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Les tensions ethniques et les conflits armés dans la région des Grands Lacs d’Afrique centrale sont à l’origine de multiples déplacements humains. Les affrontements qui s’y déroulent, tout au long de ces cinquante dernières années, trouvent des origines historiques lointaines, mais les acteurs locaux et internationaux ont, en général, ignoré les multiples occasions d’y remédier. En laissant pourrir ces problèmes ataviques sans y apporter de règlements équitables, on a trop souvent laissé germer et couver, pendant des dizaines d’années, une violence toujours plus meurtrière. La crise du Rwanda de 1959-1963 [voir chapitre 2] a poussé une population de réfugiés tutsis à l’exil dans les pays voisins. À la fin des années 1980, les Tutsis exilés en Ouganda ont rejoint les forces de l’Armée de résistance Nationale (ARN), de Yoweri Museveni, contre le régime Obote. Quand celle-ci prend le pouvoir, ces Tutsis, qui font maintenant partie de l’armée nationale de l’Ouganda, fondent le Front patriotique rwandais (FPR) et commencent à préparer militairement la revanche. Le FPR attaque le Rwanda en 1990. Le conflit armé qui en découle et la pression politique interne ont pour conséquence l’accord d’Arusha d’août 1993 pour le partage du pouvoir. Cet accord reste lettre morte. Les tensions entre Hutus et Tutsis montent d’un cran après l’assassinat du président burundais, Melchior N’Dadaye, un Hutu, en octobre 1993, suivi de massacres en masse des Tutsis au Burundi, puis des Hutus.Au Rwanda, le 6 avril 1994, la mort des présidents Juvénal Habyarimana du Rwanda et Cyprien Ntaryamira du Burundi, tués dans un accident d’avion (toujours inexpliqué), près de la capitale, Kigali, est le prétexte à un coup d’État des extrémistes hutus. C’est le point de départ d’un génocide contre la population tutsie et les modérés hutus. Environ 800 000 personnes sont tuées entre avril et juillet 1994. La Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR), force multinationale de maintien de la paix, était sur place depuis octobre 1993, avec pour strict mandat de favoriser l’application de l’accord d’Arusha entre les parties concernées. Le gros de cette force se retire après le début des violences. Les Nations Unies, dans un rapport publié en décembre 1999, analysent la situation et reconnaissent que l’organisation et la communauté internationale ont été incapables d’empêcher le massacre de la population civile rwandaise 1 . Dans un revirement spectaculaire, les forces du FPR reprennent le contrôle de Kigali et, en quelques semaines, de la plus grande partie du pays. C’est maintenant aux Hutus de fuir. Ils sont 2 millions à chercher refuge dans les pays mêmes où ils avaient contraint les Tutsis à l’exil, plus de trente ans auparavant. En l’absence d’action politique concertée de la communauté internationale et devant une 10 Le génocide rwandais et ses répercussions

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Les tensions ethniques et les conflits armés dans la région des Grands Lacsd’Afrique centrale sont à l’origine de multiples déplacements humains. Lesaffrontements qui s’y déroulent, tout au long de ces cinquante dernières années,trouvent des origines historiques lointaines, mais les acteurs locaux etinternationaux ont, en général, ignoré les multiples occasions d’y remédier. Enlaissant pourrir ces problèmes ataviques sans y apporter de règlements équitables,on a trop souvent laissé germer et couver, pendant des dizaines d’années, uneviolence toujours plus meurtrière.

La crise du Rwanda de 1959-1963 [voir chapitre 2] a poussé une population deréfugiés tutsis à l’exil dans les pays voisins. À la fin des années 1980, les Tutsis exilésen Ouganda ont rejoint les forces de l’Armée de résistance Nationale (ARN), de YoweriMuseveni, contre le régime Obote. Quand celle-ci prend le pouvoir, ces Tutsis, quifont maintenant partie de l’armée nationale de l’Ouganda, fondent le Frontpatriotique rwandais (FPR) et commencent à préparer militairement la revanche.

Le FPR attaque le Rwanda en 1990. Le conflit armé qui en découle et la pressionpolitique interne ont pour conséquence l’accord d’Arusha d’août 1993 pour lepartage du pouvoir. Cet accord reste lettre morte. Les tensions entre Hutus et Tutsismontent d’un cran après l’assassinat du président burundais, Melchior N’Dadaye,un Hutu, en octobre 1993, suivi de massacres en masse des Tutsis au Burundi, puisdes Hutus.Au Rwanda, le 6 avril 1994, la mort des présidents Juvénal Habyarimanadu Rwanda et Cyprien Ntaryamira du Burundi, tués dans un accident d’avion(toujours inexpliqué), près de la capitale, Kigali, est le prétexte à un coup d’État desextrémistes hutus. C’est le point de départ d’un génocide contre la populationtutsie et les modérés hutus.

Environ 800 000 personnes sont tuées entre avril et juillet 1994. La Mission desNations Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR), force multinationale demaintien de la paix, était sur place depuis octobre 1993, avec pour strict mandat defavoriser l’application de l’accord d’Arusha entre les parties concernées. Le gros decette force se retire après le début des violences. Les Nations Unies, dans un rapportpublié en décembre 1999, analysent la situation et reconnaissent que l’organisationet la communauté internationale ont été incapables d’empêcher le massacre de lapopulation civile rwandaise1.

Dans un revirement spectaculaire, les forces du FPR reprennent le contrôle deKigali et, en quelques semaines, de la plus grande partie du pays. C’est maintenantaux Hutus de fuir. Ils sont 2 millions à chercher refuge dans les pays mêmes où ilsavaient contraint les Tutsis à l’exil, plus de trente ans auparavant. En l’absenced’action politique concertée de la communauté internationale et devant une

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manipulation sans scrupule de la population réfugiée, le HCR et les autresorganisations humanitaires doivent faire face à ce qui sera l’un des plus tragiquesdilemmes de leur histoire.

Le génocide rwandais déclenche une réaction en chaîne qui n’est pas encoreterminée : ce sera l’exode des Rwandais hutus, puis l’effondrement du régime duprésident Mobutu Sese Seko et la guerre civile au Zaïre (rebaptisé Républiquedémocratique du Congo en mai 1997), qui dure toujours. Plusieurs nationsafricaines participent à ces événements, la plupart militairement, et cette guerre serattache, alors, à d’autres conflits, en Angola, au Burundi et au Soudan.

L’exode massif rwandais

Le génocide de 1994, suivi par le renversement du gouvernement génocidaire la mêmeannée par le FPR, provoque un exode massif, mais non spontané, de plus de 2 millionsde personnes2. Il est motivé, d’une part, par le désir de se soustraire à de nouveauxcombats et, d’autre part, par la peur des représailles du FPR. Il est aussi le produit d’unepanique soigneusement orchestrée par le régime en pleine déconfiture. Les dirigeantsveulent ainsi vider le pays de la plus grosse partie possible de sa population et s’enservir comme d’un bouclier. Fin août 1994, le HCR considère que les pays voisinsabritent plus de 2 millions de réfugiés, dont 1,2 million au Zaïre, 580 000 enRépublique-Unie de Tanzanie, 270 000 au Burundi et 10 000 en Ouganda3.

Les grands camps de Goma, dans les provinces du Kivu, à l’est du Zaïre, sontproches de la frontière rwandaise. Ils deviennent rapidement la base principale desforces armées battues du Rwanda (Forces armées rwandaises ou FAR) et de la milicemilitaire hutue, l’Interahamwe (souvent dénommées collectivement les génocidaires).Ils deviennent aussi la principale base militaire contre le nouveau gouvernement deKigali. Dès le début, les réfugiés sont les otages politiques de l’ex-gouvernementrwandais et de son armée, l’ex-FAR. Le contrôle de ces derniers s’exerceouvertement sur les camps, surtout ceux autour de Goma. Il en résulte de gravesproblèmes de sécurité pour les réfugiés et des dilemmes difficiles pour le HCR quantà sa mission de protection.

À la fin de 1994, le coût humain provoqué par la crise du Rwanda se compte enmillions : 800 000 victimes du génocide, 2 millions de réfugiés et 1,5 million dedéplacés internes. Plus de la moitié de la population (7 millions) est directementtouchée. Le décor est maintenant planté pour un nouvel acte de la tragédie rwandaise.

Les camps de réfugiés, surtout ceux à l’est du Zaïre, sont en plein désarroi. Enjuillet 1994, le Haut Commissaire Sadako Ogata décrit la situation en ces termes :

Avec sa topographie volcanique rocheuse, cette région, déjà très peuplée, estparticulièrement mal adaptée pour accueillir des camps de réfugiés. Lesressources en eau y manquent cruellement et l’infrastructure locale poursoutenir une opération humanitaire de grande envergure est à peu près nulle4.

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En juillet 1994, le choléra et d’autres maladies apparaissent et emportent desdizaines de milliers de personnes avant d’être endigués5. Les camps de Goma, maléquipés, souffrent le plus. Environ un million de réfugiés y vivent, répartis,d’abord, en trois grands camps. Ces camps étant éloignés de la capitale Kinshasa,l’autorité du pouvoir centrale y est faible. De plus, les génocidaires rwandais ontquelques amis, dans l’administration locale des Kivus, et les officiers de l’ex-FAR

prennent le contrôle complet des camps, sans que les travailleurs humanitairespuissent s’y opposer. À Goma, les tentes sont regroupées par secteurs, communes, sous-préfectures et préfectures, miroir de l’organisation administrative du Rwanda. Les anciensdirigeants du Rwanda sont là et forment une sorte de gouvernement en exil. Leshauts gradés de l’ex-FAR sont transférés dans un autre camp et les soldats enlèventleurs uniformes, mais la population reste, nettement, sous leur contrôle et celui del’Interahamwe. Au Sud-Kivu, les conditions de vie des réfugiés sont meilleures : ilssont moins nombreux et les camps sont plus petits, mais tout autant infiltrés pardes éléments armés. Seule la Tanzanie parvient à les désarmer et à les contrôler.

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Encadré 10.1 Le problème de la militarisation des camps de réfugiés

Entre 1994 et 1996, la dominationdes camps de réfugiés rwandais auZaïre oriental par des groupes arméshutus (Interahamwe) attirel’attention de la communautéinternationale sur le problème de lamilitarisation des camps. La présenced’éléments armés dans les camps deréfugiés n’est pas pour autant unphénomène nouveau. On peut enciter de nombreux exemples.

Au cours des années 1970, les campsde réfugiés sud-africains auMozambique et en République-Uniede Tanzanie sont contrôlés par lesmembres de la branche militaire duCongrès national africain (ANC) et duCongrès panafricain (PAC) et sont, enconséquence, la proie de raids et debombardements aériens par les forcesarmées sud-africaines. De même, enAngola, les camps de réfugiésnamibiens administrés par lemouvement de libération namibien,appelé l’Organisation des peuples duSud-Ouest africain (SWAPO), sontattaqués par l’armée de l’air sud-africaine. En Zambie et auMozambique, les camps de réfugiésengendrés par la guerre dans l’ex-Rhodésie sont contrôlés par lesmouvements de libération duZimbabwe et attaqués par les forcesgouvernementales rhodésiennes.

Au cours des années 1980, il y abeaucoup d’autres exemples decamps dans lesquels les élémentsarmés ne sont pas faciles àdistinguer de la population civile. Audébut des années 1980, lesCambodgiens qui fuient la guerrecivile et l’invasion par le Viet Nam seréfugient dans des camps frontalierscontrôlés par les Khmers rouges etd’autres factions armées. Du fait desactivités militaires à la frontièrethaïlandaise, les camps doivent être

déplacés à plusieurs reprises, ce quimultiplie les problèmes pour lesorganisations internationales quis’efforcent d’assister les réfugiés àl’intérieur de ces camps. AuPakistan, au milieu des années 1980,les villages de réfugiés afghansproches de la frontière abritent destanks et de l’artillerie lourde, ainsique des combattants moujahédinesactivement engagés dans le conflitcontre le régime afghan inféodé àl’URSS. En Éthiopie du Sud-Ouest, lesrebelles soudanais du Sud se serventdes camps de réfugiés comme basesarrières. Au Honduras, les guérillerossalvadoriens opèrent à partir descamps et les « contras »nicaraguayens font de même à partirdes zones où se trouvent lesréfugiés.

