LE GROUPE DE PAROLE DE MAMANS D’ENFANTS … · LE GROUPE DE PAROLE DE MAMANS D’ENFANTS...

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Document de capitalisation LE GROUPE DE PAROLE DE MAMANS D’ENFANTS HANDICAPES MOTEURS EN SITUATION DE DEPENDANCE EN ALGERIE UNE ANNEE D’EXPERIENCE … ET L’EXPERIENCE D’UNE VIE Handicap International (Programme Algérie) en collaboration avec la Fédération des Associations des Handicapés Moteurs (FAHM) Mlle Rafika Hafdallah, psychologue et animatrice du groupe de parole Juin 2009

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Document de capitalisation

LE GROUPE DE PAROLE DE MAMANS D’ENFANTS HANDICAPES MOTEURS EN

SITUATION DE DEPENDANCE EN ALGERIE

UNE ANNEE D’EXPERIENCE … ET L’EXPERIENCE D’UNE VIE

Handicap International (Programme Algérie) en collaboration avec

la Fédération des Associations des Handicapés Moteurs (FAHM) Mlle Rafika Hafdallah, psychologue et animatrice du groupe de parole

Juin 2009

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SOMMAIRE

I – Un groupe de parole pilote de mamans d’enfants infirmes moteurs

cérébraux

1 – Origine du groupe de parole de la FAHM1

« Pourquoi un groupe de parole ?» par Atika El Mamri, 2 - Position de Handicap International, Programme Algérie « Pourquoi HI soutient les groupes de parole ?», par Alice Bloomfield, 3 – Un témoignage et des leçons « Pourquoi ce document de capitalisation ?» par Tamara Godinot

II – Quelques leçons générales d’un groupe particulier

1 – Installation du cadre, par Tamara Godinot 2 - Evolution du groupe selon une thématique : la représentation de l’enfant au sein

du groupe, par Rafika Hafdallah 3 – Importance du groupe pour les mamans : synthèse des témoignages, par Tamara Godinot

III – Recommandations concernant l’installation d’un cadre de

groupe de parole pour des usagers

Recommandations concernant l’installation d’un cadre de groupe de parole « usagers », par Rafika Hafdallah et Tamara Godinot.

1 Fédération des Associations des Handicapés Moteurs

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I – Un groupe de parole pilote de mamans d’enfants infirmes moteurs

cérébraux

1 - Origine du groupe de parole de la FAHM

« Pourquoi un groupe de parole ?» par Atika El Mamri, FAHM

Depuis plus de dix ans, le bureau d’accueil de la FAHM accueille des centaines d’enfants handicapés orientés par les services de rééducation fonctionnelle de la capitale.

Ce sont pour la plupart des enfants en situation de grande dépendance comme les enfants infirmes d’origine cérébrale (IMC) et dont l’état de santé nécessite de nombreux soins pluridisciplinaires. Ces enfants sont à la charge exclusive des familles en l’absence total d’un dispositif d’accompagnement et de soutien prévu en leur direction.

Ce sont les mamans dans la majorité des cas qui se présentent, portant à bout de bras leurs enfants. Ballottées d’un service à l’autre éloignés très souvent d’un bout à l’autre de la ville, elles ont l’impression que leur enfant a été morcelé entre différentes spécialités et spécialistes.

Beaucoup de mamans entraînées dans un tourbillon de rendez-vous doivent aussi faire face aux besoins d’autres enfants et aux différentes tâches du foyer.

Épuisées, elles abandonnent, rongées par un immense sentiment de culpabilité et d’impuissance. Elles se consacrent alors farouchement à l’enfant handicapé au détriment des frères et sœurs et au péril de leur santé physique et mentale.

Elles vivent alors, isolées, coupées de toute vie sociale et couvent une grande souffrance occultée par leur entourage et par les mamans elles-mêmes.

L’enfant handicapé devient alors l’exutoire de toutes leurs difficultés et de tous leurs malheurs et végète, confiné à la maison sans aucune perspective de voir sa personne reconnue et sa situation s’améliorer.

Petit à petit les enfants IMC et leurs mamans ont constitué le plus gros de nos adhérents. Elles sont présentes pour les sorties organisées et répondent à tous les événements que nous programmons. Il s’est alors tissé entre le bureau d’accueil et les familles un lien très fort qui nous fait mesurer l’immense responsabilité de toutes ces vies, de toutes ces voix que l’on doit faire exister, faire reconnaître, sortir de l’anonymat … Que pouvons-nous offrir à ces mamans, à ces enfants, à ces pères de famille qui couvent une grande souffrance mais qui se mettent a l’écart pudiquement ?

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Une maman s’est même présentée un jour au bureau de la FAHM nous demandant de l’aider à accompagner son fils à la mort … Depuis le 11 mars 2008 la FAHM a mis en place des groupes de paroles en faveur des mamans.

Pourquoi des groupes de paroles ?

Pour offrir aux mamans une pause, un moment à elles, rien que pour elles !

Pour échanger par la parole avec d’autres mamans dans la même situation et rompre l’isolement intérieur. Parler pour libérer la souffrance. Parler pour exister, être reconnues, valorisées dans leur rôle.

Enfin parler pour apprendre à regarder sereinement son enfant et réapprendre à nouveau à l’aimer.

2 - Position de Handicap International, Programme Algérie

En matière de Santé Mentale, Handicap International est fort d’une expérience de terrain depuis les années 90, aussi bien en contexte d’urgence que post-urgence et développement. Bien que notre première mission tienne à la prévention et aux soins de troubles mentaux incapacitants liés à la guerre et aux génocides (traumatismes, dépression, anxiété, psychoses, retard mental), nous nous sommes élargies ensuite à la prise en compte de souffrances psychiques liées à de nombreuses problématiques d’ordre socio-politique (pauvreté, exclusion, précarité liés à l’exil, la migration, la guerre, les génocides). Aujourd’hui, nous nous intéressons, de manière générale, à toutes vulnérabilités entrainant des troubles mentaux et/ou une souffrance psychosociale diminuant les capacités de défense et d’adaptation de la personne aux exigences sociales, culturelles et politiques qui l’environnent.

L’approche que nous adoptons pour la Santé Mentale demeure la même, à savoir essentiellement, une approche communautaire qui vise le renforcement des compétences locales (associations locales de patients, systèmes de santé, systèmes et réseaux sociaux) afin de garantir une action exhaustive (de la prévention aux soins et à l'insertion socio-économique). Nous tentons également d’extraire nos méthodes d'une base factuelle, à partir d’études socioanthropologiques, et nous privilégions une action pluridisciplinaire. La pérennité est une de nos préoccupations constantes qui nous amène à faire en sorte que les services dispensés soient accessibles aux plus démunis et à en garantir la continuité en renforçant les systèmes de santé aux niveaux régional et national.

Dans cette perspective, les groupes de parole, qu’ils soient à destination des professionnels ou des usagers ou de leur famille, comme c’est le cas ici, apparaissent pour Handicap International, comme étant un support d’intervention pertinent à la fois du fait de sa propriété de care (au sens de « prendre soin de », plus que soigner) et dans sa propriété de pérennisation des actions entreprises. En effet, mettre en place un groupe de parole dans une organisation, nécessite tout un ensemble de préalables, que nous

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allons détailler ici, tant en terme d’organisation institutionnelle qu’en terme de conception de la relation d’aide, qui nous permettent d’ancrer notre approche de la santé mentale dans les systèmes sanitaires et sociaux que nous accompagnons.

« Pourquoi HI soutient les groupes de parole en Algérie ?», par Alice Bloomfield

Un super titre introductif à cette sous partie pourrait-être : De la relation d’aide à l’aide à la relation…

Les actions d’Handicap International en Algérie ont débuté en 1998 à la suite de rencontres de professionnels de la santé mentale confrontés à la prise en charge des personnes en situation de handicap et/ou victimes de terrorisme. Ces professionnels étant eux-mêmes fragilisés. Dans un contexte de violence où les espaces de communication et d’expression manquaient et où les liens sociaux étaient altérés, la mise en place de groupes de parole est apparue comme prioritaire, tant pour les professionnels dans les institutions que pour les personnes en situation de handicap. En effet, les groupes de parole permettent aux personnes de s’exprimer dans un espace neutre et bienveillant et d’y retrouver une capacité à agir, à s’exprimer, à partager et d’être « acteur » de leur vie.

Certains de ces espaces conduisent les professionnels – et particulièrement ceux travaillant dans des services accueillant des patients atteints de maladie grave et chroniques - à mieux vivre leur travail quotidien souvent marqué par la mort et la souffrance, en conséquence à améliorer leur relation aux personnes qu’ils soignent et donc la qualité des soins aux personnes en situation de handicap.

Les groupes de paroles pour usagers – principalement pour les personnes en situation de handicap et pour les parents d’enfants handicapés, permettent aux participants de parler de leur handicap ou de celui de leur enfant, de prendre conscience des souffrances vécues parfois enfouies et de s’ouvrir aux autres. Dans ce cas, la participation à un groupe de parole mène souvent à un changement de regard sur sa propre vie et peut donc amener à l’élaboration de projets de vie.

Après avoir pendant plusieurs années promu cette pratique en intervenant directement dans des institutions, en tant qu’animateurs, HI a progressivement mis en place depuis 2007, des formations pour les psychologues algériens– tant à l’animation de « groupes de parole pour usagers » qu’à celle de « groupe balint pour les soignants ». Un document de capitalisation sur la pratique du groupe balint en Algérie sera également produit dans ce cadre.

