur.

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230

En ce qui concerne les anciens émigrants aînés, l'intervenante tente d'évaluer s'ils peuvent

être de bons ou de mauvais candidats. Pour ce faire, elle est attentive au comment ils

perçoivent leur histoire migratoire, ce qu'ils en gardent en terme de difficultés et ce qu'ils

vont transmettre aux nouveaux arrivants. Donc, c'est pour ça précise-t-elle « qu'il faut faire

attention, il faut faire attention avec les gens. » Pour mener à bien ce processus délicat

qu'est la sélection des candidats, certaines intervenantes puiseraient ainsi à même « leur

fond de compétences » (Schön, 1995) et sont plus attentives à certaines qualités de leur

savoir-être telles l'intuition, l'empathie et la tolérance (Roy, 1992, Boucher 1993, Bilodeau

et all, 1993) afin de les activer davantage dans ce contexte de pluralité, alors que d'autres se

fient davantage aux objectifs du programme tel que définis par l'organisation. Dans un cas

comme dans l'autre nous croyons qu'une part d'arbitraire risque d'advenir car l'évaluation de

l'équilibre d'une personne ainsi que de son désir ou de sa volonté de s'intégrer est dans ce

cas, de façon inévitable, basé sur des critères subjectifs.

7.5.4. Statuts des immigrants

Pendant l'entrevue, les intervenantes essaient de donner aux personnes le maximum

d'informations, elles essaient de voir leurs capacités d'assimilation, elles évaluent les

différentes étapes d'explication du processus par le type de questions que les gens vont

poser, par le fait qu'ils vont en profondeur ou de façon superficielle. C'est lors de la

rencontre que l'intervenante B parle des statuts des immigrants :

Je leur présente leur rôle dépendamment du parcours de l'immigrant avec qui je les jumelle

(...) si ça fait quelques mois ou deux ans qu'ils sont au Québec, c'est sûr qu'ils n'ont pas la

même notion du Québec, des ressources, ce qui fait qu'au niveau de l'adaptation de ces

personnes là, je leur dis : "Vous allez devoir leur expliquer selon leurs besoins.

En ce qui concerne le parcours différent du réfugié et de l'immigrant indépendant et ses

répercussions sur le jumelage, l'intervenante considère que c'est au niveau de la confiance

que ça se joue :

Dans le cas du réfugié, cette personne est essoufflée. Elle a peut-être plus de secrets, plus

de troubles. La confiance, c'est à travailler. (...) J'essaie de donner au bénévole le plus

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d'informations possibles sur comment les gens essaient de s'adapter, sur les embûches(…)

J'essaie qu'ils s'en rendent compte.

La différence entre ces deux statuts d'immigrants, les intervenantes la situent

principalement au niveau psychologique.

Cependant, il semble que l'information que donnent les intervenantes concernant les

parcours migratoires est insuffisante ou que cette question complexe qui a un impact sur la

dynamique du jumelage, même si elle a déjà été abordée lors de soirées d'information dans

les organismes, demande à être davantage approfondie ou répétée à de nouveaux candidats

au jumelage. En effet, à la suite d'un sondage auprès des jumelés d'accueil, une formation

sur le parcours migratoire et le choc culturel a été donnée aux jumelés des organismes du

Réseau jumelage en avril 2001.

7.5.5. Jumelé d'accueil : Québécois « de souche » ou Québécois de toutesorigines

Face au critère de sélection basé sur la distinction que certaines intervenantes font entre «

Québécois de souche » ou non, l'intervenante C est catégorique : « Moi je ne définis

personne, au contraire, je déteste qu'on définisse, ce qui m'intéresse c'est qu'ils comprennent

bien c'est quoi ce projet là. » Cette vision de l'intégration partagée par plusieurs membres

du Réseau a une influence sur le profil des Québécois que les intervenantes, entre autres

l'intervenante I, veulent non exclusif aux Québécois « d'origine » :

Pour moi, souligne l'intervenante I, même des personnes qui sont là depuis plus de 5 ans, ce

sont des personnes québécoises. Ce sont des Québécois, parce qu'ils sont intégrés : ils

connaissent un petit peu maintenant la société d'accueil; ils connaissent la mentalité; ils

fonctionnent comme il faut dans cette société. Donc, eux aussi peuvent aider les nouveaux

arrivants.

Mais certaines intervenantes sont toujours ambivalentes face à cette question. Lorsque nous

avons rencontré l'intervenante G, à l'automne 1996, elle nous disait jumeler des bénévoles «

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pure laine » (...) impliquant ainsi qu'elle « ne jumelle pas des immigrants qui sont ici depuis

longue date », exception faite « pour un Suisse qui est ici depuis 25 ans. »

Lorsque nous lui avons demandé en décembre 1997 si elle avait toujours la même

conviction, elle nous a répondu « tu sais, on ne peut pas être discriminatoire (...) si

quelqu'un veut être jumelé. » L'intervenante n'avait toutefois qu'une seule exception à ce

jour : ce même monsieur suisse qu'elle avait jumelé avec une famille mexicaine, mais avec

qui ça n'avait pas « fonctionné » et qui désirait être jumelé de nouveau avec des

hispanophones. L'intervenante G se dit non discriminante, mais sa publicité s'adresse aux

Québécois d'origine. Elle explique sa position en défaveur des « de longue date » en disant

que « c'est parce qu'on finit par parler de nos valeurs, on parle de ce qui nous manque (...)

moi ça fait 18 ans que je suis ici, si j'étais jumelée avec une latino (...). » Contrairement à

l'intervenante B qui juge que l'entraide entre jumelés originaires du même pays ou de même

ethnie est bénéfique au processus d'adaptation, l'intervenante G démontre sa crainte d'une

ghettoïsation du jumelage si des immigrants de même ethnie étaient jumelés entre eux. Il

apparaît qu'elle considère le jumelage comme une initiation à la vie québécoise faite par des

Québécois d'origine qui transmettent une façon de faire, une histoire, qu'eux seuls peuvent

transmettre.

Dans un autre organisme, la majorité des femmes québécoises sont d'origine « parce que,

selon l'intervenante, c'est le critère de l'organisme; parce que c'est l'intégration à la société

francophone, à la culture québécoise80. »

L'intervenante H, elle, dit sélectionner les bénévoles :

Du moment qu'ils parlent français qu'ils aiment ça, qu'ils sont intégrés ici. Je ne parle plus

de souche moi, autant que possible sinon tu insultes le monde (...) puis être des bénévoles…

ça les valorise .. Ceux que je jumelle, ils ont vraiment notre mentalité. Les immigrants se

80 La coordonnatrice des programmes de ce même organisme a fait appel à l'agente de liaison du RJI à la

TCRI, pour vérifier si le MRCI exigeait que les jumelés d'accueil soient des Québécois d'origine car disait-

elle, son agent au MRCI disait que oui. Et pourtant dans un compte-rendu d'une rencontre échange du

MAICC sur le jumelage en novembre 1992 il est écrit: « Certains organismes ont cru que l'élément jumelage

du PAEI ne s'adressait qu'aux Québécois de souche. Il s'agit là d'une interprétation erronée du libellé du

programme; le jumelage est accessible à tous les Québécois.»

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sont intégrés, ils aident d'autres immigrants à s'intégrer, ils acquièrent une reconnaissance

en tant que membres actifs de la société et par le bénévolat qu'ils font, ils redonnent ce

qu'ils ont reçu. Quand on accepte que l'autre donne à son tour, est-ce que l'on ne lui

reconnaît pas une capacité de donner, ne reconnaît-on pas qu'il a quelque chose de

précieux, d'inestimable à donner ? Ils ont notre mentalité !

Qu'est-ce que « ils ont notre mentalité » veut dire ? Qu'ils sont semblables à nous ? Qu'ils

ont assimilé nos codes culturels, nos façons de penser ? Qu'ils ont perdu les leurs ? Nous

nous demandons aussi, considérant que l'intervenante H sélectionne des personnes jumelées

d'accueil parmi des immigrants qui parfois viennent à peine d'arriver au Québec, si cette

sélection ne traduit pas dans les faits la difficulté qu'a l'intervenante de recruter des

bénévoles dans un quartier très multiethnique où peu de Québécois d'origine résident.

« L'idéal, c'est… je ne sais pas, je me pose beaucoup de questions là-dessus.. »

Le jumelage à l'organisme F se caractérise par le fait que ce sont surtout des gens seuls : «

J'en ai fait une spécialité » nous dit l'intervenant. Les jumelés d'accueil sont

majoritairement des femmes, ce qui a comme conséquence qu'en certains moments

l'intervenant a des immigrants sur la liste d'attente. Afin de combler cette lacune et dans un

souci d'ouverture et de non-exclusion, l'intervenant fera appel à des Québécois issus de

l'immigration qui sont au Québec depuis plusieurs années; des hommes, autrefois nouveaux

arrivants qui voudront aider les nouveaux arrivants dans leur processus d'intégration. Ce

fait de ne plus jumeler uniquement des Québécois d'origine amène l'intervenant à se

questionner sur l'identité du jumelé d'accueil :

Pour ce qui est des immigrants qui sont ici depuis longtemps, ils sont des Québécois aussi

(...) il y a toujours le hic que le nouvel immigrant veut en connaître plus sur la culture

d'origine, mais c'est sûr qu'au niveau de l'intégration, le PAEI, le Polonais va très bien

répondre : ça fait 15 ans qu'il est ici, il peut se démerder avec la bureaucratie, il peut aussi

lui montrer certains aspects de la culture québécoise. L'idéal, c'est... je ne sais pas, je me

pose beaucoup de questions là-dessus !

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234

Ce questionnement sur l'apport de l'immigrant en tant que personne-ressource et sur la

qualité du transfert d'informations et de connaissances qu'il apporte est partagé par l'agente

(3b) du MRCI :

Le fait d'ouvrir le jumelage aux Québécois de toutes origines ? Je pense que c'est une bonne

chose, mais le seul élément c'est… Je vais faire une comparaison : jumeler un nouvel

arrivant avec un immigrant, c'est valable sauf peut-être au niveau du transfert d'information

qui n'est pas le même. Quelqu'un qui est né ici, ne peut pas discuter de problèmes

d'adaptation alors que l'autre va pouvoir échanger son vécu. C'est valable, mais ce n'est pas

au même niveau je ne sais pas en bout de piste...si on compare, je ne sais pas...

Nous avons vu que l'intervenante I souligne que ce sont les nouveaux arrivants eux-mêmes

qui disent ne pas vouloir être jumelés avec quelqu'un qui serait aussi venu d'ailleurs. L'

agente du MRCI donne sa version de ce fait :

Moi je pense qu'il y a un intérêt particulier à rencontrer quelqu'un qui est né ici, pas

nécessairement utilité, mais intérêt; si moi je vais ailleurs, je serais probablement intéressée

d'être jumelée avec quelqu'un qui vraiment vient de là bas. Parler du choc migratoire, je

pourrais peut-être le faire avec d'autres. Ca me semble être un contact privilégié d'être en

contact avec quelqu'un qui est né dans ce pays et en plus qui a le goût de me faire partager,

je pense que lorsqu' on a le goût de faire partager son chez soi, c'est parce qu'on aime notre

chez soi (...) le goût de son pays je pense que c'est riche ! Particulièrement riche !

Et pourtant, selon l'intervenant F, et contrairement à ce qu'observe l'intervenante I, le fait de

jumeler un nouvel arrivant avec un Québécois venu d'ailleurs ne semble pas poser de

problèmes au nouvel arrivant. Selon l'intervenant : « Tant que les choses sont claires, si on

dit vous allez être jumelé avec une personne qui est ici depuis longtemps, qui est intégrée. »

La stratégie de l'intervenant est de leur offrir la possibilité d'être jumelé, ensuite vient

l'explication du fait que cette personne est venue d'ailleurs et qu'elle s'est bien intégrée à la

société québécoise.

Nous constatons donc qu'il n'y pas unanimité sur le fait d'accepter des jumelés d'accueil non

nés au Québec ni chez les intervenantes, ni chez les agents du MRCI, bien que la majorité

des intervenantes aient parmi les jumelés d'accueil des Québécois de différentes origines.

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235

Cette ambivalence face au Québécois venu d'ailleurs réside principalement sur son aptitude

à transmettre au nouveau venu des connaissances sur la société québécoise. En fait, nous

croyons que la sélection du jumelé d'accueil doit être directement liée aux objectifs que

l'intervenant, l'organisme et le gouvernement veulent donner au jumelage,

malheureusement ces objectifs entrent parfois en contradiction. Et de façon prioritaire, la

sélection doit répondre aux besoins du nouvel arrivant et aux capacités, aptitudes et intérêts

du jumelé d'accueil ainsi qu'à combler ces besoins.

7.5.6. Bien évaluer la compréhension que les futurs jumelés ont dujumelage : deuxième zone d'incertitude

La préoccupation des intervenantes lors de la sélection concerne l'évaluation. Les facteurs

considérés par les intervenantes lors de la première rencontre, rencontre qui devient une

entrevue de sélection, sont reliés à la compréhension qu'ont les futurs jumelés des objectifs

du programme, le partage, le rapprochement, et leur adhésion à ces principes/objectifs. Lors

de la sélection ou du « filtrage », les intervenantes sont à l'écoute des intérêts, des besoins,

des motivations, des attentes. L'intervenante I observe : « On voit à quelque part si ça se

ressemble, s'il y a un point commun, ce qui fait qu'on part le jumelage. » Ce qui représente

tout un défi car elles sont conscientes, comme le dit l'intervenante C, que ce « n'est pas

évident dans une entrevue exploratoire de connaître c'est quoi la motivation d'une personne,

c'est quoi sa préméditation. ». Cette zone d'incertitude fait ainsi partie intégrante du

processus. L'intervenante C considère qu'elle est là « la responsabilité morale de

l'intervenante » dans le souci de s'interroger non seulement sur la personnalité de l'un et de

l'autre, mais aussi sur son contexte de vie, afin de maximiser les chances d'atteinte des

objectifs de l'un et de l'autre, pour qu'ainsi la rencontre interculturelle ait lieu.

L'intervenante I tente de cerner la perception de l'autre, d'approfondir la connaissance de

l'autre. Ce qui pousse l'intervenante E à dire « on doit être bien observatrice lorsqu'on fait la

sélection du jumelage. » L'intervenant F intervient comme intermédiaire, porte-parole pour

l'immigrant nouvel arrivant auprès du Québécois de la société d'accueil : « C'est peut-être

moins gênant quand c'est moi qui le dis, madame une telle aimerait ça connaître telle chose,

normalement la jumelée d'accueil le sait, je lui ai déjà dit au téléphone , mais je reviens. »

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Nous notons que l'intervenant F parle ici des besoins de l'immigrant alors qu'il ne situe pas

la relation dans un cadre aidant-aidé.

Il est également essentiel pour les intervenantes de bien identifier qui sera engagé dans le

jumelage. Est-ce que toute la famille le sera ou bien seulement la femme et les enfants ? Il

est donc important de bien identifier qui fait la demande de jumelage, de même il est

important de savoir ce qu'en pensent le conjoint, les enfants, de tenter de savoir s'il y a des

réticences. « Notre travail à nous, comme ce que peuvent apporter les jumeaux québécois,

c'est de ne pas faire partie du problème, mais de la solution. Il faut partir de bases qui ne

soient pas déjà porteuses de tension » souligne l'intervenante C.

La prise en compte de la présence des maris et la définition de « femme seule » a été source

de malentendus et a occasionné pour l'intervenante B un malaise. L'intervenante croyait que

la femme était sans mari jusqu'à ce que le mari vienne à la rencontre du jumelage,

l'intervenante se dit soit que c'était une phase où la femme était seule ou soit qu'il y a eu une

incompréhension de la question. Ou alors elle se demande comment considérer le statut de

la femme lorsque le mari semble « être là et pas là !» Il y a d'autres cas où la femme absente

ou le mari absent, non inscrit officiellement au jumelage, influencerait la dynamique du

jumelage.

Lors de l'entretien de sélection, les intervenantes se servent d'un questionnaire que la

plupart disent devoir améliorer, un pour les Québécois, un pour les immigrants, avec lequel

elles évaluent leur disponibilité, leurs attentes, leurs intérêts, le profil socio-professionnel.

Ce questionnaire sert aussi, dans le cas des intervenantes C, G et B, à déterminer si les

Québécois ont eu des contacts avec des immigrants, des personnes d'autres cultures et

inversement et si non pourquoi. Elles vérifient, en quelque sorte, leur degré d'insertion dans

la société, leur ouverture à l'autre et, dans le cas des Québécois, la densité de leur réseau

social.

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7.5.7. Évaluer les compétences : troisième zone d'incertitude

L'intervenante B dit essayer de voir les intérêts de la personne et aussi d'évaluer ses

compétences : est-ce que la personne va réellement pouvoir aider au niveau de l'intégration,

des connaissances du milieu et de la pratique du français ? Comment évaluer le niveau

psychologique de la personne devient une autre zone d'incertitude. « Ce n'est pas évident de

voir jusqu'à quel point la personne est saine : est-ce que la personne veut faire ça ou est-ce

qu'elle a un besoin émotif à combler ? » L'intervenante essaie de démotiver ce type de

motivations : « j'essaie d'éviter ça », précise-t-elle.

Les intervenantes B et H analysent avec attention, mais dans les limites de leur pouvoir, la

détresse de la (ou du) jumelé d'accueil, et celle du nouvel arrivant : « Parfois, dit l'intervenante H,

il y a des bénévoles qui veulent se valoriser, qui vivent une période difficile, qui sont plus

en détresse que les immigrants (...) c'est pour ça que la feuille des motivations est bien

importante. » En ce qui concerne le critère équilibre émotionnel, Daignault précise que

l'intervenante fait une distinction entre la Québécoise et l'immigrante. Lors de l'entrevue de

sélection, l'intervenante ne considère pas les déséquilibres situationnels reliés au processus

d'immigration. Par contre, souligne Daignault, « nous prenons soin de sélectionner des

Québécoises qui sont en mesure de représenter pour les immigrantes un certain modèle de

stabilité affective et relationnelle » (Daignault, 1996:40).

L'entrevue de sélection, selon Daignault (1996:50), permet de dépister les problèmes

majeurs que pourrait vivre la femme tels : violence conjugale, problèmes de santé mentale.

Celle-ci écrit « S'il s'avère que la cliente vit de telles difficultés, des ressources et un

support approprié à sa situation lui sont offerts et lorsqu'elle est parvenue à résoudre ces

difficultés, elle peut réintégrer le projet. » L'intervenante/chercheure poursuit81 : « Comme

ce projet communautaire vise l'action préventive et est basé sur l'amitié, cette mesure évite

que certaines participantes se retrouvent en relation avec des femmes ayant des besoins

d'aide dépassant les objectifs du projet. »

81 S. Daignault qui a évalué le programme de jumelage dans le cadre de ses études de maîtrise en service

social fut responsable du projet en 1992-1993.

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Ces situations ont amené l'intervenante B, à réévaluer, lors de la sélection des jumelés, les

outils et les méthodes d'évaluation. Elle décide alors d'adopter l'outil de la mise en situation.

En mai 1998, lors de la validation des données, l’intervenante B nous disait ne pas avoir eu

finalement recours à la stratégie mise en situation, les entrevues étant déjà « trop longues. »

Ce que l'intervenante tente de faire, c'est d'amener les gens au cours de l'entretien à une

prise de conscience du pourquoi de leurs intérêts pour telle ou telle personne.

De façon générale, le rôle des intervenantes consiste à faire connaître leur disponibilité

d'écoute aux bénévoles, à leur signaler qu'elles peuvent les conseiller. L'intervenante B

précise : « Je leur dis qu'ils peuvent me téléphoner, surtout s'ils perçoivent quelque chose,

ils ne sont pas sûrs d'avoir blessé la personne, je leur dis vous pouvez me téléphoner, je

laisse la porte ouverte » (...) je sers à ça analyser, comprendre. » Les intervenantes donnent

des conseils tout en informant que le jumelage n'est pas du parrainage. Elles rappellent qu'il

y a des services dans les organismes, des ressources disponibles; elles expliquent les «

petits détails. » Aux Québécois, elles disent les problèmes économiques des nouveaux

arrivants, l'importance de faire des activités qui ne coûtent pas cher, qui ne les mettront pas

dans l'embarras; aux nouveaux arrivants elles rappellent l'importance d'être ponctuels, de

respecter les horaires. Toutefois, comme le souligne l'intervenante G : « J'explique, mais il

faut répéter, répéter, moi je suis très décontractée (...) si tu expliques comme il faut, tu

n'auras pas de problèmes ! »

L'intervenante C donne une pochette d'information différente aux nouveaux arrivants et aux

jumelés d'accueil. Elle insère une feuille sur ce qu'est et ce que n'est pas le jumelage, aux

aînés elle remet quelques informations sur la communauté de leur jumelé, aux immigrants

elle insère un guide des ressources du quartier. Si, en cours de jumelage, elle reprécise des

informations sur la communauté de leur jumelé aux aînés, elle ne dit rien sur la culture : «

Je déteste ça » dit-elle. L'intervenante C ne donne pas d'information sur leur communauté

aux nouveaux arrivants. Il nous semble qu'elle aurait le sentiment qu'ainsi elle pourrait

influencer leur mode d'intégration, mais après validation des données elle nous affirme que

c'est surtout et seulement parce qu'elle est convaincue que cela entrerait en contradiction

avec le mandat qu'elle a en tant qu'intervenante en jumelage « qui est de faire du

rapprochement interculturel et avec le mandat que me donnent les nouveaux arrivants eux-

mêmes. » En fait, ce serait plutôt pour respecter leur choix, précise-t-elle : « Moi je crois

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que chaque processus d'adaptation est unique et que c'est la personne qui décide, donc, s'ils

ont une volonté de faire du jumelage, c'est qu'ils ont une volonté de rapprochement avec

les gens d'ici. » D'autant plus qu'il faut, selon elle, faire attention à la question des

compatriotes car « on a affaire à des réfugiés, à des revendicateurs »; sous-entendu que le

supposé compatriote pourrait être bien être perçu dans certains cas comme un ennemi, une

menace ou qu'il raviverait des souvenirs douloureux. Le fait de présenter le profil de la

communauté culturelle de l'immigrant-jumeau aux aînés relève, selon l'intervenante C, plus

d'un acte de sensibilisation :

C'est pour leur faire prendre conscience que ce n'est pas le premier immigrant qui vient, il

n'y a pas d'histoire de l'immigration du Québec. C'est comme une manière d'initier (...) pour

les gens qui sont curieux aussi (...) il y a des motivations. Et ça l'immigrant ne va pas, pour

des raisons x, répondre à cette attente là ! Il y a des gens qui refusent de parler de leur

pays.

La complexité de l'intervention en jumelage demande aux intervenantes, qui ne possèdent

pas toutes une formation en travail social ni n'ont acquis des compétences en approche

interculturelle, d'être attentives aux moindres signes qui pourraient leur indiquer les

aptitudes réelles des candidats au jumelage. Ainsi, le jumelage, en tant que mode

d'intervention, révèle, dans son application, l'essence de l'approche interculturelle en ce

qu'il est selon les mots de Chiassson, Roy, et autres, « exploration et négociation. »

7.5.8. Les attentes : autres incertitudes

Les intervenantes tentent de savoir ce que les personnes attendent du jumelage, s'il y a un

genre de personne avec qui elles aimeraient être jumelées, un type de personne avec qui

elles n'aimeraient pas être jumelées. L'intervenante C constate que les gens ont plus de

difficulté à identifier avec quel genre de personne, dans le sens personnalité, ils voudraient

être jumelés : « Les gens ne me disent pas des choses très précises. » Elle tente de voir avec

eux, de préciser quelles sortes d'affinités ils pourraient rechercher chez une personne.

Certains vont dire une personne seule, certains autres diront une personne de même sexe,

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d'autres mentionneront quelques traits de personnalité. Des futurs jumelés précisent leurs

préférences, par exemple certains veulent, pour différents motifs, être jumelés avec des

Latinos : pour la langue, la proximité géographique, les affinités en tant que latins, la

proximité de la culture, des façons de faire. Nous verrons plus loin que la préférence pour

les Latinos en tant qu'ethnie « de premier choix » s'avère problématique pour plusieurs

intervenantes.

Par contre, les jumelés diront avec qui ils n'aimeraient pas être jumelés. L'intervenante G

donne quelques exemples : « Une femme immigrante m'a dit qu'elle ne voulait pas être avec

une personne qui fume ou avec certaines nationalités par exemple. Un autre, exprime

certaines réticences à être jumelé à un noir. » Nous aborderons plus loin la question des

préjugés et des stéréotypes.

7.5.9. Comment faire partager leur vision aux participants

Certaines intervenantes établissent un rapport de négociation. Une des stratégies de

l'intervenante B, pour orienter la relation selon sa vision, sera d'entrer dans un rapport de

négociation avec le jumelé qui cherche l'ami, l'intervenante adopte une attitude pro-active :

« Quand quelqu'un cherche une amitié, on essaie de limiter son désir, de démontrer que ce

n'est peut-être pas ça nécessairement qui va se passer. »

Pour maintenir ou éveiller l'intérêt des bénévoles à s'engager dans la relation de jumelage,

l’intervenante H utilise abondamment, comme arme de persuasion, la stratégie de

valorisation de soi ou de renforcement des aptitudes. « Je les valorise tant que je peux »,

dit-elle. L'application de cette stratégie est dans le fait d'accorder en paroles une valeur plus

grande à quelqu'un : « Vous êtes des êtres indispensables dans un centre comme le nôtre;

c'est dire que nous comptons sur vous. Vous m'êtes précieux et précieuses à l'Amitié-

Jumelage. Vous êtes un complément moral et sécurisant pour ces personnes souvent

déracinées de leur terre; (...) et de renforcement du pouvoir du bénévole : " À titre de

bénévole vous avez le privilège de choisir la tâche que vous désirez accomplir et voilà que

vous qui êtes ici ce soir vous avez opté pour l'Amitié-jumelage. Vous avez du goût et du

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241

cœur ". Je vous félicite et vous en remercie. » Et l'intervenante de souligner leur

indispensable et unique contribution : « En tant que bénévoles vous apportez à l'organisme

un surcroît de présence, d'amitié, de valorisation à ce que la gamme de services offerts

soient plus personnels et plus raffinés. »

Les autres intervenantes accordent aussi beaucoup de responsabilités aux jumelés, quoique

de façon différente, en même temps qu'elles se disent disponibles à ajuster leurs

interventions, le jumelage, zone d'incertitude devient un espace d'innovation, de créativité :

« Il suffit de trouver le rythme des personnes », selon l'intervenante A.

Aussi les intervenantes B, C et A considèrent qu'elles ont à apprendre des acteurs du milieu

que ce soit des personnes de la communauté ethnoculturelle du nouvel arrivant, « qui

peuvent aider aussi à comprendre ce qui s'est passé. » En ce sens, les intervenantes ont une

approche communautaire qui tend vers une approche intégrée. De même, les jumelés eux-

mêmes sont source d'information et ressources pour l'amélioration de la pratique.

L'intervenante A souligne : « On apprend en même temps qu'eux, on apprend à travailler

sur ce programme en même temps ! »

7.5.10. Représentations des intervenantes concernant les jumelés

Les intervenantes perçoivent les jumelés d'accueil comme étant des gens « qui aiment le

contact avec les gens, qui parlent beaucoup et qui ont une facilité à communiquer. » Nous

traduisons par qui ont une certaine ouverture dans le sens d'aller vers l'autre, qui sont

curieux de l'autre, qui sont sympathiques à l'autre, des gens aussi qui aiment se raconter.