Tout au long des années 1990, leproblème de la militarisation descamps de réfugiés existe endifférents endroits du globe. Parexemple, en Afrique de l’Ouest, leszones d’installation de réfugiés sontsouvent des endroits privilégiés pourle recrutement des milices. Lesmouvements de miliciens entre laSierra Leone et le Libéria ont, à denombreuses reprises, exacerbé lesconflits entre les deux pays etcompromis la sécurité de lapopulation de réfugiés. En 1998 et1999, les camps et installations deréfugiés en Albanie sont souventutilisés comme des étapes pourl’Armée de libération du Kosovo. AuTimor-Occidental, les camps desréfugiés fuyant la violence au Timor-Oriental constituent un sanctuairepour les milices armées. Les groupesrebelles au Burundi se servent desrégions tanzaniennes peuplées deréfugiés pour recruter des membreset y puiser des ressources.

Dans tous ces cas, la présenced’éléments armés au milieu desréfugiés expose les civils à desrisques supplémentaires. Ils fontl’objet d’intimidations, deharcèlements et de recrutement forcépar les groupes armés. Cetteprésence les expose aussi à desattaques armées par infiltration desforces ennemies, au minage desterrains alentour, à des rapts et à desassassinats. Elle crée également des problèmes de sécurité pour lestravailleurs humanitaires et entamela crédibilité d’organisationshumanitaires comme le HCR.

Comment protéger les réfugiés ?

Confronté à ce problème, le HCR

multiplie les efforts, année aprèsannée, pour trouver les moyens depréserver le caractère strictementcivil et humanitaire des camps deréfugiés. Mais le problème estcomplexe, et l’organisation n’a nimandat ni capacité de procéder à ladémilitarisation des camps et àl’installation de réfugiés.

En vertu du droit international desréfugiés, la responsabilité de lasécurité des camps appartient enpremier lieu aux gouvernementshôtes. Cependant, dans de nombreuxcas, les gouvernements s’avèrentincapables ou peu disposés àempêcher la militarisation. Bien que,parfois, les pouvoirs publics du paysd’accueil inspectent et désarment lesréfugiés aux points de passage desfrontières, ces mesures ne sont pastoujours efficaces et, dans lessituations d’afflux massif, elles sontsouvent impossibles à mettre enplace. De plus, sauf si lescombattants sont disposés à déposerleurs armes, il est pratiquementimpossible pour des agents nonarmés aux frontières ou pour des

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administrateurs du HCR, chargés de laprotection, de les désarmer.

Une fois que les combattants se sontmêlés à la population des civilsréfugiés, les identifier et les isolerest une tâche difficile. Lorsqu’il y arésistance au désarmement, celui-cine peut être obtenu que moyennantl’intervention d’une force militairesolidement armée. Mais, même dessoldats bien entraînés et équipésrefusent souvent de procéder à cetype de mission, comme on l’a vudans les camps de réfugiés rwandaisau Zaïre oriental, où le HCR, parl’intermédiaire du Secrétaire généraldes Nations Unies, a demandéinstamment aux États de l’aider àséparer les éléments armés despopulations civiles. Aucungouvernement n’était disposé àdépêcher des forces extérieuresmilitaires ou de police à cette fin. Dece fait, le HCR finira par rémunérer etéquiper un contingent zaïrois spécial,recruté parmi la garde présidentielle,pour rétablir un ordre public limitédans les camps.

L’article 2.6 de la Convention del’Organisation de l’unité africaine(OUA) de 1969 sur les réfugiés stipule : « Pour des raisons desécurité, les États d’asile devront,dans toute la mesure possible,installer les réfugiés à une distanceraisonnable de la frontière de leurpays d’origine » [voir encadré 2.3].Bien que la distance elle-même nesoit pas spécifiée dans la Conventionde l’OUA, et bien que la Conventiondes Nations Unies de 1951 sur lesréfugiés ne contienne aucunedisposition en ce qui concerne ladistance à laquelle les camps deréfugiés doivent se trouver parrapport aux frontières, le HCR asouvent tout fait pour que ces camps

soient situés à une « distanceraisonnable » des frontièresinternationales. Tout cela peut êtredifficile, pour un certain nombre deraisons. Les réfugiés créentspontanément des camps à proximitédes frontières pour faciliter leurretour et mieux surveiller la situationdans leur région d’origine. On peuts’attendre qu’ils soient peu disposésà un changement. Les déménagementsdes camps sont des opérationscomplexes et coûteuses. Lesgouvernements hôtes préfèrentsouvent garder les camps à proximitéde la frontière dans l’espoird’encourager les rapatriements, lemoment venu.

Certains suggèrent que les camps« militarisés » doivent être séparésde la catégorie protégée des « campsde réfugiés », et que le HCR devraitcesser de leur fournir ses services.Mais une telle décision peutdifficilement être prise quand cescamps continuent d’abriter unnombre important de réfugiés « debonne foi ». Le HCR a souvent évitéd’opérer dans des camps spéciaux enraison de leur nature « militarisée ».Dans d’autres situations, comme lescamps de Goma pour les Rwandais auZaïre oriental, le HCR a maintenu saprésence malgré la militarisation,considérant que son départ feraitencourir des risques encore plusgraves aux réfugiés.

Ces dernières années, le HCR acherché des solutions innovantespour améliorer la sécurité desréfugiés dans les camps et autresinstallations, et pour préserver leurcaractère civil. Par exemple, en 1999,les camps albanais du Kosovo, dansl’ex-République yougoslave deMacédoine, voient le déploiement, àla demande du HCR, de conseillers de

police internationaux pour améliorerla sécurité et l’ordre public. Demême, en 1998, dans les camps deréfugiés burundais de Tanzanie, le HCR

finance quelque 270 policierstanzaniens dont la mission estd’améliorer la sécurité des réfugiés etd’aider le HCR à garantir le caractèrecivil et humanitaire desdits camps.

Dans le sens de ces initiatives, leHaut Commissaire Sadako Ogata arécemment proposé une « échelled’options » pour résoudre lesproblèmes de sécurité dans lescamps, avec une option « douce »,une « moyenne » et une autre« dure ». Ces options comportent desmesures visant à assurer l’ordrepublic, telles que des programmes deformation et de renforcement despolices nationales pour gérer laquestion de la sécurité dans lescamps de réfugiés, le déploiement deconseillers internationaux de policeet, en ultime recours, le déploiementde forces militaires. Mais le succès detous ces efforts pour améliorer lasituation dépend de la volontépolitique des États, particulièrementdes États d’accueil et de ceux desrégions concernées. Le problèmeperdurera et la sécurité des réfugiéscontinuera d’être menacée tant queles gouvernements hôtes, et lesautres acteurs, ne feront pas lenécessaire pour empêcher activementla militarisation des camps.

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Au début de la crise, les travailleurs humanitaires coopèrent avec ces autoritésmilitaires et les chefs de la milice Interahamwe. L’appareil administratif mis enplace facilite et accélère, apparemment, la distribution des secours d’urgence. Lesagences humanitaires modifient, très vite, leurs modes de distribution pour que cesaides parviennent directement à leurs destinataires, mais on reproche aux génocidairesd’utiliser les agences humanitaires pour renforcer leur emprise sur les réfugiés.

Les chefs des camps contrôlent la distribution de nourriture et autres fournituresde base mais là n’est pas la principale source de leur soutien. Il apparaît vite évidentqu’ils gèrent l’économie des camps, notamment en contrôlant le commerce de détailet en taxant la population, surtout les revenus des réfugiés employés par lesorganisations humanitaires. Les camps de Goma deviennent ainsi un véritable résumédu Rwanda d’avant 1994, et menacent, militairement, le nouveau gouvernement duRwanda. Les dirigeants ont aussi pris soin de vider les coffres de la Banque duRwanda et d’emmener avec eux la plus grande partie des véhicules de transportpublic.

Fin août, devant le laisser-faire des autorités zaïroises, le Haut CommissaireOgata écrit au Secrétaire général des Nations Unies en lui demandant de prendre detoute urgence un certain nombre de mesures pour remédier à la situation. Cesmesures sont de quatre ordres : 1) « désarmer totalement les ex-troupes du FAR,regrouper l’ensemble du matériel militaire et les armes, et les garder en lieu sûr,

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Population réfugiée rwandaise

Pays d’asile 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999

Burundi 245 500 278 100 153 000 720 2 000 2 000 1 300

Rép. dém. du Congo (ex–Zaire) 53 500 1 252 800 1 100 600 423 600 37 000 35 000 33 000

République-Unie de Tanzanie 51 900 626 200 548 000 20 000 410 4 800 20 100

Ouganda 97 000 97 000 6 500 11 200 12 200 7 500 8 000

Total 447 900 2 254 100 1 808 100 455 520 51 610 49 300 62 400

Population réfugiée burundaise

Pays d’asile 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999

Rép. dém. du Congo (ex–Zaire) 176 400 180 100 117 900 30 200 47 000 20 000 19 200

Rwanda 250 000 6 000 3 200 9 600 6 900 1 400 1 400

République-Unie de Tanzanie 444 900 202 700 227 200 385 500 459 400 473 800 499 000

Total 871 300 388 800 348 300 425 300 513 300 495 200 519 600

Note : au 31 décembre de chaque année.

Populations réfugiées rwandaise etburundaise, entre 1993 et 1999

Figure 10.1

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Lieu

Nord du Burundi 270 000

ouest de la République-Unie de Tanzanie 577 000

Sud-ouest de l’Ouganda 10 000

Zaïre (Goma) 850 000

Zaïre (Bukavu) 332 000

Zaïre (Uvira) 62 000

Total 2 101 000

Réfugiés rwandais dans la région des Grands Lacs, à la fin août 1994

Figure 10.2

loin des frontières » ; 2) « isoler et neutraliser les dirigeants civils » ; 3) créer « unmécanisme afin de s’occuper des criminels » ; 4) « faire respecter la loi et l’ordrepublic dans les camps à l’aide d’une force de police6 ». Mais les membres duConseil de sécurité et les autres États ne soutiennent pas ces propositions, et lesorganisations humanitaires travaillant dans les camps restent désarmées etimpuissantes. Une nouvelle catastrophe approche.

La communauté internationale indécise

Le nouveau gouvernement du Rwanda est extrêmement critique à l’égard de lasituation dans les camps et demande instamment le rapatriement immédiat desréfugiés ou leur transfert loin des frontières, à l’intérieur du Zaïre. Mais cela est plusfacile à dire qu’à faire. Les Zaïrois sont largement opposés à la présence des réfugiéset, dans l’atmosphère politiquement de plus en plus instable du Zaïre, une pareilleopposition peut se traduire par une flambée de violence, à tout moment. Peu aprèsl’exode, dans un mémorandum adressé au HCR, les forces politiques d’oppositionzaïroises menacent de représailles les camps et affirment que les réfugiés :

ont détruit nos réserves alimentaires, nos champs, notre bétail, nos parcsnaturels, ont provoqué la famine et des épidémies et […] bénéficient d’uneaide alimentaire, contrairement à nous. Ils vendent ou donnent des armes àleurs concitoyens, assassinent des Tutsis et des Zaïrois […] Il faut les désarmer,les recenser, les soumettre aux lois zaïroises et, enfin, les rapatrier7.

Pour le fragile gouvernement de Kinshasa, les réfugiés sont en fait une force parprocuration, utile pour reprendre son emprise sur les provinces orientales. Leprésident Mobutu, affaibli depuis la fin de la guerre froide, et afin de détourner lescritiques qui lui sont faites à propos de la mauvaise gestion de son pays, utilise laquestion des réfugiés pour redorer son blason, à l’échelle internationale.

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Les pays donateurs qui participent aux secours des réfugiés sont divisés : leursreprésentants à Kinshasa demandent régulièrement au président Mobutu denégocier avec les différentes parties, sans jamais préciser ni lesquelles ni à proposde quoi. L’idée de rapatrier les réfugiés est simplement évoquée, mais aucungouvernement donateur ne la soutient suffisamment pour l’assumerpolitiquement. Le sentiment de culpabilité occidentale face à l’inaction desNations Unies devant le génocide complique les intérêts économiques etpolitiques dans la région. Il en découle une réelle l’incohérence au niveau desstratégies politiques.

