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Juan Cuadrado Ruiz A. Vayson de Pradenne Un Glozel espagnol. Les Falsifications d'objets préhistoriques à Totana (Espagne) In: Bulletin de la Société préhistorique de France. 1931, tome 28, N. 9. pp. 371-389. Citer ce document / Cite this document : Cuadrado Ruiz Juan, Vayson de Pradenne A. Un Glozel espagnol. Les Falsifications d'objets préhistoriques à Totana (Espagne). In: Bulletin de la Société préhistorique de France. 1931, tome 28, N. 9. pp. 371-389. doi : 10.3406/bspf.1931.5595 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bspf_0249-7638_1931_num_28_9_5595

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Juan Cuadrado RuizA. Vayson de Pradenne

Un Glozel espagnol. Les Falsifications d'objets préhistoriques àTotana (Espagne)In: Bulletin de la Société préhistorique de France. 1931, tome 28, N. 9. pp. 371-389.

Citer ce document / Cite this document :

Cuadrado Ruiz Juan, Vayson de Pradenne A. Un Glozel espagnol. Les Falsifications d'objets préhistoriques à Totana(Espagne). In: Bulletin de la Société préhistorique de France. 1931, tome 28, N. 9. pp. 371-389.

doi : 10.3406/bspf.1931.5595

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bspf_0249-7638_1931_num_28_9_5595

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Un Grlozel Falsifications d'objets préhistoriques

à Totana.

Juan CUADRADO RUIZ

et

A. VAYSON DE PRADENNE

Tous les Préhistoriens ont entendu parler d'une affaire de fabrication de fausses statuettes plus ou moins en relation avec les belles et authentiques trouvailles d'Elche.

Des romans en ont tiré parti et certains journaux, au moment de l'affaire de Glozel, y ont fait allusion. Cependant, rien de précis, rien de technique si l'on peut dire, n'avait été publié sur cette histoire.

Cette année, en profitant pendant quelques jours, de l'hospitalité aussi aimable qu'instructive de notre Collègue M. Siret, le savant explorateur de la Préhistoire dans le Sud-Est espagnol, je pus contempler chez lui, à Herrerias, une étonnante série des statuettes et vases-figures en question. D. Juan Cuadrado Ruiz, disciple de M. Siret, et qui a déjà à son actif de très belles découvertes, récompense logique d'une grande activité, d'un sens aigu de l'archéologie sur le terrain et d'une excellente méthode scientifique, a bien voulu me promettre quelques renseignements précis sur l'aventure II la connaissait de longue date et de plus, ayant occa sion de séjourner au lieu même de la fraude, à Totana, il pouvait enquêter de la meilleure façon. C'est lui-même qui a fouillé récemment la station authentique prise comme base d'opérations par les fraudeurs. Les renseignements qu il a bien voulu m'adresser étaient rédigés et coordonnés de si excellente manière, que je me suis borné à les traduire. Traduttore, traditore, dit-on. Cependant, je me suis efforcé de trahir le moins possible la pensée de l'Auteur : je n'ai trahi son texte volontairement qu'une fois, et encore est-ce seulement pour quelques mots qui auraient fait souflrir ma modestie : péché véniel ! Que Don Juan me pardonne !

Comme on le verra par son récit si bien conduit, l'aventure est extrêmement intéressante et profitable à lire. On y tient la confession d'un des auteurs de la fraude : fait rare et qui permet d'en éclairer le côté psychologique, si utile à connaître, car dans toute histoire de ce genre il est généralement le moins connu et le moins compris. On verra comment l'occasion fait naître l'idée de la falsification chez des sujets prédisposés par leurs tendances, mais non par leur cul-

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372 SOCIÉTÉ PRÉHISTORIQUE FRANÇAISE ture; comment ensuite la fraude peut se développer en trouvant des appuis très variés, très inattendus ; comment elle réussit enfin par suite du manque de connaissances techniques des antiquaires et surtout grâce aux éléments psychologiques qui empêchent les soupçons de se faire jour. On notera en particulier que les fraudeurs étaient parvenus à se cacher de leurs concitoyens. On vivra un peu avec eux, on sentira vibrer leur âme cupide et fruste, mais astucieuse, de chasseurs de dupes. On comprendra comment les faussaires tirent tantôt leur force tantôt leur faiblesse d'un trait essentiel de leur carac-

Pl. I. — A gauche, un des anciens faussaires de Totana, le Corro tient ù la main une lampe en terre de sa fabrication. A droite J. Ctjadkado Ruiz montre l'ouvrage sur lequel a été copié l'objet.

tère : l'audace, une audace pleine de présomption qui ne saurait exister sans une grande ignorance. Ainsi, ils entreprennent des choses si folles qu'elles échappent au soupçon par cela même ; mais d'autre part, leur ignorance multiplie les erreurs et offre à une critique sérieuse toutes les bases désirables pour établir la preuve.

En vérité, une seule chose a manqué à la fraude de Totana pour être une des principales aventures du genre : la controverse. Il ne lui a manqué qu'une dupe savante prenant la plume pour la défendre. S'ils avaient été soutenus, guidés et encouragés comme l'a été l'Esprit de Glozel, de quelles prouesses n'auraient pas été capables les ingénieux créateurs de Totana !

