Le genre des noms de villes en français

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Le genre des noms de villesen françaisBengt HasselrotPublished online: 21 Jul 2008.

To cite this article: Bengt Hasselrot (1943) Le genre des noms de villes en français,Studia Neophilologica, 16:2, 201-223, DOI: 10.1080/00393274308586946

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Le genre des noms de villes en français.

Le genre des noms de villes constitue une des bizarreries,pour parler avec M. André Thérive1, qu'offre le français, etpourtant c'est un sujet qui a été passablement négligé par lesgrammairiens. Ils ont pensé sans doute que le genre des nomsde villes relevait plutôt du vocabulaire que de la syntaxe, enquoi ils ne semblent pas avoir entièrement raison, comme nousle verrons par la suite. Quoi qu'il en soit, j'ai pensé que laquestion valait bien une petite étude, pour les quelques enseigne-ments pédagogiques et même scientifiques qu'on peut en tirer.

La plupart des dictionnaires gardent un mutisme prudent etcomplet sur le genre des noms de villes. Parmi les exceptions,on remarque notamment Napoléon Landais, Dictionnaire généralet grammatical des dictionnaires français* (surtout pour les villesfrançaises) et Sachs-Villatte (aussi pour de nombreuses villesétrangères). Harrap fournit aussi des renseignements, mais àdessein très discrètement. Il est facile de multiplier les cas oùces autorités se contredisent. Ainsi, Londres est masculin pourLandais, masculin ou éventuellement féminin pour Sachs-Villatte,féminin ou, rarement, masculin pour Harrap. Landais indiqueGrenoble comme mase, Sachs-Villatte comme fém.3 Au con-traire, Landais considère comme féminins Arles et Bourges queSachs-Villatte fait du masculin. Ce n'est qu'un petit choix. Lesmanuels destinés à enseigner aux étrangers le genre des subs-tantifs français traitent parfois des noms de villes. Bidot4 sefonde exclusivement sur les données de Landais et essaye seule-ment — tâche désespérée — de découvrir les principes qui ont

1 Querelles de langage, II, Paris. 1933, p. 65-67.2 1re éd., Paris, 1831. J'ai consulté la 5e éd., Paris, 1841.3 C'est Landais qui a raison, du moins si l'on prend l'usage local pour

arbitre. Étymologiquement Grenoble < G r a t i a n o p o l i s devrait être duféminin, mais il est masculin déjà au XVIIIe siècle: Grenoblo malerou (poèmedauphinois de 1733).

4 E. Bidot, La clef du genre des substantifs français, Poitiers, 1925, p. 10.

14—43944 Studia neophilokgica 1943—1944

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pu guider le choix de Landais et de les exposer en des règlesfaciles à retenir: seraient masculins les noms de villes terminéspar une voyelle sonore ou par une consonne, les noms com-posés du mot ville précédé d'un nom masculin [Albertville) etles noms de villes précédés de l'article le ou du mot samt; lesnoms de villes précédés de l'article la ou du mot sainte et lesnoms terminés par -e seraient féminins. Mais sous tous les chefssuit une imposante liste d'exceptions. Pernot1 considère que leféminin est de règle pour les villes anciennes [Rome, Jérusalem...) ;dans les noms moins anciens, le masculin est beaucoup plususité que le féminin, même lorsque le nom de ville a une ter-minaison féminine -e ou -es.

Voyons si les grammairiens ont des vues moins discordantessur le sujet qui nous occupe.2 C'est chez Pierre Ramus que jetrouve la première indication, en ces termes: «Nomina urbiummodo huius, modo illius generis : Paris est grand, Troyes estmarchande? » Cela ne nous avance guère. Charles Maupas4

semble admettre que les noms de villes peuvent régler leur genresur celui de leur terminaison. Mais il conseille de mettre auféminin même ceux qui ont une « cadence » masculine, les motsville ou cité étant toujours sous-entendus: Orleans est belle,grande& populeuse, Mais Lion, Rouen, Bourdeaux sont plus marchandes& hantées des trafiqueurs estrangers. Cent ans plus tard, l'abbéGirard exprime un avis tout différent.5 Pour lui, les noms devilles féminins sont en petit nombre, et la classe la plus nom-breuse de ceux-ci est constituée par le type La Rochelle, LaVillette. Cent ans plus près de nous encore, l'abbé de Lévizac6

cite avec approbation cette opinion de Girard et déclare qu'ilserait choqué d'entendre ou lire Rome fut fondée 753 ans avantJ.-C. Remarquons pourtant qu'il ne préconise pas fondé, mais

1 H. Pernot, Le genre des substantifs en français, Paris, 1930, p. 44.2 Silence complet, sauf erreur, chez Meigret, Port-Royal, Ménage, Bes-

cherelle, Poitevin, Clédat, Damourette et Pichón, Le Bidois . . .3 Grammatica latinafrancica a Pelro Ramo. Per Pantaleontem Theve-

ninum ed. sec, Francofurdi, 1590, p. 36.4 Grammaire et syntaxe française, 3e éd., Bloys, 1625.5 Les vrais principes de la langite française, Amsterdam, 1747, p. 150.

(Ire éd. 1717).6 L'art de parler et décrire correctement la langue française . . . 6e éd.,

Paris, 1818, vol. I, p. 184.

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recommande la circonlocution la ville de Rome. Et il forge larègle qu'il faut mettre au féminin un nom de ville personnifié,ceci pour justifier malheureuse Tyr (Fénelon). La grammaire deGirault-Duvivier1 copie Girard et se déclare aussi d'accord avecLévizac au sujet de malheureuse Tyr. Autour de ce noyau, leséditions successives de Girault-Duvivier ont formé et superposédes couches secondaires de règles. Selon l'une de ces règles,les noms de villes sont féminins en français, lorsqu'ils sont fé-minins en latin {Rome, Toulouse); masculins, quand ils sontmasculins ou neutres en latin [Rouen, Toulon). Une variante decette règle est que, sauf quelques exceptions, le genre du nomde ville est en rapport avec la terminaison masculine ou féminine.On ne peut qu'approuver Lemaire, lorsqu'il ajoute dans une noteque toutes ces règles sont peu certaines, comme il le montre parquelques bons exemples. Il conseille, dans les cas douteux, l'em-ploi de la formule la ville de. E. Johannet2 rompt en visière avectous ces « masculinistes » et se rallie, sans le savoir, à Maupas. Eneffet, après avoir fait la critique de Girault-Duvivier, il propose,en s'autorisant d'exemples peu probants, à vrai dire, tirés desgrands classiques, de traiter tous les noms de villes commeféminins, même — et ici il va plus loin que Maupas — ceuxqui sont précédés de l'article masculin, sous prétexte que l'articlene fait qu'un avec le nom; « Le Pity, le Havre, le Tréport. . . sont situées en France, dirons-nous, parce que la pensée seporte plutôt sur l'idée de ville que sur un nom, tiré de quelqueparticularité ou d'une situation qui ne peut lui imposer songenre. Paris, exceptionnel en tout, fait exception à la règle.C'est un colosse, il est du masculin. » M. Dauzāt a abordé notresujet à deux reprises.3 Ayant constaté que le genre des nomsde villes est assez incertain, M. Dauzāt estime pourtant que cesnoms, en général, tendent à se neutraliser (c.-à-d. à se masculiniser,le masculin étant en français l'héritier du neutre). Le fémininne persisterait que dans les noms étrangers [Rome, Naples,

1 Grammaire des grammaires . . . Notes par P.-Auguste Lemaire, I I e

éd., Paris 1857, p. 121-122. (1 re éd. 1811).2 Pourquoi dit-on: Paris est beau, ce beau Paris, Tandis que Ion dit:

L'industrieuse Rouen? (Le courrier de Vaugelas, XI (1886), n:o 10, p. 74).3 Histoire de la langue française, 1930, § 424 bis; Le genre en français

moderne (Le français moderne, V (1937), p. 202).

