Le jumelage entre les nouveaux arrivants et les …...jumelage entre les nouveaux arrivants et les...
Transcript of Le jumelage entre les nouveaux arrivants et les …...jumelage entre les nouveaux arrivants et les...
ANNE MARTIN
LE JUMELAGE ENTRE LES NOUVEAUX ARRIVANTSET LES QUÉBÉCOIS DE LA SOCIÉTÉ D'ACCUEIL
Thèseprésentée
à la Faculté des études supérieuresde l'Université Laval
pour l’obtentiondu grade de Philosophiae Doctor (Ph.D)
ETHNOLOGIE, DÉPARTEMENT D'HISTOIREFACULTÉ DES LETTRES
UNIVERSITÉ LAVALQUÉBEC
FÉVRIER 2002
© Anne Martin, 2002
Résumé
Notre thèse s'inscrit dans une approche ethnologique, la méthodologie de recherche est
qualitative. Notre objectif de recherche est de cerner la complexité de l'intervention sociale
qu'est le jumelage entre nouveaux arrivants et Québécois de la société d'accueil. Notre
terrain de recherche est le Réseau jumelage interculturel : regroupement d'intervenantes en
jumelage. Le jumelage tel qu'appliqué par la majorité des intervenantes du Réseau jumelage
interculturel est un programme défini et subventionné par l'État. Toutefois, l'intervention
sociale du jumelage dépasse la simple mise en place d'une relation sociale; la complexité du
processus migratoire et du processus d'intégration à laquelle est confrontée le nouvel
arrivant et indirectement son jumelé aura une influence marquante sur la dynamique
relationnelle. Nous démontrons que si les objectifs du programme de jumelage des
organismes communautaires rejoignent dans leur fonction de régulation sociale ceux définis
par l'État, les acteurs du communautaire donnent davantage d’importance à la notion du
lien social dans sa fonction d'innovation et de transformation des rapports sociaux.
Cependant, l'analyse de nos données révèle que si cette vision proclame l’esprit du
jumelage, la réalité peut se manifester différemment. L'incertitude de l'intervenante,
incertitude liée à la prise de conscience des limites de ses propres compétences, est doublée
de multiples contraintes qui ont un impact important sur l'intervention jumelage. Le
recrutement de même que la sélection des participants sont deux défis de taille, mais ne
sont pas exclusifs. La question du lien entre les intervenantes et les jumelés, entre les
jumelés eux-mêmes, s'est révélée être au cœur des préoccupations. Les pratiques
silencieuses de même que les zones d'incertitude poussent les intervenantes à questionner
leur rôle et les limites de leurs fonctions. Les intervenantes acquièrent ainsi une capacité
d'accepter le doute et découvrent d'autres espaces d'intervention, développent des alliances.
Car la complexité du processus de l'intégration exige non seulement une certaine
compréhension individuelle du processus, mais demande une acceptation collective des
implications de ce processus. Le jumelage ne peut être qu'un agent de régulation sociale; il
est aussi, sinon davantage, un agent de transformation.
ii
Abstract
This thesis takes an ethnological approach and the research methodology is qualitative.
The objective of the research is to demonstrate the complexity of the specific social
intervention represented by the ‘twinning’ of newcomers with Quebecois from the
receiving society. Our research ground is the Intercultural Twinning Network: an umbrella
group of community practitioners in this area.
The twinning program applied by the majority of practitioners in the Intercultural Twinning
Network is one defined and funded by the state. However the social intervention of
“twinning” goes beyond the simple setting up of a social relationship. The complexity of
both the migration process and the integration process into the new society with which the
newcomer is confronted, and thus indirectly confronts his/her twin, will have a decisive
influence on the dynamics of their relationship.
We will demonstrate that, while the objectives of the twinning program as set by the state
are respected by the community organisations with regard to its function as a social
regulator, community practitioners tend to give more weight to the innovative function of
social linking, and the transformation of social relations.
Nevertheless, an analysis of our results reveals that even though this view permeates the
spirit of the twinning program, reality may be expressed in a different way.
The uncertainty of the practitioner, which is linked to her awareness of her own limitations
is reinforced by multiple constraints which have a considerable impact on the practice of
twinning.
The recruitment and selection of the participants are two major challenges, but by no means
the only ones. It has become clear that the issue of the relationship between the
practitioners and those who are twinned, and between the twins themselves, is at the heart
of their concerns.
iii
Unspoken practices and zones of uncertainty push the practitioner to question their role and
the limits of their functions. The practitioners acquire an ability to accept doubt, to discover
other spaces for intervention and to develop alliances. The complexity of the integration
process requires not only an individual comprehension of the process, but demands a
collective acceptance of the implications of this same process. Twinning cannot be only a
form of social regulation; it is also, more importantly, an agent of transformation.
Avant-Propos
La candidate au doctorat ne parcourt pas seule le long chemin qui la mène au dépôt final de
la thèse. Au cours de ces six années de recherche, d'analyse et d'écriture, durant lesquelles
nous avons dû, comme plusieurs autres étudiantEs, travailler pour vivre, plusieurs
personnes nous ont accordé leur soutien et cela de différentes façons. Nous voudrions ici
leur rendre hommage, en laissant de côté le nous de modestie.
En premier lieu, je veux adresser mes remerciements aux intervenantEs du Réseau
jumelage interculturel. Vous et moi, nous leur devons une meilleure compréhension de ce
qu'est l'intervention du jumelage. C'est la lucidité de leur regard sur cette pratique, leur
capacité de douter et de se remettre en question qui m'aura permis d'analyser et de souligner
la nécessité de prendre en compte la complexité de cette intervention sociale qu'est le
jumelage entre les nouveaux arrivants et les Québécois.
Je tiens à remercier Mme Lucille Guilbert, directrice de ma thèse, pour sa fine
compréhension de ma démarche. Je veux aussi souligner la précieuse collaboration de M.
André Jacob, co-directeur, qui m'a accueillie à l'Université du Québec à Montréal et qui m'a
adroitement initiée aux différentes approches de l'intervention sociale.
Je désire aussi remercier Michel, mon compagnon de vie qui, plusieurs fois m'a encouragée
à abandonner, sachant très bien que je ne pouvais accepter cette idée et que cela allait
davantage me stimuler à me rendre au bout du périple.
Je désire aussi souligner le soutien de ma sœur Louise et celui d'une amie et collaboratrice
au Jumelé, France, qui par le don d'une relecture attentive m'auront permis de déposer ma
thèse selon l'échéancier que je m'étais fixé.
Et il est temps, à présent, d'inscrire cette démarche intellectuelle dans le temps et de la
relier aux êtres, pour la suite du monde, comme dirait Pierre Perreault. Aussi, je veux
dédier cette thèse à ma mère Germaine qui en 2001 a décidé de poursuivre ailleurs sa vie.
J'aurais aimé lui présenter en personne le fruit de ma recherche, mais il en fut autrement.
C'est sa liberté d'être, sa présence, son grand amour de la vie, son intelligence et son
indépendance d'esprit qu'il faut retenir d'elle et que je veux rappeler à votre mémoire.
v
Enfin, c'est à Anabelle, ma fille, que j'offre ma thèse. Elle en porte déjà le cœur et l'esprit,
par les efforts qu'elle met à comprendre l'autre, elle dévoile son grand humanisme en même
temps que sa détermination à vouloir faire partie de ce monde.
Table des matières
RÉSUMÉ............................................................................................................................................................ I
ABSTRACT......................................................................................................................................................II
AVANT-PROPOS.......................................................................................................................................... IV
PREMIÈRE PARTIE : PROBLÉMATIQUE, ORIENTATIONS THÉORIQUES ETMÉTHODOLOGIQUES ............................................................................................................................... XI
CHAPITRE I .....................................................................................................................................................1
INTRODUCTION.............................................................................................................................................1
1.A PROBLÉMATIQUE ET OBJECTIFS DE RECHERCHE ....................................................................................6
CHAPITRE II .................................................................................................................................................14
ÉTAT DE LA QUESTION : LE PHÉNOMÈNE MIGRATOIRE ET LA SOLIDARITÉ SOCIALE .......................................142.A. SOMMAIRE .............................................................................................................................................142.1. LE PHÉNOMÈNE MIGRATOIRE.......................................................................................................15
2.1.1. La dynamique des migrations internationales ...............................................................................152.1.1.1. Les pays d'émigration .............................................................................................................................152.1.1.2. Les facteurs d'émigration, les pays d'immigration ..................................................................................152.1.1.3. La dynamique fédérale/provinciale; les possibilités et les limites..........................................................172.1.1.4. La dynamique région métropolitaine de Montréal et les autres régions du Québec ................................192.1.1.5. Nécessité d'un accueil différencié ...........................................................................................................192.1.1.6. Clients potentiels des ONG et des programmes de jumelage..................................................................21
2.2. D'UN BÉNÉVOLAT CHARITABLE...................................................................................................22À UN BÉNÉVOLAT D'ENGAGEMENT SOCIAL....................................................................................22
2.2.1. Bref historique du contexte social de l'action communautaire ......................................................222.2.2. La revalorisation du rôle des pratiques bénévoles ........................................................................292.2.3. L'appel au partenariat ...................................................................................................................33
2.3. VERS L'APRÈS ÉTAT-PROVIDENCE...............................................................................................372.3.1. Le regain du communautaire.........................................................................................................372.3.2. Les tensions au cœur du bénévolat ................................................................................................38
2.4. LE JUMELAGE ....................................................................................................................................442.4.1. Le jumelage en tant que processus ................................................................................................442.4.2. Le Réseau jumelage .......................................................................................................................47
2.5. CONCLUSION..........................................................................................................................................50
CHAPITRE III ................................................................................................................................................52
CADRE THÉORIQUE........................................................................................................................................523.A. SOMMAIRE .............................................................................................................................................523.1. INTÉGRATION ET LIEN SOCIAL ................................................................................................................54
3.1.1. La notion d'intégration ..................................................................................................................543.1.1.1. Le contexte global, États-Unis, France, Québec .....................................................................................54
3.1.2. Le contrat.......................................................................................................................................633.1.2.2. Le contrat moral......................................................................................................................................633.1.2.2. Le contrat social......................................................................................................................................65
3.1.3. La Citoyenneté ...............................................................................................................................683.1.4. Le lien social..................................................................................................................................71
3.1.4.1. La notion de confiance............................................................................................................................713.1.4.2. Le don .....................................................................................................................................................743.1.4.3. L'engagement ..........................................................................................................................................773.1.4.4. La négociation.........................................................................................................................................783.1.4.5. L'adaptation mutuelle..............................................................................................................................80
3.2. LE JUMELAGE.........................................................................................................................................82
vii
3.2.1. Similitudes et différences entre le mentorat et le jumelage...........................................................823.2.2. Le jumelage, « l'utopos » de la rencontre......................................................................................843.2.3. Le contexte de la relation interculturelle : ....................................................................................85les concepts d'interaction et de choc culturel ..........................................................................................853.2.4. Le jumelage, le réseau, et la culture organisationnelle .................................................................883.2.5. L'intervention sociale du jumelage ................................................................................................923.2.6. L'approche interculturelle .............................................................................................................973.2.7. L'autre à titre de partenaire...........................................................................................................993.2.8. L'approche interculturelle au quotidien ......................................................................................101
3.3. CONCLUSION........................................................................................................................................104
CHAPITRE IV ..............................................................................................................................................107
ORIENTATIONS MÉTHODOLOGIQUES ..............................................................................................107
4.1. RÉFLEXION ÉPISTÉMOLOGIQUE ............................................................................................................1074.2. CONTEXTE DE LA DÉCOUVERTE............................................................................................................1074.3. DÉMARCHE PRAXÉOLOGIQUE...............................................................................................................1104.4. LE PARADIGME INTERPRÉTATIF ET COMPRÉHENSIF ..............................................................................1134.5. LE PARADIGME DIALECTIQUE...............................................................................................................1164.6. ÉTUDE DE CAS ......................................................................................................................................1184.7. TRIANGULATION DES DONNÉES............................................................................................................1204.8. ENTRETIENS-PRÉ-TERRAIN ..................................................................................................................1214.9. SÉLECTION DES INFORMATEURS...........................................................................................................1224.10.ENTRETIENS-TERRAIN.........................................................................................................................124
4.10.1. L'entretien semi-directif .............................................................................................................1244.10.2. L'entretien pseudo-conversation-...............................................................................................1264.10.3. Discussions, conversations et entretiens non-formels ...............................................................1264.10.4. Règle de confidentialité .............................................................................................................127
4.11. SOURCES DOCUMENTAIRES ...............................................................................................................1274.12. L'OBSERVATION .................................................................................................................................128
4.12.1. L'observation participante.........................................................................................................1284.13. OBJECTIVITÉ ET VALIDITÉ ..................................................................................................................1314.14. ANALYSE DES DONNÉES .....................................................................................................................132
4.14.1. Entretiens individuels ................................................................................................................1324.14.2. Analyse de contenu ....................................................................................................................1324.14.3. Analyse sémiotique des entretiens .............................................................................................1334.14.4. Analyse des pratiques d'intervention .........................................................................................136
DEUXIÈME PARTIE :ANALYSE DES DONNÉES.................................................................................138
CHAPITRE V................................................................................................................................................139
PRÉSENTATION DES ORGANISMES ET DES INTERVENANTES .........................................................................1395.A. SOMMAIRE ...........................................................................................................................................1395.1. PRÉSENTATION DES ORGANISMES (MISSION, DOMAINE D'INTERVENTION, QUARTIER), DU DIRECTEUR ETDE L'INTERVENANT EN JUMELAGE ...............................................................................................................139L’ORGANISME A .........................................................................................................................................140
Objectifs selon les documents officiels ..................................................................................................140Le programme de jumelage ...................................................................................................................141Parcours du directeur............................................................................................................................142Parcours de l’intervenante ....................................................................................................................142
L’ORGANISME B..........................................................................................................................................143Programme du jumelage........................................................................................................................144Parcours de la directrice .......................................................................................................................145Parcours de l’intervenante ....................................................................................................................145
L’ORGANISME C..........................................................................................................................................146Programme de jumelage........................................................................................................................147Parcours de la directrice .......................................................................................................................148
viii
Parcours de l’intervenante ....................................................................................................................149L’ORGANISME D .........................................................................................................................................150
Programme de jumelage........................................................................................................................150Parcours de l’intervenante ....................................................................................................................151
L’ORGANISME E..........................................................................................................................................152Programme de jumelage........................................................................................................................152Parcours des intervenantes....................................................................................................................154Parcours de la deuxième intervenante...................................................................................................154L’organisme F .......................................................................................................................................155Programme de jumelage........................................................................................................................156Parcours de l’intervenant, de l’intervenante .........................................................................................156
L’ORGANISME G .........................................................................................................................................157Programme de jumelage........................................................................................................................158Parcours du directeur............................................................................................................................159Parcours de l’intervenante ....................................................................................................................159
L’ORGANISME H .........................................................................................................................................160Programme de jumelage........................................................................................................................160Parcours de la directrice .......................................................................................................................161Parcours de l’intervenante ....................................................................................................................161
L’ORGANISME I ...........................................................................................................................................162Programme de jumelage........................................................................................................................163Parcours de la directrice .......................................................................................................................164Parcours de l’intervenante ....................................................................................................................165
5.2. ANALYSE DES OBJECTIFS D’ACCUEIL ET D’INTÉGRATION TEL QUE DÉFINIS PAR LES ORGANISMES .......1665.3. ANALYSE DES OBJECTIFS DU PROGRAMME DE JUMELAGE ....................................................................167TELS QUE DÉFINIS PAR LES ORGANISMES .....................................................................................................167
CHAPITRE VI ..............................................................................................................................................173
LE JUMELAGE ET LES PERCEPTIONS DE L'INTÉGRATION ET DE L'ADAPTATION............173
6.A. SOMMAIRE ...........................................................................................................................................1736.1. L'ADAPTATION .....................................................................................................................................1746.2. L'INTÉGRATION ....................................................................................................................................1826.3. LE JUMELAGE, OUTIL D'INTÉGRATION ET DE PRÉVENTION AU DÉSÉQUILIBRE SOCIAL...........................1886.4. LE JUMELAGE ACTE DE PARTICIPATION CIVIQUE ..................................................................................1896.5. L'ACTE DE CITOYENNETÉ DU JUMELAGE INFLUENCÉ PAR LE CONTEXTE SOCIAL ET LA QUESTION DE LALANGUE.......................................................................................................................................................192
CHAPITRE VII.............................................................................................................................................198
RECRUTEMENT ET PROFIL DE LA CLIENTÈLE ...............................................................................................1987.A. SOMMAIRE ..........................................................................................................................................1987.1. LE RECRUTEMENT ................................................................................................................................199
7.1.1. Pourquoi la difficulté d'avoir des jumelés d'accueil ? .................................................................2017.1.2. Jumeler à Montréal......................................................................................................................2027.1.3. L'unité familiale ...........................................................................................................................2037.1.4. Recrutement/Manque d’hommes seuls.........................................................................................2047.1.5. Le Recrutement et les affinités professionnelles ..........................................................................205
7.2. LA PROMOTION ....................................................................................................................................2067.2.1. Lier l'interpersonnel au collectif..................................................................................................208
7.3. LE LIEN SOCIAL DU JUMELAGE .............................................................................................................2107.3.1. L'axe du « benevolens » ...............................................................................................................2107.3.2. L’amitié........................................................................................................................................2177.3.3. L’interculturel..............................................................................................................................220
7.4. LE JUMELAGE INTÉGRÉ À L'ORGANISME ...............................................................................................2227.4.1. Lettre de bienvenue et travail de sensibilisation..........................................................................2237.4.2. Lien avec l'organisation...............................................................................................................224
7.5. TROUVER DES JUMELÉS QUI ONT DES INTÉRÊTS SEMBLABLES ..............................................................225
ix
LA SÉLECTION - BIEN ÉVALUER «C'EST UN PEU DÉPARTAGER TOUT ÇA» .......................................................2257.5.1. Profil de la clientèle.....................................................................................................................2257.5.2. Première zone d'incertitude : établir les motivations ..................................................................226
7.5.2.1. Partager des intérêts semblables............................................................................................................2277.5.3. Évaluation de la situation des candidats .....................................................................................2287.5.4. Statuts des immigrants .................................................................................................................2307.5.5. Jumelé d'accueil : Québécois « de souche » ou Québécois de toutes origines............................2317.5.6. Bien évaluer la compréhension que les futurs jumelés ont du jumelage : deuxième zoned'incertitude ...........................................................................................................................................2357.5.7. Évaluer les compétences : troisième zone d'incertitude ..............................................................2377.5.8. Les attentes : autres incertitudes .................................................................................................2397.5.9. Comment faire partager leur vision aux participants..................................................................2407.5.10. Représentations des intervenantes concernant les jumelés .......................................................2417.5.11. La difficulté pour l'intervenante d'exclure des candidats ..........................................................2427.5.12. Un révélateur de tendances discriminatoires ............................................................................243
7.5.12.1. La demande des Québécois pour les Latinos et stratégies des intervenantes ......................................2437.5.12.2. Discrimination envers la communauté arabe ......................................................................................248
7.6. PREMIÈRE RENCONTRE ET RÈGLES DU JUMELAGE ................................................................................251
CHAPITRE VIII ...........................................................................................................................................256
CONTRAINTES, RÉALITÉS ET DIFFICULTÉS EN COURS DE JUMELAGE............................................................2568.A. SOMMAIRE ...........................................................................................................................................2568.1. LES CONTRAINTES................................................................................................................................257
8.1.1. Les contraintes organisationnelles ..............................................................................................2578.1.2. Les contraintes structurelles........................................................................................................2588.1.3. Contraintes reliées au parcours de l'intervenant.........................................................................2588.1.4. Contrainte de l’admissibilité et du contexte d’immigration en ce qui concerne les revendicateurs ........................................................................................................................260
8.2. LE LIEN ENTRE L'INTERVENANTE ET LES JUMELÉS................................................................................2658.2.1. Des pratiques silencieuses ...........................................................................................................265
8.2.1.1. La complicité avec les aînés..................................................................................................................2658.2.1.2. La complicité dans le non-dit ................................................................................................................267
8.3. LA RENCONTRE INTERCULTURELLE......................................................................................................2708.3.1. Lieu des chocs culturels...............................................................................................................2708.3.2. Améliorer la connaissance de l'autre par : la formation............................................................2738 3.3. L'interculturel et les zones d'incertitude dans l'intervention .......................................................275
CHAPITRE IX ..............................................................................................................................................279
LE SUIVI ET L'ÉVALUATION DES JUMELAGES ...............................................................................................2799.A. SOMMAIRE ...........................................................................................................................................2799.1. LE SUIVI INFORMEL AU COURS DES ACTIVITÉS DE GROUPE ...................................................................2809.2. LES DÉFIS RELIÉS AU SUIVI ...................................................................................................................2819.3. L'IMPORTANCE DU SUIVI ......................................................................................................................2839.4. LA RESPONSABILITÉ DU LIEN ENTRE LES JUMELÉS : LA NOTION DE L'ENGAGEMENT .............................2879.5. INTÉGRATION SOCIALE ET ÉVALUATION DE LA PRATIQUE ....................................................................2909.6. CONCLUSION DE LA DEUXIÈME PARTIE : ANALYSE DES DONNÉES .......................................................292
CONCLUSION..............................................................................................................................................294
LIMITES DE NOTRE THÈSE............................................................................................................................317
BIBLIOGRAPHIE........................................................................................................................................319
SOURCES ORALES........................................................................................................................................319Entrevues ...............................................................................................................................................319Sources documentaires écrites ..............................................................................................................321
OUVRAGES CONSULTÉS...............................................................................................................................322
ANNEXE A....................................................................................................................................................337
GRILLES D'ENTRETIEN.................................................................................................................................337
x
Première grille d'entretien.....................................................................................................................339RESPONSABLE DU JUMELAGE...................................................................................................................339
Deuxième grille d’entretien ...................................................................................................................342DIRECTEUR D'ORGANISME.........................................................................................................................342
Troisième Grille d’entretien ..................................................................................................................344AGENT ET RESPONSABLE DES POLITIQUES ET PROGRAMMES (MRCI)...........................................344
Quatrième Grille d’entretien .................................................................................................................346AGENT DU MRCI............................................................................................................................................346
ANNEXE B ....................................................................................................................................................348
CODAGE ......................................................................................................................................................348Analyse de contenu ................................................................................................................................348
ANNEXE C....................................................................................................................................................353
LETTRE DE BIENVENUE – ORGANISME G.....................................................................................................353
Première partie : Problématique, orientations théoriqueset méthodologiques
CHAPITRE I
IntroductionC'est au lendemain de la seconde guerre mondiale que serait apparu le concept des
jumelages1. Afin de prévenir tout risque d'une nouvelle guerre fratricide en Europe, le
Conseil des Communes d'Europe proposait une nouvelle approche de relations entre les
communes, ces collectivités locales séparées par des frontières, en introduisant la notion
d'une Europe des citoyens et créait le nom de jumelage. Le jumelage est alors défini comme
la rencontre de deux communes inscrites localement qui entendent ainsi proclamer qu'elles
s'associent pour confronter des problèmes communs, pour développer entre elles des liens
d'amitié de plus en plus étroits et pour agir dans une perspective plus large, la perspective
européenne. Ainsi la motivation profonde de la mise en place des jumelages était de faire
prendre conscience aux citoyens des différents pays au sein de l'Europe que ce qui les
rapprochait était plus fort et davantage essentiel que ce qui les séparait. Depuis lors cette
notion de jumelage entre localités s'est répandue à l'échelle internationale, notamment dans
l'axe de coopération Nord/Sud.
Le jumelage dont il est question dans cette thèse s'inspire en partie et est teinté de cette
philosophie de rapprochement bien que son objectif de départ soit l'aide à l'intégration des
immigrants. Il s'agit de jumelage entre Québécois et nouveaux arrivants immigrants.
C'est en 1985 que la direction de l'établissement immigration au ministère de la Main
d'œuvre, Emploi et Immigration du gouvernement fédéral du Canada décida d'implanter le
programme du jumelage, le « Host Program. » Cette décision fut fondée sur la
démonstration que les réfugiés parrainés par des groupes s'établissaient mieux, plus
rapidement, et à moindre coût que ceux pris en charge par le gouvernement, et sur une
étude comparée qui révélait que les réfugiés jumelés s'adaptaient mieux au pays que ceux
non-jumelés2. Le programme fut implanté à Winnipeg, Régina et London.
1 Source documentaire : Internet http://www.ccre.org/jumelages/origfr.html
2 La notion de parrainage au Canada comporte deux aspects et implique une responsabilité financière du
parrain que l'on qualifie de garant (individu ou groupe d'individus, selon le cas). Le parrain désigne une
2
Les objectifs du « Host Program » étaient : de réduire les coûts du programme ainsi que la
charge de travail des conseillers gouvernementaux et de favoriser une adaptation plus
rapide et plus complète des réfugiés publics au sein de la communauté d'accueil. Favoriser
une adaptation rapide impliquait pour les « bénévoles » de faciliter l'intégration
linguistique, sociale, culturelle et surtout l'intégration des nouveaux arrivants sur le marché
de l'emploi. Un des objectifs visés par le jumelage était la sensibilisation de la population
québécoise au mouvement des réfugiés afin qu'un plus grand nombre de membres de la
société d'accueil s'impliquent auprès de ceux-ci.
La mission donnée aux bénévoles canadiens par le biais d'organismes communautaires était
donc d'aider les nouveaux arrivants3 à s'intégrer et à s'adapter le plus rapidement possible à
la société canadienne. En juin 1987, le programme fut implanté à Québec sous la
responsabilité du Centre international des femmes de Québec. Quelques mois plus tard, en
août 1987, l'Hirondelle adopte le programme devenant alors le premier organisme de
Montréal à offrir le programme jumelage subventionné. L'Hirondelle veut alors se
démarquer de l'orientation qu'avait le programme-jumelage du Centre International des
femmes de Québec qui définissait la relation dans l'axe aidant/aidé plus apparenté à la
notion de parrainage.
personne ou un groupe qui parraine la demande de droit d'établissement d'un membre de la catégorie de la
famille. Le parrainage de réfugiés est un programme qui permet aux résidants du Canada d'aider de manière
concrète des réfugiés et des membres de catégories désignées à l'étranger à se faire admettre au Canada, à s'y
réinstaller et à s'y intégrer. (Citoyenneté et Immigration Canada, Vers le 21e siècle: une stratégie pour
l'immigration et la citoyenneté, 1994: annexe 1) Dans d'autres contextes, notamment en ce qui concerne le
parrainage des jeunes en emploi tel qu'appliqué en France, la notion de parrainage dont l'emphase porte sur la
notion d'accompagnement s'apparente davantage à celle du mentorat, notion que nous expliciterons au
chapitre 3.
3 Le genre masculin est employé dans le texte pour alléger la structure du texte; évidemment une Québécoise
peut être jumelée avec une nouvelle arrivante. Le jumelage peut aussi se faire entre un Québécois et une
famille de nouveaux arrivants, entre une famille québécoise et un nouvel arrivant, entre une famille
québécoise et une famille de nouveaux arrivants.
3
L'organisme de Montréal le définit comme une occasion de créer des contacts entre les
nouveaux arrivants immigrants et les membres de la société d'accueil en insistant sur le
jumelage entre famille québécoise et immigrante. L'Hirondelle définit alors ses propres
principes : le jumelage doit permettre d'établir des relations égalitaires, ainsi il laisse place à
la naissance d'une relation d'amitié, et le jumelage implique l'établissement d'une relation
où les deux parties apprendront l'une de l'autre. En contrepartie, le jumelage ne doit pas
entraîner la création d'une relation d'aide (dans le sens aidant-aidé), des échanges d'ordre
économique ou amoureux ne doivent pas avoir lieu et les participants québécois ne doivent
pas être perçus comme des travailleurs sociaux4. « Pour la première fois », écrit
l'anthropologue Aiquel dans son rapport sur le programme de l'Hirondelle, « un organisme
au service des immigrants et des réfugiés propose des services à la population d'accueil. »
De 1988 à 1999, plusieurs autres villes du Québec ont développé le programme de
jumelage mentionnons, Sherbrooke, Hull, St-Jérôme et Victoriaville. Le programme
s'implante en même temps dans l'ensemble des provinces du Canada. Au Québec, en 1997-
1998, 35 organismes offraient le programme de jumelage dont 17 étaient situés sur l'île de
Montréal. La dernière entente fédérale-provinciale de 1991 concernant les pouvoirs
accordés à la province de Québec dans le secteur de l'immigration lui a attribué la gestion
du programme.
Ainsi, depuis 1991, le programme de jumelage est inscrit dans le cadre du programme
provincial subventionné d'accueil et d'établissement des immigrants (PAEI)5; les
4 Extrait du Rapport final Évaluation du programme Amitié-Jumelage de l'Hirondelle, G. Aiquel (1994:10-
11).
5 La relation de jumelage pouvait aussi être réalisée lors d'activités de jumelage dans le cadre du programme
subventionné de relations communautaires (PRI), programme de rapprochement interculturel; les objectifs du
programme sont alors de l'ordre "du rapprochement communautaire" (MAIICC, septembre 1994).Des
associations de bénévoles non inscrites à ces programmes font aussi du jumelage entre nouveaux arrivants et
membres de la société d'accueil; ce sont des associations religieuses de paroisse, des associations bénévoles
de quartier.
4
objectifsdu programme étant d'améliorer chez les nouveaux arrivants la connaissance de la
société d'accueil par la constitution de liens et d'échanges » (MAIICC6, septembre 1994).
Le programme de jumelage entre Québécois et nouveaux arrivants implique donc la
reconnaissance par l'État de l'importance du réseau informel7 dans le processus
d'intégration et révèle la volonté de responsabiliser chaque membre de la société d'accueil
en ce qui concerne l'intégration des nouveaux arrivants. L'accueil et l'aide à l'établissement,
en ce qui concerne les nouveaux arrivants, deviennent des actes d'engagement social du
membre de la société d'accueil envers le nouveau venu.
Au Québec, l'intégration des immigrants est basée sur un idéal communautaire fondé sur
l'ouverture aux multiples apports et la nécessité de l'échange intercommunautaire, mais
alors que le contrat moral entre la société d'accueil et l'immigrant, énoncé en 1990, fait
connaître aux immigrants ses attentes et exprime à la société québécoise les « obligations »
que lui impose son propre projet démocratique à l'égard des citoyens de toutes origines qui
la composent » (1990:15), le concept de citoyenneté et de participation civique, mis de
l'avant quelques années plus tard par le ministre du MRCI, M. André Boisclair, insiste sur
la notion individuelle : « l'intégration, c'est aussi dans le rapport latéral de citoyen à citoyen
» (mars 1998).
Les intervenantes8 du Réseau jumelage interculturel, regroupement des intervenantes et
intervenants des organismes qui offrent le programme de jumelage, reconnaissent que le
jumelage répond effectivement aux deux objectifs précédemment cités : soit celui d'aider
6 Le ministère de l'Immigration au Québec a changé plusieurs fois de nom depuis 1968, aujourd'hui il se
nomme MRCI: Ministère des Relations avec les citoyens et de l'Immigration.
7 Nous qualifions le programme de jumelage informel ou non-formel car la relation de jumelage se passe en
privé, les acteurs sont autonomes et responsables du déroulement et de la progression de la relation. Mais ce
réseau informel a un caractère formel parce que l'initiative du programme, la sélection des jumelés et
l'encadrement relèvent de l'organisation.
8 Puisque la majorité des intervenantes au sein du Réseau jumelage interculturel (RJI) sont de sexe féminin ,
nous utiliserons le genre féminin pour parler de façon générique des intervenantes (hommes et femmes) qui
forment le RJI.
5
les immigrants à s'intégrer et celui d'engager les membres de la société d'accueil envers les
immigrants. Par ailleurs, elles voient dans le jumelage un autre aspect : celui du
rapprochement interculturel. Le jumelage devient alors un lieu d'une découverte mutuelle,
d'un partage de savoirs, lieu d'une rencontre interculturelle qui, selon le contexte et les
personnes impliquées, pourra donner naissance à un lien d'amitié.
Nous l'avons mentionné, le programme de jumelage tel qu'appliqué par la majorité des
intervenantes du Réseau jumelage interculturel est un programme défini et subventionné
par l'État ; toutefois, en lui donnant forme, en le recréant, l'intervenante pose un acte
légitimé tout en s'inscrivant dans le processus de la reconstruction du tissu social. Car
l'intervention sociale du jumelage dépasse la simple mise en place d'une relation sociale; la
complexité du processus migratoire et du processus d'intégration à laquelle est confronté le
nouvel arrivant et indirectement son jumelé aura une influence marquante sur la dynamique
relationnelle. L'intervenante en jumelage sera, elle aussi, confrontée à cette complexité et
aura à questionner sa pratique.
Le programme de jumelage que nous analysons fait partie du programme gouvernemental
provincial d'accueil et d'établissement PAEI, mais est aussi influencé par l'idéologie du
rapprochement interculturel véhiculée par le programme de rapprochement interculturel
PRI. Notre terrain de recherche est Montréal et plus précisément les programmes de
jumelage mis en place par les intervenantes des organismes communautaires qui font partie
du Réseau jumelage interculturel.
1.a. Problématique et Objectifs de recherche
Conscients que l'immigration est un facteur nécessaire et un atout pour relever les défis
démographiques et économiques que doit relever le Québec, le gouvernement et la société
d'accueil québécoise reconnaissent que le succès du projet migratoire de chaque individu de
même que le maintien de rapports harmonieux entre les Québécois de toutes origines
dépendent du degré d'insertion et de participation des immigrants et de leurs descendants à
la société québécoise. Cette insertion et participation sont liées, comme l'indique l'Énoncé
de politique en matière d'immigration et d'intégration (1990), à l'idée symbolique d'un
contrat moral en tant qu'engagement réciproque impliquant des droits et des responsabilités
mutuels de l'immigrant et de la société d'accueil.
Le programme de jumelage, entre Québécois et nouveaux arrivants implique, comme nous
l'avons mentionné, la reconnaissance par l'État de l'importance du réseau informel dans le
processus d'intégration. L'accueil et l'aide à l'insertion en ce qui concerne les nouveaux
arrivants ne relèvent donc plus uniquement de l'aide charitable, des organismes religieux,
des associations ethniques, mais deviennent un acte d'engagement social du membre de la
société d'accueil envers le nouveau venu.
Une pré-enquête nous a permis de constater que le programme de jumelage n'est pas vécu
par les Québécois et les immigrants ni considéré par les agents de l'immigration et
responsables d'organismes communautaires et d'associations bénévoles de la même façon
selon les contextes de réalisation. En effet, plusieurs facteurs influencent les interactions :
les énoncés de politique et les acteurs politiques en place, les orientations idéologiques du
concept d'intégration, les visions et ressources consacrées au programme par les directions
d'organismes communautaires qui en ont la responsabilité d'exécution, le profil des
nouveaux arrivants et des Québécois qui s'engagent dans le programme et enfin les
compétences, le pouvoir d'action et les conceptions des intervenantes qui animent le
programme.
Le jumelage évolue dans un certain flou du fait qu'il peut répondre à plusieurs objectifs et
combler différentes attentes. Selon le cas, le jumelage sera considéré comme un moyen
d'intégration sociale : l'objectif est alors d'aider les nouveaux arrivants à devenir autonomes
7
le plus rapidement possible. Par ailleurs, le jumelage sera défini par certains organismes
comme une rencontre interculturelle, un lieu de découverte des différences et des
similitudes ou encore il sera présenté comme une relation d'amitié. Si ces objectifs peuvent
refléter les attentes des intervenantes des organismes communautaires, des agents du
ministère et des jumelés9, il demeure souvent une ambiguïté non seulement dans la
définition des objectifs communs, mais aussi dans l'atteinte de ces objectifs.
Se pourrait-il que l'ambiguïté vienne du fait que la relation au sein du jumelage est
considérée par le gouvernement qui classifie le programme dans le PAEI comme une
relation d'aide et d'accompagnement alors que les intervenantes considèrent le jumelage
comme un lieu de découverte mutuelle ?
Dans la relation d'aide et d'accompagnement, les nouveaux arrivants sont guidés dans leurs
premières démarches d'intégration à leur nouvelle société par des membres de la société
d'accueil. La relation d'aide dans ce cadre du jumelage est une action sociale, un acte
bénévole qui s'inscrit dans le bénévolat de service social qui, s'il n'est pas représentatif du
domaine du bénévolat en chiffres (10,9%)10 demeure un domaine extrêmement important
puisqu'il se voit interpellé de manière de plus en plus directe par l'État pour prendre la
relève dans l'aide sociale auprès des démunis et des exclus. L'État attribue ainsi au
bénévolat de service social une fonction de régulation sociale et ce faisant le définit comme
étant un pivot de la cohésion sociale de la société québécoise.
9 Nous nommons jumelés, les personnes engagées dans le jumelage; personnes de la société d'accueil et
nouveaux arrivants.
10 L'anthropologue Isabelle Cellier dans son article « Le bénévolat à travers la littérature” (1995) déplore que
les auteurs qui s'intéressent au domaine du bénévolat ne parlent presqu'exclusivement que du bénévolat de
service social et que cet état de fait contribue à entretenir les préjugés de la dame patronnesse se dévouant à la
cause puisque que dans le domaine du service social ce sont majoritairement des femmes. La chercheure fait
remarquer, avec raison, que le bénévolat ne se limite pas à ce domaine et que bien au contraire celui-ci, ajouté
au domaine de la santé atteint tout au plus 10.9% du total. Les autres domaines seraient selon l'étude de
Carpentier, Vaillancourt (1990) : éducation – occupé majoritairement par des femmes – (13,9%); sport – où
évoluent une majorité d'hommes – (12,3%); religion (12,3%); service social (10,9%); multidomaines
(9,6%).
8
Pourtant, la majorité des intervenantes considèrent le jumelage comme un lieu de
découverte mutuelle, de partage de savoirs et de transformation des représentations. Le
jumelage c'est le lieu d'une rencontre interculturelle qui pourra donner naissance à un lien
d'amitié. Cette conception rejoint un autre programme du ministère, celui du PRI11,
programme de rapprochement interculturel au sein duquel certaines activités de jumelage
pouvaient être réalisées.
L'ambiguïté pourrait venir aussi des attentes face à ceux que l'on nomme Québécois de la
société d'accueil ou de la compréhension que ces derniers ainsi que les nouveaux arrivants
ont du jumelage.
Le programme de jumelage existe au Québec depuis 14 ans, il est peu connu au sein de la
société québécoise. Serait-ce un indicateur d'une certaine résistance de l'État à inciter les
citoyens à s'engager dans une action dont il ne saisit pas toute la portée ? Dont il ne peut
mesurer à court terme l'impact ? Le programme a-t-il fait l'objet d'une analyse symbolique
en tant qu'espace créant des situations de solidarité, mais aussi des confrontations
identitaires, des remises en question ?
Notre recherche veut répondre à trois préoccupations qui rejoignent celles décrites par
Taylor dans le Malaise de la modernité (1994) que sont la recherche de sens, de la liberté et
de la finalité.
• Par la quête de sens, nous voulons situer le jumelage dans toute sa complexité,
pragmatique et axiologique. Dans la recherche de sens nous nous demandons : Comment
doit-on situer le jumelage entre nouveaux arrivants et Québécois de la société d'accueil
dans le contexte socio-politique actuel ? Quel est le sens que les différents acteurs attribuent
à ce programme ?
• La recherche de la finalité nous demande de dépasser la notion coûts-bénéfices et de voir
comment le jumelage revêt une valeur symbolique et en tant que tel s'avère être un agent
d'intégration sociale. Dans la recherche de la finalité nous nous demandons : Comment le
11 Le PRI est devenu en 98-99 (année financière) le PSPC, programme de soutien à la participation civique,
programme dorénavant ouvert à tous les organismes communautaires peu importe leur champ d'intervention.
9
jumelage est-il perçu en tant qu'intervention sociale ? Le jumelage est-il vu comme un outil
d'intégration afin de permettre l'harmonisation de la société ou comme une mise en relation
où se déploie un lien social avec tout ce qu'il comporte de tensions, de conflits et de
compromis ? Le jumelage peut-il procéder de l'un et de l'autre ? Comment les intervenantes
analysent-elles les motivations et les comportements des individus qui s'engagent dans la
relation de jumelage ?
• La quête de la liberté signifie situer la relation de jumelage et sa mise en pratique dans un
espace de créativité, un (nouveau) lieu : a-historique, relationnel et identitaire. Dans la
recherche de la liberté nous cherchons à savoir : Comment les intervenantes qui sont les
artisanes du jumelage le perçoivent, le définissent, l'articulent et le présentent aux uns et
aux autres. Comment les jumelés le vivent ? Pourquoi et de quelle façon les intervenantes,
travailleures au sein d'organismes communautaires, responsables du programme jumelage,
occuperont cet espace de transformation de la pratique, le Réseau jumelage ?
10
Ces démarches complémentaires que sont la quête de sens, de finalité, et de liberté ont
alimenté nos premières démarches d'exploration et d'observation et nous ont amenée
à formuler quatre hypothèses :
a – Le fait de définir le jumelage comme une relation d'aide ou comme une relation d'amitié
conditionne les interactions des personnes engagées dans le jumelage et oriente le rôle
qu'ils se donnent, les amènent à interpréter différemment les éléments des contextes de la
relation. Cela oriente les interprétations qu'ils feront de la situation et amène une
construction distincte de la relation, du « fait social » de la relation.
b – Bien que les textes gouvernementaux sur les programmes de jumelage évoquent le rôle
du citoyen bénévole comme agent d'intégration sociale, il ressort que les objectifs
financiers des programmes de jumelage, fondés sur une logique de coûts-bénéfices, aient
voilé sinon supplanté l'importance accordée à la construction du lien social en lui-même et
à la reconnaissance de la complexité de ce lien social.
c – Cette primauté des objectifs financiers sur la construction du lien social s'actualise dans
des critères de sélection et des règlements à observer et produit soit un non engagement ou
un désengagement dans le programme de jumelage, soit suscite des espaces de
transgression.
d – La reconnaissance de la complexité de ce lien social, tant de la part des politiques
gouvernementales, des intervenantes des organismes de jumelage, des nouveaux arrivants
et des Québécois engagés dans cette relation du jumelage, ouvrirait ou du moins enrichirait
des espaces de créativité.
Afin de répondre à ces questionnements, nous avons cru pertinent de diviser notre thèse en
deux parties. La partie 1 présente la problématique, les orientations théoriques et
méthodologiques. Dans cette partie nous situons au chapitre 2.1.1, le contexte de
l'immigration au Québec ainsi que le parcours migratoire des nouveaux arrivants en lien
avec la politique d'immigration et des mesures d'intégration. Nous mentionnons le contrat
moral en terme de responsabilisation du citoyen et du nouvel arrivant en même temps que
nous abordons le mouvement de décentralisation et son corollaire, le désengagement de
l'État. Ces tendances font émerger chez l'État un besoin plus pressant de faire appel d'une
11
part aux organisations civiques dans un type de collaboration dorénavant nommé
partenariat et d'autre part aux citoyens afin qu'ils s'engagent dans l'acte du bénévolat. Au
chapitre 2. nous présentons l'évolution de la représentation du bénévolat au Québec, d'une
vision charitable à une vision sociale, en soulignant les tensions de l'acte bénévole : l'intérêt
individuel et la solidarité envers une collectivité. Puis nous présentons, en parallèle, le
jumelage en tant que processus et le contexte de l'émergence du Réseau jumelage. Dans la
première partie du chapitre 3, cadre théorique, nous réfléchissons aux notions d'intégration
(3.1) et d'adaptation dans les contextes culturels et géographiques des Etats-Unis, de la
France, et du Québec. Nous voulons démontrer que la notion d'intégration est liée à
l'histoire des sociétés et aux représentations d'un certain idéal. Au cœur du concept
d'intégration, nous retrouvons la notion de contrat moral (3.1.2.1) et la notion de contrat
social, (3.1.2.2) celle-ci faisant référence à la participation civique. Par ailleurs, la notion
d'intégration est aussi un concept politique qui sert à modeler le concept de citoyenneté
(3.1.3). Nous affirmons que cette notion est beaucoup plus difficile à imposer comme
action collective parce que plus difficile à circonscrire, prenant sa source dans l'éthique,
dans le sens attribué au vivre-ensemble et dans la projection dans l'avenir, donc dans une
certaine part d'incertitude. Cette notion est ainsi liée à la question ontologique qui est au
cœur du questionnement sur la vie en société, sur le rapport à l'autre, sur le pourquoi et le
comment du lien social (3.1.4). Nous abordons alors, les notions de confiance (3.1.4.1), de
don (3.1.4.2), d'engagement (3.1.4.3), de négociation (3.1.4.4) et d'adaptation mutuelle
(3.1.4.5) qui sont inhérentes à la question du lien social et de façon plus spécifique à celle
du jumelage interculturel. En introduction à la deuxième partie du cadre théorique, nous
établissons ce qui différencie les notions de mentorat et de jumelage (3.2.1), puis nous
tentons de définir l'utopos de la rencontre entre un nouvel arrivant et un Québécois (3.2.2)
et ce à quoi ces derniers seront confrontés en terme de choc culturel (3.2.3). Au point
(3.2.4) nous questionnons la responsabilité de l'organisation (État et organisme) à faire en
sorte que le jumelage devienne un acte de solidarité. La partie (3.2.5) porte sur
l'intervention sociale et est centrale à notre thèse. Celle-ci révèle toute la complexité de
l'intervention sociale du jumelage, les zones d'incertitude, mais en même temps la créativité
qu'offre aux intervenantes cet espace nouveau qu'est l'interculturel.. Le chapitre 4, chapitre
méthodologique, décrit le contexte de découverte qui a orienté notre recherche, présente
notre démarche praxéologique, commente notre approche phénoménologique et révèle des
12
situations où nous avons été confrontée au paradigme dialectique. Ainsi avons-nous opté
pour une démarche qualitative et une méthode d'observation participante. Nous avons eu
des entretiens semi-dirigés et notre analyse des données en est une sémiotique et de
contenu. La deuxième partie de notre thèse est l'analyse des données. Au chapitre 5, nous
présentons les missions des organismes et les parcours des intervenantes. Le chapitre 6 a
comme premier objectif de cerner le sens attribué au jumelage par les différents acteurs
impliqués ou ayant une certaine influence en lien avec les notions d'intégration et
d'adaptation. Puis nous analysons la réalité de l'intervention jumelage en tant que pratique.
Au chapitre 7 nous traitons du recrutement et du profil de la clientèle. Au chapitre 8 nous
présentons la complexité de la dynamique du jumelage en tant que processus relationnel,
intervention sociale et agent d'intégration sociale qui se traduit en contraintes et difficultés
pour l'intervenante. Puis au chapitre 9 nous analysons le processus du suivi et celui de
l'évaluation du jumelage. Enfin, la conclusion de la thèse fait ressortir les principales
contraintes de l'intervention sociale du jumelage dans une perspective sociétale.
Notre réflexion sur le jumelage en tant que mode d'intervention sociale et déploiement d'un
lien social est ancrée dans une approche ethnologique qui privilégie l'analyse des rapports
interpersonnels tout en faisant appel aux contributions des autres disciplines. L'ethnologie
est la science du particulier, du micro social. Par son acharnement à saisir la complexité du
phénomène étudié, du fait social sur lequel le chercheur pose un regard attentif, cette
science permet de révéler la complexité du commun et du quotidien. Le questionnement
initial de notre recherche, qui fut le QUOI : Qu'est ce qui fait que le jumelage est si peu
connu au sein de la société ? a été suivi du COMMENT : Comment les acteurs liés au
programme de jumelage le perçoivent-ils ? Ce questionnement a orienté la démarche
ethnologique dans un mouvement dualiste qui nous a conduit de l'explicite à l'implicite, qui
nous a fait rechercher la qualité d'un fait social auquel sont confrontés les acteurs sujets et
objets de notre étude. Car comme le souligne Mucchielli (1991) la méthode des sciences
humaines en est une qualitative en ce qu'elle recherche, explicite et analyse des
phénomènes.
Notre réflexion s'alimente aussi de la réflexion des sociologues Crozier et Friedberg (1993),
et Miranda (1986) du psychologue social Zuniga (1993), du théoricien du management
13
Aktouf (1990), des ethnologues Dodier et Baszanger (1997) qui attribuent aux acteurs un
pouvoir de transformation sur leurs actions.
Enfin, notre sujet d'étude s'inscrit dans une réflexion épistémologique au-delà des barrières
scientifiques et reflète notre propre préoccupation à savoir : la représentation que se font les
acteurs des possibilités de transformation des rapports sociaux par les réseaux informels de
sociabilité; que ceux-ci soient entre des intervenants sociaux et ceux qui font appel à eux ou
entre des Québécois membres de la société d'accueil et des nouveaux arrivants.
CHAPITRE II
ÉTAT DE LA QUESTION : LE PHÉNOMÈNE MIGRATOIRE ET LASOLIDARITÉ SOCIALE
2.a. Sommaire
Au cours de ce chapitre nous présentons en première partie (2.1) la dynamique des
migrations internationales en rappelant que celle-ci est déterminée par un projet politique
motivé par des considérations économique, sociale et démographique. De même
l'immigrant a plusieurs motivations d'émigrer, ce qui marquera son statut d'immigrant et
son processus d'insertion. Dans la seconde partie (2.2) nous faisons l'historique de l'action
communautaire en mettant l'emphase sur l'évolution du bénévolat, de dévouement
charitable à engagement social. Nous verrons que la revalorisation du rôle des pratiques
bénévoles est due en partie à la recherche de « l'affect de la tribu » chez l'individu et en
partie à la redéfinition de l'acteur social que propose l'État qui, dans une ère de
néolibéralisme, fait de plus en plus appel au partenariat lorsqu'il veut s'associer aux
organismes sociaux pour dispenser des services à la population. Enfin, dans la dernière
partie (2.3), nous soulignons que le regain du communautaire est un phénomène complexe
qui relève du spontané et du caractère opaque du social et nous relevons les tensions au
cœur de la notion de bénévolat : entre l'intérêt personnel et la solidarité sociale. Dans le
jumelage en tant que processus (2.4) nous verrons que l'analyse des données d'une
recherche commandée par le MRCI réaffirme la pertinence tout en insistant sur la
singularité d'un tel programme. L'étude révèle, entre autres, que l'objectif présumé de la
sensibilisation du milieu est peu atteint via ce programme; cette donnée est importante car
elle soulève la dimension collective de l'acte social du jumelage et est au cœur de nos
préoccupations. De même nous verrons que la contrainte du financement et la remise en
question du programme par l'État ont fait émerger chez les intervenantes le besoin de faire
front commun au sein d'un regroupement : le Réseau jumelage interculturel (2.4.2).
15
2. 1. LE PHÉNOMÈNE MIGRATOIRE
2.1.1. La dynamique des migrations internationales
2.1.1.1. Les pays d'émigration
Dans un contexte de mondialisation, de bouleversements politiques et économiques, de
nouveaux pays d'émigration émergent sur la carte du monde; suivant ce cours, la
composition ethnique s'est radicalement transformée au Canada et au Québec. En 1968,
l'immigration en provenance de l'Europe occidentale représentait au Québec plus de 60 %;
en 1989 ce n'est plus que 21 %. Pour la même période, la part de l'immigration en
provenance de l'Asie est passée de 12 % à 50 %. Si on ajoute l'immigration provenant de
l'Afrique, des Caraïbes, de l'Amérique centrale et de l'Amérique du sud c'est près de 70 %
de l'immigration qui émigre aujourd'hui de pays dits en voie de développement (Daigle
1992). Ces dernières années, les conflits en Algérie, au Rwanda, et depuis 1991 dans les
Balkans ont fait fuir des milliers de personnes. Le Québec en a accueilli un certain nombre.
2.1.1.2. Les facteurs d'émigration, les pays d'immigration
Tout comme il y a plusieurs motifs pour un individu, une famille, de quitter son pays,
d'émigrer, il y a plusieurs raisons pour un pays de recevoir et de permettre l'établissement
des immigrants. Pour l'immigrant, la décision de migrer peut être liée à une question de
survie, cela peut être aussi pour améliorer ses conditions de vie sociales, économiques, pour
combler des ambitions professionnelles ou par intérêt culturel.
Il faut distinguer l'immigration volontaire de l'immigration involontaire. L'immigrant qui
quitte son pays de façon volontaire,12 l'immigrant de la catégorie indépendant, a le temps de
rêver sa future terre d'accueil, il peut élaborer des projets; ce qui ne veut pas dire qu'il sera à
12 Même si objectivement il peut exister dans le pays de résidence des conditions sociales, économiques et
politiques qui le pousseront à partir.
16
l'abri des déceptions, des non-équivalences. Par contre, celui qui quitte son pays à cause de
la guerre, de la répression, d'un désastre écologique, n'a pas choisi délibérément d'aller
vivre ailleurs. Celui qui doit abandonner, contre son gré, sa terre, sa famille, son emploi,
tout ce qui lui est familier, connaîtra le déchirement du départ, de la séparation, le difficile
séjour dans un camp de réfugiés, le choc de l'arrivée; il aura à faire le deuil de sa terre
d'origine et à faire face à l'impossibilité du retour.
Pour un pays, inscrire l'immigration comme politique, peut être motivé par des besoins
économiques, des besoins de main d'œuvre, un souci de s'ouvrir sur le monde, des besoins
démographiques, la pérennité de sa langue, pour répondre à un devoir humanitaire ou pour
respecter l'engagement pris lors de la Convention de Genève (1951)13. Cette volonté
d'accueil des immigrants n'est pas illimitée; les pays se fixent des quotas et exercent un
contrôle et une planification quant à l'acceptation d'immigrants sur leur territoire.
Le Canada est un des quatre pays de l'OCDE (Organisation de coopération et de
développement économique) à avoir une politique active d'immigration. En effet, le
Canada, les Etats-Unis, l'Australie et la Nouvelle-Zélande sont des pays que l'on qualifie
d'établissement : cela signifie que ces pays considèrent le phénomène de l'immigration en
terme d'établissement, donc dans un long terme, ce qui se traduit au Canada par l'attribution
du droit de résidence qui offre après 3 ans la possibilité de demander le statut de citoyen.
Ces pays se sont construits avec l'immigration. Au fil des ans, et selon leurs besoins, selon
le contexte socio-économique, ils se sont donnés une politique d'accueil et d'établissement
en ce qui concerne les immigrants.
13 La Convention de Genève de 1951 énonce les droits et obligations des réfugiés et les obligations des États
envers les réfugiés en précisant les normes internationales pour leur traitement. La Convention des Nations
Unies de 1951 et le Protocole de 1967 (qui lève la restriction aux événements survenus avant le premier
janvier 1951)restent le seul instrument universel du droit international des réfugiés. Au 31 décembre 1999,
131 États sont signataires de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967, et 138 États ont ratifié au moins
un des deux textes (Les réfugiés dans le monde; cinquante ans d'action humanitaire, HCR, Autrement 2000).
17
2.1.1.3. La dynamique fédérale/provinciale; les possibilités et les limites
Le ministre responsable de l'immigration au gouvernement fédéral fixe le taux d'acceptation
annuelle des immigrants. En 1998, le Canada avait fixé ce nombre à 225,000, sur ce
nombre le Québec en a reçu 27,000. Si l'immigrant choisit une terre d'accueil, la terre
d'accueil choisit aussi ses immigrants. Selon la dernière entente fédérale-provinciale
(1991), l'accord Canada-Québec, le Québec a le pouvoir de sélectionner les candidats
indépendants à l'étranger. Par cette entente, le fédéral a aussi conféré au Québec, avec
compensation financière, l'entière responsabilité de l'accueil et de l'intégration linguistique
et culturelle des immigrants sur son territoire. Toutefois le Québec s'engage à fournir à cet
égard le même type de services que ceux offerts dans les autres provinces. Le
gouvernement fédéral décide pour les questions d'immigration humanitaire14; c'est aussi le
fédéral qui admet les étrangers en territoire canadien, qui a le pouvoir d'accorder le statut de
résident permanent à un étranger, le pouvoir d'accorder la citoyenneté canadienne au bout
de trois ans de résidence permanente (Vincent, 1994).
Au Canada et au Québec il y a quatre grandes catégories d'immigrants dans le taux annuel
fixé. La catégorie des indépendants regroupe les gens d'affaires : les travailleurs autonomes,
les entrepreneurs, les investisseurs et les travailleurs indépendants. La deuxième grande
catégorie est celle des réfugiés sélectionnés à l'étranger. Cette catégorie s'inscrit dans le
cadre de l'immigration humanitaire. Le Canada sélectionne un certain nombre de réfugiés
selon certains critères. Il suit les priorités établies par le Haut Commissariat pour les
réfugiés (HCR) de façon relative toutefois car comme le souligne Gildas Simon, « le HCR
est financé par les contributions des nations les plus riches du monde occidental et il est le
principal organisateur et dispensateur de cette aide internationale15» avec les ONG.
14 L'immigration humanitaire inclut la catégorie des réfugiés et la catégorie de la réunification familiale.
15 Gildas Simon, Géodynamique des migrations internationales dans le monde, Paris, Presses internationales
de France 1995, pp.107-110, 139-159 (p. 164).
18
Le gouvernement annonce combien de réfugiés la société va accueillir chaque année. Les
agents gouvernementaux sélectionnent parmi les réfugiés « ceux qui ont le plus besoin »
tout en regardant le critère de facilité d'insertion. En 2000 le Canada en a accueilli 7 300 :
plus de 70 % venait d'Europe et 12 % d'Afrique, alors que le plus grand nombre de réfugiés
se retrouvent en Afrique et en Asie.
La troisième catégorie concerne le processus de réunification familiale. La notion de la
famille est nucléaire et a même été réduite ces dernières années : aujourd'hui sont admis
dans le cadre de la réunification familiale le conjoint et les enfants mineurs. La
responsabilité envers les réunis (le parrainage) est de 10 ans partout au Canada. Au Québec,
suite aux revendications de la Marche du Pain et des roses en 1995, le parrainage envers le
conjoint (e) a été réduit à 3 ans, cette mesure a été prise dans le but de rendre à la femme
son autonomie le plus rapidement possible, la femme étant la personne parrainée dans la
majorité des cas de réunification familiale. D'autres parents pourront être admis dans le
parrainage (parents aidés), mais il devient de plus en plus difficile de les faire admettre dans
un contexte de restriction des admissions.
Il y a aussi du parrainage de groupes pour les réfugiés et certains cas humanitaires. Ces
groupes sont composés de citoyens et de communautés religieuses comme ce fut le cas pour
les Boat people dans les années 70.
Les revendicateurs du statut de réfugié ne sont pas inclus dans le taux annuel fixé. Les
revendicateurs du statut de réfugié ou demandeurs d'asile sont ceux qui entrent au pays et
qui demandent sur place le statut de réfugié. Ces derniers doivent passer devant la
Commission d'Immigration du statut de réfugié (CISR) et prouver qu'ils sont en situation de
danger dans leur pays selon la définition de la Convention de Genève de 1951. Environ
40 % des demandes sont acceptées au Canada, le délai entre la demande et l'obtention du
statut va, dans certains cas, au-delà de 3 ans.
19
2.1.1.4. La dynamique région métropolitaine de Montréal et les autres régions duQuébec
Au Québec, non seulement le clivage entre Montréal et les autres régions est manifeste
quant au nombre d'immigrants qui vivent dans ces lieux, mais aussi quant aux catégories
d'immigrants : ces deux facteurs influencent les politiques d'intégration économique,
linguistique et socioculturelle. De 1991 à 1995, les données sur les admissions indiquent
qu'en moyenne au cours des cinq années, 65.3 % des personnes qui se sont établies à
l'extérieur de la grande région de Montréal appartiennent à la catégorie des réfugiés
sélectionnés à l'étranger (32.2. %) ou à la catégorie de la famille (33.1 %). Dans la région
de Montréal métropolitain (incluant Laval, Laurentides, Lanaudière et Montérégie) cette
proportion est plutôt de l'ordre de 52.3 % (réfugiés : 20,7 %) ; famille : 31,5 %). Cette
différence entre les deux proportions s'explique par la part importante des autres catégories
d'immigration, notamment celle des gens d'affaires (97,3 %) et des autres indépendants
(89,3 %) qui choisissent plutôt la région de Montréal et ses environs. Cependant, il ne faut
pas oublier les revendicateurs de statut qui sont en très grande majorité à Montréal. En
1998, 5 000 revendicateurs ont été acceptés.
2.1.1.5. Nécessité d'un accueil différencié
Les politiques d'immigration du gouvernement du Québec tentent de concilier différents
objectifs liés aux intérêts et valeurs du Québec : « L'action gouvernementale doit contribuer
à l'atteinte des grands défis de développement sur les plans démographique, économique et
linguistique, tout en respectant les principes de réunification familiale et de solidarité
internationale, qui font l'objet d'un large consensus dans notre société » (Gouvernement du
Québec,1990:24). Les immigrants indépendants ou économiques (entrepreneurs,
investisseurs, travailleurs indépendants16) de l'immigration volontaire ont été sélectionnés à
partir d'une grille de sélection évaluant les chances d'établissement du nouvel arrivant au
16 Même si les étudiants et les travailleurs temporaires font partie de l'immigration volontaire, nous les
excluons de notre typologie parce qu'ils ne font pas partie du programme de jumelage auquel nous nous
référons.
20
sein de la société québécoise. Et parce que la volonté du gouvernement du Québec est
d'associer le plus étroitement l'immigration aux objectifs de développement de la société
québécoise, celui-ci a mis sur pied divers services pour cette catégorie d'immigrants (tel le
counseling, le programme des investisseurs). En ce qui concerne les travailleurs
indépendants, la grille de sélection tente de s'ajuster au marché, à la mondialisation, ce qui
implique des modifications rapides en besoin de main d'oeuvre qualifiée. Le fait d'avoir été
choisi ne veut pas dire que l'immigrant n'aura aucun défi à surmonter pour réussir son
intégration; en effet, les travailleurs sélectionnés butent devant différents obstacles au sein
de leur société d'accueil (non reconnaissance du diplôme, de l'expérience, protectionnisme
de certaines professions...). Ainsi la catégorie des indépendants aura besoin de certains
services qui contribueront à leur intégration professionnelle, linguistique et sociale : que ce
soit au niveau du perfectionnement de la langue, de conseils dans le domaine de l'emploi,
du milieu des affaires, mais aussi de l'information en ce qui concerne le fonctionnement
général, les normes, les valeurs, les us et coutumes de la société québécoise dans les
domaines de l'éducation, de la justice, du logement, des services de santé et de services
sociaux. L'immigrant développera aussi un réseau primaire de relations, il aura peut-être
besoin de se retrouver à l'intérieur de son groupe ethnique, mais il devra aussi développer
des liens avec les membres de la société d'accueil pour se sentir réellement intégré à la
société québécoise.
En vertu des principes de solidarité internationale, mais dans les limites de ses capacités
d'accueil, en ce qui concerne l'immigration involontaire (les réfugiés sélectionnés et
reconnus17) le gouvernement du Québec souhaite maintenir l'effort d'accueil et
conséquemment accentuer le soutien à l'intégration. D'après les statistiques canadiennes sur
l'immigration, le Québec se classe au 2e rang pour ce qui est des provinces d'établissement
des réfugiés (Citoyenneté et Immigration Canada, 1994).
17 La catégorie de la famille est dans les faits une immigration volontaire mais peut aussi être involontaire. En
effet, une part d'immigrants considérés administrativement dans la catégorie de la famille est en situation
effective de « personnes en danger » selon l'expression de Gildas Simon. Ils vivent un état de migrant forcé et
de réfugié, même s'ils obtiennent le statut de la catégorie de la famille parce que des personnes membres de la
famille sont arrivées avant eux.
21
Selon Jacob (1991: 76) « les réfugiés constituent la majorité des utilisateurs des services
sociaux spécialisés dans les questions interethniques (...) la plupart des services relèvent des
organismes non gouvernementaux. Alors que le nombre de réfugiés ne cesse d'augmenter,
les ressources financières ne cessent de diminuer ».
2.1.1.6. Clients potentiels des ONG et des programmes de jumelage
Car si 5 000 revendicateurs sont acceptés annuellement, il faut parler de 25 000
revendicateurs en attente qui circulent d'un organisme à l'autre (Mekki-Berrada, Jacob,
TCMR, 1999). Les revendicateurs du statut de réfugié ne sont pas considérés comme des «
clients » admissibles dans le cadre du PAEI, programme d'aide à l'établissement des
immigrants, sauf pour la recherche de logement. Ce qui explique que même si les
organismes communautaires leur donnent les services qu'ils demandent, certains les
comptabilisent dans leur rapport annuel, d'autres les rendent invisibles. Qu'ils adoptent l'une
ou l'autre de ces stratégies, les organismes donnent ces services gratuitement, c'est-à-dire
qu'ils ne reçoivent pas de fonds spécifiques pour l'aide accordée à cette catégorie
d'immigrants. Le fait que ces services soient donnés dans une semi-clandestinité a des
répercussions non seulement sur les conditions de vie des revendicateurs, mais aussi sur la
qualité de l'intervention notamment, en ce qui nous préoccupe, l'intervention en jumelage.
Les organismes communautaires doivent donc de plus en plus faire appel aux bénévoles qui
s'engageront, peut-être au nom de cette même solidarité sociale à donner de leur temps pour
accompagner les nouveaux arrivants dans leurs premières démarches d'intégration à la
société québécoise.
22
2.2. D'UN BÉNÉVOLAT CHARITABLE
À UN BÉNÉVOLAT D'ENGAGEMENT SOCIAL
2.2.1. Bref historique du contexte social de l'action communautaire
Les motivations à faire du bénévolat, le type de bénévolat auquel le citoyen sera interpellé,
ne peuvent être détachés du contexte social, économique politique et culturel d'un pays. « A
travers la variété extrême des conduites, écrit Ferrand-Bechmann (1992:97), on lit la variété
des motivations, des réseaux, des contraintes que chaque culture fait porter sur les citoyens.
» Si le recours aux « énergies créatrices latentes » (Beaudouin, 1978) n'est pas nouveau au
Québec, il a tout de même déjà connu une période moins glorieuse que présentement alors
que près de 1 Québécois sur 5 pratique des activités bénévoles de tout genre et y consacre
en moyenne 184 heures par année traduisant une augmentation de 9 % entre 1979 et 1987
(Carpentier, Vaillancourt, 1990:157). Au Canada des chiffres récents démontrent que 7.5
millions de personnes, soit environ 31 % de la population, se sont impliquées dans des
activités de bénévolat, un milliard d'heures auraient été ainsi consacrées au bénévolat pour
l'ensemble des Canadiens (Hall et al, 1998, cité dans Chantal et Vallerand, 2000). Les
données américaines, selon Chantal et Vallerand, révèlent une situation comparable.
Au Québec, il est juste de dire que le bénévolat est une valeur culturelle intégrée à notre
système social et cela depuis l'ouverture du bureau des pauvres par Mgr de Laval au 17e
siècle. Toutefois, avant 1840, le milieu primaire, la famille et le réseau de voisinage, était le
lieu d'ancrage pour les « personnes nécessiteuses » hormis quelques associations charitables
dotées de la mission de soulager la misère humaine en milieu urbain (Cossette, 1994:51).
L'Église fut la grande coordonnatrice des bonnes œuvres jusqu'à la Révolution Tranquille et
l'initiatrice des activités bénévoles (Beaudoin, 1978; Robicaud, 1994; Cossette, 1994).
À la fin des années 1950, les associations d'œuvre chrétienne et les agences sociales
deviennent privées et sont subventionnées par l'État. L'espace laïque est majoritairement
occupé par « les dames patronnesses ou dames de charité » (Redjeb, 1991) issues de la
bourgeoisie qui prennent en charge les œuvres de charité et qui défendent les valeurs
23
chrétiennes rurales traditionnelles et l'idéologie nationaliste prônées par l'Église (Beaudoin,
1978). Les valeurs chrétiennes auxquelles s'identifiaient les bénévoles reposaient sur
l'altruisme et la foi en un destin meilleur : le dévouement, la compassion, l'amour du
prochain, la charité et l'espérance motivaient l'acte bénévole (Lamoureux, 1996). Jusqu'en
1960 le bénévolat est donc héritier d'une double tradition : l'une religieuse, l'autre laïque.
Les bénévoles œuvraient surtout dans les domaines de la santé, de l'hygiène, de l'éducation,
de la moralité et de la formation professionnelle (Cossette, 1994).
« Dans la perspective axiologique du christianisme, l'autre est "objet de compassion" et est
aimé peu importe ce qu'il est ou ce qu'il fait » (Lamoureux, 1996:82). Le bénévolat
signifiait alors bene volens, « vouloir du bien. » Jusqu'à l'arrivée de l'État-Providence,
souligne Aline Charles dans Travail d'ombre et de lumière, réflexion sur le bénévolat
féminin à l'Hôpital Ste-Justine (1990, cité dans Cossette, 1994), l'activité bénévole des
femmes est liée à deux perceptions : le substitut compensatoire (substitut à une carrière
qu'elles ne pouvaient exercer) et le don de soi (le bénévolat pour lui-même). L'analyse
sociologique du passage du « nous » au « je » au sein de la notion du bénévolat, mémoire
de maîtrise de Guylaine Cossette (1994) apporte un point de vue original pour la
compréhension des motivations et résistances actuelles des « bénévoles » à poser cet acte
gratuit et des intervenantes à le considérer comme tel, quoique nous ne partagions pas
complètement les résultats de son analyse. Cossette suggère que dans le bénévolat
traditionnel des femmes « le renoncement à soi représentait cette part de devoir qui
maintenait l'équilibre social et empêchait le "je" à l'intérieur du bénévolat de se développer
» (Cossette, 1994:58). Nous convenons que cette implication maintenait l'équilibre social
en permettant à ces femmes de contribuer gratuitement au mieux-être des démunis tout en
ne remettant pas en cause les rapports de pouvoir, et d'exercer publiquement leur foi.
Cependant, nous croyons que le bénévolat leur permettait d'avoir une utilité sociale et
d'obtenir une certaine reconnaissance sociale en tant que sujet, par justement cet espace
social qu'elles occupaient et par le réseau qu'elles se créaient. Le « je » pouvait s'exprimer
même au cœur du bénévolat traditionnel.
Jusqu'en 1960, l'État a donc un rôle complémentaire aux œuvres de bienfaisance; ce sont les
communautés religieuses, les réseaux informels (famille, voisins, parenté) ce que Ouellet
24
(1988) et d'autres qualifient de « filet de secours » qui ont la plus grande part de
responsabilité sociale autant en ce qui concerne l'aide matérielle et monétaire (les
campagnes annuelles de charité) qu'en ce qui concerne le support moral. « Le volontariat
relevait alors d'un nous ecclésial empreint d'une idéologie de survivance » (Cossette,
1994:64). Comme le précise Cossette, à l'instar d'autres historiens, « en milieu rural le
renforcement du nous se faisait par l'agriculture, gardienne de foi et de mœurs, alors qu'en
milieu urbain le nous était plus global et dans la perspective de la mission caritative de
L'Église » (Cossette, 1994:64); la structure sociale était la paroisse, lieu de ferveur
catholique, espace d'entraide et territoire identitaire.
Jusqu'à la seconde moitié du XXe siècle, nous rappelle Lamoureux, « l'éthique chrétienne a
marqué l'éthos d'un grand nombre d'individus actifs dans les mouvements syndical et
coopératif » (1996:82). Nous convenons avec Lamoureux, que « si on peut critiquer
l'inaptitude de l'Église à suivre l'évolution rapide de la société québécoise (...) nous ne
pouvons ignorer que les activités des communautés religieuses aient été un facteur
déterminant de la constitution de la société québécoise et ainsi que de l'émergence de
nouvelles avenues éthiques et de formes plus modernes d'engagement social » (Lamoureux,
83).
En ce qui concerne les services aux nouveaux arrivants, c'est également l'Église qui y
jouera là comme ailleurs, jusqu'aux années 1960, un rôle important, mais paradoxal. Dans
les années 50, les Semaines sociales du Canada, rencontres annuelles organisées par les
diocèses, mettent à l'ordre du jour la question de l'accueil des immigrants (Jacob, 1992:39).
Constatant qu'une grande majorité des immigrants, notamment les immigrants d'origine
juive se dirigeaient vers les écoles protestantes anglophones, mais refusant de les intégrer
au système francophone parce que non catholiques, l'Église crée des services avec l'espoir
d'un retour, si ce n'est une conversion du moins une certaine reconnaissance envers les
autorités religieuses et scolaires catholiques. L'Église met aussi sur pied le Centre Social
d'aide aux immigrants (CSAI) qui a toujours pignon sur rue à Montréal et qui est un des
organismes membres du Réseau jumelage. Puis en concertation, le Service social diocésain
de Montréal et le Service familial de Québec offrent un service spécialisé d'accueil des
25
immigrants et des réfugiés qui jouera un rôle de premier plan durant les années 60 (Jacob,
1992).
À la fin des années 50 a lieu une remise en question de l'action des agences sociales et
conseils d'œuvres subventionnés par l'État. De nouvelles formes d'organisation
communautaire se dessinent et mettent l'accent sur la participation de la population. « Les
années 60 sont l'occasion d'une redéfinition majeure de l’orientation des mouvements
nationalistes hermétiques et défensifs dominés par les élites bourgeoises et cléricales des
années 50 » (Beaudoin, 1978:252). On voit l'apparition d'un nouveau projet collectif, un
projet politique qui suscite la mobilisation populaire. Mobilisation inspirée par les actions
des groupements populaires dans les pays en voie de développement, marquée par l'éveil
d'une conscience de classe du mouvement ouvrier des années 50 de même qu'influencée par
les penseurs des Écoles de service social fondées dans les années 1940.
Parallèlement au cours des années 60, l'État prend en charge l'assistance publique et son
intervention se fait de plus en plus pressante dans les secteurs de la santé et des politiques
sociales. Le bénévolat traditionnel perd alors ses lettres de noblesse au profit de la
professionnalisation du travail social. Comme le souligne Beaudoin (1978:255) : « L'action
bénévole est alors objet de redéfinitions fondamentales au cours des années 60 pour prendre
un caractère complémentaire et supplétif face aux différents systèmes institutionnels
existants. En même temps qu'une nouvelle forme d'action volontaire fait son apparition,
l'action des associations de participation volontaire. »
Entre 1963 et 1969 apparaissent les comités de citoyens inspirés par les courants
américains. Une des caractéristiques de l'approche du travail introduite dans les agences de
service social est la participation du bénéficiaire à l'identification et à la solution de ses
propres problèmes. Cette approche qualifiée de consensuelle est influencée par les
méthodes appliquées de Murray Ross, sociologue américain, qui « visaient à faciliter la
rationalité dans l'action collective » (McGraw, 1978:160). Une deuxième approche plus
radicale s'inspire des écrits de Saul Alinsky. Celui-ci croit en la nécessité de groupe de
pression pour changer l'ordre des choses et les rapports de pouvoir (McGraw, 1978). Pour
Alinsky « la démocratie est en fait un conflit permanent et évolutif interrompu
périodiquement par des compromis » (Mathieu, Mercier, 1991:19).
26
Ces comités mettent en pratique le concept « d'animation sociale. » Ceux-ci revendiquent
une amélioration des qualités de vie dans leur quartier, leur ville, leur région. Selon
plusieurs auteurs, ces comités de citoyens sont à l'origine du mouvement populaire et
communautaire (Larochelle et Robichaud, 1991:651; Hamel, 1991:105; Bélanger,
Lévesque 1992:716 cité dans Couillard, Côté, 1995) alors que d'autres attribuent la
naissance du mouvement communautaire aux courants de la pastorale ouvrière (JOC etc; )
et de l'humanisme chrétien inspiré du Père Lebret, curé français et de l'abbé Pierre. Si l'on
se fie à McGRaw (1978), les deux influences ont façonné les mouvements sociaux, mais ce
dernier en ajoute une troisième qui s'inspirait des courants de pensée européens. Dans ce
courant, l'accent est mis sur la nécessité de la transformation des structures économiques et
politiques par les syndicats et partis politiques.
Les comités de citoyens introduisent la notion de « self-help » ou « bottom-up process » et
celle de revendication directe, c'est-à-dire revendication sans intermédiaires. Le « self-help
», concept emprunté à une nouvelle conception de la coopération internationale, a comme
principe que l'initiative de l'action doit venir de la base.
Les actions de ces comités de citoyens de même que celles des associations d'entraide, dont
le nombre augmente de façon considérable, reposent sur les valeurs qui composeront
l'éthique communautaire : les valeurs de respect, d'autonomie, de solidarité, d'égalité,
d'équité, de réciprocité, de démocratie et de justice. La communauté devient le lieu
d'engagement (Lamoureux, 1996). Les groupes laïques plus traditionnellement voués à
l'action caritative prennent dorénavant en compte la dimension collective des problèmes
sociaux (Turcot, 1990). Un nouveau « nous » se profile.
Les années 70, teintées de la réforme sociale, inscrivent les services sociaux au sein de la
structure bureaucratique, ainsi les œuvres de bienfaisance sont transformées en agences
sociales puis intégrées au système de santé et des services sociaux en 1971. Dans le
domaine de l'immigration, il aura fallu la création du ministère de l'Immigration en 1968
pour qu'il y ait conscientisation des institutions et concertation avec le milieu.
Par ailleurs, à la fin des années 60, « conscients de la limite de l'action des comités de
citoyens » (Couillard, Coté, 1995:30), les militants décident d'investir deux champs d'action
collective : l'action politique et le développement de services alternatifs. Dans les années
27
70, décennie des revendications et manifestations sociales, l'action
revendicatrice/transformatrice née d'une radicalisation du mouvement populaire se
démarquait. Il était pertinent à la fin de cette décennie de distinguer le champ et les intérêts
de l'action communautaire en deux axes18 entre le secteur volontaire axé sur les services, ce
que Beaudoin nomme les associations d'entraide et de services et le secteur volontaire axé
sur les changements sociaux, ce que Beaudoin nomme les associations de mouvement
social, qui sont en fait les groupes populaires. Cette fragmentation marquera le mouvement
de l'action communautaire partagée entre une vision pragmatique et une vision idéologique.
Elle contribuera aussi à la confusion chez certains chercheurs des notions de volontariat19,
(concept emprunté aux américains) qui signifie parfois bénévolat qui se rapproche plus du
service donné à autrui et parfois militantisme, qui lui est une prise de position. Ainsi la
sociologue Ferrand-Bechman (1984) - établit une échelle de valeurs à accorder au
bénévolat selon que celui-ci est plus militant donc « volontaire » que bénévole.
Nous constatons toutefois, en accord avec plusieurs analystes (Hamel, 1991, 1993;
Robichaud, 1994, 1995; Larochelle, 1993, 1995; Couillard, Côté, 1995; Gingras, 1991),
que les mouvements sociaux donc progressistes et l'action pragmatique plus alternative
tendent à se confondre ces dernières années dans les organismes communautaires qui
œuvrent dans le champ du social. En fait, le communautaire est devenu, selon les termes de
Hamel, « un espace de recomposition sociale. » Le mouvement social en tant que pratique
et idéologie se serait intégré à l'intérieur de l'organisme communautaire. Nous reprenons en
la modifiant quelque peu la définition du mouvement social donnée par Hamel (1991:18-
19) : le mouvement social est un processus de remise en question qui vise une certaine
reformulation20 par les acteurs de la société civile impliqués à l'intérieur d'associations
bénévoles, des modèles d'intervention et de gestion habituelle formulés et rendus
18 Comme l'a fait un membre du conseil consultatif de l'action communautaire, distinction reprise par
Beaudoin (1978).
19 La notion action volontaire signifie dans notre texte bénévolat.
20 C'est nous qui ajoutons.
28
opérationnels par la classe politique et les classes dominantes. Le mouvement social est
donc action et non pas simplement réaction.
Le militantisme des années 1960-1980 ne cherche pas à prendre en charge la société
québécoise dans son ensemble, mais à défendre des groupes d'intérêts « des petits nous
spécifiques » (Cossette,1994:70). Il y a pénétration de l'individualisme et changement
idéologique. Il en sera de même pour le bénévolat. À l'intérieur du bénévolat moderne
coexistent, selon Cossette (1994:72), deux formules. La première concerne l'assise du
nous : les grandes causes, axe similaire à celui d'avant 1960, mais des causes qui sont
devenues écologiste et féministe. La deuxième formule dévoile l'assisse du « je », dont les
valeurs sont centrées sur l'individualité. Dans le bénévolat traditionnel, les bénévoles se
dévouaient principalement en fonction d'autrui, aujourd'hui et avec l'ajout de nouveaux
secteurs de bénévolat que sont les loisirs, les arts, l'économie, l'éducation, « la relation
d'aide vise autant la satisfaction et la croissance personnelle de l'aidant que la solution des
problèmes de l'aide. L'aidant peut se comporter en "je" et obtenir par le jeu de l'échange son
propre salut » (Cossette 1994:73). La pratique moderne du bénévolat aurait ainsi adopté
l'échange comme valeur marchande.
Faut-il le préciser, il y a une nécessaire corrélation entre la capacité des acteurs
communautaires de s'inscrire à l'intérieur du système politique, d'y déployer leur vision du
social, et, la reconnaissance par ce système politique que ces acteurs ont un espace de
créativité. Car l'action collective des comités de citoyens, si elle a contribué au
développement de l'État-Providence en revendiquant le développement de services à la
communauté, aurait échoué « à faire accepter à l'État leurs revendications concernant le
développement d'une démocratie locale passant notamment par le contrôle des services par
les usagers », selon la thèse de Bélanger et Lévesque (1978, cité dans Couillard, Côté,
1995:30).
Les organismes communautaires des années 1980 et 1990 butent aux mêmes difficultés car
s'il y a désengagement financier de l'État, il y a renforcement du contrôle par une logique
bureaucratique à laquelle doivent souscrire les organismes subventionnés par l'État.
29
Les orientations que prennent les politiques gouvernementales sont révélatrices de cette
tendance. Alors que la réforme Rochon, tout en regroupant les organismes communautaires
en fonction des services offerts, soulignait que les organismes communautaires « favorisent
la constitution de nouvelles solidarités, participent à l'amélioration de la vie démocratique
et à la consolidation du tissu social lui-même » (Commission d'enquête sur la santé et les
services sociaux, 1988:316), deux ans plus tard une autre réforme affirme que les
organismes communautaires contribuent à la prestation directe de services, au
raffermissement du lien communautaire.../ et s'avèrent particulièrement aptes à répondre
aux nouveaux besoins (Gouvernement du Québec, 1990, cité et souligné dans Couillard,
Côté, 1995:17). La proposition de politique de reconnaissance et de financement de l'action
communautaire autonome, d'avril 2000 reconnaît le milieu communautaire acteur essentiel
au développement du Québec, tout en admettant que la « coopération recherchée » entre
l'État et les organismes communautaires dans le cadre du partenariat sera « le fruit d'une
relation complexe et à l'occasion difficile. »
La plupart des analystes notent à la fin des années 1980 un affaiblissement des stratégies
conflictuelles et des mobilisations de masse et une remontée des stratégies de type
consensuelles voire une augmentation des actions assistantialistes (R. Mathieu, C. Mercier,
1991).
2.2.2. La revalorisation du rôle des pratiques bénévoles
Depuis la crise des États-Providence, crise qui s'est manifestée de façon aiguë au début des
années 1980, le bénévolat est une ressource de plus en plus en demande et en offre dans la
majorité des pays occidentaux. Ces pays sont traversés par ce que Larochelle (1992)
nomme « un nouveau paradigme de gestion des rapports sociaux. » Celui-ci découle de la
crise financière de ces États, qui les oblige à se désengager de plusieurs programmes
sociaux et de la thèse du néolibéralisme21 que l'on identifie comme le remède à cette crise.
21 La thèse du néolibéralisme fait appel ici à certaines caractéristiques énoncées par Larochelle (1992:71) :
l'accroissement du rôle dévolu au marché, réduction de la taille de l'État, l'élargissement de la liberté des
individus, privatisation, déréglementation, etc.
30
D'un côté du paradigme, nous retrouvons un regain notoire de l'individualisme-
égocentrique, de repliement sur soi, ce que le philosophe Taylor (1994) nomme la « face
sombre de l'individualisme » qui serait en fait la manifestation de la désillusion face à
l'idéal d'un projet de société basé sur l'égalité, la justice et l'équité. De l'autre coté du
paradigme, un foisonnement apparent de nouvelles solidarités sociales indique en fait le «
retour de l'acteur social » (Touraine, 1984) porté par l'expression de « l'idéologie de
l'épanouissement du soi » (Taylor, 1994).
D'un côté, l'éclatement des liens sociaux, la perte des horizons, la communauté perdue
(Piotte, 1987), l'incapacité de l'État à formuler ce que serait un idéal de société, l'incapacité
qu'ont les citoyens de devenir des agents sociaux, de se lier pour formuler un projet
commun et pour se donner des allégeances communes. De l'autre côté, la trame tissée du
tissu social à même la revigoration du champ communautaire dans lequel s'inscrit un projet
individuel de réappropriation du sens de l'action collective. Par ce projet s'exprime une
vision romantique de la société où il y aurait libération du moi (Touraine, 1984; Maffesolli,
1982). Et au cœur de cette libération du moi, « dans les silences du langage unificateur de
la rationalisation, résonne une parole plurielle qui accueille et répond en un échange
incessant à l'opacité imprévisible et inexplicable du social » (Miranda, 1986:180).
Comme le souligne Larochelle (1992:69) « la revalorisation du rôle socio-politique des
pratiques bénévoles au Québec peut être lue comme l'expression paradoxale en apparence
de l'une et de l'autre de ces tendances. » Cependant, nous ne dirons pas, comme ce dernier
l'affirme, « qu'elles puisent l'une à l'égoïsme, l'autre à l'altruisme », mais plutôt qu'elles
démontreraient peut-être le caractère tragique de la vie sociale « dans la mesure où
l'épaisseur de nos sociétés réside dans l'interpénétration et l'opposition d'une socialisation
spécifiquement moderne (dans l'atomisation des individus et dans la rationalisation) et
d'une société traditionnelle » (dans le sens et l'importance accordés à l'irrationnel, cette
infinité de possibles et à l'affect de la tribu) (Miranda, 1986:180). Cette dialectique est au
cœur de la modernité, ce que d'autres nomment post-modernité. Nous trouvons pertinent de
reprendre l'analyse de Marcel Bolle de Bal qui souligne que « dans la réalité
psychosociale, la participation à tout groupe comporte à tout moment de l'histoire, dans la
mentalité de chaque membre, des expressions communautaires (sentiments d'appartenance,
solidarité psychique, conscience collective, élans spontanés) et sociétaires (sentiment
31
d'interdépendance objective, solidarité fondée sur le calcul rationnel, conscience de sa
personne, de ses devoirs et de ses intérêts en tant que membre d'un groupe, participation
contractuelle et recherche échangiste de réciprocités) » (De Bal, 1985:17-18). L'avenir,
selon le psychosociologue, résiderait dans une synthèse consciente et organisée de ces
éléments.
D'une part, l'engagement communautaire favorisé par la désinstitutionnalisation et le
désengagement de l'État permet à des groupes d'occuper des lieux nouveaux, condition
nouvelle pour l'expérimentation sociale (Mathieu, Mercier, 1991:360). D'une autre part, le
désengagement de l'État conduit à une redéfinition du rôle des acteurs sociaux dans la
gestion du socio-économique. En France et en Grande-Bretagne, les associations bénévoles
sont dorénavant perçues comme des relais d'assistance sociale devenus nécessaires à un
système social étatique débordé (Le Net, Werquin, 1985) en même temps qu'au Québec on
met en place l'après État-Providence, signifiant ainsi « la fin de l'idéal de protection
collective et universelle » (Robichaud, Larochelle, 1995:129).
La concertation, la décentralisation sont les nouvelles modalités d'intervention. Dans l'ère
de la mondialisation des échanges, la régionalisation et la décentralisation répondent à un
impératif de l'OCDE : « tous les pays membres, de rappeler Hamel (1993:182) se sont
engagés au cours des années 1980 à revoir leur cadre institutionnel de gestion des politiques
publiques afin de mieux s'adapter aux demandes sociales et aux exigences de la compétition
internationale. » L'un de ces engagements, en ce qui concerne la gestion des services
urbains, est de « mettre l'accent sur une gestion mixte des services urbains avec l'aide du
secteur privé et du milieu communautaire appelés à prendre la relève des institutions
publiques ou à jouer un rôle complémentaire auprès de celles-ci » (OCDE, 1987, cité dans
Hamel, 1993).
Afin de mobiliser les ressources, « d'harnacher ainsi une énergie sociale disponible »
(Beaudoin, 1978) qui pourra se transformer en action collective, le discours politique met
l'accent sur les notions de responsabilisation du citoyen, de civisme, il fait appel au
bénévolat, au bon vouloir. Mais alors que Touraine parle du retour d'un acteur qui s'inscrit
dans une historicité, c'est-à-dire qu'il participe à la cohésion sociale par sa capacité d'action
sur la société, par sa réappropriation du sens de l'action collective, et qu'Arai (2000) voit
32
dans l'action bénévole une possibilité pour le citoyen d'occuper un espace de citoyenneté en
investissant des lieux de parole et d'action où les conflits sont porteurs de changement,
celle-ci en accord avec d'autres sociologues (Larochelle, 1992, 1995; Hamel, 1991, 1993;
Robichaud, 1994, 1995) considère que l'action du bénévole est limitée car définie par une
certaine conception de l'échange et de la réciprocité qu'applique l'État.
L'axe sociétaire de l'acte bénévole s'actualise aujourd'hui dans un néo-bénévolat qui, selon
Redjeb (1991), porte en lui-même les traces du bénévolat traditionnel, tout en s'en
distinguant en plusieurs points. Selon l'analyse comparée de Redjeb, le néo-bénévolat,
contrairement au bénévolat traditionnel, est fortement institutionnalisé. Le bénévolat est en
fait devenu une question d'organisation par la division du travail et de gestion efficace,
rapport quasi inexistant, rappelle Redjeb, dans le bénévolat traditionnel. Le bénévole est
recruté, sélectionné, formé, mis sous contrat et évalué par des gestionnaires qui occupent
les lieux de conception et d'encadrement de la pratique. On assiste, selon Redjeb (1991:72),
à « une rationalisation du don volontaire dans la logique du coût-bénéfice et à la
scientificisation de son contenu » alors que le bénévolat traditionnel était influencé par la
morale chrétienne et les pratiques de l'entraide spontanée. La scientificisation du contenu de
la pratique bénévole en tant que transmission des savoir-faire et des savoir-être oriente,
comme le signale Redjeb, malheureusement22, le bénévolat en une relation de service «
instaurée entre le donateur de don et le destinataire qui lui devient le « client, l'usager, le
bénéficiaire » (1991:74).
Le travailleur bénévole d'aujourd'hui a une responsabilité sociale envers une clientèle qui a
des droits. Cette logique moderne devoir/droit justifierait l'obligation sociale de donner. La
légitimation du néo-bénévolat devient alors le référent démocratique qui devient le référent
organisateur de la société. À la limite, souligne Redjeb inspiré par Grand' maison (1984), «
le bénévolat est garant de la démocratie par le rôle sociétaire important qu'assume ainsi le
citoyen » (cité dans Redjeb, 1991:74). D'autant plus que l'État valorise les vertus
rationnelles du bénévolat : lieu de promotion sociale et de socialisation (Cossette, 1994).
22 C'est nous qui qualifions.
33
C'est ainsi que le discours de la gratuité de l'action s'insèrerait dans une stratégie de
régulation sociale. On assisterait, selon plusieurs auteurs, à la structuration politique des
solidarités sociales (Hamel, Robichaud, 1994, 1995; Larochelle, 1992, 1995; White,
1994). N'ayant plus la capacité financière d'offrir la même qualité et quantité de services à
la population, l'État concède aux organismes communautaires une partie de la gestion du
social et officialise la nécessité d'une collaboration : le partenariat.
2.2.3. L'appel au partenariat
Le partenariat est généralement défini comme étant cette convergence d'acteurs sociaux
d'ancrage structurel fort différent, voire même contradictoire (Klein, 1991, cité dans
Duperré, 1992). Même s'il est vécu sous le mode de coopération-conflictuelle
(Dommergues 1988, cité dans Duperré, 1992), l'équité est essentielle au partenariat. Et
pourtant, il semble bien que la notion de partenariat de même que ses qualités essentielles
soient évaluées différemment selon les acteurs en présence. L'idée du partenariat qui a surgi
dans les années 1980 avec l'avènement au pouvoir du Parti Québécois et son projet de
social-démocratie reposait sur la recherche d'un consensus social. Dans l'Énoncé de
politique en matière d'immigration et d'intégration de 1990, le partenariat avec les
organismes communautaires est vu comme un moyen de soutenir l'adaptation des
institutions à la réalité pluraliste (MCCI, 1990:61).
En ce qui concerne les organismes qui offrent des services aux réfugiés « L'État, selon
Jacob, définirait "ses" ONG23, comme des partenaires indispensables.. » De fait, les ONG
ont une place extrêmement importante sur la scène sociale, mais l'inégalité entre l'État et les
services publics fait en sorte « qu'après des années de pratique sociale valable, ils n'ont pas
encore conquis l'espace politique qui leur permettrait de vivre un partenariat en toute justice
» (1991:78). Cette tendance s'est accentuée ces dernières années, avec la politique de
décentralisation, de localisation, notamment dans le cas de la réforme appliquée
actuellement par le MRCI : la création des Carrefours d'intégration qui ont le mandat de
23 ONG : organismes non-gouvernementaux.
34
définir les paramètres des partenariats entre les organismes des milieux concernés et
d'identifier quels seront les acteurs clé dans le parcours d'insertion des nouveaux arrivants.
On ne peut toutefois passer sous silence les effets positifs du partenariat. Entre autres, celui
d'avoir fait réaliser aux acteurs communautaires les avantages de développer une approche
plus pragmatique pour se donner une meilleure représentation lors des consultations
convoquées par les différents ministères. Par libre choix ou non, les organismes se sont unis
au sein de regroupements d'organismes communautaires et de tables de concertation24.
Toutefois, si leurs revendications peuvent être mieux entendues, c'est au prix parfois de
vives tensions entre des organismes ou regroupements qui ne partagent pas la même vision
de leur mission25. C'est aussi en certains moments dans une atmosphère de frustrations car,
selon Hamel (1993:178), le partenariat « demeure circonstanciel et est peu compromettant,
il n'exige pas de revoir les modes de fonctionnement de part et d'autre, de revoir aussi le
partage des coûts et des bénéfices » quoique nous constations une évolution des relations de
partenariat notamment entre le MRCI et les organismes communautaires qui offrent des
services aux nouveaux arrivants. S'installe une complicité entre les « nommés » (J.T
Godbout, 1986), ces fonctionnaires responsables de l'élaboration des politiques et
programmes, et les représentants désignés des organismes communautaires. Dans cet
espace de collaboration sont questionnés les politiques, pratiques, et modes de
fonctionnement, selon la logique des « petits pas », mais toutefois soumis à l'approbation
ou la désapprobation des élus qui ont en définitive le dernier mot.
Ainsi face à cet appel de coopération lancé par l'État, les réactions des organismes
communautaires sont fort contrastées. Ces positions ont été résumées par le directeur de la
revue Nouvelles pratiques sociales, Yves Vaillancourt (1995) : ces trois positions qui sont
devenues trois thèses sont celle de la complémentarité, de la récupération et celle de la
24 Mentionnons le Regroupement des organismes communautaires régionaux (ROC), la Table de concertation
des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI), la Table municipale de
concertation des communautés culturelles de Québec et le Réseau jumelage interculturel.
25 Citons notamment entre le ROC 03 de la région de Québec et le Centre d'action bénévole de Québec
(CBAQ), entre le CBAQ et la Fédération des Centres d'action bénévole (FCAB) concernant la place des
bénévoles et le rôle des salariés au sein des organismes communautaires et bénévoles.
35
concertation conflictuelle. Dans la thèse de la complémentarité, est occulté le rapport
asymétrique entre les établissements publics et les organismes communautaires. Dans la
thèse de la récupération, l'arrimage est presque vu comme un péril à éviter, dans la mesure
où il représente une menace pour l'identité des organismes communautaires autonomes.
Avec le concept de la concertation conflictuelle, le communautaire et le public peuvent se
concerter, tout en demeurant conscients de leurs identités et de leurs objectifs propres. C'est
ce dernier mode d'approche qui est en ce moment le plus utilisé et le plus valorisé, ce qui ne
va pas sans susciter des tensions et des luttes.
