Le HublOt - n°0

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Le HublOt

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Magazine Le HublOt - numéro pilote - mai 2012

Transcript of Le HublOt - n°0

  • Le coin des HublOtins / Contre-culture et informatique

    Dcouvrir les logiciels libres / Questionnement de Lunes

    L'arbre cabosses / Nous, l'Opinion publique

    LeHu

    blOt-mai2012

    MayOtte

    Les Orphelins de la rpublique

    Carnets de rves

    sur plateau d'argent

    Banques coopratives

    et Monnaies complmentaires

    La Thrapie quantique

    Mdecine ou supercherie ?

  • Dans un bateau ou en avion, dans la cuisine

    ou la cave, il fait toujours bon regarder

    au-dehors et prendre l'air.

    Cest ce que propose Le HublOt, avec ses

    onze thmatiques dclines en rubriques.

    Ce drle de vaisseau explore ainsi les

    univers parallles qui dessinent notre

    socit, les territoires de la pense dj

    exploits ou encore dfricher, les espaces

    connus et inconnus, etc. Il invite le

    lecteur participer au voyage au travers

    des formes classiques du journalisme,

    associes des approches artistiques

    diverses. Impertinent quand il le faut,

    drle quand il le souhaite, mais curieux en

    toutes circonstances, Le HublOt ne

    s interdit aucune piste et scrute tous les

    horizons. Inlassablement, il dambule la

    recherche de nouveaux courants et de

    solutions innovantes dans des domaines

    aussi varis que la socit, la culture,

    lconomie, la science, lcologie, etc.

    Vaste mission... Heureusement, certains ont

    dj trac la voie, tandis que dautres

    rejoignent chaque jour la flotte des

    mdias en marge de lactualit dominante.

    Alors, prt embarquer ?

  • Analle M.

    L'ne ailes nous emmne encore une fois

    dcouvrir ses multiples univers. Puisque la

    demoiselle est avant tout une cratrice, tous

    les moyens sont bons pour nous faire

    voyager : de la tablette graphique au

    pinceau, parfois mme en passant par

    l'artillerie du menuisier.. .

    aneaaile.toile-libre.org

    G. El Fadin

    Mais qui se cache derrire cette

    photo rtro ? Un reporter qui

    s'ignore encore ? Un crivain

    prolixe dont le gnie peine

    percer ? Un fonctionnaire en mal

    daventure ? Eh bien, un peu des

    trois et a nous va trs bien comme

    a ! G. El Fadin nous fait profiter de

    son exprience des projets de

    grande envergure pour nous aider

    garder le cap et unifier les

    troupes rparties aux huit coins de

    la France. Son esprit critique et

    cartsien vite aussi certains de

    l'quipe de carrment verser dans

    l'sotrisme... Merci lui !

    Gwendal

    Lhomme aux 100 000

    liens hypertexte. Agile

    du crayon comme du

    stylet graphique, il

    caresse le doux rve de

    parvenir un jour

    tlcharger son cerveau

    sur internet. Vu la taille

    croissante de ses mga-

    dessins, il y a fort

    parier quil reste encore

    de longues annes de

    boulot, car dixit

    lintress : L-

    dedans, cest un sacr

    bordel . En y regardant

    de plus prs, tout est li

    et parfaitement logique.

    Il faut juste accepter

    lide de se perdre dans

    les mandres de lesprit

    et le chaos du monde

    avant de trouver le fil.

    Quil vous tend sur son

    blog : centrifugue.fr

    Joseph

    Avec une tte d'illumin pareille, on se doute vite

    que sa bote crnienne contient des rves un peu

    fous. Joseph est un rveur, un peu utopiste. Il aura

    sans doute embarqu bord du HublOt pour essayer

    d'en faire rver les lecteurs. Mais derrire cette non-

    chalance affiche se cache en ralit un redoutable

    geek qui peut venir bout des projets les plus

    farfelus avec mthode, rigueur et efficacit.. .

    Cline Salabert

    Aprs avoir arpent

    l'Espagne, c'est

    maintenant entre les

    murs des bibliothques

    qu'elle voyage. Cline

    aime les livres et elle en

    a fait son mtier.

    Bibliothcaire dans le

    Sud-Ouest, elle a

    embarqu sur le

    vaisseau HublOt la

    recherche de ppites de

    lecture, de musiques

    enchanteresses et

    d'autres curiosits.

    Retrouvez ses

    slections dans la

    rubrique Carte aux

    trsors, dans Le coin

    des HublOtins.

    Dominique Barto

    Guerrire toltque.

    Dbut XXI

    e

    sicle.

    Du chamanisme aux

    neurosciences, elle se

    nourrit de toutes les

    formes de sagesses

    pour interroger les

    relations entre le corps

    et lesprit, entre

    linstinct primitif et le

    savoir. Sa vie a chang

    le jour o elle a

    commenc lire

    Carl Gustav Jung.

    Julie Salabert-Ega

    Curieuse du monde et des

    gens qui le peuplent. Engage

    mais pas tte baisse. Julie est

    un ptit bout de femme, certes,

    mais cest pas la moiti dune

    journaliste ! Quon se le dise.

    Ccile Descampiaux

    Ccile est ne quelque part dans les annes 80 et n'a jamais, dit-on, cess de sourire depuis. Et c'est quelque chose,

    le sourire de Ccile : quelque chose qui efface tout. D'ailleurs, a-t-elle travaill, la Voix du Nord ou au Courrier

    Picard ? Est-elle plutt stno-journaliste ou reporter-photographe ? Brune ou blonde ? On s'y perd. Et l'on finit

    par se dire que c'est sans doute pour lever ces incertitudes, et bien d'autres, que Ccile s'est lance dans l'aventure

    duHublOt, premire fondatrice, grande prtresse, capitaine et timonier, et tout a avec le sourire, toujours.

    L'quipage

  • PPrrggrriinnaattiioonnss

    DDee ll''aauuttrree cctt

    LLooiinnttaaiinnss vvooiissiinnss

    Prendre la route

    L'espranto

    Caribou Maor

    Pour ce numro zro, on entame les rcits de voyage avec un dpart.

    Adeline Praud nous plonge dans une narration photographique

    semi-fictionnelle dans laquelle elle nous fait partager ses raisons de

    partir, puis son itinrance jusqu' l'arrive destination.

    Dcouvrez les bases de l'espranto, une langue invente

    la fin du XIX

    e

    sicle par un mdecin polonais.

    Mayotte des milliers d'enfants abandonns

    errent, sans parents, sans famille, livrs

    eux-mmes. Une situation tragique qui ne

    doit rien au hasard. Charles Vron, ralisateur

    d'un documentaire sur le sujet, nous raconte

    l'histoire du 101

    e

    dpartement franais.

    12

    11

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  • Le HublOt - mai 20126

    Prendre la route

    o le rcit semi-fictionnel dun partir ailleurs

    Par Adeline Praud, photographe criveuse

    adelinepraudenpartage.blogspot.fr

    Un jour, comme a, jai dcid que je devais

    partir, que ctait le moment. Presque du jour au

    lendemain, jai quitt amoureuse, maison et

    travail. Javais conscience que mes amis allaient

    me manquer, mais bon aprs tout, o que je sois,

    ils resteront mes amis. Je ne savais pas vraiment

    ni ce que je cherchais ni ce que je trouverais. Je

    me souviens quil tait important pour moi que

    ce dpart vers un ailleurs encore inconnu ne

    puisse en aucun cas ressembler de prs ou de

    loin une fuite ; et cette fois-ci, jen tais sr, a

    nen tait pas une.

    Je ne saurais pas vraiment expliquer pourquoi,

    mais ce jour-l, alors mme que la minute

    prcdente, aucun changement radical daucune

    sorte ntait dactualit, ne serait-ce que dans mes

    penses, pourquoi la minute suivante lvidence

    simposait moi : jallais tout quitter et partir.

    Cest vrai que ctait quand mme trange

    dexpliquer avec cet enthousiasme insouciant

    que javais pris cette dcision, comme a,

    subitement !

    Je me souviens des premires ractions des

    copains : ils taient surpris bien sr, mais je crois

    aussi, confiants et envieux dune certaine

    manire. Dautres ont srement imagin que

    ctait une lubie passagre, une de mes nouvelles

    extravagances !

    Jai aim comme certains ont tout de suite

    compris que ctait srieux, compris bien avant

    moi que cette dcision qui semblait sortir de

    nulle part tait en fait le rsultat dun

    cheminement, de rflexions et de choix dont les

    premires manifestations se situaient

    trois annes auparavant...

    Prgrinations

  • Le HublOt - mai 2012Le HublOt - mai 20127

  • Le HublOt - mai 20128

    Jai aim vous observer durant mes dplacements. Vous tiez songeurs, curieux,

    parfois inquiets. Je mamusais imaginer les raisons de votre prsence mes

    cts. Pour certains, vous partiez en vacances, pour dautres, ctait vers le

    pnible labeur du travail quotidien que vous vous dirigiez, les plus chanceux

    allaient retrouver ltre aim, les plus tristes avaient pris la fuite...

    Vous mobserviez peut-tre aussi ?

    Prgrinations

  • Le HublOt - mai 20129

    Cest vraiment tonnant la faon dont le temps stire comme jamais lorsque lon part vers

    linconnu. Jaime cette sensation, jai dailleurs appris rcemment quil y avait une rponse

    scientifique pour lexpliquer...

    La ressentez-vous aussi ?

    Prgrinations

  • Le HublOt - mai 201210

    Je suis arrive hier et je me sens bien. Je ne sais toujours pas ce que

    je cherche, mais je perois trangement que cest ici que je pourrais

    le trouver... Je vais donc posermes valises un temps, dans cet

    ailleurs singulier potique, utopique et riche en complexits...

    Prgrinations

  • Le HublOt - mai 201211

    L'Espranto

    Une langue sur mesure

    tymologie

    Contrairement ce que l'on pourrait imaginer, l'espranto

    n'est pas un dlire de baba cool des annes 70. L'origine de

    cette langue internationale remonte au sicle prcdent, en

    1887. Sa paternit est attribue un mdecin polonais,

    Ludwik Lejzer Zamenhof. Le but de cet utopiste ? Construire

    une langue qui soit moins imprononable que son nom et qui

    pourrait tre parle facilement dans le monde entier lors de

    rencontres interculturelles. Les interlocuteurs se retrouvent

    ainsi sur un pied d'galit, car l'espranto n'est la langue

    maternelle de personne.

    Actuellement, on estime le nombre de locuteurs entre 3 et

    10 millions rpartis dans une centaine de pays.

    Jeu de lego

    Pour construire cette nouvelle langue, plusieurs rgles

    simples ont t adoptes. En voici quelques-unes.

    C'est une langue dclinaisons, c'est--dire que la

    terminaison indique l'identit du mot. Nom ou adjectif ? Sujet

    ou verbe ?Tout est dit en quelques lettres...

    Ainsi, les noms communs et les noms propres se

    terminent en o . Par exemple : frato (un frre), hundo

    (un chien), kato (un chat), koko (un coq), onklo (un oncle).