Par les reproductions que nous donnons on verra quels intéressants problèmes épigraphiques nos deux ignorants savaient proposer aux archéologues avides de sensationnel. Mais Totana était trop loin de Boulogne-sur-Seine.

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Ce qui a permis d'arrêter la fraude sans difficulté, outre l'absence d'un de ces bons défenseurs typiques tels que nous en connaissons; pleins d'érudition livresque et de zèle écrivassier, avides de conceptions nouvelles où leur imagination vagabonde puisse s'ébattre à l'aise mais ignorants et même dédaigneux de la technique, c'est que les faussaires ont laissé leurs produits courir le monde librement. Une fois seuls, au loin, sans soutien, tout nus devant le regard froid et scrutateur d'archéologues connaissant la technique, que pouvait devenir ces enfants d'une naïve imagination contemporaine ? Il leur fallait l'ambiance, la chaude ambiance où ils étaient nés, résultat de l'organisation de la fraude sur le terrain, de l'ignorance manifeste et de la naïveté apparente des faussaires, de l'enthousiasme suscité chez les dupes par la découverte, etc. Et puis il y a eu des exagérations par trop fortes où l'excès de confiance dans leur étoile et dans l'aveuglement de leurs contemporains a entraîné les faussaires. Enfin il y a eu le temps, qui amène la multiplicité des faits et des avis, qui refroidit les enthousiasmes, qui décante les idées...

Passons maintenant à l'historique où nous verrons tout cela de façon concrète.

A. Vayson de Pradenne.

Lee Falsifications d'objets préhistoriques à Totnna (Murcie)

A quatre kilomètres approximativement de Totana se trouve le gisement préhistorique de « La Bastida » appartenant à l'époque appelée « argarique » qui correspond en Espagne au commencement de 1 Age du Bronze. Cette station fut fouillée et étudiée par moi durant les années 1927 à 1929, et ce gisement a été celui qui donna naissance, il y a des années, aux fameuses falsifications qui inondèrent, non seulement d'innombrables collections particulières, mais aussi beaucoup de Musées en Europe.

Le cas connu de Glozel, en France..., étudié par mon... ami... A. Vayson de Pradenne amène de nouveau sur le tapis Г « affaire » de Totana et me conduit à m'en occuper, car bien que nombreux soient ceux qui ont entendu parler des terrailles totaniennes, personne cependant ne s'est occupé, ni avant, ni maintenant, de retracer l'histoire de l'aventure. Donc, quoiqu'un peu tard, voici un résumé des faits.

Dans les dernières années du siècle passé, en tirant des pierres dans les carrières de la « Tête de la Bastida » (ceci est son véritable nom et non pas celui de « Cabeza la Investida », comme l'appelle Pierre Paris dans son « Essai »), on découvrit par hasard quelques sépultures du type de l'Argar), c'est-à-dire de grandes urnes ou jarres

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de terre cuite, qui contenaient les squelettes repliés et avec eux de petits vases de terre noire et quelques objets de cuivre ou de bronze comme des haches, des hallebardes, de petits poignards, des poinçons, etc.

Les découvreurs n'attachèrent aucune importance à la trouvaille, et les jarres qui avaient été explorées avec une anxieuse ardeur par les carriers, dans la pensée qu'elles cachaient les « trésors des Maures », furent brisées' en mille morceaux par eux lorsqu'ils virent déçues leurs espérances.

Plusieurs années passèrent après cette trouvaille. Un jour, en circulant dans les environs du gisement, l'Ingénieur de Montes de Totana, G. Rogelio Inciiaurrandieta (personne très cultivée dans d'autres branches du savoir, mais peu en Préhistoire) rencontra, disséminés à la surface] du sol, divers fragments des vases qu'avaient brisés les casseurs de pierres. Ceci l'amena à faire quelques fouilles isolées qui lui fournirent une quantité de vases et d'objets argariques. En voyant qu'il trouvait un mobilier identique dans toutes les sépultures il suspendit les travaux, qui ne procédaient, à la vérité, d'aucune méthode scientifique.

Un nouveau laps de temps considérable s'écoule, et voici arriver le début des falsifications.

A Totana résidait un gitane très populaire, connu sous le sobriquet de « el Rosao », à cause d'une large tache qu'il avait sur la figure du genre de celles que l'on nomme en espagnol rosas ou antojos (roses ou caprices). Le véritable nom du « Rosao » était Bernardo Marin - Diaz. Parmi ses nombreuses et hétéroclites professions (guérisseur de bestiaux, comme son père « l'oncle Joseph le Borgne — maquignon — compositeur d'horloges, etc.), il accordait toutes ses préférences à celle de courtier d'antiquités et accompagnait tous les acheteurs de ce genre qui défilaient à Totana ainsi que dans les villages voisins de Lorca, Alhama, Aledo, etc.

En une certaine occasion, le RosÁo se rendit avec son père dans une ferme près de la Bastida, appelée « la maison du Bassin » (la casa del Pantano), à titre de guérisseurs pour visiter une cavalerie malade. Là, leur attention fut attirée par deux vases « argariques », l'un en forme de marmite et l'autre en forme de coupe, provenant de la montagne et que le maître du logis tenait dans sa cuisine. Bien que tout à fait ignorant de la Préhistoire, le Rosao comprit que ces objets-là étaient vieux et quand le propriétaire de la cavalerie vint pour leur régler le compte de leurs honoraires de guérisseurs, le Rosao demanda qu'il leur donnât ces deux terrailles (cacharros) et avec cela son service serait payé. L'autre consentit avec plaisir et voici que les deux vases furent le point de départ du négoce du Rosao et de son compagnon Francisco Serrano Outillas, alias с el Gorro » (le

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Pl. И. — Carte du Cabezo de la Basiida indiquant l'emplacement des sépultures argariques (A).