Le défi étant pour les associations communautaires subventionnées par l'État et par les
organismes privés de trouver un équilibre entre le pragmatisme et l'idéologie, entre les
demandes sans cesse croissantes de prise en charge des démunis et la possibilité de
l'expérimentation sociale et le maintien de la démocratie. Les associations doivent trouver
un modus vivendi entre une gestion capitaliste fondée sur une approche unidimensionnelle
guidée par des critères de rentabilité à court terme26 par opposition et au détriment d'une
gestion patrimoniale qui mise sur les ressources locales, préserve leur particularité et tente
de mettre en valeur leur potentiel de créativité (Barel, Arbaret-Schulz et Butel, 1981 cité
dans Hamel, 1991:35). Comme le signale Hamel (1991) : alors que l'acteur désire prendre
sa place dans le contexte social, son action est entravée ou libérée par le contexte dans
lequel il s'inscrit. Un autre défi pour les organismes communautaires est de conserver leur
marge critique face à l'État, de collaborer dans un contexte difficile de demandes de plus en
plus pressantes de l'État en termes d'investissement humain tout en gardant leur liberté
26 En ce qui concerne le jumelage, sur les 5 agents du MRCI que nous avons rencontrés, 4 considèrent que le
programme de jumelage est un programme dispendieux. – « On en arrive à la conclusion que le jumelage est
une activité qui est dispendieuse même si on trouve que l'activité doit se poursuivre”. – « Je ne dis pas que ce
n'est pas une activité qui est inintéressante, mais comment faire pour en diminuer les coûts; pourquoi dans un
organisme, il en coûte tant et dans un autre plus? C'est pour ça que les paramètres de financement sont
arrivés” – « Ce n'est pas la pertinence qui est mise en cause, ce sont les coûts, de 700 à 800 $ par jumelage. Je
pense que le jumelage, (c'est une opinion personnelle), c'est une activité qui coûte cher! Et les résultats... ce
n'est pas évident!”
En constatant que le jumelage est plus dispendieux à Montréal qu’en régions, un agent du MRCI dira : « On
doit se poser la question : "Est-ce qu'on maintient le jumelage à MTL ou on privilégie le jumelage en région”.
36
d'action, mais surtout leur liberté de pensée, leur individualité et cela tout en restant
solidaire des autres. Le pragmatisme de l'État en tentant de réduire le différent dans le
même, dans l'unidimensionnel, en ne prenant pas en compte l'historicité des acteurs du
communautaire les confinerait à n'être que des agents circonstanciels d'intégration sociale.
Etzioni parle de la nécessaire reconnaissance par la société du fait que « ces associations
sont des agents collectifs qui ont la liberté et la possibilité d'agir effectivement dans la
société » (1968, cité dans Beaudoin, 1978:7) et qu'ils ne sont pas seulement des
fournisseurs de services.
C'est dans ce contexte qu'il faut situer le développement des services sociaux27 offerts aux
populations immigrantes. Dans le domaine de l'immigration, une soixantaine d'organismes
de services aux réfugiés et aux immigrants28 ont été mis sur pied depuis le début des années
80. Et de façon générale, constatent plusieurs auteurs, il y a, au Québec, dans cette ère de
l'après État-Providence, une prolifération sans précédent des services à la collectivité
(Hamel, 1993; Larochelle, Robichaud, 1995; Ferrand-Bechmann, 1992; White, 1994, Le
Net, Werquin, 1985).
27 Nous avons constaté, en accord avec Jacob (1992), que la plupart de ces organismes comme bon nombre
d'organismes communautaires vivent dans des situations difficiles : financement précaire, personnel sous-
payé, conditions matérielles inacceptables (locaux exigus) sur-utilisation des bénévoles, multiplication de
services d'assistance et de dépannage à court terme.
28 Le terme immigrants est employé par le ministère pour établir une distinction entre réfugiés, la catégorie de
la famille et les indépendants.
37
2.3. VERS L'APRÈS ÉTAT-PROVIDENCE
2.3.1. Le regain du communautaire
Les interprétations des variables structurelles du regain du communautaire au Québec,
autres qu'économique et politique, sont de l'ordre de l'idéologique et du sociologique et
s'inscrivent dans les théories de la participation aux associations. Un premier courant
idéologique (dont font partie Kolm, 1983; Bergeron, 1987; et Larochelle, 1992) attribue à
la thèse néolibéraliste le recours à des choix existentiels pour mobiliser les ressources se
situant ainsi dans le courant de pensée de la théorie de la mobilisation des ressources de
l'école américaine (Zald et Ash, 1966; Jenkins, 1983, cités dans Comeau, 1995). Ce
courant se fonde sur « l'amorce d'une action collective qui suppose la réunion ou
l'investissement de ressources par un acteur social ou politique » (Comeau, 1992:124).
L'acteur serait donc ici l'État et sa stratégie ferait appel à des valeurs humanistes : le recours
à la morale, au devoir, à l'idée de mérite, à l'humanisme intimiste et à un néo-
traditionalisme qui lui repose sur l'attitude philanthropique (Larochelle, 1992).
Une deuxième approche, selon l'interprétation sociologique telle qu'analysée par Comeau
(1995), revient au concept d'anomie de Durkheim; celui-ci aurait inspiré les recherches sur
le sens de l'action collective à partir du thème de l'identité en Europe. Cette approche
propose la théorie de la société de masse (Kornhauser, 1965) qui voit dans l'action
communautaire une alternative volontariste à l'échec de la société moderne à façonner le
lien social (Ferrand-Bechmann, 1984, White, 1994).
Il existe une autre théorie, celle de la privation ou théorie du conflit (Piven, Cloward, 1977;
Gurr, 1971; Skocpol, 1985; cités dans Comeau, 1995 ; Touraine, 1984) que l'on devrait à
Aristote. Selon le philosophe, l'inégalité sociale est la principale motivation d'un
mouvement populaire. Cependant, il doit exister des conditions particulières pour que des
personnes s'associent et cherchent à faire valoir leurs intérêts (Skocpol, 1985). Cette théorie
38
contredit l'approche d'inspiration marxiste radicale, politique et même féministe qui
considère la mobilisation ou la démobilisation de façon unidimensionnelle et asymétrique.
La théorie du conflit s'apparente davantage à la notion de résistance, d'espaces de liberté
(Taylor 1994; Morin 1990; Friedberg et Minztberg 1990; Boyte 1992), d'espaces de
créativité (Melucci, 1993; Hamel, 1991). C'est le paradigme du « nous », de l'homme
capable d'agir collectivement sur la société par les mouvements sociaux (Bajoit, 1992). Par
ailleurs, cette théorie ne peut expliquer à elle seule l'envergure du mouvement
communautaire actuel. Nous constatons, (en accord avec Hamel,1991, 1993; Morin 1994;
Minztberg, 1990; Comeau 1995; Godbout 1992; Castells, 1983), que le phénomène de la
participation aux associations volontaires relève de la complexité, de l'interaction entre
l'institutionnel et les acteurs et de l'interaction entre les acteurs eux-mêmes qui s'identifient
à de multiples références. Ce phénomène de participation se situe à l'intérieur de la société
civile et ne se fonde pas nécessairement sur une appropriation du pouvoir en tant que
rapport de forces. En fait, nous croyons que l'occupation de cet espace communautaire
serait la manifestation d'une volonté citoyenne de se réapproprier un peu d'intime et de
spontané dans l'anonymat de la modernité, d'opposer et d'affirmer le sens du lien au contre
sens légitimé de la « déliance » sociale. La déliance, pour reprendre les termes de Marcel
Bolle De Bal, révélerait les symptômes d'une maladie sociale, « un manque de liens
humains, une carence des structures sociales incapables d'assurer ces relations directes (...)
intimes (...) engagées (...) qui font la joie du vivre-ensemble » (1985:117). Le jumelage en
tant que « système plus ou moins institutionnalisé reliant les acteurs sociaux entre eux »
(1985:30) serait, selon les termes de Bolle De Bal, une « structure de reliance. »
2.3.2. Les tensions au cœur du bénévolat
Si l'on tient compte du bénévolat non encadré, c'est-à-dire sans l'intermédiaire d'un
organisme, le pourcentage des Québécois engagés dans le bénévolat, selon un sondage de
39
Fédération des centres d'action bénévole, se situerait à 41 %. (Cossette, 1994:19, citant le
Journal de Québec, 1993)29.
Dans leur étude sur L'activité bénévole au Québec, Vaillancourt, professeur en sciences
économiques à l'Université de Montréal et Carpentier économiste à Hydro Québec donnent
deux raisons à ce phénomène. La première raison est le fait qu'ailleurs au Canada le
système d'éducation est non-confessionnel; les Sunday's school requièrent de nombreux
bénévoles. La seconde explication concerne le système social du Québec qui fait davantage
appel au secteur public pour produire des biens et services (Robichaud, 1994:50-51 citant
Carpentier, Vaillancourt, 1990). Si ce sont là les deux seules raisons pour expliquer ce
phénomène, et nous nous permettons d'en douter, cette situation risque de changer au cours
des prochaines années au Québec. D'une part parce que le statut confessionnel des écoles
est remis en question et d'autre part parce que la tendance va à la privatisation des services
sociaux. Il est intéressant de mentionner que le jumelage, tout en étant intégré à l'intérieur
d'une structure organisationnelle, est une activité de bénévolat30 très peu encadrée, les
participants ayant une très grande autonomie. Y aurait-il là motivation à s'impliquer dans ce
type de bénévolat, difficile d'y répondre pour l'instant.
Les deux courants de pensée qui mettent l'accent l'un sur la notion de service, l'autre sur
celle de la solidarité se retrouvent dans les études sociologiques qui, depuis une vingtaine
d'années, tant aux Etats-Unis, en France, qu'au Canada et au Québec, traitent du bénévolat.
Le premier courant, dont bon nombre d'études issues du milieu bénévole, s'est intéressé aux
déterminants, aux types et aux motifs de bénévolat avec comme objectif le recrutement des
bénévoles (Anderson, Moore,1974; Knowles, 1972; Carter,1975; Carpentier,
29 Pour l'ensemble du Canada, les chiffres donnent 1 canadien sur 2 qui s'adonne à une activité de bénévolat.
30 Nous employons le terme activité de bénévolat et les termes personnes-ressources ou bénévoles pour
désigner les Québécois impliqués dans le jumelage. Nous savons que le terme bénévole (s) ne fait pas
consensus au sein du Réseau jumelage. Le fait d'employer ce terme n'indique pas une prise de position ferme
de notre part mais puisque l'acte du jumelage n'est pas nommé comme un acte citoyen en terme de devoirs et
responsabilités, il s'inscrit jusqu'à ce jour dans un geste volontaire d'aide à l'intégration ou de rapprochement
interculturel. C'est ce geste et le temps qui y est associé que nous inscrivons comme acte bénévole.
40
Vaillancourt, 1990; Payette, Vaillanvourt, 1986; Chazaud, Jenner-Reynolds, 1984; Lang,
1984; Abdennur, 1987).
Au Canada, Anderson et Moore (1974) ont été les premiers à émettre des doutes sur la
notion d'altruisme comme principale motivation du bénévole. Carter (1975), dans son étude
pour le compte du Conseil canadien de développement social intitulée Le bénévolat :
potentiel inexploité, insiste sur la notion d'intérêt personnel, l'égoïsme, tout autant que sur
la notion d'altruisme, soulignant les notions d'épanouissement personnel et de participation
à la vie collective (Carter, 1975).
L'autre courant animé par les sociologues Ferrand-Bechmann (1992) Hamel (1991) et
Melucci (1993) définit le bénévolat comme un générateur de solidarité et de lien social.
Une des motivations, selon Melucci (1993), doit être associé à la théorie du conflit à
laquelle est liée la dimension du « défi symbolique qui par l'existence de l'action volontaire,
défie le pouvoir, renverse la logique et présente d'autres significations possibles », ce qui
rejoint en grande partie la conception du don de Godbout : « à l'efficacité des rapports
moyens/fins, écrit Melucci (1993:195), on oppose la gratuité du don, l'engagement
personnel et direct dans l'ici et le maintenant de l'existence concrète, le besoin d'une
communication non-manipulée. »
Les deux courants de pensée qui mettent en parallèle et parfois en opposition les notions de
service et de solidarité se retrouvent dans les définitions du bénévolat. Pour le sociologue
Larochelle, « la pratique bénévole pourrait être comprise de manière opérationnelle comme
une relation d'aide, entre deux acteurs ou plus, différenciée par les rôles respectifs de
donateur et bénéficiaire dans l'exercice desquels, le premier refuse du second ou d'un tiers
toute compensation monétaire pour son action, et ne subit pour ce faire aucune contrainte
extérieure autre que celle qu'il accepte lui-même, suivant ses propres choix » (Larochelle,
1992:71). Ferrand-Bechmann considère qu' « est bénévole toute action qui ne comporte pas
de rétribution financière; le bénévolat s'oppose essentiellement au travail rémunéré; il a
comme caractéristique de s'exercer sans aucune contrainte ni sanction sur celui qui ne
l'accomplirait pas (..) enfin c'est une action qui est dirigée vers autrui ou vers la
communauté » (1992:35). Pour Melucci (1993), l'action volontaire est une forme d'action
collective, caractérisée par un lien de solidarité qui engage ceux qui y participent sans en
41
retirer aucun avantage économique direct. Les autres bénéfices (avantages symboliques,
prestige, estime de soi, pouvoir) sont présents dans l'action volontaire de la même façon
que dans toute autre forme d'échange social » (Melucci, 1993).
Dans un effort de conciliation de ces deux tendances, nous dirons que dans toute forme de
bénévolat peuvent coexister les notions de service entre un aidant-aidé et un aidé-aidant,
d'intérêt personnel et enfin de solidarité envers une collectivité. L'individuel et le collectif
peuvent cohabiter au sein de la relation et cette tension est plus ou moins manifeste selon
les contextes de réalisation et les motivations de l'acte bénévole. Ainsi rejoignons-nous
l'approche des psychologues Chantal et Vallerand (2000) qui ont intégré ces deux
dimensions dans leur Échelle des motivations envers l'action bénévole (ÉMAB). Ces
auteurs ont toutefois ajouté une troisième dimension celle de l'autodétermination, le libre-
exercice du choix, axe de la théorie de l'autodétermination de Deci et Ryan (1985, 1991).
L'intérêt de leur échelle des motivations est dans l'analyse en parallèle des motivations,
mais aussi des facteurs qui influencent les bénévoles à persévérer. Pour Deci et Ryan,
comme nous l'expliquent Chantal et Vallerand, « le déclenchement, l'orientation et la
persévérance du comportement humain trouvent leur source dans la satisfaction de trois
besoins fondamentaux, celui d'autodétermination, celui de compétence – qui correspond au
besoin d'agir concrètement et efficacement sur son propre environnement – et
d'appartenance sociale » (Chantal et Vallerand, 2000:479). Ces trois besoins correspondent
dans la hiérarchie de Maslow aux besoins d'appartenance, d'estime et d'auto actualisation
(cité dans Malenfant, 1993). En lien avec les besoins d'autodétermination, de compétences
et d'appartenance sociale, Deci et Ryan dans une approche de type fonctionnaliste,
proposent trois grands types de motivations à l'acte bénévole : la motivation intrinsèque,
l'individu s'implique dans une activité pour les plaisirs inhérents à celle-ci, la motivation
extrinsèque qui porte l'individu à se servir d'une activité pour obtenir ou éviter certaines
conséquences et l'amotivation où l'individu a l'impression de ne pas avoir de contrôle sur
les forces qui motivent son comportement (cité dans Chantal et Vallerand, 2000:479) Aux
fins de l'ÉMAB, Chantal et Vallerand intègrent les différentes motivations aux dimensions
d'altruisme et d'égoïsme. Les résultats de leur étude menée auprès des bénévoles de trois
Centres d'action bénévole de la région de Montréal démontrent en fait que les activités
bénévoles à caractère interpersonnel devraient davantage faire appel à des motivations
42
altruistes. En effet, l'analyse des données de l'ÉMAB révèle que les motivations les plus
autodéterminées correspondent au plaisir qu'éprouve le bénévole au moment où il apporte
son aide à autrui (motivation intrinsèque altruiste), au plaisir d'acquérir des connaissances,
le plaisir d'apprendre (motivation intrinsèque égoïste), et l'impression que l'individu a que
le bénévolat fait partie de sa personnalité, est le reflet de ce qu' il est : le concept de soi
(régulation intégrée altruiste).
Concernant la qualité de l'implication bénévole, ce sont les motivations autodéterminées
altruistes qui influenceront la satisfaction et l'intention de persévérer dans le bénévolat.
Celles-ci sont encore une fois le plaisir d'aider autrui, l'impression d'avoir le reflet de ce
qu'on est, et le fait de choisir le bénévolat comme un moyen idéal de lutter contre des
problèmes sociaux importants, « de faire sa part » (régulation identifiée altruiste) (2000,
480). Le pouvoir « faire sa part » et l'acquisition de connaissances sont deux bénéfices cités
par les bénévoles qui ont participé à une recherche qualitative menée en Ontario par
Susan M. Arai (2000:336)31. Un autre bénéfice mentionné par l'étude de Arai, concerne le
développement de relations interpersonnelles, l'occasion de rencontrer des gens de
différentes cultures; cela permet, selon un participant, une plus grande ouverture et
acceptation de l'opinion des autres (2000:337).
Par ailleurs, les motivations des bénévoles peuvent trouver écho chez ceux auprès de qui ils
actualiseront leur action bénévole, en même temps qu'elles peuvent répondre à d'autres
besoins fondamentaux tels que définis par Maslow (1954) : les besoins physiologiques et de
sécurité.
Une première étude exploratoire sur le programme de jumelage menée au Centre
International des Femmes de Québec par deux étudiants en sociologie de l'Université Laval
(Allen,Gagnon, 1991) auprès d'un groupe restreint de réfugiés jumelés donnait comme
élément de réflexion que le programme de jumelage pouvait apporter en plus d'une aide
culturelle, linguistique et professionnelle, un soutien psychologique aux réfugiés. Il leur
permettrait d'alléger leur solitude et par les connaissances acquises leur procurerait un
31 Cette étude mentionne un autre facteur de satisfaction pour les bénévoles, celui-ci réside dans la rencontre
avec l'autre, le fait d'être en contact avec des personnes de différentes cultures, de différents horizons.
43
sentiment de sécurité face aux règles de leur nouvelle société. Cette constatation, fruit d'un
travail de baccalauréat, est en fait un indice de l'importance du lien humain en tant
qu'élément d'intégration sociale. Cette notion sera reprise par la suite entre autres par
l'équipe de recherche Jacob, Bertot, Frigault et Lévy (1996) dans leur rapport de recherche
sur le processus d'intégration des réfugiés et l'intervention préventive et communautaire.
Ces chercheurs rappellent que les deux notions qui reviennent le plus fréquemment chez les
réfugiés, notions qui faciliteraient leur intégration sociale et leur adaptation culturelle, sont
d'avoir la possibilité de nouer des liens amicaux avec les Québécois et d'être introduits et
reçus dans des familles québécoises (1996:404).
Ces constatations rejoignent la théorie des échanges sociaux, basée sur les coûts-bénéfices
qu'a utilisé entre autres Chazaud (France, 1978) ainsi que les résultats de deux autres études
sur les motivations, celle de Lang (Ontario, 1984) et Abdennur (Ottawa, 1987). Lang, suite
à une étude longitudinale, a défini les événements majeurs et mineurs de la vie comme
facteurs influençant non seulement les motivations, mais le déroulement de la relation de
bénévolat. La recherche d'Abdennur (1987) est celle qui arrive avec les conclusions les plus
pertinentes pour notre sujet de recherche. Son étude veut démontrer que la résolution du
conflit joue un rôle central dans la motivation du bénévolat tout particulièrement chez les
bénévoles qu'il étudie, ceux dans les services sociaux et services correctionnels. Si la
vérification de ses hypothèses l'amène à faire une typologie quelque peu réductrice en
traçant sous forme de caricature des traits de personnalité des bénévoles32, son hypothèse
voulant que les bénévoles dans les services sociaux aient tendance au déni du conflit amène
des pistes de réflexion. Selon Abdennur (cité dans Malenfant, 1993) les bénévoles
n'attaqueront pas la source du conflit, mais auront l'impression d'avoir réduit la sévérité des
conflits graves. Par ailleurs, une enquête de Statistiques Canada (1987) auprès des
bénévoles arrive à ce constat : les bénévoles ne considèrent pas comme critère
d'engagement l'influence qu'ils pourraient avoir sur la communauté ou sur la vie politique,
contrairement aux bénévoles des conseils d'administration qui, selon l'étude de Arai en
Ontario, disent désirer exercer une certaine influence, apporter une contribution (2000:336).
32 Par exemple, celui-ci désignera par le vocable « concret », le bénévole des services sociaux qui a une
pensée davantage concrète qu'abstraite.
44
La principale motivation des bénévoles dans les services sociaux, de façon générale, serait
l'aide qu'ils peuvent apporter à l'autre. En fait, le bénévole des services sociaux en
intervenant de façon superficielle favoriserait l'intégration à la société et participerait à la
cohésion sociale. Leur action absorberait « une part du désordre et des tensions potentielles
» (Melucci, 1993:196), c'est aussi la position de Petitat (1995:21) qui considère que « la
revitalisation du communautaire doublée d'une ouverture aux réseaux anonymes de don
contemporain représenterait un remède à certains maux des sociétés modernes. » Qu'en est-
il alors de l'action bénévole au sein du jumelage ?
2.4. LE JUMELAGE
2.4.1. Le jumelage en tant que processus
Peu d'articles scientifiques ou d'analyses ont été écrits sur le programme de jumelage dans
le cadre d'une relation interpersonnelle entre personnes issues de culture différente. Du côté
anglophone, nous n'en connaissons aucune; au Québec, les études de Guilbert (1993, 1994)
sur l'enjeu relationnel des récits et des discours, Québécois francophones et Vietnamiens
d'origine font figure de pionnier. Ce contexte particulier de relation constitue, selon
l'auteure, « un bon terrain pour examiner comment peuvent s'établir des relations
signifiantes lorsque la distance culturelle est très forte entre porteurs de culture
différente, quels sont les facteurs qui en favorisent le bon développement ou au contraire
l'entravent » (Guilbert, 1994:4).
Le MRCI, conscient de la limite du type d’évaluation qu'il utilise dans le cas du jumelage :
« L'évaluation du jumelage ? c'est plus quantitatif, on n'a pas le temps de suivre des groupes
de jumelés » (agent 2 du MRCI, 1998) et désireux d'avoir un meilleur portrait de l'apport du
jumelage en tant qu'agent d'intégration, commande en 1999, à une équipe de chercheures (J.
Charbonneau, F. Dansereau (INRS-Urbanisation) et M. Vatz-Laaroussi (Université de
Sherbrooke) une évaluation du processus relationnel du jumelage entre familles. La
recherche a comme objectif d'identifier les facteurs positifs et négatifs du jumelage et son
45
impact en tant qu'agent de rapprochement interculturel et d'intégration. Cette étude compare
différents types de jumelage offerts par divers organismes dans différents milieux. Les
résultats de l'analyse s'attardent d'une part à la structure du jumelage au sein des organismes
en insistant sur les contraintes organisationnelles, la promotion, le suivi, la formation puis
décrivent les qualités relationnelles du jumelage, et enfin pour une large part décrivent
comment le jumelage répond aux objectifs du programme et attentes du MRCI tels que «
l'aide pratique à l'établissement, la socialisation des immigrants à la culture québécoise; les
apprentissages linguistiques, culturels et sociaux; la communication linguistique, civique et
institutionnelle, la participation de la population native à l'accueil et, ce faisant, la
transformation des perceptions du milieu d'accueil concernant l'immigration »
(Charbonneau, Dansereau, Vatz-Laaroussi, 1999:6). Nous précisons que ce dernier sous-
objectif n'apparaît pas toutefois comme tel dans les sous-objectifs du programme tel que
décrits par le MRCI. Celui-ci se lit plutôt ainsi : « permettre aux personnes de la majorité
francophone de contribuer à l'intégration des immigrants et ce faisant d'être sensibilisées à
cette problématique et à celle de la diversité culturelle » (MRCI, 1999). Il s'agit donc des
personnes impliquées dans le jumelage et non, comme tel, du milieu d'accueil.
L'observation participante de même que l'analyse des données conduisent les chercheures, à
l'instar des autres études faites sur ce même programme, à constater non seulement la
pertinence, mais la singularité d'un tel programme : « des relations interculturelles
concrètes, affectueuses, mutuellement tolérantes, ont bel et bien été créées entre des
familles immigrantes et des familles de la société d'accueil et plusieurs de ces liens
semblent bien là pour durer de nombreuses années; peu de programmes permettent une
telle rencontre et encore moins entre des familles « (1999:191). En ce qui concerne
l'organisation du jumelage au sein de l'organisme, les chercheures soulignent des difficultés
qui sont maintes fois discutées entre intervenantes, notamment au sein du Réseau jumelage.
Certaines de leurs observations et recommandations seront reprises dans les autres études
mentionnées ci-après telles : la forte personnalisation du programme de jumelage à la
personne responsable, la nécessité d'une ressource permanente pour la gestion du
programme et le soutien quant à la promotion, la nécessité de garder une structure souple en
ce qui concerne la mise en œuvre des jumelages et le suivi des jumelages enfin, la
pertinence d'offrir aux jumelés des formations sur les éventuels conflits interculturels qui
46
peuvent survenir au quotidien. L'analyse révèle de façon originale les qualités relationnelles
essentielles aux personnes impliquées dans la relation de jumelage telle l'ouverture à l'autre,
la réceptivité et une certaine tolérance à l'ambiguïté.
En ce qui concerne l'atteinte des objectifs du jumelage précédemment cités, l'étude
confirme que, dans l'ensemble, ils sont atteints, soit directement par les échanges au cœur
de la relation du jumelage, soit indirectement par les connaissances et le déchiffrage des
codes culturels transmis dans ce cadre. Par contre, l'analyse des données relève certaines
limites et ambiguïtés auxquelles sont confrontées les intervenantes. En ce qui a trait aux
apprentissages linguistiques, selon l'étude, certains immigrants ont éprouvé un malaise
devant l'attente exprimée par les Québécois notamment à l'égard de l'espagnol; nous
verrons dans le chapitre 7 de notre thèse, que ce jumelage « d'intérêt » est problématique
pour bon nombre d'intervenantes. Enfin, selon les résultats de l'étude, c'est l'objectif de la
sensibilisation du milieu qui semble, a priori, le moins atteint. Cette donnée est importante
car elle questionne la dimension collective de l'acte social du jumelage qui est au cœur de
nos préoccupations et de nos questionnements. Les chercheurs écrivent à ce sujet : « partant
d'un programme à visée collective, les jumelés mesurent leur réussite à l'aulne de
l'exceptionnel et du singulier. C'est sans doute pourquoi la sensibilisation du milieu reste
atomisée, ponctuelle et peu mesurable. » Nous y reviendrons dans le cadre de notre analyse.
Il nous faut signaler les 5 autres études d'évaluation des programmes de jumelage : une
étude commandée à un anthropologue par un organisme communautaire de Montréal
(Aiquel, 1994), puis une autre par l'organisme communautaire responsable du jumelage à
Sherbrooke (Monfette, 1992), un mémoire de maîtrise en communication portant sur le
projet de jumelage à Sherbrooke (Bourbonnais, 1995), un autre de l'école de Service social
analysant le programme de jumelage entre femmes immigrantes d'un organisme de
Montréal (Daignault, 1996), enfin une analyse du programme de jumelage de Québec,
mentionnée précédemment, analyse réalisée par deux étudiants en sociologie de l'Université
Laval (1991).
47
2.4.2. Le Réseau jumelage
La contrainte du financement et la remise en question du programme par le MRCI,
principal subventionnaire, ont fait émerger chez les intervenantes le besoin de faire front
commun. Aussi les interrogations et les hésitations sur le sens à attribuer à tel
comportement ou tel geste à poser dans telle circonstance, de même que le constat du
résultat positif ou négatif de telle initiative, ont fait en sorte que les intervenantes en
jumelage ont manifesté le besoin de se concerter. Se concerter pour échanger sur leurs
pratiques, mais aussi pour réfléchir aux moyens de mieux faire connaître au sein de la
société le jumelage comme étant un « moyen de rapprochement interculturel et un outil
d'intégration. »
En se regroupant au sein d'un espace commun, hors de l'organisme, hors du couloir de
concertation État-ONG, les intervenantes occupent un lieu de dissidence : un lieu où elles
se retrouvent entre elles, où elles se donnent le temps de l'évaluation, de la mise en
perspective et de l'émergence de propositions par une réappropriation du sens de leur action
et une mise à profit de leurs connaissances. Le Réseau est à la fois un espace de
transgression parce que créé hors cadre organisationnel et sans autorité directe, et un espace
de création, c’est-à-dire un lieu de « l'innovation, un lieu de prophétie, (...) où l'on annonce
qu'autre chose est possible » (Melucci, 1993:196).
Le Réseau jumelage, formé officieusement en février 1996, est à ce moment-là un
regroupement de 9 intervenantes de la région de Montréal et de ses environs dont la
première motivation est « de se regrouper pour s'entraider ». Ainsi donc le sens donné au
concept de réseau par les intervenantes se rapproche de celui de « système d'entremises » :
relations stratégiques où l'individu mobilise des ressources humaines, les membres du
Réseau, « afin d'accéder à des ressources matérielles ou symboliques », sens que nous
empruntons à Boissevain (1974) et Kissing (1971), cité dans Ferrié et Boëtsch (1993:242).
Mais avant de prendre la forme stable d'un système d'échanges entre intervenantes
membres, le Réseau a gardé quelques temps la forme d'un regroupement plus ou moins
48
défini, ayant en son centre un acteur clé qui a des dispositions de rassembleur et qui agit
aussi à la périphérie à titre de porte-parole. Le Réseau a un noyau de fidèles qui partagent
des objectifs communs, de même que quelques exploratrices qui par leur va-et-vient
démontrent un intérêt pour l'idée d'un lieu d'échange. Ce va-et-vient a un double effet sur le
regroupement : un effet stimulant et un effet démobilisant. Leur venue traduit un besoin ou
du moins une curiosité. Les exploratrices réconfortent les intervenantes précurseures du
bien-fondé du projet et si elles reviennent, elles confirment sa nécessité, mais en ne
revenant pas, elles provoquent l'impression d'une perte d'investissement. Ce mouvement
d'allées et venues de nouvelles adhérentes, s'il n'avait été contré par une constance au
niveau de la présence de certains membres, aurait pu compromettre l'identification et le
sentiment d'appartenance au collectif Réseau.
Cependant peu à peu le regroupement s'est stabilisé, devenant Réseau, un noyau de
membres assidus qui décident de partager leurs différentes visions, leurs modes
d'applications du programme, leurs stratégies face à des contraintes communes, mais aussi
particulières, leurs expériences de partenariat avec d'autres organismes, d'autres institutions.
En ce sens, le Réseau est devenu un système d'entremise ouvert qui est perméable aux
influences extérieures, qui se nourrit d'elles et qui a, par rétroaction, un pouvoir d'influence
sur elles.
Les objectifs du regroupement répondent à la fois à des motivations d'aspect défensif et
d'aspect offensif : les motivations à caractère défensif étant liées au besoin de résoudre une
difficulté ou de réduire une contrainte, alors que celles de type offensif sont guidées par un
désir de développement et une volonté de croissance (Gherzouli, 1997:76). « Sortir de
l'isolement, trouver des solutions ensemble à nos problèmes » se situent davantage dans
l'axe de défense, alors «qu'échanger sur les pratiques, se stimuler, faire (peut-être) des
actions communes » seraient dans l'axe du projet.
Le Réseau revêt aussi un aspect communicationnel à travers duquel sont échangées les
significations à l'intérieur d'un continuum (Payatos, 1983, cité dans Ferrié et Boëtsch, 1993:
49
242). Le porte-parole du Réseau33, membre du conseil d'administration de la Table de
concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes et
membre du comité aviseur auprès du MRCI, transmet des informations pertinentes aux
autres membres du Réseau, concernant certaines décisions gouvernementales, certains
projets en cours, informations auxquelles les intervenantes n'ont souvent pas accès au sein
de leur organisme. Cette transmission de connaissances renforce ainsi leur pouvoir
décisionnel.
Enfin le Réseau est une action volontaire collective : l'action volontaire en tant que
catégorie sociologique implique, tel que décrite par Melucci (1993:193), « la nature
volontaire du lien social à l'intérieur duquel l'action est accomplie », les intervenantes ont
adhéré librement au Réseau, en accord toutefois avec la direction de leur organisme34, de
même que les jumelés adhèrent librement au programme jumelage. Nous attribuons d'autres
caractéristiques de l'action volontaire énoncées par Melucci au Réseau. L'action volontaire
collective implique qu'il y ait un partage d'objectifs communs même si les buts individuels
peuvent être divergents; toutefois, les intervenantes adhèrent « à une forme de solidarité
collective. » Le Réseau n'est pas une structure rigide, mais a une forme d'organisation avec
distribution de rôles par consensus avec possibilité de changement.
L'objectif premier du regroupement est de faire reconnaître et d'affirmer la nécessité du
jumelage en tant qu'outil d'intégration sociale et de rapprochement interculturel. Cet
objectif donne à l'implication des intervenantes au sein du Réseau « une forme d'altruisme
social » (Ranci, 1990, cité dans Melucci, 1993:194), en ce sens que « l'action est orientée
de telle sorte qu'elle produit des bénéfices ou des avantages au profit de sujets autres que
ceux qui y participent » (Melucci, 1993:194). Toutefois, le fait que l'action des
intervenantes soit principalement dirigée vers les jumelés et les futurs jumelés ne signifie
33 Nous parlons ici du porte-parole au moment de la mise en place du Réseau. Depuis 1999 l'agente de liaison
du RJI assume cette fonction. Il arrive aussi qu'une intervenante, au fait de tel programme ou politique, prenne
le relais.
34 Le directeur d'organisme s'attend à ce que l'intervenante propose des actions qui iront dans le sens non
seulement de la mission de l'organisme mais aussi, dans certains cas, selon la vision qu'il a, de concert avec
les autres membres de l'organisme, du programme jumelage.
50
pas qu'elles-mêmes ne retirent aucun bénéfice à l'action volontaire collective; au contraire,
ces dernières pourront, selon le degré d'investissement, retirer comme le rappelle Melucci,
des bénéfices symboliques (estime de soi, pouvoir, reconnaissance) et économiques
indirects (l'acquisition de compétences professionnelles, la construction de réseaux sociaux
avantageux sur le plan politique et professionnel).
En se regroupant au sein d'un espace intermédiaire, un lieu de médiation entre l'État et
l'organisation, les intervenantes posent les premiers jalons d'un travail social collectif dont
les objectifs visent « à créer des espaces collectifs d'échange, de débats et de conflits. » Ces
espaces peuvent préfigurer « l'émergence de nouvelles formes d'arrimage possible entre la
société civile et l'État » (Charlot, 1996:45). En dépassant la «logique de l'offre
institutionnelle », qui par ses exigences de démonstration de rentabilité a tendance à vouloir
les cantonner à un rôle de recruteur de bénévoles, les intervenantes explorent des avenues
nouvelles et renouent, comme le mentionne Jean-Luc Charlot, « avec ce qui est le propre du
travail social collectif, (...) le caractère intrinsèquement généraliste de celui-ci. » En effet, le
caractère généraliste du travail social collectif implique la prise de conscience de
l'interinfluence de ces divers éléments sur l'intervention même et sur le déroulement de la
relation dans une perspective de développement social, avec la préoccupation du sens
collectif et du rôle que devront jouer les usagers ou les principaux intéressés, en
l'occurrence les jumelés, dans l'action (Charlot, 1996).
2.5. Conclusion
Nous avons vu que les motivations des individus qui répondent à l'appel du communautaire
sont doubles : combler un besoin de retrouver un peu d'humanité dans le froid de la
modernité et répondre à la demande exprimée par l'État de faire le devoir civique. Si les
individus s'investissent dans une action bénévole, cela peut être par peur du conflit et pour
un désir de réguler le social ou pour vouloir rendre service et par pur intérêt. Nous avons vu
aussi que poser un geste bénévole peut être à la fois motivé par un intérêt personnel tout en
étant mû par le désir de commettre un acte collectif. L'engagement dans le jumelage,
51
relation interpersonnelle, s'inscrit dans un contexte social, économique, politique et culturel
d'une société et dans un processus d'immigration qui lui-même renvoie à un ou plusieurs
autres contexte social, économique, politique et culturel. De plus, le jumelage fait aussi
partie d'un contrat moral d'intégration, l'accompagnement du nouvel arrivant par les
membres de la société d'accueil et institutions ainsi que l'engagement des uns et des autres à
l'établissement de relations communautaires harmonieuses. Quelles seront alors les
motivations des individus qui établiront le lien social du jumelage ? L'implication dans le
jumelage interculturel est-elle la manifestation de l'un et de l'autre, un vouloir aider l'autre
et un désir d'harmonisation des rapports sociaux ? Mais d'abord qu'entend-on par jumelage
interculturel ? Qu'est-ce que l'interculturel ?
Nous avons constaté aussi que l'intervention sociale du jumelage pose certaines difficultés
aux intervenantes. Mues par le désir de répondre à certains questionnements et aussi portées
par un vouloir faire front commun, les intervenantes se sont regroupées au sein d'un réseau
qui devient un lieu d'échange et de réflexion sur la pratique du jumelage. Quelles sont les
limites et contraintes de l'intervention jumelage ? L'intervenante inscrit-elle son
intervention qui s'immerge dans la quotidienneté des relations primaires « où le sens se
confond avec l'acte » (Lavoué, 1986) dans la perspective globale des rapports sociaux ?
Est-ce que l'intervenante en jumelage croit que son intervention contribue au renforcement
des liens sociaux ? (Renaud, 1995) Les paramètres de son intervention sont-ils définis selon
le modèle d'intégration suggéré par l'État ?
52
CHAPITRE III
Cadre théorique
3.a. Sommaire
À partir de la description des modèles d'intégration aux Etats-Unis, en France, au Canada et
au Québec, nous voulons démontrer que la notion d'intégration (3.1) est liée à l'histoire des
sociétés et aux représentations d'un certain idéal. De " l'uniformisation culturelle" à la
vision plurielle d'une société en mouvance, la logique de l'intégration puise ses modèles à
des idéaux: démocratique, de citoyenneté ou communautaire et fait référence à la mémoire
collective: la recherche du bonheur, de l'harmonie, de l'égalité. Toutefois, la notion
d'intégration est aussi un concept politique qui sert à modeler le concept de citoyenneté tout
en réaffirmant le modèle social que l'État-Nation veut sauvegarder ou définir, celui qu'il est
prêt à proposer. Au cœur du concept de citoyenneté, nous retrouvons la notion de contrat
moral (3.1.1) inspirée par les notions de droits et responsabilités sociales (le devoir-faire) ,
nous retrouvons également la notion du contrat social (3.1.2) qui fait référence à la
participation civique (le devoir-être). Cette notion est beaucoup plus difficile à imposer
comme action collective parce que plus difficile à circonscrire, prenant sa source dans
l'éthique, dans le sens attribué au vivre-ensemble et dans la projection dans l'avenir, donc
dans une certaine part d'incertitude. En effet, la notion de contrat social fait appel au pour-
quoi-faire, question ontologique qui est au cœur du questionnement sur la vie en société,
sur le rapport à l'autre, sur le pourquoi et le comment du lien social. Nous aborderons donc
les notions de confiance, de don, d'engagement, de négociation, et d'adaptation mutuelle qui
sont inhérentes à la question du lien social et de façon plus spécifique à celle du jumelage
interculturel. Puis nous abordons le jumelage en tant que processus et intervention. Au
point 3.2, nous établissons la distinction / similitude entre le mentorat et le jumelage. Et
nous situons le jumelage dans « l'utopos » de la rencontre (3.2.1) dans un nouveau lieu où
se crée le lien social, où la rencontre avec l'autre est susceptible de provoquer une
modification profonde dans la vision du monde de l'individu. Nous abordons dans la partie
53
3.22, les concepts d'interaction et de choc culturel, ce dernier selon l'anthropologue Oberg
(1960), manifeste l'angoisse provoquée par le sentiment de perdre les signes et les symboles
qui nous sont familiers dans le cadre des relations sociales. Mais bien que le jumelage soit,
avant tout, une relation interpersonnelle qui se déploie dans l'espace informel, il est aussi un
programme mis en place par des organismes communautaires subventionnés par l'État :
donc un acte formel devant avoir une certaine portée sociale. C'est pourquoi dans le
jumelage, le réseau, et la culture organisationnelle (3.2.3) nous réfléchissons au lien entre la
capacité qu'a l'organisme de croire en sa mission et de la transmettre et le sentiment qu'a
l'acteur social d'appartenir à une communauté, source de stimulation importante dans
l'engagement. Au point 3.2.4 de notre thèse, point central à notre réflexion, nous
questionnons l'intervention sociale du jumelage. Nous voulons démontrer que celle-ci est
marquée par la complexité du processus migratoire et du processus d'intégration à laquelle
est confronté le nouvel arrivant et indirectement son jumelé et que cette rencontre peut
donner à l'intervention une difficulté supplémentaire: c'est ce que certains nomment une
situation d'interculturalité. Nous soulignons le fait que les réflexions sur les transformations
de l'intervention en contexte d'interculturalité ne font pas consensus et que parallèlement à
ce débat, une autre voix s'élève qui estime que la complexité du contexte de l'immigration
commande à l'intervenante de dépasser l'approche interculturelle en fondant celle-ci dans
une approche intégrée. La considération de l'autre à titre de partenaire demeure un principe
guide de l'intervention sociale. Cet espace intermédiaire, espace où la rencontre à lieu de «
personne à personne » se révèle être, comme le rappelle Gyslaine Roy, chercheure et
travailleuse sociale, un espace de liberté (Roy, 1992). Toutefois nous verrons que s'il est
juste de dire que l'inconnu enthousiasme les intervenantes par la possible création qui
s'offre à elles, il est aussi réaliste de dire que l'interculturel leur pose des dilemmes.
54
3.1. Intégration et lien social
3.1.1. La notion d'intégration
3.1.1.1. Le contexte global, États-Unis, France, Québec
L'intégration des nouveaux arrivants ne peut être comprise qu'en étant replacée dans le
contexte global dans lequel elle s'insère (Schulte-Tenckhoff, 1985:85). Il faut aussi
considérer que les concepts d'adaptation et d'intégration sont des concepts polysémiques, et
sujets à différentes interprétations. Ces interprétations sont dépendantes des champs
d'étude, mais surtout des buts visés par telle ou telle définition, d'autant plus lorsque
jumelées à des indicateurs, mesure du quantitatif, outil d'analyse et de vérification des
politiques du gouvernement de la société d'accueil.
Il est nécessaire de comprendre l'évolution de ce concept et son application dans les
contextes spécifiques puisque dans une certaine mesure, l'évolution du Québec est une
création, une synthèse originale de son voisin géographique et de son « cousin » culturel.
L'intégration des immigrants a longtemps été associée à l'assimilation de ceux-ci, suivant
une « logique d'uniformisation culturelle » (Rocher, 1994). Jusque dans les années 1970,
avant l'apparition des mouvements de revendication ethnique, l'idéologie assimilationniste
prévalait dans les sociétés occidentales : depuis, celle-ci a fait place à celle de l'intégration.
L'idéologie assimilationniste est liée à l'idéologie libérale. Celle-ci conçoit un État-Nation
où tous les individus peuvent participer pleinement, quel que soit le groupe ethnique
culturel ou racial auquel ils appartiennent, mais pour ce faire, les individus doivent se
libérer de leur appartenance ethnique et culturelle. Par exemple, et selon cette théorie, aux
États-Unis l'assimilation des immigrants leur permettrait d'accéder aux idéaux
démocratiques d'égalité. Toutefois, afin d'accéder à la citoyenneté, les immigrants doivent
adopter la culture américaine de la réussite personnelle et les préceptes judéo-chrétiens
(Banks, 1998). En France, l'assimilation proposée aux immigrants est liée à la tradition
révolutionnaire fondée sur la laïcité en tant que valeur commune dans l'espace public
(Henry-Lorcerie, 1988).
55
Au Québec, l'intégration des immigrants est fondée sur un idéal communautaire que
certains nomment utopie. Le Québec, comme les États-Unis d'ailleurs, est une terre
d'immigration et les aspirations politiques visent à une installation durable des nouveaux
arrivants plutôt qu'à des migrations de passage. Dès 1974 (rappelons que le Ministère de
l'immigration au Québec a été créé en 1968) le principe fondamental de la politique
d'intégration est l'intégration dans le respect des valeurs culturelles d'origine. On incite «
par des moyens variés et non par contraintes les nouveaux arrivants à rejoindre le groupe
majoritaire, la communauté francophone, et à s'y intégrer » (M.I.Q, 1974 cité dans Jacob,
Bertot, 1991:82), mais bien avant, le Conseil du civisme à Montréal, fondé en 1958, faisait
la promotion d'un dialogue constructif et d'une meilleure compréhension entre les citoyens
de toutes origines. Ce dernier encourageait « une intégration harmonieuse à la collectivité
montréalaise et québécoise » (cité dans Jacob, Bertot, 1991:74).
On le voit, l'intégration au Québec est imaginée ou souhaitée pouvoir se faire en harmonie
et sans contraintes avec l'espoir que les immigrants développeront un sentiment
d'appartenance à une province francophone minoritaire. Province dans les faits, mais pays
dans l'imaginaire. Province francophone dans un pays majoritairement anglophone, le
Canada, où l'idéologie d'intégration est le multiculturalisme alors qu'au Québec on prône
tour à tour ou tout à la fois, et en réaction à la politique du multiculturalisme, la
convergence culturelle, l'interculturel, la culture publique commune.
Le « contrat moral » entre la société d'accueil et l'immigrant, énoncé dans les politiques
gouvernementales depuis 1990 par le MRCI, s'appuie et prend légitimation sur les concepts
de citoyenneté et de participation civique. En fait, on assiste à une interaction évidente entre
une théorisation des chercheurs et une appropriation des concepts dans la sphère politique.
Malheureusement cette appropriation est souvent faite de façon maladroite, décousue ou de
manière précipitée.
En témoigne l'oubli d'impliquer le citoyen à titre individuel. À notre avis, une des
difficultés de l'appropriation par le membre de la société d'accueil du phénomène de
l'immigration, et des changements qu'il provoque au sein de la société québécoise, a résidé
dans cette association les nouveaux arrivants /la société d'accueil. Cette mise en relation des
individus avec une entité politique implique que nous avons d'un côté des individus et de
56
l'autre une entité abstraite, un système social qui dépasse l'individu en même temps qu'il
l'absorbe. Le membre de la société d'accueil n'a pas à se sentir impliqué parce que c'est
justement à ce système qui le dépasse à qui on donne la responsabilité d'accueillir sans que
le citoyen soit nommé. En même temps, il peut être très réconfortant de savoir que nous
faisons partie d'une société accueillante : une fois la qualité attribuée, la remise en question
n'est pas de mise, d'autant plus que de nombreuses structures d'accueil ont été mises sur
pied au Québec.
Tous ces idéaux : l'un basé sur l'idéal démocratique fondé sur l'égalité de tous dans la
recherche du bonheur, l'autre sur l'idéal de citoyenneté où « le social et le politique ont le
primat sur les liens d'appartenance ethnique » (Sayad, 1994), l'autre sur un idéal
communautaire, se rejoignent. Les deux premiers attribuent de façon unilatérale la
responsabilité de l'intégration à l'immigrant et les trois se fondent sur la conception d'un
système socioculturel englobant, immuable, intangible et imperméable. Encore aujourd'hui,
écrivent certains auteurs (Helly, 1992, Rocher, 1990 Juteau, 1993), les politiques
d'intégration du Québec, visent moins à reconnaître les différences de sujets ayant d'autres
champs de référence, d'autres champs d'appartenance, qu'à les faire entrer à l'intérieur de
frontières déjà établies.
Pour complexifier encore plus la problématique de l'intégration des immigrants, les
chercheurs, qu'ils soient dans les domaines de l'anthropologie, de la sociologie, de la
psychologie et de l'ethnologie, ont, selon le contexte politique, social et culturel,
interchangé les termes intégration, acculturation, adaptation, insertion, assimilation (Park,
1928, Frazier, 1939, Merton, 1965, Berry, 1987, De Vries, 1988 a, 1988 b, Dorais, 1989,
Breton, 1994).
Certains auteurs ont contribué plus que d'autres à l'ambiguïté des termes. Merton (1965),
dans un effort pour nuancer la finalité de l'intégration, a introduit la notion d'adaptation en
la caractérisant de cinq façons différentes : le conformisme social, l'innovation dans le sens
du succès américain, la ritualiste dans le sens de compensation à l'échec de la réussite de
l'idéal américain, l'évasion, cette catégorie rassemble ceux qui ne fonctionnent pas selon les
normes et la rébellion (cité dans Jacob, Bertot, 1991). Ce modèle fonctionnaliste a influencé
N. Hutnik (1986 cité dans Jacob Bertot, 1993) et Berry (1980) qui proposent à leur tour
57
quatre modèles d'adaptation ou d'acculturation chez les réfugiés et les immigrants :
l'assimilation, lorsque l'individu se perçoit comme membre de la majorité uniquement, la
dissociation-séparation, lorsqu'il se perçoit comme membre d'un groupe ethnique
uniquement, l'acculturation/intégration, lorsqu'il s'identifie aux deux groupes, la
marginalisation, lorsqu'il n'y a aucune identification. Pour ces deux chercheurs, l'adaptation
est un choix, une « option » de la part des immigrants. D'où le glissement sémantique du
terme intégration « on veut intégrer des immigrés qui sont mal ou pas du tout intégrés »
(Cordeiro, 1994:168).
Milton Gordon (1978) devancé par Park (1914) a contribué à donner une nouvelle
perception du concept d'adaptation des immigrants (quoiqu'ils utilisent le terme
assimilation). Il démontre que si « l'assimilation » (adaptation) dépend en partie de
l'immigrant, elle dépend aussi de l'acceptation par la société d'accueil du nouvel arrivant
que ce soit au niveau culturel, social, politique ou économique (Jacob, Bertot, 1991,
Coulon, 1992).
Parallèlement à cela, si on lit attentivement les objectifs de la politique de l'immigration du
Québec de 1967 (Gauthier, 1967) et qu'on les compare à ceux de 1996 (MRCI 1995-96) et
aux niveaux d'immigration 2000-2001, l'on peut constater une certaine constance :
l'immigration répond à des orientations économique, démographique et linguistique :
l'orientation humanitaire n'apparaissant pas dans les priorités, mais plutôt dans les objectifs
que sont le soutien à la réunification familiale et dans l'accueil aux réfugiés35 (MIRC, 1995-
96).
35 Et cela en dépit du fait qu'il y ait eu jusqu'en 2000, une baisse des immigrants de la catégorie indépendants
et une augmentation de celle des réfugiés : et malgré le fait qu'il y ait eu au Québec en 1996, 12,000
revendicateurs du statut de réfugié et que « bien que sans statut définitif, ces personnes soient prises en charge
par le Québec, ce qui augmente sensiblement son effort d'accueil humanitaire” (MAIICC,1995-96:21). Cette
phrase est lourde de sens quand on sait que les intervenantes des organismes communautaires « partenaires”
du ministère, particulièrement à Montréal où se retrouvent la presque totalité des revendicateurs, demandent
depuis plusieurs années que les revendicateurs du statut de réfugié soient considérés admissibles aux
différents services d'accueil et d'établissement (outre ceux concernant le logement).Cette demande est
toujours qualifiée en principe de non-recevable par l'État québécois. Toutefois cette question est actuellement
au cœur des négociations entre les organismes de la région de Montréal et le ministère qui cherchent un
58
Ces orientations sont liées à des politiques d'intégration des immigrants, politiques qui
elles-mêmes sont déterminées selon le contexte politique et selon la représentation que les
acteurs se font de l'intégration. Comme le rappelle Danielle Juteau, « la notion d'intégration
est polysémique, labile, fluide, indissociable d'un contexte sociohistorique lui-même
soumis à plusieurs transformations, (...) l'intégration est liée à la conception de la bonne
société, de ce qui est désirable » (1993)36. Si le concept d'adaptation est le plus souvent
associé à l'adaptation à l'environnement, celui d'intégration est synonyme d'adaptation
mutuelle et de cohésion sociale. A partir de 1991, avec l'entente Canada-Québec il n'y
aura plus de distinction nette entre adaptation et intégration, l'accueil fait partie de
l'intégration sociale et économique et en matière d'intégration, les objectifs sont ceux
d'intégration linguistique, sociale et économique et de relations interculturelles37 (MAIICC
1995-96) et depuis 1995, de participation civique.
La réalité de l'adaptation se complexifie encore lorsqu'on tient compte des étapes cycliques
d'adaptation décrites par Kirshenblatt-Gimblett (1978) : le folklore de l'héritage culturel,
traditions acquises par l'immigrant dans son pays d'origine, le folklore de l'immigrant qui se
espace de transgression aux règles établies qui permettrait l'accessibilité des revendicateurs aux services
donnés par les organismes.
36 En 1979, par exemple, on définit les organismes d'accueil « comme étant ceux qui s'occupent des
immigrants, clientèle spécifique du ministère. Celui-ci a une responsabilité directe et prioritaire à l'endroit de
ces organismes”. Les organismes d'adaptation quant à eux s'occupent des « Québécois d'arrivée récente » et
doivent assurer « une meilleure jonction entre les besoins de ces personnes et les ressources du milieu »alors
que les organismes d'intégration « agissent sur l'ensemble de la société pour faire évoluer les mentalités, les
attitudes, les comportements et ainsi assurer l'harmonie et la cohésion sociale” (M.I.Q' 1980:46 cité dans
Jacob, Bertot, 1991). En 1990, on met en parallèle deux projets : d'un côté, l'immigrant qui veut améliorer son
sort, de l'autre la société d'accueil qui tient à ses caractéristiques et à son projet social. C'est la
rencontre de ces deux projets qui détermine le processus d'intégration et d'adaptation
(MCCI, 1990: 1-2).
37 Les objectifs seront liés à des programmes institués en 1991 suite à l'entente Canada-Québec: PAEI
(programme d'accueil et d'établissement des immigrants) PSIE (programme de soutien à l'intégration à
l'emploi) PRI (programme de rapprochement interculturel) PAO (programme d'adaptation des institutions) et
il faut ajouter le PAFI (programme aide à la francisation des immigrants)
59
rapporte à l'expérience même de l'immigration et le folklore de l'ethnicité qui exprime
l'adaptation au nouveau pays et la revendication de l'identité ethnique. Au Québec, l'étude
de Labelle, Turcotte, Kempeneers et Meintel (1987) sur les ouvrières immigrantes ainsi que
les études Cohen et Lévy (1987) sur les trajectoires individuelles de même que les travaux
de Guilbert (1993) sur la notion de travail de deuil nous fournissent des données pertinentes
pour comprendre toute la complexité du phénomène de l'adaptation.
Complexité qui dépasse la seule volonté de l'immigrant car outre le fait objectif qu'il existe
une frontière territoriale et un droit juridique d'immigrer, la chercheure Helly (1992:24)
mentionne dans L'immigration pour quoi faire ? une frontière interne qui serait de l'ordre de
l'identité collective décidant l'appartenance ou non des immigrés et de leurs descendants à
la société d'accueil, et par ailleurs définissant leur traitement par l'État. Les paramètres de
cette frontière fixeraient les fondements de l'exclusion ou de l'inclusion des « autres » à la
société québécoise, augmentant ainsi le défi de l'immigration.
Ainsi, nous voyons que les termes assimilation et intégration sont conceptualisés
différemment selon les utopies et les contextes géopolitiques des États-Unis, de la France,
du Canada et du Québec tout en ayant certaines similitudes. La notion d'intégration telle
que définie jusqu'à tout récemment dans ces différents contextes met en évidence un
paradoxe, en réaffirmant le caractère permanent du fait culturel, de sa conservation et de
sa spécificité tout en mentionnant que l'ensemble s'enrichit de cette complexité. Comment
peut-on parler de spécificité et de conservation, donc d'intégralité alors que l'on admet qu'il
y a interinfluence, interaction des composantes culturelles et ethniques. L'ensemble et
l'élément d'ensemble ne s'influencent-t-ils pas ? Est-ce que l'effet de l'interaction n'est pas
plutôt une transformation (transvalue) qu'un enrichissement (plus-value) ? L'interaction des
composantes ethniques et culturelles, elles-mêmes plurielles, ne fait-elle pas en sorte que
d'elle se compose une nouvelle réalité elle-même appelée à se transformer ?
Alors qu'aux États-Unis, les sociologues analysent les stratégies d'intégration adoptées par
l'immigrant, en France les politiciens s'interrogent sur le processus qui fera de l'étranger un
résident permanent de la société française. Les termes et les concepts sous-jacents en
France (Barou, 1993), assimilation, intégration, insertion, qui seront tour à tour adoptés
puis rejetés, le sont en « réaction à des tendances » à des réponses à des récupérations
60
politiques, à certains éléments d'une mémoire collective que l'on voudrait effacer. Fait
partie de cette mémoire collective, la notion d'assimilation associée à la période coloniale,
le terme est devenu tabou à la fin des années 1960. Cet embargo sur le terme a fait oublier
l'aspect transitif du concept. L'ethnologue Jacques Barou et le sociologue John Crowley le
rappellent en resituant le concept à l'époque de son utilisation par Durkheim. Barou nous
explique que la pensée de l'assimilation de Durkheim se déroule sur fond historique de
passage d'une société à une autre : société mécanique, tissée serrée, où les valeurs et normes
sont transmises par la famille, par l'autorité du groupe, à une société organique, où les liens
sont plus distendus, où l'espace intermédiaire de socialisation qu'est l'École devient
primordial pour permettre à tous même « les non-nés dans la communauté » d'avoir accès à
l'histoire, les traditions, la culture et les normes de fonctionnement qui leur permettra, en
étant assimilés, d'être membres actifs de la société. Ce concept, rappelle Barou, avait un
caractère progressiste et démocratique, bien que « l'élasticité des contenus substantifs »
(Crowley, 1991) et le doute épistémologique n'étaient à l'époque aucunement envisagés.
D'ailleurs, l'éducation, comme lieu de transmission des valeurs communes et de
construction de solidarités nouvelles, est encore considérée aujourd'hui un lieu privilégié
d'acculturation dans toutes les sociétés. Il est entendu qu'une société a besoin que les
citoyens, peu importe l'âge, l'origine, la classe sociale, adhèrent à des normes communes
afin d'éviter de sombrer dans l'anomie sociale. L'assimilation est donc un « concept
opératoire et nécessaire » (Barou, 1993:126, Pagé, 1991).
Toutefois, si en France le terme assimilation a disparu, la notion de faire taire, voire, faire
disparaître les caractéristiques sociales et ethniques de l'autre (Gaillard, 1997:124) a
persisté avec la notion d'intégration. La valse politique entre la droite et la gauche se traduit
dans l'adoption des termes intégration ou insertion au gré des affrontements idéologiques et
politiques « (...) ils sont interchangeables parce que liés à des actions sociales » (Gaillard,
1997) et non aux dimensions socioculturelles et ethniques. Dans les années 1970-1980,
l'intégration est un terme que la droite réserve aux immigrants « il faut les intégrer, ils ne
sont pas intégrés » il n'est alors plus nécessaire de dire qui on veut intégrer (Cordeiro, 1994;
Gaspard, 1992) (...) « la permanence ou l'émergence des identités ethniques et culturelles ne
sont concevables qu'en terme de dysfonctionnement » (Cordeiro, 1994:171). Il semble que
la recherche d'indices d'obstacles structurels à l'intégration n'a pas été une préoccupation
61
majeure dans la réflexion. Afin de sortir l'intégration du domaine de la politique, on la
transforme en opération technique, « la technicisation est pensée comme s'opposer à la
politisation » (Gaspard, 1992). Alors dans une tentative d'intégrer la problématique dans un
problème d'ordre général, la gauche, parle, elle, de programmes sociaux d'insertion qui
s'adressent à la population française en difficulté. Dans les années 1980, dans une volonté
de restreindre l'immigration, la droite mentionne l'insertion de ceux qui sont sur le territoire,
en insistant sur l'urgence de fermer les frontières. La gauche récupère alors le terme
intégration, et revient au rôle de l'intégration scolaire des enfants d'immigrés pour « l'unité
de la nation », celle-ci comporte deux aspects : « préparer les enfants à la vie économique et
à ses transformations, d'où la nécessité d'apprendre la langue et donner à ces enfants la
possibilité de maintenir le contact avec la langue et la culture maternelle » (Gaspard,
19:17).
Le terme intégration se serait imposé à la fin des années 1980, alors que le ministre de la
Solidarité proclame « il faut préserver les identités culturelles qui s'exercent dans le cadre
des valeurs fondatrices qui sont l'héritage de notre histoire et le ciment de notre société »
(Elvin, cité dans Gaspard, 1992). Mais, comme le signale Cordeiro, s'il y a une tentative
d'un « retour de la légitimation éthique du respect de l'autre » (...) il n'en reste pas moins
que « les cultures immigrées doivent, selon l'idéologie de l'intégration, rejoindre le creuset
français » (1991:68, 171). Et pour ce faire, on structure le processus d'intégration : après
avoir mis sur pied un Secrétariat général de l'intégration, on crée en 1991 un Haut Conseil à
l'intégration. Celui-ci définit l'intégration en ces termes :
il faut concevoir l'intégration comme un processus spécifique: par ce processus, il s'agit de
susciter la participation active à la société nationale d'éléments variés et différents, tout en
acceptant la permanence, conservation et spécificités culturelles, sociales et morales et en
tenant pour vrai que l'ensemble s'enrichit de cette complexité. Sans nier les différences, en
sachant les prendre en compte sans les exalter, c'est sur les ressemblances et convergences
qu'une politique d'intégration met l'accent afin, dans l'égalité des droits et des obligations,
de rendre solidaires les différentes composantes ethniques et culturelles de notre société et
de donner à chacun, quelle que soit son origine la possibilité de vivre dans cette société
dont il a accepté les règles et dont il devient un élément constituant (1991 cité dans Barou,
1993:128).
62
Il faut souligner que cette définition de l'intégration évoque, comme le signale Barou
(1993), plutôt le concept anglo-saxon que le modèle républicain d'assimilation, par
l'acceptation des différences et l'affirmation de l'égalité des chances.
Comme l'écrit Barou, apparaît ici un nouveau passage de société : d'une société
centralisatrice, républicaine, où le monde du travail et celui de l'éducation apparaissent être
les principaux instruments de l'assimilation, à une société pluraliste, fragmentée, fragilisée,
où on reconnaît maintenant à d'autres structures intermédiaires, celles communautaires, une
fonction intégrative. L'intégration ce n'est plus alors seulement l'affaire des immigrants,
mais devient aussi l'affaire des Français! (Begag et Chaouite, 1990).
Ainsi la société d'accueil a une responsabilité dans la réussite du projet migratoire de
l'immigrant, une responsabilité quant à ses choix et aux conséquences de ses choix.
Comme on le sait et tel qu'il est affirmé dans l'Énoncé de politique de 1990 au Québec,
l'immigration répond à des préoccupations : le redressement démographique, la prospérité
économique, la pérennité du fait français et l'ouverture sur le monde, mais il répond aussi à
un devoir de respecter un engagement moral envers les demandes humanitaires. Le projet
d'immigration est donc basé sur un choix et un non-choix tant pour l'immigrant qui a choisi
ou non choisi de quitter son pays que pour la société d'accueil qui choisit ou ne choisit pas
le fait d'accueillir les immigrants.
Si la réussite du projet migratoire de l'immigrant est liée à sa capacité de comprendre les
codes culturels et le fonctionnement des différentes institutions du pays d'accueil et de s'y
adapter, c'est à dire de tirer profit de ses compétences initiales et de son aptitude à en
acquérir de nouvelles, (Costa-Lascoux, 1994) elle est liée aussi à la capacité intégratrice de
la société d'accueil qui se traduit par sa capacité de s'interroger sur ce qu'implique accueillir
et intégrer des immigrants et réfugiés, sur ce qu'est la culture publique commune et aussi
par la compréhension qu'ont du phénomène migratoire tous les citoyens de la société
d'accueil. C'est le regard de l'autre, ses paroles, ses silences, ses actes, qui feront que
l'intégration pourra se traduire chez l'immigrant par « être chez soi, se sentir bien, en
sécurité, avoir l'impression qu'on existe, qu'on compte pour quelque chose » (Begag,
Chaouite, 1990, cité dans Lefaivre, 1995: 62)) qu'on « se reconnaît une place et un droit de
se construire une place dans le système social » (Guilbert, 1996:28). Pour se réaliser, «
63
l'intégration doit être reconnue positivement et fortement valorisée par les collectivités et
par la société » (Guilbert, 1996:28).
Nous pouvons ainsi considérer l'intégration comme un processus d'inclusion dont la
dynamique est l'interdépendance. Nous reprenons la définition de l'historien Rochdy Alili,
parce qu'elle rejoint notre réflexion : « L'intégration est la construction d'interdépendance
entre des composantes individuelles et collectives d'un ensemble qu'on appelle la société »
(1994:15). Nous précisons que nous concevons l'intégration comme un processus,
processus qui produit et qui a pour résultat la cohésion, la solidarité, l'interdépendance
d'une société (Zehraoui, 1994:130-131). L'intégration implique évidemment une
participation active aux instances économiques et sociales de la collectivité, participation
facilitée par la société : l'intégration est un droit et un devoir des deux parties en cause . Ce
qui veut dire la possibilité d'avoir un emploi stable et suffisamment rémunéré, l'acquisition
de la langue officielle, la constitution d'un réseau social incluant des membres de la société
d'accueil ainsi que l'apprentissage de valeurs et parfois la soumission à des normes
culturelles autres (Dorais, 1989; Doutreloux, Guilbert, 1992; Morin, 1992, cité dans
Guilbert 1993).
Ainsi allons-nous dans le sens de Dorais (Dorais et all, 1992:4 cité dans Guilbert, 1993) «
l'intégration en tant que participation aux institutions et réseaux sociaux de la société
d'accueil », ce qui exige le partage des compétences et des savoir-faire, expression d’une
intégration citoyenne qui serait favorisée, croit-on, par la notion de contrat moral.
3.1.2. Le contrat
3.1.2.2. Le contrat moral
Le phénomène de l'intégration à la population francophone au Québec étant un phénomène
récent, les Québécois francophones prennent conscience qu'il est nécessaire de remettre en
question certaines manières d'agir et d'être, d'admettre l'hétérogénéité comme une qualité
dorénavant intrinsèque de la société québécoise, qu'il y a obligation de faire le deuil de «
64
l'entre-nous. » En même temps, l'État tente de définir les balises qui permettront de
préserver la langue et jusqu'à un certain point la culture en imaginant le concept du contrat
moral qui redit l'égalité en droits, reprécise la notion d'accessibilité et d'ouverture, en même
temps qu'il insiste sur le devoir qu'incombe à tous d'adhérer aux principes de démocratie, de
partager une langue publique commune et de développer des relations intercommunautaires
harmonieuses.
Nous nous posons alors la question qu'est-ce qui fera que les individus voudront établir des
relations intercommunautaires harmonieuses, partager des valeurs communes, avoir des
projets communs ? Quelle motivation conduira les individus à se lier ? Pourquoi le ferait-il
? Dans quel but ?
Nous nous éloignons de l'approche fonctionnaliste parce qu'elle nie la dynamique du conflit
au cœur du social et ne le conçoit qu'en terme de dysfonctionnement ou d'incompatibilité
(Mucchielli, 1991). Et comme le souligne si justement Alili, « le principal de l'intégration
n'est pas l'entrée dans une fonction, mais l'entrée dans un univers de signes, le partage d'un
capital symbolique quelque soit la fonctionnalité sociale de celui qui est intégré »
(1994:20). L'approche structurelle, telle que mise de l'avant par Jacob et Bertot, ne nous
satisfait pas davantage parce qu'en focusant sur l'invariance du rapport dominant/dominé en
terme de classe sociale de même que sur les conditions objectives qui influencent le
processus d'intégration, cette approche ne permet pas de s'interroger sur l'impact du
caractère subjectif de l'intégration, du sens donné individuellement (intra-subjectif) et
collectivement (inter et supra-subjectif) à la notion de l'être collectif, celle du lien social.
Cette approche ne nous permet pas de réfléchir sur « ce qu'il y a de commun dans les
différents intérêts et qui forme le lien social » (Rousseau, cité dans Crowley 1991:198).
Ce qui nous ramène à Crowley et au paradigme contractualiste. Ainsi donc la première
qualité de l'intégration dans le paradigme contractualiste c'est l'ouverture : cet espace offert
à l'individu pour qu'il puisse véritablement prendre une place. C'est pourquoi l'intégration
systémique doit aussi être vu, selon Crowley « comme un processus conduisant d'un mode
d'intégration à un autre ou de la désintégration à l'intégration » (ibid,:193).
Crowley nous renvoie à Durkheim, à sa définition d'un système social intégré. Selon
Durkheim, un groupe social est intégré à trois conditions, s'il y a l'existence d'une
65
conscience commune, de croyances et de pratiques, s'il y a une intense interaction entre les
membres du groupe et s'il y a adhésion à des buts communs (cité dans Crowley, 1991).
Nous retrouvons ici38 les qualités mentionnées pour réaliser « le contrat moral », tel que
défini dans les politiques d'immigration du Québec : partage de pratiques communes, de
valeurs communes, engagement à développer un Québec pluraliste et établissement de
relations intercommunautaires harmonieuses (Énoncé de politique 1990).
C'est en ce sens que nous tenterons d'analyser l'élaboration du lien social fondé sur un idéal
communautaire, le contrat social, ce que le MRCI du Québec a traduit par contrat moral et
qu'il tente aujourd'hui de reformuler sous l'appellation contrat civique.
3.1.2.2. Le contrat social
Avec un contrat moral, nous avons le « devoir-faire », par exemple le devoir de solidarité
qui se manifeste aujourd'hui à devoir respecter des règles imposées « sans trop de
justification ou à devoir adhérer à des principes d'action après avoir fait certains compromis
» (Fortin, 1995:14).
Ce qui est différent du contrat social tel qu'imaginé par Harvey. Ce dernier a donné au
Québec, l'expression « intégration cordiale » (Harvey, 1993). Celle-ci est-elle seulement
une manifestation du déni de toute conflictualité dans le processus d'intégration ? Est-elle
dérivée d'une approche fonctionnaliste qui nierait que l'intégration sociale correspond à
une dynamique de rapports sociaux où individus et groupes peuvent soit s'allier ou
s'opposer selon les circonstances ou les conjonctures ? (Jacob et Bertot, 1991:37) A lire la
définition de l'intégration cordiale : le développement du sentiment d'appartenance des
immigrants au vécu collectif, le partenariat entre organismes, privés et publics, l'importance
de la mise en valeur des apports des groupes ethniques (Harvey, 1993:924), on ne voit en
effet ni tension, ni confrontation, ni rupture. Harvey définit le processus d'intégration
38 La notion de croyances dans le sens religieux ne fait plus partie des préceptes essentiels à partager
aujourd'hui, puisqu'il y a dans une société multiethnique pluralité de croyances.
66
sociale, comme « un processus interactif entre la société d'accueil et les nouveaux arrivants
qui constitue une nouvelle dynamique et une nouvelle synthèse. » Cette définition sous-
entend un processus de négociation des enjeux, donc de possible confrontation et
d'inévitable réconciliation pour la réalisation d'un projet commun. Or, ce qui pourrait lever
cette ambiguïté face aux notions de buts et de conscience commune, c'est, comme le
souligne Crowley, « que leur pérennité en tant que telle est parfaitement compatible avec la
plasticité de leurs contenus » (ibid:193).
Contrairement au contrat moral qui est subordonné au sens du devoir, le contrat social
relève de l'éthique, « de la science des actions de la vie » (Aristote). Pierre Fortin, éthicien,
nous indique trois avantages de la société pluraliste : « la critique du devoir-faire,
l'appréciation du vouloir-faire et l'examen du pour-quoi-faire qui constitue l'apprentissage
de l'éthique » (Fortin, 1995:14).
La réflexion sur l'intégration nous confronte ainsi au questionnement sur la légitimité de
l'ordre politique. Pour y répondre, Crowley nous invite à subordonner le politique à la
philosophie, et nous entraîne dans la théorie contractualiste, entre autres celle de Rousseau
et de Rawls. La théorie contractualiste est profondément préoccupée par le conflit entre
l'universalisme et le particularisme. La question pour Rousseau est comment s'associer tout
en gardant son autonomie ? Comment se contraindre à devenir une personne sans perdre
son individualité ? La solution proposée par Rousseau est qu'on ne peut entrer dans la
société civile que pour autant que l'on soit capable de se concevoir comme universel
(abstrait) égal en qualité politique et essentiellement semblable à autrui. Le contrat comme
création de la société civile, comme recherche d'amitié civique et d'unité est un contrat
abstrait.
Mais pas complètement abstrait, car comme le rappelle Crowley, « si c'est la capacité
d'abstraction des individus qui leur permette d'adhérer au contrat social, ce sont des êtres de
chair et de sang avec leurs passions et leurs intérêts qui composent la société civile. » Cette
contradiction apparente montre que le contrat est intra-subjectif, « en ce sens qu'il n'y a pas
de distinction entre la vie en société et la vie tout court et que c'est la capacité à synthétiser
les deux aspects de lui-même qui fait de l'Homme un citoyen.»
67
Crowley insiste sur la notion de buts et de conscience commune dont la concrétisation
passe par le contrat social et le rôle de citoyen dans la cité. Pour notre part, nous accordons
plus d'importance à l'intégration par la vie quotidienne, et nous soutenons que les réseaux
de bon voisinage sont révélateurs de l'intégration d'une société. La confiance en l'autre
passe par la capacité d'établir avec lui non seulement un rapport, mais aussi une relation. Ce
qui suppose une discipline personnelle. Nous rejoignons Michel Lallemant (1994:128)
lorsque celui-ci dit que « sans un minimum de confiance, le lien social ne peut perdurer et
cette confiance fonctionne dans les multiples interactions de la vie quotidienne. » Et s'il
fallait se contraindre, non sans résistance, à établir des indicateurs d'intégration, nous
devrions privilégier, en accord avec Breton, celui de l'élargissement du réseau des relations
sociales et la participation plus grande dans le fonctionnement des organismes qui seraient
eux pluriethniques (Breton, 1994).
Mais ce qui suppose une discipline personnelle demande aussi une discipline collective
(Rocher, 1992:pp 3-8). La discipline collective et la discipline personnelle font appel au
lien social de base. Nous faisons référence ici à Touraine (1992 cité dans CCCI, 1993) pour
qui ce lien social de base exige un esprit et une attitude fondamentale : l'adaptation. Il ne
peut y avoir de véritable intégration si la société ne peut gérer sa propre transformation
comme une famille sait s'adapter à l'arrivée d'un nouvel enfant. Tout comme l'individu ne
peut s'intégrer s'il n'acquiert pas, comme nous l'avons indiqué selon les termes des
anthropologues Ferrié et Boëtsch (1993:243), cette « capacité de négociation »,
l'adaptation. L'adaptation est liée « à la possibilité et à la capacité qu'a un individu de se
mouvoir à travers des codes différents et d'investir entre eux des formules de connexion
satisfaisantes » (Ferrié et Boëtsch, 1993:243).
La discipline personnelle serait celle de l'esprit du don, telle que décrite par Godbout
(1992) sorte de loi non écrite qui régit le lien de base : « on crée conjointement ce lien
social de base – on s'y intègre – apprenant à vivre selon la discipline, à la fois obligée et
spontanément consentie » (CCCI, 1993:30), de donner, de recevoir en toute confiance et en
toute bonne foi qu'un jour les choses nous seront rendues : cet espoir du retour serait à la
base de toute relation sociale. Cet espoir de retour qui est en fait un acte de reconnaissance
sociale est au cœur du concept de citoyenneté.
68
3.1.3. La Citoyenneté
Le concept de citoyenneté fait référence, tel que mentionné par Joël Roman, à un rapport
latéral (de citoyen à citoyen) qui s'ancre dans le fait de reconnaître à chacun une place dans
la communauté : Roman lie cette logique de la reconnaissance au fait de donner à chacun
les moyens d'accéder à une visibilité sociale minimale (1996). Le rapport à autrui, la prise
en compte de sa présence signifiante, est une démonstration de sa compréhension et de son
appropriation, il « n'est pas un élément du contrat, mais plutôt un résultat » (Crowley,
1991:197).
En se référant à Rousseau, Crowley précise que le respect par l'individu de ses
engagements, c'est-à-dire en dernière analyse, sa capacité de soumettre sa particularité à
son universalité, suppose nécessairement qu'il soit fondé, à priori, d'un caractère mutuel
(ibid:197). Ainsi la citoyenneté est le résultat d'une compétence acquise individuellement,
ce qui lui confère un aspect construit, et non pas un état donné par une collectivité.
Et, comme le rappelle Crowley, si le concept de citoyenneté fait appel à la capacité qu'ont
les individus de faire appel à l'abstraction, l'exercice de la citoyenneté, lui, se fait dans un
lieu, il est situé.
Le concept de citoyenneté, tel que véhiculé au Québec, fait appel aux citoyens habitant le
territoire afin qu'ils développent des relations civiques. Ainsi, veut-on interpeller et
responsabiliser davantage l'individu citoyen. En 1990, le MAICC s'appuyait sur une
conception de l'intégration définie comme un processus multidimensionnel d'adaptation à
long terme, processus dans lequel la maîtrise de la langue d'accueil joue un rôle essentiel,
ce processus n'étant achevé que lorsque l'immigrant ou ses descendants participent
pleinement à l'ensemble de la vie collective, de la société d'accueil et développent un
sentiment d'appartenance.
Les deux concepts de participation et d'appartenance sont repris avec le concept de
citoyenneté et de relations civiques dont veut s'inspirer actuellement le MRCI pour
l'élaboration d'un contrat civique. Toutefois, nous tenons à signaler qu'en mettant l'emphase
sur la notion de participation, le MRCI abroge la période d'adaptation en la situant dans les
69
premières années d'arrivée du nouvel arrivant. De même, l'intégration en tant que processus
et résultat de l'insertion sociale, devrait par le fait même et selon cette tendance, se faire
assez rapidement puisque l'on considère dorénavant le nouvel arrivant comme un citoyen
au même titre et statut que les Québécois de la société d'accueil : en cela on lui attribue les
mêmes droits et les mêmes responsabilités. Nous nous demandons si en défendant
uniquement la thèse égalitariste, on ne compromet pas la notion d'équité qui commande
qu'on tienne compte des spécificités, notamment en ce qui concerne les nouveaux
arrivants : le parcours migratoire et la complexité de l'intégration. En tenir compte exige
que l'on admette que l'on doive y accorder une attention particulière, que l'on reconnaisse la
pluralité des parcours et la diversité des actions qui doivent être posées afin de répondre au
mieux au défi que pose le processus de l'intégration tant du côté de l'immigrant que de celui
de la société d'accueil.
Le concept d'appartenance réaffirme dorénavant la multiplicité des références identitaires
de chaque individu dans une société pluraliste et moderne, incluant l'identité ethnique
(Pagé, 1995). Il s'agirait d'une multiplicité compatible avec une certaine homogénéité dans
le partage de valeurs communes, d'un espace civique commun (Pagé, 1995), d'un noyau de
la cohésion sociale. Cette pensée est liée à la relation de réciprocité entre les citoyens ou
groupes de citoyens habitant sur un même territoire qui tout en adhérant à des consensus
sociaux créés peu à peu au fil de l'Histoire participent au développement social, culturel,
politique et économique de la société. Ces consensus formant le cadre civique commun
renvoient à des valeurs fondamentales telles la démocratie, le respect de la Charte, le
français comme langue publique commune. Les autres valeurs, mentionne discrètement le
MRCI, peuvent être discutées (Therrien, MRCI, 1998).
Ainsi, la réflexion des conseillers au MRCI va doucement dans le sens de la négociation
identitaire et de l'adaptation au contexte selon les termes de l'anthropologue Barth (1969) en
distinguant entre le noyau dur et les zones fluides du système culturel. Ces distinctions ont
été adoptées par maints auteurs et intellectuels (Begag et Chaouite, Costa-Lascoux, Bergue,
Harvey et Berthelot). Berthelot précise que s'il « appartient à la société québécoise de
définir le cadre de l'intégration(…) il faut distinguer les éléments inaliénables de la culture
publique commune des éléments qui sont ouverts à des espaces de négociation et de ceux
70
qui relèvent des décisions privées ou communautaires » (Berthelot, 1993:cité dans Lefaivre
1995:62).
L'État québécois irait non plus dans le sens de l'idéologie d'insertion de la convergence
culturelle, mais plutôt dans le sens de l'intégration pluraliste qui en insistant « sur le
caractère dynamique du processus d'intégration, sur l'interdépendance des citoyens dans le
partage par consensus de valeurs communes en même temps que sur la possibilité qu'il se
donnent d'en formuler d'autres doit mener à l'émergence d'une nouvelle société construite »
(Harvey, 1993).
S'inspirant de Rawls, Crowley rappelle qu'adhérer à des principes communs ne veut pas
dire qu'il ne peut y avoir d'intérêts divergents et que ceux-ci ne puissent mener à la
manifestation « d'oppositions d'intérêts. » Car comme nous le signale Michel Miranda, « la
permanence de toute société repose sur sa capacité non pas à gérer, mais à laisser
s'équilibrer ses forces conflictuelles » (1986:141). Le lien social est ainsi confrontation de
valeurs en ce qu'il établit un rapport d'identité, mais aussi d'altérité .
Ainsi, pour paraphraser Jacob et Bertot, l'intégration peut être analysée comme une «
dynamique de rapports sociaux des individus qui s'allient ou s'opposent selon les
conjonctures et les circonstances », mais ceux-ci, insistons-nous, doivent être animés d'un
désir de construire ensemble un espace commun dans lequel ils se reconnaissent et se
projettent. La citoyenneté ferait donc appel à la fois au contrat moral qui implique le
devoir-faire et au contrat social en tant que pouvoir-être qui lui, est basé sur la notion de
confiance. C'est lorsque les citoyens pourront lier les deux que nous pourrons parler alors
de contrat civique, mais avant de parler de contrat nous devons aborder la question du lien
social. Quelles sont les qualités inhérentes au lien social ? Quels sont les éléments
essentiels à son maintien ?
71
3.1.4. Le lien social
3.1.4.1.La notion de confiance
L'appel aux forces vives, aux efforts concertés de tous pour l'amélioration des conditions
économiques et sociales dans un contexte de restructuration technologique et
organisationnelle oblige les dirigeants à recourir aux notions de négociation et par ce fait
même à la notion au cœur de ce processus : la confiance. « Pour gouverner intelligemment
face aux turbulences du marché, aux exigences des technologies post-mécaniques, aux
flexibilités en tout genre qui s'imposent à elle, l'entreprise ne peut plus se passer d'une
démocratisation des pratiques : de la concertation, du débat et de la négociation, y compris
au plus bas de l'échelle sociale » (Borzeix, 1987:102).
Car si la situation de la guerre froide entre les deux grandes puissances a permis, dans les
années 1950-1960, à la théorie des jeux et sa notion de méfiance (en terme de distanciation
de l'autre) de prendre une place importante dans l'analyse des relations sociales, « la volonté
de rupture avec le taylorisme, l'introduction des formes inédites de coopération dans
l'atelier et dans l'usine » (Lallement, 1994:127) et l'appel au partenariat, entre autres,
remettent à l'ordre du jour la nécessité d'en appeler à la notion de confiance dans les
rapports sociaux (Gambetta, 1988; Karpik, 1996; Neuville, 1997).
Le jumelage, comme toute forme de relation partenariale39, emprunte la voie de la
négociation, et les partenaires doivent apprivoiser le compromis en surmontant «
l'incertitude qualitative40 », qui revêt un « caractère central et critique dans la construction
d'une relation de coopération à long terme » (Neuville, 1997:298). La dynamique de cette
39 Les différentes formes de participation peuvent être activées à un moment ou à un autre de l'alliance des
partenaires comme elles peuvent être des relations structurées entre partenaires ayant une entente spécifique
ponctuelle ou à long terme.
40 Cette incertitude peut être liée à la nature de l'engagement, à ses exigences, à sa durée, aux modes et types
d'investissements, à ses tensions, et à ses résultats.
72
alliance qu'est le jumelage repose sur le « codéveloppement qui passe par l'élargissement
des réciprocités de base (celles établies à l'origine de l'accord) et la recherche continue
d'espaces coopératifs féconds » (Gherzouli, 1997:73).
Car la notion de projet est au cœur du partenariat. Celui-ci a trois dimensions : le
prolongement de ce qui est, la transformation de ce qui a été, et la réalisation de ce qui n'est
pas, l'objet du projet est appelé à être. Les déplacements vers l'autre traduisent chez les
acteurs un besoin tout autant qu'un projet. L'idée de projet renvoie comme le signale
Guilbert (1994:165) à deux aspects fondamentaux : « celui d'une quête, compris au sens
sémiotique du terme de la tension du sujet vers l'objet relié à une intention » c'est ce que
nous nommons la posture, et celui « d'une intentionnalité, du projet de vie de l'individu
conscient de ce vers quoi il tend », c'est la position. La finalité du projet doit être reliée aux
motivations et au contexte des déplacements vers l'autre.
Pour que le projet se concrétise, il faut qu'il y ait la conviction partagée du bien-fondé de
l'entreprise. Ce qui veut dire que la nécessité de l'échange est une valeur commune, mais
pour qu'il y ait échange, il faut que chacun ait confiance que l'autre va coopérer. S'engager
à coopérer avec un autre dont on a une connaissance limitée et dont on ne peut prédire avec
certitude ses actions futures implique nécessairement de lui accorder sa confiance
(Neuville, 1997), mais il n'en demeure pas moins qu'accorder sa confiance dans ce contexte
imprégné d'ignorance est un geste risqué. Comme le rappelle Neuville « la coopération
interindividuelle sur le long terme traduit une double problématique du risque et de
l'engagement, décomposée en trois éléments fondamentaux : la confiance (engagement
risqué), l'opportunisme (risque de l'engagement) et le contrat (limitation des risques par
formalisation partielle des engagements) , mais parce que « le contrat ne fait pas lien (...),
mais qu'il le présuppose » (Roman, 1996) sans un minimum de confiance le lien de la
relation partenariale comme tout lien social ne pourrait être « ni ne saurait perdurer »
(Lallement, 1994:128).
Le lien social est basé sur un système de confiance : dans l'interaction de la vie quotidienne,
la confiance que l'autre reproduira et réactualisera la règle(Cordonnier, 1994) : dans
l'espace social, il s'agit de « l'éthique partagée et historiquement construite » (Fukuyama,
1997) qui se traduit au niveau systémique par la confiance partagée dans les vertus des
73
différents systèmes sociaux, ce que Luhmann (1979, cité dans Lallement, 1994) nomme la
confiance en la confiance. Cependant, si selon Simmel, ces deux principes sont constitutifs
de la société moderne (1987 cité dans Lallement, 1994) il est évident que les deux ne
cohabitent pas avec la même énergie en tout temps. L'appel au partenariat lancé par l'État
n'est-il pas une invitation à raviver la confiance envers les institutions, envers le politique ?
La réponse que donnent les acteurs du communautaire n'est-elle pas la manifestation d'un
désir d'aller vérifier le bien-fondé de cette confiance ? Les nouvelles formes de partenariat
qu'établissent les acteurs du communautaire entre eux et avec les personnes qui bénéficient
de leurs interventions ne sont-elles pas un désir de rétablir la confiance en l'autre ?
L'alliance du jumelage n'est-elle pas la démonstration de la confiance en l'autre en tant
qu'humain et en la collectivité en tant qu'unité de sens ? La confiance est la pierre d'assise
de la relation partenariale, elle est le premier jalon de cette construction sociale.
En fait, la confiance est un processus dynamique qui se traduit par une forme d'abandon
d'une certaine autonomie, une attribution d'un certain pouvoir en échange d'une garantie
d'une qualité d'être ou d'action : la reconnaissance. « La confiance est donc une relation
d'échange régie par une norme de réciprocité » (Karpik, 1996:528) ancrée dans l'historicité
et liée au temps. Elle s'enracine dans un présent co-construit, se nourrit d'un passé lointain
et de la mémoire réactivée lors de chaque expérience « à travers les grilles de lecture des
représentations » (Servet, 1994:46). La confiance, tout comme le don, ce non-dit du
partenariat « n'est pas étrangère au savoir, mais dans un au-delà de la connaissance, elle
s'enracine dans une représentation particulière du monde » (Karpik, 1996:529) :
l'intangible.
Mais parce que donner sa confiance à autrui n'est pas sans risque, « de se tromper ou d'être
trompé » (Karpik, 1996), que exit (défection) peut toujours être préférée à voice (prise de
parole), les acteurs voudront avoir un minimum d'assurance et chercheront les signes qui
permettront de les réconforter dans leur choix.
Ainsi, la foi en l'autre ne suffit pas à elle seule à assurer le maintien de la confiance : que
celle-ci soit entre supérieurs et subordonnés (confiance verticale) ou entre individus ayant
des statuts égaux (confiance horizontale) (Servet, 1994). Les acteurs impliqués dans une
relation auront donc recours à ce que Karpik (1996) nomme des délégués de jugement (de
74
connaissance) et de promesse, ce que Servet (1994) nomme des éléments de validation ou
de preuve de la parole donnée. Si ceux-ci ne suffisent pas ou ne donnent pas les résultats
escomptés, on aura recours à des mécanismes de coordination plus classiques : l'autorité
(hiérarchie) et le prix (libre marché ou concurrence) Neuville, 1997).
En fait, de rappeler Servet, analyste du jeu social et Karpik analyste du jeu économique, si
la confiance est au départ un acte de foi, l'acteur a besoin de manifestations qui lui
donneront raison de croire en l'autre, entre autres, celle du don.
3.1.4.2. Le don
Pourquoi donne-t-on ? – « Pour faire partie d'un monde où les choses circulent et nous
reviennent et où on veut en être » –, telle semble être la réponse la plus courante (Godbout,
1995:47). Ainsi le don serait au service d'un lien social (Godbout, 1992, Petitat, 1995,
Ferrand-Bechmann, 1992) d'un vouloir être-ensemble. Il est le lien communautaire, il
exprime le désir d'avoir une place indéterminée dans l'univers, ce qui, croyons-nous, rejoint
la théorie de la complexité (Morin, 1990) l'individu veut être une partie du tout, en même
temps qu'intégrer le tout en soi.
Le don réciproque va de pair avec l'indétermination, les modalités et l'ampleur du retour : il
implique confiance et foi. Le don n'est pas gratuit, écrit Mary Douglas (1989, cité dans
Godbout, 1992), il sert à nouer des relations sociales parce qu'une relation sans espoir de
retour n'en serait pas une. Le don en fait ne serait pas un don absolu. Il y aurait toujours
implicitement la réciprocité, une « réciprocité restreinte dyade symétrique ou généralisée
ouverte, en chaîne sous la forme de transmission » (Godbout, 1992 :135), une réciprocité
située dans le temps.
Parce que le don est porteur d'identité, « le don conserve les traces des relations antérieures
au-delà de la transaction immédiate, il en a la mémoire » (Godbout, 1992:241). Il porte
aussi en lui le secret, l'implicite, le non-dit, l'ambigüité. C'est pourquoi l'analyse du contexte
de la relation, de l'espace imaginaire de l'échange de l'anthropologue-sémioticien Petitat
(1995) est si importante. A notre connaissance, il n'existe pas semblable analyse qui ait
75
tenté de définir le cadre normatif de l'échange, ses axes de référence, ses règles du jeu. Les
acteurs du don créent leur propre histoire dans le geste du don et ils le font dans un espace
relationnel normatif, l'espace normatif de leurs échanges (Petitat, 1995). De plus, le don se
situe dans un « utopos », un espace imaginaire un lieu nouveau a-historique, relationnel et
identitaire. Prendre en considération l'espace normatif des échanges, c'est considérer les
rôles des acteurs, les attitudes et les contextes du don. Parmi les axes de référence, l'axe
détermination/indétermination est, souligne Petitat, l'un des plus importants. » Le don
réciproque va avec une indétermination de la nature, de l'ampleur et des modalités du retour
» (Petitat, 1995:35). Et dans l'espace du jeu de l'échange, il ne faut pas oublier que l'objet-
usage, l'objet-valeur qui est l'enjeu du don est aussi « un objet-signe parmi d'autres objets-
signes », un objet-synthèse combinant des "substances" tangibles et invisibles (biens,
influence, etc) et des styles d'échange tels le degré de gratuité et d'intérêt, de liberté et
d'obligation... » (Petitat, 1995 :17).
Au risque de nous voir accuser, par Godbout, d'être utilitariste, « de ne voir qu'intérêt dans
le don », nous croyons qu'il est essentiel de ne pas minimiser cet aspect de l'engagement.
Réfléchir sur le don, c'est d'abord se poser la question sur les motivations qu'ont les acteurs
à entrer dans l'espace du don, sur les rôles qu'ils y tiendront, mais c'est aussi se demander
quels seront les bénéfices qu'ils en retireront, ce qu'ils gagneront ou perdront (ou auront
l'impression de gagner ou de perdre) en tant qu'individus (groupe et société) dans l'échange.
Car même si on célèbre « les plaisirs du don et non plus les sacrifices » comme le rapporte
Godbout (1990) il y a un enjeu et un risque dans l'échange.
En effet, si le don appelle un contre-don, il peut aussi y avoir absence de contre-don. Car si
l'individu a une responsabilité du lien, cette responsabilité libérée de toute contrainte peut
être dépassée au profit de l'exit (Hirschman, 1977). Cette notion empruntée au système du
marché signifie que chacun est libre de poursuivre ou d'arrêter la relation d'échange, de
quitter le cercle de l'échange lorsque la nature de l'échange ne lui satisfait pas, selon les
termes du contrat (marchand ou moral dans le cas qui nous préoccupe) ou (de l'absence de
contrat). Si Godbout dans son Essai sur le don le mentionne, il n'insiste peut-être pas assez
sur cette question tout comme il ne parle pas suffisamment, comme le mentionne
Schwimmer (1995) du don pouvoir/soumission, du don asymétrique. Nous croyons qu'il est
particulièrement important dans la relation de jumelage de parler de la notion d'exit et de la
76
relation asymétrique, parce que l'exit pourrait provoquer le ressentiment envers non pas
seulement un individu, mais aussi envers tout un groupe social, parce que la relation
asymétrique pourrait confirmer le sentiment de supériorité, entre autres celui du membre de
la société d'accueil ou conforter le sentiment d'ethnocentrisme.
Les disciples de Mauss voient dans le don une alternative à la centralisation-redistribution
opérée par l'État et la dépersonnalisation-aliénation du marché (Petitat, 1995 :21). Cette
position, contestée par les anthropologues Schwimmer (1995) de même que par Cellier
(1995) et questionnée par nous-mêmes, met en opposition/disjonction le mouvement de
l'âme vers autrui et la gestion rationnelle des ressources disponibles, l'échange/don et
l'échange/marchand comme si nous assistions à une répartition irrévocable, une pure
atomisation. Plus intéressante est cette conception des maussiens qui considèrent qu'alors
que l'État a vis-à-vis de l'individu une responsabilité informelle définie en termes de droits
et d'égalité, dans le don, chaque individu aurait une responsabilité du lien avec l'autre, où
chacun se reconnaîtrait en tant qu'unique : c'est le contrat moral et le contrat social. Les
différences personnelles contribueraient au dynamisme du système du don contrairement à
l'État qui est embarrassé par elles.
Façon particulière aussi de se situer dans le cycle relationnel de l'univers, où les enfants
rendent leurs parents grands-parents, où selon les termes de Lewis Hyde (1983 cité dans
Godbout, 1992) tout don tend à retourner à son lieu d'origine (original homeland). Le don
est un système ouvert, un système de relations sociales, un mouvement social perpétuel,
constitué de « rythmes, d'alternances qui lui procurent les conditions nécessaires à son
maintien » (Godbout, 1992:267)
Par ce mouvement perpétuel, le don exige un déséquilibre, une non-équivalence (Godbout
1992, 1995, Petitat 1995; Lacan, 1975) « l'équilibre du don est dans la tension de la dette
réciproque » (Godbout, 1992:300). On reçoit plus que ce qu'on a donné, on donne plus que
ce qu'on a reçu. On peut alors se demander si le don ne serait pas qu'une histoire de manque
ou de surplus ? Une occasion d'aller chercher ce qu'on n'a pas, en donnant ce qu'on n'a pas,
ce qu'on voudrait avoir. Le bénévolat en tant que don moderne entre étrangers, où le « don
tend à ce que l'inconnu soit le moins étranger possible » (Godbout:1992, 141) posséderait
aussi cette tension de la dette. On peut se demander alors pourquoi certaines personnes dans
77
cette société de libre-échange, du donnant-donnant, où l'on ne veut rien devoir à personne
s'engagent dans une relation de don où il y a espoir de retour donc une certaine obligation,
qui se situe dans le temps, à rendre plus que ce qu'on nous a donné. On doit réfléchir aussi
sur cette notion de dette, quelle est la dette de celui qui est aidé dans ses premières
démarches d'intégration, quelle est celle de l'individu qui l'aide à évoluer dans ce processus,
quelle sera celle de la société d'accueil ? La dette est-elle liée à une certaine forme de
respect de l’engagement ?
3.1.4.3. L'engagement
Revenons aux motivations du désir de l'être-ensemble ? Pourquoi l'acteur se lie-t-il,
pourquoi coopère-t-il ? Ou qu'est-ce qui fait en sorte qu'un acteur initie le jeu coopératif ?