Cette étape de formation était nécessaire afin que cette pratique perdure au delà de l’intervention d’HI et qu’elle s’inscrive comme activité à part entière tant dans les institutions que dans les associations. Ce processus d’appropriation est toujours en cours et en bonne voie, des animateurs comme des personnes ressources étant prêts à faire connaître cette pratique, notamment dans les institutions parfois non sensibilisées à

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l’importance de prévoir et d’organiser ces espaces pour leurs professionnels. Ce document, comme d’autres2, contribue à cet objectif.

3 – Un témoignage et des leçons

« Pourquoi ce document de capitalisation ?» par Tamara Godinot

Depuis son ouverture le Programme HI Algérie promeut, anime, forme des professionnels au groupe de parole, qu’il soit à destination d’usagers (très divers) ou de professionnels (eux-aussi divers).

Ce document vise à contribuer à la capitalisation (c'est-à-dire prendre du recul vis-à-vis de ces expériences de groupes) en partant d’une expérience singulière : celle du groupe de parole des mamans de la FAHM (Fédération des associations de handicapés moteurs). Il s’articule avec un document plus général (voir note 1)

Il ambitionne de sensibiliser à cette pratique de groupe les professionnels, les membres des associations travaillant auprès de personnes en situation de handicap et toutes les personnes sensibles aux difficultés des enfants en situation de handicap et de leurs parents.

Il permet d’une part de mieux comprendre les liens et enjeux entre le dispositif (le cadre) d’un groupe de parole et la dynamique interne à ce dernier et de proposer d’autre part des recommandations concrètes concernant l’installation de ce cadre.

Il fait partager au lecteur les témoignages et réflexions de l’ensemble des personnes impliquées dans un dispositif exemplaire, le groupe de parole des mamans de la FAHM : la Présidente de la FAHM, les mamans bénéficiaires de ce groupe, l’animatrice, la chef de projet « Enfance et droits » de HI Algérie et la conseillère psychologue de HI.

Il peut être lu en entier ou en privilégiant les paroles des mères (en bleu) ou les

réflexions des professionnel-les.

II – Quelques leçons générales d’un groupe particulier

1 - Installation du cadre, par Tamara Godinot

Le cadre est la forme qui rend possible l’aventure qu’est le groupe de parole par la définition de règles permettant l’installation d’une atmosphère de travail favorable à l’expression. Il comporte le cadre externe et le cadre interne qui interagissent.

2 Les groupes de parole : objectifs et fonctionnement. Handicap International Algérie (S. Fehrat et Z. Guidoun)

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� 1.1 Cadre externe

Le cadre externe comprend l’ensemble des éléments qui permettent que les membres d’un groupe puissent bénéficier d’un espace sécurisant, fiable, stable, fait de continuité, et donc prévisible. Le cadre se doit d’être rigoureux mais non rigide.

Le cadre comprend

• le lieu (si possible le même pour chaque réunion).

• Le rythme et les horaires (repérables par l’ensemble des participants),

• La consigne : le respect de la parole de l’autre et bien sûr de l’intégrité physique des personnes (non jugement, non violence physique), etc.…

La rigueur du cadre est indispensable pour que le groupe puisse se sentir en sécurité et que chacun se sente en mesure de prendre la parole. Le cadre est « muet », et de ce fait le risque existe de n’y porter que peu d’importance. Pourtant, il est primordial au sens où il permet à des comportements et à des processus psychiques de se développer, condition pour qu’un travail de transformation puisse s’effectuer3

Le cadre est donc non apparent. Il est la condition externe pour que les processus en jeu et le travail de remaniement psychique, de transformation, d’élaboration des émotions et des représentions puissent se déployer.

Les témoignages recueillis a posteriori chez des mamans de notre groupe laissent voir l'importance pour elles de bénéficier d'un cadre régulier et d'un espace fiable, stable et sécurisant.

Elles le comparent à des espaces de parole de fortune crées par la force des choses lors de rencontres d'autres mamans durant des séances de rééducation fonctionnelle à l'hôpital, ou parfois même à des consultations chez des psychologues privés ainsi que dans le cercle familial et font la différence.

Pour cette maman, un cadre réglé atteste du sérieux d'une telle entreprise de groupe de parole : […l'hôpital ce n'était pas quelque chose de régulier et de sûr. Nous n’étions pas

sûrs de se retrouver chaque semaine à l'hôpital et de parler, encore moins de retrouver

les mêmes femmes et d'en parler comme d'habitude. Mais là, c'était sûr, c'était bien

organisé avec la fédération, chronométré, il y avait la salle, l'endroit, l'heure et les

rendez-vous fixés et tout çà. C'était plus sérieux."

L'assiduité des participants, élément important du cadre extérieur, était également une crainte pour certaines mamans tant au niveau de la continuité des échanges qu'à la pérennité du groupe : […C'est-à-dire qu'on parlait de choses tellement importantes que

3 J. Bleger, 1979 : Crise, rupture et dépassement Ed. Dunot, p. 255-285. J. Bleger, spécialiste reconnu des groupes, définit le cadre comme étant « […] un « non-processus » en ce sens qu’il représente l’ensemble des constantes à l’intérieur des limites duquel le processus lui-même se produit »

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moi-même j'attendais le prochain rendez-vous avec impatience. Et quand je suis là, je

voulais voir telle maman parce qu'elle avait dit la dernière fois qu'elle était comme ça

et comme ça et je voulais connaître la suite mais malheureusement la maman n'est pas

là et c'était dommage. Mais j'avais surtout, surtout peur que le groupe ne s'arrête.

Surtout la peur de ne pas avoir cet espace"]

[…..A un certain moment j'avais peur que le groupe s'arrête. J'étais presque persuadée

qu'on allait arrêter parce qu'à un certain moment on était pratiquement que trois

mamans et un jour on s'est retrouvées seulement à deux personnes présentes. Il y avait

des mamans qui confirmaient et on les attendait jusqu'à 11 heures. Et là on comprenait

pas pourquoi. D'autres se sont carrément désistées et ce n'était pas sérieux pour elles,

ce n'était pas très important pour elles, elles n'en voyaient pas l'intérêt]

La fiabilité du cadre ressort également à travers le témoignage de cette autre maman pour qui le soutien d'un animateur psychologue fait grandement la différence : […Maintenant que je viens ici et que je discute avec les mamans et qu'on aborde les

choses différemment avec le soutien de la psychologue, Dieu merci (Hamdoullah) je

suis apaisée.] ou encore celui d'une autre maman ayant fait l'expérience d'une psychothérapie privée : [J'ai même cherché une psychologue et j'en ai trouvé une à Ben

Aknoun. J'ai fait une ou deux séances mais elle ne m'a pas convaincue. Forcément il y a

psychologue et psychologue. Des fois elle me recevait et des fois non. J'ai donc continué

à chercher un endroit où aller me défouler, raconter mes misères.…] La parole dans un

cadre familial peut être salvatrice mais peut aussi bien avoir un effet contraire à

l'exemple de cette maman qui compare le groupe à la famille : […j'avais des membres

de ma famille qui ont des enfants handicapés mais quand on se rencontrait et nous en

parlions ça ne me soulageait pas. Eux en parlaient d'une façon telle que mon angoisse

augmentait… les commentaires des gens ne me soulageaient pas et me demandaient

toujours comment j'arrivais à m'en occuper et comment je faisais avec elle à la maison

et ça, ça ne me reposait pas du tout au contraire ça ramenait constamment ces

difficultés à la surface….Chacun ce qu'il me disait "Mais comment vous faites !!!!"

"Mais ça doit être une prison pour vous!!" et là, je réalisais vraiment que j'étais dans

une prison à vie]

Ce dernier témoignage fait ressortir également un deuxième aspect du cadre : la présence d’un professionnel qui garantit le groupe.

Une autre dimension qui vient s’ajouter au cadre externe : le cadre interne de l’animateur (ses méthodes et techniques).

� 1.2 Cadre interne

Le cadre interne de l’animateur est constitué essentiellement de ses propres mouvements psychiques, de son rapport aux règles qu’il a énoncées et au cadre qu’il a mis en place, de ses propres théorisations de sa pratique. Ce cadre interne de l’animateur met à la disposition des personnes et du groupe la capacité de penser de l’animateur dont le « monde interne » réagit aux paroles et au mouvement psychique du groupe. La

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pratique d’animateur de groupe nécessite donc une capacité de retour sur soi (c'est en somme ce qui est absent du cas de la famille dans le dernier témoignage cité et dont on voit bien l'effet sur la maman.). C’est une des raisons pour lesquelles le psychologue clinicien est la personne la plus habilitée à conduire des groupes de parole : sa pratique clinique le confronte et le familiarise avec son « monde interne » qui est l’un de ses outils de professionnel et de psychologue.

Le groupe se construit avec l’animateur même si sa position n’est pas analogue à celle des autres membres du groupe. L’animateur va devoir être vigilant à ses propres mouvements internes, ses résistances, qui par exemple s’opposent à ce que lui fait vivre le groupe à un moment donné. Cette prise de conscience puis cette mise à distance que l’animateur doit effectuer sont rendues possibles par son cadre interne. En l’absence de cette vigilance, la conduite du groupe peut lui échapper et le groupe risque de « passer à côté » voire de passer sous silence des dimensions qu’il convient d’entendre et de mettre au travail au sein du groupe.

Pour étayer cette vigilance, des espaces de supervision ou d’analyse de sa pratique ou d’intervision, sont nécessaires. Ils permettent à l’animateur de mettre au travail ses difficultés, ses résistances et celles du groupe. Ils sont nécessaires au travail de «digestion», d’élaboration de ce qui se passe durant la séance de groupe de parole, favorisant les ajustements ou réajustements des deux cadres (internes et externes).

