LE GOUVERNEUR DE LANGUEDOC

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LE GOUVERNEUR DE LANGUEDOC PENDANT LES PREMIÈRES GUERRES DE RELIGION

(1559- 1574)

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Dans la même collection

F. Hildesheimer, Richelieu. Une certaine idée de l'Etat. P. Pradel, Anne de France Foi chrétienne et milieux maritimes. Actes de colloque B. Bedos Rezak, Anne de Montmorency, seigneur de la Renaissance F. Hildesheimer. La vie à Nice au XVIIe siècle E. Lejeune-Resnick, femmes et associations F. Delforge, La Bible en France et dans la Francophonie N. Gotteri, La mission de Lagarde, policier de l'Fmpereur pendant la guerre d'Fspagne F. Hildesheimer, La l'erreur et la Pitié. L'Ancien Régime à l'épreuve de la peste La L'rance prérévolutionnaire. Actes de colloque A. Cabantous, l)ix-mille marins face à l'océan C. Constant-Le Stum, Journal d'un bourgeois de Bégoux J. Cavignac, Les Israélites bordelais de 17S0 à 1850 J.-P. Goubert, Médecins d'hier, médecins d'aujourd'hui. Le cas du docteur Lavergne (J 756- J N31) H. Baumont, Le département de l'Oise pendant la Révolution (1790-1795) R. Krakovitch, Le pouvoir et la rigueur. Pierre Mendès France : François Mitterand

A paraître :

B. GanlOt, Vivre en prison à ( 'harlres au XVIIIe siècle C. Demeulenaere-Douyère, Paul Robin, (183 7-Il) J 2). (ln militant de la liberté et du bonheur J. Chevrot, Mgr (ieorges ('hei,roi (lN 7l)-1Y5N). Un acteur de l'histoire religieuse contemporaine J. Charon Bordas. Ouvriers et'paysans au milieu du XIXe siècle

@ Éditions Publisud, Paris, 1993 ISBN : 2-86600-517-1

ISSN : 0981-4825

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Claude TIEVANT

LE GOUVERNEUR DE LANGUEDOC PENDANT LES PREMIÈRES GUERRES DE RELIGION

(1559 - 1574) Henri de Montmorency-Damville

PUBLISUD

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:)rtrait dessiné d'Henri de Montmorency. Anonyme. (Bibliothèque nationale, Na 22 réserve, JÍte 18).

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« Galliae Narbonensis ora marittima recenter descripta ». [Charles de l'Escluse, chez Ortelius, 1570]. Éch. 1/685.000, 65 mm pour 10 lieues de France. Côte méditerranéenne d'Espagne à Marseille, fleuves, villes, villages. Cartouche. Coul. Dim. 0,227 x 0,305. (Archives nationales, NN193/63).

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gouvernement général de Languedoc et partie de celuy de Guienne et Gascogne où se trouvent ; généralitez de Toulouse, de Montpellier et de Montauban ». N. de Fer. P. Starckman sculps. Paris, chez l'auteur, à la Sphère Royale, 1705. Éch. 1/1.365.000, 61 mm pour 15 grandes :ues. Cours d'eau, canal, relief, provinces, villes, villages. Cartouche. Dim. 0,364 x 0,256. rchives nationales, NN 193/25).

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PRESENTATION

UN GOUVERNEUR EXEMPLAIRE

Le personnage central de cet ouvrage juridique qu'il nous appartient de présenter dans les quelques pages qui suivent évoque irrésistiblement la Princesse de Clèves : sa personnalité répond en tous points à l'image que l'on y trouve du gentilhomme du XVIe siècle : galant et fastueux, homme de guerre intrépide à la vigueur physique indomptable, homme de plaisirs et de divertissements somptueux. Le duc Henri de Montmorency-Damville passa pour l'un des chevaliers les plus accomplis du royaume de France avec Nemours et le Vidame de Chartres, et Brantôme dit des deux premiers qu'ils étaient "les deux Parangons pour lors de toute la chevalerie".

Le lecteur trouvera, dans les pages qui suivent, tous les éléments de sa biographie en rapport avec son action en Languedoc jusqu'en 1574. Il nous a cependant semblé que débuter cette présentation par un rapide survol de 1 'ensemble de sa vie ne ferait pas double emploi et permettrait de mieux le situer en son époque troublée.

Il était le deuxième fils du connétable Anne de Montmorency et de Magdeleine de Savoie-Tende, né à Chantilly le 15 juin 1534 ; son parrain fut le roi Henri II. Son appartenance à la famille de Montmorency le situe immédiatement dans l'espace politique d'un temps qui allait devenir celui des guerres de religion comme membre du groupe des "politiques", catholiques modérés, rivaux et opposés au clan des ultra catholiques des Guises: L'originalité et la force de sa position résidera dans son implantation méridionale à titre de gouverneur du Languedoc, qui lui permettra de s'opposer au pouvoir royal.

Il avait fait ses premières armes en Lorraine et |en Allemagne, avait participé au siège de Metz avant d'aller [servir en Piémont sous Brissac, l'un des militaires les plus I réputés du temps qui le distingue rapidement : il est ainsi | substitué au duc d'Aumale (un Guise) dans la charge de colonel-général de la cavalerie légère de Piémont. !

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I l rentre en France après la défaite de Saint- Quentin où son père avait été fa i t prisonnier, fâcheux accident qui mettait en cause l 'influence familiale à la cour, mais la protection de Diane de Poitiers ne lui fa i t pas défaut, qui lui donne en mariage sa pe t i te - f i l l e , Antoinette de La Marck, nièce de François de Guise, duc d'Aumale, ce qui modère sa haine familiale. Au surplus, i l reçoit le col l ier de l 'ordre de Saint-Michel.

La mort d'Henri I I et la suprématie des Guise qui caractérise le bref règne de François I I n'atteignent guère Damville dont les centres d ' intérêt sont ailleurs : sa vie est tout entière occupée par la passion qu ' i l porte à la jeune reine Marie Stuart, passion qu' i l déclarera à la mort du roi et qui l 'entraînera jusqu'en Ecosse. Il quittera cependant la reine, cédant aux instances paternelles, et regagnera la France en 1562, après un passage à la cour d'Angleterre où sa séduction a semblé un instant capable de détacher Elisabeth de la cause huguenote.

En France, la guerre civile est déclarée et Damville y prend part dans 1 'armée royale au salut de laquelle i l contribue davantage par son adresse dans les combats singuliers que par ses talents de stratège. I l se signale tout particulièrement à la batail le de Dreux où i l perd l 'un de ses frères et où son père, le Connétable, est fa i t prisonnier : i l réussit quant à lui à capturer Condé. I l avait obtenu la dignité d'amiral dont avait été privé son cousin le protestant Coligny à qui elle est restituée à la paix d'Amboise en 1563. C'est en échange de cette rest i tution qu ' i l reçoit le gouvernement du Languedoc que son père avait reçu de 1 'héritage du connétable de Bourbon en 1526 et dont i l se démet en sa faveur ainsi que, quelques années après, en 1566, la charge de maréchal de France laissée vacante par la mort de Brissac.

Le nouveau gouverneur du Languedoc a donc une réelle expérience mili taire ; sa nouvelle charge va le mettre à contribution et exiger de lui, en outre, des talents d'administrateur et de diplomate. I l lui faut en effet assurer la défense et la sauvegarde des intérêts de la Couronne dans sa province, sans oublier, à travers eux, les siens propres ; bref, une nécessaire affirmation de son autorité dans une région troublée.

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I l est superflu de rappeler l'importance de l'implantation huguenote en Languedoc (les Cévennes n'ont qu'à être évoquées) et l 'on verra ci-après le caractère sanglant qu'y prirent les affrontements avec les papistes. L'affirmation du nouveau gouverneur a l la i t d'abord passer par une générale réduction à 1'obéissance, action décidée et brutale qui ne laissera pas de place à 1 'expression de

. tendances politiques plus modérées qui n'apparaîtront que lorsque Damville sera assuré de 1 'assise de son pouvoir.

