Le Fou du roi -...

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Le Fou du roi © Gilles josse www.leoferre.eu La nef des fous de jérome Bosh http://laboiteaimages.hautetfort.com/archive/2005/07/31/la_nef_des_fous_de_jerome_bosch.html

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Le Fou du roi

© Gilles jossewww.leoferre.eu

La nef des fous de jérome Boshhttp://laboiteaimages.hautetfort.com/archive/2005/07/31/la_nef_des_fous_de_jerome_bosch.html

Introduction

Les tarots sont fascinants : ils nous parlent, ou plutôt nous les faisons parler, dès lors que nous connaissons leur symbolique toujours ouverte. Les lames se combinent, se répondent et c'est cela qui fait leur mystère. Toujours, elles ont de nouvelles choses à nous apprendre sur nous-mêmes et sur la vie.

Le but de ce petit texte est de faire le point sur la place de la folie et de la mort dans les tarots, ainsi que de s'interroger sur leur rapport au christiannisme et à Dieu. Les idées développées dans ce texte ne correspondent peut-être pas à une interprétation orthodoxe des tarots mais nous pensons qu'elles pourront susciter la réflexion chez le lecteur.

Et puis d'ailleurs, existe-t-il une interprétation orthodoxe des tarots ? Nous ne le pensons pas car interpréter les tarots, c'est aussi laisser la parole à sa propre culture et à ses croyances personnelles sur la vie, le monde et les hommes.

Gilles Josse 7 octobre 2008, 11 h 11 PM

Sommaire :

I – Le fou du roiII – Les douze personnages de la danse macabre des tarotsIII – Six nouvelles associations dans la danse macabreIIII – Vertus cardinales et pêchers capitaux dans les tarotsV – L'église et le ChristVI – La liberté comme valeur ultime des tarotsVII – Le Mat en association avec d'autres arcanes

I – Le fou du roi

Le fou du roi, ou fol du roi, c'est ce personnage bouffon du moyen-âge, au costume multicolore bien connu et son bonnet à clochettes, attaché au service d'un personnage puissant, afin de le divertir de ses pitreries et de ses bons mots

Le fou du roi apparait dans le jeu d'échec : ce sont les deux pièces qui encadrent le roi et la reine. Aux échecs, la fin du jeu normale n'est pas une partie nulle, ce qui arrive parfois, mais le fait de mettre le roi adverse en échec et mat, c'est-à-dire de le priver de toute liberté de mouvement. Le mot « mat » vient de l'expression arabe « as-sah mat(a) » qui signifie « le roi est mort ».

Et, de la même manière, dans les tarots de Marseille, qui comptent 22 lames, la dernière s'appelle le Mat et représente un fou avec des clochettes, un vagabond qui prend la fuite avec son baluchon. Dans l'interprétation des tarots, il symbolise la folie, la fuite en avant, le vagabondage, mais aussi la liberté. C'est lui qui conclut la succession des 22 lames. C'est donc lui aussi une image du fol du roi.

En examinant ces 22 lames, on s'aperçoit qu'elles portent toutes un numéro et un nom, sauf la lame XIII, que l'on appelle « l'arcane sans nom », mais qui ne porte pas de nom et qui figure la mort et le changement, et la dernière lame, le Mat, qui ne porte pas de numéro. Cela nous suggère la connexion symbolique entre mort et folie, la folie pouvant être vue comme une sorte de mort à soi et aux autres : le fou est déjà considéré comme à demi-mort, il n'est plus de ce monde. Dans les tarots, il vient justement en succession de l'arcane XXI – Le Monde, qui symbolise le monde des hommes, la vie, la réussite sociale. Ainsi, le Mat fuit la vie en société, mais c'est certainement parce qu'il fuit aussi la Mort :

Le Mat fuyant la mort Le Mat tournant le dos à la société

On peut noter la similitude de posture et l'espèce de ressemblance entre la Mort et le Mat, qu'on peut encore appeler le Fol : la faux est remplacée par le bâton. Mais tous deux, ils vont de l'avant, en direction de l'avenir.

Pour en revenir au jeu des échecs, quand le roi est Mat, la partie est perdue car il ne peut plus bouger : les pièces de l'aversaire l'en empêchent, ce qui pourrait revenir à dire, du fait de la similitude de nom, qu'il est rejoint par la folie et privé de liberté. On peut ainsi noter une inversion des valeurs entre le roi et le fou : pour le fou, la folie est synonyme de fuite et de liberté, alors que pour le roi, elle est synonyme de privation de liberté.

Quand on est Mat aux échecs, on couche son roi : c'est la mort du roi, dont le destin est finalement le même que celui de son Fol. On pourra à ce titre noter la présence de la tête couronnée au pied de la faucheuse sur la lame XIII. Nul n'est à l'abri de la mort, ni à l'abri de la folie et nous sommes tous aussi bien des morts en instance que des fous en puissance.