Le gouvernement zaïrois, responsable (sur le papier) du bien-être des réfugiés,est au bord de l’effondrement, et ses divers membres se contredisent. Le nouveau

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Encadré 10.2 Les réfugiés et la pandemie de sida

Fin 1999, on estime que 32 millionsd’adultes dans le monde ont contractéle VIH ou le sida ; 11 millions d’enfantsont attrapé la maladie ou sontorphelins à cause d’elle. Le sida acontribué aux crises politiques etsocio-économiques de beaucoup depays en voie de développement. Leproblème est désormais l’un des plusgraves à l’ordre du jour des NationsUnies et a même été soulevé au Conseilde sécurité de l’ONU.Le Secrétaire général des Nations Unies,Kofi Annan, décrit l’impact du sida enAfrique comme « non moins destructeurque la guerre elle-même ». Bien qu’il neconnaisse pas de frontières, le sida estparticulièrement dévastateur enAfrique. L’Afrique subsaharienne, quicontient à peine 10 % de la populationmondiale, abrite presque 70 % desséropositifs de la planète. Dans certainspays, 1 personne sur 4 est infectée.Les mouvements de populations forcésexposent souvent les gens à un risqueaccru de transmission du VIH. Le virusprolifère plus vite au milieu de lapauvreté, de l’impuissance, du désordreet de l’instabilité sociale – phénomèneglobal qui va de pair avec lesdéplacements forcés. Le viol et lesautres formes de violence sexuelle ouliées à l’appartenance sexuelle, perpétréspar des soldats ou des forcesparamilitaires, deviennent souvent desarmes de guerre et des tactiques deterreur.En réponse aux besoins sanitaires desréfugiés, le HCR et ses partenairestentent de plus en plus une approcheintégrant la santé génésique à laprévention et aux soins contre le VIH. Lacrise de réfugiés de 1994 dans la régiondes Grands Lacs d’Afrique a poussé lacommunauté internationale à prendreconscience de la nécessité d’appliquerune politique de prévention et de soinsen matière de sida. En effet, cette crisea impliqué un vaste mouvement depersonnes ayant un taux élevéd’infection par le VIH, cherchant refugedans des pays eux aussi frappés par lesida.La réaction internationaleLes stratégies pour réduire latransmission du VIH sont bien connues,

mais elles sont notoirement difficiles àmettre en œuvre, dans la mesure oùelles touchent à des aspects délicats dela vie privée et intime, autant qu’à descroyances et à des comportementsculturels. Elles comprennent la qualitéde l’hygiène, la sécurité destransfusions sanguines, l’usage depréservatifs, la prévention et letraitement des maladies sexuellementtransmissibles, une informationculturellement adaptée et uneéducation particulièrement bien ciblée.Tout au long des années 1990, degrandes initiatives sont prises pour fairepasser la santé génésique et le VIH/sidaau rang des priorités mondiales. Suite àla Conférence internationale de l’ONU surla population et le développement auCaire (en 1994), la communautéinternationale en vient à reconnaîtreque la santé génésique est un droitfondamental, bien qu’il existe toujoursune controverse sur la forme que cessoins doivent prendre. La Conférenceétablit que ces soins de santé doivent« être dispensés à tous, sans oublier lesmigrants et les réfugiés, dans le pleinrespect de leurs valeurs religieuses etéthiques et de leurs cultures, en seconformant aux droits de l’hommeinternationaux, universellementreconnus ». En 1995, la IVe Conférencemondiale sur les femmes de Beijingaffirme à nouveau le droit des femmesau choix et à la décision libre etresponsable de leur sexualité sans êtresoumises à la contrainte, à ladiscrimination ou à la violence.Le Programme des Nations Unies sur lesida (ONUSIDA), créé en 1996, coordonnel’approche de l’ONU face à la pandémiede sida, documente son évolution etencourage une réponse universelle etéconomiquement viable. Lesorganisations humanitaires de l’ONU, desorganisations non-gouvernementales etcertains gouvernements collaborentpour renforcer les services de santégénésique dispensés aux réfugiés etaux communautés assimilables à desréfugiés. Le manuel interorganisationsdistribué en 1999 sur le terrain, LaSanté génésique parmi les réfugiés, et laconception de trousses de santégénésique par le Fonds des NationsUnies pour la population (FNUAP) sont

quelques-unes des mesures prises dansle cadre de ce processus.

Les défis du sidaS’il existe des stratégies bien connuespour réduire la transmission du VIH, lesobstacles à leur mise en œuvre par desprogrammes efficaces de prévention etde soins sont multiples.

Dans de nombreux endroits où viventdes réfugiés, en particulier en Afrique,les programmes de contrôle nationauxdu sida sont insuffisants. Lespopulations locales n’ont qu’un accèslimité aux soins de santé primaires, et laplupart ne peuvent absolument pasacquérir des médicaments, efficacesmais extrêmement coûteux, pour soignerleur sida. Fournir de tels services auxréfugiés seuls, mais non aux populationslocales, ne servirait de rien pour enrayerla pandémie.

Une réponse efficace à la naturecomplexe du VIH nécessite desressources humaines, matérielles etfinancières ainsi que des moyenstechniques, hors de la portée debeaucoup d’organisations humanitaires.Elle exige aussi une approchemultisectorielle intégrant, outre lasanté, des questions sociales etéconomiques, les droits de l’homme etdes questions juridiques.

Les femmes, y compris les femmesréfugiées, sont souventparticulièrement exposées au risque duVIH/sida, car elles n’ont souvent pas lesmoyens d’agir sur le comportement deleurs partenaires, compte tenu deshabitudes culturelles, par exemple.

Les stigmates du sida, si courants,peuvent conduire des individus àrefuser de se faire soigner, comme lespouvoirs publics locaux à refuser defaire le nécessaire pour leur dispenserdes soins. Les réfugiés, qui tombentdans une « catégorie distincte », etdont la présence est parfois mal perçuepar les nationaux, peuvent facilementfaire l’objet de discriminations, dûes austéréotype selon lequel « les réfugiésapportent le sida ». Le HCR estparticulièrement inquiet de la situationqu’il rencontre parfois, quand desréfugiés infectés par le VIH se voientrefuser soit l’asile, soit le rapatriement.

Le génocide rwandais et ses répercussions

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gouvernement rwandais adopte aussi une attitude ambiguë : officiellement, il insiste surl’importance d’un retour rapide des réfugiés, mais se montre systématiquement contretoute initiative des agences humanitaires allant dans ce sens.

Pour le HCR, les problèmes sont urgents et concrets, mais toutes ses tentatives sontbafouées par l’instabilité militaire croissante dans la région. Goma n’est plus un refuge,mais une zone de guerre de faible intensité. Un administrateur du HCR sur le terrain àGoma, écrit : « Ni notre mandat ni les moyens mis à notre disposition ne sont à lahauteur de cette crise régionale8. »

Spirale de la guerre au Zaïre oriental

Au début des années 1995, les groupes militaires rwandais dans l’est du Zaïre,principalement des ex-FAR, commencent à lancer des attaques transfrontalières contre leRwanda. Le RPA riposte sur le sol zaïrois : le 11 avril contre le camp de Birava et ànouveau le 26 avril 1995 contre le camp de Mugunga, faisant 33 morts. Le HCR se trouveentre les deux armées rwandaises. Au Zaïre, l’ex-FAR est réarmé et entraîné avec lesoutien du président Mobutu. Des armes légères, bon marché, vendues par les ancienspays communistes d’Europe de l’Est contribuent aussi au réarmement des anciensgénocidaires9. L’ex-FAR et la milice peuvent recruter dans les camps et en faire des basesarrières pour l’infiltration du Rwanda.

Au Rwanda, la situation politique se détériore. Au camp de Kibeho au sud-ouest duRwanda, des milliers de Hutus, déplacés à l’intérieur du territoire, sont assassinés par lesforces du FPR, en avril 1995. Entre juillet et août 1994, le camp de Kibeho avait fait partied’une « zone de protection humanitaire » autorisée par le Conseil de sécurité desNations Unies10 et établie par les forces militaires multinationales menées par la France – l’opération Turquoise. En août 1995, le FPR marginalise les membres les plusindépendants du cabinet rwandais (le Premier ministre Faustin Twagiramungu, leministre de l’Intérieur Seth Sendashonga et le ministre de la Justice Alphonse-MarieNkubito), qui doivent démissionner. La menace militaire de l’ex-FAR opérant à partir descamps de réfugiés au Zaïre devient la principale priorité du nouveau cabinet.

Le HCR multiplie ses appels au Conseil de sécurité pour qu’il prenne des dispositionspour garantir le caractère civil et humanitaire des camps de réfugiés. Le HautCommissaire demande « d’urgence un contingent multinational composé de forces depolice et de gendarmerie des pays de l’Afrique francophone et éventuellement duCanada, complété par un soutien logistique (transport et matériel) de pays non africainset par un soutien financier de la part d’autres pays11 ». Mais la plupart des pays donateurssont effrayés par l’instabilité de la région et reculent devant le coût élevé d’undéploiement de troupes. Les indécisions au sein du Conseil de sécurité empêchent uneprise en compte sérieuse de la situation.

Faute de mieux, le HCR doit se rabattre sur les ressources du pays d’accueil. Une forcede 1 500 hommes, le Contingent zaïrois pour la sécurité des camps, est spécialementrecrutée parmi les membres de la Division spéciale présidentielle du président Mobutu.Cette force, payée et équipée par le HCR, a des conseillers internationaux (des Pays-Bas et

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Le génocide rwandais et ses répercussions

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de plusieurs pays ouest-africains). Elle entre en action début 1995, avec unecertaine efficacité, comme le reconnaissent des observateurs initialement plutôtsceptiques. Bien que son mandat ne couvre pas la sécurité aux frontières, elleinstaure un semblant de paix et d’ordre dans les camps et parvient à affaiblirl’autorité des chefs des réfugiés, ce qui augmente les chances de rapatriement deces derniers.

Malgré des débuts prometteurs, le Contingent zaïrois sombre dans l’indisciplineet la corruption endémique de l’administration zaïroise. De surcroît, il estdirectement sous les ordres du président Mobutu (par l’intermédiaire de sonministre de la Défense) et non sous les ordres du Premier ministre. Le Contingentzaïrois contribue alors à la désunion politique croissante du Zaïre. Début 1996, leHaut Commissaire Ogata écrit au Premier ministre zaïrois Kengo Wa Dondo :

Permettez-moi de renouveler ma demande pour en terminer avec l’impunitédans les camps. Les différentes mesures décidées par votre gouvernementdoivent être mises en œuvre afin que la loi et l’ordre public zaïrois soientrespectés. Cela va sans dire avec l’entière collaboration du HCR et du Contingentzaïrois pour la sécurité dans les camps12.

Rien n’y change : pour le HCR, l’absence de soutien diplomatique internationalatteste que Mobutu joue sans entrave son double jeu. Ce dernier reconnaît,publiquement, la véracité des observations du HCR concernant la recrudescence dela violence dans les zones frontalières, mais la tolère, ou même la soutient, en privé.Mobutu commet là une erreur de calcul : il sera la prochaine victime des forcesdéchaînées dans l’est du pays.

L’échec du rapatriement

Le rapatriement des réfugiés du Zaïre vers le Rwanda commence rapidement avec200 000 réfugiés de la région de Goma qui retournent chez eux entre juillet 1994et janvier 199513. Des groupes plus petits, mais malgré tout significatifs, rentrent àpartir du Sud-Kivu, de la Tanzanie et du Burundi. Les conditions sécuritaires descamps contribuent, sans aucun doute, à leur départ. Mais la situation se détérioreencore au Rwanda et, début 1995, ce flot se tarit brusquement14. Une enquêtedemandée par le HCR pour évaluer la faisabilité du rapatriement avait déjà dénoncéles tueries et autres violations des droits de l’homme au Rwanda par le RPF au coursde l’été 1994. Le HCR informe le gouvernement rwandais des suites de cetteenquête et cesse de faciliter le rapatriement. Le massacre d’avril 1995 dans le camp de Kibeho (au sud-ouest du Rwanda) donne raison aux opposants aurapatriement. L’opération s’arrête alors complètement.

Au cours de l’année 1995, la situation au Rwanda se stabilise, et le HCR réactive lerapatriement, mais toutes les parties en cause continuent à exploiter la situation defaçon ambiguë. C’est ainsi que le gouvernement zaïrois tente d’amorcer unmouvement de retour, en fermant, de force, un des camps en août 1995. Durant cet

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Les Réfugiés dans le monde

Encadré 10.3 Somalie : de l’exode à la diaspora

La République somalienne, quidevient indépendante en 1960, nedispose pas encore de bases solides.La mise en place d’un gouvernementcivil efficace se heurte, pendantlongtemps, aux intérêts desdifférents clans. Après la défaite duprésident Siyad Barré, pendant laguerre d’Ogaden contre l’Éthiopie, en1977, les familles claniques rivalesde Somalie sont systématiquementmarginalisées et exploitées parl’alliance dominante des clansproches de Barré. Dès 1988, au nord-ouest du pays, la résistance duMouvement national somalien Isaq(SNM) doit faire face aux forces del’État dans son entier.

