le jeu début - revues-plurielles.org · du caillou, paru en 2000 aux Ed. Marsa, et la...

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A Sohane A son enfance assassinée Par des enfants Privés d'enfance Sorrow… Sohane Dominique Le Boucher Sorrow… Petite sœur Comment écrire ton nom autrement Qu'avec les rires follets du vent Ils ont fait de toi un cristal d'absence Comment parler de toi autrement Qu'avec les sabots d'écume tambourinant Elles ont fait de toi une fugace errance Sorrow… Petite sœur Je leur ai dit qu'il n'y avait rien à dire Qu'à souffler sur nos doigts des ailes de mouettes Ils ont fait de toi une triste conquête Comment parler de toi sans mots dire Avec des rondes de lampions Avec des fêtes Elles ont fait de toi une source muette Sorrow… Petite sœur Je ne peux écrire ton nom autrement Qu'en nageant libre et nue dans l'océan Elles t'ont tue Ils ont souillé nos silences Tout autour de l'île s'envolent nos enfances Je sais comment parler de toi à présent Il n'y a qu'un seul mot à dire Partout Partout on te nommera Désir. Samedi, 5 avril 2003 le jeu dØbut.qxd 01/03/2006 16:32 Page 3

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  • A SohaneA son enfance assassinée

    Par des enfantsPrivés d'enfance

    Sorrow… SohaneDominique Le Boucher

    Sorrow… Petite sœurComment écrire ton nom autrement

    Qu'avec les rires follets du ventIls ont fait de toi un cristal d'absence

    Comment parler de toi autrementQu'avec les sabots d'écume tambourinant

    Elles ont fait de toi une fugace errance

    Sorrow… Petite sœurJe leur ai dit qu'il n'y avait rien à dire

    Qu'à souffler sur nos doigts des ailes de mouettesIls ont fait de toi une triste conquête

    Comment parler de toi sans mots direAvec des rondes de lampions Avec des fêtes

    Elles ont fait de toi une source muette

    Sorrow… Petite sœurJe ne peux écrire ton nom autrement

    Qu'en nageant libre et nue dans l'océanElles t'ont tue Ils ont souillé nos silences

    Tout autour de l'île s'envolent nos enfancesJe sais comment parler de toi à présent

    Il n'y a qu'un seul mot à direPartout Partout on te nommera Désir.

    Samedi, 5 avril 2003

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    Petites filles dans la cour et le soleil,vives,

    petits cris aigres de leurs querelles.Tant de temps devant elles !

    Oiseaux aux ailes à peine déployées…Demain, voleront-elles ?

    Leurs galopades,leurs rires

    ont fait s'agiter doucementles rosiers roses et blancs.

    A moins que ce ne soit le ventlevé, soudain…

    Rien d'autre n'a frémi, pourtant…

    Petites

    Jacqueline

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    Toute seuleelle saute à la cordesur le quai de Zatéré

    à Veniseun doux mois de juin,

    dix sautsvingt sauts

    plus de trente,l'œil heureux

    elle dépasse son record.En quelle année ?En quel siècle ?

    Gondoli gondolagondola gondolé

    elles défilent en cortègesous nos piedssous les ponts

    glissent et se balancentcygnes noirs

    élégants,l'accordéon les enveloppe de nostalgie.

    L'enfant, qui les regarde,Y dépose ses rêves, bercés,

    et voyage…2002

    filles

    Herfray

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  • EditoDominique le Boucher

    Avec le précédent numéro de la revue Etoiles d’Encre,Rêves et rives algériennes nous avions abordéd’une autre façon que nous le faisions depuis trois ans cetespace d’écriture féminine. Les rubriques avaient changé etle choix des prochains thèmes marquait résolument une évo-lution vers plus de légèreté, de plaisir dans l’écriture, et uneenvie de dire ce qu’est pour nous la poésie de la vie. Aprèsavoir évoqué les archaïsmes et les souffrances qui ne sonttoujours pas hors de propos, nous avons eu envie de partirsur la piste d’un temps plus doux et porteur de nos rêves,de nos élans et de nos joies.

