Le Génie des procédés : au développement durable · Appliquées (INSA) proposent à Toulouse un...

8
page 18 Paul Sabatier — Le magazine scientifique — numéro 9 Si tout le monde connaît Paul Sabatier,prix Nobel, son élève Joseph Cathala mérite lui aussi sa place dans le panthéon des scientifiques toulousains. Il fut le pionnier en France du génie chimique, science née aux Etats-unis et en Angleterre et qu’il a implantée à Toulouse après un séjour Outre-Manche. En 1949, il n’y a même pas 60 ans, Joseph Cathala crée l’Institut de Génie Chimique à Toulouse.A la même période, Maurice Letort, adoptait une démarche similaire à Nancy en fondant l’Ecole Supérieure des Industries Chimiques. Aujourd’hui encore, ces deux pôles sont leaders en France en recherche et en formation dans le domaine du génie des procédés. Mais,comment définit-on le génie des procédés ? Le point de départ est le génie chimique, science qui vise à concevoir, calculer, fabriquer, dimensionner les appareils et les techniques utilisés dans l’industrie en vue d’une production à grande échelle.Très rapidement, ses concepts de base appliqués en premier lieu à la chimie ont pu être transposés à toutes les industries de transformation de la matière : la chimie, les matériaux, l’agro-alimentaire, la métallurgie, le traitement des eaux, la pharmacie…La discipline prenant alors la dénomination de génie des procédés. De la goutte au réacteur Le génie des procédés se décline à plusieurs échelles. Il intègre l’étude des phénomènes locaux, par exemple au niveau d’une particule, Le Génie des procédés : de l’industrialisation au développement durable dOSSIER GÉNIE DES PROCÉDÉS Les filières de formation en Génie des Procédés L’Université Paul Sabatier (UPS), l’Institut National Polytechnique (INP), et l’Institut National des Sciences Appliquées (INSA) proposent à Toulouse un panel de formations diplômantes en génie des procédés, allant du niveau Technicien via le département « Génie Chimique - Génie des Procédés » de l’IUT Paul Sabatier, au niveau Ingénieur et au Doctorat. Ainsi, l’UPS propose un master, dans la mention Mécanique, Energie et Procédés, avec une spécialité Recherche (Génie des Procédés et Environnement) et deux spécialités professionnelles (« Procédés physico- chimiques » et « Procédés de production, contrôle et qualité des produits de santé »). Il faut aussi citer la formation en ingénieurs spécialisés en génie des procédés proposée par l’INSA, l’Ecole Nationale Supérieure d’Ingénieurs en Arts Chimiques et Technologiques, ENSIACET, et l’Ecole des Mines d’Albi-Carmaux. La poursuite en Doctorat s’effectue dans le cadre de l’école doctorale Typep, (Transfert, dynamique des fluides, énergétique et procédés) co-habilitée UPS/INP/INSA/EMAC. Environ une quarantaine de thèses par an sont soutenues dans la thématique Génie des procédés. >>> Martine POUX, Ingénieur de Recherche INP au Laboratoire de Génie Chimique (LGC, unité mixte UPS/CNRS/INP) et Joël BERTRAND, DR CNRS et Directeur du LGC. >>> Le génie des procédés est une science méconnue. Pourtant, en 60 ans, elle s’est retrouvée au cœur des enjeux de notre société de production.

Transcript of Le Génie des procédés : au développement durable · Appliquées (INSA) proposent à Toulouse un...

p a g e 1 8 P a u l S a b a t i e r — L e m a g a z i n e s c i e n t i f i q u e — n u m é r o 9

Si tout le monde connaît Paul Sabatier, prix Nobel,son élève Joseph Cathala mérite lui aussi sa placedans le panthéon des scientifiques toulousains. Ilfut le pionnier en France du génie chimique,science née aux Etats-unis et en Angleterre etqu’il a implantée à Toulouse après un séjourOutre-Manche.En 1949, il n’y a même pas 60 ans, Joseph Cathalacrée l’Institut de Génie Chimique à Toulouse. A lamême période, Maurice Letort, adoptait unedémarche similaire à Nancy en fondant l’EcoleSupérieure des Industries Chimiques. Aujourd’huiencore, ces deux pôles sont leaders en France enrecherche et en formation dans le domaine dugénie des procédés.Mais, comment définit-on le génie des procédés ?Le point de départ est le génie chimique, science

qui vise à concevoir, calculer, fabriquer,dimensionner les appareils et les techniquesutilisés dans l’industrie en vue d’une production à grande échelle. Très rapidement, ses concepts de base appliqués en premier lieu à la chimie ontpu être transposés à toutes les industries detransformation de la matière : la chimie, lesmatériaux, l’agro-alimentaire, la métallurgie, letraitement des eaux, la pharmacie…La disciplineprenant alors la dénomination de génie des procédés.