Nous remarquons que ces traits de caractère ne traduisent pas nécessairement le sens de

l'écoute, l'empathie.

L'intervenante G dit des Québécois : « Ils sont chaleureux quand toi tu t'approches. »

Concernant les nouveaux arrivants, elle avoue qu'en tant que responsable elle a aussi

certains préjugés ou des impressions « concernant les femmes russes (...) j'ai l'impression

qu'elles se font des problèmes. » L'intervenante G fait le lien entre cette impression qu'elle a

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242

et celle que certains Latinos ont des Québécois. Les hommes russes par contre, sont selon

elle, « comme des éponges, ils veulent tout savoir ! » L'intervenante G compare l'hospitalité

des Latinos avec celle de certains Russes : « C'est arrivé chez une personne russe qui ne

voulait pas que le Québécois vienne chez elle (...) tu arrives chez les Latinos, ils n'ont

pas…, ils invitent quand même, c'est une attitude différente. C'est l'attitude, mais quand

même il y a des généralités! »

La majorité des intervenantes sont bien conscientes qu'elles ont elles aussi, comme tout un

chacun, des préjugés, qu'elles doivent les analyser, mais surtout en tenir compte dans leurs

interventions.

L'intervenante G croit qu'une majorité de Québécois se sentent menacés devant le taux et le

profil d'immigration. Elle leur prête ces propos : « On est en phase d'extinction, on ne se

voit plus les Québécois ici, même des gens à la mairie, à la commission scolaire. » Ces

propos reflètent la réflexion contenue dans le document de Charbonneau cité en début du

chapitre 5, concernant les réactions face au changement démographique de Chameran et

l'exode de l'ethnie « canadienne-française. »

7.5.11. La difficulté pour l'intervenante d'exclure des candidats

Toutefois les intervenantes avouent avoir de la difficulté à dire non aux personnes de la

société d'accueil qui désirent être jumelées, et qui n'aurait pas les aptitudes ou qualités

requises, ou lorsqu'elles évaluent que les différences culturelles ou le besoin au niveau de

l'apprentissage linguistique sont trop marqués. Nous verrons un peu plus loin que, face à ce

dilemme, les intervenantes commencent à développer d'autres stratégies que simplement

déposer leur demande « dans la filière 13 », sorte de filière d'attente indéfinie.

Jusqu'à récemment, presque toutes les intervenantes pratiquaient cette sélection en douce.

Celle-ci se fait par la stratégie de dissimulation, du non-dit, de la non-confrontation.

L'intervenante G met le nom sur la liste d'attente, ce que l'intervenante B nomme la filière

13, et dit au jumelé qu'elle n'a pas de candidat qui répond à ses attentes. Face à des gens qui

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243

ne conviennent pas au jumelage, ne conviennent pas parce « ce n'est pas clair, il y a le

contact avec moi, il y a des choses qui se passent avec moi », l'intervenante F leur dit

qu'elle souhaite les jumeler « mais là ils ne le sont pas encore. » L'intervenant F comme

d'autres intervenantes, adopte une stratégie de non-confrontation.

Il n'y a donc pas d'espace de discussion, de négociation possiblement conflictuelle, où les

représentations seraient confrontées en vue d'une re-définition des comportements, de

changements d'attitudes. C'est la stratégie du statu quo, de non-remise en question, du

maintien des relations telles quelles, par dissimulation de la véritable intention de

l'intervenante qui est de ne pas jumeler la personne. Le pourquoi de cette stratégie pourrait

s'expliquer par le manque de temps, d'énergie ou le manque de formation pour solutionner

adéquatement le problème. Cela peut aussi être fondé sur la crainte de la réaction du jumelé

d'accueil, crainte de la dénonciation de l'intervention et de la critique de la prise de position.

Cela peut aussi être relié à une tradition bien ancrée dans l'organisation communautaire de

ce type de résolution des problèmes dans l'espace du tabou, du non-dit; pour ne pas créer de

vagues, pour ne pas provoquer de remises en question de l'action communautaire. Cette

sélection ou plutôt cette non-sélection/exclusion en douce est justifiée aussi au nom de la

responsabilité qu'a l'intervenante face aux immigrants qui s'adressent à elle pour être

jumelés « Je ne vais pas risquer mes jumelés », objecte l'intervenante G.

7.5.12. Un révélateur de tendances discriminatoires

7.5.12.1. La demande des Québécois pour les Latinos et stratégies des intervenantes

Presque toutes les intervenantes sont confrontées à cette préférence marquée chez les futurs

jumelés québécois pour les hispanophones. Une discussion sur ce thème a d'ailleurs eu lieu

au sein du Réseau.

Moi je pense que quand on dit Latinos, c'est parce qu'on pense que c'est pas si loin de nous.

Géographiquement, culturellement, c'est une vision très simplifiée… (intervenante D).

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244

Ils disent qu'il y a des choses en commun, qu'ils se ressemblent plus, alors il y a des

réticences (...) les gens se méfient de l'inconnu (intervenante G).

Les Québécois qui désirent se jumeler sont alors à la recherche du connu. « Les gens, dit

l'intervenante G, ont voyagé dans ces pays-là. » Ainsi, ils ne se sentent pas trop dépaysés et

par le jumelage, nous semble-t-il, ils veulent retrouver l'esprit du voyage. Ils parlent

espagnol, le jumelage devient une occasion de pratiquer cette langue, de montrer un savoir,

occasion de la parler ou possibilité de l'améliorer dans un cadre agréable, un cadre intime,

non-formel. Le jumelage n'est pas alors la recherche du différent, mais du semblable ou le

désir de recréer une atmosphère reliée au voyage. Les futurs jumelés ont des réticences par

rapport aux autres, ils disent « qu'ils ne les connaissent pas », déplore l'intervenante D.

Serait-ce alors la crainte de l'inconnu qui les habite, la crainte de la différence, du non-

pouvoir communiquer ou la crainte de l'incompréhension ?

Devant cette préférence/exclusion, les intervenantes cherchent à modifier leurs

interventions. Elles adoptent entre autres, comme le dit l’intervenante H, la stratégie des

petits pas : « Je les amène tranquillement, c'est sûr, il faut que ça passe. »

Au cœur de cette stratégie des petits pas, il y a un processus de négociation en même temps

que de diversion où les intervenantes proposent autre chose. L'intervenante D a développé

des stratégies pour déjouer les préférences trop marquées de certains Québécois pour des

Latinos et la pratique de l'espagnol : « Moi je dis les besoins, t'sais je vais proposer et des

fois les gens changent, je fais des propositions claires, j'ai des gens en tête. » L'intervenante

H reprécise l'objectif premier du jumelage, objectif qui est en fait un outil d'intégration :

l'apprentissage du français : « Je les amène à dire, ce n'est pas pour que toi tu apprennes

l'espagnol, ce n'est pas impensable, mais c'est surtout pour que l'autre puisse un jour

s'exprimer en français. » L'intervenante semble souligner que le bénévole, dans ce cas, n'a

pas anticipé sa participation à l'aide à l'intégration, en tant que guide, conseiller,

collaborateur, qui doit transmettre des normes de la société d'accueil et combler un besoin

du nouvel arrivant; celui-ci a vu, en premier, l'opportunité, en s'associant à l'immigrant

latino voyageur venu de contrées exotiques, de pouvoir combler un désir, celui d'apprendre

ou de perfectionner une langue étrangère, en l'occurrence l'espagnol. Il apparaît que les

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245

valeurs attribuées à l'engagement dans le jumelage sont, dans ce cas, centrées sur

l'individualité.

Nous avons mentionné qu'alors que dans le bénévolat traditionnel les bénévoles se

dévouaient principalement en fonction d'autrui, aujourd'hui et avec l'ajout de nouveaux

secteurs de bénévolat que sont les loisirs, les arts, l'économie et l'éducation, la relation

d'aide vise autant la satisfaction et la croissance personnelle de l'aidant que la solution des

problèmes de l'aidé. Il semble qu'ici la satisfaction et la croissance personnelle basée sur

des considérations égoïstes priment sur les considérations altruistes qui prendraient en

considération les besoins du nouvel arrivant.

Cette insistance à vouloir être jumelé pour pratiquer l'espagnol démontre aussi que le

jumelé d'accueil n'a pas compris que le nouvel arrivant était en processus d'intégration et

que la relation de jumelage était une occasion pour le nouveau venu d'avoir un lien

privilégié avec quelqu'un de la société d'accueil qui peut lui servir de guide et qu'en

échange, celui-ci, à son tour, pouvait faire don de ses savoirs. Le don est un aspect

important du jumelage : don de temps, de savoirs, échange d'émotions, d'expériences.

Réfléchir sur le don dans le jumelage, comme dans toute autre forme de don, c'est, nous le

rappelons, se poser la question sur les motivations qu'ont les acteurs à entrer dans cet

espace du don, sur les rôles qu'ils y tiendront, mais c'est aussi se demander quels seront les

bénéfices qu'ils en retireront, ce qu'ils gagneront ou perdront (ou auront l'impression de

gagner ou de perdre) en tant qu'individus (groupe et société) dans l'échange. Car même si

on célèbre « les plaisirs du don et non plus les sacrifices » comme le rapporte Godbout

(1990), il y a un enjeu et un risque dans l'échange.

Toutefois, cette stratégie de diversion, même si elle ne réussit pas toujours, permet aux

intervenantes d'élargir la compréhension qu'ont du jumelage les jumelés québécois, le

jumelage n'a pas comme objectif premier l'apprentissage ou la pratique d'une langue

étrangère chez le Québécois. Cette stratégie leur permet aussi de parler des profils des

nouveaux arrivants et de leur contexte migratoire. Et si les Québécois persistent à vouloir «

des Latinos », plusieurs intervenantes leur disent qu'il faudra demander aux immigrants s'ils

sont d'accord pour un échange linguistique tout en leur signalant qu'ils devront ajouter à cet

objectif une aide à l'intégration.

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L'intervenante B dit aux jumelés québécois qui désirent être jumelés avec des

hispanophones « que ce ne peut être juste ça, qu'il y a des choses précises à faire et que ce

n'est pas juste pour ce qu'eux retirent. » Elle insiste donc sur la notion du don/contre-don,

sur la notion de l'engagement. Aux organismes E et G, les intervenantes adoptent une

attitude souple, d'ouverture, en se disant que cette demande peut amener la Québécoise, le

Québécois à s'intéresser à la culture de l'autre. L'intervenante E ajoute : « C'est pas grave,

c'est bon même parce que c'est un échange aussi, on apprend la culture à travers la langue. »

Elle signale toutefois qu'il y a des femmes de l'Europe de l'Est, de la Chine, de la

Roumanie, de Russie et d'Algérie en attente de jumelage. Et que même si les femmes

algériennes parlent déjà français, elles ont besoin de rencontrer des femmes québécoises,

elles ont besoin de connaître la culture, les gens et aussi peut-être de connaître l'intégration

sur le marché du travail. La stratégie de l'intervenante est alors d'élargir la vision qu'ont les

femmes québécoises du programme jumelage : « Je leur explique que ce n'est pas

seulement un échange de langue, c'est un échange culturel et une façon de s'intégrer. »

L'intervenante G adopte une stratégie de négociation/accommodement avec les jumelés tout

en occupant un espace de transgression face au critère du ministère. Ce qu'il y a de

particulier dans le cas de l'intervenante G, c'est que l'évaluation et la ré-évaluation de

certaines façons de faire le sont plus en fonction du nombre de jumelages qu'elle doit faire

ou parce qu'elle ressent un malaise face à certaines difficultés, qu'en fonction d'une

autocritique des actions posées ou d'une réflexion sur d'autres possibilités de faire, en vue

de l'amélioration de l'intervention. Ce choix d'accommoder de l'intervenante et du directeur

s'applique aussi dans le cas des jumelages mixtes « sinon je ne ferais pas de jumelage (...) je

ne peux pas dire non. » En ce qui concerne les demandes répétées pour des latinos, elle

ajoute :

Avant je leur disais : "Avec le jumelage, il ne s'agit pas de pratiquer une langue ".

Aujourd'hui, j'ai changé de discours, sinon je n'aurais personne. (...) je leur dis de pratiquer

l'espagnol , mais en pourcentage moindre (...) j'ai changé de tactique, je leur dis : " Vous

pouvez échanger en espagnol". Ça donne une autre dynamique, il y a des échanges, même

qu'un aide à faire les devoirs en espagnol, l'autre aide en français.

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247

Le directeur de l'organisme renforce cette position en insistant sur le côté donnant-donnant

du jumelage où le Québécois va chercher quelque chose et le nouvel arrivant aussi, « où

c'est un échange. » Toutefois, nous avons constaté que cette vision du jumelage du

donnant-donnant peut parfois créer des malaises, notamment quand le nouvel arrivant ne

peut offrir de façon aussi évidente un produit échangeable de même valeur. Nous avons en

mémoire une soirée d'activité collective où une jeune dame camerounaise qui demandait à

être jumelée s'est sentie exclue des échanges lorsqu'un monsieur suisse a offert gratuitement

aux nouveaux arrivants des leçons de ski alpin en échange de cours d'espagnol. Nous

observons que cette stratégie d'accommodement a ses limites justement parce qu'elle ne

remet pas en question des façons de faire, des attitudes, mais tente de répondre aux

demandes répétées par un certain groupe de personnes et aussi de respecter l'entente signée

avec le MRCI. Est-ce que le jumelage, qui a comme premier objectif, même si celui-ci n'est

pas exclusif, l'aide à l'intégration du nouvel arrivant peut être basé sur une valeur

marchande du donnant-donnant ? Ce pré-requis de l'égalité de valeur de l'objet,

l'équivalence du don, n'exclut-elle pas alors toute forme de retour indéterminé, basé sur la

confiance et l'espoir, l'autonomie et la reconnaissance de l'autre, éléments qui permettent à

la relation de s'épanouir ?

Dans ce cas particulier comme dans d'autres, l'intervenante G, confrontée à certaines

difficultés, va tergiverser et selon l'évaluation du moment, changer d'attitude. Si lorsque

nous l'avons rencontrée à l'automne 1996 et revue au printemps 1997, l'intervenante G

disait avoir adouci sa position face à la demande répétée pour l'espagnol, à l'automne 1997,

elle disait à une réunion du Réseau « en avoir marre de ça!. » De ça signifiant de cette

préférence pour les « Latinos » liée à cette motivation de parler espagnol. Parce que « ça »

exclut les autres nouveaux arrivants qui veulent être jumelés et qui sont en attente, faute de

trouver des Québécois désireux de se jumeler à eux. « J'en ai marre de ça » traduit un

sentiment d'impuissance. Si cette réaction ne remet pas nécessairement en question la

stratégie d'accommodement, elle signifie qu'elle voudrait bien trouver un moyen pour sortir

de cette voie unique de jumelage. Alors que la clientèle se diversifie, l'intervenante G

aimerait bien trouver des moyens pour sensibiliser les Québécois à la réalité et aux besoins

des autres ethnies. Ici c'est le comment qui pose problème. Au printemps passé,

l'intervenante a invité un psychosociologue à venir parler de l'impact du jumelage et de la

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rencontre interculturelle; soirée d'échange qui semble avoir été grandement appréciée des

jumelés si l'on se fie aux témoignages redits lors d'une soirée collective à l'automne 1997,

soirée où cours de laquelle la vidéo-jumelage a été présentée. Mais cette activité d'échange

sur le jumelage n'a pas été renouvelée même si lors de la soirée collective, les jumelés ont

redit leur appréciation de ce type d'activité.

Les intervenantes ont poursuivi leur réflexion sur cette question des demandes pour les

hispanophones au sein du Réseau. Elles ont convenu que si l'unique objectif manifesté par

le Québécois est de vouloir apprendre ou pratiquer l'espagnol, elles opposeront un refus. Si

l'apprentissage de la langue est un des objectifs, mais que la personne qui désire être

jumelée semble bien saisir la dynamique du jumelage et l'objectif d'accompagnement de la

personne immigrante dans son processus d'intégration, alors l'intervenante va considérer sa

demande. Si une intervenante n'a pas, sur sa liste d'attente, d'immigrants parlant espagnol,

elle suggérera aux Québécois d'autres alternatives.

7.5.12.2. Discrimination envers la communauté arabe

Plusieurs intervenantes rencontrent des problèmes d'exclusion face à la communauté arabe :

« On dirait que personne ne veut des Arabes ! » , déplore l'intervenante I. Nous notons que

lorsque l'intervenante I dit Arabes, elle lui associe musulmans. Celle-ci attribue la

résistance ou le refus des Québécois à être jumelés avec eux au manque d'information, aux

médias qui entretiennent les stéréotypes : « arabe = terroriste = intégriste, hommes

machos/femmes soumises. » L'intervenante discute avec les jumelés d'accueil et tente de les

amener à nuancer leurs propos :

« C'est à la fin que je dis : ce n'est pas tous les arabes qui se ressemblent. Et parfois quand

je dis que je suis Arabe, les gens ils sont surpris. » Ce qui a amené l'intervenante I à donner

en collaboration avec le Centre d'éducation et de développement arabe (CEAD) une soirée

d'information sur le monde arabe « pour démystifier un peu les préjugés, ça a amené les

gens à s'intéresser (...)" C'est vrai, vont-ils dire, ils sont comme nous, ils ont des problèmes

comme nous, elles ne portent pas le hidjab et les femmes ne sont pas toutes soumises". »

Page 261: Le jumelage entre les nouveaux arrivants et les …...jumelage entre les nouveaux arrivants et les Québécois. Je tiens à remercier Mme Lucille Guilbert, directrice de ma thèse,

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Devant les résistances des jumelés québécois face aux Arabes, l'intervenante adopte

diverses stratégies. L'une d'elles est de miser plus sur les ressemblances entre « eux et nous.

» Une autre stratégie sera de discuter avec des personnes de la communauté arabe des

préjugés que les membres de la société d'accueil ont vis-à-vis eux. Toutefois l'intervenante

refuse de faire cette démarche avec certaines personnes parce que, selon elle, « ça va faire

qu'elles seront plus fermées. » Les stratégies de l'intervenante sont alors soit une stratégie

que nous qualifions d'offensive, stratégie de démystification ou de discussion, préventive

ou défensive, stratégie de dissimulation ou de non-confrontation : « Je leur dis que je n'ai

pas encore trouvé ou que je n'ai pas encore de familles. » Nous remarquons aussi

qu'apparaît tout au long du discours de l'intervenante sur les attitudes des jumelés, la co-

existence du mouvement vers, mouvement contre qui font apparaître les implications

ouverture/non ouverture. Si les Québécois sont perçus par l'intervenante I «

extraordinairement ouverts », celle-ci note qu'ils sont en même temps fermés face aux

Arabes et comme nous le verrons, face à certains autres groupes. Leur « extraordinaire »

ouverture semble être manifeste surtout envers les Latinos et leurs motivations seraient plus

de l'ordre de l'intérêt personnel : apprendre la langue et entrevoir la possibilité de voyager.

Par ailleurs, elle note parmi les Arabes que certains veulent être jumelés, mais qu'en même

temps ils ne veulent pas discuter des préjugés que les Québécois peuvent avoir envers eux

et ont du mal à accepter certaines valeurs de la société québécoise notamment le rapport

égalitaire homme/femme. Selon l'intervenante, « certains Arabes ont leurs problèmes aussi,

de fermeture des fois; problèmes concernant, entre autres, l'influence que peut avoir la

jumelée d'accueil sur la femme jumelée du couple arabe. » D'où l'importance, comme nous

l'avons déjà mentionné, de prendre en considération la cellule familiale lorsqu'une personne

demande à être jumelée.

D’un autre côté, nous notons le fait que les intervenantes, lors de la première rencontre,

posent la question : « Avec quel genre de personnes vous n'aimeriez pas être en contact ? »

Les jumelés d'accueil et les immigrants répondent, parfois avec difficultés, en manifestant

leurs préjugés ou tout au moins leurs réticences face à certains comportements ou certains

groupes, outre envers les Arabes, des personnes « ne voulaient pas de Noirs et une personne

ne voulait pas d'Hindou ou de Pakistanais » souligne l'intervenante I. Dans le cas d'une

personne qui refusait d'être jumelée à un noir, l'intervenante a essayé de voir pourquoi et a

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tenté de relativiser le jugement négatif en lui faisant voir « que parmi la communauté noire

comme dans toutes les communautés, il y a des bons et des mauvais. " Mais à un moment

donné, j'avais cette photo d'un enfant noir et la dame s'énerve et elle me dit pas un nègre

comme lui, comme toi ça peut passer ! J'ai dit ah bon, donc là j'avais compris". »

Cette dame, l'intervenante I ne l'a pas jumelée parce qu'elle n'a pu la rejoindre, mais de

toute façon, elle allait d'abord l'inviter à des activités de l'organisme ou des activités de

jumelage, comme elle fait avec ceux qui sont en attente. L'intervenante dit avoir voulu

l'inviter « parce que peut-être que la personne vit des problèmes avec le Noir, mais peut-

être qu'elle vit d'autres problèmes (...), je voulais l'inviter, l'observer un peu et voir quand il

y a plusieurs personnes de différentes ethnies pour voir comment elle va réagir. » Cette

stratégie qui fait place à l'observation, nous la qualifions de prudente même si dans ce cas

cela s'est avéré une non-intervention faute d'acteur et qu'elle a résulté à l'abandon du projet

par la jumelée d'accueil. Par ailleurs, nous questionnons le fait que lors de l'entrevue de

sélection, une question amène les futurs jumelés à exprimer leur non vouloir être jumelés

avec telle ou telle personne sans que les intervenantes aient toujours le temps, l'occasion ou

même l'aptitude requise pour les sensibiliser à l'autre et les confronter à leurs préjugés.

L'intervenante I donne un autre exemple : « J'ai eu des gars qui étaient des fanatiques (...)

même en sortant, j'ai voulu donner la main et ils ne l'ont pas donnée. » Envers une telle

démonstration de rigidité, de fermeture, elle prend une position claire : «C’est trop difficile

avec ces personnes (de les jumeler) et là je n'ai pas de personnes, ils ne veulent pas

d'Arabes, alors je ne vais pas les jeter dans les mains de.. » Tout en évitant aux jumelés

d'accueil et aux immigrants une éventuelle relation conflictuelle et une possibilité

d'augmenter les réactions négatives envers toute une communauté, l'intervenante choisit

l'évitement de la situation, mais ne les abandonne pas pour autant. Elle fait appel au

Réseau « parce qu'eux ils voulaient surtout le français, parce que comme j'ai senti qu'ils ne

veulent rien savoir de la mentalité de la société québécoise d'accueil, mais c'est surtout pour

un intérêt personnel, bien là je les ai référés à l'organisme F pour les groupes de français. »

Les intervenantes membres du Réseau jumelage ont eu un atelier discussion sur les

préjugés et stéréotypes formulés par les jumelés d'accueil face à certaines ethnies, et les

réactions et stratégies développées par les intervenantes en octobre 2000. Il est ressorti de

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cet atelier-discussion quatre éléments. Le premier est la constatation que peu importe les

origines, les préjugés sont présents de part et d'autre, mais se manifestent différemment

selon le parcours et les expériences de vie. Les jumelés se demandent souvent, notent les

intervenantes, comment réagir face à certains comportements ou attitudes des personnes

avec qui ils essaient de créer des liens. Le deuxième élément concerne le rôle des

intervenantes. Celles-ci ont redit leur rôle privilégié de médiatrices en autant qu'elles

prennent le temps nécessaire pour faire tomber les préjugés en misant sur la relation

interpersonnelle et en partant des choses que les gens connaissent. Les intervenantes ont

aussi souligné qu'elles-mêmes ne sont pas exemptes de préjugés, l'important, ont-elles redit,

c'est qu'elles en soient conscientes et qu'elles tendent à les dépasser. Mais alors comment ce

rôle de médiatrice s'articule-t-il et à quel moment ? Les intervenantes ont mentionné que

l'entrevue est un élément-clé dans le processus du jumelage interculturel. L'entrevue ou

première rencontre est un moment où les intervenantes doivent clarifier certains points.

Elles doivent rappeler les objectifs du jumelage, chercher avec le jumelé d'où viennent les

préjugés, expliquer certaines notions aux jumelés comme la notion espace-temps qui, si elle

est mal comprise, peut provoquer des tensions au sein de la relation de jumelage. Elles

doivent de plus outiller les futurs jumelés, les aider à poser des questions pertinentes à leur

futur jumelé et enfin insister sur la notion de l'engagement. Puis les intervenantes ont

évalué que le meilleur outil pour faire face aux préjugés et à la discrimination dans le

contexte du jumelage était les formations pour les jumelés, les personnes en attente de

jumelage ou les intervenantes elles-mêmes. Cet atelier a donné lieu en avril 2001 à une

formation aux jumelés et personnes en attente de jumelage sur le parcours migratoire et le

choc culturel. Les intervenantes ont demandé de recevoir une formation sur les

compétences interculturelles en automne 2001 et une sur la médiation au printemps 2002.

7.6. Première rencontre et règles du jumelage

L'attitude des intervenantes concernant les modalités du lieu de la première rencontre ainsi

que les règles de fréquentation entre jumelés et de participation aux activités en est une de

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flexibilité et de souplesse. Toutefois, à l'organisme H, on demande aux jumelés de

participer à une session de formation avant le jumelage.

La première rencontre des jumelés se fait, dans la plupart des cas, dans les locaux des

organismes. Parfois l'intervenante B le fera au restaurant, lieu moins formel, parfois

l'intervenante C se rendra chez les aînés, souvent plus limités au niveau de leur mobilité.

L'intervenante I précise que la première rencontre est une occasion pour discuter, pour

partager son expérience : « On ne reste pas seulement au niveau du jumelage. »

Les intervenantes remplissent une fiche d'inscription : statut, situation familiale, date

d'arrivée, profil professionnel, connaissance du français, intérêts personnels, motivations,

loisirs, disponibilité, confessions religieuses. Certaines ajoutent le profil de la personne

espérée (intervenantes F, I, B et E.) Les intervenantes I, E et C précisent avec quel genre de

personne le jumelé n'aimerait pas être en contact; un organisme écrit dans une annonce

publicitaire qu'il demande aux familles d'accueil « si elles ne veulent pas être jumelées avec

tel ou tel groupe ethnique. »

La plupart des intervenantes expliquent que le jumelage dure un an, mais que si les jumelés

veulent poursuivre leur relation, c'est permis parce que « le jumelage peut devenir une

amitié. » Certaines, comme les intervenantes A, I et F, refusent de le circonscrire dans le

temps. « Il n'y a pas d'entente formelle d'un contrat moral d'un an; autant que possible c'est

une vision à court terme, six mois, un an, je l'évalue. » (intervenant F). L'intervenante A dit

aux jumelés que c'est pour un an, mais que, selon elle, six mois c'est un jumelage réussi; «

peut-être même trois mois serait suffisant pour des gens qui n'ont besoin que d'une aide

fonctionnelle. » Lorsque le jumelage dure un an, précise-t-elle, c'est que « c'est devenu de

l'amitié. »

En ce qui concerne le contrat, les intervenantes le considèrent moral, ainsi aucune d'entre

elles ne fait signer d'engagement comme cela se fait dans un organisme en région hors

Montréal. L'intervenante B dit : « Au début, je les faisais signer, mais je trouvais ça… c'est

un contrat moral, un contrat moral ça a beaucoup de valeurs. »

Comme si, nous semble-t-il, le fait de signer contredisait ou affaiblissait la responsabilité-

/liberté individuelle de l'engagement, entachait la beauté du geste ou encore attribuait un

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caractère obligatoire à un geste que l'on veut spontané. Signer signifierait-il pour les

intervenantes formaliser l'engagement alors que la relation s'inscrit de façon prioritaire au

registre de l'informel ?