Le premier exode majeur de réfugiéssomaliens, après la guerre d’Ogaden,se produit en 1988 à la suite dubombardement des villes d’Hargeisaet de Burao, au nord-ouest du pays,par les forces gouvernementales.Quelque 365 000 réfugiés affluentvers l’Éthiopie, et 60 000 personnessont déplacées à l’intérieur. Onestime à environ 50 000 le nombrede personnes tuées par les troupesdu gouvernement.

Après sa défaite temporaire, le SNM

s’allie au Congrès somalien uni (USC),basé à Hawiye, et avec le Mouvementpatriotique somalien (SPM), un groupeplus petit. Cette alliance informelleparvient à renverser le gouvernementBarré en janvier 1991, mais,incapable de prendre le contrôle dupays, elle se désintègre et provoqueune crise humanitaire majeure.L’opposition, organisée autour desclans, est en proie à la rivalité férocedes chefs de milices pour le contrôledu pouvoir et des ressources.

La scène nationale est dominée parles représailles entre clans quand

Mogadiscio tombe aux mains de l’USC.L’action des factions internes et laguerre qui fait rage contre les forcesde Barré intensifient alors le conflit.Des attaques contre les territoiresoccupés par les familles des clansDigil et Rahanweyn et le massacre àgrande échelle des populationsminoritaires des zones côtièresprovoquent d’énormes déplacementsinternes. Les membres des clans seregroupent en « patrie clanique », cequi augmente encore le phénomènede déplacement. Avec l’apparition dela sécheresse et de la famine, lasituation empire et, mi-1992, environ2 millions de personnes sontdéracinées, dont 400 000 partent enÉthiopie et plus de 200 000 au Kenya.

L’intervention internationale

La réaction de la communautéinternationale à la crise grandissanteen Somalie est très lente, et descentaines de milliers de Somaliensmeurent de faim, de maladie ou aucombat, avant que les premièresforces de maintien de la paix de l’ONU

n’arrivent, en avril 1992, dans lecadre de l’Opération des NationsUnies en Somalie (ONUSOM I)a. Lemandat de l’ONUSOM est alors limité àla supervision du cessez-le-feu entrefactions belligérantes.

Mais la détérioration constante de lasituation humanitaire conduit leprésident américain George Bush àordonner, en décembre 1992, ledéploiement de 28 000 soldatsaméricains, au sein d’une force totalede 37 000 hommes qui deviendra alorsla Force d’intervention unifiée (UNITAF),conduite par les États-Unis.L’opération Restore Hope de l’UNITAF estautorisée par la Résolution 794 du 3décembre 1992 du Conseil de sécuritéde l’ONU, mais elle ne fait pas l’objet

d’une demande de la part desbelligérants. La volonté humanitairede veiller à ce que l’aide alimentairepuisse atteindre les victimes de lafamine préside à l’opération, maisl’intervention souffre dès le départ dumanque de direction stratégiqueclaire. L’opération est encore pluscompromise quand elle tente dedésarmer les factions somaliennesrivales.

En mai 1993, l’UNITAF est remplacéepar l’ONUSOM II, et le commandementde l’opération est transféré à uncommandant de l’ONU. L’ONUSOM II estune force plus importante, au mandatplus large que celui de l’ONUSOM I,toujours présente en Somalie. L’ONUSOM II lance un programme dereconstruction nationale en Somalie.La force de maintien de la paix del’ONU de 28 000 hommes, venus de27 pays, dispose d’un budget de1,6 milliard de dollars. L’ONUSOM II estd’une taille et d’une ampleur sansprécédent et comprend 17 700 soldatsaméricains qui ne sont pas sous lecommandement direct de l’ONU.

Le passage brutal d’une opération desecours humanitaire à une opérationaxée sur la construction d’une nationaugmente l’hostilité des chefs deguerre somaliens et provoque unesérie de batailles rangées avec lapuissante faction du clan Hawiye,dirigée par le général Mohamed FarahAidid, au cours desquels deuxhélicoptères américains sont abattusen octobre 1993. La mort de18 soldats américains et le spectacledu cadavre de l’un d’eux, traîné àtravers les rues de Mogadiscio,conduisent l’administration Clinton àretirer ses troupes de Somalie. Enmars 1994, les militaires américainset européens quittent le pays, suivisdans les douze mois par le reste destroupes de l’ONU encore sur le terrain.

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Le génocide rwandais et ses répercussions

Au pire moment de la crise somalienne,seul le Comité international de laCroix-Rouge et un petit nombre d’ONG

restent sur place. Néanmoins, grâce àl’aide des troupes internationales, lesagences de l’ONU comme leProgramme alimentaire mondial et leFonds des Nations Unies pourl’enfance (UNICEF), ainsi qu’un grandnombre d’ONG, jouent un rôle majeuren parvenant à distribuer de l’aidematérielle d’urgence. Malgré laprésence de forces militairesinternationales, la sécurité demeureun problème grave, et de nombreuxmembres du personnel humanitairesont tués et blessés : des gardes ducorps issus de milices locales sontutilisés.

Le HCR répond, en septembre 1992, àla crise humanitaire en Somalie parune série d’opérationstransfrontalières depuis le Kenya.Lancées à la demande du Secrétairegénéral de l’ONU, ces opérations ontpour objectif de stabiliser lesmouvements de population àl’intérieur du pays. À la suite dudéploiement de l’UNITAF, en décembre1992, des « zones préventives » sontcréées en Somalie du Sud poursecourir des populations dans cesrégions qu’elles auraient dû quitter àcause de la famine. Outre l’aidealimentaire et matérielle distribuéeen Somalie, ces opérationstransfrontalières ont pour objectifd’entreprendre la réhabilitation del’infrastructure et de permettre desrapatriements volontaires, depuis lescamps du Kenya, qui, fin 1992,abritent plus de 285 000 réfugiés.

La société du téléphone mobile

La guerre civile en Somalie engendreune grande diaspora de Somaliens.Les réfugiés qui fuient le pays

viennent gonfler les rangs destravailleurs émigrés somaliens vivantdans le Golfe et en Europeoccidentale, avant 1988. Beaucouppartent aussi au Yémen, à Djibouti eten Libye. Il y a maintenant descommunautés somaliennes bienétablies en Amérique du Nord et enEurope. Les anciens liens coloniauxentre le Royaume-Uni et le nord de laSomalie, aujourd’hui rebaptisé SomaliLand (ancien protectorat britanniquedu Somali Land), permettent à descommunautés somaliennes des’implanter dans beaucoup degrandes villes du Royaume-Uni.

Les téléphones mobiles, l’Internet etle courrier électronique facilitentgrandement la communication entreles membres de cette diaspora etjouent un rôle clé dansl’établissement de contacts entre lesréfugiés somaliens (comme entre lesmembres de beaucoup d’autresgroupes de réfugiés) et les membresde leurs familles outre-mer.L’explosion du réseau d’opérateurs detéléphonie à travers la Somalie – ils sont au moins 8 aujourd’hui – a bénéficié notamment de la vagued’entreprises, également appeléesjoint ventures, détenues à la fois pardes résidents somaliens locaux et desmembres de la diaspora. L’expansiondu système téléphonique permet lemaintien des liens familiaux et estégalement vitale pour le transfertrégulier de fonds, à partir del’étranger, qui a permis de préserverl’économie somalienne de la faillite,ces dernières années.

Le système rigide des clans, qui atant divisé les Somaliens et provoquéla mort de centaines de milliers depersonnes au cours des années 1990,s’est aussi révélé une sourceprécieuse de cohésion et de force. Lecaractère astreignant de tels liens

claniques a favorisé ledéveloppement d’un systèmebancaire international de transfertsde fonds. Aujourd’hui, la plupart desSomaliens de la diaspora transfèrenttoujours des fonds à l’aide detélécopieurs, mais de plus en plussouvent par le courrier électronique.Un dépôt auprès d’un banquier localde tel clan à Londres, par exemple,permettra le transfert, dans les vingt-quatre heures, de la contre-valeur en monnaie locale auxmembres de la famille en Somalie.Les vols réguliers en provenance deDjeddah et de Dubaï sont égalementun moyen très répandu d’expédierdes marchandises et de transférer del’argent. Aujourd’hui, la valeur de cestransferts s’élève à plusieurscentaines de millions de dollars paran, ce qui dépasse largement leproduit des ventes de bétail en tantque source de devises étrangèresb.

Le site Web d’une agence detransferts de fonds permet d’écouter,en langue somalienne, les nouvellesdiffusées par la BBC, qui représente lasource majeure d’informations pourles Somaliens de la diaspora. Dans unmonde de plus en plus petit, du faitde l’impact des technologies del’information, la création du courrierélectronique et des téléphonesmobiles a permis aux Somaliens de ladiaspora et à ceux restés au pays derester en contact.

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Les Réfugiés dans le monde

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épisode, 15 000 réfugiés sont entassés dans des camions de location et sontrapatriés au Rwanda. À la suite de pressions internationales, les autorités zaïroisesmettent vite fin à ces pratiques.

Le HCR utilise différentes méthodes pour faire lâcher prise aux chefs desréfugiés : il organise des campagnes d’information et des visites familiales auRwanda. Il engage également des négociations avec les pouvoirs publics rwandaispour ouvrir de nouveaux points de passage à la frontière afin de faciliter lemouvement des réfugiés depuis les camps. Le Contingent zaïrois fermeprovisoirement les commerces dans les camps. Des convois de rapatriement sontorganisés tous les jours pour rassembler et escorter les réfugiés prêts à regagner leurpays. Mais cela ne pèse guère dans la balance devant le refus des autorités zaïroisesou rwandaises, et face au manque de soutien de la communauté internationale, enparticulier celui des pays voisins et des principaux gouvernements donateurs.

Au sein même du HCR et de l’ensemble de la communauté d’aide humanitaire, lesincertitudes sur la question du rapatriement sont nombreuses. Le principe habituelselon lequel tous les réfugiés doivent disposer de la possibilité d’un rapatriementvolontaire, sur la base d’un choix individuel en connaissance de cause, est difficile àfaire respecter. En fait, la plupart des réfugiés ont été contraints à l’exil par leurspropres dirigeants, ce qui en fait de véritables otages. Il s’agit là d’une sorte dedéplacements humains différente, face à laquelle le concept de rapatriementvolontaire et le sens même du mot « réfugié » sont dénaturés, devenant une réalité àla fois nouvelle et complexe à laquelle ne correspond plus l’approche traditionnelle15.

Fuites des camps de réfugiés

Le Nord-Kivu et le Sud-Kivu (les Kivus), deux provinces de l’est du Zaïre, où lesréfugiés ont trouvé refuge, sont depuis longtemps le berceau de l’opposition aurégime Mobutu, qui tente d’utiliser les rivalités ethniques à son avantage. Les Kivusont une grande population d’origine ethnique banyarwandaise (à la fois tutsie ethutue) qui, par le passé, a été utilisée contre d’autres groupes indigènes16. Lestensions ethniques qui en résultent sont exacerbées quand une nouvelle législationest adoptée par le Parlement zaïrois en 1981. Elle se traduit par la perte de jure de lacitoyenneté pour des milliers de Banyarwandais. En 1993, même avant le génociderwandais, des combats font rage entre les Banyarwandais et d’autres groupes, quandles pouvoirs publics tentent d’organiser un recensement des « étrangers ». L’affluxde réfugiés rwandais pendant l’été 1994 a un effet désastreux sur l’équilibre fragiledes Kivus alors que la branche politisée des réfugiés y apporte ses terribles préjugésethniques.

Début 1995, la violence reprend dans les Kivus, en particulier au Nord-Kivu, oùse trouvent les camps de Goma. Cette fois, elle ne se limite pas à la populationlocale. Le général Augustin Bizimungu, le chef d’état-major de l’ex-FAR, s’efforce dese constituer un territoire dans les Kivus, comme base d’attaque contre le Rwanda

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et contre les communautés tutsies zaïroises des Kivus. Il recrute sur place une partiedes forces armées zaïroises (FAZ), lesquelles, sans solde et sans commandementdigne de ce nom, sont devenues des contingents de mercenaires. Le conflit oppose,d’un côté, l’ex-FAR, ses alliés du FAZ et quelques milices locales antigouvernementales,les Mayi Mayi, et, de l’autre, la population zaïroise tutsie, qui, plus faiblemilitairement, est victime de massacres et contrainte à la fuite.