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Barcelone, etc.), où il était soutenu par le genre de ces nomsen italien, catalan, etc. M. Thérive, dans l'article déjà cité, aégalement dit son mot sur le genre des noms de villes. Pourlui, dans le doute, le masculin l'emporte toujours. Il ne dés-approuve pas même ce la Haye (H. de Régnier), mais avoueque Francis Careo, en faisant Barcelone du masculin, le heurteobscurément. « Le masculin est toujours correct; mais dans lescas où cela n'est pas prétentieux. Je recommande de garderféminins les noms de villes dont le nom et l'image en sontdignes. Barcelone, Seville ne sauraient être masculinisées sansdommage, ni Varsovie, ni la Nouvelle-Orléans. » On me con-cédera sans doute que ces remarques, pour fines qu'elles soient,font la part belle à l'arbitraire. La Grammaire Larousse duXXe siècle1 renoue avec une vieille tradition: «Dans les autrescas [noms de villes sans article], et malgré les fantaisies indivi-duelles de certains auteurs, on a tendance à faire du masculinles noms de villes qui n'ont pas une terminaison féminine . . .;ceux qui en ont une seront plus volontiers considérés commeféminins. » M. Maurice Grevisse2, enfin, met en doute le bien-fondé de cette règle, qui souffre de nombreuses exceptions. Touten conseillant de tourner la difficulté par l'emploi de la circon-locution la ville de, M. Grevisse ajoute que le masculin tend àprévaloir.3

J'ai aussi glané quelques remarques et règles dans les gram-maires étrangères. J. E. Aurell4 reproduit plus ou moins l'opi-nion de Girault-Duvivier. Otto Holder5 pose en principe quele genre des noms de villes est féminin pour les noms en -e,-es. Mais il fait observer que de nombreux écrivains ne se con-forment pas à cet usage, ce dont il donne des exemples bienchoisis. La lecture de Plattner6 est aussi profitable. Il note eneffet que tous les noms de villes, sauf quelques grandes villes

1 Paris, 1936, p. 150.2 Le bon usage, Gembloux, 1939, § 268, p. 184.3 Cf. aussi A. Darmesteter, Cours de grammaire historique de la langue

française, II, Paris, 1894, p. 49 et Brachet & Dussouchet, Grammaire fran-çaise complète, 23e éd., Paris, 1932, p. 102.

4 Traité sur le genre des substantifs dans la langue française, Thèse,Upsal, 1868, p. 13.

5 Grammatik d. frz. Sprache, Stuttgart, 1865, p. 3.6 Ausf. Gramm, d. frz. Sprache, I, Freiburg, 1912, § 123, p. 136-37

et III: 1, Karlsruhe, 1905, p. 62-64.

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françaises [Paris, Lyoti), peuvent être employés au féminin, mêmedes noms tels que Bar-le-Dtic, Fort-de-France et Saittt-Sébastien.Cependant, à en croire Plattner, Londres, Versailles et Veracruzsont toujours masculins. Körting1 utilise simplement les donnéesde Plattner; les considérations théoriques qu'il ajoute n'ont guèred'importance.2

Il n'est pas facile, on le voit, de réduire à un dénominateurcommun les observations de ces grammairiens. Il y a peut-êtreune majorité qui veut laisser la terminaison décider du genredu nom de ville. Le malheur est que la terminaison -e, -es n'estpas, pour les substantifs français, un indice sûr du genre féminin.Au contraire, les exceptions se comptent par centaines. Aussiplusieurs grammairiens sont-ils pour une masculinisation plus oumoins générale des noms de villes. D'autres, en revanche, moinsnombreux mais non sans influence, alléguant le genre du motville, prennent le parti opposé, en laissant masculin tout justeParis. Parmi les Français autorisés que j'ai pu consulter depuisque ce petit problème m'intéresse, j'ai trouvé des partisans dechacune de ces trois attitudes.

Il convient enfin de se faire une idée de l'usage littéraire etjournalistique. Ce qui frappe d'abord dans l'ancienne langue,c'est la rareté des cas où le genre des noms de villes est per-ceptible. Dans nos journaux, dans les ouvrages de nos historiensmodernes, les exemples abondent, on n'a que la peine de choisir.Au moyen âge, les noms de villes étaient surtout précédés deprépositions et rarement pourvus d'épithètes. Comme sujets ourégimes directs ils sont peu communs et au lieu du simple nomde ville on trouve souvent l'un des types Rome la cité ou lacité (la ville) de Rome. Peut-être est-ce un indice que la questiondu genre causait déjà un certain embarras.

Roland: Cordres ad prise (v. 97); Li empererc ad Sarraguceprise (v. 3660);

1 Formenlehre d. frz. Sprache, II, Paderborn, 1898, p. 107-108.2 Cf. encore, pour quelques renseignements, E. Mätzner. Frz. Gramm.,

I, Berlin, 1884, Ρ- 125; Ε· Grotkass, Beiträge zur Syntax d. frs. Eigen-namen, Erlangen, 1886, p. 49-52; Η. Hübner, Syntaktische Studien überd. best. Artikel bei Eigennamen im Alt- u. Neufrs., Thèse, Kiel, 1892,p. 116-123; H. Fredenhagen, Über den Gebrauch des Artikels in d. frz.Prosa des XIII. Jahrhunderts, Thèse, Strassburgŗ, 1903, p. 9.

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Girart de Rosillon (poème bourguignon du XIVe siècle, éd.Ham, Yale Romanistic Studies, XVI): II fonda Avalon et SaintJehan d'Olivant, Qui Semtir fut nommez (ν. 5475—76);

Villehardouin (éd. N. de Wailly, 1874): Constantinople ereconquise (p. 188); Naples estoitprise (= Nauplie, Péloponnèse;p. 248); (éd. Faral, Les Classiques de l'hist. de France au moyenâge, XVIII-XIX): fu prise Naples ( = Apros, Thrace; § 391);

Froissart (Paris-Jeanroy, Extraits): il trouveraient Londresouverte (p. 298); (éd. Kervyn de Lettenhove, t. XIV, 1872):. . . mettoient leur traittié à avoir Calais abatue (p. 313); (éd. G.Raynaud, t. XI, 1892): car la oh Bruges seroit consentie a courir...,elle seroit tousjours mais perdue (p. 62) ; ne Gand ne fu onquestant renommée comme elle sera (p. 67); ordonna . . . que . . . Cour-trai fust tonte arse et destruite (p. 70) ;

Jean d'Outremeuse (éd. Borgnet-Bormans, t. V, 1867): QuandLiege fut destruite . . . et toute dérobée (Geste de Liège, v. 2259);Puis at Gemblous destruite et Nivelle gastée [ibid. ν. 2339); Beal-fort fut relevéis (Myreur, p. 411);

Commynes (éd. Calmette, Les Classiques de l'hist. de Franceau moyen âge, III, V, VI): le Liege (I, 115, passim); estoittousjours pour cuider ravoir Sainct Quentin. Semblablement quantledict connestable avoit paour ou craincte du roy, il la luypromectoit rendre (I, 187); tenir Sainct Que7itin pour luy et le luylivrer (II, 24) ; après fut assiégé Beaulne (II, 268) ; quant Novarrefut prins (III, 151); Galepoly, qui aussi fut gardé (III, 95); Gennesse viendroit presenter d'elle mesmes (III, 152); avant que Gayètefust perdue (III, 273);

Jean Molinet (éd. Doutrepont-Jodogne, 1935—37): Anvers semit en tous ses debvoirs pour le recepvoir . .. Et s"elle s'estoitenforcée (II, 398) : devant Novarre . . . et, considérant que avoirne la povoil (II, 459); doublant que Naples ne fuist desnaplée(II, 524); à Ernem, devant laquelle . . . (II, 536);

Agrippa d'Aubigné1: En examinant les Index des tomes Iet III, j'ai relevé 206 noms de villes dont le genre ressortait ducontexte. Des 71 qui avaient une terminaison féminine (-<?, -es),68 étaient féminins, 3 masculins; des 135 autres, 110 étaient

1 Histoire Universelle du sieur d'Aubigné, I - I I I , 2e éd., Amsterdam,1626.

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féminins, 25 seulement masculins, ce qui constitue évidemmentune énorme prédominance pour le féminin. Remarquons parmiles féminins Paris, Lyon, Orléans, Bourg en Bresse (t. I; mase,t. II), Catelet, Pont-sur- Yonne, Vieux-Port (Corse). Le Ma7is estmase, cela va de soi. Parmi les autres masculins, on retrouveBriançon, Bar-en-Lorraine et surtout quelques noms où il semblebien que l'auteur a songé moins à la ville qu'au château homo-nyme qui la protégeait. Je ne sais si Aubigné a établi lui-mêmeles Index. Toujours est-il que le féminin domine moins dans letexte où de nombreux noms de villes, avec Paris en tête, ontle genre masculin de leur terminaison. Mais cela ne prouve rien,l'auteur ayant pu s'astreindre à plus de conséquence dans l'index,et d'ailleurs dans le texte Lyon, Bayeux, Calais, Meatix, Péri-gtmix, Mosco, etc. sont féminins aussi.