Pl. III. — Spécimens des deux types de sépultures authentiques de la Bastida, utilisées plus tard par les faussaires pour présenter leurs produits.

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376 SOCIÉTÉ PRÉHISTORIQUE FRANÇAISE cercle, dans le sens : réunion de personnes qui causent) lui aussi tota- nais et du même niveau de culture que son « copain » le gitane. Il apparaît véritablement extraordinaire que deux personnes incultes comme celles-là aient surpris la bonne foi de gens plus savants et soient parvenues à fabriquer et à vendre par milliers les produits de leur industrie, dont beaucoup furent acquis, comme nous l'avons déjà dit, par divers Musées...

Le RosÁo mourut il y a huit ans. Son compagnon vit encore, bien que retiré du <( commerce » et je crois que le récit de l'aventure des falsifications, conté par lui-même, intéressera le lecteur mieux que je ne saurais le faire. Je continue donc en transcrivant ses paroles :

« Mon ami, dit le Corro, vendit pour dix pesetas les deux tcrrailles déjà mentionnées à D. Francisco Cayuela Aledo, connu à Totana sous le nom de « Frasquitolo » (petite fiole) qui, déjà en d'autres occasions, lui avait acheté des antiquités d'un autre ordre pour les revendre à son tour avec son tant pour cent de bénéfice. Le RosÂo vit combien il étaitfacile d'imiter -les marmites, lisses de la Bastida et se chargea du dessin delà forme. Il me proposa d'entreprendre à nous deux le commerce. J'acceptai et nous nous jurâmes de ne découvrir à personne notre industrie.

Nous commençâmes à travailler. Nous fîmes diverses petites poteries de la forme des premières. Bernard les vendit à Frasquitolo et celui-ci les acheta sans hésiter, les payant le même prix que les précédentes. Cela nous anima de voir qu'il n'avait pas découvert qu'elles étaient fausses. Nous continuâmes à travailler, aidés par un potier de Totana, qui se nommait Léon Vidí, qui nous faisait les travaux de tour et nous continuâmes à remettre de nouveaux lots à CAYUELivqui nous les payait à raison de cinq pesetas par vase, A nous autres ils nous revenaient, en comptant les journées, l'argile, la consommation de bois pour la cuisson et le reste, à 25 centimes chacun. Malgré cela, le gain nous paraissait encore faible et nous décidâmes d'augmenter le commerce et de lui donner une certaine organisation. Nous pensâmes donc qu'il convenait d'attirer les enthousiastes de choses anciennes et de leur servir les vases sur la montagne même de La Bastida ou, comme nous disions, « dans leur propre sauce »... En effet, profitant des huit ou dix sépultures authentiques qu'avait fouillées D. Rogelio Inchaurrandieta, nous y mettions les marmites falsifiées ; nous tassions fortement la terre et parfois nous y faisions quelques raies pour que l'eau des pluies marquât le terrain et donnât plus de caractères d'authenticité aux trouvailles qui apparaissaient à la vue des Messieurs que nous accompagnions. Si nous voyions que c'étaient des gens intelligents en cette matière, nous leur présentions ces sépultures que nous pouvons appeler ■« de première catégorie » . S'ils étaient peu entendus, nous nous limitions à enterrer les « ecr charros » quelques heures avant, sans aucune précaution.

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Pl. IV. — Poteries fausses de Totana. Première manière du Rosao: copie directe des poteries authentiques trouvées sur place.

Pl. V. — Poteries fausses de Totana. Deuxième manière des faussaires : copie approximative de vases anciens d'après diverses publications.

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378 SOCIÉTÉ PRÉHISTORIQUE FRANÇAISE — Et il y eût beaucoup de visiteurs ? — On pourrait compter par centaines les Messieurs qui ont défilé

dans le gisement, et encore nous ne découvrions l'emplacement qu'aux étrangers et cela avec toutes sortes de précautions parce qu'il ne fallait pas que les totanais soient renseignés et nous gâtent le métier. Pour les Messieurs de Totana, nous fîmes seulement une exception pour D. Cosme Canovas, qui nous fit gagner bien de l'argent et qui parvint à réunir chez lui un vrai Musée...

Certains des visiteurs en savaient beaucoup plus que nous autres en Préhistoire ; cependant, en voyant que les sépultures étaient authentiques, ils ne soupçonnaient pas que ce qu'il y avait dedans ne le fut aussi ; et en outre, nous étions arrivés à imiter à la perfection les terres cuites de La Bastida. Tous les découvreurs s'en allaient très satisfaits avec nos poteries et nous autres ne perdions pas notre temps...