De la goutte au réacteur

Le génie des procédés se décline à plusieurséchelles. Il intègre l’étude des phénomèneslocaux, par exemple au niveau d’une particule,

Le Génie des procédés : de l’industrialisation au développement durable

dO

SS

IER

GÉNIE DES PROCÉDÉS

Les filières de formation en Génie des Procédés

L’Université Paul Sabatier (UPS), l’Institut National Polytechnique (INP), et l’Institut National des Sciences

Appliquées (INSA) proposent à Toulouse un panel de formations diplômantes en génie des procédés, allant

du niveau Technicien via le département « Génie Chimique - Génie des Procédés » de l’IUT Paul Sabatier, au

niveau Ingénieur et au Doctorat.

Ainsi, l’UPS propose un master, dans la mention Mécanique, Energie et Procédés, avec une spécialité

Recherche (Génie des Procédés et Environnement) et deux spécialités professionnelles (« Procédés physico-

chimiques » et « Procédés de production, contrôle et qualité des produits de santé »).

Il faut aussi citer la formation en ingénieurs spécialisés en génie des procédés proposée par l’INSA, l’Ecole

Nationale Supérieure d’Ingénieurs en Arts Chimiques et Technologiques, ENSIACET, et l’Ecole des Mines

d’Albi-Carmaux.

La poursuite en Doctorat s’effectue dans le cadre de l’école doctorale Typep, (Transfert, dynamique des

fluides, énergétique et procédés) co-habilitée UPS/INP/INSA/EMAC. Environ une quarantaine de thèses par an

sont soutenues dans la thématique Génie des procédés.

>>> Martine POUX, Ingénieur de Recherche

INP au Laboratoire de Génie Chimique

(LGC, unité mixte UPS/CNRS/INP) et

Joël BERTRAND, DR CNRS et

Directeur du LGC.

>>>

Le génie des procédés est une science méconnue. Pourtant, en 60 ans,elle s’est retrouvée au cœur des enjeux de notre société de production.

p a g e 1 9

d’une goutte soumise à des contraintesd’écoulement, jusqu’à une approche plus globalede l’appareil de transformation (réacteur,extracteur..). La phase ultime englobe le procédéau complet, c’est-à-dire toutes les étapes deproduction incluant la gestion des fluides, lecontrôle, la commande... Ces études font appel àdes techniques expérimentales pointues, à descompétences en modélisation et simulationnumérique.Le génie des procédés n’est donc pas unediscipline « isolée » : il se rapproche, pour uneétude locale des phénomènes de la physique, dela chimie, de la biologie, mais aussi de lathermique, de la mécanique des fluides, del’automatique, de l’informatique pour laconception du procédé. C‘est sûrement dans cetaspect plurisdisplinaire que le Génie des Procédéspuise toute sa richesse.Enfin, c’est une science inventive, innovante etsociétale. C’est elle qui apporte la réponse aux

grandes problématiques actuelles par la créationde nouveaux procédés répondant à des normesenvironnementales strictes, de développementdurable, de sécurité, d’énergie.Les pages qui suivent illustrent, de manière non-exhaustive, cette diversité.

Contacts : [email protected] et [email protected]

dOSSIER

>>> Réacteur d'oxydation en CO2 supercritique sous

pression (150 bar).

>>> Simulation numérique

de la forme du vortex développé

dans une cuve agitée.

Génie des procédés

p a g e 1 9

Le potentiel de recherche sur le site toulousain

La recherche toulousaine en génie des procédés est essentiellement concentrée au

Laboratoire de Génie Chimique, unité mixte CNRS/UPS/l’INP. Ce laboratoire

rassemble près de 240 personnes, ce qui en fait le centre de recherche généraliste le

plus important en France et même en Europe. Les points forts de recherche se

déclinent autour des thématiques : Bioprocédés et systèmes microbiens ; Génie des

Interfaces et des milieux divisés ; Procédés Electrochimiques, Procédés et systèmes

industriels et Réaction, mélange et séparation.