I l commence par parcourir sa province, voie de passage entre l'Espagne et l ' I t a l i e s'étendant d'Est en Ouest depuis les rives du Rhône jusqu'à la vallée de la Garonne, des Pyrénées et de la Méditerranée au Sud aux hautes vallées de 1 'Allier et de la Loire au Nord. Partout i l désarme les protestants et rétabl i t 1'exercice du culte catholique, témoignant d'une sévérité particulière dans l'application des édits royaux et d'une rigueur impitoyable vis-à-vis de qui lui résiste. Naturellement des fêtes brillantes célèbrent ses succès.

En moins d'un an la province est pacifiée autoritairement et, lorsque le jeune Charles IX et la reine mère Catherine de Médicis s'y rendent en 1565, la déroute des députés protestants qui osent exprimer quelques doléances est totale : le Connétable intervient pour proposer de faire couper la tête de son f i l s si les plaintes sont just if iées, sinon ce seront les têtes des députés qui tomberont...

En 1567, c 'est la deuxième guerre de religion à laquelle Damville participe toujours dans 1 'armée royale, notamment lors de la batail le de Saint-Denis où son père trouve la mort.

La troisième guerre le voit demeurer dans son Languedoc face aux protestants locaux puis aux troupes de Coligny qui, après les défaites de Jarnac et Moncontour, entreprend la traversée du royaume. I l obtient le commandement suprême en Languedoc, Guyenne, Provence et Dauphiné et 1 'exercice de ce pouvoir ne va pas sans heurts avec Montluc, commandant en Dauphiné, heurts dommageables à l ' e f f icac i té des opérations. C'est de cette époque que date

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la rupture entre le gouverneur et la capitale de sa province : ravages des troupes de Coligny aux portes de Toulouse, entrevue amicale entre le chef catholique et le protestant, voilà qui rend le gouverneur suspect aux catholiques zélés qui sont largement majoritaires en ville, ces rumeurs de trahison étant au surplus largement diffusées à la cour par le non moins zélé Montluc. Damville commence alors sa carrière de suspect.

D'ailleurs les massacres de la Saint-Barthélemy 1572 (auxquels les Montmorency n'ont que de peu échappé) réveillent son modérantisme et i l ne fa i t pas de mystère de sa condamnation de l'événement. A Paris, son frère François est à la tête des catholiques modérés et en Languedoc, avec Henri, le mouvement trouvera son expression durable (hors Toulouse naturellement). Car la révolte des protestants qui suit le massacre oblige le roi à renvoyer le gouverneur, même suspect, dans sa province. Là, sa position va rapidement évoluer : s ' i l assiège et prend la ville de Sommières, l 'une des plus fortes places de la province, i l épargne les habitants, conclut des trêves, évite les sanctuaires protestants des Cévennes et du Vivarais, négocie et ménage tant ses ennemis que la suspiçion croît à Paris et à Toulouse. A la même époque, son frère est arrêté comme 1 'un des principaux chefs des politiques et Damville s'attend à un sort analogue ; i l décide de le prévenir et agit en conséquence, s'assure de plusieurs places, conclut de sa propre autorité une trêve avec les protestants et convoque les Etats de Languedoc à Montpellier, tout en dépêchant au roi pour l 'assurer de son loyalisme.

Mais Charles IX étai t mort et la reine mère, soucieuse de briser le parti dit des "Malcontents", le limoge de son gouvernement qu ' i l ne retrouvera officiellement qu'à l ' éd i t de Beaulieu en 1576 et qu'elle donne pour lors au Dauphin, f i l s du duc de Montpensier, qui se porte contre Damville. Celui-ci n'a plus qu'à se je ter dans les bras des protestants pour sauver son pouvoir (après une tentative de médiation à Turin lors de l ' a r rê t d'Henri I I I sur le chemin du retour en France).

Dès lors les choses sont de moins en moins claires : au grè d'alliances successives avec les

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'protestants et de retours au parti catholique, Damville assure sa situation. Appuyé sur la région centrale de la province qui lui assure un soutien sans faille, il négocie avec les uns et les autres, est élu chef de la fédération mixte qui réunit catholiques et protestants, puis lâché par les protestants se rapproche des ligueurs (Guillaume et Anne de Joyeuse), avant de se rapprocher à nouveau des religionnaires tout en s'assurant habilement le soutien du pape contre Joyeuse. Avec les ducs de Joyeuse, le conflit a en effet pour objet le gouvernement du Languedoc ; le roi tavait bien tenté de persuader Montmorency de l'abandonner 'contre le marquisat de Saluces ; en vain, et par lettres de Blois datées du 2 mars 1583, Henri III l'avait restauré dans son gouvernement dont il 1'avait précédemment dépouillé en faveur des ligueurs. Le duc de Joyeuse demeurera gouverneur du Languedoc pour la Ligue et la question ne sera véritablement tranchée qu'en 1592, près de Villemur quand Joyeuse vaincu se noiera dans le Tarn.

f Il faut noter qu'entre temps, en 1579, du fait de

la mort de son frère aîné, notre gouverneur avait abandonné le nom de Damville pour celui de Montmorency par lequel il est, depuis lors, ordinairement désigné.

La paix incontestée ne fut ramenée que par Henri IV à qui Montmorency s'était immédiatement rallié, ce qui lui valut d'être nommé connétable. Il est vrai que le dernier Joyeuse, le duc Henri devenu capucin sous le nom d'Ange, ne déposera les armes pour réintégrer son couvent qu'en 1599 et que ce n'est qu'à ce moment que Montmorency retrouvera son autorité sur l'Ouest de sa province.

Il n'y résidera plus guère, pris qu 'il est par ses fonctions de connétable, mais son pouvoir, exercé par son gendre et lieutenant général, Anne de Lévis, duc de Ventadour, n'y trouve plus d'obstacle. Son fils Henri II en jouira de la même manière, jusqu'à ce que Richelieu y mette fin en 1632 par la condamnation et l'exécution du duc : les | temps étaient autres et la rébellion ne faisait plus : recette.

Notre connétable-gouverneur était mort près de Pézenas le 1er avril 1614 âgé de 79 ans. Il avait voulu être

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enterré sans aucune pompe avec 1 'habit de capucin en l ' ég l i se des Capucins d'Agde qu' i l avait fa i t bâtir, témoignant ainsi d'une double f idél i té , à la foi catholique qu' i l avait toujours professée, ainsi qu'au Languedoc qui lui avait fourni 1 'assise constante de sa puissance et pour lequel i l resta comme un défenseur des privilèges de la province.

Pour l 'Histoire, Henri de Montmorency demeure comme l'un des leaders du parti des politiques dont les options ont abouti - au prix de beaucoup de sang versé et d'inconséquences - à une certaine tolérance de fa i t , à l ' idée d'une séparation des domaines du politique et du religieux, sans toutefois sacrif ier les options fondamentales : si Montmorency s ' a l l i e avec les huguenots, jamais i l ne renonce à sa foi catholique ; s ' i l s'oppose au roi, i l demeure sourd à toutes les ouvertures du Cardinal de Bourbon a l l i é à l 'étranger et reste fidèle au principe monarchique ; son immédiat ralliement à Henri IV qui en est le représentant, manifeste bien cette f idél i té .

Certes, i l entend, en échange, asseoir sa position et être payé de ses services, mais les ambiguïtés de sa position et de sa personnalité sont celles mêmes de son époque : égoïste, léger, volage, galant, homme de guerre scrupuleux, généreux, faste, ambitieux, à tel point que ses prétentions l 'ont fa i t passer pour le "roi non couronné du Sud", le satrape d'une principauté quasi autonome. Mais, on ne doit pas oublier qu ' i l ne fut pas le seul en son époque (les Guise en Champagne, Mercoeur en Bretagne, Mayenne en Bourgogne... ) qui voit la faiblesse de la royauté ; une royauté qui n'a elle-même pas eu de politique constante, mais a oscillé entre ultra-catholiques et politiques qui 1 'ont finalement emporté. On ne doit pas davantage oublier qu'au total Montmorency a maintenu en Languedoc l'influence . royale, qu' i l a finalement travaillé à l unification politique du royaume et que le gouverneur n 'é ta i t autre que le représentant de la personne du roi dans sa province.