Si nous nous étions limités à continuer de reproduire les vases de la Bastida, à cette heure, nous continuerions peut-être à gagner de l'argent. Mais « l'avarice crève le sac ». Un jour, nous entendîmes parler de l'énorme valeur d'une sculpture de pierre que certains messieurs avaient vendue au Musée de Paris et qui l'appelaient « la Dame d'Elche ». Cette nouvelle aviva encore plus notre envie et nous poussa à nous consacrer à la sculpture. Comme vous le voyez, nous ne nous arrêtions pas devant les difficultés, nous autres.

Avant de nous attaquer à la pierre, nous essayâmes assez longtemps avec l'argile.

— Et où preniez-vous les modèles pour les sculptures ? — Comme à la Bastida il n'y avait rien de cela, le RosÁo demand

ait à tous les antiquaires qui défilaient par ici s'ils avaient quelques livres avec des estampes ou des dessins de choses très anciennes. Personne ne lui donna satisfaction jusqu'au jour où un Monsieur prêtre d'ici, de Totana, qui s'appelait D. Alphonso Camacho Mora, dit au RosÁo de venir chez lui, qu'il lui montrerait des périodiques qu'il recevait et qui avaient donné des photographies de vieux pots qui rappelaient par leurs formes ceux que Don Rogelio avait tirés de la Bastida et aussi beaucoup d'autres recouverts de sculptures très antiques. Figurez-vous quelle joie nous éprouvâmes, car cela nous faisait faire plus de la moitié du chemin. Nous allâmes plusieurs fois en visite et prîmes, à notre façon, différents dessins. M. le Curé, qui était une personne très bonne, riait de nous voir dessiner, bien qu'il ne soupçonnât pas notre but.

— Et quels étaient les périodiques ? — C'étaient des revues qui s'appelaient « La Ilustración Espaňola

y Americana » et La Ilustración Ibéricá в . Nous commençâmes notre nouvelle fabrication. La première pièce

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Pl. VI. — Poteries fausses de Totana avec inscriptions. Troisième manière du Rosao •. prédominance de la fantaisie. Redondance de formes inspirée par les poteries mexicaines.

Pl. VII. — Sculptures fausses de Totana, Quatrième étape des faussaires.

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380 SOCIÉTÉ PRÉniSTORIQUE FRANÇAISE que nous fîmes fut une idole en argile, copiée sur une en pierre du premier périodique, et qui, modestie à part, ressemblait bien à l'original. Les sculpteurs primitifs travaillaient de la même façon que nous ; en d'autres mots, ils n'étaient pas plus artistes que le Rosao et moi ; c'est pourquoi il nous fut relativement facile d'imiter leurs œuvres. Comme nous étions parvenus par la pratique à donner aux vases assez bien le caractère de la poterie ancienne, ceci nous servit beaucoup pour donner aux nouveaux essais la patine d'antiquité qu'ils devaient présenter. Nous portâmes notre première idole à Cayuela, comme provenant de la Bastida. La Ilustración où nous l'avions copiée disait qu'elle était l'œuvre des Indiens primitifs d'Amérique, mais cela ne nous inquiétait pas. D'ailleurs, quelle raison y avait-il pour qu'à cette époque quelqu'un de ces sauvages n'eût pas visité Totana alors que nous conduisions tant d'indiens de nos jours à la Bastida ?... Enfin, pour nous, c'était un détail sans importance.

Frasquitolo reçut avec une véritable joie notre présent. Comme il en savait encore moins que nous sur ces choses, il crut aveuglément ce que nous lui dîmes sur la provenance et nous donna deux cents pesetas pour le « saint ». Il le porta sans perdre de temps à Mazarrón et là le revendit 700 pesetas à un consul étranger ; et à son retour à Totana, il nous fit encore cadeau de cinq douros (1). Cela marchait ! Nous travaillâmes avec un véritable enthousiasme et parvînmes à imiter assez bien les idoles et les autres figures de diverses époques des périodiques déjà cités. Tout cela apparaissait à La Bastida... Ce mélange déconcertait beaucoup de visiteurs et mettait en méfiance les plus intelligents. Comme si ce n'était pas encore assez, le Rosao dépassa les bornes en se mettant à fabriquer des figures grotesques de son invention. Moi, je n'étais pas partisan de ces « saints » si rares et si laids qui mettaient de plus en plus en méfiance les visiteurs, et dénotaient à la longue leur fausseté puisqu'ils ne ressemblaient à ceux d'aucune époque connue. Les visites diminuèrent sensiblement et à cause de cela, nous nous décidâmes à voyager avec nos « cacharros ».

Ma première sortie fut à Malaga. Là je vendis deux figures et cinq jarres, le tout copié dans la llustracion au Marquis de Castrillo pour 1 050 pesetas, prix qu'il fixa lui même ; et, en outre, il me fit cadeau de 50 pesetas pour le voyage de retour par mer jusqu'à Aguilas. Un antiquaire de la même capitale se comporta bien aussi avec moi, me payant un bon prix divers objets; et plus tard il vint à Totana et nous le conduisîmes à la Bastida pour voir le site d'où « sortaient » les idoles...

Le succès commercial de Malaga nous incita à continuer les

(1) Un douro = 5 pesetas. C'est le gros écu de la monnaie moderne

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Pl. VIII. — Objets en bronze. Industrie finale des faussaires de Totana.' En bas à g. souvenir de la dame d'Elche.