� 1.3 Relation entre cadre interne et cadre externe

Ce cadre interne du professionnel ne peut être efficient et évoluer que dans la mesure où le cadre externe reste relativement silencieux, c'est-à-dire stable, continu. Une image peut être proposée : celle du cadre d’un tableau : imaginez-vous regarder un tableau dont, à chaque instant, le cadre qui l’entoure bouge, se transforme, disparaît, réapparaît, change de texture, de couleur, etc... Votre attention se fixe alors sur le cadre et le « contenu » devient secondaire. Dans un groupe, si le contenu devient secondaire, le groupe se vide de son sens, et tend à devenir une coquille vide où le travail de parole et d’élaboration ne peut pas s’effectuer.

Dans cet exemple l’annulation d’une séance (discontinuité dans l’élément de rythme dans le cadre externe) entraîne des conséquences complexes sur la dynamique du groupe : l’animateur va devoir s’appuyer sur son cadre interne pour contenir et comprendre un mouvement intense du groupe.

Le groupe est depuis deux séances dans une phase où règne un climat violent. Violent au sens où les mères se sont permis, car se sentant en sécurité, de régresser et d’exprimer dans le groupe des phantasmes et désirs inconscients de mort à l’égard de leurs enfants. Cela se manifeste, dans l’évocation d’une mère qui tape sa fille avec un manche à balai, cette dernière étant dans l’impossibilité de se défendre. Ce que cette mère ramène dans le groupe fait violence, sidère la pensée des membres du groupe mais aussi de l’animatrice. Cet épisode, qui a fortement marqué les mamans, est revenu lors des témoignages de certaines d'entre elles comme l'élément marquant de l'histoire du

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groupe avec autant d'émotion et parfois de pleurs. Comme cette maman qui a parlé de sauvagerie : [je n'arrivais pas à la comprendre et je ne voulais pas la comprendre parce

que c'était un comportement sauvage…. Je suis désolée. Pour moi c'est une brute].

A la séance suivante, le groupe est annulé. Ce moment coïncide avec le décès d’un enfant d’une des mamans. A partir de ce moment, le groupe passe de 8 membres à 4.

Comment pouvons-nous tenter d’expliquer cela ? Voilà mon hypothèse : le groupe est dans un phantasme mortifère à l’égard des enfants et il se trouve que la réalité vient à l’endroit de ce désir inconscient : un enfant meurt. En s’appuyant sur le travail de théorisation de René Kaës et d’autres auteurs (D. Anzieu, W.R. Bion), spécialistes des groupes, on peut constater que le dispositif groupal provoque, par le biais de processus inconscients, des « régressions ». Il me semble important d’illustrer cette notion à partir d’une expérience personnelle de groupe. Je participais à un groupe de psychodrame. Nous étions 12 réunis pour deux jours. Lors d’une scène de psychodrame, nous laissons mourir une de nos collègues sans nous soucier d’elle : nous étions alors préoccupés par autre chose, et comme elle nous avait « dérangés » dans le groupe, nous l’avons laissée mourir inconsciemment, mais « pour de vrai » dans le jeu. De retour dans le groupe pour reprendre avec l’animateur la scène que nous venions de jouer, cette collègue se met à pleurer et nous reproche de l’avoir laissée mourir. Le lendemain, la seule personne absente du groupe, c’est elle. Nous nous sentons alors envahis par le sentiment de l’avoir tuée. Ainsi ce qui avait été désiré inconsciemment s’était produit pour nous. Nous avions opéré une régression : le mode de fonctionnement de notre pensée était devenu toute puissante (comme celle du jeune enfant) et portée par la pensée magique : nous souhaitons sa mort et par la pensée nous la provoquons. Le groupe, sidéré par ce sentiment de l’avoir tuée ne peut commencer à se mettre au travail. Finalement notre inquiétude est telle que nous avons besoin de la contacter par téléphone : elle était en retard simplement...

Dans ce mouvement du groupe de parole des mamans, je fais l’hypothèse que les membres du groupe ont vécu imaginairement la mort de l’enfant comme étant une réalisation de leur désir inconscient exprimé dans la séance précédente du groupe. Cela aurait pu être travaillé dans le groupe mais compte tenu de la discontinuité dans le cadre externe,la réunion de ce dernier n’avait pu avoir lieu et avait dû été reportée au mois suivant. Ce mouvement a conduit à un moment de désinvestissement du groupe par une partie des mamans.

A la séance suivante, une maman a été agressive à l’égard de la mère qui avait perdu son enfant en lui disant qu’elle n’avait pas dit au groupe que son enfant allait mourir. Elle a exprimé son sentiment d’avoir été trahie par cette maman. Ou encore une maman qui, suite à son absence dans le groupe, a été contactée par l’animatrice a nié avoir participé au groupe de parole alors qu’elle y était venue trois fois.

Nous voyons dans cet exemple-là que la discontinuité du cadre externe (ici une séance annulée) n’a pas permis de mettre au travail, de mettre en mots, d’élaborer les vécus douloureux exprimés des mamans et a fragilisé l’enveloppe groupale alors attaquée par

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ces vécus non transformés et donc non digérables : une partie des membres du groupe ne sont plus revenus par peur de la violence évoquée et perte de confiance dans la capacité contenante du groupe. (Il est à noter bien sûr que l’annulation d’une séance de groupe de parole pour une raison ou une autre n’a pas nécessairement les conséquences relatées ci-dessus).

2 - Evolution du groupe selon une thématique : la représentation de l’enfant

au sein du groupe, par Rafika Hafdallah

Je souhaite ici faire partager mon expérience d’animatrice de groupe de parole de mères d’enfants handicapés moteurs dépendants, enfants infirmes ou moteurs cérébraux (enfants IMC et myopathes).

J’essaierai de mettre en valeur les mouvements par lesquels ce groupe est passé en suivant comme fil conducteur : l’évolution de la représentation de l’enfant en

situation de handicap.

� 2.1 La mise en place du groupe

L’initiative de la mise en place de ce groupe de parole a été prise par la Fédération Algérienne des Handicapés Moteurs (FAHM) en partenariat avec Handicap International (H.I.) comme suite à une première expérience de groupe de parole à l’intention des personnes en situation de handicap.

Le choix des membres du groupe a été fait par la présidente de la FAHM, sensible aux besoins de certaines mères manifestant et/ou exprimant une grande souffrance. J’ai veillé à réunir des mères ayant des profils psychologiques différents, et des mères ayant des niveaux d’acceptation du handicap de leur enfant qui soit différent. Le but de cette démarche est en effet de permettre aux mamans d’échanger sur leurs expériences différentes mais aussi de leur donner la possibilité de s’entraider (tant dans leur façon de faire avec leur enfant que dans les démarches administratives et légales à accomplir). La diversité de ce type de groupe est donc une richesse puisque chaque participant peut trouver des ressources auprès des autres.

Nous nous réunissions à la médiathèque municipale Ben Aknoun qui est un lieu neutre.

Avant de présenter ce cheminement, je souhaite donner quelques éléments concernant le démarrage de ce groupe :

Il s’agit d’un groupe dont les membres se sont vite retrouvés dans le partage sans qu’il y ait eu de ces résistances qui peuvent se développer lorsqu’un groupe se met en place.

Je me pose la question de savoir ce qui a motivé cette attitude et je fais l’hypothèse que c’est l’état de débordement émotionnel partagé par ces mères, qui, dès qu’une occasion s’est présentée à elles, s’en sont saisies pour exprimer leurs souffrances jusqu’alors réprimées.

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Le tour des présentations a permis de clarifier l’objectif ainsi que l’identité du groupe et de ses membres. Une mère pose la question suivante : « on se présente comment? Je

donne mon nom, mon prénom ? Ou bien je me présente en tant que la mère de mon

enfant handicapé ? ». Une autre mère répond : « c’est un groupe pour nous et on doit

se présenter avec nos prénoms et on doit parler de nous ». Je propose aux mères de se présenter comme elles le souhaitent. Les mères préfèrent se présenter par leur prénom en précisant le type de handicap dont leur enfant est porteur.

� 2.2- L’enfant en situation de handicap change la dynamique familiale

2.2-1 Les effets de l’annonce du diagnostic

L’annonce du diagnostic du handicap d’un enfant est presque toujours vécue comme un traumatisme par les parents.

Certaines des mamans du groupe ont ainsi pu échanger sur des réactions somatiques d’ordre dermatologique : par exemple, avoir un grand bouton dans l’œil pendant 10 jours, ou des réactions d’ordre psychologique : avoir des idées noires, avoir le sentiment d’un avenir définitivement bouché, ou vivre des sentiments de colère et d’injustice, voire entrer en dépression.

Le traumatisme que provoque l’annonce du handicap de leur enfant sidère leur pensée : il y a l’avant et l’après. Ce choc prive les mères (il n’y a pas de pères dans le groupe : ceux-ci sont généralement plus distants et expriment moins facilement leurs ressentis) plus ou moins longtemps de leur capacité d’investir leur enfant. La confrontation entre l’enfant réel et l’enfant imaginaire est trop difficile.

Il semble que les mères sont tellement débordées émotionnellement par le handicap de leur enfant qu’elles expriment peu de choses sur ces dimensions réelle ou imaginaire de leur enfant. Elles sont préoccupées pour l’instant par la gestion du quotidien et se situent dans le faire : comment offrir des moments d’épanouissement à leur enfant ?

En ce qui concerne la gestion du handicap de leur enfant, ces mères relatent souvent comment elles font pour donner à manger, comment se débrouiller pour obtenir des examens médicaux, des séances de rééducation… Elles sont prises par ce « faire » et n’ont plus l’espace « pour penser »… ou tout simplement elles se l’interdisent parce que cela risque d’être désorganisant, du fait qu’elle vont avoir à faire face à une souffrance et une culpabilité contraignante et coûteuse.