Et qu'est-ce qui fait que l'autre y répond ? Pourquoi échanger alors qu'on préfère recevoir
sans donner ? Pourquoi donner si on ne reçoit rien ? (Cordonnier, 1994). Nous sommes
tentée de répondre tout comme Pagé (1995) parce que le lien social de la coopération fait
référence à l'importance de la responsabilité individuelle, au sens de l'initiative de
l'engagement, de l'être doté d'autonomie, être qui est conscient de son historicité.
Mais comme nous l'avons mentionné, coopérer avec l'autre contient une part d'indéterminé
et une part de risque. Il y a la possibilité du non-retour ou de la défection. Ainsi, comme le
souligne Cordonnier (1994), l'acteur doit prendre « l'initiative d'une perte », ce principe de
l'échange marchand. Et pourquoi prendre l'initiative d'une perte ? Ici nous nous approprions
la réflexion de Cordonnier (1994:110-111): parce que « l'action humaine est au plan des
motivations la seule manière de se révéler aux autres » ainsi « invoquer le lien social c'est
admettre que l'on agit pour les autres » . Donc, on donne non pas pour recevoir, mais « pour
que l'autre donne » (Lefort 1951, cité dans Cordonnier, 1994). On agit pour que l'autre à
son tour agisse, qu'il agisse en retour. On prend l'initiative d'une perte, on risque pour que le
lien se crée et se perpétue. « On coopère pour que l'autre coopère » (Cordonnier, 1994).
Goffman, se référant à Shelling et à sa théorie des jeux, nomme engagement « la posture
qu'adopte un individu lorsqu'il tente sa chance et, partant, court aussitôt des risques de
78
perte. » Tout en admettant qu'il y a dans l'engagement une part de risque, nous croyons que
l'engagement présuppose une prise de conscience et une acceptation de cette prise de
risque, qu'il nous faille donc parler de risque assumé. Les relations partenariales permettent
le partage de risques, mais pour ce faire elles demandent l'engagement mutuel des
partenaires (Gherzouli, 1997).
Dans l'engagement, il y a, comme le mentionne Jean Ladrière (1967 :3), deux aspects : la
conduite et l'acte. La conduite d'engagement est une posture par laquelle « on assume
pleinement une situation donnée, dans laquelle on accepte de prendre ses responsabilités. »
face à un état des choses, une situation qui contient une part d'indéterminé. La conduite
d'engagement nous amène à poser des actes, actes qui nous inscriront dans le cours des
choses où d'autres actes sont posés : nous entrons dans l'écologie de l'action, dans
l'imprévu. Comme le souligne Ladrière, « l'action ne prendra sa véritable dimension que si
elle comporte une certaine continuité. »
L'acte d'engagement ou « l'engagement-acte » est une décision où l'individu « se met en jeu
lui-même » (1967:4). Par cette mise en situation, l'individu lie son avenir et celui des
autres. L'engagement-acte devient promesse en même temps qu'il s'inscrit dans le présent.
Mais un des risques de l'engagement est de ne plus pouvoir recourir à exit parce que la perte
de l'investissement est plus importante que l'alternative qui s'offre. D'où la tension continue
au sein de l'espace social de la coopération (ou de tout autre espace social) entre la
poursuite de l'intérêt individuel (l'indépendance) et l'élargissement des intérêts communs
(l'interdépendance) et l'importance que revêt la capacité de chacun à dialoguer, à occuper
un espace intermédiaire. Et la capacité de chacun à dialoguer repose sur le pouvoir de
négociation.
3.1.4.4. La négociation
Comme le souligne Amselm Strauss, sociologue interactionniste, la négociation est à la fois
un moyen que les acteurs utiliseront pour obtenir quelque chose et un processus complexe
79
où des visions se confrontent, des représentations se manifestent. Un processus au cours
duquel les acteurs déploieront des stratégies adaptées et particulières dans le but de réaliser
au plus près leurs désirs projetés. Mais avant tout, la négociation est un « acte de
reconnaissance » (Borzeix, 1987). Acte de reconnaissance parce que, comme le souligne A.
Borzeix, par elle, on reconnaît à l'individu le « droit d'être considéré comme partie
prenante, partenaire à part entière pour les affaires le concernant. » Accepter qu'un individu
participe au processus de négociation c'est donc lui reconnaître une qualité, celle de la
responsabilité individuelle, et un attribut, celui du « sens de l'initiative » : le « lien social de
coopération » (Pagé, 1995) est celui d'individus individualisés.
Le lien social implique une coexistence, le lien social de coopération indique une volonté
des acteurs de « dégager des interstices, des marges à l'intérieur desquels la coexistence est
possible » (Cohen-Emerique, 1993). Le processus de la négociation reposera, comme le
rappelle Cohen-Emerique, sur l'élaboration de compromis où chacun se reconnaît « en
tolérant l'autre » ou en « créant de nouveaux modèles. » Ce qui est important donc dans la
négociation, et en cela nous reprenons les propos de Enriquez, c'est le processus en lui-
même, c'est le moment de la négociation, « le moment où des acteurs sociaux sont en
situation d'apprentissage, d'expérience, de découverte de soi » (Enriquez, 1997) et de
l'autre. C'est aussi souligne Enriquez, « ce qui s'est passé et qui laisse des traces
indélébiles».
Lorsqu'on parle de processus, il faut aussi parler de dynamique. Le processus de la
négociation est animé par la diversité des points de vue des acteurs impliqués, ce qui
signifie de possibles conflits, de probables oppositions, qui eux-mêmes sont influencés par
le contexte immédiat dans lequel se déroule la négociation, ce que Strauss nomme le
contexte de négociation, et par le contexte structurel influençant le contexte de la
négociation (Strauss, 1992). Deux jumelés négocient l'observation de certaines normes
comportementales et le point de convergence devra tenir compte de la représentation que
s'en fait l'immigrant, de la représentation que s'en fait le Québécois, mais aussi du contexte
social où s'inscrit l'observation de la dite norme. Des intervenantes négocient une certaine
autonomie d'intervention, le contexte de la négociation est influencé par la représentation
du pouvoir, par le contexte organisationnel, mais aussi structurel et politique.
80
La capacité à dialoguer rappelle Pagé (1995), « à coconstruire avec d'autres un
aménagement social » est, souligne Enriquez, « un moment essentiel de notre vie sociale. »
La capacité de négociation que ce soit dans la relation du jumelage proprement dite ou dans
l'intervention sociale du jumelage est liée au processus d'adaptation, c'est-à-dire, comme
nous l'avons mentionné, inspirée par Ferrié et Boëtsch (1993:243), aux possibilités et à la
capacité qu'a un individu de se mouvoir à travers des codes différents et d'investir entre eux
des formules de connexion satisfaisantes.
3.1.4.5. L'adaptation mutuelle
Pouvoir se mouvoir à travers des codes différents exige de l'individu « une tolérance à
l'ambiguïté » (Taft, 1981) à l'incertitude, à l'imprévisible.
La rupture avec le bien-être de la certitude de ses propres référents culturels, « l'inconscient
collectif », serait prévisible parce que lorsque deux individus, deux groupes, se référant
chacun à sa manière à deux systèmes culturels différents, entrent en communication, se
manifeste d'abord la confrontation entre deux manières d'imaginer la réalité, de la
construire (Doutreloux, 1991, Lipiansky, 1989, Guilbert, 1994, Cohen-Emerique, 1994).
Cette manière d'imaginer la réalité prend ses assises dans les références du passé, du
présent et les projections dans l'avenir. Voilà pourquoi tout désir de changement, de
déplacement fait cohabiter l'espoir, sentiment associé à un meilleur futur, avec la crainte,
sentiment lié aux expériences passées. La dialectique de ces deux sentiments se retrouve
dans la notion de l'altérité, qui implique à son tour les dimensions d'ouverture, de fermeture,
du connu et de l'inconnu, du familier et de l'étranger, de la continuité et de la rupture.
Lipiansky (1989:152), lorsqu'il parle de la rencontre interculturelle dans laquelle s'engage
l'émigré québécois, la décrit comme une tension entre « une démarche d'ouverture, un désir
de contact avec des personnes ayant une autre identité et d'autre part un sentiment
d'insécurité dû à la confrontation avec cette identité différente. » Mango (1988:14) parle
d'une double tension sollicitée par la vie d'exil : « celle qui appelle et désire du côté du
natal, de l'intime, du familier, de la source, et celle qui appelle et désire du côté de
81
l'étranger, de l'inconnu, de l'universel, de la dispersion. » Cette dialectique de l'ici et de
l'ailleurs qui porte les individus au-delà des frontières de leur propre système culturel crée
une situation de déséquilibre, il y a alors fragilisation des repères et des référents habituels.
L'identité de lieu, cette liaison imaginaire à l'espace, créée consciemment ou non, qui fait de
certains lieux des ancrages psychologiques, qui insuffle à l'individu le sentiment
d'enracinement (Munoz, 1994), cette identité est compromise. Alors, il y a risque de repli
sur ce territoire connu, l'espace lié au milieu d'origine, et c'est la représentation de cet
espace qui entre en jeu. Dans ces moments de crise identitaire, l'espace nouveau du
partenariat, de la rencontre avec l'autre devient un non-lieu, un lieu privé de sens (Augé,
1992). C’est ainsi que « la naissance à une redéfinition de son identité s'accompagne d'un
deuil nécessaire » (Guilbert, 1996:83). Le deuil est une dimension intrinsèque de
l'expérience de l'immigration, encore plus marquée chez celui qui ne peut envisager un
possible retour. Mais le deuil est une étape à laquelle seront confrontés aussi les membres
de la société d'accueil. Le deuil est l'acceptation du changement : changement de la
composition ethnique et culturelle, la re-définition de qui nous sommes, le deuil de l'entre-
nous. « Une opération clé de l'adaptation mutuelle, (...) qui est un travail d'harmonisation
entre les attentes de chacun et celles de la société (...) réside dans ce travail de deuil »
(Guilbert, 1995:83, 1996:83). Ce travail d'harmonisation se retrouve aussi dans la notion de
citoyenneté.
82
3.2. Le jumelage
3.2.1. Similitudes et différences entre le mentorat et le jumelage
Le jumelage possède des similitudes avec le mentorat, le jumelé avec le mentor : quelles
sont-elles ? Nous présentons certaines qualités attribuées au mentorat et au mentor par
Renée Houde, professeure en communications puis nous préciserons ce qui différencie le
jumelage du mentorat.
La relation de mentorat, selon Houde (1992), s'inscrit dans un cadre d'apprentissage et se
déroulera dans des contextes académique, professionnel ou organisationnel. Les objectifs
d'apprentissage et les mécanismes d'évaluation sont fixés dès le début de la relation jusqu'à
terme. Le mentorat a comme finalité l'intégration chez le protégé ou l'apprenti de nouvelles
compétences et du même coup son autonomie. La relation de mentorat est une relation
circonscrite dans le temps. Si la relation est au départ de type complémentaire et
asymétrique, celle-ci doit évoluer vers un rapport symétrique, indicateur de la réussite du
mentorat et annonciateur de la fin de la relation.
La relation de mentorat favorise une identification entre les deux personnes, ce qui
développe chez l'apprenti un sentiment d'appartenance au groupe de référence auquel le
mentor appartient et dans lequel l'apprenti s'introduit progressivement. Ce rapport
d'identification comporte le plus souvent une composante affective qui, selon Houde, fait
de la relation de mentorat « l'une des relations les plus importantes, les plus significatives et
les plus complexes de la vie humaine » (idem:25). Il faut mentionner cependant que cette
composante affective se réalise dans le cadre structurant d'une distance professionnelle et
que la relation doit se libérer de l'aspect « fusionnel » du début de la relation, dans le cas
contraire cela signifierait l'échec de la relation de mentorat.
Le mentorat est une relation de réalité, relation au cours de la quelle il y a « des transactions
réelles entre les deux personnes en cause » (Houde, 1995:26). Des échanges de
connaissances, de représentation et d'attention ont lieu, que ce soit dans le domaine
83
interpersonnel ou professionnel. Le mentor, d'une certaine manière, tient un rôle de passeur:
il transmet des connaissances, des savoir, des normes et des modèles de comportement
attendus par le groupe (corporation ou autre).
La relation de jumelage présente certaines caractéristiques similaires à la relation de
mentorat, mais s'en éloigne sur plusieurs points. Elle a aussi un commencement, un
déroulement et une fin quoique, et malgré le terme d'un an inscrit dans les programmes de
jumelage, la durée de la relation fluctue beaucoup d'un couple de jumelés à l'autre, selon
plusieurs facteurs circonstanciels et d'affinité. La relation de jumelage comporte une
dimension d'apprentissage dans la poursuite de son objectif d'aider le nouvel arrivant à
progresser rapidement dans son insertion sociale et son adaptation à la société québécoise.
En ce sens, la relation de jumelage est aussi asymétrique et se départit difficilement de cette
caractéristique.
Par ailleurs, les contours de cette relation asymétrique sont moins précis que dans la
relation de mentorat. Les objectifs d'apprentissage sont le plus souvent non exprimés
verbalement ni toujours clairement pensés dans la conscience des deux jumelés: en
conséquence la notion d'évaluation des apprentissages est quasi absente sinon absente de la
relation de jumelage. La perspective de développer une relation d'amitié permet d'aspirer à
la construction d'une relation symétrique dans laquelle des échanges de réciprocité
s'établiraient. Toutefois la relation inégale et complémentaire du mentor et de l'apprenti
peut perdurer sous la figure de l'ami, et si parfois, la transformation d'un type de rapport à
un autre se fait positivement, un certain nombre de cas de figures présentent une relation à
la fois complémentaire et fusionnelle qui s'apparente au modèle mère-enfant. Le jumelé
accueillant tient aussi un rôle de passeur : il ouvre l'accès à la connaissance et à la
compréhension des valeurs, des normes culturelles, des modes de comportement de la
société d'accueil. Nous précisons que dans le cas du jumelage, l'immigrant peut aussi jouer
le rôle de passeur pour l'émigré québécois en lui révélant des choses sur lui-même ou sur sa
société.
La notion de passeur retient notre attention pour comprendre le rôle de « partenaire
transitionnel » (Houde, 1995:27) que tient le jumelé accueillant auprès du jumelé accueilli.
En effet, le jumelé accueillant est une figure de transition : d'une part parce que le jumelage
84
se situe à un moment de transition dans la vie de l'immigrant, dans les premiers mois ou
années de son installation dans son pays d'adoption et, d'autre part parce que le jumelage est
une relation passagère qui répond à des besoins spécifiques à un moment précis dans le
parcours de vie et dans le processus d'intégration et d'adaptation à un nouvel
environnement.
La relation de jumelage est donc une rencontre interpersonnelle, produite et reproduite qui
s'échelonne dans le temps de façon non déterminée, et se transforme. Une interrelation qui
procure l'occasion d'échanger et de découvrir l'autre dans l'espace relationnel informel.
3.2.2. Le jumelage, « l'utopos » de la rencontre
L' immigrant qui a quitté un lieu spatial lointain, sa mère patrie et qui a imaginé une terre
d'accueil, le Québec, est jumelé à un Québécois qui quitte momentanément l'espace de sa
routine, son banal, parce qu'il a imaginé un ailleurs. L'intervenante sociale, responsable du
programme jumelage, confrontée aux attentes de l'un et de l'autre, s'interpose pour que la
rencontre ait lieu dans un espace interculturel. Dans cet espace relationnel, dans cet espace
de créativité cohabitent la notion de deuil, de rupture, de discontinuité avec la notion de
renouveau, de découverte, de continuité. Un lieu où il y a équilibre et déséquilibre. Parce
que le geste vers l'autre est libre et incomplet, le poser c'est accepter un risque, c'est définir
ce risque comme condition préalable à tout lien social, c'est entrer dans l'écologie de
l'action. Edgar Morin précise que celle-ci est un univers d'interactions et que « le sens que
l'action prend peut être contraire à l'intention initiale » (Morin, 1990:107). Le jumelage
procède d'un désir d'instaurer une rencontre entre un citoyen accueillant et un immigrant
accueilli afin que se développe une interaction qui se transformera en relation. La rencontre
avec l'autre est susceptible de provoquer une modification profonde dans la vision du
monde de l'individu, c'est ce que nous nommons « l'utopos », le lieu à venir.
85
3.2.3. Le contexte de la relation interculturelle : les concepts d'interactionet de choc culturel
La relation de jumelage est une relation interpersonnelle, interculturelle et sociale, où il y a
interaction entre deux individus porteurs de différentes cultures et ayant des parcours de vie
en certains points différents, en certains autres points semblables. Au cours de cette
interaction les individus se donnent mutuellement un sens (Guilbert, 1993; Cohen-
Émerique, 1993; Abdallah-Pretceille, 1983). Selon Marc et Picard (1989:15) « toute
rencontre suppose des interactants socialement situés et caractérisés et se déroule dans un
contexte social qui imprime sur elle sa marque en lui apportant un ensemble de codes, de
normes et de modèles qui à la fois rendent la communication possible et en assurent la
régulation. » Toutefois dans la relation de jumelage, la rencontre avec l'autre, porteur de
références à un autre système socioculturel, est susceptible de provoquer une modification
profonde dans la vision du monde de l'individu, dans son rapport aux valeurs de la culture
d'origine. Elle est susceptible de faire naître des bouleversements, des remises en question.
Après avoir été les premiers à étudier le phénomène de la marginalisation des groupes
ethniques, notamment avec l'École de Chicago, les chercheurs américains ont introduit le
concept de choc culturel. L'anthropologue Oberg (1960) fut le premier à l'utiliser. Il attribue
le choc culturel à l'angoisse provoquée par le sentiment de perdre tous les signes et les
symboles qui nous sont familiers dans le cadre des relations sociales. Ces signes et
symboles font partie des multiples comportements et attitudes que nous adoptons dans la
vie quotidienne (cité dans Furnham, Bochner, 1986:48). Ce concept est repris aujourd'hui
dans maintes études sur la relation interculturelle. On parle alors de « déséquilibres », de «
rupture causée par la conscience des différences, des caractéristiques de soi et de l'autre,
génératrice de distance culturelle » (Guilbert, 1990:17; Apfelbaum, Vasquez 1983:85), de
réaction d'impuissance devant notre incapacité à contrôler ou à prédire le comportement de
l'autre (Bock 1970, cité dans Bochner 1986:51). Ce sentiment de ne pas pouvoir déchiffrer
le langage de l'autre que ce soit au niveau de son espace, de son temps, de ses codes
sociaux et de ses rituels (Hall, 1986) provoque « une réaction de dépaysement, de
frustrations, de rejet, de révolte et d'anxiété. Cette situation émotionnelle et intellectuelle
apparaît chez les personnes qui, placées par occasion ou profession hors de leur contexte
86
socioculturel, se trouvent engagées dans l'approche de l'étranger » (Cohen-Émerique, 1985
cité dans Hohl, Cohen-Emerique, 1999:107).
Mais dans l'espace de la rencontre et comme le soulignent Janine Hohl et Margalit Cohen-
Émerique, suite à l'analyse approfondie de chocs culturels racontés par les professionnels et
« travaillés avec eux », le choc culturel peut aller au-delà d'une confrontation culturelle et
toucher le cœur de l'identité. Ainsi, reprennent-elles l'hypothèse de Zaharna (1989) voulant
que le choc culturel se transforme dans ces situations, en un « self shock », c'est-à-dire en
un choc identitaire.
L'étude de psychologie appliquée de Bochner (1986) sur le choc culturel qu'éprouvent
différentes catégories d'immigrants présente une typologie des variables qui peuvent
influencer le contexte du contact interculturel : les motivations du contact, la durée, le type
d'engagement et les conséquences du contact sur le groupe et sur l'individu. Cette étude,
comme certaines autres le feront par la suite (Doutreloux, 1991, 1993; Lipiansky, 1989;
Guilbert, 1993, 1994, Abou, 1986; Laperrière, 1993), a le mérite d'insister sur le fait que le
contact interculturel procède d'une interaction qui a un impact sur les deux individus ou
groupes mis en présence. Ainsi le contact entre deux personnes fait naître des
transformations qui sont en fait des adaptations à un contexte nouveau, ce processus de
transformation du rapport que l'individu entretient face à certaines valeurs de la culture
d'origine, Guilbert le qualifie de « transform culturel » (1993:117). Ce concept de «
transform culturel » trouve ses racines, même s'il s'en distingue par l'investissement
axiologique du sujet (Dumont, 1991, Greimas, 1983, cité dans Guilbert, 1995), dans les
travaux de Werner et d'Espagne (1988) sur les transferts culturels franco-allemands, dans
les travaux sur les Transferts, adaptations et emprunts culturels en Nouvelle-France de
l'historien Jacques Mathieu, de même que dans les notions de désorganisation et de
réorganisation que les sociologues Park (1921) et Frazier (1932) de l'École de Chicago
associent aux définitions de l'adaptation et de l'assimilation. Ce concept s'inscrit dans un
nouveau champ de recherche, celui du rapport que l'individu entretient avec les systèmes de
référence culturelle de son groupe d'origine et d'un groupe autre, de leur interaction et du
processus qui y est lié : l'acculturation (acquisition de nouveaux traits culturels).
87
En effet, dans nombreux domaines des sciences humaines et sociales, on constate une
émergence de la notion d'interaction dans les réflexions épistémologiques et empiriques : le
rapport entre le soi (objet, sujet) et la culture, de même que le rapport entre le soi (objet,
sujet) et l'autre (objet, sujet) et sa culture, est actuellement un thème important de la
réflexion scientifique.
Clanet (1990:21) apporte des éléments de réflexion épistémologique sur la notion
d'interculturel : il introduit les notions de « réciprocité dans les échanges et de complexité
dans les relations entre cultures » alors que le sociologue Selim Abou parle des problèmes
de l'acculturation.
En France, les travaux de quelques ethnopsychologues et sociologues des écoles de pensée
structuraliste abordent la notion de rencontre « où la communication y est médiatisée par
les représentations que les cultures se font les unes des autres » (Lipiansky, Ladmiral,
1989). On aborde la dialectique du je (identité) et de l'autre (altérité) et la problématique de la
réciprocité, du « comment instituer du commun dans l'altérité » (Camilleri 1989:363). Dans un
même courant d'idées, Taboada-Leonetti, Malewska-Peyre et Camilleri (1990) insistent sur
la mise en présence de modèles culturels différents qui provoquent des stratégies
identitaires. Ces stratégies identiraires sont, selon les termes de Malewska-Peyre
(1989:326) « l'ensemble d'opérations conscientes et insconscientes ayant pour but la
valorisation ou la revalorisation de soi. » Par ailleurs, Cohen-Émerique situe le contact
culturel dans un modèle intégratif des modèles de société « collectivisme et individualisme
» producteurs de filtres, d'écrans au niveau du système de représentations notamment dans
le milieu de travail du travailleur social. Car la forme que prendra l'échange dans la
rencontre interculturelle sera influencée par l'intentionnalité individuelle, oui, mais aussi
par l'agir collectif. La question sera d'identifier quels sont les objectifs individuels, quels
sont les objectifs communs ?
88
3.2.4. Le jumelage, le réseau, et la culture organisationnelle
Comme nous l'avons mentionné, la relation de jumelage est à la fois insérée dans un réseau
formel et informel de relations sociales. La notion de réseau social est pertinente si on veut
étudier l'impact qu'a la relation de jumelage entre nouveaux arrivants et membres de la
société d'accueil sur l'ensemble de la société. Car la relation de jumelage, si elle peut se
passer entre deux individus, peut aussi exister entre un individu et une famille, entre deux
familles. Par ailleurs, ceux-ci sont en relation avec d'autres membres de la société, en en ce
sens, la relation de jumelage est un système de relations sociales, un système ouvert.
La notion de non officialisation, de non-institutionnalisation et de non-hiérarchisation
oppose le réseau à l'appareil, à l'organisation. Le réseau fait référence à la sociabilisation, à
l'axe horizontal, à l'égalité, aux solidarités de base, alors que l'appareil fait référence à la
sociétation, à l'axe vertical, au pouvoir décisionnel (Lemieux, 1986). Si l'on adopte la
définition que donne Lemieux à la notion de réseau d'acteurs sociaux, le Réseau jumelage
interculturel serait un réseau intégral en ce qu'il est fait de liens d'identification entre les
intervenantes, liens serrés ou mi-serrés (forts ou faibles en intensité émotionnels). Au sein
de ce réseau intégral il y a une connexion directe ou indirecte de chacun des participants à
chacun des autres, ce qui permet la mise en commun des ressources dans le milieu interne
(Lemieux, 2000: 18).
Si l'on peut considérer qu'il existe un mini réseau, une triade, entre l'intervenante et la paire
de jumelés, et si l'intervenante peut élargir le capital social d'un jumelé en le présentant à
d'autres jumelés ou à d'autres acteurs sociaux, qu'en est-il des alliances entre les jumelés ?
Le jumelage est-il l'amorce d'un nouveau paradigme social, un réseau entre les nouveaux
arrivants et membres de la société d'accueil ? Dans tous les réseaux (d'acteurs) sociaux,
mentionne Lemieux, « il y a reconnaissance des liens et des appartenances et mise en
commun de cette reconnaissance » (2000: 21). Pour qu'il y ait réseau entre des acteurs
sociaux, en l'occurrence entre les jumelés, il faut que l'on y retrouve ces trois dimensions : «
la dimension de l'appartenance qui réfère aux liens d'identification, de différenciation ou
89
d'indifférence, celle de l'appropriation qui renvoie aux transactions et enfin celle de la
gouverne, du contrôle qu'exercent les acteurs les uns sur les autres » (Lemieux, 1999: 1).
Dans l'espace du jeu de l'échange, nous avons signalé, en nous référant à Petitat (1995 :17),
qu'il ne faut pas oublier que l'objet-usage, l'objet-valeur est aussi « un objet-signe », un
objet-synthèse combinant des « substances » tangibles et invisibles (biens, influence, etc)
et des styles d'échange tels le degré de gratuité et d'intérêt, de liberté et d'obligation.
Un réseau existe-t-il entre les jumelés et si oui de quel type de réseau s'agit-il ? Selon les
catégories de Lemieux (1976) un réseau peut-être intra-systémique (tel le jumelage, groupe
informel au sein d'un appareil, l'organisme communautaire) inter-systémique (un jumelage
peut être en relation avec un autre jumelage) trans-systémique (les processus de négociation
qu'il y a dans le jumelage seraient appliqués dans d'autres types de relation, d'autres
contextes) et para-systémique.
Le jumelage en tant qu'aide à l'intégration et rapprochement interculturel correspondrait,
selon la catégorie établie par Lemieux, à un réseau de communication, de partage
d'informations, d'affinités et de soutien. Alors que dans le réseau de communication et de
partage d'informations, ce sont les liens faibles en intensité émotionnelle qui font que la
circulation des ressources a lieu; dans le cas des réseaux de soutien, ce sont les liens basés
sur une forte intensité qui permettent l'élargissement des solidarités de base. En effet, dans
les réseaux de soutien, il peut y avoir un échange restreint entre deux personnes, l'échange
restreint est propre à la majorité des jumelages interculturels et, des échanges généralisés où
existe un fort degré de confiance à l'endroit de tous les acteurs concernés (Ekeh, 1974 cité
dans Lemieux 1999). Des liens d'identification serrés où il y a une importante mise en
commun permettent l'échange généralisé. Une importante mise en commun signifie selon
Granovetter (1973, cité dans Lemieux, 1999: 31) qu'il y ait du temps qui y soit consacré,
qu'il y ait de l'intensité émotionnelle, de l'intimité, des services réciproques. Degenne et
Forsé (1994 cité dans Lemieux, 1999: 31) ajoutent un cinquième trait : la multiplexité de la
relation qui se concrétise dans une pluralité des contenus de l'échange. Il nous semble
qu'une majorité de jumelages repose sur des liens mi-serrés, d'intensité moyenne, basés sur
la sympathie et l'échange de conseils et ont lieu dans un échange restreint, une dyade. Cela
pourrait expliquer que selon les résultats de l'étude, (Charbonneau, Dansereau, Vatz-
Laaroussi, 1999) l'objectif de la sensibilisation du milieu semble, a priori, le moins atteint.
90
Enfin, le jumelage peut être fondé sur une troisième catégorie de liens, des liens lâches,
liens composés à la fois par des liens d'identification et de différenciation et où l'intensité
émotionnelle est faible. Dans ce cas, le jumelage ne durera pas.
Par ailleurs si la relation de jumelage évolue, comme nous l'avons déjà mentionné, à
l'intérieur d'un réseau informel, si elle est une relation interpersonnelle, elle s'insère en
premier lieu dans une organisation, « dans une action collective à la poursuite de la
réalisation d'une mission commune » (Mintzberg, 1990:14)41.
Le sentiment pour l'acteur social d'appartenir à une communauté, source de stimulation
importante dans l'engagement, dépend de la capacité qu'a l'organisme de croire en son
idéologie42, de la transmettre et de développer ainsi un « esprit de corps », un « sens de la
mission », afin d'intégrer les bénévoles et les nouveaux arrivants jumelés à l'organisation
pour produire une synergie qui est liée à ces trois facteurs : le sens de la mission, le temps,
l'établissement des traditions, le système de croyance (Mintzberg, 1990). Cette incapacité à
transmettre l'idéologie fait dire à une responsable de la Fédération des centres d'action
bénévole du Québec : « Ce qui échappe aux bénévoles c'est l'ampleur de la portée sociale
de leur engagement » (1986, cité dans Robichaud, 1994:168).
Quels sont les processus d'identification que mettent en place les organismes
communautaires qui offrent le programme de jumelage ? L'identification passe-t-elle de
façon indirecte par la sélection des membres ou par les soirées d'information où se
réunissent les membres du groupe d'accueil ou encore lors des rencontres sociales entre les
membres du groupe d'accueil et les jumelés nouveaux arrivants où l'on célèbre les fêtes
traditionnelles de la culture québécoise. Ces moments sont-ils une occasion de transmettre
l'idéologie du programme de jumelage à travers « les traditions, le temps, les histoires, les
41 Il ne s'agit pas ici de faire une revue de la littérature sur la théorie des organisations. Il s'agit plutôt
d'identifier les éléments qui contribueront (ou non) au sentiment d'appartenance des bénévoles à une
communauté. Nous nous référons à Henry Minztberg, Le management, 1990, parce que sa pensée est
complexe, parce qu'il propose une vision holiste de l'organisation, du management.
42 Nous nous référons à la définition de l'idéologie de Minztberg « l'idéologie est la signification d'un riche
système de valeurs et de croyances concernant une organisation et qui est partagé par tous ses membres et qui
la distingue ainsi de toutes les autres organisations” (1990: 322).
91
mythes » (Minztberg, 1990) qui ont cours dans l'organisation du programme, dans
l'évolution des relations, dans leur insertion dans la société. Lors de ces soirées, est-il
possible de déterminer les forces progressistes et conservatrices, leurs complémentarités et
leurs conflits ?
Car si les jumelés d'accueil s'engagent dans une relation de jumelage pour des motivations
personnelles animées par des préoccupations égoïstes et altruistes, s'il est possible que tout
au long de leur engagement ils se fixeront des objectifs particuliers, leur engagement de
départ est basé sur un objectif commun qui est celui défini par l'organisme et par l'État :
l'aide à l'intégration des immigrants. La complexité du processus de l'intégration, si elle
implique la participation de chaque individu, si elle nécessite une certaine compréhension
individuelle du processus, demande aussi une acceptation collective des implications de ce
processus. Ces mobilisations collectives (selon Melucci, 1993:190) sont des espaces
nécessaires, des mécanismes de liaison, « où les liens deviennent explicites, où l'on permet
au réseau latent de faire surface et de s'agréger pour ensuite s'immerger à nouveau dans le
quotidien. » La tendance de plus en plus marquée des organismes communautaires vers la
bureaucratisation, la logique de l'efficacité où tout doit être quantifiable, alors que comme
le mentionne Minztberg « l'intégration, la croissance, la créativité dépendent en grande
partie de l'autre processus de pensée, en considérant les choses sous un aspect holistique à
partir d'une perspective de synthèse » (1990:500), peut-elle être un frein à l'élaboration et à
la transmission du sens de la mission ? Les conséquences envisageables seraient alors la «
perte des horizons » (Taylor, 1994), l'oubli de la portée sociale de l'engagement, le non-
sentiment d'appartenance à la communauté émancipée43, l'isolement, « le sentiment d'être
inutile parce que l'autre semble déjà tout savoir sur les mécanismes de la société d'accueil »
(bénévole, 1996).
43 La communauté émancipée est une des trois thèses de l'étude de Wellman et Leighton (1981). Cette thèse
affirme que les communautés continuent de prospérer dans la ville, mais qu'elles s'organisent rarement au sein
des quartiers (...). La communauté de voisinage n'est plus perçue comme un havre de sécurité et de soutien :
on ne fait plus appel aux institutions officielles pour tout résoudre. Il s'agit plutôt de mobiliser des réseaux,
d'en créer lorsqu'ils n'existent pas afin de fournir aux citadins des lieux où trouver assistance (cité dans
Gingras, 1991:44).
92
3.2.5. L'intervention sociale du jumelage
Des théoriciens et praticiens du travail social définissent l'action du travailleur social
comme une inter-position qui se traduit en rôles d'intermédiaire, de conseiller, de
médiateur, de facilitateur, de protecteur (Bilodeau et all, 1993:26). Dans le cas de
l'intervention du jumelage, l'interposition de l'intervenante se fera plus particulièrement
entre l'immigrant et le membre de la société d'accueil participants au programme. Nous
disons particulièrement car l'intervenante aura à s'interposer aussi entre le demandeur-
immigrant et les autres membres de l'organisme communautaire, entre les agents du
ministère subventionnaire du programme et les demandeurs, entre les autres acteurs et
institutions de la société et les demandeurs. Car tout en ayant sa propre vision du
phénomène, ses propres motivations à faire le jumelage, l'intervenante se confronte aux
visions, attentes et motivations des acteurs impliqués dans la relation proprement dite. Elle
se confronte également aux structures et à la culture de l'organisation, aux contingences du
programme, à son histoire, au système politique, aux représentations que se font les
différents acteurs de la société du phénomène de l'immigration et des relations
communautaires. Ainsi peut-on « appréhender la complexité de l'action du travailleur social
au centre d'une pluralité d'univers, de perceptions, de valeurs, de contraintes mettant en
scène des acteurs et des institutions multiples » (Bachman et Simonin, 1982, cité dans
Bilodeau et all, 1993:27).
Nous définissons le jumelage comme une intervention sociale. Et nous nous inspirons de la
réflexion de Ricardo Zuniga dans L'évaluation dans l'action. Zuniga écrit : « l'intervention
sociale (et l'action collective) renvoie à cette action novatrice qui est le produit d'une
conscience et d'une volonté de plusieurs de comprendre et d'agir sur une réalité sociale et de
la considérer comme un objet à transformer » . C'est une conscience d'un possible souhaité :
la situation pourrait être autre, devrait être autre : il faut qu'elle change, et pour qu'elle
change, il faut faire quelque chose, et non pas n'importe quoi « mais ce qui pourrait le
mieux produire un résultat conforme au changement social » (1992:26).
93
L'intervention dans le cadre du programme jumelage, est de rendre possible, par
l'élaboration et la mise en place de rituels, l'interaction entre trois acteurs sociaux
(intervenante, immigrant, membre de la société d'accueil) qui interagissent et s'influencent
mutuellement pour la réalisation d'un projet. Si le projet commun est la transformation d'un
état de non-relation à celui de relation (interpersonnelle) dans un but déterminé, qui de
façon officielle se veut être l'intégration de l'immigrant et le rapprochement interculturel,
chaque acteur a sa propre représentation de ce qu'elle doit être, a ses propres motivations
pour la faire être, et poursuit ses propres objectifs. De plus, l'action que l'intervenante
déclenche « confronte une réalité extérieure à son intention, produit des résultats imprévus,
ce qui exige une adaptation de sa part, une négociation, une transaction. S'ensuit un
apprentissage, qui est un changement, un enrichissement réciproque : les transformations
changent la réalité-objet tout en changeant l'intention-sujet » (Zuniga, 1992:27).
C'est ce que Edgar Morin nomme l'écologie de l'action, où l'effet de l'action ne peut être
prévisible pour le Sujet, en ce sens qu'elle le relie à un environnement qui ne lui est pas tout
familier, qui a sa propre autonomie. Le Sujet actant entre ainsi dans la complexité de
l'univers social où il y a une part certaine d'incertitude. Divers scénarios peuvent se
présenter qui n'auront été pensés ni par l'intervenante ni par les jumelés. De plus, le
jumelage est une rencontre entre des individus se référant à un moment ou à un autre, et de
façon variable, à des systèmes culturels, économiques, politiques et sociaux différents.
Nous avons donc lors de la mise en place de la relation trois acteurs (et parfois plus) en
interaction qui non seulement ont des parcours de vie différents, mais qui ont aussi des
motivations, des attentes, des intérêts, des objectifs différents.
L'incertitude de l'intervenante devant les choix, incertitude liée à la prise de conscience des
limites de ses propres compétences, est doublée des contraintes qui se présentent à elle :
contrainte de financement, de temps, de manque de ressources, manque de bénévoles, de
soutien, contrainte de formation, d'isolement. Ces contraintes sont à la fois systémique (le
système État/ONG qui établit une relation duelle) organisationnelles (la place de
l'intervenante au sein de l'organisme, le temps accordé au programme jumelage),
relationnelles (le vécu, la formation, motivations et personnalité de l'intervenante, le vécu,
les motivations et la personnalité des acteurs avec lesquels elle interagit), représentatives (le
phénomène de l'immigration tel que perçu par les membres de la société d'accueil) et
94
contextuelles (le profil de l'immigration et les mécanismes d'intégration ou de
non/intégration de la société québécoise).
Comment alors attribuer telle difficulté rencontrée à telle contrainte ? Quel lien
l'intervenante devra-t-elle établir entre ces contraintes, entre ces difficultés et contraintes ?
L'intervention sociale du jumelage dépasse la simple mise en place d'une relation sociale :
la complexité du processus migratoire et du processus d'intégration à laquelle est confronté
le nouvel arrivant, et indirectement son jumelé, aura une influence marquante sur la
dynamique relationnelle. Processus qui imprime l'espace de la relation de non-dits, de
silences, d'anxiétés, d'impatiences, d'attentes, d'incompréhensions pouvant produire du
ressentiment.
Chaque nouvelle dimension dans l'intervention apporterait son espace de contraintes et de
liberté. Cet espace de contraintes et de liberté implique que l'intervenante puisse faire des
choix et poser en toute légitimité un acte.
Un autre aspect de l'intervention auprès de nouveaux arrivants est celui de « traducteur de
la réalité de la société d'accueil » (Bilodeau et al, 1993). Ce rôle exige de l'intervenante une
prise de conscience de son identité socioculturelle, mais aussi une capacité de distanciation
qui lui permettra de relativiser ses propres valeurs et normes, de poser un regard critique sur
le fonctionnement de la société. L'intervenante devrait être en mesure d'expliquer le
pourquoi du consensus social sur certaines normes et valeurs. Ce processus lui permettra de
pénétrer le système socioculturel de l'autre en situation d'apprentissage culturel, et de mieux
comprendre certaines des difficultés d'intégration. Afin de comprendre les résistances ou
difficultés liées au processus de l'intégration, l'intervenante doit, nous le soulignons,
inspirée par Cohen-Émerique (2000, p:163), revenir à son propre schème de valeurs,
pouvoir le décoder, c'est-à-dire en tisser la trame historique de façon à trouver en elle ses
propres certitudes, dans un va-et-vient exploratoire, afin que la résistance de l'autre ne
devienne pas, grossie par le malentendu, une menace.
Nous insistons, le jumelage est une rencontre entre des individus se référant à un moment
ou à un autre, et de façon variable, à des systèmes culturels, économiques, politiques et
sociaux différents. Cette rencontre peut donner à l'intervention une difficulté
95
supplémentaire. C'est ce que certains nomment une situation d'interculturalité (Bilodeau,
1993, Boucher 1993).
Pourquoi parle-t-on d'interculturalité ?
Devant la complexité de l'impact du phénomène migratoire, les intervenantes ont été
appelées à remettre en question leur savoir. Dès 1971, la Loi sur les services de santé et
services sociaux avait comme un de ses objectifs de « favoriser à l'intention des membres
des différentes communautés culturelles du Québec l'accessibilité à des services sociaux
dans leur langue » (c.48,a.3) (cité dans Bibeau et al, 1992:235). C'est alors le principe de
l'universalité de l'accès qui est mis de l'avant : celui-ci commande d'éliminer tout obstacle
pouvant empêcher l'utilisation des services publics. Toutefois la réflexion sur la
transformation des pratiques sociales en regard de la formation à l'intervention sociale en
milieu interethnique a surgi au début des années 1980, période d'arrivée massive des
réfugiés de la guerre venant des pays du tiers-monde44 . Cette réflexion était alimentée par
le constat du plan d'action gouvernemental de 1981 à l'intention des communautés
culturelles, plan d'action qui déplorait que « les immigrants et même les citoyens de
diverses origines qui sont au Québec depuis nombre d'années utilisent très peu ces services
» (MCCI, 1983, cité dans Bibeau et all.1992: 236). Le gouvernement attribue alors cet état
de fait au manque de personnel spécialisé familier avec le milieu, aux valeurs culturelles et
difficultés linguistiques de cette clientèle.
Au même moment, un certain lobbying commence à faire pression sur le Ministère des
Communautés Culturelles et de l'Immigration (MCCI) : les représentants des communautés
culturelles dénoncent l'inaccessibilité des services aux nouveaux arrivants et en attribuent
les causes au manque de formation des intervenantes. En 198745, le rapport Bibeau
contredit cette position en soutenant « que la prétendue sous-utilisation des services ne peut
44 Ces faits sont extraits d'un article de Nicole Boucher, Société multiethnique: implications pour la
déontologie et l'éthique professionnelle, 1993. L'auteure présente un résumé de faits qui sont généralement
connus et reconnus par le milieu.
45 Cette même année le rapport Sirros insistait sur la nécessité de procéder à des modifications dans le réseau
des services sociaux.
96
s'expliquer uniquement par le manque de compétence linguistique et culturelle de la part
des intervenantes et, d'autre part, que pour les rendre plus accessibles, il est nécessaire de se
situer dans une approche globale et de partir de la construction globale des problèmes »
(cité dans Boucher, 1993:48). Cette même année, le Comité consultatif sur l'accessibilité
des services du MSSS conclut « qu'il faut former les intervenantes et leur donner des
compétences pour établir des rapports interculturels satisfaisants et pour intervenir en
tenant compte de la dimension culturelle » (Boucher, 1993).
En 1988, le Ministère de la Santé et des Services Sociaux crée un bureau de coordination :
le Bureau des services aux communautés culturelles. Préoccupé par les différents constats
et fort des recommandations des rapports du MSSS, le MCCI préconise en 1990,
l'adaptation des institutions à la réalité pluraliste. Comme le souligne Bibeau, « on ne sait
pas très bien comment on peut vraiment construire une société pluraliste, mais on sait au
moins clairement que c'est dans cette direction qu'on veut aller » (Bibeau, 1992: 37). La loi
120, votée à l'automne 1991, livre, selon Bibeau, des indicateurs pour la mise en place de
services publics pluralistes. Celle-ci place le citoyen qui a des droits, et non plus le
bénéficiaire, au centre du système, elle insiste sur le partenariat entre le secteur public et
privé et favorise l'approche locale. Mais en 1992, selon Bibeau et al, il n'existe encore
aucune politique générale dans les institutions et les écoles de formation en services de
santé et sociaux « traitant d'une approche multiculturelle des problèmes. » Si certaines
initiatives sont saluées telles celle de l'Hôpital de Montréal pour enfants qui a mis sur pied
un programme de formation à l'interculturel à l'intention de ses employés « axée
directement ou indirectement sur les questions de santé mentale » (Bibeau et al, 1992: 241)
une incertitude persiste notamment dans les CLSC de la région de Montréal quant « à la
manière d'adapter culturellement la pratique clinique » (Bibeau et al, 1992: 243). Ce
malaise doublé d'une incompréhension des concepts favorise le retour chez les
intervenantes de la prise en compte des dimensions structurelles et environnementales
comme pistes de solution aux problèmes que les nouveaux arrivants et immigrants
rencontrent et leur permet de prendre une distanciation face aux approches d'essence
culturaliste et à tendance psychologisante (Jacob, Bertot, Cordova,1994). Comme le
souligne Bibeau « le virage vers le pluralisme ne pourra être véritablement initié que
lorsque les professionnels auront clairement pris conscience du fait que leurs manières de
97
faire et de penser sont relatives et non universellement valables, qu'elles ne sont pas
nécessairement les meilleures ni surtout les seules » (Bibeau, 1992: 40). Cette prise de
conscience est considérée incontournable, elle est le préalable à l'ouverture interculturelle
des services publics.
3.2.6. L'approche interculturelle
Des intervenantes sociales du CSSMM définissent la pratique interculturelle comme : « une
sorte de va-et-vient entre la culture de l'autre et la sienne propre(…)comme une ouverture à
la différence, une capacité d'écouter, de prendre le temps de donner une place réelle à cette
différence » (Roy 1991, cité dans Roy 1992:55).
Fort de cette réflexion, le Centre de services sociaux du Montréal Métropolitain (CSSMM)
a élaboré un mode d'intervention : l'approche interculturelle (Jacob, Bertot, 1991), une
approche qui en accord avec Cohen-Émerique (1993) tient compte du parcours migratoire
en même temps que des valeurs culturelles et qui propose la décentration comme étape
préalable à la pénétration du système de l'autre puis à la négociation des points de vue.
Chiasson et autres en synthétisant la décrivent « dans son application comme une approche
d'exploration et de négociation » (Roy, 2000:141).
Toutefois, l'interculturalité comme mode d'approche n'a pu s'imposer de façon générale en
tant que modèle d'intervention, parce que l'approche est autant une attitude et une
conception devant mener à l'acquisition d'une compétence qu'une méthode de travail, d'où,
semble-t-il, « sa difficulté à faire consensus » (Roy et Cantin-Torrez cité dans Jacob et
Bertot, 1991:182). Aussi parce que les pré-requis de la compétence interculturelle
nécessitent que les intervenantes aient accès à des formations pointues sur, entre autres, la
trame historique du Québec en lien avec l'évolution des valeurs. De même, les
intervenantes doivent avoir accès à des ateliers de discussion et des analyses de cas
d'incidents critiques rencontrés dans divers contextes d'intervention. Ces formations doivent
de plus permettre la présentation, l'analyse, l'élaboration et l'assimilation d'outils
d'intervention et de grilles d'analyse. Acquérir une compétence interculturelle demande du
98
temps, un espace de dialogue et une certaine distanciation face à sa pratique
d'intervention46.
Les réflexions sur les transformations de l'intervention, d'autre part, ne font pas non plus
consensus : celles-ci oscillent entre l'accent mis sur l'adaptation de l'intervention (savoir-
faire) ou sur l'adaptation de l'intervenante en situation d'intervention (savoir-être). Le débat
tourne principalement autour de deux pôles : L'intervention doit-elle devenir une
intervention « interculturelle » par l'ajout de certains savoirs, le processus de la
décentration, les mécanismes de négociation et de médiation (Cohen-Émerique, Chiasson-
Lavoie, 1992) ou plutôt l'intervenante doit-elle être plus attentive à certaines qualités de son
savoir-être entre autres l'intuition, l'empathie et la tolérance (Roy, 1992, Boucher 1993,
Bilodeau et al, 1993.) afin de les activer davantage en contexte de pluralité ?
Parallèlement à ce débat, une autre voix s'élève qui estime que la complexité du contexte de
l'immigration commande à l'intervenante de dépasser l'approche interculturelle en fondant
celle-ci dans une approche intégrée, l'approche structurelle inspirée de Maurice Moreau.
Car selon Jacob et Bertot (1991:200) « les difficultés du réfugié ne proviennent pas
automatiquement des problèmes au niveau de dysfonctionnement psychologique résultant
de l'anxiété post-migratoire ou de difficultés culturelles, tel que le laisse croire un courant
dominant, il faut analyser les situations sociales dans une dynamique complexe. » Cette
approche exige de l'intervenante « qu'elle fasse une démarche avec la personne pour que
cette dernière puisse faire les liens entre sa situation actuelle, l'organisation sociale, les
rapports dominants/dominés et le développement de sa personnalité » (Moreau,1987, cité
dans Jacob et Bertot:198). L'objectif de cette démarche étant le renforcement du pouvoir
du client, « l'empowerment. ». L'empowerment est cette pratique qui vise à amener
l'individu à développer ses compétences et habilités afin qu'il devienne un sujet social et
politique et qu'il assume une citoyenneté active. Cette approche, telle que présentée,
46 L'approche interculturelle ne s'est pas imposée comme modèle d'intervention, toutefois son influence
grandit car de plus en plus d'intervenantes œuvrant auprès des immigrants demandent des sessions de
formation sur cette pratique, session au cours desquelles elles ont accès aux grilles d'analyse et méthodes
d'analyse de cas. Et à l'approche interculturelle les formateurs intègrent d'autres éléments empruntés à des
approches complémentaires telles celle systémique et perceptuelle (Bibeau et autres, Pigler-Christensen, voir
Legault 2000:136,137) (données de la TCRI).
99
demande à l'intervenante de dépasser les limites de l'organisation, de démontrer
publiquement sa solidarité autrement que dans l'ombre des « pratiques silencieuses » pour
assumer, lorsque la situation l'impose, un rôle social d'analyste critique des rapports sociaux
et de défenseur des droits des réfugiés.
Même si on peut être tentée de partager le point de vue de Jacob et Bertot sur l'attitude
critique que devrait développer l'intervenante afin d'assumer un rôle actif tant au niveau de
l'analyse critique que dans la manifestation des liens de solidarité allant si nécessaire
jusqu'à la dénonciation, nous nous demandons comment des intervenantes, elles-mêmes
assujetties à des conditions de travail précaires, au manque de temps, à la surcharge de
travail, occupées à lutter pour garder non pas seulement leur travail, mais aussi pour être
solidaires de leur organisme lorsqu'il s'agit d'occuper l'espace jeu de la négociation afin d'
obtenir une juste subvention, comment donc, dans ces difficiles conditions, les
intervenantes peuvent pleinement et librement assumer ce rôle ? Nous nous demandons
aussi si toutes les intervenantes ont cette capacité et ce désir de manifester publiquement
leur esprit de solidarité alors qu'elles peuvent le faire discrètement et sans confrontation
dans l'ombre des pratiques silencieuses. Dans ce contexte, il est intéressant de constater que
les intervenantes se laisseront séduire par d'autres alternatives pour manifester leur esprit de
solidarité et de dénonciation non pas de façon directe, mais via l'intermédiaire d'un réseau
d'alliances, un espace de partenariat.
3.2.7. L'autre à titre de partenaire
Un des principes guides de l'intervention sociale promu par ces auteurs et qui est repris par
les intervenantes du communautaire est la considération de l'autre à titre de partenaire : ce
qui signifie que l'autre est capable par ses compétences et ses propres ressources de
participer à l'élaboration de solutions au problème. Ce qui implique que l'intervenante n'est
pas la seule détentrice du savoir (Bilodeau, et all, 1993; Jacob et Bertot, 1991; Cohen-
Émerique, 1993), qu'elle admet « le doute épistémologique », les limites de ses
compétences. L'intervenante en laissant questionner non seulement ses façons d'être
100
(Cohen-Émerique, 1993), mais aussi ses façons de faire (Bilodeau et all, 1993, Jacob, 1991,
Chiasson-Lavoie, 1992) acquiert une capacité d'autocritique et découvre d'autres espaces
d'intervention.
Le cadre de l'interaction entre l'intervenante et le ou les demandeurs s'inscrit pour ce qui est
des approches interculturelles dans un mode d'insertion contractuelle (Bajoit, 1992) selon
trois formes : sous forme de contrat négocié dans les limites de l'institution et de la
profession (Chiasson-Lavoie, 1992; Boucher 1993) sous forme de négociation conflictuelle
à la périphérie du rapport social dominant/dominé (Cohen-Émerique), sous forme de
consensus dans un espace intermédiaire interpersonnel (Bilodeau, Roy). Dans le cadre de
l'approche structurelle, le mode d'insertion est l'identification, sous forme de collaboration
dans l'espace social (Jacob, Bertot, 1991).
Et ces interactions se font dans trois espaces : une relation de négociation dans les limites
de l'institution ou de la profession dont l'objectif est la résolution d'un problème selon
l'approche fonctionnaliste (Boucher, 1993 Chiasson-Lavoie 1992); une relation de
confrontation entre un dominant et un dominé dans le cadre de l'intervention
professionnelle dont l'objectif est la création d'un espace commun et la transformation des
rapports sociaux selon l'approche structuraliste (Jacob, Bertot, 1991, Cohen-Émerique,
1993); enfin, une relation de complicité dans un espace intermédiaire dont l'objectif est la
relation selon l'approche humaniste (Bilodeau et al, 1993, Roy, 1992).
Ainsi des théoriciens et praticiens rattachés au CSSMM (Bilodeau et al et Roy) considèrent
que dans l'interaction il n'y a pas d'abord un rapport social, hiérarchie de statut
dominant/dominé « une identité menaçante face à une identité menacée » (Cohen-
Émerique, 1993:73), mais qu'il se tisse en premier lieu une relation, un lien fondant le cadre
de l'intervention. S'il y a reconnaissance d'une altérité différente culturellement (Cohen-
Émerique 1993, Boucher, 1993), donc d'un potentiel conflit de valeurs, il y a aussi
reconnaissance de similitudes (Bilodeau, et al, 1993). Il n'y aurait plus seulement Ego et
Alter en vue de résoudre l'Objet comme finalité comme dans le contrat négocié ou la
négociation conflictuelle, mais bien Ego-Alter et Objet, (Moscovici, cité dans Marc et
Picard, 1989), une triade dont la finalité serait la relation entre ces trois éléments, le lien qui
se construit. L'objet ne serait pas seulement le faire social, mais aussi l'être social.
101
Cet espace intermédiaire, espace où la rencontre a lieu de « personne à personne » est un
espace de liberté (Roy, 1992). L'analyse stratégique que nous empruntons à Roy (inspirée
entre autres de Crozier (1997) « qui examine le rapport créé entre le facteur humain et la
structure de l'organisation » (Roy, 1992:55) confirme la vivacité du pouvoir personnel et
professionnel qui s'exprime même encadré par un pouvoir administratif. « Une
organisation bureaucratique est (..) "agie" par une multiplicité d'acteurs qui ont leurs
intérêts propres. Parmi ces acteurs, il y a les intervenantes sociales souvent silencieuses au
sujet de leurs méthodes de travail, mais dont on commence à entrevoir la forte allégeance
professionnelle et la complicité avec la clientèle » (Roy, 1992:57). En effet, les
intervenantes, « artisan(e)s du lien social », comme les nomme Jean Lavoué (1986),
évoluent dans un rapport social « d'une secondarité fortement primarisée » (Le Gall, Martin
cités dans Lavoué 86:3).
De cette manière, le jumelage, en tant qu'acte volontaire d'engagement et de désir
relationnel, s'inscrit très fortement dans la quotidienneté du rapport social et demande à
l'intervenante d'investir son intervention de façon privilégiée dans cet axe primaire. Car
même si l'intervenante en tant que représentante de l'organisation établit certaines balises
dans le cadre formel de la relation, il n'en reste pas moins que le lien social, lien primaire,
qu'elle aura à maintenir avec les jumelés prime sur le lien formel secondaire défini par son
statut professionnel. C'est alors la spontanéité et les démonstrations de l'affect qui
deviendront pour l'intervenante les signes de la réussite de l'intervention. En effet, c'est
pour sa qualité d'artisane du lien social, qui implique celles de créatrice, de médiatrice et «
d'agent(e) de liaison » (M. de Certeau, 1983, cité dans Lavoué 1986) que l'intervenante sera
reconnue et appréciée des jumelés.
3.2.8. L'approche interculturelle au quotidien
Citant Deslauriers (1989), Roy mentionne l'espace d'autonomie que possèdent les
intervenantes et que revendiquent les intervenantes en jumelage, ce que confirment notre
propre observation et les données de notre analyse au chapitre 6. Pour conserver cette
102
autonomie au sein de l'institution, les stratégies adoptées iront de la résistance passive à
l'adoption de pratiques silencieuses. L'intervenante, par la conscience ou l'intuition,
apprivoise et même apprécie les « zones d'incertitude » en manifestant un « esprit
d'invention » et un « enthousiasme devant l'inconnu. » Ces zones d'incertitude sont, selon
Roy (1992:57), « des interstices de liberté inhérents à tout type d'organisation, qu'il suffit
d'apprendre à reconnaître et à utiliser » . Dans ces interstices se manifestent entre autres, cet
« esprit d'invention devant les contraintes bureaucratiques » et « des pratiques silencieuses,
pratiques rebelles faites de ruses et de complicité avec le vrai monde » (Deslauriers, 1989,
cité dans Roy, 1992:58) : ces particularités d'intervention, telles « l'utilisation différente de
la notion du temps et la capacité d'intégrer la notion du doute », témoignent, selon Roy, de
l'habilité professionnelle et ajoutent par leur créativité, de l'inattendu, mais aussi de la
complexité à l'approche interculturelle. Toutes ces manifestations font état, selon Roy «
d'une acceptation de non-uniformité et de déviance » (1992:58) et de « l'expression de la
socialité, une forme d'expression quotidienne et tangible de la solidarité de base »
(Maffesoli, 1989:62). C'est, toujours selon Roy, cette solidarité de base qui incitera les
intervenantes sociales à recourir à « l'immoralisme éthique », notion maffesolienne, qui est
« un espace de jeu et de ruse pour résister aux contraintes quelles qu'elles soient » (Roy,
1992:62).
A cela, Nicole Boucher, sociologue en service social à l'Université Laval répond qu'il faut
reconnaître que les intervenantes puisent à même leur formation et leur pratique les
réponses aux difficultés que peuvent représenter certaines particularités de la pratique en
contexte interculturel47 car le plus souvent « l'adaptation de l'intervention représente pour
les intervenantes un risque et une charge supplémentaire de travail, alors que ses capacités
d'adaptation culturelle restent inconnues sinon dévalorisées » (1993:53).
La chercheure mentionne que l'approche interculturelle, telle que définie et présentée aux
intervenantes, provoque chez ces dernières une part d'ambiguïté, d'insécurité devant
l'inconnu comme d'inconfort. Cependant, convaincue de la force du pouvoir professionnel
des travailleurs sociaux, la chercheure signale que, devant ces particularités, les
intervenantes ajustent leurs pratiques à même le renforcement de certaines qualités de la
47 Prise ici dans le sens de rencontre entre individus marqués culturellement.
103
pratique traditionnelle telles l'empathie, l'écoute, le temps accordé, l'intuition, la tolérance,
la souplesse, l'autoréflexion, l'acceptation inconditionnelle de soi et de l'autre, la
reconnaissance des différences et reconnaissance des conflits (Boucher, 1993:51).
Boucher (1993) souligne la nécessité d'une méthodologie d'analyse cas par cas appropriée
pour permettre aux intervenantes de dégager elles-mêmes les adaptations qu'elles jugent
nécessaires. Une telle démarche aurait l'avantage « de faire reconnaître les compétences
interculturelles acquises par l'expérience » (Boucher, 1993:48, 49).
Ici nous nous référons à Schön (1995) qui insiste sur le rôle et les qualités du praticien.
Schön (1995) insiste sur le fait que le savoir produit par le praticien n'est pas un obstacle à
la connaissance scientifique car la contribution du praticien est celle d'un générateur de
connaissances, d'un créateur de savoirs en action. Schön (1995:52) décrit la méthodologie de
recherche du praticien comme celle « d'une réflexivité dans l'action » surtout dans des situations
incertaines où l'appris ne peut s'appliquer : s'il « know how in action », le praticien est aussi
confronté au « not knowing how in action » . Selon ce dernier, ces situations de savoir comment
et ne pas savoir comment, (la certitude et l'incertitude) oblige le praticien « à repenser ses
stratégies d'action, à réinterpréter les contextes, à recadrer les problèmes, à redéfinir les rôles »,
comme en témoigne cette question demeurée sans réponse jusqu'à présent « qu'est-ce qu'un
jumelage réussi » ? Cette question souligne toute la complexité de l'intervention jumelage. Ainsi
les praticiennes rejoindraient la position épistémologique du chercheur par cette posture du doute,
en ne faisant pas « que mettre l'accent sur l'expérience vécue et le caractère indéterminé de
l'action » (Friedson, 1984, cité dans Groulx, 1994:39).
Cependant deux autres dimensions de l'approche interculturelle que sont le risque et
l'isolement professionnel ont, selon Nicole Boucher, suscité chez les intervenantes le
recours à une référence éthique solide, à une rigueur de leurs choix, de même qu'à une
négociation d'ajustement institutionnel, à une affirmation de soi, une visibilité et une
création d'alliances et de ressources (1993:51). En ce sens, cette analyse rejoint celle de
Chiasson-Lavoie, anthropologue au CSSMM, qui recommande de développer des outils
d'intervention pour l'amélioration des pratiques en partenariat avec des intervenants d'autres
institutions confrontés à la même problématique de la pratique interculturelle. Ainsi insiste
Boucher (1993:49) « en s'appuyant sur la connaissance pratique, sur l'expérience concrète,
104
les intervenantes devraient "pouvoir parvenir à innover et à dépasser leurs limites »
(1993:49).
3.3. Conclusion
Nous le constatons, les intervenantes en jumelage évoluent dans un contexte extrêmement
complexe, contexte fait de zones d'ombre, de contraintes et d'espaces de liberté. Le
jumelage procède d'un désir d'instaurer une rencontre entre un citoyen accueillant et un
immigrant accueilli afin que se développe une interaction qui se transformera en relation.
Toutefois la rencontre avec l'autre est susceptible de provoquer une modification profonde
dans la vision du monde de l'individu, c'est ce que nous nommons « l'utopos » , le lieu à
venir. S'il est juste de dire que l'inconnu enthousiasme les intervenantes par la possible
création qui s'offre à elles, il est aussi réaliste de dire que la dimension interculturelle du
jumelage, en tant qu'espace parsemé de zones d'incertitude et de turbulence, leur pose des
dilemmes.
Nous retenons donc pour le cadre de notre analyse que si la réussite du projet migratoire de
l'immigrant est liée à sa capacité de comprendre les codes culturels et le fonctionnement
des différentes institutions du pays d'accueil et de s'y adapter, elle est liée aussi à la capacité
intégratrice de la société d'accueil. Celle-ci se traduit par la capacité collective de
s'interroger sur ce qu'implique accueillir et intégrer des immigrants et réfugiés, sur ce qu'est
la culture publique commune de même que sur la compréhension qu'ont du phénomène
migratoire tous les citoyens de la société d'accueil. Le concept de l'intégration, vu comme
un processus d'inclusion dont la dynamique est l'interdépendance, exige le partage et la
reconnaissance des compétences et des savoir-faire.
L'État québécois tente actuellement de dépasser les balises du contrat moral et suggère la
notion de contrat civique qui repose sur les notions de participation et de sentiment
d'appartenance. Nous nous posons alors ces questions : comment les intervenantes lient-
elles le jumelage au processus d'intégration, et pourquoi considèrent-elles que les individus
voudront établir des relations intercommunautaires harmonieuses, partager des valeurs
105
communes, avoir des projets communs ? Ce qui nous ramène à Crowley et au paradigme
contractualiste. Alors que le contrat moral est subordonné au sens du devoir, aux principes
d'action, le contrat social relève de l'éthique, « de la science des actions de la vie »
(Aristote). Les contrats moral et social réunis en un contrat civique font référence à un
rapport latéral, de citoyen à citoyen, ancré dans le fait de reconnaître à chacun une place
dans la communauté. Ainsi l'État québécois irait non plus dans le sens de l'idéologie
d'insertion de la convergence culturelle, mais plutôt dans le sens de l'intégration pluraliste
qui doit mener à l'émergence d'une « nouvelle société construite » (Harvey, 1993).
Mais puisque, comme nous l'avons constaté, le contrat ne fait pas lien, mais le présuppose,
nous nous devons de réfléchir aux qualités inhérentes au lien social ? Il nous faudra
analyser les motivations et les bénéfices à s'engager dans le jumelage. Nous disons pour le
moment que c'est parce que le lien social de la coopération fait référence au sens de
l'initiative de l'être doté d'autonomie, être qui est conscient de son historicité et qui désire
s'engager. Dans l'engagement, il y a comme le mentionne Jean Ladrière (1967:3) deux
aspects : la conduite et l'acte, mais parce qu'un des risques de l'engagement est ne plus
pouvoir recourir à « exit » , existe la tension continue au sein de l'espace social du jumelage
entre la poursuite de l'intérêt individuel et l'élargissement des intérêts communs. D'où la
nécessité du dialogue qui lui repose sur le pouvoir de négociation. Le processus de la
négociation est fondé, comme le rappelle Cohen-Emerique, sur l'élaboration d'un
compromis qui aura comme effet de maintenir la cohésion sociale ou de transformer ce qui
est. La capacité de négociation que ce soit dans la relation du jumelage proprement dite ou
dans l'intervention sociale du jumelage est liée au processus d'adaptation. Dans la relation
de jumelage, nous parlerons d'adaptation mutuelle. Cette dialectique de l'ici et de l'ailleurs
qui porte les individus au-delà des frontières de leur propre système culturel crée une
situation de déséquilibre, il y a alors fragilisation des repères et des référents habituels,
préalable au deuil, difficile et nécessaire. Cette fragilisation des repères sera vécue aussi par
les intervenantes en jumelage qui doivent assumer les rôles d'intermédiaires. Elles
occuperont, comme nous l'avons vu, des espaces d'intervention telles que des pratiques
silencieuses, seront confrontées à des zones d'incertitude, bien souvent sources de créativité
ou alors devront jongler avec la notion d'immoralisme éthique. Car le jumelage comme
toute forme de relation partenariale emprunte la voie de la négociation et les partenaires
106
doivent apprivoiser le compromis en surmontant « l'incertitude qualitative », élément
critique dans la construction d'une relation de coopération à long terme.
107
CHAPITRE IV
Orientations méthodologiques
4.1. Réflexion épistémologique
L'ethnologie est la science du particulier, du micro. Par son acharnement à saisir la
complexité du phénomène étudié, du fait social sur lequel le chercheur pose un regard
attentif, cette science permet de révéler la complexité du commun, du quotidien. Le
questionnement initial de notre recherche, le quoi -Qu'est ce qui fait que le jumelage est si
peu connu dans la société ? immédiatement suivi du comment- comment les acteurs liés au
programme de jumelage le perçoivent-ils ? a orienté la démarche ethnologique dans un
mouvement dualiste. Cela nous a conduite de l'explicite à l'implicite, qui nous a fait
rechercher la qualité d'un fait social auquel sont confrontés les acteurs sujets et objets de
notre étude. Car comme le souligne Mucchielli (1983:18) la méthode des sciences
humaines en est une qualitative en ce « qu'elle recherche, explicite et analyse des
phénomènes. »
4.2. Contexte de la découverte
Le terme qualitatif de notre recherche renvoie aussi, comme le mentionnent Lessard-Hébert
et al. (1990), au type de données que a produites, à nos façons de faire et à nos postulats;
prémisses, hypothèses et mise en relation que nous avons énoncées. Notre recherche
qualitative se situe dans un contexte de découverte et dans une démarche praxéologique.
108
Même si nous convenons avec Erikson (1986) Evertson et Green (1986) que nous sommes
arrivée sur notre terrain de recherche en « ayant déjà en tête un cadre conceptuel et des
intérêts de recherche » (Erickson, 1986 cité dans Lessard-Hébert 1990:96) nous ne voyons
pas d'opposition systématique entre le contexte de la preuve qui corrobore ou contredit
certaines données, certaines hypothèses induites à partir d'un cadre de référence et le
contexte de la découverte qui en formule de nouvelles à partir de choix de données
empiriques.
La réflexion que nous entreprenions était nourrie par nos lectures, nos observations et par
une première mise en contact avec le terrain. Elle découlait à la fois d'une déduction et à la
fois d'une induction, induction faite à partir d'une expérience de travail dans le milieu
communautaire de services aux nouveaux arrivants immigrants et réfugiés, déduction
énoncée en regard du contexte social et économique de la société québécoise actuelle,
regard alimenté par certaines analyses sociologiques, anthropologiques, psychosociales,
philosophiques du contexte de la mise en place du partenariat, de l'appel aux bénévoles et
finalement de l'instauration du programme de jumelage.
Le comment les acteurs liés au programme du jumelage le perçoivent-ils ? nous a amenée à
diriger en premier notre regard vers l'État puisque le programme jumelage est défini et
subventionné par le MRCI. Constater que le programme jumelage est peu connu au sein de
la société québécoise tout en étant défini par des acteurs influents du ministère et les acteurs
du communautaire comme un moyen efficace d'aide à l'intégration des nouveaux arrivants
nous demandait d'investiguer plus en profondeur le pourquoi de ce paradoxe. Il nous fallait
plonger dans la dynamique des organisations, dans la réalité du programme jumelage ainsi
que dans l'univers relationnel de l'État et des organismes communautaires. Cette plongée au
coeur du phénomène jumelage nous a fait découvrir de multiples variables, et nous a fait
requestionner une des premières hypothèses – L'évaluation du programme de jumelage
uniquement sur le critère coûts-bénéfices traduit dans les faits la non-considération par
l'État de l'importance du programme de jumelage. Nous nous sommes demandée si cette
logique ne traduisait pas plutôt un non-pouvoir reconnaître toute la complexité de la mise
en place de ce programme, complexité qui lui donne toute sa valeur , mais aussi qui révèle
toutes ses exigences ? Nous avons reformulé alors notre hypothèse: les objectifs financiers
109
des programmes de jumelage, fondés sur une logique coûts-bénéfices voilent sinon
supplantent l'importance accordée à la reconnaissance de la complexité du lien social.
Le jumelage est une relation complexe parce qu'ambiguë, définie comme un acte de
bénévolat, comme un geste d'amitié, parfois un peu des deux. Cette tension que vivent les
jumelés entre la posture aidant/aidé dans l'axe de la complémentarité et celle de
l'amitié/réciprocité dans l'axe de la symétrie, fut rapportée par les jumelés eux-mêmes lors
des soirées témoignages auxquelles nous avons participé. Car nous l'avons constaté lors de
nos entrevues individuelles avec les intervenantes, la relation au sein du jumelage est
présentée par les intervenantes sociales comme une relation d'aide et d'accompagnement
dans l'univers du bénévolat, une relation d'échange interculturel, une relation basée sur
l'amitié ou tout à la fois. La forme que prendra l'échange sera donc influencée par
l'intentionnalité individuelle, mais aussi par l'agir collectif.
Puis nous nous sommes demandée comment l'intervenante fait concorder les objectifs
individuels (les siens, ceux des participants au programme) avec les objectifs communs
(ceux de l'organisation au sein duquel elle travaille, ceux de l'État bailleur de fonds) en
ayant comme toile de fond le concept diffus de l'intégration ? Est-ce que le fait de définir la
relation de jumelage dans un axe relationnel ou dans l'autre influence la dynamique même
de la relation ? Cette interrogation nous nous la sommes posée aussi à partir de notre propre
expérience en tant que jumelée.
Les entretiens individuels que nous avons menés auprès des intervenantes en jumelage,
auprès des directeurs d'organismes et auprès d'agents du ministère, nous ont permis de
constater que la problématique de l'interaction des acteurs liés au jumelage impliquait
plusieurs variables : leur vision du programme, la perception de leur implication, leur
conception de l'engagement des jumelés, leur fonction au sein de l'organisme, leur
personnalité, leur horaire de travail, leur aptitude à gérer des conflits, leur définition de
l'intégration, leurs préjugés, leurs acquis à titre d'intervenante, leur formation, et enfin, le
contexte organisationnel, politique, social et économique. Nous avons découvert que ce
contexte doit être pris en compte dans la conduite des acteurs du communautaire, dans ce
non-vouloir ou non-pouvoir sortir de l'étroit couloir État-Ong, afin de trouver des espaces
de créativité; nous avons découvert aussi l'hétérogénéité des points de vue parmi les
110
acteurs gouvernementaux et du communautaire; ces découvertes et notre disponibilité à les
recevoir, à les analyser nous a permis de ré-orienter notre réflexion.
Au cours de cette réflexion nous avons élargi notre angle de perception de la situation.
Nous avons découvert une dimension jeu dans la négociation entre les acteurs du
communautaire et ceux du gouvernement ainsi que des espaces de transgression multiples
qui font partie de l'espace-jeu.
En plus des entrevues individuelles menées auprès des intervenantes et directeurs
d'organismes communautaires offrant le programme de jumelage, nous avions projeté de
participer aux réunions du Réseau jumelage interculturel à titre de chercheure observatrice;
notre démarche n'en fut point une de recherche-action, nous n'avons pas répondu à l'appel
d'un groupe en vue de transformer une action par la production d'un nouveau savoir. Nous
avons demandé à intégrer le groupe à titre de chercheure désirant observer leur praxis.
Notre admission au Réseau le fut par cooptation. Cependant, la synergie émanant du
collectif traduite en transfert de connaissances, d'expériences, de mise en commun de
situations vécues, de réflexion dans l'action nous a fait assez rapidement ré-orienter notre
recherche dans une démarche praxéologique inscrite dans un partenariat de recherche. Le
Réseau jumelage étant un lieu de réflexion critique sur l'intervention du jumelage, il
devenait évident que nous aurions dans le cadre de notre thèse, une relation privilégiée et
soutenue avec des praticiens en réflexion sur leur propre praxis et cela sur une assez longue
période de temps.
Nous avons investi temps et énergie afin que la relation s'établisse sur la confiance, l'estime
et la réciprocité dans la réflexion et le transfert des connaissances, selon le rythme des
contributions, de la réflexion, de l'analyse, des besoins, des demandes, selon le contexte, et
selon l'évolution du partenariat lui-même.
4.3. Démarche praxéologique
Notre recherche s'inscrit dans une démarche praxéologique; si la recherche qualitative doit
focuser sur la « praxis des personnes et des groupes – domaine de l'action humaine basée
sur la réflexion et l'expérience » (Deslauriers, 1991:17); la recherche qualitative qui se fait
111
dans une démarche praxéologique est une implication active du chercheur, partenaire des
praticiens au coeur de l'action/réflexion. Nous nous inspirons des travaux de Y. St-Arnaud,
psychologue et théoricien de la science-action et R. Zuñiga, psychologue social, auteur de
L'évaluation dans l'action (1994).
Nous convenons avec Y. St-Arnaud et A. Lhotellier (1994) que « la praxéologie est moins
une conceptualisation d'une pratique que la création d'un savoir nouveau issu de cette
pratique » et nous reprenons leur définition « la praxéologie est une démarche construite
(visée, méthode, processus) d'autonomisation et de conscientisation de l'agir (..) dans son
histoire, dans ses pratiques quotidiennes, dans ses processus de changement et dans ses
conséquences » (1991:95). Cette démarche s'inspire donc du principe méthodologique de la
connaissance par l'action (Lotellier, St-Arnaud, 1994) et renforce la posture
épistémologique de la connaissance comme processus (Zuñiga, 1994:163).
Au cours de notre démarche praxéologique nous nous sommes imposée, nous
acteure/chercheure en accord avec les acteures/praticiennes, de lier la théorie et la pratique:
c'est-à-dire l'action dans la réflexion, la réflexion dans l'action (Zuñiga, 1994).
Nous convenons avec Lhotellier et St-Arnaud (1994:101) « que la praxéologie présuppose
que le sens est produit, création, que le travail du sens est pluriel, qu'il exige un partenariat
et que c'est en variant les discours que l'on peut créer du sens nouveau. » Ce qui veut dire
qu'il y aura pluralité de discours parce que pluralité d'acteurs impliqués et impliqués de
différentes façons à différents moments. Cette démarche praxéologique s'inscrit alors dans
une perspective dialogique, c'est à-dire que des partenaires aux champs de compétence
diversifiées coopèrent dans un esprit de complémentarité. Il y a mise en commun des
connaissances et « modelage mutuel d'un monde commun au moyen d'une action conjuguée
» (Varela, 1989, cité dans St-Arnaud et Lhotelllier, 1994:101) une praxis renouvelée. C'est
dans un continuel mouvement d'aller-retour du pouvoir d'action de la pratique (action
sensée) sur la théorie et de la théorie sur la pratique (St-Arnaud, Lhotellier, 1994) que la
démarche praxéologique contribue à la mise en forme d'un nouveau savoir. C'est dans ce
pouvoir d'influence mutuelle et dans son acceptation que la démarche praxéologique se
distingue de la recherche-action. La démarche praxéologique n'a pas comme fonction de
régler un problème par une action nouvelle; elle vise plutôt par « son principe
112
d'autorégulation, d'apprentissage par essais et erreurs à réintroduire dans le creuset de
l'action toute idée nouvelle, qui serait issue du dialogue » (St-Arnaud, Lhotellier,
1994:103) de faire participer des acteurs à l'élaboration d'un nouveau savoir qu'ils
intégreront dans leur action pour l'actualiser.
C'est au sein du Réseau jumelage que s'est concrétisée, au fil du temps, cette démarche
praxéologique. « C'est en analysant comment l'acteur constitue le sens de son agir et en
précisant en quoi l'agir crée un acte personnel que la démarche praxéologique se précise »
(St-Arnaud, Lhotellier, 1994:96). C'est ce que nous avons expérimenté. Pour donner plein
sens à l'action et à notre collaboration au projet, nous avons, tout comme les praticiennes,
en suivant les objectifs de l'action partenariale à court, à moyen et à long terme, considéré
les conditions de l'action sensée, telles que décrites par St-Arnaud et Lhotellier (1994:96,
99). Une action est sensée dans la mesure où les acteurs « prennent en considération
l'ensemble des données factuelles pertinentes à une situation, mettent en oeuvre un système
de valeurs cohérent par rapport à la situation et produisent une action dans un espace-temps
optimal. » Ainsi, poursuivent les chercheurs, « dans une démarche praxéologique visant
une pluralité de sens, l'agir présente trois axes : une approche axiologique des valeurs, une
approche ryhtmanalytique de l'espace-temps (situation) et une approche analytique des
faits. »
Lors de notre première rencontre avec les membres du Réseau, en décembre 1996 (la 5e
réunion du Réseau), notre posture de recherche était plus de l'ordre de l'observation, cette
posture était liée à notre projet d'analyse comparative des trois contextes du jumelage : à
Montréal, à Québec et en régions via les stratégies de trois catégories d'acteurs : les
responsables de programmes au MRCI et dans les organismes communautaires et les
jumelés eux-mêmes. Suite au recadrage de notre terrain d'étude, nous avons présenté lors
notre deuxième participation en mai 1997 (10e réunion du Réseau) notre cadre d'analyse
qui allait porter sur les stratégies de collaboration entre les intervenantes au sein du Réseau
jumelage. Au cours de cette rencontre nous leur avons distribué un protocole d'entente sur
les principes de notre collaboration, protocole d'entente que les membres ont accepté, signé
et que nous avons co-signé, mais au fil du temps nous avons mesuré la démesure de notre
entreprise dans le contexte d'une thèse. Nous avons décidé de nous concentrer sur l'analyse
non pas de la relation partenariale au sein du Réseau , mais plutôt sur l'analyse de la
113
problématique de l'intervention en jumelage qui était au cœur des échanges au sein du
Réseau.
Adopter une démarche praxéologique en tant que chercheure demande certaines qualités :
une capacité de réceptivité, d'écoute et un vouloir confronter le point de vue de l'autre avec
le sien. Il faut apprendre à savoir quand se taire et quand parler (Aktouf, 1990), il faut
pouvoir se décentrer (Cohen-Émerique 1993); mettre entre parenthèses ses propres
préjugés, ses préoccupations, pour se laisser séduire par l'intention, le projet de l'autre ou
pour découvrir le pourquoi de ses résistances au nôtre. Il faut s'abandonner à l'aléatoire, à
l'inattendu. Il faut aussi tendre vers une certaine humilité pour reconnaître les limites du
savoir , mais aussi se doter d'une permanente lucidité pour en découvrir l'originalité. Cette
démarche exige l'honnêteté et l'objectivité pour reconnaître aussi nos erreurs de jugement.
Zuñiga (1994) parle d'adaptation réciproque, l'action transforme une situation et cette
situation transforme à son tour l'acteur. Intervenir dans un groupe a des effets multiples, sur
la praxis, sur la dynamique du groupe, sur notre relation avec les acteurs et sur nous-
mêmes.
Il nous a semblé qu'il y avait un temps pour donner de façon systématique le fruit de notre
collaboration, synthèse de notre analyse : pas trop tôt, , mais pas trop tard non plus pour
que notre contribution puisse être profitable aux praticiens au cours de leur association.
Nous avons transmis aux acteures/praticiennes après 1 an d'assistance (12 réunions
mensuelles), des éléments de réflexion sur les besoins des intervenantes en terme d'actions
et de formation. Ces données ont été discutées, infirmées ou contredites, d'autres ont été
amenées par les praticiennes qui de leur côté avaient tiré, chacune pour soi ou en
groupuscule, des conclusions de leurs échanges, avaient formulé certaines hypothèses, les
avaient confirmées ou rejetées.
4.4. Le paradigme interprétatif et compréhensif
La phénoménologie est une démarche double de compréhension et d'interprétation d'une
situation particulière dans laquelle se trouve un acteur sujet de l'action et objet de la
recherche. En cela la phénoménologie est « une porte d'entrée sur les réalités humaines et
114
les pratiques sociales (...) à travers « les interprétations que les humains construisent »
(Bernier, 1987, cité dans Lessard-Hébert et al, 1990:5).
Nous (égo – observateur) sommes avec Alter (acteur) et nous construisons ensemble l'objet
(la réalité étudiée) qui à son tour influence l'interprétation qu'on en fait. Nous sommes dans
un rapport de réciprocité, d'échange et dans un mouvement circulaire; ce qui fait en sorte
que les données que nous retiendrons de cette réalité étudiée ne seront le fruit ni de la
simple relation entre eux et l'objet, entre nous et l'objet, ni de la simple relation entre eux et
nous, mais tout cela plus « une qualité émergente » (Watzlawick 1988, : 92) ce que nous
nommons l'énergie du lieu.
L'approche compréhensive dans l'étude d'un phénomène signifie que le chercheur, en toute
humilité contraignante, mais en même temps porté par une curiosité intellectuelle, reconnaît
l'ampleur du défi qui l'attend : découvrir, apprendre, des autres, sur les autres, de soi-même
et sur soi-même, retenir et reconstruire. Nous nommons notre approche « compréhensive »
car nous nous mettons en quelque sorte dans la posture critique du journaliste d'enquête qui
pour comprendre l'essence d'un phénomène interroge les acteurs en action et analyse le
regard qu'ils posent sur l'action tout en y ajoutant l'élément introspectif de l'analyse,
l'interinfluence de la situation et des acteurs en présence sur leur interprétation du réel.
La première qualité du chercheur est l'empathie : une aptitude intellectuelle d'ouverture à
l'aléatoire, une disponibilité à se laisser pénétrer par la réalité sensible, le phénomène, et à
faire jongler cette réalité avec le noumène, dans une dialectique. L'empathie n'est pas un «
talent clinique » (...) qui permettrait au chercheur d'entrer dans la transparence du point de
vue d'autrui » (Dodier, Baszanger, 1997:43-44) , mais une sympathie intellectuelle qui nous
permet « de comprendre le vécu de quelqu'un sans l'éprouver de façon réelle dans notre
propre affectivité » (Mucchielli, 1991:36). Nous croyons en accord avec Dodier et
Baszanger que l'empathie cohabite et doit cohabiter avec un questionnement initial lui-
même ancré dans la tradition de l'interprète. Le choix de recherche que nous faisons n'est
pas neutre; non plus que l'acte d'interprétation des données que nous en faisons. Le risque
de trop de sympathie le «going native» est latent, le chercheur doit en être conscient : ce
trop de sympathie face à l'objet (la création) et face aux acteurs (les créateurs de cette
réalité étudiée). Le questionnement critique, l'introspection, la validation des données
115
auprès des acteurs, la confrontation des données entre acteurs de milieu différents
impliqués dans l'action, la discussion, et la pratique de l'implication contrôlée sont autant de
techniques auxquelles le chercheur devra avoir recours. Nous en reparlerons.
L'expression « recherche interprétative » veut souligner « l'intérêt pour la signification
donnée par les acteurs aux actions dans lesquelles ils sont engagés » (...) et puisque ces
actions s'enracinent dans des choix de significations, elles sont toujours ouvertes à de
nouvelles interprétations et au changement » (Erickson, 1986, cité dans Lessard-Hébert,
1990:32, 40), car « dans les univers contemporains, il apparaît nécessaire de prendre en
compte le fait que plusieurs références possibles puissent coexister malgré leurs
contradictions parfois chez les mêmes personnes et qu'elles s'imbriquent dans le guidage de
l'action » (Dodier, Baszanger, 1997:46). Notre posture compréhensive face à l'objet d'étude
est alimentée bien sûr par l'interprétation que les acteures donnent de leur réalité, mais aussi
par notre propre interprétation de cette réalité et de leurs propos. C'est en toute subjectivité
que nous aussi nous nous approprions cette réalité; il ne s'agit pas de nier cette subjectivité,
mais d'en être consciente et de l'analyser comme une donnée.
Nous avons tenté tout au long de notre recherche d'établir des liens entre l'explicite et
l'implicite, c'est-à-dire comme le souligne Erickson, de « postuler face à l'objet » action-
signification » ( » meaning-in-action » ) une variabilité de relations entre les formes de
comportement et les significations ( « sense-making » ) que les acteurs leur assignent à
travers leurs actions sociales ». Nous avons tenté de comprendre ce phénomène « en entrant
dans la logique des acteurs sociaux (dans ce cas-ci les intervenantes sociales, les agents du
MRCI, les directeurs d'organismes communautaires ), en insistant sur l'autonomie de
l'individu et sa capacité à modifier le cours des événements » (Mucchielli, 1991:13). C'est
la reconnaissance de ce « fond commun de compétences » selon l'expression des
ethnologues N. Dodier et I.Baszanger (1997), donnant aux acteurs le pouvoir de
transformation sur leurs actions, qui constitue l'ancrage de notre réflexion et définit notre
posture de recherche.
Mais si nous reconnaissons ce pouvoir de transformation de l'action donc d'influence aux
acteurs, nous ne nions pas que ceux-ci soient influencés dans leurs réflexions et actions par
le contexte social dans lequel ils évoluent. C'est pourquoi en accord avec Érickson (1986)
116
nous avons tenu compte du niveau immédiat (proximal) et du niveau éloigné (distal). Dans
le milieu immédiat nous reconnaissons l'éthos du groupe, le Réseau jumelage, qui est un
partage de « certaines compréhensions et traditions propre à un groupe donné, une micro-
culture » (..) De même que l'éidos, l'idée que les membres de ce groupe se font de la
pratique jumelage et de leurs échanges au sein du Réseau. Au niveau du contexte social
éloigné, nous considérons que les « significations ont une histoire », qu'elles s'ancrent dans
une culture plus large et que les significations que les acteurs accordent aux actions, aux
événements sont nourries par « les perceptions d'avantages ou de contraintes reliés à un
contexte social plus large que celui des relations immédiates » (Érikson, 1986,cité dans
Lessard-Hébert et al, 1990:42.). Dans le cadre de notre étude, le contexte immédiat est le
vécu des intervenantes en jumelage au sein de l'organisme et au sein du Réseau jumelage,
le contexte plus large est celui du contexte des relations entre le MRCI et les organismes
communautaires qui oeuvrent dans le domaine de l'immigration, des relations entre les
organismes communautaires et d'autres acteurs ou organisations de la société civile
intéressés ou confrontés au phénomène de l'immigration.
4.5. Le paradigme dialectique
Le premier principe du paradigme dialectique c'est l'acceptation de la dynamique au coeur
de la recherche, au coeur de la réalité sociale étudiée, au coeur de la vie. La dialectique,
selon Gingras (1993:113) est une méthode consistant à saisir les faits d'abord dans leur
mouvement dynamique et historique (plutôt que dans leur réalité statique) et dans le
complexe global dont ils font partie et dans leurs contradictions apparentes. » Deslauriers
(1991:12) insiste pour dire que la dialectique est une façon de regarder la société comme
système vivant (..) celle-ci n'attire pas seulement « notre attention sur les tensions qui
surgissent dans une société », mais aussi sur la nouveauté qui cherche à émerger.
L'approche dialectique s'est imposée au cours de notre recherche à trois moments ou lieux
différents; premièrement, lors d'une première analyse de contenu des entrevues
individuelles avec les intervenantes, les directeurs, les agents du ministère où nous avons
117
découvert tout au long du récit des contradictions entre des critères demandés par le MRCI
et des actions posées par les acteurs du communautaire, des tensions aussi entre
l'ouverture/fermeture à l'autre chez les intervenantes, chez les jumelés, des tensions entre
des stratégies d'intervention ou de non-intervention de l'intervenante dans la relation du
jumelage...
Nous avons exploré ces pistes dévoilées par les intervenantes elles-mêmes jusqu'à constater
les possibles des acteurs du communautaire. Cette démarche exploratoire nous a fait
découvrir entre autres, pour citer un exemple, que ces tensions amenaient les acteurs à
adopter des alternatives dans ce que nous avons nommé des « espaces de transgression »
limités par l'interdit, et des « espaces de créativité » libérés de l'interdit.
Le deuxième moment où le paradigme des contradictions s'est imposé à nous en tant que
chercheure c'est lors de l'analyse des échanges au sein du Réseau jumelage. Des tensions à
un premier niveau : en terme de contenu notamment des termes utilisés pour désigner les
personnes de la société d'accueil impliquées dans le programme jumelage (bénévoles,
bénévoles d'accueil, jumeaux, parrains, personnes ressources...) termes qui au-delà du
substantif, illustrent une conception particulière de la relation au sein du jumelage.
Le troisième lieu nous le nommons « notre capacité dialectique » à titre de chercheure
(Mucchielli, 1991; Morin, 1967) capacité que nous lions à notre capacité d'empathie, cette
disponibilité intellectuelle qui nous a prédisposée à entrer dans un « processus constant de
modification » de la façon de percevoir les relations partenariales, les stratégies des acteurs,
leurs motivations, leurs limites. C'est cette capacité dialectique qui nous a permis de
formuler de nouvelles hypothèses, à partir de l'analyse des entretiens, à partir des
confidences de certains informateurs, grâce aussi à un difficile, mais nécessaire «
questionnement critique » (Moreau, 1979, Fook, 1986) sur notre propre praxis, sur la leur et
sur l' interinfluence de l'une sur l'autre. Nous attribuons aussi à cette capacité dialectique,
l'heureuse décision de nous laisser conduire sur de nouveaux terrains d'exploration
(l'activité de la Foire du jumelage; le partenariat avec des associations et organisations de la
société civile) événements déterminants dans l'évolution du Réseau et du programme
jumelage. Nous nous sommes ainsi adaptée à l'agenda du Réseau jumelage, agenda parfois
118
planifié, parfois imprévisible parce que fruit des énergies spontanées et mises en commun
portées par un désir d'action immédiat.
Omar Aktouf (1990:160) écrit à partir de son expérience de terrain comme observateur-
participant au sein d'organisations : « étant donné que la manière dont les gens entrent en
relation entre eux et avec le monde naturel c'est l'expression de la manière dont ils vivent ce
monde et ces personnes, l'enquêteur ne peut avoir d'autres choix que de recourir à des
stratégies de pénétration des intentions et des expériences en jeu de ces relations (...)
l'expérience et l'action sont alors étudiées dans leur réciprocité, dans leur mouvement, dans
leur intentionnalité. La phénoménologie est alors conçue comme une science de la chose
sociale et historique. »
4.6. Étude de cas
L'objet de notre d'étude est le jumelage, un programme subventionné par le MRCI et animé
par des intervenantes au sein d'organismes communautaires dans le contexte du partenariat.
Quel est ce contexte que nous qualifions partenarial : contexte au sein duquel les acteurs
(directeurs ou intervenantes) des organismes communautaires oeuvrant auprès des
nouveaux arrivants ont une relation structurée et privilégiée avec certains acteurs (agents,
directeurs de politique, sous-ministre et ministre) du MRCI, ont des relations structurées
entre eux (Table de concertation, ROSNA, Réseau jumelage) et tentent d'établir parfois
avec difficulté, parfois avec succès des relations privilégiées avec des organismes publics et
para-publics. Ce contexte partenarial se justifie aussi par le fait que les intervenantes en
jumelage ont établi une collaboration soutenue au sein du Réseau jumelage et tentent
actuellement d'établir des relations continues avec des partenaires sociaux. La forme que
prendra le programme de jumelage sera influencée par la vision qu'en ont les différents
acteurs ci-haut mentionnés, par le contexte politique, économique, social et culturel, par les
relations que les différents acteurs ont entre eux et avec d'autres acteurs (chercheurs,
praticiens, théoriciens, journalistes... ) intéressés ou préoccupés par la problématique de
l'intégration, par les jumelés eux-mêmes qui vivent et analysent leur relation de jumelage.
119
Le contexte du partenariat ne soustrait pas les intervenantes qui ont la responsabilité du
programme jumelage à respecter certaines règles dictées par le MRCI afin d'obtenir le
financement. Règles qui provoqueront inévitablement le choix entre respecter la règle ou
trouver des stratégies pour la déjouer tout en évitant la sanction négative. Nous
mentionnons , entre autres ces deux règles d'exclusion : pas de revendicateurs du statut de
réfugié, pas d'immigrants qui sont au pays depuis plus de 3 ans48. Une autre règle liée à la
finalité du programme qu'est la pratique du français peut parfois ne pas répondre au besoin
de soutien du nouvel arrivant. Toutefois le cadre de la relation proposé par le MRCI est peu
défini et laisse place aux échappatoires (espaces de transgression, espaces de créativité).
Toutefois, d'autres contraintes s'ajoutent au travail des intervenantes. Nous les avons déjà
identifiées : les contraintes bureaucratique, organisationnelle, politique, sociale et
historique.
Comme nous l'avons mentionné, le Réseau jumelage est né du désir des intervenantes de
contourner ensemble ces contraintes et de proposer de nouvelles avenues pour faire
connaître le jumelage auquel elles accordent la qualité d'agent d'intégration sociale. Nous
rappelons que le fait que des intervenantes se réunissent, forment un comité de concertation
et de collaboration autonome est une première au sein des organismes communautaires (du
moins dans le champ des services aux nouveaux arrivants).
Notre recherche est donc une étude cas : le jumelage en tant qu'intervention sociale. Nous
le nommons étude de cas car nous respectons les conditions de réalisation de l'étude de cas
tel que formulées par De Bruyne et al (1974) et Yin (1984) cités par Lessard-Hébert et al
(1990:165) 1) « l'étude de cas prend pour objet un phénomène contemporain situé dans le
contexte de la vie réelle; 2) les frontières entre le phénomène étudié et le contexte ne sont
pas clairement délimitées et des sources multiples de données sont utilisées par le
chercheur».
Afin de bien cerner notre objet d'étude, nous avons délimité notre terrain principal
d'observation et d'enquête : les intervenantes au sein du Réseau jumelage. Nous le
48 Critère modifié en 2001; les immigrants qui sont au Québec depuis plus de 5 ans et qui démontrent des
difficultés d'intégration peuvent bénéficier des services.
120
qualifions de principal car nous avons aussi observé à l'occasion certains autres lieux de
partenariat afin de mieux comprendre le contexte global des politiques entourant le
jumelage: la Table de concertation49 et le Rosna.
Pour bien comprendre la dynamique du jumelage, nous avons jugé qu'il nous fallait
connaître individuellement les acteurs du Réseau, les connaître pour comprendre qui étaient
les acteurs en présence, quelle était leur vision personnelle du jumelage, leurs attentes, leurs
façons de faire, leurs difficultés, leurs réussites, leurs perceptions des personnes impliquées
dans la relation, leurs motivations à participer au Réseau, leurs attentes face au Réseau,
leurs craintes. Pour ce faire, nous avons donc procédé à des études multi-cas. Comme
l'intervenante travaille au sein d'un organisme communautaire, nous avons cru nécessaire
de rencontrer les directeurs d'organisme pour saisir la culture organisationnelle de
l'organisme et pour voir si les visions du directeur et de l'intervenante étaient concordantes.
Ainsi, nous avons eu des entretiens individuels avec des directeurs d'organisme et avec des
intervenantes en jumelage membres du Réseau, « pour découvrir les convergences entre
plusieurs cas » (De Bruyne et al (1974); Yin (1984) cités dans Lessard-Hébert, 1990).
4.7. Triangulation des données
Afin de bien saisir la particularité de l'action-jumelage, nous avons adopté une pratique de
recherche englobante, c'est-à-dire un questionnement incessant des données, un vouloir
saisir le moindre détail, une fine curiosité qui s'est traduite par une vision panoramique
(Morin, 1967) « l'emploi d'angles multiples, de méthodes complémentaires de recherche et
d'analyse » (Fielding et Fielding, 1986, cité dans Jacob, 1996:17). Cependant, nous
considérons la triangulation des données non seulement comme un mode d'investigation ,
mais en accord avec Lefrançois (1991, cité dans Jacob, 1996:18) comme une philosophie
nouvelle suivant laquelle la connaissance est une construction sociale permanente, une
49 Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiés et immigrantes : TCRI.