Pl. IX. — Fig. 1 et 2 : signes copiés par les faussaires de Totana sur les disques d'Aracil, autre faussaire. Fig. 3 et 4 : signes copiés dans l'ouvrage Tarragona Monumental.

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'JSJ2 SOCIÉTÉ PRÉHISTORIQUE FRANÇAISE voyages. Parmi beaucoup d'autres villes nous vendîmes nos produits à Tolède.

A Orrihuela nous connûmes un certain Aracil qui avait la passion et faisait aussi le commerce des antiquités. Il nous acheta 7 vases pour 200 pesetas. Chez lui nous vîmes des disques de terre cuite avec des figures en relief, qui, nous le sûmes plus tard, étaient aussi fausses que nos sculptures mais que je crus authentiques. J'en pris le dessin et elles me servirent dans les derniers temps de notre fabrication comme je vous le conterai.

Un jour Aracil se présenta à Totana à la recherche de Cayuela. Il lui offrit plusieurs de ces disques, et l'accord allait être conclu quand je fus informé de ce qui se passait et prévins immédiatement Cayuela que ces pièces étaient fausses. Aracil n'eût qu'à sortir de Totana en toute hâte se voyant découvert. Je ne pouvais consentir que personne vint duper « Frasquitolo », nous étant là...

Avec beaucoup d'objets qu'il nous acheta en plusieurs fois, Cayuela prépara un lot, et ne doutant pas de leur authenticité, les envoya à Barcelone à Dr Juan Rubio de Laserna, qui a son tour, les crut bons également et les offrit au Musée Municipal. Le Musée les paya bien et ils furent exposés en vitrines. Quelque temps après, le pot aux roses fut découvert et on conte que le Sr. Rubio eût une telle suffocation en apprenant que les pièces étaient fausses qu'il lui en coûta une infirmité, et il écrivit ensuite à Frasquitolo une lettre.,, débordante de sentiment.

Je dois en justice faire remarquer que Cayuela n'entra pas en combinaison avec nous pour cette affaire ni pour les autres, comme beaucoup le croient, mais qu'il travailla toujours de bonne foi, et ce fut la lettre du Sr Rubio qui lui ouvrit les yeux.

Quelques jours avant l'arrivée de la lettre-assommoir, nous étions partis, le Rosao et moi, pour Barcelone avec une cargaison abondante que nous pensions vendre directement nous-mêmes encore au Musée Municipal. Providentiellement nous eûmes connaissance là- bas de l'aventure, et je m'excuse de vous dire que nous renonçâmes à notre projet d'offrir nos terrailles. Si nous étions venus les présenter je crois fermement que nous aurions couché en prison. Nous cédâmes tout ce que nous portions pour 110 pesetas au premier acheteur d'antiquités que nous trouvâmes à Barcelone, et nous retournâmes à Totana en toute hâte. Ce voyage là fut un des plus médiocres comme résultat économique. La faute principale fut celle de mon compagnon de se mettre à faire ces figures de son invention, qui n'étaient que de solennels et grotesques pantins. Il faut reconnaître néanmoins que, parmi Jles gens peu cultivés en Préhistoire, ce furent celles qui se vendirent le plus — à prix peu élevés cependant — et finalement ce fut, comme je dis, tuer le commerce.

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SOCIÉTÉ PRÉHISTORIQUE FRANÇAISE 388 — Avez-vous eu quelqu'autre échec important ? — Nous en avons eu plusieurs, mais je vous raconterai trois des

plus sensationnels. On nous avait parlé ďun ingénieur belge D. Luis Siret, qui vivait

à Herrerias du cerco de Villaricos, et était très enthousiaste de ces choses. On nous assura que nous lui tirerions plusieurs milliers de pesetas car c'était de plus une personne de grande situation. Nous préparâmes le coup. Le Rosao donna libre cours à son imagination et fabriqua une collection de « saints » ou de « guerriers » ou de quoi que ce soit comme on n'en avait jamais vu de pareils en aucun temps, ni en aucun pays. On en fit une bonne charge et en avant ! pour Herrerias. Le Rosao étaitsûr de l'enthousiasme de M. Siret en apercevant cette collection d'exemplaires uniques au monde. Moi, à la vérité, je l'étais moins. En effet, dès qu'il les vit l'ingénieur prit une expression que le Rosao interpréta comme de l'allégresse mais qui se trouva être de la moquerie, et il offrit .. Combien pensez-vous qu'il offrit pour ce trésor? — Je ne sais. — II dit que tout ce qu'il pouvait payer était trois pesetas, et cela pour la peine d'être venus jusque là. Pensez la désillusion! Cet homme en savait plus sur de telles choses que tous nos acheteurs précédents réunis. A la prière du Rosao il donna quelques pesetas de plus pour les frais du voyage de retour. Bernard proposa à M. Siret de lui faire toutes les reproductions qu'il voudrait des objets authentiques de son musée, mais D. Luis se borna à le remercier... Bref, ce voyage, dont le Rosao espérait tant, fut d'un résultat économique désastreux.