L'analogie entre tarots de Marseille et jeu d'échec ne s'arrête pas là puisque l'on peut retrouver dans les lames la présence du roi et de la reine, par les lames III - l'Impératrice et IIII – l'Empereur, celle du cavalier sous les traits du Chariot, la lame VII, celle de la tour enfin, par la lame XVI – La Maison Dieu :

La reine et le roi Le cavalier et la tour

La succession des arcanes des tarots de Marseille, avec tous ses personnages humains représentant différentes conditions de l'être humain est à rapprocher des danses macabres peintes au plafond des églises où la mort entraine en sarabande le bourgeois, le noble, le roi aussi bien que le simple paysan, et le sage aussi bien que le fou, à cette différence près que dans les tarots, le Fol devance la Mort :

La danse macabre dans les tarots

La danse macabre de la Ferté Loupière, Yonne, (reproduction)http://commons.wikimedia.org/wiki/Image:Dessin_danse_macabre.JPG

Mais les tarots formant une boucle, on peut très bien considérer que le Mat se place devant I – Le Bateleur dans cette danse macabre, où tous les personnages se trouvent alors poussés par la folie et menés par la mort. En mettant le Mat sur le même plan que les autres, nous avons ainsi un groupe de 12 personnages humains suivant la mort, que nous pouvons rapprocher des douze signes du zodiaque.

Dans ce sens, on peut encore dire que c'est le Fol qui se trouve le plus éloigné de la Mort, comme si la folie nous protégeait d'elle. Encore une fois, nous voyons que les significations sont doubles et contradictoires, puisque nous avons dit par ailleurs que la folie pouvait être considérée comme une forme de mort symbolique et sociale.

Cela ne doit pas nous étonner dans la mesure où, comme les figures de l'inconscient qui apparaissent dans le rêve, toutes les figures des tarots sont à double face et présentent une signification complexe et paradoxale. En tout cas, c'est la manière traditionnelle de les envisager qui fait sourire les partisans de la raison pure et matérialiste pour qui, en considérant les choses de cette manière, « tout est dans tout, et réciproquement ».

Mais si les tarots de Marseille parlent de folie, c'est certainement aussi dans le sens que lui donne Erasme dans son « éloge de la folie », qui est à opposer et rapprocher de la sagesse que représente la connaissance de soi et des mystères du monde, la philosophie et la science. Et là encore, les tarots nous donnent une leçon en images, quand on considère la lame VIIII – l'Hermite, figure de l'occultiste, qui tel Diogène, cherche un homme dans la cité à la lueur de sa lanterne, et la lame XII – Le Pendu, qui représente un drôle de personnage semblant danser la tête en bas, le pied attaché par une corde :

Les trois attitudes face à la vie

En effet, le Mat et l'Hermite fuient chacun dans un sens la mort qui, rappellons-le, est en XIII, juste à côté du Pendu : ce sont donc finalement les deux facettes d'un même personnage, un être humain apeuré par son destin, fuyant soit vers l'avenir, ou se réfugiant dans le passé. Car comme dit l'adage, « il y a de la folie à vouloir être sage » et l'Hermite qui recherche la sagesse par le biais de la connaissance intellectuelle et de la philosophie, figurées par sa lampe, rejoint le Fol, qui lui, fuit son destin en emportant un maigre bagage matériel.

Mais face à la mort, les deux attitudes se valent. Il reste alors une troisième attitude qui est celle que le zen appelle le lâcher-prise, ou de la recherche de la voie du milieu, figurée par le Pendu, qui n'échappera certes pas à la mort, mais semble heureux à s'abandonner au destin.

II – Les douze personnages de la danse macabre des tarots

Les personnages suivant la Mort dans les tarots étant au nombre de 12, nous pouvons évidemment les mettre en rapport avec les planètes et les signes du zodiaque, tout en gardant à l'esprit qu'une telle correspondance n'a certainement pas guidé les créateurs du « jeu ».

Ainsi, par exemple, l'Hermite peut être vu comme une image de Saturne et rapproché du signe du Capricorne. L'Empereur peut lui nous rappeler Jupiter, à mettre en relation avec le signe du Lion. Mais là n'est pas notre propos et nous préférons développer une méthode que nous avons déjà utilisée au premier chapitre et qui consiste à apparier les lames et à donner une interprétation de ces appariements. De cette manière, les tarots nous parlent de l'homme, de l'âme et de la vie humaine.

Notons bien que cette manière de faire est tout à fait subjective, même si elle s'appuie sur les figures, les nombres et les noms des lames. Un autre que nous pourrait en donner une lecture complètement différente, sans que l'une ou l'autre approche soit à rejeter, car, comme nous l'avons signalé, les lames des tarots portent en elles des significations contradictoires, voire paradoxales.

Pour apparier les lames, nous procédons au plus simple, qui consiste à les considérer en ordre successif et nous formons ainsi un premeir groupe de quatre lames, qui apparaîtra « évident » à tout un chacun : c'est l'alliance de la Papesse, de l'impératrice, de l'Empereur et du Pape, qui forment évidemment deux couples.