ROSNA : regroupement des organismes de services aux nouveaux arrivants; comité de la TCRI.
121
démarche de collaboration, un mode d'interprétation et de réinterprétation des phénomènes
sociaux dans leur contexte réel et dans leur déroulement même. » L'entretien semi-dirigé,
l'entretien pseudo-conversation (Morin, 1967) qui est un mode d'entretien impressionniste
où une certaine marge d'autonomie est donnée à l'informateur, et l'observation
phénoménographique furent nos modes d'investigation pour joindre et rejoindre les acteurs,
nos « instruments de découverte » (Fabre, 1986) pour reformuler le sens de l'action. Ceux-
ci impliquent : la participation à la réflexion en groupe, à l'action en tant que participante
aux activités, les échanges informels, la discussion ouverte en toute intimité, le «
questionnement critique », moment de réflexion sur le pourquoi et le comment de la
situation.
4.8. Entretiens-Pré-terrain
Nous avons eu des entretiens téléphoniques et une première entrevue en septembre 95 avec
un agent du MRCI, responsable d'organismes qui offrent le programme jumelage, nous
avons eu aussi une rencontre informelle avec un autre fonctionnaire en lien avec le
programme jumelage. Nous avons eu deux entrevues avec un fonctionnaire de la direction
régionale du MRCI de Québec, responsable du programme jumelage. Nous avons réalisé en
juin 1996, un premier entretien avec le porte-parole du Réseau et initiateur du projet
jumelage-régions. Et nous avions notre propre expérience en tant que jumelée (depuis
février 95) et participante à des soirées de formation et d'information données par
l'organisme responsable de notre jumelage (jumelage toujours actif). Nous avions aussi en
mémoire notre expérience de travail comme agente de communications au sein d'un
organisme d'accueil et d'intégration des nouveaux arrivants à Montréal.
Les entrevues pré-terrain avec les fonctionnaires nous a permis de constater qu'il y avait au
MRCI des évaluations différentes du programme de jumelage; nous a fait découvrir aussi
que le MRCI s'apprêtait à faire évaluer le programme jumelage à Montréal et en régions par
une équipe de recherche de Métropolis. Notre entrevue avec l'intervenant nous a fait voir
qu'il pouvait y avoir différentes façons de proposer le jumelage et que le programme
pouvait prendre la couleur personnelle de l'intervenant, par sa personnalité, ses acquis et
122
par la place et le rôle qu'il, qu'elle occupe au sein de l'organisme. Nous avons tenu compte
de ces observations dans l'élaboration de la grille des entretiens.
4.9. Sélection des informateurs
Les intervenantes que nous avons rencontrées sont membres du Réseau jumelage. Nous
avions entendu parler du Réseau par une des intervenantes membres que nous connaissions
personnellement. Toutefois, c'est suite à la rencontre avec un agent du MRCI que nous
sommes entrée en contact avec un premier intervenant et que nous avons été, par son
intermédiaire, introduite au Réseau. Le choix des autres intervenantes-informateurs fut
décidé lors de notre première présence au Réseau. C'est lors de cette rencontre (en
novembre 1996) que nous leur avons fait part de notre désir d'avoir des entretiens
individuels avec elles. Nous avons sélectionné des intervenantes membres du Réseau qui
étaient responsables d'un programme jumelage à ce moment-là. Notre objectif en les
rencontrant individuellement était de bien situer la personne, le sujet (influent et
influençable) et puis l'acteur : l'intervenante responsable d'un programme jumelage intégré
dans un organisme. Cette première démarche nous a permis de connaître l'acteur qui allait
interagir au sein du Réseau jumelage : quelle était sa vision du jumelage, quelle était sa
relation avec les jumelés, ses méthodes de recrutement, de promotion, le type de formation
qu'il offrait aux jumelés, le suivi, les difficultés rencontrées, ses ajustements, ce qui nous a
permis d'identifier ses motivations à entrer dans le Réseau et ses attentes envers celui-ci.
Depuis notre première participation au Réseau, il y a eu un certain roulement des
intervenantes-participantes; parmi celles que nous avions sélectionnées, quatre ont cédé
leur place à une autre intervenante de l'organisme, (fin de contrat de travail ou délégation)
les organismes ont donc pu continuer à être représentés. Après une période instable au
niveau de la représentativité des organismes (participation ponctuelle de certains) le réseau
s'est stabilisé, même si parfois de nouveaux visages apparaissent. Dix intervenantes
participent de façon régulière, 15 organismes étaient en 1999 officiellement membres du
Réseau. Nous avons eu des entretiens individuels avec les 9 intervenantes que nous avions
123
rencontrées lors de notre première participation au Réseau. Toutefois nous avons eu des
entretiens informels avec les autres participantes-membres, nous avons lu le rapport annuel
de leur organisme et avons visité leur centre. De plus, nous avons participé aux réunions
partenariales que les intervenantes ont eues avec les partenaires syndicaux et sociaux. Les 9
intervenantes informateurs travaillent dans des organismes situés dans la région de
Montréal; au moment de notre enquête il n'y avait pas d'organismes d'autres régions
membres du Réseau jumelage.
Nous avons eu des entretiens du type pseudo-conversation avec 5 directeurs d'organisme.
Ces entretiens ont duré entre 1.30 et 2 h. Nous avons eu un entretien écourté et très direct
avec un directeur, ce dernier n'ayant que très peu de temps à nous accorder. Notons que
dans ce cas particulier, ce directeur avait beaucoup de réticence à nous rencontrer. Nous
avons insisté et comme le rappelle Aktouf, nous n'aurions peut-être pas dû puisque de toute
façon nous n'avons pas obtenu grand chose de cet informateur. Nous attribuons cet « échec
» ou « difficulté » à de multiples facteurs : peut-être à la personnalité de la personne, peut-
être à sa fatigue parce que débordée de préoccupations, de sa non-disponibilité parce
qu'occupée à de multiples fonctions, de sa méfiance parce que les organismes
communautaires ont une longue tradition en tant qu'objet d'investigation des chercheurs;
leur collaboration ne leur a, jusqu'à ce jour, que très peu rapporté, les chercheurs ayant peu
donné de retour de résultats.
Nous avons donc eu 5 rencontres avec les directeurs d'organisme sur les 7 envisagées, car
nous avions planifié d'interviewer les directeurs des organismes au sein duquel travaillaient
les intervenantes rencontrés en entrevue individuelle. Un entretien a été annulé parce que le
directeur était en congé de maladie. Nous considérions cet informateur comme un
informateur important parce qu'impliqué depuis plusieurs années dans l'élaboration du
contexte de partenariat et dans la mise en place du programme jumelage. Dans le deuxième
cas, nous n'avons pas jugé nécessaire de rencontrer le directeur (qui du reste a été remplacé
depuis) parce que l'intervenant est dans ce centre, responsable du secteur jumelage et
immigration et a toute autonomie et responsabilité dans ce dossier.
En ce qui concerne les agents de programmes du MRCI, notre objectif en les rencontrant
était de comprendre leur vision du jumelage, la définition des critères de financement, le
124
type de relations dites partenariales que le MRCI entretient avec les directeurs ou
intervenantes du MRCI, considérant que le programme jumelage est subventionné par le
MRCI. Nous avons rencontré 4 agents et un responsable des politiques et programmes.
4.10. Entretiens-Terrain
Nous avons eu deux types d'entretien selon les informateurs.
4.10.1. L'entretien semi-directif
L'entretien semi-directif tel que décrit par Aktouf (1990) impliquait que les informateurs
répondent le plus directement possible à des questions précises, mais à angle ouvert.
Toutefois si les informateurs, par leurs réponses, pouvaient réorganiser le canevas de
l'entretien, nous prenions autorité pour réorienter l'entrevue sur des points précis de manière
à obtenir les informations que nous cherchions. Nous avons élaboré notre grille de
questionnaires selon le modèle de Allaire et Firsirotu (1981, 1984). Ce schéma conceptuel
est composé de variables endogènes et exogènes et tient compte de 3 éléments interreliés :
les acteurs en tant qu'individus, un système culturel (idéologie, valeurs et pratiques
culturelles de l'organisation) et un système socioculturel (relations interdépendantes entre
structures, stratégies et politiques) . Selon Allaire et Firsirotu, ces 3 éléments prennent
forme sous le jeu de deux forces soit leurs interactions synchroniques et les influences
diachroniques exercées par la société environnante, le passé de l'organisation et l'ensemble
des facteurs de contingence. Aux fins de notre étude, nous avons lié ces facteurs non pas à
l'organisme, mais plutôt au programme de jumelage; dans quel contexte sociétal se déroule
le programme de jumelage, quelle a été la forme qu'il a prise jusqu'à ce jour, quel axe
relationnel emprunte-t-il ? Quels sont les facteurs de contingence notamment les critères
imposés par le MRCI, bailleur de fonds et les contraintes de l'organisation du programme
lui-même. Comment répondront les acteurs du communautaire à ces facteurs de
contingence ? Quelles seront les attitudes des acteurs du MRCI ? De même nous avons
intégré à la grille d'entretien, pour ce qui est du parcours des acteurs, le modèle de Guilbert
125
et Labrie (1990), inspiré de Camilleri (1989), modèle formulé à partir des notions identité
(fonction identitaire), altérité (fonction pragmatique) et réciprocité (fonction axiologique).
La première partie de l'entretien veut cerner l'acteur : son parcours, sa formation, sa
fonction, sa vision de l'organisme, son rôle et ses relations avec les autres acteurs au sein de
l'organisme, sa vision du jumelage basée ou non sur son expérience personnelle; la
deuxième partie qui est le cœur de l'entretien concerne le phénomène jumelage
(représentations pratiques et stratégies des acteurs impliqués) de même que le système
institutionnel (politiques et pratiques de l'organisme et du MRCI vis-à-vis le jumelage); la
troisième partie concerne le contexte évolutif des relations partenariales entre le MRCI et
les organismes communautaires, entre les intervenantes au sein du Réseau, entre les
directeurs d'organismes entre eux au sein de la TCRI, du ROSNA, et entre les organismes
communautaires et les organismes de quartier50 .
Nous avons ainsi adapté ce modèle selon la fonction de l'acteur que nous rencontrions. Les
entretiens semi-directifs ont duré entre 1h.30 et 2.h. Nous avons eu des entretiens semi-
directifs avec 2 fonctionnaires du ministère MRCI, et 7 intervenantes en jumelage.
De plus nous avons eu 2 entretiens semi-directifs de courte durée (30 minutes) avec 3
agents du MRCI : une rencontre individuelle et une autre de groupe (2 agents). Les
entretiens étaient centrés sur la relation qu'entretenaient les agents du ministère avec les
directeurs ou (les intervenantes jumelage) des organismes communautaires dont ils étaient
responsables. L'entretien de groupe nous a été imposé. La direction du département
concerné au MRCI jugeant que nous avions pris suffisamment de temps aux agents sur le
lieu de travail nous a alors demandé de rencontrer ces agents ensemble et d'écourter notre
temps d'entrevue.
50 Dans un souci de complétude , nous avons très peu utilisé ces données, puisqu'elles ne correspondaient
plus au cadre redéfini de notre thèse.
126
4.10.2. L'entretien pseudo-conversation
Nous adoptons cette terminologie entretien pseudo-conversation de E. Morin (1967) pour
définir un entretien où nous posions un nombre limité de questions ouvertes, mais toujours
selon les mêmes grandes lignes de questions et selon le modèle de Allaire et Firsirotu. Les
informateurs par leurs façons de répondre ou d'entrer dans le propos pouvaient bousculer
l'ordre des questions, nous en suggérer de nouvelles, faire des retours, des liens, nous
amener sur de nouvelles pistes de réflexion. Cette manière d'investigation est plus
impressionniste, plus diffuse, elle laisse plus d'autonomie à l'informateur. Ce qui ne nous a
pas empêché d'aller chercher l'information que nous désirions obtenir, mais nous
ramenions, de façon plus subtile, l'informateur à nos préoccupations en partant davantage
d'un élément de son discours qu'en imposant un élément détaché qui aurait bousculé l'ordre
de son énoncé ou rompu le fil de ses idées.
4.10.3. Discussions, conversations et entretiens non-formels
L'intérêt d'être dans en relation privilégiée et dans un long terme avec des partenaires de
terrain, engagés comme nous dans la production d'un savoir, c'est la notion même de
l'engagement. L'engagement qui lie le chercheur et les praticiens, l'engagement envers le
projet, le produit d'une nouvelle connaissance. C'est cet engagement qui permet le
rapprochement entre tous les acteurs. C'est la conviction que nous y parviendrons ensemble
qui nous guide. Cette conviction permet l'ouverture à l'autre parce que chacun sait que
l'autre réinvestira ce savoir dans la production de la connaissance. Pour que l'engagement
perdure, il faut la sympathie, la convivialité, la confiance. Il faut qu'il y ait un réel
rapprochement, une certaine spontanéité, qui prédispose aux confidences si ce n'est avec
tous les informateurs du moins avec certains d'entre eux. Nous croyons avec Whyte (cité
dans Aktouf, 1990:173) qu'il est important de tisser avec les personnes et la situation un
127
rapport de familiarité, d'intimité pour une meilleure compréhension, pour une acceptation
réciproque. Sans lien d'affection et d'estime, il n'y pas de recherche possible parce qu'il n'y
a pas cette motivation à collaborer.
C'est cette atmosphère qui nous a permis de recueillir des confidences lors de conversations
téléphoniques ou de rencontres. De plus avec certains collaborateurs, collaboratrices, nous
sommes parvenue à un degré d'acceptation tel que nous pouvions comme le mentionnent
Whyte, avoir des « discussions franches et ouvertes avec eux, avec elles. » La discussion
permet une mise en perspective de nos points de vue, une validation d'inférences ou au
contraire une infirmation. Elle permet aussi le transfert d'informations de part et d'autre,
informations qui circulent de façon spontanée et que peut-être nous n'aurions pas ou ne
donnerions pas autrement. Elle favorise aussi le resserrement des liens. Nous croyons
toutefois qu'il faut se méfier de toute témérité, la vigilance s'impose. Ces discussions
doivent être occasionnelles afin de ne pas créer un lien trop intime qui ferait que l'un serait
influencé par l'autre, se sentirait lié par quelque degré d'amitié, ou que l'un et l'autre
pourraient bien malgré eux divulguer des données confidentielles.
4.10.4. Règle de confidentialité
Afin de préserver l'anonymat de nos informateurs, nous avons attribué à chaque organisme,
ainsi qu'au directeur et à l'intervenante travaillant dans cet organisme, une lettre de
l'alphabet ex: organisme A, l'intervenante A et le directeur A. Nous avons donné aux agents
du MRCI, informateurs, un numéro ex: agent 1, du MRCI.
4.11. Sources documentaires
Le recours à la documentation des organismes ou du ministère vise à circonscrire le
phénomène du jumelage du point de vue officiel. Il y a lieu de distinguer quatre sources de
128
documentation qui servent à l'analyse : a) la législation et les productions officielles des
gouvernements fédéral et provincial concernant les orientations du programme de jumelage
b) les critères d'évaluation des ministères impliqués dans le financement du programme c)
les programmes spécifiques d'action- règles institutionnelles, dépliants publicitaires- que les
organismes communautaires émettent sur le fonctionnement et les objectifs du programme
de jumelage qu'ils adoptent ainsi que les rapports annuels des organismes.
4.12. L'observation
4.12.1. L'observation participante
L'observation et la participation furent nos moyens privilégiés de mise en contact avec le
terrain; nous avons assisté en tant qu'observatrice invitée à des activités/jumelage
organisées par les différentes intervenantes; soirée culturelle, soirée d'information sur le
processus migratoire, fêtes, rencontre de formation, sorties animées ou libres, Foire-
Jumelage. Nous avons participé assidûment de mai 1997 à juin 1998 aux réunions
mensuelles du Réseau jumelage à titre d'observatrice, de participante, de chercheure; nous
nous sommes jointe également aux différents sous-comités qui ont établi des liens avec des
partenaires sociaux, à titre de chercheure/participante. Nous avons assisté à titre
d'observatrice/participante aux réunions du Regroupement des organismes au service des
nouveaux arrivants (ROSNA).
Nous entendons par observation participante une immersion du chercheur dans la praxis
d'un groupe, praxis prise ici au sens donné par M. J.P Resweber, théoricien de la recherche-
action « perspective (moyens, buts, valeurs et finalités) sous laquelle on envisage l'action
collective » (1997). Une immersion au cours de laquelle le chercheur échange avec les
acteurs, sujets de l'action et objets de son observation. Comme l'écrit E. Morin : «
L'échange (fut) notre valeur déontologique-clé. » Échange de points de vue sur un aspect ou
un autre de l'intervention, échange d'observations sur l'action, et sur les acteurs, échange
129
d'impressions sur les processus, d'informations sur les politiques, échange à l'intérieur de
l'espace-groupe, échange à l'interface du couple chercheur/informateur, échange fait dans la
confidence et tenu dans le secret.
Nous avons adopté le principe de base de l'observation participante tel que formulé par A.
Fortin, sociologue, (1988:24) « de nous insérer dans la communauté, de nous mêler à sa vie
en la perturbant le moins possible. » Perturber le moins possible la dynamique du groupe
du Réseau, a signifié tenter de faire oublier l'influence de notre incursion. C'était compter
sur le temps ou sur notre manière d'être dans le groupe, sur notre capacité à saisir les
dispositions du groupe envers nous, notre capacité à nous intégrer dans ce groupe. Il nous a
fallu comme l'écrivent Dodier et Baszanger (1997:44) entrer dans le groupe et trouver la
bonne distance entre le groupe et nous (..) parce que ce sont les interrelations et en final, le
chercheur lui-même et le travail sur son expérience qui constituent l'instrument privilégié
de l'observation. » Le chercheur est le premier responsable de la qualité de la recherche.
Nous n'avons pas séjourné dans un organisme ou une entreprise quotidiennement pendant
quelques mois, notre étude de cas n'a pas exigé de nous une immersion active soutenue
dans la productivité du travail, nous n'avons pas accompagné de façon assidue les
travailleurs dans l'exécution de leur tâche; mais nous avons suivi l'évolution de leur
collaboration et de leur réflexion sur la transformation de la pratique du jumelage en
assistant aux réunions mensuelles, en ayant des conversations informelles avec les
participants, en suivant l'organisation et la présentation de la Foire, activité conjointe, en
participant à titre d'observatrice aux activités propres à chaque organisme tout en reliant ces
activités aux préoccupations formulées par le groupe.
Un des moyens de se faire accepter par le groupe est selon l'avis de W.F Whyte, d'avoir
l'appui des personnes influentes du groupe. Nous abondons dans le même sens. Dans notre
cas, nous n'avons pas eu à nous faire accepter par la personne-clef du groupe, à lui
consacrer du temps pour la convaincre du bien-fondé de notre projet. Nous connaissions
l'intervenant, désigné porte-parole du Réseau-Jumelage, un des initiateurs du projet. Nous
avions participé à l'automne 1996, à titre de chercheure à un autre projet-pilote initié par cet
intervenant, un projet-jumelage en région. Nous sommes convaincue que ce lien d'estime
réciproque que nous avons développé au cours de cette collaboration de recherche a
130
contribué à notre acceptation au sein du groupe Réseau. Au moment de notre présentation
au groupe, cette personne jouissait au sein du Réseau d'un certain prestige dû à ses
compétences dans le jumelage, à sa capacité d'organiser des activités dont une première
Foire-Jumelage. Le groupe lui attribuait aussi un certain pouvoir de référence en raison de
ses différents niveaux d'implication dans divers réseaux. Enfin on lui donnait, en même
temps qu'il s'était approprié, un rôle de médiateur, et celui de créer des liens entre les
différents membres qui se joignaient ou qui désiraient se joindre au Réseau. Cette personne
jouissait alors d'une bonne crédibilité.
Toutefois, il ne suffit pas d'être bien intégré dans un groupe, le groupe a lui aussi son mot à
dire sur la façon qu'il conçoit la participation du chercheur. Comme le rappelle A.Fortin, «
certains groupes refusent un observateur passif. » La nature de notre collaboration au
groupe fut redéfinie en cours de route; au gré de l'évolution de notre réflexion, selon les
demandes des intervenantes, dépendant des orientations que prenait le partenariat et aussi
selon les exigences de notre démarche que nous voulions praxéologique.
Mais la frontière entre l'observation et la participation n'est pas aussi franche, ne se définit
pas une fois pour toutes, elle est à re-négocier constamment; l'implication du chercheur
dans l'action doit être contrôlée, c'est-à-dire qu'elle doit être soumise à de fréquentes
vérifications de pertinence.
La recherche de l'équilibre entre l'observation/ la participation est une préoccupation
constante du chercheur /participant. C'est le quoi, le quand, le comment et leurs
conséquences sur la praxis du chercheur et sur celle du praticien qui deviennent des remises
en question des choix méthodologiques du chercheur. Celui-ci doit constamment se
questionner sur la nature de ses choix et lorsqu'il y a doute, s'assurer auprès des observés de
leur validité.
Frieedrichs et Lüdtke (1975, cité dans Aktouf, 1990:172) voient 2 pièges méthodologiques
à l'observation participante; « la perception sélective, du fait que toute observation en tant
qu'expérience subjective sera structurée par l'individu observant » . Nous croyons que la
triangulation des données permet d'éviter cette fabrication de la réalité; la deuxième, «
l'interinfluence de l'observateur/observé », qui est en fait selon leur définition, l'influence
du chercheur sur la situation, le pouvoir de transformation qu'il a sur elle de par sa seule
131
présence. Cette présence influente ferait, selon ces auteurs, que le chercheur étudierait une
situation artificielle se passant seulement en sa présence. Nous avons ressenti cette crainte à
un certain moment, mais nous l'attribuons plus au fait d'avoir fait ressurgir, par une prise de
position idéologique notre statut particulier de chercheure qu'à notre présence devenue
familière au groupe.
4.13. Objectivité et validité
L'objectivité, selon Kirk et Miller, « réfère à la décision de prendre un risque intellectuel, le
risque d'être réfuté . » Prendre le risque d'être réfuté c'est affirmer la construction de toute
réalité, c'est donc réfuter l'absolue vérité, mais c'est aussi nier l'absolue relativité en
admettant la temporalité de la réalité. En effet, le chercheur n'a-t-il pas construit cette
réalité dans l'interaction avec le monde empirique qui lui-même oppose sa propre
construction du réel (Aktouf, 1990:65) ? « La vérité (ou ce qui est considérée
provisoirement comme telle à un moment donné) (...) médiatisée par le sujet-connaissant
(Lessard-Hébert et all, 1990:65) (..) est limitée à la fois par la capacité de tolérance de la
réalité empirique et par le consentement de la communauté scientifique (Kirk et Miller,
1986, cité dans Lessard-Hébert, 1990:65). Nous nous attarderons pour l'instant à la
validation donnée par les acteurs du terrain.
Nous avons confronté nos données en procédant par « validation théorique » en divulguant
aux acteurs en cours de situation nos liens de réflexion, nos hypothèses; selon la demande
ou selon la nécessité que nous éprouvions. Cette validation de nos inférences avec celles
des sujets observés devient telle que nommée par Pourtois et Desmet (1987:57) une «
validité de signifiance ». Comme le mentionnent Lessard-Hébert et al. , les sujets observés
peuvent opposer ou manifester une certaine résistance au dévoilement de conceptions les
concernant. Des réactions variées, parfois insoupçonnées ont émergé, ce qui confirmait
pour nous l'aspect délicat appréhendé de la démarche.
Comme nous l'avons mentionné, nous considérons la durée de notre participation au Réseau
comme un facteur de validation de nos données. Cette longue collaboration nous a permis
132
de confirmer et d'infirmer certaines de nos hypothèses en lien avec l'évolution de la
situation. Et en accord avec Gauthier (1987, cité dans Lessard-Hébert, 1990:74) nous
considérons aussi le facteur de « proximité » de l'interaction personnelle basée sur un lien
d'estime et de confiance, comme un élément de validité de la recherche. Ce lien d'estime et
de confiance dans l'interaction ne signifie pas qu'il n'y aura pas de non-dit, mais permettra
qu'il y ait plus de dits et de meilleure qualité.
En ce qui concerne la validité de la recherche nous considérons que la triangulation des
techniques d'investigation, « la validation instrumentale » (« convergent multiple-méthods
approach » – Webb, 1970, mentionné par Lessard-Hébert, 75) a permis la confrontation des
données en cours de situation.
4.14. Analyse des données
4.14.1. Entretiens individuels
Nous avons interprété les données recueillies lors des entretiens individuels selon l'analyse
de contenu de Laurence Bardin (1977) et selon l'analyse sémiotique telle que proposée par
Everaert-Desmedt (1981).
4.14.2. Analyse de contenu
Le modèle d'analyse de contenu de L. Bardin nous suggère un codage comprenant les
référents (thèmes pivots), les personnages et les événements et une catégorisation des
attitudes, des comportements, des rôles, des valeurs.
La structuration de notre questionnaire nous a guidée pour déterminer les éléments du
codage. Parmi les référents, nous avons identifié : le jumelage, l'intégration, l'adaptation, le
partenariat, la culture organisationnelle et institutionnelle, les politiques. Parmi les
personnages : les intervenantes, les bénévoles, les nouveaux arrivants, les directeurs, les
133
agents, le ministre MRCI, le quartier, l'organisme, la population Montréal, la société
québécoise, la société d'origine du nouvel arrivant. Parmi les événements : les rencontres de
mise en contact-jumelage, la formation, les activités, le suivi, la promotion, l'évaluation. La
catégorisation par contre n'était pas pré-déterminée, c'est à la lecture et à la re-lecture du
récit et c'est par l'analyse sémiotique, « la recherche de formes sous-jacentes aux conduites
humaines et aux faits sociaux (Mucchielli : 1991:120) que nous avons découvert le contenu
implicite des énoncés, les contradictions, les tensions et les axes relationnels
(complémentarité, symétrie).
4.14.3. Analyse sémiotique des entretiens
Nous avons fait une analyse sémiotique des entretiens selon la méthode de Everaert-
Desmedt (1988). La sémiotique du récit, telle qu'appliquée par l'auteur, est divisée en trois
niveaux et parcours d'analyse. Les niveaux et parcours narratif, figuratif et thématique. Ces
trois niveaux (ou structures) et parcours (ou programmes) entretiennent des rapports entre
eux pour permettre de dégager la signification du récit, ce que Desmedt (1988:13) nomme «
le parcours génératif de la signification » et d'en faire l'interprétation.
Everaert-Desmedt part du principe que le récit est la représentation d'un événement,
événement qui comporte une situation initiale et une situation finale. Entre les deux, ont
lieu des séquences au cours desquelles apparaissent des transformations d'actions, d'états,
selon des indicateurs et des marqueurs de temps, d'espace, de contexte, d'acteurs et de rôles.
La situation finale et initiale du récit doit posséder au moins un trait en commun. Dans le
récit de l'intervenant en jumelage, par exemple, la situation initiale pourra être la quête de
rapprochement entre deux personnes, la situation finale, la rencontre interculturelle. Entre
ces deux situations a eu lieu le moment de la transformation. Lors de cette transformation,
il y a une situation conflictuelle, (forces ou volontés contradictoires) impliquant l'acteur
principal, des personnages définis comme étant des participants à une sphère d'action. Les
personnages sont classés selon trois grands axes de l'agir : la communication, le vouloir, la
lutte à soutenir. La variation des personnages est réduite à six personnages nommés «
134
actants » : destinateur/destinataire, sujet/objet, adjuvant/opposant. Les relations que les
actants entretiennent sont représentées par un modèle actantiel :
destinateur -------- objet -------> destinataire
adjuvant ------->sujet -------- opposant
Lorsqu'un sujet est en quête il agit et a donc le pouvoir de transformer le « faire
transformateur » pour arriver à un état de conjonction ou de disjonction avec l'objet
convoité. Ce processus est nommé programme narratif. Dans ce programme narratif nous
retrouvons quatre phases : la performance, l'action par laquelle le sujet agit en fonction de
sa quête, la compétence de celui-ci (les qualités et les moyens appropriés). L'exécution de
cette tâche à accomplir, ici la quête, sous-entend que le sujet a été placé en situation de
devoir ou de vouloir accomplir cette tâche et que cette mission lui a été dictée par une
instance, nous parlons de contrat. Une fois la mission accomplie, qu'il y ait échec ou
réussite, il y a l'évaluation ou la sanction (récompense ou châtiment).
Les séquences narratives sont donc :
Situation initiale ----- Transformation ------ Situation finale
– compétence (épreuve qualifiante)
– performance (épreuve principale)
– sanction (épreuve glorifiante)
En ce qui concerne l'analyse discursive ou thématique, nous nous sommes inspirée de la
méthode d'Everaert-Desmedt, jumelée à celle présentée par Guilbert (1992) qui s'inspire
des sources linguistiques et d'analyse du récit de Jakobson (1963) et Todorov (1971) ainsi
que du groupe d'Entrevernes (1962).
135
Dans l'analyse discursive, il nous faut regarder non plus le mot, mais la valeur de l'unité de
contenu, qui, selon le contexte, aura une fonction sémantique ou une valeur thématique
particulière. Il nous faut analyser les relations entre les personnages et leurs rôles, leurs
interactions avec les autres personnages du récit, les personnages et leurs actions en rapport
aux lieux, aux temps; ainsi, pourrons-nous dégager les thèmes, les oppositions
fondamentales qui traversent le texte. Ces relations entre les personnages de même que les
relations des rôles thématiques joués par un personnage définissent des axes sémantiques
organisés selon un ordre hiérarchique et selon des oppositions.
Prenons comme exemple, l'analyse sémiotique des relations entre jumelés dans la relation
de jumelage. Les oppositions fondamentales qui relèvent des axes sémantiques tels les
codes d'assiduité, relationnel et axiologique de la relation pourraient être :
Code assiduité | négligent // non négligent
Code relationnel | non engagé // engagé
Code axiologique | individualisme // collectivisme
Nous avons par cette technique d'analyse catégorisé des pôles contraires dans les attitudes
(ouverture/fermeture) les valeurs, (individuelles/collectives) les rôles
(médiateur/intermédiaire, initiateur/observateur) les stratégies des acteurs
(intervention/non-intervention, engagement/non-engagement). Une fois faite cette analyse
verticale des entrevues, nous avons analysé de façon horizontale et en les croisant les
différentes entrevues.
Ce que nous a révélé l'analyse sémiotique des entretiens, c'est la multiplicité et la pluralité
des stratégies déployées par les acteurs en situation, c'est l'espace-jeu des interactions.
Considérant cela nous avons décidé de poursuivre l'analyse selon l'angle proposé dans
l'analyse stratégique de Crozier et Friedberg (1977) L'analyse stratégique considère le
pouvoir de l'acteur au sein de l'organisation, « l'homme est aussi une tête », dit Crozier (cité
136
dans Mucchielli, 1977:21) c'est-à-dire une volonté personnelle, des objectifs personnels. La
rencontre de ces projets personnels avec les contraintes de l'Organisation (nous prenons
l'Organisation, dans le sens de l'Organisation du programme-jumelage ce qui implique les
politiques, les contraintes structurelles, les contraintes relationnelles) produit des
comportements qui sont de deux grandes catégories; la protection d'avantages (ou la
recherche d'un bénéfice social) et la négociation comme forme de lutte pour le pouvoir «
considéré comme une liberté d'action » . Nous entendons par pouvoir, pouvoir d'influence
qu'a l'acteur sur sa propre vie, ses propres actions et sur l'environnement. Cependant nous
ne considérons pas l'Organisation comme uniquement contraignante, mais comme pouvant
être également facilitante.
4.14.4. Analyse des pratiques d'intervention
Au niveau de la pratique d'intervention, nous retenons dans le cadre de notre analyse ces
notions de l'intervention en jumelage tirées de l'analyse stratégique de Crozier appliquée
par Gyslaine Roy.
Les Zones d'incertitude. « Ces zones d'incertitude sont des interstices de liberté inhérents à
tout type d'organisation et qu'il suffit d'apprendre à reconnaître et à utiliser » (Roy,
1992:57).
Les Pratiques silencieuses. Dans ces interstices se manifestent entre autres, cet « esprit
d'invention devant les contraintes bureaucratiques » et « le repérage des pratiques
silencieuses (Deslauriers, 1989, cité dans Roy, 1992:58) pratiques rebelles faites de ruses et
de complicité avec le vrai monde » ; toutes ces manifestations font état, selon Roy « d'une
acceptation de non-uniformité et de déviance (1992:58) et d'expression de la socialité » ,
une forme d'expression quotidienne et tangible de la solidarité de base » (Maffesoli, 1989;
cité: 62)
L'immoralisme éthique. C'est, toujours selon Roy, cette solidarité de base qui incitera les
intervenantes sociales à recourir à « l'immoralisme éthique » notion maffesolienne, qui est
« un espace de jeu et de ruse pour résister aux contraintes quelles qu'elles soient » (Roy,
1992:62).
137
Cette démarche exploratoire nous a fait découvrir entre autres, pour citer un exemple, que
ces tensions amenaient les acteurs à adopter des alternatives dans ce que nous avons
nommé des « espaces de transgression » limités par l'interdit, et des « espaces de créativité
» libérés de l'interdit jumelage.
138
Deuxième partie : Analyse des données
139
CHAPITRE V
Présentation des organismes et des intervenantes
5.a. Sommaire
Le jumelage entre nouveaux arrivants et Québécois est un programme qui s'inscrit à
l'intérieur du programme d'accueil et d'établissement des organismes au service des
nouveaux arrivants et immigrants. Dans la première partie de ce chapitre 5.1 nous
présentons un à un les organismes où travaillent les intervenantes et directeurs avec qui
nous avons eu des entretiens afin de démontrer les particularités et les visions respectives.
Au point 5.2 nous précisons les objectifs des programmes d'accueil et d'établissement des
organismes. Dans un effort de synthèse, au point 5.3, nous donnons les objectifs du
jumelage tels que définis par les organismes communautaires en comparant et en
différenciant ceux-ci de ceux attribués par l'État. Nous démontrons que si les objectifs du
programme de jumelage de ces organismes rejoignent dans leur fonction de régulation
sociale ceux définis par l'État via le MRCI, les organismes communautaires donnent
davantage d’importance à la notion du lien social dans sa fonction d'innovation et de
transformation des rapports sociaux.
5.1. Présentation des organismes (mission, domained'intervention, quartier), du directeur et de l'intervenant enjumelage
Sept des neuf organismes participant à l'étude sont des organismes d'accueil et d'intégration
des nouveaux arrivants. Les deux autres sont, l'un centre d'éducation populaire qui s'adresse
aux citoyens du quartier et qui offre des services de francisation et de jumelage aux
nouveaux arrivants, et l'autre, un organisme dont la clientèle est exclusivement féminine et
qui a développé un volet service aux femmes immigrantes. Le plus ancien existe depuis
140
1890 et fut institué par la communauté du pays d’origine afin de répondre aux besoins de
leurs congénères émigrés; le plus récent, créé en 1993 est un petit organisme de quartier
mis sur pied par un comité de citoyens issus de l’immigration. La clientèle immigrante des
organismes se répartit ainsi : des réfugiés au sens de la Convention, des requérants au statut
de réfugié, des gens en situation de détresse, des gens de la réunification familiale et des
immigrants indépendants.
Dans un souci de confidentialité et animée d'un vouloir sauvegarder l'anonymat des
informateurs, nous rappelons que nous leur avons attribué une lettre de l'alphabet. Ainsi le
directeur et l' intervenante en jumelage d'un même organisme sont identifiés par la même
lettre : ex : organisme C, directeur C, intervenante C.
L’organisme A
L’organisme A a été fondé en 1890. Il a suivi l’évolution et l'histoire du Québec, « il a
évolué avec son temps » de dire le directeur. Il a toujours sa vocation sociale première,
l'entraide entre français, mais n'y sont plus le vestiaire, la soupe populaire et les services en
santé qui ont été repris par d'autres organismes.
Objectifs selon les documents officiels
L’organisme offrait jusqu’à tout récemment des services à des nouveaux arrivants français
(activités d'accueil, de loisirs, activités sociales); ainsi, les nouveaux arrivants accueillis et
personnes–ressources, les « parrains », étaient exclusivement de nationalité française.
Aujourd'hui, ils sont de langue française. « Ça rejoint des aspirations qui proviennent de la
communauté, de même que du gouvernement situé au pays d’origine qui est le principal
bailleur de fonds » (directeur). Le MRCI est un petit bailleur de fonds « même s'il devient
141
important », selon le directeur, puisque l’organisme rejoint la volonté politique du MRCI
quant à la sélection d’immigrants francophones indépendants.
Il y a aussi des activités de service communautaire ou d'ordre culturel. Il faut dès lors
considérer l'organisme comme un centre communautaire où il y a d'autres organismes qui
viennent donner soit des services ou des activités. L’organisme A est situé près du centre-
ville.
Le programme de jumelage
Le jumelage est défini comme une relation d’accueil et d’accompagnement dans les
premiers mois d’installation au nouveau pays, comme une activité socio-culturelle et de
loisirs où est donnée l’information sur la vie politique et sociale d’ici, et comme un outil au
niveau de l’employabilité.
Le jumelage existait de façon informelle à l'organisme A bien avant l’entente de 1991;
sous forme d'activités, de mises en contact informelles. Selon le directeur, « les gens se
jumelaient spontanément; on appelait ça des parrains; quand le programme est arrivé, les
organismes ont adapté le service pour le faire entrer dans le programme. » L'intervenante a
adopté deux façons de faire : le jumelage individuel, où elle donne le numéro de téléphone
du nouvel arrivant au bénévole qui doit faire le contact, et le jumelage par rencontre de
groupe. Cette rencontre de groupe se fait lors d'un brunch; l'intervenante a l'impression
qu'ainsi le jumelage relève plus de la responsabilité des jumeaux qui se choisissent eux-
mêmes. L'intervenante est là à titre d'hôtesse, d'animatrice qui au besoin va présenter les
personnes, va suggérer l'une à l'autre. Le jumelage à l'organisme A est fait principalement
entre nouveaux arrivants français et anciens immigrants francophones, quoique le profil
tend à changer pour accueillir des francophones d'Afrique et d'Europe de l'Est.
142
Parcours du directeur
D’origine française, le directeur A était au Québec depuis 15 ans lors de notre entretien en
98 (il quittera l'organisme à l'automne 2000). Ce dernier se définit comme un gestionnaire,
mais surtout comme un visionnaire, « moi ce qui m'intéresse le plus c'est de développer des
services, des activités, faire en sorte qu'on puisse se rapprocher de la clientèle et de la
société d'accueil. »
Venu au Québec par désir de changement, il veut « mettre des choses sur pied » . Le
directeur est représentant du personnel au conseil d'administration; invité à titre
d'observateur, sans droit de vote : « Mais moi je suis plus qu'un observateur (rire ) je peux
influencer par mes observations, mes rapports... » ajoute-t-il.
Parcours de l’intervenante
Précisons immédiatement que les intervenantes en jumelage ont différentes formations
académiques et différents parcours professionnels : sur les 9 intervenantes que nous avons
interrogées, une seule a une formation universitaire en travail social, les autres ont des
formations diverses et ont travaillé dans différents domaines soit ceux de l'andragogie, de
l'animation en milieu multiethnique, de l'enseignement du français, de l'anthropologie, et
autres.
D'origine française, l'intervenante A a migré au Québec il y a 30 ans avec son mari qui y est
venu enseigner. L'intervenante faisait du travail social à l’organisme depuis 2 ans lorsque
nous l'avons rencontrée en 1996. Ayant débuté à titre bénévole, elle est devenue
permanente et s'occupe du travail social, notamment de la question des fonds de retraite et
du jumelage (1 jr semaine). Elle a quitté le programme jumelage en 2000. Considérant que
le Réseau jumelage répondait peu à ses attentes, notamment en ce qui a trait à des activités
débats, à des échanges culturels, celle-ci y a peu participé. L’intervenante croit que le
Réseau a un bien-fondé, mais que « ce n'est peut-être pas elle qui est la bonne personne. »
143
Le jumelage est un aspect de son travail, mais selon ses dires, ce n'est pas sa priorité : «
même si ça a l'air de le devenir parce que ça prend de l'ampleur. » L’organisme a tenté de
mandater des bénévoles au Réseau, sans plus de succès, toutefois depuis mars 2000, la
nouvelle intervenante responsable du jumelage s’y implique. Son intérêt, outre de répondre
à certaines difficultés propres à la pratique, est le développement des liens avec les
syndicats et organisations.
L’organisme B
L'organisme B a été fondé en 1989. Sa mission de départ visait l'adaptation des immigrants
par les services d'accueil et d'établissement. En 1994, l'organisme réoriente sa mission en
fonction de l'intégration. Celle-ci devient : intervenir auprès des immigrants dans les étapes
d'établissement et d'intégration personnelle, professionnelle et sociale en adaptant les
services à leur vécu et à la société d'accueil (tiré du rapport annuel, 1997). L’organisme B
est situé à Ville St-Laurent, il est un organisme de quartier, c'est-à-dire que la clientèle
immigrante vit à proximité du centre. Un des quartiers que dessert l'organisme B est un
quartier de classe populaire où vit une importante communauté asiatique. Le départ des
Québécois d'origine francophone va de pair avec la multiethnicisation du quartier. L'intérêt
pour ce quartier serait lié, selon l'étude de J. Charbonneau (1993:227), aux avantages du
site où est situé le métro et plusieurs institutions telles le CLSC, le YMCA, une Mosquée,
des organismes communautaires comme le Centre Échange entre Femmes (partenaire de B)
qui reçoit aussi les femmes d'un autre quartier. Un autre quartier à proximité, autrefois
quartier aisé très multiethnique, vit aujourd'hui une tendance à la réduction de sa
multiethnicité. Même si les Québécois anglophones et francophones sont encore
majoritaires dans le quartier, leur nombre diminue constamment. La communauté libanaise
devient la plus importante en nombre. Le « sens du lieu » s'est ainsi créé, selon
Charbonneau, (1993:227) « autour de la présence d'un certain noyau de population qui agit
comme un aimant vis à vis des nouveaux résidents. »
144
Programme du jumelage
En 1991, des jumeaux se réunissaient sur une base amicale par le biais d'une église
chrétienne. En 1992, l’organisme B s'est joint à l'église. Le jumelage en tant que
programme subventionné y existe depuis 1994, mais a eu un arrêt d'un an, en 1995-1996.
En 1995, l'organisme amorce une restructuration du programme de jumelage : « on s'est
rendu compte que ce n'était pas la meilleure façon, les attentes des gens étaient tellement
grandes » de souligner l'intervenante B.
Le rapport annuel de 1996-1997 précise en ces termes les objectifs généraux du jumelage :
« ce dernier vise à fournir du support aux nouveaux arrivants qui désirent s'intégrer à la
société d'accueil en étant guidés et soutenus par des Québécois qui souhaitent les
accompagner dans leurs démarches. Les objectifs spécifiques sont favoriser le
rapprochement interculturel, faciliter la connaissance culturelle et sociale de la société
québécoise; informer les jumeaux sur la problématique de l'intégration des immigrants et
leur suggérer des moyens pour y parvenir; et pour les immigrants avoir une occasion de
pratiquer le français. »
Un des objectifs du jumelage inscrit dans le rapport annuel 1997 et au moment de notre
entretien était le jumelage des intervenants sociaux et des nouveaux arrivants. Ce n'est plus
l'objectif en 1998.
L'originalité du programme de cet organisme est l'ouverture dite du recrutement des
bénévoles québécois aux « Québécois de toutes origines » (rapport annuel 1996-1997). En
1996, l’intervenante B travaille en collaboration avec une autre intervenante d'origine
cambodgienne. « La directrice, dit-elle, trouvait ça intéressant qu'il y ait une Québécoise et
une immigrante au jumelage, cela fait une dynamique intéressante. Elle m'apporte
beaucoup, je lui apporte le point de vue québécois, on peut échanger sur les problèmes,
mais c'est un gros défi. La difficulté c'est de trouver le fil conducteur. » En fait les deux
intervenantes ne font pas les entrevues ensemble, c'est ainsi que l’une peut assumer le suivi
auprès d'un couple jumelé au départ par l’autre. L’intervenante dit avoir essayé de s'adapter
à cette situation; faute de temps pour faire les entrevues ensemble, « on essaie, précise-t-
145
elle, de partager les tâches, car l'avantage est dans l'organisation commune des activités » .
Depuis, il y a eu une restructuration à l’organisme; les deux intervenantes ne travaillent
plus ensemble et l’intervenante B est responsable du volet interculturel : Femmes du
Monde, le PRI, le jumelage, la problématique de la pauvreté et les liens avec les quartiers.
En 1998, une stagiaire anthropologue seconde l’intervenante B. Celle-ci apprécie cette
collaboration : « Travailler à deux, c'est mieux, ce programme là, seule, c'est lourd; il faut
créer des liens, faire de la promotion, faire un plan d'action... »
Parcours de la directrice
La directrice vit au Québec depuis 1989. Elle a laissé une société où il y avait une montée
de l’intolérance pour une société où elle trouverait la paix et l’harmonie pour ses enfants.
Au Québec, elle décide de s’impliquer au niveau social auprès des immigrants « pour aider
cette société à évoluer de la bonne façon. » Au moment de notre entretien, en 1998, elle
était directrice de l’organisme B depuis cinq ans (elle quittera en 1999). Avant d’occuper ce
poste, elle y avait travaillé pendant six mois à titre de technicienne en informatique et de
coordonnatrice. La directrice lance à l’organisme l’idée du jumelage d’adaptation qui veut
susciter la participation à titre de personnes–ressources de bénévoles qui ont connu un
parcours migratoire.
Parcours de l’intervenante
Lors de l'entrevue, en novembre 1996, l’intervenante travaillait à l’organisme B depuis 6
mois. Elle quittera l'organisme à l'automne 2000. Originaire de la ville de Québec,
diplômée en anthropologie de l'Université de Montréal, elle a travaillé dans des institutions
financières et possède un certificat des HEC. « J'ai voulu comprendre le monde des affaires
» (...) parce que tu ne peux critiquer ce que tu ne connais pas. » Ce qui l'intéresse, ce sont
les relations internationales et l'intégration des immigrants. « J'essaie de comprendre le côté
146
social, le côté économique et le côté politique » (...) Elle croit nécessaire qu’il y ait des
partenariats entre les trois domaines ci-hauts mentionnés et entre les différents acteurs.
Au début, comme elle le rappelle, elle ne « s'est pas trop investie dans le jumelage; elle a
fait une « fouille archéologique », a essayé de comprendre les années passées, les anciens
jumeaux, les structures » . Au moment de l'entrevue, elle travaillait deux jrs/s au jumelage
(trois jrs par la suite), et le reste du temps à titre d'intervenante sociale. L’intervenante est
elle-même jumelée tout comme l’intervenante I et comme l’a été l’intervenante E.
L’intervenante B s’implique au Réseau jumelage depuis sa mise en place. Elle y a assumé
le mandat de porte-parole de mars 1998 à l’été 1999. Le Réseau permet selon elle, de voir
qu'il y a différentes façons d'aborder le jumelage, différentes manières de le structurer. En
novembre 1996, ses attentes face au Réseau étaient que les intervenantes solidifient
l'approche du jumelage, qu'ils essaient de voir les défis et d'avoir des solutions en commun.
Son intérêt est la réflexion sur la transformation de la pratique, les liens avec les syndicats
et associations de même que le renforcement des mécanismes de collaboration entre les
intervenantes, notamment le « mécanisme de transfert » qui consiste à la création de
jumelages entre deux organismes dans le but de réduire le temps d’attente des jumelés et de
faire de meilleurs pairages.
L’organisme C
L'organisme C est le plus ancien des organismes d'aide aux immigrants. Il fut fondé en
1947 par les Sœurs de Notre-Dame du Bon-Conseil pour accueillir les milliers de personnes
déplacées qui fuyaient l'Europe à la fin de la Seconde Guerre mondiale (rapport annuel
1996-1997). L'organisme C est situé dans un quartier huppé; sa clientèle immigrante n'est
donc pas de ce quartier. De même, notamment dans le jumelage, les bénévoles viennent
147
aussi majoritairement d'autres quartiers puisque la majorité des résidents avoisinants le
centre sont anglophones51.
L’organisme C a une culture organisationnelle bien établie, mais laisse place tout de même
à un espace de créativité. L’intervenante en jumelage a établi une relation interpersonnelle
d'estime et de confiance avec la directrice, basée sur leur personnalité peut-être, mais aussi
sur les compétences de l’intervenante et sur la non-ingérence de la directrice dans
l’intervention en jumelage. Ce qui a comme conséquence que l'intervenante jouit de
beaucoup d'autonomie, qu'elle peut même discuter de certaines orientations avec la
direction, entre autres en ce qui concerne le jumelage et ses implications selon qu'il sera
subventionné dans le cadre du PAEI ou du PRI.
L’intervenante dit : « j'ai de la place dans mon travail, mais c'est très subjectif, peut-être
qu'avec une autre intervenante, elle n'aurait pas le même genre de relation. » Cette dernière
a été élue en 1997-1998- membre avec droit de vote au conseil d'administration.
Programme de jumelage
Le programme de jumelage dans sa forme actuelle existe à l'organisme C depuis septembre
1995. L'idée de départ était le jumelage aînés/enfants, idée refusée par le MRCI.
L'organisme C l'a reconverti en jumelage intergénérationnel, où l'on retrouve dans plusieurs
jumelages la relation grand-mère/ enfant, mère/fille. La justification d'un tel programme
auprès du MRCI fut basée sur des indicateurs : tel l'isolement des aînés, sur des postulats
émis par le MRCI dans le cadre des programmes PAEI que sont l'aide à l'adaptation et à
l'intégration, et dans le cadre du PRI52, un geste manifestant l'ouverture à l'autre et une
occasion de s'enrichir culturellement. Toutefois, au moment de notre entretien, l’organisme
ne reçevait qu’une petite subvention dans le cadre du PRI.
51 Nous rappelons qu'un des objectifs du jumelage est la pratique du français
52 PRI, aujourd'hui PSPC : programme pour les relations interculturelles (PRI), il est devenuprogramme de soutien à la participation civique (PSPC).
148
Le projet en 1996-1997, nommé alors Amitié-Jumelage avait comme objectif, le partage
interculturel et le rapprochement de nouveaux arrivants avec des aînés en particulier. Ce
programme propose aux immigrants de briser leur isolement, de se constituer un premier
réseau social pour découvrir le pays d'accueil par le biais de l'amitié, de se familiariser avec
les modes de vie des Québécois, de parler de ses découvertes de son pays d'origine et de
pratiquer la langue française dans une ambiance chaleureuse. Il offre aux aînés d'ici une
expérience intergénérationnelle et interculturelle : faire connaître le Québec et sa culture à
travers son histoire personnelle et ses expériences, accueillir les richesses des autres
cultures et favoriser l'apprentissage du français aux néo-québécois (rapports annuels 1995-
1996-1997).
Même si la caractéristique principale du programme jumelage à l'organisme C est le
jumelage intergénérationnel, les jumelages ne sont pas tous intergénérationnels, et ne sont
pas tous entre familles. L'intervenante commente ainsi cette situation :
Parce que les projets de jumelage, il ne faut pas non plus les fermer(...) donc tous les gens
de bonne volonté en quelque sorte qui viennent me voir, quel que soit leur âge, du côté
des gens d'ici, je te dirais même aussi d'anciens émigrants aînés (intervenante C, 1996).
Parcours de la directrice
La directrice actuelle est en poste depuis 1992, mais elle connaissait le centre depuis
longtemps :
J’étais étudiante, dit-elle, le dimanche nous passions pour aller à la grand-messe et on nous
avait dit que c'était un centre pour immigrants, mais dans ce quartier, tu n'avais pas le droit
de t'afficher (...). On est venu faire les services le jeudi53 (...) et j'avais travaillé un peu avec
les immigrants à Longueuil.
53 Les soupers du jeudi peuvent être considérés comme étant les premiers lieux d'échange interculturel où on
invitait des Québécois à venir rencontrer, autour d'un repas, des réfugiés.
149
Parcours de l’intervenante
L’intervenante C était intervenante à l'organisme C depuis un an et demi lorsque nous
l'avons rencontrée à la fin de l'année 1996 (elle quittera son emploi en 1998). Celle-ci a eu
« plusieurs parcours migratoires et plusieurs parcours interculturels » : de nationalité
française, elle est née et a grandi au Vietnam; elle a vécu en France ainsi qu’au Maroc. Elle
est diplômée en sciences et en andragogie, et a travaillé à la formation des adultes au Maroc
et en France. C’est pour améliorer sa qualité de vie et celle de sa famille qu’elle migre au
Québec en 1993. Elle connaissait peu son nouveau pays d'accueil si ce n'est par quelques
lectures. Le côté multiculturel de Montréal l'a attirée; elle affirme « détester l'homogénéité.
» Considérant ses expériences de travail en formation interculturelle auprès des Québécois,
puis avec des nouveaux arrivants au niveau de la francisation, elle trouve logique que ce
parcours l’ait amenée à travailler au programme jumelage, c'était, selon son expression,
comme « fermer la boucle. » Elle est entrée à l'organisme C en francisation, dans le cadre
d'un programme d'emploi subventionné par l'État. En 1996, elle travaille quatre jours/
semaine : deux jours et demi en jumelage, un jour et demi en francisation et en
employabilité pour l'organisation d'activités collectives. Au moment de son départ en 1998,
elle travaillait cinq jours/semaine. La nouvelle intervenante possède un certificat en relation
multiethnique; elle est plus jeune, elle a le goût de recruter les participants québécois du
jumelage au sein de son réseau. Toutefois, elle maintiendra aussi le jumelage avec les aînés
en accord avec les conseils de l’intervenante C, pour répondre aux besoins des gens déjà
inscrits dans le programme et selon les désirs de la directrice qui a institué ce type de
jumelage.
L’intervenante C a participé à la mise en place du Réseau jumelage et s’y est beaucoup
investie. Son intérêt porte sur l'approfondissement de la réflexion sur la pratique du
jumelage et l’échange des points de vue dans le but d’une amélioration de la pratique. Entre
autres sujets, elle mentionne la question de la responsabilité de l'intervenante en jumelage à
penser d'autres lieux de rencontre interculturelle que celui du jumelage interpersonnel, où il
y a présentation d'individu à individu qui selon l'intervenante « est malgré tout très limité
(...), il faut élargir. »
150
L’intervenante qui est depuis devenue responsable du programme continue de s’impliquer,
au nom de l’organisme, au Réseau jumelage; ses préoccupations rejoignent celles de
l'intervenante C.
L’organisme D
L’organisme D, créé en 1979, bien qu’il ait développé des liens de collaboration et des
espaces de concertation et de partenariat avec les organismes et institutions du quartier a
une approche régionale, c'est-à-dire qu’il dessert la clientèle immigrante de l'île de
Montréal: « on a des gens de partout », de dire l’intervenante. L'organisme D est situé à la
frontière du Plateau Mont-Royal.
Programme de jumelage
Le programme du jumelage existe à l’organisme D depuis 1987, à Montréal, il est le
premier organisme à offrir le programme jumelage subventionné par le gouvernement
fédéral. Celui-ci, comme nous le verrons, a servi de modèle à d’autres.
Lorsqu’en 1987, l'organisme D démarre le programme, il veut alors se démarquer de
l'orientation qu'avait un autre programme-jumelage, créé la même année, et qui orientait la
relation dans l'axe aidant/aidé plus apparenté à la notion de parrainage. L'organisme de
Montréal définit alors ses propres principes : « le jumelage doit permettre d'établir des
relations égalitaires, des échanges d'ordre économique ou amoureux ne doivent pas avoir
lieu; les Québécois d'origine, participants, ne doivent pas être perçus comme des
travailleurs sociaux, le jumelage implique l'établissement d'une relation où les deux parties
apprendront l'une de l'autre; le jumelage ne doit pas entraîner la création d'une relation
d'aide (dans le sens aidant-aidé), mais bien de permettre la naissance d'une relation d'amitié
» (extrait du Rapport final, Évaluation du programme Amitié-Jumelage, G. Aiquel,
1994:10-11).
151
Tel que décrit dans le dépliant de l'organisme D : Le programme de jumelage a comme
objectif général « de contrer les obstacles qui ralentissent l'intégration des nouveaux
arrivants en sol québécois » . Ces obstacles sont identifiés comme étant des difficultés
linguistiques, des préjugés, des barrières racistes et une méconnaissance de part et d'autre.
L’organisme oriente le programme selon trois axes : le rapprochement interculturel, l'amitié
et l'accompagnement dans les étapes d'intégration.
Parcours de l’intervenante
L’intervenante travaillait à l’organisme D depuis environ huit mois lorsque nous l’avons
rencontrée en 1996; elle quittera en 2000. Ses expériences antérieures de travail ont été
dans des groupes de femmes, dans le domaine de la violence conjugale, et dans le domaine
des communications, notamment, il y a plusieurs années, au ministère de l'Immigration, et
dans les organismes qui font de l'info-référence, de la recherche et de la formation aux
bénévoles « mon expérience, dit-elle, est très variée, ça touche un peu tous les points ! »
L’intervenante est impliquée, depuis une dizaine d’années, à l'organisme D comme
bénévole et elle travaille à temps partiel, trois jours semaine en tant qu’intervenante en
jumelage. Québécoise d'origine, c’est en référence à sa propre union mixte et à partir des
expériences de voyage, de la découverte des autres cultures, des chocs culturels et de la
difficulté parfois vécue d'établir des liens avec les habitants des pays visités que
l’intervenante affirme à la fois ses compétences pour œuvrer dans le champ des relations
interculturelles et la nécessité du programme de jumelage pour les nouveaux arrivants. Elle
a participé aux premières réunions du Réseau, puis y est venue de façon sporadique, faute
de disponibilité, quoique peu de temps avant son départ de l’organisme, sa présence était
plus assidue54.
54 Depuis l'automne 2000, la nouvelle intervenante en jumelage de l'organisme D participe aux réunions du
Réseau
152
L’organisme E
L’organisme E est né en 1973 d'un besoin d'information concernant leurs droits manifesté
par plusieurs femmes, suite à la publication d'un journal féministe au centre ville. La lutte
initiale était de contrer la violence faite aux femmes. L’organisme a donc une vocation
spécifique et dessert la clientèle d'un vaste territoire, celui de l'île de Montréal. Le service
aux femmes immigrantes a été mis sur pied en 1977 : ses objectifs sont d'encourager
l'autonomie et l'intégration à la société d'accueil.
Programme de jumelage
Le programme de jumelage qualifié d'échange interculturel a débuté comme un projet
supervisé par deux stagiaires de l'École de service social de l'Université de Montréal;
celles-ci se sont inspirées du programme jumelage existant à l’organisme C55. En 1991-
1992 il fut intégré aux services de l’organisme et, selon la directrice, structuré davantage :
Il y a encore beaucoup de travail à faire parce qu'on n'a jamais eu tellement de ressources
permanentes et ça c'est un gros problème, ce qui fait que la superviseure, moi ou une autre
personne de l'équipe supervisait les personnes responsables du jumelage qui ont toujours
été des personnes à temps partiel soit des stagiaires, soit des mesures extra.
Le budget de l’organisme ne lui permet pas de donner un poste permanent à une
intervenante étant donné que dans le PAEI, programme au sein duquel est le jumelage,
l’organisme doit inscrire en priorité d’autres services essentiels.
55 Données extraites de Femmes immigrantes et intégration sociale; évaluation d'un
projet d'échange interculturel, par Samanta Daignault, École de Service Social, Université
de Montréal , avril 1996.
153
Moi j'ai remarqué que, notamment dans le cas de cet organisme, on lui a accordé peu de
subventions pour son programme jumelage. L'attribution des subventions, il y a comme un
historique; traditionnellement on a consacré l'argent au volet première ligne. À l’organisme
C aussi, les gens le font à bout de bras (agent 2 du MRCI).
Confrontée à des contraintes budgétaires, à des choix dans la gestion financière et
administrative de l’organisme, la direction doit négliger le jumelage. Comme nous le
verrons, ce choix dans une situation qualifiée de non-choix complexifie le travail de
l’intervenante car son intervention est marquée de façon indéniable par la discontinuité,
dans le lien constamment rompu avec les jumelés.
Le jumelage tel que défini dans le dépliant de l’organisme E favorise un échange
interculturel et facilite l'intégration des femmes immigrantes à la communauté québécoise.
Les objectifs sont : favoriser un échange interculturel, faciliter l'intégration des femmes
immigrantes à la communauté québécoise en brisant l’isolement des femmes immigrantes
et en leur permettant d'améliorer leur français.
Dans son analyse du programme de jumelage, S. Daignault lie l'ouverture à la différence
interculturelle et la conception du jumelage dans une perspective égalitaire au modèle
féministe utilisé dans plusieurs centres de femmes. Les objectifs du jumelage inspiré par ce
modèle sont : « développer une solidarité entre femmes et groupes de femmes, développer
une estime de soi, favoriser une prise en charge de leur propre vie, promouvoir l'autonomie
des femmes sur le plan personnel et social » (1996:29,30). Les bénévoles ne doivent pas
devenir ou s’improviser travailleuses sociales. La directrice insiste sur ce dernier aspect : «
on dit aux gens si vous vous apercevez que la personne a trop de dépendance revenez-nous
avec ça parce qu'on est là pour intervenir comme travailleuse. »
Parcours de la directrice
Lorsque nous l’avons rencontrée, la directrice de l'organisme E avait travaillé au service
des femmes immigrantes à titre de conseillère à l’immigration puis à titre de directrice, de
1985 à 1998. Elle quittera ce poste en 1999. Elle a une formation en travail social et une
formation juridique en droit. « Mais dans ce travail là, commente-t-elle, le côté légal ce
n'est pas perdu ! »
154
Selon ses dires, elle est venue à l’immigration un peu par hasard quoique, affirme-t-elle, ce
travail soit lié à sa formation, et alors qu'elle était encore imprégnée par un voyage en
Amérique centrale. Comme dans le cas des directeurs des organismes A et B, elle est restée
« parce qu'il y avait une ouverture et un développement possible il y avait ici des défis pour
moi. C'était des années où justement en ce qui concernait les partenariats avec les deux
niveaux fédéral et provincial, il commençait à y avoir des débouchés. »
Au conseil d'administration, la directrice et une représentante du personnel ont le droit de
vote. Cependant la directrice décrit son rôle comme l’un d’information et d’échange plutôt
que « d'apporter des revendications. »
Parcours des intervenantes
Depuis 1996, nous avons rencontré trois intervenantes stagiaires qui ont travaillé tour à tour
au programme jumelage à l'organisme E dans le cadre du programme subventionné,
programme extra56. Nous avons réalisé l'entrevue avec la deuxième intervenante, nous
avons eu toutefois des contacts plus réguliers avec la troisième intervenante qui a participé
au Réseau pendant un an.
Parcours de la deuxième intervenante
L’intervenante est venue au Canada pour des raisons politiques et de guerre en 1993
comme réfugiée sélectionnée. Originaire du Salvador, elle travaillait avec des groupes de
femmes à la campagne en lien avec des organisations de lutte pour les droits de la personne.
Après onze mois d'établissement et d'implication bénévole à Régina en Saskatchewan, et ne
56 Une a travaillé en 1995, la deuxième terminait son mandat quelques jours après notre entretien en
novembre 1996, une autre intervenante y a travaillé du printemps 1997 au printemps 1998, puis fut à son tour
remplacée. Depuis c'est la coordonnatrice du programme qui assiste aux réunions du Réseau.
155
trouvant pas de travail, elle décide de venir à Montréal. Ayant terminé les cours de français
au COFI puis une formation de deuxième niveau, elle est devenue bénévole à l’organisme
E auprès des femmes immigrantes puis responsable du jumelage dans le cadre d’un
programme extra.
L’organisme F
L'organisme F, à la différence des autres organismes qui font partie du Réseau jumelage est
un centre d'éducation populaire, qui ne s'adresse pas de façon prioritaire aux nouveaux
arrivants. Ce centre d'éducation populaire existe depuis 25 ans. Les services qui s'adressent
aux nouveaux arrivants sont la francisation et le jumelage. Les nouveaux arrivants sont
invités ainsi que les autres résidents du quartier à participer à des activités « de formation,
de sensibilisation, et de loisirs » par le biais du programme de rapprochement interculturel.
Cette dynamique propre au centre permet à l’intervenant de par la compétence démontrée et
l'expérience acquise de jouir d'une grande autonomie : « Il (le directeur) me fait entièrement
confiance et même lorsqu'on se rencontre, c'est moi qui apporte les doutes par rapport à la
boîte, c'est moi qui apporte les nouveaux projets » (intervenant 1996).
Le fait aussi que l’intervenant soit sur différents comités influents dans le domaine de
l'immigration tel, membre du conseil d'administration de la Table de concertation des
organismes de Montréal au service des réfugiés (TCMR)57, membre du ROSNA, et depuis
septembre 1997 pour un mandat de deux ans révocable ou renouvelable, membre du comité
aviseur auprès du MRCI, lui donne un prestige au sein de l’organisme et une visibilité à
l'extérieur du centre. Ses responsabilités lui confèrent un pouvoir de représentation et
d'information qui sera bénéfique non seulement à l’organisme, mais aussi aux autres
intervenantes, membres du Réseau jumelage interculturel de même qu'à différents acteurs
du MRCI.
57 Aujourd'hui TCRI.
156
Programme de jumelage
Le jumelage est né d'une constatation d'un besoin : besoin des immigrants de pratiquer le
français et non-occasion de le faire; il fut mis en place en 1992 avec ces deux options :
soutien linguistique en français et rencontre interculturelle.
Trois formes de jumelage
Actuellement, il existe trois formes de jumelage à l'organisme : le jumelage soutien en
français oral/écrit, il est écrit dans le dépliant que « de cette façon, le Centre fait appel à des
personnes bénévoles désirant aider un participant des cours de français langue seconde
(une personne immigrante) soit par la conversation ou par des exercices écrits. » Ce
jumelage fait appel, selon l’intervenant, davantage à la philosophie du bénévolat, dans un
axe complémentaire où l'un donne et l'autre reçoit ce qui n'empêche pas toutefois que cette
relation puisse évoluer vers une relation plus symétrique de découverte mutuelle et
d'établissement d'un lien plus approfondi.
Un autre type de jumelage est appelé échange interculturel; celui-là, tel que décrit dans le
dépliant, « offre la possibilité aux nouveaux arrivants et aux Québécois de se rencontrer
pour pouvoir échanger sur une foule de sujets dans un climat amical. » Ce type de jumelage
se situe dans l'axe symétrique de réciprocité que l’intervenant situe à l'opposé du bénévolat.
Le troisième type de jumelage est intégré au projet « Découvertes en région » : des
nouveaux arrivants sont conviés à aller explorer une région tout en séjournant chez des
familles d’accueil. Dans ce cas, le jumelage se situe dans la découverte mutuelle, et
l’échange interculturel.
Parcours de l’intervenant, de l’intervenante
L’intervenant responsable du jumelage est né à St-Jean sur Richelieu; lorsque nous l’avons
rencontré en 1996, il était intervenant à l'organisme F depuis depuis 4 ans, et responsable
des programmes de jumelage depuis septembre 1997. Il quittera l’organisme F en 1999. Il
157
partage la responsabilité du jumelage interculturel avec une autre intervenante. Il a un
baccalauréat en animation culturelle et a obtenu un certificat en immigration et relations
ethniques de l'UQÀM.
L’intervenant F est un acteur qui met de l'avant des projets, un acteur « innovateur » qui
possède une vision globale du phénomène de l'immigration; vision qui le porte à s'engager
dans plusieurs projets, à proposer de nouvelles avenues : le Réseau jumelage, les séjours
d'immersion en région, l'alliance PSIE/PAEI, un café à l'intérieur du centre, l'internet
comme outil de rapprochement... L'intervenant F a été à l'origine de Réseau. Lors d'un
entretien en janvier 1998, l’intervenant mentionne le pourquoi du nom Réseau : « d'une part
c'était pour sortir de l'appellation de la Table, c'était aussi réseau dans le sens de s'entraider
: « j'ai donné le ton , mais j'avais cette idée d'aller chercher des partenaires. » Les membres
du Réseau ont été recrutés par ce dernier. Les objectifs du Réseau qui sont encore valables
aujourd’hui, il les définit ainsi : se créer un réseau d'échanges » pour s'entraider, s'outiller,
se donner de la formation, s'autoformer en allant chercher ce que les autres font sur certains
sujets, certains thèmes et avoir la possibilité de faire des activités communes » . Ces
activités communes ont comme but de faire connaître davantage le programme de jumelage
au sein de la population.
L’autre intervenante, qui a été responsable du programme jusqu'à l'été 2000, a enseigné le
français aux nouveaux arrivants au COFI, puis à l’organisme F. Elle a participé à la mise
sur pied du programme jumelage. Elle y a travaillé depuis septembre 1997 et a participé
activement au Réseau jumelage de 1998 à 2000. Son intérêt est tout ce qui concerne la
transformation de la pratique, notamment la question du suivi et l’amélioration des
formations aux intervenantes.
L’organisme G
L’organisme G fut fondé en 1981. A ses débuts, il répondait aux besoins de la communauté
latino-américaine. Le MAICCI lui demande en 1993 d'offrir ses services à plus d'une
communauté, de devenir multi-ethnique. L'organisme G est situé dans un quartier à 90%
158
multiethnique, un quartier défavorisé démuni tant au niveau économique qu'au niveau des
ressources. Ce quartier est défini comme « un quartier de passage », quartier de première
résidence des nouveaux arrivants.
Programme de jumelage
L’organisme G est un organisme subventionné, qui connaît, comme plusieurs autres
organismes, des difficultés financières, ce qui a comme conséquence, des conditions de
travail précaires et un roulement du personnel : « le problème dans les organismes,
commente le directeur, c'est qu'il y a beaucoup de rotations, ça peut créer des difficultés de
collaboration entre les travailleurs », ce qui crée des difficultés au sein même du
programme du jumelage. Le fait que l'intervenante travaille à contrat et qu'il y a un manque
de suivi provoque un désintéressement des futurs jumelés : « tu les rappelles, ils ont perdu
intérêt », déplore l'intervenante.
Le jumelage a été créé en 1995 à l'organisme G, sous le nom : « Nouveaux départs,
nouveaux amis. » L’objectif du programme décrit dans le rapport annuel est de faciliter
l'intégration des nouveaux immigrants à la société d'accueil à travers un contact direct avec
un citoyen ou une famille québécoise. Les autres objectifs décrits sont : pratiquer la langue
d'accueil ainsi que celle du nouvel arrivant (échanges linguistiques), prévenir l'isolement en
façonnant des liens d'amitié, sensibiliser le citoyen québécois aux réalités multi-ethniques,
faciliter la voie vers l'autonomie du nouvel arrivant.
La première année il y avait, comme à l’organisme B, deux intervenantes au jumelage : un
Québécois d'origine et l’intervenante G. L'avantage de la collaboration entre deux
intervenantes en jumelage est, selon l'intervenante, « que tu peux partager le travail. »
159
Parcours du directeur
Originaire du Chili, le directeur a été intervenant à l'organisme pendant neuf ans avant de
devenir directeur, poste qu’il occupera jusqu'à son départ de l’organisme en 1999. Le
directeur et un représentant du personnel siègent sur le conseil d'administration et ont droit
de vote.
Parcours de l’intervenante
L’intervenante travaillait à l’organisme G depuis deux ans lorsque nous l’avons rencontrée
en 1997 : un an comme intervenante en jumelage dans le cadre de programmes d'emploi
subventionnés (programmes extra article 25) et dix mois à titre de remplaçante au poste
d'intervenante à l'établissement et intervenante en jumelage. En 1998, elle partage la
responsabilité du jumelage avec une autre intervenante qui deviendra à son tour responsable
du jumelage et participante au Réseau jumelage puis intervenante à l'établissement à temps
plein.
Venue du CHILI avec ses parents à l'âge de 15 ans, l’intervenante G a une formation en
travail social de l’UQÀM. Celle-ci a toujours travaillé avec la clientèle immigrante, « plus
une question de circonstances que de choix délibéré » dit-elle.
L’intervenante dit avoir une relation assez cordiale avec le directeur, ce qui ne l'empêche
pas d'être critique sur certaines de ses façons de faire; annoncer des choses sans toujours la
consulter, exigeant quoique souvent absent de l'organisme. Elle avoue ne pas connaître les
mesures administratives (subventions et critères).
L’intervenante s’implique au Réseau jumelage parce qu’elle croit que le Réseau peut
donner une certaine visibilité et peut permettre l'échange d'idées, ce qui rejoint la vision
160
qu'en a le directeur. L'intervenante commente ainsi son implication : « pour se donner des
idées parce que moi je marche à ma façon, ce programme de jumelage c'est moi qui l'ai
construit avec une autre personne... au fur et à mesure j'ai commencé à improvise r.» Elle
participe donc au Réseau afin d’avoir l’occasion d’échanger avec les autres intervenantes,
de sortir de l’isolement et dans le but d’avoir un soutien en ce qui concerne la mise en place
des activités collectives. Celle qui la remplacera partage les mêmes motivations et
s’implique de façon active au RJI58, à l’organisation d’activités collectives pour les jumelés.
L’organisme H
L’organisme H fut créé en 1988. L’objectif de départ était de former un groupe
multiculturel et multiconfessionnel pour travailler à l'intégration des réfugiés et immigrants
et aussi à la promotion de la justice et des droits humains dans le quartier. L'organisme dit
s'inscrire dans un mouvement de transformation sociale qui « vise et s'engage à bâtir un
projet alternatif de société » (rapport annuel 96-97). L’organisme H est situé et est bien
ancré dans un quartier à forte densité multiethnique, surnommé le quartier des nations.
Programme de jumelage
Le programme « Amitié-jumelage » de l’organisme H existe depuis 1993 et épouse la
philosophie de l'organisme qui, tel que mentionné dans le rapport annuel 1996-1997, se
veut être un agent de liaison qui s'inscrit dans un mouvement de transformation sociale. Il
propose aux jumelés de vivre une expérience humaine enrichissante en apprivoisant leurs
différences, contribuant ainsi à bâtir une société nouvelle. Amitié-jumelage propose aux
Québécois de se sensibiliser à la réalité des nouveaux arrivants, de les accompagner dans
58 RJI : Réseau jumelage interculturel.
161
les étapes d'intégration, de faciliter aux nouveaux arrivants leur démarche vers l'autonomie
en sol québécois; de développer des liens dans le sens d'un rapprochement interculturel, de
découvrir et de prendre contact avec d'autres cultures.
Il propose aux nouveaux arrivants de découvrir le pays par le biais de l'amitié; de mieux
saisir les réalités québécoises, de s'orienter vers une meilleure prise en charge, de briser la
solitude et l'isolement; d'apprendre et de pratiquer la langue française.
Parcours de la directrice
Celle-ci a été 25 ans en mission au Japon. À son retour, elle participe à la mise sur pied de
l’organisme et en devient la directrice.
Parcours de l’intervenante
L'intervenante H a enseigné pendant vingt ans. À sa retraite, en 1992-1993, elle entre à
l’organisme H et devient responsable du programme Amitié-jumelage. Elle y travaille à
temps plein quatre jours semaine, entourée par une équipe de bénévoles, ce qui la démarque
des autres organismes. Elle dit avoir une formation en relation d'aide.
Concernant le Réseau, l’intervenante exprime plusieurs réticences. Après y avoir vécu
certaines tensions qui ont mis en évidence les différences de vision, les différentes façons
de travailler, elle décide de ne plus participer aux réunions, une autre intervenante de
l’organisme assistera pendant presque un an aux réunions et fait part à l’intervenante H des
décisions et discussions qui y ont eu lieu. Récemment une étudiante bénévole a assisté à
quelques réunions.
162
L’organisme I
Jeune organisme institué en 1993, il est situé à Bordeaux Cartierville. C’est un petit
organisme de quartier59. Celui-ci fut mis sur pied par un comité de citoyens issus de
l'immigration alerté par d'autres organismes du quartier (entre autres le CLSC, le CLIC –
conseil local des intervenantes communautaires) qui se sentaient dépassés par les besoins
des nouveaux arrivants, notamment les services de première ligne tels que la traduction de
documents, l'accompagnement, etc.
Selon les dires de la directrice, le profil du quartier a évolué : « d'un quartier classe
moyenne aisée, il est devenu le quartier le troisième plus pauvre à Montréal. » Quartier
autrefois à majorité francophone d'origine québécoise cohabitant avec les communautés
grecques et italiennes, celui-ci est aujourd'hui multi-ethnique : 45% de la population est née
à l'extérieur du Québec (selon le recensement de 1991). C'est un quartier divisé selon le lieu
d'habitation et la date d'arrivée dans le quartier : les blocs appartements où vivent les
nouveaux arrivants, les duplex où résident les Québécois d’origine italienne et grecque,
puis les petites maisons unifamiliales habitées par les Québécois d’origine, âgés, qui
revendent à de « jeunes couples québécois . » Alors que la démographie est en déclin à
Montréal, dans ce quartier elle se maintient ou augmente légèrement (0.6%, selon le
recensement de 1996). Un quartier multiethnique habité principalement, selon les termes de
l’intervenante, par deux grandes communautés : arabe et hispanophone.
Le conseil d'administration donne les orientations, les priorités; la directrice n'a pas droit
de vote et est la seule représentante du personnel sur le conseil d'administration.
59 Au moment de l'interview en mai 1997, il y avait 4 permanentes.
163
Programme de jumelage
Il y avait eu avant l'arrivée de l’intervenante, une première tentative de programme appelé «
Visites amicales. » Ces visites à domicile étaient faites par des bénévoles aux nouveaux
arrivants, mais selon la directrice, « cela n'a pas eu l'air de plaire au ministère, on en est
venu au programme actuel de jumelage. »
Tel que défini dans le dépliant, le jumelage est une opportunité de découvrir et d'échanger
sur les cultures, les idées dans une atmosphère amicale entre les personnes immigrantes et
québécoises. Plusieurs objectifs sont poursuivis tels que : Briser l'isolement; créer de
nouvelles amitiés; faciliter l'intégration et l'adaptation des nouveaux arrivants; favoriser des
rapports harmonieux au sein de la société d'accueil; favoriser la connaissance de nouvelles
cultures et réalités; permettre à certaines personnes immigrantes d'améliorer leur français
(rapport annuel 1995-1996). Les bénévoles peuvent être des Québécois d'origine ou des
néo-québécois établis dans la société d'accueil.
L’organisme I reçoit une subvention globale pour le PAEI; alors que, comme le souligne la
coordonnatrice, le ministère évalue la subvention au nombre de jumelages, au nombre de
personnes rencontrées en entrevue. Mais « dans la réalité, précise-t-elle, ce n'est pas ça qui
se passe, dans la réalité on met tout ça ensemble et on fait une glaise. » Nous notons que
parler d'un tout comme d'une glaise, peut faire référence à la malléabilité, au contrôle de la
matière, à la liberté quant à la forme que l'on veut lui donner, mais certaines marges de
manœuvre impliquent aussi que si le ministère coupe la subvention du programme de
jumelage, « l’organisme I devra couper autre chose. » Ici le jumelage est vu comme un
apport au niveau de la subvention.
164
Parcours de la directrice
Celle-ci a été choisie en 1993 pour le poste de coordonnatrice60 par le comité provisoire de
l'organisme I, parce qu'elle parlait trois langues, pour son côté humaniste, sa « capacité
d'entrer en contact avec une autre personne » en relation d'aide puisqu'au début, elle agira à
titre d'intervenante, et également pour sa capacité à atteindre l'objectif d'amener les gens à
venir à l'organisme. Elle quittera l’organisme I en 1999. C'est par intérêt personnel qu’elle
voulait ce travail, elle a un baccalauréat en sociologie, quelques cours en relations
ethniques, elle a résidé en Espagne et en Angleterre et elle a enseigné le français aux
nouveaux arrivants, « j'avais une idée de c'était quoi s'intégrer dans un autre pays. » La
directrice avait une représentation du processus de l'intégration à partir de sa propre
expérience.
Selon la directrice I, le conseil d'administration l'a choisie selon les compétences et l'intérêt,
aussi par la manifestation d'un « coup de coeur », qui par l'implication (exigée ou inhérente
à) devient « quasiment une cause. » Choisir selon les compétences et les qualités
personnelles rejoint la vision qu'a la directrice quant à la façon de sélectionner le personnel,
« on ne fait pas de discrimination positive » je ne vois pas de différence, c'est plus une
vision « nous », vision inclusive basée sur l'égalité des personnes et la « non-différence »
faisant référence à la différence qui serait basée a priori sur l'origine de la personne.
60 La coordonnatrice n'a pas le titre de directrice parce que le C.A « s'y oppose” (question de salaire), mais
celle-ci considère que finalement le fait d'être coordonnatrice « lui permet d'être plus proche du personnel”.
Son successeur a obtenu le titre de directeur.
165
Parcours de l’intervenante
Originaire du Maroc, l'intervenante est venue au Québec en 1989 comme conjointe-
parrainée. Elle est elle-même jumelée par l’organisme E où elle a été bénévole, elle qualifie
sa jumelle comme étant « une grande amie. » L’intervenante a une formation en lettres
modernes et études commerciales, et a travaillé comme interprète dans une ambassade en
Irak. Puis elle est repartie 4 mois à l'extérieur du Québec (Maroc, Italie..) « j'étais tannée, je
n'avais pas trouvé d'emploi » . Quand elle est revenue, elle a suivi une formation
préparatoire en emploi. : « je restais dans le social. » Puis elle a réalisé un stage à
l’organisme E, ce qui lui a donné, selon ses dires, « un petit bagage » au niveau de
l'expérience. Elle « aime le contact avec les gens », elle « aime le monde », elle « aime
voyager aussi. »
L'intervenante travaille à l’organisme depuis juillet 1994, elle y est responsable à temps
partiel du programme de jumelage un jour/semaine, programme qu'elle a mis sur pied. Dans
le cadre de son travail, l’intervenante en jumelage n'est pas au courant des subventions, « je
fais ce que je dois faire. » « C'est la coordonnatrice qui répartit la subvention qui
communique avec le ministère »61.. La culture organisationnelle de l'organisme en est une
hiérarchisée avec centralisation de l'information concernant les orientations annuelles des
politiques du ministère et les critères de financement au niveau de la direction et du conseil
d'administration. Toutefois, l'organisme étant un petit organisme, avec seulement 4
permanentes, l'information sur la dynamique interne du travail au quotidien circule de façon
circulaire entre les employées.
L’intervenante I a été à l’origine de la mise en place du Réseau jumelage en 1996, elle s’y
est toujours impliquée activement et s’y implique toujours en cet automne 2000. Le Réseau
jumelage serait né, selon l’intervenante d'un désir manifesté de travailler ensemble pour la
61 Par contre M a reçu une formation intensive de la coordonnatrice en vue d'occuper le poste de
coordonnatrice-intérimaire, poste qu'elle occupera durant une année, année d'absence de la directrice.
166
même cause « j'ai dit à l’intervenant F, "parce que lui il est permanent et les autres
personnes qui travaillent sur le programme de jumelage ne sont pas permanentes", je lui dis
mon Dieu, c'est dommage qu'on soit chacun dans son coin, pourquoi on ne va pas se réunir,
on peut s'entraider, on peut communiquer... » L’échange, le partage d’expériences pour
l’amélioration de la pratique et les idées qui peuvent surgir dans cet espace de collaboration
est ce qui motive l’intervenante à participer au RJI.
5.2. Analyse des objectifs d’accueil et d’intégration tel quedéfinis par les organismes
Les objectifs décrits dans les rapports annuels, bien qu’ils reflètent les visions et
particularités défendues par chaque organisation, de même que les rôles qu’ils entendent
privilégier, peuvent se résumer selon deux axes. Le premier vise à soutenir au maximum
l’immigrant dans son parcours d’intégration : les interventions consistent à accueillir et
accompagner les nouveaux arrivants dans leur processus d'adaptation et leur parcours
d’intégration par les services accordés dans le cadre soit du PAEI, du PSIE (programme de
soutien à l’intégration en emploi) et des cours de français. Selon le deuxième axe, les
interventions visent à sensibiliser la population à la réalité de l'intégration, à la nécessité du
rapprochement interculturel : les interventions sont, pour les citoyens, la mise en place du
programme de jumelage, et pour les agents des milieux, des activités de sensibilisation dans
le cadre des institutions et organisations. De plus, certains organismes qui ont le volet
employabilité font de la sensibilisation aux employeurs dans le milieu des entreprises.
Ainsi, comme le souligne S. Moreau (1997 :3) les organismes d’accueil et d’intégration des
nouveaux arrivants deviennent des organismes communautaires qui agissent « à titre de lien
entre la société d'accueil et les immigrants. »
Les objectifs tel que décrits par l'organisme D résument bien la représentation que les
organismes d’accueil et d’intégration se font de leur mission bien que tous ne l’écrivent pas
ou ne la précisent pas de la même façon ou aussi globalement. Celle-ci vise certes
l’intégration de l’immigrant, mais aussi celle de la société en ce qu’elle permettrait, par les
167
actions que les organismes font, une harmonisation des rapports sociaux via la rencontre
avec l’autre. Les objectifs de l’organisme tels que présentés par l'organisme D sont : « aider
à l'adaptation du Québécois de nouvelle souche, développer la confiance en soi (...) et la
prise de conscience par l’immigrant de son rôle comme citoyen à part entière » susciter
chez les Québécois de vieille souche, la sécurité et la diminution de la peur du nouveau
venu et la compréhension de l'apport de l'autre; enfin favoriser la rencontre (...) et semer
l'harmonie (rapport annuel de 1997). Cette vision sera reprise, comme nous le verrons, dans
les objectifs des programmes de jumelage.
Un organisme ajoutera la défense des droits pour les personnes aux prises avec des
situations difficiles (C), un autre, la promotion de la justice sociale (H); ce qui ne sous-
entend pas que les autres organismes, qui s’inspirent eux aussi d’une vision communautaire
basée sur les notions d’équité et de justice sociale, n’ont pas à cœur ces préoccupations. Les
valeurs d’autonomie et de respect de la personne basées sur la confiance en l’autre et en soi,
bien qu’elle ne soient mentionnées que par l’organisme C, D et E, peuvent être considérées
des valeurs intégrées à l’intervention des travailleurs sociaux. Si nous soulignons que seul
l'organisme D mentionne dans ses objectifs « la prise de conscience par l’immigrant de son
rôle comme citoyen à part entière », nous croyons que celle-ci est le but ultime de toute
intervention qui vise l’intégration de l’immigrant. De même, si l'organisme H dit s'inscrire
dans un mouvement de transformation sociale qui « vise et s'engage à bâtir un projet
alternatif de société », on peut envisager que les acteurs qui font de l’intervention sociale,
qui travaillent à recomposer le lien social dans l’immédiateté de la quotidienneté, le plus
souvent dans des pratiques silencieuses, s’inscrivent dans un mouvement de transformation
sociale, que celui-ci soit réfléchi et révélé ou non-dit et spontané.
5.3. Analyse des objectifs du programme de jumelage
tels que définis par les organismes
Les objectifs du jumelage, comme toute forme de relation partenariale, reflètent à la fois
des motivations d'aspect défensif et d'aspect offensif : les motivations à caractère défensif
168
étant liées au besoin de résoudre une difficulté ou réduire une contrainte, alors que celles de
type offensif sont guidées par un désir de développement et une volonté de croissance
(Gherzouli, 1997).
L’organisme D décrit très clairement l’objectif ou la motivation d’aspect défensif du
jumelage : contrer les obstacles qui ralentissent l'intégration des nouveaux arrivants en sol
québécois. Cette définition sert de modèle car on en retrouve les éléments, avec toutefois
des variables, chez les autres organismes. Le jumelage, posséderait ainsi, selon les termes
de Melucci (1993), ce pouvoir de « révélateur du dilemme » de l’intégration qui en
contribuant à sensibiliser l’extérieur, l’Autre, à un problème assumerait une « fonction de
changement. »
Dans le but d’atteindre cette fonction de changement, l’organisme D oriente le programme
selon trois axes qui ouvrent sur l’aspect offensif, la créativité et un lieu de possibles. Le
premier axe est le rapprochement interculturel, celui-ci consiste à s'enrichir mutuellement
des cultures différentes et ce faisant à « prendre conscience des seuils de tolérance. » Le
deuxième axe est l'amitié, celui-ci se concrétise en créant des espaces où pourront se tisser
des liens d'amitié, une connaissance personnalisée du pays d'accueil, du pays de l'autre. Le
troisième axe est l'accompagnement dans les étapes d'intégration afin de favoriser une
meilleure intégration à la société québécoise. Celui se manifeste par l'aide à la pratique du
français et le soutien apporté au nouvel arrivant afin qu'il chemine vers l'autonomie.
Telle que définie par les organismes, pour l’accueillant, la manifestation du don, qui se
traduira par le recevoir chez l’immigrant, est dans la possibilité qu'il offre à l’immigrant de
sortir de son isolement et dans les savoirs qu'il transmet sur la société d'accueil, entre
autres, les mécanismes de fonctionnement et les codes culturels. Elle se révélera aussi dans
l’aide apportée à la pratique du français, dans la confiance qu’il lui accorde et dans la
reconnaissance de son apport.
Pour les accueillis, la manifestation du don qui sera dans l'acte du recevoir chez les
accueillants, est dans la connaissance qu’il donne de son pays d’origine, de sa culture, dans
le partage qu’il fait des découvertes dans son pays d’adoption, dans l’acceptation des façons
de faire et d’être de son pays d’accueil. Nous soulignons le fait que deux organismes
mentionnent dans l’axe du recevoir pour les accueillants l’apprentissage d’une langue
169
étrangère (G, E) qui a un potentiel de contrariété à l’objectif d’apprentissage du français
chez l'immigrant, et le sortir de l’isolement (I, F) qui a un potentiel de contradiction à
l’objectif d’intégration citoyenne pour les nouveaux arrivants, puisque que dans ce cas, les
accueillants témoignent peut-être de leur propre difficulté d'intégration sociale.
La pratique du français pour les allophones est considérée un élément essentiel. Toutefois,
alors que l’on affirme l’importance de proposer d’autres formules de jumelage qui
pourraient être moins engageantes pour le bénévole et moins exigeantes pour l’un et l’autre,
un seul organisme offre le jumelage axé sur la francisation, forme de jumelage qui ne
s’inscrit pas en tant que tel dans l’axe interculturel , mais dans un axe de bénévolat
aidant/aidé. Celui-ci se déroule dans les locaux de l'organisme et n’a pas comme finalité a
priori le développement d’un lien.
Dans le cas du jumelage avec des immigrants francophones ou avec ceux qui parlent
français, le cœur de la relation est davantage l’espace interculturel.
Pour quelques organismes, le lien de jumelage se situe d’emblée dans l’amitié comme
condition d’être (D, H) pour d’autres dans une atmosphère amicale qui pourra donner lieu à
une amitié (G, I, E, C) alors que pour les organismes B, F, et A, ce lien d'amitié est tissé à
même l’expérience du jumelage et ne peut être ainsi qualifié au départ de la relation. La
fibre du bénévolat colore le pourquoi de l’engagement social et influence le recrutement
chez deux organismes (D, H) qui ne le définissent toutefois pas de la même façon alors que,
chez les autres, les motifs de l’incitation à l’engagement sont davantage flous. Certains,
parmi ces derniers manifesteront leur agacement ou à tout le moins prendront une distance
face à la notion de bénévolat qu’ils considèrent s’abreuver au « missionnariat » (G), au
paternalisme (F, C) voire à l’ethnocentrisme (B). Chez l’organisme D, le bénévolat est
analysé comme un acte civique, alors que l'organisme H le considère dans un axe judéo-
chrétien de « bienveillance, de don de soi. »
Les rôles de multiplicateur, de porteur de projet, et d’intégrateur dans un réseau social
dévolus aux personnes-ressources, sont souhaités et dits dans les objectifs des organismes
C, D, E. Toutefois, les organismes D et E mettent clairement les balises en ce qui concerne
le rôle attendu des personnes-ressources : un rôle d’intégrateur dans un réseau social et non
pas un rôle d’initiateur dans le sens montrer à l’immigrant les mécanismes de base de
170
fonctionnement de la société québécoise, ceci rejoignant davantage l’axe d’accueil du
jumelage, tel que présenté de façon formelle dans certaines régions hors Montréal. D’autres
organismes demanderont aux personnes-ressources d’être porteurs du projet jumelage,
c’est-à-dire des les aider à en faire la promotion en parlant de leur implication sociale au
sein de leur réseau (C, H,). Tous les organismes préviennent les personnes québécoises
engagées dans le jumelage qu’elles ne sont pas des travailleuses sociales, qu’elles ne
doivent pas s’improviser intervenantes sociales en tentant de solutionner des problèmes
d’ordre émotif ou psychologique.
Deux organismes indiquent jumeler les nouveaux arrivants avec les Québécois « de souche
» et à l’occasion avec des immigrants de longue date (G, D). Chez les autres, les Québécois
sont de diverses origines et le critère concernant le nombre d’années d’installation au
Québec ou le degré d’insertion varie d’un organisme à l’autre.
Tous les organismes analysés qui offrent le programme de jumelage le définissent dans
l'axe relationnel animé par la réciprocité basée sur une ouverture à découvrir la réalité de
l’autre, l’échange interculturel et l’interconnaissance. Cette dynamique vise en premier lieu
à contrer l’isolement de la personne immigrante en permettant l’établissement d’un lien
social avec un citoyen d’ici, gage d’une intégration plus harmonieuse à la société
québécoise, parce qu'elle permet l'ouverture à l’autre. L’enrichissement mutuel est fondé
sur une prise de conscience et « une connaissance plus juste et réaliste de la réalité de l’autre
» re-situées dans un contexte local et global : le, la « Québécois(e) de vieille souche » (...) «
s'engage socialement, prend conscience de certaines injustices sociales (...) (D) se
sensibilise aux difficultés que vivent les nouvelles arrivantes et leur famille (E) de même
qu'à des réalités internationales (D) a la chance de s'impliquer dans un processus de
changement social d'une façon agréable et enrichissante » (E), alors que le, la « Québécois
(e) de nouvelle souche s'initie aux us et coutumes du Québec » (D). Nous pouvons dire que
le jumelage, tel qu’imaginé, participe à l’élaboration d’une « société nouvelle » tel que
l’écrit l’organisme H.
Les objectifs du programme de jumelage tel que définis par les organismes rejoignent donc
dans leur fonction de régulation sociale ceux définis par l'État via le MRCI. Il est
généralement admis que le jumelage, en tant que programme et service, est le porte-
171
étendard du contrat moral entre la société d’accueil et les immigrants, et qu’en cette qualité
celui-ci doit promouvoir les valeurs que sont l’importance du français, l’égalité entre les
individus et la démocratie comme fonctionnement social et politique. Tout comme le
bailleur de fonds, les organismes considèrent que les initiatives des personnes-ressources
par leurs actions, « faciliter (ont) l’établissement des immigrants au Québec »
(Charbonneau, Dansereau, Vatz, Laaroussi, 1999) en leur apportant une aide pratique à
l’établissement, l’apprentissage des codes culturels, linguistiques et sociaux, la socialisation
des immigrants à la culture québécoise, l’initiation aux espaces de communication
linguistique, civique et institutionnelle. Toutefois, les organismes communautaires donnent
davantage d’importance à la notion du lien en tant que prise de conscience de la réalité de
l’autre et au possible que ce lien social entre étrangers offre en tant que lieu
d’interconnaissance. La réciprocité de l’espace interpersonnel au sein duquel se
développera le lien social, basée sur la confiance en l’autre, bien que prioritairement située
dans l’espace interculturel, traduit la capacité de ce lien établi par le jumelage à contrer les
facteurs qui pourront ralentir le processus de l’intégration : outre la difficulté linguistique,
les préjugés, les barrières racistes et la méconnaissance mutuelle. Cette prise de conscience
de la méconnaissance de l’autre, et son corollaire la découverte de sa réalité, ne font pas
que transformer les perceptions des membres de la majorité francophone dorénavant
sensibilisés à la problématique de l'immigration et à celle de la diversité culturelle (sous-
objectif du jumelage tel que décrit par le MRCI), ce qui est tout de même à inscrire dans
l’axe du projet d’une société plus harmonieuse, mais permettrait de redonner à l’autre son
statut de sujet, de le re-situer partenaire. Ce faisant les organismes inscrivent davantage le
processus du jumelage dans un « utopos » et lui attribuent une fonction d’innovation et de
transformation de la société.
Toutefois, si cette projection proclame l’esprit du jumelage, la lettre, elle, peut se
manifester différemment. Car la relation du jumelage est avant tout intersubjective et tient
de la représentation que s’en font les acteurs qui la mettent en place, en l'occurrence les élus
et nommés du MRCI, les directeurs d’organismes, les intervenantes, et ceux impliqués dans
cette interactivité, les jumelés. Car nous le rappelons, si le projet commun est la
transformation d'un état de non-relation à celui de relation dans un but déterminé qui de
façon officielle se veut être l'intégration de l'immigrant et le rapprochement interculturel,
172
chaque acteur a sa propre représentation de ce qu'elle doit être, a ses propres motivations
pour la faire être, ses propres objectifs. De même, les axes du don et du recevoir, s’ils sont
implicites à l’échange, ne campent toutefois pas les acteurs, accueillis et accueillants, dans
une position donnée puisque fondés sur le don/contre-don et l’espoir du retour.