Nous eûmes un autre désastre à Oran, par la seule faute de mon associé. Je m'embarquai à Carthagène avec 27 pièces, vases et sculptures. Du port d'Oran je m'en fus directement au Musée. Le directeur était mort depuis quelques jours, me dit-on, et le maire exerçait provisoirement ses fonctions. Je fus le voir et lui proposer les terrailles. Elles lui plurent beaucoup et il fit appeler un autre Monsieur qui était ingénieur et avait la réputation de se connaître à ces choses. J'eus peur de me rencontrer avec un autre Sr Siret, mais par bonheur il n'en fut pas ainsi, car les pièces lui plurent autant qu'au maire. Nous convînmes la vente des 27 pièces pour 11.000 francs, que je toucherais le jour suivant. Tout marchait bien, mais un fait imprévu faussa la route des événements. Le jour après mon départ de Carthagène, un autre vapeur appareilla aussi pour Oran et sur lui s embarquèrent le Rosao avec six « copains » de Totana, parmi lesquels « le Maure », « le Cherra de becherra, génisse, petite vache », « le Saoûlot »(el Emborrachào), etc., et à eux tous ils emportaient

"200 « cacharros ». Cet illustre comité se présenta au Musée pour offrir sa marchandise. L'aspect des gitanes et le nombre des objets rendirent méfiant le Directeur. Bref, il n'y eût rien de fait, mais le

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384 SOCIÉTÉ PRÉHISTORIQUE FRA1NÇA1SE pis fut que moi, en allant pour toucher le prix de mon lot à l'heure convenue, on me rendit les pièces en me disant qu'on avait renoncé à l'achat.

Je dis à. mon associé ce qu'il méritait et nous n'eûmes qu à vendre le tout à bas prix à un antiquaire d'Oran qui tenait aussi une buvette.

Je n'oublierai jamais cette première visite en Afrique. Par contre nous eûmes bon succès dans un autre voyage que je iis à Alger avec « le Saoûlot ». Je vendis ma part pour 5.000 francs, et lui, tira encore meilleure profit de la sienne, bien qu'il lui en coûtât un ennui parce que le courtier qui l'accompagnait, qui était un arabe, ne se contenta pas des dix douros de commission et lui manqua de parole. L'k Em- borrachao » finit par taper dessus, et le résultat fut qu'on fourra mon concitoyen en prison pour deux ou trois jours.

Le troisième de nos désastres et le plus grand sans doute fut en France. Nous avions embarqué à Alicante et nous emportions une collection que nous pensions placer au Musée de Marseille. Nous allâmes là et voulûmes traiter avec M. Michel Clerc, Conservateur du Musée, d'après ce qu'on nous dit. Mais ce Monsieur connaissait déjà l'histoire de Barcelone et nous ne pûmes faire la vente. Nous nous trouvâmes « à l'ancre » à l'hôtel où nous logions à Marseille, qui était en face le Vieux Port où on déchargeait les caisses d'oranges de Valence et de Murcie. La patronne était une compatriote à nous, la dame Marie « l'Espagnole ». Nous ne pouvions payer notre logement et n'avions même pas d'argent pour retourner en Espagne, faute d'avoir vendu notre marchandise. Voyant que les semaines passaient et que cela continuait, la dame Marie se décida à nous payer le voyage de retour chez nous parce qu'elle comprit que c'était ce qui lui reviendrait le plus à compte. Nous lui laissâmes en gage notre collection et convînmes que, quand elle la vendrait, elle se couvrirait des 770 francs que nous lui devions au total, et nous enverrait à To- tana le reste du produit de la vente. Malgré les années écoulées nous attendons encore de ses nouvelles.

Il y a peu, on m'a parlé d'autres falsifications qui ont apparu à Glozel, autre localité française, et sur le coup il m'est venu en mémoire la seflora « Maine l'Espagnole » . Vendrait-elle par hasard nos terrailles à nos collègues d'industrie? En tout cas ceux-ci nous ont copié notre système de la Bastida car nous étions bien inventeurs du procédé (1).

Peu après le retour de Marseille, nous nous adonnâmes à la sculpture sur pierre. Dans cette nouvelle phase de notre industrie nous eûmes aussi du succès, bien que la production n'avançât pas autant

■ (1) Le « Corro » se trompe dans sa prétention. Le procédé parait aussi ancien que le goût des collections archéologiques.

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à cause du travail de taille. Il me convient mal de le dire, mais je travaillais la pierre avec beaucoup plus de perfection que mon associé, et ensuite je restai fidèle à mon système de ne pas inventer; je me conformais aux modèles authentiques que je voyais dans les musées et ailleurs.

— Vous souvenez vous des prix que vous avez vendu certaines sculptures ?

— Oui, Monsieur: à Andujarj'ai vendu la première, un groupe de deux, figures pour 700 pesetas dont j'ai abandonné 100 au courtier qui m'accompagnait ; c'était le jour du couronnement de la Vierge « de la Cabeza »et le Roi était venu à Andujar pour ce motif.

A Carthagène aussi nous avons gagné de l'argent avec les idoles de pierre, Don Luis Angosto nous en acheta plusieurs, et en outre il nous fixa des appointements afin que nous travaillions à la Bastida exclusivement pour son compte. Il nous donnait 250 pesetas par mois pour les fouilles. Nous lui rendions visite quand nous allions toucher l'argent et nous lui portions toujours quelque chose qu'il recevait enchanté et conservait comme un trésor. Il parvint à réunir plus de 20 sculptures.

Un antiquaire de Lorca, D. Mariano Manzanera., nous en acheta aussi, et beaucoup d'autres.