    Les verbes l'infinitif se terminent par i : esti (tre),

    ami (aimer), kapti (attraper).

    Les adjectifs se terminent en a : bona (bon), rapida

    (rapide), lerta (adroit), facila ().

    Les adverbes finissent avec un e final : bone (bien),

    rapide (rapidement), lerte (adroitement), facile (...).

    Pour crer un mot, on rajoute la ou les dclinaisons

    adquates :

    Le fminin se marque grce au suffixe in . Amiko (l'a-

    mi) - deviendra amikino, filo (le fils) se transformera en filino.

    La lettre j note le pluriel : Amikinoj, filinoj.

    Le prfixe mal indique le sens inverse : malgranda

    (petite), malnova (vieux).

    Il n'y a pas d'exception, la rgle est toujours la mme :

    Le mot la traduit les trois articles le, la et les la fois.

    La marque du prsent est as . Cela vaut pour tous les

    verbes, toutes les personnes ! Plus besoin d'tre champion

    de conjugaison... Voil ce que donne le verbe dormir :

    Mi dormas ( je dors), vi dormas (tu dors), li/si dormas (il/elle dort),

    ni dormas (nous dormons), vi dormas (vous dormez) et ili dormas

    (ils dorment).

    La ngation se marque avec ne . Exemple : Mi

    laboras en Francio ( je travaille en France) devient Mi ne

    laboras en Francio ( je ne travaille pas en France).

    Par Cci le et Jul ie

    Pour s'entraner

    Traduisez les noms suivants :

    Tante

    Chienne

    Chatte

    Poule

    Vache

    Traduisez les verbes suivants :

    Nous apprenons

    Je fais

    El le est

    Tu dors

    El les viennent

    Vous faites

    I ls boivent

    Compltez les phrases :

    Li est bon frato.

    La hund ... estas granda.

    Ili labor rapide.

    Ni ne kant en Franci .

    Traduisez :

    Tu apprends faci lement.

    El les dorment bien.

    Vous venez rapidement.

    Nous travai l lons adroitement.

    Sur la toile :

    Des informations gnrales sur l 'espranto : www.esperanto.net

    Pour des cours d'espranto gratuits : ikurso.esperanto-jeunes.org

    Un dictionnaire espranto-franais : www.esperanto-panorama.net/vortaro/eofr.htm

    Un dictionnaire franais-espranto : traduction.sensagent.com/merci/fr-eo

    Un peu de vocabulaire...

    Bonjour Bonan tagon

    Au revoir is revido*

    S'i l vous plat Bonvolu

    Merci Dankon

    Dormir Dormi

    Manger Man

    Boire Trinki

    Parler Paroli

    Voyager Voja

    tre Esti

    Faire Fari

    Venir Veni

    Chanter Kanti

    Apprendre Lerni

    Travai l ler Labori

    *Le se prononce dj

    (comme dans Djibouti)

    De l'autre ct

  • Le HublOt - mai 201212

    Caribou Maor

    Bienvenue Mayotte

    Sur Mayotte, petite le de l 'ocan Indien, quelques mil l iers denfants

    errent, sans parents, sans famil le, l ivrs eux-mmes. Partout dans le

    monde, hlas, des mil l iers denfants seuls et abandonns survivent

    dans des conditions pouvantables, souvent tragiques.

    Mais Mayotte, nest pas une le sous-dveloppe du tiers-monde.

    El le est, depuis mars 201 1 , le 1 01

    e

    dpartement franais.

    Qui sont ces enfants, do viennent-i ls ? Comment, sur le territoire

    national , une tel le situation est-el le possible, acceptable ? C'est pour

    rpondre ces questions que je me suis rendu Mayotte avec ma

    camra

    1

    , au moment o l 'le accdait au statut de dpartement.

    En mars 2011 , Mayotte est devenue le 101

    e

    dpartement

    franais (le cinquime en Outre-mer, avec la Guadeloupe,

    la Guyane, la Martinique et la Runion). Cest dans ce

    cadre et pour cette raison que javais dcid de me rendre

    sur cette le avec ma camra.

    Ma premire surprise lorsque je parlais de ce projet autour

    de moi, fut le constat dune mconnaissance presque

    gnrale. Mayotte allait devenir le 101

    e

    dpartement dun

    pays qui, dune part, navait pas t consult pour cela et,

    dautre part, ignorait quasiment tout de cette le, de ses

    particularits gographiques, historiques, politiques, de la

    complexit de sa situation et des drames qui sy jouent

    quotidiennement depuis des annes.

    De la colonisation la dpartementalisation

    Mayotte appartient larchipel des Comores, situ

    lentre nord du canal du Mozambique, gale distance

    entre Madagascar et les ctes est-africaines. Colonies

    franaises durant un sicle, la Grande Comore, Anjouan,

    Mohli et Mayotte, les quatre les constituant larchipel,

    deviennent en 1946 territoires dOutre-mer. En 1974,

    bafouant les lois internationales qui interdisent de diviser

    un archipel, la France organise, le par le, un rfrendum

    sur lindpendance des Comores. Seule Mayotte choisit de

    rester au sein de la communaut franaise. Elle devient

    collectivit territoriale, quand les trois autres les,

    accdant leur indpendance, se constituent en Union des

    Comores. partir de l et durant de nombreuses annes,

    la circulation reste cependant libre dans larchipel.

    Mayotte garde sa culture, perptue ses traditions, et les

    quatre les conservent des liens troits.

    Mais lcart de niveau de vie entre le territoire franais

    dOutre-mer et les trois les indpendantes grandit

    rapidement, jusqu' devenir dmesur. Les trois

    principaux facteurs du phnomne migratoire sant,

    ducation et travail sont en place. Des autres les, on

    vient massivement Mayotte pour travailler, se faire

    soigner et scolariser ses enfants. La France a cr un lot

    de prosprit dans un ocan de misre , commentera,

    perplexe, un haut fonctionnaire en poste sur lle. En 1995,

    linstauration du visa Balladur2 est cense rguler les

    flux migratoires perptuels qui se sont tablis entre

    Mayotte et les trois autres les. Mais les habitudes et les

    intrts des populations migrantes sont trop enracins.

    Limmigration devient pseudo-clandestine, quasiment

    toujours aussi massive, et demeure tolre par les

    autorits. Tolre non seulement en vertu de ce statut

    juridique et administratif particulier, propre aux

    collectivits territoriales, mais aussi, et surtout, parce

    quelle participe activement et massivement lactivit

    conomique de lle. En dehors des grandes entreprises,

    on estime prs de 80 % le nombre de travailleurs

    clandestins dans les entreprises du btiment et des

    travaux publics de moins de dix salaris , crivait le

    snateur Henri Torre dans un de ses rapports. Le travail

    clandestin est gnralis dans les secteurs de lagriculture

    et de la pche, du BTP, des taxis, et des emplois domicile

    o il implique frquemment des fonctionnaires de ltat

    ou des lus ! La vague darrestations massive de

    travailleurs clandestins effectue en 2008 et qui avait

    engendr une paralysie totale de lle (on ne trouvait plus

    rien sur les marchs, il ny avait plus de taxis, plus de

    tlphone), avait concrtis cette ralit et mis le doigt sur

    lambigut de cette situation.

    En mars 2010, conforme ses habitudes, le prsident

    Sarkozy offre aux habitants de Mayotte ce que [ses]

    prdcesseurs leur promettaient depuis cinquante ans :

    la possibilit de devenir dpartement la suite dune

    consultation populaire. Le rsultat (plus de 95 % pour le

    oui ) apparat sans ambigut. Mais y regarder de

    plus prs, on constate que moins de 40 % des Mahorais

    sont inscrits sur les listes lectorales, et que sur cette

    Par Charles Vron, ral isateur du fi lm Caribou Maor (Bienvenue Mayotte)

    LUnion africaine considre toujours

    Mayotte comme un territoire occup

    par une puissance trangre .

    Lointains voisins

  • Le HublOt - mai 2012

    faible proportion d'inscrits, 60 % seulement ont vot.

    Ainsi, 43 393 Mahorais ont vot oui au projet de

    dpartementalisation, sur une population officielle de

    186 452 habitants, laquelle il faut ajouter une population

    clandestine de lordre de 52 000 55 000 personnes.

    Il y avait lieu de se questionner avant daffirmer, sur la foi

    dune telle consultation lectorale, que 95,26 % des

    Mahorais rsidant Mayotte dsirent tre franais ; et

    den dduire, sans autre forme de rflexion, que la

    population de cette le musulmane 95 %, trs attache

    au droit coutumier, aux valeurs de la tradition orale et

    dont une grande partie ne parle pas franais avait

    parfaitement saisi les subtilits de la dpartementalisation

    et de lensemble des modifications quelle allait impliquer.

    La France condamne par l'ONU

    Pour la France, la dpartementalisation de Mayotte est

    destine stabiliser lle en lintgrant pleinement et

    dfinitivement au cadre national . Rappelons-nous que

    cest lencontre des lois internationales interdisant de

    diviser un archipel que la France a initialement spar

    Mayotte du reste des Comores. Que, depuis 1974, lONU

    conteste et condamne rgulirement la prsence de la

    France Mayotte. Et que lUnion africaine

    3

    considre

    toujours Mayotte comme un territoire occup par une

    puissance trangre . Tous les pays de lUnion

    europenne, part la France, ont vot les rsolutions de

    lONU reconnaissant Mayotte comme comorienne. Lle

    semble ainsi rattache notre pays par un statut rest

    bien mouvant dans le cadre d'une stabilisation

    dfinitive . Quoi qu'il en soit, un dpartement franais,

    fut-il dOutre-mer, ne pouvait saffranchir plus longtemps

    des lois de la Rpublique et la Rpublique actuelle sy

    entend pour cela ! Rapidement, en prvision de ce

    changement de statut, des mesures rigoureuses et un

    dispositif policier disproportionn sont mis en place. La

    recherche des sans-papiers et leur reconduite la

    frontire sintensifient jusqu prendre une ampleur

    dmesure. En 2010, 26 500 personnes dont

    6 000 mineurs sont expulses de cet lot de locan

    Indien. Soit 12 % de la population. La moiti de lensemble

    des reconduites la frontire, effectues sur tout le

    territoire national. Un score dont se flicite le ministre de

    lIntrieur. Les erreurs dapprciation et les maladresses

    des forces de police mises sous pression pour faire du

    chiffre , se multiplient. Des conditions indignes de

    dtention sont dnonces ds 2008, au centre de

    rtention de Pamandzi, par la Commission nationale de

    dontologie de la scurit. Elles font scandale et

    interpellent des membres du gouvernement. Le tissu

    familial, social et culturel qui stait mis en place Mayotte

    depuis toutes ces annes se brise. Lquilibre conomique

    et humain de lle est rompu. Et bien quen mtropole on

    lignore presque totalement, Mayotte est en bullition.

    voir notre drapeau national si gracieusement arbor,

    il sagit manifestement dun heureux vnement !