L’investissement est conditionnel pour chacun des actants, à l’acte de reconnaissance de
son être, de son faire, de son savoir, de son pouvoir être et faire; il est aussi lié pour
certains au devoir faire. De plus, l’indétermination propre à tout lien social est accentuée
dans la relation/ échange entre étrangers qu’est celle du jumelage, l’investissement que l’on
y fait sera d’autant plus remis en question ou à tout le moins questionné.
173
CHAPITRE VI
Le jumelage et les perceptions de l'intégration et del'adaptation
6.a Sommaire
Comme nous l'avons mentionné, les concepts de l'adaptation (6.1) et de l'intégration (6.2)
sont polysémiques. La définition que les acteurs en donnent témoigne de ce qu'ils ont vécu,
de ce qu'ils vivent ou de ce qu'ils connaissent du phénomène. Elle témoigne également de
leurs projections individuelles et collectives en tant que réalisation d'un idéal. Nous verrons
que ces interprétations sont aussi influencées par les discours des institutions et
organisations de la société civile de même que par le milieu au sein duquel ces acteurs
évoluent.
Nous avons recueilli deux définitions des concepts de l'intégration et de l'adaptation parmi
les cinq agents du MRCI62 que nous avons rencontrés; les autres agents n'ayant pas répondu
faute de temps. Nous croyons intéressant de rapporter ces définitions car elles témoignent à
la fois d'opinions personnelles tout en reflétant la pensée politique du MRCI. Ces agents,
62 Un de ces agents, a été jumelé il y a 2 ans, un autre agent a été jumelé il y a quelques années. Tous deux
l'ont été par des organismes communautaires membres du Réseau. Le premier (agent 1), à qui on a présenté
le programme comme étant une relation d'amitié potentielle, prend ses distances et se dit même agacé par une
telle insistance à concevoir le jumelage en termes d'amitié à développer, conception qu'il juge déplacée, voire
nuisible au programme. L'axe du bénévolat lui semble mieux convenir, axe moins équivoque parce qu'il
permet de clarifier les attentes et les objectifs.
Le deuxième agent explique en ces termes sa motivation à être jumelé : « Je me disais moi, qu'est-ce que je
fais pour les immigrants, et le problème, c'est qu'il y manque de Québécois… alors… quand moi je suis allé à
cette soirée, il y avait cette famille qui se plaignait qu'ils n'avaient pas de jumeaux. »(agente 4)
174
tout comme la majorité des intervenantes, identifient l'adaptation comme étant un processus
précédant ou accompagnant le processus d'intégration.
Par ailleurs, le jumelage est considéré par les acteurs du communautaire comme un outil
d'intégration et de prévention au déséquilibre social (6.3) par la possibilité qu'il offre
d'établir une communication entre deux êtres : le jumelage est aussi considéré un acte de
participation civique (6.4) en tant que responsabilité partagée face au processus
d’intégration des nouveaux arrivants et à sa réussite. Toutefois, l'acte du jumelage est
réalisé dans une société d'accueil donnée, caractérisée par sa dynamique communautaire,
institutionnelle ainsi que par son contexte politique et social. Le jumelage sera donc
influencé, comme nous le verrons au point 6.5, par le contexte social du Québec et la
situation de la langue de même que par sa capacité de faire en sorte que les individus se
lient. C'est dans ce contexte que les Québécois sont invités à s'engager dans la relation de
jumelage. Influencées par ce contexte social, confrontées à diverses contraintes, les
intervenantes en viendront à revoir certaines stratégies d’intervention et à en créer de
nouvelles.
6.1. L'adaptation
Une seule intervenante en jumelage considère l'adaptation comme étant l'aboutissement du
processus de l'intégration; processus qu'elle définit comme un processus d'apprentissage à
tous les niveaux : apprentissage de la langue, de la société, de la culture, du marché du
travail, processus qui peut s'échelonner sur 15 ans. L'adaptation, selon l'intervenante E, «
c'est le processus qui est terminé. » L’immigrant atteindrait alors le même niveau de
compétences que tout autre citoyen. Cette conception rejoint celle de l'intégration adoptée
par le MAICC en 1990 et qui est définie comme un processus multidimensionnel
d'adaptation à long terme, processus dans lequel la maîtrise de la langue d'accueil joue un
rôle essentiel; ce processus n'est achevé que lorsque l'immigrant ou ses descendants
participent pleinement à l'ensemble de la vie collective de la société d'accueil et a
développé un sentiment d'appartenance. Ainsi, l'intervenante donne en contre exemple le
175
cas de certaines familles issues de l'immigration qui sont ici depuis 20 ans et qui continuent
à vivre à la « chinoise ou à la latino-américaine » (intervenante E).
L'adaptation est liée avant tout, chez les intervenantes, directeurs et agents, à la maîtrise de
l'environnement. L'adaptation consiste en l'acquisition de connaissances, en un savoir-être
individuel, un pouvoir-faire :
Pour en arriver à être intégré, il faut avant s'adapter. S'adapter, c'est d'apprendre rapidement
des choses élémentaires dans la société, (agent 2 du MRCI).
L'adaptation ça vient avant l'intégration, s'adapter c'est connaître plus, c'est s'adapter au
climat, à l'espace, au temps, au langage non-verbal (intervenante H).
L'adaptation, c'est d'avoir les instruments qui te permettent de vivre..., de l'information et de
l'orientation pour ne pas tomber... te cogner la tête contre un mur... de savoir qui est qui,
comment... (directeur G). C'est pouvoir fonctionner dans la société (directrice B).
L'adaptation consisterait donc pour l'immigrant à acquérir une certaine autonomie.
Par ailleurs, le processus de l'adaptation est lié au vécu de l'immigrant, à son processus
migratoire et à la trajectoire de l'immigration.
Ça dépend aussi quelle immigration tu as eue, si tu l'as fait par choix, ou si tu as été obligé
et l'âge du départ; l'âge où moi j'ai immigré, 15 ans, je ne le conseille à personne
(intervenante G).
Le fait de départager les deux processus, l'adaptation et l'intégration, de tenir compte de
leur dynamique sur les stratégies d'insertion à la société d'accueil, sur les modes d'entrer en
relation des immigrants influencera non seulement la sélection des personnes-ressources
pour le programme de jumelage, mais en délimitera, dans certains cas, les objectifs. Un des
organismes du RJI ira même jusqu'à établir une distinction formelle entre le jumelage
d'adaptation et le jumelage d'intégration en attribuant à l'un et à l'autre des qualités
spécifiques. Les qualités de ces deux types de jumelage reflètent les étapes du parcours
migratoire, telles que se les représente l'intervenante de cet organisme. Elle établit ces
distinctions entre les deux types de jumelage à la lumière de ses observations et
176
expériences, observations et expériences qui, d'autre part, rejoignent et reflètent l'ensemble
des témoignages que nous avons reçus :
Quand il n'y a pas d'emploi, il y a une remise en question. Les nouveaux arrivants se posent
des questions; ils sont en phase d'adaptation. Quand ils ont décidé de rester, ils ont dit "oui
j'y vais". Ils sont en processus d'intégration. Des fois, c'est au niveau inconscient; il y en a
qui se posent des questions consciemment, mais d'autres essaient de s'adapter, s'adapter et
puis ils sentent qu'il y a des portes qui s'ouvrent et là ils plongent au niveau de l'intégration.
L'intégration ça va se faire avec des gens que ça fait 1 an, 2 ans, des fois 3 ans qui sont ici
et ils désirent se jumeler : là on passe au phénomène, on veut connaître les valeurs des
Québécois, on veut connaître ce que pensent les Québécois, on veut comprendre l'aspect
historique du Québec. Pourquoi le gouvernement ? Pourquoi les gens prennent telles, telles
décisions ? On veut comprendre les enjeux de société; ne pas être seulement des acteurs
passifs, on veut essayer de comprendre et ensuite se positionner et peut-être agir à un
moment donné. Ça c'est plus l'intégration, avant il faut que tu aies fait un bon processus
d'adaptation (intervenante B).
Le jumelage d'adaptation s'adresse principalement aux bénévoles québécois de toutes
origines. Tel qu'il est écrit dans le rapport annuel de l'organisme B (1997) : « Ces
immigrants de longue date représentent un support technique et social qui peut faciliter la
confiance et la compréhension que le nouvel arrivant recherche dans ses premières
démarches d'adaptation à la société québécoise. »
Le critère de sélection63 tient compte de façon subjective du nombre d'années passées au
Québec, dans ce cas : un minimum de sept ans. L'intervenante B dit évaluer le niveau
d'intégration des gens, sans en définir toutefois le comment. Par contre, elle juge que leur
passé de migrant les rend emphatiques et que leur expérience d’intégration en fait des
accompagnateurs désignés. Les immigrants de longue date « comprennent les nécessités de
départ du nouvel arrivant », leur rôle c'est « d'essayer de les aider au niveau de leur
intégration, de leur adaptation. »
63 Ce critère du nombre d'années varie d'un organisme à l'autre parmi ceux qui sélectionnent des personnes-
ressources issues de l'immigration.
177
La directrice B nous décrit une situation que plusieurs immigrants vivent : parmi eux,
d’autres directeurs d’organismes d’accueil, des intervenantes en jumelage, des jumelés
nouveaux arrivants et autres immigrants. Le contexte du récit de la directrice B en est un de
changement, de mouvement. L'axe sémantique de ce récit peut se résumer ici : quitter une
société désintégrée, où il y a une montée d'un mouvement d'intolérance, où les enfants
pourraient être menacés pour aller vivre dans une société intégrée où ceux-ci grandiront en
paix. La quête de la directrice B est de vivre dans une société intégrée pour ses enfants,
société où existent des rapports sociaux harmonieux.
Il s'agit d'un parcours de vie qui conduit à une implication sociale auprès des immigrants : «
Si je veux que mon rêve se réalise pour mes enfants, il faut que je travaille dans ce domaine
pour aider cette société à évoluer de la bonne façon (...) que je puisse amener une certaine
participation. » C'est à partir, dirons-nous, de cette appréhension des conflits64 dus à la
méconnaissance, à l'intolérance, au non lien, à partir de cette réflexion que la directrice de
l'organisme B décide de s'engager au niveau social. Elle constate que les nouveaux
arrivants ne connaissent pas les gens de la société d'accueil, leur histoire, leurs valeurs, et
que les gens de la société d'accueil ne connaissent pas les nouveaux arrivants, leur parcours
de vie, leurs difficultés : « Il y a une méconnaissance de part et d'autre. » C'est pourquoi
elle décide que, pour réaliser son rêve d'une société intégrée, elle doit s'impliquer au niveau
social auprès des immigrants : elle fera une implication préventive.
La directrice B dit avoir lancé l'idée du jumelage d'adaptation : « Jumeler, c'est à dire
établir des liens entre des gens d'une même ethnie, d'une même région, d'un même pays
d'origine. » Elle décide, alors qu'elle occupe le poste de directrice, de se jumeler avec une
famille nouvellement immigrée de son pays d'origine, « moi je connais leur vécu » (...).
Moi je connais leur vécu signifie qu'elle sait que si elle a une « carapace », elle,
immigrante volontaire qui a fait un choix, qui est disposée à s'intégrer, mais qui a tout de
même une certaine distance à franchir, eux, dans ce cas, immigrants involontaires, parce
que forcés à immigrer pour des raisons d'ordre économique « ont une double carapace » , ce
qui fait qu'ils regardent l'autre « de façon pas très acceptante, pas très compréhensive. »
64 L'appréhension des conflits chez ceux qui font l'acte social du bénévolat est une motivation que nous
avons déjà mentionnée
178
Ainsi, parce qu'elle connaît le vécu des immigrants, par le partage de ces points qu'ils ont
en commun (la langue, la culture, la connaissance du contexte social, politique, économique
de ce pays qu'ils ont quitté; le fait aussi de s'intégrer dans une nouvelle société, ce que ça
représente) elle peut « les aider à avoir un autre regard » , un regard de compréhension de
leur nouvelle réalité et si possible les amener à plus que comprendre, « à accepter cette
nouvelle réalité. » Nous dirons que la directrice B a une attitude de médiatrice, en ce sens
qu'elle tente d'harmoniser les rapports entre les nouveaux arrivants et la société d'accueil, de
créer un pont pour la construction d'un interface où aura lieu la reconstruction de sens.
C'est à partir de sa formation, mais aussi de son expérience et de ses observations, de
l'empirisme donc, qu’elle définira ses actions : elle a vécu le processus migratoire, elle s'est
intégrée à la société québécoise, y a développé un sentiment d'appartenance, mais elle
rencontre encore aujourd'hui des difficultés à être acceptée par certains membres de la
société québécoise :
Je suis venue planter mes racines (...) moi je dis nos valeurs parce que je me sens appartenir
à cette société (...) on me dit "ah vous les arabes !" (...) comment voulez-vous que je
m'intègre si vous ne m'acceptez pas ? Il faut qu'il y ait acceptation au départ.
Cette situation vécue de rejet, un anti-sujet qui fait obstacle à son « projet d'immigration qui
était de m'intégrer à cette société » jumelée à l'observation de la méconnaissance des uns et
des autres se reflètent dans sa conception de l'intervention au niveau de l'immigration, sa
définition de l’intégration « c’est la compréhension et l’acceptation de l’autre » sa
conception du partenariat et sa vision d'une société intégrée, « où existent des rapports
sociaux harmonieux. »
En ce qui concerne le jumelage d'intégration, les personnes-ressources sont des Québécois
d'origine. Selon les intervenantes B et I, les nouveaux arrivants ne veulent pas être jumelés
avec des Québécois d'autres origines, avec d'anciens immigrants : « C'est clair qu'ils veulent
des Québécois, ils veulent les connaître, savoir leurs valeurs, c'est vraiment le but du
jumelage pour les nouveaux arrivants. » Ce qui rejoint les propos des nouveaux arrivants
jumelés (Charbonneau et al, 1999:114) « qui n’auraient pas aimé que leur famille jumelée
179
soit d’origine étrangère, car cela serait moins utile dans le processus d’échange
interculturel65. »
Les nouveaux arrivants cherchent ainsi à découvrir les clés de compréhension des
mécanismes de fonctionnement de la société d’accueil, les éléments historiques qui leur
permettront de mieux saisir les actes qu’il leur faut adopter et poser en accord avec ce
qu’on attend d’eux à titre de nouveaux citoyens. Ils perçoivent les Québécois d’origine, à
tort ou à raison, comme les traducteurs idéels66 de cette réalité. Le jumelage, en étant un
lieu d’apprentissage, a donc une fonction de médiation, en ce sens qu’il permet à
l’immigrant, comme le rappelle Ferraroti (1981, cité dans Deslauriers, 1991), d’intérioriser
la société dans un rapport indirect, comme toute personne le fait à travers son réseau
primaire : sa famille, son voisinage, et à travers les liens de « socialité » qu’elle développe
dans son milieu de travail ou dans le cadre d’associations volontaires. D'autre part, le
jumelage permet au Québécois de s’approprier le passé, comme le présent en ce qui
concerne l’accueil des immigrants, et le devenir en ce qui concerne la société québécoise.
Dans le même sens, les intervenantes considèrent l'adaptation comme un processus
d'harmonisation entre la socialisation (valeurs transmises dans le milieu d'origine) et
l'acculturation (valeurs acquises dans la société d'accueil) au contact d'un nouvel
environnement et par la rencontre de personnes socialisées ou acculturées dans ce nouvel
univers : un continuum, une rencontre entre l'ici et maintenant et l'ailleurs et l'avant.
C'est commencer à prendre des choses, une rotation (...) tu commences à prendre des
choses, à laisser d'autres. C'est une rencontre aussi avec des êtres nouveaux, (...) des amitiés
(intervenante G).
Il serait bon pour vous de ne pas rejeter tout ce que vous avez , mais de l’adapter au
nouveau contexte (directrice B).
65 Selon un document de travail du MRCI (1998), on retrouverait les mêmes réticences dans le cadre du «
Host Programm” en Colombie-Britannique chez les immigrants qui désirent être jumelés à des citoyens
d'origine canadienne. Dans ce cas la raison évoquée est " parce qu'ils parlent anglais sans accent".
66 Le terme idéel est emprunté à la sociologue Danielle Juteau, idéel qui se situe entre le réel et un certain
idéal projeté.
180
Ce processus d'harmonisation doit se traduire par certaines concessions que l'on fait sinon
pour soi-même, du moins pour les enfants afin que ceux-ci ne soient pas ou ne se sentent
pas marginalisés, ostracisés par leurs amis. Ces concessions deviennent des stratégies
d'accommodement qui permettent un certain équilibre identitaire, un modus vivendi entre
les valeurs de la culture d'origine et les valeurs de la société d'accueil.
Pour illustrer cette stratégie d'accommodement qu'elle propose aux immigrants, une
intervenante donne l'exemple de la fête de Noël, fête chrétienne qui n'a pas d'écho dans la
religion musulmane. L'intervenante conseille aux arabes musulmans : « Vous n'allez pas
prier devant ce sapin là, mais vous le mettez pour vos enfants, pour le bonheur de vos
enfants » (intervenante I). Nous traduisons par : pour que vos enfants vivent cette fête avec
les enfants de la société d'accueil et qu'ils partagent leur joie de la fête.
L'adaptation, stratégie d'accommodement, peut être aussi un mouvement vers l'autre qui
permet à l'immigrant de sauvegarder son honneur, valeur pivot qui assure la stabilité de la
structure sociale, qui est au cœur de la définition des rôles et des fonctions des membres de
la cellule familiale et qui est un gage de reconnaissance du statut social dans certaines
sociétés traditionnelles. Sauvegarder son honneur veut dire pour l'homme, garder sa place,
maintenir son rôle, en toute confiance, en toute reconnaissance, en n'ayant crainte : « Sans
perdre ton orgueil, parce que lui il a peur de [perdre]son orgueil, sa personnalité, sa place »
(intervenante I).
Mais l'adaptation, comme le signale une intervenante, c'est aussi entre les citoyens de toutes
origines. Il faut dépasser le dualisme Québécois (insinuant d'origine) / immigrants.
L'adaptation, c'est aussi l'acceptation entre gens de diverses origines sociales, culturelles,
ethniques, l'acceptation de la pluralité au sein de l'espace social.
L'intégration se fait aussi entre ethnies, nous on les accueille, mais entre eux, il faut qu'ils
s'accueillent aussi, et puis qu'ils s'adaptent, ils disent pourquoi vous les acceptez, eux ?
(intervenante H).
Ce n'est pas juste intégrer les nouveaux arrivants à la société québécois, mais c'est aussi
entre eux, ensemble (directrice C).
181
Cela nous rappelle les entretiens que nous avons eus avec de nouveaux arrivants dans le
cadre d'un séjour d'immersion dans le Bas St-Laurent et qui nous disaient à quel point ils
étaient surpris et déçus de voir tant d'immigrants à Montréal. Le fait est que nous avons
tendance peut-être à oublier qu’un grand nombre d’immigrants viennent de société
monoethnique ou pluriethnique, mais dont les communautés ethniques sont originaires du
même pays ou de sociétés où les différences sociales se mesurent davantage en terme de
classes sociales ou d’appartenance religieuse. Nous oublions aussi qu’un certain nombre
ont vécu, dans leur pays d’origine ou dans un pays de transit, des tensions ethniques, de
violents conflits ou ont été ostracisés.
Comme nous l'avons mentionné, la compréhension qu'ont les individus des processus de
l'adaptation et de l'intégration est imprégnée de l'histoire collective de leur société d'origine,
de leur contexte de socialisation et marquée par leur parcours de vie individuel. Il est une «
valse identitaire. »
Le concept d'adaptation pour une intervenante d'origine française veut dire soit une
stratégie d'assimilation qui rappelle un des modèles d'adaptation ou d'acculturation de N.
Hutnik (1986) et Berry (1980) lorsque l'individu se perçoit comme membre de la majorité
uniquement, soit une stratégie de résistance à cette assimilation par
l'acculturation/intégration, lorsqu'il s'identifie aux deux groupes. L'adaptation est ici un
choix, une « option » de la part des immigrants.
L'adaptation ça dépend des êtres, il y en a qui éprouvent le besoin de ressembler aux autres,
de se fondre, d'autres qui restent avec leur petite différence (intervenante A).
Une intervenante qui est arrivée au Québec à l'adolescence, au moment de la quête de
l'identité personnelle, à l'âge du désir de conformité avec les pairs et d'un besoin de
distanciation face aux parents, à la famille, interprétera le processus d'intégration à la
lumière de cette expérience. Ainsi dans ce cas, le processus d'adaptation se traduira par une
volonté de s’identifier au groupe majoritaire, par un rejet de sa culture, un appel à l'oubli de
ses origines, à l'assimilation. » Parce que l'intégration c'est oublier complètement... Ça veut
dire que tu es intégrée, avalée » (intervenante G).
182
Mais la majorité des témoignages indiquent que si l'adaptation précède l'intégration en tant
qu’acquisition de connaissances, ce qui ferait davantage référence à l'adaptation à
l'environnement, elle peut tout aussi bien s'échelonner sur de nombreuses années, en tant
que processus de négociation, selon les ressources des personnes, et selon le contexte.
Toutefois, en liant le processus d'adaptation uniquement au processus d'intégration, les
intervenantes risquent d'amenuiser le caractère dynamique et résurgent du processus qui fait
appel, comme nous l'avons souligné déjà en référence à Ferrié et Boëtsch, « à cette capacité
qu'a un individu de se mouvoir à travers des codes différents et d'investir entre eux des
formules de connexion satisfaisantes. »
Tu t'adaptes au climat, tu t'adaptes, ça peut prendre 5 ans chez certaines personnes... une
génération chez une autre... il faut respecter le rythme d'une personne... dans certains cas,
l'adaptation est bloquée tant que la personne n'est pas certaine de rester ici (agent 2 du
MRCI).
L'adaptation se fait la première année, même on pourrait dire dans les premiers mois, on est
au niveau des connaissances et ressources du milieu. La personne, dépendamment de son
statut, va décider de rester ou non, décision liée au choc culturel, choc des valeurs et
surtout au choc de l'emploi (...) quand ils ont décidé de rester... ils ont dit oui, j'y vais, ils
sont en processus d'intégration » (intervenante B).
6. 2. L'intégration
Ainsi, l'adaptation est intimement liée au processus de l'intégration, au comment seront
solutionnés les obstacles à la pleine participation citoyenne de l'immigrant et au pourquoi
de l'émigration, aux motivations qui ont conduit l'immigrant à vouloir refaire sa vie ailleurs.
Toutefois, l'adaptation en tant que capacité à dialoguer est un processus complexe et unique
à chaque individu; elle est une stratégie des petits pas échelonnée dans le temps.
183
Si la décision de s'établir est la première étape du processus d'intégration, la réussite de
l'intégration est liée à la qualité des liens interpersonnels que l'immigrant développera avec
des citoyens de la société d'accueil :
L'intégration ça prend du temps, c'est au fur et à mesure... c'est étape par étape… ça se fait
au cours des ans et dépendamment de l'âge de l'arrivée, du pourquoi de l'arrivée, de qui
arrive (homme, femme, famille); de manière plus profonde, se sentir accueilli, et
tranquillement, se sentir des affinités, ensuite être intégré, avoir des amis (intervenante D).
Par ailleurs, le dynamisme du processus d'adaptation et son corollaire, la réussite de
l'intégration, sont en partie attribuables aux responsabilités qu'en assume la société d'accueil
et aux possibilités qu'elle offre à ce futur citoyen.
Pourtant, les agents du MRCI qui appliquent les critères de subvention aux organismes
d'accueil et d'établissement sont confrontés à des situations paradoxales telle que définir
une mesure arbitraire67 en ce qui concerne le temps nécessaire pour l'adaptation. Ainsi, ce
même agent qui reconnaît qu'il faut respecter le rythme d'une personne dira : « 3 ans c'est la
période qu'on croit suffisante pour les immigrants pour apprendre la langue et apprivoiser
l'environnement. »
Ce qui rejoint la vision des directeurs qui jugent inévitable et nécessaire que l'État définisse
les paramètres de subvention. Ce faisant, les organismes deviennent des acteurs
incontournables et essentiels pour accompagner les nouveaux arrivants dans cette phase de
leur processus qui les amène à jongler avec l'acquisition de nouvelles normes sociétales et
l'adaptation à un nouvel environnement.
L'adaptation, ça je pense que ça peut se faire dans les 3 premières années. Le mandat qu'on
a d'aider les gens. C'est un préalable (directrice C).
L'adaptation, c'est plus ponctuel et ça nécessite évidemment une intervention pour que la
personne puisse être fonctionnelle le plus rapidement possible, répondre à ses besoins de
base, pour sa survie (directrice E).
67 Nous qualifions cette mesure d'arbitraire parce que les organismes communautaires, membres du ROSNA,
ont obtenu en 1996 que le critère passe de 18 mois d'arrivée au Québec à celui de 3 ANS. CETTE ANNÉE, LES
184
Mais au moment où l'État met de l'avant son concept de citoyenneté et les mesures visant à
promouvoir davantage l'approche locale pour l'insertion des immigrants, les organismes du
ROSNA craignent que l'on ne reconnaisse plus la spécificité du parcours migratoire comme
étape préalable à l'exercice de la pleine citoyenneté non plus que leur rôle à titre
d'organisme d'accueil et d'intégration.
Moi je me dis qu'au Ministère des Relations avec les citoyens et de l'Immigration, il n'y
aura plus de critère défini, ils vont atténuer la question des nouveaux arrivants et moi j'ai
un peu peur de ça (directrice C). Le danger c'est qu'on confonde l'aspect de citoyen avec
égalité (directeur G).
Les directeurs redisent le rôle que l'État doit jouer pour que l'on prenne en compte la
spécificité de la réalité immigrante afin que celle-ci ne devienne pas un élément contribuant
à l'inégalité sociale. L'État doit être celui qui s'assure de l'équité entre citoyens afin que tous
puissent avoir accès à une qualité de vie. « Pourquoi il y a des programmes sociaux, c'est
parce qu'il y a des inégalités, l'État doit s'assurer que ces inégalités soient moins
profondes».
Cependant, si les directeurs croient essentiel que l'État leur reconnaisse ce rôle
d'accompagnateurs dans le processus d'adaptation, ils revendiquent en même temps la
reconnaissance du long terme inhérent à la dynamique du processus de l'intégration, ainsi
que le respect du rythme d'intégration propre à chaque individu. Ils demandent de
reconnaître aussi que leurs interventions peuvent être nécessaires bien au-delà du 3 ans
admissible. « Parce que ce n'est pas vrai que les institutions sont adaptées à cette
problématique des gens qui sont en processus de base; parce que 4 ans au pays ce n'est
rien» (directeur G).
Si un fonctionnaire répond « oui, mais ce sont les normes » le directeur répond « oui, mais
qu'est-ce qu'il y a autour de ça, est-ce que ça nuit à l'intégration de la personne ? » (...) «
c'est la même chose pour la francisation... il y a des gens qui veulent s'inscrire, si ça fait
5 ans ( qu'il sont arrivés au Québec), peut-être qu'ils ont appris le français alors qu'ils
avaient autre chose en tête, avec quelle morale pourrais-je leur dire non ? »
organismes ont obtenu qu'on élargisse ce critère à 5 ans pour les nouveaux arrivants en difficultéd'intégration.
185
Ici sont mises en contrariété deux visions : une vision centrée sur les normes
administratives/ une vision centrée sur les besoins humains. Une vision qui compte sur le
prévisible, une vision qui doit composer avec l'imprévisible. Une vision qui fait intervenir
la morale, les possibles dans le cadre normatif, une autre qui jongle avec l'éthique, les
limites dans le cadre axiologique.
Mais si ces visions peuvent entrer en contradiction, elles n'entreront pas en confrontation
parce qu'il y a d'une part une certaine tolérance à l'occupation d'espaces de transgression de
la part du MRCI et que d'autre part, les acteurs du communautaire respectent certaines
limites à ne pas dépasser : « Donc, oui, on essaie, quand même on n'est pas rêveur, au point
de dire on s'en fout, oui on essaie de respecter certains critères, mais sans être excluant »,
(...) « si tu dis non parce qu'il arrive que ça fait 3 ans et demi que l'immigrant soit là… bon
et bien… les prix que l'on paie comme société, un peu plus tard. »
Occuper l'espace de transgression toléré permet à court terme d'inclure le « non admissible
» et de prévenir à long terme la désintégration de la société québécoise. Occuper cet espace
de transgression permet de poser un acte préventif. Nous verrons que le jumelage est
majoritairement considéré par les directeurs et les intervenantes en jumelage comme un
acte préventif contre la désintégration de la société et l'exclusion sociale.
Car le processus d'intégration relève d'un acte de volonté des deux parties en présence, « un
acte qui est dirigé vers l'extérieur de soi » (Ladrière, 1967), un acte qui lie le nouvel
arrivant et la société d'accueil. L'intégration, selon la majorité des intervenantes et
directeurs, repose sur la reconnaissance de l'apport, sur la possibilité de prendre sa place,
elle naît d'un désir de se projeter en avant dans un projet lié à la collectivité. Il est
particulièrement intéressant de noter que pour la majorité des intervenantes en jumelage,
l'intégration se situe dans un rapport interpersonnel, dans l'ordre du micro, lieu de
déploiement d'un lien social, et dans le développement d'un réseau social. Ainsi le
jumelage, le mentorat et le parrainage, ce programme d'accompagnement des jeunes en
insertion en emploi en France, ainsi que le rappelle Moubir Nabil (1999:398), « permet
d'intervenir là où le manque de réseaux relationnels constitue une difficulté supplémentaire
dans l'intégration des personnes et dans la progression vers une intégration (sociale) et
économique. »
186
Les intervenantes lient donc de façon directe et conséquente la pratique du jumelage à
l'intégration sociale des individus et à l'intégration/harmonisation de la société, société
québécoise en devenir, société qualifiée d’ « oeuvre inachevée » (intervenante C).
Pour la majorité des intervenantes, l'intégration c'est être bien. Être bien, signifie pouvoir et
vouloir participer, s'impliquer, « pouvoir montrer qui tu es » (intervenante H.), et pouvoir
être évalué à sa juste valeur, « considéré et valorisé, reconnu pour ses capacités
professionnelles, reconnue par la société d'accueil » (intervenante B).
Cependant l'intégration est vue par l'intervenante G, qui a émigré à l'adolescence, comme le
point final du processus d'adaptation qui se traduit par une capacité d'oublier, de s'assimiler
à la nouvelle société, à la nouvelle culture, au nouveau pays. Cette assimilation permettrait,
selon elle, l'unification de l'être, car celui-ci n'est plus écartelé entre deux cultures, deux
manières d'être. L'assimilation devient un acte d'identification, un sentiment d'appartenance
qui est peut-être impossible à ressentir pour la première génération, mais qui pourrait aller
de soi pour ceux qui naissent ici.
Toutefois les autres intervenantes contredisent cette représentation de l'intégration. Car
l'intégration, de rappeler l'intervenante C, n'est pas la « désintégration. » Les immigrants
ont une histoire, ils ont aussi « des appartenances politiques » et autres. L'intégration veut
dire alors « que l'individu se sent bien quelque part intégralement », nous traduisons par
globalement, de façon unifiée, authentique, en toute légitimité. Toutefois, selon les dires de
l'intervenante C, il appartient à l’intervenante de juger le degré de réussite du processus
d’adaptation de l’immigrant, en toute subjectivité. Serait-ce là son privilège « d’artisane du
lien social » (J. Lavoué, 1986) ? Par exemple, les jumelés d'accueil issus de l'immigration
seront non-admissibles au programme jumelage s'ils manifestent des signes évidents de
frustration face à l'aide (qualifiée de peu ou d'inadéquate) qu'ils auraient obtenue (ou non)
lors de l'intégration, ou frustration exprimée de façon générale face à la société québécoise.
Comment se situer face à cette pratique qui rejette la collaboration de personnes issues de
l'immigration motivées à contribuer au changement tout en exprimant leur insatisfaction
face aux structures d'accueil ? Il nous apparaît que dans ce cas, le jumelage, en tant
qu'intervention sociale, revêt la valeur symbolique d'une régulation des rapports sociaux où
le conflit doit être absolument évité. Les intervenantes ne veulent pas commettre d'erreur
187
qui pourrait nuire à la bonne intégration du nouvel arrivant. « Notre travail à nous, de
préciser l'intervenante C, comme ce que peuvent apporter les jumeaux québécois, c'est de
ne pas faire partie du problème, mais de la solution. Il faut partir de bases qui ne soient pas
déjà porteuses de tension. »
Cette décision de ne pas jumeler des gens qui occupent un espace critique face à la société
qui les a accueillis est donc en accord avec la définition du concept de l'intégration tel que
se le représente l'intervenante C : c'est lorsque la personne « a retrouvé un certain équilibre
», équilibre qui serait l'aboutissement ou le produit du processus d'adaptation. En effet, dans
ce cas, l'intervenante juge que ces personnes, habitées par la critique ou le ressentiment, ne
se sont pas adaptées à leur société d'accueil, ce qui contredit son désir de vouloir présenter
aux nouveaux arrivants des individus qui sont « des modèles d'évolution en ce qui concerne
la réussite de leur intégration. » L'état d'équilibre auquel serait parvenu le jumelé d'accueil,
l'intervenante C le lie aussi à la réussite de l'intégration socio-professionnelle ainsi qu'au
niveau de vie économique de la personne jumelée. Lorsque l'intervenante a appliqué ce
critère, elle a été confrontée, selon son expression, à « ses propres contradictions » et à ses
propres préjugés: vouloir que le jumelage soit accessible à tous, mais le fermer à certains
alors qu'ils ont démontré une qualité essentielle, « une sensibilité à l'interculturel. » Comme
nous l'avons mentionné, les intervenantes doivent se soumettre à des critères de sélection/
évaluation, notamment en ce qui concerne le statut et la date d'arrivée des immigrants. Elles
doivent aussi atteindre des objectifs, entre autres, l'aide à l'intégration du nouvel arrivant, et
réaliser un certain quota annuel de jumelages. Par contre, chaque intervenante, dans la
majorité des cas en accord avec le directeur de l'organisme, définit, non sans difficulté, les
qualités que, selon elle, le jumelé d'accueil doit posséder. Ces qualités doivent permettre au
jumelé de réaliser les objectifs du jumelage tels qu'attribués par l'intervenante, selon les
propres représentations qu'a cette dernière du processus de l'intégration et de l'adaptation.
188
6.3. Le jumelage, outil d'intégration et de prévention audéséquilibre social
Ainsi le jumelage, programme mis en place par l'organisme d'accueil et d'intégration des
nouveaux arrivants, est défini comme un outil d'intégration, en tant que geste préventif à
une non-intégration, parce qu'il fait intervenir les contacts humains et qu'il implique
l'individu. L'impact du jumelage tel que décrit par les intervenantes C, A, G, E, c'est à la
fois de permettre à un individu de retrouver un certain équilibre mental ou de ne pas le
perdre, car il prévient la crise de la solitude. « Ça a une utilité et ça aide les gens qui sont
isolés et qui le réalisent, parce qu'il y en a qui ne réalisent pas et ils se sentent bien et ils
fonctionnent bien… ils vont être bien pendant des années et puis ils vont craquer... et ils
vont se demander d'où ça vient » (intervenante A).
Le jumelage, parce qu'il y a rencontre, donc communication et échange, peut éviter une
détérioration de la santé mentale, et aider à surmonter une détresse psychologique chez un
nouvel arrivant, « à éviter un craquement. » L’intervenante G nous a rapporté l'histoire
d'une femme qui était venue à l’organisme pour faire jumeler son mari. Au cours de
l'entretien, l’intervenante s'est rendu compte qu'en fait c'était elle qui avait besoin d'un
jumelage, qu'elle était au bord de la dépression. Et cette détresse, comme le soulignent les
intervenantes G, H, et B, peut se retrouver aussi chez la personne-ressource (bénévole) : «
Le jumelage ça aide des deux côtés » « ce sont les immigrants aussi qui peuvent aider
l'autre que ce soit pour des problèmes de couple, de toxicomanie » « par exemple un
couple mexicain a apporté beaucoup de support à une femme québécoise qui était délaissée
par son mari. »
De même le jumelage est considéré comme un moyen de prévention au déséquilibre social,
un rempart contre l'anomie sociale (l’intervenante C, directeurs B et G et intervenante G) :
« C'est une façon de prévoir les possibilités dérangeantes », parce qu'il est un acte de
découverte de l'autre, d'apprivoisement, l'autre n'est plus l'inconnu. Ainsi le jumelage recrée
le sens du lieu, lieu qui donne sens à « l'être ensemble » dans un rapport latéral (Roman,
1996). Le jumelage en permettant de créer des liens, deviendrait un outil d'intégration pour
la société québécoise. « Je travaille à faire se rencontrer les gens en groupe parallèle avant
189
qu'ils ne prennent chacun leur chemin (...) les gens qui vont essayer de construire les ponts
que ce soit entre jeunes et vieux, je trouve que c'est un travail important à faire parce
qu'autrement, on va devenir n'importe quoi » (intervenante C). Le jumelage répondrait ainsi
à un besoin d'humanité. C’est ainsi qu’une personne est intégrée lorsqu’elle peut se sentir
citoyenne à part entière, quand elle a des réseaux, qu’elle connaît des gens de la place. Le
jumelage favorise la réciprocité, valeur essentielle à la reconnaissance. Par exemple, un
jeune jumelé reçoit et donne dans le contexte du jumelage, puis va redonner et recevoir à
son tour, cette fois, par son implication dans le bénévolat auprès des personnes âgées. Le
jumelage favorise l'intégration dans des réseaux informels et permet la diminution des
préjugés. Car comme le rappelle l'intervenante I, les objectifs du jumelage se trouvent au
niveau « de montrer un chemin » la personne « bénévole » va aider le jumelé au début, «
elle ne va pas jusqu'à faire son éducation, son instruction, elle va lui aider un peu, lui
donner les outils. » L'intégration devient ainsi une aide apportée par le bénévole au nouvel
arrivant pour s'intégrer, en même temps qu'une aide « à se prendre en main, à trouver des
facilités pour fonctionner en enlevant les barrières », précise-t-elle. Le jumelage est
considéré comme un moyen d'intégration pour atteindre les notions d'autonomie,
d'empowerment, notions inhérentes à l'idéologie communautaire, mais aussi répond à l'idéal
d'intégration « cet idéal qui est lié à la conception de la bonne société, de ce qui est
désirable » (Juteau, 1993).
6.4. Le jumelage acte de participation civique
Le jumelage doit être associé, selon l'intervenante G, à la notion de responsabilité du lien
social, responsabilité de l'intégration : « moi je trouve que n'importe qui doit avoir un
contact avec un immigrant. » L'intégration est donc intimement liée à l'acte de participation
civique, à la condition d'être citoyen, à la citoyenneté. Si la possibilité d'avoir un travail à la
mesure de son désir et de ses compétences, objet-signe de reconnaissance de l'apport, est la
pierre d'assise de cet acte citoyen, la citoyenneté se trouve de façon prioritaire, comme nous
l'avons mentionné, dans le rapport latéral de citoyen à citoyen, rapport qui s'ancre dans le
fait de reconnaître à chacun une place dans la communauté (Roman, 1996) :
190
Si on est heureux dans son travail, on est bien avec les gens qui nous emploient, on a
automatiquement une relation, ça permet d'être à l'aise pour demander justement des petits
trucs... des petites choses qui font qu'on va vivre mieux (intervenante A).
L'intégration doit passer par les contacts humains, il faut personnaliser l'intégration;
l'intégration c'est quand une personne peut se sentir citoyen à part entière, quand elle a des
réseaux, elle connaît des gens de la place (intervenant F).
Il faut qu'individuellement, les gens se sentent concernés (directrice E).
Le programme de jumelage serait, selon le directeur A, le premier programme identifié au
processus d'intégration parce que les organismes communautaires étaient reconnus pour
aider à l'adaptation, mais non pas à l'intégration. « Un organisme à l'heure actuelle qui fait
de l'accueil et de l'établissement fait de l'intégration » (directeur A). Mentionnons que seul
l’organisme A lie, dans ses objectifs, le jumelage à l’aide au parcours vers l’employabilité,
en tant que transmission de connaissances sur le marché du travail.
Pour la majorité des intervenantes et des directeurs, l'intégration est associée à un acte de
volonté de l'immigrant et à un acte de reconnaissance des membres de la société d'accueil,
une implication de ceux-ci dans l'aide à l'intégration. Le jumelage se situe dans cet axe de
réciprocité, dans un univers symbolique nourri par le désir de la rencontre avec l’autre : il
se manifeste, comme le souligne le directeur A, d’une part dans le vouloir apprendre le
français, et d’autre part dans le message de bienvenue. Le jumelage se situe ainsi dans un
axe communicationnel.
L'ouverture des Québécois envers les immigrants, c'est déterminant pour l'intégration
(intervenante B).
C'est déterminant parce que si on a une fenêtre ouverte, une porte ouverte pour connaître ce
qui se passe dehors, l'intégration c'est plus rapide (intervenante E).
Ainsi l'intégration est un processus qui va dans les deux sens, c'est une manifestation d'une
réciprocité à la fois du nouvel arrivant qui fait des efforts pour s'intégrer et de la société
d'accueil qui fait des efforts pour l'intégrer. Pour qu'il y ait intégration, il faut donc que
l'immigrant se sente à sa place, ce qui implique lui faire une place. « L'intégration c'est
191
sentir qu'on fait partie de la société, qu'on est des acteurs principaux, qu'on peut apporter
quelque chose » de dire la directrice E.
Mais cette réciprocité doit se traduire par un acte de reconnaissance. Pour que le processus
réussisse, « il faut faire en sorte que la personne qui est en processus d'intégration puisse
recevoir des reflets de son identité; un miroir de son identité à divers paliers de la société »
(directeur G.). Et selon l'agent 1 du MRCI, il faut reconnaître l'apport de l'immigrant et son
pouvoir de transformation :
L'intégration c'est un processus pas juste unilatéral, ce n'est pas le différent qui doit
s'intégrer à une société homogène... C'est toute la société qui est en train de changer, et tout
le monde doit s'intégrer à une nouvelle société qui est en devenir.
Cet agent, bien que nous convenions qu'il s'agisse ici de son opinion personnelle, épouse la
position formelle du ministère. Comme nous l'avons écrit, le MRCI irait non plus dans le
sens de l'idéologie d'insertion de la convergence culturelle, mais plutôt dans le sens de
l'intégration pluraliste qui en insistant « sur le caractère dynamique du processus
d'intégration, sur l'interdépendance des citoyens dans le partage par consensus de valeurs
communes en même temps que sur la possibilité qu'ils se donnent d'en formuler d'autres
doit mener à l’émergence d'une nouvelle société construite » (Harvey, 1993).
L'immigrant ayant acquis une possibilité de reconnaissance pourra lier son devenir au
devenir de la société. Ce qui peut, selon la directrice I peut se manifester ainsi : « quand il
dit moi je suis ici et mes enfants vont grandir ici, je vis ici et j'ai des projets d'avenir ici. »
Ceci traduit un sentiment d'identification à un projet collectif, la conviction d'être membre
actif de la collectivité, et la manifestation d'un sentiment de confiance, d'appartenance et de
reconnaissance envers la société d'adoption.
Car le contrat moral dépasse le simple fait d'accueillir, il se manifeste, comme nous l'avons
mentionné, dans l'acceptation de l'autre et dans le pouvoir qu'on lui accorde, dans la
symbolique de la reconnaissance qui elle prend source dans l'axe de réciprocité : « Reconnu
par la société d'accueil, le nouvel arrivant reconnaîtra la société d'accueil » insiste
l'intervenante B. L'intégration est donc plus qu’un contrat moral.
192
Et les organismes d'accueil et d'intégration, structures intermédiaires communautaires, ont
la conviction de porter la responsabilité de faire en sorte que la rencontre interculturelle
se concrétise. Les organismes offrent un lieu privilégié, l'interface : « Les
organismes, on a aussi notre part à faire : les échanges entre bénévoles de toutes cultures, il
y a des apprentissages qui se font... des expériences humaines qui se font » (directrice
E68). Le jumelage permet « de recréer des liens sociaux, de reconstituer des familles »
(intervenante C). En cela, nous disons que l'organisation communautaire remplace le rôle
traditionnellement dévolu à la Famille, au Travail, en tant qu'Institution. L'organisme
communautaire facilite l'intégration, il est médiation.
6.5. L'acte de citoyenneté du jumelage influencé par le contextesocial et la question de la langue
Toutefois, comme le rappelle Crowley, l'acte de citoyenneté se concrétise dans un lieu
situé, dans un contexte précis. Une réalité plus facile à traduire peut-être par qui est venu
d’ailleurs et s’investit dans l’ici avec une approche interculturelle. À son arrivée au Québec,
l'intervenante C découvre une société qui laisse d'une part place à l'innovation, qui offre un
espace de créativité et d'autonomie, mais qui en même temps présente des contradictions,
notamment sur le plan identitaire et linguistique, des vides aussi. Car il est entendu que le
Québec moderne n'est plus une société monolithique; elle est plutôt « une société où les
codes multivoques sont privés d'un centre organisateur » (Corin, 1993:4) et apparaissent
souvent flous (Camilleri, 1989). Situation déstabilisante à maints égards pour les nés ici,
déroutante pour les venus d’ailleurs. Il y a souvent perte brutale de repères pour le nouvel
arrivant qui ne possède pas les clés d'interprétation qui définissent les marges de conduite,
les zones de tolérance, les attentes, les incontournables, les faits et signes que toute société
prescrit et suggère de façon originale.
68 Nous soulignons que seul l'organisme E mentionne l’apport des activités collectives ou de groupe au projet
jumelage.
193
Ces vides, éléments perturbateurs de la cohésion sociale, se traduisent selon
l’intervenante C, par l’éclatement des liens familiaux et sociaux. « Les jeunes d’un côté, les
vieux de l’autre, les travailleurs au milieu qui essaient de s’en sortir. » Fragmentation qui
fait « que les gens ne se sentent pas concernés par la responsabilité de l’intégration des
nouveaux arrivants » et sur son incidence sur l’intégration de la société. Vides aussi créés
entre autres, par le non-enseignement de l’histoire à l’école, par l'absence de transmission
des références historiques alors que « l'histoire est importante dans la rencontre
interculturelle. Si tu n’as pas le recul historique, tu ne peux pas comprendre le présent. »
Cet inachèvement qui pourrait signifier une « transition en rupture » (Bujold, 1972), fait
dire à l’intervenante que la société québécoise est une société actuellement « éclatée et
sectarisée. »
Société fragmentée, comme d'autres occidentales, faite de liens distendus, situation qui a,
selon l'intervenante C, un impact direct sur le programme de jumelage « parce que si les
gens n'ont pas de liens entre eux, sont isolés, il devient plus difficile d'intégrer le nouvel
arrivant dans un réseau. » Société fragmentée dans un contexte de mondialisation et de
chômage relatif qui ne remplit pas toujours ses promesses, qui ne comble pas toujours les
attentes, notamment en ce qui concerne l’emploi. Ces attentes non comblées font alors
échouer la quête de plusieurs immigrants, quête sur laquelle était basé leur projet
d’immigration, l’amélioration de leur situation socio-économique.
Un Québec aussi où une majorité de Québécois sont en questionnement identitaire, où un
certain nombre de francophones questionnent leur avenir en tant que peuple, sont indécis,
sont en plein paradoxe face aux immigrants. L'intervenante C revoit le dilemne eux/nous
vécu en France par certains groupes ethniques, mais « de façon plus pernicieuse. Ce n'est
plus le « t'es qui » (identité basée sur le statut socio-professionnel), mais « t'es pour qui ? »
(identité basée sur le statut socio-politique) « Dans le sens t'es pour qui, t'es contre qui ? »
Pour qui (ou contre qui) en tant qu'individu, individu qui par ce choix devient une menace
pour une collectivité ?
L'immigrant se retrouve encore une fois au cœur d’un débat identitaire qui d’emblée ne lui
appartient pas, où les pôles exclusion/inclusion sont exacerbés; « on leur demande de
prendre position » au risque de s'exclure alors qu'il est en processus d'insertion.
194
Cette quête de reconnaissance politique des groupes en présence met dans l'embarras
l'immigrante qu’est l’intervenante C. Elle qui, analysant le contexte nord-américain et de
mondialisation, constate l'importance d'apprendre aussi l'anglais; « pas au détriment du
français, mais comme une langue qui est importante aussi. » Comme si, en faisant ce choix,
l'immigrant deviendrait suspect. « Il y a un écart entre les perceptions et la réalité comme si
la loi 101 n'avait pas eu d'impacts », déplore l'intervenante.
De plus, l’apprentissage de la langue de la majorité se fait dans le contexte où certains
immigrants parlent ou ont appris ou entendu parler un autre français, celui de la France,
français qui devient la norme en terme de qualité. Cette référence à la langue française telle
que parlée en France, fait porter à certains un jugement sévère sur la qualité du français que
l'on parle ici; jugement qui peut devenir un irritant dans la rencontre interculturelle.
L'apprentissage de la langue se fait aussi dans le contexte où certains Québécois portés par
la fierté de montrer qu'ils sont bilingues ou par méconnaissance de la réalité immigrante ou
par une attitude d'accueil, vont parler en anglais à l'immigrant peu importe son origine
(même si celui-ci vient d'Algérie, il a un visage d'étranger). L’intervenante C souligne aussi
les paradoxes, les contradictions qu'elle retrouve au sein de la société québécoise : le
paradoxe identitaire des Québécois qui a aussi une influence sur le parcours d'intégration de
l'immigrant, en obligeant ce dernier à faire un choix pro-francophone (anti-anglo) ou pro-
anglophone (anti-franco).
L’intervenante C analyse la complexité de la question de la langue et des susceptibilités qui
entourent les attitudes envers la pratique de celle-ci. L'intervenante l'analyse en termes
d'oppositions dans les systèmes de références et de significations des motivations à vouloir
parler (faire parler) le français : « Le Québécois dit parle à mon cœur, l'immigrant dit parle
à ma tête ! » Il apparaît que pour l'un le français, langue maternelle, est lié à son identité, à
sa survie en tant qu'ethnie, alors que pour l'autre la pratique ou l'apprentissage de la langue
d'adoption serait liée à sa survie économique.
Somme toute, comme le constate l'intervenante I, le Québec est une société, avec ses
qualités et ses défauts, ses contradictions, ses forces et ses faiblesses; « une société comme
les autres sociétés, il faut s'accommoder avec ça et fonctionner si on veut bien vivre, si on
veut donner une bonne éducation à nos enfants » (l'intervenante I).
195
Une société, comme toute autre société moderne, animée par l’individualisme et la
primauté du marché, touchée par ce que Bolle de Bal nomme la « déliance » et un vide
définissant le pourquoi de l’être-ensemble.
Cet état d’éclatement qui n’est pas seulement, faut-il le mentionner, l’apanage de la société
québécoise, l’intervenante le mentionne parce qu’il a un impact sur le programme de
jumelage « parce que si la société est fragmentée, ça ne va pas faciliter le travail... parce
que si l’individu qui s’implique n’a pas de famille, pas de réseau, l’impact au niveau social
est plus limité dans les faits. »
L'intervenante C avoue avoir une conviction toute personnelle en l'agir individuel comme
prise de conscience de la responsabilité sociale des individus face à l'immigration, face à la
réussite de l'intégration des immigrants et de la société québécoise, au-delà de la volonté
gouvernementale. Mais si la projection personnelle dans un avenir ici doit entrecroiser le
projet collectif, il faut un minimum de consensus sur ce que doit être le projet collectif.
Dans un même courant d'idées, la directrice B dit poursuivre sa réflexion avec d'autres
membres du conseil d'administration de son organisme sur la nécessité pour la société
québécoise d'élaborer et de dire un cadre commun, un espace civique commun qui suppose
des droits, mais qui insiste surtout sur les devoirs collectifs pour atteindre l'objectif qu'elle-
même s'est fixé après avoir immigré au Québec : participer à la vie collective pour mieux
vivre au sein d'une société intégrée. Ce qui guide ses actions, c'est une vision rassembleuse
« qu'il faut tabler plus sur les ressemblances que sur les différences. » Elle parle de
l'importance de réfléchir à ce que sera la société de demain « moi je me suis posé la
question » :
Comment va être notre société de demain si on n'a pas un cadre commun, si chacun vient
dire moi c'est mon droit, c'est ma liberté et je vais faire ce que je veux. La première étape
c'est de définir ce cadre, ensuite de demander à cette personne (nouvellement arrivée) viens,
tu vas être dans ce cadre, il n'est pas un carcan pour toi, il est large, il te permet de
t'épanouir, de respirer (...) Le changement il faut qu'il soit organisé, je suis contre l'anarchie.
(...) quand on dit nous sommes une terre d'accueil, on va accueillir, on respecte, c'est bien,
mais qui sommes-nous pour qu'ils viennent ? Le cadre n'est pas clair, il y a des ambiguïtés :
196
ex: la laïcité, le double message qui y est véhiculé. En ce qui concerne ce cadre, les
organismes veulent être consultés (directrice B).
C’est le nouvel immigrant qui dit c’est quoi votre société... on se le fait dire souvent...on est
peu… je dirais la société d’accueil, je dirais, est très effacée, est très curieuse des autres
cultures... , mais quand on nous pose une question sur notre propre culture..., on a rien à
dire... (agent 1 du MRCI).
C’est dans ce contexte que le « bénévole » défini comme un accompagnateur et perçu
comme un intermédiaire, lien entre l'organisme et les institutions de la société d'accueil
devient une référence lorsque le nouvel arrivant a besoin d'être sécurisé dans ses
démarches. C’est à lui aussi qu’incombe le rôle de vulgarisateur/ transmetteur en ce qui
concerne l'histoire, les normes et les valeurs de la société québécoise.
L’intervenante qui a le mandat de travailler sur le lien social du jumelage, et qui tente de
l’établir, animée par la perspective de l’échange interculturel, portée par l’espoir d’une
possible harmonisation des rapports sociaux et la conviction que le jumelage permettra une
meilleure intégration de l’immigrant, est plongée, bien malgré elle, dans la dialectique
sociétale de l’alliance et de la déliance. Cette dialectique se trouve, comme nous l'avons
précédemment décrit, dans le désir manifesté par les citoyens de se réapproprier un peu
d'intime et de spontané dans l'anonymat de la modernité, d'opposer et d'affirmer le sens du
lien au contre sens légitimé de la « déliance » sociale. La déliance, pour reprendre les
termes de Marcel Bolle De Bal, révélerait les symptômes d'une maladie sociale, « un
manque de liens humains, une carence des structures sociales incapables d'assurer ces
relations directes (...) intimes (...) engagées (...) qui font la joie du vivre-ensemble » (1985:
117). Le jumelage en tant que « système plus ou moins institutionnalisé reliant les acteurs
sociaux entre eux » (1985:30) serait, selon les termes de Bolle De Bal, une « structure de
reliance. »
Le contexte social au sein duquel est mise en place la relation de jumelage a une influence
sur la connaissance et la représentation que se font les citoyens du phénomène de
l'immigration. Cette connaissance ou méconnaissance a un impact sur le recrutement des
jumelés et la dynamique des jumelages. Cette réalité, qui peut devenir un obstacle pour la
réalisation des jumelages, ne doit pas, par contre, nous faire oublier l’espace de liberté
197
qu’occupent les intervenantes. Comme nous le verrons, l’intervenante par la conscience ou
l'intuition apprivoise et même apprécie les « zones d'incertitude » qui lui permettent de
manifester un « esprit d'invention » (Deslauriers, 1989, cité dans Roy, 1992 : 58). Les
intervenantes en viendront ainsi à revoir certaines stratégies d’intervention. Elles en
abandonneront, en trouveront de nouvelles. Nous définissons la stratégie comme un
ensemble d'opérations réfléchies ou spontanées dont le but est de faire se réaliser une
relation de jumelage en accord avec la conception que s'en fait l'intervenante modérée par
les balises qui lui sont imposées.
198
CHAPITRE VII
Recrutement et profil de la clientèle
7. a. Sommaire
Recruter des Québécois et jumeler des intérêts semblables qui ne sont pas nécessairement
les mêmes sont les deux défis que pose le jumelage. Le recrutement (7.1) est la principale
difficulté des intervenantes en jumelage. Nous décrivons en premier lieu dans ce chapitre
les principales difficultés liées au recrutement telles que se les représentent les
intervenantes : la méconnaissance du programme de jumelage et du phénomène de
l'immigration chez les citoyens (7.1.1), la dynamique communautaire et sociétaire d'une
métropole (7.1.2), le manque de famille nucléaire (8.1.3) et d'hommes (8.1.4) qui seraient
intéressés au jumelage, les obstacles organisationnels et structurels de certains lieux ciblés,
tels les entreprises (7.1.5) Le temps que les intervenantes doivent accorder à la promotion
(7.2) et les défis que posent la sensibilisation de la collectivité (7.2.1, 7.2.2) sont considérés
des défis majeurs. Comment est présenté alors le lien social du jumelage ? (7.3) Le
jumelage est présenté selon trois axes : celui du bénévolat (7.3.1), celui de l'amitié (7.3.2) et
celui de l'interculturel (7.3.3). Par ailleurs, le jumelage, relation primaire certes, mais aussi
secondaire, est présenté aux futurs jumelés comme un programme intégré à un organisme
(7.4, 7.4.1), deux espaces leur sont offerts pour développer ce sentiment d'appartenance à
l'organisation, des formations et des activités de groupe (7.4.2), mais jumeler des intérêts
semblables qui ne sont pas nécessairement les mêmes repose en premier lieu sur le
processus de sélection (7.5) qui tient compte du profil de la clientèle (7.5.1). Une première
zone d'incertitude survient : comment cerner les motivations des gens à être jumelés?
(7.5.2) Comment savoir s'ils partagent des intérêts semblables? (7.5 2.a). Les intervenantes
tentent d'évaluer la situation des candidats (7.5.3), en considérant le statut et le parcours
migratoire (7.5.4). La question du choix du jumelé d'accueil en lien avec l'atteinte des
objectifs du jumelage dans le contexte d'une société multiethnique implique d'offrir ou non
199
ce rôle d'accueillant aux Québécois de toutes origines (7.5.5) et d' évaluer le pourquoi et la
portée de ce choix.
Une fois la première sélection effectuée, le comment évaluer la compréhension qu'ont les
jumelés du processus du jumelage (7.5.6) puis le comment bien évaluer leurs compétences
constituent deux autres zones d'incertitude (7.5.7) ; celles-ci doivent être analysées à la
lumière des attentes des jumelés (7.5.8), des attentes des intervenantes et de la
représentation qu'ont les intervenantes des jumelés. Celles-ci élaborent différents moyens
pour faire partager leurs visions aux participants (7.5.9). Mais les intervenantes sont
confrontées à un dilemme : comment exclure un candidat (7.5.11) qui à la fois démontre un
geste d'ouverture en s'inscrivant au jumelage tout en démontrant une incompréhension des
objectifs du jumelage ou une tendance discriminatoire en disant une préférence
presqu'exclusive pour une ethnie (7.5.12.1) ou en manifestant des préjugés face à une autre
(7.5.12.2) Enfin, lorsque l'intervenante juge qu'elle a fait les bons choix, elle invite les
futurs jumelés à une première rencontre, la rencontre pour le jumelage (7.6), et leur en
donne les règles.
Les deux défis que pose le jumelage, tels que résumés par l'intervenante B, sont : trouver
des jumelés d'accueil69 qui implique le recrutement par, entre autres, des actions de
promotion, et jumeler des intérêts semblables qui ne sont pas nécessairement les mêmes;
que ce soit entre le jumelé d'accueil et le nouvel arrivant ou entre le jumelé d'accueil et
l'organisme.
7.1. Le recrutement
La principale difficulté du programme semble être la gestion du temps accordé au
programme du jumelage en lien avec les actions liées au recrutement (les activités de
promotion, la réalisation de la vidéo, la publicité dans les médias). « Il faut, selon
69 Nous adopterons pour la suite de notre thèse le terme « jumelés d'accueil” pour désigner les bénévoles ou
personnes-ressources, puisque c'est le terme choisi par les intervenantes du Réseau jumelage.
200
l'intervenante B, faire attention aux priorités. » Sinon une autre difficulté peut survenir,
celle là d'ordre logistique : le non-dosage de la promotion auprès des nouveaux arrivants.
Ceci occasionne une trop longue liste d'attente surtout quand la promotion se fait dans les
classes de français et que tous les nouveaux arrivants ou presque répondent qu'ils veulent
être jumelés.
Le défi de trouver des jumelés d'accueil est partagé par la majorité des intervenantes que
nous avons rencontrées et est souligné par les agents du MRCI comme étant un obstacle
majeur à la réalisation des jumelages (entrevues 1998)70. Tous les agents ont pris bonne
note que la première difficulté dans la réalisation du jumelage est le recrutement des
Québécois et le pairage par affinités. Ces deux éléments peuvent prolonger le temps
d'attente avant l'offre souhaitée du jumelage.
Les organismes n'arrêtent pas de nous le dire : ce qui prend énormément de temps c'est de
recruter des bénévoles, c'est ça qui est difficile et faire le jumelage, l'entrevue. Ils ont
beaucoup de gens en attente, des immigrants ou des bénévoles parce qu'ils n'ont pas trouvé
le match parfait (...) ça crée beaucoup d'attentes (agent 1 du MRCI).
Moi je trouve que c'est une formule drôlement intéressante qui aide et accélère l'intégration
et l'établissement des immigrants. Le grand problème, c'est le recrutement des Québécois
(agent 4 du MRCI).
Ce problème est redit dans l'étude de Charbonneau, Dansereau et Vatz-Laaroussi (1999) et
était au cœur des discussions de la réunion entre les représentants du MCCI et des
organismes communautaires en 1992. Les participants avaient alors recommandé que, «
compte tenu de l'importance de la promotion dans le recrutement des candidats, il est
proposé que le MCCI soutienne les organismes en organisant une campagne de promotion
du jumelage auprès du public québécois. » Recommandation qui, par la suite, ne fut pas
retenue par le MCCI.
70 Cette difficulté à recruter peut aussi être liée, comme c'est le cas en Colombie-Britannique, à la compétition
non seulement entre les organismes offrant le jumelage mais aussi entre tous les secteurs qui ont besoin de
bénévoles; La compétition sur le marché du bénévolat (document de travail MRCI, 1998).
201
Lors du premier événement public organisé par le Réseau jumelage en 1996, la Fête du
jumelage, l'intervenant F, alors porte-parole du Réseau, rappelait dans son discours les
objectifs du regroupement : améliorer le service et organiser des activités communes pour
mieux faire connaître le jumelage. Il interpellait alors le MRCI qui devait assumer le
leadership au niveau financier et au niveau promotionnel en redisant le modèle mis de
l'avant par ce dernier d'une société pluraliste de caractère français.
7.1.1. Pourquoi la difficulté d'avoir des jumelés d'accueil ?
Faire connaître le jumelage est difficile, selon l’intervenante H, parce que, selon sa
perception, l'immigration est un phénomène nouveau au Québec : « moi si je ne travaillais
pas, je ne connaîtrais pas ça, la question est comment le faire connaître aux Québécois ? »
En fait cette méconnaissance du programme de jumelage peut être liée à la méconnaissance
de l'évolution de l'immigration au Québec, méconnaissance qui contribue au lieu commun
que l'immigration est un phénomène nouveau. Comme nous l'avons déjà souligné, le
phénomène de l'intégration à la population francophone au Québec étant un phénomène
récent, les Québécois francophones prennent conscience, parfois difficilement, qu'il est
nécessaire de remettre en question certaines manières d'agir et d'être, d'admettre
l'hétérogénéité comme une qualité dorénavant intrinsèque de la société québécoise, qu'il y a
obligation de faire le deuil de « l'entre-nous. »
Cette invisibilité, ces silences concernant l'évolution de l'immigration pourraient expliquer
le fait que le jumelage, acte de rapprochement et outil d'intégration, selon la perception de
l'intervenante C, ne soit pas inscrit dans un « vouloir collectif » d'une société, et le fait que,
« partant d'un programme à visée collective, les jumelés mesurent leur réussite à l'aulne de
l'exceptionnel et du singulier » selon l'analyse qu'en fait l'étude de Charbonneau et al. La
non prise en compte de l'aspect collectif de l'acte de jumelage pourrait aussi être liée au
phénomène de « déliance sociale », phénomène qui empêche l'attribution de la portée
collective à l'implication sociale, celle-ci étant motivée et valorisée davantage par des
intérêts et bénéfices individuels. La fragmentation de la société, c'est-à-dire le non
sentiment d'appartenance à un « vivre-ensemble », ferait, comme le souligne l'intervenante
202
C, « que les gens ne se sentent pas concernés de façon collective par la responsabilité de
l’intégration des nouveaux arrivants » et par son incidence sur l’intégration de la société.
7.1.2. Jumeler à Montréal
Selon l'intervenante E, ce n'est pas le fait qu'il y ait beaucoup plus d'immigrants à Montréal
qui rendrait le jumelage difficile. L'intervenante G croit qu'il est même plus facile de
jumeler parce qu'il y a plus d'immigrants, le jumelage permettrait de diminuer des préjugés
« si tu as des problèmes avec ton voisin, on te jumelle. » Le fait que Montréal soit une ville
multi-ethnique ne signifie pas, par contre, que les gens ont nécessairement des contacts
avec des immigrants, d'autant plus qu'à Montréal, selon une autre intervenante (F) tout est
organisé : « pour trouver l'âme sœur, par exemple, les gens passent par des associations »
indiquant par là la culture du corporatisme qui existe dans une métropole comme Montréal.
Cette culture du corporatisme, où l'invividu doit faire appel aux associations pour l'aider à
établir des relations interpersonnelles démontrerait en fait, selon nous, deux tendances
contradictoires : d'une part le recours à l'organisation pour pallier à la difficulté de se doter
d'un réseau primaire serait un indicateur de l'absence de la communauté dans la ville, en
tant que réseau spontané; d'autre part le recours à l'organisation communautaire irait à
l'encontre du corporatisme, en se révélant espace médiateur capable de restaurer le sens de
la communauté, en permettant aux citoyens de se lier en tant que tels et d'établir une
relation.
La difficulté de jumeler à Montréal se situerait aussi, selon les intervenantes F et E, dans le
manque de temps des Montréalais, « leur temps est organisé » , ce qui a une influence sur la
dynamique du jumelage puisque la difficulté principale est la non-disponibilité.
Toutefois, ce ne serait pas tant l'idée du jumelage qui serait difficile à répandre à Montréal,
selon l'intervenante A, mais sa réalisation. L'intervenante attribue cette difficulté aux
critères, aux paramètres qu'il faut respecter, et parce qu'elle a affaire à la nature humaine «
le jumelage est devenu à la mode, mais quand les gens veulent en savoir un peu plus, on se
rend compte qu'ils n'ont pas bien compris, certains n'ont pas conscience que c'est du
bénévolat, ils pensent à un certain retour. Certains vont espérer que le jumelé leur trouve un
203
emploi, d'autres croient que ça va être un travail. » Nombre de nouveaux arrivants ne
saisissent pas la nature exacte du programme de jumelage, ses objectifs, la structure
organisationnelle au sein de laquelle il est offert de même que les motivations des
Québécois à donner de leur temps pour cette relation. Devant tant de confusion et dans un
effort de clarification, les intervenantes, notamment l'intervenante C, ont cru nécessaire de
donner aux jumelés une fiche qui définit ce qu'est et ce que n'est pas le jumelage.
En ce qui concerne la question des distances géographiques entre les jumelés, les
intervenantes ne croient pas en général que celle-ci pose problème quoique plusieurs
essaient de jumeler des gens qui vivent le plus possible à proximité l'un de l'autre; d'autant
plus que les nouveaux arrivants possèdent rarement une voiture.
7.1.3. L'unité familiale
Une difficulté du programme de jumelage que rencontre particulièrement l'intervenante D,
puisqu'elle priorise ce type de jumelage, c'est de trouver des couples et des familles. Dans
son rapport, Daignault (1996) mentionne la présence ou non d'enfants dans le jumelage
comme pouvant être un obstacle à la réussite du jumelage entre les participantes. Les
participantes québécoises sans enfant représentaient 54,8% des candidates
comparativement aux femmes immigrantes, 32,5%. Daignault écrit : « Dans notre pratique,
cet écart entre les deux groupes concernant le nombre d'enfants par femme, a provoqué
quelques déceptions chez les immigrantes. Puisque les valeurs familiales et
communautaires sont très valorisées dans plusieurs des sociétés d'où proviennent les
femmes, plusieurs d'entre elles auraient aimé partager des activités de type familial avec
une femme québécoise et se familiariser avec les modèles éducationnels québécois. »
Daignault poursuit : « nous sommes sensibles à la déception des immigrantes concernant
l'impossibilité (...) d'être jumelées avec des mères de familles québécoises. Toutefois, nous
devons demeurer réalistes face à nos capacités de recrutement puisque cette situation reflète
la réalité démographique du Québec » (1996:47). Dans les recommandations du rapport,
204
Daignault suggère d'accentuer le recrutement de femmes québécoises ayant des enfants en
publicisant le projet dans les établissements d'enseignement primaire.
Enfin le manque de jumelés d'accueil de sexe masculin71 est partagé par l'ensemble des
intervenantes.
7.1.4. Recrutement/Manque d’hommes seuls
Il est en effet ardu pour la plupart des intervenantes de réaliser le jumelage entre hommes
seuls. Parmi les futurs jumelés immigrants, les hommes célibataires sont nombreux; ceux-
ci sont soit des revendicateurs de statut ou des immigrants indépendants. Les quelques
jumelages que l’intervenante C a réussi à faire entre hommes, précise-t-elle, sont presque
tous « ratés. » L’intervenante lie cet échec à la difficulté de s’engager, de se lier « parce
que finalement on retrouve l'aspect humain, ce qui fait que les jumelages réussissent, c'est
le lien affectif. »
Ce qui nous amène à formuler deux hypothèses : une première hypothèse pourrait être que
la sphère sociale, que ce soit dans le domaine de l’intervention sociale, de l’enseignement,
de services de santé ou du bénévolat, tout ce qui concerne l’attention portée à l’autre dans
un acte de dévouement, de gratuité, et de non-équivalence, donc hors marché, même si cet
acte est rémunéré, est encore majoritairement occupée par les femmes. À titre d’exemple,
sur 20 organismes membres du Réseau jumelage lors de notre étude, il y avait trois
intervenants hommes responsables du jumelage.
L'autre hypothèse s'inspire de la réflexion de l’anthropologue W. Apollon sur la notion du
contenu du contrat et du fondement de l’alliance. Le « pourquoi s’allier ? » Bien que la
réflexion d’Apollon questionne la baisse de l’intérêt concernant l’alliance du mariage, il
nous apparaît intéressant de tisser un lien avec la notion de l’alliance du jumelage. Selon
71 Le plan d'action 2000 du Réseau prévoit des actions de recrutement ciblées auprès d'associations nationales
ayant majoritairement des membres de sexe masculin (notamment dans le domaine du sport).
205
Apollon, les hommes ne voient plus intérêt dans l’alliance interpersonnelle du mariage
parce que celle-ci ne conditionne plus la filiation comme structure de transmission du nom,
des biens, des signifiants du lignage. Dans le jumelage, c’est la transmission de
connaissances qui est au cœur du jumelage de même que le développement d’un lien
affectif. Pourquoi les hommes se lieraient-ils, s'ils ne peuvent transmettre concrètement par
l’acte de l’alliance une part de leur identité ? Pourquoi se lieraient-ils aussi s'ils ne peuvent
contribuer par le don de biens à transmettre une part de leur héritage ? L’homme désire une
certaine reconnaissance sociale de sa contribution. Le contrat de l’alliance telle que conçue
par l’homme doit être une réalisation, doit se manifester de façon tangible et mesurable,
c’est le « lien effectif », la certitude. Le jumelage présenté comme une relation d'amitié
serait peut-être trop dans l'ordre de l'affect, dans le flou, pour que l'homme s'y intéresse de
façon spontanée. Ceci n'étant qu'une hypothèse, la promotion auprès des associations
d'hommes devrait nourrir ces éléments de réflexion et apporter d'autres pistes.
7.1.5. Le Recrutement et les affinités professionnelles
La formation et les expériences de travail des intervenantes influencent le mode de
recrutement des Québécois, par contre, des obstacles structurels et organisationnels peuvent
les obliger à modifier leurs stratégies. L'intervenante B oriente ses activités promotionnelles
vers les grandes entreprises, Bell, les Caisses Populaires, etc. Elle établit un lien entre ce
qu'elle a observé en milieu de travail et les possibles intérêts des gens à être jumelés « j'ai
travaillé dans une compagnie d'assurances avec des gens bien ordinaires, bien simples, qui
aimeraient ça ce genre de choses là. » , mais parce qu'elle manque de temps, et parce que ce
type de partenariat est exigeant, celle-ci a du ralentir ces démarches auprès des entreprises.
Toutefois elle a noté que la principale difficulté rencontrée au sein des grandes entreprises
se situe au niveau de la culture organisationnelle; la situation de concurrence et de
coupures de postes force la restructuration chez Bell, les responsables des services
changent, il y a un problème de communication à l'intérieur de la boîte. Aussi rencontre-t-
elle des difficultés à identifier la personne de l'entreprise qui devrait être mandatée pour le
dossier jumelage.
206
En ce qui concerne le jumelage professionnel, si plusieurs immigrants le demandent, le
principal obstacle c'est le temps d'investissement que cela exige et le manque de temps des
intervenantes. L'intervenante B précise : « Je ne suis pas rendue là dans mes étapes (...)
mon but cette année c'est d'aller voir les grandes entreprises là où il y a un grand bassin de
population québécoise » 72. Pourtant, notamment en ce qui concerne les immigrants
indépendants, la problématique de l'intégration professionnelle est au centre des
préoccupations de l'immigrant, d'où, selon l'intervenante C, l'importance que pourrait
prendre le jumelage basé sur des affinités professionnelles qui favoriserait des échanges
d'information sur la profession. Cependant, lors de la formation donnée à l'APEIQ au
printemps 97, elle soulignait la complexité de ce type de jumelage qui pourrait susciter des
attentes irréalistes envers le Québécois de qui on espérerait un contact pour l'obtention d'un
emploi.
Même si les intervenantes ne donnent pas au jumelage un objectif d'accompagnement vers
l'emploi, elles tentent de tenir compte dans leur pairage, lorsque cela s'y prête et est
possible, des affinités professionnelles.
7.2. La Promotion
La promotion semble demander énormément de travail aux intervenantes : « Pour faire un
jumelage, je peux appeler 10 fois (...) j'ai des réunions, des tables de concertation, les gens
ne sont pas prêts, quand moi je le suis » (intervenante H).
72 Au sein du Réseau jumelage l'intervenante B a coordonné en 1999 avec l'agente de liaison du Réseau un
projet-pilote « accompagnement en milieu de travail » , qui se rapproche du programme mentorat de certains
organismes et qui permettait à un immigrant d'être jumelé en milieu de travail avec un travailleur en
l'occurrence un délégué syndical à la FTQ, section des Métallos. L'objectif était d'initier l'immigrant
(l'immigrante dans ce cas) aux modes de fonctionnement du travail dans son domaine professionnel et de
sensibiliser un Québécois et ses confrères de travail à la réalité et à la complexité de l'intégration en milieu de
travail pour un nouvel arrivant.
207
L'intervenante A aussi trouve difficile le recrutement, celle-ci déplore que « ce sont
toujours les mêmes bénévoles qui reviennent de fois en fois se jumeler. » Elle a
l'impression de faire beaucoup de promotion pour peu de résultats. Les intervenantes
déplorent que les activités de promotion prennent énormément d'énergie et de temps en
réalisation et en préparation, peut-être au détriment justement de la formation. Toutefois
l'intervenante C est consciente que l'impact réel est encore limité parce que le jumelage est
peu connu ou mal connu, « si tu parles à des gens, jumelage, c'est quoi ce mot là ? Ils
pensent parrainage ou ils ne pensent rien. » Celle-ci déplore les répercussions négatives du
discours véhiculé par les médias qui créerait un effet de « brouillard. »
Ainsi les premières réalisations des intervenantes au sein du Réseau jumelage furent des
activités promotionnelles. Alors que le premier événement du Réseau jumelage en 1996
visait à sensibiliser principalement le MRCI, les deux autres événements, la Foire du
Jumelage en 1997 et Solidairement Artistes en 1998, avaient comme objectif de faire
connaître le jumelage. L'un visait les médias, les organisations civiles et associations de la
société québécoise (Syndicats, Forum des Aînés, Fédération des femmes, Fédération
étudiantes, SSJB) l'autre voulait rejoindre la population en général par le biais d'un
événement culturel de même qu'acquérir une certaine crédibilité auprès du MRCI.
Lors de la validation des données, l'intervenante C poussait plus loin sa réflexion et
attribuait aux jumelés un rôle au niveau de la promotion du jumelage tout en se demandant
comment les soutenir dans cette démarche. Ainsi revient-elle à la vision du rôle des
jumelés : porteurs du projet et multiplicateurs. L'intervenante C croit qu'il serait nécessaire
que les intervenantes au sein du Réseau réfléchissent davantage au comment outiller les
jumelés d'accueil à devenir porteurs du projet de la même façon que les intervenantes
devraient réfléchir à d'autres façons, d'autres lieux où pourrait se concrétiser la rencontre
interculturelle. Elle appuie l'idée émise au Réseau d'un club jumelage, selon le modèle
adopté par un organisme d'accueil des nouveaux arrivants en région hors Montréal, au sein
duquel les jumelés deviennent responsables de certaines activités73; alors que l'intervenante
73 La réflexion menée au sein du Réseau a porté fruit. Des jumelés (nouveaux arrivants et Québécois) référés
par les intervenantes ont créé, avec l'agente de liaison du RJI, en mars 2000, le journal Le Jumelé, journal de
réflexion et de témoignages sur le jumelage, les relations interculturelles et le phénomène de l'immigration.
Ce journal vise à sensibiliser les citoyens et citoyennes et est distribué gratuitement via les Maisons de la
208
G se sentirait menacée dans un trop donner de responsabilités aux jumelés, ce qui pourrait
remettre en question la nécessité de son intervention. Cette crainte nous apparaît fondée sur
le caractère temporaire des postes de travail au sein du communautaire de même que sur
l'incertitude entourant les renouvellements de contrat liés aux subventions.
Par ailleurs les agents du MRCI se demandent si la formule, telle que présentée dans le
cadre d'une relation interpersonnelle, ne devrait pas être réévaluée. Le questionnement
porte, entre autres, sur comment en augmenter l'impact et comment trouver des formules
moins engageantes et surtout moins contraignantes pour le bénévole.
7.2.1. Lier l'interpersonnel au collectif
Être accompagné d'aînés pour faire la promotion du jumelage fait partie d'une stratégie de
rendre les aînés « porteurs du projet, et multiplicateurs dans les milieux. » Cette stratégie
vise à responsabiliser les aînés face à leur engagement et à lier ce projet individuel à un
projet d'ensemble, à un projet social pour que celui-ci devienne une responsabilité
collective face à l'intégration. D'ailleurs, cet objectif peut être relié au fait que l'intervenante
C considère qu'une des raisons possibles au fait que le jumelage est si peu connu au sein
de la société québécoise est que « ça reste une affaire d'individus. » Cette
responsabilisation permet aux jumelés de répondre à un autre objectif que s'est fixé
l'intervenante « qu'ils s'affranchissent de sa présence. » Cette stratégie permet aussi d'éviter
que l'intervenante ne « s'essouffle », ce qui aurait, nous apparaît-il, un impact non
seulement sur sa disponibilité, mais aussi sur sa faculté d'innover.
Pour l'intervenante H, l'objectif d'être des bénévoles multiplicateurs semble être de trouver
d'autres bénévoles pour faciliter son travail puisque, comme les autres membres du Réseau,
celle-ci est confrontée à la surcharge de travail et au manque de temps. Augmenter le
nombre de bénévoles l'aidera par le fait même à répondre à la mission du programme de
Culture, bibliothèques, centres de loisirs de la région métropolitaine. Un certain nombre d'exemplaires est
distribué en régions, hors Montréal.
209
jumelage et de l'organisme au sein duquel il s'inscrit. Cette mission est le changement des
mentalités, donc une meilleure compréhension des uns et des autres. Le bénévole, dans ce
cas, considéré nouveau converti à la cause qu'il a choisie, a le mandat d'accueillir et de
guider le nouveau venu dans sa nouvelle demeure et doit répandre la bonne nouvelle qu'un
nouveau venu est arrivé afin que d'autres, comme lui, deviennent bénévoles au sein de
l'organisation. Les jumelés prennent ainsi un rôle actif en « épaulant » l'intervenante H.
L'intervenante B a adopté un moyen original et pour le moins surprenant pour contrer cette
difficulté de promotion du jumelage : les annonces dans le journal de quartier décrivent le
jumelage d'intégration avec texte et photo en présentant les nouveaux arrivants à la
recherche d'un jumelé québécois. Par cette annonce personnalisée, les nouveaux arrivants
décrivent ce qu'ils recherchent dans le jumelage. Avec la photo, l'intervenante a
l'impression que le jumelé d'accueil a le choix, que c'est lui qui choisit selon ses intérêts et
qu'il fait les démarches en fonction d'un individu en particulier. La photo créerait un lien;
elle permet au Québécois, selon l'intervenante B, « de mettre un visage sur un inconnu. »
Cet outil promotionnel nous semble motivé par le désir de rendre le processus moins
anonyme Mais s'il permet d'apprivoiser l'inconnu de la situation pour les Québécois, cette
façon de promouvoir le jumelage risque d'augmenter l'étrangeté du processus chez le
nouvel arrivant qui devient en quelque sorte un objet pour l'autre. Cette façon de faire
inusitée peut provoquer un malaise. D'ailleurs en mai 1998, l'intervenante B était
confrontée au fait que certains nouveaux arrivants avaient des réticences à se faire
photographier. Elle est à revoir ce mode de promotion du programme74.
Nous spécifions que des jumelés, autant nouveaux arrivants que Québécois, ont accepté de
témoigner dans la vidéo promotionnelle réalisée par le Réseau jumelage, d'autres, souvent
les mêmes, acceptent à l'occasion, de témoigner lors d'activités promotionnelles et de
sensibilisation, enfin quelques jumelés collaborent au journal Le Jumelé, journal de
74 Dans le Jumelé, il y a une chronique, Des nouveaux arrivants désirent être jumelés, où il n'y a pas de photo,
mais une présentation du nouvel arrivant (profil, profession, statut civil, intérêt). Il nous semble que cela
donne au futur jumelé d'accueil l'impression qu'il fait un choix personnel en même temps qu'il permet au
nouvel arrivant de dire ce qu'il recherche. Toutefois, la nouvelle intervenante de l'organisme B préfère une
annonce plus générale qui fait appel aux Québécois de façon collective tout en orientant leurs intérêts vers
l'échange d'expertises, l'élargissement du réseau professionnel dans un contexte de mondialisation ".
210
sensibilisation au phénomène de l'immigration et de promotion du jumelage. En
s'investissant dans l'espace public, ces quelques jumelés dépassent le cadre organisationnel
du jumelage de même qu'ils sortent de l'espace intime de la relation interpersonnelle. Par
cette participation civique, ces jumelés démontrent la possibilité et disent l'importance de
donner à l'acte du jumelage une dimension collective, de le rendre acte citoyen.
7.3. Le lien social du jumelage
Le lien social du jumelage tel que présenté par les intervenantes se définit selon trois axes
relationnels : celui du bénévolat, de l’amitié, de la rencontre interculturelle. Ces
représentations amèneront les intervenantes à poser des actions en accord avec l'un ou
l'autre, et selon les difficultés rencontrées et les résultats obtenus, à les remettre en question.
7.3.1. L'axe du « benevolens »
L’axe du bénévolat et l’axe de l’amitié ont été tour à tour et en même temps les axes
privilégiés pour présenter la relation de jumelage. Comme nous l’avons mentionné, le
jumelage ayant été d’abord institué dans le but d’aider les réfugiés à s’intégrer, le bénévolat
dans le sens aidant/aidé a été mis de l’avant dans l’appel à l’engagement des jumelés
d'accueil.
Le jumelage des organismes H et D s'inscrit, quoique de façon différente, dans le champ du
bénévolat. Pour l’intervenante H, décider de se jumeler avec un nouvel arrivant, c'est poser
une action bénévole. Une action bénévole dont la philosophie est imprégnée de la charité
chrétienne. « Le bénévolat c'est un don qu'une personne fait de son temps, de sa présence,
de son amitié. » Pour le bénévole, la gratification du don de soi, du don de son amitié est «
dans la joie de donner, dans la satisfaction d'entrer en contact avec une personne qui a
besoin de lui. » « Le plus grand don, c'est donner sa vie à ceux qu'on aime », cet extrait de
211
la Bible est écrit dans le document retransmis oralement par l’intervenante aux bénévoles
lors de la première soirée de formation. Le code axiologique sur lequel repose la relation de
jumelage est donc basé sur le don de soi, de son affection, sur l'aspect humain. La charité
chrétienne commande l'amour du prochain. Le don de soi veut dire un don de sa présence,
de sa disponibilité d'esprit, un don incalculable, non quantifiable, un acte gratuit opposé à la
société de marché où tout est comptabilisé. « Dans une société de consommation, du
"j'achète, je jette" la personne a un besoin aigu d'un geste gratuit (...), c'est à ce moment
précis que le bénévolat trouve son sens et sa valeur » précise l'intervenante H. L'aspect
humain de la relation vient contrebalancer « les structures sociales perfectionnées, mais
trop souvent sans âme (...) où on oublie l'aspect humain sous prétexte d'efficacité, de
rendement, de rentabilité. » Le jumelage s'inscrit ainsi dans la perspective axiologique du
christianisme où l'autre est objet de compassion et est aimé de façon inconditionnelle. C'est
par devoir de chrétienté que l'on pose cet acte bénévole.
Ainsi vient l'importance d'accorder du temps à l'autre, de s'intéresser à l'autre, « d'aller lire
sur la culture de l'autre », d'être responsable du lien qu'on développe avec l'autre. « Il faut
faire attention de ne pas jeter tout de suite. » Tout en dictant ses conseils, l’intervenante H
prévient le bénévole que ça ne réussit pas tout le temps. La dynamique de l'échange leur est
donnée : le lien se crée, se situe entre deux individus qui se rencontrent et qui échangent. À
l'image du bénévolat moderne, le « je » s'exprime et peut obtenir, par la relation, une
reconnaissance en tant qu'individu, mais aussi en tant que membre d'une société. Ainsi que
nous l'avons indiqué précédemment, la relation d'aide vise autant la satisfaction et la
croissance personnelle de l'aidant que la solution des problèmes de l'aidé.
L’intervenante H explique longuement aux bénévoles le sens du mot bénévolat. Tel que
défini dans le dictionnaire : « Avec bienveillance », et gracieusement : bonté et gratuité. « Il
faut aller chercher ce qu'on a de meilleur en soi » ajoute-t-elle. Le bénévolat signifie aussi,
précise-t-elle, un « acte libre » ; un acte que le bénévole a choisi; s'il a choisi c'est qu'il en
devient responsable « en toute bonne volonté. » Ici l'intervenante fait référence à l'acte
d'engagement ou « l'engagement-acte » qui est, comme nous l'avons mentionné en nous
référant à Ladrière (1967:4), une décision où l'individu « se met en jeu lui-même. » Par
cette mise en situation, l'individu lie son avenir et celui des autres. L'engagement-acte
devient promesse en même temps qu'il s'inscrit dans le présent. Cependant, s'engager en
212
acte ne veut pas nécessairement dire que l'individu assume pleinement une conduite
d'engagement qui est, nous le rappelons, une posture par laquelle on assume pleinement une
situation donnée, dans laquelle on accepte de prendre ses responsabilités face à un état des
choses, une situation qui contient une part d'indéterminé. L'intervenante rappelle aux
jumelés d'accueil que si ceux-ci posent un acte bénévole, celui-ci implique tout de même
une contrainte : celle du respect de l'engagement envers soi-même et envers l'autre.
Le bénévole a donc non seulement le mandat de sécuriser un nouvel arrivant qui, leur dit-
elle, « se sent étranger et déraciné de son pays d'origine », il a aussi le pouvoir de combler
un besoin affectif, social, et spirituel. Le lien se crée, libéré de toute contrainte, en d'autres
mots libre de tout intérêt matériel. Ce sera, prévient l'intervenante, « un lien entre deux
individus qui échangent des impressions, des connaissances, des expériences. » La
personne accueillie peut donner d'elle-même par le jeu de l'interaction qui est possible
lorsque deux personnes sont mises en présence l'une de l'autre. L'échange au cœur du
jumelage est ainsi un don et un contre-don.
Par ailleurs le bénévolat peut aussi avoir une autre portée, celle de l’engagement social. Le
bénévolat en tant qu'engagement social est présenté par l’organisme E et D. Pour
l’organisme et l’intervenante D, s’il est un engagement moral, « notre jumelage certains me
disent qu'il est très demandant parce que nos bénévoles vont s'engager et c'est un
engagement moral », c'est aussi un engagement qui peut devenir social.
L’intervenante D exige des bénévoles une implication soutenue et assidue, deux heures
semaines, c’est pourquoi elle insiste sur l’importance de la responsabilisation du bénévole
face à son implication et son engagement. « La principale chose avant d'accepter quelqu'un,
souligne-t-elle, ça va être sa motivation, quelqu'un qui est motivé, qui veut vraiment, qui a à
cœur l'intégration, qui veut découvrir une autre culture, qui veut partager la sienne. » Puis,
après avoir expliqué aux bénévoles les services existants pour les nouveaux arrivants à
l’organisme, l’intervenante leur parle d'amitié « c'est de faire des activités et se donner de
l'amitié et c'est vraiment sur une base plus humaine que juste du jumelage. » Le jumelage
enprunte ici aux deux axes sociétaire et communautaire : l'axe sociétaire révèle la
responsabilité assumée par le bénévole-citoyen d'aider le nouvel arrivant dans son parcours
d'intégration, et se manifeste dans le désir d'interconnaissance. Le contrat balise cet axe.
213
D'ailleurs l'humanisme est au cœur de l'axe communautaire, la solidarité psychique, les
élans spontanés, pour reprendre les termes de De Bolle, animent l'axe communautaire.
Toutefois, l'intervenante freine cet élan en donnant dès la mise en place de la relation une
contrainte : celle de l'amitié. Du coup, elle rétrécit l'axe et l'oriente davantage dans l'angle
du devoir, créant ainsi une ambiguïté voire une contradiction. Si le bénévole peut devenir
un ami en étant motivé dès le départ par des considérations communautaire et sociétaire,
l'ami ne peut être un bénévole qui répond à l'appel de l'intervenante par devoir.
Un autre organisme emploiera le terme bénévoles. Celui-ci les désigne bénévoles d’accueil
ou parrains, et ces derniers accueillent des personnes du même pays d’origine, ils ont ou se
voient attribué un proche lien, on leur donne une fonction de guide, d’éclaireur. Les autres
membres du Réseau prennent leur distance face à la notion de bénévolat, ils en en ont
contre l’utilisation du terme bénévole pour désigner les personnes de la société d’accueil.
L’intervenant F ne dit pas qu’il est à la recherche de bénévoles lorsqu’il fait la promotion
du jumelage « je dis voulez-vous connaître des gens d'autres cultures, voulez-vous en
connaître davantage sur les autres cultures, voulez-vous voyager tout en restant à Montréal,
ils vont chercher quelque chose. »
Dans la perception de l’intervenant F, le bénévolat peut être associé à la notion de
paternalisme et d'assimilation; si tel est le cas, celui-ci interviendra pour repréciser les
objectifs du jumelage et présenter la dynamique du don/contre-don, l'axe de réciprocité
dans l'échange, le transfert de connaissances :
Si la personne se considère bénévole, ok, mais si elle prend un rôle paternaliste, je vais faire
une rectification lors de l'entrevue, je vais lui dire ce qu'elle peut aller chercher là-dedans!
(…) Parce qu'il y en a qui veulent intégrer les immigrants (...) ils viennent ici pour intégrer
voire assimiler les immigrants, il faut faire attention à leurs objectifs.
Dans ce cas, l’intervenant ne rejette pas la candidature parce qu'il « considère qu'elle a plus
à apprendre », mais tentera d'adopter une attitude plus vigilante, de veiller à ce qu'elle
vienne aux activités. Les intervenantes F et B ne font pas appel aux Centres d'action
bénévole pour le recrutement des personnes ressources. Le premier considère que « c'est
214
plus lourd qu'autre chose. » Quant à l’intervenante B, elle ne semble pas apprécier
l'orientation, les motivations des gens référés par ces Centres.
Il apparaît un certain paradoxe dans la représentation que l’intervenant F se fait du
bénévolat. S’il accepte la notion de bénévole dans le cadre du soutien linguistique où l'un
apporte des connaissances linguistiques à l'autre, ce dernier refuse d'utiliser le terme et
entrevoit avec suspicion le désir de bénévolat de la personne-ressource dans le cas du «
jumelage social. » Un bénévolat qui impliquerait que la personne de la société d'accueil
apporterait, pour un court terme, une aide à l'adaptation à l'immigrant nouvel arrivant.
Comme si l'objectif, l'aide au français, permettait ce don initié par le jumelé Québécois
alors que dans l'échange social ce don initié semble désavoué parce que le jumelage social
est basé sur l'échange, le don/contre-don, « ce n'est plus une question de dire venez on a
besoin de vous, venez donner du temps » précise-t-il. Resurgit alors la référence au don de
soi sans compter, associée à la notion caritative et religieuse du bénévolat. Sans qualifier le
jumelage d'acte bénévole, l'intervenant F place tout de même le jumelage dans une pratique
moderne de don, le troc, l'échange est la valeur marchande.
Le jumelage que propose l’intervenante C ne se situe pas dans l'axe du bénévolat qu’elle
définit comme une relation déséquilibrée où l'illusion est de donner sans recevoir « je ne
crois pas du tout à la philanthropie (...) il y a toujours un truc qui te revient. » Le jumelage
doit permettre de déséquilibrer cette relation aidant/aidé, doit affranchir les personnes
impliquées des idées préconçues sur les immigrants, le jumelage doit établir des relations
où chacun va apporter à l'autre. Pour l’intervenante C, le bénévolat qu’il soit associé ou non
au jumelage, c'est de « l'auto-gargarisation, c'est le Québécois qui donne » et l’intervenante
d'apporter l'exemple de l'affiche de la Semaine interculturelle, « le cœur québécois » ; « on
est accueillant, dit-elle, c'est ce qu'on entend partout ! »
Ces divergences de point de vue dans la représentation de la nature de l'engagement des
personnes de la société d'accueil de même que dans la façon de les nommer seront révélées
au sein du Réseau jumelage notamment lors de la production en 1998 de la vidéo
promotionnelle sur le jumelage interculturel. Les intervenantes ont confronté leurs points de
vue, et tout en gardant chacune leur position, en sont arrivées à un compromis : la personne
de la société d'accueil est nommée jumelé d'accueil dans le document. Faute de temps et
215
peut-être par crainte de plonger au cœur de notions empreintes d'émotivité parce que liées
aux diverses représentations et acceptation ou non/acceptation de la dimension religieuse de
l'acte du don et de son inscription dans l'histoire d'une société, les intervenantes ont opté
pour une troisième voie, celle de la neutralité. Ainsi n'ont-elles pas abordé la notion
d'engagement et de ses limites, notion non seulement à la base du « bénévolens », mais au
cœur nous semble-t-il de l'acte du jumelage.
Cependant, les intervenantes du Réseau jumelage, confrontées au besoin de préciser
davantage quelles seraient les règles à respecter pour une personne qui s'engage
volontairement et librement dans une relation de jumelage, ont remis à l'ordre du jour la
réflexion sur la notion de bénévolat lors d'une réunion du Réseau jumelage en avril 2001.
Elles ont davantage précisé leurs raisons pour ne pas inscrire l'acte du jumelage dans l'axe
du bénévolat. Le fait que le terme bénévole soit donné de façon exclusive aux jumelés
d'accueil est évoqué; cette restriction brise, selon les intervenantes, l'axe symétrique au sein
duquel la majorité des intervenantes veulent inscrire la relation. Des intervenantes
soulignent aussi le fait qu'inscrire les jumelés en tant que personnes bénévoles les
astreindrait à appliquer les critères de sélection, d'encadrement et d'autre part à donner les
privilèges d'action tels qu'octroyés par les Centres d'action bénévole. Ce qui signifie
qu'elles devraient davantage formaliser l'acte, ce qui va dans le sens opposé du vouloir
insérer le jumelage comme un geste spontané, libre, « gratuit »; un geste du cœur.