Dans la dernière étape de notre commerce, je parvins à me mettre au bronze, pour ne pas faire moins que les anciens, qui, à ce qu'on raconte, travaillèrent aussi le bronze après la pierre. Prenant comme modèles les disques d'Aracil dont je vous ai parlé, je me procurai quelques creusets à Carthagène ; je préparai mes moules ; j'achetai aux brocanteurs des vieilles lampes et des vieux débris de cuivre comme matière première pour la fonte et je mis la main à l'œuvre. Le résultat fut encore supérieur à ce que j'espérais. Mes disques, mes idoles et le reste obtinrent un franc succès. Je vis de petits santons qui provenaient, me dit-on, d'un ancien sanctuaire de la Sierra Mořena, et je les copiai bien exactement. J'en ai vendu plusieurs centaines. J'ai fait aussi beaucoup de grandes pièces. A Madrid j'en plaçai quatre pour 500 pesetas, conduit par un antiquaire auquel je donnai dix douros. A Gibraltar un juif men acheta trois autres pour 400 pesetas, et le vapeur qui me ramenait à Aquilas touchant à Almeria un monsieur m'acheta la dernière qui me restait et qui était la plus mal réussie, pour 25 pesetas. Je portai aussi un disque des plus parfaits à D. Luis Angosto à Carthagène. Je n'oublierai jamais la joie qu'il éprouva en recevant cette pièce.

Nous donnions à ces produits l'antiquité avec plus de perfection encore qu'à ceux d'argile ou de pierre. Le procédé était bien simple. Nous préparions un vase avec de l'eau très chargée de sel. Nous enveloppions la statuette dans une toile de sac. Nous la mettions un

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moment dans la dissolution et sans la sortir du sac nous l'enterrions ensuite dans un tas de fumier en fermentation. Trois jours après nous la tirions, nous enlevions la toile et la sculpture apparaissait avec un doigt d'oxyde comme si elle avait été enterrée des milliers d'années. Elle était alors prête pour la vente.

— Avez-vous continué à travailler à votre industrie depuis la mort du Ros АО ?

— Non, Monsieur : Je me suis retiré définitivement. Je conserve encore chez moi parmi les vieux affutiaux quelques-uns des moules qui m'ont servi pour nos figures. Ce sont des souvenirs ! J'ai 67 ans sonnés et je n'ai plus la main, ni les yeux en état pour cette sorte de travaux ; et puis il ne me plairait pas, en vérité, qu'à la fin de mes jours, quelque acheteur de mauvais caractère me donnât du bâton ou me traînât devant le tribunal pour lui avoir tiré de l'argent pour un de ces « cacharros ». De plus, aujourd'hui on sait en Préhistoire ce qu'on ne savait pas autrefois, et à cause de cela il est beaucoup plus difficile de faire passer pour authentiques les objets faux.

— Mais on vous dira : Voyez donc le cas de Glozel dont vous me parliez tout à l'heure : il dément cette théorie.

— Au nom de Glozel, le '« Corro » prit une mine indignée comme si lui-même avait été exempt de tout péché. — Ne me parlez pas de Glozel ! interrompit-il. Je suis sûr que les glozéliens sont des effrontés qui ont cherché à nous copier notre procédé au Rosao et à moi. Mais ils battent court parce qu'on les a bien vite bouclés, tandis que nous autres, pendant plus de vingt ans nous avons vendu les produits de notre industrie, et fait parler tous les préhistoriens d'Europe. — et le « Corro » dit cela avec la même conviction, avec le même orgueil que le fameux torero Rafael Guerra prononçant au moment de prendre sa retraite cette phrase lapidaire : « Après moi, personne !»

Telle est, narrée par un de ses protagonistes, l'histoire des falsifications de Totana. J. Cuadràdo Ruiz.

APPENDICE

Beaucoup des poteries et sculptures du « Rosao » et du « Corro » présentent des signes énigmatiques d'un archaïsme marqué qui attirèrent l'attention de quelques Archéologues et Préhistoriens et qui contribuèrent à augmenter les discussions sur l'authenticité des objets parmi les naïfs acheteurs des terrailles de Totana.

Je consultai le Corro sur l'origine des signes en question, qui ne paraissaient pas le produit exclusil de l'imagination des faussaires,

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Pi... X. — Deux vases à inscriptions de Totana (Donnés par M. L. Siřet à A.. Vayson de Pra- derme). Troisième manière du Rosao Remarquer entre autres la diversité des inscription* et l'air goguenard des physionomies

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car divers d'entre eux présentaient une grande analogie avec ceux d'alphabets primitifs. Le Corro m'éclaira sur la source de cette épi- graphie.

Les premières lettres, me dit-il, nous les prîmes sur les disques d'ARACiL, que nous croyions authentiques, ainsi que je vous l'ai déjà

Pl. XI. — Calque gr. nat. des inscriptions des deux vases de la pi. X.

rapporté. Sur la sculpture de pierre que je vendis à Andujar, je gravai la première inscription : quatre des signes d'ARACiL dont j'ai gardé copie. — Et le Corro me présente de curieux documents dont je donne la reproduction au lecteur. (Pl. IX. № 1 et 2).