    Le relais des travailleurs sociaux.

    Une bombe sociale retardement.

    Le HublOt - mai 201213

  • Les enfants abandonns

    Parmi les problmes humains poss par les reconduites

    la frontire, celui des enfants mineurs abandonns est

    probablement le plus absurde et le plus insupportable.

    Aux yeux de la loi franaise, un enfant mineur, mme sans

    papiers didentit, nest pas en situation irrgulire. Il ne

    peut donc pas tre expuls sil nest pas accompagn de

    ses parents. Beaucoup de clandestins arrts et expulss

    de Mayotte choisissent ainsi dabandonner leurs enfants

    sur lle, mme en trs jeune ge. Dans la socit

    comorienne, les enfants sont traditionnellement levs par

    la cellule familiale au sens large, et les parents qui font le

    choix de laisser leurs enfants sur lle savent quen leur

    absence un frre ou une sur ans, la grand-mre, un

    oncle, une tante, voire un voisin ami seront toujours l

    pour les prendre en charge jusqu leur retour.

    Convaincus par ailleurs quils reviendront rapidement

    Mayotte, comme ils lont toujours fait, au pril de leur vie

    bord de frles embarcations.

    Mais aujourdhui, la surveillance accrue des ctes de lle

    ne permet plus ces retours faciles. Le nombre denfants

    abandonns et livrs eux-mmes grandit de jour en jour.

    Ils sont 4 000 tre officiellement recenss par la

    prfecture, sur une population de 200 000 habitants.

    Le phnomne submerge les forces de lordre, mais aussi

    les services sociaux, les ONG, et mme les institutions de

    ltat. Une dlinquance enfantine violente a merg. Des

    bandes denfants adolescents errent, semant la terreur dans

    lle. Certains dentre eux, les plus jeunes, ayant 4, 5 ou

    6 ans, survivent entre les dcharges et les abords des

    supermarchs, lentre desquels ils mendient , dnonait

    le rcent rapport dIsabelle Debr snateur UMP des

    Hauts-de-Seine. Elle soulignait les dfaillances des

    services de ltat, notamment ceux de la Protection

    judiciaire de la jeunesse, en constatant quil nexiste

    aucune structure dhbergement ou daccueil de jour

    adapte pour accueillir les mineurs isols les plus en

    danger . Pour conclure, la snatrice n'hsitait pas parler

    de la bombe sociale retardement que reprsentent ces

    mineurs isols sur lle.

    Pour aller plus loin :

    L'actualit de Mayotte et sa rgion sans complaisance et sans esbrouffe... : www.malango-actualite.fr

    L'association Survie lutte notamment contre la colonisation de la France en Afrique, la Franafrique. De nombreux documents

    intressants sur leur site, ainsi que des l iens internet et une bibl iographie : survie.org/francafrique/comores

    Les faubourgs du chef-lieu dun dpartement franais.

    Une gnration trahie, pour qui tre en territoire franais,

    sapparentait des promesses de modernit et dmancipation.

    Raffls toute heure du jouretde la nuitdans la plus parfaite illgalit.

    Lointains voisins

    14Le HublOt - mai 2012

  • Le HublOt - mai 201215

    Le sujet du film de Charles Vron

    Dans toutes les cultures du monde, labandon dun enfant

    par ses parents est le signe dun profond dsespoir.

    Lorsque, depuis plusieurs gnrations, toute une

    population pauvre sest vue contrainte daller travailler

    dans lle prospre voisine (contribuant ainsi grandement

    son dveloppement conomique), quelle sy est vue

    tolre pour ne pas dire encourage , quelle y a fond

    des familles, tiss des liens, et nourri lespoir dune vie

    meilleure pour ses enfants, comment cette population

    peut-elle accepter et surtout comprendre que, du jour

    au lendemain, cette situation cesse ? Comment accepter

    de voir son enfant subitement priv dducation et de

    soins ? Comment comprendre quon puisse tre expuls

    de chez soi ? Car mme si le passage au statut de

    dpartement induit le contraire, les Comoriens sont chez

    eux Mayotte. Cest au pril de leur vie quils y

    reviennent cote que cote, bord de leurs kwassa-

    kwassa, ces embarcations de fortune surcharges, qui

    chavirent rgulirement (7 000 hommes, femmes et

    enfants y sont morts noys ces quinze dernires annes).

    Qui peut arrter le dsespoir ? Pas un dispositif policier

    assurment. Ni la brutalit des arrestations, ni les

    conditions de dtention parfois inhumaines, ni les

    reconduites systmatiques la frontire ne semblent

    dcourager les immigrants qui en arrivent choisir cette

    solution extrme : abandonner leurs propres enfants sur

    lle. Ce qui tait un problme mergeant en 2008 est

    devenu une vritable crise sociale majeure, une menace pour

    la stabilit de lle et son tissu social , dclarait rcemment

    Sad Omar Oli, conseiller gnral de Mayotte, propos de

    ce phnomne.

    Et si la tragdie des enfants abandonns de Mayotte ou,

    dfaut, la menace quils reprsentent, pouvait parvenir

    veiller quelques consciences

    Notes :

    1

    Caribou Maor, (Bienvenue Mayotte), un fi lm documentaire de 52 minutes, LEnvol Production/France tlvision.

    2

    Visa Balladur : c'est le nom donn au visa dl ivr par les autorits franaises et ncessaire tout citoyen comorien pour entrer

    sur le territoire franais et notamment Mayotte. douard Balladur, alors Premier ministre, a institu cette loi le 24 aot 1 993. El le a

    t promulgue par la circulaire du 8 fvrier 1 994.

    3

    LUnion africaine : organisation d'tats africains cre en 2002, Durban en Afrique du Sud. Ses buts sont d'uvrer la promotion

    de la dmocratie, des droits de l 'Homme et du dveloppement travers l 'Afrique. En 201 1 , el le a vot l 'unanimit une rsolution

    condamnant la dpartemental isation de Mayotte et plus largement la prsence de la France sur l 'le. LUnion africaine demande

    galement la France dabroger le visa Balladur, source de mil l iers de morts et de disparus.

    Le centre de rtention administrative de Mayotte,

    rgulirement pingl par la Cour des comptes.

    Le labyrinthe administratif: une entrave bien huile toute

    demande de rgularisation.

    Quelques mots sur l'auteur :

    J'ai vu le jour dans le dsert tunisien, pouss

    dans la vase ligrienne et mri l'air marin breton

    avant de monter la Capitale faire une cole de

    cinma, se prsente Charles Vron . Mais ce sont

    surtout mes rencontres et mes voyages qui ont fait

    de moi un cinaste.

    Depuis 1 985, Charles Vron a ralis de

    nombreux fi lms documentaires. Quelques titres :

    Post bord (2009), Je ne t'aimerais pas tant...

    (2002), Quand je dis, mon mec est ouvrier agricole,

    y'a un blanc (2000), Loctudy-Abidjan, aller simple

    (1 998), Lon, Henri et Jo (1 997), etc.

    Lointains voisins

  • On se rgaleTout l-bas dans les Alpes, se tient un

    festival de joyeux alluns...

    Nous profiterons des festivits pour

    lancer ce numro 0 du HublOt !

    L'amour comme la colre, tout ce qui

    rend le poil dru, c'est l'affaire du crieur

    de rue dru. Rude rue... Rudru ! Les

    textes les plus hauts en couleur sont

    appris par cur par monsieur le crieur.

    bon entendeur, tout l'heure !

    Une slection des

    classiques de la

    rdaction autour du

    mot zro.

    Zro

    Pot au feu

    22

    Le crieur de rue

    Grain de sel

    21

    Un film, ce n'est pas qu'une

    marchandise. Synaps collectif

    audiovisuel nous dvoile un procd

    de production et de diffusion

    original travers son premier

    court-mtrage.

    Ct cuisineCarnets de rves

    18

    Questionnement de Lunes

    17

  • Questionnement de Lunes

    du Queyras Libre

    Quand ?...

    Lorsque seules les dernires neiges persistent et que le printemps explose...

    Le Rassemblement de Lunes existe depuis 2007, il a accueilli 10 150 artistes

    par an pour un public variant de 80 5 000 spectateurs.

    Queyras ?...

    Tu vois lendroit o il n'y a plus rien

    en bas droite de la carte de France,

    la frontire italienne ? C'est l. Un

    massif des Hautes-Alpes. Perchs

    flan de montagne ou nichs aux

    creux des valles, les villages sont

    loin des grands axes. Isol, le Queyras

    est une destination prise par les

    amoureux de montagne et par ceux

    qui choisissent de se retirer loin du

    monde.

    Libre ?...

    Une utopie, probablement une

    volont des initiateurs de cet

    vnement : un lieu o la crativit

    peut s'exprimer en toute libert.

    Libre, c'est aussi le prix, chacun

    donne ce qu'il veut ou peut pour les

    spectacles, manger ou boire. Cet

    vnement questionne les valeurs et

    envisage autrement l'acte de donner

    ou de participer : que ce soit pour

    prsenter un spectacle, couper un tas

    de bois, rcurer des casseroles,

    transmettre un savoir (-faire), filer un

    coup de main ou un coup de pied... et

    bien sr aussi de la monnaie

    sonnante et trbuchante car nous ne

    pouvons tout de mme pas tre

    totalement en dehors de la ralit !

    Lunes ?...

    Ce sont toutes les personnes qui

    partagent des mmes envies, qui se

    retrouvent dans les valeurs

    vhicules par ce projet et qui y

    participent : des organisateurs aux

    spectateurs en passant par tous les

    Joes (Joyeux ouvriers de l'v-

    nementiel, Glossaire du Queyras

    Libre, 2009) et les intervenants.

    Comment ?...

    L'vnement repose essentiellement

    sur la volont de chaque Lune et

    sympathisant. Aucune subvention

    n'est demande, aucun salaire n'est

    vers. Beaucoup de moyens sont mis

    localement disposition, que ce soit

    par des personnes titre individuel,

    des familles, des entreprises, des

    associations ou encore par les

    communes. Les seules recettes sont

    les participations libres du public qui

    permettent de rembourser tous les

    frais, puis le surplus est rparti

    quitablement auprs de tous les

    intervenants. En gnral, cela

    rembourse le carburant...

    Pourquoi ?...

    Offrir trois jours de rve, de

    spectacles et de fte. Partager,

    changer nos ides, entraner le

    public dans l'aventure, rencontrer

    d'autres Lunes, se faire plaisir. Et

    surtout, faire un pied de nez aux

    cadres de travail, de consommation et

    de production habituels. Se

    permettre. Souffler du systme dans

    lequel nous vivons et qui ne nous

    correspond pas forcment. Non,

    l'argent n'est pas la valeur suprme

    qui nous motive travailler, produire,

    parvenir ou avoir, bref, qui oriente et

    rgit notre vie. Nous retrouver

    nombreux autour de cette dmarche

    alternative dont la russite dpend de

    chaque participant sa propre chel-

    le, voil l'intrt du Rassemblement

    de Lunes du Queyras libre.