Entre novembre 1995 et février 1996, environ 37 000 Tutsis partent pour leRwanda. La moitié sont des Zaïrois tutsis fuyant le conflit dans la région du Masisi(Nord-Kivu), et l’autre moitié sont des exilés rwandais de 1959. Leur situation estparadoxale, puisque beaucoup de ces « réfugiés » arrivant au Rwanda en sontoriginaires. Le gouvernement rwandais prie instamment le HCR d’ouvrir des campsde réfugiés du côté rwandais de la frontière. C’est avec beaucoup de réticence quel’organisation y consent, souhaitant organiser un rapatriement réussi vers leRwanda, et non créer de nouveaux camps du côté rwandais de la frontière. Deuxcamps de réfugiés tutsis sont ouverts17 à quelques kilomètres de la frontière et descamps hutus de Goma, ce qui n’arrange rien.

Le Haut Commissaire Ogata sollicite à nouveau l’aide internationale pouraméliorer la situation de sécurité. « L’afflux récent de réfugiés de Masisi vers leRwanda concerne actuellement 9 000 personnes », écrit-elle en mai 1996 auSecrétaire général des Nations Unies, Boutros Boutros-Ghali, « la communautéinternationale doit envisager de prendre des mesures urgentes pour empêcher unenouvelle détérioration de la situation de sécurité […] Il faut renouveler les effortspour éloigner les camps de la frontière18. » Pour sa part, le gouvernement zaïroiscommence à voir que ses implications dans la politique ethnique aux Kivusdeviennent incontrôlables, mais il est trop tard. La crise va bientôt s’étendre àl’ensemble de la sous-région.

Le conflit s’étend

Mi-1996, la situation dans la région des Grands Lacs est extrêmement tendue. AuBurundi, la tension entre Tutsis et Hutus s’accroît. En octobre 1993, le présidentdémocratiquement élu, Melchior N’Dadaye, un Hutu, est assassiné par des soldatstutsis, ce qui déclenche une flambée de violence au cours de laquelle des milliers deTutsis et de Hutus sont tués. Environ 700 000 Hutus, dont certains prendront unepart active dans le prochain génocide, trouvent refuge, principalement, au Rwanda.

Le 26 juillet 1996, l’ancien président, le commandant Pierre Buyoya, un Tutsi,renverse le faible gouvernement civil du président Sylvestre Ntibantunganya.Certains voient là une tentative pour restaurer l’autorité de l’État ; mais, pourd’autres, ce n’est qu’un coup d’État militaire de plus. Les pays voisins se concertentd’urgence et décrètent un embargo économique contre le Burundi. Par ailleurs, lesrelations entre l’Ouganda et le Soudan se détériorent : Kampala accuse Khartoumd’armer des groupes de guérilleros et de les inciter à attaquer l’Ouganda depuis leSoudan et, avec l’aide de Kinshasa, depuis le nord-est du Zaïre.

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Les Réfugiés dans le monde

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Encadré 10.4 Guerres et déplacements en Afrique de l’Ouest

Au cours des années 1990, l’Afrique del’Ouest devient le théâtre de guerresviolentes qui déracinent des millions depersonnes. Les deux principaux conflits,largement internes, mais encouragés pardes fonds, des armements et des intérêtsextérieurs, concernent le Libéria et laSierra Leone. Ces conflits envoientpresque un million de réfugiés dans lespays voisins, principalement la Guinée etla Côte d’Ivoire. Un autre plus restreintau Sénégal et une mutinerie armée enGuinée-Bissau, en 1998, engendrentaussi quelque 200 000 réfugiés.

À la fin de la décennie, plus d’un tiersde la population de réfugiés et dedéplacés en Afrique se trouve enAfrique de l’Ouest. La plupart sontdéplacés au sein de leur propre pays.Beaucoup de ceux qui traversent lesfrontières internationales restent àquelques kilomètres de la frontière. Dece fait, même ceux qui se sont enfuis làoù ils espéraient pouvoir être ensécurité restent vulnérables auxattaques. Le HCR doit éloigner de lafrontière plusieurs camps en Guinée,pour en protéger les résidents. Lesmembres des organisations humanitairesqui aident les réfugiés et les déplacésse trouvent eux-mêmes en danger.Beaucoup sont menacés, plusieurs sontenlevés et se font voler tout ce qu’ilsont ; le personnel humanitaire est trèssouvent évacué pour des questions desécurité.

Les gouvernements et les peuplesvoisins sont en général généreux, maisl’ampleur de l’afflux et la durée du séjourdes réfugiés dans ces pays sont sourcesde tensions. Lorsque les Libériens fuienten Guinée et en Côte d’Ivoire ou lorsqueles Sierra-Léonais commencent à gagnerla Guinée, les populations locales lesaccueillent, si bien qu’au début peu deréfugiés se retrouvent dans des camps.Mais la capacité d’absorption estrapidement épuisée, et beaucoupdoivent se réfugier dans des camps. Cesdeux pays se montrent généreux pourtous les réfugiés, tout au long desannées 1990. Fin 1996, la Guinéecompte quelque 650 000 réfugiés duLibéria et de Sierra Leone. Aujourd’huiencore, elle en abrite plus de 500 000.La Côte d’Ivoire reçoit, durant la période

1990-1997, entre 175 000 et360 000 réfugiés par an, et ils y sonttoujours environ 138 000, en 1999.

Les guerres en Afrique de l’Ouestpendant les années 1990 ont demultiples facettes : tensions ethniques,guerres pour le contrôle des ressourcesou soulèvements de jeunes désœuvrés. Àpropos des conflits interethniques,certains spécialistes font observer qu’auLibéria les forces rebelles ont, au début,un caractère ethnique mais qu’ellesattirent dans leurs rangs un largeéventail de la jeunesse libérienne. AuSénégal, les séparatistes de Casamancesont souvent présentés comme unmouvement des Diolas, or tous les Diolasne sont pas des séparatistes et tous lesséparatistes ne sont pas des Diolas.

D’autres observateurs ont présenté cesguerres comme des luttes pour lecontrôle des richesses en bois et endiamant. Au Libéria, la contrebande dubois est l’une des principales ressourcesdes rebelles (la plus grande partie estrevendue en France). En Sierra Leone,les rebelles dépendent largement dunégoce du diamant pour acheter desarmes, et autant le gouvernement queles rebelles recherchent le soutien dessociétés internationales d’exploitationminière et de sécurité.

D’autres spécialistes considèrent que lepoint commun de ces trois conflits nesont ni les tensions ethniques ni lalutte pour le contrôle des ressources,mais plutôt l’impact de la corruption etde la dégradation des États sur desjeunes, marginalisés et vulnérablesa. Leconflit prolongé en Casamance, où l’onne compte que peu de ressourcesforestières ou minérales, est parfois citéen exemple, à cet égard.

Le Libéria

Le conflit qui sévit au Libéria tout aulong des années 1990 commence endécembre 1989, entre les forces du Frontnational patriotique du Libéria (FNPL),constituées essentiellement d’ethnies Gioet Mano, et les forces loyales auprésident Samuel Doe, presque toutesd’origine Krahn. Le conflit est caractérisépar des massacres de civils, desmutilations, la destruction générale de

biens et le recrutement d’un grandnombre de soldats enfants, souventforcés à tuer pour prouver leur loyauté.Pendant huit ans de terreur, plus de150 000 Libériens sont tués, et la moitiéde la population libérienne est jetée surles routes. Sur plus d’1,7 million depersonnes déracinées, approximativement40 % se réfugient dans les pays voisins,et pratiquement toutes les autres sontdéplacées à l’intérieur.

En 1990, dans un effort pour restaurerl’ordre, la Communauté économique desÉtats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)envoie des forces militaires au Libéria, laForce ouest-africaine d’interposition dela CEDEAO (Ecomog). Elle se rend maîtrede la capitale, Monrovia, mais 95 % dupays reste aux mains des rebelles.D’autres factions armées surgissent (onen compte 11 en 1994), d’où uneaggravation du conflit. Celui-ci se révèlel’un des plus meurtriers et des plusinsolubles de tous, mais aussi cetteguerre l’une des guerres civiles les moins« médiatisées » au monde.

Même à Monrovia, les civils ne sont pasen sécurité. Les combats pour prendre la ville ne cessent de déplacer ceux qui ycherchent refuge. En avril 1996, lesluttes entre les trois factions arméescherchant à contrôler la ville font3 500 morts. Plus de 350 000 civils, ycompris ceux qui s’y étaient déjàréfugiés, quittent la capitale. Parmi eux,au moins 2 000 Libériens partent à borddu navire Bulk Challenge, et 400 autressur le Zolotista. Les deux bateaux vontde port en port le long de la côte ouest-africaine, cherchant un refuge sûr pourles réfugiés à bord. À chaque port, ilssont refoulés. Enfin, le Ghana autorise leBulk Challenge à accoster, à la suite derapports sur le très mauvais état desanté des passagers. Le Zolotista et sespassagers sont obligés de retourner àMonrovia, après trois semaines en mer.

Après les violences de 1996, les factionsbelligérantes signent un accord de paiximportant. Contrairement auxprécédents, celui-ci est respecté. En1997, lors d’une élection présidentielle(sous supervision internationale), le chefdu FNPL, Charles Taylor, est élu. Malgrél’absence d’affrontements militaires

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Le génocide rwandais et ses répercussions

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majeurs entre 1997 et fin 1999, lasituation politique et sécuritaire auLibéria demeure instable.

La Sierra Leone

En Sierra Leone, en mars 1991, unerévolte éclate, menée par le Frontrévolutionnaire uni d’insurrection (RUF),qui a traversé la frontière du Libéria. Le RUF entretient des relations étroitesavec le FNPL de Charles Taylor et jouit dusoutien politique et économique de laLibye (Jamahiriya arabe libyenne) et duBurkina Faso. Une force de l’Ecomog estalors envoyée en Sierra Leone pourprêter main-forte au gouvernement,mais les violences continuent,déracinant plus d’un million depersonnes en trois ans. En 1994, le RUF

est affaibli, mais les exactions contre lescivils se perpétuent, principalementdues à des soldats gouvernementaux.

En 1995, le gouvernement envoie uneforce mercenaire sud-africaine pouraider à remettre de l’ordre et, début1996, des élections ont lieu. Ahmed

Tejan Kabbah, un civil de l’ethnie Susu,est élu président. Kabbah réduit la taillede l’armée et s’appuie sur des milicestraditionnelles, principalement Mendé,pour rétablir ordre. En définitive, legouvernement et le RUF signent unaccord de paix, et des centaines demilliers de déplacés rentrent chez eux.

Or la paix tarde à revenir. En mai 1997,des militaires déçus rejoignent le RUF

pour déposer Kabbah et établir leConseil révolutionnaire des forcesarmées (CRFA). Les combats entre lesforces de l’Ecomog et du CRFA

provoquent le déplacement de milliersde personnes en 1997, mais seterminent par un nouvel accord bilatéralde paix, fin 1997, prévoyant le retourau pouvoir de Kabbah et attribuant unrôle au chef du RUF, Foday Sankoh, alorsen prison. Fin 1998, suite à denouveaux affrontements, plus d’unmillion de Sierra-Léonais sont déplacés,dont 400 000 dans les pays voisins.

En juillet 1999, le gouvernement et lesrebelles se rencontrent à Lomé, au

Source : le nombre de déplacés internes a été fourni par la Commission des États-Unis pour les réfugiés.

Kilomètres

1000 200

LIBÉRIA

GUINÉE MALI

CÔTED'IVOIRE

GHANA

BURKINA FASO

SIERRALEONE

FREETOWN

MONROVIA

CONAKRY

ABIDJAN

Réfugiés libériens : 360 000

OCÉAN ATLANTIQUE

Réfugiés libériens :398 000

Réfugiés libériens : 16 000

Réfugiés sierra-léonais :155 000

Réfugiés sierra-léonais : 120 000

Déplacésinternes : 1 100 000

Réfugiés libériens : 16 000IDPs : 700 000

Populations de réfugiés et de personnes déplacées internes en Afrique de l’Ouest, en 1994 Carte 10.1

Togo, et signent un autre accord depaix, prévoyant le partage du pouvoirentre les deux partis et l’amnistie detous les auteurs d’atrocités contre lescivils. L’Ecomog est remplacée enoctobre 1999 par une force de maintiende la paix des Nations Unies de 11 000 membres, dont la tâcheprincipale est de superviser ladémobilisation des ex-combattants etde créer un environnement sûr pour leretour dans leur foyer des réfugiés etdes déplacés. À la fin de l’année, lasituation en Sierra Leone reste précaireavec des violations du cessez-le-feu,des abus concernant les droits del’homme et une démobilisation limitéedes soldats. L’amnistie n’efface pas lesséquelles des atrocités commises dansles années 1990 : la société toutentière reste traumatisée par lerecrutement forcé à grande échelled’enfants et par les affreusesmutilations de civils.