J’ai pu constater à quel point, dépassant ces mouvements défensifs, ces mères arrivent peu à peu à réinvestir en groupe la dimension émotionnelle de leur relation avec leur enfant.

2.2-2 Changement de dynamique intrafamiliale

Durant plusieurs séances, les mères ont évoqué le fait que l’enfant en situation de handicap change définitivement et en profondeur la dynamique de la famille. Cela peut

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prendre spontanément une direction positive, lorsqu’il y a une forte mobilisation de la famille pour s’entraider pour mieux gérer la situation.

A la question posée aux mères sur la réaction des pères face au handicap de leur enfant, elles ont toutes déclaré que ces derniers, dans la plupart des cas, ne prennent pas en charge l’enfant au quotidien et, contrairement à elles, n’éprouvent peut être pas de souhait de mort envers leur enfant en situation de handicap. Mais certaines racontent au contraire que les pères peuvent exprimer ces voeux de mort notamment dans le cas où ils n’arrivent pas à accepter le handicap de l’enfant et où il existe des conflits conjugaux.

Certaines mères ont rapporté que leur mari avait changé après l’annonce du diagnostic, en soutenant et en aidant la mère dans la gestion du quotidien de l’enfant.

Par ailleurs, il peut même arriver que le handicap soit tellement refusé que l’enfant se trouve mis à l’écart par le père : il est alors à la charge de la mère seule sous prétexte que c’est elle qui l’a mis au monde (tout se passe comme si c’était elle qui était à la fois responsable et porteuse du handicap). Ces époux-là démissionnent de leur fonction de père, ce qui renforce la souffrance des mères.

Mais le changement de dynamique familiale touche également la fratrie: les frères se sentent impliqués dans la prise en charge des enfants handicapés, ou dans certains cas, délaissés, voire même abandonnés par les parents. A ce propos les mères disent qu’un enfant « sain » peut toujours comprendre avec l’espoir que sa souffrance sera moins importante.

Chacune de ces mères a essayé de dire comment elle fait pour gérer le quotidien et comment elle est obligée de renoncer à certaines choses importantes, comme le travail ou l’épanouissement personnel. Certaines y apprennent une autre façon de voir la vie en étant plus proches de Dieu. D’autres éprouvent de la colère devant la frustration des aspirations personnelles.

Il semble que les projets s’arrêtent à partir du moment où l’enfant handicapé est là. Une mère dit : « dans ma belle famille, on ne m’invite plus, c’est la honte qu’il y ait ma fille,

alors que dans ma famille j’emmène ma fille sans gène ». Une mère a été traitée de folle

par les membres de sa famille parce qu’elle n’a pas honte d’emmener sa fille infirme

motrice cérébrale dans les fêtes. »

Enfin, parfois, des changements peuvent apparaître aussi après le décès de l’enfant.

Une des mères qui avait perdu son enfant a mis l’accent sur le fait que depuis la mort de son fils, elle ressent un vide terrible, la dynamique familiale a changé, son deuxième enfant a développé un bégaiement et il est suivi par une psychologue. Elle prend conscience qu’elle ne s’est pas bien occupée de ce cadet, trop préoccupée par l’aîné handicapé. Son deuxième enfant lui reproche et cela la culpabilise.

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� 2.3 La violence à l’égard de l’enfant

La violence à l’égard des enfants en situation de handicap prend différentes formes et elle est dépendante de différents acteurs : les parents, l’environnement familial et social. Les témoignages des mères le rappellent avec force.

2.3-1 La violence de l’environnement social

L’environnement social exerce sur les individus un poids très important, particulièrement en Algérie. Une mère rapporte : « dès qu’on est avec un enfant

handicapé on nous regarde, on attire la pitié des gens mais aussi leurs regards sont

chargés de haine et de souhaits de mort, car l’enfant handicapé fait souffrir les parents

et il vaut mieux qu’il disparaisse. Comme si son existence se résumait à la souffrance, à

une charge en plus ». Pour certaines personnes, l’enfant handicapé est perçu comme une punition du Bon Dieu parce que sa mère aurait fait du mal ou serait mauvaise.

Cette violence perçue par les mères exerce sur elles une pression permanente générant un malaise et une angoisse qui trouve à s’extérioriser, se partager et se transformer.

2.3-2 La violence institutionnelle

La violence est aussi institutionnelle. Des professionnels qui prennent en charge des enfants handicapés peuvent tenir des propos violents. Par exemple en décourageant les mères d’aller de l’avant dans la prise en charge : « ce n’est pas la peine de venir à toutes les séances de rééducation ça sert à rien ». Il arrive que les professionnels ne soient ni sensibilisés ni formés à la prise en charge des enfants handicapés. Les mères ont alors le sentiment d’être livrées à elles-mêmes, abandonnées…, comme cette mère qui assure seule les séances de rééducation : l’institution offre le cadre matériel, et c’est à elle de s’occuper de son enfant.

Les mères rapportent aussi que l’annonce du diagnostic se fait de manière brutale : le professionnel jette le nom du handicap sans expliquer et sans donner des conseils,…..). Il a pu être restitué que les médecins cachent parfois la vérité aux parents et se déchargent de cette responsabilité d’annoncer.

2.3-3 La violence familiale

Les mères dans ce groupe rapportent que leurs familles ne les soutiennent pas. Certaines familles ont peur des enfants handicapés, elles ont du mal à les approcher comme s’ils n’étaient pas des enfants. Leurs comportements parfois différents dérangent. Une mère explique que, lorsque son enfant pleure, les membres de sa famille en sont dérangés, alors que les pleurs d’un autre enfant non handicapé n’aurait pas posé de problème. Une autre rapporte que ses parents lui interdisent d’avoir un autre enfant : ils pensent qu’il sera lui aussi handicapé et refusent de s’occuper de sa fille infirme moteur cérébrale. Certaines mères relatent que leur entourage familial (parents, beaux parents,…) souhaite la mort de leur enfant, parce que cela soulagera la mère. Ce rejet

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enferme la mère, la stigmatise comme une « mauvaise femme » et l’empêche d’investir d’autres projets.

Cependant, les réactions des familles sont diverses face au handicap de leur enfant. Même si très fréquemment, les mères vivent un rejet soit de leur propre mari et/ou la famille du mari, ou de leur propre famille et que l’enfant n’est pas perçu comme un être humain, mais comme un surplus de charge, un fardeau, il peut exister des comportements de surprotection rendant plus difficile l’éducation de l’enfant. Dans les deux cas, l’enfant handicapé n’est pas perçu comme un enfant et il faut aussi remarquer que les comportements peuvent osciller entre rejet et surprotection.

2.3-4 La violence physique

Le passage à l’acte a été évoqué à plusieurs reprises dans le groupe à des degrés différents, allant de la petite fessée de correction à l’extrême violence, dans laquelle l’enfant se sent démuni, tant physiquement( pour y faire face) que mentalement (pour lui donner un sens).

Cette violence intervient aux moments où la souffrance, la colère, émotions brutes, ne trouvent pas de moyens pour être différées, mentalisées : de ce fait le surplus émotionnel se traduit par une « décharge » physique : l’acte, le « faire » devient le seul moyen de supporter l’insupportable. Le groupe permet de mettre des mots sur cet « agir ».

Le groupe s’est arrêté longtemps sur la situation d’une mère qui rapporte qu’elle se sentait tout le temps en colère contre ses enfants : elle criait, les insultait en usant les pires grossièretés. Vivant une situation familiale conflictuelle et précaire sur le plan matériel, elle n’arrive pas à investir ses deux filles atteintes de myopathie et elle accepte très difficilement leur handicap qui lui renvoie une image d’elle-même très dévalorisante.

Les autres mères ont d’abord essayé de lui donner des conseils, mais je les ai plutôt invitées à exprimer leurs vécus. Les mères ont alors toutes rapporté qu’elles avaient elle-même vécu ces situations de débordement face à leur enfant handicapé. Elles ont exprimé leur dégoût, leur désarroi, leurs accès de colère. Mais certaines ont mis l’accent sur ce que ces situations leur ont permis de réviser leurs comportements et d’apprendre à voir la vie d’une autre façon (en étant proche de Dieu pour certaines). D’autres ont aussi continué à être en colère parce leur situation de mère d’enfant en situation de handicap ne permet leur épanouissement personnel.

Cette mère se sentait dans l’impossibilité d’investir équitablement ses deux filles et souffrait d’avoir le sentiment d’en avoir sacrifiée une au profit de l’autre. Celle-ci qui serait plus affectueuse, a pu bénéficier d’une scolarité. La deuxième, elle, ne va pas à l’école : cette mère se sent mal traitante pour cette dernière. Elle évoque alors un incident où sa fille avait fait pipi et lui avait demandé de changer ses vêtements, alors qu’elle était très fatiguée. Comme sa fille avait trop insisté, la mère l’avait frappée

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violemment, alors que sa fille ne pouvait pas se protéger contre ses coups du fait de la myopathie.

En évoquant cette situation dans le groupe, cette mère a beaucoup pleuré et ne cessait de se culpabiliser au point de se comparer dans sa façon de traiter sa fille à un juif : « je l’ai frappée comme un juif » (exprimant, dans une représentation populaire du juif, qu’elle s’était comportée comme quelqu’un d’inhumain dans sa cruauté et sa malice).

Quand elle a été rapportée, cette situation extrêmement violente a été bouleversante pour le groupe. Le groupe a réagi violement à l‘égard de cette maman en condamnant son comportement. Pour moi-même, même en tant qu’animatrice du groupe et que professionnelle, il m’était difficile de ne pas rejoindre le groupe dans ce jugement négatif.