Du même auteur je citerai encore (d'après l'éd. Réaume &Caussade, 1877) Et toy, Sens insensé (IV, 209); Agen se montrela puante, environnée . .. (ibid.); mere des escoliéis, Tu l'as senti,courtois & délicat Poictiers (IV, 225); Genève, laquelle . . . (I, 109).

Malherbe (Œuvres, I, 1723): Soissons, fatal aux superbes (p.25); Sedan s'est humilié (p. 29); Marseille volée (p. 47); Mem-phis se pejzse captive (p. 48); sa Carmagnole (p. 71); Nice . . .cessera de nous mettre en conte Barberousse qtielle a chassé(p. 72);

André Du Chesne1: Paris, belle et superbe Paris (p. 37);comment Paris fut faicte capitale (p. 50); Paris, pleine... (p. 60) ;Paris ... elle (p. 62) mais Paris .. . s'est acreu (p. 51); le premierParis (p. 66); Dijon mase. (p. 233 et 236); féminins Poitiers(p. 631), Neris et Moulins (p. 703);

F. des Rues2: La majorité des noms de villes sont féminins,non seulement Chartres, Compiègne, Langres, Saintes et Tholosemais aussi Boussac, Caen, Cisteron, Meaux, Mets, Nevērs, Tournus.Sont masculins les noms de quelques villes de Normandie, laprovince natale de l'auteur, tels que Rouen et Eureux, ensuiteCahors et même Péronne.

1 Les Antiquitez et recherches des villes, chasteaux . . . de toute la France,Paris, 1609.

2 Description contenant toutes les singularites des plus celebres villes . . .du royaume de France, Rouen, 1611.

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M.-A. Baudrand1: Athènes, Copenhague, Gibraltar, Madridféminins, Nîmes masculin (s. v. Arles)

Piganiol de la Force2: Masculins et féminins en nombre égal.Dole est le seul cas où le masculin empiète sur le domaine quela terminaison semblait réserver au féminin. Les empiétementsen sens inverse sont autrement nombreux: Arnay-le-Duc, Bar-sur-Seine, Châlo?ts, Montpellier, Niort, Usez, etc. sonttous féminins.

Voltaire, Charles XII (Flammarion): Copenhague intimidée(p. 62); Riga était défendue (p. 67); Elbitig, bâtie . . . (p. 115);Varsovie ri ¿tait pas fortifiée (p. 124); Candide (Tallandier) : Azof

fut mis à feu et à sang (p. 55); Paris ... il (p. 105); Venise 11 estbonne que pour les nobles (p. 106);

Journal de Paris: Perpignan estfortifié (3-4-1792, p. I, col. 2);Francfort était regardé ... (31-8-1806, I, 2);

de Ségur, Hist, de Napoléon et de la Grande Armée, 4e éd.,1825: Le ç septembre nous montra Mojaïsk debout et ouverte(I, 430); Moscou reste morne, silencieuse (II, 38);

A. Hugo, Histoire de l'empereur Napoléon, 1833: Magde-âourg défendue (p. 254); Moscou serait pris (p. 385) et, mêmepage, Bâtie .. . sur sept collines, Moscou offrait un aspect des pluspittoresques; Leipsick fut pris (p. 412); Leipsick située sur l'Elster(p. 427); Trieste ne sera pas compris dans la cession (p. 423);

H. Taine, Origines de la France contemporaine: Bordeauxaverti (III, 94); Marseille réduite (IX, 17); supposez Moscou pris(IX, 60); Vienne ... désertée (IX, 117, note); H. Taine, Sa Vieet sa Correspondance, t. III, 1905: Tours était menacé (p. 6);Oxford est trop beau (p. 144);

Joanne3: Nice est bâtie ...; Peut-être Nîmes exerçait-elle ... ;Pau est bâti . . . ; Poitiers n'est plus ... que le chef-lieu ... et l'onpourrait. . . la mettre au rang . . . ; Poitiers reste à peu prèsétranger au motivement commercial;

Dictionnaire Larousse de XXe siècle: Ici, la féminisation desnoms de villes est presque érigée en règle; le désaccord entre

1 Dictionnaire géographique et historique, Paris, 1705.2 Introduction à la description de la France, I-XIII, 3e éd., Paris,

1752-54 (1re éd. 1718).3 Dictionnaire topographique et administratif de la France, I-VII, 1890

-1905.

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cette pratique et la théorie de la Grammaire Larousse du XXe

siècle est donc flagrant. Féminins sont, à titre d'exemple, Aixe?i Provence, Alger, Avignon, Caen, Cholet, Lyon (mais, s. v.Couthon: le siège de Lyon révolté), Metz, Milan, Moulins, Que-bec, Reval, Riga, Stockholm. En revanche, Berlin, Brest, Orléanset sans doute bien d'autres sont masculins.

Auteurs et journaux1 modernes -..Anvers bombardée (5-5-43,4, 4); Assise, tout embaumé de fleurs (Annabelle, juillet 1943);dans cet actif foyer de renaissance . . . quest devenu Barcelone(Dauzāt, La géogr. linguistique, 1922, p. 19)2; Comment Bastia

fut occupée (6-10-43, 2, 4); Bastia serait tombé (5-10-43, 4, 2);Beauvais est rasée (7-12-40, 1,2); Berlin bombardé (18-1-43, 4» 3)>

dans Berlin ravagée (5-1-44, 1,3); Bordeaux est capturée (F'. Lot,

Les invasions barbares, I, 126; la féminisation des noms de villesest pour ainsi dire constante chez cet auteur; cf. pourtant Natttespris par les Normands, Lot-Halphen, Le règne de Charles leChauve 1909, p. 78); Copenhague ne s'est pas fait en un jour(R. de Phon., I, 108); devant ¿"ordres démantelé (Bédier-Hazard,Hist. ill. litt, fr., I, 10 a); Damas investi (14-6-41, 4, 2); Damasassiégée (21-6-41, 4, i); que Genève fût chargé (Bernanos, Lesgrands cimetières sous la lune, p. 303); Hambourg . .. elle (4-8-43,4, 6); Hambourg est évacué (5-8-43, 4, i); C'est ainsi que futfondée Kairouan · (J. & J. Tharaud, 13-4-43, 1,4); Kharkov at-taqué (23-3-42, 4, 1); Kharkov menacée (20-8-43, 8, 3); Leningradsera-t-elle délivrée (27-12-41,1,4); Londres bombardée (14-1-41,4,1 ;passim); Londres fut fondé(F'. Morand, Londres, 1938, p. 1, etc.);Londres désert (Tharaud, Dingley (éd. Le livre de demain), 1941,p. 94); cf. dans le même livre, Pretoria allait être prise (38), latriste Bloemfontein (62), Capetown serait assise (84); la Londresmoderne (Th. Reinach, La musique grecque, 1926, p. 136); Madridqui fut sauvé (Malet-Grillet, Le XIXe siècle, p. 611); Madrid estravitaillée 6, 6); Marseille fut encombré (17-11-42, 1, 5)3;

1 Les citations suivies seulement d'une indication de date sont tirées dela Gazette de Lausanne. Ceux qui connaissent ce journal comprendrontque les contradictions qui seront relevées ne sont pas imputables à un manquede tenue littéraire et de correction grammaticale de la part du journal.