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Les Réfugiés dans le monde

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Enfin, au Zaïre oriental, le conflit du Nord-Kivu s’étend au Sud-Kivu. Là, lesBanyamulenges, un groupe tutsi zaïrois, subissent les contrecoups d’unamendement à la loi sur la citoyenneté zaïroise, entré en vigueur en 1981. Deséléments armés, poussés à la folie nationaliste par des politiciens locaux et agissantau nom du président Mobutu, s’attaquent à eux. Mi-septembre, des réfugiéscommencent à arriver par groupes au poste frontière de Cyangugu au Rwanda.On recense aussi des actes de vengeance des milices banyamulenges sur despopulations civiles et militaires au Sud-Kivu. L’Armée patriotique rwandaise (APR)se révèle impliquée dans ces troubles : ses soldats pénètrent au Zaïre pour soutenirles milices banyamulenges et d’autres groupes d’opposition armés, en rébellioncontre le régime du président Mobutu.

Un an après, le vice-président rwandais, Paul Kagame, confirme que songouvernement a bien prêté main-forte à l’opposition banyamulenge et à d’autresgroupes de rebelles zaïrois. Il justifie cette attaque du territoire zaïrois et des campsde réfugiés du Kivu par la nécessité qu’il y aurait eu de mettre fin aux incursionsarmées des extrémistes hutus basés dans ces camps.

La position, déjà difficile, du HCR et des autres organisations humanitaires dans lesKivus empire. Les organisations humanitaires ont rarement, sinon jamais, été aussiclairement associées aux objectifs militaires d’une guerre comme dans le cas, parexemple, du démantèlement des camps de réfugiés construits et financés par ellesdepuis deux ans. La présence du Contingent zaïrois, payé par le HCR pour assurerl’ordre dans les camps, complique encore la situation. L’ex-FAR s’oppose aussi à lapénétration des forces rebelles, fortement soutenues par le gouvernement rwandais.

Pour le gouvernement rwandais et ses alliés, le HCR semble aider les réfugiés maisaussi les génocidaires et leur parrain, le régime de Mobutu. Les réfugiés eux-mêmescritiquent le HCR, et lorsque le Haut Commissaire exhorte les Rwandais pris dans lesconflits à rentrer au Rwanda, des groupes extrémistes le taxent alors de collaboreravec l’agresseur. Le gouvernement zaïrois va jusqu’à accuser le HCR de prendre partà ce qu’il présente comme l’« invasion » du Sud-Kivu.

Le HCR et les autres organisations humanitaires se trouvent dans une situationpolitiquement difficile et de plus en plus dangereuse. L’argument selon lequell’aide humanitaire, en l’absence de toute action politique, peut prolonger, voireamplifier, un conflit armé est renforcé par les événements du Zaïre oriental.Comme le note le Haut Commissaire Sadako Ogata début octobre 1996 :

Le rapport entre les problèmes de réfugiés, la paix et la sécurité n’est peut-êtrenulle part plus clair que dans la région des Grands Lacs en Afrique […] Monorganisation ne s’est probablement jamais trouvée, dans le cadre de sa missionhumanitaire, dans un tel imbroglio fatal d’intérêts politiques et sécuritaires.Alors que notre assistance humanitaire et notre protection s’adressent à unemajorité innocente et silencieuse de réfugiés désespérés et dépourvus de tout,elles servent aussi des militants qui ont intérêt à maintenir le statu quo. Cela nepeut pas continuer comme ça19.

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Les camps de Goma attaqués

Les forces armées qui interviennent contre les camps de réfugiés rwandais (etburundais) au Sud-Kivu sont, dans un premier temps, difficiles à identifier. On lesdésigne d’abord tous Banyamulenges. Mais, mi-octobre, on parle d’une nouvelleformation : l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Zaïre/Congo(ou AFDL/ZC), un nom qui implique la participation de Zaïrois d’origine dans unenouvelle guerre, et un programme politique plus vaste.

Les camps de réfugiés demeurent malgré tout la première cible. Les premiers àêtre attaqués sont ceux du Sud, dans la région d’Uvira, qui rassemblent le gros desréfugiés burundais. Ces camps sont infiltrés par les Forces de défense de ladémocratie (FDD), ex-guérilleros hutus, qui se battent contre le gouvernement duprésident Buyoya qui a pris le pouvoir du Burundi en juillet 1996. En octobre1996, les camps sont investis avec une facilité surprenante, et les réfugiés très viteregroupés de l’autre côté de la frontière, au Burundi. Le FDD subit d’importantespertes dans cette entreprise. L’attaque contre Uvira oblige le HCR et ses partenaires àsuspendre leurs opérations. Le personnel étranger est évacué, laissant derrière luides collègues zaïrois et des dizaines de milliers de réfugiés. Les locaux du HCR sontpillés et vandalisés.

Après l’attaque principale contre Uvira, les réfugiés rwandais ayant survécu sontrepoussés vers le Nord, en direction de la région de Bukavu attaquée à son tour.Les derniers travailleurs humanitaires internationaux sont évacués de Bukavu le 29 octobre, au milieu de combats intenses. À nouveau, les réfugiés rwandais sontobligés de partir et se dirigent soit vers l’ouest ou vers le nord, pour tenter derejoindre la principale concentration de réfugiés dans la zone de Goma.

Mais le Nord-Kivu n’est pas sûr non plus. La rébellion s’étend rapidement,surprenant aussi bien les Zaïrois que les observateurs internationaux. Les forcesrebelles attaquent deux des camps au nord de Goma – Katale et Kahindo –, et descentaines de milliers de personnes sont obligées de s’enfuir vers les deux derniersbastions de sécurité, les camps de Mugunga et de Kibumba. Quelques jours plustard, Kibumba est directement attaqué, et plus de 200 000 réfugiés se tournent alorsvers Goma et Mugunga. Le 31 octobre, c’est au tour de la ville de Goma d’êtreattaquée. Le 2 novembre, le personnel du HCR et d’autres organisations humanitaires,encore à Goma, sont évacués et rassemblés de l’autre côté de la frontière du Rwandavoisin, sous la protection de l’Armée patriotique rwandaise (APR)20.

Ces événements témoignent de l’échec dramatique de la communautéinternationale en ce qui concerne la protection des réfugiés. Ils représentent aussil’une des crises les plus sérieuses de l’histoire du HCR. En l’espace de quelques jours,le HCR et ses partenaires sont obligés d’abandonner des centaines de milliers deréfugiés dans une situation de conflits qui ne cessent de s’intensifier. Ils sont coupésdu seul camp de réfugiés qui reste, et ont perdu le contact avec la plupart des autresréfugiés qui se sont dispersés en désordre à travers tout le Kivu. La majorité ayantfui dans la forêt équatoriale du Zaïre oriental, une action d’urgence devientnécessaire. Comme en 1994, le HCR demande qu’une force internationale vienne

Le génocide rwandais et ses répercussions

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Les Réfugiés dans le monde

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protéger l’accès humanitaire auprès des réfugiés. Si la mobilisation d’une telle forceétait difficile en 1994, elle est à présent quasiment impossible. Les réfugiés, malgréeux, sont totalement à la merci des éléments armés. Les difficultés et lescontradictions exprimées au cours de ces dernières années atteignent là unsommet. Encore une fois, les capitales occidentales s’empêtrent dans desdiscussions sur la nécessité d’expédier une force multinationale et sur son mandat,mais rien ne se fait.

Si la suspension des opérations humanitaires a des conséquences dramatiques, leHCR et ses partenaires peuvent malgré tout reprendre certaines de leurs activitésquelques jours plus tard. Les forces rebelles, désormais appelées AFDL, occupent unegrande partie du Kivu oriental, et les Nations Unies commencent à négocier lareprise des interventions humanitaires dans les territoires qu’elles occupent. Unedélégation des Nations Unies rencontre à Goma le chef de l’AFDL, Laurent-DésiréKabila, futur président de la République démocratique du Congo. L’AFDL, adoptantune tactique qui sera régulièrement suivie au cours des mois ultérieurs, annoncequ’elle autorisera le HCR à approcher les réfugiés, alors qu’en réalité, dans lesterritoires sous son contrôle, elle en limite l’accès. Le HCR est systématiquementempêché d’y pénétrer jusqu’à ce que les éléments soupçonnés d’être armés aientété éliminés. Des réfugiés sont souvent tués au cours de ces opérations militaires.

Les 12 et 13 novembre, le camp de Mugunga est bombardé par l’APR. Les réfugiéstentent de s’enfuir vers l’Ouest, plus profondément à l’intérieur du Zaïre. Certainsy parviennent, mais la plupart en sont empêchés par les forces rebelles. La seulevoie sûre conduit à nouveau au Rwanda. Un grand nombre de réfugiéscommencent à affluer à proximité de la frontière. Entre-temps, l’AFDL a autorisé leHCR à reprendre ses activités à Goma. Mais lui ne peut que regarder des centaines demilliers de gens marcher, dans un silence sinistre, vers le pays d’où, expulsés d’uneautre manière, ils sont partis, en masse, à peine deux ans auparavant.

Le rapatriement de la République-Unie de Tanzanie au Rwanda

La situation dans les camps de réfugiés rwandais en Tanzanie est moins dramatiqueque dans les camps zaïrois. L’ancien régime y a moins d’emprise sur les populationsde réfugiés : les anciennes troupes du FAR n’y ont pas la même présence militaire, etl’attitude des pouvoirs publics tanzaniens est beaucoup plus résolue et transparenteque celle du gouvernement zaïrois. Un accord tripartite de rapatriement volontaireest signé le 12 avril 1995 entre le Rwanda, la Tanzanie et le HCR. Mais cerapatriement se révèlera limité : 6 427 personnes en 1995 et 3 445 en 1996, surune population de réfugiés de l’ordre de 480 000.

La présence d’un grand nombre de réfugiés en Tanzanie occidentale pose demultiples problèmes (déforestations, vols, et violences occasionnelles). Lespouvoirs publics tanzaniens voient dans le rapatriement massif, et forcé, qui a lieuau Zaïre en novembre 1996, un signe évident. Pour le président Benjamin Mkapa :« Le rapatriement des réfugiés est désormais bien plus réalisable21. » Le lendemain,le colonel Magere, secrétaire permanent du ministère de l’Intérieur, déclare au

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délégué du HCR que, « suite au retour massif depuis le Zaïre oriental et à l’évolutiondes événements, les réfugiés rwandais en Tanzanie n’ont désormais plus de raisonslégitimes de refuser leur retour au Rwanda22 ».

Les fonctionnaires du HCR répondent qu’il est possible de rapatrier la populationdes camps au Rwanda dans des conditions de sécurité suffisantes, mais que lesréfugiés qui souhaitent le faire se heurtent au refus de leurs propres dirigeants.Ceux-ci, en majorité des génocidaires, gardent la plupart des réfugiés en otages, pourse protéger eux-mêmes. Le HCR cherche alors à saper leur autorité en lançant unappel général au rapatriement23. Le 6 décembre 1996, le gouvernement tanzanienet le HCR publient conjointement une déclaration à l’adresse de tous les réfugiésrwandais en Tanzanie24. Ils affirment qu’à la suite des engagements récemment prispar le gouvernement rwandais, tous les réfugiés rwandais « peuvent désormaisregagner leurs pays en toute sécurité » et qu’ils sont tous « censés rentrer avant le31 décembre 1996 ». On y lit encore : « Le gouvernement tanzanien et le HCR

invitent, par conséquent, tous les réfugiés à faire leurs préparatifs pour rentrer avantcette date. » Mais, au lieu de se plier à ces injonctions, les chefs des réfugiés

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Encadré 10.5 Des réfugiés dans le désert du Sahara occidental

Les frontières de l’ex-Sahara espagnolsont déterminées par quatre accordsfranco-espagnols entre 1900 et 1912,quand la plus grande partie du Marocdevient un protectorat français. LeSahara espagnol reste sous contrôle del’Espagne jusqu’en 1975. Les autoritéscoloniales décident alors d’évacuer leterritoire en réponse à la situationpolitique en Espagne même,l’animosité grandissante de lapopulation locale vis-à-vis des colonset la pression du Maroc indépendant.En novembre, les accords de Madrid,entre l’Espagne, le Maroc et laMauritanie partagent la colonie suivantune ligne nord-sud, au profit du Marocet de la Mauritanie respectivement. Àcette époque, la colonie devient leSahara occidental. Au cours des moisqui suivent, des milliers de soldats etde civils des deux pays affluent dansles territoires nouvellement acquis, etdes milliers d’habitants du Saharaoccidental les quittent.