Car l 'h i s to i re événementielle qu'il étai t indispensable de rest i tuer à grands t ra i ts , n est pas toute 1 'histoire. Le fracas des armes qui 1 'accompagne ne saurait cacher des réali tés persistantes, celles des institutions et

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du droit qui les régit. En ce domaine, l 'étude des gouverneurs constitue précisément un sujet plein d'enseignements. Ces hommes, ces grands du royaume, i l lustres par ailleurs, sont dans l 'exercice de leur charge, selon l'expression de Michel Antoine, "en pratique des inconnus". (*) L'histoire institutionnelle des provinces a consacré ses investigations à l ' h i s to i re des intendants, notamment à 1 'origine de ces commissaires, et 1 'on sait maintenant qu'elle se situe précisément dans l'entourage des gouverneurs dont i l s étaient les assistants techniques. Ainsi, "l'étude des gouverneurs est indispensable à une meilleure compréhension des moyens d'action du roi de France sur son royaume. Mais elle a une portée plus étendue : étant donné la qualité des personnages appelés à ces fonctions, c 'est toute la question du rôle des princes et des grands dans le gouvernement et l'administration de l 'Etat qu'elle met en cause". (*) A cette étude contribuent les pages qui suivent.

Françoise HILDESHEIMER

( >1") M. Antoine, "Les gouverneurs de province en France", dans Prosopographie et genèse de l 'Etat moderne, Paris, 1986, p. 185-194.

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C'est un texte datant de 1968 et toujours aussi novateur que nous livrons au lecteur avec le sentiment de lui faire partager une découverte et un enrichissement. Sa diffusion en son temps aurait épargné à la recherche historique bien des tâtonnements dans un secteur qui est, depuis quelques années, au premier plan de ses préoccupations. Nous le publions aujourd'hui sans aucune modification ni mise à jour autre que bibliographique ; celle-ci n'en modifie en rien le fond et les conclusions.

F. H.

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AVANT-PROPOS

Lorsqu'un jour déjà lointain le professeur Pierre Tisset nous proposa d'étudier l'institution des gouverneurs de Languedoc, nous n'avions qu'une très vague idée des imprévus du voyage que nous allions accepter

: d'entreprendre. L'existence du très remarquable - et déjà ancien - ouvrage de Dognon sur "Les institutions politiques et administratives du pays de Languedoc du XI Ile siècle aux guerres de religion" marquait logiquement par son terme le début de notre essai : celui-ci commencerait en 1559, année de la disparition prématurée et si lourde de conséquences du roi Henri II.

Bien sûr, la valeur de l'ouvrage de Dognon ne nous dispensait pas de reprendre personnellement l'examen approfondi des lettres de commission des lieutenants généraux envoyés en Languedoc depuis 1337 jusqu'à la nomination des premiers gouverneurs, sans oublier les lieutenants du roi envoyés antérieurement et épisodiquement dans les sénéchaussées méridionales ; mais elle permettrait de tenir pour acquises la plupart des conclusions de son auteur, sans avoir à reprendre la confrontation systématique des délégations de pouvoirs contenues dans les "lettres royaux" susnommées, avec l'exercice pratique de leur charge par ces commissaires.

Et Dognon concluant dans le sens de la doctrine, tant celle de l'époque que celle d'aujourd'hui, nous n'aurions, nous semblait-il, qu'à faire une monographie sérieuse mais d'élaboration assez aisée sur une institution qui nous était présentée comme dépassée et moribonde, hormis le militaire, dès le deuxième quart du XVIe siècle, et qui

: n'aurait dû qu'à l'occurence des guerres de religion son dernier sursaut, son convulsif et anarchique regain de toute puissance.

Or, la découverte progressive de documents en abondance inattendue pour la deuxième moitié du XVIe siècle nous a amenée à constater combien restait injustifiée la méconnaissance générale des méthodes administratives de la monarchie au début des guerres de religion.

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Certes, si les documents existaient, ils étaient difficilement exploitables tant par leur extrême dispersion et leur hétérogénéité que par leurs mutilations et leur caractère souvent obscur. Cette obscurité provenait pour une bonne part de ce qu'ils nous étaient parvenus corrme les survivants isolés d'un immense naufrage où avait disparu presque tout ce qui leur était connexe et qui nous aurait permis de les interpréter rapidement. Mais cette obscurité ne tenait pas qu'à cela. Elle était propre à des documents qui n'étaient en aucune manière administratifs au sens actuel du terme : jamais de notes explicatives, peu de déclarations circonstanciées d'intention. Du roi au gouverneur de Languedoc, des lettres de provision d'un laconisme passé en tradition depuis 1524, des volontés exprimées aux détours d'une correspondance tout à la fois publique et privée. Quant à l'activité du gouverneur dans la province, elle ne nous a le plus souvent été sensible qu'au hasard d'une délibération municipale ou des délibérations des Etats Généraux de la province. Autrement dit, hormis les comptes militaires, nous n'avons vraiment pu connaître le gouverneur de Languedoc que par tout ce qui n'était pas lui, c'est-à-dire les archives financières, les archives des villes et celles des Etats provinciaux, par de minutieuses confrontations des textes qui nous sont parvenus. C'est ici et là que se trouvaient les traces de pouvoirs que taisaient les lettres dites "de provision" et que la doctrine nous disait usurpés, quand elle les nommait.

Apparemment le gouverneur n'était nulle part. En fait, il était partout, et de l'aveu du pouvoir royal, tout au moins jusqu'en 1574. Pendant ces premières années de guerres, jusqu'à la rébellion déclarée le 13 novembre 1574, Henri de Montmorency-Damvi l le s'en fut en Languedoc au service du pouvoir royal, il y fut en quelque sorte l'agent de ce que nous appellerions aujourd'hui la déconcentration politique et administrative.

La mort de Henri II laisse à des rois trop jeunes la charge d'un royaume profondément divisé sur le plan religieux. Pendant quatre années, du 10 juillet 1559 au mois d'octobre 1563, le royaume de France et, en son sein, le gouvernement de Languedoc font par degrés l'apprentissage d'une guerre civile qui ne veut pas finir malgré la

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proclamation de la paix d'Amboise. L'histoire de ces quatre années, dont les vicissitudes vont conduire la monarchie à renouer dans un nouveau contexte avec les pratiques administratives dont elle avait usé vis-à-vis du sud du royaume pendant la guerre de Cent Ans.

En octobre 1563, le gouverneur de Languedoc arrive donc dans son gouvernement, envoyé en résidence par le pouvoir royal. La guerre qui déchire le royaume a conduit la monarchie à employer personnel lement Henri de Montmorency-Damvi 1 le. Cette année 1563 marque donc un tournant décisif dans l'histoire de notre institution car un siècle d'absentéisme s'est écoulé depuis la nomination en 1440 de Charles, comte d'Anjou et du Maine, et l'autorité du gouverneur va se trouver désormais directement confrontée aux réalités locales.

Quelle est donc la nature de cette autorité ? Si nous nous étions contentées de connaître, pour les énumérer, les pouvoirs que Damville exerça en Languedoc entre 1563 et 1574, il nous aurait suffi, puisque ses lettres de provision sont parfaitement laconiques, de faire l'inventaire de son activité pendant cette période. Mais précisément, tout nous incitait à ne pas nous satisfaire de cet empirisme et à rechercher dans le passé de la charge du gouverneur de Languedoc, par delà les modifications historiques de son contenu, sa vérité profonde, sa nature juridique.

Avec l'aide des renseignements que nos recherches nous avaient fournis, et des controverses dont fait état la doctrine, nous sommes donc revenue en arrière jusqu'au XVe siècle ; nous avons comparé la diplomatique des lettres de provision, les ordonnances royales et les réalités successives de notre institution - telles que nous les livrait Dognon ou telles que nous les avions découvertes - pour tenter de percer un mystère que la monarchie d'Ancien Régime ne prit jamais la peine d'éclaircir et que la doctrine de la fin du XVIe siècle semble avoir obscurci à plaisir. C'est ce à quoi nous avons consacré une abondante et un peu aride première section.

Nous en avons en effet réservé une seconde aux deux " l ieutenances générales" ou comnissions extraordinaires

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que Damville eut aussi à exercer et qu'il nous a paru utile d'étudier ici pour les compléments d'information qu'elles apportent à la nature de la charge, bien distincte mais voisine, qui nous intéresse. Et nous avons enfin clos ce chapitre d'analyse d'un statut sur la description des organes de gouvernement qui entourent éventuellement Henri de lVbntmorency-Damv i l le lorsque celui-ci réside, ou qui le remplacent pendant ses absences.