2 M. Dauzat enfreint ainsi une règle formulée par lui-même, v. ci-dessus,p. 204.

3 Cf. Thérive, op. cit., p. 65 : «Marseille vibre tout entier (J. Romains)choque l'oreille, mais non l'esprit» Mais Marseille . . . restée (J. Romains,Cette grande lueur à l'Est, p. 153.)

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Moscou sera défendu (26-7-41, 6, 2 dans la rubrique, maisdans l'article déjendue); Midhouse est appelé à devenir (11-1-41,4,2) ; Garibaldi atteignit Naples, mais ne le dépassa guère (31-8-43,1, 2); Naples serait isolé (27-8-43, 4, 4); Naples et Païenne bom-bardés (3-3-43, 4, 2); New-York ... il (P. Morand, New-York,p. 266 et partout à l'avenant, sauf p. 214: Du temps elle étaiten bois, New- York a conserve . . . ; même livre, p. 242 : Oxford,e?tfoncée; p. 268 Chicago est trop neuve); notre cher Netu York(J. Romains, Salsette, p. 25. R. est plutôt « masculiniste », maisil n'en écrit pas moins une Alger moms méridionale, Cette grandelueur à l'Est, p. 91); Netv York, svelte, hardie, ravissante(E. Curie, Madame Curie, p. 260); Nice, évidemment étranger àla Civilas Cemenelensium (A. Longnon, Atlas hist, de la France,1885, p. 100, note); Nice devenue morose (Ch. Plisnier, Feudormant, 1941, p. 36); au cas oh Paris serait bombardée (18-7-40,1,4); Paris s'est donc vu obligée d'emprunter (19-10-40, 4, 3);Paris est de nouveau menacée (2-2-42, I, 3); Perpignati, devenue(Calmette-Vidal, Le Roussillon, 1909, p. 32); Saint Petersbourg,fém. dans une poésie de Clair Tisseur, citée par Kastner, A Hist,of French Versification, 1903, p. 308; Troy es et Setts relevaient... l'une et l'autre (Mireaux, La Chanson de Roland, 1943,p. 173); Singapour devietidra-t-il... (17-1-42, 4, 2); Sifigapour estserrée de près (27-1-42, 1, 1); Stalingrad sera entièrement occupée(5-10-42, 1, 1); Stalingrad, est véritablement libéré (24-11-42);Tobrouk ... serait... défendue (23-1-41, 1, 5); Tobrouk encerclé(19-6-42, 4, 1); Toulon ne sera pas occupée (13-11-42, 4, 5 ; quelqueslignes plus bas: T011I071 est très bien défendu)1; Toulouse futpris (Mirot, Manuel de géogr. hist, delà France, 1929, p. 48);Vichy .. . demeurée (2-6-43, 3> l)'> dans ce Vichy (14-4-43, 1, 5);Washington est devenu le grand centre (A. Maurois, Le Journal26-5-39, !i 2)î Washington et Londres ont toutes deux avantagea... (19-1-43, i, 1); Zîcrich était devenue (G. de Reynold, Ledoyen Bridel, 1909, p. 90).

Si l'on a pu lire cette longue liste d'exemples sans se laisserarrêter par l'ennui ni entraîner par les associations d'idées hé-

1 Cf. déjà dans une proclamation de 1794: «Toulon, l'infâme Toulon,est rendue à la République.» (Annales Soc. d'Émulation des Vosges, LXXXI(1905), p. 156.)

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Toïques ou dramatiques qu'évoquent tant de ces noms de villes,l'on conviendra sans doute que le choix du genre des noms devilles paraît être une question de goût personnel, voire de caprice.Peu d'auteurs sont conséquents avec eux-mêmes1 et, fait peut-être unique dans les annales de la langue française, ce désarroise prolonge depuis six siècles au moins. Tout au plus peut-ondire, d'après les exemples modernes surtout, que le fémininsemble l'emporter. Le cas où les noms à terminaison mascu-line sont traités comme féminins, sont, par rapport au cas in-verse, dans la proportion de 5 à 3 environ.2 Est-ce à dire quetous les grammairiens (Dauzāt, Thérive, Grévisse) qui annon-cent la victoire du genre masculin se sont trompés du toutau tout?

Je ne le crois pas. Jusqu'ici nous avons traité du genre desnoms de villes d'un point de vue lexicologique. Envisagés souscet angle, ils peuvent prendre les deux genres, en apparencepresque indifféremment. Tout au plus peut-on dire que Pariset les noms de villes précédés de l'article le sont de préférencemasculins, Rome et les noms précédés de la presque exclusive-ment féminins. Mais il y a aussi un côté stylistique et syn-taxique. Pour ce qui est du style, j'ai l'impression très nettequ'on risque moins de paraître pédant et affecté en masculinisantles noms de villes qu'en prenant le parti opposé. Et, pouraborder enfin la syntaxe, chacun sait que tout reste invariablemême devant les noms de villes qui sont le plus indiscutable-ment féminins : tout Rome = 'tous les habitants de Rome' etaussi 'toute la ville de Rome'3, le tout-Rome 'toute la bonnesociété qui compte à Rome', tout Venise et même tout la Rochelle

1 Relevons parmi ceux-ci deux écrivains particulièrement soucieux deleur style, Malherbe et Taine.

2 En réalité, la prédominance du féminin est sans doute plus marquéeencore. Cela ressort de mes matériaux, dont je n'ai produit ici qu'une petitefraction. Il faudrait d'ailleurs une statistique impartiale, tandis que je mesuis concentré sur les exemples aberrants.

3 Certains grammairiens ont voulu établir une distinction entre toutRome en parlait (notons en passant que Zola s'est permis d'écrire touteRome en causait) et toute Rome était en flammes. Le Bidois, conservateuret ami des subtilités, approuve (§ 445), mais la ratification de l'usage faitabsolument défaut. Martinon, p. 176, note 2, recommande Ia tournure Rome(tout) entière était en feu. — Voir Körting, II, 108, Ebeling, ASNS, CVI(1901), 202-203, Beyer, RF, XX (1907), 645-46, Nyrop, V, § 431, 5.

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en était troublé (Maupassant, Contes de la Bécasse, 1898, p. 36).Le moyen âge ignorait cette particularité et se servait du typetote Troie.1 La nouvelle mode est introduite chez Corneille,Molière, La Bruyère: tout Corinthe, tout Thèbes, tout Sinyrne.La règle qui voulait que tout restât invariable devant les nomsde villes a été formulée d'abord par Patru.2 Elle est reprisepar Desmarais-La Touche.3 Cette grammaire blâme la Bible deRoyaumont (1674) à cause d'une phrase . . . trouva . .. toute Jé-rusalem e7i trouble. « Ce toute, est selon la Grammaire, mais iln'est pas selon l'usage . . . On dit Tout Rome dit cela = le peuplede Rome. » Les explications de ce phénomène divergent. Ellescontiennent toutes une part de vérité, sauf celle de Lucking1

Beyer, qui prétend que tout Rome signifie (le) tout de Rome, etque c'est là un cas régime absolu comme dans la constructionbien connue la fille le rei, ce qui est absurde puisque tout Rome aremplacé tote Rome longtemps après la disparition de ce tour.On peut parler d'une métonymie (Nyrop-Le Bidois) ou d'une« Neutralisierung des Stadtbegriffes » (Körting) ou dire, commeEbeling, que le mase, est de mise ici, tout Rome comprenantles Romains des deux sexes. Ce qui me paraît certain, c'est quetout Rome ne serait pas né sans l'existence d'une tendance gé-nérale à masculiniser les noms de villes. L'analogie de tout Parisest sans doute aussi entrée en jeu.