Ensuite, continue le Corro, j'acquis au cours d'un de mes voyages, dans un lot de vieux livres, cet ouvrage qui contient, comme vous le

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verrez, parmi d'autres gravures, quelques inscriptions antiques qui nous servirent beaucoup. — II me montre le livre en question, imprimé à Tarragone en 1849, à l'imprimerie Aris et Jurnet, qui porte le titre Tarragona Monumental et fut écrit par J. Francisco Alhinana et Andrès Bofarull.

Le Corro continue à parler tout en me montrant le livre : Cette inscription sur pierre numéro 75, p. 251 du Tome I et cette

figure n° 1 de la planche IX, p. 143 du même tome, relevée, dit le texte, sur un fond de vase celte, nous servirent pour marquer presque toutes nos sculptures et beaucoup de poteries (les deux inscriptions sont reproduites ici pi. IX, n° 3 et 4). Jamais nous ne copiions ces inscriptions complètes. Nous nous limitions à certaines lettres, placées sans ordre aucun et combinées chaque fois de iaçon différente (1). Ainsi nous donnions plus de variété aux inscriptions et nous étions sûrs qu'il n'y eût personne pouvant lire ces mots que nous écrivions aussi sans les comprendre... Je me souviens seulement d'un visiteur qui chercha à nous démontrer le contraire. Il nous acheta une figure à inscriptions et après avoir examiné avec un air de suffîsanceles signes que j'avais gravés, me demanda, faisant le savant : — Vous ne saurez pas, à coup sûr, ce que cela dit? — Non, Monsieur, pas un mot. — Figurez-vous mon étonnementen l'entendant lire couramment ce que cela disait !... Il me vint aussitôt en mémoire l'anecdote de ce soldat à qui son capitaine demande : — Sais-tu lire? — Et le conscrit de répondre avec aplomb : Non, Monsieur, seulement écrire.

Et le Corro rit de bon cœur en se rappelant l'acheteur pédant qui chercha sans doute à l'émerveiller par sa science, en lui lisant couramment ce que lui-même avait écrit.

Pour terminer mon interview je demande quelles furent les personnes les plus importantes qui défilèrent à la Bastida. Le Corro ne se souvient presque d'aucun nom. « J'étais en réalité, déclare-t-il, l'homme d'atelier. Mon compagnon le Rosao, s'il vivait, pourrait nous en indiquer beaucoup, puisque c'était lui, en sa qualité de courtier principalement, qui les accompagnait et leur offrait les objets et qui s'informait de leurs adresses pour leur écrire ensuite. Je puis vous raconter beaucoup de détails de leurs visites mais, à la vérité, je ne me suis jamais préoccupé de leurs noms. Parmi les rares dont je me souvienne est celui d un Monsieur français, M. Pierre Paris, qui écrivit un livre que j'ai vu depuis sur la préhistoire espagnole et qui reçut un prix, paraît il. Ce livre contenait beaucoup d'illus-

^1) Ce procédé à base de copie devait être celui du Corko. Mais le Rosao, en épi- graphie comme en art. se montra plus fantaisiste. Les inscriptions des 2 vases de la pi. X, très différentes, le montrent bien (A. V. P.).

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trations, et parmi elles, M. Paris publia un portrait de mon compagnon le Rosao entouré de poteries, et une autre photographie d'ARACiL. (En effet dans l'ouvrage : Essai sur l'Art et l'Industrie de l'Espagne primitive, qui a reçu le prix Martorell, on trouve une photogravure du Rosao à la page 40 du tome II, et une autre de Valeriano Aracil à la page 20 du même tome). Je dois me considérer comme offensé par l'auteur, continue le Corro, car je me crois autant de droits que mes deux collègues à compléter la série des photos. Ne trouvez-vous pas que j'ai raison ? »

Et le Corro après s'être lamenté de ce qu'il considère comme une omission injuste, me raconte des anecdotes et encore des anecdotes sur les visiteurs de la Bastida...

Jlian CUADRADO

Mission de Ras Shamra eu Syrie

La Mission archéologique française de l'Académie des Inscriptions et du Musée de Louvre, dirigée par M. F. A. Schaeffer, Conservateur du Musée Préhistorique de Strasbourg, assisté de M. G. Chenet, du Claon, Membre non résidant du Comité des Travaux Historiques vient de rentrer de sa troisième campagne de fouille de Ras Shamra (Syrie septentrionale). Elle rapporte de nouveau des résultats de première importance.

On se souvient de la sensationnelle découverte faite par cette mission en 1929 et en 1930 de tombes royales et d'une bibliothèque de tablettes cunéiformes qui remontent au xive siècle avant J.-C- et révèlent plusieurs langues inconnues. Parmi elles se trouve le plus ancien alphabet actuellement connu. Déchiffrés récemment, ces textes ont tait connaître de grandes épopées phéniciennes dont on avait soupçonné l'existence à la suite de vagues citations d'auteurs grecs. Ces textes restituent quelques-unes des plus anciennes et des plus importantes œuvres littéraires du monde.

Cette année la Mission a pu retrouver la suite de la bibliothèque de Ras Shamra : de grandes tablettes en terre cuite couvertes de plusieurs colonnes de textes écrits en cunéiforme et parmi elles de nouvelles parties d'épopées, ainsi que des dictionnaires et syllabaires. La Mission a en outre découvert de précieuses parures en or et argent