    Plus d'infos :

    www.queyraslibre.com

    Par les Hauts-al luns du Queyras Libre

    Le HublOt - mai 201217

    On se rgale

  • Carnets de rves

    Derrire un scnario

    original et potique,

    Carnets de rves, le

    premier court-mtrage de

    Baptiste Gourden, cache

    une autre manire de

    concevoir la cration

    audiovisuel le. Produit par

    l 'association Synaps

    col lectif audiovisuel , avec

    le pre d'Amlie Poulain

    - Rufus -, ce fi lm est un

    rve qui ne demande qu'

    tre partag.

    Vous connaissez la part du colibri ?

    Il y a le feu, un grand incendie, et tous

    les animaux s'enfuient de la fort en

    flammes. Ils voient passer un colibri

    dans l'autre sens, qui va vers la fort.

    Et puis ils voient le colibri revenir, puis

    retourner encore dans l'autre sens.

    un moment donn, il y a un hrisson

    qui l'arrte en lui disant : "Mais qu'est-

    ce que tu fais ? Tu vas vers le feu !" Et

    le colibri rpond : "Oui, j 'apporte une

    goutte d'eau, c'est ma part. Je fais ma

    part." Ce film a fait sa part dans cette

    barbarie dans laquelle nous sommes.

    La goutte d'eau

    Le film auquel Rufus fait rfrence

    ici, c'est Carnets de rves, le premier

    court-mtrage de Baptiste Gourden,

    produit en 2009 par l'association

    Synaps collectif audiovisuel. Carnets

    de rves, c'est trois personnages : une

    fille de joie (Gabriella Wright), un

    homme au visage dform (Rufus) et

    une enfant (Angle). Trois vies, trois

    gnrations qui changent un rve

    par des mots, des gestes et des

    images. Trois manires de rver et de

    faire rver. Carnets de rves, c'est

    21 minutes de posie audiovisuelle

    dans un Paris du XIX

    e

    sicle qui nous

    raconte inconsciemment ce qu'est

    l'art : une part de soi qui se partage,

    un rve qui se diffuse de diverses

    manires en simprgnant de lme

    de chaque individu qu'il traverse...

    Et derrire les camras, Carnets de

    rves, c'est une manire originale de

    concevoir la production cinma-

    tographique. Pour le mettre l'cran,

    le collectif a choisi de fonctionner

    l'inverse de la mthode classique.

    Usuellement, pour obtenir l'argent

    ncessaire l'adaptation d'un

    scnario au grand cran, l'auteur doit

    convaincre une maison de production

    ou un investisseur priv. S'il y

    parvient, le producteur prendra alors

    en charge le cot de ralisation du

    film, en contrepartie de quoi il

    disposera de l'exclusivit des droits

    d'exploitation de luvre de manire

    obtenir le retour de son

    investissement et les intrts qui vont

    avec. Ainsi, le cinma, plus que toute

    autre forme d'expression artistique,

    n'chappe pas au principe de

    rentabilit. Vu les investissements

    initiaux requis, on prfrera produire

    ce qui marche en utilisant des

    formules qui ont dj fait leurs

    preuves par le pass plutt que de se

    risquer dans des sentiers encore trop

    peu frquents. Les scnarios

    originaux et cratifs finissent bien

    souvent aux oubliettes par peur de ne

    pas pouvoir rembourser leur

    production lors de leur diffusion.

    Le colibri

    Pour obtenir les 30 000 ncessaires

    au tournage de Carnets de rves, le

    collectif a choisi de runir

    l'intgralit des fonds travers des

    dons unilatraux, des subventions ou

    des apports propres, au lieu de

    demander l'aide de prts bancaires ou

    d'investisseurs privs ncessitant un

    retour financier. Dbut 2009, un

    appel souscriptions est lanc sur

    leur site internet. L'originalit du

    scnario et les premiers dessins du

    ralisateur accrochent les inter-

    Par Joseph

    Un rve qui se diffuse en s imprgnant

    de lme de chaque individu.

    Ct cuisine

  • Je crois que c'est pour a que le film a touch

    l'ensemble des gens qui travaillent ici, c'est que c'est

    leur histoire qu'on raconte. On raconte pourquoi nous

    sommes l, dans ce merdier, avec une espce de mission

    incroyable : transformer la souffrance en beaut.

    Rufus

    C'est comme si l'introduction du fric empchait les

    choses de cet ordre de se faire. Ce qui nous bloque

    dans la production franaise, c'est cette espce

    d'inertie, de manque d'imagination des financiers, de

    vue court terme, de peur qui fait qu'on veut toujours

    copier ce qui a dj march. On se lance si rarement

    dans une uvre, dans une aventure, dans la vie...

    Rufus

    Le but est de prendre un projet, de se dire qu'on le

    chiffre et qu'on essaye de trouver l'argent pour le faire.

    Une fois qu'on a cet argent on ne passe pas par des

    prts de banque ou des retours sur investissement

    derrire, donc une fois qu'il est fait on n'a plus

    d'argent gagner dessus. a permet de le faire en

    relle intgrit artistique.

    Florian Pourchi, producteur

    nautes. L'argent commence arriver

    calmement, l'quipe continue

    progresser en vue du tournage,

    l'acteur Rufus les rejoint, des teasers

    sont diffuss sur Internet, etc.

    l'automne les fonds sont runis. Le

    collectif tourne dans un squat de la

    priphrie parisienne et dans une

    vielle rue de Versailles. Les besoins

    financiers ont t minimiss grce

    aux partenaires du film, l'quipe est

    entirement bnvole, les heures de

    sommeil sont rares, chaque prise est

    prcieuse.

    La premire de Carnets de rves a lieu

    le 25 juin 2010 au cinma Les sept

    parnassiens Paris. Depuis le rve se

    rpand : sur la route avec le Cinma

    voyageur*, dans des festivals (Festival

    international du film d'Aubagne,

    Festival des nations d'Ebenssen,

    Festival Off short, Xanadou festival,

    etc.), des salles de cinma associatives

    ou des lieux alternatifs. Avoir runi

    les fonds avant de produire ce court-

    mtrage lui offre toute libert de

    circuler et d'tre diffus. Ainsi, il est

    visible et tlchargeable gratuitement

    sur le site internet de l'association.

    Une belle faon pour le collectif de

    partager ses rves.

    Ct cuisine

    19

  • *Le Cinma voyageur

    Cr par Synaps en 2010, Le Cinma voyageur est un lieu libre et ambulant

    qui tente un autre chemin dans les mandres dun systme o limage et la

    cration sont devenues des objets de consommation. Il propose des projections de

    films libres, un choix qui invite lchange dexpriences, de points de vue, de

    questionnements, dans une atmosphre intimiste .

    Ce cinma itinrant parcourt la France chaque t apportant en milieu rural

    ou en marge de festivals des crations originales et un regard nouveau sur la

    production audiovisuelle. Et pour rendre la culture accessible tous, l'entre

    du cinma est prix libre.

    Les rencontres audiovisuelles pour la production et la diffusion alternative

    Synaps participe avec d'autres acteurs de l'audiovisuel l'organisation de ces

    rencontres qui ont eu lieu pour la premire fois en 2011 . L'objectif tant de

    partager diffrentes expriences et rflexions sur de nouvelles manires de

    produire une uvre cinmatographique et de l'offrir au public. Le compte-

    rendu des premires rencontres est disponible librement sur leur site

    internet. Le second volet a eu lieu rcemment et le compte-rendu sera

    bientt en ligne.

    Mouton 2.0 La puce l'oreille

    Au printemps 2012, le collectif Synaps audiovisuel achve son second

    documentaire. Aprs un reportage sur l'apiculture en Uruguay (Une abeille

    passe en 2010), il nous invite cette fois dcouvrir quelques facettes de

    lindustrialisation de l'levage d'ovins. Mouton 2.0 sera accessible trs

    prochainement en tlchargement libre sur leur site internet.

    Synaps en quelques mots

    Sur la toile :

    www.synaps-audiovisuel.fr

    www.cinema-voyageur.org

    Dessins de Baptiste Gourden extraits du story-board du fi lm

    20Le HublOt - mai 2012

    Ct cuisine

  • Le mot du crieur de rue

    I

    l

    l

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    D

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    a

    i

    s

    21

    Grain de sel

  • Zro,

    a nous fait penser quoi ?

    Zro

    Journal satirique des annes 50

    Cr en 1953 par Jean Novi, Zro est

    un mensuel satirique dont la

    particularit tait dtre vendu

    exclusivement par colportage. Ce qui

    ntait pas forcment du got de la

    marchausse... En 1954, deux jeunes

    hommes, Franois Cavanna et

    Georges Bernier (le futur professeur

    Choron) sont embauchs par Novi, le

    premier en tant que rdacteur en

    chef, jusquen 1957, et le second

    comme directeur de ventes, o il fera

    des miracles avec son arme de

    vendeurs. noter galement la

    prsence du dessinateur Fred au sein

    du journal, qui partira ensuite pour

    Pilote et crera la srie Philmon.

    En 1958, Zro change de nom (pour

    devenir Cordes) et de ligne

    ditoriale, au grand dsarroi de

    Cavanna. Mais cette exprience, ainsi

    que sa fascination pour Mad

    Magazine aux tats-Unis, sera

    dcisive lors du lancement, deux ans

    plus tard, dHara-Kiri. Mais ceci est

    une autre histoire...

    She watch Channel zero

    Sur l'album It takes a nation of

    millions to hold us back par Public

    Enemy, 1988

    Inutile de prsenter Public Enemy,

    lgende du rap des annes 80 et digne

    successeur du militantisme des Black

    Panthers. Avec ce morceau consacr

    la lobotomie cause par le petit

    cran, le groupe casse cette poque

    tout comme leurs collgues les

    Beastie Boys , la frontire artificielle

    entre rock et rap. Et nhsite pas

    reprendre un sample dun des

    groupes de mtal les plus extrmes

    lpoque, j ai nomm Slayer, avec

    leur chanson Angel ofdeath (crite en

    hommage au mdecin nazi Josef

    Mengele). Un mlange explosif qui

    sera renouvel avec le tout aussi

    nerv Bring the noise interprt avec

    Anthrax. Hip hop, mtal : mme

    combat !

    Moins que zro

    Roman de Bret Easton Ellis, 1985

    Premier opus du romancier tats-

    unien, Moins que zro vous emmne

    l o son nom l'indique. Sous les

    dessous de la morale la plus vernisse

    de LA. Cit des anges o le culte des

    corps et leur destruction programme

    s'entremlent dans une spirale

    infernale. Une fois les grilles du

    domaine franchies, commence

    l'impunit d'une jeunesse dore prte

    tout pour se divertir encore et

    toujours. Effrayant et brillant. Une

    marque de fabrique que Bret Easton

    Ellis a adopte trs vite. En 1985, il

    n'avait alors que 21 ans. peine plus

    que son hros dop la morosit.