Dans un autre cas encore, les noms de villes, déjà de bonneheure, ont été. obligatoirement traités comme masculins.4 On serappelle que Jean Molinet et Agrippa d'Aubigné employaientde préférence les noms de villes au féminin. Or, ces mêmesauteurs écrivent toujours dudit Malines, audit Jennes, etc., etc.(Molinet, II, 420, 432) et audit Geneve, /labitans dudit Geneve(Aubigné, Réaume, I, 127; autrement Genève est toujours duféminin chez Aubigné). Il est possible que lieu soit sous-entenduici (audit Navarre, audit lieu de Novarrc, Commynes, III, 219—20),

1 Cf. une feste lur survint, que lum pr tutes Lunares tint (Vita SanctiEdwardi, ν. 4654. Bibl. Vat., Reg. lat. 48g, ms. de 1250 env.).

2 Remarques sur la langue françoise par Vaugelas, nouv. éd. p. A.Chassang, I, 1880, p. 181.

3 L'art de bien parler français, 5e éd., II, Amsterdam, 1737, p. 597.4 A partir de 1450 env. La Chronique de Metz, par Jaique Dex (Quellen ·

zur lothr. Gesch., IV, 1906), porte encore a la dite Noiremberg (p. 435) etde laiditc Baille (— Bâle; p. 440).

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mais la construction ne serait ni possible ni surtout obligatoiresi, sous un courant superficiel de féminisation, la vraie tendancede la langue n'était au contraire de masculiniser les noms de villes.

Il y a un autre cas où un adjectif au masculin s'accole toujoursaux noms de villes — même à ceux dont l'aspect phonétique eston ne peut plus féminin — et qui ne semble pas avoir été observépar les grammairiens. C'est le cas de l'adjectif vieux: le vieuxLausanne désigne la Cité, les vieux quartiers par opposition auxparties plus modernes de la ville.1 *La vieille Lausanne signi-fierait au contraire que L. est une vieille ville, une ville ancienne.Cf. Ch. Braibant, Lumière bleue, p. 60: Supplice de ne pouvoir

flâner dans ma vieille Gisors, que j'ai photographiée. En écrivant(Les Invasions barbares, I, 120) Non pas Up sal actuelle, maisGamla Up sala, « Vieille Upsal», M. Lot fait ressortir déjà parla graphie Vieille Upsal (et non vieil Upsal) que Gamla Upsalan'est pas le vieux quartier d'Upsal mais bien une localité dis-tincte.2 La possibilité de faire cette distinction n'est peut-êtrepas très ancienne3, cf. Du Chesne, op. cit., I, 66: La Cité [deParis] se peut nommer la vieille Ville, comme ¿a vieille Rome,non comblée toutefois de ruines, & destituée d'habitans, comme estla vieille Rome a present. L'explication du type le vieux Lau-sanne ne laisse pas d'être embarrassante. Il est naturel de mettre

1 Le vieux Lausanne pourrait aussi à la rigueur équivaloir à 'la villede Lausanne des époques révolues', {ta) Lausanne ancienne. — J'ai relevéle vieil Albi, le vieil Arles, le vieux Bruxelles, L*. vieux Litna (P. Morand,Air indien, p. 198), le vieux Marseille, le vieux Nice (J. Romains, Le mondeest ton aventure, p. 33), une rue du Vieux-Nice (J. Romains, Cette grandelueur à l'Est, p. 226). Puisque le genre des noms de villes est si flottant,aucun exemple, pris pour lui-même, n'est probant, mais l'ensemble est dé-monstratif. Pourtant il est probable qu'on reculerait devant *le vieux LaRochelle. Voici, en effet, ce que je trouve chez A. Dussert, Essai historiquesur la Mure, Thèse, Grenoble, 1902: l'histoire de la Mure ancienne (p. V);la vieille Murette (p. 159; en 1309 Muretam veterem, par opposition aunouveau groupement (la Murette) qui se forma alors). — Ci-après un exemplequi m'a beaucoup intrigué (P. Meyer, Romania, VII, p. 163): «sur l'un [desfeuillets] a été peint au XVe siècle l'écu bandé d'or et d'azur à la bordurede gueules, de Bourgogne ancien, au-dessus duquel est appendu l'écu . . . del'hôpital du Saint-Esprit de Dijon.» Est-ce une analogie d'après le typevieux Lausanne? En tout cas cela relève d'une syntaxe exceptionnelle. Letour normal est représenté par Koloszvar (Klausenburg); l'ancienne Clujroumaine (14-3-44, 6, 3).

2 Un cas analogue est Vieille-Brioude, peut-être emplacement primitifde Brioude.

3 Cf. Montreux-Vieux (Alsace), 1265 Monsturettlx la vielle, XVe siècleVielle M. (Clauss, Hist. top. Wörterbuch des Elsass, 1895-1914).

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ce cas en parallèle avec le type tout Lausanne; dans les deuxcas, il y a une métonymie et on peut dire aussi que l'un etl'autre étaient des groupes fréquents tendant à devenir dessyntagmes où le genre réellement populaire des noms de villes,le masculin, devait s'imposer. Mais un autre facteur a dû égale-ment entrer en jeu. En effet, je crois que vietix représente ici,dans une certaine mesure, vêtus . Je n'en veux pour preuveque l'existence de nombreux noms de lieu tels que Vieux-Cour(s),Vieux-Maisons (anciennement Vies Maison), Vietix-Champag7ie,La Vieux-Rue, Viéville, etc. La présomption devient plus fortedu fait que le traitement spécial de vieux ne semble pas trouverune contre-partie dans celui de neuf, nouveau. Faute d'un meilleurexemple, je cite dans le cercle intellectuel de la nouvelle Bâle(30-4-43, 4, 1). Si on veut spécifier — et le cas ne se présentepeut-être pas très souvent — qu'on parle bien des quartiers récentsd'une ville, c'est l'adjectif moderne qui se présente de préférenceà l'esprit. Un fait fréquent est qu'une agglomération nouvelle-ment construite reçoit le nom d'une ancienne, précédé de nou-veau, netif: la Nouvelle-Orléans et Neuf-Brisach. Ces deux nomsprécisément ont une histoire assez curieuse: Dans Λίαηοη Lescaut(Larousse, p. 149), on lit le Nouvel-Orléans, sans doute parceque, au moment de la fondation de la ville, Orléans était senticomme masculin. Le genre de cette ville a toujours été par-ticulièrement hésitant.1 Le féminin l'ayant de nouveau emportéet peut-être sous l'analogie de la nouvelle Amsterdam (la nou-velle Yorck), la nouvelle Grenade, le Nouvel-Orléans devint laNouvelle-Orléans déjà au XVIIIe siècle.2 En ce qui concerneNeuf-Brisach, ce Neuf me semble ou archaïsant (en nueve Troie,Brut 2089) ou imité de l'allemand Neu-Breisach. Baudrand écrit,six ans après la fondation de la ville, s. v. le Neuf Brisac: [il]

1 Chante, heureuse Orléans, les vengeurs de la France! (C. Delavigne);Orléans, m. or f. (Cassell's French-English English-French Dictionary). J'aientendu soutenir que le genre féminin pouvait être suggéré par le nomOrléans-la-Pucelle. Le rôle du déterminatif pour le choix du genre peutêtre appréciable: Briennela-Vieille, ainsi appelée pour la distinguer deBrienne-le-Châteati, qui est moins ancien (Roserot, Dict. hist. Champagnemér., 1942-43).

2 J. J. Expilly, Le Géographe. Manuel contenant la description de tousles pays du monde, nouv. éd., Paris, 1771. Cf. encore les néologismes laNouvelle-Dehli, la Nouvelle-Anvers.

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reprit Vancienne Brisac après avoir bâti la nouvelle Brisac etPigagnol le Nouveau Brisac, l'ancien Brisac, ce qui montre bienqu'ils n'approuvent pas le nom officiel.