Au cours des dernières années de ladomination espagnole, le mouvementanticolonial prend corps autour d’uneorganisation militaire et politique,fondée en 1973 par un grouped’étudiants : le Frente Popular para laLiberación de Saguia el-Hamra y del Ríode Oro, mieux connu sous le nom deFront Polisario. L’accord inattendu entrel’Espagne, le Maroc et la Mauritanie en1975 profite à cette organisation qui,entraînée et équipée militairement parla Libye (Jamahiriya arabe libyenne),est désormais aussi soutenue, de plusen plus, par l’Algérie. Avec l’aide dugouvernement algérien, les réfugiés quiparviennent à s’enfuir du Saharaoccidental s’installent dans quatregrands camps au sud de Tindouf, unerégion rocheuse et aride au sud-ouestde l’Algérie.

L’autodétermination

À partir de ces camps, le FrontPolisario proclame l’indépendance de

la République arabe sahraouiedémocratique (RASD) et établit ungouvernement en exil en février 1976.Lorsque la Mauritanie renonce à sesprétentions territoriales en août1979, le Maroc occupe le secteur sudet y exerce un contrôle administratifdepuis lors. Les armées du Maroc etdu Polisario poursuivent une guerresans merci jusqu’au plan derèglement, approuvé par le Conseil desécurité en avril 1991. Suivant ceplan, un cessez-le-feu est instauré enseptembre, et il est prévu de tenir unréférendum sous les auspices desNations Unies, permettant auxSahraouis de trancher entrel’intégration avec le Maroc oul’indépendance.

Le processus complexe pour établirl’électorat à ce référendum revient à laMission des Nations Unies pourl’organisation d’un référendum auSahara occidental (MINURSO), créée enavril 1991. Elle a pour tâche d’identifierles Sahraouis parmi toute unepopulation éparpillée dans la région,tâche constamment retardée par lesdésaccords entre le gouvernementmarocain et le Front Polisario à proposde l’éligibilité de chacun. Les deuxparties pensent en effet que laconstitution de l’électorat seradéterminante pour les résultats duréférendum. En décembre 1999, plus decinq ans après le début de la procédured’établissement des listes électorales,et après que 198 500 candidats ont étéinterrogés, seuls 86 000 sont jugésaptes à voter ; la MINURSO n’a pas encoreterminé sa tâche, empêtrée qu’elle estdans une phase difficile et délicated’appels en annulation, émanant desdeux tiers environ des personnes quin’ont pas été retenues.

En vue du référendum prévu, le HCR acommencé à préparer un plan derapatriement volontaire pour lesréfugiés qui ont le droit de vote et

leur famille proche – 120 000 personnes en tout. Ungrand nombre de réfugiés ontconstamment dit qu’ils souhaitaientretourner dans la partie du Saharaoccidental qui s’étend à l’est d’unegrande muraille de sable de 2 500 kmde long – la berme – érigée par leMaroc, et ce, indépendamment de larégion d’où ils sont originaires. Pourdévelopper une atmosphère deconfiance, le HCR tente de promouvoirles visites des familles de l’autre côtéde la frontière. Mais les réfugiéscraignent pour leur sécurité en cas deretour dans la partie occidentale duterritoire.

Le Sahara occidental est toujoursdivisé en deux zones, de part et d’autrede la berme. Le Polisario contrôle unepartie importante de l’intérieurjusqu’aux frontières orientales avecl’Algérie et la Mauritanie. Le Marocexerce son contrôle sur les zonescôtières, y compris le « triangle utile »au nord, entre El Aïun, Smara et lesvastes réserves de phosphates de BouCraa. Bien que les limites de ces zonesn’aient guère bougé au cours de ladernière décennie, beaucoup de chosesont changé à l’intérieur. Le Maroc aconsidérablement améliorél’infrastructure de base et l’industrielleà Laayoune et, dans une moindremesure, dans le reste du « triangleutile ».

Les camps de réfugiés

En 1975, la majeure partie desréfugiés se rend dans une zonedésertique et inhospitalière autour deTindouf en Algérie, à environ 500 kilomètres à l’est d’El Aïun et à 50 kilomètres de la frontière avec leSahara occidental. Fin 1976, quelque50 000 Sahraouis vivent dans cetterégion. Trois camps de réfugiés sontcréés sur quelques centaines dekilomètres carrés que le gouvernementalgérien prête provisoirement à la

Les Réfugiés dans le monde

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RASD. Plus tard, un quatrième camp estouvert. Les réfugiés y reçoivent uneaide humanitaire du gouvernementalgérien, du Croissant-Rouge et duHCR. À leur apogée, les camps abritentjusqu’à 165 000 personnes, selon lesestimations fournies par legouvernement algérien.Durant les affrontements militaires, laplupart des hommes des campsrejoignent l’armée grandissante duPolisario, de mieux en mieux équipée.Les femmes gèrent les camps. Aucours des vingt-cinq dernièresannées, des hôpitaux, des écoles, desateliers et des ministères ont étéconstruits entre les tentes quitiennent lieu de foyer aux réfugiés.À l’heure actuelle, ces réfugiés sontlargement dépendants de l’aideinternationale. Elle est fournie parl’Office humanitaire de laCommunauté européenne (ECHO), parle gouvernement algérien, par leProgramme alimentaire mondial et parle HCR, ainsi que par différentesorganisations non-gouvernementaleseuropéennes et par des sourcesbilatérales. Néanmoins, la situationalimentaire, sanitaire et médicale n’acessé de se détériorer au cours dutemps. La malnutrition et lesmaladies infantiles se multiplient, etla qualité de l’eau potable estmauvaise. Les réfugiés reçoivent unenseignement primaire et secondairedans les camps, et certains ont puobtenir des bourses pour aller étudierà l’étranger. Chaque année, quelquesmilliers de réfugiés passent leurs« vacances d’été » en Europe, enparticulier en Espagne, où ils sontreçus par des famillessympathisantes. Outre les réfugiésdes camps, fin 1999, on estime qu’il ya environ 26 400 Sahraouis enMauritanie et plus de 800 qui fontleurs études à Cuba.Le Polisario maintient des rapportsétroits avec les réfugiés sahraouis.

L’organisation dispose d’un large réseaude représentants. La plupart vivent enEurope, en particulier en Italie et enEspagne, mais ils sont présents dans lemonde entier. Ils tissent des réseaux desecours pour les réfugiés et le soutien àla lutte des Sahraouis pour leurindépendance.Malgré les améliorations considérablesdues aux Sahraouis pour renforcer lebien-être social dans les camps, certainsles ont quittés pour chercher du travail.Beaucoup ont rejoint leurs parents enMauritanie, en Algérie et même auMaroc. D’autres qui restent dans lescamps quittent Tindouf pendant lesmois brûlants d’été pour des lieux pluscléments, comme les îles Canaries,l’Espagne ou au-delà.Mais la plupart des réfugiés sahraouiscontinuent à y vivre ou s’y rendent

ALGÉRIE

MAROC

Saharaoccidental

MALI

MAURITANIE

Tindouf

Smara

Dakhla

Boujdour Bou Craa

El Aïun

Zouerate

Nouadhibou

Agwanit

Tifariti

O C É A N

AT L A N T I Q U E

ÎLES

CANARIES

LÉGENDE

Camp de réfugiés

Ville ou village

Frontière internationale

Berme0 100 200

Kilomètres

Le Sahara occidental, en 1999 Carte 10.2

Le génocide rwandais et ses répercussions

267

régulièrement. Beaucoup établissentdes relations sociales et économiquesavec les communautés sahraouiesdans des villes mauritaniennes aussiéloignées que Nouadhibou etNouakchott, dans les îles Canaries eten Espagne. Ces activités manifestentmaintenant l’activité économiquesignificative des camps.Il s’est écoulé plus de vingt-cinq ansdepuis la dispersion des réfugiéssahraouis, et cela fait presque neuf ansque le référendum était censé avoirlieu. La date de celui-ci n’a toujourspas été fixée. Il n’existe aucunprocessus pour faire respecter lerésultat du référendum. À ce titre,l’avenir du Sahara occidental, dépeintpar certains spécialistes comme la« dernière colonie d’Afrique », resteencore vague.

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Les Réfugiés dans le monde

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décident, le 12 décembre, de déplacer tous les leurs plus encore à l’intérieur de laTanzanie orientale. Le gouvernement tanzanien s’oppose fermement à cemouvement et déploie ses troupes pour réorienter les réfugiés et leur faire traverserla frontière du Rwanda.

Le rapatriement forcé de Tanzanie n’a rien à voir avec les événements violentsqui se sont passés au Zaïre, où des milliers de réfugiés ont été massacrés ou obligésde s’enfuir dans une zone de guerre effective. Il soulève cependant unepolémique. Bien que n’ayant jamais approuvé une proposition de renvoi desréfugiés par la force, le HCR est sévèrement critiquée par Amnesty International,Human Rights Watch et d’autres associations de défense des droits de l’hommepour son rôle dans une telle opération de rapatriement, notamment en ce quiconcerne la déclaration conjointe demandant aux réfugiés de quitter la Tanzanie enmoins d’un mois25.

À la recherche des réfugiés au Zaïre

Au Zaïre, l’AFDL et ses alliés rwandais ont lancé une campagne militaire. Elle lesamène à traverser tout le pays jusqu’à Kinshasa, qu’ils atteignent le 17 mai 1997,pour déposer le président Mobutu et prendre le pouvoir. Entre-temps, dans lesforêts du Zaïre, un nombre indéterminé de réfugiés rwandais hutus errent àl’aventure, dans des conditions dramatiques. Une bataille sur les chiffres commencealors. En novembre 1996, une évaluation grossière, menée au point de passagefrontalier entre Goma et Gisenyi, indique qu’au total 380 000 personnes onttraversé la frontière pendant le premier mouvement de masse, à la suite de la chutede Mugunga26. Les réfugiés qui retournent via Cyangugu ou les retardataires quiarrivent via Gisenyi dans les jours qui suivent sont environ 100 000. On arrive doncà un total approximatif de 500 000 personnes.

Le personnel du HCR accepte le nombre de 600 000 rapatriés mis en avant par legouvernement rwandais, bien que ce nombre soit jugé trop élevé. Les pouvoirspublics de Kigali, soutenus par certains gouvernements occidentaux, n’ont de cessed’affirmer que les chiffres du HCR sur la population des camps au Zaïre (environ1,1 million) sont totalement surévalués. Avec l’appui de l’AFDL, ils prétendent alorsque la plupart des réfugiés sont déjà rentrés et qu’il ne reste que des élémentsarmés au Zaïre, qui ont toutes les raisons de se cacher dans la forêt. Le HCR et lesautres agences humanitaires continuent, en vain, d’affirmer que des centaines demilliers de réfugiés se trouvent bel et bien encore au Zaïre.

Les chiffres concernant les réfugiés deviennent un sujet politique vivementdébattu au niveau international. Le déploiement d’une force multinationale a enfinété approuvé le 15 novembre 1996 par la Résolution 1080 du Conseil de sécurité.Mais ce déploiement suppose l’existence d’un nombre important de réfugiés auZaïre. Or un certain nombre de gouvernements ne sont pas en faveur d’un teldéploiement, qui expose leurs propres soldats à des risques évidents. Au Zaïre,l’AFDL, soutenue par le Rwanda, ne veut pas d’une force multinationale qui risque

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Le génocide rwandais et ses répercussions

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de lui barrer la route de Kinshasa à l’ouest. Elle répète qu’elle n’a nul besoin d’uneaide internationale pour ramener les « quelques » réfugiés qui restent encore.