Une intervenante redit la dimension du travail non rémunéré qui est associée à la notion de
bénévolat faisant référence à la rationalisation du don volontaire dans la logique du côut/-
bénéfice, qualité attribuée par Redjeb (1991) au néo-bénévolat. Cependant, selon la
perception de l'intervenante, ce sont les intérêts individuels qui y priment. Les bénévoles,
précise-t-elle, ont des besoins tout comme les clients ont des besoins soulignant qu'il y a
plusieurs parcours et motivations en ce qui concerne le vouloir faire du bénévolat : un souci
professionnel qui vise à l'accumulation de connaissances, une aide dans le parcours
d'employabilité, une occasion d'insertion sociale, dans le cas, par exemple, de jeunes
contrevenants, une possibilité de recréer un réseau pour atténuer des problèmes de santé
mentale notamment le sentiment d'isolement ou de fragilité suite à un épuisement relié à la
surcharge de travail.
216
Ainsi, le bénévole a des droits de même que l'aidé a des droits. La dimension du devoir
envers une clientèle qui a des droits, cette logique moderne devoir/droit qui justifie
l'obligation sociale de donner, telle que dite par Redjeb, ne se manifesterait pas dans ce type
de néo-bénévolat.
C'est pourquoi l'intervenante réaffirme, en accord avec ses collègues, qu'elle est aussi plus à
l'aise avec la notion d'échange : « Dans le jumelage, on donne et on reçoit » répète-t-elle.
Comme si le jumelage ne devait pas se situer dans une logique devoir/droit dans un axe
sociétaire, mais bien de façon exclusive dans la chaîne du don, basé sur la confiance
partagée du bien fondé de l'entreprise : le lien social du jumelage a comme valeur partagée
la nécessité de l'échange, une nécessité mue par la curiosité de découvrir l'autre. C'est ainsi
que les intervenantes croient à l'instar de l'intervenante B « que les gens qu'ils recherchent
n'ont pas tant besoin de savoir-être bénévole, mais plus un savoir être dans l'interculturel. »
Toutefois, l'intervenante de l'organisme H surprise d'entendre dire des intervenantes une
autre conception de l'acte du jumelage, réaffirme, que « pour l'organisme H c'est clair que
le jumelage c'est du bénévolat, en tant que don de soi, et c'est aussi évident qu'il y a un but
dans le jumelage, c'est l'intégration de l'immigrant même si celle-ci passe par un échange de
langue, de culture et de notions sur le travail. »
Alors demande-t-elle aux autres intervenantes qui disent ne pas avoir de réponse claire à
apporter « si ce n'est pas du bénévolat, qu'est-ce que le jumelage » ? Car si on ne peut le
définir, comment peut-on en établir les règles ? Nous voilà donc au cœur de la
problématique : si le jumelage n'est pas un acte bénévole, qu'est-il ? Comment le
présentera-t-on aux futurs jumelés, aux nouveaux arrivants ? Quelles en seront les règles de
fonctionnement ? En quête d'une nouvelle symbolique, l'intervenant F suggère une piste : le
jumelage serait une activité spéciale où les gens viennent participer. Une activité spéciale
est un concept encore trop flou. Les intervenantes du Réseau jumelage conviennent qu'il
leur faudra poursuivre la réflexion pour définir en quoi cette activité est spéciale et quelles
en seront les règles de participation.
217
7.3.2. L’amitié
En 1992, lors d’une réunion d’évaluation du programme jumelage qui réunissait des agents
du MCCI et des directeurs d’organismes communautaires, on a évalué qu’il serait plus
facile et plus fidèle à l’esprit du jumelage, en tant que relation symétrique où l’immigrant
est davantage perçu comme un être doté d’aptitude à acquérir son autonomie, de situer le
programme dans l’axe amitié. Là encore, certaines intervenantes du Réseau jumelage
remettent en question le fait d’ancrer dès le départ la relation dans un contrat d'amitié.
Dans son rapport, S. Daignault mentionne que le « désir d'émergence d'un lien d'amitié est
au centre de la philosophie du projet. » Il est écrit : « En mettant l'emphase sur l'amitié lors
de la sélection, nous espérons éviter que la relation interculturelle revête un caractère
bénévole », c'est-à-dire référant aux obligations d'un contrat de services. Ainsi, poursuit
l'auteure « nous espérons conserver la spontanéité propre aux relations d'amitié »
(1996:40). De même, il est écrit dans le rapport de recherche de Charbonneau, Dansereau et
Vatz-Laaroussi (1999:48) : « L’ajout d’une composante amicale assure en théorie une
notion plus égalitaire et correspond dans les faits au développement de nombreuses
expériences. » Nous nous demandons si inscrire a priori la relation dans l'axe de l'amitié (le
contrat du lien) n'est pas non plus une forme de contrainte à l'épanouissement du lien ?
Comme il apparaît que le bénévolat comme axe relationnel n’est pas nécessairement un
empêchement à l'émergence d’un lien l'amitié (Charbonneau et al, 1999).
Le programme de jumelage, tel que présenté par les intervenantes H et D, se nomme
Amitié-Jumelage. L'objectif donné est : « Apprivoiser les différences, permettre la
reconnaissance d'une amitié mutuelle, découvrir le monde avec les yeux d'un ami »
(organisme H). Découvrir le monde avec les yeux d'un ami peut vouloir dire transmettre à
l'autre sa vision du monde, peut vouloir dire aussi donner une vision d'un monde
accueillant, tolérant, convivial. Il n'y a pas de contrat écrit, pas de contrat formel, mais un
contrat moral qui est de tisser un lien privilégié avec une personne qu'on ne connaît pas, un
lien d'amitié. « C'est la connaissance qui amène à aimer » précise l'intervenante H.
218
À l’organisme D, le but de l'entrevue avec le futur jumelé est, écrit Aiquel (1994:13), «
de faire comprendre aux bénévoles québécois et aux nouveaux arrivants que le jumelage
cherche avant tout à promouvoir des rapports d'amitié. » Le jumelage nommé Amitié-
Jumelage s’inscrit de façon formelle dans la durée « quand les gens viennent, c'est pour
faire un long bout de chemin ensemble » précise l'intervenante D.
Bien que le programme se nomme Amitié-Jumelage, l’intervenante C se questionne sur le
fait de proposer dès le départ l'amitié comme forme de relation alors que celle-ci s'inscrit
dans le temps, dans un contexte de l’impromptu, et qu'elle est vouée à se développer (ou
non) sous certaines conditions, alors que le concept même de l'amitié « ne veut pas dire la
même chose pour tout le monde. » Cette réflexion à propos du concept d'amitié lié d'emblée
au jumelage est partagée par d'autres membres du Réseau. D'ailleurs, lors de notre entretien
de validation des données, l’intervenante C a mentionné qu'elle avait suggéré à
l’intervenante qui allait la remplacer d'abandonner le terme Amitié dont elle-même avait
hérité lorsqu'elle est devenue responsable du programme. Ce terme avait été récupéré, selon
l’intervenante C, à partir d'autres exemples de programmes déjà existants.
La dynamique du jumelage telle que décrite par l’intervenante B en serait une de
don/contre-don, d'un échange. « On a voulu se détacher un peu du concept de l'amitié; on
trouve que ça ne devrait pas être la base du jumelage, mais plutôt une conséquence. » Le
jumelage est présenté comme étant une relation complémentaire, un certain lien social entre
partenaires. Ainsi l'intervenante prend position face à d'autres programmes de jumelage
offerts. Celui de l’organisme B n'est pas basé sur le concept de l'amitié; l'amitié peut
résulter de la relation dans le cadre du jumelage , mais n'en est pas le moteur. Pour appuyer
ses dires, l’intervenante B donne l'exemple d'une personne bénévole qui présente un vide
émotif et dont l'espoir de rencontrer un ami serait la motivation de son engagement. Le
concept de l'amitié créerait ici une attente démesurée pouvant exercer une pression sur
l'évolution de la relation.
L’intervenant F a lui aussi quelques réticences face à la notion d'amitié associée dès le
départ à la relation dans le cadre du jumelage. Dans les cas où un jumelé insiste pour
trouver un ami, l’intervenant F va lui faire voir « qu'une amitié ça ne se vit pas comme ça
du jour au lendemain » il leur dit « voyez à ouvrir un peu votre horizon, peut-être que vous
219
apprendrez (...). » Cette stratégie de prise de conscience de ce qu'est et de ce que peut être
la relation dans le cadre du jumelage semble, selon l'intervenant, porter fruit « la personne
va dire, mais oui, c'est sûr! » L’intervenant sait que d'autres présentent le programme en le
nommant Amitié-jumelage. Sans les juger, il considère que sa « vision est plus large, plus
libre (...) la relation va peut-être devenir une relation d'amitié après quelques rencontres. »
Ainsi donc, le lien social du jumelage dans l’axe amical est soit défini dès le départ comme
une amitié (H, E, D), soit proposé dans une ambiance amicale (I, F, G, A). Le jumelage
procède ici de la découverte de l'autre (altérité) et de la notion de l'échange (réciprocité). Le
lien proposé est un lien symétrique, un lien d'amitié qui évoluerait dans un climat
d'harmonie. Alors que le contrat d’amitié lie les protagonistes, surtout les jumelés d'accueil,
à respecter leur engagement et à faire évoluer la relation selon cette orientation, ceux à qui
on suggère l’ambiance amicale seraient non-liés par un contrat. Les jumelés sont ainsi
libres d'articuler leur relation comme ils le veulent, mais influencés par le désir d’une
atmosphère amicale suggérée par l’intervenante responsable du programme. L’espace de
liberté/créativité est considéré plus souple que le contrat/responsabilité. La responsabilité
du lien dans le second cas n'existe pas formellement, mais est conséquente à la nature des
échanges qui tendent à resserrer le lien d'amitié, avec toute l'incertitude de la possible
complémentarité de ces échanges. La responsabilité est une responsabilité individuelle en
tant qu'engagement « affectif » envers une autre personne, basé sur le désir de partager les
connaissances, la culture et la langue. Dans les deux cas, la notion du manque semble être
le moteur de ce mouvement vers l'autre pour combler l'absence (des amis d'ailleurs) ou du
vide (créé par un sentiment d'isolement).
Le jumelage, tel que proposé dans ce cadre, mise sur les ressemblances, sur le partage des
expériences de vie, afin de trouver le point commun qui permettra d'accepter les
différences. Les valeurs véhiculées et transmises aux jumelés sont celle de l'accueil, de
l'affection, du respect, de la réciprocité, de la liberté, de la créativité, du partage, de la
solidarité, de l'équité, de la dignité, de l'accommodement.
Toutefois, si fonder le jumelage sur l'espoir d'une relation d'amitié permet un espace de
créativité où l'échange-don non-encadré se fait en toute liberté de donner et de recevoir,
cela laisse une marge d'incertitude très grande, incertitude qui est présente même dans le
220
cas où le cadre de l’amitié est clairement défini. L'incapacité d'atteindre cette qualité du
lien, l'amitié, pourrait devenir l'obstacle à la réussite du projet de jumelage et le prétexte à
l'abandon de la relation et de sa fin première qu’est l'intégration des immigrants à la société
d'accueil. « Les immigrants veulent une amie ou un ami avec qui partager », disent les
intervenantes. Mais, comme le rappelle l’intervenante I, « une relation d'amitié, ça peut être
tissée! » Cependant, pour être tissée, il faut lui accorder une certaine disponibilité d'esprit,
de corps et de temps, et une des difficultés du jumelage c'est, déplorent les intervenantes, «
le manque de temps. »
Qu'entendent les gens lorsqu'ils disent vouloir un ami ou une amie avec qui partager ?
Quelle est l'ampleur de la déception de la non réception du don et du non-retour du don
lorsque certains disent : « Il ne retourne pas mes appels. » Y a-t-il une responsabilité du lien
créé dans le cadre du jumelage lorsque les gens ne sont pas liés par un contrat ? Voilà
certaines questions que nous retenons pour la suite de notre réflexion.
7.3.3. L’interculturel
Le lien social interculturel du jumelage conçu au cœur de la relation par tous les
intervenantes et priorisé par les intervenantes F, B, G et C, est vu comme un moyen de
rapprocher les nouveaux arrivants et les gens de la société d'accueil, comme un lieu de
partage. Cette perception rejoint la notion de « réciprocité dans les échanges » de Clanet.
Ce rapport entre individus, permet, selon l’intervenante C, de voir les individus dans leurs
multiples dimensions, leurs multiples appartenances, ce que ne permet pas une relation de
groupe, « ça permet de voir l'autre dans sa dynamique identitaire, parce que comme il y a
une relation dans le temps, souvent les gens vont penser que les choses sont statiques, que
tu gardes ta culture d'origine, un jumelage ça permet d'être témoin de ça, du changement
dans l'individu... » L’espace interculturel du jumelage devient ainsi un lieu où se manifeste
une prise de conscience identitaire en même temps qu’une occasion pour chacune des
parties en cause de prendre de la distance par rapport à ses valeurs, et souvent de les
relativiser.
221
Le jumelage est ici vu dans un espace de l'aléatoire parce que rencontre humaine, un espace
en développement, un espace fragilisé parce que lieu de chocs culturels. Cet espace est
décrit par l’intervenante C comme un espace de savoir-être, d'attitudes, de prise de
conscience de ses qualités, de prédispositions à l'autocritique, à la décentration, d'ouverture
à l'autre. C'est ainsi que revient aux intervenantes la responsabilité morale de faire tout leur
possible pour bien évaluer qui va être jumelé avec qui et pourquoi.
Cette responsabilité implique, selon elles, d'écouter, d'être disponible, d'adopter la posture
d'observatrice dans certaines situations délicates, de conseiller, d'informer, d'évaluer, d'être
flexible, de s'adapter. Comme le signale l’intervenante I, elles sont appelées à déconstruire
les idées pré-conçues dans les situations de conflits de valeurs, de manifestations de
préjugés, de racisme et en certains moments à être médiatrices, mais jusqu'à une certaine
limite car l'objectif ultime à atteindre, comme le rappelle l'intervenante C, c'est l'autonomie
des individus, en référence à la notion « d'empowerment. »
Ainsi et inévitablement, les situations complexes au sein desquelles interagissent différents
acteurs sociaux commandent l'inattendu. Cet inattendu pousse les intervenantes, et ceci est
très marqué chez l’intervenante B, à se questionner sur son rôle, sur les limites de ses
fonctions. Pourquoi certaines situations se produisent-elles? Comment éviter des situations
de crise où seront révélés des préjugés latents ? Lui revient-elle de faire de l'éducation
interculturelle ? Quels sont les meilleurs outils de sélection des personnes, d'évaluation de
leurs habiletés à répondre aux objectifs du jumelage ? Le doute épistémologique suscité par
les zones d'incertitude fait partie de la démarche des intervenantes. Comme nous l'avons
souligné, nous référant à Schön (1995), ces situations de savoir comment et ne pas savoir
comment, la certitude et l'incertitude, obligent le « praticien » à repenser ses stratégies
d'action, à réinterpréter les contextes, à recadrer les problèmes et à redéfinir les rôles. »
Les intervenantes D et H semblent moins enclines à faire cette démarche critique ou moins
portées à le dire, semblant se fier davantage pour affirmer la justesse de leurs interventions
sur l’expertise de l’organisme en jumelage, sur l’implication des autres intervenantes de
l’organisme et sur leurs propres compétences acquises. Convaincues de la qualité de leur
programme de jumelage, elles considèrent que celui-ci pourrait servir de modèles à
d’autres. C’est ainsi que l’intervenante H ne voit pas les avantages de l’échange
222
d’expériences au sein du Réseau : « Elles (les nouvelles intervenantes) ont seulement à
demander à quelqu'un si elles peuvent le rencontrer; je n'ai jamais refusé à personne, c'est la
première chose à faire, ça donne des idées, après tu y vas selon ta personnalité. »
Pour la majorité des intervenantes75, la remise en question est manifeste. Pour certaines, en
particulier chez les intervenantes C, F, B, la distance critique accompagne le processus
d'intervention et permet de l’évaluer. Ce travail d'introspection, de réflexivité, toute cette
mise entre parenthèses de leur savoir, qui est une attitude très présente chez l’intervenante
B, leur permettent de proposer de nouvelles actions, d’en reformuler certaines autres. C’est
ainsi que l’espace interculturel du jumelage devient un lieu de possibles. Le jumelage
occupe un espace de création, d'innovation, un espace de risque aussi, où prend place
l'aléatoire. Nous tenons cependant à préciser que si ces intervenantes situent la relation
comme une rencontre interculturelle, seuls les intervenantes B, C et l'intervenant F
connaissent et mettent en pratique dans leurs interventions les principes et actions de
l'approche interculturelle tels que décrits par Cohen-Émerique et autres disciples. La
majorité des intervenantes tentent plutôt de s'appuyer, parfois de façon fragile, sur leurs
savoirs et leurs compétences en les adaptant au contexte de l'intervention jumelage.
7.4. Le jumelage intégré à l'organisme
Les intervenantes présentent le jumelage dans le sens du prolongement des services
d'accueil, d'adaptation et d'intégration du centre. Il existe des services au centre, il n'est pas
question que les jumelés de la société d'accueil assurent des services professionnels76. Afin
d'encourager l'autonomie des nouveaux arrivants, les intervenantes leur donnent des
75 Une intervenante non informatrice dans le cadre de notre thèse, mais participante au Réseau jumelage
n'entrevoit pas de difficultés dans le processus relationnel du jumelage mais identifie plutôt le besoin
d'organiser des activités collectives qui donneraient un sentiment d'appartenance aux personnes engagées dans
le jumelage.
76 Bien que les intervenantes soient conscientes que dans la réalité et selon le contexte, des jumelés voudront
apporter une aide en ayant recours à des ressources (matérielles ou autres).
223
documents et de l'information sur les services du quartier où ils habitent. Une des finalités
que poursuivent la majorité des intervenantes qui travaillent auprès des nouveaux arrivants,
c'est de rendre l'immigrant le plus autonome possible : c'est aussi l'esprit qui doit régner au
sein du jumelage.
En ce sens, l'intervenante B rappelle à la personne québécoise qu'elle est un « pont entre les
ressources, qu'elle n'est pas une intervenante de l'organisme et qu'elle doit référer lorsque
les besoins dépassent ses compétences. » Elle leur explique aussi que
lorsqu'il y a un échange sur les valeurs, sur la société québécoise, la personne québécoise
doit leur expliquer que c'est bien son point de vue, « j'essaie d'aller dans ce sens là. » Les
intervenantes demandent aux jumelés d'accueil de faire preuve alors d'intégrité et
d'honnêteté intellectuelle.
7.4.1. Lettre de bienvenue77 et travail de sensibilisation
L'intervenante G a conçu pour les jumelés une lettre de bienvenue sur laquelle est écrit «
nous espérons que cette expérience puisse rejoindre vos objectifs et vous apporte
mutuellement le désir de vous connaître davantage. » La lettre de bienvenue présente en
quelques mots la dynamique relationnelle et en filigrane, les concepts de l'identité, de
l'altérité et de la réciprocité. Le texte met l'accent sur l'implication et les objectifs de chacun
à l'instant présent du début de la relation (se recentrer sur le moi et le pourquoi) en même
temps qu'il situe la relation dans une démarche de connaissance et de découverte de l'autre,
dans la projection de l'évolution de la relation, dans l'avenir. En employant le « nous
espérons » « puisse » et « désir » l'intervenante place la relation dans le mode du possible,
et dans un univers de potentialités et de projection. La responsabilité de l'évolution de la
relation appartient aux personnes concernées et est liée à la dynamique de la rencontre des
personnalités. Rien n'est tracé à l'avance (l'amitié n'est pas au départ), mais tout est
possible. Nous révélons le contenu de cette lettre car à notre connaissance l'organisme G est
77 Voir en annexe : l'annexe C
224
le seul organisme à souligner ainsi le début de la relation de jumelage; en tant que jumelée
nous sommes séduite par cette façon de faire, en tant que chercheure nous y voyons toute la
force d'évocation.
Les intervenantes font aussi à l'occasion un travail de sensibilisation auprès des gens pour
les amener à s'impliquer. Notamment, selon l'intervenante C, auprès des aînés pour
diminuer leurs résistances à l'implication. Dans ce cas-ci, s'il y a résistance, nous nous
demandons si ça n'est pas parce que les aînés (et particulièrement les aînées) ont déjà
beaucoup donné auparavant dans leur vie. Par ailleurs, une fois qu'ils sont sensibilisés au
devoir de s'impliquer, l'intervenante C dit devoir les rassurer quant à leurs capacités et leurs
compétences pour contrer leurs réticences à s'investir auprès et avec les immigrants : «
Quand tu es aîné, tu peux te dire que tu as toute une vie de préjugés derrière toi, plus la
personne est âgée, moins elle a de contacts, plus elle va avoir de préjugés. Il faut essayer de
tester les niveaux d'ouverture » souligne-t-elle.
7.4.2. Lien avec l'organisation
Les formations, les cafés-rencontre de même que les activités collectives sont pensés dans
le but de resserrer les liens, de développer le sentiment d'appartenance, afin que les jumelés
ressentent qu'ils font partie d'un programme de jumelage, d'une organisation. Deux
organismes offrent des formations aux jumelés québécois. Cinq organismes donnent de la
formation aux jumelés; un seul en donne avant de réaliser le jumelage. Certains le font de
façon ponctuelle ou selon les ressources disponibles, d'autres de façon systématique, les
formations étant alors intégrées au programme de jumelage et présentées comme un
élément de l'engagement, ce qui est le cas de l'organisme D. À l'organisme D, il y en a huit,
l'intervenante les décrit ainsi : « Ça commence par un partage, après il y un témoignage
d'une personne qui est jumelée, puis c'est la partie formation avec thèmes. » Nous
approfondirons au chapitre 9 la réflexion des intervenantes sur le type de formation que
celles-ci croient nécessaire d'offrir au jumelés et les répercussions que ces formations
peuvent avoir sur leurs interventions.
225
Les cafés-rencontre et les activités collectives, culturelles ou de loisirs, sont une autre façon
de lier le jumelage à l'organisation et de lui insuffler une dimension collective. Dans les
fiches d'évaluation, les activités de groupe sont jugées nécessaires « parce que, écrivent les
jumelés, "elles sont un lieu d'échanges et d'expériences; parce qu'elles donnent accès à
d'autres cultures, à d'autres jumeaux, parce qu'elles permettent de développer un sentiment
d'appartenance. » Nous analyserons au chapitre du suivi (chapitre 10) un autre aspect des
activités collectives : la possibilité de faire un suivi informel que celles-ci offrent aux
intervenantes.
7.5. Trouver des jumelés qui ont des intérêts semblables
La Sélection - Bien évaluer «c'est un peu départager tout ça»
7.5.1. Profil de la clientèle
Chez les candidats, jumelés d'accueil,78 certains sont déjà impliqués au sein des organismes,
d'autres viennent du quartier, d’autres ont été référés par des Centres d’action bénévole,
recrutés dans les églises, les universités, mais la plupart ont été rejoints par différentes
actions promotionnelles réalisées par les intervenantes dans les médias locaux, régionaux,
nationaux et dans divers lieux publics. Des retraités, un grand nombre de femmes
célibataires, des couples, quelques familles79, des jeunes universitaires, des enseignantes à
la retraite, des universitaires, des gens qui ont voyagé ou qui ont été en contact par leur
78 Les jumelés nouveaux arrivants viennent en très grande majorité des classes de français des organismes ou
référés par les autres intervenantes, par des institutions que les immigrants fréquentent ou dans certains cas
par des membres de leur communauté culturelle. Au sein du Réseau jumelage un seul organisme déplore le
manque de nouveaux arrivants, l'organisme est situé sur la Rive-sud de Montréal.
79 L’organisme D cible spécifiquement la catégorie famille afin de répondre à la demande des nouveaux
arrivants; mais comme tous les autres organismes, celui-ci est confronté au manque de disponibilité et à la
rareté de cette unité familiale nucléaire. La famille monoparentale semble être plus facile à recruter, celle-ci
répond à un certain profil familial des nouvelles arrivantes.
226
travail ou leur milieu avec des gens d’autres pays, des gens impliqués dans des activités de
bénévolat, voilà leur profil. Ces futurs jumelés aux parcours divers se présentent à
l'organisme avec leurs propres motivations à participer au jumelage.
7.5.2. Première zone d'incertitude : établir les motivations
Puisqu'il s'agit d'individus aux parcours divers, comme le mentionnent les intervenantes C
et B, ce n’est pas évident dans une entrevue exploratoire de découvrir les véritables
motivations des jumelés d'accueil et des nouveaux arrivants, de déchiffrer la préméditation
profonde de la personne. « Parfois je découvre dans le contact que j'ai avec cette personne
en quoi ça s'inscrit son projet de jumelage (...) et ça peut être un truc très construit, mais
qu'il ne m'a pas exprimé la première fois », précise l'intervenante B.
Cette zone d'incertitude est liée au flou de la dynamique du jumelage, aux motivations
profondes reliées au parcours de vie, à la compréhension des objectifs du programme,
programme à la fois structuré et intégré dans une organisation, dans un univers des rapports
sociaux secondaires et à la fois spontané et intégré dans l’univers des rapports sociaux
primaires. Par ailleurs, bon nombre d’immigrants ne saisissent pas bien ce qu’on leur offre,
étant peu familiers avec ce genre de service/don de soi financé par l’État et offert par des
structures intermédiaires. Comme nous l'avons mentionné, les familles immigrantes ne
comprennent pas vraiment pourquoi les gens font ça, comme le démontre ce témoignage
d'une famille immigrante de Montréal : « Moi je pensais que c’était typique d’ici, que
c’était normal, je pensais que tout le monde avait un immigrant à sa charge »
(Charbonneau, Dansereau, Vatz-Laaroussi, 1999:79).
Les motivations des immigrants peuvent être liées à des besoins d'aide à l'établissement et à
des besoins relationnels (de socialisation, d'établir des relations, de retisser la filiation dans
le cas de jumelage avec les aînés). Ce peut être des objectifs très fonctionnels, et dans ce
cas, si ces objectifs correspondent à ce que l'autre désire apporter (connaître les ressources
du milieu, la francisation) le jumelage sera souvent satisfaisant pour les deux.
Les motivations des jumelés d'accueil combinées aux objectifs des programmes de
jumelage qui leur sont présentés confirment, comme l’indique l’étude de Charbonneau,
227
Dansereau et Vatz-Laaroussi (1999), deux grandes orientations au jumelage : la
démonstration d’un geste d’accueil et le désir d’entrer en relation.Le geste d’accueil, dans
un axe aidant /aidé, est motivé par le « benevolens », la bonne volonté, un esprit charitable,
et la prise en compte du besoin de l’autre notamment en ce qui a trait à son parcours
migratoire ou par l'engagement social, le devoir-faire; la personne-ressource québécoise se
considère, dans ce dernier cas, avant tout « ambassadrice » (Charbonneau, Dansereau,
Vatz-Laaroussi, 1999:95). Celle-ci se donne comme mission de faire connaître son pays,
son histoire, ses codes culturels, à celui, celle, qui vient y vivre.
Le désir d’entrer en relation, dans l’axe de l’amitié ou de partenariat est motivé par
l’échange (aspect interculturel), les besoins mutuels (besoin affectif, besoin de sortir de
l'isolement) ou par l’opportunisme, la prise en compte de son propre besoin (vouloir
apprendre ou pratiquer une langue). Les motivations puisent donc autant à des motivations
altruistes qu'égoïstes bien que le jumelage, se situant dans l'axe des relations
interpersonnelles, devrait faire davantage appel à l'altruisme (Chantal, Vallerand, 2000). Il
est entendu toutefois que tous le font pour en retirer quelque chose, la gratuité absolue
n’existant pas. D’autre part, le jumelage étant une relation humaine donc imprévisible et
changeante, la dynamique de la relation empruntera bien souvent aux deux axes ci-avant
mentionnés de façon synchronique ou diachronique. De plus, les motivations peuvent être
au départ insoupçonnées; elles se révéleront en cours de route, ce qui complexifie
l’intervention.
7.5.2.1. Partager des intérêts semblables
Partager des intérêts semblables, mais pas nécessairement les mêmes peut signifier avoir le
désir d'entrer en relation avec l'autre tout en ayant ses propres motifs. En ce qui concerne
les jumelés, les motifs peuvent être l'apprentissage de la langue, de la culture ou un désir de
sortir de l'isolement. Toutefois les objectifs de la relation devraient être les mêmes pour les
deux jumelés de même que la vision devrait être partagée : le don/contre-don, l'échange,
basé sur le principe d'équité. De plus, les jumelés devraient idéalement adhérer à la vision
de l’organisme, sinon surgit le risque d'avoir des attentes non-comblées. Et si ces
insatisfactions ne peuvent être résolues, il y aura rupture de contrat. Par exemple, si un
228
organisme insiste sur la notion de don/contre-don et que le jumelé d'accueil n'entrevoit que
l'opportunité de pratiquer l'espagnol, ou si un organisme entrevoit l'amitié comme une
conséquence possible à la relation de jumelage alors que les jumelés le voient comme une
motivation de départ, des tensions, et même un certain désintéressement, si celles-ci ne
sont pas diminuées, risquent de survenir. Ainsi, différentes conceptions du lien peuvent
animer le projet de jumelage.
7.5.3. Évaluation de la situation des candidats
Face à l'immigrant, la stratégie des intervenantes est de bien évaluer sa situation : évaluer
où il se situe dans la période d'adaptation, dans son parcours d'intégration (dans sa
connaissance des ressources) dépendamment du pays d'origine, de la langue parlée etc. Aux
nouveaux arrivants, l'intervenante G pose des questions sur les préjugés qu'ils peuvent avoir
sur le Québec; dans une tentative de lier ces préjugés à leur vécu afin d'en expliquer le
pourquoi. Cette stratégie d'évaluation a comme objectif d'éviter certaines tensions qui
pourraient nuire à la relation. L'évaluation est ainsi liée à l'intuition « pour jumeler, il faut
beaucoup se fier à son instinct » , insiste-t-elle. Généralement, les intervenantes jumellent
les immigrants du moment qu'ils ont une base en français.
En avril 1995, à l'organisme D, on revise les critères de sélection pour les nouveaux
arrivants. On précise que le programme de jumelage ne convient pas aux personnes en
situation de détresse (on souligne que les Québécois ne remplacent pas l'intervenante). On
rappelle que l'intervenante tiendra compte des motivations qui, elles, doivent répondre aux
objectifs du programme de jumelage tels que le désir de connaître le Québec avec ses us et
coutumes, de s'enrichir d'une autre culture et de mieux s'intégrer au Québec en ayant un
réseau d'amis. On souligne que le candidat au jumelage doit parler suffisamment français
pour se faire comprendre et qu'il doit adhérer au principe de la relation gratuite (sans aide
matérielle). L'organisme E écrit que le nouvel arrivant doit avoir l'intérêt de poursuivre
l'apprentissage du français, doit être convaincu que le programme Amitié Jumelage n'est
pas une agence de rencontre. De plus on précise que les nouveaux arrivants doivent être des
personnes susceptibles de demeurer au pays, (ce qui exclut certains revendicateurs et
étudiants), doivent avoir le désir de s'intégrer. On évaluera le cas des personnes isolées ou
229
ayant peu de connaissances au Québec. Enfin, on précise que les personnes doivent être
suffisamment disponibles. Ces organismes sont les seuls à définir des critères de sélection
qui s'adressent de façon spécifique aux nouveaux arrivants, même si la presque totalité de
ces critères valent aussi pour les Québécois.
Dans la majorité des organismes, la sélection des nouveaux arrivants est basée sur le
nombre de mois d'arrivée ici : « Au minimum 4 mois (...) quand ils commencent à
s'exprimer » précise l'intervenante G. Contrairement aux autres intervenantes, mais surtout
dû au fait que les nouveaux arrivants parlent déjà français, l'intervenante A tente de jumeler
les nouveaux arrivants francophones le plus rapidement possible à leur arrivée, « c'est là
qu'ils en ont le plus besoin » souligne-t-elle.
Par contre, si les intervenantes reçoivent des demandes d'immigrants arrivés depuis plus de
3 ans, elles tenteront d'y répondre, ne respectant pas la norme d'admissibilité en ce qui
concerne les nouveaux arrivants. Dans ce cas, l'intervenante A évalue, vérifie auprès d'eux
pourquoi ils veulent être jumelés : « Je vais leur demander de se remettre en question, soit
qu'elles sont moins liantes qu'elles le pensent, soit qu'elles ont des blocages. »
Les intervenantes font aussi l'évaluation des motivations des jumelés d'accueil : « Il y en a
qui ne sont pas du tout intéressés à faire ces démarches d'adaptation » constate
l'intervenante B, leurs motivations sont plus de l'ordre de la transmission des connaissances,
de l'échange des savoirs et non de l'aide. La sélection sert alors d'évaluation des apports : «
Chaque personne a son parcours » précise l'intervenante D.
Lors de la sélection des futurs jumelés, notre principal « garde-fou », selon l'intervenante C,
est l'équilibre de la personne. Cette notion d'équilibre est liée à la vision qu'a l'intervenante
de l'intégration. Selon cette dernière, l'intégration c'est lorsque la personne a ou « a retrouvé
un certain équilibre. » L' équilibre serait l'aboutissement ou le produit du processus
d'adaptation, processus au cours duquel « l'immigrant fait le tri » dit-elle, fait un travail de
sélection « à l'intérieur de soi », par une attitude d'ajustement et de prise de conscience de
ce qu'il a hérité et gardé de son passé en terme d'attitudes, de règles, de coutumes, et ce qu'il
voit dans son environnement présent, ce qu'il désire, ce qui lui convient, ce qu'il lui faut
adopter. L'immigrant ferait ce travail de sélection tout en étant conscient que ces choix et
ces non-choix sont faits aussi en fonction d'un futur.
230
En ce qui concerne les anciens émigrants aînés, l'intervenante tente d'évaluer s'ils peuvent
être de bons ou de mauvais candidats. Pour ce faire, elle est attentive au comment ils
perçoivent leur histoire migratoire, ce qu'ils en gardent en terme de difficultés et ce qu'ils
vont transmettre aux nouveaux arrivants. Donc, c'est pour ça précise-t-elle « qu'il faut faire
attention, il faut faire attention avec les gens. » Pour mener à bien ce processus délicat
qu'est la sélection des candidats, certaines intervenantes puiseraient ainsi à même « leur
fond de compétences » (Schön, 1995) et sont plus attentives à certaines qualités de leur
savoir-être telles l'intuition, l'empathie et la tolérance (Roy, 1992, Boucher 1993, Bilodeau
et all, 1993) afin de les activer davantage dans ce contexte de pluralité, alors que d'autres se
fient davantage aux objectifs du programme tel que définis par l'organisation. Dans un cas
comme dans l'autre nous croyons qu'une part d'arbitraire risque d'advenir car l'évaluation de
l'équilibre d'une personne ainsi que de son désir ou de sa volonté de s'intégrer est dans ce
cas, de façon inévitable, basé sur des critères subjectifs.
7.5.4. Statuts des immigrants
Pendant l'entrevue, les intervenantes essaient de donner aux personnes le maximum
d'informations, elles essaient de voir leurs capacités d'assimilation, elles évaluent les
différentes étapes d'explication du processus par le type de questions que les gens vont
poser, par le fait qu'ils vont en profondeur ou de façon superficielle. C'est lors de la
rencontre que l'intervenante B parle des statuts des immigrants :
Je leur présente leur rôle dépendamment du parcours de l'immigrant avec qui je les jumelle
(...) si ça fait quelques mois ou deux ans qu'ils sont au Québec, c'est sûr qu'ils n'ont pas la
même notion du Québec, des ressources, ce qui fait qu'au niveau de l'adaptation de ces
personnes là, je leur dis : "Vous allez devoir leur expliquer selon leurs besoins.
En ce qui concerne le parcours différent du réfugié et de l'immigrant indépendant et ses
répercussions sur le jumelage, l'intervenante considère que c'est au niveau de la confiance
que ça se joue :
Dans le cas du réfugié, cette personne est essoufflée. Elle a peut-être plus de secrets, plus
de troubles. La confiance, c'est à travailler. (...) J'essaie de donner au bénévole le plus
231
d'informations possibles sur comment les gens essaient de s'adapter, sur les embûches(…)
J'essaie qu'ils s'en rendent compte.
La différence entre ces deux statuts d'immigrants, les intervenantes la situent
principalement au niveau psychologique.
Cependant, il semble que l'information que donnent les intervenantes concernant les
parcours migratoires est insuffisante ou que cette question complexe qui a un impact sur la
dynamique du jumelage, même si elle a déjà été abordée lors de soirées d'information dans
les organismes, demande à être davantage approfondie ou répétée à de nouveaux candidats
au jumelage. En effet, à la suite d'un sondage auprès des jumelés d'accueil, une formation
sur le parcours migratoire et le choc culturel a été donnée aux jumelés des organismes du
Réseau jumelage en avril 2001.
7.5.5. Jumelé d'accueil : Québécois « de souche » ou Québécois de toutesorigines
Face au critère de sélection basé sur la distinction que certaines intervenantes font entre «
Québécois de souche » ou non, l'intervenante C est catégorique : « Moi je ne définis
personne, au contraire, je déteste qu'on définisse, ce qui m'intéresse c'est qu'ils comprennent
bien c'est quoi ce projet là. » Cette vision de l'intégration partagée par plusieurs membres
du Réseau a une influence sur le profil des Québécois que les intervenantes, entre autres
l'intervenante I, veulent non exclusif aux Québécois « d'origine » :
Pour moi, souligne l'intervenante I, même des personnes qui sont là depuis plus de 5 ans, ce
sont des personnes québécoises. Ce sont des Québécois, parce qu'ils sont intégrés : ils
connaissent un petit peu maintenant la société d'accueil; ils connaissent la mentalité; ils
fonctionnent comme il faut dans cette société. Donc, eux aussi peuvent aider les nouveaux
arrivants.
Mais certaines intervenantes sont toujours ambivalentes face à cette question. Lorsque nous
avons rencontré l'intervenante G, à l'automne 1996, elle nous disait jumeler des bénévoles «
232
pure laine » (...) impliquant ainsi qu'elle « ne jumelle pas des immigrants qui sont ici depuis
longue date », exception faite « pour un Suisse qui est ici depuis 25 ans. »
Lorsque nous lui avons demandé en décembre 1997 si elle avait toujours la même
conviction, elle nous a répondu « tu sais, on ne peut pas être discriminatoire (...) si
quelqu'un veut être jumelé. » L'intervenante n'avait toutefois qu'une seule exception à ce
jour : ce même monsieur suisse qu'elle avait jumelé avec une famille mexicaine, mais avec
qui ça n'avait pas « fonctionné » et qui désirait être jumelé de nouveau avec des
hispanophones. L'intervenante G se dit non discriminante, mais sa publicité s'adresse aux
Québécois d'origine. Elle explique sa position en défaveur des « de longue date » en disant
que « c'est parce qu'on finit par parler de nos valeurs, on parle de ce qui nous manque (...)
moi ça fait 18 ans que je suis ici, si j'étais jumelée avec une latino (...). » Contrairement à
l'intervenante B qui juge que l'entraide entre jumelés originaires du même pays ou de même
ethnie est bénéfique au processus d'adaptation, l'intervenante G démontre sa crainte d'une
ghettoïsation du jumelage si des immigrants de même ethnie étaient jumelés entre eux. Il
apparaît qu'elle considère le jumelage comme une initiation à la vie québécoise faite par des
Québécois d'origine qui transmettent une façon de faire, une histoire, qu'eux seuls peuvent
transmettre.
Dans un autre organisme, la majorité des femmes québécoises sont d'origine « parce que,
selon l'intervenante, c'est le critère de l'organisme; parce que c'est l'intégration à la société
francophone, à la culture québécoise80. »
L'intervenante H, elle, dit sélectionner les bénévoles :
Du moment qu'ils parlent français qu'ils aiment ça, qu'ils sont intégrés ici. Je ne parle plus
de souche moi, autant que possible sinon tu insultes le monde (...) puis être des bénévoles…
ça les valorise .. Ceux que je jumelle, ils ont vraiment notre mentalité. Les immigrants se
80 La coordonnatrice des programmes de ce même organisme a fait appel à l'agente de liaison du RJI à la
TCRI, pour vérifier si le MRCI exigeait que les jumelés d'accueil soient des Québécois d'origine car disait-
elle, son agent au MRCI disait que oui. Et pourtant dans un compte-rendu d'une rencontre échange du
MAICC sur le jumelage en novembre 1992 il est écrit: « Certains organismes ont cru que l'élément jumelage
du PAEI ne s'adressait qu'aux Québécois de souche. Il s'agit là d'une interprétation erronée du libellé du
programme; le jumelage est accessible à tous les Québécois.»
233
sont intégrés, ils aident d'autres immigrants à s'intégrer, ils acquièrent une reconnaissance
en tant que membres actifs de la société et par le bénévolat qu'ils font, ils redonnent ce
qu'ils ont reçu. Quand on accepte que l'autre donne à son tour, est-ce que l'on ne lui
reconnaît pas une capacité de donner, ne reconnaît-on pas qu'il a quelque chose de
précieux, d'inestimable à donner ? Ils ont notre mentalité !
Qu'est-ce que « ils ont notre mentalité » veut dire ? Qu'ils sont semblables à nous ? Qu'ils
ont assimilé nos codes culturels, nos façons de penser ? Qu'ils ont perdu les leurs ? Nous
nous demandons aussi, considérant que l'intervenante H sélectionne des personnes jumelées
d'accueil parmi des immigrants qui parfois viennent à peine d'arriver au Québec, si cette
sélection ne traduit pas dans les faits la difficulté qu'a l'intervenante de recruter des
bénévoles dans un quartier très multiethnique où peu de Québécois d'origine résident.
« L'idéal, c'est… je ne sais pas, je me pose beaucoup de questions là-dessus.. »
Le jumelage à l'organisme F se caractérise par le fait que ce sont surtout des gens seuls : «
J'en ai fait une spécialité » nous dit l'intervenant. Les jumelés d'accueil sont
majoritairement des femmes, ce qui a comme conséquence qu'en certains moments
l'intervenant a des immigrants sur la liste d'attente. Afin de combler cette lacune et dans un
souci d'ouverture et de non-exclusion, l'intervenant fera appel à des Québécois issus de
l'immigration qui sont au Québec depuis plusieurs années; des hommes, autrefois nouveaux
arrivants qui voudront aider les nouveaux arrivants dans leur processus d'intégration. Ce
fait de ne plus jumeler uniquement des Québécois d'origine amène l'intervenant à se
questionner sur l'identité du jumelé d'accueil :
Pour ce qui est des immigrants qui sont ici depuis longtemps, ils sont des Québécois aussi
(...) il y a toujours le hic que le nouvel immigrant veut en connaître plus sur la culture
d'origine, mais c'est sûr qu'au niveau de l'intégration, le PAEI, le Polonais va très bien
répondre : ça fait 15 ans qu'il est ici, il peut se démerder avec la bureaucratie, il peut aussi
lui montrer certains aspects de la culture québécoise. L'idéal, c'est... je ne sais pas, je me
pose beaucoup de questions là-dessus !
234
Ce questionnement sur l'apport de l'immigrant en tant que personne-ressource et sur la
qualité du transfert d'informations et de connaissances qu'il apporte est partagé par l'agente
(3b) du MRCI :
Le fait d'ouvrir le jumelage aux Québécois de toutes origines ? Je pense que c'est une bonne
chose, mais le seul élément c'est… Je vais faire une comparaison : jumeler un nouvel
arrivant avec un immigrant, c'est valable sauf peut-être au niveau du transfert d'information
qui n'est pas le même. Quelqu'un qui est né ici, ne peut pas discuter de problèmes
d'adaptation alors que l'autre va pouvoir échanger son vécu. C'est valable, mais ce n'est pas
au même niveau je ne sais pas en bout de piste...si on compare, je ne sais pas...
Nous avons vu que l'intervenante I souligne que ce sont les nouveaux arrivants eux-mêmes
qui disent ne pas vouloir être jumelés avec quelqu'un qui serait aussi venu d'ailleurs. L'
agente du MRCI donne sa version de ce fait :
Moi je pense qu'il y a un intérêt particulier à rencontrer quelqu'un qui est né ici, pas
nécessairement utilité, mais intérêt; si moi je vais ailleurs, je serais probablement intéressée
d'être jumelée avec quelqu'un qui vraiment vient de là bas. Parler du choc migratoire, je
pourrais peut-être le faire avec d'autres. Ca me semble être un contact privilégié d'être en
contact avec quelqu'un qui est né dans ce pays et en plus qui a le goût de me faire partager,
je pense que lorsqu' on a le goût de faire partager son chez soi, c'est parce qu'on aime notre
chez soi (...) le goût de son pays je pense que c'est riche ! Particulièrement riche !
Et pourtant, selon l'intervenant F, et contrairement à ce qu'observe l'intervenante I, le fait de
jumeler un nouvel arrivant avec un Québécois venu d'ailleurs ne semble pas poser de
problèmes au nouvel arrivant. Selon l'intervenant : « Tant que les choses sont claires, si on
dit vous allez être jumelé avec une personne qui est ici depuis longtemps, qui est intégrée. »
La stratégie de l'intervenant est de leur offrir la possibilité d'être jumelé, ensuite vient
l'explication du fait que cette personne est venue d'ailleurs et qu'elle s'est bien intégrée à la
société québécoise.
Nous constatons donc qu'il n'y pas unanimité sur le fait d'accepter des jumelés d'accueil non
nés au Québec ni chez les intervenantes, ni chez les agents du MRCI, bien que la majorité
des intervenantes aient parmi les jumelés d'accueil des Québécois de différentes origines.
235
Cette ambivalence face au Québécois venu d'ailleurs réside principalement sur son aptitude
à transmettre au nouveau venu des connaissances sur la société québécoise. En fait, nous
croyons que la sélection du jumelé d'accueil doit être directement liée aux objectifs que
l'intervenant, l'organisme et le gouvernement veulent donner au jumelage,
malheureusement ces objectifs entrent parfois en contradiction. Et de façon prioritaire, la
sélection doit répondre aux besoins du nouvel arrivant et aux capacités, aptitudes et intérêts
du jumelé d'accueil ainsi qu'à combler ces besoins.
7.5.6. Bien évaluer la compréhension que les futurs jumelés ont dujumelage : deuxième zone d'incertitude
La préoccupation des intervenantes lors de la sélection concerne l'évaluation. Les facteurs
considérés par les intervenantes lors de la première rencontre, rencontre qui devient une
entrevue de sélection, sont reliés à la compréhension qu'ont les futurs jumelés des objectifs
du programme, le partage, le rapprochement, et leur adhésion à ces principes/objectifs. Lors
de la sélection ou du « filtrage », les intervenantes sont à l'écoute des intérêts, des besoins,
des motivations, des attentes. L'intervenante I observe : « On voit à quelque part si ça se
ressemble, s'il y a un point commun, ce qui fait qu'on part le jumelage. » Ce qui représente
tout un défi car elles sont conscientes, comme le dit l'intervenante C, que ce « n'est pas
évident dans une entrevue exploratoire de connaître c'est quoi la motivation d'une personne,
c'est quoi sa préméditation. ». Cette zone d'incertitude fait ainsi partie intégrante du
processus. L'intervenante C considère qu'elle est là « la responsabilité morale de
l'intervenante » dans le souci de s'interroger non seulement sur la personnalité de l'un et de
l'autre, mais aussi sur son contexte de vie, afin de maximiser les chances d'atteinte des
objectifs de l'un et de l'autre, pour qu'ainsi la rencontre interculturelle ait lieu.
L'intervenante I tente de cerner la perception de l'autre, d'approfondir la connaissance de
l'autre. Ce qui pousse l'intervenante E à dire « on doit être bien observatrice lorsqu'on fait la
sélection du jumelage. » L'intervenant F intervient comme intermédiaire, porte-parole pour
l'immigrant nouvel arrivant auprès du Québécois de la société d'accueil : « C'est peut-être
moins gênant quand c'est moi qui le dis, madame une telle aimerait ça connaître telle chose,
normalement la jumelée d'accueil le sait, je lui ai déjà dit au téléphone , mais je reviens. »
236
Nous notons que l'intervenant F parle ici des besoins de l'immigrant alors qu'il ne situe pas
la relation dans un cadre aidant-aidé.
Il est également essentiel pour les intervenantes de bien identifier qui sera engagé dans le
jumelage. Est-ce que toute la famille le sera ou bien seulement la femme et les enfants ? Il
est donc important de bien identifier qui fait la demande de jumelage, de même il est
important de savoir ce qu'en pensent le conjoint, les enfants, de tenter de savoir s'il y a des
réticences. « Notre travail à nous, comme ce que peuvent apporter les jumeaux québécois,
c'est de ne pas faire partie du problème, mais de la solution. Il faut partir de bases qui ne
soient pas déjà porteuses de tension » souligne l'intervenante C.
La prise en compte de la présence des maris et la définition de « femme seule » a été source
de malentendus et a occasionné pour l'intervenante B un malaise. L'intervenante croyait que
la femme était sans mari jusqu'à ce que le mari vienne à la rencontre du jumelage,
l'intervenante se dit soit que c'était une phase où la femme était seule ou soit qu'il y a eu une
incompréhension de la question. Ou alors elle se demande comment considérer le statut de
la femme lorsque le mari semble « être là et pas là !» Il y a d'autres cas où la femme absente
ou le mari absent, non inscrit officiellement au jumelage, influencerait la dynamique du
jumelage.
Lors de l'entretien de sélection, les intervenantes se servent d'un questionnaire que la
plupart disent devoir améliorer, un pour les Québécois, un pour les immigrants, avec lequel
elles évaluent leur disponibilité, leurs attentes, leurs intérêts, le profil socio-professionnel.
Ce questionnaire sert aussi, dans le cas des intervenantes C, G et B, à déterminer si les
Québécois ont eu des contacts avec des immigrants, des personnes d'autres cultures et
inversement et si non pourquoi. Elles vérifient, en quelque sorte, leur degré d'insertion dans
la société, leur ouverture à l'autre et, dans le cas des Québécois, la densité de leur réseau
social.
237
7.5.7. Évaluer les compétences : troisième zone d'incertitude
L'intervenante B dit essayer de voir les intérêts de la personne et aussi d'évaluer ses
compétences : est-ce que la personne va réellement pouvoir aider au niveau de l'intégration,
des connaissances du milieu et de la pratique du français ? Comment évaluer le niveau
psychologique de la personne devient une autre zone d'incertitude. « Ce n'est pas évident de
voir jusqu'à quel point la personne est saine : est-ce que la personne veut faire ça ou est-ce
qu'elle a un besoin émotif à combler ? » L'intervenante essaie de démotiver ce type de
motivations : « j'essaie d'éviter ça », précise-t-elle.
Les intervenantes B et H analysent avec attention, mais dans les limites de leur pouvoir, la
détresse de la (ou du) jumelé d'accueil, et celle du nouvel arrivant : « Parfois, dit l'intervenante H,
il y a des bénévoles qui veulent se valoriser, qui vivent une période difficile, qui sont plus
en détresse que les immigrants (...) c'est pour ça que la feuille des motivations est bien
importante. » En ce qui concerne le critère équilibre émotionnel, Daignault précise que
l'intervenante fait une distinction entre la Québécoise et l'immigrante. Lors de l'entrevue de
sélection, l'intervenante ne considère pas les déséquilibres situationnels reliés au processus
d'immigration. Par contre, souligne Daignault, « nous prenons soin de sélectionner des
Québécoises qui sont en mesure de représenter pour les immigrantes un certain modèle de
stabilité affective et relationnelle » (Daignault, 1996:40).
L'entrevue de sélection, selon Daignault (1996:50), permet de dépister les problèmes
majeurs que pourrait vivre la femme tels : violence conjugale, problèmes de santé mentale.
Celle-ci écrit « S'il s'avère que la cliente vit de telles difficultés, des ressources et un
support approprié à sa situation lui sont offerts et lorsqu'elle est parvenue à résoudre ces
difficultés, elle peut réintégrer le projet. » L'intervenante/chercheure poursuit81 : « Comme
ce projet communautaire vise l'action préventive et est basé sur l'amitié, cette mesure évite
que certaines participantes se retrouvent en relation avec des femmes ayant des besoins
d'aide dépassant les objectifs du projet. »
81 S. Daignault qui a évalué le programme de jumelage dans le cadre de ses études de maîtrise en service
social fut responsable du projet en 1992-1993.
238
Ces situations ont amené l'intervenante B, à réévaluer, lors de la sélection des jumelés, les
outils et les méthodes d'évaluation. Elle décide alors d'adopter l'outil de la mise en situation.
En mai 1998, lors de la validation des données, l’intervenante B nous disait ne pas avoir eu
finalement recours à la stratégie mise en situation, les entrevues étant déjà « trop longues. »
Ce que l'intervenante tente de faire, c'est d'amener les gens au cours de l'entretien à une
prise de conscience du pourquoi de leurs intérêts pour telle ou telle personne.
De façon générale, le rôle des intervenantes consiste à faire connaître leur disponibilité
d'écoute aux bénévoles, à leur signaler qu'elles peuvent les conseiller. L'intervenante B
précise : « Je leur dis qu'ils peuvent me téléphoner, surtout s'ils perçoivent quelque chose,
ils ne sont pas sûrs d'avoir blessé la personne, je leur dis vous pouvez me téléphoner, je
laisse la porte ouverte » (...) je sers à ça analyser, comprendre. » Les intervenantes donnent
des conseils tout en informant que le jumelage n'est pas du parrainage. Elles rappellent qu'il
y a des services dans les organismes, des ressources disponibles; elles expliquent les «
petits détails. » Aux Québécois, elles disent les problèmes économiques des nouveaux
arrivants, l'importance de faire des activités qui ne coûtent pas cher, qui ne les mettront pas
dans l'embarras; aux nouveaux arrivants elles rappellent l'importance d'être ponctuels, de
respecter les horaires. Toutefois, comme le souligne l'intervenante G : « J'explique, mais il
faut répéter, répéter, moi je suis très décontractée (...) si tu expliques comme il faut, tu
n'auras pas de problèmes ! »
L'intervenante C donne une pochette d'information différente aux nouveaux arrivants et aux
jumelés d'accueil. Elle insère une feuille sur ce qu'est et ce que n'est pas le jumelage, aux
aînés elle remet quelques informations sur la communauté de leur jumelé, aux immigrants
elle insère un guide des ressources du quartier. Si, en cours de jumelage, elle reprécise des
informations sur la communauté de leur jumelé aux aînés, elle ne dit rien sur la culture : «
Je déteste ça » dit-elle. L'intervenante C ne donne pas d'information sur leur communauté
aux nouveaux arrivants. Il nous semble qu'elle aurait le sentiment qu'ainsi elle pourrait
influencer leur mode d'intégration, mais après validation des données elle nous affirme que
c'est surtout et seulement parce qu'elle est convaincue que cela entrerait en contradiction
avec le mandat qu'elle a en tant qu'intervenante en jumelage « qui est de faire du
rapprochement interculturel et avec le mandat que me donnent les nouveaux arrivants eux-
mêmes. » En fait, ce serait plutôt pour respecter leur choix, précise-t-elle : « Moi je crois
239
que chaque processus d'adaptation est unique et que c'est la personne qui décide, donc, s'ils
ont une volonté de faire du jumelage, c'est qu'ils ont une volonté de rapprochement avec
les gens d'ici. » D'autant plus qu'il faut, selon elle, faire attention à la question des
compatriotes car « on a affaire à des réfugiés, à des revendicateurs »; sous-entendu que le
supposé compatriote pourrait être bien être perçu dans certains cas comme un ennemi, une
menace ou qu'il raviverait des souvenirs douloureux. Le fait de présenter le profil de la
communauté culturelle de l'immigrant-jumeau aux aînés relève, selon l'intervenante C, plus
d'un acte de sensibilisation :
C'est pour leur faire prendre conscience que ce n'est pas le premier immigrant qui vient, il
n'y a pas d'histoire de l'immigration du Québec. C'est comme une manière d'initier (...) pour
les gens qui sont curieux aussi (...) il y a des motivations. Et ça l'immigrant ne va pas, pour
des raisons x, répondre à cette attente là ! Il y a des gens qui refusent de parler de leur
pays.
La complexité de l'intervention en jumelage demande aux intervenantes, qui ne possèdent
pas toutes une formation en travail social ni n'ont acquis des compétences en approche
interculturelle, d'être attentives aux moindres signes qui pourraient leur indiquer les
aptitudes réelles des candidats au jumelage. Ainsi, le jumelage, en tant que mode
d'intervention, révèle, dans son application, l'essence de l'approche interculturelle en ce
qu'il est selon les mots de Chiassson, Roy, et autres, « exploration et négociation. »
7.5.8. Les attentes : autres incertitudes
Les intervenantes tentent de savoir ce que les personnes attendent du jumelage, s'il y a un
genre de personne avec qui elles aimeraient être jumelées, un type de personne avec qui
elles n'aimeraient pas être jumelées. L'intervenante C constate que les gens ont plus de
difficulté à identifier avec quel genre de personne, dans le sens personnalité, ils voudraient
être jumelés : « Les gens ne me disent pas des choses très précises. » Elle tente de voir avec
eux, de préciser quelles sortes d'affinités ils pourraient rechercher chez une personne.
Certains vont dire une personne seule, certains autres diront une personne de même sexe,
240
d'autres mentionneront quelques traits de personnalité. Des futurs jumelés précisent leurs
préférences, par exemple certains veulent, pour différents motifs, être jumelés avec des
Latinos : pour la langue, la proximité géographique, les affinités en tant que latins, la
proximité de la culture, des façons de faire. Nous verrons plus loin que la préférence pour
les Latinos en tant qu'ethnie « de premier choix » s'avère problématique pour plusieurs
intervenantes.
Par contre, les jumelés diront avec qui ils n'aimeraient pas être jumelés. L'intervenante G
donne quelques exemples : « Une femme immigrante m'a dit qu'elle ne voulait pas être avec
une personne qui fume ou avec certaines nationalités par exemple. Un autre, exprime
certaines réticences à être jumelé à un noir. » Nous aborderons plus loin la question des
préjugés et des stéréotypes.
7.5.9. Comment faire partager leur vision aux participants
Certaines intervenantes établissent un rapport de négociation. Une des stratégies de
l'intervenante B, pour orienter la relation selon sa vision, sera d'entrer dans un rapport de
négociation avec le jumelé qui cherche l'ami, l'intervenante adopte une attitude pro-active :
« Quand quelqu'un cherche une amitié, on essaie de limiter son désir, de démontrer que ce
n'est peut-être pas ça nécessairement qui va se passer. »
Pour maintenir ou éveiller l'intérêt des bénévoles à s'engager dans la relation de jumelage,
l’intervenante H utilise abondamment, comme arme de persuasion, la stratégie de
valorisation de soi ou de renforcement des aptitudes. « Je les valorise tant que je peux »,
dit-elle. L'application de cette stratégie est dans le fait d'accorder en paroles une valeur plus
grande à quelqu'un : « Vous êtes des êtres indispensables dans un centre comme le nôtre;
c'est dire que nous comptons sur vous. Vous m'êtes précieux et précieuses à l'Amitié-
Jumelage. Vous êtes un complément moral et sécurisant pour ces personnes souvent
déracinées de leur terre; (...) et de renforcement du pouvoir du bénévole : " À titre de
bénévole vous avez le privilège de choisir la tâche que vous désirez accomplir et voilà que
vous qui êtes ici ce soir vous avez opté pour l'Amitié-jumelage. Vous avez du goût et du
241
cœur ". Je vous félicite et vous en remercie. » Et l'intervenante de souligner leur
indispensable et unique contribution : « En tant que bénévoles vous apportez à l'organisme
un surcroît de présence, d'amitié, de valorisation à ce que la gamme de services offerts
soient plus personnels et plus raffinés. »
Les autres intervenantes accordent aussi beaucoup de responsabilités aux jumelés, quoique
de façon différente, en même temps qu'elles se disent disponibles à ajuster leurs
interventions, le jumelage, zone d'incertitude devient un espace d'innovation, de créativité :
« Il suffit de trouver le rythme des personnes », selon l'intervenante A.
Aussi les intervenantes B, C et A considèrent qu'elles ont à apprendre des acteurs du milieu
que ce soit des personnes de la communauté ethnoculturelle du nouvel arrivant, « qui
peuvent aider aussi à comprendre ce qui s'est passé. » En ce sens, les intervenantes ont une
approche communautaire qui tend vers une approche intégrée. De même, les jumelés eux-
mêmes sont source d'information et ressources pour l'amélioration de la pratique.
L'intervenante A souligne : « On apprend en même temps qu'eux, on apprend à travailler
sur ce programme en même temps ! »
7.5.10. Représentations des intervenantes concernant les jumelés
Les intervenantes perçoivent les jumelés d'accueil comme étant des gens « qui aiment le
contact avec les gens, qui parlent beaucoup et qui ont une facilité à communiquer. » Nous
traduisons par qui ont une certaine ouverture dans le sens d'aller vers l'autre, qui sont
curieux de l'autre, qui sont sympathiques à l'autre, des gens aussi qui aiment se raconter.
Nous remarquons que ces traits de caractère ne traduisent pas nécessairement le sens de
l'écoute, l'empathie.
L'intervenante G dit des Québécois : « Ils sont chaleureux quand toi tu t'approches. »
Concernant les nouveaux arrivants, elle avoue qu'en tant que responsable elle a aussi
certains préjugés ou des impressions « concernant les femmes russes (...) j'ai l'impression
qu'elles se font des problèmes. » L'intervenante G fait le lien entre cette impression qu'elle a
242
et celle que certains Latinos ont des Québécois. Les hommes russes par contre, sont selon
elle, « comme des éponges, ils veulent tout savoir ! » L'intervenante G compare l'hospitalité
des Latinos avec celle de certains Russes : « C'est arrivé chez une personne russe qui ne
voulait pas que le Québécois vienne chez elle (...) tu arrives chez les Latinos, ils n'ont
pas…, ils invitent quand même, c'est une attitude différente. C'est l'attitude, mais quand
même il y a des généralités! »
La majorité des intervenantes sont bien conscientes qu'elles ont elles aussi, comme tout un
chacun, des préjugés, qu'elles doivent les analyser, mais surtout en tenir compte dans leurs
interventions.
L'intervenante G croit qu'une majorité de Québécois se sentent menacés devant le taux et le
profil d'immigration. Elle leur prête ces propos : « On est en phase d'extinction, on ne se
voit plus les Québécois ici, même des gens à la mairie, à la commission scolaire. » Ces
propos reflètent la réflexion contenue dans le document de Charbonneau cité en début du
chapitre 5, concernant les réactions face au changement démographique de Chameran et
l'exode de l'ethnie « canadienne-française. »
7.5.11. La difficulté pour l'intervenante d'exclure des candidats
Toutefois les intervenantes avouent avoir de la difficulté à dire non aux personnes de la
société d'accueil qui désirent être jumelées, et qui n'aurait pas les aptitudes ou qualités
requises, ou lorsqu'elles évaluent que les différences culturelles ou le besoin au niveau de
l'apprentissage linguistique sont trop marqués. Nous verrons un peu plus loin que, face à ce
dilemme, les intervenantes commencent à développer d'autres stratégies que simplement
déposer leur demande « dans la filière 13 », sorte de filière d'attente indéfinie.
Jusqu'à récemment, presque toutes les intervenantes pratiquaient cette sélection en douce.
Celle-ci se fait par la stratégie de dissimulation, du non-dit, de la non-confrontation.
L'intervenante G met le nom sur la liste d'attente, ce que l'intervenante B nomme la filière
13, et dit au jumelé qu'elle n'a pas de candidat qui répond à ses attentes. Face à des gens qui
243
ne conviennent pas au jumelage, ne conviennent pas parce « ce n'est pas clair, il y a le
contact avec moi, il y a des choses qui se passent avec moi », l'intervenante F leur dit
qu'elle souhaite les jumeler « mais là ils ne le sont pas encore. » L'intervenant F comme
d'autres intervenantes, adopte une stratégie de non-confrontation.
Il n'y a donc pas d'espace de discussion, de négociation possiblement conflictuelle, où les
représentations seraient confrontées en vue d'une re-définition des comportements, de
changements d'attitudes. C'est la stratégie du statu quo, de non-remise en question, du
maintien des relations telles quelles, par dissimulation de la véritable intention de
l'intervenante qui est de ne pas jumeler la personne. Le pourquoi de cette stratégie pourrait
s'expliquer par le manque de temps, d'énergie ou le manque de formation pour solutionner
adéquatement le problème. Cela peut aussi être fondé sur la crainte de la réaction du jumelé
d'accueil, crainte de la dénonciation de l'intervention et de la critique de la prise de position.
Cela peut aussi être relié à une tradition bien ancrée dans l'organisation communautaire de
ce type de résolution des problèmes dans l'espace du tabou, du non-dit; pour ne pas créer de
vagues, pour ne pas provoquer de remises en question de l'action communautaire. Cette
sélection ou plutôt cette non-sélection/exclusion en douce est justifiée aussi au nom de la
responsabilité qu'a l'intervenante face aux immigrants qui s'adressent à elle pour être
jumelés « Je ne vais pas risquer mes jumelés », objecte l'intervenante G.
7.5.12. Un révélateur de tendances discriminatoires
7.5.12.1. La demande des Québécois pour les Latinos et stratégies des intervenantes
Presque toutes les intervenantes sont confrontées à cette préférence marquée chez les futurs
jumelés québécois pour les hispanophones. Une discussion sur ce thème a d'ailleurs eu lieu
au sein du Réseau.
Moi je pense que quand on dit Latinos, c'est parce qu'on pense que c'est pas si loin de nous.
Géographiquement, culturellement, c'est une vision très simplifiée… (intervenante D).
244
Ils disent qu'il y a des choses en commun, qu'ils se ressemblent plus, alors il y a des
réticences (...) les gens se méfient de l'inconnu (intervenante G).
Les Québécois qui désirent se jumeler sont alors à la recherche du connu. « Les gens, dit
l'intervenante G, ont voyagé dans ces pays-là. » Ainsi, ils ne se sentent pas trop dépaysés et
par le jumelage, nous semble-t-il, ils veulent retrouver l'esprit du voyage. Ils parlent
espagnol, le jumelage devient une occasion de pratiquer cette langue, de montrer un savoir,
occasion de la parler ou possibilité de l'améliorer dans un cadre agréable, un cadre intime,
non-formel. Le jumelage n'est pas alors la recherche du différent, mais du semblable ou le
désir de recréer une atmosphère reliée au voyage. Les futurs jumelés ont des réticences par
rapport aux autres, ils disent « qu'ils ne les connaissent pas », déplore l'intervenante D.
Serait-ce alors la crainte de l'inconnu qui les habite, la crainte de la différence, du non-
pouvoir communiquer ou la crainte de l'incompréhension ?
Devant cette préférence/exclusion, les intervenantes cherchent à modifier leurs
interventions. Elles adoptent entre autres, comme le dit l’intervenante H, la stratégie des
petits pas : « Je les amène tranquillement, c'est sûr, il faut que ça passe. »
Au cœur de cette stratégie des petits pas, il y a un processus de négociation en même temps
que de diversion où les intervenantes proposent autre chose. L'intervenante D a développé
des stratégies pour déjouer les préférences trop marquées de certains Québécois pour des
Latinos et la pratique de l'espagnol : « Moi je dis les besoins, t'sais je vais proposer et des
fois les gens changent, je fais des propositions claires, j'ai des gens en tête. » L'intervenante
H reprécise l'objectif premier du jumelage, objectif qui est en fait un outil d'intégration :
l'apprentissage du français : « Je les amène à dire, ce n'est pas pour que toi tu apprennes
l'espagnol, ce n'est pas impensable, mais c'est surtout pour que l'autre puisse un jour
s'exprimer en français. » L'intervenante semble souligner que le bénévole, dans ce cas, n'a
pas anticipé sa participation à l'aide à l'intégration, en tant que guide, conseiller,
collaborateur, qui doit transmettre des normes de la société d'accueil et combler un besoin
du nouvel arrivant; celui-ci a vu, en premier, l'opportunité, en s'associant à l'immigrant
latino voyageur venu de contrées exotiques, de pouvoir combler un désir, celui d'apprendre
ou de perfectionner une langue étrangère, en l'occurrence l'espagnol. Il apparaît que les
245
valeurs attribuées à l'engagement dans le jumelage sont, dans ce cas, centrées sur
l'individualité.
Nous avons mentionné qu'alors que dans le bénévolat traditionnel les bénévoles se
dévouaient principalement en fonction d'autrui, aujourd'hui et avec l'ajout de nouveaux
secteurs de bénévolat que sont les loisirs, les arts, l'économie et l'éducation, la relation
d'aide vise autant la satisfaction et la croissance personnelle de l'aidant que la solution des
problèmes de l'aidé. Il semble qu'ici la satisfaction et la croissance personnelle basée sur
des considérations égoïstes priment sur les considérations altruistes qui prendraient en
considération les besoins du nouvel arrivant.
Cette insistance à vouloir être jumelé pour pratiquer l'espagnol démontre aussi que le
jumelé d'accueil n'a pas compris que le nouvel arrivant était en processus d'intégration et
que la relation de jumelage était une occasion pour le nouveau venu d'avoir un lien
privilégié avec quelqu'un de la société d'accueil qui peut lui servir de guide et qu'en
échange, celui-ci, à son tour, pouvait faire don de ses savoirs. Le don est un aspect
important du jumelage : don de temps, de savoirs, échange d'émotions, d'expériences.
Réfléchir sur le don dans le jumelage, comme dans toute autre forme de don, c'est, nous le
rappelons, se poser la question sur les motivations qu'ont les acteurs à entrer dans cet
espace du don, sur les rôles qu'ils y tiendront, mais c'est aussi se demander quels seront les
bénéfices qu'ils en retireront, ce qu'ils gagneront ou perdront (ou auront l'impression de
gagner ou de perdre) en tant qu'individus (groupe et société) dans l'échange. Car même si
on célèbre « les plaisirs du don et non plus les sacrifices » comme le rapporte Godbout
(1990), il y a un enjeu et un risque dans l'échange.
Toutefois, cette stratégie de diversion, même si elle ne réussit pas toujours, permet aux
intervenantes d'élargir la compréhension qu'ont du jumelage les jumelés québécois, le
jumelage n'a pas comme objectif premier l'apprentissage ou la pratique d'une langue
étrangère chez le Québécois. Cette stratégie leur permet aussi de parler des profils des
nouveaux arrivants et de leur contexte migratoire. Et si les Québécois persistent à vouloir «
des Latinos », plusieurs intervenantes leur disent qu'il faudra demander aux immigrants s'ils
sont d'accord pour un échange linguistique tout en leur signalant qu'ils devront ajouter à cet
objectif une aide à l'intégration.
246
L'intervenante B dit aux jumelés québécois qui désirent être jumelés avec des
hispanophones « que ce ne peut être juste ça, qu'il y a des choses précises à faire et que ce
n'est pas juste pour ce qu'eux retirent. » Elle insiste donc sur la notion du don/contre-don,
sur la notion de l'engagement. Aux organismes E et G, les intervenantes adoptent une
attitude souple, d'ouverture, en se disant que cette demande peut amener la Québécoise, le
Québécois à s'intéresser à la culture de l'autre. L'intervenante E ajoute : « C'est pas grave,
c'est bon même parce que c'est un échange aussi, on apprend la culture à travers la langue. »
Elle signale toutefois qu'il y a des femmes de l'Europe de l'Est, de la Chine, de la
Roumanie, de Russie et d'Algérie en attente de jumelage. Et que même si les femmes
algériennes parlent déjà français, elles ont besoin de rencontrer des femmes québécoises,
elles ont besoin de connaître la culture, les gens et aussi peut-être de connaître l'intégration
sur le marché du travail. La stratégie de l'intervenante est alors d'élargir la vision qu'ont les
femmes québécoises du programme jumelage : « Je leur explique que ce n'est pas
seulement un échange de langue, c'est un échange culturel et une façon de s'intégrer. »
L'intervenante G adopte une stratégie de négociation/accommodement avec les jumelés tout
en occupant un espace de transgression face au critère du ministère. Ce qu'il y a de
particulier dans le cas de l'intervenante G, c'est que l'évaluation et la ré-évaluation de
certaines façons de faire le sont plus en fonction du nombre de jumelages qu'elle doit faire
ou parce qu'elle ressent un malaise face à certaines difficultés, qu'en fonction d'une
autocritique des actions posées ou d'une réflexion sur d'autres possibilités de faire, en vue
de l'amélioration de l'intervention. Ce choix d'accommoder de l'intervenante et du directeur
s'applique aussi dans le cas des jumelages mixtes « sinon je ne ferais pas de jumelage (...) je
ne peux pas dire non. » En ce qui concerne les demandes répétées pour des latinos, elle
ajoute :
Avant je leur disais : "Avec le jumelage, il ne s'agit pas de pratiquer une langue ".
Aujourd'hui, j'ai changé de discours, sinon je n'aurais personne. (...) je leur dis de pratiquer
l'espagnol , mais en pourcentage moindre (...) j'ai changé de tactique, je leur dis : " Vous
pouvez échanger en espagnol". Ça donne une autre dynamique, il y a des échanges, même
qu'un aide à faire les devoirs en espagnol, l'autre aide en français.
247
Le directeur de l'organisme renforce cette position en insistant sur le côté donnant-donnant
du jumelage où le Québécois va chercher quelque chose et le nouvel arrivant aussi, « où
c'est un échange. » Toutefois, nous avons constaté que cette vision du jumelage du
donnant-donnant peut parfois créer des malaises, notamment quand le nouvel arrivant ne
peut offrir de façon aussi évidente un produit échangeable de même valeur. Nous avons en
mémoire une soirée d'activité collective où une jeune dame camerounaise qui demandait à
être jumelée s'est sentie exclue des échanges lorsqu'un monsieur suisse a offert gratuitement
aux nouveaux arrivants des leçons de ski alpin en échange de cours d'espagnol. Nous
observons que cette stratégie d'accommodement a ses limites justement parce qu'elle ne
remet pas en question des façons de faire, des attitudes, mais tente de répondre aux
demandes répétées par un certain groupe de personnes et aussi de respecter l'entente signée
avec le MRCI. Est-ce que le jumelage, qui a comme premier objectif, même si celui-ci n'est
pas exclusif, l'aide à l'intégration du nouvel arrivant peut être basé sur une valeur
marchande du donnant-donnant ? Ce pré-requis de l'égalité de valeur de l'objet,
l'équivalence du don, n'exclut-elle pas alors toute forme de retour indéterminé, basé sur la
confiance et l'espoir, l'autonomie et la reconnaissance de l'autre, éléments qui permettent à
la relation de s'épanouir ?
Dans ce cas particulier comme dans d'autres, l'intervenante G, confrontée à certaines
difficultés, va tergiverser et selon l'évaluation du moment, changer d'attitude. Si lorsque
nous l'avons rencontrée à l'automne 1996 et revue au printemps 1997, l'intervenante G
disait avoir adouci sa position face à la demande répétée pour l'espagnol, à l'automne 1997,
elle disait à une réunion du Réseau « en avoir marre de ça!. » De ça signifiant de cette
préférence pour les « Latinos » liée à cette motivation de parler espagnol. Parce que « ça »
exclut les autres nouveaux arrivants qui veulent être jumelés et qui sont en attente, faute de
trouver des Québécois désireux de se jumeler à eux. « J'en ai marre de ça » traduit un
sentiment d'impuissance. Si cette réaction ne remet pas nécessairement en question la
stratégie d'accommodement, elle signifie qu'elle voudrait bien trouver un moyen pour sortir
de cette voie unique de jumelage. Alors que la clientèle se diversifie, l'intervenante G
aimerait bien trouver des moyens pour sensibiliser les Québécois à la réalité et aux besoins
des autres ethnies. Ici c'est le comment qui pose problème. Au printemps passé,
l'intervenante a invité un psychosociologue à venir parler de l'impact du jumelage et de la
248
rencontre interculturelle; soirée d'échange qui semble avoir été grandement appréciée des
jumelés si l'on se fie aux témoignages redits lors d'une soirée collective à l'automne 1997,
soirée où cours de laquelle la vidéo-jumelage a été présentée. Mais cette activité d'échange
sur le jumelage n'a pas été renouvelée même si lors de la soirée collective, les jumelés ont
redit leur appréciation de ce type d'activité.
Les intervenantes ont poursuivi leur réflexion sur cette question des demandes pour les
hispanophones au sein du Réseau. Elles ont convenu que si l'unique objectif manifesté par
le Québécois est de vouloir apprendre ou pratiquer l'espagnol, elles opposeront un refus. Si
l'apprentissage de la langue est un des objectifs, mais que la personne qui désire être
jumelée semble bien saisir la dynamique du jumelage et l'objectif d'accompagnement de la
personne immigrante dans son processus d'intégration, alors l'intervenante va considérer sa
demande. Si une intervenante n'a pas, sur sa liste d'attente, d'immigrants parlant espagnol,
elle suggérera aux Québécois d'autres alternatives.
7.5.12.2. Discrimination envers la communauté arabe
Plusieurs intervenantes rencontrent des problèmes d'exclusion face à la communauté arabe :
« On dirait que personne ne veut des Arabes ! » , déplore l'intervenante I. Nous notons que
lorsque l'intervenante I dit Arabes, elle lui associe musulmans. Celle-ci attribue la
résistance ou le refus des Québécois à être jumelés avec eux au manque d'information, aux
médias qui entretiennent les stéréotypes : « arabe = terroriste = intégriste, hommes
machos/femmes soumises. » L'intervenante discute avec les jumelés d'accueil et tente de les
amener à nuancer leurs propos :
« C'est à la fin que je dis : ce n'est pas tous les arabes qui se ressemblent. Et parfois quand
je dis que je suis Arabe, les gens ils sont surpris. » Ce qui a amené l'intervenante I à donner
en collaboration avec le Centre d'éducation et de développement arabe (CEAD) une soirée
d'information sur le monde arabe « pour démystifier un peu les préjugés, ça a amené les
gens à s'intéresser (...)" C'est vrai, vont-ils dire, ils sont comme nous, ils ont des problèmes
comme nous, elles ne portent pas le hidjab et les femmes ne sont pas toutes soumises". »
249
Devant les résistances des jumelés québécois face aux Arabes, l'intervenante adopte
diverses stratégies. L'une d'elles est de miser plus sur les ressemblances entre « eux et nous.
» Une autre stratégie sera de discuter avec des personnes de la communauté arabe des
préjugés que les membres de la société d'accueil ont vis-à-vis eux. Toutefois l'intervenante
refuse de faire cette démarche avec certaines personnes parce que, selon elle, « ça va faire
qu'elles seront plus fermées. » Les stratégies de l'intervenante sont alors soit une stratégie
que nous qualifions d'offensive, stratégie de démystification ou de discussion, préventive
ou défensive, stratégie de dissimulation ou de non-confrontation : « Je leur dis que je n'ai
pas encore trouvé ou que je n'ai pas encore de familles. » Nous remarquons aussi
qu'apparaît tout au long du discours de l'intervenante sur les attitudes des jumelés, la co-
existence du mouvement vers, mouvement contre qui font apparaître les implications
ouverture/non ouverture. Si les Québécois sont perçus par l'intervenante I «
extraordinairement ouverts », celle-ci note qu'ils sont en même temps fermés face aux
Arabes et comme nous le verrons, face à certains autres groupes. Leur « extraordinaire »
ouverture semble être manifeste surtout envers les Latinos et leurs motivations seraient plus
de l'ordre de l'intérêt personnel : apprendre la langue et entrevoir la possibilité de voyager.
Par ailleurs, elle note parmi les Arabes que certains veulent être jumelés, mais qu'en même
temps ils ne veulent pas discuter des préjugés que les Québécois peuvent avoir envers eux
et ont du mal à accepter certaines valeurs de la société québécoise notamment le rapport
égalitaire homme/femme. Selon l'intervenante, « certains Arabes ont leurs problèmes aussi,
de fermeture des fois; problèmes concernant, entre autres, l'influence que peut avoir la
jumelée d'accueil sur la femme jumelée du couple arabe. » D'où l'importance, comme nous
l'avons déjà mentionné, de prendre en considération la cellule familiale lorsqu'une personne
demande à être jumelée.
D’un autre côté, nous notons le fait que les intervenantes, lors de la première rencontre,
posent la question : « Avec quel genre de personnes vous n'aimeriez pas être en contact ? »
Les jumelés d'accueil et les immigrants répondent, parfois avec difficultés, en manifestant
leurs préjugés ou tout au moins leurs réticences face à certains comportements ou certains
groupes, outre envers les Arabes, des personnes « ne voulaient pas de Noirs et une personne
ne voulait pas d'Hindou ou de Pakistanais » souligne l'intervenante I. Dans le cas d'une
personne qui refusait d'être jumelée à un noir, l'intervenante a essayé de voir pourquoi et a
250
tenté de relativiser le jugement négatif en lui faisant voir « que parmi la communauté noire
comme dans toutes les communautés, il y a des bons et des mauvais. " Mais à un moment
donné, j'avais cette photo d'un enfant noir et la dame s'énerve et elle me dit pas un nègre
comme lui, comme toi ça peut passer ! J'ai dit ah bon, donc là j'avais compris". »
Cette dame, l'intervenante I ne l'a pas jumelée parce qu'elle n'a pu la rejoindre, mais de
toute façon, elle allait d'abord l'inviter à des activités de l'organisme ou des activités de
jumelage, comme elle fait avec ceux qui sont en attente. L'intervenante dit avoir voulu
l'inviter « parce que peut-être que la personne vit des problèmes avec le Noir, mais peut-
être qu'elle vit d'autres problèmes (...), je voulais l'inviter, l'observer un peu et voir quand il
y a plusieurs personnes de différentes ethnies pour voir comment elle va réagir. » Cette
stratégie qui fait place à l'observation, nous la qualifions de prudente même si dans ce cas
cela s'est avéré une non-intervention faute d'acteur et qu'elle a résulté à l'abandon du projet
par la jumelée d'accueil. Par ailleurs, nous questionnons le fait que lors de l'entrevue de
sélection, une question amène les futurs jumelés à exprimer leur non vouloir être jumelés
avec telle ou telle personne sans que les intervenantes aient toujours le temps, l'occasion ou
même l'aptitude requise pour les sensibiliser à l'autre et les confronter à leurs préjugés.
L'intervenante I donne un autre exemple : « J'ai eu des gars qui étaient des fanatiques (...)
même en sortant, j'ai voulu donner la main et ils ne l'ont pas donnée. » Envers une telle
démonstration de rigidité, de fermeture, elle prend une position claire : «C’est trop difficile
avec ces personnes (de les jumeler) et là je n'ai pas de personnes, ils ne veulent pas
d'Arabes, alors je ne vais pas les jeter dans les mains de.. » Tout en évitant aux jumelés
d'accueil et aux immigrants une éventuelle relation conflictuelle et une possibilité
d'augmenter les réactions négatives envers toute une communauté, l'intervenante choisit
l'évitement de la situation, mais ne les abandonne pas pour autant. Elle fait appel au
Réseau « parce qu'eux ils voulaient surtout le français, parce que comme j'ai senti qu'ils ne
veulent rien savoir de la mentalité de la société québécoise d'accueil, mais c'est surtout pour
un intérêt personnel, bien là je les ai référés à l'organisme F pour les groupes de français. »
Les intervenantes membres du Réseau jumelage ont eu un atelier discussion sur les
préjugés et stéréotypes formulés par les jumelés d'accueil face à certaines ethnies, et les
réactions et stratégies développées par les intervenantes en octobre 2000. Il est ressorti de
251
cet atelier-discussion quatre éléments. Le premier est la constatation que peu importe les
origines, les préjugés sont présents de part et d'autre, mais se manifestent différemment
selon le parcours et les expériences de vie. Les jumelés se demandent souvent, notent les
intervenantes, comment réagir face à certains comportements ou attitudes des personnes
avec qui ils essaient de créer des liens. Le deuxième élément concerne le rôle des
intervenantes. Celles-ci ont redit leur rôle privilégié de médiatrices en autant qu'elles
prennent le temps nécessaire pour faire tomber les préjugés en misant sur la relation
interpersonnelle et en partant des choses que les gens connaissent. Les intervenantes ont
aussi souligné qu'elles-mêmes ne sont pas exemptes de préjugés, l'important, ont-elles redit,
c'est qu'elles en soient conscientes et qu'elles tendent à les dépasser. Mais alors comment ce
rôle de médiatrice s'articule-t-il et à quel moment ? Les intervenantes ont mentionné que
l'entrevue est un élément-clé dans le processus du jumelage interculturel. L'entrevue ou
première rencontre est un moment où les intervenantes doivent clarifier certains points.
Elles doivent rappeler les objectifs du jumelage, chercher avec le jumelé d'où viennent les
préjugés, expliquer certaines notions aux jumelés comme la notion espace-temps qui, si elle
est mal comprise, peut provoquer des tensions au sein de la relation de jumelage. Elles
doivent de plus outiller les futurs jumelés, les aider à poser des questions pertinentes à leur
futur jumelé et enfin insister sur la notion de l'engagement. Puis les intervenantes ont
évalué que le meilleur outil pour faire face aux préjugés et à la discrimination dans le
contexte du jumelage était les formations pour les jumelés, les personnes en attente de
jumelage ou les intervenantes elles-mêmes. Cet atelier a donné lieu en avril 2001 à une
formation aux jumelés et personnes en attente de jumelage sur le parcours migratoire et le
choc culturel. Les intervenantes ont demandé de recevoir une formation sur les
compétences interculturelles en automne 2001 et une sur la médiation au printemps 2002.
7.6. Première rencontre et règles du jumelage
L'attitude des intervenantes concernant les modalités du lieu de la première rencontre ainsi
que les règles de fréquentation entre jumelés et de participation aux activités en est une de
252
flexibilité et de souplesse. Toutefois, à l'organisme H, on demande aux jumelés de
participer à une session de formation avant le jumelage.
La première rencontre des jumelés se fait, dans la plupart des cas, dans les locaux des
organismes. Parfois l'intervenante B le fera au restaurant, lieu moins formel, parfois
l'intervenante C se rendra chez les aînés, souvent plus limités au niveau de leur mobilité.
L'intervenante I précise que la première rencontre est une occasion pour discuter, pour
partager son expérience : « On ne reste pas seulement au niveau du jumelage. »
Les intervenantes remplissent une fiche d'inscription : statut, situation familiale, date
d'arrivée, profil professionnel, connaissance du français, intérêts personnels, motivations,
loisirs, disponibilité, confessions religieuses. Certaines ajoutent le profil de la personne
espérée (intervenantes F, I, B et E.) Les intervenantes I, E et C précisent avec quel genre de
personne le jumelé n'aimerait pas être en contact; un organisme écrit dans une annonce
publicitaire qu'il demande aux familles d'accueil « si elles ne veulent pas être jumelées avec
tel ou tel groupe ethnique. »
La plupart des intervenantes expliquent que le jumelage dure un an, mais que si les jumelés
veulent poursuivre leur relation, c'est permis parce que « le jumelage peut devenir une
amitié. » Certaines, comme les intervenantes A, I et F, refusent de le circonscrire dans le
temps. « Il n'y a pas d'entente formelle d'un contrat moral d'un an; autant que possible c'est
une vision à court terme, six mois, un an, je l'évalue. » (intervenant F). L'intervenante A dit
aux jumelés que c'est pour un an, mais que, selon elle, six mois c'est un jumelage réussi; «
peut-être même trois mois serait suffisant pour des gens qui n'ont besoin que d'une aide
fonctionnelle. » Lorsque le jumelage dure un an, précise-t-elle, c'est que « c'est devenu de
l'amitié. »
En ce qui concerne le contrat, les intervenantes le considèrent moral, ainsi aucune d'entre
elles ne fait signer d'engagement comme cela se fait dans un organisme en région hors
Montréal. L'intervenante B dit : « Au début, je les faisais signer, mais je trouvais ça… c'est
un contrat moral, un contrat moral ça a beaucoup de valeurs. »
Comme si, nous semble-t-il, le fait de signer contredisait ou affaiblissait la responsabilité-
/liberté individuelle de l'engagement, entachait la beauté du geste ou encore attribuait un
253
caractère obligatoire à un geste que l'on veut spontané. Signer signifierait-il pour les
intervenantes formaliser l'engagement alors que la relation s'inscrit de façon prioritaire au
registre de l'informel ?
La majorité des intervenantes suggèrent aux jumelés de se rencontrer une fois/semaine, une
heure ou à tout le moins de garder un contact téléphonique par semaine. Les intervenantes
D et A demandaient jusqu'à tout récemment deux heures/semaine, mais souligne
l'intervenante A « avec beaucoup de souplesse. » L'intervenante D révise ce critère en
1996-1997 en admettant que « l'exigence de deux heures par semaine semble difficile à
accepter, une heure par semaine, précise-t-elle, serait préférable. » Alors que l'intervenante
B considérant que le temps manque pour tout le monde, dit ne pouvoir exiger des jumelés
qu'ils se rencontrent plus d'une fois par mois : « Il y en a qui disent une fois par semaine,
moi je me dis, ses propres amis, on a de la difficulté des fois à les voir une fois par mois, je
me dis une fois par mois, c'est dans les limites du raisonnable. » Cette demande faite aux
jumelés de garder un contact assidu surtout en début de relation est motivée par la nécessité
de briser le plus rapidement possible le caractère superficiel et fragile de la relation. « Si tu
ne rencontres pas l'autre, tu vas tout louper ! » s'exclame l'intervenante C. Il apparaît que si
des adultes étrangers ont donné leur accord pour que se développe entre eux un lien
d'échange, ils doivent bien établir et surtout entretenir ce lien afin de permettre à la relation
d'atteindre les objectifs fixés au départ. L'amitié-jumelage est alors une avenue, la relation
d'amitié n'étant pas acquise au départ, elle doit être travaillée, construite au gré des
rencontres, des échanges, des confrontations.
En ce qui concerne la fréquence des rencontres en cours de jumelage, ce qui est pris en
compte chez la majorité des intervenantes, ce n'est pas tant la quantité, mais « la qualité du
contact. » C'est à partir de ce critère que les intervenantes font leur évaluation à savoir si le
jumelage est réussi ou non. Toutefois, comme nous le verrons, cette notion de ce qu'est un
jumelage réussi reste à évaluer. Un atelier de discussion sur cette question est inscrit dans le
plan d'action 2000, 2001 du Réseau jumelage.
Les intervenantes sont conscientes qu'elles n'ont pas à adopter une attitude coercitive,
dirigiste, mais une d'encadrement souple face à des gens qui s'engagent librement dans un
projet. L'intervenante C leur conseille de ne pas se mettre en situation d'attente face à
254
l'autre, autrement dit de ne pas se fier à l'autre : « Si chacun attend, personne ne fera le
premier pas et le jumelage bien évidemment n'aura pas lieu. » Mais malgré ces conseils,
nous verrons que l'ambiguïté peut persister en début de relation en ce qui concerne la
responsabilité du premier pas, le : à qui revient la responsabilité d'établir et de maintenir le
lien ?
Si les intervenantes D et H insistent sur l'importance de l'engagement et le maintien du lien,
d'autres intervenantes iront jusqu'à n'imposer aucune règle de fonctionnement. L'attitude de
flexibilité devient dans certains cas une non-intervention : « Moi je n'interviens pas, je dis
bon, espérons que ça marche ! » nous confie l'intervenante I. Ou alors c'est l'incitation à
accompagner l'immigrant dans son parcours d'insertion qui ne sera pas dite. Concernant
l'introduction de l'immigrant dans un réseau social, l'intervenante I s'exclame : « Non je ne
leur dis pas, ça peut faire : `mon Dieu je dois le présenter à ma famille ! » L'intervenant F
emploie le vocable préférablement lorsqu'il suggère aux jumelés certaines règles qu'il serait
bon de respecter. « Je leur demande de se rencontrer une fois par semaine pour les pousser
à se rencontrer (...).Quand je les rencontre, je leur dis "préférablement vos rencontres
devraient se faire (...) et préférablement au-delà de la session "et puis si ça fonctionne(…)
je laisse la porte ouverte, c'est toujours préférablement. » L'intervenante I misera sur
l'espoir que la relation fonctionne.
Ici sont dans une relation de contrariété, les notions obligation/non-obligation, liberté/non-
liberté qui sont au coeur du projet jumelage. Projet qui se situe dans l'univers du «
bénévolens », dans le sens du geste volontaire, non rémunéré donc sans production ou
performance due par celui, celle qui s'y engagent. Les gens s'engagent librement dans un
projet et sur la base d'un contrat moral. Le contrat moral veut dire ici, un engagement du
moment, une certaine volonté à se rencontrer, « l'engagement-acte. » Ce qui est différent de
ce que pourrait être l'engagement dans le temps, dans la durée, une volonté à construire la
relation avec ce que cela comporte d'imprévisible jusqu'à la limite du non possible et même
au-delà, une « conduite d'engagement » selon les termes de J. Ladrière. D'autant plus que le
projet est proposé dans une atmosphère amicale, c'est donc dire que la liberté du donner et
du recevoir doit être, que le rythme ne doit pas être dicté, mais au contraire évoluer de
façon libre, dans un univers de spontanéité. Ce non vouloir imposer va jusqu'à non pouvoir
inscrire le jumelage dans une dimension collective en taisant la responsabilité de
255
l'intégration du nouveau venu dans un réseau social. Cette responsabilité d'intégration du
Québécois qui en aurait les capacités n'est pas dite par l'intervenante par crainte d'être trop
dirigiste.
Ainsi parce que les intervenantes, tout en ayant leurs propres représentions de ce que doit
être le jumelage, doivent tenir compte des motivations, des attentes et des représentations
des participants au jumelage, elles doivent composer avec des zones d'incertitude qui les
obligent à questionner leur pratique. Cependant, il ne faut pas oublier que le jumelage
s'inscrit avant tout dans une organisation, dans un système. Nous verrons que l'intervenante
en jumelage sera confrontée à de multiples contraintes et que celles-ci influenceront la
qualité de l'intervention. Par ailleurs, le jumelage est une rencontre entre des individus se
référant à un moment ou à un autre, et de façon variable, à des systèmes culturels,
économiques, politiques et sociaux différents. Cette rencontre peut donner à l'intervention
une difficulté supplémentaire car les intervenantes sont plongées au cœur de
l’interculturalité : espace d’interrogation, lieu de confrontation, de remise en question, de
redéfinition. Mais ces contraintes n'empêchent pas les interstices de liberté de l'intervention
où existent les pratiques silencieuses, pratiques de complicité avec la personne qui fait
appel à l'intervenante. Et si cette solidarité de base incite les intervenantes sociales à
recourir à l'immoralisme éthique, « un espace de résistance aux contraintes quelles qu'elles
soient » (Roy, 1992:62), celui-ci, comme nous le constaterons, les confronte à remettre en
question leur propre conduite, ainsi que le code moral qui doit aussi guider leurs
interventions.
256
CHAPITRE VIII
Contraintes, réalités et difficultés en cours de jumelage
8.a. Sommaire
Le fait que le jumelage s'intègre de façon prioritaire dans une organisation et qu'il soit un
programme subventionné par l'État établit diverses règles dont certaines deviennent des
contraintes à l'intervention. Les contraintes organisationnelles (8.1.1) telles que l'horaire de
travail, l'importance accordée au jumelage par l'organisme, le mandat donné à
l'intervenante, de même que les contraintes structurelles (8.1.2) que sont les contraintes
reliées au manque de financement entraînant un roulement du personnel, influencent la
qualité de l'intervention. Les intervenantes devront aussi composer avec les contraintes
d’ordre relationnel telles que leur vécu, leur formation, leurs motivations, leur personnalité,
mais aussi le vécu, les motivations et la personnalité des acteurs avec lesquels elles
interagissent (8.1.3). Comme nous l’avons écrit, l'incertitude des intervenantes devant les
choix, incertitude liée à la prise de conscience des limites de leurs propres compétences est
ainsi doublée des contraintes qui se présentent à elles. La contrainte systémique qui définit
le critère de non-admissibilité des revendicateurs complexifie l'intervention du jumelage et
place les intervenantes dans une double situation « d'immoralisme éthique » : lorsqu'elles
refusent un grand nombre de candidats qui auraient besoin de ce programme de même que
lorsqu'elles occupent des espaces de transgression face au bailleur de fonds en jumelant ces
clients en attente de statut. Toutefois parce qu'elles occupent cet espace « illégal », les
intervenantes ne s'accordent pas le temps d'approfondir la réflexion sur les défis que pose
ce type de jumelage. La mention de ces contraintes ne doit pas, par contre, nous faire
oublier l’espace de liberté qu’occupent les intervenantes. Au chapitre précédent, nous avons
souligné que par la conscience ou l'intuition, elles apprivoisent les zones d'incertitude qui
leur permettent de manifester un « esprit d'invention.» Nous verrons au point (8.2.1.1) que
dans ces interstices de liberté, les intervenantes ont des pratiques silencieuses et que
257
l'immoralisme éthique les confronte à questionner parfois leur propre conduite, ainsi que le
code moral qui doit aussi guider leurs interventions. Ces pratiques de complicité avec la
clientèle, cette complicité dans le non-dit, sur, entre autres les questions d'homosexualité ou
de pratique religieuse, ne doit pas par contre dépasser une certaine limite (8.2.1.2). Les
préjugés ne disparaissent pas comme par enchantement. Ainsi les intervenantes et les
jumelés sont plongés au cœur de l’interculturalité : espace d’interrogation, lieu de
confrontation, de remise en question, de chocs culturels (8.3.1). Les intervenantes tenteront
par les formations (8.3.2) de répondre à certains questionnements, cependant les zones
d'incertitude (8.3.3) provoquées par cet espace de remise en question qu'est l'interculturalité
les amèneront à questionner et à transformer leurs pratiques.