Cela fait, nous avons regroupé en deux chapitres successifs différents pouvoirs qui nous ont paru s'apparenter selon qu'ils exprimaient l'autorité du gouverneur en face des privilèges provinciaux et locaux ou, si l'on veut, en face de la Constitution politique du pays, ou bien selon qu'ils s'exerçaient dans les domaines réservés que furent les affaires militaires et leur financement.

En réalité, de même que les relations du gouverneur avec les corps constitués du pays, comités municipaux et Etats généraux, ne pouvaient pas ne pas se ressentir de l'état de guerre, de même le gouverneur n'allait pas laisser l'assemblée représentative de la province se désintéresser du financement de cette guerre. Cependant le plan adopté nous a semblé justifié par l'intérêt propre que présentent d'une part les relations d'autorité centralisatrice à autorités locales, et d'autres part le détail d'affaires militaires et d'une politique financière jusqu'ici inconnues et sur lesquelles nous avons cru devoir longuement nous étendre.

Un dernier chapitre s'emploie à décrire, sur le fond de guerre dont le Languedoc fut à nouveau le théâtre après la Saint-Barthélemy, les véritables responsabilités de la rupture survenue en 1574 entre le pouvoir royal et Henri de IVbntmorency-Damvi l le, et du violent manifeste que lança ce dernier le 13 novembre 1574.

Enfin une conclusion générale fait la synthèse de ce que nous avons analysé, et donne, nous l'espérons, sa pleine lumière à 1'"office" du gouverneur et lieutenant général en Languedoc.

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I NTRODUCT I ON

LE LANGUEDOC ET LA PREMIERE GUERRE CIVILE

1559 - 1563

Il y a trois choses que l'on doit craindre infiniment en toute principauté, l , im- mensité de debtes, minorité d'un Roy, et remuement de Religion ; car il n'y a celle de ces trois qui ne puisse particuliè-rement apporter mu- tation d'un Estat. Combien doncques les trois se trouvans aujourd'hui concurrer ensem- ble, nous doivent-elles ap- prester de peur ?

Pasquier, Les Oeuvres, Livre IV, Lettre XIV, 1562.

La mort prématurée du roi Henri II, le 10 juillet 1559, ouvrit une lourde succession. La paix qui venait d'être signée avec l'Espagne au Cateau-Cambrésis, le 3 avril, marquait la volonté du roi de se tourner exclusivement vers les problèmes que soulevait la situation intérieure de la France : un trésor vide à remplir par les moyens d'un pays fatigué, l'hérésie calviniste qui "infestait" alors près du tiers du royaume, à extirper (1). A ces deux lourdes tâches vinrent s'ajouter, à l'avènement de François II, puis bientôt après à celui de son très jeune frère Charles IX, les extrêmes embarras causés par les luttes d'influences dont le conseil du roi fut l'enjeu.

Avec Henri II disparut le crédit tout puissant du vieux connétable de Montmorency (2) remplacé auprès de

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François II par les Guise, oncles de la jeune reine Marie Stuart (3) ; le cardinal de Lorraine prit soin notamment de l'administration des finances et de la justice, le duc de Guise, des affaires de la guerre. L'habileté du premier, la renonmée du second, leur ambition, leur rigueur dans l'application des édits contre ceux de la religion malgré la présence à partir de juillet 1560 du chancelier de l'Hospital, les firent bientôt apparaître corrme les chefs véritables des catholiques, redoutables pour le pouvoir royal lui-même.

En décembre 1560, la maladie et la mort de François II qui firent échapper le prince de Condé à l'exécution capitale (4) encourue pour sa participation à la conjuration d'Amboise et qui permirent d'autre part le retour en grâce de Montmorency, furent l'occasion pour Catherine de Msdicis de prendre, avec la tutelle du jeune roi Charles IX, la "principale direction des affaires". Après s'être en quelque sorte débarrassée d'Antoine de Navarre qui prétendait à la régence du royaume en lui confiant une lieutenance générale cantonnée aux seules affaires militaires (5), la reine mère gouverna de façon à tenter de maintenir la balance égale entre le triumvirat catholique que constituèrent à partir d'avril 1561 le maréchal de Saint André et les ennemis de la veille, le duc de Guise et le connétable de Montmorency d'une part, et le parti adverse dont le prince de Condé était devenu le chef d'autre part. L'arbitrage des forces politiques en présence prit le pas sur l'unité de foi. Soutenue par le chancelier : de l'Hospital, Catherine de Médicis s'engagea donc à l'égard des religionnaires dans la voie d'une politique de tolérance qui ne pouvait en réalité être comprise d'aucun des deux partis. L'intolérance des uns n'avait d'égale que celle des autres.

Au rebours des espérances royales, tout était "en vray chaos et confusion" au printemps de 1562, et la personne même du roi devenait l'enjeu de la lutte d'influence entre les triumvirs et le prince de Condé (6). Au mois d'avril toutes les églises réformées se dressèrent à l'appel que leur lança ce dernier tant pour "l'honneur de Dieu" que "la délivrance" du roi et de la reine mère (7). C'était l'entrée dans une guerre civile qui ne devait

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prendre fin qu'après l'assassinat du duc de Guise devant Drléans le 18 février 1563, par des négociations entre les :deux capitaines ennemis, tous deux captifs du camp adverse depuis la bataille de Dreux (19 décembre 1562), le connétable de Montmorency et le prince de Condé (8). Signée le 12 mars, la paix fut sanctionnée le 19 par l'édit d'Amboise, "première manifestation d'un statut véritable de tolérance" (9). La paix s'était ainsi jouée entre l'armée royale et l'armée du prince, mais le royaume tout entier s'était plongé dans le conflit.

Pendant ces quatres années le gouvernement de Languedoc fut l'un de ceux dont la vie fut très gravement bouleversée, d'abord par le développement de la sédition calviniste, puis par la guerre. Son gouverneur était en 1559 Anne de IVbntmorency lui-même, grand favori de Henri II qui l'appelait fami 1ièrement "son compère", l'avait réinstallé à son avènement à la tête des affaires du royaume, et l'avait fait duc et pair en 1551 (10). La mort du roi corrme la politique alors suivie à l'égard des "sectateurs" avaient quelque peu effacé, entre les mains du connétable, sa charge de gouverneur en Languedoc. Disgracié sous François II, le "dernier grand officier ministre" de la monarchie (11) ne recouvra pas la direction des affaires en 1561 ; d'abord éclipsé par les Guise aux yeux des autorités de la province, il fut ensuite hostile à la politique d'inclination vers la tolérance de la reine mère et du chancelier ; cette politique, il la savait inopérante par ce que lui en écrivait son lieutenant en Languedoc le vicomte de Joyeuse, mais il ne put transmettre à ce dernier les ordres qui eussent peut-être enrayé la rébellion.

En mars et avril 1562 il fut des triumvirs qui réussirent à faire pencher Catherine de Médicis vers le parti des catholiques (12) et il se jeta dans une guerre qui réconciliait ses convictions profondes et son loyalisme politique. Ses devoirs de connétable ne lui firent cependant pas oublier le sort de son gouvernement sur lequel veillait Joyeuse, promu le 4 mars 1561 lieutenant général en son absence en remplacement du comte de Villars (13) ; mais Montmorency ne put faire que la profonde division de la province (13 bis) ne fût redoutable pour l'autorité du nouveau lieutenant général auquel s'opposait maintenant en

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toute initiative le comte de Crussol. Aussi lorsqu'il s'agit enfin de promouvoir en Languedoc l'application de la paix d'Amboise, Joyeuse ne put seulement obtenir un désarmement réciproque. Le pouvoir royal négocia donc avec le gouverneur, Anne de Montmorency, l'envoi et le séjour de quelques très grands personnages dont la qualité et l'autorité s'imposeraient à tous. Il fut finalement décidé que le gouverneur lui-même viendrait dans une province au préalable visitée par le maréchal de Viei l levi l le. Mais ce gouverneur serait désormais Henri de MDntmorency-Damvil le, second fils du connétable qui fut pourvu le 12 mai 1563 (14) sur la démission de son père.