Le fait d’avoir été attaquée a renforcé sa culpabilité. J’ai donc du intervenir pour rappeler le cadre et les règles du groupe. J’ai ajouté que l’on peut être en colère, dépassé, affecté par quelque chose mais que si ce qui était amené dans le groupe par cette mère était intolérable, il fallait que chacune puisse dire ce qu’elle ressentait personnellement. A ce moment certaines mères ont rapporté qu’elles aussi pouvaient avoir des accès de colère, d’agressivité et d’autres ont maintenu qu’il était inadmissible d’être aussi violente.

A ce moment, je ne pouvais pas donner de sens à cette violence groupale déclenchée par la violence des affects de cette mère, et pour moi l’important était que l’on respecte cette maman, et que chacune puisse s’exprimer sur son ressenti.

2.3-5 Le désir de mort (la violence psychique)

Dans un mouvement de régression du groupe, les mères ont manifesté leur désir de mort inconscient à l’égard de leur enfant handicapé (cf. infra).

Dans la vignette ci-dessus où cette maman frappe sa fille « sacrifiée » pour que sa sœur puisse aller à l’école, des messages inconscients circulent dans le groupe : celui de la mort est au premier plan. C’est de la mort psychique qu’il s’agit, la violence physique est sous tendue par un désir inconscient que l’enfant handicapé disparaisse et avec lui toutes nos difficultés, tous nos rêves perdus « d’enfant imaginaire » construits depuis l’enfance.

Un autre « message » qui revient alors dans le groupe est qu’il n’y a pas de plaisir quand on est parent d’un enfant handicapé. Car l’enfant handicapé « il vole la vie ». Dire que c’est l’enfant handicapé qui « vole la vie » veut dire aussi qu’inconsciemment il est représenté comme la mort elle-même car culturellement on dit : « la mort l’a volé ».

Dans cette phase de régression du groupe, l’image de l’enfant véhiculé au sein du groupe est celle d’un enfant-objet collé à un objet. Des mères expriment que leur enfant en situation de handicap (notamment les enfants IMC) est « collé » à un objet : un

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enfant a tout le temps un tournevis dans la main, un autre enfant répète une chanson dont les paroles sont « il est devenu fou… ». Les mères ne parlent pas de leur enfant comme étant un enfant ayant des comportements d’enfants jouant, etc.

Ce « collage » à l’objet évoque des comportements de type autistique. Le rapport à l’objet, la façon de l’utiliser est pauvre, comme si l’enfant n’avait pas la capacité de jouer, mais avait besoin de rester collé à un objet sans entretenir de relations avec son environnement.

Il faut signaler également que certaines mères se contentaient de subvenir aux besoins élémentaires de l’enfant (faire manger, laver, ….) et se souciaient peu de son épanouissement ou de son état psychologique.

A ce moment-là du groupe, les mères parlaient de leur enfant comme d’un objet même si certains enfants étaient scolarisés et faisaient vivre à tout le groupe cette représentation d’un enfant-objet et non en tant que personne ou sujet.

En reprenant la question de l’envie de la mort, toutes les mères avaient rapporté des situations qui laissaient paraître inconsciemment leur désir de mort sur leur enfant.

Ce mouvement potentiellement fécond de régression a été interrompu par un événement dramatique : on peut dire que dans la représentation groupale nous sommes passées du désir inconscient de mort au fantasme de réalisation de ce dernier. Il y a eu irruption de réel car à la quatrième séance, on nous annonce le décès d’un enfant myopathe dont la mère est membre du groupe !

Une mère s’est trouvée immédiatement prise d’un mouvement d’extrême projection en rapportant les propos suivants : « si c’est un enfant myopathe qui est décédé la prochaine fois ça sera le tour de mes filles ». Elle nous demande si elle doit annoncer à ses filles la nouvelle.

Les mères d’enfants myopathes rapportent que les enfants savent qu’ils ont une durée de vie courte et mais que ni eux ni les mères ne sont prêts à la mort.

Dans cette séance très importante pour la vie du groupe, il n’a pas été possible pour les mères de se décoller du vécu et du ressenti : elles se sont mises à imaginer comment le décès s’était déroulé et comment la mère de l’enfant mort avait pu faire face.

Une autre mère a rapporté qu’elle se sentait trahie par celle qui a perdu son enfant, car elle estimait que celle-ci aurait dû sentir des signes avertissant que l’enfant allait mourir (avoir la grippe, se plaindre de quelque chose …).

Quant à la question de la préparation de la mère à la mort de l’enfant, toutes ont rapporté que même si l’on sait que l’enfant a une durée de vie courte son décès reste quelque chose de très difficile à imaginer et à accepter.

Il me semble que la mort reste un sujet qu’il faut pouvoir retravailler avec les mères. Car, et malheureusement lors de la dernière séance, un autre enfant est décédé : la

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réaction des mères a à nouveau été chargée d’émotions. Une partie du travail en groupe consiste à accompagner ces mères sur le chemin du deuil.

Toutes ces formes de violences empêchent donc d’investir l’enfant en tant que personne et l’enfant lui-même de se vivre comme tel.Mais le groupe contribue à l’élaboration des effets de ces violences.

� 2.4 L’enfant vécu comme une personne à part entière

2.4-1 Les mouvements de vie dans le groupe

Les membres du groupe ont rapporté des sentiments de satisfaction quant à ce que leur permet l’espace groupal : notamment en ce qui concerne la possibilité de sortir du « bouclier » mais aussi le fait qu’elles peuvent penser qu’elles ont des solutions à leurs difficultés relatives à la gestion du quotidien et encore qu’elles ne doivent pas avoir honte de demander de l’aide et de réfléchir à leurs comportements envers leurs enfants.

Propos d’une mère : « cela me fait du bien, quand je m’engage je veux aller jusqu’au

bout, cela permet de dire des choses que l’on ne peut pas dire ailleurs, cela donne des

idées par exemple par rapport à la violence…maintenant je suis moins agressive avec

mes enfants».

Sortir du cloisonnement qui leur est imposé et qu’elles se sont imposées a permis à ces mamans de poser un autre regard sur leur enfant. Ce groupe a été un espace où les mamans ont pu régresser ensemble jusqu’à ce terrible désir de mort, et réinvestir leur enfant autrement : il est devenu un enfant qui peut s’épanouir et dont les besoins ne se limitent plus à la nourriture et à la propreté.

Mais à propos d’elles, une des mères relate : « c’est nous qui sommes handicapées en

tant que mères, car nous sommes obligées d’être à leur service. Nous n’avons pas de

moment pour nous, nous nous permettons difficilement d’avoir des moments de plaisir.

Et si nous voulons avoir un autre enfant, nous avons peur de cela ».

Si l’épanouissement personnel n’est pas possible pour la mère, il n’est pas non plus considéré comme une priorité pour l’enfant en situation de handicap.

Certaines mères relatent qu’elles se permettent d’avoir des moments de détente même si elles sont traitées de « folles ». C’est à ce moment-là qu’une mère rapporte que la famille de son époux ne l’invite pas aux fêtes familiales pour qu’elle n’emmène pas sa fille handicapée avec elle, alors que dans d’autres fêtes elle l’emmène. Ceux de ses proches qui ne trouvent pas ça normal la traitent de « folle ».

La mère qui avait perdu son fils durant les premières séances a continué à participer aux groupes et elle a pu se distancier de sa position de toute puissance suite à cet événement : elle s’est permise de dire qu’elle allait mal et que la perte de son enfant était très douloureuse. Constater que tout le monde la regardait avec étonnement lors d’une séance où elle avait rapporté qu’elle s’est préparée à la mort de son fils l’a beaucoup

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gênée. Elle rapporte aussi que durant l’enterrement tout le monde lui disait que c’était un soulagement pour toute la famille que ce décès. Elle soutient que c’est quand même un deuil, que c’est son enfant qu’elle a enterré et que sa mort n’était pas facile à accepter. Elle rappelle qu’elle l’a accompagné pendant plus de 11 ans dans son handicap, et que c’est bien un enfant qu’elle a vu grandir….

Des propos similaires ont été rapportés par une autre mère qui avait perdu sa fille de 15 ans, lors de la dernière séance. Voir son enfant dans un état grabataire n’est pas une chose de facile à vivre. Cette mère raconte que sa fille handicapée suite à une erreur médicale ne pouvait pas manger, qu’elle avait été sondée. Elle avoue qu’elle n’arrivait même pas à la regarder, qu’elle pensait que sa fille ressemblait à un éléphant. Elle a fait des efforts pour que sa fille mange normalement et ce malgré les interdictions des médecins, et elle a fini par réussir.

2.4-2 Mouvements du groupe et transformation du regard sur l’enfant

handicapé

Dans de telles situations, je trouve que le handicap de leur enfant peut rendre les mères plus patientes et créatives à l’égard de leurs enfants.

L’histoire mériterait d’être détaillée mais ne le sera pas ici. Le groupe a connu des perturbations (beaucoup d’absences), à la suite du décès du premier enfant mais aussi tout simplement des difficultés à disposer de la salle où se tenait la séance du groupe.

C’est ce qui m’a poussé à en traverser ici l’histoire à travers différents thèmes : la naissance et l’annonce du diagnostic, la souffrance de ces mamans et des familles (perte de l’enfant idéalisé etc.,), le désir/crainte de mort de leur enfant par l’entourage et elles-mêmes alimentant la spirale de la culpabilité avec des temps de répits ou l’on rêve la possibilité d’en avoir un autre ou en évoquant les bénéfices que peuvent procurer le fait d’avoir un enfant handicapé… Jusqu’au point où semble en être ce groupe de mères dans l’acceptation du handicap de leur enfant avec le deuil de l’enfant imaginaire et une meilleure l’acceptation de l’enfant réel.

Il me semble que l’on peut raconter le mouvement de ce groupe en disant que pour pouvoir repenser le handicap de leur enfant, les mères sont passées d’un état où elles ne pouvaient être que dans la plainte, la colère et le refus à un tout autre état où il est possible de prendre de la distance, et de réfléchir avant d’agir.