8.1. Les contraintes
8.1.1. Les contraintes organisationnelles
Le travail à temps partiel et à contrat ainsi que la double tâche consistant pour bon nombre
d'intervenantes à assumer le jumelage en même temps que l'intervention accueil et
établissement ont un impact sur la dynamique du jumelage. Le travail à temps partiel et la
double tâche auront comme conséquence que l'intervenante accordera peu de temps à
l'encadrement et au suivi du programme. Ainsi, dans certains organismes, il ne pourra y
avoir, faute de temps à y consacrer, des soirées de formation ou organisation d'activités
collectives. Certaines inviteront plutôt les jumelés à intégrer les sessions de formation sur
différentes problématiques qui se donnent aux nouveaux arrivants comme celle de la
Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) et du logement. Ces sessions se donnent le
jour. Pourtant, selon l'évaluation faite par deux organismes, et selon les résultats de la
recherche de Charbonneau et al (1999), si en ce qui concerne la nécessité des formations les
avis sont partagés, les participants au jumelage réclament davantage d'activités collectives.
Une autre difficulté de l'intervention jumelage concerne le fait que l'intervenante doive
travailler le soir ou les fins de semaine. Les contacts téléphoniques avec les futurs jumelés
se font le jour ou bien le soir lorsque les candidats sont absents lors de l'appel ou qu'ils
258
demandent à être rejoints à la maison et non pas au travail. En ce qui concerne
l'organisation des activités collectives, celles-ci ont lieu, pour les formations, le plus
souvent le soir, pour les activités collectives, les fins de semaine. Cette difficulté devient
une contrainte du fait que certaines intervenantes ne peuvent ou ne veulent être disponibles
les fins de semaine. « Je suis très perplexe par rapport à ça ! », de s'exclamer l'intervenante
C, soulignant les conséquences d'une telle contrainte et la difficulté, voire l'impossibilité, de
changer les règles de fonctionnement du programme.
Enfin, la majorité des intervenantes sont confrontées à des contraintes financières : «J'ai
très peu de moyens pour ce projet de jumelage » déclare l'intervenante C.
8.1.2. Les contraintes structurelles
Une des difficultés concernant le programme jumelage, c'est le manque de financement qui
entraîne un roulement, un changement de personnel et la question du lien de confiance à
rétablir entre l'intervenante et les jumeaux : « Je suis en train de tisser ces liens là dans une
deuxième année, je pourrai développer ces liens (...) c'est un lien qui est à refaire, oui parce
que si j'appelle les gens de l'an passé, c'est moi (ce n'est plus x) ce n'est pas pareil, ils ne me
connaissent pas... » de déplorer les intervenantes F et E.
8.1.3. Contraintes reliées au parcours de l'intervenant
L'intervenante B identifie son inexpérience comme une des difficultés, qui selon elle, lui
fait commettre des « gaffes. » « Des fois je prends ça personnel ! » En effet, le fait de
perdre un bénévole ou un jumelé d'accueil peut être vécu de façon dramatique par les
intervenantes qui ont un manque criant de bénévoles et qui ont toutes à gérer une liste
d'attentes.
259
Les « ratés » peuvent affecter les intervenantes qui doivent alors apprendre à établir une
distance professionnelle : « Je pense que c'est moi que ça a le plus affecté, c'est à moi de me
dégager de ça, c'est des ratés. J'essaie d'analyser ce qui a vraiment pas fonctionné : est-ce
moi qui suis en cause ou sinon, c'est quoi les facteurs qui sont en cause ? La prochaine fois,
je vais essayer de m'ajuster », nous confie l'intervenante B. Celle-ci, encore une fois, fait
preuve d'autocritique, de réflexivité dans l'action.
L'intervenante C, quant à elle, reconnaît ses limites et en même temps tout le défi qui
l'attend. Ce défi est source de stimulation pour elle. D'une part, parce qu'elle est en situation
d'apprentissage, donc de découverte de façons d'être et de faire, et d'autre part parce que les
aînés aussi le sont. L'intervenante est donc confrontée à amener les aînés à s'impliquer, car
selon les dires de l'intervenante C et du Forum des aînés, « amener les aînés à s'impliquer
actuellement, c'est très difficile. » Celle-ci se heurte à un double questionnement : est-ce
que les aînés sont prêts à s'impliquer socialement ? Est-ce que ceux qui sont prêts, veulent
s'impliquer auprès des nouveaux arrivants ? Cet espace d'innovation a, semble-t-il, un
impact positif sur le travail de l'intervenante : « Alors, ça veut dire que tu vas innover dans
ce domaine. » Travailler avec les aînés se révèle donc être à la fois un avantage et un
inconvénient : avantage parce qu'étant un terrain vierge, l'intervenante a tout le champ libre
pour innover, mais inconvénient parce que l'intervenante aura beaucoup de travail de
sensibilisation à faire.
L'énergie que met l'intervenante C dans le jumelage est liée à sa personnalité et à ses
convictions : « Je suis une individualiste forcenée ! » affirme-t-elle. Ce trait de caractère
fait qu'elle croit au microsocial, aux actes individuels. Ces actes individuels qui se
concrétisent au sein du jumelage ajoutent, selon elle, un plus à la politique d'intégration, à
l'idéologie proposée par le gouvernement. Car, selon l'intervenante B, « malgré la bonne
volonté gouvernementale, si les gens ne se sentent pas concernés, responsables, il ne se
passera rien au niveau de l'intégration. »
260
8.1.4. Contrainte de l’admissibilité et du contexte d’immigration en ce quiconcerne les revendicateurs
En ce qui concerne les revendicateurs, l'intervenante C, comme la majorité des
intervenantes, n'est pas d'accord avec leur non-admissibilité au programme jumelage telle
que dictée par le MRCI. Cette intervenante considère, comme d'autres avant elle, que cela
va à l'encontre de la mission humanitaire puisque, de toute façon, selon elle, dans l'absolu
80%82 des revendicateurs sont acceptés. Par contre, celle-ci est consciente qu'elle doit se
conformer aux critères établis par le MRCI pour obtenir la subvention. Une fois encore, la
tension est manifeste entre répondre à la mission humanitaire et communautaire et répondre
à la mission de l'organisme telle que définie par le MRCI, subventionnaire.
D’un autre côté, toujours selon l'intervenante C, ce n'est pas le fait d'être revendicateur qui
devrait être le facteur à considérer pour le jumelage, mais bien le facteur « disponibilité
dans la tête » qui est un facteur important. Parce que, comme elle le rappelle, les
revendicateurs sont aussi à cheval entre deux pays et souvent ce qu'ils ont laissé derrière
eux ce n'est pas « jojo » . L'intervenante G précise que ce manque de disponibilité des
revendicateurs peut faire échouer le jumelage : « J'ai un jumelage qui n'a pas fonctionné à
cause de ça » souligne-t-elle. Car si le jumelé québécois apporte un soutien moral au
revendicateur en attente de statut, la situation de ce dernier crée chez le jumelé une certaine
inquiétude. Et ces moments de vide ou de trop plein suscitent chez le jumelé d'accueil une
certaine perplexité, car il ne comprend pas le motif de ces « absences » de son jumelé
immigrant.
Ainsi la stratégie de l'accommodement/transgression est utilisée dans le cas des
revendicateurs. Cette stratégie est appliquée selon différentes normes et différents motifs et
emprunte diverses voies. Par exemple, l'intervenante G ajustera ses interventions selon les
difficultés rencontrées; dans ce cas, les critères du ministère ne sont pas du tout pris en
82 Dans les faits un peu plus de 40% des demandeurs d'asile sont acceptés
261
compte. À l'automne 96, l'intervenante G disait : « J'essaie de ne pas prendre de
revendicateurs (...), ce sont des gens qui commencent à s'installer, qui ne sont pas à l'aise,
qui sont encore avec ces problèmes, ils ne peuvent s'épanouir comme les autres qui sont
déjà établis; qui à la , maison parlent français, cherchent un emploi » . Quelques mois plus
tard, en février 1997, cette même intervenante disait : « Les revendicateurs, je m'en fiche,
(de l'interdiction du ministère) je les jumelle. » Et l'intervenante le fait malgré que le
directeur lui dise : « Essaie de ne pas jumeler des revendicateurs. » À l'automne 1997,
changement d'attitude de l'intervenante : celle-ci nous confie qu'elle ne veut plus jumeler
les revendicateurs parce qu'avec eux « c'est trop difficile. » Ce trop difficile signifie que
certains jumelages ont mal fonctionné, se sont mal terminés notamment parce que le
revendicateur n'est pas disponible. L'intervenante G revient alors à l'analyse qu'elle en
faisait en 1996, c'est-à-dire qu'elle essaie de ne pas inscrire les revendicateurs. Ce va-et-
vient entre l'inclusion et l'exclusion des revendicateurs au sein du programme jumelage
révèle la tension à laquelle est soumise l'intervenante G, confrontée en même temps à
vouloir répondre aux besoins humanitaires des revendicateurs et aux besoins relationnels
des jumelés québécois. Parfois les besoins humanitaires ne correspondent pas aux besoins
relationnels parce que le jumelage est appréhendé dans une perspective d'échange et de
reconnaissance et dans une atmosphère détendue alors que le revendicateur est préoccupé
par sa propre situation, en attente de reconnaissance de son propre statut. Le MRCI ne
subventionne pas les services rendus, outre le logement, aux revendicateurs. L'organisme
communautaire qui répond aux besoins des revendicateurs de statut assume la
responsabilité de donner des services à cette « clientèle » en accord avec sa mission
humanitaire et communautaire. Ce faisant, il court le risque de surcharger ses intervenantes.
Toutefois, dans ce cas-ci, ce n'est ni la raison humanitaire, ni la raison politique qui semble
être en cause, mais une situation conflictuelle liée à l'état de revendicateur qui dépasse la
politique et l'humanitaire. Une situation qui demande une attention particulière si on vise le
dénouement, la diminution des tensions engendrées par la problématique du sujet, la
situation d'être revendicateur. La stratégie adoptée par l'intervenante G est celle de
l'accommodement/dissimulation : « Parfois je le dis, parfois je ne le dis pas qu'ils sont
revendicateurs, pour ne pas choquer, ne pas brusquer, ne pas faire peur, mais dire assez
pour mettre la puce à l'oreille, pour sensibiliser, je dis aux Québécois : ils sont entrain de
faire leurs démarches, parfois ils sont angoissés. »
262
Est-ce que dire « ils sont revendicateurs » pourrait faire en sorte que personne ne voudrait
être jumelé avec eux ? C'est une possibilité, et cette crainte pourrait être liée, selon nous, à
l'incompréhension chez les Québécois de la situation qui porte le revendicateur à fuir son
pays et à demander un statut de réfugié. Cette incompréhension fait naître la crainte, qui
elle est alimentée par les préjugés véhiculés par les médias qui associent souvent réfugié et
extrémiste. La stratégie adoptée par l'intervenante G en est une de non confrontation des
représentations, de non-dévoilement de la réalité, stratégie de la dissimulation pour que
l'objectif de faire un jumelage soit atteint.
Les intervenantes B et C adopteront une autre stratégie celle de la mention, du dire. Elles
mentionnent aux jumelés que chaque parcours migratoire imprègne la relation du jumelage
d'une certaine atmosphère, et elles révèlent l'impact des choix ou des non-choix
migratoires. Elles questionnent même parfois les objectifs tels que proposés dans le cadre
du jumelage. En ce qui concerne le jumelage avec des réfugiés qui ont fui la guerre et aussi
avec les revendicateurs, cette sensibilisation à la réalité du parcours migratoire pourra avoir
un impact dans « l'échange culturel » Car comme le souligne l'intervenante C : « : Quand
on propose aux émigrants de faire découvrir leur pays et leur culture et qu'eux ils ne veulent
plus entendre et surtout ils ne veulent pas parler de leur pays, il peut y avoir une frustration
de la part du jumeau québécois si telle était sa motivation à être jumelé. »
Par ailleurs, le fait d'être revendicateur, le fait d'être dans une situation de rupture, de
séparation, d'exil, d'attente d'une décision qui déterminera le parcours de vie à venir,
complexifie le déroulement de la relation de jumelage. Parce que, comme le rappelle
l'intervenante C : « Le revendicateur, parfois il est pris dans la situation de revendication ou
bien de refus si on ne l'a pas admis, ce qui fait qu'il vit beaucoup de problèmes. » Cette
situation fera « que la personne ne respectera pas les rendez-vous ou alors qu'elle ne
communiquera pas beaucoup avec l'autre personne », précise l'intervenante G. Alors que
l'autre, si elle est jumelée, poursuit l'intervenante C, « c'est pour avoir un contact, c'est pour
parler, c'est pour discuter... »
Parmi la « clientèle » immigrante de l'organisme I, 25% sont des revendicateurs, cette
clientèle est non-admissible au programme de jumelage. Comme les autres acteurs des
organismes de service aux nouveaux arrivants, les intervenantes et la directrice occupent
263
des espaces de transgression face au principal bailleur de fonds qu'est le MRCI. De même
fait l'intervenante H qui ajoute :
Parfois je ne suis pas les critères du ministère, les revendicateurs ça n'entre pas dans les
statistiques, mais ça n'empêche pas que moi je jumelle des revendicateurs. La plupart qui
viennent ici au cours de français, la plupart ce sont des revendicateurs, et ces personnes
veulent s'intégrer, donc pourquoi on ne peut pas leur offrir le jumelage ?
Selon l'intervenante H, la différence entre les indépendants et les réfugiés se situe au niveau
du projet d'immigration. « Les revendicateurs, on les accepte et ceux-ci sont nombreux à
l'organisme. »
D'autres intervenantes se plient aux règles gouvernementales tout en adoptant différentes
stratégies d'action. À l'organisme E, l'intervenante déplore que « les femmes doivent avoir
le statut, on ne doit pas les accepter si elles sont revendicatrices, ça me touche (...), elles ont
besoin, car l'intégration est plus lente. » (intervenante E.) Comme certaines de se collègues
en jumelage, l'intervenante I répond à l'entente avec le ministère en faisant le nombre
demandé de jumelages admissibles, puis elle jumelle les non-admissibles. Celle-ci souligne
des points extrêmement positifs propres à ce type de jumelage, telle la joie partagée par le
jumelé d'accueil lors de l'acceptation de la demande de statut de réfugié de même que sa
prise de conscience de la complexité de la situation du revendicateur. L'intervenante I dit :
« Ils (les jumelés d'accueil) vont me demander comment il se fait qu'ils ne vont pas leur
donner leurs papiers » . Ainsi pour contrer la méconnaissance des faits reliés à
l'immigration, les jumelés seront invités à assister à des ateliers sur, entre autres, le droit à
citoyenneté, le parrainage et le processus de revendicateur.
L'intervenante C adopte, quant à elle, une stratégie pour pallier le manque d'échange afin de
diminuer la frustration du jumelé d'accueil. Elle donne de la documentation sur le pays et
sur la communauté ethnique d'ici, tout en étant consciente comme elle le dit « que ça ne
remplace pas le discours, la représentation que pourrait en donner celui qui vient d'ailleurs
» , celui qui y a vécu, qui y a grandi : « J'essaie de la combler, mais je ne la comble pas
complètement. », précise-t-elle. De plus l'intervenante considère qu'il y a un risque à trop
pallier, celui de tomber dans les préjugés. Mais l'intervenante C considère les jumeaux
québécois qui sont confrontés à cette situation, respectueux de l'émigrant et de ce qu'il vit.
264
Cette constatation est le fruit de quelques évaluations : « J'ai écouté dire des aînés, bon ils
souhaiteraient qu'il leur parle plus, mais ils voyaient qu'il faut qu'il fasse son chemin, peut-
être qu'un jour… » Cette attitude compréhensive, empathique permet, selon l'intervenante,
que la relation perdure malgré ses silences. « Sans que ça devienne un obstacle à la relation,
finalement ! » De façon paradoxale, malgré ces difficultés reliées à la situation du jumelé
qui est en attente de reconnaissance du statut de réfugié, l'intervenante I ne voit pas de
différences entre les revendicateurs et les autres immigrants jumelés avec les Québécois.
Outre « le fait qu'ils aient autre chose à faire » déclare l'intervenante, « c'est la même chose
. » Elle nous affirme que les Québécois ne lui donnent que des choses positives comme
feed-back. Et l'intervenante I explique cette situation par le fait que les revendicateurs
gardent le silence sur leur situation. « Leur souci, dit-elle, c'est seulement d'être acceptés,
jamais ils ne vont parler de leurs problèmes. »
Ne faut-il pas se demander si ce silence « plein d'absences », habité par l'anxiété face au
passé douloureux, au présent invivable, et à l'avenir incertain ne pèse pas non plus sur la
relation de jumelage ? Nous nous demandons aussi si « cette autre chose à faire » ne
devrait pas être davantage prise en compte par l'intervenante car celle-ci se traduit en une
non-disponibilité.
L'intervenante H, quant à elle, mentionne la non-logique du système qui offre le minimum
pour que le revendicateur puisse vivre, « plutôt survivre ici », mais qui ne lui permet pas
d'établir de relations humaines. Alors que, selon-elle, 50% d'entre eux sont acceptés. La
logique administrative qui sous-tend cette non logique est dans le fait que c'est le
gouvernement fédéral qui doit débourser pour les revendicateurs puisqu'ils sont sous
responsabilité fédérale, alors que les services d'accueil et d'intégration sont depuis 1991,
suite à l'accord Canada/Québec, sous responsabilité provinciale.
Lors de notre entretien, l'intervenant F nous confiait : « Entre nous (les intervenantes), la
question des revendicateurs, on n'en parle pas ». Ce dernier commentaire fait référence aux
normes prescrites, par le bailleur de fonds et par certains directeurs qui veulent passer sous
silence le fait qu'ils donnent tout de même des services à une clientèle inadmissible, selon
les critères de subventions, donc qui les mettent « hors-la loi » face au bailleur de fonds.
Les intervenantes ne doivent pas s'immiscer dans les normes administratives et les débats
265
politiques. De fait la question des revendicateurs préoccupe les intervenantes, mais étant
donné la situation d'interdiction, elles ont inscrit cette question au dernier rang de leurs
préoccupations en terme de formation, selon un sondage distribué par le Réseau jumelage
en 1998. Ce qui ne signifie pas pour autant qu'elles ne sachent pas que la résolution du
problème demanderait d'autres types d'action, entre autres des formations spécifiques aux
bénévoles et une sélection plus pointue et particulière des jumelés d'accueil qui
démontreraient des compétences essentielles à ce type de jumelage (ex : étudiants en travail
social ou travailleur social), ainsi que des sessions d'information adaptées aux
revendicateurs sur ce qu'est le jumelage, ses apports et ses limites.
8.2. Le lien entre l'intervenante et les jumelés
8.2.1. Des pratiques silencieuses
8.2.1.1. La complicité avec les aînés
Certaines pratiques silencieuses ajoutent à la qualité de l'intervention par la douceur de
l'attention portée à l'autre, la prise en compte attentive de sa réalité. Par exemple,
l'intervenante C tient compte de l'âge de ses jumelés d'accueil et de l'impact de celui-ci sur
leur mobilité; parfois elle va réaliser la première rencontre entre jumelés au domicile de
l'aîné. D'une part, parce qu'elle considère l'âge de l'aîné, d'autre part, parce qu'elle sait que
le fait pour un aîné de recevoir chez lui, « c'est considérable symboliquement, et les
immigrants s'en rendent compte assez rapidement, ici ouvrir sa porte dans une société où la
sphère privée est si importante, ça signifie que la personne a déjà fait un pas vers l'autre. »
Dans ce cas, la règle de l'intervenante, c'est de faire en sorte que ce soit convivial « parce
que c'est très important le premier contact. » Donc si c'est possible, elle tend vers cette
pratique silencieuse qui en est une de sympathie envers les aînés. « Ca veut dire que moi je
cours à gauche et à droite et cela pas nécessairement pendant les heures de travail. » Donc
ce qui pourrait n'être considéré qu'un handicap (la mobilité réduite de l'aîné) se transforme
en un geste au pouvoir évocateur par la symbolique de l'accueil que lui attribuent l'aîné et
l'immigrant. L'intervenante tente aussi de jumeler des résidents du même quartier, par
266
contre, cette préoccupation ne l'empêche pas de jumeler des résidents de quartiers éloignés,
ce qui permet parfois de franchir d'autres types de barrières à l'intégration, des« frontières
symboliques » notamment dans le cas d'un jumelage où l'un réside dans un quartier au sud
ouest de St-Laurent/ l'autre au nord-est de St-Laurent. Le jumelage, en faisant voyager les
jumelés d'un espace géographique à l'autre, en traversant la frontière que représente dans la
réalité et dans l'imaginaire montréalais la rue St-Laurent, aura permis de franchir cette
distance entre deux univers linguistiques, deux héritages socio-historiques, et dans certains
cas deux classes sociales.
Le mélange d'humanisme et de sensibilité va faire en sorte que les intervenantes se sentent
responsables de leurs jumelés avant et au-delà de la relation du jumelage. L'intervenante G
résume ainsi la qualité de ce lien : « Même si je ne le jumelle pas tout de suite, je ne vais
pas le délaisser. (...) Moi je suis toujours à l'affût des demandes. » Les intervenantes
peuvent par ailleurs devenir une source de renseignements pour différents services, par
exemple en ce qui concerne la recherche d'un emploi. Elles peuvent aussi devenir
intermédiaires entre les jumelés, pour qu'ils créent un réseau d'entraide : « C'est de
s'entraider entre eux (...) il arrive que les jumeaux, ils établissent des liens avec d'autres
jumeaux » précise l'intervenante G, mais jusqu'où peuvent-elles multiplier ces « pratiques
silencieuses ? »
Une intervenante résume en ces termes la position de ses paires; celle-ci considère que les
gens « sont responsables de leur jumelage, dans le sens qu'ils doivent s'affranchir de sa
présence. » Si elle est conseillère, si elle est soutien, si elle peut être médiatrice lorsqu'il y a
des incompréhensions, elle souligne qu'il y a des limites à la médiation. Toutefois, ces
limites n'étant pas définies, les intervenantes peuvent être tentées d'outrepasser le rôle de
conseillère en s'introduisant dans l'espace décisionnel qui appartient au jumelé.
Nous mentionnons le cas d'une femme musulmane qui demandait à être jumelée avec un
homme lettré. L'intervenante G lui a bien fait voir que cela pourrait créer des problèmes
dans son couple « il faut que tu préviennes, je l'ai mise en garde, ce sont des musulmans,
mais ça aurait pu être des Québécois.
Cet exemple nous amène à interroger les limites du rôle de conseillère de l'intervenante.
Dans ce cas-ci, c'est le fait que la femme demande à être jumelée avec un homme qui, selon
267
l'intervenante, posait problème. On peut présumer qu'une femme adulte a pesé le pour et le
contre d'une telle décision avant d'en faire la demande et que si sa décision a un impact
dans son couple, c'est à celui-ci qu'il revient de régler les tensions. Même si l'intervenante
peut avoir en mémoire d'autres cas où le fait de réaliser un jumelage « mixte », c'est-à-dire
entre un homme et une femme a pu poser certains problèmes chez le (la) conjoint (e), du,
de la jumelé (e), il nous semble important que les intervenantes soient constamment
vigilantes à respecter la frontière entre conseil et risque d'intrusion dans l'espace de l'autre.
8.2.1.2. La complicité dans le non-dit
Il arrive aussi que l'intervenante G se fasse complice du non-dit. Elle nous a décrit le cas
d'un nouvel arrivant qui désirait être jumelé, mais qui avait peur des préjugés à son égard
parce qu'il est de religion musulmane : « Je suis musulman, mais je ne veux pas être jugé.
», lui aurait-il dit. L'intervenante G accepte d'être son adjuvante, de garder le secret. Elle lui
dit en inscrivant sa religion sur sa fiche d'inscription : « c'est pour moi, c'est pour ma fiche
» tout en le prévenant : « Il va y avoir un moment donné où vous devrez dire que vous
êtes musulman. » Nous nous sommes demandée s'il s'agissait dans ce cas d'une
dissimulation ? Puis il nous a semblé que l'intervenante voulait répondre à la demande du
jumelé, qui craignait le rejet. La responsabilité de dire, de révéler sa religion, revient au
jumelé. L'intervenante G respecte son choix. Il se peut que cette stratégie porte fruit. Il se
peut que le jumelé d'accueil, qui aurait eu peut-être une certaine réticence à être jumelé
avec un musulman, en viendra, avec le temps, avec le développement du lien
interpersonnel, à accepter les convictions religieuses de son jumelé. Connaître c'est
démystifier. Par contre, le jumelé d'accueil qui lui n'a aucun préjugé ou malaise à être
jumelé avec un musulman s'étonnera peut-être du non-dit. Mais n'existe-il pas aussi la
possibilité que le jumelé d'accueil qui aurait des réticences à être jumelé avec une personne
qui pratique une religion en observant certains rituels et normes, se sente trahi, dupé et que
le choc de la vérité crée le ressentiment face à l'autre, face à l'intervenante ou pire le rejet ?
L'intervenante devrait alors vérifier auprès du futur jumelé comment il entrevoit une
268
relation de jumelage avec une personne de religion musulmane afin de prévenir tout risque
de dérapage.
L'intervenante G a adopté la même attitude de complicité dans le non-dit, en ce qui
concerne l'homosexualité. Toutefois, dans ce cas, tout en se faisant complice, elle déclare
ses propres préjugés : «Si tu veux le dire que tu es une tapette, c'est à toi de le dire. »
L'homosexualité est, tout comme la question de la santé mentale, un aspect délicat du
jumelage; délicat parce que face à ces deux problématiques les intervenantes n'ont pas
l'impression d'avoir les compétences requises pour intervenir adéquatement. En ce qui
concerne l'homosexualité, les intervenantes se posent des questions sur le dire et le non-
dire, sur les limites de leurs responsabilités, sur le rôle d'intermédiaire qu'elles doivent
assumer auprès des jumelés qui leur confient leur orientation sexuelle. En ce qui a trait à
celle des femmes, Daignault (1996), dans son rapport, fait référence au lesbianisme : il en
ressort que certaines Québécoises le disent ouvertement lors des entrevues de sélection,
alors que les immigrantes émettent pour leur part des réticences, voire leurs objections, à
être jumelées avec des femmes lesbiennes. Daignault écrit : « Lorsque nous leur posions la
question : "Y a-t-il des personnes avec qui vous ne voudriez pas être jumelées ?" La
réponse la plus fréquente était "des lesbiennes." « Cette fermeture, poursuit Daignault,
s'explique par des facteurs d'ordre culturel et par un manque d'information. » Craignant des
heurts ou même des expériences de rejet, les intervenantes de cet organisme ont employé
diverses stratégies : jumeler une femme qui dit son homosexualité avec une femme ouverte
d'esprit ou face au non-dit, demander l'orientation sexuelle en précisant le contexte de la
demande, provoquant souvent malaise ou même heurt. Daignault écrit : « Nous étions donc
devant un problème d'éthique quelque peu difficile à résoudre. » Les intervenantes
entrevoyaient deux possibilités : l'approche directe qui consiste à demander l'orientation
sexuelle, au risque de heurter ou l'évitement qui fait en sorte de ne pas en parler afin de ne
pas risquer le bris de certains jumelages ou de ne pas provoquer l'exclusion des lesbiennes.
Après avoir demandé l'opinion de lesbiennes déclarées, les intervenantes ont alors réalisé
que la façon d'être et de faire variait d'une femme à l'autre. Certaines lignes de conduite
furent ainsi statuées : lors des entrevues de sélection, la question ne serait plus abordée de
façon directe, mais l'attention aux signes d'intolérance serait maintenue. Dans le but de
réduire les risques de bris de jumelage, les intervenantes informaient les participantes
269
québécoises de l'attitude de la majorité des immigrantes concernant l'homosexualité.
Daignault dit : « Nous avons fait l'hypothèse que si les lesbiennes ne s'affichaient pas
comme telles lors des entrevues de sélection, il y avait de fortes chances qu'elles n'ouvrent
pas sur le sujet avec leur jumelée, à moins que le développement d'un lien de confiance
vienne à permettre suffisamment d'ouverture pour qu'elle puisse finalement aborder ce
sujet. » Un peu plus loin, Daignault ajoute : « Depuis la mise en place de ces lignes de
conduite, aucun incident de rejet ou d'intolérance n'a été signalé en regard de participantes
lesbiennes. Nous croyons que l'information et la sensibilisation lors des entrevues de
sélection suffisent à éviter des situations de discrimination se rapportant à l'orientation
sexuelle et des atteintes à la vie privée de certaines femmes. » (1996:57-58).
La problématique de l'homosexualité masculine liée au jumelage a été soulevée au Réseau
jumelage. Un atelier discussion sur cette question a eu lieu en février 2001. Les
intervenantes ont souligné le fait que demander l'orientation sexuelle des gens soulève un
problème d'éthique et que de plus cela allait à l'encontre de la Charte des droits et libertés.
Suite à la discussion, les intervenantes ont proposé quelques stratégies : donner de façon
systématique une feuille aux futurs jumelés sur ce qu'est et ce que n'est pas le jumelage,
clarifier les attentes, clarifier les responsabilités des uns et des autres, faire des mises en
situation préventives pour vérifier le degré d'ouverture, par exemple, un homme est-il à
l'aise d'envisager aller au cinéma ou au restaurant avec son jumelé ? Mais comme l'a
souligné une intervenante, malgré toutes les mesures prises pour ne pas qu'il y ait «
d'élément surprise », « on ne peut tout contrôler, car ce sont des relations humaines. »
Celle-ci indique ainsi la limite de son rôle d'intermédiaire et la part de responsabilité qui
incombent aux jumelés. Les intervenantes reviendront en Réseau à l'automne 2001 pour
évaluer la mise en pratique de ces stratégies.
270
8.3. La rencontre interculturelle
8.3.1. Lieu des chocs culturels
Le jumelage, lieu par excellence de chocs culturels, peut amener les personnes qui s'y sont
engagées à prendre de la distance par rapport à leurs valeurs et à les relativiser; ce qui ne
veut pas dire, selon l’intervenante C que les préjugés disparaissent comme par
enchantement, « mais ça permet d'avoir une perception moins catégorisante, plus
individualisée, donc plus nuancée. » L'intervenante B cite un couple pour qui l'expérience
de jumelage aurait permis un changement au niveau des préjugés : « Ils ne disent plus les
Noirs sont comme ci, comme ça, mais ce jeune est comme ça et ce n'est pas parce qu'il est
noir... » Le jumelage permettrait ainsi d'individualiser l'autre.
L'intervenante B se rend compte qu'en étant dans ce milieu-là, la connaissance ou la
perception des différences culturelles ou de l'intégration des gens « c'est à différents
niveaux » . Pour elle, l'interculturel est un aspect, « ça dépend comment la personne est
consciente du trajet migratoire; l'interculturel c'est l'œil de l'autre. »
D'ailleurs, certains préjugés tenaces ou certaines habitudes, jugements ou comportements
bien ancrés dus, entre autres à l'âge, pourront devenir un obstacle à la poursuite de la
relation ou pourront rendre l'atmosphère de la relation plus tendue. L'intervenante C
remarque : « Il peut y avoir un très beau discours intellectuel sur la tolérance et tout ça,
mais quand tu te trouves face à l'autre, c'est plus dans les tripes que ça se passe. »
Comme dans toute forme de rencontre, et ça se révèle peut-être de façon plus évidente lors
de la rencontre interculturelle, l'autre peut-être stigmatisé au moindre « incident critique » à
sa condition première d'étranger. Étranger donc différent de soi, différent de soi parce
qu'autre; cette condition d'être différent est alors considérée comme étant une prédisposition
à certains agirs.
271
Comme le souligne l'intervenante C, l'incident critique peut faire basculer dans le
renforcement du préjugé ou au contraire faire en sorte que celui-ci sera déconstruit. La
personne âgée sera peut-être davantage interpellée, car elle devra remettre en question des
conceptions acquises au fil des ans qui sont solidement ancrées en elle et profondément
assimilées. L'intervenante C mentionne le cas d'une dame âgée, confrontée à plusieurs
chocs culturels en même temps, qui a réussi à dénouer l'impasse grâce à l'affection qu'elle
portait à l'enfant de sa jumelée. La tension était à ce moment là dans le devoir poursuivre la
relation, et l'enjeu tournait autour du vouloir/non pouvoir.
L'aînée était prise dans un dilemme. Elle devait aider l'immigrante et sa fille parce que
celles-ci vivaient dans une situation de pauvreté et l'aînée ne peut accepter que des
personnes à qui elle voue de l'affection puissent vivre dans cette condition; l'aînée était
indignée, voire choquée, par l'insalubrité des lieux où vivait l'immigrante. Cette tension
amena l'aînée à une prise de conscience de l'engagement affectif et de la responsabilité du
lien. Le choc venait aussi du fait que celle-ci prenait conscience qu'elle était liée
affectivement à des gens d'une autre condition sociale : vouloir aider l'immigrante, mais
non pouvoir parce que confrontée au choc de la pauvreté et de l'insalubrité (présence de
coquerelles) qui lui inspirent peur (liée à la méconnaissance des modes de propagation et à
la crainte d'en avoir chez elle). L'aînée était paralysée devant cet état de fait : rendre visite à
ses jumelés là où il y a des coquerelles ou leur dire de lui rendre visite avec le risque
appréhendé qu'elles en transportent avec elles. La présence de coquerelles est associée à la
saleté des occupants, association qui réactive le préjugé Noir = pauvre = saleté = rejet.
L'aînée a ressenti alors un sentiment d'impuissance devant une situation qui semblait être
sans issue, elle est allée chercher l'aide de l'intervenante. « Il y avait plusieurs chocs en
même temps en termes de prise de conscience », de préciser l'intervenante C : « À un
moment donné, ça a renforcé les préjugés qu'elle avait sur les Noirs, puis elle a vu que sa
jumelée n'était pas responsable de l'état des lieux. » L'intervenante est alors intervenue en
demandant à la jumelée si elle voulait, pouvait déménager (il s'est avéré qu'elle a
déménagé) tout en disant à l'aînée qu'elle avait la responsabilité de régler avec sa jumelée la
question de ses préjugés et sa phobie des coquerelles. « Ça a failli basculer dans le
renforcement du préjugé et puis finalement ça a été cassé. », conclue l'intervenante.
272
La sympathie que celle-ci ressent envers ses jumelés lui permet d'établir un lien de
confiance nécessaire à la position de médiatrice qu'elle doit adopter afin de dénouer la crise
dans des cas aussi critiques (entretien de validation, mars 1998). Comme nous l'avons
souligné précédemment, le lien social, lien primaire, que l'intervenante a à maintenir avec
les jumelés priment sur le lien formel secondaire défini par son statut professionnel. Ainsi,
c'est par sa qualité d'artisane du lien social, qui implique entre autres sa facilité d'être
créatrice, médiatrice et « agente de liaison » (M. de Certeau, 1983, cité dans Lavoué 1986)
que l'intervenante fera reconnaître ses compétences professionnelles et sera appréciée des
jumelés.
Le fait aussi qu'elle offre aux jumelés dès le départ, dès la première rencontre sa
disponibilité lorsqu'ils ressentent le besoin de parler de certaines difficultés ou autres
permet d'établir ce lien de confiance. L’intervenante C devient ainsi une adjuvante dans
l'atteinte de l'objectif qu'est le rapprochement dans la rencontre interculturelle, mais parce
que la relation est un processus, surviendront d'autres difficultés, d'autres préjugés.
L'intervenante B cite le cas d'un rendez-vous manqué qui a réanimé le préjugé : rendez-
vous manqué = immigrants nonchalants, insouciants. « Parce que le jumelage, rappelle
cette dernière, est une relation en développement avec ses hauts et ses bas, c'est un espace
fragilisé, c'est une relation qui est exigeante . »
Les points de convergence entre les jumelés, « tout en nuançant » souligne l'intervenante C,
se révèlent être des facteurs de réussite pour le jumelage intergénérationnel. Ces points de
convergence sont entre autres certaines valeurs communes telles l'importance accordée à la
famille et à la religion dans la vie des nouveaux arrivants et des aînés. Ce que les
intervenantes apprennent ou plutôt redécouvrent à chaque fois, c'est que jamais rien n'est
acquis une fois pour toutes, comme le souligne l'intervenante C :
Le jumelage comme tout le débat interculturel est ambigu et cette ambiguïté tu vas la
retrouver au niveau des individus. C'est tout le grand débat interculturel au Québec... et
c'est peut-être la chose la plus concrète, le jumelage, et c'est tout le grand débat... au niveau
des individus... il n'est pas clos..., mais les intervenantes sont confrontées à ça par rapport
aux contraintes, au temps.
273
8.3.2 Améliorer la connaissance de l'autre par : la formation
Les intervenantes de deux organismes (D et H) demandent aux Québécois d'assister à une
réunion de témoignage avant le jumelage et on leur offre la possibilité d'assister par la suite
aux réunions de témoignage-formation.
Les autres organismes donnent des formations ou cafés-rencontre aux jumelés nouveaux
arrivants et Québécois. Les rencontres portent soit sur le phénomène migratoire et les
étapes d'intégration, soit sur un pays et sa culture ou sur le profil d'une communauté
culturelle à Montréal, soit sur un aspect de l'interculturel ou sur les services donnés par
l'organisme.
L'intervenante B se rend compte, en étant dans ce milieu-là, que la connaissance ou la
perception des différences culturelles ou de l'intégration des gens se retrouve à différents
niveaux. Pour elle, c'est un gros défi et elle tient à le dire : «Si le gouvernement croit que
c'est facile avec les immigrants, qu'on s'entend super bien eh ! bien ils sont à côté de la
track ! »
Au moment de l'entrevue, l'intervenante B réfléchissait à savoir si elle allait inviter tous les
jumelés immigrants et Québécois à débattre de certains thèmes, par exemple l'intégration :
« Je ne suis pas sure que l'immigrant ça va l'intéresser d'intellectualiser ce qu'il vit tous les
jours. » L'intervenante offre depuis des soirées thématiques interactives où il y a
présentation d'un sujet : sur l'histoire de l'immigration au Québec et d'autres politiques
d'immigration dans d'autres pays, sur les défis de l'immigration, sur les différents statuts et
leur impact sur la vie des nouveaux arrivants au Québec. La préoccupation de l'intervenante
est « de donner la parole aux gens », de les rendre sujets, dirons-nous. « Quand on est trop
formel, précise l'intervenante B, les gens ne vont pas trop s'exprimer. » Nous avons assisté
à la première rencontre; les jumelés (une dizaine) ont semblé apprécier ce type de rencontre
où ils ont l'occasion d'apprendre et en même temps de témoigner; le don/contre-don, la
rencontre avec l'autre a vraiment lieu. Ce type de soirée semblait être un lieu privilégié de
rencontre entre les citoyens de différentes origines aux parcours de vie différents et
274
contribuait par le témoignage d'expériences de vie et par la conscientisation de la
problématique de la diversité à l'intégration d'une société plurielle. Force est de constater
que notre enthousiasme était par trop subjectif de même que la formule peut-être pas tout à
fait adéquate puisque la deuxième soirée prévue a été annulée : une participante a dit que
c'était trop théorique, d'autres étaient non-disponibles. L'intervenante a par la suite intégré
la rencontre à la fête de Noël.
Pour sa part, l'intervenante C ne croit pas aux formations formelles avant le jumelage,
formations au cours desquelles on transmet beaucoup d'informations en guise de mise en
garde ou de renseignements sur le type de difficultés que les jumelés d'accueil pourraient
rencontrer. « Moi je trouve que l'interculturel, c'est dans l'action (...) dans le jumelage on est
dans le savoir-être. » Si elle donnait une formation structurée, ce serait concernant le choc
culturel, mais tout en disant cela, l'intervenante C souhaite que « les jumelés eux-mêmes
deviennent les porteurs du projet. » Tout comme l'évaluation, elle dit faire une formation
au cas par cas lors des rencontres individuelles. Elle dit exercer plutôt de la « réduction
d'inquiétude » lorsqu'elle rencontre le futur jumelé seul à seul ou lorsqu'elle a un contact
téléphonique avec lui. Ainsi tente-elle de conseiller et d'amener le jumelé à relativiser son
point de vue, à ouvrir son angle de perception : « Ils interprètent ça comme ça et je leur dis
et si vous, vous regardiez ça comme ça. »
Par ailleurs, la formation aux jumelés, notamment lorsque celle-ci est donnée par une
consultante et porte sur des zones sensibles, telle que celle des rapports homme/femme,
peut être bénéfique pour les intervenantes. Tel fut le cas pour l'intervenante F qui,
déstabilisée, confrontée à une remise en question d'une des
« images guides » (Chombart de Lowe, cité par Cohen -Émerique, 1993) de la société
québécoise, la relation homme/femme et l'autonomie de la femme, a trouvé dans la
formation une façon de sortir du traumatisme. Ce traumatisme était lié à la confrontation
des notions de liberté/ non-liberté, d'autonomie/ de non-autonomie. L'intervenante a alors
analysé son sentiment de menace face à son propre espace de liberté : « Moi c'est venu
m'aider dans mon intervention. » L'atelier qui est conçu au départ pour les jumelés devient
ainsi un outil pour l'intervenante. La consultante a aussi réconforté l'intervenante dans son
rôle « d'interprète de sa culture. »
275
Il n'y a donc pas consensus parmi les intervenantes sur d'une part la nécessité de former les
jumelés et d'autre part sur la nécessité de les former avant leur implication effective dans le
jumelage. De plus la tendance irait davantage sur l'utilité de donner des formations à propos
du savoir-être plutôt que sur le savoir-faire.
8 3.3. L'interculturel et les zones d'incertitude dans l'intervention
La principale incertitude réside, selon l'intervenante B, dans l'évaluation du caractère de la
personne :
Si j'évalue mal le caractère de la personne, s'il y a une crise, une situation où à cause d'un
contretemps, un retard ou... est-ce que la jumelée va prendre ça personnel ou si elle va faire
de la projection…,les préjugés et les généralisations de comportements pourront alors
ressortir.
Cela est arrivé dans un cas où, selon l'intervenante, la jumelée québécoise a réagi en
disant : « Elle n'a pas l'air intelligent, cette culture là c'est tous des voleurs, des bandits. » La
première attitude de l'intervenante B dans cette situation a été d'essayer de comprendre le
pourquoi : « La personne est déjà jumelée dans un autre organisme, c'est son troisième
jumelage, c'est comme trop, je pense (...) la journée d'avant, elle avait raté un autre rendez-
vous avec un autre… » Dans ce cas, il y a eu lieu de questionner le trop d'implication d'une
personne « bénévole » et une incapacité de prendre une distance face à un incident critique.
Tenter de cerner le pourquoi a conduit l'intervenante à l'autocritique de son propre
comportement. L'intervenante B estime qu'elle aurait dû s'informer auprès de l'autre
organisme qui avait jumelé cette personne.
La deuxième attitude que la situation de crise a provoquée chez l'intervenante c'est le
questionnement sur son rôle. Celle-ci entrevoit trois attitudes possibles ou trois voies
possibles : la première consiste à dépasser son rôle d'intervenante en prenant aussi le rôle
d'éducatrice, ce qui correspond à intervenir à long terme :
276
Est-ce que je m'investis à faire de l'éducation interculturelle, est-ce que ça vaut le coup
d'expliquer à cette personne là, est-ce que ces gens là vont changer ou est-ce quand va
arriver un pépin, elles ne vont pas tout de suite ressortir leur vision des choses, vont écraser
la personne, faire des dommages au niveau psychologique, je ne sais pas, je n'ai pas le goût
de risquer, les gens sont assez fragiles quand ils arrivent ici (...) Et est-ce qu'elle a
l'ouverture d'esprit d'écouter ce que j'ai à dire ? Dans mon for intérieur c'est non. J'ai essayé
de lui parler un peu, de lui signaler que dire de l'autre qu'elle n'était pas trop intelligente…
mais je trouvais l'écart, pour en arriver à une entente, trop grand, pour en arriver surtout à
une confiance (...) j'aimais mieux tout de suite arrêter le jumelage.
La deuxième voie consiste à continuer d'agir selon les normes de l'organisme, ce qui
correspond, selon nous, à de la non-intervention : « Est-ce que je dis à la personne que je la
mets dans la filière ? » Les intervenantes, selon l'explication de l'intervenante B, mettent les
gens dans la filière 13, la filière des cas problèmes, lorsqu'elles jugent qu'ils manquent
d'ouverture d'esprit, à cause de leur tendance à vouloir imposer leurs valeurs ou parce qu'ils
ont des « préjugés gros comme le bras. » Ces personnes ne concordent pas avec la
philosophie du jumelage. L'intervenante opère donc une sélection, elle sépare l'ivraie du
bon grain. Et que disent les intervenantes à ces gens lorsque ceux-ci leur téléphonent ? Ils
leur répondent « qu'ils n'ont pas encore trouvé une personne qui correspond à ce qu'il
demande » dit l'intervenante B.
La troisième voie possible est le rapport direct, la transparence, l'intervention sur le vif, au
moment présent, intervention qui pourra avoir des effets à court et à moyen terme.
L'intervenante B se demande alors : « Est-ce que je lui dis : votre façon, ce que "vous
m'avez dit ne rentre pas vraiment dans la philosophie du jumelage" »
Cette troisième voie est en accord avec les convictions de l'intervenante : « Moi je juge le
commentaire de la bénévole inacceptable, moi j'aurais le goût de lui dire : écoutez, les
propos que vous avez tenus ne cadrent pas avec la philosophie du jumelage. » Deux
intervenantes de l'organisme lui ont dit qu'elles partageaient cette option.. Elle a donc
demandé conseil à la directrice. La directrice lui a fait une mise en garde. Elle lui a rappelé
le fait que la dame soit déjà jumelée ailleurs, qu'elle ne semble pas avoir eu de problèmes.
La bénévole, lui signale la directrice, pourrait dire pour qui elle (l'intervenante) se prend : «
277
Je suis déjà jumelée et ça fonctionne ! » La directrice lui suggère plutôt de répondre à la
dame : « Le profil que vous nous demandez est trop pointu, ça ne correspond pas à notre
programme. » Ce qui se rapproche, selon nous, plus ou moins à de la non-intervention, à
une politique du laisser-faire pour ne pas confronter, entrer en situation conflictuelle avec la
bénévole de même qu'avec, peut-être, une intervenante en jumelage d'un autre organisme
communautaire.
Finalement, l'intervenante s'est fiée à son propre jugement, à sa propre intuition, elle a dit à
la bénévole qu'elle ne convenait pas et la dame a reconnu que c'était vrai. L'intervenante B
se dit fière de sa décision83. Cette situation amène l'intervenante à réfléchir sur le comment
prévenir à l'avenir ce genre de situation. Elle en a parlé à une autre intervenante du Réseau.
Cela la porte à une autocritique de l'évaluation qu'elle a faite des compétences de la
bénévole. L'évaluation d'alors était basée sur le « vu qu'elle était déjà jumelée, tout allait
bien ». Cette situation critique l'a conduite à ré-évaluer ses outils de sélection et à en
proposer de nouveaux. C'est ainsi qu'elle projette de faire des mises en situations avec les
bénévoles lors de la rencontre d'évaluation.
La relation d'individu à individu, pour l'intervenante B, c'est un moyen privilégié d'intégrer
les gens. Elle croit en ce programme individualisé qu'est le jumelage bien qu'elle soit
consciente que pour le gouvernement c'est difficile d'avoir des programmes individualisés :
« Mais là, on a une chance d'aller chercher ce désir d'individu à vouloir prendre la main de
quelqu'un d'autre et puis de lui montrer certaines choses et d'essayer de mettre la perception
des choses à un niveau de compréhension commune, quand on dit partager les valeurs
communes, bien, il y a des moyens et je pense que c'est un moyen intéressant. »
Cette démarche épistémologique, cette réflexion sur la théorie en lien avec la pratique
conduit l'intervenante B à constamment analyser les actes qu'elle pose. Ainsi, en tant
qu'intervenante, celle-ci est ce que Schön (1995) qualifie de « générateur de connaissances
», une praticienne qui confronte le savoir dans l'action, le « knowing » avec le « not
knowing » Portée par le doute, l'intervenante reconsidère ses actions, les analyse pour, dans
83 A partir de cet événement, elle croit qu'il y aura à l'organisme des soirées d'éducation interculturelle. En mai
98- il n'y avait pas encore de soirée interculturelle comme telle mais toujours des ateliers d'échange
information-discussion sur différents thèmes
278
le cas échéant, en proposer de nouvelles. Dans ce cas, cette manière d'être peut avoir
plusieurs causes, être reliée à la personnalité de l'intervenante, au court laps de temps passé
à son emploi, ce qui peut être producteur d'anxiété, de doute et de remise en question, et à
sa formation scientifique qui l'a habituée à prendre une certaine distance critique face aux
faits et à questionner leur pertinence.
Ainsi les intervenantes sont conscientes qu'elles doivent non seulement puiser à même leur
« fond de compétences », mais ajouter de nouveaux savoir-faire à leur intervention si elles
veulent que la relation du jumelage non seulement ait lieu, mais évolue dans les meilleures
conditions possibles. Elles ont la conviction que la réussite de l'intégration est liée à la
qualité des liens interpersonnels que l'immigrant développera avec des citoyens de la
société d'accueil. Nous verrons dans le chapitre suivant que le processus du suivi, en tant
que consolidation du lien, est donc fondamental dans le cadre de l'intervention jumelage.
En effet, les défis que ce processus pose aux intervenantes se révéleront être au cœur de
leurs préoccupations.
279
CHAPITRE IX
Le suivi et l'évaluation des jumelages
9.a. Sommaire
Les intervenantes tentent de trouver divers moyens pour maintenir un lien avec les jumelés.
Les activités de groupe ou activités collectives (9.1) tout en permettant aux jumelés de
développer un sentiment d'appartenance à une organisation, donnent l'occasion aux
intervenantes de s'enquérir de la dynamique des jumelages et ainsi d'aller chercher une
certaine reconnaissance de leur travail. Toutefois le processus du suivi présente certains
défis (9.2) : le temps est sans doute le premier élément, mais au-delà du manque de temps,
les intervenantes se questionnent sur comment maintenir un lien avec les jumelés alors que
ceux-ci vivent la relation de jumelage en dehors de l'organisme, donc sans la présence de
l'intervenante. Les intervenantes peuvent-elles ou doivent-elles intervenir sans que cela soit
de l'ingérence? L'importance du suivi (9.3) serait dans le fait que celui-ci est révélateur des
tensions que peuvent vivre les jumelés, de même qu'il permet à ces derniers d'exercer un
regard critique à la fois sur leur relation et à la fois sur le programme. Le suivi en tant que
processus intégré à la démarche du jumelage fait appel à la notion de responsabilité de
l'acte, à la notion de l'engagement (9.4). Les jumelés sont-ils conscients de leur
responsabilité l'un envers l'autre, de leur responsabilité envers l'intervenante, envers
l'organisation? Les intervenantes ne devraient-elles pas assumer un rôle d'intermédiaire
lorsqu'il y a volonté de mettre fin à la relation et ce faisant redonner à l'acte du jumelage
une dimension collective ? L'inclusion de cette dimension permettrait peut-être de pallier la
faible expression de celle-ci en cours de relation.. L'évaluation du jumelage (9.5)est par
ailleurs un élément manquant à tout le processus.
280
9.1. Le suivi informel au cours des activités de groupe
Tous les organismes offrent des activités collectives, sorties culturelles et de loisirs. Celles-
ci permettent aux jumelés de se rencontrer et donnent l'occasion aux intervenantes de faire
un suivi informel.
Comme nous l'avons écrit, les jumelés jugent les activités de groupe nécessaires84 « parce
qu'elles sont un lieu d'échanges et d'expériences; parce qu'elles donnent accès à d'autres
cultures, à d'autres jumeaux, parce qu'elles permettent de développer un sentiment
d'appartenance. » L'intervenante C, comme la majorité des intervenantes, croit au bien-
fondé de ces activités collectives : « ce qui caractérise le jumelage, précise-t-elle, c'est que
toi en tant qu'intervenante en jumelage, tu es très liée aux gens, je pense que si tu ne peux
pas faire ça... » L'intervenante rejoint ici les préoccupations manifestées par ses collègues.
La difficulté réside ici pour l'intervenante à créer un lien personnel au-delà de la fonction
intervenante, et de réussir à ce que ce lien de confiance et d'affection se concrétise par le
biais de l'organisation communautaire. Les individus jumelés dépassent alors l'espace de la
relation interpersonnelle pour réinvestir l'espace de la solidarité, espace partagé
collectivement, espace qui redonne un sens à l'engagement, en le rendant social. Ainsi
l'intervenante reçoit la reconnaissance de son travail, l'assurance du bien fondé de son
intervention et une évaluation de sa qualité.
Lors de ces soirées, les intervenantes s'aperçoivent que le suivi peut leur dévoiler les non-
dits des relations de jumelage. C'est lors d'une de ces activités qu'une intervenante a pris
conscience qu'une immigrante était jumelée avec une personne qui parlait français, mais
dont la langue maternelle était l'anglais. Ces jumelées ne s'étaient pas revues depuis un an
et demi; l'immigrante lui confia alors qu'elle désirait être jumelée de nouveau, mais cette
fois avec une francophone.
84 Même si celles adressées spécifiquement aux jumelés sont peu nombreuses dans certains organismes,
compte tenu de la non-disponibilité de l'intervenante.
281
9.2. Les défis reliés au suivi
En 1996-1997, l'intervenante D décrit ainsi les difficultés vécues par les nouveaux
arrivants, les bénévoles et intervenantes dans le cadre du projet jumelage. Elle déplore le
manque de persévérance pour bâtir une amitié malgré les différences. Elle dit la difficulté
de découvrir les véritables motivations des bénévoles et des nouveaux arrivants et elle
dénonce le manque de temps pour assurer un suivi régulier qui pourrait développer des
liens solides de confiance :
Ce n'est pas tant de faire du jumelage pour du jumelage, c'est de consolider tout ça, et de
faire le suivi pour que les personnes qui sont dans le jumelage soient comme des témoins,
pour qu'elles apportent quelque chose aussi dans leur entourage .
L'intervenante de l'organisme F est consciente qu'il faut améliorer les outils en ce qui
concerne le suivi et l'information à donner lors de la sélection. Ceci dans le but d'amener les
gens à participer aux soirées thématiques « sans règle de fonctionnement, dit-elle, moi je ne
peux travailler. »
La majorité des intervenantes affirment faire le suivi de façon formelle par téléphone, par
courrier, et de façon informelle lors des cafés-rencontre, des formations ou lors des activités
collectives. Les intervenantes invitent les jumelés à leur téléphoner, mais elles affirment ne
pas baser le suivi sur cette recommandation. Quelques temps après le début du jumelage, la
plupart des intervenantes vont téléphoner aux deux jumelés.
Toutefois, dans la vidéo sur le jumelage réalisée en 2000 par un stagiaire, étudiant en
communications à l'UQÀM, une jumelée déplorait ne pas avoir reçu de suivi formel de la
part de l'intervenante. Ce suivi, précise la jumelée, aurait pu aider au bon déroulement du
jumelage en permettant, entre autres et dans la mesure du possible, le transfert
d'informations sur ce que vivait le jumelé nouvel arrivant.
Au moment de notre entretien, il ne se faisait pas de suivi formel à l'organisme F.
L'intervenant considère qu'il s'agirait d'ingérence s'il devait intervenir « j'aime pas trop
m'introduire dans leur relation. » L'attitude de ce dernier est qualifiée par lui-même de soft
de très soft. L'intervenant spécifie aux jumelés qu'il est la référence en cas de difficultés,
282
mais « que c'est à la personne à mettre ses limites. » L'intervenant affirme qu'il avait un
questionnaire, qu'il avait le feed-back au fur et à mesure, mais qu'il y en avait « seulement
quatre ou cinq qui répondaien. »
L'intervenant adopte une stratégie de non-intervention, tout en assumant et en critiquant ce
choix : « le suivi c'est peut-être ma faiblesse » souligne-t-il. Ce dernier adopte une stratégie
que nous qualifions de non-intervention, mais est disponible pour écouter et conseiller si on
fait appel à lui. L'intervenante F qui a pris la relève du jumelage considère que ça fait partie
de son rôle de téléphoner aux gens pour savoir comment le jumelage va. Elle leur
mentionne lors de la première rencontre.
Ainsi le suivi fait de façon plus ou moins assidue révèle les lacunes de l'intervention. Par
exemple, les intervenantes se rendent compte que parfois certains jumelés n'ont pas vu leurs
jumeaux depuis plusieurs mois et que ni l'un ni l'autre n'ose téléphoner. Lorsqu'elles
prennent conscience de ce quasi-arrêt de la relation, les intervenantes vont demander aux
jumelés québécois s'ils veulent qu'elles interviennent en téléphonant à leur jumelé
immigrant, certains, selon elles, répondent oui.
Cette question du lien est au cœur des préoccupations de l'intervenante F. Celle-ci entrevoit
le jumelage comme un lien social, un lien qui permet l'intégration fonctionnelle, culturelle,
et aussi peut-être au niveau de l'emploi. Pour celle-ci, la principale difficulté du programme
réside justement dans la création ou le maintien de ce lien de confiance, lien privilégié entre
l'intervenante et les jumelés. Ce lien permet de dépasser l'aspect technique du programme,
et elle considère qu'il ne peut se maintenir qu'à travers le suivi. La difficulté pour
l'intervenante, difficulté ressentie aussi par ses paires, est de comment savoir ce qui s'est
passé ou ce qui se passe réellement au cœur de la relation : « quand les gens arrêtent, je
n'arrive pas à savoir la raison, les gens disent manquer de disponibilité, ils ne vont pas me
dire autre chose, c'est délicat aussi... » L'intervenante a d'ailleurs demandé au Réseau
jumelage de discuter ce point.
Le suivi qu'a entrepris l'intervenante A, lorsqu'elle est devenue responsable du jumelage, lui
a permis de mettre à jour certaines difficultés dans les relations, et d'orienter ses
interventions. Le suivi lui a révélé des problèmes de disponibilité : des gens lui ont dit qu'ils
pensaient être appelés, mais ne l'ont jamais été, d'autres ont dit avoir manqué de temps,
283
d'autres encore ont été malades, une autre avait eu un bébé, certains avaient eu des
désaccords de tout ordre, enfin l'un affirmait qu'il y avait eu divergence au niveau des idées
politiques. Les gens, poursuit l'intervenante, m'ont dit : « je n'ai pas osé appeler , mais si on
m'avait appelé ça m'aurait aidé. » Ce contact téléphonique a permis à l'intervenante
d'améliorer ses pratiques : « je m'en suis servi dans mes rencontres préparatoires avec mes
bénévoles d'accueil, je leur ai dit " je vous demande d'oser, je vous demande de faire les
contacts". » Aujourd'hui, l'intervenante fait le suivi une fois par mois, aidée en cela par un
bénévole.
« C'est très dur l'évaluation.. de vraiment.. c'est quoi un jumelage réussi».
L'intervenante C se questionne aussi sur les améliorations que les intervenantes pourraient
apporter en ce qui concerne l'encadrement aux jumelés au début du jumelage :
Je pense que le jumelage ça se passe si le lien se crée et ça tu le vois assez rapidement Je
viens de faire un jumelage et je sais que ça ne marchera pas, donc c'est très fragile cette
période là. Je ne sais pas si nous en tant qu'intervenante on peut mettre plus de filets à ce
moment là! Il faudrait réfléchir aux choses fragiles, la distance géographique, les
motivations... , mais je pense que tu as rarement un jumelage idéal.
Et comme le souligne l'intervenante B « c'est très dur l'évaluation... de vraiment... c'est quoi
un jumelage réussi. »
9.3. L'importance du suivi
L'intervenante C a commencé à faire sa propre évaluation. Elle essaie de mesurer « le
domaine entre guillemets » précise-t-elle, de la sensibilité interculturelle : les bruits qui
peuvent devenir des filtres et les écrans à la compréhension mutuelle qui pourraient mettre
en échec la réussite de la rencontre surtout de la part des Québécois. Puis l'intervenante dit
vouloir vérifier s'il y a des préjugés du côté des émigrants : « le cas de personnes qui sont là
depuis quelques temps et qui ont vécu des échecs répétitifs . » L'intervenante tient aussi à
analyser la vision des Québécois : « quelquefois tellement bizarre », qu'elle cherche à
savoir si cette vision est le résultat de l'influence des médias ou si c'est le fruit de
284
l'expérience. L'intervenante C veut donc améliorer le processus d'évaluation pour mieux
définir le travail de sensibilisation et de formation qu'il y aurait à faire.
L'évaluation permettrait aussi à l'intervenante de lier l'atteinte des objectifs aux attentes.
Car attentes et motivations sont en écho : « parce que si ta motivation, dit-elle, c'est d'aider
l'autre et ton attente c'est d'être satisfait de l'aider. » L'évaluation permet de savoir ce que la
personne recherche. Par exemple, elle aura permis à l'intervenante de découvrir qu'un
émigrant désirait se trouver une femme. L'évaluation lui permettra de constater peut-être la
même chose chez un aîné de la société d'accueil : « Ce qui n'est pas le but du jumelage à
notre organisme ! » précise-t-elle.
L'intervenante procède pour l'instant à une évaluation individuelle à l'aide d'un
questionnaire, de prise de notes et d'enregistrement. Selon elle, l'évaluation pourra l'aider,
par exemple, à saisir pourquoi une personne veut être jumelée de nouveau ? Est-ce que c'est
parce qu'elle a connu des difficultés lors d'un premier jumelage ou bien si au contraire cette
première expérience fut satisfaisante et la porte à se jumeler de nouveau ? L'important,
précise-t-elle, c'est aussi de constater dans le cas d'un jumelage où il y a eu rupture, que
l'aîné, « n'a pas de ressentiment et qu'il veut être jumelé une nouvelle fois. Pour moi vaut
mieux ne rien faire que d'arriver à ça » s'exclame-t-elle.
L'intervenante mentionne aussi qu'il faut porter attention à ne pas brûler les gens, parce que,
rappelle-t-elle, « la réalité c'est que le programme de jumelage manque de bénévoles de la
société d'accueil. » Toutefois, si l'aîné veut être jumelé une deuxième fois alors qu'il est
encore en relation de jumelage, l'intervenante essaie de bien analyser la dynamique du
jumelage afin d'être en mesure de présenter à la personne un profil de jumelage qui lui
demandera une énergie différente. Son rôle, précise-t-elle, c'est aussi d'être observatrice lors
des activités afin d'analyser les processus des jumelages. Cette attitude peut lui permettre de
constater que tel jumelage ne fonctionne pas ou que tel autre connaît des difficultés, et
d'intervenir au besoin.
Dans son rapport (1996:52, 53), Daignault mentionne l'importance du suivi et ce qu'il
permet. Selon Daignault « le suivi s'est avéré utile à plusieurs niveaux. » D'abord pour
résoudre certaines situations « d'incompréhensions interculturelles », telles que relatées par
Legault et Lafrenière (1992). Ou encore pour dénouer certaines blocages ou
285
mésinterprétations telles que l'hésitation à entrer de nouveau en contact après la première
rencontre ou encore l'impression pour les immigrantes d'être requérantes « d'un service
d'intégration. »
Daignault fait alors référence à Cohen-Émerique (1980, 128) qui, précise-t-elle, parle plutôt
de choc culturel que d'incompréhensions interculturelles. Le choc culturel, comme nous
l'avons précédemment indiqué, est défini par Cohen-Émerique comme « une réaction de
dépaysement, plus encore de frustration ou de rejet, de révolte et d'anxiété, en un mot une
situation émotionnelle et intellectuelle, qui apparaît chez ceux qui, placés par occasion ou
profession hors de leur contexte socioculturel, se retrouvent engagés dans l'approche de
l'étranger » (1985, cité dans Hohl; Cohen-Émerique, 1999:107). Daignault rapporte les
deux principaux éléments qui ont conduit au choc culturel au sein de la relation de
jumelage : la notion de temps et d'espace. Ce type de choc culturel, rappelle Daignault, est
mentionné par Cohen-Émerique dans ses recherches sur les situations de chocs culturels
auprès des intervenantes sociales en France. Daignault mentionne entre autres l'impression
ressentie par la Québécoise devant ce qu'elle interprète comme un désintéressement de
l'immigrante puisque cette-dernière se présente considérablement en retard aux rendez-
vous. Ou encore la frustration ressentie par l'immigrante parce que la Québécoise refuse la
nourriture offerte; ce refus, dans ce cas, est considéré comme une impolitesse parce que la
nourriture offerte est signe d'hospitalité et de partage.
« Le sens de l'hospitalité est donc différent » rappelle Daignault. Celle-ci rapporte cet autre
exemple : des femmes originaires d'Amérique Latine ou d'Europe de l'Est ont interprété
comme de la froideur ou de la distance le fait qu'elles aient invité les Québécoises chez
elles, alors que celles-ci tardaient à faire de même. « Cette incompréhension interculturelle,
écrit Daignault, semble être reliée à la notion de gradation inhérente à l'établissement des
relations interpersonnelles en Amérique du Nord et à une certaine méfiance individuelle
typique des personnes habitant les grands centres urbains; cette notion est en contradiction
avec les valeurs collectives-communautaires des pays de provenance de plusieurs femmes
immigrantes. » (1996:53)
Le suivi a permis, poursuit Daignault, de recueillir les commentaires des participants en ce
qui concerne l'organisation et le fonctionnement du projet, entre autres, le désir exprimé par
286
les participantes qu'une employée permanente soit affectée à la fonction de coordonnatrice
du projet. « Les femmes, écrit Daignault, s'étant inscrites lors de la première année
d'existence du projet, considéraient que le changement de direction à chaque année diluait
les liens de solidarité entre les participantes » (1996:53).
L'importance du suivi serait dans le fait que celui-ci est révélateur des tensions que peuvent
vivre les jumelés, de même qu'il permet à ces derniers d'exercer un regard critique à la fois
sur leur relation et à la fois sur le programme.
L'importance du suivi fait resurgir le questionnement d'une intervenante du Réseau
jumelage et notre propre questionnement à savoir : le jumelage est-il un acte individuel ou
plutôt un acte à la fois individuel et collectif dont l'esprit du lien devrait être entretenu par
l'organisation qui en est l'initiatrice. Cependant, pour que ce lien soit entretenu, il faut qu'il
y ait identification d'une référence puisque cette identification permet le développement
d'un sentiment d'appartenance. Ceci rejoint les constatations de l'analyse faite par Comeau
(1995) qui rappelle qu'un des éléments favorisant la participation aux associations
communautaires est que le sens collectif à la solidarité est développé; l'auteur se réfère à
une autre recherche sur la participation (Chavis et Wandersman, 1990) qui démontre que le
sens de la communauté a un effet catalytique sur l'action locale. Nous croyons que les
mobilisations collectives peuvent être ranimées, entre autres par des activités de groupe, et
par le sentiment d'appartenance au groupe transmis par l'intervenante et par l'organisation.
Nous l'avons signalé, en nous référant à Melucci (1993:190), ces mobilisations collectives
sont des espaces nécessaires, « où les liens deviennent explicites, où l'on permet au réseau
latent de faire surface et de s'agréger pour ensuite s'immerger à nouveau dans le quotidien».
C'est pourquoi les intervenantes du Réseau jumelage ont ressenti le besoin de se donner une
formation sur le processus du suivi, formation qui a donné lieu à l'élaboration d'outils pour
améliorer ce processus extrêmement complexe. L'objectif n'étant pas de régulariser une
pratique, mais bien de mieux outiller les intervenantes car en accord avec les chercheures
Charbonneau, Dansereau, et Vatz-Laaroussi (1999:198), les membres du Réseau jumelage
considèrent qu'il est important de garder « une structure souple » d'encadrement.
287
9.4. La responsabilité du lien entre les jumelés : la notion del'engagement
Si les intervenantes parlent de façon explicite de l'importance de l'établissement du lien,
elles ne font mention de l'impact qu'a la non prise en compte de l'importance de ce lien dans
le cas de rupture du jumelage. En fait, une seule d'entre elles a mentionné ce point. Nous
nous demandons si ceci n'est pas lié au fait de considérer, dans plusieurs cas, la relation du
jumelage comme étant à priori une relation d'amitié, où l'engagement à long terme est pris
pour acquis dès le début de la relation ou au fait de considérer le jumelage comme une
relation non obligée, volontaire, libre. Dans ce type de relation, comment exiger des gens
impliqués ? Il est important, selon l'intervenante B, de rappeler aux gens la nécessité de
garder le contact avec elle, de lui téléphoner s'il « y a quelque chose qui cloche. »
En mai 1998, lors de la validation des données, l'intervenante B nous a parlé d'un cas où
une personne a mis fin abruptement au jumelage sans rien dire. L'intervenante était alors
intervenue : « tu viens de briser ton engagement; tu te rends compte que tu as brisé ton
engagement ? »
L'intervenante est aussi intervenue lorsqu'une Québécoise lui a confié vouloir arrêter sa
relation de jumelage, elle aurait alors demandé à cette femme de téléphoner au couple
immigrant jumelé. Elle devait le faire, dit l'intervenante, mais finalement elle s'est ravisé et
a décidé de poursuivre son jumelage.
L'intervenante G, comme d'autres intervenantes, nous a mentionné le fait que certains
jumelages se soient terminés parce qu'un des jumelés est parti à l'extérieur du Québec ou de
Montréal, sans avertir l'autre de son départ. Lorsque nous sommes allée à une des
assemblées générales, nous avons conversé avec une ex-jumelée qui avait encore du
ressentiment face à sa jumelle immigrante qui était partie sans avertissement. Celle-ci avait
brisé le lien de confiance et l'autre s'était sentie trahie puisqu'elles avaient développé, selon
les dires de la jumelée québécoise, une relation d'amitié.
288
Quelles sont les conséquences de ces ruptures sur les jumelés : D'après l'intervenante B,
malgré les « ratés », les jumelés veulent être jumelés de nouveau. Dans le cas du départ
précipité et sans avertissement, cas cité ci-avant, la bénévole jumelée en a été affectée, mais
parce qu'elle est une personne très occupée et impliquée dans d'autres organismes
communautaires, cela n'a pas eu, aux dires de l'intervenante, « trop de conséquences
fâcheuses. » Ce témoignage contredit celui d'une jumelée d'accueil d'un autre organisme
qui a vécu une situation similaire, qui éprouve du ressentiment et ne désire plus être
jumelée.
Ces réactions différentes face à la rupture du jumelage peuvent dépendre de la nature des
liens établis, du temps de la relation, de la personnalité. Toutefois nous avons écrit qu'il
nous apparaît particulièrement important de parler de la notion « d'exit » dans la relation de
jumelage, et donc de l'aborder au cours de l'intervention parce que « l'exit » peut provoquer
le ressentiment envers non pas seulement un individu, mais envers tout un groupe social..
Car il nous semble que si l'individu a une responsabilité du lien, cette responsabilité libérée
de toute contrainte peut être dépassée au profit de « l'exit » (Hirschman, 1977).
Nous croyons que cet aspect de la responsabilité du lien mérite d'être analysé par les
intervenantes. Car comme le rappelle l'intervenante B, « le lien de confiance est la variable
la plus importante de la relation, ce lien de confiance implique la notion temps. »
D'autre part, l'étude de Charbonneau et al (1999) révèle que lorsque l'immigrant est parti
sans prévenir, les familles accueillantes déçues ont l’impression d’avoir été trompées et
sont portées à faire les comptes du donner et du reçu. Ainsi, écrivent les chercheures, « le
départ peut être perçu comme un manque de reconnaissance pour ce qui a été offert »
(1999:88). Par contre, il semble que si les familles immigrantes font part de leur projet
avant le départ ou gardent le contact, la famille accueillante réagit autrement.
Les chercheures puisent dans la littérature sur le don/dette dans les relations
interpersonnelles pour expliquer le silence gardé sur les intentions de départ par les familles
immigrantes : celles-ci, en fait, « se sentiraient redevables envers leur famille d’accueil et
ne veulent pas que la dette contractée les empêche de partir. » Ce sentiment est corroboré
par ces témoignages : Le premier, celui d'une famille accueillante : « Ils sont libres d’aller
où ils veulent, sauf qu'ils ont des responsabilités envers le Québec (Charbonneau et al,
289
1999:88). Le second, celui d'une famille immigrante : « Je sens que j’ai une énorme dette
envers ce pays (...) nous ne pouvons penser à partir sans avoir donné quelque chose de
nous-mêmes » (Charbonneau et al, 1999:88).
Le sentiment d’être redevable pourra de plus influencer la dynamique relationnelle soit en
amenant « la famille immigrante à taire ses insatisfactions dans le processus relationnel »
(Charbonneau et al, 1999:88), soit en faisant en sorte que la famille accueillante taise, elle
aussi, ses déceptions puisqu'elle s'est engagée à aider l'autre. Comme nous l'avons écrit au
chapitre du cadre théorique, la notion « d'exit » empruntée au système du marché signifie
que chacun est libre de quitter le cercle de l'échange lorsque la nature de l'échange ne lui
satisfait pas. Toutefois, un des risques de l'engagement est de ne plus pouvoir recourir à «
exit » parce que la perte de l'investissement est plus importante que l'alternative qui s'offre.
D'où la tension continue au sein de l'espace social de la coopération (ou de tout autre espace
social) entre la poursuite de l'intérêt individuel (l'indépendance) et l'élargissement des
intérêts communs (l'interdépendance) et l'importance que revêt la capacité de chacun à
dialoguer, à occuper un espace intermédiaire. Toutefois, nous le rappelons, la capacité de
chacun à dialoguer repose sur le pouvoir de négociation. Accepter qu'un individu participe
au processus de négociation c'est lui reconnaître une qualité, celle de la responsabilité
individuelle, et un attribut celui du sens de l'initiative; le « lien social de coopération »
comme le précise Pagé (1995) est celui d'individus individualisés. Le suivi en tant que
processus intégré à la démarche du jumelage fait appel à la notion de responsabilité de
l'acte, au sens de l'initiative. Les jumelés sont-ils conscients de leur responsabilité l'un
envers l'autre, de leur responsabilité envers l'intervenante, envers l'organisation, envers la
collectivité et celles-ci le sont-elles envers eux ?
En mai 1998, lors de la validation des données, nous discutions, avec les membres du
Réseau jumelage, de l'éventualité d'établir une rencontre pour terminer le jumelage entre les
jumelés et l'intervenante. Nous nous demandions pourquoi il n'y avait pas, à ce jour, un
rituel de la fin; car si les intervenantes ont la conviction de porter la responsabilité de bien
choisir les jumelés, de bien faire débuter la relation, de bien suivre le déroulement, d'être
des intermédiaires auprès des jumelés, elles ne semblent pas assumer une part de
responsabilité en ce qui concerne le terme de la relation. Comme si la relation devait être
sans fin ! En effet, si la plupart confinent la relation dans un espace-temps d'un an, aucune
290
intervenante n'entrevoit son rôle dans la cessation de la relation85 autre qu'envoyer dans
certains cas un diplôme-certificat de remerciement. Dans la vidéo sur le jumelage réalisée
en 2000, une jumelée mentionnait ce besoin qu'il y ait une rencontre ou une action qui
signifierait la fin de la relation « parce que le jumelage ce n'est pas pour la vie. » C'est
pourquoi, contrairement à ce qu'en disent les chercheures Charbonneau et al
(1999:198), qui évaluent que la formalisation de la fin de contrat cause de l'anxiété chez
les participants nous croyons que si l'une des deux parties désire, pour une raison ou pour
une autre, mettre fin à la relation, peut-être même avant terme, il serait préférable qu'il y ait
une action en ce sens. Nous croyons qu'un rituel de la fin ou mieux qu'une étape que nous
nommerons, étape de transition, modelée selon le vouloir des jumelés, permettrait de mieux
saisir la réalité de ce qui a été vécu et reçu, alors que le laisser-aller, l'indéterminé, risque de
faire naître l'inconfort, un sentiment d'abandon voire le ressentiment. Ce rituel permettrait,
selon nous, de redonner à l'acte du jumelage une dimension collective. Cela permettrait
peut-être de pallier la faiblesse de cette dimension collective en cours de relation, faiblesse
due peut-être au fait que l'implication sociale des jumelés est très peu prise en compte et
cela dès la mise en place du jumelage.
9.5. Intégration sociale et évaluation de la pratique
Daignault suggérait dans son rapport qu'il serait important lors de l'entrevue de sélection
des candidates québécoises, de « s'informer de la densité de leur réseau social, du nombre
de leurs amis et connaissances et de la fréquence des contacts qu'elles entretiennent avec
ceux-ci »; cette recommandation est le fruit de la constatation que « les jumelages se
concluant par un échec ou ayant moins favorisé l'élargissement du réseau social de la
femme immigrante, incluent une femme québécoise n'ayant aucun réseau social. »
(Daignault, 1996:76). Nous avons vu que peu d'intervenantes tiennent compte de la densité
du réseau social du jumelé d'accueil lorsqu'il vient s'inscrire au jumelage. Cette non prise en
85 (L'intervenante B nous a mentionné son intention de tenter l'expérience lors de la fête de Noêl des jumelés
mais ne l'a pas fait)
291
compte peut certainement être attribuable au fait que les intervenantes ont besoin de tous
les candidats potentiels pour d'éventuels pairages. Ainsi la non-existence du réseau ne
devient pas un critère d'exclusion au jumelage. Toutefois nous convenons que dans un
monde idéal, en effet, comme l'indiquent les chercheures Charbonneau, Dansereau et Vatz-
Laaroussi (1999:194-195) « le réseautage de la famille accueillante avec des personnes et
milieux diversifiés pouvant ouvrir sur des contacts d'emploi est un plus. »
Par ailleurs, l'intervenante C, dans un souci d'amélioration du programme et d'évaluation
des besoins des jumelés et aussi de la dynamique que pourra prendre la relation de
jumelage, croit qu'il serait important « en tout cas du côté des immigrants, de voir c'est quoi
leurs ressources sociales au moment où ils viennent la voir.. » Ainsi, selon elle, « on
pourrait évaluer les choses de façon intéressante : est-ce qu'ils sont isolés, est-ce qu'ils ont
accès aux ressources, est-ce qu'ils ont un haut degré d'autonomie » ce questionnement
permettrait d'évaluer le potentiel d'intégration.
De même la question de savoir combien de personnes le jumelage a touchées demeure une
question relative, selon l’intervenante C :
Il faudrait d'abord se demander ce que toucher veut dire ? Il faudrait que j'aille voir les gens
de la famille, ça ne veut pas dire qu'ils veulent être jumelés, c'est toujours plus confortable
de voir les autres que de le faire soi-même, (...) Mais ça peut changer des préjugés, des
préjugés négatifs qui seraient devenus des préjugés positifs.
En fait, l'évaluation de la portée sociale du jumelage est un élément manquant ou absent de
l'intervention. Si les intervenantes, pour la plupart, ne tiennent pas compte de la densité du
réseau social des jumelés au moment du pairage, elles ne s'enquièrent pas non plus de la
réaction de l'entourage des jumelés à propos de la singularité d'une telle relation. Est-il
curieux, inquiet, séduit, intéressé, indifférent? Nous avons déjà rapporté qu'une des
conclusions de l'étude de Charbonneau et al (1999 : 183) souligne « que partant d'un
programme à visée collective, les jumelés mesurent leur réussite à l'aulne de l'exceptionnel
et du singulier. » Cette évaluation toute personnelle du succès de leur relation et de la
pertinence qu'ils y accordent ne contredit pas, mais, par contre, ne rencontre pas un des
objectifs de l'intervention jumelage que veulent réaliser les intervenantes même en étant
confrontées à la non-intervention de l'État en ce domaine. Cet objectif vise à intégrer des
292
activités de sensibilisation sur la problématique de l'immigration et des relations
interculturelles aux démarches promotionnelles et de recrutement. Nous avons souligné que
quelques jumelés deviennent des porteurs du projet jumelage en s'impliquant dans des
activités promotionnelles et de sensibilisation. Toutefois motiver les jumelés à donner
encore de leur temps s'avère difficile et exige que l'intervenante les incite à le faire.
Par ailleurs les démarches entreprises par les intervenantes du Réseau jumelage auprès des
associations et organisations de la société civile, telles les syndicats, démontrent leur
volonté à vouloir associer d'autres acteurs, influents, à leur démarche. Toutefois le lien de
coopération avec ces organisations ne va pas de soi. Pour qu'il soit efficace, les
intervenantes doivent, entre autres et au préalable, prendre le temps de saisir la complexité
structurelle de ces organisations, leur culture organisationnelle et leur mode de
fonctionnement, sans nommer les compétences d'action et d'intervention liées à un tel
partenariat. Ainsi ce lien de coopération demande beaucoup d'énergie et de temps, temps
que les intervenantes n'ont pas.
Les intervenantes du RJI ont exprimé le besoin de discuter ensemble de la question «
qu'est-ce qu'un jumelage réussi ? » Nous croyons que cette discussion, exercice laborieux et
courageux s'il en est, leur permettra de reconsidérer la pratique du jumelage dans sa
globalité et de se réapproprier sa complexité.
9.6. Conclusion de la deuxième partie : analyse des données
Nous avons démontré que si les objectifs du programme de jumelage des organismes
communautaires rejoignent dans leur fonction de régulation sociale ceux définis par l'État,
ceux-là donnent davantage d’importance à la notion du lien social dans sa fonction
d'innovation et de transformation des rapports sociaux. C'est ainsi que le jumelage est vu
par ces acteurs comme un outil d'intégration de la société québécoise et de prévention de
l'exclusion sociale.
Mais au-delà d'un outil d'intégration animé par l'utopie du rapprochement interculturel,
comment peut-on définir l'acte du jumelage ? Nous avons vu que la majorité des
293
intervenantes refusent d'inscrire l'acte du jumelage comme un acte de bénévolat. Ce refus
lié à la représentation que les intervenantes ont du bénévolat considéré comme une relation
asymétrique et contraignante oblige les intervenantes à trouver une nouvelle définition à
l'acte jumelage, voire à lui insuffler une nouvelle dimension.
Le fait est que peu connu ou encore méconnu par une majorité de citoyens, désiré par
d'autres qui ont leurs propres attentes, intérêts ou qui manifestent certains préjugés, le
jumelage pose des défis aux intervenantes : ceux du recrutement qui implique des activités
de promotion de même que la sélection qui repose sur la concordance des attentes et
objectifs et qui présente plusieurs zones d'incertitude sont deux défis de taille, mais ne sont
pas exclusifs. À ceux-ci s'ajoutent des contraintes contextuelles, systémiques
organisationnelles, structurelles et relationnelles qui ont un impact important sur
l'intervention jumelage. Et parce que le lien social du jumelage est une relation
interpersonnelle entre étrangers et qu'il se déroule dans l'espace interculturel, lieu de
questionnement, il est habité par l'inattendu, l'incertitude.
Par ailleurs, le lien social du jumelage, s'il est inscrit dans une organisation, évolue dans
l'espace relationnel primaire, c'est donc dire dans un espace intime auquel l'intervenante a
peu d'accès. Cette question du lien entre les intervenantes et les jumelés s'est révélée être au
cœur des préoccupations des intervenantes car là se trouve la reconnaissance du bien fondé
et de la qualité de l'intervention. De même la dimension sociale du jumelage est une
question avec laquelle elles ne sont pas à l'aise et qui d'une certaine façon leur échappe.
Face à cette complexité, les intervenantes sont amenées à questionner leur pratique, à
trouver de nouvelles stratégies d'intervention, à endosser de nouveaux rôles, entre autres,
celui de médiatrice, et à proposer de nouveaux lieux de rencontre, en particulier pour elles-
mêmes, le Réseau jumelage interculturel.
Conclusion
Nous avons ancré notre réflexion sur le jumelage en tant que mode d'intervention (sociale)
et déploiement d'un lien (social) dans une approche ethnologique. Nous nous sommes ainsi
questionnée sur le sens que lui attribuent les acteurs. C'est par ce questionnement incessant
que nous a été révélée la complexité du phénomène du jumelage interculturel : relation et
intervention.
Nous avons aussi tenté de comprendre le phénomène du jumelage en entrant dans la
logique des acteurs sociaux impliqués, tout en considérant leur capacité à modifier le cours
des événements. La reconnaissance de ce « fond commun de compétences », selon
l'expression des ethnologues N.Dodier et I.Baszanger (1997), constitue l'ancrage de notre
réflexion et a défini notre posture de recherche.
Cependant, si nous reconnaissons ce pouvoir de transformation de l'action, donc
d'influence, aux acteurs, nous ne nions pas que ceux-ci soient influencés dans leurs
réflexions et actions par le contexte social dans lequel ils évoluent. Dans le cadre de notre
étude, le contexte immédiat est le vécu des intervenantes en jumelage au sein de
l'organisme et au sein du Réseau jumelage interculturel. Le contexte plus large est celui des
relations entre le MRCI et les organismes communautaires qui œuvrent dans le domaine de
l'immigration, des relations entre les organismes communautaires et des autres acteurs ou
organisations de la société civile intéressés ou confrontés au phénomène de l'immigration.
Le questionnement initial de notre recherche, qui portait sur le quoi – Qu'est ce qui fait que
le jumelage est si peu connu au sein de la société ? nous a conduite à jongler avec le
comment – comment les acteurs liés au programme de jumelage le perçoivent-ils ? Quelle
finalité lui attribuent-t-ils ? Ce questionnement a orienté la démarche ethnologique dans un
mouvement dualiste qui nous a conduit de l'explicite à l'implicite, et qui nous a fait
rechercher la qualité de ce fait social qu'est le jumelage interculturel auquel sont
confrontées les intervenantes, sujets et objets de notre étude.
Le comment les acteurs liés au programme du jumelage le perçoivent-ils ? nous a amenée à
diriger en premier notre regard vers l'État puisque le programme jumelage est défini et
subventionné par le MRCI. Constater que le programme jumelage est peu connu au sein de
295
la société québécoise tout en étant défini, par des acteurs influents du ministère et des
acteurs du communautaire, comme un moyen efficace d'aide à l'intégration des nouveaux
arrivants, nous demandait d'investiguer plus en profondeur le pourquoi de ce paradoxe. Au
cours de cette réflexion nous avons élargi notre angle de perception de la situation.
Ainsi, il nous fallait plonger dans la dynamique des organisations, dans la réalité du
programme jumelage ainsi que dans l'univers relationnel de l'État et des organismes
communautaires. Cette plongée au cœur du phénomène jumelage nous a fait découvrir de
multiples variables, nous a fait découvrir aussi tout un univers de contraintes en même
temps qu'un espace jeu dans la négociation entre les acteurs du communautaire et ceux du
gouvernement. Car nous l'avons dit, la relation interpersonnelle du jumelage s'inscrit dans
un contexte social, économique, politique et culturel d'une société et dans un processus
d'immigration qui lui-même renvoie à un ou plusieurs autres contextes: social, économique,
politique et culturel. Cependant, si l'intervenante en tant que représentante de l'organisation
établit certaines balises dans le cadre formel de la relation, il n'en reste pas moins que le
lien social, lien primaire, qu'elle aura à maintenir avec les jumelés prime sur le lien formel
secondaire défini par son statut professionnel. C'est pourquoi nous avons privilégié
l'analyse des rapports interpersonnels dans une approche ethnologique, tout en faisant appel
aux contributions des autres disciplines.
Le jumelage est une action volontaire et en tant que catégorie sociologique, le jumelage
démontre la nature volontaire (libre) du lien social à l'intérieur duquel l'action est
accomplie. Si l'engagement peut être motivé par des besoins réels ou assujetti à des
contraintes contextuelles, il n'en reste pas moins que les jumelés sont libres de s'y engager.
Le questionnement porte alors sur la nature de l'engagement.
Par ailleurs, en tant que catégorie ethnologique, l'action volontaire est pour l'acteur la
réappropriation du sens de l'action, qui s'inscrit, elle, dans l'intersubjectivité. Cette quête de
sens, qui émerge de la mémoire individuelle et collective, qui est liée aux contextes de vie
et ancrée dans une réalité sociale, est l'essence de notre recherche.
C'est pourquoi il nous fallut aborder la perspective historique. Ainsi, il est nécessaire de
rappeler que l'apparition du concept du jumelage entre deux parties, dans ce cas deux
communes, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, avait un double motif. Ces
296
motivations, certaines portées par un aspect défensif (la résolution de problèmes) d'autres
par un aspect offensif (le développement de liens plus étroits), attribuaient au jumelage ses
fonctions de régulation et de transformation sociale. Mais au-delà de ces fonctions, l'utopie
de cet acte de rapprochement était révélée : le désir d'une prise de conscience par les
humains que ce qui les rapproche est plus essentiel que ce qui les sépare. Ce qu'on leur
demandait en fait c'était de se projeter dans un idéal, dans cet esprit de solidarité sociale qui
imprègne tout en le dépassant l'espace de leur quotidienneté. Que l'humain fasse acte de
citoyenneté et qu'ainsi l'individualisme rejoigne l'universalisme !
Même si au départ le jumelage interculturel a lui aussi endossé la fonction de régulation
sociale, en tant que programme et service ayant comme objectif l'aide à l'intégration en
même temps qu'il exprimait la notion de contrat moral entre la société d’accueil et les
immigrants; les intervenantes en jumelage, supportées en cela par leurs organisations, lui
ont très tôt donné une dimension utopique alors que l'État en est encore aujourd'hui à en
évaluer les coûts et les bénéfices.
En effet, dès nos premiers entretiens, nous avons constaté que les acteurs du
communautaire donnent davantage d’importance à la notion du lien en tant que prise de
conscience de la réalité de l’autre, et au possible que ce lien social entre étrangers offre en
tant que lieu d’interconnaissance. Ainsi les intervenantes insistent sur le fait que la prise de
conscience de la méconnaissance de l’autre, et son corollaire la découverte de sa réalité, ne
font pas que transformer les perceptions du milieu d’accueil concernant l’immigration86,
mais permet de redonner à l’autre son statut de sujet, de le re-situer partenaire. Ce faisant,
les organismes attribuent au jumelage une fonction d’innovation et de transformation de la
société. De plus, la fonction de régulation sociale attribuée au jumelage dépasse, selon les
intervenantes, l'aide à l'intégration du nouvel arrivant. Le jumelage préviendrait la
désintégration parce qu'il est un acte d'apprivoisement, un geste d'accueil, une main tendue,
et qu'il pallie la solitude de l'individu. En donnant à l'individu l'opportunité de se recréer un
réseau social, dans l'axe de l'entraide, de la solidarité et de la reconnaissance, le jumelage
86 Objectif attribué au jumelage par les chercheures qui ont évalué la dynamique du jumelage à la demande du
MRCI.
297
prévient le désordre, le déséquilibre non seulement individuel, mais aussi le déséquilibre
social.
Toutefois, l'analyse de nos données révèle que si cette projection proclame l’esprit du
jumelage, la lettre, elle, peut se manifester différemment. Car comme nous l'avons dit, la
relation du jumelage est avant tout intersubjective et tient de la représentation que s’en font
les acteurs qui la mettent en place, en l'occurrence les élus et nommés du MRCI, les
directeurs d’organismes, les intervenantes, et ceux impliqués dans cette interactivité, les
jumelés. De plus ces acteurs sont assujettis à de multiples contraintes.
Dans notre cadre théorique, nous avons insisté sur le contexte social des politiques
d'immigration et d'intégration. Dans cette optique, nous avons souligné qu'inscrire
l'immigration comme politique est motivé dans le cas du Québec, par des besoins variables
(économique, de main d'œuvre, démographique, linguistique) et par des devoirs
(humanitaire, respect de l'engagement pris lors de la Convention de Genève et nécessité de
s'ouvrir sur le monde). Aussi, avons-nous écrit, la logique de l'intégration puise ses modèles
à des idéaux : démocratique, de citoyenneté ou communautaire. De plus, elle fait référence
à la mémoire collective : la recherche du bonheur, de l'harmonie, de l'égalité. C'est ainsi,
comme nous l'avons mentionné, qu'au cœur du concept de citoyenneté nous retrouvons la
notion de contrat moral inspirée par les notions de droits et responsabilités sociales (le
devoir-faire), mais que nous retrouvons également la notion du contrat social qui fait
référence à la participation civique (le devoir-être). Nous avons insisté sur le fait que cette
notion est beaucoup plus difficile à imposer comme action collective parce que plus
difficile à circonscrire, qu'elle prend sa source dans l'éthique, dans le sens attribué au vivre-
ensemble et dans la projection dans l'avenir, donc dans une certaine part d'incertitude.
De plus, le jumelage est une rencontre entre des individus se référant à un moment ou à un
autre, et de façon variable, à des systèmes culturels, économiques, politiques et sociaux
différents. Le chapitre sur l'intervention sociale du jumelage nous indique que ce contexte
donne à l'intervention et à la relation une difficulté supplémentaire car l’intervenante et les
jumelés sont plongés au cœur de l’interculturalité, espace d’interrogation, lieu de
confrontation, de remise en question, de redéfinition, d'adaptation. Les intervenantes
devront alors faire appel à leur savoir-être, mais aussi acquérir de nouveaux savoir-faire.
298
En même temps les intervenantes ont à se questionner sur le comment ces individus
décrivent les motifs de se lier aux autres, les raisons qui les poussent à donner leur
confiance? Car la notion de projet est au cœur du jumelage. La finalité de la relation du
jumelage doit être reliée aux motivations et au contexte des déplacements vers l'autre.
Comme nous l’avons mentionné, l'intervention sociale du jumelage dépasse la simple mise
en place d'une relation sociale; la complexité du processus migratoire et du processus
d'intégration à laquelle est confronté le nouvel arrivant et indirectement son jumelé a une
influence marquante sur la dynamique relationnelle. Cette dimension n'est pas encore assez
dite par les intervenantes.
L'analyse des perceptions du jumelage chez les intervenantes et directeurs nous démontre
que ces derniers associent l'intégration à un acte de volonté de l'immigrant et à un acte de
reconnaissance des membres de la société d'accueil, une implication de ceux-ci dans l'aide à
l'intégration. Ce qui, nous l'avons dit, nous ramène au paradigme contractualiste tel que
défini par Crowley (1991). La première qualité de l'intégration dans le paradigme
contractualiste c'est l'ouverture : cet espace offert à l'individu pour qu'il puisse
véritablement prendre une place. Le jumelage en recréant le sens du lieu, lieu qui donne
sens à « l'être ensemble » se situe au cœur du paradigme contractualiste.
Mais pour que le processus réussisse, il faut « faire en sorte que la personne qui est en
processus d'intégration puisse recevoir des reflets de son identité, un miroir de son identité
à divers paliers de la société » comme le rappelle un directeur, en reconnaissant son apport
et son pouvoir de transformation. L'immigrant ayant acquis ainsi une possibilité de
reconnaissance pourra lier son devenir au devenir de la société. Toutefois, encore faut-il
que cette société débatte de son présent, questionne son devenir, en délimite les orientations
et permette à ses citoyens d'en influencer le cours.
Car comme le rappelle Crowley (1991), si le concept de citoyenneté fait appel à la capacité
qu'ont les individus de faire appel à l'abstraction, l'exercice de la citoyenneté lui se fait dans
un lieu, il est situé. C'est ainsi que les intervenantes lient de façon directe et conséquente la
pratique du jumelage non seulement à l'intégration sociale des individus, mais aussi à
l'intégration/harmonisation de la société, société québécoise en devenir, société qualifiée «
d'oeuvre inachevée » .
299
Le caractère inachevé ici ne fait pas référence à la large place laissée à l'innovation, à
l'autonomie accordée par une telle société, mais plutôt aux contradictions non résolues, au
zones sensibles refoulées, et aux vides abondants d'une société en perte de références. Pour
certaines intervenantes, la société québécoise se révèle être, fragmentée, et faite de liens
distendus. Cette situation a inévitablement, selon elles, un impact sur le programme de
jumelage « parce que, comme le rappelle l'intervenante C, si les gens n'ont pas de liens
entre eux, sont isolés, il devient plus difficile d'intégrer le nouvel arrivant dans un réseau. »
Il devient ainsi plus difficile de doter le jumelage d'une dimension collective. D'autant plus
que, comme le soulignent les intervenantes, l'espace du jumelage se situe au niveau micro,
« c'est à une petite échelle; ça se passe entre l'organisme et entre deux individus » .
D'autant plus que, comme nous le rappelle Larochelle (1992), « un nouveau paradigme de
gestion des rapports sociaux » s'est mis en place depuis les années 90 : le désengagement de
l'État de plusieurs programmes sociaux et l'adhésion à la thèse du néolibéralisme identifiée
comme le remède à cette crise. L’intervenante qui a le mandat de travailler sur le lien social
du jumelage, et qui tente de l’établir, est plongée bien malgré elle dans cette dialectique
sociétale de l’alliance et de la déliance. De plus, les organismes d'accueil et d'intégration,
structures intermédiaires communautaires ont la conviction de porter la responsabilité de
faire en sorte que la rencontre interculturelle se concrétise. Il appert que les organismes
offrent un lieu privilégié, l'interface. En cela l'organisation communautaire remplacerait le
rôle traditionnellement dévolu à la Famille, au Travail, en tant qu'Institution.