    Sans doute était-ce un besoin que nous avons res-senti afin de faire face à une réalité difficile à vivre devantla situation douloureuse dans laquelle se trouve à nouveaula population irakienne. Car aucun de nos instants n’est dis-tancié de ceux du monde, même si nous nous plaisons à lesregarder autrement. Dans ce numéro consacré à la “ Joie dujeu/je ”, si nous avons repris quasiment la structure habi-tuelle, nous nous sommes amusées, puisqu’il s’agit aussi d’unjeu et que nous voulons affirmer que l’écriture est une jubi-lation et une naissance constante à nous-mêmes, à changer

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  • l’intitulé des rubriques illustrées cette fois par Catherine Rossiet Pauline Rossi, et à leur donner une ton plus ludique. Aen faire une sorte de marelle où l’on se promène entre terreet ciel d’un coup d’aile en s’arrêtant ici ou là pour prendreles paroles comme elles viennent et se les renvoyer tels desgalets lentement usés par l’océan.

    Au moment où je rédigeais cet édito, la mort de l’é-crivain algérien Mohammed Dib n’était pas encore surve-nue, pas plus d’ailleurs que le tremblement de terre qui a denouveau fait de la ville d’Alger un chantier de ruines, pourcertains de ses quartiers les plus populaires, et mis ses habi-tants dans la colère et l’affliction que l’on comprend. Je n’aipas connu personnellement Mohammed Dib, si ce n’est autravers de ses nombreux amis, mais il avait eu la gentillessede bien vouloir préfacer l’essai Jean Pélégri l’Algérien Le scribedu caillou, paru en 2000 aux Ed. Marsa, et la générosité del’homme n’avait d’égale que son talent d’écrivain et de poète.Je crois que le meilleur moyen que nous ayons de lui rend-re hommage est de continuer à écrire des poèmes, à racon-ter des histoires.

    Il y a autant de possibilités d’aborder les histoiresque nous aimons à partager que de façons d’observer la viedu haut d’un arbre perchées. J’ai été séduite par des parolesvenues d’enfance afin de commencer ce nouveau cycle desEtoiles, paroles qui ont elles aussi sauté d’une case à l’autrede notre vie avant de s’écrire pour finir. J’ai voyagé entre Mémoirede maîtres, paroles d’élèves publié chez Librio en 2001 et Rêvesde femme Une enfance au harem de Fatima Mernissi, publié en1994 aux Ed. Grasset, avec le sentiment que ces enfances sidifférentes et séparées dans l’espace se rejoignaient au fil des

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  • souvenirs évoqués et livrés là avec l’émotion de ce qui a vrai-ment envie d’être offert comme un beau livre.

    Celles qui, comme Fatima Mernissi le fait en écri-vant l’histoire de Yamina petite fille du harem, retournent yvoir, acceptent d’évoquer des moments de leur passé jamaisanodin, et de les revivre par l’écriture en en dénouant le silen-ce. Combien d’images et d’histoires d’alors sont-elles restéesau fond du cabinet noir ? Leur mise en lumière autorise cellequi écrit à réinvestir la joie de l’enfance, une joie emplie d’unsens infiniment poétique. Et le jeu des couleurs qui intro-duit les écritures multiples, en posant sous nos yeux un arc-en-ciel, relie passé-présent des deux côtés de la vie entre les-quels nous ne cessons d’osciller. Tout comme l’enfant quivoyage au gré de la marelle dessinée par Catherine Rossi quiillustre ce numéro des Etoiles de ses aquarelles et dessins dela Corse, du Maroc, et de Tamanrasset.

    A ce jeu, on se prend à écrire autrement, commeon l’aurait fait alors, lorsqu’on était face au maître et qu’onne le pouvait pas. Yamina se raconte dans l’entre-deux parceque c’est à la fois le lieu de la rêverie poétique et de l’action,celui du jeu/je dont le passage demeure ouvert dans les deuxsens.