D’autres laboratoires toulousains ou midi-pyrénéens sont spécialisés dans des

domaines d’activité plus ciblés. On peut citer le Laboratoire de chimie agro-

industrielle (LCA, unité INRA/INP), le Laboratoire d’Ingénierie des systèmes

biologiques et des procédés (LISBP, unité mixte CNRS/INSA/INRA) et le Laboratoire de

génie des procédés et des solides divisés à Albi, (LGPDS, unité mixte CNRS/EMAC).

>>>

dO

SS

IER

p a g e 2 0 P a u l S a b a t i e r — L e m a g a z i n e s c i e n t i f i q u e — n u m é r o 9

>>> Séverine CAMY, maître de conférences

à l’INP., et Jean-Stéphane CONDORET,

professeur à l’INP., tous deux chercheurs

au Laboratoire de Génie Chimique (unité

mixte UPS/CNRS/INP) devant le prototype

d'oxydation haute pression.

Des solvants propres pour une chimie verte

Ils sont souvent toxiques, parfois dangereux. Ilss’enflamment, émettent des composés organiquesvolatils nocifs pour la santé, etc. Pourtant, dans ledomaine de la chimie, les solvants organiques sonttrès souvent indispensables pour la réalisation desréactions : ils mettent en contact les moléculesréactives, ajustent la viscosité du système réactionnel,parfois aussi assurent un rôle de "tamponthermique". Si ces solvants auront du mal àdisparaître tout à fait, la nécessité de passer à unechimie verte remet en question leur utilisationsystématique. Parmi les pistes alternatives,l'utilisation des f luides supercritiques, et le dioxydede carbone en particulier, apparaît très séduisante.Dans cet état intermédiaire entre gaz et liquide, cesf luides présentent un pouvoir solvant ajustable (envariant pression ou température), et des propriétés detransport (diffusivité, viscosité..) très favorables(meilleures que celles des solvants usuels). De plus, ledioxyde de carbone est un composé "naturel" dont lecontact avec les produits est considéré commetotalement inoffensif. Nul besoin avec lui de passerpar les étapes classiques de purification des produitsqui ont souvent pour but de traquer les dernièrestraces de solvant organique, surtout dans le domainede l'agro-alimentaire ou de la santé. Par ailleurs,quand il et utilisé comme solvant, le dioxyde decarbone joue un rôle négligeable dans l'augmentationde l'effet de serre atmosphérique. Non seulementcette utilisation émet de très faibles quantités versl’atmosphère par rapport aux émissions issues descombustibles fossiles, mais en plus il est alors quasiintégralement recyclé.

Implants chirurgicaux

Notre laboratoire possède depuis une dizained'années une expertise dans le domaine desf luides supercritiques. Ainsi, en collaborationavec des spécialistes de la cellulose du Centrede Recherche sur les MacromoléculesVégétales de Grenoble (CERMAV), l'équipe“fluides supercritiques” a montré que l’onpouvait oxyder sélectivement de la cellulose,en milieu dioxyde de carbone supercritique,utilisant le dioxyde d’azote (NO2) commeoxydant. Cette oxydation sélective donne à lacellulose des propriétés remarquables. Celle-ci

devient hémostatique (c’est à dire capable de stopperles hémorragies), antimicrobienne et dégradable parles organismes supérieurs, lui ouvrant ainsi la voiepour la fabrication d'implants chirurgicaux àbiorésorbabilité contrôlée. Des produits de cettenature existent déjà depuis plusieurs années, commeles spécialités Surgicel® ou Interceed®,commercialisées par le géant américainJohnson&Johnson. Sur le plan industriel, l’absenced’alternatives permet actuellement à cette société debénéficier d’une situation de quasi monopole. Latechnologie* proposée par le LGC et le CERMAVconcurrence avantageusement leur procédé, qui utilisedes solvants perf luorés, onéreux et néfastes pourl’environnement. La conception de l'appareillage expérimental, et son utilisation, requièrent un savoir faire et unetechnicité spécifique, puisqu'il s'agit d'unappareillage fonctionnant sous haute pression(jusqu'à 200 bars).

Prix de l’innovation

Ce procédé de fabrication, lauréat du Prix del'Innovation Midi-Pyrénées en 2005, est représentatifde la façon dont science et technologie peuvents'allier pour élaborer des matériaux performants, à très haute valeur ajoutée, qui permettentd’apporter de véritables services dans la vie des gens,notamment dans le domaine de la santé. Cesmatériaux sont pensés, dès le départ, avec uneoptique de biocompatibilité et de développementdurable. Cette action est enfin un bon exemple decollaborations permettant le croisement optimal des compétences, procédés et produits et une vraiepréoccupation de la gestion du transfert de technologie vers le secteur industriel.