Selon un usage que je crois moderne, on désigne par leGrand-Paris Paris avec ses faubourgs, par opposition à la villede Paris proprement dite. Au cours de mes lectures, j'ai notéencore le Grand-Berlin et le Grand-Bruxelles. Ces exemples nesont pas probants, vu que même Bruxelles est surtout du mas-culin1, mais je crois qu'on pourrait employer grand au masculinmême devant Marseille, Barcelo?ie, etc., avec le sens indiqué.*La grande Lausanne par contre serait 'cette grande ville qu'estLausanne'. Voici pour terminer un exemple quelque peu par-ticulier mais rentrant dans cette série: Baie est divisée par leRhin en deux parties : Petit-Bâle2 . . . et Grand-Bâle. Le Grand-

Bâle a gardé... (Larousse du XXe siècle).On peut même généraliser et dire qu'un nom de ville tend

à se masculiniser quand il est accompagné d'un qualitatif res-treignant le nom en extension, opposant une partie de la villeà une autre partie de la même ville, un groupe social à unautre, la ville à une certaine époque à la même ville à uneautre époque. Cette tendance est indéniable, quoiqu'elle ne soitdevenue une règle inflexible que pour vieux et grand. Quandnous lisons le Bâle a"aujourd'hui (Gaz. de L., 30-4-43, Suppl.,1, 3) dans une page où Baie apparaît de nombreuses fois auféminin ou le Toulon du début du siècle à côté de Toulon a étédéclarée zone libre (30-11-42, ι, ι et 6), il peut s'agir d'une desinconséquences habituelles. Plus démonstratifs sont peut-être Jene veux pas médire du Camies moderne (cité d'après Robert,Gramm, française, 1909, p. 89); le Bâle rojnain et germanique(Chateaubriand; cité d'après Holder. Mais Ch. ne reculait mêmepas devant Prague souvent assiégé) ; Arles Gallo-Ro?nain (ouvragede H. Bazin, 1896); il connaît h fond Nîmes ..., mais Nîmesgallo-romain (J.-J. Brousson, Anatole France en pantoufles, 1924,p. 205); le Lausanne de demain (14-12-42; L. est normalementtoujours féminin dans la Gazette de Lausanne) et surtout je la

1 D'après le témoignage oral d'un jeune Bruxellois.2 Je ne connais pas d'autre exemple de petit joint à un nom de ville.

Pour les noms de villages, le fait est fréquent, voir ci-dessous, p. 220.'

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préfère à celle du Vienne d'après guerre'1; Ça, est le Nicegrandiose (J. Romains, Le monde est ton aventure, p. 40); Nancyne vaut pas le Metz d'avant la guerre (M. Barrés, Colette Bau-doche, p. 127; cf. ibid., p. 2 Metz ne vise pas a plaire aux sens ;elle . . . ) ; l'un des attraits du Sierre touristique (Maurice Zermatten,14-12-42, 1, 5; ibid. Sierre est menacée de toutes parts). La gran-diose Nice se conçoit très bien, ainsi que la florissante Marseilleet même la savante Montpellier, mais aurait une autre significa-tion, l'adjectif étant ici une épithète de nature. Evidemment,tous n'observent pas cette distinction plutôt délicate et on litsouvent dans la Buenos-Ayres d'alors (Constantin-Weyer, Lemaître de la route, 1943, p. 43)2; la Genève du XVII' siècle(R. Montaudon, Genève des origines aux invasions barbares,1922, planche XVII); la New-York, la Philadelphie d'il y a trenteans (cité d'après Damourette & Pichón, § 413); qu'importe laJérusalem de pierre quand on aura la nouvelle (H. Bremond,Racine et Valéry, p. 215), et cela ne peut pas être taxé de faute.

Un indice de plus de l'envahissement du genre masculin estque l'article indéfini affecte le plus souvent la forme un devantun nom de ville: J'ai trouvé . .. un Londres complètement em-ballé (Maurois, Edouard VII, 1933, p. 193; cf. dans Londresilluminée, Maurois, Histoire d'Angleterre, 1937, p. 4S7); unWinterthour énorme (19-10-42, I, 5; contre plusieurs ex. deW. + part, passé au fém.) ; il existait en Epire Jéricho situé ...(Mireaux, Chanson de Roland, p. 28; mais, p. 42 impossible dedécider entre la Jéricho d'Épire . . . et la J. de Palestine). Contre-exemples: une Alger moins méridionale (J. Romains, ex. déjàcité); une Pompéi moderne (23-2-43), une Limoges sans porcelaine(30-7-43, 1, 3).

Dans les deux articles cités plus haut, M. Dauzāt indiquequ'un adjectif attribut doit se mettre au masculin après un nomde ville3 : Nice est beau, Marseille est grand. Cela est sans doute

1 Cf., d'un Viennois connaissant parfaitement le français: dans le Vienneuniversitaire d'avant-guerre (Leo Spitzer, Mes souvenirs de Meyer-Lübke(Le français moderne, VI, 1938)).

2 M. Constantin-Weyer a une prédilection marquée pour le féminin desnoms de villes. Exception: le lointain Ottawa (Un homme se penche surson passé, p. 20).

3 Bidot, La clef. . ., p. 10 cite la même règle d'après un ouvrage deM. de Hénaut.

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exact, mais je crois que la langue littéraire évite encore cetteconstruction. Anciennement on disait Troyes est marchande.Mes rares exemples modernes vont aussi à l'encontre de l'asser-tion de M. Dauzāt : Lausanne τι est pas belle, dit-il, elle est jolie(18-10-43, 2, 5) et Chicago est trop neuve v. ci-dessus, p. 210.Mieux vaut certainement écrire et dire Nice est mie belle ville(ce que le français parlé exprime par: c'est beau, Nice).

En ce qui concerne les noms de villes, il existe pourtant,à en croire les grammairiens, un domaine réservé au féminin« Les noms de villes personnifiés sont féminins: la sava?tte Mont-pellier t (Robert). Ainsi conçue et exetnplifiée, la règle est tropgénérale. Quand un artiste veut représenter une ville, il le faitnaturellement sous les traits d'une femme. Voici p. ex. ce quise lit dans R. Poincaré, Le lendemain d'Agadir, 1926, p. 193(il s'agit d'un monument érigé en l'honneur de la reine Victoria):[la reine] incline . . . un visage . . . attentif vers les jeunes fillesqui.. . symbolisent a ses pieds les villes elle a séjourné. . .Cannes, elle aussi .. . pose délicatement la main sur la gracieuseMenton, . . . tandis que Grasse, a demi agenouillée . . . Mais jamaison ne pourrait dire "la majestueuse Paris, p. ex. A plus forteraison, quand la personnification est moins concrète, le genreféminin s'impose-t-il moins encore. Dans une invocation plus oumoins poétique, le féminin s'introduit sans doute assez facile-ment: voir p. 214, note 1 et Chambéry! Pardonne-moi de ne pasfavoir aimée jadis (M.-L. Pailleron, cité d'après Thérive). Cf.pourtant, chez un auteur féru du féminin pour les noms devilles, l'exemple déjà cité (p. 207) mere des escoliers .. . délicatPoictiers. Et on dirait nécessairement mon beau Paris, et depréférence mon beau Lausanne, mon beau Marseille. Ce quisubsiste de la règle de Robert et consorts, c'est que lorsqu'unnom de ville est suivi, en guise de surnom, d'une épithète pré-cédée de l'article, ce qui implique, si l'on veut, une certainepersonnification, ce nom est, presque toujours, traité commeféminin : Alger-la-Blanche, 'ône-la- Coquette, Bruges-la-Morte,Gènes-la Superbe, Milan-la- Grande (Baudrand), Moscou-la-Sainte,Vaison-la-Romaine, Vevey-la-Jolie*, Vienne-la-Rougc et ainsi de

1 Cette épithète est née pour ainsi dire sous mes yeux. Vevcy étantde son aspect phonétique nettement masculin, on faisait imprimer desaffiches portant l'inscription Visitez Vevey, la ville jolie. De là on en estvenu à dire Vevey-la-Jolie.

15 — 43944 SirnUa mophilologica 194]—1944

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suite, presque à volonté. Le tour est connu dès Roland: Balidela Fort, Baldise la Lunge. Les exceptions sont fort rares: Riomle beau.