La majorité des intervenantes suggèrent aux jumelés de se rencontrer une fois/semaine, une

heure ou à tout le moins de garder un contact téléphonique par semaine. Les intervenantes

D et A demandaient jusqu'à tout récemment deux heures/semaine, mais souligne

l'intervenante A « avec beaucoup de souplesse. » L'intervenante D révise ce critère en

1996-1997 en admettant que « l'exigence de deux heures par semaine semble difficile à

accepter, une heure par semaine, précise-t-elle, serait préférable. » Alors que l'intervenante

B considérant que le temps manque pour tout le monde, dit ne pouvoir exiger des jumelés

qu'ils se rencontrent plus d'une fois par mois : « Il y en a qui disent une fois par semaine,

moi je me dis, ses propres amis, on a de la difficulté des fois à les voir une fois par mois, je

me dis une fois par mois, c'est dans les limites du raisonnable. » Cette demande faite aux

jumelés de garder un contact assidu surtout en début de relation est motivée par la nécessité

de briser le plus rapidement possible le caractère superficiel et fragile de la relation. « Si tu

ne rencontres pas l'autre, tu vas tout louper ! » s'exclame l'intervenante C. Il apparaît que si

des adultes étrangers ont donné leur accord pour que se développe entre eux un lien

d'échange, ils doivent bien établir et surtout entretenir ce lien afin de permettre à la relation

d'atteindre les objectifs fixés au départ. L'amitié-jumelage est alors une avenue, la relation

d'amitié n'étant pas acquise au départ, elle doit être travaillée, construite au gré des

rencontres, des échanges, des confrontations.

En ce qui concerne la fréquence des rencontres en cours de jumelage, ce qui est pris en

compte chez la majorité des intervenantes, ce n'est pas tant la quantité, mais « la qualité du

contact. » C'est à partir de ce critère que les intervenantes font leur évaluation à savoir si le

jumelage est réussi ou non. Toutefois, comme nous le verrons, cette notion de ce qu'est un

jumelage réussi reste à évaluer. Un atelier de discussion sur cette question est inscrit dans le

plan d'action 2000, 2001 du Réseau jumelage.

Les intervenantes sont conscientes qu'elles n'ont pas à adopter une attitude coercitive,

dirigiste, mais une d'encadrement souple face à des gens qui s'engagent librement dans un

projet. L'intervenante C leur conseille de ne pas se mettre en situation d'attente face à

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l'autre, autrement dit de ne pas se fier à l'autre : « Si chacun attend, personne ne fera le

premier pas et le jumelage bien évidemment n'aura pas lieu. » Mais malgré ces conseils,

nous verrons que l'ambiguïté peut persister en début de relation en ce qui concerne la

responsabilité du premier pas, le : à qui revient la responsabilité d'établir et de maintenir le

lien ?

Si les intervenantes D et H insistent sur l'importance de l'engagement et le maintien du lien,

d'autres intervenantes iront jusqu'à n'imposer aucune règle de fonctionnement. L'attitude de

flexibilité devient dans certains cas une non-intervention : « Moi je n'interviens pas, je dis

bon, espérons que ça marche ! » nous confie l'intervenante I. Ou alors c'est l'incitation à

accompagner l'immigrant dans son parcours d'insertion qui ne sera pas dite. Concernant

l'introduction de l'immigrant dans un réseau social, l'intervenante I s'exclame : « Non je ne

leur dis pas, ça peut faire : `mon Dieu je dois le présenter à ma famille ! » L'intervenant F

emploie le vocable préférablement lorsqu'il suggère aux jumelés certaines règles qu'il serait

bon de respecter. « Je leur demande de se rencontrer une fois par semaine pour les pousser

à se rencontrer (...).Quand je les rencontre, je leur dis "préférablement vos rencontres

devraient se faire (...) et préférablement au-delà de la session "et puis si ça fonctionne(…)

je laisse la porte ouverte, c'est toujours préférablement. » L'intervenante I misera sur

l'espoir que la relation fonctionne.

Ici sont dans une relation de contrariété, les notions obligation/non-obligation, liberté/non-

liberté qui sont au coeur du projet jumelage. Projet qui se situe dans l'univers du «

bénévolens », dans le sens du geste volontaire, non rémunéré donc sans production ou

performance due par celui, celle qui s'y engagent. Les gens s'engagent librement dans un

projet et sur la base d'un contrat moral. Le contrat moral veut dire ici, un engagement du

moment, une certaine volonté à se rencontrer, « l'engagement-acte. » Ce qui est différent de

ce que pourrait être l'engagement dans le temps, dans la durée, une volonté à construire la

relation avec ce que cela comporte d'imprévisible jusqu'à la limite du non possible et même

au-delà, une « conduite d'engagement » selon les termes de J. Ladrière. D'autant plus que le

projet est proposé dans une atmosphère amicale, c'est donc dire que la liberté du donner et

du recevoir doit être, que le rythme ne doit pas être dicté, mais au contraire évoluer de

façon libre, dans un univers de spontanéité. Ce non vouloir imposer va jusqu'à non pouvoir

inscrire le jumelage dans une dimension collective en taisant la responsabilité de

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l'intégration du nouveau venu dans un réseau social. Cette responsabilité d'intégration du

Québécois qui en aurait les capacités n'est pas dite par l'intervenante par crainte d'être trop

dirigiste.

Ainsi parce que les intervenantes, tout en ayant leurs propres représentions de ce que doit

être le jumelage, doivent tenir compte des motivations, des attentes et des représentations

des participants au jumelage, elles doivent composer avec des zones d'incertitude qui les

obligent à questionner leur pratique. Cependant, il ne faut pas oublier que le jumelage

s'inscrit avant tout dans une organisation, dans un système. Nous verrons que l'intervenante

en jumelage sera confrontée à de multiples contraintes et que celles-ci influenceront la

qualité de l'intervention. Par ailleurs, le jumelage est une rencontre entre des individus se

référant à un moment ou à un autre, et de façon variable, à des systèmes culturels,

économiques, politiques et sociaux différents. Cette rencontre peut donner à l'intervention

une difficulté supplémentaire car les intervenantes sont plongées au cœur de

l’interculturalité : espace d’interrogation, lieu de confrontation, de remise en question, de

redéfinition. Mais ces contraintes n'empêchent pas les interstices de liberté de l'intervention

où existent les pratiques silencieuses, pratiques de complicité avec la personne qui fait

appel à l'intervenante. Et si cette solidarité de base incite les intervenantes sociales à

recourir à l'immoralisme éthique, « un espace de résistance aux contraintes quelles qu'elles

soient » (Roy, 1992:62), celui-ci, comme nous le constaterons, les confronte à remettre en

question leur propre conduite, ainsi que le code moral qui doit aussi guider leurs

interventions.

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CHAPITRE VIII

Contraintes, réalités et difficultés en cours de jumelage

8.a. Sommaire

Le fait que le jumelage s'intègre de façon prioritaire dans une organisation et qu'il soit un

programme subventionné par l'État établit diverses règles dont certaines deviennent des

contraintes à l'intervention. Les contraintes organisationnelles (8.1.1) telles que l'horaire de

travail, l'importance accordée au jumelage par l'organisme, le mandat donné à

l'intervenante, de même que les contraintes structurelles (8.1.2) que sont les contraintes

reliées au manque de financement entraînant un roulement du personnel, influencent la

qualité de l'intervention. Les intervenantes devront aussi composer avec les contraintes

d’ordre relationnel telles que leur vécu, leur formation, leurs motivations, leur personnalité,

mais aussi le vécu, les motivations et la personnalité des acteurs avec lesquels elles

interagissent (8.1.3). Comme nous l’avons écrit, l'incertitude des intervenantes devant les

choix, incertitude liée à la prise de conscience des limites de leurs propres compétences est

ainsi doublée des contraintes qui se présentent à elles. La contrainte systémique qui définit

le critère de non-admissibilité des revendicateurs complexifie l'intervention du jumelage et

place les intervenantes dans une double situation « d'immoralisme éthique » : lorsqu'elles

refusent un grand nombre de candidats qui auraient besoin de ce programme de même que

lorsqu'elles occupent des espaces de transgression face au bailleur de fonds en jumelant ces

clients en attente de statut. Toutefois parce qu'elles occupent cet espace « illégal », les

intervenantes ne s'accordent pas le temps d'approfondir la réflexion sur les défis que pose

ce type de jumelage. La mention de ces contraintes ne doit pas, par contre, nous faire

oublier l’espace de liberté qu’occupent les intervenantes. Au chapitre précédent, nous avons

souligné que par la conscience ou l'intuition, elles apprivoisent les zones d'incertitude qui

leur permettent de manifester un « esprit d'invention.» Nous verrons au point (8.2.1.1) que

dans ces interstices de liberté, les intervenantes ont des pratiques silencieuses et que

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l'immoralisme éthique les confronte à questionner parfois leur propre conduite, ainsi que le

code moral qui doit aussi guider leurs interventions. Ces pratiques de complicité avec la

clientèle, cette complicité dans le non-dit, sur, entre autres les questions d'homosexualité ou

de pratique religieuse, ne doit pas par contre dépasser une certaine limite (8.2.1.2). Les

préjugés ne disparaissent pas comme par enchantement. Ainsi les intervenantes et les

jumelés sont plongés au cœur de l’interculturalité : espace d’interrogation, lieu de

confrontation, de remise en question, de chocs culturels (8.3.1). Les intervenantes tenteront

par les formations (8.3.2) de répondre à certains questionnements, cependant les zones

d'incertitude (8.3.3) provoquées par cet espace de remise en question qu'est l'interculturalité

les amèneront à questionner et à transformer leurs pratiques.

8.1. Les contraintes

8.1.1. Les contraintes organisationnelles

Le travail à temps partiel et à contrat ainsi que la double tâche consistant pour bon nombre

d'intervenantes à assumer le jumelage en même temps que l'intervention accueil et

établissement ont un impact sur la dynamique du jumelage. Le travail à temps partiel et la

double tâche auront comme conséquence que l'intervenante accordera peu de temps à

l'encadrement et au suivi du programme. Ainsi, dans certains organismes, il ne pourra y

avoir, faute de temps à y consacrer, des soirées de formation ou organisation d'activités

collectives. Certaines inviteront plutôt les jumelés à intégrer les sessions de formation sur

différentes problématiques qui se donnent aux nouveaux arrivants comme celle de la

Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) et du logement. Ces sessions se donnent le

jour. Pourtant, selon l'évaluation faite par deux organismes, et selon les résultats de la

recherche de Charbonneau et al (1999), si en ce qui concerne la nécessité des formations les

avis sont partagés, les participants au jumelage réclament davantage d'activités collectives.

Une autre difficulté de l'intervention jumelage concerne le fait que l'intervenante doive

travailler le soir ou les fins de semaine. Les contacts téléphoniques avec les futurs jumelés

se font le jour ou bien le soir lorsque les candidats sont absents lors de l'appel ou qu'ils

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demandent à être rejoints à la maison et non pas au travail. En ce qui concerne

l'organisation des activités collectives, celles-ci ont lieu, pour les formations, le plus

souvent le soir, pour les activités collectives, les fins de semaine. Cette difficulté devient

une contrainte du fait que certaines intervenantes ne peuvent ou ne veulent être disponibles

les fins de semaine. « Je suis très perplexe par rapport à ça ! », de s'exclamer l'intervenante

C, soulignant les conséquences d'une telle contrainte et la difficulté, voire l'impossibilité, de

changer les règles de fonctionnement du programme.

Enfin, la majorité des intervenantes sont confrontées à des contraintes financières : «J'ai

très peu de moyens pour ce projet de jumelage » déclare l'intervenante C.

8.1.2. Les contraintes structurelles

Une des difficultés concernant le programme jumelage, c'est le manque de financement qui

entraîne un roulement, un changement de personnel et la question du lien de confiance à

rétablir entre l'intervenante et les jumeaux : « Je suis en train de tisser ces liens là dans une

deuxième année, je pourrai développer ces liens (...) c'est un lien qui est à refaire, oui parce

que si j'appelle les gens de l'an passé, c'est moi (ce n'est plus x) ce n'est pas pareil, ils ne me

connaissent pas... » de déplorer les intervenantes F et E.

8.1.3. Contraintes reliées au parcours de l'intervenant

L'intervenante B identifie son inexpérience comme une des difficultés, qui selon elle, lui

fait commettre des « gaffes. » « Des fois je prends ça personnel ! » En effet, le fait de

perdre un bénévole ou un jumelé d'accueil peut être vécu de façon dramatique par les

intervenantes qui ont un manque criant de bénévoles et qui ont toutes à gérer une liste

d'attentes.

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Les « ratés » peuvent affecter les intervenantes qui doivent alors apprendre à établir une

distance professionnelle : « Je pense que c'est moi que ça a le plus affecté, c'est à moi de me

dégager de ça, c'est des ratés. J'essaie d'analyser ce qui a vraiment pas fonctionné : est-ce

moi qui suis en cause ou sinon, c'est quoi les facteurs qui sont en cause ? La prochaine fois,

je vais essayer de m'ajuster », nous confie l'intervenante B. Celle-ci, encore une fois, fait

preuve d'autocritique, de réflexivité dans l'action.

L'intervenante C, quant à elle, reconnaît ses limites et en même temps tout le défi qui

l'attend. Ce défi est source de stimulation pour elle. D'une part, parce qu'elle est en situation

d'apprentissage, donc de découverte de façons d'être et de faire, et d'autre part parce que les

aînés aussi le sont. L'intervenante est donc confrontée à amener les aînés à s'impliquer, car

selon les dires de l'intervenante C et du Forum des aînés, « amener les aînés à s'impliquer

actuellement, c'est très difficile. » Celle-ci se heurte à un double questionnement : est-ce

que les aînés sont prêts à s'impliquer socialement ? Est-ce que ceux qui sont prêts, veulent

s'impliquer auprès des nouveaux arrivants ? Cet espace d'innovation a, semble-t-il, un

impact positif sur le travail de l'intervenante : « Alors, ça veut dire que tu vas innover dans

ce domaine. » Travailler avec les aînés se révèle donc être à la fois un avantage et un

inconvénient : avantage parce qu'étant un terrain vierge, l'intervenante a tout le champ libre

pour innover, mais inconvénient parce que l'intervenante aura beaucoup de travail de

sensibilisation à faire.

L'énergie que met l'intervenante C dans le jumelage est liée à sa personnalité et à ses

convictions : « Je suis une individualiste forcenée ! » affirme-t-elle. Ce trait de caractère

fait qu'elle croit au microsocial, aux actes individuels. Ces actes individuels qui se

concrétisent au sein du jumelage ajoutent, selon elle, un plus à la politique d'intégration, à

l'idéologie proposée par le gouvernement. Car, selon l'intervenante B, « malgré la bonne

volonté gouvernementale, si les gens ne se sentent pas concernés, responsables, il ne se

passera rien au niveau de l'intégration. »

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8.1.4. Contrainte de l’admissibilité et du contexte d’immigration en ce quiconcerne les revendicateurs

En ce qui concerne les revendicateurs, l'intervenante C, comme la majorité des

intervenantes, n'est pas d'accord avec leur non-admissibilité au programme jumelage telle

que dictée par le MRCI. Cette intervenante considère, comme d'autres avant elle, que cela

va à l'encontre de la mission humanitaire puisque, de toute façon, selon elle, dans l'absolu

80%82 des revendicateurs sont acceptés. Par contre, celle-ci est consciente qu'elle doit se

conformer aux critères établis par le MRCI pour obtenir la subvention. Une fois encore, la

tension est manifeste entre répondre à la mission humanitaire et communautaire et répondre

à la mission de l'organisme telle que définie par le MRCI, subventionnaire.

D’un autre côté, toujours selon l'intervenante C, ce n'est pas le fait d'être revendicateur qui

devrait être le facteur à considérer pour le jumelage, mais bien le facteur « disponibilité

dans la tête » qui est un facteur important. Parce que, comme elle le rappelle, les

revendicateurs sont aussi à cheval entre deux pays et souvent ce qu'ils ont laissé derrière

eux ce n'est pas « jojo » . L'intervenante G précise que ce manque de disponibilité des

revendicateurs peut faire échouer le jumelage : « J'ai un jumelage qui n'a pas fonctionné à

cause de ça » souligne-t-elle. Car si le jumelé québécois apporte un soutien moral au

revendicateur en attente de statut, la situation de ce dernier crée chez le jumelé une certaine

inquiétude. Et ces moments de vide ou de trop plein suscitent chez le jumelé d'accueil une

certaine perplexité, car il ne comprend pas le motif de ces « absences » de son jumelé

immigrant.

Ainsi la stratégie de l'accommodement/transgression est utilisée dans le cas des

revendicateurs. Cette stratégie est appliquée selon différentes normes et différents motifs et

emprunte diverses voies. Par exemple, l'intervenante G ajustera ses interventions selon les

difficultés rencontrées; dans ce cas, les critères du ministère ne sont pas du tout pris en

82 Dans les faits un peu plus de 40% des demandeurs d'asile sont acceptés

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261

compte. À l'automne 96, l'intervenante G disait : « J'essaie de ne pas prendre de

revendicateurs (...), ce sont des gens qui commencent à s'installer, qui ne sont pas à l'aise,

qui sont encore avec ces problèmes, ils ne peuvent s'épanouir comme les autres qui sont

déjà établis; qui à la , maison parlent français, cherchent un emploi » . Quelques mois plus

tard, en février 1997, cette même intervenante disait : « Les revendicateurs, je m'en fiche,

(de l'interdiction du ministère) je les jumelle. » Et l'intervenante le fait malgré que le

directeur lui dise : « Essaie de ne pas jumeler des revendicateurs. » À l'automne 1997,

changement d'attitude de l'intervenante : celle-ci nous confie qu'elle ne veut plus jumeler

les revendicateurs parce qu'avec eux « c'est trop difficile. » Ce trop difficile signifie que

certains jumelages ont mal fonctionné, se sont mal terminés notamment parce que le

revendicateur n'est pas disponible. L'intervenante G revient alors à l'analyse qu'elle en

faisait en 1996, c'est-à-dire qu'elle essaie de ne pas inscrire les revendicateurs. Ce va-et-

vient entre l'inclusion et l'exclusion des revendicateurs au sein du programme jumelage

révèle la tension à laquelle est soumise l'intervenante G, confrontée en même temps à

vouloir répondre aux besoins humanitaires des revendicateurs et aux besoins relationnels

des jumelés québécois. Parfois les besoins humanitaires ne correspondent pas aux besoins

relationnels parce que le jumelage est appréhendé dans une perspective d'échange et de

reconnaissance et dans une atmosphère détendue alors que le revendicateur est préoccupé

par sa propre situation, en attente de reconnaissance de son propre statut. Le MRCI ne

subventionne pas les services rendus, outre le logement, aux revendicateurs. L'organisme

communautaire qui répond aux besoins des revendicateurs de statut assume la

responsabilité de donner des services à cette « clientèle » en accord avec sa mission

humanitaire et communautaire. Ce faisant, il court le risque de surcharger ses intervenantes.

Toutefois, dans ce cas-ci, ce n'est ni la raison humanitaire, ni la raison politique qui semble

être en cause, mais une situation conflictuelle liée à l'état de revendicateur qui dépasse la

politique et l'humanitaire. Une situation qui demande une attention particulière si on vise le

dénouement, la diminution des tensions engendrées par la problématique du sujet, la

situation d'être revendicateur. La stratégie adoptée par l'intervenante G est celle de

l'accommodement/dissimulation : « Parfois je le dis, parfois je ne le dis pas qu'ils sont

revendicateurs, pour ne pas choquer, ne pas brusquer, ne pas faire peur, mais dire assez

pour mettre la puce à l'oreille, pour sensibiliser, je dis aux Québécois : ils sont entrain de

faire leurs démarches, parfois ils sont angoissés. »

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262

Est-ce que dire « ils sont revendicateurs » pourrait faire en sorte que personne ne voudrait

être jumelé avec eux ? C'est une possibilité, et cette crainte pourrait être liée, selon nous, à

l'incompréhension chez les Québécois de la situation qui porte le revendicateur à fuir son

pays et à demander un statut de réfugié. Cette incompréhension fait naître la crainte, qui

elle est alimentée par les préjugés véhiculés par les médias qui associent souvent réfugié et

extrémiste. La stratégie adoptée par l'intervenante G en est une de non confrontation des

représentations, de non-dévoilement de la réalité, stratégie de la dissimulation pour que

l'objectif de faire un jumelage soit atteint.

Les intervenantes B et C adopteront une autre stratégie celle de la mention, du dire. Elles

mentionnent aux jumelés que chaque parcours migratoire imprègne la relation du jumelage

d'une certaine atmosphère, et elles révèlent l'impact des choix ou des non-choix

migratoires. Elles questionnent même parfois les objectifs tels que proposés dans le cadre

du jumelage. En ce qui concerne le jumelage avec des réfugiés qui ont fui la guerre et aussi

avec les revendicateurs, cette sensibilisation à la réalité du parcours migratoire pourra avoir

un impact dans « l'échange culturel » Car comme le souligne l'intervenante C : « : Quand

on propose aux émigrants de faire découvrir leur pays et leur culture et qu'eux ils ne veulent

plus entendre et surtout ils ne veulent pas parler de leur pays, il peut y avoir une frustration

de la part du jumeau québécois si telle était sa motivation à être jumelé. »

Par ailleurs, le fait d'être revendicateur, le fait d'être dans une situation de rupture, de

séparation, d'exil, d'attente d'une décision qui déterminera le parcours de vie à venir,

complexifie le déroulement de la relation de jumelage. Parce que, comme le rappelle

l'intervenante C : « Le revendicateur, parfois il est pris dans la situation de revendication ou

bien de refus si on ne l'a pas admis, ce qui fait qu'il vit beaucoup de problèmes. » Cette

situation fera « que la personne ne respectera pas les rendez-vous ou alors qu'elle ne

communiquera pas beaucoup avec l'autre personne », précise l'intervenante G. Alors que

l'autre, si elle est jumelée, poursuit l'intervenante C, « c'est pour avoir un contact, c'est pour

parler, c'est pour discuter... »

Parmi la « clientèle » immigrante de l'organisme I, 25% sont des revendicateurs, cette

clientèle est non-admissible au programme de jumelage. Comme les autres acteurs des

organismes de service aux nouveaux arrivants, les intervenantes et la directrice occupent

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des espaces de transgression face au principal bailleur de fonds qu'est le MRCI. De même

fait l'intervenante H qui ajoute :

Parfois je ne suis pas les critères du ministère, les revendicateurs ça n'entre pas dans les

statistiques, mais ça n'empêche pas que moi je jumelle des revendicateurs. La plupart qui

viennent ici au cours de français, la plupart ce sont des revendicateurs, et ces personnes

veulent s'intégrer, donc pourquoi on ne peut pas leur offrir le jumelage ?

Selon l'intervenante H, la différence entre les indépendants et les réfugiés se situe au niveau

du projet d'immigration. « Les revendicateurs, on les accepte et ceux-ci sont nombreux à

l'organisme. »

D'autres intervenantes se plient aux règles gouvernementales tout en adoptant différentes

stratégies d'action. À l'organisme E, l'intervenante déplore que « les femmes doivent avoir

le statut, on ne doit pas les accepter si elles sont revendicatrices, ça me touche (...), elles ont

besoin, car l'intégration est plus lente. » (intervenante E.) Comme certaines de se collègues

en jumelage, l'intervenante I répond à l'entente avec le ministère en faisant le nombre

demandé de jumelages admissibles, puis elle jumelle les non-admissibles. Celle-ci souligne

des points extrêmement positifs propres à ce type de jumelage, telle la joie partagée par le

jumelé d'accueil lors de l'acceptation de la demande de statut de réfugié de même que sa

prise de conscience de la complexité de la situation du revendicateur. L'intervenante I dit :

« Ils (les jumelés d'accueil) vont me demander comment il se fait qu'ils ne vont pas leur

donner leurs papiers » . Ainsi pour contrer la méconnaissance des faits reliés à

l'immigration, les jumelés seront invités à assister à des ateliers sur, entre autres, le droit à

citoyenneté, le parrainage et le processus de revendicateur.

L'intervenante C adopte, quant à elle, une stratégie pour pallier le manque d'échange afin de

diminuer la frustration du jumelé d'accueil. Elle donne de la documentation sur le pays et

sur la communauté ethnique d'ici, tout en étant consciente comme elle le dit « que ça ne

remplace pas le discours, la représentation que pourrait en donner celui qui vient d'ailleurs

» , celui qui y a vécu, qui y a grandi : « J'essaie de la combler, mais je ne la comble pas

complètement. », précise-t-elle. De plus l'intervenante considère qu'il y a un risque à trop

pallier, celui de tomber dans les préjugés. Mais l'intervenante C considère les jumeaux

québécois qui sont confrontés à cette situation, respectueux de l'émigrant et de ce qu'il vit.

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Cette constatation est le fruit de quelques évaluations : « J'ai écouté dire des aînés, bon ils

souhaiteraient qu'il leur parle plus, mais ils voyaient qu'il faut qu'il fasse son chemin, peut-

être qu'un jour… » Cette attitude compréhensive, empathique permet, selon l'intervenante,

que la relation perdure malgré ses silences. « Sans que ça devienne un obstacle à la relation,

finalement ! » De façon paradoxale, malgré ces difficultés reliées à la situation du jumelé

qui est en attente de reconnaissance du statut de réfugié, l'intervenante I ne voit pas de

différences entre les revendicateurs et les autres immigrants jumelés avec les Québécois.

Outre « le fait qu'ils aient autre chose à faire » déclare l'intervenante, « c'est la même chose

. » Elle nous affirme que les Québécois ne lui donnent que des choses positives comme

feed-back. Et l'intervenante I explique cette situation par le fait que les revendicateurs

gardent le silence sur leur situation. « Leur souci, dit-elle, c'est seulement d'être acceptés,

jamais ils ne vont parler de leurs problèmes. »

Ne faut-il pas se demander si ce silence « plein d'absences », habité par l'anxiété face au

passé douloureux, au présent invivable, et à l'avenir incertain ne pèse pas non plus sur la

relation de jumelage ? Nous nous demandons aussi si « cette autre chose à faire » ne

devrait pas être davantage prise en compte par l'intervenante car celle-ci se traduit en une

non-disponibilité.

L'intervenante H, quant à elle, mentionne la non-logique du système qui offre le minimum

pour que le revendicateur puisse vivre, « plutôt survivre ici », mais qui ne lui permet pas

d'établir de relations humaines. Alors que, selon-elle, 50% d'entre eux sont acceptés. La

logique administrative qui sous-tend cette non logique est dans le fait que c'est le

gouvernement fédéral qui doit débourser pour les revendicateurs puisqu'ils sont sous

responsabilité fédérale, alors que les services d'accueil et d'intégration sont depuis 1991,

suite à l'accord Canada/Québec, sous responsabilité provinciale.

Lors de notre entretien, l'intervenant F nous confiait : « Entre nous (les intervenantes), la

question des revendicateurs, on n'en parle pas ». Ce dernier commentaire fait référence aux

normes prescrites, par le bailleur de fonds et par certains directeurs qui veulent passer sous

silence le fait qu'ils donnent tout de même des services à une clientèle inadmissible, selon

les critères de subventions, donc qui les mettent « hors-la loi » face au bailleur de fonds.