En décidant l'envoi en résidence du nouveau gouverneur de Languedoc, le pouvoir royal rompait avec des errements de plus d'un siècle ; il renouait avec les pratiques administratives dont il avait usé vis-à-vis du royaume pendant la guerre de Cent Ans et dont il ne tarderait pas trop à ressentir à nouveau tout le danger. La guerre civile qui se développa entre 1559 et 1563 et qui bouleversa si profondément la vie du Languedoc était la cause de ce qui allait être à tous égards un événement de première importance tant pour la province que pour son gouverneur. Aussi convient-il de revenir sur nos pas pour retracer avec quelques détails l'histoire de la sédition calviniste en Languedoc de 1559 à 1563 ; les données du problème qui se posera dès lors, et de plus en plus tragiquement, à la royauté pendant plus de trente années seront ainsi établies une fois pour toutes.

1 - Le développement des troubles en Languedoc, juillet 1559-mai 1562

En 1559, la nouvelle religion continue à ; s'étendre dans le gouvernement de Languedoc par le zèle des prédicants venus de Genève. Sous les règnes précédents beaucoup d'entre eux ont cependant été poursuivis et brûlés ou condamnés à la prison perpétuelle pour avoir prêché dans de nombreuses villes du pays (15). Malgré ces rigueurs plus de quarante villes y ont en 1560 des églises parfaitement organisées (16) dont l'implantation géographique est désormais fixée dans ses grandes lignes. Ces églises se

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!situent presque toutes, aux trois exceptions notables de Castres, Roquecourbe et Pamiers, dans la partie orientale de la province ; ce n'est pas que le prosélytisme des ministres in'ait gagné beaucoup de consciences à l'ouest, mais la rigueur du Parlement de Toulouse l'a dans une grande mesure rendu clandestin, cornue elle a gêné l'organisation des nouveaux convertis. Pourtant ceux-ci sont nombreux dans le Haut-Languedoc, que ce soit au nord de la sénéchaussée de Toulouse ou au nord-ouest de celle de Carcassonne, dans le pays d'Albigeois. Mais c'est à l'est que la densité des religionnaires est particulièrement forte, c'est à dire dans toute l'étendue de la sénéchausée de Beaucaire. Dans les principales villes de cette sénéchaussée, où les artisans fournissent près de 70 % de l'effectif rel igionnaire et la petite et moyenne bourgeoisie quelques 15 % (17), c'est à l'entregent des "jeunes hommes de maison de toutz estat" que la nouvelle religion doit ses ministres genevois, et, partant, sa diffusion (18). A Montpellier où la parole de l'un d'eux fait merveille en juillet 1560, forts de leur nombre les "sectateurs" sortent rapidement de leur clandestinité première (19) ; ils s'octroient deux temples, l'école de grammaire ou Ecole Mage et l'église Saint-Mathieu prise sur les ecclésiastiques "étonnés" qui jugent bon de mettre leur personne et leur reliquaires à l'abri des lourdes portes de Saint-Pierre (20). Mais partout, note Joyeuse le 15 septembre 1560, dans le moindre "petit lieu de la sénéchaussée" le culte réformé se célèbre ouvertement (21).- A Nîmes, il y a beau temps que les rel igionnaires grossis d'"étrangers du plat pays ou d'ailleurs inconnus", n'ont pas craint le lundi même de Pâques de marcher par la ville, tous armés, d'une manière bien "libertine" (22).

A ces convertis menés par les gens venus de Genève et "cuidans planter par force d'armes les nouvelles :opinions qu'ils tiennent en la religion" (23), sont venus s'adjoindre petit à petit les désoeuvrés et les mécontents, les nécessiteux qui sont "pratiqués par argent" (24). En septembre 1560, Joyeuse dénonce au roi ces "gentilshommes des pays de petit lieu qui se sont rendus aux dites villes avec nombre de soldats portant armes" et que les rel igionnaires s'attachent par divers biais à gagner à leur cause (25). Il affirme même y reconnaître "de bien cogneu qui sont esté à la faction d'Amboyse" (26). Ce ne sont plus

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seulement les réunions de religionnaires avec armes ou sans armes, ces "assemblées illicites et forces publiques" si nombreuses et fréquentes, qui sont à craindre, mais notamment les mouvements de ces soldats, Joyeuse hésite dans ses estimations entre 1200 et 800 (27), qui partent en septembre de Montpellier et de Nîmes pour se joindre à ceux de Provence, mais s'arrêtent avant le passage du Rhône pour s'en retourner finalement chez eux ou gagner les Cévennes. Gentilshomoes et soldats, groupés en petites troupes, ne craignent plus d'aller et venir avec ostentation à travers la province, s'abouchant étroitement avec ceux de Guyenne et de Dauphiné, amassant des armes (28).

Les points forts de cette sédition sont quelques villes - IVfontpel l ier, Nîmes, Castres et, en dehors du gouvernement mais toujours dans le ressort du Parlement de Toulouse, Villefranche-de-Rouergue, Cahors et Figeac - où, en ce même mois de septembre 1560, l'organisation religieuse des réformés apparaît doublée d'une organisation militaire propre et d'une organisation financière qui pourvoit à l'ensemble des frais (29). En effet, les calvinistes de ces villes se sont donnés des gouverneurs militaires qu'ils ont choisis dans la petite noblesse ; ils lèvent et arment des soldats par le moyen de contributions volontaires. Toutes les sorrmes récoltées là et ailleurs sont centralisées par des receveurs et ordonnancées ensuite par des responsables ; tous opèrent dans une semi-clandest ini té comme le fait apparaître l'incident que voici : le courrier d'un certain Du Boys de Nîmes a été intercepté, qui a fait connaître son intelligence avec Mbntbrun et l'assurance qu'il donnait à ce dernier de pouvoir lui fournir jusqu'à 8.000 livres. Mais au roi qui lui a demandé une enquête sur ce Du Boys, Joyeuse répond n'avoir trouvé à Nîmes aucun homme de ce nom : les responsables "se donnent autre nom que leur propre" (30). ■

Ces assemblées publiques ou privées, avec armes i ou sans armes, ces levées de soldats enfin, prouvent à ; l'évidence que les milliers de religionnaires de la Province ne craignaient guère les peines judiciaires qu'édictait à j leur encontre la législation royale. Sur les plaintes ] qu'avaient soulevées en 1557 les abus corrmis par les ! inquisiteurs de la foi, Henri Il avait donné au Parlement la j connaissance du fait de la religion quand il y aurait j

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candale ou trouble public de la part des "sacramentaires" 31). Deux édits de François II, des 9 et 14 novembre 1559 endirent plus aiguë la lutte contre l'hérésie et les roubles qu'elle entrainait : le premier ordonnait la peine e mort contre les fauteurs d'assemblées illicites ; le econd demandait au Parlement de procéder de manière nquisitoriale contre les "sacramentaires" (32).

En Mai 1560, l'édit de Romorantin voulu mettre es justiciables à une meilleure portée de la justice et il essaisit les Parlements de leur double compétence : la épression des "assemblées illicites et forces publiques" et e châtiment de leurs fauteurs-prédicants, imprimeurs et endeurs de libelles - furent confiés en dernier ressort aux résidiaux, tandis que les ordinaires recouvraient leur ompétence en matière d'hérésie, à l'exclusion de tous juges oyaux (33). Ce fut le plus souvent mettre l'ordre public à a merci du zèle affecté des magistrats qui ne manquèrent as, à l'occasion, de s'excuser sur l'absence des sénéchaux t la carence de la main forte qu'ils auraient pu en ttendre (34). Les séditieux saisis à Nîmes en avril 'étaient pas encore passés en jugement au moi de septembre 35). Il est vrai que bien souvent la justice se retenait de 'exercer pour ne pas augmenter les troubles (36). De toute açon, elle était bien désarmée : en septembre 1560, une :annission du Parlement se rendit à Pamiers sur ordre du 'oi, pour y juger d'une grave émotion : les coupables furent 'ris, leur, procès engagé, mais corrme on était sur le ugement, les prévenus s'avisèrent de récuser leurs juges tellement que la court du Parlement voulant juger lesdites 'écusations, s'est trouvée toute récusée" (37). A Nîmes, 'insécurité était telle qu'une partie des officiers udiciaires menés par le lieutenant civil, Jean d'Albenas, >référa vider les lieux pour trouver finalement refuge dans .a propre maison de Joyeuse dans le Vivarais (38).