    Pot au feu

    Le HublOt - mai 201222

  • Zro de conduite

    Film ralis par Jean Vigo, 1933

    Sinspirant de ses souvenirs au collge de

    Millau, le ralisateur Jean Vigo signe un des

    plus beaux films sur lenfance. Suivant quatre

    collgiens punis par un zro de conduite ,

    ce film est lun des premiers dpeindre les

    enfants dune faon non idalise, nhsitant

    pas pointer les carences du systme scolaire

    comme celles des parents. Lors de sa sortie en

    salles en 1933, le film, jug anti-franais ,

    sera, sous la pression dassociations

    parentales, interdit de projection et

    nobtiendra son visa dexploitation quen

    1945, aprs la Libration. Alors prenez

    40 minutes de votre temps pour le voir - il se

    trouve trs simplement sur le Net -,

    histoire de lui rendre justice.

    Zone zero

    de Vision ofDisorder, 1996

    et Les compteurs zro

    de Tagada Jones, 2008

    Un petit plaisir personnel avec ces

    deux morceaux punks. Dun ct

    Vision of Disorder, groupe de

    hardcore des annes 90 qui combine

    merveille motion et agression,

    vitesse et son plomb. Et de lautre, le

    fer de lance de la scne punk

    franaise, avec plus de 1 000 concerts

    et 20 pays visits. Un groupe qui na

    cess, depuis ses dbuts en 1993,

    denrichir son punk dinfluences les

    plus varies, de llectro au rap. Avec

    un peu de chance il finiront par tre

    connus mme en France...

    Les Producteurs

    Fiction de Mel Brooks, 1968

    Ruse de ma part car lun des acteurs principaux

    de ce film sappelle Zero Mostel et incarne un

    producteur de thtre au succs dsormais bien

    lointain. Assist de son comptable, jou par

    Gene Wilder, comdien ftiche de Mel Brooks,

    il dcide de produire la pire comdie musicale

    possible, afin dattirer les investisseurs et de

    partir avec la caisse. Et quel spectacle ! Rien de

    moins que Le printemps dHitler, mlant

    bavaroises et officiers SS dans des

    chorgraphies vous couper le souffle. Rien

    dtonnant ceci dit pour le ralisateur Mel

    Brooks qui, entre Hitler on ice et Hitlers rap (

    visionner sur Youtube), nest plus un foutage

    de gueule prs. Bref, un film voir absolument,

    car Mel Brooks est grand !

    Oh, Le chanon manquant

    Film d'animation de Picha,1980

    Picha, dessinateur belge, revisite ici la thorie

    de l'volution de Darwin. Oh serait le chanon

    manquant entre l'homo sapiens et la bte. Il

    voit le jour en mme temps que Ah, son frre

    barbu et sale, qui est adopt sans difficult par

    ses congnres alors que Oh est rose et

    imberbe. Rejet par les siens, Oh commence

    alors un long priple jalonn de rencontres

    insolites avec d'tranges cratures tour tour

    pacifiques, stupides ou belliqueuses. La

    curiosit de Oh va compromettre l'quilibre

    du tout. Un beau film, drle, touchant et qui

    pose de vraies questions.

    Pot au feu

    Le HublOt - mai 201223

  • 28

    pine dorsaleEntre les politiciens et le peuple, la discorde est largement

    installe. Pourquoi ? Une des pistes serait la

    professionnalisation de la politique.

    La lutte des places

    En pleine priode lectorale

    nous avons voulu dcliner cette

    rubrique autour de la question

    de la dmocratie pour prendre le

    temps de comprendre ce qui se

    cache derrire nos votes.

    CortexComment aborder la dmocratie sans voquer l'ide sous-

    jacente de libert ? Une rflexion philosophique de Nicolas

    Hublot.

    Les liaisons dangereuses

    SynapseL'opinion publique L'opinion publique n'existe pas , disait Bourdieu. Pourtant,

    on l'interroge longueur de temps au travers de sondages.

    Que faut-il en penser ?

    Moelle pinireL'institution ne fait pas le moineLa dmocratie reprsentative dans laquelle nous voluons

    n'est pas exempte de critiques. Zoom sur quelques points qui

    posent question...

    3me OeilLe discordianismeVritable religion ou repre de drles d'oiseaux ? Le

    discordianisme est une croyance o le matre-mot est

    l'absurde. Un article graphique sign Gwen.

    25

    30

    32

    34

  • Le HublOt - mai 201225

    Aujourd'hui on note un vritable cart entre les intrts des

    politiques et ceux des citoyens, enfin d'une partie d'entre

    eux. Vous attribuez cela la professionnalisation de la

    politique. Qu'entendez-vous par l ?

    Le terme de professionnalisation vient d'un trs grand

    sociologue allemand qui s'appelle Max Weber

    1

    . C'est l'un

    des premiers parler de la professionnalisation de la

    politique dans les dmocraties reprsentatives. Il a dfini

    dans un clbre texte, Le savant et la politique, que dans

    les dmocraties contemporaines, les fonctions politiques

    taient assures par des professionnels. Il dfinissait

    comme professionnel et je pense que sa dfinition

    est toujours d'actualit quelquun qui vit de la politique

    et pour la politique. Qui vit de la politique, c'est--dire qui

    en tire un revenu, or les hommes politiques aujourd'hui

    vivent de leurs indemnits d'lus, et ils vivent pour la

    politique puisqu'ils en font leur vocation au point d'y

    consacrer toute leur vie, toute leur nergie. Ds lors, a

    devient leur activit principale. Pour toutes ces raisons

    assez complexes, dans les dmocraties reprsentatives qui

    sont les ntres, en Europe occidentale, ce n'est pas le

    peuple qui exerce le pouvoir, mais c'est le peuple qui

    confie des lites professionnalises, spcialises dans

    l'exercice de l'activit politique, des fonctions politiques

    qu'eux-mmes ne peuvent pas assurer. Et cela pour

    diverses raisons : les citoyens n'ont pas que la politique

    dans la vie, la politique ncessite des savoir-faire, etc.

    La professionnalisation est un processus la fois inhrent

    la dmocratie reprsentative, mais c'est aussi un

    processus qui s'est accentu avec le temps et surtout qui a

    pris une autre dimension. En fait, les professionnels de la

    politique deviennent une lite de plus en plus ferme

    socialement, inamovible, qui monopolise des positions

    politiques et surtout et c'est plus embtant qui est de

    moins en moins reprsentative socialement de la

    population dans son ensemble. Si on regarde par exemple

    les parlementaires, ils ne sont pas du tout reprsentatifs. Il

    n'y a plus de dputs ouvriers l'Assemble nationale et

    de moins en moins de dputs dorigine populaire.

    Ici vous mettez le doigt sur le non-renouvellement des lites,

    c'est a ?

    Attention, les ouvriers n'ont jamais t majoritaires

    l'Assemble nationale mais ils taient quand mme

    prsents dans les partis de gauche et notamment au

    Parti socialiste (PS) et au Parti communiste (PC). Avec le

    dclin du PC, l'embourgeoisement social du PS, le fait que

    ce dernier soit de plus en plus le parti des classes

    moyennes suprieures diplmes, on a une reprsentation

    politique de moins en moins l'image de la socit. Je ne

    dis pas que la lgitimit d'un homme politique ce soit

    forcment d'tre reprsentatif de la socit, mais dans un

    contexte de dfiance l'gard de la politique, dans un

    contexte o la politique apparat de plus en plus

    impuissante, cette reprsentativit sociale fait que le

    peuple sidentifie de moins en moins aux lites.

    Concrtement il y a un vrai problme. Vivre les conditions

    sociales des Franais c'est quand mme important pour

    prtendre les diriger.

    Vous travaillez notamment sur les partis de gauche.

    Pourquoi ne pas vous intresser la droite ?

    Je ne peux pas travailler sur tous les partis. Pour raconter

    des choses peu prs solides et tayes, il faut se

    spcialiser. Je suis plutt spcialiste du PS et des partis de

    gauche. Et puis il y a aussi une autre raison : le PS est

    devenu par excellence un parti de professionnels de la

    politique et notamment d'lus locaux. C'est un parti trs

    prsent dans les collectivits locales o il dveloppe un

    discours trs consensuel parce qu'il est devenu un parti de

    notables. Aujourd'hui on voit mal ce qui diffrencie une

    ville de gauche d'une ville de droite, et le discours des lus

    locaux socialistes, parce qu'ils veulent conserver leur

    pouvoir et qu'ils ont donc intrt rassembler, est trs

    fond sur des mots d'ordres consensuels comme

    partenariat , proximit voire dmocratie

    participative .

    Si certains politiciens dfendent

    clairement les intrts de leur classe,

    d'autres peinent tre en adquation

    avec ceux qu'i ls sont censs dfendre.

    Pourquoi ce dcalage existe-t-i l ?

    La professionnalisation de la politique est

    une piste. Entretien avec Rmi Lefebvre,

    chercheur en sciences politiques*.

    La lutte des places

    Une interview ralise par Jul ie Salabert

    * Rmi Lefebvre est professeur de sciences politiques luniversit de Li l le 2 et chercheur au Ceraps (Centre d'tudes et de recherches

    administratives, pol itiques et sociales). Ses travaux portent sur le Parti social iste, le mtier politique, le pouvoir local et les campagnes

    lectorales. I l a rcemment publi Les primaires socialistes. La fin du parti militant, aux ditions Raisons d'agir, 201 2.

    Epine dorsale

  • Le HublOt - mai 201226

    Il me semble que plus personne n'est dupe sur les intrts

    dfendus par le PS, c'est--dire que ce ne sont pas ceux des

    ouvriers ou plus largement des salaris, et pourtant c'est un

    parti qui continue faire normment de voix et accder

    au pouvoir dans de nombreuses collectivits. Pourquoi ?

    En fait le PS jouit d'une sorte de rente de situation. Il est le

    parti gauche qui peut gagner une lection prsidentielle

    et, comme c'est le parti qui a une position centrale

    gauche centrale par rapport au positionnement

    idologique , il y a une espce de logique de l'alternance

    qui fait que si ce n'est pas l'UMP, a sera le PS. Il y a aussi

    d'autres raisons. Si les lus locaux sont si nombreux au PS,

    c'est parce que le parti est trs efficace sur le plan local. Le

    parti est vraiment rod dans la conqute des lections

    locales.

    Qu'en est-il des autres partis de gauche ? Est-ce qu'ils

    s'inscrivent aussi dans cette reproduction des lites ?

    L'extrme gauche n'a pas d'lus en France, pour des

    raisons de mode de scrutin. Par contre ce qui est

    intressant, c'est de voir que les Verts et le Parti

    communiste sont de plus en plus des partis gestionnaires.

    Les Verts sont trs intressants. Ils taient rfractaires la

    professionnalisation, ils taient contre l'ide que la

    politique soit un mtier, contre le cumul des mandats. Ils

    taient pour le turn over, c'est--dire que l'lu ne fasse pas

    un mandat en entier mais qu'il y ait une rotation de

    plusieurs lus sur le temps d'un mandat. Ils taient trs

    hostiles l'ide que la politique soit confie des gens

    spcialiss. Or ce parti politique est trs largement rentr

    dans le moule de la professionnalisation et les Verts sont

    devenus un parti d'lus, et un parti de collaborateurs

    d'lus. Ce point est important.