Les intervenantes ne doivent pas s'immiscer dans les normes administratives et les débats

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265

politiques. De fait la question des revendicateurs préoccupe les intervenantes, mais étant

donné la situation d'interdiction, elles ont inscrit cette question au dernier rang de leurs

préoccupations en terme de formation, selon un sondage distribué par le Réseau jumelage

en 1998. Ce qui ne signifie pas pour autant qu'elles ne sachent pas que la résolution du

problème demanderait d'autres types d'action, entre autres des formations spécifiques aux

bénévoles et une sélection plus pointue et particulière des jumelés d'accueil qui

démontreraient des compétences essentielles à ce type de jumelage (ex : étudiants en travail

social ou travailleur social), ainsi que des sessions d'information adaptées aux

revendicateurs sur ce qu'est le jumelage, ses apports et ses limites.

8.2. Le lien entre l'intervenante et les jumelés

8.2.1. Des pratiques silencieuses

8.2.1.1. La complicité avec les aînés

Certaines pratiques silencieuses ajoutent à la qualité de l'intervention par la douceur de

l'attention portée à l'autre, la prise en compte attentive de sa réalité. Par exemple,

l'intervenante C tient compte de l'âge de ses jumelés d'accueil et de l'impact de celui-ci sur

leur mobilité; parfois elle va réaliser la première rencontre entre jumelés au domicile de

l'aîné. D'une part, parce qu'elle considère l'âge de l'aîné, d'autre part, parce qu'elle sait que

le fait pour un aîné de recevoir chez lui, « c'est considérable symboliquement, et les

immigrants s'en rendent compte assez rapidement, ici ouvrir sa porte dans une société où la

sphère privée est si importante, ça signifie que la personne a déjà fait un pas vers l'autre. »

Dans ce cas, la règle de l'intervenante, c'est de faire en sorte que ce soit convivial « parce

que c'est très important le premier contact. » Donc si c'est possible, elle tend vers cette

pratique silencieuse qui en est une de sympathie envers les aînés. « Ca veut dire que moi je

cours à gauche et à droite et cela pas nécessairement pendant les heures de travail. » Donc

ce qui pourrait n'être considéré qu'un handicap (la mobilité réduite de l'aîné) se transforme

en un geste au pouvoir évocateur par la symbolique de l'accueil que lui attribuent l'aîné et

l'immigrant. L'intervenante tente aussi de jumeler des résidents du même quartier, par

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266

contre, cette préoccupation ne l'empêche pas de jumeler des résidents de quartiers éloignés,

ce qui permet parfois de franchir d'autres types de barrières à l'intégration, des« frontières

symboliques » notamment dans le cas d'un jumelage où l'un réside dans un quartier au sud

ouest de St-Laurent/ l'autre au nord-est de St-Laurent. Le jumelage, en faisant voyager les

jumelés d'un espace géographique à l'autre, en traversant la frontière que représente dans la

réalité et dans l'imaginaire montréalais la rue St-Laurent, aura permis de franchir cette

distance entre deux univers linguistiques, deux héritages socio-historiques, et dans certains

cas deux classes sociales.

Le mélange d'humanisme et de sensibilité va faire en sorte que les intervenantes se sentent

responsables de leurs jumelés avant et au-delà de la relation du jumelage. L'intervenante G

résume ainsi la qualité de ce lien : « Même si je ne le jumelle pas tout de suite, je ne vais

pas le délaisser. (...) Moi je suis toujours à l'affût des demandes. » Les intervenantes

peuvent par ailleurs devenir une source de renseignements pour différents services, par

exemple en ce qui concerne la recherche d'un emploi. Elles peuvent aussi devenir

intermédiaires entre les jumelés, pour qu'ils créent un réseau d'entraide : « C'est de

s'entraider entre eux (...) il arrive que les jumeaux, ils établissent des liens avec d'autres

jumeaux » précise l'intervenante G, mais jusqu'où peuvent-elles multiplier ces « pratiques

silencieuses ? »

Une intervenante résume en ces termes la position de ses paires; celle-ci considère que les

gens « sont responsables de leur jumelage, dans le sens qu'ils doivent s'affranchir de sa

présence. » Si elle est conseillère, si elle est soutien, si elle peut être médiatrice lorsqu'il y a

des incompréhensions, elle souligne qu'il y a des limites à la médiation. Toutefois, ces

limites n'étant pas définies, les intervenantes peuvent être tentées d'outrepasser le rôle de

conseillère en s'introduisant dans l'espace décisionnel qui appartient au jumelé.

Nous mentionnons le cas d'une femme musulmane qui demandait à être jumelée avec un

homme lettré. L'intervenante G lui a bien fait voir que cela pourrait créer des problèmes

dans son couple « il faut que tu préviennes, je l'ai mise en garde, ce sont des musulmans,

mais ça aurait pu être des Québécois.

Cet exemple nous amène à interroger les limites du rôle de conseillère de l'intervenante.

Dans ce cas-ci, c'est le fait que la femme demande à être jumelée avec un homme qui, selon

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267

l'intervenante, posait problème. On peut présumer qu'une femme adulte a pesé le pour et le

contre d'une telle décision avant d'en faire la demande et que si sa décision a un impact

dans son couple, c'est à celui-ci qu'il revient de régler les tensions. Même si l'intervenante

peut avoir en mémoire d'autres cas où le fait de réaliser un jumelage « mixte », c'est-à-dire

entre un homme et une femme a pu poser certains problèmes chez le (la) conjoint (e), du,

de la jumelé (e), il nous semble important que les intervenantes soient constamment

vigilantes à respecter la frontière entre conseil et risque d'intrusion dans l'espace de l'autre.

8.2.1.2. La complicité dans le non-dit

Il arrive aussi que l'intervenante G se fasse complice du non-dit. Elle nous a décrit le cas

d'un nouvel arrivant qui désirait être jumelé, mais qui avait peur des préjugés à son égard

parce qu'il est de religion musulmane : « Je suis musulman, mais je ne veux pas être jugé.

», lui aurait-il dit. L'intervenante G accepte d'être son adjuvante, de garder le secret. Elle lui

dit en inscrivant sa religion sur sa fiche d'inscription : « c'est pour moi, c'est pour ma fiche

» tout en le prévenant : « Il va y avoir un moment donné où vous devrez dire que vous

êtes musulman. » Nous nous sommes demandée s'il s'agissait dans ce cas d'une

dissimulation ? Puis il nous a semblé que l'intervenante voulait répondre à la demande du

jumelé, qui craignait le rejet. La responsabilité de dire, de révéler sa religion, revient au

jumelé. L'intervenante G respecte son choix. Il se peut que cette stratégie porte fruit. Il se

peut que le jumelé d'accueil, qui aurait eu peut-être une certaine réticence à être jumelé

avec un musulman, en viendra, avec le temps, avec le développement du lien

interpersonnel, à accepter les convictions religieuses de son jumelé. Connaître c'est

démystifier. Par contre, le jumelé d'accueil qui lui n'a aucun préjugé ou malaise à être

jumelé avec un musulman s'étonnera peut-être du non-dit. Mais n'existe-il pas aussi la

possibilité que le jumelé d'accueil qui aurait des réticences à être jumelé avec une personne

qui pratique une religion en observant certains rituels et normes, se sente trahi, dupé et que

le choc de la vérité crée le ressentiment face à l'autre, face à l'intervenante ou pire le rejet ?

L'intervenante devrait alors vérifier auprès du futur jumelé comment il entrevoit une

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268

relation de jumelage avec une personne de religion musulmane afin de prévenir tout risque

de dérapage.

L'intervenante G a adopté la même attitude de complicité dans le non-dit, en ce qui

concerne l'homosexualité. Toutefois, dans ce cas, tout en se faisant complice, elle déclare

ses propres préjugés : «Si tu veux le dire que tu es une tapette, c'est à toi de le dire. »

L'homosexualité est, tout comme la question de la santé mentale, un aspect délicat du

jumelage; délicat parce que face à ces deux problématiques les intervenantes n'ont pas

l'impression d'avoir les compétences requises pour intervenir adéquatement. En ce qui

concerne l'homosexualité, les intervenantes se posent des questions sur le dire et le non-

dire, sur les limites de leurs responsabilités, sur le rôle d'intermédiaire qu'elles doivent

assumer auprès des jumelés qui leur confient leur orientation sexuelle. En ce qui a trait à

celle des femmes, Daignault (1996), dans son rapport, fait référence au lesbianisme : il en

ressort que certaines Québécoises le disent ouvertement lors des entrevues de sélection,

alors que les immigrantes émettent pour leur part des réticences, voire leurs objections, à

être jumelées avec des femmes lesbiennes. Daignault écrit : « Lorsque nous leur posions la

question : "Y a-t-il des personnes avec qui vous ne voudriez pas être jumelées ?" La

réponse la plus fréquente était "des lesbiennes." « Cette fermeture, poursuit Daignault,

s'explique par des facteurs d'ordre culturel et par un manque d'information. » Craignant des

heurts ou même des expériences de rejet, les intervenantes de cet organisme ont employé

diverses stratégies : jumeler une femme qui dit son homosexualité avec une femme ouverte

d'esprit ou face au non-dit, demander l'orientation sexuelle en précisant le contexte de la

demande, provoquant souvent malaise ou même heurt. Daignault écrit : « Nous étions donc

devant un problème d'éthique quelque peu difficile à résoudre. » Les intervenantes

entrevoyaient deux possibilités : l'approche directe qui consiste à demander l'orientation

sexuelle, au risque de heurter ou l'évitement qui fait en sorte de ne pas en parler afin de ne

pas risquer le bris de certains jumelages ou de ne pas provoquer l'exclusion des lesbiennes.

Après avoir demandé l'opinion de lesbiennes déclarées, les intervenantes ont alors réalisé

que la façon d'être et de faire variait d'une femme à l'autre. Certaines lignes de conduite

furent ainsi statuées : lors des entrevues de sélection, la question ne serait plus abordée de

façon directe, mais l'attention aux signes d'intolérance serait maintenue. Dans le but de

réduire les risques de bris de jumelage, les intervenantes informaient les participantes

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québécoises de l'attitude de la majorité des immigrantes concernant l'homosexualité.

Daignault dit : « Nous avons fait l'hypothèse que si les lesbiennes ne s'affichaient pas

comme telles lors des entrevues de sélection, il y avait de fortes chances qu'elles n'ouvrent

pas sur le sujet avec leur jumelée, à moins que le développement d'un lien de confiance

vienne à permettre suffisamment d'ouverture pour qu'elle puisse finalement aborder ce

sujet. » Un peu plus loin, Daignault ajoute : « Depuis la mise en place de ces lignes de

conduite, aucun incident de rejet ou d'intolérance n'a été signalé en regard de participantes

lesbiennes. Nous croyons que l'information et la sensibilisation lors des entrevues de

sélection suffisent à éviter des situations de discrimination se rapportant à l'orientation

sexuelle et des atteintes à la vie privée de certaines femmes. » (1996:57-58).

La problématique de l'homosexualité masculine liée au jumelage a été soulevée au Réseau

jumelage. Un atelier discussion sur cette question a eu lieu en février 2001. Les

intervenantes ont souligné le fait que demander l'orientation sexuelle des gens soulève un

problème d'éthique et que de plus cela allait à l'encontre de la Charte des droits et libertés.

Suite à la discussion, les intervenantes ont proposé quelques stratégies : donner de façon

systématique une feuille aux futurs jumelés sur ce qu'est et ce que n'est pas le jumelage,

clarifier les attentes, clarifier les responsabilités des uns et des autres, faire des mises en

situation préventives pour vérifier le degré d'ouverture, par exemple, un homme est-il à

l'aise d'envisager aller au cinéma ou au restaurant avec son jumelé ? Mais comme l'a

souligné une intervenante, malgré toutes les mesures prises pour ne pas qu'il y ait «

d'élément surprise », « on ne peut tout contrôler, car ce sont des relations humaines. »

Celle-ci indique ainsi la limite de son rôle d'intermédiaire et la part de responsabilité qui

incombent aux jumelés. Les intervenantes reviendront en Réseau à l'automne 2001 pour

évaluer la mise en pratique de ces stratégies.

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8.3. La rencontre interculturelle

8.3.1. Lieu des chocs culturels

Le jumelage, lieu par excellence de chocs culturels, peut amener les personnes qui s'y sont

engagées à prendre de la distance par rapport à leurs valeurs et à les relativiser; ce qui ne

veut pas dire, selon l’intervenante C que les préjugés disparaissent comme par

enchantement, « mais ça permet d'avoir une perception moins catégorisante, plus

individualisée, donc plus nuancée. » L'intervenante B cite un couple pour qui l'expérience

de jumelage aurait permis un changement au niveau des préjugés : « Ils ne disent plus les

Noirs sont comme ci, comme ça, mais ce jeune est comme ça et ce n'est pas parce qu'il est

noir... » Le jumelage permettrait ainsi d'individualiser l'autre.

L'intervenante B se rend compte qu'en étant dans ce milieu-là, la connaissance ou la

perception des différences culturelles ou de l'intégration des gens « c'est à différents

niveaux » . Pour elle, l'interculturel est un aspect, « ça dépend comment la personne est

consciente du trajet migratoire; l'interculturel c'est l'œil de l'autre. »

D'ailleurs, certains préjugés tenaces ou certaines habitudes, jugements ou comportements

bien ancrés dus, entre autres à l'âge, pourront devenir un obstacle à la poursuite de la

relation ou pourront rendre l'atmosphère de la relation plus tendue. L'intervenante C

remarque : « Il peut y avoir un très beau discours intellectuel sur la tolérance et tout ça,

mais quand tu te trouves face à l'autre, c'est plus dans les tripes que ça se passe. »

Comme dans toute forme de rencontre, et ça se révèle peut-être de façon plus évidente lors

de la rencontre interculturelle, l'autre peut-être stigmatisé au moindre « incident critique » à

sa condition première d'étranger. Étranger donc différent de soi, différent de soi parce

qu'autre; cette condition d'être différent est alors considérée comme étant une prédisposition

à certains agirs.

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271

Comme le souligne l'intervenante C, l'incident critique peut faire basculer dans le

renforcement du préjugé ou au contraire faire en sorte que celui-ci sera déconstruit. La

personne âgée sera peut-être davantage interpellée, car elle devra remettre en question des

conceptions acquises au fil des ans qui sont solidement ancrées en elle et profondément

assimilées. L'intervenante C mentionne le cas d'une dame âgée, confrontée à plusieurs

chocs culturels en même temps, qui a réussi à dénouer l'impasse grâce à l'affection qu'elle

portait à l'enfant de sa jumelée. La tension était à ce moment là dans le devoir poursuivre la

relation, et l'enjeu tournait autour du vouloir/non pouvoir.

L'aînée était prise dans un dilemme. Elle devait aider l'immigrante et sa fille parce que

celles-ci vivaient dans une situation de pauvreté et l'aînée ne peut accepter que des

personnes à qui elle voue de l'affection puissent vivre dans cette condition; l'aînée était

indignée, voire choquée, par l'insalubrité des lieux où vivait l'immigrante. Cette tension

amena l'aînée à une prise de conscience de l'engagement affectif et de la responsabilité du

lien. Le choc venait aussi du fait que celle-ci prenait conscience qu'elle était liée

affectivement à des gens d'une autre condition sociale : vouloir aider l'immigrante, mais

non pouvoir parce que confrontée au choc de la pauvreté et de l'insalubrité (présence de

coquerelles) qui lui inspirent peur (liée à la méconnaissance des modes de propagation et à

la crainte d'en avoir chez elle). L'aînée était paralysée devant cet état de fait : rendre visite à

ses jumelés là où il y a des coquerelles ou leur dire de lui rendre visite avec le risque

appréhendé qu'elles en transportent avec elles. La présence de coquerelles est associée à la

saleté des occupants, association qui réactive le préjugé Noir = pauvre = saleté = rejet.

L'aînée a ressenti alors un sentiment d'impuissance devant une situation qui semblait être

sans issue, elle est allée chercher l'aide de l'intervenante. « Il y avait plusieurs chocs en

même temps en termes de prise de conscience », de préciser l'intervenante C : « À un

moment donné, ça a renforcé les préjugés qu'elle avait sur les Noirs, puis elle a vu que sa

jumelée n'était pas responsable de l'état des lieux. » L'intervenante est alors intervenue en

demandant à la jumelée si elle voulait, pouvait déménager (il s'est avéré qu'elle a

déménagé) tout en disant à l'aînée qu'elle avait la responsabilité de régler avec sa jumelée la

question de ses préjugés et sa phobie des coquerelles. « Ça a failli basculer dans le

renforcement du préjugé et puis finalement ça a été cassé. », conclue l'intervenante.

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La sympathie que celle-ci ressent envers ses jumelés lui permet d'établir un lien de

confiance nécessaire à la position de médiatrice qu'elle doit adopter afin de dénouer la crise

dans des cas aussi critiques (entretien de validation, mars 1998). Comme nous l'avons

souligné précédemment, le lien social, lien primaire, que l'intervenante a à maintenir avec

les jumelés priment sur le lien formel secondaire défini par son statut professionnel. Ainsi,

c'est par sa qualité d'artisane du lien social, qui implique entre autres sa facilité d'être

créatrice, médiatrice et « agente de liaison » (M. de Certeau, 1983, cité dans Lavoué 1986)

que l'intervenante fera reconnaître ses compétences professionnelles et sera appréciée des

jumelés.

Le fait aussi qu'elle offre aux jumelés dès le départ, dès la première rencontre sa

disponibilité lorsqu'ils ressentent le besoin de parler de certaines difficultés ou autres

permet d'établir ce lien de confiance. L’intervenante C devient ainsi une adjuvante dans

l'atteinte de l'objectif qu'est le rapprochement dans la rencontre interculturelle, mais parce

que la relation est un processus, surviendront d'autres difficultés, d'autres préjugés.

L'intervenante B cite le cas d'un rendez-vous manqué qui a réanimé le préjugé : rendez-

vous manqué = immigrants nonchalants, insouciants. « Parce que le jumelage, rappelle

cette dernière, est une relation en développement avec ses hauts et ses bas, c'est un espace

fragilisé, c'est une relation qui est exigeante . »

Les points de convergence entre les jumelés, « tout en nuançant » souligne l'intervenante C,

se révèlent être des facteurs de réussite pour le jumelage intergénérationnel. Ces points de

convergence sont entre autres certaines valeurs communes telles l'importance accordée à la

famille et à la religion dans la vie des nouveaux arrivants et des aînés. Ce que les

intervenantes apprennent ou plutôt redécouvrent à chaque fois, c'est que jamais rien n'est

acquis une fois pour toutes, comme le souligne l'intervenante C :

Le jumelage comme tout le débat interculturel est ambigu et cette ambiguïté tu vas la

retrouver au niveau des individus. C'est tout le grand débat interculturel au Québec... et

c'est peut-être la chose la plus concrète, le jumelage, et c'est tout le grand débat... au niveau

des individus... il n'est pas clos..., mais les intervenantes sont confrontées à ça par rapport

aux contraintes, au temps.

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273

8.3.2 Améliorer la connaissance de l'autre par : la formation

Les intervenantes de deux organismes (D et H) demandent aux Québécois d'assister à une

réunion de témoignage avant le jumelage et on leur offre la possibilité d'assister par la suite

aux réunions de témoignage-formation.

Les autres organismes donnent des formations ou cafés-rencontre aux jumelés nouveaux

arrivants et Québécois. Les rencontres portent soit sur le phénomène migratoire et les

étapes d'intégration, soit sur un pays et sa culture ou sur le profil d'une communauté

culturelle à Montréal, soit sur un aspect de l'interculturel ou sur les services donnés par

l'organisme.

L'intervenante B se rend compte, en étant dans ce milieu-là, que la connaissance ou la

perception des différences culturelles ou de l'intégration des gens se retrouve à différents

niveaux. Pour elle, c'est un gros défi et elle tient à le dire : «Si le gouvernement croit que

c'est facile avec les immigrants, qu'on s'entend super bien eh ! bien ils sont à côté de la

track ! »

Au moment de l'entrevue, l'intervenante B réfléchissait à savoir si elle allait inviter tous les

jumelés immigrants et Québécois à débattre de certains thèmes, par exemple l'intégration :

« Je ne suis pas sure que l'immigrant ça va l'intéresser d'intellectualiser ce qu'il vit tous les

jours. » L'intervenante offre depuis des soirées thématiques interactives où il y a

présentation d'un sujet : sur l'histoire de l'immigration au Québec et d'autres politiques

d'immigration dans d'autres pays, sur les défis de l'immigration, sur les différents statuts et

leur impact sur la vie des nouveaux arrivants au Québec. La préoccupation de l'intervenante

est « de donner la parole aux gens », de les rendre sujets, dirons-nous. « Quand on est trop

formel, précise l'intervenante B, les gens ne vont pas trop s'exprimer. » Nous avons assisté

à la première rencontre; les jumelés (une dizaine) ont semblé apprécier ce type de rencontre

où ils ont l'occasion d'apprendre et en même temps de témoigner; le don/contre-don, la

rencontre avec l'autre a vraiment lieu. Ce type de soirée semblait être un lieu privilégié de

rencontre entre les citoyens de différentes origines aux parcours de vie différents et

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contribuait par le témoignage d'expériences de vie et par la conscientisation de la

problématique de la diversité à l'intégration d'une société plurielle. Force est de constater

que notre enthousiasme était par trop subjectif de même que la formule peut-être pas tout à

fait adéquate puisque la deuxième soirée prévue a été annulée : une participante a dit que

c'était trop théorique, d'autres étaient non-disponibles. L'intervenante a par la suite intégré

la rencontre à la fête de Noël.

Pour sa part, l'intervenante C ne croit pas aux formations formelles avant le jumelage,

formations au cours desquelles on transmet beaucoup d'informations en guise de mise en

garde ou de renseignements sur le type de difficultés que les jumelés d'accueil pourraient

rencontrer. « Moi je trouve que l'interculturel, c'est dans l'action (...) dans le jumelage on est

dans le savoir-être. » Si elle donnait une formation structurée, ce serait concernant le choc

culturel, mais tout en disant cela, l'intervenante C souhaite que « les jumelés eux-mêmes

deviennent les porteurs du projet. » Tout comme l'évaluation, elle dit faire une formation

au cas par cas lors des rencontres individuelles. Elle dit exercer plutôt de la « réduction

d'inquiétude » lorsqu'elle rencontre le futur jumelé seul à seul ou lorsqu'elle a un contact

téléphonique avec lui. Ainsi tente-elle de conseiller et d'amener le jumelé à relativiser son

point de vue, à ouvrir son angle de perception : « Ils interprètent ça comme ça et je leur dis

et si vous, vous regardiez ça comme ça. »

Par ailleurs, la formation aux jumelés, notamment lorsque celle-ci est donnée par une

consultante et porte sur des zones sensibles, telle que celle des rapports homme/femme,

peut être bénéfique pour les intervenantes. Tel fut le cas pour l'intervenante F qui,

déstabilisée, confrontée à une remise en question d'une des

« images guides » (Chombart de Lowe, cité par Cohen -Émerique, 1993) de la société

québécoise, la relation homme/femme et l'autonomie de la femme, a trouvé dans la

formation une façon de sortir du traumatisme. Ce traumatisme était lié à la confrontation

des notions de liberté/ non-liberté, d'autonomie/ de non-autonomie. L'intervenante a alors

analysé son sentiment de menace face à son propre espace de liberté : « Moi c'est venu

m'aider dans mon intervention. » L'atelier qui est conçu au départ pour les jumelés devient

ainsi un outil pour l'intervenante. La consultante a aussi réconforté l'intervenante dans son

rôle « d'interprète de sa culture. »

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Il n'y a donc pas consensus parmi les intervenantes sur d'une part la nécessité de former les

jumelés et d'autre part sur la nécessité de les former avant leur implication effective dans le

jumelage. De plus la tendance irait davantage sur l'utilité de donner des formations à propos

du savoir-être plutôt que sur le savoir-faire.

8 3.3. L'interculturel et les zones d'incertitude dans l'intervention

La principale incertitude réside, selon l'intervenante B, dans l'évaluation du caractère de la

personne :

Si j'évalue mal le caractère de la personne, s'il y a une crise, une situation où à cause d'un

contretemps, un retard ou... est-ce que la jumelée va prendre ça personnel ou si elle va faire

de la projection…,les préjugés et les généralisations de comportements pourront alors

ressortir.

Cela est arrivé dans un cas où, selon l'intervenante, la jumelée québécoise a réagi en

disant : « Elle n'a pas l'air intelligent, cette culture là c'est tous des voleurs, des bandits. » La

première attitude de l'intervenante B dans cette situation a été d'essayer de comprendre le

pourquoi : « La personne est déjà jumelée dans un autre organisme, c'est son troisième

jumelage, c'est comme trop, je pense (...) la journée d'avant, elle avait raté un autre rendez-

vous avec un autre… » Dans ce cas, il y a eu lieu de questionner le trop d'implication d'une

personne « bénévole » et une incapacité de prendre une distance face à un incident critique.

Tenter de cerner le pourquoi a conduit l'intervenante à l'autocritique de son propre

comportement. L'intervenante B estime qu'elle aurait dû s'informer auprès de l'autre

organisme qui avait jumelé cette personne.

La deuxième attitude que la situation de crise a provoquée chez l'intervenante c'est le

questionnement sur son rôle. Celle-ci entrevoit trois attitudes possibles ou trois voies

possibles : la première consiste à dépasser son rôle d'intervenante en prenant aussi le rôle

d'éducatrice, ce qui correspond à intervenir à long terme :

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Est-ce que je m'investis à faire de l'éducation interculturelle, est-ce que ça vaut le coup

d'expliquer à cette personne là, est-ce que ces gens là vont changer ou est-ce quand va

arriver un pépin, elles ne vont pas tout de suite ressortir leur vision des choses, vont écraser

la personne, faire des dommages au niveau psychologique, je ne sais pas, je n'ai pas le goût

de risquer, les gens sont assez fragiles quand ils arrivent ici (...) Et est-ce qu'elle a

l'ouverture d'esprit d'écouter ce que j'ai à dire ? Dans mon for intérieur c'est non. J'ai essayé

de lui parler un peu, de lui signaler que dire de l'autre qu'elle n'était pas trop intelligente…

mais je trouvais l'écart, pour en arriver à une entente, trop grand, pour en arriver surtout à

une confiance (...) j'aimais mieux tout de suite arrêter le jumelage.

La deuxième voie consiste à continuer d'agir selon les normes de l'organisme, ce qui

correspond, selon nous, à de la non-intervention : « Est-ce que je dis à la personne que je la

mets dans la filière ? » Les intervenantes, selon l'explication de l'intervenante B, mettent les

gens dans la filière 13, la filière des cas problèmes, lorsqu'elles jugent qu'ils manquent

d'ouverture d'esprit, à cause de leur tendance à vouloir imposer leurs valeurs ou parce qu'ils

ont des « préjugés gros comme le bras. » Ces personnes ne concordent pas avec la

philosophie du jumelage. L'intervenante opère donc une sélection, elle sépare l'ivraie du

bon grain. Et que disent les intervenantes à ces gens lorsque ceux-ci leur téléphonent ? Ils

leur répondent « qu'ils n'ont pas encore trouvé une personne qui correspond à ce qu'il

demande » dit l'intervenante B.

La troisième voie possible est le rapport direct, la transparence, l'intervention sur le vif, au

moment présent, intervention qui pourra avoir des effets à court et à moyen terme.