Si durant les premières séances, les mères ne pouvaient pas m’écouter comme si elles étaient dans une bulle, cette bulle a été rompue au fil des séances pour permettre l’apparition de nouveaux comportements et de nouvelles attitudes, comme celle de devenir fières de leurs enfants et de les amener pour qu’ils soient vu par les autres membres du groupe.

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� 2.5- Quelques réflexions conclusives sur l’apport du groupe

Je suis donc convaincue que, grâce à ce groupe, il y a désormais une meilleure prise de conscience des difficultés des enfants et les mères sont moins dans l’agir. Elles se rendent compte de l’importance de la mise en mots. Alors que le passage des moments difficiles, des propos durs et violents se fait généralement par l’euphorie ou la manie. La prise de distance a permis aux mères de penser aux enfants « sains » trop souvent oubliés et délaissés sous prétexte qu’ils peuvent comprendre.

Penser à ces enfants « sains », penser avoir un autre enfant, penser à l’épanouissement de l’enfant en situation de handicap, penser à un projet pour la scolarisation des enfants infirmes moteurs cérébraux, …sont autant d’éléments qui indiquent une meilleure acceptation du handicap et surtout une profonde transformation de la représentation d’un enfant-objet en une personne, un enfant-sujet avec un devenir possible.

Cette profonde évolution aurait été beaucoup plus longue et beaucoup plus difficile sans le travail groupal. Le groupe, par des mécanismes qu’il serait trop long de détailler ici, permet en effet l’expression, l’élaboration, la contenance des mouvements psychiques des mères.

Quand on lit les grands mouvements de ce groupe, il en ressort que ce dernier reprend, à sa façon, les équivalents des processus psychiques dans lesquels les mères sont passées dans leur vécu du handicap de leur enfant. De la violence de l’annonce du diagnostic vers la fascination par cette violence et l’agir, puis vers le rêve possible d’un avenir pour l’enfant et la prise de distance relative permettant un peu l’épanouissement personnel.

Notre groupe de parole a permis aux mères de mieux accepter ces enfants en situation de handicap, de les penser et de les vivre comme des enfants à part entière. En souffrance importante, ces mères étaient en difficulté pour se pencher sur leur enfant et se sentir « suffisamment bonne » pour décoder les messages de leurs enfants. Ayant permis l’expression de leurs angoisses, de leur culpabilité et une certaine « écoute de soi », ces mères ont été en mesure de regarder leur enfant comme capable de vivre debout.

En conclusion, cette expérience avec les mères d’enfants handicapés moteur a été d’une grande richesse pour toutes. Elle me fait espérer que d’autres mères différentes d’enfants en situation de handicap pourront bénéficier d’un tel dispositif. Elles me font aussi penser que les groupes de parole peuvent être utiles pour les professionnels dans les institutions car même si ce ne sont pas leurs enfants, ils peuvent vivre les mêmes mouvements de débordement émotionnel et d’effondrement que les parents, et méritent donc d’être soutenus dans leur prise en charge de ces enfants.

3 – Importance du groupe pour les mamans : synthèse des témoignages, par Tamara Godinot

En plus de ce qui a été exposé ci-dessus et renforcé par les témoignages des mamans, j’ai estimé opportun de poursuivre cette exploitation des témoignages et mettre en avant

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l’importance d’un groupe de parole de maman et de ce qu’il leur a apporté. C’est ainsi que je relève en vrac les aspects que les mères soulèvent, mettant en avant les bénéfices d’un groupe de parole. - Les mamans font l’expérience de rencontrer d’autres mamans ayant la même problématique, renforçant l’expérience d’être comprise, de vivre la même chose. Alors qu’en réalité, chaque maman, bien qu’ayant un enfant IMC et ou atteint de myopathie, ont chacune une expérience différente. Ce semblable et ce différent sont les bases du groupe de parole, permettant aux mamans de s’identifier les unes les autres mais aussi de rencontrer des mamans qui ont des vécus, des expériences, des informations, des savoir être et faire différents. Ainsi, ce partages des vécus des mamans, leur permet de ne plus se sentir isolées, d’interroger leurs comportements, leurs vécus et favorise un processus de transformation d’une souffrance vers un mieux être. T.3 P14 « J'ai vu les mamans et j'ai compris que je n'étais pas seul alors qu'avant j'étais

seule isolée à la maison. Comme si qu'il n'y avait que moi qui avais un enfant malade à

la maison, qu'il n'y avait que moi qui ne sortais, qui ne voyais pas le monde dehors et

qui étais isolée à la maison. J'étais comme emprisonnée. Je suis venu ici et j'ai connu

des gens qui avaient 1 et parfois 2 ou 3 enfants handicapés. Je n'étais donc pas seule ». T.2. P1 : « Par contre entre nous, mères d'enfant handicapés, on se comprend et c'est

pas une autre personne "normale" qui me comprendrait, qui saurait que j'en ai plein le

cœur. Il y a des gens à qui je raconte ma condition, ils prêtent l'oreille puis me mettent

"à la touche". Mais on a beau dire, quelqu'un qui a un enfant handicapé peut te

comprendre, il t'écoute, il te donne du répondant, il te conseille ». T.2. P3 : « J'ai beaucoup appris de l'expérience des autres et ces mamans m'ont

beaucoup apporté. Ecouter les mamans parler de leur comportement avec leurs enfants

handicapés me faisait me poser des questions sur les raisons qui les poussent à agir de

la sorte et je me voyais avoir le même comportement et finissais par me dire que non je

ne serais pas comme ça avec ma fille. Je prenais du sens rien qu'en écoutant les vas et

viens entres les mamans » T1. P2 : « Je savais que j'allais trouver des mamans qui avaient peut être les mêmes

problèmes que moi ou qui avaient plus de problèmes que moi. J'attendais donc de

connaître….il fallait connaître des cas différents de moi. Il fallait les connaître. On

apprend ». T1. P5 : « Des fois on insulte les gens. On me l'a dit moi-même (une seule personne

seulement heureusement): "les parents paient pour ce qu'ils ont fait" j'ai été choquée

parce que toutes les mamans du groupe ont eu droit à cette réflexion alors que je

pensais être la seule. Et souvent ce sont des personnes proches de vous qui vous le

disent (belles sœurs, etc.…) ».

4 T (témoignage), P (page) : exemple T.3. P.1. : témoignage numéro 3, page 1. Les témoignages sont disponibles au bureau de H.I

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T.2. P6 : « Tout au long du groupe j'ai beaucoup appris sur les droits de mon enfant et

les mamans conseillent sur ce qu'on peut faire, aller frapper aux portes, ne pas hésiter,

ne pas avoir honte, bref, on m'a beaucoup encouragé ». Illustrations de changement de comportements des mamans et ou prises de consciences vis-à-vis de leur enfant, de leur famille, de l’environnement social

• Par rapport à leur enfant

T.2. P3 : « Ma fille je l'engueulais beaucoup. Maintenant, après les témoignages que

j'ai entendus, (…) Et des fois quand elle crie, je la laisse crier, je sors, je décompresse

et je reviens vers elle ». T.1. P5 : « Oui. Le comportement avec mon fils. J'ai beaucoup appris. Je l'aimais, je

l'adorais mais des fois je lui disais qu'il ne faisait pas d'efforts et tu n'es pas très

courageux. J'ai donc appris à ne pas lui en vouloir, le blâmer (En'loumou) ».

• Par rapport à leur famille T.2. P3 : « Quand j'allais chez moi, je prenais un coin, je ne bougeais pas et je restais là

à pleurer (…). Maintenant je retrouve mieux ma place, je discute, on se raconte des

choses chez moi ». T.3. P2 : « J'ai beaucoup changé, même avec mon mari (et Dieu merci). Au tout début il

n'aimait pas l'idée de me voir sortir et aller dans le groupe mais après, quand il a vue

ces changements, lui-même se mettait à m'encourager à aller dans le groupe. Car lui

aussi ca l'arrangeait au vue de notre relation qui devenait moins tendue ».

• Par rapport à l’environnement social T.2. P5 : « Avant par exemple je ne fréquentais pas les associations, mais maintenant je

vais aussi à l'autre association à Bobillot (quartier d'Alger) on m'a donné de l'espoir,

de sortir d'aller voir ailleurs ce qui se passe (…) ». T.3. P1 : « Quand je suis venu ici et j'ai appris, j'ai compris et j'ai été convaincue, il y a

des choses que je ne faisais pas avant et que j'ai fais par la suite. Par exemple je ne

sortais pas ma fille de la maison et moi j'étais angoissée dehors, à la maison, partout

mais ma venue ici a dissipé cette angoisse (…). Je me suis mise à faire sortir mon

enfant et parfois même sortir juste moi-même chose que je ne fessai jamais auparavant.

Je devenais plus extravertis, je parlais aux gens, je rigolais, je discutais, bref mon cœur

s'est soulagé ».