    Il y a normment de collaborateurs d'lus dans les partis

    politiques. Ce sont des gens qui travaillent dans les

    entourages ou dans les collectivits locales, des gens qui

    travaillent dans des associations finances par les partis

    politiques, etc. Les Verts se sont finalement adapts.

    Aujourd'hui vous avez Nol Mamre qui est dput vert

    de Bgles depuis trs longtemps. Vous avez

    Dominique Voynet qui a longtemps t snatrice-maire de

    Montreuil. Le prototype de cette professionnalisation,

    c'est Jean-Vincent Plac. Il ne se cache pas de faire carrire

    en politique. Il tait extrieur aux Verts, il vient du

    Parti radical. Il est le ngociateur des intrts lectoraux

    des Verts.

    Pour le Parti communiste, c'est un peu diffrent. Il

    s'appuie aujourd'hui sur ses mairies. C'est ce qui le fait

    tenir et ce qui le finance partiellement car les lus

    communistes reversent une partie trs forte de leurs

    indemnits au parti. a permet de faire vivre l'appareil.

    Du coup on a l'impression que ces partis de gauche sont en

    inadquation avec les intrts de ceux qu'ils devraient

    reprsenter. l'inverse, est-ce qu'on peut dire que la droite

    est en adquation avec les intrts de ceux qu'elle veut

    dfendre ? Est-ce que l'cart est le mme ?

    Non, la droite a le mme problme de reprsentativit

    mais l'embourgeoisement est plus dcomplex dans la

    mesure o elle ne prtend pas dfendre les milieux

    populaires, mme si au passage il y a une droitisation ;

    mais a c'est une autre affaire. Qu'est ce qu'on voit

    aujourd'hui ? C'est trs trs frappant , il y a des

    gographes comme Christophe Guilly qui dnoncent que

    moins les catgories populaires votent aux lections, plus

    le PS a d'lus, plus il gagne en fait. Notamment aux

    lections locales. Le centre de gravit lectoral du PS s'est

    dplac. Ce ne sont plus du tout les milieux populaires

    mais en gros les bobos urbains diplms, et du coup la

    professionnalisation renforce ce mcanisme.

    De plus en plus une ide merge au sein mme du PS et de

    Terra Nova, la fondation proche du PS : le parti devrait

    faire l'conomie des milieux populaires et se recentrer sur

    les urbains diplms. Tout a se tient, c'est--dire que la

    professionnalisation entrane un embourgeoisement qui

    conduit dire que finalement il est impossible de

    reconqurir les milieux populaires.

    a veut dire qu'ils sont conscients de faire partie d'un parti

    de notables ?

    Parfaitement. Le PS est tout fait conscient de ce qu'il est.

    C'est un parti o la lucidit est relle et o le cynisme est

    trs puissant. Ils sont tout fait conscients de ce

    phnomne.

    il reste encorequelques postes pourvoiren CDD, bien sr ! Mais aprs

    les resultats

    Epine dorsale

  • Le HublOt - mai 201227

    Notes :

    1

    MaxWeber (1 864-1 920), sociologue et conomiste allemand, est l 'un des fondateurs de la sociologie moderne.

    2

    Le Parti de gauche a t lanc par les parlementaires Jean-Luc Mlenchon et Marc Dolez en 2008, aprs

    leur dpart du Parti social iste.

    3

    Le Front de gauche est une all iance lectorale initie par le Parti communiste franais et le Parti de gauche

    lors des lections europennes de 2009. Pour l 'lection prsidentiel le, le Front de gauche rassemble le Parti

    communiste, le Parti de gauche, la Gauche unitaire, la Fdration pour une alternative sociale et cologique,

    Rpublique et social isme, Convergences et alternative et le Parti communiste des ouvriers de France.

    4

    There is no alternative en franais : Il n'y a pas d'alternative fut la phrase employe par Margaret Thatcher,

    Premier ministre du Royaume-Uni de 1 979 1 990, propos de sa politique de l ibre-change mondial , ce qui lui valut le

    surnom de Tina par ses dtracteurs (prnom compos avec les premires lettres de There Is No Alternative).

    Je voudrais m'arrter sur le Nouveau Parti anticapitaliste

    (NPA) et le Front de gauche. Que peut-on dire sur eux ? Ils

    dnoncent le cumul des mandats ?

    Pour l'extrme gauche c'est trs clair. On le voit avec les

    discours de Philippe Poutou, le candidat du NPA. Ils sont

    contre la professionnalisation de la politique, donc ils ne

    veulent pas rentrer dans ce systme. Par contre au Front

    de gauche, c'est diffrent. Jean-Luc Mlenchon (NDLR :

    candidat du Front de gauche l'lection prsidentielle) est

    un notable socialiste, il ne faut pas l'oublier. Il a t

    snateur, conseiller gnral. Il a cumul. C'est quelqu'un

    qui vit de la politique depuis 25 ans. Au Front de gauche,

    les militants sont plutt contre le cumul et Mlenchon lui

    est plutt pour le cumul. En gros, il pense qu'il est

    indispensable. Il reste en politique parce que c'est sa

    vocation. Il ne faut pas oublier que quand le

    Front de gauche s'est cr, c'tait au moment des lections

    rgionales et des europennes. Mlenchon a quitt le

    Parti socialiste car il savait qu'il allait tre lu aux

    europennes. Il savait qu'il pouvait retomber sur ses pieds.

    Il y a des enjeux trs importants dans les relations entre le

    Parti communiste et le Parti de gauche

    2

    . Jean-Luc

    Mlenchon a pu tre le candidat du Front de gauche

    3

    car il

    a su tre peu exigeant pour les circonscriptions (NDLR :

    pour les lections lgislatives venir) auprs du PC. Or il

    aurait voulu avoir des circonscriptions car les proches de

    Jean-Luc Mlenchon veulent eux aussi tre des

    professionnels de la politique.

    Donc il y a constamment des ngociations qui se trament ?

    En permanence, lies des intrts de carrire. On a une

    politique qui s'est tellement dsidologise et dpolitise

    que finalement la politique est devenue la lutte des places.

    Du coup, pour tre plus clair, il faudrait attribuer aux

    reprsentants politiques des salaires et non plus des

    indemnits ?

    La politique est devenue un mtier, on ne peut plus le nier.

    Pour moi, la solution c'est la dprofessionnalisation

    radicale de la politique. Il ne s'agit pas simplement de

    toucher au cumul des mandats, mais de le toucher dans le

    temps. Il faudrait une mesure du type il est interdit de

    cumuler un mandat plus d'une fois . a veut dire que

    derrire il faut effectivement beaucoup de rformes. Il faut

    un statut d'lu, il faut de la formation. Il faut tout changer.

    C'est possible de le faire. On peut imaginer un systme qui

    n'est pas oligopolistique comme maintenant, c'est--dire

    une hirarchie d'lus inamovibles qui en gros sont des

    pps. La moyenne d'ge n'a jamais t aussi leve,

    environ 60 ans pour les dputs. Notre systme est quasi

    grontocratique.

    Si la politique est l'activit principale de nombreux hommes

    et femmes politiques, beaucoup d'entre eux se tournent aussi

    vers le mtier d'avocat.

    Il y a diverses raisons cela : l'affaiblissement de la

    fonction parlementaire pousse s'investir dans d'autres

    activits, le sentiment que la fonction politique est mal

    rmunre ce qui est trs discutable, mais les dputs

    appartiennent trs majoritairement aux catgories

    sociales suprieures , et enfin dernier point et, c'est trs

    grave, le fait que les parlementaires dfendent de plus en

    plus des lobbies privs pour lesquels ils sont rmunrs

    comme avocats.

    Est-ce un phnomne typiquement franais ou retrouve-t-on

    la mme chose dans d'autres pays ?

    C'est beaucoup plus accentu en France que dans d'autres

    pays. La moyenne d'ge des lus, c'est en France qu'elle est

    la plus leve. Le cumul des mandats n'existe pas dans

    d'autres dmocraties ou pas dans ces proportions.

    D'aprs vous, y a-t-il d'autres raisons qui expliquent le

    dsengagement des citoyens vis--vis de la politique ?

    Il y en bien d'autres ! Le sentiment gnral d'une

    impuissance du politique face aux phnomnes

    conomiques saccrot, la dpolitisation des catgories

    populaires, atomises, prcarises et qui ne sont plus

    encadres par les partis de gauche expliquent aussi cette

    dsaffection durable et proccupante.

    Quelles consquences cela induit-il sur la socit ? Un

    vivier d'lecteurs pour l'extrme droite ?

    Les citoyens acceptent de plus en plus que la politique soit

    un mtier ou se rsignent cette ide. Ils s'en remettent,

    comme dirait Bourdieu, des spcialistes qui cumulent les

    attributs naturaliss de lgitimit. Une autre tendance est

    luvre chez les diplms. Une partie d'entre eux du

    moins : ils pensent que la politique est affaire de

    comptence et plus forcment d'engagement et de

    conviction. Or si la politique nest que la comptence,

    alors on dbouche sur le principe libral : Theres no

    alternative.

    4

    Le HublOt - mai 201227

    Epine dorsale

  • Le HublOt - mai 201228

    Oserais-je pour le dbut de cette

    rflexion sur la dmocratie dans nos

    socits librales, parler mthode,

    c'est--dire noncer un certain

    nombre de principes pour penser un

    tel concept ? Je pose cette question

    parce que je ne trouve pas l'intrt

    d'crire une critique s'il s'agit de dire

    ce que devrait tre la dmocratie au

    regard de ce qu'elle est aujourd'hui.

    Procder de cette manire, c'est

    toujours sous-entendre une fiction,

    un idal qui serve de modle afin de

    donner les bons et mauvais points

    la dmocratie relle, celle dans

    laquelle nous vivons au quotidien.

    Cependant, cela ne m'empche pas

    d'analyser la dmocratie, seulement

    sans aucune conviction sur l'essence

    de celle-ci, et en la considrant un

    instant t , ici et maintenant. Et s'il

    tait possible de cette faon d'ouvrir

    des perspectives critiques c'est

    seulement la manire d'un mdecin,

    non pas pour soigner, mais plutt

    pour reconnatre des symptmes qui

    me permettraient ds lors quelques

    remarques propos de la ralit

    politique dans laquelle nous vivons

    quotidiennement.