L'intervenante B se demande alors : « Est-ce que je lui dis : votre façon, ce que "vous

m'avez dit ne rentre pas vraiment dans la philosophie du jumelage" »

Cette troisième voie est en accord avec les convictions de l'intervenante : « Moi je juge le

commentaire de la bénévole inacceptable, moi j'aurais le goût de lui dire : écoutez, les

propos que vous avez tenus ne cadrent pas avec la philosophie du jumelage. » Deux

intervenantes de l'organisme lui ont dit qu'elles partageaient cette option.. Elle a donc

demandé conseil à la directrice. La directrice lui a fait une mise en garde. Elle lui a rappelé

le fait que la dame soit déjà jumelée ailleurs, qu'elle ne semble pas avoir eu de problèmes.

La bénévole, lui signale la directrice, pourrait dire pour qui elle (l'intervenante) se prend : «

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Je suis déjà jumelée et ça fonctionne ! » La directrice lui suggère plutôt de répondre à la

dame : « Le profil que vous nous demandez est trop pointu, ça ne correspond pas à notre

programme. » Ce qui se rapproche, selon nous, plus ou moins à de la non-intervention, à

une politique du laisser-faire pour ne pas confronter, entrer en situation conflictuelle avec la

bénévole de même qu'avec, peut-être, une intervenante en jumelage d'un autre organisme

communautaire.

Finalement, l'intervenante s'est fiée à son propre jugement, à sa propre intuition, elle a dit à

la bénévole qu'elle ne convenait pas et la dame a reconnu que c'était vrai. L'intervenante B

se dit fière de sa décision83. Cette situation amène l'intervenante à réfléchir sur le comment

prévenir à l'avenir ce genre de situation. Elle en a parlé à une autre intervenante du Réseau.

Cela la porte à une autocritique de l'évaluation qu'elle a faite des compétences de la

bénévole. L'évaluation d'alors était basée sur le « vu qu'elle était déjà jumelée, tout allait

bien ». Cette situation critique l'a conduite à ré-évaluer ses outils de sélection et à en

proposer de nouveaux. C'est ainsi qu'elle projette de faire des mises en situations avec les

bénévoles lors de la rencontre d'évaluation.

La relation d'individu à individu, pour l'intervenante B, c'est un moyen privilégié d'intégrer

les gens. Elle croit en ce programme individualisé qu'est le jumelage bien qu'elle soit

consciente que pour le gouvernement c'est difficile d'avoir des programmes individualisés :

« Mais là, on a une chance d'aller chercher ce désir d'individu à vouloir prendre la main de

quelqu'un d'autre et puis de lui montrer certaines choses et d'essayer de mettre la perception

des choses à un niveau de compréhension commune, quand on dit partager les valeurs

communes, bien, il y a des moyens et je pense que c'est un moyen intéressant. »

Cette démarche épistémologique, cette réflexion sur la théorie en lien avec la pratique

conduit l'intervenante B à constamment analyser les actes qu'elle pose. Ainsi, en tant

qu'intervenante, celle-ci est ce que Schön (1995) qualifie de « générateur de connaissances

», une praticienne qui confronte le savoir dans l'action, le « knowing » avec le « not

knowing » Portée par le doute, l'intervenante reconsidère ses actions, les analyse pour, dans

83 A partir de cet événement, elle croit qu'il y aura à l'organisme des soirées d'éducation interculturelle. En mai

98- il n'y avait pas encore de soirée interculturelle comme telle mais toujours des ateliers d'échange

information-discussion sur différents thèmes

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le cas échéant, en proposer de nouvelles. Dans ce cas, cette manière d'être peut avoir

plusieurs causes, être reliée à la personnalité de l'intervenante, au court laps de temps passé

à son emploi, ce qui peut être producteur d'anxiété, de doute et de remise en question, et à

sa formation scientifique qui l'a habituée à prendre une certaine distance critique face aux

faits et à questionner leur pertinence.

Ainsi les intervenantes sont conscientes qu'elles doivent non seulement puiser à même leur

« fond de compétences », mais ajouter de nouveaux savoir-faire à leur intervention si elles

veulent que la relation du jumelage non seulement ait lieu, mais évolue dans les meilleures

conditions possibles. Elles ont la conviction que la réussite de l'intégration est liée à la

qualité des liens interpersonnels que l'immigrant développera avec des citoyens de la

société d'accueil. Nous verrons dans le chapitre suivant que le processus du suivi, en tant

que consolidation du lien, est donc fondamental dans le cadre de l'intervention jumelage.

En effet, les défis que ce processus pose aux intervenantes se révéleront être au cœur de

leurs préoccupations.

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CHAPITRE IX

Le suivi et l'évaluation des jumelages

9.a. Sommaire

Les intervenantes tentent de trouver divers moyens pour maintenir un lien avec les jumelés.

Les activités de groupe ou activités collectives (9.1) tout en permettant aux jumelés de

développer un sentiment d'appartenance à une organisation, donnent l'occasion aux

intervenantes de s'enquérir de la dynamique des jumelages et ainsi d'aller chercher une

certaine reconnaissance de leur travail. Toutefois le processus du suivi présente certains

défis (9.2) : le temps est sans doute le premier élément, mais au-delà du manque de temps,

les intervenantes se questionnent sur comment maintenir un lien avec les jumelés alors que

ceux-ci vivent la relation de jumelage en dehors de l'organisme, donc sans la présence de

l'intervenante. Les intervenantes peuvent-elles ou doivent-elles intervenir sans que cela soit

de l'ingérence? L'importance du suivi (9.3) serait dans le fait que celui-ci est révélateur des

tensions que peuvent vivre les jumelés, de même qu'il permet à ces derniers d'exercer un

regard critique à la fois sur leur relation et à la fois sur le programme. Le suivi en tant que

processus intégré à la démarche du jumelage fait appel à la notion de responsabilité de

l'acte, à la notion de l'engagement (9.4). Les jumelés sont-ils conscients de leur

responsabilité l'un envers l'autre, de leur responsabilité envers l'intervenante, envers

l'organisation? Les intervenantes ne devraient-elles pas assumer un rôle d'intermédiaire

lorsqu'il y a volonté de mettre fin à la relation et ce faisant redonner à l'acte du jumelage

une dimension collective ? L'inclusion de cette dimension permettrait peut-être de pallier la

faible expression de celle-ci en cours de relation.. L'évaluation du jumelage (9.5)est par

ailleurs un élément manquant à tout le processus.

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9.1. Le suivi informel au cours des activités de groupe

Tous les organismes offrent des activités collectives, sorties culturelles et de loisirs. Celles-

ci permettent aux jumelés de se rencontrer et donnent l'occasion aux intervenantes de faire

un suivi informel.

Comme nous l'avons écrit, les jumelés jugent les activités de groupe nécessaires84 « parce

qu'elles sont un lieu d'échanges et d'expériences; parce qu'elles donnent accès à d'autres

cultures, à d'autres jumeaux, parce qu'elles permettent de développer un sentiment

d'appartenance. » L'intervenante C, comme la majorité des intervenantes, croit au bien-

fondé de ces activités collectives : « ce qui caractérise le jumelage, précise-t-elle, c'est que

toi en tant qu'intervenante en jumelage, tu es très liée aux gens, je pense que si tu ne peux

pas faire ça... » L'intervenante rejoint ici les préoccupations manifestées par ses collègues.

La difficulté réside ici pour l'intervenante à créer un lien personnel au-delà de la fonction

intervenante, et de réussir à ce que ce lien de confiance et d'affection se concrétise par le

biais de l'organisation communautaire. Les individus jumelés dépassent alors l'espace de la

relation interpersonnelle pour réinvestir l'espace de la solidarité, espace partagé

collectivement, espace qui redonne un sens à l'engagement, en le rendant social. Ainsi

l'intervenante reçoit la reconnaissance de son travail, l'assurance du bien fondé de son

intervention et une évaluation de sa qualité.

Lors de ces soirées, les intervenantes s'aperçoivent que le suivi peut leur dévoiler les non-

dits des relations de jumelage. C'est lors d'une de ces activités qu'une intervenante a pris

conscience qu'une immigrante était jumelée avec une personne qui parlait français, mais

dont la langue maternelle était l'anglais. Ces jumelées ne s'étaient pas revues depuis un an

et demi; l'immigrante lui confia alors qu'elle désirait être jumelée de nouveau, mais cette

fois avec une francophone.

84 Même si celles adressées spécifiquement aux jumelés sont peu nombreuses dans certains organismes,

compte tenu de la non-disponibilité de l'intervenante.

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9.2. Les défis reliés au suivi

En 1996-1997, l'intervenante D décrit ainsi les difficultés vécues par les nouveaux

arrivants, les bénévoles et intervenantes dans le cadre du projet jumelage. Elle déplore le

manque de persévérance pour bâtir une amitié malgré les différences. Elle dit la difficulté

de découvrir les véritables motivations des bénévoles et des nouveaux arrivants et elle

dénonce le manque de temps pour assurer un suivi régulier qui pourrait développer des

liens solides de confiance :

Ce n'est pas tant de faire du jumelage pour du jumelage, c'est de consolider tout ça, et de

faire le suivi pour que les personnes qui sont dans le jumelage soient comme des témoins,

pour qu'elles apportent quelque chose aussi dans leur entourage .

L'intervenante de l'organisme F est consciente qu'il faut améliorer les outils en ce qui

concerne le suivi et l'information à donner lors de la sélection. Ceci dans le but d'amener les

gens à participer aux soirées thématiques « sans règle de fonctionnement, dit-elle, moi je ne

peux travailler. »

La majorité des intervenantes affirment faire le suivi de façon formelle par téléphone, par

courrier, et de façon informelle lors des cafés-rencontre, des formations ou lors des activités

collectives. Les intervenantes invitent les jumelés à leur téléphoner, mais elles affirment ne

pas baser le suivi sur cette recommandation. Quelques temps après le début du jumelage, la

plupart des intervenantes vont téléphoner aux deux jumelés.

Toutefois, dans la vidéo sur le jumelage réalisée en 2000 par un stagiaire, étudiant en

communications à l'UQÀM, une jumelée déplorait ne pas avoir reçu de suivi formel de la

part de l'intervenante. Ce suivi, précise la jumelée, aurait pu aider au bon déroulement du

jumelage en permettant, entre autres et dans la mesure du possible, le transfert

d'informations sur ce que vivait le jumelé nouvel arrivant.

Au moment de notre entretien, il ne se faisait pas de suivi formel à l'organisme F.

L'intervenant considère qu'il s'agirait d'ingérence s'il devait intervenir « j'aime pas trop

m'introduire dans leur relation. » L'attitude de ce dernier est qualifiée par lui-même de soft

de très soft. L'intervenant spécifie aux jumelés qu'il est la référence en cas de difficultés,

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mais « que c'est à la personne à mettre ses limites. » L'intervenant affirme qu'il avait un

questionnaire, qu'il avait le feed-back au fur et à mesure, mais qu'il y en avait « seulement

quatre ou cinq qui répondaien. »

L'intervenant adopte une stratégie de non-intervention, tout en assumant et en critiquant ce

choix : « le suivi c'est peut-être ma faiblesse » souligne-t-il. Ce dernier adopte une stratégie

que nous qualifions de non-intervention, mais est disponible pour écouter et conseiller si on

fait appel à lui. L'intervenante F qui a pris la relève du jumelage considère que ça fait partie

de son rôle de téléphoner aux gens pour savoir comment le jumelage va. Elle leur

mentionne lors de la première rencontre.

Ainsi le suivi fait de façon plus ou moins assidue révèle les lacunes de l'intervention. Par

exemple, les intervenantes se rendent compte que parfois certains jumelés n'ont pas vu leurs

jumeaux depuis plusieurs mois et que ni l'un ni l'autre n'ose téléphoner. Lorsqu'elles

prennent conscience de ce quasi-arrêt de la relation, les intervenantes vont demander aux

jumelés québécois s'ils veulent qu'elles interviennent en téléphonant à leur jumelé

immigrant, certains, selon elles, répondent oui.

Cette question du lien est au cœur des préoccupations de l'intervenante F. Celle-ci entrevoit

le jumelage comme un lien social, un lien qui permet l'intégration fonctionnelle, culturelle,

et aussi peut-être au niveau de l'emploi. Pour celle-ci, la principale difficulté du programme

réside justement dans la création ou le maintien de ce lien de confiance, lien privilégié entre

l'intervenante et les jumelés. Ce lien permet de dépasser l'aspect technique du programme,

et elle considère qu'il ne peut se maintenir qu'à travers le suivi. La difficulté pour

l'intervenante, difficulté ressentie aussi par ses paires, est de comment savoir ce qui s'est

passé ou ce qui se passe réellement au cœur de la relation : « quand les gens arrêtent, je

n'arrive pas à savoir la raison, les gens disent manquer de disponibilité, ils ne vont pas me

dire autre chose, c'est délicat aussi... » L'intervenante a d'ailleurs demandé au Réseau

jumelage de discuter ce point.

Le suivi qu'a entrepris l'intervenante A, lorsqu'elle est devenue responsable du jumelage, lui

a permis de mettre à jour certaines difficultés dans les relations, et d'orienter ses

interventions. Le suivi lui a révélé des problèmes de disponibilité : des gens lui ont dit qu'ils

pensaient être appelés, mais ne l'ont jamais été, d'autres ont dit avoir manqué de temps,

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d'autres encore ont été malades, une autre avait eu un bébé, certains avaient eu des

désaccords de tout ordre, enfin l'un affirmait qu'il y avait eu divergence au niveau des idées

politiques. Les gens, poursuit l'intervenante, m'ont dit : « je n'ai pas osé appeler , mais si on

m'avait appelé ça m'aurait aidé. » Ce contact téléphonique a permis à l'intervenante

d'améliorer ses pratiques : « je m'en suis servi dans mes rencontres préparatoires avec mes

bénévoles d'accueil, je leur ai dit " je vous demande d'oser, je vous demande de faire les

contacts". » Aujourd'hui, l'intervenante fait le suivi une fois par mois, aidée en cela par un

bénévole.

« C'est très dur l'évaluation.. de vraiment.. c'est quoi un jumelage réussi».

L'intervenante C se questionne aussi sur les améliorations que les intervenantes pourraient

apporter en ce qui concerne l'encadrement aux jumelés au début du jumelage :

Je pense que le jumelage ça se passe si le lien se crée et ça tu le vois assez rapidement Je

viens de faire un jumelage et je sais que ça ne marchera pas, donc c'est très fragile cette

période là. Je ne sais pas si nous en tant qu'intervenante on peut mettre plus de filets à ce

moment là! Il faudrait réfléchir aux choses fragiles, la distance géographique, les

motivations... , mais je pense que tu as rarement un jumelage idéal.

Et comme le souligne l'intervenante B « c'est très dur l'évaluation... de vraiment... c'est quoi

un jumelage réussi. »

9.3. L'importance du suivi

L'intervenante C a commencé à faire sa propre évaluation. Elle essaie de mesurer « le

domaine entre guillemets » précise-t-elle, de la sensibilité interculturelle : les bruits qui

peuvent devenir des filtres et les écrans à la compréhension mutuelle qui pourraient mettre

en échec la réussite de la rencontre surtout de la part des Québécois. Puis l'intervenante dit

vouloir vérifier s'il y a des préjugés du côté des émigrants : « le cas de personnes qui sont là

depuis quelques temps et qui ont vécu des échecs répétitifs . » L'intervenante tient aussi à

analyser la vision des Québécois : « quelquefois tellement bizarre », qu'elle cherche à

savoir si cette vision est le résultat de l'influence des médias ou si c'est le fruit de

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l'expérience. L'intervenante C veut donc améliorer le processus d'évaluation pour mieux

définir le travail de sensibilisation et de formation qu'il y aurait à faire.

L'évaluation permettrait aussi à l'intervenante de lier l'atteinte des objectifs aux attentes.

Car attentes et motivations sont en écho : « parce que si ta motivation, dit-elle, c'est d'aider

l'autre et ton attente c'est d'être satisfait de l'aider. » L'évaluation permet de savoir ce que la

personne recherche. Par exemple, elle aura permis à l'intervenante de découvrir qu'un

émigrant désirait se trouver une femme. L'évaluation lui permettra de constater peut-être la

même chose chez un aîné de la société d'accueil : « Ce qui n'est pas le but du jumelage à

notre organisme ! » précise-t-elle.

L'intervenante procède pour l'instant à une évaluation individuelle à l'aide d'un

questionnaire, de prise de notes et d'enregistrement. Selon elle, l'évaluation pourra l'aider,

par exemple, à saisir pourquoi une personne veut être jumelée de nouveau ? Est-ce que c'est

parce qu'elle a connu des difficultés lors d'un premier jumelage ou bien si au contraire cette

première expérience fut satisfaisante et la porte à se jumeler de nouveau ? L'important,

précise-t-elle, c'est aussi de constater dans le cas d'un jumelage où il y a eu rupture, que

l'aîné, « n'a pas de ressentiment et qu'il veut être jumelé une nouvelle fois. Pour moi vaut

mieux ne rien faire que d'arriver à ça » s'exclame-t-elle.

L'intervenante mentionne aussi qu'il faut porter attention à ne pas brûler les gens, parce que,

rappelle-t-elle, « la réalité c'est que le programme de jumelage manque de bénévoles de la

société d'accueil. » Toutefois, si l'aîné veut être jumelé une deuxième fois alors qu'il est

encore en relation de jumelage, l'intervenante essaie de bien analyser la dynamique du

jumelage afin d'être en mesure de présenter à la personne un profil de jumelage qui lui

demandera une énergie différente. Son rôle, précise-t-elle, c'est aussi d'être observatrice lors

des activités afin d'analyser les processus des jumelages. Cette attitude peut lui permettre de

constater que tel jumelage ne fonctionne pas ou que tel autre connaît des difficultés, et

d'intervenir au besoin.

Dans son rapport (1996:52, 53), Daignault mentionne l'importance du suivi et ce qu'il

permet. Selon Daignault « le suivi s'est avéré utile à plusieurs niveaux. » D'abord pour

résoudre certaines situations « d'incompréhensions interculturelles », telles que relatées par

Legault et Lafrenière (1992). Ou encore pour dénouer certaines blocages ou

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mésinterprétations telles que l'hésitation à entrer de nouveau en contact après la première

rencontre ou encore l'impression pour les immigrantes d'être requérantes « d'un service

d'intégration. »

Daignault fait alors référence à Cohen-Émerique (1980, 128) qui, précise-t-elle, parle plutôt

de choc culturel que d'incompréhensions interculturelles. Le choc culturel, comme nous

l'avons précédemment indiqué, est défini par Cohen-Émerique comme « une réaction de

dépaysement, plus encore de frustration ou de rejet, de révolte et d'anxiété, en un mot une

situation émotionnelle et intellectuelle, qui apparaît chez ceux qui, placés par occasion ou

profession hors de leur contexte socioculturel, se retrouvent engagés dans l'approche de

l'étranger » (1985, cité dans Hohl; Cohen-Émerique, 1999:107). Daignault rapporte les

deux principaux éléments qui ont conduit au choc culturel au sein de la relation de

jumelage : la notion de temps et d'espace. Ce type de choc culturel, rappelle Daignault, est

mentionné par Cohen-Émerique dans ses recherches sur les situations de chocs culturels

auprès des intervenantes sociales en France. Daignault mentionne entre autres l'impression

ressentie par la Québécoise devant ce qu'elle interprète comme un désintéressement de

l'immigrante puisque cette-dernière se présente considérablement en retard aux rendez-

vous. Ou encore la frustration ressentie par l'immigrante parce que la Québécoise refuse la

nourriture offerte; ce refus, dans ce cas, est considéré comme une impolitesse parce que la

nourriture offerte est signe d'hospitalité et de partage.

« Le sens de l'hospitalité est donc différent » rappelle Daignault. Celle-ci rapporte cet autre

exemple : des femmes originaires d'Amérique Latine ou d'Europe de l'Est ont interprété

comme de la froideur ou de la distance le fait qu'elles aient invité les Québécoises chez

elles, alors que celles-ci tardaient à faire de même. « Cette incompréhension interculturelle,

écrit Daignault, semble être reliée à la notion de gradation inhérente à l'établissement des

relations interpersonnelles en Amérique du Nord et à une certaine méfiance individuelle

typique des personnes habitant les grands centres urbains; cette notion est en contradiction

avec les valeurs collectives-communautaires des pays de provenance de plusieurs femmes

immigrantes. » (1996:53)

Le suivi a permis, poursuit Daignault, de recueillir les commentaires des participants en ce

qui concerne l'organisation et le fonctionnement du projet, entre autres, le désir exprimé par

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les participantes qu'une employée permanente soit affectée à la fonction de coordonnatrice

du projet. « Les femmes, écrit Daignault, s'étant inscrites lors de la première année

d'existence du projet, considéraient que le changement de direction à chaque année diluait

les liens de solidarité entre les participantes » (1996:53).

L'importance du suivi serait dans le fait que celui-ci est révélateur des tensions que peuvent

vivre les jumelés, de même qu'il permet à ces derniers d'exercer un regard critique à la fois

sur leur relation et à la fois sur le programme.

L'importance du suivi fait resurgir le questionnement d'une intervenante du Réseau

jumelage et notre propre questionnement à savoir : le jumelage est-il un acte individuel ou

plutôt un acte à la fois individuel et collectif dont l'esprit du lien devrait être entretenu par

l'organisation qui en est l'initiatrice. Cependant, pour que ce lien soit entretenu, il faut qu'il

y ait identification d'une référence puisque cette identification permet le développement

d'un sentiment d'appartenance. Ceci rejoint les constatations de l'analyse faite par Comeau

(1995) qui rappelle qu'un des éléments favorisant la participation aux associations

communautaires est que le sens collectif à la solidarité est développé; l'auteur se réfère à

une autre recherche sur la participation (Chavis et Wandersman, 1990) qui démontre que le

sens de la communauté a un effet catalytique sur l'action locale. Nous croyons que les

mobilisations collectives peuvent être ranimées, entre autres par des activités de groupe, et

par le sentiment d'appartenance au groupe transmis par l'intervenante et par l'organisation.

Nous l'avons signalé, en nous référant à Melucci (1993:190), ces mobilisations collectives

sont des espaces nécessaires, « où les liens deviennent explicites, où l'on permet au réseau

latent de faire surface et de s'agréger pour ensuite s'immerger à nouveau dans le quotidien».

C'est pourquoi les intervenantes du Réseau jumelage ont ressenti le besoin de se donner une

formation sur le processus du suivi, formation qui a donné lieu à l'élaboration d'outils pour

améliorer ce processus extrêmement complexe. L'objectif n'étant pas de régulariser une

pratique, mais bien de mieux outiller les intervenantes car en accord avec les chercheures

Charbonneau, Dansereau, et Vatz-Laaroussi (1999:198), les membres du Réseau jumelage

considèrent qu'il est important de garder « une structure souple » d'encadrement.

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9.4. La responsabilité du lien entre les jumelés : la notion del'engagement

Si les intervenantes parlent de façon explicite de l'importance de l'établissement du lien,

elles ne font mention de l'impact qu'a la non prise en compte de l'importance de ce lien dans

le cas de rupture du jumelage. En fait, une seule d'entre elles a mentionné ce point. Nous

nous demandons si ceci n'est pas lié au fait de considérer, dans plusieurs cas, la relation du

jumelage comme étant à priori une relation d'amitié, où l'engagement à long terme est pris

pour acquis dès le début de la relation ou au fait de considérer le jumelage comme une

relation non obligée, volontaire, libre. Dans ce type de relation, comment exiger des gens

impliqués ? Il est important, selon l'intervenante B, de rappeler aux gens la nécessité de

garder le contact avec elle, de lui téléphoner s'il « y a quelque chose qui cloche. »

En mai 1998, lors de la validation des données, l'intervenante B nous a parlé d'un cas où

une personne a mis fin abruptement au jumelage sans rien dire. L'intervenante était alors

intervenue : « tu viens de briser ton engagement; tu te rends compte que tu as brisé ton

engagement ? »

L'intervenante est aussi intervenue lorsqu'une Québécoise lui a confié vouloir arrêter sa

relation de jumelage, elle aurait alors demandé à cette femme de téléphoner au couple

immigrant jumelé. Elle devait le faire, dit l'intervenante, mais finalement elle s'est ravisé et

a décidé de poursuivre son jumelage.

L'intervenante G, comme d'autres intervenantes, nous a mentionné le fait que certains

jumelages se soient terminés parce qu'un des jumelés est parti à l'extérieur du Québec ou de

Montréal, sans avertir l'autre de son départ. Lorsque nous sommes allée à une des

assemblées générales, nous avons conversé avec une ex-jumelée qui avait encore du

ressentiment face à sa jumelle immigrante qui était partie sans avertissement. Celle-ci avait

brisé le lien de confiance et l'autre s'était sentie trahie puisqu'elles avaient développé, selon

les dires de la jumelée québécoise, une relation d'amitié.

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Quelles sont les conséquences de ces ruptures sur les jumelés : D'après l'intervenante B,

malgré les « ratés », les jumelés veulent être jumelés de nouveau. Dans le cas du départ

précipité et sans avertissement, cas cité ci-avant, la bénévole jumelée en a été affectée, mais

parce qu'elle est une personne très occupée et impliquée dans d'autres organismes

communautaires, cela n'a pas eu, aux dires de l'intervenante, « trop de conséquences

fâcheuses. » Ce témoignage contredit celui d'une jumelée d'accueil d'un autre organisme

qui a vécu une situation similaire, qui éprouve du ressentiment et ne désire plus être

jumelée.

Ces réactions différentes face à la rupture du jumelage peuvent dépendre de la nature des

liens établis, du temps de la relation, de la personnalité. Toutefois nous avons écrit qu'il

nous apparaît particulièrement important de parler de la notion « d'exit » dans la relation de

jumelage, et donc de l'aborder au cours de l'intervention parce que « l'exit » peut provoquer

le ressentiment envers non pas seulement un individu, mais envers tout un groupe social..

Car il nous semble que si l'individu a une responsabilité du lien, cette responsabilité libérée

de toute contrainte peut être dépassée au profit de « l'exit » (Hirschman, 1977).

Nous croyons que cet aspect de la responsabilité du lien mérite d'être analysé par les

intervenantes. Car comme le rappelle l'intervenante B, « le lien de confiance est la variable

la plus importante de la relation, ce lien de confiance implique la notion temps. »

D'autre part, l'étude de Charbonneau et al (1999) révèle que lorsque l'immigrant est parti

sans prévenir, les familles accueillantes déçues ont l’impression d’avoir été trompées et

sont portées à faire les comptes du donner et du reçu. Ainsi, écrivent les chercheures, « le

départ peut être perçu comme un manque de reconnaissance pour ce qui a été offert »

(1999:88). Par contre, il semble que si les familles immigrantes font part de leur projet

avant le départ ou gardent le contact, la famille accueillante réagit autrement.

Les chercheures puisent dans la littérature sur le don/dette dans les relations

interpersonnelles pour expliquer le silence gardé sur les intentions de départ par les familles

immigrantes : celles-ci, en fait, « se sentiraient redevables envers leur famille d’accueil et

ne veulent pas que la dette contractée les empêche de partir. » Ce sentiment est corroboré

par ces témoignages : Le premier, celui d'une famille accueillante : « Ils sont libres d’aller

où ils veulent, sauf qu'ils ont des responsabilités envers le Québec (Charbonneau et al,

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289

1999:88). Le second, celui d'une famille immigrante : « Je sens que j’ai une énorme dette

envers ce pays (...) nous ne pouvons penser à partir sans avoir donné quelque chose de

nous-mêmes » (Charbonneau et al, 1999:88).