(*) MONTANARI S., VIGNON M., SAMAIN S., CONDORET J.S.

(2004) Brevet français N° FR FR 2 873 700

Procédé d’oxydation contrôlée des polysaccharides

Contacts : [email protected] [email protected]

Les fluides supercritiques offrent une alternative saine et non polluante aux solvants traditionnels.

>>> Au voisinage du point supercritique, la phase gaz

dense et la phase liquide expansée sont de plus en plus

semblables, jusqu’à ne plus pouvoir être distinguées

pour passer à l‘état supercritique, où les molécules

s’associent en agrégats fugaces et très mobiles.

Génie des procédés

>>> Eric CLIMENT, Maître de conférences

à l’INPT et Olivier MASBERNAT, CR CNRS,

au Laboratoire de Génie Chimique

(unité mixte CNRS-INPT-UPS)

p a g e 2 1

Lorsque l’écoulement modifie les transferts…

Le taux de production d’une espèce chimique ne dépendpas uniquement de la cinétique de la réaction. Laprésence d’un écoulement conditionne la mise encontact des réactifs et contrôle ainsi les performancesdu réacteur. Un procédé industriel de transformationde la matière ou de l’énergie fait ainsi intervenir à lafois des phénomènes d’interaction physiques etchimiques qui sont intimement couplés.

Dans le cas où le milieu fluide est composé de plusieursphases, dont l’une au moins est fractionnée sous formed’inclusions dispersées (gouttes, bulles ou particulessolides), les phénomènes de transport et de transfert de matière deviennent extrêmement compliqués àprédire. Quel est le rôle de l’écoulement sur ladispersion de la phase dispersée, la déformation voirela rupture des interfaces fluides et en retour commentest modifiée la structure de l’écoulement par lestransferts aux interfaces de quantité de mouvement,d’énergie et de masse ? Cette question est au cœur denotre activité de recherche. Progresser dans lacompréhension et la prédiction du comportement des écoulements diphasiques en milieux denses nécessitele développement d’outils de simulation et de moyensde mesure qui permettent une analyse locale des phénomènes.

Mesurer l’écoulement au laser

Les moyens de mesure les plus performants sont fondéssur des techniques optiques, non-intrusives. Grâce ausoutien de la fédération de recherche FERMaT(1), nousavons mis en place des moyens de vélocimétrie laser etde visualisation par caméra rapide en milieu optiquehomogène. Les indices optiques des deux phases sontajustés par ajout d’un soluté dans le fluide porteur, ce qui permet d’éliminer les interfaces et de mettre enœuvre les techniques optiques évoquées. Le suivi de latrajectoire d’une inclusion marquée (goutte ouparticule solide) ou la vélocimétrie par images departicules (PIV) dans la phase continue donne accès au mouvement instantané des deux phases ou encore à la déformation des interfaces.Ces travaux trouvent des applications dans l’industriepétrolière par exemple. On sait que, à l’issue de l’étaped’extraction du pétrole, le mélange diphasique eau-

huile subit de profondes modifications au cours de sontransfert quand il passe par des irrégularités (coudes,changement de section de conduite, diaphragme). Nousavons pu mettre en évidence la relation qu’il y a entrela turbulence dans l’écoulement du fluide et l’évolutionde la distribution des tailles de gouttes. C’est unedonnée indispensable pour le dimensionnement desinstallations industrielles de séparation et de transport.

Prédire le colmatage d’un filtre

La simulation numérique est aussi d’une aide précieusepour analyser le rôle respectif de chacun des termesd’interaction sur le comportement global de lasuspension. Dans ce contexte, on développe des codesnumériques pour simuler le comportement de la phasecontinue qui prennent en compte la présence desinterfaces des inclusions. On a alors le choix de l’échellespatiale de la simulation qui va de l’écoulement autourd’une particule isolée jusqu’au calcul de plusieursmilliers de particules dont les trajectoires sont liées auxpropriétés locales et instantanées de l’écoulement. Ledéveloppement de ces codes est effectué en partenariatavec l’Institut de Mécanique des Fluides de Toulouse(unité mixte UPS/CNRS/INPT) mais aussi avec lesupport des centres de calcul scientifique à haute-performance régionaux (CalMip) et nationaux(IDRIS/CINES). Le post-traitement de cette sommecolossale d’informations permet de valider oud’infirmer des modèles macroscopiques d’interaction.Nous avons ainsi pu simuler l’adhésion et la remise en suspension de particules colloïdales sur une paroifiltrante soumise à un écoulement turbulent. Lasimulation numérique conduit alors à une meilleureprédiction du colmatage de la surface poreuse.