Cependant, trouver des jumelés d'accueil et jumeler des intérêts semblables qui ne sont pas
nécessairement les mêmes représentent deux défis majeurs. En effet, le recrutement est la
principale difficulté des intervenantes en jumelage. Une des raisons évoquée par les
intervenantes est liée au fait que le jumelage est peu connu au sein de la société québécoise,
que ça reste une « affaire entre individus .» Ainsi le jumelage, acte de rapprochement et
outil d'intégration ne serait pas inscrit dans un « vouloir collectif » d'une société. Cette
constatation expliquerait-elle le fait que, comme l'ait mentionné l'étude de Charbonneau et
al, « partant d'un programme à visée collective, les jumelés mesurent leur réussite à l'aulne
de l'exceptionnel et du singulier. » Dans tel cas, quelle responsabilité doivent assumer les
différents responsables de la mise en place du jumelage ?
300
Dans le chapitre sur l'intégration nous avons indiqué que le « contrat moral » entre la
société d'accueil et l'immigrant, énoncé dans les politiques gouvernementales depuis 1990
par le MRCI, s'appuie et prend légitimation sur les concepts de citoyenneté et de
participation civique. En constatant que nous assistions à une interaction évidente entre une
théorisation des chercheurs et une appropriation des concepts dans la sphère politique, nous
avons déploré que cette appropriation fut souvent faite de façon maladroite, décousue ou de
manière précipitée.
À ce titre, nous avons pointé l'oubli d'impliquer le citoyen à titre individuel. Nous
rappelons, qu'à notre avis, une des difficultés de l'appropriation par le membre de la société
d'accueil du phénomène de l'immigration, et des changements qu'il provoque au sein de la
société québécoise, a résidé dans cette association les nouveaux arrivants /la société
d'accueil. Comment le membre de la société d'accueil pourrrait se sentir impliqué non pas
seulement à titre individuel, puisque que la relation est avant tout affaire d'individus, mais
aussi se sentir impliqué socialement puisque que c'est justement à ce système qui le dépasse
à qui on donne la responsabilité d'accueillir sans que le citoyen soit nommé. Nous le
redisons : il peut être très réconfortant de savoir que nous faisons partie d'une société
accueillante d'autant plus que de nombreuses structures d'accueil ont été mises sur pied au
Québec.
Nous avons mentionné aussi que le concept de citoyenneté, tel que véhiculé au Québec, fait
appel aux citoyens habitant le territoire, afin qu'ils développent des relations civiques.
Ainsi, veut-on interpeller et responsabiliser davantage l'individu citoyen. En 1990, le
MAICC s'appuyait sur une conception de l'intégration définie comme un processus
multidimensionnel d'adaptation à long terme; ce processus n'est achevé que lorsque
l'immigrant ou ses descendants participent pleinement à l'ensemble de la vie collective de la
société d'accueil et a développé un sentiment d'appartenance.
Les deux concepts de participation et d'appartenance sont repris avec le concept de
citoyenneté et de relations civiques dont veut s'inspirer actuellement le MRCI pour
l'élaboration d'un contrat civique. Toutefois, nous tenons à souligner qu'en mettant
l'emphase sur la notion de participation, le MRCI abroge la période d'adaptation en la
situant dans les premières années d'arrivée du nouvel arrivant. De même, l'intégration en
301
tant que processus et résultat de l'insertion sociale, devrait par le fait même et selon cette
tendance, se faire assez rapidement puisque l'on considère dorénavant le nouvel arrivant
comme un citoyen au même titre et statut que les Québécois de la société d'accueil; en cela
on lui attribue les mêmes droits et les mêmes responsabilités. Nous nous demandons si en
défendant uniquement la thèse égalitariste, nous ne compromettons pas la notion d'équité
qui commande que nous tenions compte des spécificités, notamment en ce qui concerne les
nouveaux arrivants : le parcours migratoire et la complexité de l'intégration. En tenir
compte exige que l'on admette que l'on doive y accorder une attention particulière, que l'on
reconnaisse la pluralité des parcours et la diversité des actions, entre autres le jumelage, qui
doivent être posées, afin de répondre au mieux au défi que pose le processus de l'intégration
tant du côté de l'immigrant que de celui de la société d'accueil. En tenir compte exige donc
de reconnaître toute la complexité de ce processus d'intégration et l'importance que l'on
doive accorder à la construction du lien social du jumelage qui est associé à cette démarche.
En tenir compte demande que l'État dépasse la logique coûts-bénéfices, logique du
donnant-donnant qui se révèle être un contre-lien.
Car il faut se demander pourquoi cet acte que l'on qualifie acte d'accueil des citoyens de la
société québécoise n'est pas inscrit dans un collectif ? Est-ce parce que le jumelage, relation
interpersonnelle qui se déroule principalement hors institution, est, comme nous l'avons
écrit, un acte difficile à circonscrire, imprévisible, risqué ? Le jumelage ne peut être qu'un
agent de régulation sociale; le jumelage est aussi sinon davantage un agent de
transformation, un déstabilisateur. En effet, comme nous le signale Michel Miranda, « la
permanence de toute société repose sur sa capacité non pas à gérer , mais à laisser
s'équilibrer ses forces conflictuelles » (1986:141); le lien social est ainsi confrontation de
valeurs en ce qu'il établit un rapport d'identité, mais aussi d'altérité.
Car comme toute forme de relation partenariale, le jumelage emprunte la voie de la
négociation et les partenaires doivent apprivoiser le compromis en surmontant «
l'incertitude qualitative », qui comme le rappelle (Neuville, 1997:298) « revêt un caractère
central et critique dans la construction d'une relation de coopération à long terme » . Lieu
de co-présence, de découverte, de chocs culturels, de distanciation face à sa propre culture,
le jumelage est un lieu de prise de conscience de l'identité/ altérité, lieu de négociation, de
transformation. Un lieu où des individus explorateurs participent à la transformation sociale
302
de la société (Martin, 1995) en jetant des ponts, en créant des liens, en niant la
fragmentation, en re-créant une dynamique d'intégration.
Faut-il le rappeler, s'engager à coopérer avec un autre dont on a une connaissance limitée et
dont on ne peut prédire avec certitude ses actions futures implique nécessairement de lui
accorder sa confiance. Mais il n'en demeure pas moins qu'accorder sa confiance dans ce
contexte imprégné d'ignorance est un geste risqué. Pour que le projet se concrétise, il faut
qu'il y ait la conviction partagée du bien-fondé de l'entreprise.
Le contrat moral dépasse le simple fait d'accueillir, il se manifeste dans l'acceptation de
l'autre et dans le pouvoir qu'on lui accorde, dans la symbolique de la reconnaissance qui
elle prend source dans l'axe de réciprocité. La complexité du processus de l'intégration, si
elle implique la participation de chaque individu, si elle nécessite une certaine
compréhension individuelle du processus, demande, nous le soulignons, une acceptation
collective des implications de ce processus.
Certaines intervenantes associent la difficulté d'avoir des « bénévoles » au fait que
l'immigration est un phénomène nouveau au Québec. En fait ce n'est pas tant l'immigration
qui soit un phénomène nouveau, mais plutôt l'acceptation par les membres de la société
d'accueil que l'immigration est un élément constituant de la société québécoise et en tant
que tel participe à sa transformation. La question est comment alors dans un tel contexte de
méconnaissance ou de résistance faire connaître le programme de jumelage aux Québécois
? Impliquer davantage les jumelés dans les stratégies de promotion fait partie d'un des
moyens que veulent se donner les intervenantes. Être accompagnées de jumelés pour faire
la promotion a comme objectif de les rendre porteurs du projet, et multiplicateurs dans les
milieux. On désire responsabiliser les jumelés face à leur engagement et lier ainsi ce projet
individuel à un projet d'ensemble, à un projet social pour que celui-ci devienne une
responsabilité collective face à l'intégration. Cependant, comme nous l'avons constaté, les
intervenantes ont, elles mêmes, de la difficulté à attribuer au jumelage une dimension
collective.
De plus, le temps que les intervenantes doivent accorder à la promotion et les difficultés
que pose la sensibilisation de la collectivité affectent la qualité de leur intervention. Ce
problème, redit dans l'étude de Charbonneau et al (1999), était au cœur des discussions de
303
la réunion entre les représentants du MCCI et des organismes communautaires en 1992 et
fut repris lors du premier événement public du Réseau jumelage en 1996. Les participants
avaient alors recommandé que « compte tenu de l'importance de la promotion dans le
recrutement des candidats, il est proposé que le MCCI soutienne les organismes en
organisant une campagne de promotion du jumelage auprès du public québécois. »
Recommandation qui malheureusement, selon nous, ne fut pas retenue par le MCCI.
Recommandation qui mériterait sûrement d'être analysée car elle questionne la
responsabilité de l'État face à un programme qu'il a mis en place et par lequel il fait appel
au citoyen comme agent d'intégration sociale.
Plusieurs intervenantes déplorent manquer d'hommes québécois, et dans certains cas de
femmes; tous les organismes cherchent des familles. Dans le cas des hommes, nous avons
émis des hypothèses concernant les notions du don et de l'implication sociale, qu'une autre
étude pourrait approfondir. Dans l'immédiat, il y aurait sûrement une stratégie de
recrutement ciblé à faire auprès d'associations professionnelles, de regroupements sportifs,
où se retrouvent une majorité d'hommes. Le jumelage professionnel, c'est-à-dire réalisé à
partir des profils d'employabilité ou d'intérêts professionnels, serait sûrement aussi une voie
à explorer. Le manque de familles nucléaires est un fait objectif dans certains quartiers de
Montréal; dans d'autres quartiers plus résidentiels, il faudrait analyser d'autres variables qui
font en sorte que les familles ne s'engagent pas dans le jumelage. Est-ce la complexité de
l'implication familiale, comment en effet faire coincider les besoins et les attentes de
chacun, comment faire en sorte que tous aient des affinités et des profils concomittants ? Ne
faudrait-il pas faire une analyse comparative des difficultés de recrutement des bénévoles
en considérant d'autres types d'action bénévole dans le domaine de l'accompagnement
social (mentorat, parrainage) ?
Une autre contrainte qui est en fait une zone d'incertitude, c'est, pour les intervenantes,
d'établir les motivations des gens à être jumelés afin de maximiser les possibilités que le
jumelage réponde aux attentes des uns et des autres. L'analyse des données indique que
cette zone d'incertitude est liée au flou de la dynamique du jumelage, aux motivations
profondes reliées aux parcours de vie des individus et à leur compréhension des objectifs du
programme, programme à la fois structuré et intégré dans une organisation, dans un univers
304
des rapports sociaux secondaires, mais surtout spontané et intégré dans l’univers des
rapports sociaux primaires.
Les motivations des personnes-ressources combinées aux objectifs des programmes de
jumelage qui leur sont présentés confirment, comme l’indique l’étude de Charbonneau,
Dansereau et Vatz-Laaroussi (1999), deux grandes orientations au jumelage :
démonstration d’un geste d’accueil ou d'un besoin d'accueil (axe sociétaire) désir d’entrer
en relation (axe communautaire). Toutefois, comme nous l'avons vu, ce vouloir entrer en
relation peut être principalement porté par l'aspect utilitaire, notamment dans le cas des
Québécois, celui d'apprendre ou de pratiquer une autre langue. Par ailleurs, les motivations
peuvent être au départ insoupçonnées; elles se révéleront en cours de route, de même que
certains préjugés latents pourront se révéler lors d'incidents critiques, ce qui complexifie
l’intervention.
Le lien social du jumelage, tel que présenté par les intervenantes se définit selon trois axes
relationnels : celui du bénévolat, de l’amitié, de la rencontre interculturelle; ces
représentations amènent les intervenantes à poser des actions en accord avec chacune
d’entre elles, et, selon les difficultés rencontrées, les résultats obtenus, à en remettre en
question certaines.
L’axe du bénévolat et l’axe de l’amitié ont été tour à tour et en même temps les axes
privilégiés pour présenter la relation de jumelage. Comme nous l’avons mentionné, le
jumelage ayant été d’abord institué dans le but d’aider les réfugiés à s’intégrer, le bénévolat
dans le sens aidant/aidé a été mis de l’avant dans l’appel à l’engagement des personnes-
ressources. Toutefois, alors que pour un organisme la philosophie de l'action bénévole est
imprégnée de la charité chrétienne dans la gratification du don de soi, et que pour un autre
il est associé à la notion de l'engagement moral, les autres membres du Réseau prennent
leur distance non seulement face à la notion de bénévolat, associée à la notion de
paternalisme et d'assimilation, mais en ont aussi contre l’utilisation du terme bénévole pour
désigner les personnes de la société d’accueil.
Ces divergences de point de vue dans la représentation de la nature de l'engagement des
personnes de la société d'accueil de même que dans la façon de les nommer ont été révélées
au sein du Réseau jumelage notamment lors de la production de la vidéo promotionnelle sur
305
le jumelage interculturel. Les intervenantes ont confronté leurs points de vue, et tout en
gardant chacune leur position, en sont arrivées à un compromis : la personne de la société
d'accueil est nommée jumelé d'accueil. Faute de temps et peut-être par crainte de plonger au
cœur de notions empreintes d'émotivité parce que liées aux diverses représentations et
acceptation ou non/acceptation de la dimension religieuse de l'acte du don et de son
inscription dans l'histoire d'une société, les intervenantes ont opté pour une troisième voie,
celle de la neutralité. Mais confrontées au besoin de préciser davantage quelles seraient les
règles à respecter pour une personne qui s'engage volontairement et librement dans une
relation de jumelage, les intervenantes du Réseau jumelage ont du remettre à l'ordre du jour
la réflexion sur la notion de bénévolat. Elles ont alors davantage précisé leurs raisons pour
ne pas inscrire l'acte du jumelage dans l'axe du bénévolat. Le fait que le terme bénévole soit
donné de façon exclusive aux jumelés d'accueil fut évoqué; ceci briserait, selon les
intervenantes, l'axe symétrique au sein duquel la majorité des intervenantes veulent inscrire
la relation. Des intervenantes soulignent aussi le fait qu'inscrire les jumelés en tant que
personnes bénévoles les astreindrait à davantage formaliser l'acte; ce qui va dans le sens
opposé du vouloir insérer le jumelage comme un geste spontané, libre, « gratuit » oserions-
nous dire .
Le non vouloir associer le jumelage à un acte bénévole est aussi lié à la notion de travail
non rémunéré et à la notion d'insertion sociale à partir de besoins bien identifiés qui sont au
cœur du néo-bénévolat, tel que décrit par Redjeb (1991). Cet axe asymétrique où le
bénévole va chercher une amélioration de sa condition de vie, contredirait la notion
d'échange inhérente au jumelage. Les intervenantes sont donc confrontées à se demander :
si ce n'est pas du bénévolat, qu'est-ce que le jumelage ?
La question du lien étant au cœur des préoccupations des intervenantes, celle-ci les a
amenées à analyser leurs réticences à inscrire le jumelage comme un acte bénévole. Cette
réflexion les a conduites à circonscrire leurs propres ambiguïtés et à mesurer leurs
difficultés à intégrer la notion de l’engagement, notion non seulement à la base du
bénévolens, mais au cœur, nous semble-t-il, de l'acte du jumelage.
Nous convenons avec les intervenantes que nommer les jumelés d'accueil bénévoles leur
attribue d'emblée et peut-être de façon exclusive la qualité d'aidant vis-à-vis un aidé et peut
306
confiner la relation dans un axe asymétrique. Que cet axe asymétrique ne peut dans le
contexte du jumelage définir la relation puisque celle-ci se passe entre deux individus qui
ont chacun leurs propres expériences de vie à partager, leurs connaissances à transmettre à
l'autre.
Cependant, nous questionnons le fait que l'acte du jumelage ne soit pas considéré comme
un acte bénévole, un acte de bon vouloir. Car dans les faits, l'acte du jumelage est un acte
bénévole : un geste qui est posé sans contraintes, un geste qui démontre une certaine
bienveillance dans le sens de la cordialité, un acte non rémunéré, libre et inscrit dans une
organisation.
Le fait, croyons-nous, de donner au jumelage la valeur marchande de l'échange, du
donnant/donnant éloigne le jumelage de l'univers du don, alors qu'il y a bien don de temps,
de connaissances, d'informations, d'expériences, d'affect, et effrite sa qualité de lien. En
effet dans l'univers du don, la non-équivalence, qui se traduit par l'espoir du retour fait en
sorte que se tisse une histoire relationnelle.
Intégrer la dimension du don dans le jumelage, c'est, nous le rappelons, se poser la question
sur les motivations qu'ont les acteurs à entrer dans cet espace du don, sur les rôles qu'ils y
tiendront, mais c'est aussi se demander quels seront les bénéfices qu'ils en retireront, ce
qu'ils gagneront ou perdront (ou auront l'impression de gagner ou de perdre) en tant
qu'individus (groupe et société) dans l'échange.
Les intervenantes en priorisant l'axe symétrique de la relation basé sur la valeur de
l'échange entre individus accentuent l'assisse du « je » propre au néo-bénévolat dont les
valeurs sont centrées sur l'individualité. Ce faisant elles délaissent l'aspect social de l'acte
qu'est l'assise du nous. De plus, en refusant l'axe du bénévolat, les intervenantes négligent
du coup le code axiologique de l'entraide. Celui-ci pourtant emprunte plusieurs valeurs à
l'idéologie communautaire, mentionnons : la solidarité, le respect, la réciprocité, l'équité,
l'égalité. La solidarité implique la responsabilité du lien, la prise en compte et le respect de
l'autre.
Cette valeur donnant/donnant emprunte d'une certaine façon, peut-être de façon
inconsciente, à la logique coûts-bénéfices telle qu'appliquée par l'État; les individus qui
307
acceptent de s'engager dans le jumelage, qui permettent aux intervenantes et aux
organismes de respecter l'entente avec le bailleur de fonds quant au quota, le nombre de
jumelages à réaliser annuellement, doivent de façon prioritaire en être bénéficiaires, en
retirer quelque chose.
Si nous convenons par ailleurs qu'inscrire le jumelage dans l'axe du bénévolat, comme le
font certains organismes, n’est pas nécessairement un empêchement à l'émergence d’un lien
d'amitié (Charbonneau et al, 1999), nous croyons qu'inscrire a priori la relation dans l'axe
de l'amitié (le contrat du lien) pourra être une forme de contrainte à l'épanouissement du
lien.
En 1992, lors d’une réunion d’évaluation du programme jumelage qui réunissait des agents
du MCCI et des directeurs d’organismes communautaires, on a évalué qu’il serait plus
facile et plus fidèle à l’esprit du jumelage, en tant que relation symétrique où l’immigrant
est davantage perçu comme un être doté d’aptitude à acquérir son autonomie, de situer le
programme dans l’axe amitié. Mais là encore, certaines intervenantes remettent en question
le fait d’ancrer dès le départ la relation dans un contrat d'amitié tout en laissant la porte
ouverte au possible développement de ce lien.
Il nous apparaît que ce passage d’un extrême du continuum relationnel à l’autre, du
bénévolat relation asymétrique à l'amitié relation symétrique nous semble oublier un espace
intermédiaire qu’est celui du partenariat.
Considérer l’autre comme un partenaire c’est d’abord le reconnaître égal en droits et en
responsabilités, c’est lui signifier notre acceptation de sa réalité, notre désir d’entrer en
négociation prélude à la négociation et au contrat. Mais avant tout, la négociation, souligne
Borzeix (1987), est un « acte de reconnaissance. » Un acte de reconnaissance parce que, par
elle, on reconnaît à l'individu le « droit d'être considéré comme partie prenante, partenaire à
part entière pour les affaires le concernant. » Le jumelage devrait être reconnu d'abord
comme une invitation à créer du lien entre humains, puis comme une manifestation d'un
geste d'accueil d'un citoyen à l'égard d'un nouvel arrivant, enfin, une alliance, donc un
espace où on se compromet. Car, comme l'a signalé Michel Miranda, le lien social est aussi
confrontation de valeurs en ce qu'il établit un rapport d'identité, mais aussi d'altérité. Le
jumelage donne l'opportunité d'individualiser l'autre, et par le fait même de prendre
308
conscience de sa propre individualité. Inscrire le jumelage acte bénévole ou acte de
rapprochement interculturel ou encore geste d'amitié ne suffit pas à doter celui-ci d'une
dimension collective. Ce n'est pas tant le fait de définir le jumelage comme une relation
d'aide ou comme une relation d'amitié qui conditionne les interactions des personnes
engagées dans le jumelage et les amènent à interpréter différemment les éléments du
contexte de la relation, comme le postulait notre première hypothèse. C'est plutôt le fait que
le jumelage, en tant qu'intervention et relation, ne soit pas doté à la fois d'une dimension
sociétaire et communautaire, et présenté comme tel. La dimension sociétaire de l'acte du
jumelage est dans le devoir du geste d'accueil envers le nouvel arrivant, et dans la
considération de l'autre à titre de partenaire, sujet individualisé, pour l'élaboration d'un
projet commun. La dimension communautaire est dans le vouloir créer du lien entre
humains, dans la manifestation d'un vouloir vivre ensemble.
La coopération n’est pas un lien d’amitié; le lien d’amitié n’est pas du tout une condition au
partenariat, bien qu’il puisse poindre en cours de route. Le contrat institué dès le départ,
contrat auquel on attribue les qualités amicales non seulement ne fait pas lien, mais comme
le souligne Apollon (1993:181), il conditionne l’alliance. Et dans ce cas, cette alliance se
tisse entre étrangers; entre étrangers qui sont marqués par des contextes de vie différents et
qui ont chacun à leur manière et de manière commune à composer avec le présent puis à se
projeter de façon individuelle et collective dans un avenir commun. Toutefois, pouvoir se
mouvoir à travers des codes différents exige de l'individu, comme le rappelle Taft (1981) «
une tolérance à l'ambiguïté », à l'incertitude, à l'imprévisible.
Et celle-ci se manifeste de façon particulière en ce qui concerne la dimension
interculturelle. Toutes les intervenantes conçoivent la dimension interculturelle du jumelage
comme étant au cœur de la relation. Le jumelage est alors considéré comme un moyen de
rapprocher les nouveaux arrivants et les gens de la société d'accueil, comme un lieu de
partage; ce qui rejoint la notion de « réciprocité dans les échanges » de Clanet.
Mais l'interculturel ne qualifie pas la qualité ou la nature du lien, ni ne campe les actants
dans des rôles spécifiques, ni leur donne de responsabilités, contrairement à l'axe du
bénévolat et de l'amitié, il lui attribue une dimension. Le jumelage considéré dans la
dimension interculturelle est ainsi appréhendé dans un espace de l'aléatoire parce que
309
rencontre humaine, un espace en développement; un espace a priori, de savoir-être,
d'attitudes, de prise de conscience de ses qualités, de prédispositions à l'autocritique, à la
décentration, d'ouverture à l'autre.
Ce rapport entre individus, permet, selon l’intervenante C, de voir les individus dans leurs
multiples dimensions, leurs multiples appartenances, ce que ne permet pas une relation de
groupe. L’espace interculturel du jumelage devient ainsi un lieu de « chocs culturels » où a
lieu une prise de conscience identitaire en même temps qu’une occasion pour chacune des
parties en cause de prendre de la distance par rapport à ses valeurs, et souvent de les
relativiser. Les zones d'incertitude deviennent souvent au cœur de la dimension
interculturelle des lieux de remise en question, de prise de position et d'innovation. Nous
soulignons que les intervenantes croient, à l'instar de l'intervenante B, « que les gens qu'ils
recherchent n'ont pas tant besoin de savoir-être bénévole, mais plus un savoir être dans
l'interculture. » Être bénévole signifie avoir un rôle déterminé alors qu'être dans
l'interculturel, c'est accepter l'indéterminé.
Nous avons noté que si ces intervenantes situent la relation comme une rencontre
interculturelle, seules les intervenantes B, F et C connaissent et mettent en pratique dans
leurs interventions, les principes et actions de l'approche interculturelle, tels que décrits par
Cohen-Émerique et autres disciples. La majorité des intervenantes tentent plutôt de
s'appuyer, parfois de façon fragile, sur leurs savoirs et leurs compétences en les adaptant au
contexte de l'intervention jumelage. D'ailleurs les intervenantes ont décidé de demander une
formation sur l'approche interculturelle et sur le processus de médiation. Nos observations
tout au long de cette recherche, notre analyse des données, notre réflexion empirique nous
conduit à épouser la position de Schön (1995) que nous avons cité au chapitre 5. Les
praticiennes que nous avons rencontrées, tout particulièrement, mais pas uniquement celles
qui ont une formation académique en sciences humaines ou sociales, œuvrent dans la
position du doute et de l'autocritique ainsi que de l'ouverture au changement.
Par ailleurs, comme nous l'avons écrit, l'intervenante en jumelage est avant tout un agent
social : une personne à qui on a donné des pouvoirs qui se traduisent en responsabilités, en
devoirs. Le mandat que la société lui attribue est de faire une intervention sociale. Le
jumelage, relation primaire certes, mais aussi secondaire, est présenté aux futurs jumelés
310
comme un programme intégré à un organisme. Trois espaces leur sont offerts pour
développer ce sentiment d'appartenance à l'organisation, des formations, des cafés-
rencontre et des activités collectives culturelles ou de loisirs. Car le contrat moral dépasse
le simple fait d'accueillir, il se manifeste dans la symbolique de la reconnaissance, non
seulement dans l'établissement d'une relation interpersonnelle, mais en tant qu'appropriation
collective de la réalité plurielle qui passe irrésistiblement par l'identification de nouveaux
éléments et par l'assimilation des nouveaux apports, synergie transculturelle. Toutefois la
contrainte financière et la contrainte du temps font qu'il est difficile d'offrir ces espaces
communautaires aux jumelés, il est difficile pour eux de les investir. La notion de temps,
plutôt l'absence du temps nécessaire à chaque étape du processus du jumelage est dite et
redite par les intervenantes. Permettre aux intervenantes de s'investir dans la réflexion sur
les difficultés du programme jumelage, leur permettre de penser de nouveaux lieux pour
que la relation s'épanouisse, demande que l'on dépasse la logique coûts-bénéfices, et que
l'on se penche sur l'importance accordée à la construction du lien social du jumelage et à la
reconnaissance de la complexité de ce lien social. Comme le souligne Melucci (1993:190)
ces mobilisations collectives sont des espaces nécessaires, des mécanismes de liaison, « où
les liens deviennent explicites, où l'on permet au réseau latent de faire surface et de
s'agréger pour ensuite s'immerger à nouveau dans le quotidien. » Nous devons nous
demander si en effet la tendance de plus en plus marquée des organismes communautaires
vers la bureaucratisation, la logique de l'efficacité, la logique coûts-bénéfices où tout doit
être quantifiable, alors que, comme le mentionne Minztberg, « l'intégration, la croissance,
la créativité dépendent en grande partie de l'autre processus de pensée, en considérant les
choses sous un aspect holistique à partir d'une perspective de synthèse » (1990:500), peut
être un frein à l'élaboration et à la transmission du sens de la mission ?
Car l'incertitude de l'intervenante devant les choix, incertitude liée à la prise de conscience
des limites de ses propres compétences est doublée des contraintes qui se présentent à elle.
En effet, les entretiens individuels que nous avons menés auprès des intervenantes en
jumelage nous ont permis de constater que la problématique de l'interaction des acteurs liés
au jumelage impliquait plusieurs éléments. Nous en avons relevé quelques-uns : le mandat
donné aux intervenantes au sein de l'organisme, leur personnalité, leur horaire de travail,
leur vision du programme, la perception de leur implication, leur conception de
311
l'engagement des jumelés, leur aptitude à gérer des conflits, leur définition de l'intégration,
leurs préjugés, leurs acquis à titre d'intervenante, leur formation, les attentes et objectifs des
jumelés, et enfin, le contexte organisationnel, politique, social et économique de la société
québécoise. Nous nous sommes demandée comment l'intervenante attribuait telle difficulté
rencontrée à telle contrainte ? Quel lien l'intervenante devrait-elle établir entre ces
contraintes, entre ces difficultés et contraintes ? Comment les intervenantes composent-
elles, par exemple, avec cette contrainte systémique, imposée par le contexte politique
fédéral/provincial qui exclut les revendicateurs de statut du programme de jumelage ? Cette
clientèle non-admissible représente tout de même un fort pourcentage des nouveaux
arrivants demandeurs de services dans les organismes communautaires.
Il appert que la majorité des intervenantes ne sont pas d'accord avec leur non-admissibilité
au programme jumelage telle que dictée par le MRCI, considérant que cela va à l'encontre
de la mission humanitaire des organismes. Par contre, les intervenantes sont conscientes
qu'elles doivent se conformer aux critères établis par le MRCI pour obtenir la subvention.
Une fois encore, la tension est manifeste entre répondre à la mission humanitaire
(communautaire) et répondre à la mission de l'organisme telle que définie par le MRCI
(gouvernement/subventionnaire). Nos données mettent en évidence cette tension entre les
orientations du programme données par le ministère et la réalité des pratiques. Notre
hypothèse voulant que les contraintes gouvernementales actualisées par des critères de
sélection et des règlements suscitent des espaces de créativité et de transgression s'avère
juste dans ce cas. Plusieurs responsables du programme de jumelage répondent à l'entente
avec le ministère en faisant le nombre demandé de jumelages admissibles puis jumellent les
non-admissibles. Cette situation de semi-clandestinité qui fait « qu'entre eux, ils n'en
parlent pas » a un impact sur la qualité des jumelages. En effet, la stratégie de jumeler les
revendicateurs se fait parfois de façon improvisée, sans norme précise et les interventions
reflètent parfois le peu d'assurance que les intervenantes ont dans ce champ d'intervention.
De plus, étant donné la situation d'interdiction, les intervenantes ont inscrit cette question
au dernier rang de leurs préoccupations en terme de formation, selon un sondage distribué
par le Réseau jumelage en 1998. Ce qui ne signifie pas pour autant, comme nous le
soulignons dans notre analyse, qu'elles ne sont pas conscientes que la résolution du
problème demande d'autres types d'action entre autres, des formations spécifiques aux
312
bénévoles, une sélection plus pointue et particulière des bénévoles qui auraient des
compétences essentielles à ce type de jumelage (ex : étudiants en travail social ou
travailleur social), des sessions d'information adaptées aux revendicateurs sur ce qu'est le
jumelage, ses apports et ses limites.
Il est consternant de lire dans une recherche telle celle réalisée par les chercheures
Charbonneau et Dansereau de l'INRS-Urbanisation et par M. Vatz-Laaroussi (1999:193)
une recommandation disant « qu'il serait préférable (étant donné les difficultés reliées à ce
type de jumelage) de ne pas encourager ce type de jumelage. » Alors que d'autres
recherches (Jacob, Bertot, Frigault, Lévy, 1996; Rousseau, Moreau, Drapeau, Marotte,
1997; Bertot, Mekki-Berrada, 1999) démontrent l'extrême isolement et vulnérabilité
auxquels sont confrontés les revendicateurs en attente de statut et leur besoin immense de
support social. Ces derniers insistent entre autres, sur l'urgence de rendre accessibles aux
demandeurs d'asile l'ensemble des services prévus dans le cadre du PAEI. « Et ce dès leur
arrivée, pour leur propre bénéfice comme pour celui de la société qu'ils sont invités à
intégrer pleinement » (Bertot, Mekki-Berrada, 1999:95). Ne serait-il pas plus pertinent et
constructif de se pencher sur la notion d'accompagnement social de cette « clientèle » et de
voir quelles pourraient être les modalités en terme de prévention et d'intégration afin de
sortir cette problématique de l'ombre néfaste en ce cas, des « pratiques silencieuses . »
Ces pratiques silencieuses de même que les zones d'incertitude poussent les intervenantes,
et ceci est très marqué chez l’intervenante B, à se questionner sur leur rôle, sur les limites
de leurs fonctions. Pourquoi certaines situations se produisent-elles ? Comment éviter des
situations de crise où seront révélés des préjugés latents ? Leur revient-elles de faire de
l'éducation interculturelle ? Quels sont les meilleurs outils de sélection des personnes,
d'évaluation de leurs habiletés à répondre aux objectifs du jumelage ? Ces questionnements
habitent continuellement les intervenantes; d'autant plus que d'autres difficultés, non
essentiellement attribuables à la dimension interculturelle, ajoutent à la complexité de
l'intervention jumelage. Les notions de santé mentale et d'homosexualité sont parmi celles-
là. Elles obligent les intervenantes à jongler avec des questions d'ordre moral, d'éthique, de
même qu'elles les confrontent à leurs propres préjugés. Le doute épistémologique suscité
par les zones d'incertitude fait donc partie de la démarche des intervenantes.
313
Une autre dimension importante de l'intervention que révèlent nos données est le processus
du suivi ou plus précisément, l'importance du suivi et la difficulté qu'ont les intervenantes à
l'assurer.
L'intervenante D dénonce le manque de temps pour assurer un suivi régulier qui pourrait
développer des liens solides de confiance. La notion du lien à consolider est au cœur des
préoccupations des intervenantes puisque la reconnaissance de leurs efforts, de leurs
compétences, du bien fondé de leur intervention, s'y trouve. Les discussions au Réseau
jumelage ont fait ressortir qu'en ce qui concerne les modalités du suivi, les intervenantes
optent pour une structure souple. Nous croyons que certaines avenues telles des activités
collectives festives (occasion de tisser des liens entre les jumelés, opportunité pour
l'intervenante de s'enquérir de la dynamique des jumelages de façon informelle), doivent
être maintenues. Par contre, d'autres devront être questionnées, analysées et modifiées,
telles les formules cafés-rencontres où la majorité des intervenantes déplorent le faible taux
de participation.
Le processus du suivi permet aux intervenantes de dévoiler les non-dits de la relation : les
incompréhensions ou les ruptures de jumelage et met en relief la notion de l'engagement.
Nous nous sommes demandée comment les intervenantes abordent la notion de
l'engagement social ? Celles-ci affirment qu'elles n'ont pas à adopter une attitude coercitive,
dirigiste, mais d'encadrement face à des gens qui s'engagent librement dans un projet. Une
attitude de flexibilité qui veut laisser la responsabilité de la relation aux jumelés, mais une
attitude que l'on pourrait qualifier, dans certains cas, de non-intervention. Ainsi,
l'intervenante I affirme : « moi je n'interviens pas, je dis bon, espérons que ça marche » et
concernant l'introduction de l'immigrant dans un réseau, elle précise : « non je ne leur dis
pas(…); ça peut faire, "mon Dieu je dois le présenter à ma famille". » Certaines iront
jusqu'à n'imposer aucune règle de fonctionnement alors que d'autres insistent sur l'espoir
que la relation fonctionne. Peu insistent sur l'importance de l'engagement et de la
responsabilité du lien. Nous avons souligné qu'il nous apparaît particulièrement important
de parler de la notion d'exit dans la relation de jumelage, et donc de l'aborder au cours de
l'intervention parce que l'exit peut provoquer le ressentiment envers non pas seulement un
individu, mais aussi envers tout un groupe social. Nous croyons que l'intervenante en
jumelage devrait assumer un rôle d'intermédiaire lorsqu'il y a volonté de mettre fin à la
314
relation, de même qu'il serait opportun qu'il y ait une forme de rituel de la fin ou étape de
transition. Cette étape permettrait, selon nous, de redonner à l'acte du jumelage une
dimension collective.
Par ailleurs, ce non vouloir imposer se traduit par un non pouvoir inscrire le jumelage dans
une dimension collective : en ne disant pas au jumelé d'accueil l'importance d'intégrer le
nouveau venu dans un réseau social. Les intervenantes rencontrent ainsi des difficultés à
rendre les jumelés porteurs et multiplicateurs du projet. Il est particulièrement intéressant
de noter que pour la majorité des intervenantes en jumelage, l'intégration se situe d'abord
dans un rapport interpersonnel, dans l'ordre du micro, lieu de déploiement d'un lien social et
dans un deuxième temps dans le développement d'un réseau social. En fait les intervenantes
évaluent, avec raison, que le jumelage en tant que rencontre entre un nouvel arrivant et un
Québécois permet à l'un et à l'autre d'élargir son réseau social. En effet, le jumelage a ce
potentiel. Toutefois, la dimension de la densité du réseau social des participants n'étant pas
prise en compte lors du pairage, il faut admettre que le potentiel d'intégration du nouvel
arrivant dans un nouveau réseau social s'en trouve limité ou du moins non assuré. Cette
responsabilité spécifique qui incombe au Québécois qui en a les capacités n'est souvent pas
dite par l'intervenante, par crainte d'être trop dirigiste. Peut-être est-ce dû au fait que,
comme nous l'a signifié Jean Ladrière (1967:4), l'acte d'engagement ou « l'engagement-acte
» est une décision où l'individu « se met en jeu lui-même ? »
Le lien social du jumelage est un lien complexe. S'il est vrai que la mise en place du Réseau
jumelage fut motivée par la crainte que le programme du jumelage ne soit plus considéré
prioritaire par le MRCI, le Réseau a répondu aussi et surtout au besoin d'échanges
manifesté par les intervenantes. Nous avons qualifié le Réseau jumelage d'espace de
transgression. Le Réseau est en fait le seul espace, pour ce qui est des différents comités et
regroupements au sein du ROSNA, occupé exclusivement par des intervenantes. Par leurs
décisions et initiatives réalisées au sein du Réseau, les intervenantes vont jusqu'à la limite et
parfois même outrepassent le mandat accordé à des acteurs qui n'ont pas d'autorité
décisionnelle. D'ailleurs les directeurs ont, à un certain moment, remis en question cette
autonomie et ont défini le cadre d'intervention et d'action qu'ils accordaient à ce réseau. Ce
qui n'empêche pas le Réseau jumelage d'être et de continuer à être un espace de remise en
question et de créativité. Au sein de cet espace, les intervenantes questionnent leurs
315
pratiques, la redéfinissent, dévoilent leurs préjugés, analysent leurs difficultés et
développent des outils mieux adaptés à leur intervention. Si nous convenons avec Jean
Lavoué que la visée du changement social des intervenantes en jumelage ne vise ni une
transformation politique des rapports sociaux, ni n'épouse une logique
d'institutionnalisation du social, nous ne croyons pas par ailleurs que les travailleurs
sociaux, les travailleuses sociales, évoluent en dehors de toute perspective globale,
productrice de sens qui offrirait à leur action une signification extérieure reconnaissable.
L'occupation de cet espace collectif qu'est le Réseau jumelage, a conduit les intervenantes à
vouloir révéler dans l'espace public l'objectif avoué du jumelage qui est d'ordre sociétal et
dont les conditions de réalisation doivent être assumées par de multiples acteurs. Pour ce
faire, les intervenantes ont vu la nécessité d'un foisonnement de ces espaces de rencontre
interculturelle et d'échanges sur les réalités de chacun. Les tentatives de partenariat avec les
syndicats, avec les autres organisations des quartiers, avec la municipalité, la présence du
Réseau jumelage aux événements annuels tels les Journées de la culture, la Journée contre
la discrimination raciale, la Semaine de la francophonie, témoignent de cette volonté
d'associer d'autres responsables à cette démarche de rapprochement et d'intégration. D'autre
part, si les intervenantes croient au jumelage interpersonnel en tant que lieu de possibles,
elles ne considèrent pas cette forme de jumelage comme seul lieu de rencontre
interculturelle et de rapprochement, elles en envisagent d’autres moins exigeants, tel le
jumelage en francisation, le jumelage de groupe et entre groupes sociaux. Par ailleurs, elles
croient nécessaire de multiplier les espaces de rencontre entre les citoyens, notamment au
niveau des quartiers mais aussi au sein des institutions, telles les institutions scolaires.
Les intervenantes en confrontant non seulement leurs façons d'être (Cohen-Émerique,
1993), mais aussi leurs façons de faire (Bilodeau et all, 1993, Jacob, 1991, Chiasson-
Lavoie, 1992) acquièrent, nous l'avons dit, une capacité de se laisser questionner et de
découvrir d'autres espaces d'intervention. Cependant, pour cela, ne leur faut-il pas agir en
toute sécurité ? N'ont-elles pas besoin d'être soutenues dans leurs interventions et reconnues
pour leurs compétences ? Et, de façon plus large, n'ont-elles pas besoin que les délégués
leur reconnaissent un pouvoir d'influence en tant qu'artisanes du lien social ? Ce faisant, en
effet, ceux-ci leur ouvriraient la voie de l'espace tertiaire de la communication sociale
316
fondée sur une action pédagogique, sur l'éveil et la conscientisation des partenaires les plus
divers.
Car la dynamique de cette alliance qu'est le jumelage repose, comme nous l'a si bien dit
Gherzouli (1997:73), sur le « codéveloppement qui passe par l'élargissement des
réciprocités de base et la recherche continue d'espaces coopératifs féconds.» Ainsi, les
intervenantes en le mettant en place, contribueraient à donner au jumelage une dimension
collective. Cependant nous devons admettre qu'elles ne peuvent à elles seules faire de l'acte
jumelage un acte de citoyenneté.
317
Limites de notre thèse
La collecte de données, notamment par le biais d'entrevues individuelles auprès des
intervenantes, mais aussi par l'observation participante au sein du Réseau, et l'analyse
qualitative de ces données nous ont permis de saisir la complexité de la pratique du
jumelage , mais surtout nous a démontré la capacité des intervenantes à transformer leur
pratique. De plus, le fait d'avoir réalisé des entretiens avec des directeurs, des agents du
ministère et d'avoir eu recours à plusieurs sources documentaires nous auront permis
d'élargir notre angle d'analyse. Ainsi nous avons pu établir des liens entre des contraintes
systémiques et organisationnelles et certaines difficultés d'intervention. Nous croyons que
là résident l'originalité et l'intérêt de notre thèse.
Vouloir cerner une pratique implique d'analyser les multiples facettes de celle-ci. Cette
étude a donc le mérite de présenter le jumelage à partir du point de vue des intervenantes
par contre cette posture est en soi une limite à notre thèse. En effet chaque facette de
l'intervention jumelage a soulevé des questionnements auxquels nous ne pouvions répondre
dans le cadre de cette recherche. Ainsi nous n'avons pu approfondir la représentation que se
font les intervenantes de l'engagement, de l'approche interculturelle en tant que mode
d'intervention. Le fait aussi d'inscrire l'intervention du jumelage dans un contexte plus
large, le contexte socio-politique, nous a demandé d'accepter le fait que de multiples
questions restent en suspens; puisque cet angle d'analyse se situe davantage dans une
approche sociologique qu'ethnologique.
En ce qui concerne les difficultés de promotion du programme jumelage. Nous avons émis
certaines hypothèses notamment dans le cas du recrutement des hommes québécois, et plus
précisément en ce qui concerne les notions du don et de l'implication sociale; ces
hypothèses mériteraient d'être validées au cours d'une autre recherche. De même en ce qui a
trait à la question du jumelage familial, nous croyons qu'il faudrait analyser d'autres
variables qui font en sorte que les familles ne s'engagent pas dans le jumelage. Aussi nous
croyons qu'il serait important qu'il y ait une étude portant sur une analyse comparative des
318
difficultés de recrutement des participants au jumelage en considérant d'autres types
d'action bénévole dans le domaine de l'accompagnement social (mentorat, parrainage).
En ce qui concerne la notion de l'engagement, certaines questions pourraient être
approfondies dans des études intégrant une démarche interprétative. Par exemple, comment
les intervenantes se positionnent-elles face à cette notion de l'engagement ? Comment se
représentent-elles la notion de l'engagement dans un acte que l'on qualifie de volontaire, où
l'individu est libre de s'impliquer ? Quelle représentation ont les jumelés de leur
engagement ? Comment les agents du MRCI lient-t-ils l'acte du jumelage à un acte de
participation civique, quelle valeur les jumelés y accordent-ils ?
La dimension interculturelle de la relation du jumelage pourrait aussi être le sujet de
différentes études, entre autres, une étude sur la représentation que s'en font les
responsables du programme au MRCI.
Il serait également intéressant de faire une étude comparative concernant la notion de
bénévolat et le jumelage entre la représentation qu'en ont les intervenantes du Réseau
jumelage et celle qu'ont les intervenants en jumelage des autres provinces.
Il serait aussi important d'effectuer des recherches qualitatives auprès des jumelés,
québécois et nouveaux arrivants, sur leurs représentations des phénomènes de l'immigration
et de l'intégration et leur implication dans le jumelage.
Susan M. Arai, en conclusion de son analyse sur l'interrelation entre le bénévolat et les
changements socio-politiques, article publié à l'automne 2000, propose un angle de
recherche qui nous semble fondamental et qui pourrait faire l'objet d'une étude sur l'impact
social du jumelage : Nous la reprenons en ces termes : Comment supporter une activité
bénévole qui est à la fois activité de loisirs et à la fois activité politique en ce qu'elle
propose des changements sociaux?
Enfin il nous semble qu'il serait opportun, dans une étude complémentaire à celle-ci,
d'analyser la dynamique du Réseau jumelage interculturel, lieu de partenariat, d'échanges et
de transformation de la pratique du jumelage.
Bibliographie
Sources orales
Entrevues
Directeur A, février 1998
Intervenante A, automne 1996
Directrice B, automne 1997
Intervenante B, novembre 1996, et entretien de validation des données, mai 1998
Directrice C, juin 1997
Intervenante C, entrevue décembre 1996, entretien de validation des données mars 1998
Intervenante D, novembre 1996
Directrice E, avril 1998
Intervenante E, novembre 1996
Intervenant F, juin 1996, janvier 1997, entretien de validation des données, janvier 1998
Intervenante F, mars 1998
Directeur G, septembre 1996
Intervenante G, novembre 1996, février 1997
Directrice H, janvier 1998
Intervenante H décembre 1996
Directrice I, mai 1997
320Intervenante I, novembre 1996
Agents MRCI,(2, 3a, 3b, 4) janvier, février 1997
Agent Direction des Programmes MRCI, (1) février 1997
321Documents
Vous avez-dit jumelage ?, 1997, Vidéo du Réseau jumelage interculturel, réalisé par P.Sanchez
Le Réseau jumelage interculturel, 2000 Vidéo du Réseau jumelage interculturel, réalisé parHabib ElHage
Sources documentaires écrites
CACI, rapport annuel 1996-1997, 1997-1998, dépliant jumelage 1997-1998.
CARI, rapport annuel 1996-1997, 997-1998, dépliant jumelage 1997-1998.
CEDA, dépliants jumelage 1997-1998.Centre des femmes, rapport annuel 1995-1996, 1997-1998, dépliant jumelage 1997-1998.
CLAM, rapport annuel et dépliant jumelage, 1996-1997, 1997-1998.Conseil des Communautés culturelles et de l'immigration(CCCI), AVIS, 1993.
CSAI, rapport annuel 1996-1997, 1997-1998, dépliant jumelage 97-98.
Échos du SACAcom, 1996, Pour la reconnaissance et le financement de l'actioncommunautaire, Actes de la Rencontre Nationale des 14 et 15 novembre, décembre.
Hirondelle, Rapport annuel 1997-1998, dépliant jumelage 1997-1998.
Le Devoir, 26 avril 1993, « Ils sont des milliers d'immigrants à s’être trouvé des "jumeaux"québécois pour guider leurs premiers pas dans le monde » par Sylvie Louis,journaliste indépendante
Le Soleil, 4 avril 1992, Un pluralisme qui dépasse la simple acceptation, par Pierre Lebel
Ministère des Affaires internationales, de l'Immigration et des Communautés culturelles,Volet Immigration et Communautés culturelles 1996, Rapport annuel, 1995-1996.Les Publications du Québec, Ste-Foy, Québec.53 p.
Ministère des Communautés culturelles et de l'immigration, 1990, Énoncé de politique enmatière d'immigration et d'intégration, Au Québec pour bâtir ensemble, 88 p.
— 1992, Compte-rendu de la rencontre-échange sur le jumelage
Ministère des Relations avec les citoyens et de l'immigration, 1999, Descriptif duprogramme d'aide à la première intégration des immigrants
PROMIS, Rapport annuel 1996-1997, 1997-1998, dépliant jumelage 1997-1998
322Regroupement des organismes au service des nouveaux arrivants (ROSNA), Compte-rendu
des Journées de réflexion du ROSNA, les 1 et 2 décembre 1994, Montréal, 16 p.
SOPEMI, 1995, Tendances des migrations internationales, Système d'observationpermanente des migrations, Rapport annuel 1994, Édition 1995, Organisation deCoopération et de Développement Économiques.
Table de concertation des organismes de Montréal au service des réfugiés, Rapportd'activités 1995-1996, 1998-1999.
— 1997, Le changement de rôle des ONGs dans l'adaptation des nouveaux arrivants,Présentation de S. Moreau, Colloque Métropolis national sur l'immigration etl'intégration, mars, 6 p.
Union française, Rapport annuel 1997-1998, dépliant jumelage 1997-1998
Ouvrages consultés
ABOU, Selim., 1986. L'identité culturelle; relations interethniques et problèmesd'acculturation, Éd.Antropos
— 1990, « L'insertion des immigrés : approche conceptuelle », Les étrangers dans la ville :le regard des sciences sociales, sous la dir de I, Simon-Barouh et P, Jean-Simon,L'Harmattan, Paris, p. 126-138.
AIQUEL, Gerardo., 1994, Évaluation du programme Amitié-Jumelage, Hirondelle
AKTOUF, Omar. 1987, Méthodologie des sciences sociales et approche qualitative desorganisations; une introduction à la démarche classique et une critique, Presses del'Université du Québec, HEC Presses, 213p.
ALILI, Rochdy. 1994, « Qui s'intègre à quoi ? Qui intègre qui ? » Hommes et Migrations,no1182 p 15-20.
ALIX, Christian. 1995, « Les échanges scolaires : exemples et réflexions autour d'unepédagogie d'une dialogue et de pratiques coéducatives » Les institutions face auxdéfis du pluralisme ethnoculturel, sous la dir. de Ouellet, F, IQRC, Québec, p. 185-206.
ALLEN, Marie.France, et Guylaine Gagnon. 1991, L'accueil des réfugiés, évaluation duprogramme de jumelage, recherche sur l'intégration des immigrants jumelés à desQuébécois de souche, Centre international des femmes de Québec, 64p.
ALTHABE, Gérard. 1990, « Ethnologie du contemporain et enquête de terrain » Terrain14, mars p. 126-131.
323
ARAI, Susan M. 2000, « Typology of volunteers for a changing sociopolitical context : theimpact on social capital, citizenship and civil society » Loisirs et société, Presses del'université du Québec, volume 23, numéro 2, p. 327-352.
AUGÉ, Marc. 1992, Non-lieux; introduction à une anthropologie de la surmodernité,Librairie du xxe s. Éd du Seuil.
BANKS, John.A. 1988, « Race, ethnicité et scolarisation aux Etats-Unis, Bilan etperspective » Pluralisme et école : Jalons pour une approche critique de laformation interculturelle des éducateurs IQRC, Québec, p. 157-186.
BARDIN, Laurence. 1977, L'analyse de contenu, PUF le psychologue 233p.
BAREL, Yves, 1982, « Les enjeux du travail social » Action et recherches sociales, no 3, p.23-40.
BAROU, Jacques. 1993, « Les paradoxes de l'intégration », de l'infortune des mots à lavertu des concepts Ethnologie française, XXlll, 2 Immigration, Identités, Intégrationp. 169-176.
BEAUDOIN, André. 1978, Action volontaire et la société québécoise du XXe siècle (uneexploration des relations entre l'action volontaire et les phénomènes d'importancemajeure au Québec), Université Laval Québec, Étude réalisée en 1976 pour lecompte du Conseil consultatif canadien de l'Action volontaire, Secrétariat d'État,270p.
BERNIER, Diane. 1993, « Le stress des réfugiés et ses implications pour la pratique et laformation », Culture et intervention, Service Social, vol, 42, no 1, Université Laval,p. 81-99.
BERRY, John W. 1980, « Acculturation varieties of adaptation », A. Padilla Éd.Acculturation : Theory, model and some new findings, Colorado : Westview Press,Inc.
BERTOT, Jocelyne, et Abdelwahed MEKKI-BERRADA. 1999, Des services auxdemandeurs d'asile : pourquoi ? Ce qu'en disent les intervenants d'organismescommunautaires du grand Montréal; Table de concertation des organismes deMontréal au service des réfugiés, 115p, rapport de recherche.
BIBEAU, Gilles. 1993, « Le pluralisme culturel dans les services publics, recadrageanthropologique de la société postmoderne », Le pluralisme : défi d'aujourd'huidans le réseau de la santé et des services sociaux, Gouvernement du Québec, Actesdu colloque tenu à Montréal le 18 novembre 1992, p. 18-49.
BIBEAU, Gilles, et al. 1992, La Santé mentale et ses visages; Un Québec pluriethnique auquotidien, Gaétan Morin éditeur, p. 235-260.
324
BILODEAU, Guy,et al. 1993, « Méthodologie de l'intervention sociale et interculturalité »,Service social vol 42, no 1 Culture et intervention p. 25-48.
BLAIN, Aline. 1995, « Pour une intégration réussie des élèves de l'accueil : projet dejumelage avec des élèves du secteur régulier », Les institutions face aux défis dupluralisme ethnoculturel, sous la dir. de Ouellet, F, IQRC, Québec, p. 225-234.
BLANC, Bernadette. 1995, « Urbanisme et communautés culturelles :une planificationinterculturelle à Montréal » Les institutions face aux défis du pluralismeethnoculturel, sous la dir. Ouellet, F, IQRC, Québec, p. 477-487.
BOLLE DE BAL, Marcel. 1985, La tentation communautaire; les paradoxes de lareliance et de la contre-culture, Institut de Sociologie, Psychosociologie, Éditionsde l'Université de Bruxelles, 262 p.
BOUCHER, Nicole. 1988, « L'accessibilité des services aux communautés culturelles : unprincipe ou une réalité ? » Service Social, no 37. p. 455-462.
— 1993b. « Société multiethnique : implications pour la déontologie et l'éthiqueprofessionnelle » Intervention, 96, octobre, p. 45-57.
BORZEIX, Anni. 1987, « La négociation ordinaire », Connexions 50, La négociationactivité de médiation, Érès, p.97-107.
BOURQUE, Denis. 1991, « La pratique sociale, 20 ans après » , Nouvelles pratiquessociales, vol 4 no 2. Presses de l'Université du Québec.p. 31-42.
BRETON, Raymond. 1994, « L'appartenance progressive à une société : perspectives surl'intégration socio-culturelle des immigrants » Actes du Séminaire sur lesindicateurs d'intégration des immigrants, Gouvernement du Québec, MAICC,Centre d'études ethniques de l'université de Montréal p.239-274.
BROMBERGER, Christian. 1987, « Du grand au petit » Ethnologies en miroir, Chiva I etJeggle U, Paris, Éditions de la maison des sciences de l'homme, p. 67-94.
— 1980, « L'enquête orale en ethnologie » Collecte des témoignages oraux, stage inter-académique de la Mission d'action culturelle en milieu scolaire, C.N.D.P,Marseille, p. 13-18.
CAILLOUETTE, Jacques. 1994, « L'État partenaire du communautaire : vers un nouveaumodèle de développement » Nouvelles pratiques sociales, vol 7, no 1.Presses del'Université du Québec. p. 161-175.
CAMILLERI, Carmel. 1990, « Identité et gestion de la disparité culturelle : essai d'unetypologie » . Stratégies Identitaires, Camilleri, C, J, Kastersztein, E, Lipiansky, M,Malewska-Peyre, H, Taboada-Leonetti, A, Vasquez. Presses Universitaires deFrance.
325CAMILLERI, Carmel, et Margalit COHEN-ÉMERIQUE. 1989, Chocs de culture, concepts
et enjeux pratiques de l'interculturel, L'Harmattan, Paris.
CARON, Simon. 1995, « Les enjeux de l'arrimage entre le communautaire et le secteurspublic vus de la fenêtre d'un haut fonctionnaire du MSSS » Nouvelles pratiquessociales, Presses de l'Université du Québec.vol 8, no 1, printemps, p. 242-255.
CARTER, Novia. 1975, Le bénévolat : potentiel inexploité. Le Conseil canadien dedéveloppement social, 148p.
CELLIER, Isabelle. 1995, « Le bénévolat à travers la littérature; un objet d'étude àredéfinir » Anthropologie et sociétés, vol 19 1-2, p. 175-190.
CHANTAL, Yves et Robert, et J. VALLERAND. 2000, « Construction et validation del'échelle de motivation envers l'action bénévole(ÉMAB) », Loisirs et société, Pressede l'université du Québec volume 23, numéro 2, p. 477-508.
CHARLOT, Jean.Luc. 1996, « Travail social : s'autoriser des formes de travail collectif ? »Société civile, État et Économie plurielle, sous la dir Bernard Eme, Jean-LouisLaville, Louis Favreau, Yves Vaillancourt, Université du Québec à Montréal, XV eCongrès International de l'AISLF 8-12, juillet, 1996, Évora, Portugal p. 44-64.
CHARBONNEAU, Johane. Francine DANSEREAU, et Michèle VATZ-LAAROUSSI,1999, Analyse des processus de jumelage entre familles immigrantes et familles dela société d'accueil dans plusieurs régions du Québec, rapport de recherche, INRSUrbanisation, 213p.
CHIASSON-LAVOIE. Michèle et al. 1992, L'approche interculturelle auprès de réfugiéset de nouveaux immigrants, Service aux migrants et immigrants Centre de servicessociaux du Montréal métropolitain.
CLANET, Claude. 1990, L'interculturel; Introduction aux approches interculturelles enéducation et en sciences humaines. Interculturels, Presses universitaires du Mirail,236p.
COHEN-ÉMERIQUE, Margalit. 1993, L'approche interculturelle dans le processus d'aide,Santé mentale au Québec, XVLLL, 1, p.71-92.
COMEAU, Yvan. 1995, « Vie quotidienne et participation aux associationscommunautaires » Nouvelles pratiques sociales vol 8, no 1 Presses Université duQuébec à Montréal, p. 121-136.
CORDEIRO, Albano. 1993, « Les termes du débat sur l'intégration et les refus de ladiversité culturelle en France » . M. Fourier et G. Vermes, Ethnicisation desrapports sociaux; racismes, nationalismes, ethnicismes, et culturalismes, Éd.L'Harmattan, Paris. p. 167-173.
CORDONNIER, Laurent. 1994, « L'échange, la coopération et l'autonomie des personnes »La revue du M.A.U.S.S. semestrielle no 4, p.94-113.
326COSTA-LASCOUX, Jacqueline. 1994, « Les silences des indicateurs de l'intégration » .
Actes du Séminaire sur les indicateurs d'intégration des immigrants, Centre d'étudesethniques de l'Université de Montréal, p. 259-274.
COUILLARD, Marie-Andrée et Ginette CÔTÉ, 1995, La dynamique communautaire dansles années 1990; perspective et implications pour Centraide, Les rapports duCRSC, Centre de recherche sur les services communautaires, Université Laval, 72p.
COUILLARD, Marie-Andrée, et Ginette CÔTÉ. 1993, « Les défis d'une interface :lesgroupes de femmes et le réseau de la santé et des services sociaux de la région deQuébec » Département d'anthropologie, Centre de recherche sur les servicescommunautaires Université Laval.
CROWLEY, John. 1991, « Ethnicité, nation et contrat social » Théories du nationalisme,Paris :Kimé, p. 178-218.
DAIGNAULT, Samantha. 1996, Femmes immigrantes et intégration sociale; évaluationd'un projet d'échange interculturel, École de Service Social, Univ. de Montréal.
DAS, Kalpana. 1994, « Le défi de l'interculturel dans le secteur non institutionnel etinformel » , Interculture, Institut Interculturel de Montréal, vol XXVII, no 2,printemps, cahier no 123, p. 13-21.
DESCHAMPS, Jean-Baptiste. 1987, « La négociation pour ou contre le lien social? »Connexions 50 La négociation, activité de médiation, Érès, Paris, p. 73-84.
DESLAURIERS, Jean-Pierre. 1991, Recherche qualitative, guide pratique McGraw-Hill,éd, 142p. coll Thema.
DE VRIES, John. 1989, Coup d'œil sur la littérature traitant du développement et del'intégration des minorités ethnoculturelles, Ottawa, Multiculturalisme etcitoyenneté.
DODIER, Nicole, et Isabelle BASZANGER. 1997, « Totalisation et altérité dans l'enquêteethnographique » Revue française de sociologie, janvier-mars, XXXVIII-1, p.37-67.
DOMMERGUES, Pierre. sous la dir. 1988, La société de partenariat; économie-territoireet revitalisation régionale aux Etats-Unis et en France. Afnor-anthropos. Paris.439p.
DORÉ, Gérald. 1991, « Coopération conflictuelle pour les groupes communautaires » ,Colloque public :Politiques économiques et politiques sociales, Conseil canadien dedéveloppement social et Université de Montréal, Laboratoire de recherche École deservice social, janvier.p. 1-9.
DOUTRELOUX, Albert. 1991, « Communication interculturelle l'immigrant, notre miroir» , M. Lavallée, F. Ouellet, F. Larose, dir, Identité, culture et changement social,Éd. L'Harmattan, Paris. p. 213-219.
327DOUTRELOUX, Albert, et Lucille GUILBERT. 1992, « Communautés culturelles, une
solidarité paradoxale » , L'Action nationale, vol. LXXXII, no 8, octobre, p. 956-1002.
DUPERRÉ, Martine, 1992, « Du discours à la réalité dans le partenariat public-communautaire en santé mentale : une expérience au Saguenay-Lac St-Jean » ,Nouvelles pratiques sociales, vol 5 no 2, avril, Presses Université du Québec,Montréal.
EDMOND, Marc, et Dominique PICARD. 1989, L'interaction sociale, PUF, Lepsychologue, Paris, 239p.
ENRIQUEZ, Eugène. 1987, « Éditorial », in Connexions 50, La négociation commeactivité de médiation, Érès, Paris, p 4-7.
EVERAERT-DESMEDT, Nicole. 1981, Sémiotique du récit; méthodes et applicationsQuestions de communication Cabay, libraire éditeur 242 p.
FABRE, Daniel. 1986, « L'ethnologue et ses sources », Terrain, no 7, octobre, p.3-12.
FARRUGIA, Francis. 1997, « Le prix du lien : la question de la justice sociale »,Recherches sociologiques, Intégration et citoyenneté, volume XXV111 no.2 p. 111-127.
FAVREAU, Louis. 1995, « Quand l'économique interpelle le social :les nouveaux enjeuxde l'intersectorialité dans le champ de la santé et des services sociaux » , Nouvellespratiques sociales, vol 8.no 1, printemps p. 235-244.
FAVREAU, Louis et L. DOUCET. 1991, « Mise en perspective de autour trois modèles »,Théorie et pratiques en organisation communautaire, Presses de l'Université duQuébec, Montréal, p. 5-31.
— 1991, « Stratégie et stratégies en organisation communautaire » Théorie et pratiques enorganisation communautaire, Presses de l'université du Québec, Montréal, p. 59-70.
FERRAND-BECHMANN, Dan. 1992, Bénévolat et solidarité, Syros Alternatives, 190p.
FERRIÉ, Jean-Noël, et Gilles BOËTSCH. 1993, « L'immigration comme domaine del'anthropologie » Anthropologie et Sociétés, Folie/Espaces de sens, vol 17, no 1-2, p.239-252.
FIORINO, Giovanni. 1993, « L'adaptation institutionnelle : un défi interculturelenrichissant » , Intervention 96, octobre, p. 58-66.
FIRSIROTU, Mihaela E. 1988, « Comment les facteurs de contingence façonnent la cultured'une organisation : le cas du Canadien National », La Culture des organisations,sous la dir. de Simons, G, L, IQRC, Québec, p. 100-137.
328FOLCO, Raymonde. 1994, « L'interculturel non gouvernemental : pour un partenariat
véritable et de nouvelles pratiques » Interculture, Institut Interculturel de Montréal,vol XXVII, no 2, printemps/ cahier no 123, p. 3-7.
FORTIN, Andrée. 1988, « L'observation participante : au cœur de l'altérité », Les méthodesqualitatives, J-P, Deslauriers, Sillery, PUQ, p.23-33.
FORTIN, Pierre. 1995, La morale, l'éthique, l'éthicologie, Presses de l'Université duQuébec, Ste-Foy 124p.
FRIEDBERG, Erhard. 1993, « Organisation et action collective », Action collective etmouvements sociaux sous la dir. De François Chazel, Sociologies, PUF, p. 225-247.
FURNHAM, Adrian, et Stephen BOCHNER. 1986, Culture Schock; psychologicalrelations to unfamiliar environments, Methuen London and New York
GAGNÉ, Jean, et Henri DORVIL. 1994, « Le défi du partenariat : le cas des ressourcescommunautaires dans le secteur de la santé mentale » , Nouvelles pratiques sociales,vol 7 no 1, Presses de l'Université du Québec. p. :63-77.
GAGNON, Eric. 1997, « De l'échange comme fondement des sociétés; sur les travauxrécents de Maurice Godelier » Confluences, Antropologies et sociétés, no 21/1
GAILLARD, Anne-Marie. 1997, « Assimilation, Insertion, Intégration, Adaptation : UnEtat des connaissances » Hommes et Migrations, no 1209 p. 119 -130.
GASPARD, Françoise. 1992, « Assimilation, insertion, intégration : Les mots pour »devenir français » », Hommes et Migrations, no 1154, p. 14-23.
GENARD, Jean-Louis. 1992, Sociologie de l'éthique, Logiques sociales, éd L'Harmattan,269p.
GHERZOULI, Khaled. 1997, « Différences de comportement et réciprocité d'intérêts dansle partenariat entre entreprises de pays d'inégal développement » Revueinternationale P.M.E volume 10 no 1, PUQ p. 73-102.
GILL, Louis. 1989, Les limites du partenariat; les expériences social-démocrates degestion économique en Suède, en Allemagne, en Autriche et en Norvège; Boréal,151p.
GINGRAS, François-Pierre. 1993, « La théorie et le sens de la recherche » Recherchesociale; De la problématique à la collecte de données, sous la dir. De B. Gauthier,PUQ, 3éd. P. 113-138.
GINGRAS, Pauline. 1991, « L'approche communautaire », Théorie et pratiques enorganisation communautaire, sous la dir. L, Doucet et L, Favreau, Presses del'Université du Québec, Montréal, p.187 -200.
329GODBOUT, Jacques T. 1988, « L'État et la société les autres ordres spontanés » ,
M.A.U.S.S no 25
— 1992, « L'esprit du don », Boréal, 345p. en coll. Alain Caillé
— 1995, « Les bonnes raisons de donner » Anthropologie et sociétés, no 19 vol 1-2 p. 45-56.
DAIGLE, G. 1992. « Immigration et relations ethniques au Québec : un pluralisme endevenir », Le Québec en jeu, Groupe de recherche ethnicité et société (GRES),Montréal, Presses Université de Montréal, p. 451-481.
GUBERMAN, Nancy, et all. 1994, « Des questions sur la culture organisationnelle desorganismes communautaires », Nouvelles pratiques sociales, Presses de l'universitédu Québec. vol 7. no 1, p. 45-51.
GUAY, Lorraine. 1991, « Le choc des cultures : bilan de l'expérience de participation desressources à l'élaboration des plans régionaux d'organisation de services en santémentale » , Nouvelles pratiques sociales, vol 4, no 2. Presses de l'Université duQuébec. p 43-58.
GUILBERT, Lucille. 1996, Médiation sociale et interculturelle, Les groupes culturels etethniques provenant de la Bosnie-Herzégovine installés dans la région de Québec.Département d'histoire, Université Laval, mai, p 26-45.
— 1990, « De l'identité ethnique à l'interculturalité : points de vue ethnologiques » , .Identité Ethnique et Interculturalité, Guilbert, L et N, Labrie Tome 1, Célat, no 16.
GUILBERT, Lucille.1994, L'enjeu relationnel des récits et des discours : Québécoisfrancophones et Vietnamiens d'origine, Programme Ethnologie du Québec, DéptHistoire, Université Laval, p. 161-196.
— 1994, La recherche sur le terrain, méthodes d'enquête orale, recueil de textes,programme d'ethnologie du Québec, département d'histoire Université Laval, sept.
— 1993 « Transfert, transformation et transform culturel », Couture A, I, Beaulieu, M,Lanphier, L, Guilbert, Transferts Orient-Occident, Populations savoirs et pouvoirs,Université Laval, Documents, du GERAC, no 6, p. 67-122.
— 1995 « Intermédiaire culturel et médiateur; rôles, interactions, processus » B.Krewer, éd.Théorie et pratiques de l'interculturel, Paris, L'Harmattan.
HAMEL, Pierre. 1991, Action collective et démocratie locale; les mouvements urbainsmontréalais, Politique et économie, tendances actuelles, Presses de l'Université deMontréal, 236p.
— 1993, Demandes sociales, réponses locales; le défi du partenariat pour le milieucommunautaire, rapport de recherche présenté au C.Q.R.S. Institut d'urbanisme,Université de Montréal, 160p.
330
— 1993, « Contrôle ou changement social à l'heure du partenariat», Sociologies et sociétés,vol.XXV, no p. 174-188.
HARVEY, Julien. 1991, « Le pour ou le contre d'un multiculturalisme montréalais »Pluriethnicité, éducation et société construire un espace commun sous la dir. deFernand Ouellet et Pagé Michel, IQRC, Québec, p. 77-91.
— « L'intégration des immigrants » , Traité des problèmes sociaux, Dumont, F et all.IQRC, Québec, pp : 923-944.
HELLY, Denise. 1992 L'immigration pour quoi faire? Institut québécois de recherche surla culture
HENRY-LORCERIE, F. 1988, « Education interculturelle changement institutionnel :l'expérience française » Pluralisme et école; Jalons pour une approche critique dela formation intercuturelle des éducateurs, IQRC, Québec, p.223-270.
HOUDE, Renée. 1992, « Mentorat, supervision et travail social; l'évolution de la relationde mentorat et les programmes de mentorat » , Travail social (ASAS) no. 9septembre UQAM, Montréal.
— 1995, Des mentors pour la relève, Éditions Méridien 253 p.
IGNATIEFF, Michael. 1986, La liberté de l'être humain; essai sur le désir et le besoin, édLa Découverte, Paris, 139p.
JACOB, André, 1995, Les services sociaux dans une société pluriethnique : pistes pourl'avenir, rapport du séminaire du 5-7 juin 1994 à Montréal, Éd.La Rose blanche.
— 1992, « Services sociaux et groupes ethnoculturels : le débat et les pratiques au Québec» , Nouvelles Pratiques sociales, vol 5 no 2, automne. Presses Université du Québecà Montréal. p. 38-51.
— 1991, « L'organisation communautaire avec des groupes ethniques » , Théorie etpratiques en organisation communautaire, sous la dir.de Doucet, L et L.Favreau.Presses de l'Université du Québec. Montréal p.328-349.
— 1991, « Les réfugiés au Québec, du discours à la réalité », Service social, vol 40, no 3, p68-81.
JACOB, André, et Danielle BLAIS. 1992, Les réfugiés, tout un monde... Recension desécrits sur les politiques, programmes et services aux réfugiés, LAREHS, Universitédu Québec à Montréal, projet no RS-1843 090. octobre, p. 108-111.
JACOB, André, et Jocelyne BERTOT 1991, Intervenir avec les immigrants et les réfugiés.Éd. du Méridien. Vision globale, Montréal, 236 p.
331
JACOB, André, Jocelyne BERTOT, Louis-Robert FRIGAULT, et Joseph LÉVY. 1996, «Le processus d'intégration des réfugiés et l'intervention préventive etcommunautaire » Les cahiers du centre de recherche sur les relationsinterethniques et le racisme, (CRRIR), no 20b, Université du Québec à Montréal, p.388-412.
JACOB, André, et Michel RAQUEPAS. 1996, « Présentation du rapport d'évaluation »Programme de partenariat entre les établissements du réseau de la santé et desservices sociaux et les organismes communautaires issus des communautésculturelles, septembre, 125p.
JEFFREY, D. 1996, « Attitude ludique et éthique de la bonne distance. » Le jeu et sesenjeux éthiques, Cahiers de recherche éthique 19 Fides, Ville St-Laurent, Québec, p.11-30.
JONCHERAY, J, 1992. « Pourquoi, comment parler de partenariat ? » , Rencontre, cahiersdu travailleur social « Concurrence et partenariat » éd érès, no 83, p. 11-18.
JUTEAU, Danielle. 1993, « Multiculturalisme, interculturalisme et production de la nation» , Ethnicisation des rapports sociaux, racismes, nationalismes, ethnicismes etculturalismes, Éd L'Harmattan, Paris. p. 55-72.
KARPIK Lucien. 1996, « Dispositifs de confiance et engagements crédibles », Sociologiedu travail, Université du Québec à Montréal no4 p. 527-549
KIRSHENBLATT-GIMBLETT, Barbara. 1983 « Studiing immigrant and ethnic folflore » ,Handboook of American Folklore, Dorson édit, Bloomington, Indiana UniversityPress pp39-47
LABELLE, Micheline, François ROCHER, et Guy ROCHER. 1995, « Pluriethnicité,citoyenneté et intégration :la souveraineté pour lever les obstacles et les ambiguïtés» , Cahiers de recherche sociologique, no 25 p. 213-245.
LALLEMENT, Michel. 1994 « Théorie des jeux et équilibres sociaux » , M.A.U.S.S, A quise fier, no 4 2e semestre, p 117-133.
LADMIRAL, Jean-René, et Edmond Marc LIPIANSKY. 1989, La communicationinterculturelle, Paris, Armand Collin, p.119-160.
LADRIÈRE, Jean. 1967, « L'engagement » , Revue du Centre national de pastoralefamilial (C.N.P.F) Bruxelles, p 3-31.
LAROCHELLE, Gilbert, et Suzie ROBICHAUD. 1995, « L'État des solidarités sociales auQuébec :innovation et conservatisme des institutions publiques », Recherchessociologiques, vol 3, p 127-139.
LAROCHELLE, Gilbert. 1992, « État et idéologie du bénévolat au Québec : les enjeuxdans un contexte néo-libéral », Recherches sociologiques, vol 3 pp 69-89.
332LAMOUREUX, Henri. 1994, « Intervention communautaire : des pratiques en quête de
sens » Nouvelles pratiques sociales, vol 7, no 1 printemps pp 33-43.
LAMOUREUX, Henri, Jocelyne LAVOIE, Robert MAYER, et Jean PANET-RAYMOND.1996, La pratique de l'action communautaire, Presses de l'Université du Québec,Montréal, 436 p.
LAVOUÉ, Jean,.1986, « Du sens des pratiques d'intervention et de changement chez lestravailleurs sociaux » Les Cahiers de la recherche sur le travail social, no 11
LEFAIVRE, Louise. 1995, « Au coeur de l'éducation interculturelle :une réappropriation dela culture québécoise » , Les institutions face au défis du pluralisme ethnoculturel,sous la dir. de Ouellet, F, IQRC, Québec, pp 47-68.
LEMIEUX, Vincent. 2000, À quoi servent les réseaux d'acteurs sociaux? Diagnostic 27,IQRC, 109p.
— 1999, Les réseaux d'acteurs sociaux, Sociologies PUF, 146p.
LESSARD-HÉBERT, Michelle, Gabriel GOYETTE, et Gérarld BOUTIN. 1990,Recherche qualitative : fondements et pratiques, éd. Agence d'Arc inc. Montréal
LHOTELLIER, Alexandre, et Yves ST-ARNAUD. 1994, « Pour une démarchepraxéologique » , Nouvelles pratiques sociales, vol 7, no 2 automne, p.93-109.
MAILLETTE, Louise. 1995, « Des parents immigrants à l'école de leurs enfants » , Lesinstitutions face aux défis du pluralisme ethnoculturel, sous la dir de Ouellet, F,IQRC, Québec, p.337-349.
MALENFANT, Roméo. 1993, La motivation des présidents d'associations Éd. Agenced'Arc, 276p.
MARSOLAIS, Marie. 1991, « L'agent de liaison comme intermédiaire culturel », Lesinstitutions face au défi du pluralisme ethnoculturel, sous la dir de Ouellet, F,IQRC, Québec, p. 351-369
MANGO GOSIEZ, Edmundo. 1988, « L'expérience de l'exil et la culture » communicationprésentée au Colloque sur l'Exil chilien en France depuis 1973, au Sénat, Palais duLuxembourg, manuscrit, 17p.
MATHIEU, Réjean, et Clément MERCIER. 1991, « L'organisation communautaire avecles assistés sociaux et sans-emploi, locataires, consommateurs » Théorie etpratiques en organisation communautaire, sous la dir. de Doucet, L et L, Favreau,Presses de l'Université du Québec, Montréal, p.351-376.
MATHIEU, Jacques. 1994, « L'inévitable diversité et l'inégale réciprocité pour unedynamique relationnelle », . Interculturalité et Intertextualité, sous la dir. deGuilbert, L et A, Doutreloux, Programme Ethnologie du Québec, Dépt Histoire,Université Laval, p. 71-80.
333MCANDREW, Marie. 1988, Les relations école/communauté en milieu pluriethnique
montréalais, Montréal, Conseil scolaire de l'île de Montréal.
MCGRAW, Donald. 1978, Le développement des groupes populaires à Montréal (1963-1973) Éditions coopératives Albert St-Martin, Collection pratiques sociales, 184p.
MELUCCI, Alberto. 1993, « Vie quotidienne, besoins individuels et action volontaire » ,Sociologie et sociétés, vol XXV, no 1 printemps, p. 189-198.
MINZTBERG, Henri, 1990, Le management; voyage au centre des organisations Leséditions d'organisation, Paris, éditions Agence d'Arc Inc.Montréal .570p.
MIRANDA, Michel. 1986, La société incertaine; pour un imaginaire social contemporain,Paris, éd Librairie des Méridiens, sociologies au quotidien, 298p.
MONETTE, Mario. 1992, Rapport d'enquête feed-back sur le projet jumelage, Serviced'aide aux Néo-Canadiens, Université de Sherbrooke 40p.
MORIN, Edgar. 1967, De la méthode : une démarche multidimensionnelle, Appendice,Commune en France, Fayard, p. 278-287.
— 1990, Introduction à la pensée complexe, Communication et complexité. ESF éditeur158p.
MUCCHIELLI, Alex. 1983, L'analyse phénoménologique et structurale en scienceshumaines, P.U.F 300p.
— 1991 Les méthodes qualitatives, Que sais-je, Presses Universitaires de France, p.28-38.
NABIL, Mounir. 1999, « La scolarisation et l'insertion professionnelle; une expérienced'accompagnement vers l'emploi : le parrainage » , Les politiques d'immigration etd'intégration au Canada et en France : analyses comparées et perspectives derecherche, Actes du séminaire tenu à Montréal du 20 au 22 mai 1998, MinistèreEmploi et Solidarité France et CRSH Canada chap. 5 p. 371-400.
NEUVILLE, Jean-Philippe. 1997, « La stratégie de la confiance le partenariat industrielobservé depuis le fournisseur », Sociologies du travail, no 3/97 p. 297-319.
OUELLETTE, Monique. 1994, « Quelques questions de fond :Relations entre ONG etinstitutions Les ONG et le partenariat : dans le respect de leur nature et de leursressources » Interculture, Institut Interculturel de Montréal, vol. XXVII, no 2printemps, cahier no 123, p. 8-12.
OUELLET, Fernand. 1994, « L'éducation interculturelle :l'émergence d'une approchedistincte » , Les institutions face au défis du pluralisme ethnoculturel, sous la dir. deOuellet, F, IQRC, Québec, p. 21-45.
334
PAGÉ, Michel. 1988, « L'éducation interculturelle au Québec, bilan critique » , Pluralismeet école; Jalons pour une approche critique de la formation interculturelle deséducateurs, IQRC, Québec, p 271 -300.
— 1991. « Conserver le pluralisme ethnoculturel par les institutions démocratiques » ,Identité, culture et changement social, in Lavallée, M, F, Larose F, éd, L'Harmattan,Paris, p. 113-125.
— 1995, « Apprendre en coopération en milieu, hétérogène » Les institutions face aux défisdu pluralisme ethnoculturel, sous la dir. de Ouellet, F. IQRC, Québec, p 103-133.
PANET-RAYMOND, Jean. 1994, « Les nouveaux rapports entre l'État et les organismescommunautaires à l'ombre de la loi 120 », Nouvelles pratiques sociales, vol 7 no 1,Presses de l'Université du Québec.p. 79-93.
PARAZELLI, Michel. 1994, « La coalition des organismes communautaires du Québec(1985-1991) : d'une pratique démocratique à un mimétisme adhocratique »Nouvelles pratiques sociales, vol 7, no 1.printemps, pp 112-129.
— 1996, « Les désirs politiques du communautaire et de la démocratie » Virtualités vol 3,no 3. septembre-octobre p. 31-39.
PERRAS, Sylvie, et Nicole BOUCHER. 1993, « L'intervention sociale contre leracisme :sortir du multiculturalisme et de la pensée magique » , Service social, vol,42, no 1, Université Laval, p. 101-119.
PETITAT, André. 1995, « Le don, espace imaginaire normatif et secret des acteurs » ,Anthropologie et sociétés, no 19 vol 1-2-p. 17-44.
PIOTTE, Jean-Marc. 1998, Du combat au partenariat; interventions critiques sur lesyndicalisme québécois, éditions Nota Bene, .246p.
REDJEB, Belhassen. 1994, « Du communautaire dans la réforme Côté : analyse del'affirmation de la normativité des systèmes », Nouvelles pratiques sociales, vol 7.no 1. Presses de l'Université du, Québec. p. 95-109.
— 1991, « Du bénévolat au néo-bénévolat », Nouvelles pratiques sociales, vol 4.no.2Presses de l'Université du Québec. p 59-79.
RENAUD, Gilbert. 1995, « Individualisme, individualité et travail social » , Nouvellespratiques sociales. Vol. 8 no 2 p.139-155.
RESWEBER, M.J.P. 1997, « La recherche-action; stratégie de recherche et recherche destratégies » , Humanisme et entreprise, cahiers du centre d'études et de recherches.
ROBICHAUD, Suzie. 1994, L'État et les solidarités bénévoles; les enjeux politiques de lagratuité, thèse de doctorat, Département de science politique, Faculté des sciencessociales, Université Laval 279p.
335
RODRIGUE, Norbert. 1995, « La communautarisation : vecteur de changement social »Nouvelles pratiques sociales, vol 8. no 1, printemps, p. 229-234.
ROCHER, François. 1990, « La culture québécoise à l'épreuve du temps : dynamismeculturel et caractère distinctif du Québec » Le Québec de demain et lescommunautés culturelles, sous la dir. De J. Langlois, J Laplante et Joseph Lévy, éddu Méridein, p. 222-235
ROMAN, Joël. 1996, « Qu'est-ce qui fait lien? » , Projet, Tisser le social, septembre
ROY, Gyslaine. 1992, « Devons-nous avoir peur de l'interculturel institutionnalisé ? »Nouvelles pratiques sociales, vol 5 . no 2, automne, p. 53-64.
SAYAD, Abdelmalek. 1994, « Qu'est-ce que l'intégration ? » Hommes et Migrations,no1182, pp 8-14.
SASSIER, M. 1992, « Assistante sociale : partenaire, concurrence et partenariat »Rencontre, cahiers du travailleur social éd. Érès no 83, p.-7-9.
SCHULTE-TENCKHOFF, Isabelle. 1985, La vue portée au loin; une histoire de la penséeanthropologique Collections Nord-Sud et Le forum anthropologique, Éditions d'enbas, 223 p.
SERVET, Jean-Michel. 1994, « Paroles données : le lien de confiance » , M.A.U.S.S A Quise fier? no 4 2e semestre. p.37-56.
SÈVE, Lucien. 1984, Structuralisme et dialectique, Essentiel, éd.sociales, Paris, 261p.
SIMARD, Jean-Jacques. 1988, « La révolution pluraliste : une mutation du rapport del'homme au monde », Pluralisme et école; Jalons pour une approche critique de laformation interculturelle des éducateurs IQRC, Québec, pp : 23-55.
SYMONS Gladys L. 1988, La culture des organisations sous la dir. de IQRC Question deculture 14.
TAYLOR, Charles. 1994, Le malaise de la modernité, Humanités, les éditions du Cerf,Paris. 125p.
TOURAINE, Alain. 1984, Le retour de l'acteur; essai de sociologie, Fayard, 345p.
TURCOT, Gisèle. 1990, « De l'aide à la solidarité : l'actualité des pratiques chrétiennes » ,Entraide et Associations, sous la dir. De M.M T. Brault et L. Saint-Jean, IQRC,Québec p. 262-280.
VAILLANCOURT François. 1990, L'activité bénévole au Québec; la situation en 1987 etson évolution depuis 1979, Les publications du Québec, 227p.
336VAILLANCOURT, Yves. 1995, « Éléments de problématique concernant l'arrimage entre
le communautaire et le public dans le domaine de la santé et des services sociaux »,Nouvelles pratiques sociales vol 8, no 1, Presses de l'Université du Québec, p.227-248.
VIGEOZ, Michèle. 1995. « Les enjeux de l'arrimage entre le communautaire et le secteurpublic vus de la fenêtre d'une directrice générale de CLSC », Nouvelles pratiquessociales vol 8, no 1. Presses de l'Université du Québec, p 222-227.
WERQUIN, Jean, et Michel LE NET. 1985 Le volontariat, aspects sociaux économiques etpolitiques en France et dans le monde, La documentation française, no 4780 collNotes et études documentaires.
WHITE, Deena. 1994. « La gestion communautaire de l'exclusion » Lien social etpolitiques RIAC, 32, automne, p. 37-51.
ZEHRAOUI, Ahsène. 1994, L'immigration de l'homme seul à la famille, CIEMI,L'Harmattan, Paris
ZUNIGA, Ricardo. 1994, L'évaluation dans l'action, Les Presses de l'Université deMontréal, 200p.coll. Intervenir.
ANNEXE A
Grilles d'entretien
Élaborées à partir du schéma multidimensionel de Allaire et Firsirotu (1981, 1984), schéma
conceptuel composé de variables endogènes et de facteurs endogènes.
3 éléments interreliés : un système socio-structurel (relations interdépendantes entre
structures, stratégies et politiques), un système culturel (idéologie et valeurs, les pratiques
culturelles de l'organisation) et les acteurs en tant qu'individus.
Selon Allaire et Firsirotu, ces 3 éléments prennent forme sous le jeu de deux forces : leurs
interactions synchroniques et les influences diachroniques exercées par la société
environnante, le passé de l'organisation et l'ensemble des facteurs de contingence.
Aux fins de notre étude, nous avons lié ces facteurs non pas à l'organisme , mais plutôt au
programme de jumelage. Dans quel contexte sociétal se déroule le programme de jumelage
? Quelle a été la forme qu'il a prise jusqu'à ce jour ? Quel axe relationnel emprunte-t-il ?
Quels sont les facteurs de contingence, notamment les critères imposés par le MRCI,
bailleur de fonds ? (opposés souvent à la mission communautaire de l'organisme).
Comment répondent les acteurs du communautaire à ces facteurs de contingence ? Quelles
sont les attitudes des acteurs du MRCI ?
De même nous avons intégré à la grille d'entretien, pour ce qui est du parcours des acteurs,
le modèle de Guilbert et Labrie (1990), inspiré de Camilleri (1989), modèle formulé à partir
des notions identité, altérité et réciprocité.
Identité/fonction identitaire : Depuis combien de temps à Montréal – À l'organisme –
Âge – Formation – Définition de la tâche.
Altérité/fonction pragmatique : Vision et définition du jumelage – Déroulement du
programme –
Motivations des participants – Difficultés de l'intervention – Réussites – Projection.
338Réciprocité/fonction axiologique : Suivi-partenariat – Réseau MRCI – Vision de
l'intégration, de l'adaptation.
339
Première grille d'entretien
RESPONSABLE DU JUMELAGE
A – Parcours de l'individu
Parcours de vie
– Date d'arrivée à Montréal ?
– Formation ?
– Expérience de travail ?
– Âge ?
– Statut civil ?
– Intervenant au sein de l'organisme
– Le nombre d'années à l'organisme ? À quelle fonction ?
– Quelle est votre définition de tâche au sein de l'organisme ?
– Quelles sont vos relations avec la direction; avec les autres intervenants ?
– Quelle est la structure et dynamique de l'organisation ?
– Quel est votre intérêt personnel pour le programme de jumelage ?
– Êtes-vous jumelé ? – Si oui, parlez-moi de votre expérience ?
– Le fait d'être jumelé a-t-il un impact sur votre travail ?
340
B – Le jumelage
– Le jumelage existe depuis combien d'années au sein de l'organisme ?
– Comment définissez-vous le jumelage ? Quels sont les objectifs de votre programme ?
Pratiques et rituels du jumelage
– Comment se fait le recrutement des jumelés (quel est leur profil) ?
– Quelles sont vos modalités de pairage ?
– Comment se déroulent les rencontres du jumelage ?
– Quelles sont les motivations des participants ?
– Quelles sont vos attentes ?
– Quel genre de formation donnez-vous ?
– Quelles sont les difficultés, les réussites que vous rencontrez dans votre travail ?
– Quelles sont les difficultés, réussites que les participants rencontrent ?
– Comment réagissez-vous dans telle ou telle situation ?
– Comment les participants réagissent-ils ?
– Comment intégrez-vous les participants à l'organisation ?
– Comment faites-vous l'évaluation ?
– Comment accordez-vous le suivi ?
341
Perceptions-
– Quels sont selon vous les principaux défis de la relation du jumelage ?
– Voyez-vous une différence entre jumeler des revendicateurs de statut et des immigrants
acceptés ? – Le dites-vous aux jumelés ?
– La question des revendicateurs, vous l'analysez comment ?
– Voyez-vous une différence dans l'articulation de la relation, des pratiques entre jumeler à
titre de personne-ressource un Québécois natif de la société d'accueil ou un Québécois
immigrant avec un nouvel arrivant ?
– Comment définissez-vous l'adaptation, l'intégration ?
– Comment, selon vous, le MRCI considère-t-il le jumelage ?
C – Le partenariat
– Comment définissez-vous la relation entre les organismes communautaires qui s'occupent
de l'immigration ?
– Comment qualifiez-vous les relations des organismes communautaires avec MRCI ?
– Comment se déroule le partenariat avec les autres institutions ? Avec les organismes de
quartier ?
– Comment analysez-vous le Réseau jumelage ? (vos attentes, vos déceptions, les relations,
les réalisations...)
– Quelle est votre autonomie(en tant qu'intervenant) au sein du réseau ?
342
Deuxième grille d’entretien
DIRECTEUR D'ORGANISME
A – Parcours de l'individu
Parcours de vie
– Date d'arrivée à Montréal ?
– Âge ?
– Statut civil ?
– Quelle est votre formation ?
Directeur de l'organisme
– Depuis combien de temps êtes-vous directeur de l'organisme ?
– Quelle est la mission de l'organisme (les principes-guide, les valeurs) ?
– Quelle est la dynamique et la structure de l'organisation (vos relations avec les employés,
la circulation de l'information, les responsabilités de chacun..les services...) ?
– Quelle est la composition du CA, son rôle ?
343
B – Le jumelage
– Êtes -vous ou avez-vous été jumelée ? Si oui, parlez-moi de votre expérience ?
– Le fait d'être jumelé a-t-il un impact sur votre travail ?
– Comment analysez-vous le programme de jumelage ?
– Quelles sont vos attentes face au jumelage ?
Perceptions
– Comment, selon vous, le MRCI considère-t-il le jumelage ?
– La question des revendicateurs, vous l'analysez comment ?
– L'intégration, pour vous. c'est quoi ? L'adaptation ?
C – Le partenariat
– Comment définissez-vous la relation entre les organismes communautaires qui s'occupent
de l'immigration ?
– Comment qualifiez-vous les relations des organismes communautaires avec le MRCI ?
– Comment se déroule le partenariat avec les autres institutions ? Avec les organismes de
quartier ?
– Comment analysez-vous le Réseau-jumelage ?
– Quelle est l'autonomie de l'intervenant au sein du réseau ?
344
Troisième Grille d’entretien
AGENT ET RESPONSABLE DES POLITIQUES ET PROGRAMMES (MRCI)
A – Parcours de l'individu
– Au ministère depuis combien de temps ?
– Quelle est votre formation ?
– Quelles sont ou ont été vos fonctions au ministère (actuelles, passées) ?
– Etes-vous jumelé ? – Si oui , parlez-moi de votre expérience.
– Le fait d'être jumelé a-t-il un impact sur votre travail ? Sur vos perceptions ?
B – Le jumelage (dans les services PAEI-PRI)
– Quelles sont les règles du PAEI, du PRI ?
– Quels sont les organismes qui offrent le PAEI, le PRI ? Comment se fait la sélection ?
– Comment sont décidés les montants des subventions accordées au programme ?
– Les règles du jumelage ont-elles évolué ? Quelles étaient-elles ? Vers quoi s'en va le programme ?
– Quels sont aujourd'hui les objectifs du jumelage tels que définis par le ministère ? Quelles sont les
attentes ?
– Quels sont vos outils d'évaluation ?
Perceptions-
– Que pensez-vous de l'idée de lier le jumelage à l'emploi ?
– Que pensez-vous du Réseau jumelage ?
– Voyez-vous une différence dans les conditions de jumelage à Montréal ? En régions ?
345– L'intégration, pour vous, c'est quoi ? L'adaptation ?
C – Le partenariat
– Comment ont été élaborées les orientations annuelles ? Les paramètres de financement ? L’ont-
elles été en concertation avec les ONG ? Les autres ministères ? Quels en sont les motifs, les
conséquences, les avantages, pour le ministère ? Pour les ONG ?
– Comment définissez-vous le partenariat entre le ministère et les ONG ? Entre les ONG entre eux ?
Entre les ONG, le ministère et les institutions para-publiques ? Entre les ministères entre eux ?
Entre les différents agents au ministère ?
346
Quatrième Grille d’entretien
AGENT DU MRCI
A – Parcours de l'individu
– Au ministère depuis ?
– Formation ?
– Fonction actuelle ? Passée ?
– Jumelé ? Si oui, depuis combien de temps ? – Parlez-moi de votre expérience
– Le fait d'être jumelé a-t-il une influence sur votre travail ?
B – Le jumelage
– Quelle est votre vision du jumelage ?
– Quelle est votre vision en tant que programme spécifique à tel organisme ?
Perceptions
– L'intégration, l'adaptation, pour vous, c'est quoi ?
347
C – Partenariat
– Avez-vous une relation avec les responsables du programme ou avec la direction de l'organisme
sous votre responsabilité ?
– Comment définissez-vous votre relation ?
– Quelle est votre relation avec les autres agents ?
348
ANNEXE B
Codage
Analyse de contenu
1 – Référents (thèmes pivots)
a – Jumelage
b – Intégration
c – Adaptation
d – Partenariat
– autres organismes, associations quartier
– autres ONG
– ministère/politiques
– réseau-jumelage
e – Culture organisationnelle
– historique
– dynamique
2 – Personnages
a – Intervenante
b – Bénévole
c – Immigrant
349d – Directrice
e – agent MRCI
f – ministre MRCI
h – quartier
3 – Evénements
a – Rencontres jumelage (1e, 2e)
b – Formation
c – Activités
d – Suivi
e – Promotion
f – Réseau-activités
4 – Catégories
A – Attitudes des intervenants et des jumelés
Ouverture/motivations
1 – empathie
2 – curiosité
3 – responsabilité
4 – intérêt personnel
5 – intérêt collectif
3506 – protection
7 – aide
8 – transmission
Fermeture
1 – respect des normes soc. d'origine
2 – préjugés
3 – stéréotypes
4 – rigidité
5 – crainte
6 – non-communication
7 – non-disponibilité
B – Culture organisationnelle
1 – hiérarchisée
2 – circulaire
C – Stratégies des intervenants
1 – dissimulation
2 – non©intervention
3 – accomodement
4 – délégation
351 5 – prise en charge
6 – "empowerment"
7 – transgression
8 – non©engagement
9 – négociation
10 – défense
11 – observation
D – Rôles
1 – médiatrice
2 – intermédiaire
3 – initiatrice
4 – observatrice
E – Valeurs
a – individuelles
1 – respect
2 – dignité
3 – courage
4 – partage
5 – honneur
352b – collectives
1 – réciprocité
2 – équité
3 – liberté
4 – solidarité
5 – hétérogénéité
6 – fait français
7 – conformité aux règles
F – Vision
1 - humaniste
2 - inclusive
3 - exclusive
353
ANNEXE C
Lettre de bienvenue – Organisme G
Identification de l’organisme
CHÈRE JUMEAU, CHÈRE JUMELLE,
BIENVENU(E) AU « PROGRAMME JUMELAGE »
« NOUVEAU DÉPART, NOUVEAUX AMIS »
Il nous fait plaisir de vous souhaiter du succès dans le cadre de notre programme « JUMELAGE »,
« NOUVEAU DÉPART, NOUVEAUX AMIS ».
Nous espérons que cette expérience puisse rejoindre vos objectifs et vous apporte mutuellement le
désir de vous connaître davantage.
Signature de l’intervenante
Coordonnées de l’organisme