    Choisir pour évoquer le thème de “ la joie dujeu/je ” un livre qui parle d’une enfance au harem à Fès auMaroc, dans les années 1940 peut paraître un sacré tour depasse-passe. Fatima Mernissi, pour l’écriture de Rêves de femmeUne enfance au harem, fait parler la petite fille qu’elle était lors-qu’elle a vécu cette expérience peu ordinaire de naître et degrandir à l’intérieur d’un de ces espaces clos dont on imag-ine mal ce qu’ils ont pu être réellement pour de nombreu-ses femmes en dépit des images d’écrivains ou de peintres

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  • qui nous en sont parvenues. Cette parole d’une fillette, commeon a pu le constater dans beaucoup de textes de femmes quiécrivent, reproduit des moments juxtaposés tels qu’ils ontété vécus d’une manière spontanée avec un parti pris de récitludique qui provient tout droit des jeux de l’enfance.

    Il ne s’agit pas ainsi que le précise l’auteure à la findu livre “ des harems impériaux ” qu’ont peint Delacroix etles Orientalistes, lieux de luxe et d’ennui où les tentures etles parfums faisaient aux femmes des écrins au creux des-quels, objets du plaisir des hommes, elles exprimaient dansleur corps cette langueur troublante et cet enfermement quiles éloignaient peu à peu de leurs désirs. Non, ici on entreà l’intérieur du “ harem domestique ”, espace familial où plu-sieurs générations de la famille étendue vivent sous le mêmetoit. Et surtout derrière les mêmes murs en mettant leursressources en commun. Les femmes y disposent de tout l’espa-ce intérieur et sont résolument coupées du monde extérieur.

    Mais ce qui peut sembler surprenant et qui pose ques-tion dans ce récit où toutes les protagonistes ou presque sontféminines, c’est le parti pris de ces fillettes, adolescentes etfemmes adultes puis femmes mûres à se jouer de cette situa-tion de quasi-réclusion. Alors que leur vie est retenue parles frontières, les “ hudud ” du harem, le corps des femmesau travers de la voix de la fillette qui n’en perd pas une, expri-me sans aucun frein ses désirs par les jeux les plus incongrustels que laver la vaisselle dans la rivière, et par les transgressionsdes interdits tournés en dérision. Les rêves éveillés font biensûr partie du “ jeu-je ” car ils permettent de se projeter dansun avenir ouvert sur le monde et de le vivre tel un présentun peu décalé.

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  • Enfin la mise en scène théâtrale a bien lieu au cœurmême de cet espace du drame, où il faut que chacune fassevraiment “ face à sa vie ”, ainsi que le dit à la fin du film TheHours, Nicole Kidman jouant le rôle de Virginia Woolf, afinde ne pas justement sombrer dans la folie. Quelle énergiesecrète du “ je ” devenant à chaque instant un “ jeu ”, habi-te donc ces femmes lorsqu’elles montent de petites piècesoù elles jouent leur propre vie comme s’il leur était possi-ble, une fois le rideau tombé, de sortir du théâtre et d’allerensemble boire un café ou une bière dans un bistrot de laville !

    J’ai retrouvé le même questionnement dans le livrede Leïla Sebbar Sept Filles, paru en 2003 aux Ed. Thierry Magnierqui interroge à travers diverses situations les comportementsvis à vis de leur corps et du regard des autres, des filles etdes femmes aujourd’hui et au cours d’un passé proche desdeux côtés de la Méditerranée, reposant à nouveau tous lesproblèmes quotidiens auxquelles se heurtent les jeunes fillesdes cités, ici et là-bas. Le livre de Malika Mokkedem La transedes insoumis paru chez Grasset en 2003 avive encore plus ceva-et-vient entre une enfance qui prépare la femme en deve-nir à toutes les aliénations, et des choix de vie qui se struc-turent avec pour centre l’écriture et le livre, permettant à lafemme échappée à l’imposture d’un destin déjà écrit, de vivreses désirs.

    Enfin l’entretien de Behja avec Eugenia Soldaauteure de Cinquante ans de la vie d’une femme aux Ed. ChèvreFeuille Etoilée, intitulé Feu follet, renvoie chacune d’entre nousà ce double mouvement bien réel pour toute femme qui écrit,ce balancement entre “ Je ” et “ Jeu ” qui nous emporte augré d’une balançoire peinte en vert dans un lieu à la fois inti-

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  • me et partagé et que nous savons désormais nommer.