Le sentiment d’être redevable pourra de plus influencer la dynamique relationnelle soit en

amenant « la famille immigrante à taire ses insatisfactions dans le processus relationnel »

(Charbonneau et al, 1999:88), soit en faisant en sorte que la famille accueillante taise, elle

aussi, ses déceptions puisqu'elle s'est engagée à aider l'autre. Comme nous l'avons écrit au

chapitre du cadre théorique, la notion « d'exit » empruntée au système du marché signifie

que chacun est libre de quitter le cercle de l'échange lorsque la nature de l'échange ne lui

satisfait pas. Toutefois, un des risques de l'engagement est de ne plus pouvoir recourir à «

exit » parce que la perte de l'investissement est plus importante que l'alternative qui s'offre.

D'où la tension continue au sein de l'espace social de la coopération (ou de tout autre espace

social) entre la poursuite de l'intérêt individuel (l'indépendance) et l'élargissement des

intérêts communs (l'interdépendance) et l'importance que revêt la capacité de chacun à

dialoguer, à occuper un espace intermédiaire. Toutefois, nous le rappelons, la capacité de

chacun à dialoguer repose sur le pouvoir de négociation. Accepter qu'un individu participe

au processus de négociation c'est lui reconnaître une qualité, celle de la responsabilité

individuelle, et un attribut celui du sens de l'initiative; le « lien social de coopération »

comme le précise Pagé (1995) est celui d'individus individualisés. Le suivi en tant que

processus intégré à la démarche du jumelage fait appel à la notion de responsabilité de

l'acte, au sens de l'initiative. Les jumelés sont-ils conscients de leur responsabilité l'un

envers l'autre, de leur responsabilité envers l'intervenante, envers l'organisation, envers la

collectivité et celles-ci le sont-elles envers eux ?

En mai 1998, lors de la validation des données, nous discutions, avec les membres du

Réseau jumelage, de l'éventualité d'établir une rencontre pour terminer le jumelage entre les

jumelés et l'intervenante. Nous nous demandions pourquoi il n'y avait pas, à ce jour, un

rituel de la fin; car si les intervenantes ont la conviction de porter la responsabilité de bien

choisir les jumelés, de bien faire débuter la relation, de bien suivre le déroulement, d'être

des intermédiaires auprès des jumelés, elles ne semblent pas assumer une part de

responsabilité en ce qui concerne le terme de la relation. Comme si la relation devait être

sans fin ! En effet, si la plupart confinent la relation dans un espace-temps d'un an, aucune

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intervenante n'entrevoit son rôle dans la cessation de la relation85 autre qu'envoyer dans

certains cas un diplôme-certificat de remerciement. Dans la vidéo sur le jumelage réalisée

en 2000, une jumelée mentionnait ce besoin qu'il y ait une rencontre ou une action qui

signifierait la fin de la relation « parce que le jumelage ce n'est pas pour la vie. » C'est

pourquoi, contrairement à ce qu'en disent les chercheures Charbonneau et al

(1999:198), qui évaluent que la formalisation de la fin de contrat cause de l'anxiété chez

les participants nous croyons que si l'une des deux parties désire, pour une raison ou pour

une autre, mettre fin à la relation, peut-être même avant terme, il serait préférable qu'il y ait

une action en ce sens. Nous croyons qu'un rituel de la fin ou mieux qu'une étape que nous

nommerons, étape de transition, modelée selon le vouloir des jumelés, permettrait de mieux

saisir la réalité de ce qui a été vécu et reçu, alors que le laisser-aller, l'indéterminé, risque de

faire naître l'inconfort, un sentiment d'abandon voire le ressentiment. Ce rituel permettrait,

selon nous, de redonner à l'acte du jumelage une dimension collective. Cela permettrait

peut-être de pallier la faiblesse de cette dimension collective en cours de relation, faiblesse

due peut-être au fait que l'implication sociale des jumelés est très peu prise en compte et

cela dès la mise en place du jumelage.

9.5. Intégration sociale et évaluation de la pratique

Daignault suggérait dans son rapport qu'il serait important lors de l'entrevue de sélection

des candidates québécoises, de « s'informer de la densité de leur réseau social, du nombre

de leurs amis et connaissances et de la fréquence des contacts qu'elles entretiennent avec

ceux-ci »; cette recommandation est le fruit de la constatation que « les jumelages se

concluant par un échec ou ayant moins favorisé l'élargissement du réseau social de la

femme immigrante, incluent une femme québécoise n'ayant aucun réseau social. »

(Daignault, 1996:76). Nous avons vu que peu d'intervenantes tiennent compte de la densité

du réseau social du jumelé d'accueil lorsqu'il vient s'inscrire au jumelage. Cette non prise en

85 (L'intervenante B nous a mentionné son intention de tenter l'expérience lors de la fête de Noêl des jumelés

mais ne l'a pas fait)

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compte peut certainement être attribuable au fait que les intervenantes ont besoin de tous

les candidats potentiels pour d'éventuels pairages. Ainsi la non-existence du réseau ne

devient pas un critère d'exclusion au jumelage. Toutefois nous convenons que dans un

monde idéal, en effet, comme l'indiquent les chercheures Charbonneau, Dansereau et Vatz-

Laaroussi (1999:194-195) « le réseautage de la famille accueillante avec des personnes et

milieux diversifiés pouvant ouvrir sur des contacts d'emploi est un plus. »

Par ailleurs, l'intervenante C, dans un souci d'amélioration du programme et d'évaluation

des besoins des jumelés et aussi de la dynamique que pourra prendre la relation de

jumelage, croit qu'il serait important « en tout cas du côté des immigrants, de voir c'est quoi

leurs ressources sociales au moment où ils viennent la voir.. » Ainsi, selon elle, « on

pourrait évaluer les choses de façon intéressante : est-ce qu'ils sont isolés, est-ce qu'ils ont

accès aux ressources, est-ce qu'ils ont un haut degré d'autonomie » ce questionnement

permettrait d'évaluer le potentiel d'intégration.

De même la question de savoir combien de personnes le jumelage a touchées demeure une

question relative, selon l’intervenante C :

Il faudrait d'abord se demander ce que toucher veut dire ? Il faudrait que j'aille voir les gens

de la famille, ça ne veut pas dire qu'ils veulent être jumelés, c'est toujours plus confortable

de voir les autres que de le faire soi-même, (...) Mais ça peut changer des préjugés, des

préjugés négatifs qui seraient devenus des préjugés positifs.

En fait, l'évaluation de la portée sociale du jumelage est un élément manquant ou absent de

l'intervention. Si les intervenantes, pour la plupart, ne tiennent pas compte de la densité du

réseau social des jumelés au moment du pairage, elles ne s'enquièrent pas non plus de la

réaction de l'entourage des jumelés à propos de la singularité d'une telle relation. Est-il

curieux, inquiet, séduit, intéressé, indifférent? Nous avons déjà rapporté qu'une des

conclusions de l'étude de Charbonneau et al (1999 : 183) souligne « que partant d'un

programme à visée collective, les jumelés mesurent leur réussite à l'aulne de l'exceptionnel

et du singulier. » Cette évaluation toute personnelle du succès de leur relation et de la

pertinence qu'ils y accordent ne contredit pas, mais, par contre, ne rencontre pas un des

objectifs de l'intervention jumelage que veulent réaliser les intervenantes même en étant

confrontées à la non-intervention de l'État en ce domaine. Cet objectif vise à intégrer des

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activités de sensibilisation sur la problématique de l'immigration et des relations

interculturelles aux démarches promotionnelles et de recrutement. Nous avons souligné que

quelques jumelés deviennent des porteurs du projet jumelage en s'impliquant dans des

activités promotionnelles et de sensibilisation. Toutefois motiver les jumelés à donner

encore de leur temps s'avère difficile et exige que l'intervenante les incite à le faire.

Par ailleurs les démarches entreprises par les intervenantes du Réseau jumelage auprès des

associations et organisations de la société civile, telles les syndicats, démontrent leur

volonté à vouloir associer d'autres acteurs, influents, à leur démarche. Toutefois le lien de

coopération avec ces organisations ne va pas de soi. Pour qu'il soit efficace, les

intervenantes doivent, entre autres et au préalable, prendre le temps de saisir la complexité

structurelle de ces organisations, leur culture organisationnelle et leur mode de

fonctionnement, sans nommer les compétences d'action et d'intervention liées à un tel

partenariat. Ainsi ce lien de coopération demande beaucoup d'énergie et de temps, temps

que les intervenantes n'ont pas.

Les intervenantes du RJI ont exprimé le besoin de discuter ensemble de la question «

qu'est-ce qu'un jumelage réussi ? » Nous croyons que cette discussion, exercice laborieux et

courageux s'il en est, leur permettra de reconsidérer la pratique du jumelage dans sa

globalité et de se réapproprier sa complexité.

9.6. Conclusion de la deuxième partie : analyse des données

Nous avons démontré que si les objectifs du programme de jumelage des organismes

communautaires rejoignent dans leur fonction de régulation sociale ceux définis par l'État,

ceux-là donnent davantage d’importance à la notion du lien social dans sa fonction

d'innovation et de transformation des rapports sociaux. C'est ainsi que le jumelage est vu

par ces acteurs comme un outil d'intégration de la société québécoise et de prévention de

l'exclusion sociale.

Mais au-delà d'un outil d'intégration animé par l'utopie du rapprochement interculturel,

comment peut-on définir l'acte du jumelage ? Nous avons vu que la majorité des

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intervenantes refusent d'inscrire l'acte du jumelage comme un acte de bénévolat. Ce refus

lié à la représentation que les intervenantes ont du bénévolat considéré comme une relation

asymétrique et contraignante oblige les intervenantes à trouver une nouvelle définition à

l'acte jumelage, voire à lui insuffler une nouvelle dimension.

Le fait est que peu connu ou encore méconnu par une majorité de citoyens, désiré par

d'autres qui ont leurs propres attentes, intérêts ou qui manifestent certains préjugés, le

jumelage pose des défis aux intervenantes : ceux du recrutement qui implique des activités

de promotion de même que la sélection qui repose sur la concordance des attentes et

objectifs et qui présente plusieurs zones d'incertitude sont deux défis de taille, mais ne sont

pas exclusifs. À ceux-ci s'ajoutent des contraintes contextuelles, systémiques

organisationnelles, structurelles et relationnelles qui ont un impact important sur

l'intervention jumelage. Et parce que le lien social du jumelage est une relation

interpersonnelle entre étrangers et qu'il se déroule dans l'espace interculturel, lieu de

questionnement, il est habité par l'inattendu, l'incertitude.

Par ailleurs, le lien social du jumelage, s'il est inscrit dans une organisation, évolue dans

l'espace relationnel primaire, c'est donc dire dans un espace intime auquel l'intervenante a

peu d'accès. Cette question du lien entre les intervenantes et les jumelés s'est révélée être au

cœur des préoccupations des intervenantes car là se trouve la reconnaissance du bien fondé

et de la qualité de l'intervention. De même la dimension sociale du jumelage est une

question avec laquelle elles ne sont pas à l'aise et qui d'une certaine façon leur échappe.

Face à cette complexité, les intervenantes sont amenées à questionner leur pratique, à

trouver de nouvelles stratégies d'intervention, à endosser de nouveaux rôles, entre autres,

celui de médiatrice, et à proposer de nouveaux lieux de rencontre, en particulier pour elles-

mêmes, le Réseau jumelage interculturel.

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Conclusion

Nous avons ancré notre réflexion sur le jumelage en tant que mode d'intervention (sociale)

et déploiement d'un lien (social) dans une approche ethnologique. Nous nous sommes ainsi

questionnée sur le sens que lui attribuent les acteurs. C'est par ce questionnement incessant

que nous a été révélée la complexité du phénomène du jumelage interculturel : relation et

intervention.

Nous avons aussi tenté de comprendre le phénomène du jumelage en entrant dans la

logique des acteurs sociaux impliqués, tout en considérant leur capacité à modifier le cours

des événements. La reconnaissance de ce « fond commun de compétences », selon

l'expression des ethnologues N.Dodier et I.Baszanger (1997), constitue l'ancrage de notre

réflexion et a défini notre posture de recherche.

Cependant, si nous reconnaissons ce pouvoir de transformation de l'action, donc

d'influence, aux acteurs, nous ne nions pas que ceux-ci soient influencés dans leurs

réflexions et actions par le contexte social dans lequel ils évoluent. Dans le cadre de notre

étude, le contexte immédiat est le vécu des intervenantes en jumelage au sein de

l'organisme et au sein du Réseau jumelage interculturel. Le contexte plus large est celui des

relations entre le MRCI et les organismes communautaires qui œuvrent dans le domaine de

l'immigration, des relations entre les organismes communautaires et des autres acteurs ou

organisations de la société civile intéressés ou confrontés au phénomène de l'immigration.

Le questionnement initial de notre recherche, qui portait sur le quoi – Qu'est ce qui fait que

le jumelage est si peu connu au sein de la société ? nous a conduite à jongler avec le

comment – comment les acteurs liés au programme de jumelage le perçoivent-ils ? Quelle

finalité lui attribuent-t-ils ? Ce questionnement a orienté la démarche ethnologique dans un

mouvement dualiste qui nous a conduit de l'explicite à l'implicite, et qui nous a fait

rechercher la qualité de ce fait social qu'est le jumelage interculturel auquel sont

confrontées les intervenantes, sujets et objets de notre étude.

Le comment les acteurs liés au programme du jumelage le perçoivent-ils ? nous a amenée à

diriger en premier notre regard vers l'État puisque le programme jumelage est défini et

subventionné par le MRCI. Constater que le programme jumelage est peu connu au sein de

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la société québécoise tout en étant défini, par des acteurs influents du ministère et des

acteurs du communautaire, comme un moyen efficace d'aide à l'intégration des nouveaux

arrivants, nous demandait d'investiguer plus en profondeur le pourquoi de ce paradoxe. Au

cours de cette réflexion nous avons élargi notre angle de perception de la situation.

Ainsi, il nous fallait plonger dans la dynamique des organisations, dans la réalité du

programme jumelage ainsi que dans l'univers relationnel de l'État et des organismes

communautaires. Cette plongée au cœur du phénomène jumelage nous a fait découvrir de

multiples variables, nous a fait découvrir aussi tout un univers de contraintes en même

temps qu'un espace jeu dans la négociation entre les acteurs du communautaire et ceux du

gouvernement. Car nous l'avons dit, la relation interpersonnelle du jumelage s'inscrit dans

un contexte social, économique, politique et culturel d'une société et dans un processus

d'immigration qui lui-même renvoie à un ou plusieurs autres contextes: social, économique,

politique et culturel. Cependant, si l'intervenante en tant que représentante de l'organisation

établit certaines balises dans le cadre formel de la relation, il n'en reste pas moins que le

lien social, lien primaire, qu'elle aura à maintenir avec les jumelés prime sur le lien formel

secondaire défini par son statut professionnel. C'est pourquoi nous avons privilégié

l'analyse des rapports interpersonnels dans une approche ethnologique, tout en faisant appel

aux contributions des autres disciplines.

Le jumelage est une action volontaire et en tant que catégorie sociologique, le jumelage

démontre la nature volontaire (libre) du lien social à l'intérieur duquel l'action est

accomplie. Si l'engagement peut être motivé par des besoins réels ou assujetti à des

contraintes contextuelles, il n'en reste pas moins que les jumelés sont libres de s'y engager.

Le questionnement porte alors sur la nature de l'engagement.

Par ailleurs, en tant que catégorie ethnologique, l'action volontaire est pour l'acteur la

réappropriation du sens de l'action, qui s'inscrit, elle, dans l'intersubjectivité. Cette quête de

sens, qui émerge de la mémoire individuelle et collective, qui est liée aux contextes de vie

et ancrée dans une réalité sociale, est l'essence de notre recherche.

C'est pourquoi il nous fallut aborder la perspective historique. Ainsi, il est nécessaire de

rappeler que l'apparition du concept du jumelage entre deux parties, dans ce cas deux

communes, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, avait un double motif. Ces

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motivations, certaines portées par un aspect défensif (la résolution de problèmes) d'autres

par un aspect offensif (le développement de liens plus étroits), attribuaient au jumelage ses

fonctions de régulation et de transformation sociale. Mais au-delà de ces fonctions, l'utopie

de cet acte de rapprochement était révélée : le désir d'une prise de conscience par les

humains que ce qui les rapproche est plus essentiel que ce qui les sépare. Ce qu'on leur

demandait en fait c'était de se projeter dans un idéal, dans cet esprit de solidarité sociale qui

imprègne tout en le dépassant l'espace de leur quotidienneté. Que l'humain fasse acte de

citoyenneté et qu'ainsi l'individualisme rejoigne l'universalisme !

Même si au départ le jumelage interculturel a lui aussi endossé la fonction de régulation

sociale, en tant que programme et service ayant comme objectif l'aide à l'intégration en

même temps qu'il exprimait la notion de contrat moral entre la société d’accueil et les

immigrants; les intervenantes en jumelage, supportées en cela par leurs organisations, lui

ont très tôt donné une dimension utopique alors que l'État en est encore aujourd'hui à en

évaluer les coûts et les bénéfices.

En effet, dès nos premiers entretiens, nous avons constaté que les acteurs du

communautaire donnent davantage d’importance à la notion du lien en tant que prise de

conscience de la réalité de l’autre, et au possible que ce lien social entre étrangers offre en

tant que lieu d’interconnaissance. Ainsi les intervenantes insistent sur le fait que la prise de

conscience de la méconnaissance de l’autre, et son corollaire la découverte de sa réalité, ne

font pas que transformer les perceptions du milieu d’accueil concernant l’immigration86,

mais permet de redonner à l’autre son statut de sujet, de le re-situer partenaire. Ce faisant,

les organismes attribuent au jumelage une fonction d’innovation et de transformation de la

société. De plus, la fonction de régulation sociale attribuée au jumelage dépasse, selon les

intervenantes, l'aide à l'intégration du nouvel arrivant. Le jumelage préviendrait la

désintégration parce qu'il est un acte d'apprivoisement, un geste d'accueil, une main tendue,

et qu'il pallie la solitude de l'individu. En donnant à l'individu l'opportunité de se recréer un

réseau social, dans l'axe de l'entraide, de la solidarité et de la reconnaissance, le jumelage

86 Objectif attribué au jumelage par les chercheures qui ont évalué la dynamique du jumelage à la demande du

MRCI.

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prévient le désordre, le déséquilibre non seulement individuel, mais aussi le déséquilibre

social.

Toutefois, l'analyse de nos données révèle que si cette projection proclame l’esprit du

jumelage, la lettre, elle, peut se manifester différemment. Car comme nous l'avons dit, la

relation du jumelage est avant tout intersubjective et tient de la représentation que s’en font

les acteurs qui la mettent en place, en l'occurrence les élus et nommés du MRCI, les

directeurs d’organismes, les intervenantes, et ceux impliqués dans cette interactivité, les

jumelés. De plus ces acteurs sont assujettis à de multiples contraintes.

Dans notre cadre théorique, nous avons insisté sur le contexte social des politiques

d'immigration et d'intégration. Dans cette optique, nous avons souligné qu'inscrire

l'immigration comme politique est motivé dans le cas du Québec, par des besoins variables

(économique, de main d'œuvre, démographique, linguistique) et par des devoirs

(humanitaire, respect de l'engagement pris lors de la Convention de Genève et nécessité de

s'ouvrir sur le monde). Aussi, avons-nous écrit, la logique de l'intégration puise ses modèles

à des idéaux : démocratique, de citoyenneté ou communautaire. De plus, elle fait référence

à la mémoire collective : la recherche du bonheur, de l'harmonie, de l'égalité. C'est ainsi,

comme nous l'avons mentionné, qu'au cœur du concept de citoyenneté nous retrouvons la

notion de contrat moral inspirée par les notions de droits et responsabilités sociales (le

devoir-faire), mais que nous retrouvons également la notion du contrat social qui fait

référence à la participation civique (le devoir-être). Nous avons insisté sur le fait que cette

notion est beaucoup plus difficile à imposer comme action collective parce que plus

difficile à circonscrire, qu'elle prend sa source dans l'éthique, dans le sens attribué au vivre-

ensemble et dans la projection dans l'avenir, donc dans une certaine part d'incertitude.

De plus, le jumelage est une rencontre entre des individus se référant à un moment ou à un

autre, et de façon variable, à des systèmes culturels, économiques, politiques et sociaux

différents. Le chapitre sur l'intervention sociale du jumelage nous indique que ce contexte

donne à l'intervention et à la relation une difficulté supplémentaire car l’intervenante et les

jumelés sont plongés au cœur de l’interculturalité, espace d’interrogation, lieu de

confrontation, de remise en question, de redéfinition, d'adaptation. Les intervenantes

devront alors faire appel à leur savoir-être, mais aussi acquérir de nouveaux savoir-faire.

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En même temps les intervenantes ont à se questionner sur le comment ces individus

décrivent les motifs de se lier aux autres, les raisons qui les poussent à donner leur

confiance? Car la notion de projet est au cœur du jumelage. La finalité de la relation du

jumelage doit être reliée aux motivations et au contexte des déplacements vers l'autre.

Comme nous l’avons mentionné, l'intervention sociale du jumelage dépasse la simple mise

en place d'une relation sociale; la complexité du processus migratoire et du processus

d'intégration à laquelle est confronté le nouvel arrivant et indirectement son jumelé a une

influence marquante sur la dynamique relationnelle. Cette dimension n'est pas encore assez

dite par les intervenantes.

L'analyse des perceptions du jumelage chez les intervenantes et directeurs nous démontre

que ces derniers associent l'intégration à un acte de volonté de l'immigrant et à un acte de

reconnaissance des membres de la société d'accueil, une implication de ceux-ci dans l'aide à

l'intégration. Ce qui, nous l'avons dit, nous ramène au paradigme contractualiste tel que

défini par Crowley (1991). La première qualité de l'intégration dans le paradigme

contractualiste c'est l'ouverture : cet espace offert à l'individu pour qu'il puisse

véritablement prendre une place. Le jumelage en recréant le sens du lieu, lieu qui donne

sens à « l'être ensemble » se situe au cœur du paradigme contractualiste.

Mais pour que le processus réussisse, il faut « faire en sorte que la personne qui est en

processus d'intégration puisse recevoir des reflets de son identité, un miroir de son identité

à divers paliers de la société » comme le rappelle un directeur, en reconnaissant son apport

et son pouvoir de transformation. L'immigrant ayant acquis ainsi une possibilité de

reconnaissance pourra lier son devenir au devenir de la société. Toutefois, encore faut-il

que cette société débatte de son présent, questionne son devenir, en délimite les orientations

et permette à ses citoyens d'en influencer le cours.

Car comme le rappelle Crowley (1991), si le concept de citoyenneté fait appel à la capacité

qu'ont les individus de faire appel à l'abstraction, l'exercice de la citoyenneté lui se fait dans

un lieu, il est situé. C'est ainsi que les intervenantes lient de façon directe et conséquente la

pratique du jumelage non seulement à l'intégration sociale des individus, mais aussi à

l'intégration/harmonisation de la société, société québécoise en devenir, société qualifiée «

d'oeuvre inachevée » .

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Le caractère inachevé ici ne fait pas référence à la large place laissée à l'innovation, à

l'autonomie accordée par une telle société, mais plutôt aux contradictions non résolues, au

zones sensibles refoulées, et aux vides abondants d'une société en perte de références. Pour

certaines intervenantes, la société québécoise se révèle être, fragmentée, et faite de liens

distendus. Cette situation a inévitablement, selon elles, un impact sur le programme de

jumelage « parce que, comme le rappelle l'intervenante C, si les gens n'ont pas de liens

entre eux, sont isolés, il devient plus difficile d'intégrer le nouvel arrivant dans un réseau. »

Il devient ainsi plus difficile de doter le jumelage d'une dimension collective. D'autant plus

que, comme le soulignent les intervenantes, l'espace du jumelage se situe au niveau micro,

« c'est à une petite échelle; ça se passe entre l'organisme et entre deux individus » .

D'autant plus que, comme nous le rappelle Larochelle (1992), « un nouveau paradigme de

gestion des rapports sociaux » s'est mis en place depuis les années 90 : le désengagement de

l'État de plusieurs programmes sociaux et l'adhésion à la thèse du néolibéralisme identifiée

comme le remède à cette crise. L’intervenante qui a le mandat de travailler sur le lien social

du jumelage, et qui tente de l’établir, est plongée bien malgré elle dans cette dialectique

sociétale de l’alliance et de la déliance. De plus, les organismes d'accueil et d'intégration,

structures intermédiaires communautaires ont la conviction de porter la responsabilité de

faire en sorte que la rencontre interculturelle se concrétise. Il appert que les organismes

offrent un lieu privilégié, l'interface. En cela l'organisation communautaire remplacerait le

rôle traditionnellement dévolu à la Famille, au Travail, en tant qu'Institution.

Cependant, trouver des jumelés d'accueil et jumeler des intérêts semblables qui ne sont pas

nécessairement les mêmes représentent deux défis majeurs. En effet, le recrutement est la

principale difficulté des intervenantes en jumelage. Une des raisons évoquée par les

intervenantes est liée au fait que le jumelage est peu connu au sein de la société québécoise,

que ça reste une « affaire entre individus .» Ainsi le jumelage, acte de rapprochement et

outil d'intégration ne serait pas inscrit dans un « vouloir collectif » d'une société. Cette

constatation expliquerait-elle le fait que, comme l'ait mentionné l'étude de Charbonneau et

al, « partant d'un programme à visée collective, les jumelés mesurent leur réussite à l'aulne

de l'exceptionnel et du singulier. » Dans tel cas, quelle responsabilité doivent assumer les

différents responsables de la mise en place du jumelage ?

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300

Dans le chapitre sur l'intégration nous avons indiqué que le « contrat moral » entre la

société d'accueil et l'immigrant, énoncé dans les politiques gouvernementales depuis 1990

par le MRCI, s'appuie et prend légitimation sur les concepts de citoyenneté et de

participation civique. En constatant que nous assistions à une interaction évidente entre une

théorisation des chercheurs et une appropriation des concepts dans la sphère politique, nous

avons déploré que cette appropriation fut souvent faite de façon maladroite, décousue ou de

manière précipitée.

À ce titre, nous avons pointé l'oubli d'impliquer le citoyen à titre individuel. Nous

rappelons, qu'à notre avis, une des difficultés de l'appropriation par le membre de la société

d'accueil du phénomène de l'immigration, et des changements qu'il provoque au sein de la

société québécoise, a résidé dans cette association les nouveaux arrivants /la société

d'accueil. Comment le membre de la société d'accueil pourrrait se sentir impliqué non pas

seulement à titre individuel, puisque que la relation est avant tout affaire d'individus, mais

aussi se sentir impliqué socialement puisque que c'est justement à ce système qui le dépasse

à qui on donne la responsabilité d'accueillir sans que le citoyen soit nommé. Nous le

redisons : il peut être très réconfortant de savoir que nous faisons partie d'une société

accueillante d'autant plus que de nombreuses structures d'accueil ont été mises sur pied au

Québec.

Nous avons mentionné aussi que le concept de citoyenneté, tel que véhiculé au Québec, fait

appel aux citoyens habitant le territoire, afin qu'ils développent des relations civiques.