Le 21 novembre 1996, un porte-parole de l’ONU à New York annonce que le HCR

« recense toujours 746 000 réfugiés au Zaïre et que le problème est loin d’êtrerésolu »27. Le jour même, le gouvernement rwandais publie un communiquéaffirmant que « le nombre de réfugiés rwandais avancé par les organisationsinternationales est totalement faux et trompeur » et que les gens qui marchent versl’ouest « pourraient bien être des Zaïrois ou des Burundais ». L’ambassadeuraméricain au Rwanda, de son côté, déclare qu’il n’y a que quelques « dizaines ouvingtaines de milliers de réfugiés au Zaïre plutôt que ces chiffres faramineuxannoncés » ; Le Monde, enfin, dans son édition du 23 novembre, affirme qu’il y aencore 800 000 réfugiés au Zaïre.

Le lieutenant-général Maurice Baril (qui a été nommé à la mi-novembre pourcommander la force multinationale au Zaïre oriental) déclare, le 21 novembre1996 : « La situation est confuse et les estimations quant au nombre de réfugiésvont de 100 000 à 500 000 […] Il sera nécessaire d’être mieux informés quant auxconditions sur le terrain pour étudier les choix militaires possibles28. » Pendant cetemps, à Goma, à Bukavu et plus tard à Uvira, le HCR s’efforce, avec acharnement, delocaliser les réfugiés dispersés, de créer des systèmes d’information et des points derassemblement et de convoyer au Rwanda ceux qui le désirent, c’est-à-dire lamajorité. Le HCR donne, à intervalles réguliers, des éléments d’information auxresponsables chargés de planifier la force multinationale, mais l’attentioninternationale se relâche, de nouveau. À la fin de l’année, la force embryonnairebasée en Ouganda, quitte le pays. Une fois de plus, comme pour les camps du Kivu,les agences humanitaires sont abandonnées à elles-mêmes, pratiquement sansaucun appui international.

Les opérations de recherche et de secours du HCR

Dès le début, et contrairement aux affirmations de l’AFDL et du gouvernementrwandais, il est certain que beaucoup des réfugiés poussés hors des camps duZaïre sont en perdition dans des territoires reculés, à l’ouest de Goma et deBukavu, au fin fond du Zaïre. Des centaines de milliers de Rwandais se trouventtoujours au Zaïre. La plupart fuient vers l’ouest, tout à la fois protégés et violentéspar les survivants de l’ex-FAR. Certains groupes se sont arrêtés dans des lieux loinde tout où ils se terrent. D’autres forment des poches de résistance dans desendroits comme Masisi. Lorsque la progression de l’ADFL et de ses alliés versKinshasa se mue en déferlement, les Rwandais fugitifs deviennent les premièrescibles des rebelles. Le FAZ est pratiquement anéanti, et la seule résistance effectiveest celle de l’ex-FAR.

Des milliers de Rwandais périssent au cours de leur fuite. Leur nombre exact nesera jamais connu. Les rumeurs de massacres par les rebelles courent depuis ledébut, mais elles sont difficiles à vérifier. En novembre, des journalistes publient

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Les Réfugiés dans le monde

270

0 200

Kilomètres

400

RÉPUBLIQUE-UNIE DE

TANZANIE

RÉPUBLIQUEDÉMOCRATIQUE

DU CONGO/EX-ZAÏRE

CONGO

CAMEROUN

RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE

OUGANDA

ZAMBIE

SOUDAN

ANGOLA

TCHAD

BRAZZAVILLE

Goma

Juba

BANGUI

KINSHASA

LUANDA

LUSAKA

N'DJAMENA

Matadi

Kikwit

Lubumbashi

Impfondo

Kapanga

Fizi

KalemiéMbuji-Mayi

Buta Watsa

Mouvement de réfugiésou déplacés internes

Frontière administrativeFrontière internationale

LÉGENDE

Ville ou villageCapitale

KIGALI

BUJUMBURA

KisanganiMbandaka

Ndjundou Boende

Loukolela RWANDATingi-Tingi

Gemena

Équateur

Kananga

BukavuShabunda

Kindu

BURUNDIUvira

Katanga

Kasai oriental

Kasai occidental

Bandundu

Bas-Congo

Kinshasa

Kivu

Province orientale

Mouvements de réfugiés rwandais et burundais, entre 1994 et 1999 Carte 10.3

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les premiers récits des massacres de réfugiés. Plus tard, les ONG et les associationsde défense des droits de l’homme donnent des éléments plus précis. Le HCR et lesautres organisations humanitaires, qui connaissent le sort des réfugiés, hésitententre dénonciation et silence, de crainte de se voir empêcher de continuer leursopérations de secours. Début décembre 1996, le HCR participe à une missionconjointe de l’ONU à Tingi-Tingi, où un grand nombre de réfugiés commence àaffluer. Un autre ensemble important se trouve à Shabunda, plus au sud.

Pour parvenir jusqu’aux réfugiés, les organisations humanitaires dépendent de labonne volonté des rebelles, largement soumise à des considérations stratégiques.Après des négociations longues et laborieuses avec les autorités de l’AFDL, le HCR etses partenaires établissent plusieurs points de rassemblement pour les réfugiés.Mais le risque demeure que ces endroits ne soient utilisés par l’AFDL pour identifierles réfugiés eux-mêmes et les regrouper dans des endroits éloignés. Ceux quiparviennent jusque-là sortent de la forêt dans de très mauvaises conditionsphysiques et terrifiés, à la fois par ce qu’ils laissent derrière eux – leurs anciensravisseurs, les génocidaires, et leurs nouveaux gardiens, les rebelles – et aussi par ce quiles attend, au Rwanda. Le HCR n’est autorisé à entrer en contact avec les réfugiésqu’après la fin des combats.

La chute du camp rwandais hutu militarisé de Tingi-Tingi, en mars 1997,marque un tournant dans la guerre. Pour les rebelles, c’est la voie ouverte versKisangani, la plus grande ville zaïroise entre les Kivus et Kinshasa. Les événementsde Kisangani, en 1997, sont une triste illustration des relations entre la guerre et lesopérations de recherche et de secours de la part des organisations humanitaires. Enavril, le HCR découvre un groupe important d’environ 80 000 réfugiés, en fuite, et,avant que l’AFDL n’ait pu les atteindre, les aide à s’installer dans deux camps au sudde Kisangani. Les rebelles prennent le contrôle du territoire au moment où doitdébuter l’opération de transfert des réfugiés par avion. Les rebelles barrent la routeau HCR, attaquent les camps et suppriment tous les hommes qu’ils suspectentd’appartenir à l’opposition armée. À dessein ou non, beaucoup de réfugiés sontégalement tués. Les organisations humanitaires se voient refuser jusqu’à l’accès auxfosses communes.

Aux Rwandais qu’il parvient à joindre, le HCR ne peut que proposer une optionde rapatriement vers un Rwanda dangereux et incertain. Rester au Zaïre signifie unemort presque certaine. Dans ces circonstances, il n’est pas possible d’offrir d’autrechoix aux réfugiés. Devant un tel dilemme, le HCR envisage de se retirer, maisl’impératif de sauver des vies prime. L’opération de secours continue jusqu’enseptembre 1997. Le HCR organise le rapatriement des réfugiés par camion ou paravion. En fin de compte, plus de 260 000 Rwandais sont ainsi sauvés, dont 60 000évacués par un pont aérien du HCR. Ensuite, l’organisation montera une grandeopération de réintégration au Rwanda pour y aider les centaines de milliers derapatriés.

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La diaspora rwandaise hutue

Beaucoup de Rwandais épargnés par la guerre et non rapatriés vont vers l’ouest etse retrouvent à l’autre bout du continent, en Angola et au Congo-Brazzaville.Certains atteignent l’océan Atlantique, après avoir marché pendant plus de2 000 kilomètres. Beaucoup parmi eux sont d’anciens membres du FAR et desmilices hutues que l’AFDL et ses alliés ont tenté d’exterminer pendant les attaquescontre les camps du Kivu et durant toute la guerre. Ils disposent d’armes et arriventen meilleur état physique que les réfugiés ordinaires. Ils savent mieux marcher etréquisitionnent des véhicules qui leur donnent un accès privilégié à l’aidealimentaire.

Lorsque l’opération de secours s’achève, le HCR tente, au cours d’entretiens, deséparer les réfugiés des génocidaires. Une fois de plus, c’est presque impossible. En1997, le sort des réfugiés est tellement imbriqué dans celui des éléments armésqu’il est pratiquement impossible d’établir une distinction entre les uns et lesautres. En 1999, le HCR réitère le rapatriement des réfugiés qui ont réussi à survivreet se sont rassemblés dans la partie orientale de la République démocratique duCongo. Ils sont plus de 35 000 à rentrer. Les groupes armés rwandais qui restenthors du Rwanda constituent une menace moindre mais toujours vraie pour leRwanda. Beaucoup suivent l’exemple d’autres armées vaincues d’Afrique centraleet deviennent des mercenaires. Certains se ruent vers d’autres conflits, par exempleen Angola ou au Congo-Brazzaville. Beaucoup continuent de se battre dans lanouvelle République démocratique du Congo où la guerre éclate, à nouveau, en199829.

Une nouvelle phase de la guerre en Républiquedémocratique du Congo

En août 1998, il apparaît que les gouvernements rwandais et ougandais nesoutiennent plus le président congolais Kabila. La coalition des pays africains qui,jusqu’à présent, l’avait soutenu se divise en deux : une moitié, conduite parl’Angola et le Zimbabwe, qui soutient le régime ; l’autre, conduite par le Rwanda etl’Ouganda, qui veut le voir renversé. La crise dont l’épicentre était au Rwanda et auBurundi se transforme en conflit plus large centré sur la République démocratiquedu Congo. La nouvelle guerre tire ses origines de la guerre civile du Zaïre qui a faittomber le président Mobutu et des tensions non résolues dans la région des GrandsLacs et alentour. Depuis la chute de Mobutu, la guerre évolue vers une bataille pourle contrôle du pays et de ses richesses naturelles. Elle implique les armées de sixÉtats et plusieurs autres groupes armés non étatiques. Le coût en souffranceshumaines s’accroît. Fin 1999, le nombre des personnes déplacées est estimé à plusd’un million.

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Cette nouvelle phase de la guerre confirme les tendances antérieures en ce quiconcerne l’engagement international dans la région. Les pays qui bordent laRépublique démocratique du Congo, et quelques autres, n’ont pas hésité àintervenir pour défendre leurs intérêts stratégiques. Entre-temps, et en fortcontraste avec les crises du Kosovo et du Timor-Oriental en 1999, la communautéinternationale, au sens large, hésite à s’interposer. L’incapacité à arrêter le génocideau Rwanda en 1994, à prévenir la militarisation des camps de réfugiés à Gomaentre 1994 et 1996, à suivre efficacement la dispersion des réfugiés rwandais hutusau Zaïre et à les protéger et à les secourir démontre qu’une guerre civile et undéplacement humain forcé que l’on ignore délibérément peuvent avoir desconséquences catastrophiques.

Le génocide d’avril 1994 est l’événement déterminant dans toute l’histoirerécente de la région. Il aurait pu être évité. Le fait qu’il ait eu lieu apparaît commela conséquence de décennies d’occasions manquées. Pis encore, on n’a pas encoreremédié au désastre qui a coûté des dizaines, peut-être des centaines, de milliers devies – par le fusil, la maladie ou la famine dans les combats de la période 1996-1997. Le président Mobutu est parti, mais la République démocratique du Congon’est pas encore un État pleinement en fonction. Le statut et la nationalité desBanyarwandais dans la région des Kivus ne sont toujours pas fixés. La situationsécuritaire au Rwanda reste douteuse, comme au Burundi. L’antagonisme entre lesHutus et les Tutsis perdure.

En Afrique centrale, les organisations humanitaires ont été victimes d’unprocessus politique à long terme qui s’est manifesté par un niveau élevé deviolences et de coercitions. Un conflit de ce type et ses conséquences en termes dedéplacements de personnes ne peut pas être prédit ni contrôlé efficacement par lesorganisations humanitaires. Pour remédier aux effets de la violence, différentesorganisations, comme le HCR, ont été obligées de négocier avec des groupes armésqui faisaient preuve d’un niveau élevé de sophistication politique et d’une capacitéde manipulation brutale des populations qu’ils contrôlaient. Souvent, lesorganisations humanitaires se sont retrouvées seules sur le front de bataille alorsque le reste de la communauté internationale restait en retrait. Aujourd’hui, uneréaction internationale mieux orchestrée, intégrant le processus du maintien de lapaix et maintenant une pression diplomatique dans le cadre de son assistancehumanitaire, peut seule espérer améliorer les performances ratées de la décennieachevée.