(*) MONTANARI S., VIGNON M., SAMAIN S., CONDORET J.S.

(2004) Brevet français N° FR FR 2 873 700

Procédé d’oxydation contrôlée des polysaccharides

Contacts : [email protected] [email protected]

dOSSIERQue deviennent des bulles, des grains de sable, ou des gouttes d’huile disperséesdans de l’eau en mouvement dans un circuit de tuyauterie ? La réponse à cettequestion conditionne l’efficacité d’un procédé industriel.

Génie des procédés

>>> Simulation de la dispersion de bulles

dans un écoulement turbulent.

dO

SS

IER

p a g e 2 2 P a u l S a b a t i e r — L e m a g a z i n e s c i e n t i f i q u e — n u m é r o 9

>>> Catherine XUEREB, Directrice de Recherche

CNRS au Laboratoire de Génie Chimique

(unité mixte UPS/CNRS/INP)

Small is beautiful : voici les microréacteurs

« Tout ce qui est petit est mignon »... Ce dictonpopulaire, semble avoir fait des émules dans le mondescientifique ces dernières années, avec notamment les nanotechnologies... et les microréacteurs. Non, les microréacteurs ont beau être de vrais bijouxtechnologiques, ils ne sont pas étudiés pour leuresthétique, mais bien pour leurs capacités spécifiques,qui ouvrent de nouveaux champs aux transformationschimiques ou physiques.Un microréacteur est un appareil au sein duquel vontse dérouler des opérations de mélange, de contact entrephases, de réaction, de transfert de masse ou detransfert thermique. Mais pourquoi les conduire àtoute petite échelle ? Tout simplement parce que l’on vaexploiter les propriétés liées aux très petits volumesmanipulés, et surtout créées par le très fort rapportentre les surfaces de l’appareil et le volume des fluidesqu’il contient, ainsi que les échelles temporelles trèscourtes qui sont naturellement associées aux petiteséchelles spatiales. La largeur spécifique d’un canal ainsiminiaturisé se situe dans la gamme 200Ìm à 5mm.

Eviter les emballages dangereux

Réussir une miniaturisation signifie optimiser la tailledu micro-procédé en fonction des contraintes liées àl’opération qui va s’y dérouler. Ici, c’est l’appareil quel’on adapte au produit, et non plus l’inverse. Citons unexemple : de nombreuses réactions chimiques doivent sedérouler en milieu dilué pour rester dans un domaineopératoire où l’on sera capable d’évacuer l’énergiefournie par une réaction qui dégage de la chaleur. Onévite ainsi des emballements qui pourraient s’avérerdangereux. Travailler dans un microréacteur peutpermettre d’utiliser des réactifs purs et à destempératures plus élevées, ce qui augmente lesrendements, diminue la formation de sous-produits etautorise la réduction des étapes de séparationultérieures. Dans cet exemple, il faut assurer un certaindébit de production, de l’ordre de quelques litres/heurepour un appareil. Le dimensionnement s’effectuera sousla contrainte du transfert thermique (diamètre etforme des canaux) et du temps de séjour (longueur descanaux). Une production plus importante sera obtenuepar la parallélisation de plusieurs unités.

De nombreuses applications des micro et mini-réacteurs sont étudiées dans notre laboratoire. On peutévoquer les réaction électrochimiques, les réactionscatalytiques (dont la dépollution de composésorganiques volatiles), la fabrication d’émulsions à taillecontrôlée, l’identification des paramètres de cinétiquesrapides, le mélange d’espèces miscibles, les transferts etla réaction en milieu diphasique gaz-liquide ou liquide-liquide, tout en intégrant bien sûr les aspects liés autransfert thermique.

Bancs d’essais

Nous disposons d’appareils commercialisés ou en phasede mise au point par les équipementiers du secteur,ainsi que de microréacteurs conçus en collaborationavec le LAAS (unité CNRS, associée à l’UPS), quimaîtrise les technologies pour la fabrication d’appareilsen silicium/verre ou en matériau polymère transparent(PDMS). Ces dernières structures permettent l’analysedes phénomènes internes, soit par des caméras rapidescouplées à des microscopes, soit par micro-vélocimétriepar images de particules (Ì-PIV). Le montage etl’instrumentation de ces bancs d’essai ont demandé unélargissement des compétences des équipes techniques,les problématiques technologiques étant complètementnouvelles, ce qui s’est opéré au mieux étant donné lesconnaissances de base de ces personnels. Les étudessont souvent complétées par de la modélisation quicouvre les aspects hydrodynamique, transferts etréaction. Cette approche permet entre autres choses deprédire l’influence de la géométrie du microréacteur surl’opération, ou l’influence des paramètres opératoiressur l’avancement de la réaction et le profil detempérature...