• Les mamans par rapport à elles mêmes T.2. P5-6 : « Aussi, je deviens plus fonceuse. Plus effrontée (connotation positive), je

confronte les gens, je fais face aux obstacles. Si par exemple à l'hôpital on me remballe

en me disant qu'il n'y a pas d'analyse, je me bats et je vais jusqu'au chef de service pour

faire faire les analyses à ma fille. Je me bats plus maintenant pour ma fille (…). Avant

j'aurais jamais pu me rendre à des endroits et avoir des confrontations avec des gens

pour obtenir mon dû. Je suis prête à tout pour ma fille. Comme par exemple la dernière

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fois, au lieu d'aller à un arrêt de bus et galérer pour prendre un transport, j'ai été

devant un barrage de police et tout simplement demandé au policier de m'arrêter un

taxi parce que c'est trop compliqué pour moi de prendre un bus. Avant je n'aurais

jamais osé le faire de peur de me faire rejeter par le policier. Par exemple avant quand

j'allais au parc d'attractions on me refusait de monter avec ma fille et je ne pouvais pas

la laisser seule. Mais récemment je me suis battue et j'ai dit qu'il n'était pas question

que ma fille monte seule et que je montais avec elle. Il a fallu que j'aille voir le

responsable pour ça. Et depuis, on me connaît et on n'a plus de problème pour ça ». T.1 P6 : « Oui par rapport à ça bien sûr. Déjà, je pleure moins qu'avant. Je passais mes

journées parfois même mes nuits à pleurer. Quand je me réveillais la nuit et allais voir

mon fils s'il dormait, s'il était bien bordé, je restais à coté de lui et me mettais à pleurer

(…). J'ai appris à faire confiance et ça a réconforté ma confiance en Dieu. Je sais que

tout a une solution ». T.1 P9 : « C'est TRES valorisant (l'emphase est mise dans la façon de le dire). Parce

que depuis que j'ai quitté mon travail je sens que j'ai dégringolé d'une montagne haute

(…)Je veux avoir quelque chose de parallèle comme être au sein d'une association,

faire du sport, une activité lucrative pourquoi pas ». E.3. P2 : « Mais depuis que je me suis mise à venir ici (lire dans le groupe) et sortir de

chez moi, et que j'ai appris beaucoup de choses de tout le monde, je ne vous mens pas,

ça m'a soulagée, oui soulagée. Je me suis calmée ». - Les mamans passent beaucoup de temps avec leur enfant handicapé du fait surtout que les enfants des mamans de ce groupe sont très dépendants. Ayant peu d’aide extérieure, les mères s’occupent de leur enfant constamment. Cet espace leur permet de parler d’elles et elles vivent cet espace comme étant un temps où elles prennent soin d’elles-mêmes. T.2 P1 : « C'est important de s'occuper un peu de soi et son moral et pas uniquement de

son enfant handicapé. J'ai besoin d'avoir le moral et au diable le reste. L'essentiel pour

moi c'est ça, c'est d'écouter ce qui se passe autour de moi, d'avoir des conseils et tout

ça, ça me remonte le moral, ça me repose et je rentre contente chez moi ». T1. P3 : « C'était un moment propre à moi-même le rendez-vous du début de chaque

mois. C'était très important pour moi. C'était uniquement pour moi. Je ne pouvais pas

être tranquille sans mes enfants (à lire: je pouvais être tranquille sans mes enfants)

sans des responsabilités et je pouvais parler librement et entendre des gens parler ». - Le fait que ces mamans se sentent mieux après le groupe, leur permet aussi de « sentir mieux » et donc de mieux s’ajuster à leur enfant, famille et environnement T.2. P1-4 : « Je suis tout pour mon enfant. Si j'ai le moral je m'occupe bien de ma fille

mais sinon, je la délaisse, je vous le dis franchement (…). Parce que si le moral

descend, je laisse tomber ma fille.» - Le fait de rencontrer d’autres mamans, les aides à relativiser leur souffrance, elles font l’expérience que d’autres mamans souffrent plus ou moins, elles se sentent moins isolées et lorsque les membres du groupe ont cheminée, les mamans

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se sentant moins en souffrance se tournent vers l’extérieur. Notamment, leur engagement auprès d’autres mamans se manifeste. Elles passent de l’isolement au militantisme, même si pour le moment, il ne s’agit que d’intention. T.2. P4 : « Je suis encouragée. J'aimerais aussi qu'il y ait un autre groupe. Ça me fait

de la peine de voir d'autre maman avoir le moral bas et qui plus est demandent

clairement avoir recours à un psychologue ». T.3. P5 : « Je sors maintenant et je vois, et beaucoup de mamans souffrent plus que moi.

Et j'aimerais bien que d'autres mamans puissent vivre ce groupe comme je l'ai vécu et

qu'il leur apporte ce qu'il m'a apporté ». T.1. P9 : « Dans la vie quotidienne, des fois on s'oublie on va dans le train train

quotidien (…).mais après, quand je suis venu ici j'ai commencé à voir les choses

autrement (réfléchir différemment) et je me disais qu'il fallait que j'active un peu en

dehors de la maison. Il faut que je trouve un petit moment pour moi ou je peux faire

quelque chose, ou je peux donner et pas être tout le temps dans le recevoir ».

III – Recommandations concernant l’installation d’un cadre de groupe de

parole pour des usagers, par Rafika Hafdallah et Tamara Godinot A la suite d’une expérience d’un an d’un groupe de parole de mamans, nous proposons des recommandations concernant le cadre externe et interne et l’installation de ce dernier afin de favoriser le bon déroulement du groupe de parole et nous rappelons pour les psychologues quelques outils théoriques. Nous renvoyons à nouveau au document général de S. Fehrat et Z. Guidoun, déjà cité.

• III.1- Le cadre externe

La question de l’engagement des membres du groupe : quels dispositifs ?

Soit il réunit l’ensemble du groupe, soit l’animateur rencontre, en entretien individuel, l’ensemble des membres potentiels du groupe. Dans les deux cas, il ou elle se renseigne sur les attentes de la personne demandeuse, et explicite ce qu’est un groupe de parole et en quoi consiste ce dernier, en apportant aussi des précisions concernant le cadre externe (régularité, confidentialité, engagements, etc.,). L'analyse des attentes est primordiale pour la survie, tout au moins temporelle, du groupe. Une leçon apprise de ce groupe mené et liée au contexte socio-économiques des familles se dégageait des témoignages réalisés avec certaines des mamans à la fin du groupe. De nombreux désistements à mi chemin s'expliqueraient par le fait que certaines mamans pensaient qu'en fréquentant le groupe de parole, elles pourraient aussi bénéficier d'une certaine aide matérielle de la part de la Fédération : [Ce qui m'a

perturbé c'est qu'il y avait plus de mamans au départ et que par la suite, leur

nombre a diminué. Pourquoi? Parce que matériellement parlant il n'y avait rien à

gagner? Mais travailler sur le moral c'est important ! Je disais aux mamans que

tout n'est pas dans le matériel, votre santé morale est aussi importante, n'est-ce

pas?". Une autre maman insiste également sur cet aspect : […C'est-à-dire que les

gens n'arrivent pas à comprendre la nécessité de la parole. Elles ne voyaient que le

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côté matériel. Qu'est ce que cette association allait nous donner: des couches, des

fauteuils roulants, peut être de l'aide financière. Elles ne comprenaient pas. Pour

elles ce n'était pas important d'être là et de parler]. • Le participant potentiel peut profiter de cet espace pour poser les questions qu’il

souhaite. Ce temps permet aussi à l’animatrice d’évaluer la possible participation ou non de cette personne à ce groupe. Après un laps de temps de réflexion (dont le délai est fixé à la fin de l’entretien), la personne demandeuse manifeste ou non son désir de participer à ce groupe en sachant à quoi elle s’engage. Cette procédure nécessite du temps (rencontre des personnes, temps de réflexion, puis décision de la personne et de l’animatrice).

Au moment de leurs témoignages, les mamans, qui ont bien saisi l'importance du cadre extérieur (sans toutefois rentrer dans cette dimension analytique que nous tentons d'apporter à travers ce document), ont suggéré des recommandations quant à ce cadre:

[D'abord il faut qu'on soit à l'heure autant nous, les mamans que vous les

organisateurs. Comme ça personne n'attend personne. Aussi, il faut que le lieu soit

garanti à toutes les séances. Il ne faut qu'on vienne et qu'on attende des autorisations

pour occuper un lieu. Un lieu qui soit à nous pour qu'on soit plus à l'aise pour parler. Il

y a aussi la fréquence des rencontres. Une séance mensuelle c'est insuffisant. Peut être

deux séances par mois seraient mieux pour nous les mamans. Le temps qu'on se voit

entre deux séances, beaucoup de choses peuvent se passer et peser sur nous. Et puis

j'insiste encore sur le lieu. Il faut que le lieu soit garanti. Il nous est arrivé une ou de

fois de devoir annuler la séance et de repartir chez nous parce que la salle n'était pas

disponible]

[Il y a une chose que je n'accepte pas c'est qu'un étranger interfère et entre dans le groupe. On se dit des choses intimes entre nous]

[Il faut déjà avoir un lieu sûr. Nous, on se réunissait à la médiathèque et au début il

fallait à chaque fois confirmer le rendez-vous avec eux, des fois on avait des contrôle de

ministères ou je ne sais d'où (pourquoi vous faites ces réunions ? pourquoi vous faites

ceci et cela?). Déjà j'opterai pour un lieu, même si c'est petit comme ça (référence au

bureau exigu ou a eu lieu l'entrevue) mais qu'il soit toujours régulier et à nous seules,

disponible et où personne ne viendrait nous poser des questions ou vouloir savoir

pourquoi on se réunit, si ce n'est pas politique etc.…. ça c'est de un. De deux, une fois

par mois c'est bien mais si c'était une fois par semaine cela serait mieux. Mais une fois

par semaine je suis sure que ça n'arrangerait pas tout le monde, parce que c'est très

difficile]

• L’animateur peut réunir un nombre de personnes supérieur (18 par exemple) au nombre de personnes escomptées pour le groupe de parole (10-12). Pendant trois séances le groupe reste ouvert, l’animateur présente ce qu’est un groupe de parole, pose les règles (respect de la parole de l’autre, engagement, lieu, etc.,), répond aux questions, fixe le rythme et la durée avec le groupe. Après ces trois séances le groupe est fermé, c'est-à-dire que les contours du groupe sont délimités en ce qui concerne les participants : on sait qui reste et s’engage dans

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cette aventure de groupe et qui quitte le groupe. Dans cette procédure les personnes font l’expérience du groupe et sont encore plus en mesure de décider de s’engager en connaissance de cause.