Arrivés ainsi au terme de notre enquête, nous devons nousdemander comment la langue française, qui se vante à justetitre de sa logique et de sa clarté, a pu laisser subsister pendantdes siècles un état de choses aussi chaotique sans avoir encoretrouvé le moyen d'y remédier. Les bases étymologiques etl'absence de l'article expliquent, avec le fait déjà signalé qu'onn'éprouvait que rarement la nécessité de marquer le genre desnoms de villes par l'accord d'un adjectif ou d'un participe passé,que l'incertitude ait pu naître. Il y avait trois façons de l'éliminer.La solution de laisser la finale décider du genre était raisonnablemais inapplicable1, -e étant fréquemment une finale masculine,représentant un -u latin. Si le français de Lyon, autrement ditle franco-provençal, était devenu la langue littéraire, la choseeût été concevable. Sierre, Pay erne, Aigle, etc., sont-ils mascu-lins ou féminins? Impossible de trancher la question en fran-çais, tandis qu'en franco-provençal le -o étymologique conservéla résout immédiatement. Et Beaune} Puisque l'étymologie estBeleño, son genre devrait être masculin. De l'an 832, nous avonsconservé la forme Belna; le -a final ne prouve rien, étant pro-bablement une graphie pour le son représentant de -o commede -a.2 Mais le diminutif Beaunotte (de 1220)3 prouve à l'évidenceque Beaune, au XIIIe siècle au moins, était considéré comme unféminin. — Une solution radicale eût été de féminiser tous lesnoms de villes. La langue, à plusieurs reprises, notamment vers1600, a failli, du moins en apparence, opter pour cette solution(cf. Maupas pour la théorie, Aubigné pour la pratique). Elle serecommandait par la prédominance du féminin dans les languesclassiques (et aussi en hébreu, ce qui, à travers la Vulgate a eudes répercussions sur le genre de Jérnsalem, Tyr, Sidon, etc.)et surtout par le genre du mot ville.4 Pourtant un courant

1 Et inappliquée, comme le montre suffisamment, je l'espère, tout ce quiprécède.

2 Cf. sendra < s e n i o r des Serments de Strasbourg et Melander, SN,VI, p. 165.

3 Roserot, Diet, topogr. du dép. de la Côte-d' Or, 1924.4 Bruņot, La pensée et la langue*, 1936, p. 87. Sur l'influence de πύλις,

uros, madēnatun (et qaryatun) 'ville' pour la féminisation des noms de villes

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souterrain et irrésistible entraînait au contraire les noms de villesvers le genre masculin. Girard a préconisé ce genre vers 1700,mais de nombreux indices (voir Commynes, l'invariabilité detout, la construction dudit Genève) révèlent l'existence de cecourant bien avant cette date. Je ne me charge pas d'ex-pliquer son origine, mais la finale masculine de la plupart desnoms de villes et surtout de Paris n'y est certainement pasétrangère. Si la masculinisation ne l'a pas encore emporté, c'estque les grammairiens les plus écoutés du XVIIe siècle ne sesont pas prononcés en la matière. Cela a permis à la languelittéraire de réagir à son gré et selon sa constante coutumecontre un usage réputé populaire. Elle ne peut pas risquer*Paris est belle mais à la rigueur Paris sera délivrée* et ellepeut maintenir et développer le type Bruges-la-Morte, parce quec'est là un tour dont la langue parlée n'a que faire. Un étrangern'a pas voix au chapitre, mais il semble que les quelques nuancesque la langue perdrait à masculiniser définitivement les noms devilles (p. ex. la vielle Gisors; vieille épithète de nature — levieux Gisors = la partie ancienne de G.) seraient largementcompensées.

A p p e n d i c e I.

Genre des noms de villages.

Le genre de village aidant, le masculin domine largement:les tableaux dun Chavignolles idéal le poursuivait (Flaubert,en grec, latin et hébreu, v. Wackernagel, Vorlesungen über Syntax, II2, 1928,p. 31 et Féghali-Cuny, Du genre grammatical en sémitique, 1924, p. 73.Versailles est toujours masculin. C'est château qui lui a donné son genre.On sait assez l'influence du mot bateau ou paquebot sur le genre du typele Normandie. Le genre des noms d'îles a subi exactement les mêmesvicissitudes que celui des noms de villes. J'ai noté Gotland, Madagascar,Samos, etc., etc. au féminin, ce qui est dû au genre d'île. Mais le genrede fleuve n'a pas empêché la majorité des noms de fleuves français dedevenir féminins, de masculins qu'ils étaient souvent à l'origine. (Influencepartielle de rivière? V. J. Soyer, Notes d'hydronymie : La Loire, le Loiret,le Loir, Orléans, 1943.) La Volga tend à prévaloir.

1 Cf. un cas comparable, apud Le Bidois, § 1083: « Un cas cependantoù l'accord du participe, dans ce genre de phrase, ne se fait pas, c'est quandil amènerait une forme féminine qui ferait sonner le mot avec trop d'éclatet nuirait à l'harmonie, à l'équilibre de la phrase. On dit très bien: Plusvous avez reçu de lettres, ¿lus vous en avez lues (ou répondues), ces formes,tout en allongeant le mot, n'en exagèrent pas le relief; mais on ne dit pasplus vous en avez écrites; forme trop forte ici pour l'oreille, et surtout pourl'esprit, dont elle attire trop l'attention. » [!]

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Bouvard et Pécuchet, p. 389); Sainte-Liviere était compris etVille-en-Selve était compris (Longnon, Diet, topogr. du dép. dela Marne, 1891); cet Argelouse et Argelouse n'est pas si éloigné(Mauriac, Thérèse Desqueyroux, p. 29 et 53). Ce qui n'empêchepas qu'on puisse trouver Villerupt était comprise (G. Hanotaux,Le Gouvernement de M. Thiers, I, 264; mais, p. 261: Je vouslaisse Villerupt. Mais ne demandez plus rien, on je vous lereprends); Gmunden était blanche (Plisnier, Feu dormant, p. 51).

Les noms de villages sont assez souvent, surtout dans leMidi, formés d'un nom de ville diminutivisé et donnent, parconséquent, un renseignement précis sur le genre attribué à laville éponyme. Nombreux sont, dans la Romania, les Rometla,Romette. Notons en outre Avignonnet, Barcelonnette, Forcalqueiret,Marseillette, Montpellieret, Tholonet. Fréquemment le nom duvillage apparaît précédé ou suivi d'un des adjectifs grand, petit,vieux, nouveau, etc., tantôt au masculin, tantôt au féminin, avecdes variations curieuses selon le temps et le lieu: Marseille-Basse, M.-Haute (Hérault), Le Petit-Marseille (Charente-Inf.),Marseille-le-Petit (Oise), Viàpres-le-Petit (Aube; en 1353 ViasperaParva), Le Petit-Jarriolle (Cher; en 1490 la petite ?.); PetitNeuville (Aisne, fondé en 1822); Moyeuvre'-Petite (Moselle; en1299 Petite Mohueure); Juniville-la-Petite (Ardenne), Vieux-Ge-iiappe, Habay-la-Neuve et H.-la- Vieille (Wallonie), Chambéry-le-Vieux (Savoie) et même Véronnes-les-Grandes (Côte-d'Or). Engénéral, un acheminement vers le masculin est indiscutable.

A p p e n d i c e II.

Genre des noms de villes dans les langues romanes autresque le français.

R o u m a i n . Le genre ne constitue pas une grande difficultéici, vu que les noms de villes prennent l'article. La complica-tion vient de ce que beaucoup de noms de villes, celui de lacapitale en tête, sont des pluralia iantum. Mais l'usage com-mence à se rebeller contre l'obligation de dire Bucuresti suntcapitula României et préfère B. este .. . On entend de mêmeBucurestiul à la place de Bucurestii.1

1 Cf. I. Iordan, Gramatica limbii române, 1937, p. 108 et C. TagliaviniRumänische Konversationsgramnmatik, 1938, p. 115-121.

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R h é t o - r o m a n . En engadinois, le féminin l'emporte, grâceau genre de citted, cita, grâce aussi peut-être à l'influence del'italien.

La Sacra Bibla (éd. Vulpio-Dorta, 1679): Sion ais dvantadaun desert (Esaïe, 64, 10); Damasco ais remissa (Jér., 49, 24);Jerusalem ... s'ha regordada (Lam., 1, 7). Il nouv Testamaint (éd.Gaudenz): E tü Capernaum, sarast forša adozada (Luc, 10, 15).