    Il y a dix ans, le 14 juillet 1993 mourait le musicienpoète Léo Ferré qui a redonné aux filles et aux garçons dema génération l’amour des poètes tels Baudelaire, Rimbaud,Verlaine, Apollinaire, et tant d’autres dont les écoles avaientsu largement nous dégoûter. Eh bien maintenant pensai-jeun peu effrayée par la responsabilité que cela représentait,c’est à nous de jouer… Il y a dix ans, le 13 septembre 1993,était signé l’accord de paix entre Palestiniens et Israéliens alorsque je venais de découvrir le poème de Mahmoud Darwich“ L’Indien rouge ” dans la Revue d’Etudes Palestinienne. Depuisle plus loin où ma mémoire me porte le fait de voir vivreles autres en poésie, puis d’y vivre à mon tour m’est appa-ru comme un combat farouche et tendre pour demeurer faceà nous-mêmes.

    Depuis toujours, être libres de créer nécessite d’ê-tre vigilants et solidaires. L’artiste est solitaire d’abord soli-daire ensuite, mais il est les deux comme l’affirmait Camusdans L’homme révolté. La revue Etoiles d’Encre est née parceque nous avions conscience que celles qui avaient pris la paro-le dans les années 70 nous avaient ouvert un chemin quenous nous devions de poursuivre. Aujourd’hui plus que jamais,pour Sohane, pour les jeunes filles et garçons des cités ghet-tos, et pour tous les mômes des ghettos de Palestine et d’ailleursnous reprenons à notre compte les paroles du poète :

    “ A l’école de la poésie on n’apprend pas, on sebat ! ”

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  • Chez moiLà-bas

    Chaque soirAvant de me coucher

    Avant de me donner à toiAvant de me remplir de toi

    Avant de nous endormir

    Chaque soirAvant de fermer les volets

    Volets ajourés de tes mainsCœurs pour laisser lune passer

    Chaque soirJe lève les yeux

    Vers la nuitEclairée

    vers la nuit étoilée

    Chaque soir je me relieA elles mes sœurs

    Mes étoilesMes lumières

    Sans toi, je ne sais vivreSans elles je ne sais être

    Mes pieds sont ancrés sur cette terre que par toi j'ai faite mienne

    Ma tête est reliée à l'Univers.

    Et ton cœur demandera l'amant ?

    Mon cœur est là où je demeure et ma maison est grande.

    Marie-Noël Arras2003

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    A propos des illustrations...Pour la couverture de ce numéro, j’ai fait un rêve, Catherine

    Rossi, présentée dans la précédente revue, l’a merveilleusementréalisé.

    Pauline Rossi, a rempli les cases de la marelle dessinée parCatherine avec ses petites fées que je me suis amusée à essai-mer tout au long des textes.

    Deux artistes de Montpellier entrent dans la revue :Nina Houzel et ses deux photos de fillette en plein jeu et Syta

    qui illustrera notre prochain numéro.Bonne lecture !

    Marie-Noël ArrasNina Houzel

    Née en 1964 à Athènes. Apprend à marcher en Inde et conti-nuera à voyager. À 20 ans, étudie la photographie à Paris. À 30 ans,rencontre le bouddhisme de Nichiren Daishonin. Choisit de deve-nir disciple de Daisaku Ikeda. Depuis, redécide constamment, dansson travail, dans son quotidien, de rester proche de l’humain, de mon-trer la valeur de la vie.

    Pauline Rossi, dit " Polin "Pauline a 18 ans ; en terminale littéraire, elle se destine à des étu-

    des d'histoire et d'anglais. Suivant les traces de son grand-père mater-nel, elle a dessiné très tôt, auprès de sa sœur et de sa mère, déve-loppant une grande maturité et un talent précoce pour les portraitset les sujets de fiction. Elle a participé à l'exposition " Mixité " orga-nisée en 2002 en partenariat avec New Bled Vibrations et présen-tée au Divan du Monde.Passionnée de musique reggae et de littérature, elle réussit à créerdans ses dessins un monde de rêves, à la fois tendre et espiègle. D'espritlibre et critique, elle aiguise son regard, curieuse du monde et prêteà rejoindre les justes combats, stylo et pinceaux en mains.Elle a participé aux illustrations de la revue, pointant avec bonheuret malices ses différentes rubriques pour nous entraîner vers le mondede l'enfance et du rêve, celui qu'il ne faudrait jamais quitter.

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