Les microprocédés ouvrent des possibilités nouvellespour la recherche et pour les entreprises. Ils s’inscriventtotalement dans une démarche de qualité, de sécurité,d’innovation et d’intensification des procédés. Une brique pour l’usine du futur...

Contact : [email protected]

Plus rapides, plus rentables, moins polluantes, moins dangereuses : lesréactions chimiques réalisées dans des réacteurs miniaturisés présententde nombreux avantages.

>>> Empilement de plaques de silicium

microstructurées catalytiques, internes

d'un microréacteur.

Génie des procédés

Le bioréacteur à membrane est un procédé qui coupleun traitement biologique et une séparation parmembrane pour produire un effluent exempt debactéries et de matières en suspension. Comme dans un traitement conventionnel, la biomasse épuratrice,composée de microorganismes indigènes de l’eau,consomme la pollution organique (carbone et azoteassimilables). En l’absence de membrane, la séparationphysique entre l’eau et les microorganisme se fait parsimple décantation. Mais cette décantation ne s’opèreplus correctement quand les microorganismes se sonttrop développés. La membrane va justement permettre de séparer l’eau des microorganismes à desconcentrations plus élevées, c’est à dire pour des tempsde séjours des boues dans le bioréacteur plus longs.Les bioréacteurs à membranes présentent de nombreuxavantages. Ainsi, la qualité de l’eau ne dépend plus de la décantation (supprimée). Par ailleurs, le choixjudicieux du diamètre de pores de la membrane assure une désinfection de niveau quasi constant. La compacité et la flexibilité des installations réduisentleur volume d’un facteur 4. L’efficacité de labiodégradation des composés organiques est accrue par une augmentation du temps de séjour, égal à celuide la biomasse. Enfin, la quantité de boues produitesest plus faible, ce qui réduit d’autant leur coût de traitement.Les premiers travaux de recherche sur les bioréacteurs à membranes réalisés dans notre laboratoire ont portésur le fonctionnement de bioréacteurs à membranesimmergées (fibres creuses Polymem, Toulouse).

Anti-cancéreux au sortir des hôpitaux

Ayant évalué les limites, mais surtout le potentiel de ses procédés, il était tentant d’étendre lesperspectives de traitement à des effluents qualifiés de difficiles. Les effluents hospitaliers, ceux de l’industriepharmaceutique, mais aussi ceux des stationsd’épuration sont toxiques à plusieurs titres, etnotamment parce que, malgré leur faibleconcentration, ils se dégradent mal que ce soit par des procédés biologiques ou chimiques. Or, leurprésence dans l’environnement se décline par des

cancers, des allergies, des maladies thyroïdiennes, unebaisse de la fertilité, des malforamtions chez l’embryon.Ces molécules dans l’environnement aquatique sousforme initiale ou métabolisée posent le double problèmede la quantification de leur toxicité et des voiespossibles de leur élimination. Cette préoccupation n’est actuellement sous le coup d’aucune législation, ni en France ni ailleurs dans le monde.Nous avons alors proposé d’évaluer la potentialité d’un bioréacteur à membrane pour éliminer desmédicaments et plus particulièrement des médicamentsanticancéreux contenus dans des eaux usées au sortirdes hôpitaux. En effet, ce procédé doit permettred’allonger le temps de contact entre les moléculestoxiques et les microorganismes épurateurs. Pour cela,l’accent sera mis sur le paramètre temps de séjour des boues dans le bioréacteur, qui se présente comme le verrou d’une épuration avancée. Conjointement à l’évaluation du fonctionnement du procédé, ladisparition de la toxicité sera suivie par des méthodesde génotoxicité. Ce projet est financé par l’AgenceNationale de la Recherche et rassemble des compétencesmultiples de notre laboratoire ainsi que des partenairesextérieurs, comme la Pharmacie Hospitalière deMontpellier et les entreprises CDS et Pall Exekia. Cette étude est la première du genre pour ce quiconcerne les médicaments anticancéreux ; sonoriginalité réside dans l’association de compétencesinterdisciplinaires mises au service de sa réalisation.