Guillaume, vicomte de Joyeuse, assistait impuissant à tous ces désordres. Il n'était pas lui-même lieutenant général du roi en Languedoc en l'absence du gouverneur, le connétable de Montmorency. Cette fonction appartenait depuis le 5 août 1547 (39) à Honorat de Savoie, :omte de Villars, propre beau-frère de Montmorency, qui ne /enait plus guère dans la province que pour y ouvrir l'assemblée des Etats. La tranquillité du Languedoc, la

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situation du connétable à la tête des affaires du royaume, la propre qualité du lieutenant général en son absence, de surcroît étranger au pays, avaient alors semblé ne plus justifier la présence continue de ce dernier dans une province que Montmorency gouvernait du Conseil royal (40). Aussi le gouverneur s'était-il nomné un représentant permanent en Languedoc qu'il avait choisi dans la noblesse du pays et qui portait indifféremment le titre de lieutenant du gouverneur ou de lieutenant du roi. A Jean de Joyeuse, seigneur d'Arqués et capitaine de Narbonne nommé le 6 juin 1550 (41), avait ainsi succédé en 1556 (42) le second de ses fils, Guillaume, alors pourvu de l'évêché d'Alet dont il devait se démettre l'année suivante (43).

En 1560, Joyeuse - qui venait d'épouser une nièce par alliance du connétable de Montmorency (44) - ne cessa pas de tenir tant ce dernier et Villars que le roi et le duc de Guise au courant des progrès de la sédition calviniste en Languedoc. Intimement persuadé de la nécessité d'adjoindre au plus tôt la force armée au bras de la justice si l'on voulait éviter "une totale subversion" (45), il fut cependant laissé sans aucun secours dans un gouvernement totalement démuni de troupes. COmment aurait-il pu dans ces conditions déférer aux instructions de Montmorency et désanner les rebelles (46) ? Ainsi, il ne quitta sa résidence de Joyeuse en Vivarais qu'à deux reprises ; ce fut pour "donner la loy" en personne aux magistrats de Nîmes et de Pamiers dont les villes furent respectivement, en avril et septembre, le théâtre d'une véritable émeute. D'ailleurs, le roi ne lui demandait encore en septembre que de faire crier de n'avoir pas à s'assembler sous peine de la hart (47), et Joyeuse pouvait écrire non sans amertume au cardinal de Tournon : "j'ay ce malheur que S.M. et lesdits seigneurs cuident que les advertissements que j'en donne ne sont que fables pour le peu d'ordre que je vois qu'ils y donnent" (48). En réalité Joyeuse savait à la date du 8 septembre que le pouvoir royal s'était décidé à une action d'envergure, mais celle-ci ne lui avait pas été confiée ; elle serait le fait de Villars qui allait être envoyé à la tête de quelques 400 gendarmes et 6.000 honnies d'infanterie (49).

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A vrai dire, le lieutenant général ne semble pas être arrivé à Beaucaire le 8 octobre (50) avec une suite aussi nombreuse. Quoiqu'il en soit, son appareil militaire comme ses premiers actes plongèrent dès son arrivée la province dans une sorte de torpeur. De Beaucaire où il ouvrit le Il octobre l'assemblée des Etats généraux du pays et où il fit incontinent brûler "deux ou trois charges de livres hérétiques venus de Genève" (51), Villars mit une main armée sur les principales villes du bas Languedoc : le sieur de Saint-André, le vicomte de Cheylane, tous deux avec le titre de gouverneurs et Joyeuse lui-même furent respectivement chargés de rétablir l'ordre à lVbntpellier, Nîmes et Aiguës-Martes avec l'aide de quelques troupes (52), tandis que le baron de Caylus, alors colonel des légionnaires de Languedoc, levait sur l'ordre de Villars (53) 6 enseignes d'infanterie avec lesquels il tint la région de Pézenas, Gignac et Montagnac (54).

En réalité, Villars paraît avoir établi une distinction très nette au sein des religionnaires. Il distingue d'une part, ceux qui avaient rompu l'ordre public soit en organisant leurs églises - et c'était les ministres et les consistoires - soit en s'organisant mi litairement et financièrement "ainsi qu'on présupposait" (55), et d'autre part, la masse des fidèles coupables seulement "d'avoir oy les prêches et doctrine des ministres" (56).

C'est à rencontre des premiers qu'il fit demander au roi par le duc de Guise auquel il écrivit le 21 octobre (57) ce pouvoir de "les faire prendre et pugnir" dont Joyeuse avait parlé au connétable de Montmorency le 16 septembre (58). Ce pouvoir, qui lui fut envoyé le 4 novembre, lui donnait une autorité absolue sur le prévôt de Languedoc que Villars pouvait désormais suspendre de sa charge s'il le trouvait "trop connivent à la malheurté de ces bellistes et séditieux" (59) ; en même temps, le roi adjoignait au lieutenant général une commission du Parlement - un président, deux conseillers et le procureur du roi - qui procéderait criminellement contre les coupables (60). L'action conjuguée de Villars et des commissaires fut assez rigoureuse pour qu'un réformé tel que Jean Philippi, alors général des finances, pût ensuite considérer que la mort de François II avait interrompu le développement d'une grande

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persécution (61). En fait, si Villars contraignit le prévôt à "dépescher" le ministre d'Aigues -ÎVbr tes (62), si les commissaires besognèrent longuement à Beaucaire et condamnèrent eux aussi à la pendaison (63), beaucoup d'entre ces procédures furent faites par défaut, la plupart des ministres et "de leurs fauteurs" ayant fui à l'approche des garnisons (64), tandis que des bandes de rel igionnaires armés gagnaient les Cévennes (65).

Le danger de la fuite des prédicants, de ce "desgel", était, aux dires de Rover Béccaria de Pavie, baron de Fourquevaux et gouverneur en titre d'office de la ville de Narbonne, la propagation de la nouvelle religion dans des lieux qui en avaient été à peu près nets jusque-là (66). Aussi demanda-t-il à Villars l'autorisation de fermer les portes de Narbonne aux étrangers dépourvus des certificats de bonne catholicité que délivraient les consuls (67). Quant aux fugitifs armés des Cévennes, le lieutenant général les y poursuivit au mois de novembre (68), mais il ne put que faire raser les maisons de quelques gentilshommes (69) et rétablir le culte catholique là où il avait été interrompu (70) ; à une exception près, Villars ne s'y heurta à nul rassemblement séditieux (71), toute rébellion semblait s'être évanouie.

Quant à la masse des fidèles, si elle fut exclue comme à Nîmes de l'administration consulaire sur une ordonnance de Villars qui interdit de Beaucaire, le 14 novembre, que fussent élus les suspects de la ville, et confia le contrôle des élections au gouverneur militaire (72), elle souffrit généralement du seul poids des garnisons (73). En effet, faute d'assignation pour l'entretien de ses troupes, Villars les fit vivre sur le pays à la foule de celui-ci (74), mais les garnisons furent entretenues par les seuls religionnaires. Ce fut d'ailleurs là l'intention exprimée le 4 novembre par le roi (75). Cependant l'ordre bientôt rétabli dans une ville corme Montpellier où Villars avait fait haranguer le peuple en sa présence par le juge mage (76), le fit intercéder en faveur des religionnaires de la ville auprès de Montmorency, auquel il demanda d'obtenir du roi la décharge des garnisons (77). François II ne paraît pas avoir cédé à la miséricorde sollicitée par Villars, puisque dans une commission du 21 novembre ce dernier taxa

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817 religionnaires de Montpellier qui devaient contribuer jusqu'au mois de mars à l'entretien de garnisons de la présence desquelles ils étaient responsables (78).

L'ordre semblait rétabli et Villars se retira en décembre à Vauvert (79). D'après l'historien réformé Régnier de la Planche cité non sans précaution par Picot dans son Histoire des Etats généraux, Villars aurait prévenu le duc de Guise dans les premiers jours du mois contre les députés des sénéchaussées de Languedoc aux Etats généraux d'Orléans (80). Quoiqu'il en soit, la mort de François II détourna l'intérêt de Villars. Au retour d'un voyage en Provence, il écrivit d'Avignon le Il janvier 1561 à Montmorency combien la nouvelle d'une amnistie générale avait fait sortir de l'ombre les religionnaires séditieux : "Ils recommencent de plus beau que jamais et dressent si haut les oreilles que on doute qu'il n'advienne pis qu'il n'est" sans exemplaire punition (81). Mais le souci du maintien de l'ordre dans la province était maintenant totalement éclipsé chez Villars par le désir de revenir à la Cour pour vivre des événements qui y bouleversaient les influences. En même temps qu'il relatait brièvement à Montmorency la situation du Languedoc, le lieutenant général le supplia d'autoriser son propre départ de la province et d'y renvoyer Joyeuse (82).