    Changements de positions

    J'aimerais aborder l'ide selon

    laquelle la dmocratie aurait pour

    corollaire un march libre, autrement

    dit que le capitalisme est une

    condition au dveloppement du

    systme dmocratique. Cette ide a

    des fondements historiques, qui

    commencent au dbut du XX

    e

    sicle

    avec les changements de positions

    des sociaux-dmocrates, ainsi que

    l'exprience sovitique face au

    monde occidental. En ce qui concerne

    l'exprience sovitique, si le lien

    entre capitalisme et dmocratie n'est

    pas clairement nonc, le fait que

    l'exprience communiste n'a pas

    t dmocratique implique son

    contraire, c'est--dire que le rgime

    capitaliste lui l'tait. Il faut se

    rappeler de nos cours d'histoire, nous

    tions, nous les capitalistes-ns, le

    monde libre. L'histoire de la sociale-

    dmocratie a aussi aliment cette

    ide. la fin du XIX

    e

    sicle, il existe

    deux courants de ce groupe politique,

    l'un rvolutionnaire, l'autre

    rformiste. partir de la Seconde

    Guerre mondiale, les sociaux-

    dmocrates renoncent peu peu la

    remise en cause du modle

    capitaliste, et dans les annes 80, ils

    finissent par accepter l'conomie de

    march et revendiquent seulement

    un amnagement du modle libral.

    Ce n'est pas pour rien qu'aujourd'hui

    les sociaux-dmocrates s'appellent

    aussi les sociaux-libraux. Voyez

    comment le terme dmocrate est

    devenu libral . En outre le double

    sens de celui-ci contribue associer

    capitalisme et dmocratie puisqu'il

    peut caractriser l'conomie mais

    aussi le politique, et ainsi confondre

    libert commerciale et libert

    d'opinion. Cette ide que le systme

    capitaliste est une condition la

    dmocratie n'est pas issue des partis

    dits conservateurs mais bien de la

    gauche rformiste. Un exemple plus

    que probant est la cration de la Berd

    (Banque europenne pour la

    reconstruction et le dveloppement)

    sous l'impulsion de Franois

    Mitterrand en 1991. Elle finance les

    pays qui sengagent respecter et

    mettent en pratique les principes de la

    dmocratie pluraliste, du pluralisme et

    de lconomie de march

    1

    . Cette

    banque a t cre au moment de la

    dsintgration du bloc de l'Est avec la

    chute du rgime communiste, et elle

    est aujourd'hui toujours active en

    aidant certains pays de la

    Mditerrane suite au Printemps

    arabe. Le premier prsident de cette

    institution tait Jacques Attali

    2

    dont

    les orientations politiques ne font pas

    de mystres.

    Cela dit, il serait effectivement facile

    de montrer que le systme capitaliste

    n'a pas besoin du systme

    dmocratique pour fonctionner, qu'il

    s'agisse de la Chine communiste, du

    Capitalisme et dmocratie,

    Les liaisons dangereuses

    Par Nicolas Hublot, gymnopdiste

    Dans le monde mervei l leux de nos dirigeants,

    le capital isme serait la dmocratie ce que les mtastases

    sont au cancer : une condition ncessaire

    son dveloppement.

    Lorsqu'on demandait rik Satiece qu'il faisait dans la vie ilrpondait gymnopdiste .Il disait cela parce que personnen'osait lui demander ce que c'tait...

    Le fait que l 'exprience communiste n'a

    pas t dmocratique implique son contraire,

    c'est--dire que le rgime capital iste lui l 'tait.

    Cortex

  • Qatar, de l'Arabie Saoudite, etc. Aussi

    des systmes dmocratiques

    fonctionnent sans le capitalisme en

    Amrique du Sud (politique socialiste

    au Venezuela et en Bolivie). Au

    contraire c'est un systme

    conomique qui a la facult de

    s'adapter n'importe quel milieu

    pourvu que l'apptit du gain puisse

    s'y dvelopper. On pourrait

    rapprocher le libralisme d'un

    parasite qui se nourrit du corps social

    en dtruisant non seulement les liens

    de rciprocit entre les hommes

    (hospitalit, solidarit, respect) mais

    aussi son milieu naturel (pollution). Et

    aujourd'hui, la dmocratie est elle-

    mme en danger, puisque les

    politiques n'hsitent pas retirer tout

    pouvoir au peuple en ce qui concerne

    les orientations conomiques. En

    France, le rfrendum sur la

    Constitution europenne, refus par

    une majorit et cependant ratifi par

    nos reprsentants en est un

    exemple flagrant. Ce qui est plus

    inquitant est la volont des

    gouvernements libraux de distiller

    l'ide selon laquelle toute alternative

    au fonctionnement capitaliste serait la

    fin du systme dmocratique. Et un

    systme qui cherche verrouiller

    toute alternative ressemble aux

    diffrentes expriences autoritaires de

    l'Histoire. Ds lors la tournure que

    prennent aujourd'hui les pays

    conomie librale est un monde

    libre dans lequel nous serions tous

    enchans.

    Fix(x)

    Notes :

    1

    Pour plus d'informations : www.ebrd.com/pubs/insti/basicsfr.pdf

    2

    Jacques Attal i tait consei l ler de Franois Mitterrand. En 2008, i l travai l le pour Sarkozy afin de librer la croissance . Aprs avoir

    donn des consei ls aux plus gros requins de la finance, pendant ses loisirs i l aide les plus pauvres. I l est membre du club Le Sicle .

    Cortex

    Le HublOt - mai 201229

  • Le HublOt - mai 201230

    Lopinion publique

    confisque par les nouveaux vecteurs de communication

    Aujourdhui , cest bien connu, tout le monde donne son avis sur tout.

    La dmocratie est ainsi le rgne de lopinion publique, puisque cest au

    peuple qui l revient de dcider. Mais quest-ce que lopinion publique ?

    Sa dfinition est l objet d'une lutte alors que politologues,

    journalistes et acteurs politiques ne cessent de recourir

    el le pour justifier leurs analyses ou leurs actions.

    Par Nicolas Roui l lot *

    www.le-politiste.com

    lorigine, lopinion publique dsignait lavis clair

    dune petite portion de la population. Sa sphre sest

    ensuite largie au fur et mesure des progrs de la

    dmocratie. Cest partir des annes 60 quintervient une

    nouvelle manire de la considrer avec lavnement des

    sondages. Les sondages offrent une mesure de lopinion

    publique en recourant la statistique. Au premier abord,

    rien de plus rigoureux. Mais ces photographies de

    lopinion ne sont pas exemptes de critiques. Certains

    sociologues voient en elles des lments fortement

    perturbateurs de la vie publique. Mais est-il devenu

    possible de sen passer ?

    En tte des critiques des volutions de lopinion publique,

    on trouve Jrgen Habermas. Dans L'espace public (1962),

    le philosophe ralise une tude des changements

    structuraux de lopinion publique, de son origine jusqu

    nos jours. Ce travail lamne mettre au jour une

    premire sphre publique qui renvoie lexpression de

    lopinion des lites cultives ou, aprs la Rvolution,

    celle de lopinion des citoyens et de leurs reprsentants.

    Cest un espace qui souvre entre ltat et la socit civile

    o les citoyens peuvent dbattre librement des questions

    dintrt gnral. Il est la condition la formation dune

    opinion publique capable de critiquer, dinfluencer, voire

    de contrler ltat. Lopinion publique est alors un corps

    libre et ouvert, fruit de la rflexion dun public raisonnant

    et clair.

    Publicit de dmonstration et de manipulation

    Mais au XX

    e

    sicle, apparat la nouvelle sphre publique :

    celle de ltat social. Pour Habermas, cest un espace

    public dvoy. Selon lui, il se produit un phnomne de

    dsintgration de la sphre publique bourgeoise qui est

    li lintervention croissante de ltat dans tous les

    domaines de la vie sociale, ainsi qu'au dveloppement de

    la bureaucratie. La consquence principale est la

    dpolitisation des masses : lopinion publique est

    neutralise et elle perd son sens polmique, elle ne fait

    quexprimer, de manire non-rflchie et non-critique, un

    ensemble dattitudes politiques transparaissant travers

    les sondages et les mdias de masse.

    La meilleure illustration de ce phnomne de

    dsintgration est lvolution du principe de publicit.

    lorigine, ce principe servait les intrts de la bourgeoisie

    en la protgeant contre ltat. Avec le dveloppement de

    la presse et des mouvements de masse, lopinion publique

    se dmocratise, mais elle se retrouve instrumentalise.

    la publicit critique , se substitue une publicit de

    dmonstration et de manipulation , la discussion sefface

    au profit de la consommation, le marketing politique

    prend le pas sur la rhtorique : Au sein de la publicit

    manipule, ce nest plus lopinion publique qui est motrice,

    mais un consensus prt lacclamation, un climat

    dopinion. Par consquent, cette opinion publique se

    trouve confisque par les nouveaux vecteurs de

    communication que constituent les mdias de masse, la

    propagande et la publicit politique.

    Un des outils les plus contestables aux yeux dHabermas,

    cens reprsenter lopinion publique moderne, est le

    sondage. Selon lui, jamais le matriel dun sondage les

    opinions dun chantillonnage quelconque de population

    na par lui-mme, [] valeur dopinion publique .

    Lopinion publique ne peut tre quclaire, et non pas le

    fruit dune acclamation populiste quantifiable.

    Lopinion publique nexiste pas

    En 1973, le sociologue Pierre Bourdieu enfonce le clou

    dans un clbre article au titre provocateur : Lopinion

    publique nexiste pas. Il estime alors que les enqutes

    dopinion reposent sur trois postulats contestables.

    Le premier est que tout le monde aurait une opinion.

    Pour Bourdieu, ce nest pas le cas, les sondeurs ont

    dailleurs tendance ne pas sintresser aux non-

    rponses. Les sondages conduisent des individus qui ne se

    posent pas de question produire une opinion qui

    nexisterait pas sans eux. Il faut ajouter quil existe des

    registres diffrents pour rpondre un enquteur : on

    peut rpondre selon sa comptence politique, son thos de

    classe (en fonction du systme de valeurs incorpor

    durant lenfance), voire se contenter de suivre lopinion

    du groupe dont on se sent proche.

    Le deuxime est que toutes les opinions se valent. Or

    certains individus sont mieux informs et plus comptents

    que dautres.

    Enfin, le troisime est que les sondages conduisent

    un effet dimposition de problmatique . Les questions

    poses ne sont pas celles qui se posent rellement tous

    et leur interprtation se fait en dehors du contexte de leur

    Synapse

  • Le HublOt - mai 201231

    rponse. Elles sont souvent celles que se posent le petit

    monde de ceux qui peuvent financer des sondages : les

    directeurs de journaux ou dhebdomadaires, les hommes

    politiques ou les chefs dentreprise. Elles sont, en outre,

    fortement lies la conjoncture et l'actualit

    mdiatique.

    Dans son article, Bourdieu conteste moins lexistence

    dune opinion publique que celle propre aux instituts de

    sondage qui simplifie et rduit son expression vritable.

    Elle est plus floue, plus diversifie et plus ouverte que

    limage donne par les sondages. Il en conclut que

    l'opinion publique des instituts de sondage est davantage

    un instrument daction politique . Sa fonction la plus

    importante consiste peut-tre imposer l'illusion qu'il existe

    une opinion publique comme sommation purement additive

    d'opinions individuelles ; imposer l'ide qu'il existe

    quelque chose qui serait comme la moyenne des opinions ou

    l'opinion moyenne.