Contact : [email protected]

p a g e 2 3

Eliminer les médicamentsprésents dans les eaux uséesUn nouveau procédé, qui associe une membrane et des microorganismesqui consomment des molécules toxiques, permet de nettoyer des effluentsparticulièrement dangereux.

dOSSIER

>>> Pilote bioréacteur à membrane.

>>> Claire ALBASI, chargée de recherche

CNRS, au laboratoire de Génie Chimique

(unité mixte UPS/CNRS/INP)

Génie des procédés

p a g e 2 4 P a u l S a b a t i e r — L e m a g a z i n e s c i e n t i f i q u e — n u m é r o 9

dO

SS

IER

La découverte des nanotubes de carbone en 1991, par le japonais Sumio Iijima, lors de l'étude de lasynthèse des fullerènes (C60) a permis de mettre àjour une nouvelle forme cristalline du carbone. Lesnanotubes de carbone sont des structures tubulairesconstituées d'un ou de plusieurs feuillets de carboneou graphène enroulés sur eux-mêmes. Ces moléculesunidimensionnelles ont une longueur micrométriqueet un diamètre variant de un à plusieurs nanomètresselon le nombre de tubes co-enroulés. On parle ainside nanotube mono- ou multi-parois Les propriétés mécaniques, électriques et thermiques,exceptionnelles des nanotubes de carbone suscitentdepuis plusieurs années un engouement hors ducommun de la part de la communauté scientifique.En effet, ce matériau est cent fois plus résistant et sixfois plus léger que l'acier, c’est le meilleur émetteur à effet de champ connu, et sa conductivité thermiqueest comparable à celle, exceptionnelle, du diamant.Des nanotubes de carbone commencent aujourd’hui à être employés pour fabriquer des matériauxcomposites légers et extrêmement résistants, desplastiques conducteurs, des capteurs chimiques etbiologiques, des batteries et piles à combustible àfaible consommation, … Outre les aspectstoxicologiques qui font l’objet de nombreuses étudesde part le monde, l’obstacle majeur au développementde toutes ces applications est le coût élevé deproduction ainsi que le manque de compréhension des mécanismes en jeu lors de la synthèse de ces nano-objets.

Synthèse performante

En 1999, des spécialistes de catalyse et dematériaux du LCCFP (Laboratoire catalyse chimiefine et polymères, équipe d’accueil de l’INPT), ontmis au point une voie de synthèse particulièrementperformante de nanotubes de carbone multi-parois,par CCVD (Catalytic Chemical Vapor Deposition) enlit f luidisé, utilisant des catalyseurs pulvérulents fersur alumine et de l’éthylène comme source decarbone. Dans le but d’accroître la productivité du procédé et d’optimiser ses conditions defonctionnement, le LCCFP a fait appel auxcompétences du LGC début 2001..Le procédé de CCVD en lit f luidisé consiste à assurer un brassage vigoureux de la poudre

catalytique par le gaz réactif dans un réacteurcylindrique vertical. Dans des conditionsappropriées de température, débit et pressionpartielle en réactif, les nanotubes de carbonecroissent sous la forme d’enchevêtrementstridimensionnels autour des grains de catalyseur.L’influence des paramètres opératoires clés sur lerendement du procédé, sa sélectivité, l’efficacitécatalytique et les caractéristiques des nanotubesformés, a été étudiée. Il a été montré qu’au delà de650°C, le procédé perd en sélectivité mais produitdes nanotubes de plus forte surface spécifique (lasurface dépliée), car probablement avec moins dedéfauts intra-tubes. Dès 5 minutes de dépôt, desnanotubes de longueur micronique et de diamètreproche du diamètre final existent, ce qui tendrait àmontrer que la nucléation et la croissance sont trèsrapides et que cette dernière démarre par la paroiexterne. La croissance des nanotubes engendre uneélévation spectaculaire de la hauteur de lit f luidiséet une baisse concomitante de la vitesse auminimum de f luidisation avec le temps de dépôt.Ces divers éléments nécessitent un contrôle affinédes paramètres de f luidisation et du procédé en général.

Productivité multipliée par 100

Grâce à un soutien de l’ANVAR, deux changementsd’échelle successifs du procédé ont alors été réalisésau LGC et sa productivité est ainsi passée en moinsde deux ans de 3 g/h à plus de 300 g/h, plaçantainsi ces laboratoires en position dominante auplan international en terme de productivité. Depuis2002, la société ARKEMA soutient et participeactivement au développement de cette technologieen apportant ses propres modifications.Une convention d’exploitation a été signée en juin2006 entre ARKEMA et l’INPT et le CNRS. Le 30 janvier 2006 a eu lieu l’inauguration de la première unité d’Europe sur le site d’ARKEMAà Lacq (Pyrénées-Atlantiques), produisant près de 10 tonnes par an de nanotubes. ARKEMAenvisage un véritable développement industriel de cette technologie.