En sursilvain, par contre, c'est le masculin qui domine {marcaum. 'ville').

La S. Bibla (1718): Jerusalem ven prieus ent (Jér. 39,rubrique; mais Jerusalem, ella, Lam., ι, 8); A ti BethlehemEptirata, ti eis bein memgia pitsctmts (Michée, 5,2); S. havevadeclaran, che Puebla stoppi vegnir defendiu (Ann. Soc. Retorum.XXXVII (1923), p. 117) et, dans la même revue, LUI (1939),p. 121 nies Glion {Ilanz, seule ville romanche).

I ta l ien . On sait qu'en italien tous les noms de villes sonttraités comme féminins. A peine si dans la littérature des dernierssiècles on trouve quelques exceptions : Parigi sbastigliato (Alfieri),in un Milano et quel povero Cásale (Manzoni), Bel vit'Firenze(Moretti).1 On est arrivé là grâce à l'action conjointe de latradition classique, grâce au genre féminin de citta et des princi-pales villes italiennes avec Rome en tête. Mais cette heureuseuniformité n'a pas régné toujours. Ainsi, tandis que Dino Com-pagni semble déjà suivre l'usage moderne, Giovanni Villani règleplutôt le genre du nom de ville d'après sa finale: (éd. 1823, vol. IV)avuto Milano et avuta Cremona (p. 17); Tunisi... la (p. 101);in Firenze medesimo (p. 169). De même, F. L. Alberti2: erasignora Mantova (p. 389 b),Como mase. (p. 418 b); Egli [Napoli]è notninato Neapolis . . . Napoli travagliato (p. 182 b) et AndreaScoto3: era tantapprezzato Milano ... che, essendo stato rovi-nato . . . fecere consiglio Cremona . . . e Piacenza de ristorarla (sic)(p. 65 b)4; Como è posto (73 b); Cremona è posta (118 b); Forli

1 V. R. Fornaciari, Gramm, ital. dell' uso moderno, 4e éd., 1902, § 259;A. Panzini, Guida alla gramm. ital., 1937, p. 24 et Trabalza-Allodoli, Lagramm. degl'Italiani, 5e éd., 1938, p. 48. En italien, on doit aussi dire nellaRoma d'oggi, in cuesta Londra, nella Praga alta, tutta Milano, nella vecchiaTorino.

2 Descrittione de tutta l'Italia . . ., Venetia, 1577.3 Itinerario ovvero nova descr. de'viaggi d'Italia, Padova, 1649.4 Observer Milano Grande (p. 73 a), sans article.

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posto (135 a); Napoli fabricato (III, 15b); cf. surtout une poésie,111,72 b. Capriata1 hesite: Frassinetto occupata (I, 1125) maisTorino colle bombe infestato (II, 667). Les diabetes ne sont pastoujours d'accord avec l'usage de la langue littéraire. On com-prend bien qu'en Piémont Turin soit considéré comme masculin:Turin a /Y bel2 et à Lucques comme à Pise, l'on entend tuttoLucca (et aussi tutto Francia)?

S a r d e . Même usage qu'en italien, à en juger par une petiteédition de l'Evangile selon S. Luc.4

Espagno l . Ici nous retrouvons les mêmes hésitations qu'enFrance. Tandis que la grammaire de l'Académie (p. 13) indiqueque le genre des noms de villes suit le genre de la terminaison,Bello-Cuervo5 les considère en bloc comme féminins. Hanssen6

est d'accord mais note qu'ils sont au contraire masculins auChili. V. Garcia de Diego7 soutient qu'on peut dire indifférem-ment Sevilla es hermoso ou hermosa, selon qu'on sous-entendpueblo ou ciudad. Il semble bien que le féminin ait été autrefoisplus en faveur que maintenant. Ainsi le féminin doit être cons-tant dans les Crónicas de los reyes de Castilla (éd. Rosell, II,1877): e dende fué ά Vejer . . . é ά Sant Lucár, é los moros quelas tenían . . . (p. 10 b); mandóles que se fuesen para Toro éparaVallodolid, que eran suyas. Je lis dans Morel-Fatio, L'Espagneau XVIe et au XVIIe siècle, 1878, p. 343 Heydelberg ... situada.Pour l'époque moderne, je me contente de signaler qu'aucunerègle fixe ne semble avoir été observée dans R. de Castillo,Gran Dice, geogr., estad, y hist, de España et de citer quelquesexemples trouvés dans le journal madrilène ABC: Madrid ater-rorizado (numéro spécial du 18-7-43, 12, 3; le genre ambigu ouplutôt masculin de Madrid a dû avoir la même influence pourl'espagnol que le genre de Paris pour le français); Palermo, blanca,salpicada (31.7-43, 3, 2); Catania fué defendida (6-8-43, 7> A\Estocolmo, engalanado (16-6-43, 7> 3! c^· Ia finale de l'italienStoccolma). Dans une lettre, j'ai pu lire en Cordova para verlo,

1 Dell' Historia, I—II, Genua, 1644-49.2 A. Aly-Belfadèl, Gramm, piemontese, 1933, p. 103.3 Ebeling, ASNS, CVI, 202-203.4 Su Santu Evangeliu . . . segundu Santu Luca, Roma, 1900.5 Gram, castellana, 1898, p. 42-43.6 Gram, de la lengua castellana, 1913, § 457.7 Elementos de Gram. Hist. Castellana, 1914, p. 105.

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et ii ressort clairement du contexte que lo se réfère au nom dela ville. Comme en français, le masculin domine nettement dansquelques cas, après todo et medio et, chose curieuse mais nonsans parallèle en français, il est obligatoire d'écrire en un Segovia'dans une ville comme Ségovie' (Bello-Cuervo, §850).

Por tuga i s . Prédominance du féminin [ciudade, Lisboa).Quelques noms de villes, pourtant, qui ne se terminent pas en -a,peuvent être masculins, p. ex. Rio de Janeiro.*

Catalan. A peu près même état de choses qu'en espagnol.Tot, mitg et aussi les pronoms démonstratifs gardent toujoursla forme masculine devant les noms de villes: tot Barcelona, enaquèst s'hi vèu mitg B. (Jaume Nonell y Mas, Gram, de laUengua catalana, 1906, p. 134). Il faut également y joindre comme le prouve l'intéressant exemple que voici: Eram á unBrindisi quai tanta gent destructora han deixada" (on remarquele désaccord entre un et deixada; les grammairiens espagnolsrecommandent de mettre en pareil cas le participe passé aumasculin). Mais La Jerica d'ara esta a dues libres de la primera(Nonell y Mas, p. 143).

Provençal . Il semblerait, d'après quelques exemples quej'ai sous les yeux, que ce soit la terminaison qui décide du genre.

Exemples anciens: Fou presa Carcassona; fou destruitsBezers, fou presa Lavaurs, fo Tholosa turada (de Vic-Vaissete,Hist. Gén. Lang., V, 34). Moderne: Mon vièi Avignoun,roman par Bouvet).

:·:

Au moment de livrer cet article à l'impression, je reçois P. Hoybye,L'accord en français contempoi-ain, Copenhague, 1944. Pp. 68-70, il estquestion du genre des noms de villes. Étant donné le sujet de sonouvrage, l'auteur n'approfondit pas cette étude. Quelques exemples sontfort intéressants: Venise . . . semblait lointain; ce Venise; en pleine Venise(Proust) et surtout / / [Rome] m'attire ... Mais j'attends d'être deux pour levisiter (Coulevain). — J'exprime ma grande reconnaissance à M. P. Letellieret à ΛΙ. A. Lombard pour des indications reçues. Je dois aussi des ren-seignements à l'obligeance de Mme C. Almqvist-Renard, M. J. B. Hoffmann,M. C. Clavería, M. B. Bassi, M. Ö. Sodergârd et de mon maître A. Duraffour.

1 J. Dunn, A Grammar of the Portuguese Language, 1928, p. 150.2 J. Pin y Soler, Orient. Varia, III, p. 61 (cité d'après C. Fahlin, Étude

sur temploi des prépositions en, à, dans au sens local, 1942, p. 271).

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