    La vritable opinion publique dans l'esprit de Bourdieu a

    une dimension plus sociale : Dans les situations relles,

    les opinions sont des forces et les rapports d'opinions sont des

    conflits de forces entre des groupes.

    Linfluence des sondages

    Malgr tout, les sondages continuent dtre massivement

    utiliss par les acteurs politiques. Ils apportent une

    information sur la stratgie adopter en termes de

    communication ou de politique. En ce sens, ils influencent

    lagenda public et la slection des candidats. Ils peuvent

    constituer une ressource importante dans la lutte

    politique. En 1995, douard Balladur a pu sen servir pour

    contourner la slection partisane favorable

    Jacques Chirac. Plus rcemment, en 2007, Sgolne Royal

    a pu court-circuiter lappareil politique du Parti socialiste

    lors des lections la candidature.

    Certains voient dans les sondages un potentiel danger par

    rapport la vie dmocratique. Dans l'article quoi servent

    les sondages ? (1988), Bernard Lacroix estime que les

    sondages diminuent linvestissement li lincertitude de

    lissue lectorale, les sondages travaillent par l roder les

    croyances ncessaires au fonctionnement de la procdure

    lectorale . Ils seraient donc les fossoyeurs de la

    dmocratie et reprsenteraient un danger pour elle car ils

    teraient toute fonction dcisive aux lections censes

    sanctionner un dbat politique.

    Cependant, aucune tude na permis dtablir leur

    influence sur lissue dun scrutin, ce rle tant

    difficilement mesurable. Les tudes qui montrent que les

    sondages incitent les lecteurs voter pour le vainqueur

    prsum sont contredites par les tudes montrant leffet

    inverse, savoir lincitation voter plutt pour le

    candidat minoritaire. En outre, les prdictions des

    sondages ne sont pas toujours avres. En 2002 par

    exemple, aucun institut de sondage navait prvu larrive

    de Jean-Marie Le Pen au second tour de llection

    prsidentielle. Il reste quil a pu se produire un effet

    dmobilisateur, tant donn la forte abstention lors de ce

    scrutin, consquemment larrive annonce au second

    tour des deux candidats classiques (UMP/PS).

    Il demeure que les sondages participent au

    fonctionnement du rgime reprsentatif. Dans Principes

    du gouvernement reprsentatif, Bernard Manin parle de

    dmocratie du public pour caractriser cette

    nouvelle importance prise par les sondages dans la

    vie publique, et plus gnralement, des experts en

    communication et de l'image mdiatique. La

    dmocratie est fonde non plus sur un peuple

    reprsent par les parlementaires ou sur un

    peuple organis (par les partis), mais sur

    lomniprsence de lopinion publique.

    De ce point de vue, les sondages sont une

    composante essentielle de la dmocratie

    contemporaine, ils renouvellent simplement sa

    comprhension. Certes, la publication rgulire

    denqutes complexifie la visibilit de laction

    publique par le recours excessif leuphmisme

    (viter de prononcer un mot en particulier, par

    exemple : dire quon procde une politique de

    rduction des dficits au lieu d'annoncer une

    politique de rigueur), mais elle instaure aussi

    la permanence dune communication

    entre gouvernants et gouverns, mme

    si celle-ci est plutt descendante

    quascendante.

    * Nicolas Roui l lot est l 'auteur du blog Le politiste, spcial is dans l 'tude des sciences politiques. On y trouve des centaines

    de fiches trs documentes sur les thmes touchant au droit public, aux finances publiques ainsi qu' la science politique.

    centrifugue.fr

    Synapse

  • Le HublOt - mai 201232

    L'institution

    ne fait pas le moine

    Par Rosine Figueras, chercheuse en toutes choses

    Comment fonctionne notre

    systme politique ? Quelles sont

    ses l imites ? Comment l 'amliorer ?

    Quatre points sont dvelopps ici ,

    quatre pistes de rflexion.

    Nous sommes des ordinateurs. Tout

    comme eux, notre espce a besoin d'un

    systme pour fonctionner. Chez nos

    frres technologiques, i l existe un

    systme d'exploitation ultra majoritaire

    et monopolistique, Windows/Microsoft.

    Certains uti l isateurs lui prfrent des

    logiciels libres type Linux, mais bien peu

    de gens savent qu'i ls ont le choix et qu'i ls

    peuvent acheter une bote vide et y

    mettre un logiciel gratuit (si si !).

    l'instar des ordinateurs, nous avons

    besoin d'un systme accept par tous

    pour vivre ensemble. Le systme qui

    prdomine en Europe occidentale et

    qui tente d'tre export travers le

    monde grands coups de guerres et de

    paix est la dmocratie reprsentative.

    C'est le systme dominant auquel nous

    adhrons tacitement. C'est en quelque

    sorte notre Windows nous, humains.

    Si ce systme montre une efficacit

    certaine et permet des mill ions de gens

    de vivre ensemble (survivre ?) grce,

    entre autres, aux infrastructures et aux

    services accessibles tous pour

    combien de temps encore ? -, i l n'est pas

    exempt de critiques. Tragi-comdie

    politique, imagination sociale et

    culturelle proche du zro, environnement

    pitin sous le poids de l'argent, sans

    oublier la place donne la parole du

    peuple, relgue peu de choses. Bref,

    les injustices causes par ceux qui nous

    gouvernent sont lgions, mme si tout,

    bien sr, n'est pas jeter.

    Alors, pour tous les mcanos en herbe de

    notre monde, voici quelques rflexions

    que nous vous souhaitons uti les...

    Les super pouvoirs des lus des intercommunalits

    La reprsentativit, matre-mot de notre systme, a un srieux coup dans l'aile

    en France. Nos institutions ont tendance concentrer le pouvoir entre les

    mains d'un petit groupe sans que les citoyens aient leur mot dire (lire

    l'article La lutte des places en page 25). Intressons-nous la monte en

    puissance de l'intercommunalit. Vous savez, les communauts de communes,

    communauts d'agglomration et autres communauts urbaines. Vous y tes.

    De plus en plus de comptences leur sont transfres, entre celles obligatoires

    et celles que les communes membres leur attribuent. Ainsi, elles peuvent

    s'occuper de la collecte et du traitement des ordures mnagres, de

    l'assainissement, des transports, du dveloppement local, de l'amnagement,

    de l'urbanisme, de la voirie, de l'habitat, des quipements culturels et sportifs,

    etc. Si cela permet de partager des cots et des savoir-faire, cette pratique

    cache cependant un vrai problme dmocratique. Ceux qui sigent ne sont

    pas lus directement par leurs concitoyens. Chaque conseil municipal choisit

    des dlgus parmi les lus municipaux, sans que l'on sache vraiment

    comment ni pourquoi. Une situation qui nuit sans nul doute au droit de

    regard suppos des citoyens. Ainsi, ces lus accdent des super pouvoirs.

    Autre super hros local, le prsident de la structure intercommunale est

    souvent toujours ? le maire de la plus grande ville. L'dile accde ainsi au

    statut de Superman, hros aux milles casquettes, omnipotent et omniscient.

    Rvoquer les lus lors de leur mandat

    On se questionne : comment se fait-il que des gens qui mritent des claques

    tant ils incomptents ou corrompus continuent exercer leur mandat ? Eh

    bien c'est simple : parce que les lus ne sont pas rvocables, c'est--dire que le

    peuple doit attendre les prochaines lections pour dzinguer un politique de

    son sige. Ne soyons pas idiots toutefois, l'impossibilit de rvoquer pendant

    le mandat permet de protger les lus d'intrts particuliers qui peuvent avoir

    des relents nausabonds.

    Actuellement, cette procdure existe pourtant dans plusieurs pays : aux tats-

    Unis, en quateur, au Mexique, au Panama ou encore au Vnzuela. Le

    charismatique prsident de ce pays d'Amrique latine, Hugo Chavez, qui

    cristallise un bon nombre de prsupposs positifs ou ngatifs - tays ou

    pas -, a lanc un rfrendum mi-mandat en 2004 pour savoir si oui ou non il

    resterait prsident. (Le oui l'a emport 58 %.)

    1

    2

    Moelle pinire

    32Le HublOt - mai 2012

  • Le HublOt - mai 201233

    Dmocratie directe Vs dmocratie reprsentative

    Ce que l'on reproche volontiers la dmocratie reprsentative est d'tre

    insuffisamment dmocratique et insuffisamment reprsentative. Cette phrase

    d'un doyen de facult, Georges Vedel, rsume bien la situation.

    La reprsentativit ? On l'a vu plus haut, elle ne tient pas toutes ses promesses.

    Le dficit dmocratique ? Il semble inhrent au systme de dmocratie

    reprsentative lui-mme. Bien qu'on aime se rfrer la Grce antique pour

    parler des origines de la dmocratie, on occulte la plupart du temps que notre

    systme actuel et celui en cours dans cet tat de l'Antiquit n'ont pas grand-

    chose voir. Les Athniens avaient mis en place un systme de dmocratie

    directe qui s'appliquait la seule cit d'Athnes et dont les rgles taient bien

    loignes des ntres. Les citoyens, runis en assemble, y dcidaient des lois,

    les magistrats aux fonctions administratives et excutives taient tirs au sort

    et les magistrats dont la fonction ncessitait une expertise taient lus et

    rvocables par les citoyens eux-mmes. Attention ! Ce n'tait pas le pays des

    Bisounours pour autant puisque seule une petite partie de la population

    accdait au statut de citoyen : les hommes adultes, de parents citoyens et en

    capacit de dfendre la cit. Les femmes taient considres comme des

    ternelles mineures, et les esclaves et trangers taient exclus d'office de la

    citoyennet. L'galit entre tous n'tait donc pas de mise. De plus les citoyens

    avaient le droit un traitement particulier : seuls eux pouvaient accder la

    proprit et ils ne pouvaient pas tre torturs. Plutt sympa comme avantage...

    En ces temps-l, la dmocratie reprsentative tait farouchement combattue

    car elle s'apparentait un pouvoir d'oligarques, c'est--dire le pouvoir de

    quelques-uns. La dmocratie directe est aujourd'hui une des revendications

    anarchistes. Quand cette prise en main directe s'applique au niveau

    conomique, on parle d'autogestion, mme si le terme cogestion semble plus

    appropri. Eh oui, l'anarchie ce n'est pas un bordel sans nom o chacun fait ce

    qu'il veut, quant il veut, mais bien une autre organisation politique. On ne

    devrait donc pas dire c'est l'anarchie ici ! , mais c'est le capitalisme ! .

    D'autres systmes sont possibles...

    C'est bien joli de tenter de comparer dmocratie directe et dmocratie

    reprsentative, mais est-ce vraiment possible ? On se heurte la question

    essentielle du nombre. En effet, les dmocraties directes ne semblent

    envisageables que lorsque le nombre de gens est rduit. Comment faire des

    assembl