Contacts : [email protected] et [email protected]

Nanotubes de carbone :vers une production en masse et à faible coût

>>> Réacteurs de CCVD en lit fluidisé pour

la synthèse en masse de nanotubes

de carbone multi-parois.

Génie des procédés

Comment transposer une voie de synthèse de laboratoire à un procédé industrielpour produire des nanomatériaux aux propriétés révolutionnaires ? C’est ce qu’aréussi une équipe pluridisciplinaire.

>>> Brigitte CAUSSAT, Maître de Conférences

à l’ INPT, chercheur au laboratoire de

Génie Chimique (unité mixte CNRS/UPS/INPT).

>>> Philippe SERP, Professeur à l’INPT chercheur

au laboratoire de chimie de coordination

(LCC, unité du CNRS associée à l’UPS et à l’INPT).

p a g e 2 5

dOSSIER

L’électrochimie peut être définie comme la disciplineétudiant les interfaces entre des conducteursélectroniques et des conducteurs ioniques et lesréactions de transfert d’électrons qui s’y déroulent.Des méthodes simples, rapides, précises et à hauterésolution spatio-temporelle sont proposées pourl’analyse de composés capables d’échanger desélectrons avec un conducteur électronique, soit par réaction électrochimique directe, soit après des réactions chimiques conduisant à des espècesélectro-actives.

Cosmétiques anti-vieillissement

Depuis les années 2000 notre équipe développenotamment des capteurs et des méthodesélectrochimiques d’analyse pour l’étude et lecontrôle des processus d’oxydation en milieubiologique complexe. Pour l’analyse de la peau, un réseau de microcapteurs non invasifs simplementappliqués sur la peau détecte et dose l’acideascorbique, l’acide urique et le glutathion à lasurface de la couche cornée. Ce dispositif permet demontrer en temps réel l’effet d’un stress photo-induit sur le pouvoir antioxydant global de la peau.Parallèlement, l’utilisation d’un microréacteurélectrochimique en couche mince a débouché sur une méthodologie de contrôle des propriétés anti-vieillissement de produits dermo-cosmétiques dansune configuration semblable à la couche de crèmeappliquée sur la peau.

Oxygénation du vin

Une autre application, l’élevage du vin. L’essentiel(90%) du vin du monde n’est plus élevé en barrique(qui laisse passer l’oxygène) mais dans des cuvesétanches en ciment ou en acier inoxydable. Latechnique de la microoxygénation consiste à injecterdans le vin en cours d’élevage l’oxygène à des doseset à des vitesses similaires à celles rencontrées aucours de l’élevage en barrique. Une premièreméthode électrochimique permet de définir unindice global d’aptitude d’un vin à recevoirl’oxygène et une deuxième est mise en œuvre pourdétecter deux des marqueurs importants dansl’élevage du vin.

Grands fonds marins

Les silicates sont des sels nutritifs essentiels dans les environnements aquatiques et l’analyseprécise de leur concentration est importante.Traditionnellement dosés par spectrophotométrieaprès leur réaction avec des sels de molybdène, une méthode électrochimique a été développée,conduisant à un dispositif autonome (les sels de molybdène et les protons sont apportés dansl’échantillon par une électrolyse à potentiel constant et l’analyse du complexe faite parchronoampérométrie). De même quelques méthodesélectrochimiques sont adaptées pour mesurer desconcentrations de sulfure au voisinage des sourceshydrothermales océaniques.

Contacts :Contacts : [email protected] et

[email protected]

>>> Pierre GROS, Maître de Conférences à l’UPS et

Maurice COMTAT, Professeur à l’UPS,

chercheurs au Laboratoire de Génie Chimique

(LGC, unité mixte UPS/INP/CNRS).

Un génie électroanalytiquemulti-tâchesQuel point commun entre l’étude du vieillissement cutané, la confectionde cosmétiques, la microoxygénation du vin, l’analyse des sels nutritifsdans la colonne d’eau océanique ? Dans tous ces domaines on utilise descapteurs et des méthodes électrochimiques.

>>> Contrôle électrochimique

de marqueurs redox dans le vin.

Génie des procédés

>>> Analyse électrochimique

non invasive à la surface de la peau.