En fait, le nouvel avènement qui vit le retour à la Cour de Montmorency (83) et qui allait amener un complet "changement et mutation d'opinions" (84) par la Régence de la reine mère, le relatif éloignement des Guise et l'importance nouvelle d'Antoine de Navarre, fut de conséquence et pour Joyeuse et pour la charge de lieutenant général en Languedoc en l'absence du gouverneur. En effet lorsque Joyeuse regagna la province pour y ouvrir à Montpellier, le 20 mars, une assemblée exceptionnelle des Etats (85), il était porteur de lettres royaux du 4 mars 1561 (86) qui le nomnaient lieutenant général en Languedoc en remplacement de Villars. Celui-ci écrivit le 8 mars aux Etats que le roi avait voulu le retenir auprès de lui et que lui-même s'était démis de sa charge entre les mains de Charles IX "pour l'amour" de Joyeuse (87). La promotion de ce dernier était certes due à l'action conjuguée de Montmorency et de Villars, mais sa cause profonde, qui fut inscrite dans une clause expresse de provisions par ailleurs

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extrêmement laconiques puisqu'elles donnaient à Joyeuse sans plus de précision les pouvoirs jusque là exercés par son prédécesseur, était la nécessité désormais ressentie d'une résidence continue de lieutenant général dans la province (88). Ce retour au principe de l'institution, dicté par les circonstances, était le signe avant-coureur du prochain envoi en résidence du gouverneur lui-même ; sa conséquence directe fut la suppression tacite et définitive, en ce qui concerne le Languedoc, de la charge inférieure de lieutenant du roi ou du gouverneur que Joyeuse avait exercée jusque là, et désormais inutile.

L'entrée en charge du nouveau lieutenant général en Languedoc s'était faite sous les auspices des Etats du pays où elle avait la plus grande résonnance possible. Par ailleurs, la conjonction à l'occasion de cette assemblée des autorités politiques et administratives de la province y avait ramené un calme provisoire, comme à l'accoutumée ; à IVtontpel1ier lieu de la session, les assemblées calvinistes avaient brusquement cessé (89). Aussi Joyeuse put-il croire qu'il allait désormais avoir à jouer dans le pays et de façon permanente le rôle éminent et brillant qui avait été celui de Villars. "Je m'obmectray rien pour le debvoir que je dois à vostre service", écrivit-il au roi le 14 avril dans une lettre qui respirait l'assurance qui était alors la sienne, bien qu'il connût en partie les difficultés qui l'attendaient (90).

L'amnistie générale du 28 janvier 1561 (91), accordée à la condition que tous ceux qui ne voudraient pas vivre catholiquement sortiraient du royaume, eut pour résultat irrmédiat de faire renaître les prêches calvinistes sous l'action de ministres, genevois ou enfant du pays, qui exerçaient "publiquement et ordinairement" (92), de jour et les "portes ouvertes" (93). Non seulement les bandes armées resurgissent un peu partout à Lectoure et surtout dans le bas Languedoc (94), mais la nouvelle religion gagne un imnense terrain ; c'est désormais une "infinité de peuple" qui assiste aux prêches (95), "le nombre desd. priantz" croissant "tous les soirs" (96) et les deux religions se partageant désormais chaque famille (97), dont "s'ensuivoient plusieurs noyses et querelles privées jusques à meurtres, à quoy, pour éviter sédition, la justice n'ozoit

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mettre la main" (98). La ville d'Albi est "infectée d'hérésie luthérienne" par le canal du corrmerce avec les Flandres et les moines s'y défroquent (99). A Lectoure, le 19 juin, une commission du Parlement de Toulouse est faite prisonnière par une assemblée de quelques 3.000 personnes (100). A iVbntpellier, les catholiques rivalisent d'émulation et, les jours fériés, bravent les réformés qui le trouvent "maulvois" de leurs processions solennelles ou de leurs danses (101).

Toute cette agitation devait croître encore après l'édit de juillet 1561 (102). Cet édit qui vint renouveler à rencontre des réfonnés l'injonction de vivre cathol iquement et l'interdiction de se rassembler avec ou sans armes, interdisait cependant aux gens de justice, et ce "par forme de neutralité" (103), d'informer abusivement (104). C'était permettre l'exercice privé de la religion réformée (105), tandis qu'à l'issue prochaine du colloque de Poissy ses ministres allaient déjà demander des temples (106) ; et Pasquier put écrire : "Certainement, ces affranchissements graduels et par lesquels on saute d'un degré à l'autre, nescio quid monstri alunt" (107).

De fait, le pouvoir royal avait décidé quelques mesures de force pour faire cesser les séditions et assurer l'observation de l'édit de juillet qui était en quelque sorte provisionnel puisque l'on attendait l'impossible conciliation de Poissy. En Languedoc, Joyeuse fut pourvu d'une compagnie de 30 arquebusiers et il reçut l'ordre d'installer des gouverneurs militaires dans les villes les plus troublées (108) tandis que le roi nannait lui-même le sieur de Terride à Toulouse (109) et le sieur d'Ambres à Lavaur (110). Mais là où ils étaient nombreux, les religionnaires réduisirent ces gouverneurs à l'impuissance et ils réussirent malgré eux à s'emparer des principales 'églises pour en faire des temples cornue cela se passa aussi à IVteaux, Blois et Orléans (111). A Lavaur, le sieur d'Ambres ne put qu'"engager" les religionnaires séditieux à déposer les armes ; il fut impuissant à les chasser de la ville comne à y interrompre les prêches (112). La plupart des gouverneurs installés par Joyeuse subirent le même sort et préférèrent abandonner la place, tel celui de Montpellier (113). A Toulouse cependant, Terride réussit enfin, grâce à

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l'appui du Parlement et malgré les capitouls, à faire porter les armes à l'arsenal de la ville (114). Quant à Joyeuse, il tenait dans une soumission précaire et par la force de ses gens d'armes les villes de Carcassonne, Pézenas et Béziers (115). Avec elles étaient seules exemptes d'assemblées calvinistes, à la date du 17 septembre, Beaucaire, Narbonne et Albi d'où le cardinal Strozzi, nouvel évêque du diocèse, venait de réussir à déloger les "plus fougueux" (116).

Partout ailleurs, les réformés s'emparèrent bientôt des églises pour les besoins de leur culte (117) ; du côté de Toulouse, ils étaient déjà maîtres de la campagne (118). Aussi Joyeuse décida d'autoriser les villes à s'armer pour se défendre contre leurs propres divisions (119) ; lui- même envoya quelques soldats tenir garnison à iVbntpell ier (120), tandis que le Parlement de Toulouse dépêchait des commis sa ires dans le bas Languedoc (121). Mais la tenue du colloque de Poissy et les ouvertures de religionnaires modérés incitèrent le pouvoir royal à désavouer le 6 octobre les mesures de Joyeuse et à faire discontinuer dans le même temps les procédures de la corrmission toulousaine (122). D'ailleurs, le 20 octobre un édit venait ordonner l'interdiction du port d'armes et l'abandon par les réformés des églises qu'ils avaient saisies (123).

Cet édit que Joyeuse fit publier à Montpellier le 20 novembre y reçut quelque exécution (124), mais partout les deux confessions étaient désormais totalement ennemis et d'ailleurs séparées par de meurtrières émeutes. A Montpellier, les 19 et 20 octobre un coup de feu tiré par un soldat de la garnison de Saint-Pierre, assiégée avec les chanoines et quelques fidèles par les religionnaires, avait déchaîné ceux-ci qui tuèrent 30 à 40 catholiques, persécutèrent les prêtres et religieux, pillèrent environ 40 1 églises et chapelles et mirent ainsi fin au culte catholique , (125). A Béziers le 11 octobre, Joyeuse avait été contraint de faire tirer pour sauver le lieutenant de sa compagnie assiégé lui aussi (126). Par contre, dans la ville basse de Carcassonne et à Villeneuve-lès-Avignon, ce furent les catholiques qui massacrèrent les réformés (127).