Ainsi, veut-on interpeller et responsabiliser davantage l'individu citoyen. En 1990, le

MAICC s'appuyait sur une conception de l'intégration définie comme un processus

multidimensionnel d'adaptation à long terme; ce processus n'est achevé que lorsque

l'immigrant ou ses descendants participent pleinement à l'ensemble de la vie collective de la

société d'accueil et a développé un sentiment d'appartenance.

Les deux concepts de participation et d'appartenance sont repris avec le concept de

citoyenneté et de relations civiques dont veut s'inspirer actuellement le MRCI pour

l'élaboration d'un contrat civique. Toutefois, nous tenons à souligner qu'en mettant

l'emphase sur la notion de participation, le MRCI abroge la période d'adaptation en la

situant dans les premières années d'arrivée du nouvel arrivant. De même, l'intégration en

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tant que processus et résultat de l'insertion sociale, devrait par le fait même et selon cette

tendance, se faire assez rapidement puisque l'on considère dorénavant le nouvel arrivant

comme un citoyen au même titre et statut que les Québécois de la société d'accueil; en cela

on lui attribue les mêmes droits et les mêmes responsabilités. Nous nous demandons si en

défendant uniquement la thèse égalitariste, nous ne compromettons pas la notion d'équité

qui commande que nous tenions compte des spécificités, notamment en ce qui concerne les

nouveaux arrivants : le parcours migratoire et la complexité de l'intégration. En tenir

compte exige que l'on admette que l'on doive y accorder une attention particulière, que l'on

reconnaisse la pluralité des parcours et la diversité des actions, entre autres le jumelage, qui

doivent être posées, afin de répondre au mieux au défi que pose le processus de l'intégration

tant du côté de l'immigrant que de celui de la société d'accueil. En tenir compte exige donc

de reconnaître toute la complexité de ce processus d'intégration et l'importance que l'on

doive accorder à la construction du lien social du jumelage qui est associé à cette démarche.

En tenir compte demande que l'État dépasse la logique coûts-bénéfices, logique du

donnant-donnant qui se révèle être un contre-lien.

Car il faut se demander pourquoi cet acte que l'on qualifie acte d'accueil des citoyens de la

société québécoise n'est pas inscrit dans un collectif ? Est-ce parce que le jumelage, relation

interpersonnelle qui se déroule principalement hors institution, est, comme nous l'avons

écrit, un acte difficile à circonscrire, imprévisible, risqué ? Le jumelage ne peut être qu'un

agent de régulation sociale; le jumelage est aussi sinon davantage un agent de

transformation, un déstabilisateur. En effet, comme nous le signale Michel Miranda, « la

permanence de toute société repose sur sa capacité non pas à gérer , mais à laisser

s'équilibrer ses forces conflictuelles » (1986:141); le lien social est ainsi confrontation de

valeurs en ce qu'il établit un rapport d'identité, mais aussi d'altérité.

Car comme toute forme de relation partenariale, le jumelage emprunte la voie de la

négociation et les partenaires doivent apprivoiser le compromis en surmontant «

l'incertitude qualitative », qui comme le rappelle (Neuville, 1997:298) « revêt un caractère

central et critique dans la construction d'une relation de coopération à long terme » . Lieu

de co-présence, de découverte, de chocs culturels, de distanciation face à sa propre culture,

le jumelage est un lieu de prise de conscience de l'identité/ altérité, lieu de négociation, de

transformation. Un lieu où des individus explorateurs participent à la transformation sociale

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de la société (Martin, 1995) en jetant des ponts, en créant des liens, en niant la

fragmentation, en re-créant une dynamique d'intégration.

Faut-il le rappeler, s'engager à coopérer avec un autre dont on a une connaissance limitée et

dont on ne peut prédire avec certitude ses actions futures implique nécessairement de lui

accorder sa confiance. Mais il n'en demeure pas moins qu'accorder sa confiance dans ce

contexte imprégné d'ignorance est un geste risqué. Pour que le projet se concrétise, il faut

qu'il y ait la conviction partagée du bien-fondé de l'entreprise.

Le contrat moral dépasse le simple fait d'accueillir, il se manifeste dans l'acceptation de

l'autre et dans le pouvoir qu'on lui accorde, dans la symbolique de la reconnaissance qui

elle prend source dans l'axe de réciprocité. La complexité du processus de l'intégration, si

elle implique la participation de chaque individu, si elle nécessite une certaine

compréhension individuelle du processus, demande, nous le soulignons, une acceptation

collective des implications de ce processus.

Certaines intervenantes associent la difficulté d'avoir des « bénévoles » au fait que

l'immigration est un phénomène nouveau au Québec. En fait ce n'est pas tant l'immigration

qui soit un phénomène nouveau, mais plutôt l'acceptation par les membres de la société

d'accueil que l'immigration est un élément constituant de la société québécoise et en tant

que tel participe à sa transformation. La question est comment alors dans un tel contexte de

méconnaissance ou de résistance faire connaître le programme de jumelage aux Québécois

? Impliquer davantage les jumelés dans les stratégies de promotion fait partie d'un des

moyens que veulent se donner les intervenantes. Être accompagnées de jumelés pour faire

la promotion a comme objectif de les rendre porteurs du projet, et multiplicateurs dans les

milieux. On désire responsabiliser les jumelés face à leur engagement et lier ainsi ce projet

individuel à un projet d'ensemble, à un projet social pour que celui-ci devienne une

responsabilité collective face à l'intégration. Cependant, comme nous l'avons constaté, les

intervenantes ont, elles mêmes, de la difficulté à attribuer au jumelage une dimension

collective.

De plus, le temps que les intervenantes doivent accorder à la promotion et les difficultés

que pose la sensibilisation de la collectivité affectent la qualité de leur intervention. Ce

problème, redit dans l'étude de Charbonneau et al (1999), était au cœur des discussions de

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la réunion entre les représentants du MCCI et des organismes communautaires en 1992 et

fut repris lors du premier événement public du Réseau jumelage en 1996. Les participants

avaient alors recommandé que « compte tenu de l'importance de la promotion dans le

recrutement des candidats, il est proposé que le MCCI soutienne les organismes en

organisant une campagne de promotion du jumelage auprès du public québécois. »

Recommandation qui malheureusement, selon nous, ne fut pas retenue par le MCCI.

Recommandation qui mériterait sûrement d'être analysée car elle questionne la

responsabilité de l'État face à un programme qu'il a mis en place et par lequel il fait appel

au citoyen comme agent d'intégration sociale.

Plusieurs intervenantes déplorent manquer d'hommes québécois, et dans certains cas de

femmes; tous les organismes cherchent des familles. Dans le cas des hommes, nous avons

émis des hypothèses concernant les notions du don et de l'implication sociale, qu'une autre

étude pourrait approfondir. Dans l'immédiat, il y aurait sûrement une stratégie de

recrutement ciblé à faire auprès d'associations professionnelles, de regroupements sportifs,

où se retrouvent une majorité d'hommes. Le jumelage professionnel, c'est-à-dire réalisé à

partir des profils d'employabilité ou d'intérêts professionnels, serait sûrement aussi une voie

à explorer. Le manque de familles nucléaires est un fait objectif dans certains quartiers de

Montréal; dans d'autres quartiers plus résidentiels, il faudrait analyser d'autres variables qui

font en sorte que les familles ne s'engagent pas dans le jumelage. Est-ce la complexité de

l'implication familiale, comment en effet faire coincider les besoins et les attentes de

chacun, comment faire en sorte que tous aient des affinités et des profils concomittants ? Ne

faudrait-il pas faire une analyse comparative des difficultés de recrutement des bénévoles

en considérant d'autres types d'action bénévole dans le domaine de l'accompagnement

social (mentorat, parrainage) ?

Une autre contrainte qui est en fait une zone d'incertitude, c'est, pour les intervenantes,

d'établir les motivations des gens à être jumelés afin de maximiser les possibilités que le

jumelage réponde aux attentes des uns et des autres. L'analyse des données indique que

cette zone d'incertitude est liée au flou de la dynamique du jumelage, aux motivations

profondes reliées aux parcours de vie des individus et à leur compréhension des objectifs du

programme, programme à la fois structuré et intégré dans une organisation, dans un univers

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des rapports sociaux secondaires, mais surtout spontané et intégré dans l’univers des

rapports sociaux primaires.

Les motivations des personnes-ressources combinées aux objectifs des programmes de

jumelage qui leur sont présentés confirment, comme l’indique l’étude de Charbonneau,

Dansereau et Vatz-Laaroussi (1999), deux grandes orientations au jumelage :

démonstration d’un geste d’accueil ou d'un besoin d'accueil (axe sociétaire) désir d’entrer

en relation (axe communautaire). Toutefois, comme nous l'avons vu, ce vouloir entrer en

relation peut être principalement porté par l'aspect utilitaire, notamment dans le cas des

Québécois, celui d'apprendre ou de pratiquer une autre langue. Par ailleurs, les motivations

peuvent être au départ insoupçonnées; elles se révéleront en cours de route, de même que

certains préjugés latents pourront se révéler lors d'incidents critiques, ce qui complexifie

l’intervention.

Le lien social du jumelage, tel que présenté par les intervenantes se définit selon trois axes

relationnels : celui du bénévolat, de l’amitié, de la rencontre interculturelle; ces

représentations amènent les intervenantes à poser des actions en accord avec chacune

d’entre elles, et, selon les difficultés rencontrées, les résultats obtenus, à en remettre en

question certaines.

L’axe du bénévolat et l’axe de l’amitié ont été tour à tour et en même temps les axes

privilégiés pour présenter la relation de jumelage. Comme nous l’avons mentionné, le

jumelage ayant été d’abord institué dans le but d’aider les réfugiés à s’intégrer, le bénévolat

dans le sens aidant/aidé a été mis de l’avant dans l’appel à l’engagement des personnes-

ressources. Toutefois, alors que pour un organisme la philosophie de l'action bénévole est

imprégnée de la charité chrétienne dans la gratification du don de soi, et que pour un autre

il est associé à la notion de l'engagement moral, les autres membres du Réseau prennent

leur distance non seulement face à la notion de bénévolat, associée à la notion de

paternalisme et d'assimilation, mais en ont aussi contre l’utilisation du terme bénévole pour

désigner les personnes de la société d’accueil.

Ces divergences de point de vue dans la représentation de la nature de l'engagement des

personnes de la société d'accueil de même que dans la façon de les nommer ont été révélées

au sein du Réseau jumelage notamment lors de la production de la vidéo promotionnelle sur

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le jumelage interculturel. Les intervenantes ont confronté leurs points de vue, et tout en

gardant chacune leur position, en sont arrivées à un compromis : la personne de la société

d'accueil est nommée jumelé d'accueil. Faute de temps et peut-être par crainte de plonger au

cœur de notions empreintes d'émotivité parce que liées aux diverses représentations et

acceptation ou non/acceptation de la dimension religieuse de l'acte du don et de son

inscription dans l'histoire d'une société, les intervenantes ont opté pour une troisième voie,

celle de la neutralité. Mais confrontées au besoin de préciser davantage quelles seraient les

règles à respecter pour une personne qui s'engage volontairement et librement dans une

relation de jumelage, les intervenantes du Réseau jumelage ont du remettre à l'ordre du jour

la réflexion sur la notion de bénévolat. Elles ont alors davantage précisé leurs raisons pour

ne pas inscrire l'acte du jumelage dans l'axe du bénévolat. Le fait que le terme bénévole soit

donné de façon exclusive aux jumelés d'accueil fut évoqué; ceci briserait, selon les

intervenantes, l'axe symétrique au sein duquel la majorité des intervenantes veulent inscrire

la relation. Des intervenantes soulignent aussi le fait qu'inscrire les jumelés en tant que

personnes bénévoles les astreindrait à davantage formaliser l'acte; ce qui va dans le sens

opposé du vouloir insérer le jumelage comme un geste spontané, libre, « gratuit » oserions-

nous dire .

Le non vouloir associer le jumelage à un acte bénévole est aussi lié à la notion de travail

non rémunéré et à la notion d'insertion sociale à partir de besoins bien identifiés qui sont au

cœur du néo-bénévolat, tel que décrit par Redjeb (1991). Cet axe asymétrique où le

bénévole va chercher une amélioration de sa condition de vie, contredirait la notion

d'échange inhérente au jumelage. Les intervenantes sont donc confrontées à se demander :

si ce n'est pas du bénévolat, qu'est-ce que le jumelage ?

La question du lien étant au cœur des préoccupations des intervenantes, celle-ci les a

amenées à analyser leurs réticences à inscrire le jumelage comme un acte bénévole. Cette

réflexion les a conduites à circonscrire leurs propres ambiguïtés et à mesurer leurs

difficultés à intégrer la notion de l’engagement, notion non seulement à la base du

bénévolens, mais au cœur, nous semble-t-il, de l'acte du jumelage.

Nous convenons avec les intervenantes que nommer les jumelés d'accueil bénévoles leur

attribue d'emblée et peut-être de façon exclusive la qualité d'aidant vis-à-vis un aidé et peut

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confiner la relation dans un axe asymétrique. Que cet axe asymétrique ne peut dans le

contexte du jumelage définir la relation puisque celle-ci se passe entre deux individus qui

ont chacun leurs propres expériences de vie à partager, leurs connaissances à transmettre à

l'autre.

Cependant, nous questionnons le fait que l'acte du jumelage ne soit pas considéré comme

un acte bénévole, un acte de bon vouloir. Car dans les faits, l'acte du jumelage est un acte

bénévole : un geste qui est posé sans contraintes, un geste qui démontre une certaine

bienveillance dans le sens de la cordialité, un acte non rémunéré, libre et inscrit dans une

organisation.

Le fait, croyons-nous, de donner au jumelage la valeur marchande de l'échange, du

donnant/donnant éloigne le jumelage de l'univers du don, alors qu'il y a bien don de temps,

de connaissances, d'informations, d'expériences, d'affect, et effrite sa qualité de lien. En

effet dans l'univers du don, la non-équivalence, qui se traduit par l'espoir du retour fait en

sorte que se tisse une histoire relationnelle.

Intégrer la dimension du don dans le jumelage, c'est, nous le rappelons, se poser la question

sur les motivations qu'ont les acteurs à entrer dans cet espace du don, sur les rôles qu'ils y

tiendront, mais c'est aussi se demander quels seront les bénéfices qu'ils en retireront, ce

qu'ils gagneront ou perdront (ou auront l'impression de gagner ou de perdre) en tant

qu'individus (groupe et société) dans l'échange.

Les intervenantes en priorisant l'axe symétrique de la relation basé sur la valeur de

l'échange entre individus accentuent l'assisse du « je » propre au néo-bénévolat dont les

valeurs sont centrées sur l'individualité. Ce faisant elles délaissent l'aspect social de l'acte

qu'est l'assise du nous. De plus, en refusant l'axe du bénévolat, les intervenantes négligent

du coup le code axiologique de l'entraide. Celui-ci pourtant emprunte plusieurs valeurs à

l'idéologie communautaire, mentionnons : la solidarité, le respect, la réciprocité, l'équité,

l'égalité. La solidarité implique la responsabilité du lien, la prise en compte et le respect de

l'autre.

Cette valeur donnant/donnant emprunte d'une certaine façon, peut-être de façon

inconsciente, à la logique coûts-bénéfices telle qu'appliquée par l'État; les individus qui

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acceptent de s'engager dans le jumelage, qui permettent aux intervenantes et aux

organismes de respecter l'entente avec le bailleur de fonds quant au quota, le nombre de

jumelages à réaliser annuellement, doivent de façon prioritaire en être bénéficiaires, en

retirer quelque chose.

Si nous convenons par ailleurs qu'inscrire le jumelage dans l'axe du bénévolat, comme le

font certains organismes, n’est pas nécessairement un empêchement à l'émergence d’un lien

d'amitié (Charbonneau et al, 1999), nous croyons qu'inscrire a priori la relation dans l'axe

de l'amitié (le contrat du lien) pourra être une forme de contrainte à l'épanouissement du

lien.

En 1992, lors d’une réunion d’évaluation du programme jumelage qui réunissait des agents

du MCCI et des directeurs d’organismes communautaires, on a évalué qu’il serait plus

facile et plus fidèle à l’esprit du jumelage, en tant que relation symétrique où l’immigrant

est davantage perçu comme un être doté d’aptitude à acquérir son autonomie, de situer le

programme dans l’axe amitié. Mais là encore, certaines intervenantes remettent en question

le fait d’ancrer dès le départ la relation dans un contrat d'amitié tout en laissant la porte

ouverte au possible développement de ce lien.

Il nous apparaît que ce passage d’un extrême du continuum relationnel à l’autre, du

bénévolat relation asymétrique à l'amitié relation symétrique nous semble oublier un espace

intermédiaire qu’est celui du partenariat.

Considérer l’autre comme un partenaire c’est d’abord le reconnaître égal en droits et en

responsabilités, c’est lui signifier notre acceptation de sa réalité, notre désir d’entrer en

négociation prélude à la négociation et au contrat. Mais avant tout, la négociation, souligne

Borzeix (1987), est un « acte de reconnaissance. » Un acte de reconnaissance parce que, par

elle, on reconnaît à l'individu le « droit d'être considéré comme partie prenante, partenaire à

part entière pour les affaires le concernant. » Le jumelage devrait être reconnu d'abord

comme une invitation à créer du lien entre humains, puis comme une manifestation d'un

geste d'accueil d'un citoyen à l'égard d'un nouvel arrivant, enfin, une alliance, donc un

espace où on se compromet. Car, comme l'a signalé Michel Miranda, le lien social est aussi

confrontation de valeurs en ce qu'il établit un rapport d'identité, mais aussi d'altérité. Le

jumelage donne l'opportunité d'individualiser l'autre, et par le fait même de prendre

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conscience de sa propre individualité. Inscrire le jumelage acte bénévole ou acte de

rapprochement interculturel ou encore geste d'amitié ne suffit pas à doter celui-ci d'une

dimension collective. Ce n'est pas tant le fait de définir le jumelage comme une relation

d'aide ou comme une relation d'amitié qui conditionne les interactions des personnes

engagées dans le jumelage et les amènent à interpréter différemment les éléments du

contexte de la relation, comme le postulait notre première hypothèse. C'est plutôt le fait que

le jumelage, en tant qu'intervention et relation, ne soit pas doté à la fois d'une dimension

sociétaire et communautaire, et présenté comme tel. La dimension sociétaire de l'acte du

jumelage est dans le devoir du geste d'accueil envers le nouvel arrivant, et dans la

considération de l'autre à titre de partenaire, sujet individualisé, pour l'élaboration d'un

projet commun. La dimension communautaire est dans le vouloir créer du lien entre

humains, dans la manifestation d'un vouloir vivre ensemble.

La coopération n’est pas un lien d’amitié; le lien d’amitié n’est pas du tout une condition au

partenariat, bien qu’il puisse poindre en cours de route. Le contrat institué dès le départ,

contrat auquel on attribue les qualités amicales non seulement ne fait pas lien, mais comme

le souligne Apollon (1993:181), il conditionne l’alliance. Et dans ce cas, cette alliance se

tisse entre étrangers; entre étrangers qui sont marqués par des contextes de vie différents et

qui ont chacun à leur manière et de manière commune à composer avec le présent puis à se

projeter de façon individuelle et collective dans un avenir commun. Toutefois, pouvoir se

mouvoir à travers des codes différents exige de l'individu, comme le rappelle Taft (1981) «

une tolérance à l'ambiguïté », à l'incertitude, à l'imprévisible.

Et celle-ci se manifeste de façon particulière en ce qui concerne la dimension

interculturelle. Toutes les intervenantes conçoivent la dimension interculturelle du jumelage

comme étant au cœur de la relation. Le jumelage est alors considéré comme un moyen de

rapprocher les nouveaux arrivants et les gens de la société d'accueil, comme un lieu de

partage; ce qui rejoint la notion de « réciprocité dans les échanges » de Clanet.

Mais l'interculturel ne qualifie pas la qualité ou la nature du lien, ni ne campe les actants

dans des rôles spécifiques, ni leur donne de responsabilités, contrairement à l'axe du

bénévolat et de l'amitié, il lui attribue une dimension. Le jumelage considéré dans la

dimension interculturelle est ainsi appréhendé dans un espace de l'aléatoire parce que

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rencontre humaine, un espace en développement; un espace a priori, de savoir-être,

d'attitudes, de prise de conscience de ses qualités, de prédispositions à l'autocritique, à la

décentration, d'ouverture à l'autre.

Ce rapport entre individus, permet, selon l’intervenante C, de voir les individus dans leurs

multiples dimensions, leurs multiples appartenances, ce que ne permet pas une relation de

groupe. L’espace interculturel du jumelage devient ainsi un lieu de « chocs culturels » où a

lieu une prise de conscience identitaire en même temps qu’une occasion pour chacune des

parties en cause de prendre de la distance par rapport à ses valeurs, et souvent de les

relativiser. Les zones d'incertitude deviennent souvent au cœur de la dimension

interculturelle des lieux de remise en question, de prise de position et d'innovation. Nous

soulignons que les intervenantes croient, à l'instar de l'intervenante B, « que les gens qu'ils

recherchent n'ont pas tant besoin de savoir-être bénévole, mais plus un savoir être dans

l'interculture. » Être bénévole signifie avoir un rôle déterminé alors qu'être dans

l'interculturel, c'est accepter l'indéterminé.

Nous avons noté que si ces intervenantes situent la relation comme une rencontre

interculturelle, seules les intervenantes B, F et C connaissent et mettent en pratique dans

leurs interventions, les principes et actions de l'approche interculturelle, tels que décrits par

Cohen-Émerique et autres disciples. La majorité des intervenantes tentent plutôt de

s'appuyer, parfois de façon fragile, sur leurs savoirs et leurs compétences en les adaptant au

contexte de l'intervention jumelage. D'ailleurs les intervenantes ont décidé de demander une

formation sur l'approche interculturelle et sur le processus de médiation. Nos observations

tout au long de cette recherche, notre analyse des données, notre réflexion empirique nous

conduit à épouser la position de Schön (1995) que nous avons cité au chapitre 5. Les

praticiennes que nous avons rencontrées, tout particulièrement, mais pas uniquement celles

qui ont une formation académique en sciences humaines ou sociales, œuvrent dans la

position du doute et de l'autocritique ainsi que de l'ouverture au changement.

Par ailleurs, comme nous l'avons écrit, l'intervenante en jumelage est avant tout un agent

social : une personne à qui on a donné des pouvoirs qui se traduisent en responsabilités, en

devoirs. Le mandat que la société lui attribue est de faire une intervention sociale. Le

jumelage, relation primaire certes, mais aussi secondaire, est présenté aux futurs jumelés

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comme un programme intégré à un organisme. Trois espaces leur sont offerts pour

développer ce sentiment d'appartenance à l'organisation, des formations, des cafés-

rencontre et des activités collectives culturelles ou de loisirs. Car le contrat moral dépasse

le simple fait d'accueillir, il se manifeste dans la symbolique de la reconnaissance, non

seulement dans l'établissement d'une relation interpersonnelle, mais en tant qu'appropriation

collective de la réalité plurielle qui passe irrésistiblement par l'identification de nouveaux

éléments et par l'assimilation des nouveaux apports, synergie transculturelle. Toutefois la

contrainte financière et la contrainte du temps font qu'il est difficile d'offrir ces espaces

communautaires aux jumelés, il est difficile pour eux de les investir. La notion de temps,

plutôt l'absence du temps nécessaire à chaque étape du processus du jumelage est dite et

redite par les intervenantes. Permettre aux intervenantes de s'investir dans la réflexion sur

les difficultés du programme jumelage, leur permettre de penser de nouveaux lieux pour

que la relation s'épanouisse, demande que l'on dépasse la logique coûts-bénéfices, et que

l'on se penche sur l'importance accordée à la construction du lien social du jumelage et à la

reconnaissance de la complexité de ce lien social. Comme le souligne Melucci (1993:190)

ces mobilisations collectives sont des espaces nécessaires, des mécanismes de liaison, « où

les liens deviennent explicites, où l'on permet au réseau latent de faire surface et de

s'agréger pour ensuite s'immerger à nouveau dans le quotidien. » Nous devons nous

demander si en effet la tendance de plus en plus marquée des organismes communautaires

vers la bureaucratisation, la logique de l'efficacité, la logique coûts-bénéfices où tout doit

être quantifiable, alors que, comme le mentionne Minztberg, « l'intégration, la croissance,

la créativité dépendent en grande partie de l'autre processus de pensée, en considérant les

choses sous un aspect holistique à partir d'une perspective de synthèse » (1990:500), peut

être un frein à l'élaboration et à la transmission du sens de la mission ?

Car l'incertitude de l'intervenante devant les choix, incertitude liée à la prise de conscience

des limites de ses propres compétences est doublée des contraintes qui se présentent à elle.

En effet, les entretiens individuels que nous avons menés auprès des intervenantes en

jumelage nous ont permis de constater que la problématique de l'interaction des acteurs liés

au jumelage impliquait plusieurs éléments. Nous en avons relevé quelques-uns : le mandat

donné aux intervenantes au sein de l'organisme, leur personnalité, leur horaire de travail,

leur vision du programme, la perception de leur implication, leur conception de

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l'engagement des jumelés, leur aptitude à gérer des conflits, leur définition de l'intégration,

leurs préjugés, leurs acquis à titre d'intervenante, leur formation, les attentes et objectifs des

jumelés, et enfin, le contexte organisationnel, politique, social et économique de la société

québécoise. Nous nous sommes demandée comment l'intervenante attribuait telle difficulté

rencontrée à telle contrainte ? Quel lien l'intervenante devrait-elle établir entre ces

contraintes, entre ces difficultés et contraintes ? Comment les intervenantes composent-

elles, par exemple, avec cette contrainte systémique, imposée par le contexte politique

fédéral/provincial qui exclut les revendicateurs de statut du programme de jumelage ? Cette

clientèle non-admissible représente tout de même un fort pourcentage des nouveaux

arrivants demandeurs de services dans les organismes communautaires.

Il appert que la majorité des intervenantes ne sont pas d'accord avec leur non-admissibilité

au programme jumelage telle que dictée par le MRCI, considérant que cela va à l'encontre

de la mission humanitaire des organismes. Par contre, les intervenantes sont conscientes

qu'elles doivent se conformer aux critères établis par le MRCI pour obtenir la subvention.

Une fois encore, la tension est manifeste entre répondre à la mission humanitaire

(communautaire) et répondre à la mission de l'organisme telle que définie par le MRCI

(gouvernement/subventionnaire). Nos données mettent en évidence cette tension entre les

orientations du programme données par le ministère et la réalité des pratiques. Notre

hypothèse voulant que les contraintes gouvernementales actualisées par des critères de

sélection et des règlements suscitent des espaces de créativité et de transgression s'avère

juste dans ce cas. Plusieurs responsables du programme de jumelage répondent à l'entente

avec le ministère en faisant le nombre demandé de jumelages admissibles puis jumellent les

non-admissibles. Cette situation de semi-clandestinité qui fait « qu'entre eux, ils n'en

parlent pas » a un impact sur la qualité des jumelages. En effet, la stratégie de jumeler les

revendicateurs se fait parfois de façon improvisée, sans norme précise et les interventions

reflètent parfois le peu d'assurance que les intervenantes ont dans ce champ d'intervention.