III.2 - LE CADRE INTERNE DE L’ANIMATEUR

Le groupe de parole un espace de transformation : accueillir, transformer, restituer

L’animateur, surtout débutant, aura des difficultés à donner du sens à ce qui se passe dans le groupe et à avoir une écoute à plusieurs niveaux. Nous allons illustrer trois niveaux d’écoutes ainsi que leurs interrelations. Il faut insister sur le fait que l’animateur doit pouvoir bénéficier d’un espace d’analyse de sa pratique, de supervision ou d’intervision, afin que ce travail d’écoute « polyphonique » et de mise en sens devienne possible. - Ecouter les membres du groupe : niveau individuel

Par exemple : Madame X exprime au groupe les accès de violence qu’elle peut avoir à l’égard de sa fille (cf. vignette rapportée dans le paragraphe exemple d’une conséquence……). L’image qui est donnée à vivre au groupe et qui sidère l’animatrice, le groupe, et moi-même est celle de cette mère frappant sa fille recevant les coups, cette dernière ne pouvant pas se protéger. Cette maman est en souffrance et exprime son débordement émotionnel, ainsi que son impuissance à faire autrement, à mieux gérer ses émotions et les conflits à l’égard de son enfant. A ce moment, il ne s’agit pas de porter un jugement, mais de supporter d’entendre et d’accueillir les dires de cette maman. C’est alors l’occasion pour d’autres mamans de s’exprimer sur leurs débordements et les violences (verbales ou physiques) qu’elles peuvent faire subir à leur enfant handicapé. Choses qu'elles ont du reste apprit à faire avec plus de sérénité comme elles ont en témoigné après la fin du groupe […Je l'aimais, je l'adorais mais des fois je lui disais qu'il ne faisait pas d'efforts et tu

n'es pas très courageux. J'ai donc appris à ne pas lui en vouloir, le blâmer]

[Des fois ça m'arrive de vouloir me défouler sur ma fille mais après je m'en remets à

Dieu en me disant que Dieu ne m'ouvrira pas ses portes si je la tape.]

- Ecouter le groupe : niveau groupal

Dans ce moment où une maman puis plusieurs s’expriment à propos de la violence, on repère que le groupe est dans une phase où inconsciemment les mères expriment leurs désirs de mort à l’égard de leurs enfants handicapés. C’est là un phénomène courant chez les parents d’enfants handicapés (même si souvent non exprimé ou refoulé) que de souhaiter que leur enfant disparaisse ou qu’il soit tout autre, cet enfant qui leur renvoie une image si peu satisfaisante. Ce temps inconscient est ensuite refoulé pour laisser place à une acceptation plus ou moins relative de leur enfant tel qu’il est : le deuil de l’enfant imaginaire est fait et laisse place à l’enfant réel. Ce mouvement du groupe est à entendre et à accompagner tout en gardant une bonne distance : afin de ne pas être sidéré avec le groupe par ce qu’il donne à vivre, il est nécessaire de pouvoir d’abord éprouver ce mouvement dans toute sa violence puis de

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s’en déprendre donc d’accueillir ces mouvements et d’en restituer quelque chose au groupe qui rassemble et transforme ce vécu initialement traumatogène (puisqu’il sidère la pensée). - S’écouter soi-même en tant qu’animateur : niveau animateur

Quand l’animatrice me5 rapporte cette séquence (de la mère de racontant tapant sa fille), elle est elle-même sidérée et me donne à vivre cette image, sans pouvoir donner du sens. Pouvoir alors déposer en l’exprimant dans un autre « espace » auprès de moi ce problème est déjà en partie le transformer. La capacité de l’animatrice de reconnaître ce qui est problématique pour elle et à travers elle pour le groupe, est un élément essentiel du travail d’après coup, a posteriori, de l’animatrice. Le travail que nous effectuons ensemble, d’élaboration de réflexion, est un travail de transformation de vécus bruts, violents appelés éléments bêta par le psychanalyste britannique W. BION qui avait travaillé auprès de soldats de l’armée britannique. Ensemble nous avons pu élaborer ce qui se passe pour le groupe et pour cette maman et poser des hypothèses et des pistes de travail. Le groupe passe par un temps d’angoisse de mort, de désir inconscient de mort, d’une fascination pour le morbide où les membres du groupe font vivre aux autres et à l’animatrice le sentiment d’impuissance auquel ces mamans sont confrontées dans leurs vécus quotidiens. C’est l’occasion pour cette mère et pour le groupe de faire un travail d’acceptation, de refoulement, et de retour sur soi. Le groupe a réagi d’abord en jugeant cette maman, et en même temps en la comprenant puisqu’elles ont pu parler de moments où elles-mêmes étaient débordées. Des sentiments comme la culpabilité, l’empathie, la réparation sont mis au travail. Ce temps a été un point de départ pour les mamans pour travailler à un meilleur ajustement à leur enfant. Ce temps de reprise avec l’animatrice est indispensable car ce qui a été vécu par le groupe est un temps violent, où des émotions brutes (liées à l’image de frapper) ont été exprimées : il convient que l’animateur « protège » le groupe de ces vécus pour donner du sens à ce qui se passe pour cette maman et dans le groupe afin que ce dernier puisse métaboliser et transformer ces émotions brutes en paroles ou en représentation. Un modèle pour penser la fonction de l’animateur au sein d’un groupe de parole : Fonction alpha, éléments bêta (WR. Bion) Le modèle théorique de WR. Bion, psychiatre et psychanalyste britannique qui a initié les recherches sur les groupes après la dernière guerre mondiale, s’appuie sur l’image de la mère et de son bébé dépendant d’elle pour se développer physiquement et psychiquement. Prenons l’exemple d’un bébé qui pleure parce qu’il a faim. La mère entend, voit son bébé pleurer. Lui ne sait pas qu’il a faim. La faim est une sensation au début de la vie du petit de l’homme, sensations qui font mal, brutes au sens de non assimilables (élément bêta) , c'est-à-dire non accompagnée de pensées, de mots: le bébé ne se dit pas au début de sa vie : « tiens ! Maman va me préparer à manger, pour le moment elle est occupée, je vais attendre ». Son seul moyen d’expression, quand il éprouve quelque chose de désagréable, est de pleurer. La mère alors accueille d’une part les pleurs de son enfant, elle essaie alors de penser ce qui le fait pleurer. Elle va alors

5 Le « Me » réfère à Tamara Godinot, conseillère psychologue à Handicap International, Programme Algérie

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émettre plusieurs hypothèses (Ce que Bion appelle la capacité de rêverie de la mère) : « il n’a pas pris beaucoup de lait tout à l’heure, peut-être a-t-il faim, ou encore peut-être, devrais-je changer sa couche, etc… ? ». Puis la mère pose une action ou une parole par rapport à l’hypothèse qui lui semble la plus probable (ce travail se fait souvent de manière rapide et quasi inconsciemment). Elle pense par exemple qu’il doit avoir faim et va par exemple lui parler : « oui… j’ai compris… tu as faim ! mais pourquoi tu n’as pas beaucoup pris de lait tout à l’heure ? etc., », puis le prend dans ses bras (souvent le bébé s’apaise à ce moment car il est en mesure d’anticiper le fait qu’il va manger) Cette transformation est ce que ce que WR. Bion appelle la fonction alpha, une fonction « […] de liaison symbolique des impressions sensorielles et des ressentis émotionnels très primitifs ». Ce modèle de Bion propose d’utiliser la relation mère-bébé de manière analogique : ici de faire le parallèle entre la fonction maternelle et la fonction d’un animateur (mais aussi d’un professionnel qui prend soin d’une personne ou d’un groupe). Reprenons notre vignette : les dires de la maman peuvent être qualifiés d’éléments bêta. L’animatrice repère et accueille ce que dit cette maman. Elle fait un travail de compréhension, d’hypothèse sur ce qui arrive à cette maman et sur ce qui se passe dans le groupe (capacité de rêverie). Son travail alors est de désintoxiquer ces éléments

bruts, afin d’en restituer quelque chose à cette maman et au groupe, qui donne du sens à ces vécus enfin exprimés consciemment et inconsciemment. Un sens qui permet alors à ces mamans de reconnaître qu’il n’est pas évident de faire le deuil de l’enfant imaginaire quand on a un enfant handicapé, que cela génère de l’épuisement, de la colère, de la peur, de la tristesse et que parfois ces mamans qui se sentent isolées, sont débordées, et à risque d’accès de violence. Accueillir ces émotions et les mettre en mots, c’est permettre de déculpabiliser ces mamans, du fait d’une part d’avoir mis au monde un enfant porteur de handicap ou de n’avoir pas pu protéger leur enfant contre l’apparition d’un handicap, et de parfois avoir le sentiment de faillir à leur rôle de mère. Tout ce travail de l’animatrice s’apparente à la fonction alpha : c'est-à-dire de transformer des éléments bêta, des vécus bruts non pensées et non pensables afin de les rendre plus digestes et plus assimilables par la pensée avec la parole. Ce travail de l’animatrice d’accompagner le groupe à mieux comprendre ce qui se passe pour une mère quand elle en arrive à frapper son enfant avec violence, favorise un espace interne aux mamans qui une fois prochaine, en situation, auront alors vécu une expérience réparatrice. Cette expérience pourra favoriser un espace entre l’émotion négative vécue et l’agir. Ce dont les mères ont pu témoigner au sein de ce groupe.

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Pour le bien-être des enfants en situation de handicap

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