Placé devant l'alternative "malaisée" ou bien de faire vivre les uns et les autres "en amitié et fraternité",

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ou bien de bannir la nouvelle religion par les armes ou le massacre, ce qu'il savait impossible sur la force des religionnai res et se refusait de toutes façons à entreprendre (128), le pouvoir royal préféra s'engager plus avant dans la voie d'une reconnaissance officielle de la religion réformée. Le 6 octobre déjà, en même temps qu'il lui ordonnait de punir les séditieux, le roi avait demandé à Joyeuse de ne pas tourmenter le peuple pour cause de religion (129). Le 10 décembre (130), la double tâche de faire appliquer l'édit d'octobre et de parvenir à ce que chacun vécût à sa mode, fut confiée pour l'ensemble des gouvernements de Languedoc, Dauphiné et Provence à Antoine comte de Crussol et vicomte d'Uzès (131).

Le choix de Crussol pour cette mission de confiance et de prestige était à la fois un nouveau témoignage de la faveur royale et une habileté politique. Ce gentilhomme de Languedoc avait vu sa fortune croître par la faveur de Henri II et de Catherine de Médicis. "Homme de la reine mère - dont il était chevalier d'honneur (132) - et fort changeant comme elle" (133), il avait joué un rôle de quelque importance à l'assemblée des Etats de Languedoc réunis par Joyeuse à Montpellier en mars 1561 ; sa qualité de membre du Conseil privé, le calvinisme notoire de sa mère, Jeanne de Genouillac, avaient alors fait de ce membre de la noblesse aux Etats l'intercesseur auprès du roi des religionnaires de la province (134). Son influence s'était nourrie de la récente disgrâce du gouverneur, le connétable de Montmorency, et les Etats de Languedoc avaient pu remercier le roi et la reine mère "d'avoir continué en leurs affaires" tant Montmorency que Crussol (135). En décembre 1561, il était celui qui pourrait le plus aisément faire entendre aux réformés la volonté royale.

Le 8 janvier 1562, Crussol manda à Villeneuve- 'lès-Avignon les officiers royaux et les magistrats municipaux de la sénéchaussée de Beaucaire pour leur signifier les ordres royaux (136). Le 13 janvier, il commit une ordonnance par laquelle il interdisait le port des armes, mandait aux réformés d'abandonner les églises et Idéfendai t les violences réciproques (137). Pour avoir reçu ides rel igionnai res des promesses de soumission et un Icommencement d'exécution en ce qui concernait l'abandon des

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églises (138), Crussol écrivit le 15 janvier à la reine mère qu'il trouvait "ce peuple assez plus facile à ranger que je ne l'eusse creu avant mon arrivée" (139), et il entra en Provence. A Nîmes la célébration de la messe qui avait été interrompue depuis le mois de décembre (140) reprit pour quelques temps (141) ; mais à la publication de la déclaration royale du 17 janvier 1562 (142) qui autorisait enfin les rel igionnai res à exercer leur culte dans les faubourgs des villes à la condition expresse de ne pas y bâtir de temples, les réformés délibérèrent en revanche de mettre les églises hors de service et, le 25 février, tous les édifices catholiques de Nîmes furent mis à sac (143). Quant à la ville de lVbntpellier, la cessation du culte catholique ne fut rompu qu'à la seule occasion des Pâques, "messieurs de la religion de Montpel lier ne sonnantz mot pour l'heure" (144). Ailleurs, la déclaration de janvier fut à peu près exécutée mais non sans que catholiques et religionnaires ne fussent plus souvent armés les uns contre les autres (145). La tolérance religieuse ne pouvait être comprise de l'ensemble du peuple de l'une ou l'autre confession. A Montpellier où Crussol et Joyeuse se retrouvèrent le 8 avril pour réconcilier les deux partis et restaurer le culte catholique, la célébration d'une messe solennelle le dimanche 12 avril en l'église Saint-Fi rmin, sur la dérobade avisée de "lVEssieurs de Saint-Pierre", provoqua une émeute qui fit s'achever la messe "avec grand haste" (146) ; Crussol et Joyeuse rentrèrent "sains et saufvés en leur logis" par l'intervention des consuls et des "principaulx de la ville" (147) gagnés pour la plupart à la Réforme (148).

"Lesd. seigneurs, quelques jours apprès, s'en allèrent de lad. ville le laissant en l'estat que l'avoient trouvée, voire le peuple plus odieux des messes que au paravant, quelles promesses et accordz susd. qu'on eut faint : faire" (149). A l'image de la politique royale, la mission du comte de Crussol avait été d'une efficacité bien douteuse et Joyeuse put écrire le 5 mai à la reine mère : "je cuyde, Madame, que M. de Crussol vous aura dit en quel estat il laisse les affaires" (150).

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2 - La première guerre de religion

En ce mois de mai 1562, le gouvernement de Languedoc était profondément divisé et la pacification bien compromise. Aux dires du lieutenant général (151), jamais les Espagnols ne s'étaient montrés aussi attentifs à ce qui se passait de l'autre côté de la frontière. Joyeuse savait que la vigilance des étrangers avait été accrue par les présences respectives du duc de Guise et du prince de Condé au massacre de Wassy et à la prise d'Orléans, ce qui avait singulièrement accru la portée de ces événements. Lui-même ne pouvait méconnaître que la rupture survenue entre les triumvirs et les princes huguenots était la cause de la détérioration de la situation en Languedoc. Mais il ne semble pas qu'il ait alors entrevu que s'il allait avoir à combattre dans son gouvernement même ce serait non plus des séditions sporadiques mais un parti rapidement organisé, expression locale d'un nouvel Etat dans l'Etat.

L'appel lancé au mois d'avril par le prince de Condé "pour l'honneur de Dieu et la délivrance" du roi et de la reine mère eut en effet de très profondes répercussions locales. Condé avait seulement songé à envoyer des gentilshannes dans les provinces pour y lever des troupes qui rejoindraient son année (152). Le Languedoc devait aller au-delà de ses prévisions les plus optimistes. Non seulement il lui fournit des gens d'armes, mais les religionnaires de la province supplièrent Jacques de Crussol, seigneur de Beaudiné et frère cadet d'Antoine, comte de Crussol, de rester parmi eux pour assurer leur défense (153). La cause du prince de Condé rejoignait celle de la masse des sectateurs. Avec son assentiment donné vers le mois de juin (154), Beaudiné devint le chef des religionnaires de Languedoc, de ceux que Joyeuse appela désormais les "rebelles au roi" et qui emportèrent avec eux toute une partie du gouvernement.

Les points forts d'une rébellion qui ne s'avouait pas telle étaient éviderrment les villes et les villages que contrôlaient les religionnaires. Castres et Lavaur étaient à l'ouest du gouvernement les positions avancées d'un camp qui comprenait presque tout le bas Languedoc de la sénéchaussée de Beaucaire. Quant aux villes

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LA FRANCE AU FIL DES SIÈCLES Collection dirigée par Françoise HILDESHEIMER

et Odile KRAKOVITCH

L'histoire événementielle mouvementée du XVIe siècle ne doit pas cacher des réalités persistantes, celles des institutions et du droit qui les régit. En ce domaine, une meilleure connaissance des gouverneurs des pro- vinces est porteuse d'enseignements. Ces grands du royaume, illustres par ailleurs, sont « en pratique des inconnus », ainsi que le constate l'historien Michel Antoine qui précise : « L'étude des gouverneurs est indispensable à une meilleure compréhension des moyens d'action des rois de France sur leur royaume. Mais elle a une portée plus étendue : étant donné la qualité des personnages appelés à ces fonctions, c'est toute la question des princes et des grands dans le gou- vernement et l'administration de l'Etat qu'elle met en cause. » A cette étude contribue le présent ouvrage consacré à Henri de Montmorency-Damville, gouver- neur de Languedoc.

Docteur en Droit, Claude Tiévant a été chargée de cours à la Faculté de Droit de Montpellier.

ISBN 2-86600-517-1 ISSN 0981-4825

Couverture : Portrait gravé d'Henri de Montmorency par Thomas de Leu (Bibliothèque nationale, M2 Montmorency)

Éditions Publisud 15, rue des Cinq-Diamants 75013 PARIS Tél. (1) 45.80.78.50 Fax (1) 45.89.94.15

9 782866 005177 Prix T.T.C. 328 F

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