De plus, étant donné la situation d'interdiction, les intervenantes ont inscrit cette question

au dernier rang de leurs préoccupations en terme de formation, selon un sondage distribué

par le Réseau jumelage en 1998. Ce qui ne signifie pas pour autant, comme nous le

soulignons dans notre analyse, qu'elles ne sont pas conscientes que la résolution du

problème demande d'autres types d'action entre autres, des formations spécifiques aux

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bénévoles, une sélection plus pointue et particulière des bénévoles qui auraient des

compétences essentielles à ce type de jumelage (ex : étudiants en travail social ou

travailleur social), des sessions d'information adaptées aux revendicateurs sur ce qu'est le

jumelage, ses apports et ses limites.

Il est consternant de lire dans une recherche telle celle réalisée par les chercheures

Charbonneau et Dansereau de l'INRS-Urbanisation et par M. Vatz-Laaroussi (1999:193)

une recommandation disant « qu'il serait préférable (étant donné les difficultés reliées à ce

type de jumelage) de ne pas encourager ce type de jumelage. » Alors que d'autres

recherches (Jacob, Bertot, Frigault, Lévy, 1996; Rousseau, Moreau, Drapeau, Marotte,

1997; Bertot, Mekki-Berrada, 1999) démontrent l'extrême isolement et vulnérabilité

auxquels sont confrontés les revendicateurs en attente de statut et leur besoin immense de

support social. Ces derniers insistent entre autres, sur l'urgence de rendre accessibles aux

demandeurs d'asile l'ensemble des services prévus dans le cadre du PAEI. « Et ce dès leur

arrivée, pour leur propre bénéfice comme pour celui de la société qu'ils sont invités à

intégrer pleinement » (Bertot, Mekki-Berrada, 1999:95). Ne serait-il pas plus pertinent et

constructif de se pencher sur la notion d'accompagnement social de cette « clientèle » et de

voir quelles pourraient être les modalités en terme de prévention et d'intégration afin de

sortir cette problématique de l'ombre néfaste en ce cas, des « pratiques silencieuses . »

Ces pratiques silencieuses de même que les zones d'incertitude poussent les intervenantes,

et ceci est très marqué chez l’intervenante B, à se questionner sur leur rôle, sur les limites

de leurs fonctions. Pourquoi certaines situations se produisent-elles ? Comment éviter des

situations de crise où seront révélés des préjugés latents ? Leur revient-elles de faire de

l'éducation interculturelle ? Quels sont les meilleurs outils de sélection des personnes,

d'évaluation de leurs habiletés à répondre aux objectifs du jumelage ? Ces questionnements

habitent continuellement les intervenantes; d'autant plus que d'autres difficultés, non

essentiellement attribuables à la dimension interculturelle, ajoutent à la complexité de

l'intervention jumelage. Les notions de santé mentale et d'homosexualité sont parmi celles-

là. Elles obligent les intervenantes à jongler avec des questions d'ordre moral, d'éthique, de

même qu'elles les confrontent à leurs propres préjugés. Le doute épistémologique suscité

par les zones d'incertitude fait donc partie de la démarche des intervenantes.

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313

Une autre dimension importante de l'intervention que révèlent nos données est le processus

du suivi ou plus précisément, l'importance du suivi et la difficulté qu'ont les intervenantes à

l'assurer.

L'intervenante D dénonce le manque de temps pour assurer un suivi régulier qui pourrait

développer des liens solides de confiance. La notion du lien à consolider est au cœur des

préoccupations des intervenantes puisque la reconnaissance de leurs efforts, de leurs

compétences, du bien fondé de leur intervention, s'y trouve. Les discussions au Réseau

jumelage ont fait ressortir qu'en ce qui concerne les modalités du suivi, les intervenantes

optent pour une structure souple. Nous croyons que certaines avenues telles des activités

collectives festives (occasion de tisser des liens entre les jumelés, opportunité pour

l'intervenante de s'enquérir de la dynamique des jumelages de façon informelle), doivent

être maintenues. Par contre, d'autres devront être questionnées, analysées et modifiées,

telles les formules cafés-rencontres où la majorité des intervenantes déplorent le faible taux

de participation.

Le processus du suivi permet aux intervenantes de dévoiler les non-dits de la relation : les

incompréhensions ou les ruptures de jumelage et met en relief la notion de l'engagement.

Nous nous sommes demandée comment les intervenantes abordent la notion de

l'engagement social ? Celles-ci affirment qu'elles n'ont pas à adopter une attitude coercitive,

dirigiste, mais d'encadrement face à des gens qui s'engagent librement dans un projet. Une

attitude de flexibilité qui veut laisser la responsabilité de la relation aux jumelés, mais une

attitude que l'on pourrait qualifier, dans certains cas, de non-intervention. Ainsi,

l'intervenante I affirme : « moi je n'interviens pas, je dis bon, espérons que ça marche » et

concernant l'introduction de l'immigrant dans un réseau, elle précise : « non je ne leur dis

pas(…); ça peut faire, "mon Dieu je dois le présenter à ma famille". » Certaines iront

jusqu'à n'imposer aucune règle de fonctionnement alors que d'autres insistent sur l'espoir

que la relation fonctionne. Peu insistent sur l'importance de l'engagement et de la

responsabilité du lien. Nous avons souligné qu'il nous apparaît particulièrement important

de parler de la notion d'exit dans la relation de jumelage, et donc de l'aborder au cours de

l'intervention parce que l'exit peut provoquer le ressentiment envers non pas seulement un

individu, mais aussi envers tout un groupe social. Nous croyons que l'intervenante en

jumelage devrait assumer un rôle d'intermédiaire lorsqu'il y a volonté de mettre fin à la

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relation, de même qu'il serait opportun qu'il y ait une forme de rituel de la fin ou étape de

transition. Cette étape permettrait, selon nous, de redonner à l'acte du jumelage une

dimension collective.

Par ailleurs, ce non vouloir imposer se traduit par un non pouvoir inscrire le jumelage dans

une dimension collective : en ne disant pas au jumelé d'accueil l'importance d'intégrer le

nouveau venu dans un réseau social. Les intervenantes rencontrent ainsi des difficultés à

rendre les jumelés porteurs et multiplicateurs du projet. Il est particulièrement intéressant

de noter que pour la majorité des intervenantes en jumelage, l'intégration se situe d'abord

dans un rapport interpersonnel, dans l'ordre du micro, lieu de déploiement d'un lien social et

dans un deuxième temps dans le développement d'un réseau social. En fait les intervenantes

évaluent, avec raison, que le jumelage en tant que rencontre entre un nouvel arrivant et un

Québécois permet à l'un et à l'autre d'élargir son réseau social. En effet, le jumelage a ce

potentiel. Toutefois, la dimension de la densité du réseau social des participants n'étant pas

prise en compte lors du pairage, il faut admettre que le potentiel d'intégration du nouvel

arrivant dans un nouveau réseau social s'en trouve limité ou du moins non assuré. Cette

responsabilité spécifique qui incombe au Québécois qui en a les capacités n'est souvent pas

dite par l'intervenante, par crainte d'être trop dirigiste. Peut-être est-ce dû au fait que,

comme nous l'a signifié Jean Ladrière (1967:4), l'acte d'engagement ou « l'engagement-acte

» est une décision où l'individu « se met en jeu lui-même ? »

Le lien social du jumelage est un lien complexe. S'il est vrai que la mise en place du Réseau

jumelage fut motivée par la crainte que le programme du jumelage ne soit plus considéré

prioritaire par le MRCI, le Réseau a répondu aussi et surtout au besoin d'échanges

manifesté par les intervenantes. Nous avons qualifié le Réseau jumelage d'espace de

transgression. Le Réseau est en fait le seul espace, pour ce qui est des différents comités et

regroupements au sein du ROSNA, occupé exclusivement par des intervenantes. Par leurs

décisions et initiatives réalisées au sein du Réseau, les intervenantes vont jusqu'à la limite et

parfois même outrepassent le mandat accordé à des acteurs qui n'ont pas d'autorité

décisionnelle. D'ailleurs les directeurs ont, à un certain moment, remis en question cette

autonomie et ont défini le cadre d'intervention et d'action qu'ils accordaient à ce réseau. Ce

qui n'empêche pas le Réseau jumelage d'être et de continuer à être un espace de remise en

question et de créativité. Au sein de cet espace, les intervenantes questionnent leurs

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pratiques, la redéfinissent, dévoilent leurs préjugés, analysent leurs difficultés et

développent des outils mieux adaptés à leur intervention. Si nous convenons avec Jean

Lavoué que la visée du changement social des intervenantes en jumelage ne vise ni une

transformation politique des rapports sociaux, ni n'épouse une logique

d'institutionnalisation du social, nous ne croyons pas par ailleurs que les travailleurs

sociaux, les travailleuses sociales, évoluent en dehors de toute perspective globale,

productrice de sens qui offrirait à leur action une signification extérieure reconnaissable.

L'occupation de cet espace collectif qu'est le Réseau jumelage, a conduit les intervenantes à

vouloir révéler dans l'espace public l'objectif avoué du jumelage qui est d'ordre sociétal et

dont les conditions de réalisation doivent être assumées par de multiples acteurs. Pour ce

faire, les intervenantes ont vu la nécessité d'un foisonnement de ces espaces de rencontre

interculturelle et d'échanges sur les réalités de chacun. Les tentatives de partenariat avec les

syndicats, avec les autres organisations des quartiers, avec la municipalité, la présence du

Réseau jumelage aux événements annuels tels les Journées de la culture, la Journée contre

la discrimination raciale, la Semaine de la francophonie, témoignent de cette volonté

d'associer d'autres responsables à cette démarche de rapprochement et d'intégration. D'autre

part, si les intervenantes croient au jumelage interpersonnel en tant que lieu de possibles,

elles ne considèrent pas cette forme de jumelage comme seul lieu de rencontre

interculturelle et de rapprochement, elles en envisagent d’autres moins exigeants, tel le

jumelage en francisation, le jumelage de groupe et entre groupes sociaux. Par ailleurs, elles

croient nécessaire de multiplier les espaces de rencontre entre les citoyens, notamment au

niveau des quartiers mais aussi au sein des institutions, telles les institutions scolaires.

Les intervenantes en confrontant non seulement leurs façons d'être (Cohen-Émerique,

1993), mais aussi leurs façons de faire (Bilodeau et all, 1993, Jacob, 1991, Chiasson-

Lavoie, 1992) acquièrent, nous l'avons dit, une capacité de se laisser questionner et de

découvrir d'autres espaces d'intervention. Cependant, pour cela, ne leur faut-il pas agir en

toute sécurité ? N'ont-elles pas besoin d'être soutenues dans leurs interventions et reconnues

pour leurs compétences ? Et, de façon plus large, n'ont-elles pas besoin que les délégués

leur reconnaissent un pouvoir d'influence en tant qu'artisanes du lien social ? Ce faisant, en

effet, ceux-ci leur ouvriraient la voie de l'espace tertiaire de la communication sociale

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fondée sur une action pédagogique, sur l'éveil et la conscientisation des partenaires les plus

divers.

Car la dynamique de cette alliance qu'est le jumelage repose, comme nous l'a si bien dit

Gherzouli (1997:73), sur le « codéveloppement qui passe par l'élargissement des

réciprocités de base et la recherche continue d'espaces coopératifs féconds.» Ainsi, les

intervenantes en le mettant en place, contribueraient à donner au jumelage une dimension

collective. Cependant nous devons admettre qu'elles ne peuvent à elles seules faire de l'acte

jumelage un acte de citoyenneté.

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Limites de notre thèse

La collecte de données, notamment par le biais d'entrevues individuelles auprès des

intervenantes, mais aussi par l'observation participante au sein du Réseau, et l'analyse

qualitative de ces données nous ont permis de saisir la complexité de la pratique du

jumelage , mais surtout nous a démontré la capacité des intervenantes à transformer leur

pratique. De plus, le fait d'avoir réalisé des entretiens avec des directeurs, des agents du

ministère et d'avoir eu recours à plusieurs sources documentaires nous auront permis

d'élargir notre angle d'analyse. Ainsi nous avons pu établir des liens entre des contraintes

systémiques et organisationnelles et certaines difficultés d'intervention. Nous croyons que

là résident l'originalité et l'intérêt de notre thèse.

Vouloir cerner une pratique implique d'analyser les multiples facettes de celle-ci. Cette

étude a donc le mérite de présenter le jumelage à partir du point de vue des intervenantes

par contre cette posture est en soi une limite à notre thèse. En effet chaque facette de

l'intervention jumelage a soulevé des questionnements auxquels nous ne pouvions répondre

dans le cadre de cette recherche. Ainsi nous n'avons pu approfondir la représentation que se

font les intervenantes de l'engagement, de l'approche interculturelle en tant que mode

d'intervention. Le fait aussi d'inscrire l'intervention du jumelage dans un contexte plus

large, le contexte socio-politique, nous a demandé d'accepter le fait que de multiples

questions restent en suspens; puisque cet angle d'analyse se situe davantage dans une

approche sociologique qu'ethnologique.

En ce qui concerne les difficultés de promotion du programme jumelage. Nous avons émis

certaines hypothèses notamment dans le cas du recrutement des hommes québécois, et plus

précisément en ce qui concerne les notions du don et de l'implication sociale; ces

hypothèses mériteraient d'être validées au cours d'une autre recherche. De même en ce qui a

trait à la question du jumelage familial, nous croyons qu'il faudrait analyser d'autres

variables qui font en sorte que les familles ne s'engagent pas dans le jumelage. Aussi nous

croyons qu'il serait important qu'il y ait une étude portant sur une analyse comparative des

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difficultés de recrutement des participants au jumelage en considérant d'autres types

d'action bénévole dans le domaine de l'accompagnement social (mentorat, parrainage).

En ce qui concerne la notion de l'engagement, certaines questions pourraient être

approfondies dans des études intégrant une démarche interprétative. Par exemple, comment

les intervenantes se positionnent-elles face à cette notion de l'engagement ? Comment se

représentent-elles la notion de l'engagement dans un acte que l'on qualifie de volontaire, où

l'individu est libre de s'impliquer ? Quelle représentation ont les jumelés de leur

engagement ? Comment les agents du MRCI lient-t-ils l'acte du jumelage à un acte de

participation civique, quelle valeur les jumelés y accordent-ils ?

La dimension interculturelle de la relation du jumelage pourrait aussi être le sujet de

différentes études, entre autres, une étude sur la représentation que s'en font les

responsables du programme au MRCI.

Il serait également intéressant de faire une étude comparative concernant la notion de

bénévolat et le jumelage entre la représentation qu'en ont les intervenantes du Réseau

jumelage et celle qu'ont les intervenants en jumelage des autres provinces.

Il serait aussi important d'effectuer des recherches qualitatives auprès des jumelés,

québécois et nouveaux arrivants, sur leurs représentations des phénomènes de l'immigration

et de l'intégration et leur implication dans le jumelage.

Susan M. Arai, en conclusion de son analyse sur l'interrelation entre le bénévolat et les

changements socio-politiques, article publié à l'automne 2000, propose un angle de

recherche qui nous semble fondamental et qui pourrait faire l'objet d'une étude sur l'impact

social du jumelage : Nous la reprenons en ces termes : Comment supporter une activité

bénévole qui est à la fois activité de loisirs et à la fois activité politique en ce qu'elle

propose des changements sociaux?

Enfin il nous semble qu'il serait opportun, dans une étude complémentaire à celle-ci,

d'analyser la dynamique du Réseau jumelage interculturel, lieu de partenariat, d'échanges et

de transformation de la pratique du jumelage.

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Bibliographie

Sources orales

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Intervenante A, automne 1996

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Intervenante C, entrevue décembre 1996, entretien de validation des données mars 1998

Intervenante D, novembre 1996

Directrice E, avril 1998

Intervenante E, novembre 1996

Intervenant F, juin 1996, janvier 1997, entretien de validation des données, janvier 1998

Intervenante F, mars 1998

Directeur G, septembre 1996

Intervenante G, novembre 1996, février 1997

Directrice H, janvier 1998

Intervenante H décembre 1996

Directrice I, mai 1997

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320Intervenante I, novembre 1996

Agents MRCI,(2, 3a, 3b, 4) janvier, février 1997

Agent Direction des Programmes MRCI, (1) février 1997

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321Documents

Vous avez-dit jumelage ?, 1997, Vidéo du Réseau jumelage interculturel, réalisé par P.Sanchez

Le Réseau jumelage interculturel, 2000 Vidéo du Réseau jumelage interculturel, réalisé parHabib ElHage

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ANNEXE A

Grilles d'entretien

Élaborées à partir du schéma multidimensionel de Allaire et Firsirotu (1981, 1984), schéma

conceptuel composé de variables endogènes et de facteurs endogènes.

3 éléments interreliés : un système socio-structurel (relations interdépendantes entre

structures, stratégies et politiques), un système culturel (idéologie et valeurs, les pratiques

culturelles de l'organisation) et les acteurs en tant qu'individus.

Selon Allaire et Firsirotu, ces 3 éléments prennent forme sous le jeu de deux forces : leurs

interactions synchroniques et les influences diachroniques exercées par la société

environnante, le passé de l'organisation et l'ensemble des facteurs de contingence.

Aux fins de notre étude, nous avons lié ces facteurs non pas à l'organisme , mais plutôt au

programme de jumelage. Dans quel contexte sociétal se déroule le programme de jumelage

? Quelle a été la forme qu'il a prise jusqu'à ce jour ? Quel axe relationnel emprunte-t-il ?

Quels sont les facteurs de contingence, notamment les critères imposés par le MRCI,

bailleur de fonds ? (opposés souvent à la mission communautaire de l'organisme).

Comment répondent les acteurs du communautaire à ces facteurs de contingence ? Quelles

sont les attitudes des acteurs du MRCI ?

De même nous avons intégré à la grille d'entretien, pour ce qui est du parcours des acteurs,

le modèle de Guilbert et Labrie (1990), inspiré de Camilleri (1989), modèle formulé à partir

des notions identité, altérité et réciprocité.

Identité/fonction identitaire : Depuis combien de temps à Montréal – À l'organisme –

Âge – Formation – Définition de la tâche.

Altérité/fonction pragmatique : Vision et définition du jumelage – Déroulement du

programme –

Motivations des participants – Difficultés de l'intervention – Réussites – Projection.

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338Réciprocité/fonction axiologique : Suivi-partenariat – Réseau MRCI – Vision de

l'intégration, de l'adaptation.

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Première grille d'entretien

RESPONSABLE DU JUMELAGE

A – Parcours de l'individu

Parcours de vie

– Date d'arrivée à Montréal ?

– Formation ?

– Expérience de travail ?

– Âge ?

– Statut civil ?

– Intervenant au sein de l'organisme

– Le nombre d'années à l'organisme ? À quelle fonction ?

– Quelle est votre définition de tâche au sein de l'organisme ?

– Quelles sont vos relations avec la direction; avec les autres intervenants ?

– Quelle est la structure et dynamique de l'organisation ?

– Quel est votre intérêt personnel pour le programme de jumelage ?

– Êtes-vous jumelé ? – Si oui, parlez-moi de votre expérience ?

– Le fait d'être jumelé a-t-il un impact sur votre travail ?

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B – Le jumelage

– Le jumelage existe depuis combien d'années au sein de l'organisme ?

– Comment définissez-vous le jumelage ? Quels sont les objectifs de votre programme ?

Pratiques et rituels du jumelage

– Comment se fait le recrutement des jumelés (quel est leur profil) ?

– Quelles sont vos modalités de pairage ?

– Comment se déroulent les rencontres du jumelage ?

– Quelles sont les motivations des participants ?

– Quelles sont vos attentes ?

– Quel genre de formation donnez-vous ?

– Quelles sont les difficultés, les réussites que vous rencontrez dans votre travail ?

– Quelles sont les difficultés, réussites que les participants rencontrent ?

– Comment réagissez-vous dans telle ou telle situation ?

– Comment les participants réagissent-ils ?

– Comment intégrez-vous les participants à l'organisation ?

– Comment faites-vous l'évaluation ?

– Comment accordez-vous le suivi ?

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Perceptions-

– Quels sont selon vous les principaux défis de la relation du jumelage ?

– Voyez-vous une différence entre jumeler des revendicateurs de statut et des immigrants

acceptés ? – Le dites-vous aux jumelés ?

– La question des revendicateurs, vous l'analysez comment ?

– Voyez-vous une différence dans l'articulation de la relation, des pratiques entre jumeler à

titre de personne-ressource un Québécois natif de la société d'accueil ou un Québécois

immigrant avec un nouvel arrivant ?

– Comment définissez-vous l'adaptation, l'intégration ?

– Comment, selon vous, le MRCI considère-t-il le jumelage ?

C – Le partenariat

– Comment définissez-vous la relation entre les organismes communautaires qui s'occupent

de l'immigration ?

– Comment qualifiez-vous les relations des organismes communautaires avec MRCI ?

– Comment se déroule le partenariat avec les autres institutions ? Avec les organismes de

quartier ?

– Comment analysez-vous le Réseau jumelage ? (vos attentes, vos déceptions, les relations,

les réalisations...)

– Quelle est votre autonomie(en tant qu'intervenant) au sein du réseau ?

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Deuxième grille d’entretien

DIRECTEUR D'ORGANISME

A – Parcours de l'individu

Parcours de vie

– Date d'arrivée à Montréal ?

– Âge ?

– Statut civil ?

– Quelle est votre formation ?

Directeur de l'organisme

– Depuis combien de temps êtes-vous directeur de l'organisme ?

– Quelle est la mission de l'organisme (les principes-guide, les valeurs) ?

– Quelle est la dynamique et la structure de l'organisation (vos relations avec les employés,

la circulation de l'information, les responsabilités de chacun..les services...) ?

– Quelle est la composition du CA, son rôle ?

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B – Le jumelage

– Êtes -vous ou avez-vous été jumelée ? Si oui, parlez-moi de votre expérience ?

– Le fait d'être jumelé a-t-il un impact sur votre travail ?

– Comment analysez-vous le programme de jumelage ?

– Quelles sont vos attentes face au jumelage ?

Perceptions

– Comment, selon vous, le MRCI considère-t-il le jumelage ?

– La question des revendicateurs, vous l'analysez comment ?

– L'intégration, pour vous. c'est quoi ? L'adaptation ?

C – Le partenariat

– Comment définissez-vous la relation entre les organismes communautaires qui s'occupent

de l'immigration ?

– Comment qualifiez-vous les relations des organismes communautaires avec le MRCI ?

– Comment se déroule le partenariat avec les autres institutions ? Avec les organismes de

quartier ?

– Comment analysez-vous le Réseau-jumelage ?

– Quelle est l'autonomie de l'intervenant au sein du réseau ?

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Troisième Grille d’entretien

AGENT ET RESPONSABLE DES POLITIQUES ET PROGRAMMES (MRCI)

A – Parcours de l'individu

– Au ministère depuis combien de temps ?

– Quelle est votre formation ?

– Quelles sont ou ont été vos fonctions au ministère (actuelles, passées) ?

– Etes-vous jumelé ? – Si oui , parlez-moi de votre expérience.

– Le fait d'être jumelé a-t-il un impact sur votre travail ? Sur vos perceptions ?

B – Le jumelage (dans les services PAEI-PRI)

– Quelles sont les règles du PAEI, du PRI ?

– Quels sont les organismes qui offrent le PAEI, le PRI ? Comment se fait la sélection ?

– Comment sont décidés les montants des subventions accordées au programme ?

– Les règles du jumelage ont-elles évolué ? Quelles étaient-elles ? Vers quoi s'en va le programme ?

– Quels sont aujourd'hui les objectifs du jumelage tels que définis par le ministère ? Quelles sont les

attentes ?

– Quels sont vos outils d'évaluation ?

Perceptions-

– Que pensez-vous de l'idée de lier le jumelage à l'emploi ?

– Que pensez-vous du Réseau jumelage ?

– Voyez-vous une différence dans les conditions de jumelage à Montréal ? En régions ?

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345– L'intégration, pour vous, c'est quoi ? L'adaptation ?

C – Le partenariat

– Comment ont été élaborées les orientations annuelles ? Les paramètres de financement ? L’ont-

elles été en concertation avec les ONG ? Les autres ministères ? Quels en sont les motifs, les

conséquences, les avantages, pour le ministère ? Pour les ONG ?

– Comment définissez-vous le partenariat entre le ministère et les ONG ? Entre les ONG entre eux ?

Entre les ONG, le ministère et les institutions para-publiques ? Entre les ministères entre eux ?

Entre les différents agents au ministère ?

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Quatrième Grille d’entretien

AGENT DU MRCI

A – Parcours de l'individu

– Au ministère depuis ?

– Formation ?

– Fonction actuelle ? Passée ?

– Jumelé ? Si oui, depuis combien de temps ? – Parlez-moi de votre expérience

– Le fait d'être jumelé a-t-il une influence sur votre travail ?

B – Le jumelage

– Quelle est votre vision du jumelage ?

– Quelle est votre vision en tant que programme spécifique à tel organisme ?

Perceptions

– L'intégration, l'adaptation, pour vous, c'est quoi ?

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C – Partenariat

– Avez-vous une relation avec les responsables du programme ou avec la direction de l'organisme

sous votre responsabilité ?

– Comment définissez-vous votre relation ?

– Quelle est votre relation avec les autres agents ?

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ANNEXE B

Codage

Analyse de contenu

1 – Référents (thèmes pivots)

a – Jumelage

b – Intégration

c – Adaptation

d – Partenariat

– autres organismes, associations quartier

– autres ONG

– ministère/politiques

– réseau-jumelage

e – Culture organisationnelle

– historique

– dynamique

2 – Personnages

a – Intervenante

b – Bénévole

c – Immigrant

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349d – Directrice

e – agent MRCI

f – ministre MRCI

h – quartier

3 – Evénements

a – Rencontres jumelage (1e, 2e)

b – Formation

c – Activités

d – Suivi

e – Promotion

f – Réseau-activités

4 – Catégories

A – Attitudes des intervenants et des jumelés

Ouverture/motivations

1 – empathie

2 – curiosité

3 – responsabilité

4 – intérêt personnel

5 – intérêt collectif

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3506 – protection

7 – aide

8 – transmission

Fermeture

1 – respect des normes soc. d'origine

2 – préjugés

3 – stéréotypes

4 – rigidité

5 – crainte

6 – non-communication

7 – non-disponibilité

B – Culture organisationnelle

1 – hiérarchisée

2 – circulaire

C – Stratégies des intervenants

1 – dissimulation

2 – non©intervention

3 – accomodement

4 – délégation

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351 5 – prise en charge

6 – "empowerment"

7 – transgression

8 – non©engagement

9 – négociation

10 – défense

11 – observation

D – Rôles

1 – médiatrice

2 – intermédiaire

3 – initiatrice

4 – observatrice

E – Valeurs

a – individuelles

1 – respect

2 – dignité

3 – courage

4 – partage

5 – honneur

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352b – collectives

1 – réciprocité

2 – équité

3 – liberté

4 – solidarité

5 – hétérogénéité

6 – fait français

7 – conformité aux règles

F – Vision

1 - humaniste

2 - inclusive

3 - exclusive

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ANNEXE C

Lettre de bienvenue – Organisme G

Identification de l’organisme

CHÈRE JUMEAU, CHÈRE JUMELLE,

BIENVENU(E) AU « PROGRAMME JUMELAGE »

« NOUVEAU DÉPART, NOUVEAUX AMIS »

Il nous fait plaisir de vous souhaiter du succès dans le cadre de notre programme « JUMELAGE »,

« NOUVEAU DÉPART, NOUVEAUX AMIS ».

Nous espérons que cette expérience puisse rejoindre vos objectifs et vous apporte mutuellement le

désir de vous connaître davantage.

Signature de l’intervenante

Coordonnées de l’organisme