Pouvoir temporel et pouvoir spirituel, passé, présent et avenir

A eux quatre, ils figurent le pouvoir, pouvoir temporel pour l'Impératrice et l'Empereur, et pouvoir spirituel pour la Papesse et le Pape. On notera que le pouvoir spirituel encadre le pouvoir temporel, comme c'était le cas au moment où les tarots ont été créés et où l'église avait le pouvoir d'excommunier les puissants.

En examinant les figures et la direction des regards, on voit la Papesse regarder en direction du passé, avec un livré posé sur ses genoux : elle représente donc le passé, l'histoire et la culture sur le plan collectif, la sagesse et l'intériorité, sur le plan individuel, et bien sûr la grand-mère et la vieillesse.

L'Empereur, avec le nombre IIII, rappelé par la position de ses jambes, représente la maîtrise et le pouvoir sur la matière et sur la société. Il est le père et le bâtisseur, aussi bien l'ouvrier que le maître, l'homme d'âge mur. Il parle de décisions et de réalisations concrètes, d'ordre, de structure. On notera cependant que son regard est tourné ves l'Impératrice et la Papesse, indiquant par là que l'action du masculin est déterminée par la volonté du féminin.

L'Impératrice, elle, regarde droit devant elle et symbolise la mère et la femme d'âge mûr, la maîtrise et la droiture de la pensée et de la réflexion, la justesse de vue : c'est elle qui guide les actes de l'Empereur, de la même manière qu'aux échecs, la reine est beaucoup plus mobile et puissante que le roi, qui dépend d'elle pour sa protection. Avec l'Empereur, à eux deux, ils incarnent le présent.

Enfin, le Pape, lui, regarde en direction de l'avenir et, par symétrie avec la Papesse, on peut dire qu'il figure l'avenir car, par sa bénédiction, il encourage les hommes qui viennent trouver son conseil à aller de l'avant et comme au-delà de lui, c'est-à-dire à poursuivre le chemin. Il symbolise aussi bien sûr le grand-père et les qualités d'empathie et de bienveillance.

Viennent ensuite l'Amoureux et le Chariot, qui forment à eux deux une figure de la jeunesse, où l'Amoureux symbolise les hésitations, le doute, la difficulté à faire un choix ou le problème du choix et de l'assurance en soi. Sur la lame, la femme de gauche peut être vue comme la mère du jeune homme et ainsi, il est question du départ du foyer familial et de la difficulté à se séparer du passé et de l'enfance. On peut aussi voir les deux femmes comme rivales l'une de l'autre et se disputant le jeune homme : dans ce cas, il est question des tourments de la passion et de la vie amoureuse.

Le Chariot figure lui ce qu'il advient du jeune homme lorsqu'il est parvenu à faire ses choix, le succès et la réussite, la jeunesse avec son énergie, parvenant à faire avancer ce chariot dont les roues sont perpendiculaires à la route. Il indique l'élan vital, la force de réalisation qui fera du jeune homme un maître, à l'âge mûr.

On notera à ce propos que, sans être franchement sexistes, les tarots ne présentent pas l'homme et la femme de manière équivalente. Mais ça n'est pas forcément gênant, moyennant l'adaptation des interprétations, car finalement, les mots du langage eux-mêmes sont sexués et induisent une vision du monde ou le féminin et le masculin se répondent d'une manière quelque fois arbitraire.

La jeunesse, L'amour et la réussite, l'hésitation et l'action

Les paires d'arcanes qui viennent en succession, après celles que nous avons déjà décrites, ne présentent pas le même caractère d'évidence que les précédentes en ce qu'elles ne figurent pas des couples d'opposés : ce ne sont pas les deux facettes d'une même réalité. Mais on peut néanmoins les interpréter sans trahir leur symbolique.

Ainsi vient la Justice, qui regarde droit devant elle et l'Hermite, qui avance vers elle par la droite, l'une figurant bien évidemment la justice humaine, mais aussi la raison, le jugement droit sur les choses, encrée dans le présent et le concret, quand l'autre symbolise le retour vers le passé, l'introspection, la philosophie, l'occultisme et les choses cachées, le mystère qui dépasse la réalité.

Ne serait-ce pas alors tout simplement la rencontre de la raison et de l'irrationnel, de la réalité et du mystère transcendant la réalité ? Ou bien l'étape des remords et des regrets à dépasser ?

La rencontre de la réalité et du mystère, de la raison et de l'irrationnel

La paire suivante met en scène la Force et le Pendu, qui symbolisent respectivement le courage et la maîtrise de soi et l'abandon à soi et aux autres, le lâcher prise. La Force peut être vue comme le résultat de la rencontre précédente entre l'Hermite et le Justice, qui permet à l'homme de maîtriser l'irrationnel en lui, de dominer ses instincts. Le Pendu parle d'abnégation, de renoncement, de sacrifice. L'alliance de ces deux lames et des qualités qu'elles représentent vont permettre à l'homme de franchir une étape de transformation et de changement, symbolisée par la Mort, qui vient juste en succession.

Dans ce sens, cette danse macabre que l'on peut reconnaître dans les tarots n'est pas une fin en soi et certains se demandent même si les premiers tarots ne se seraient pas limités à cette simple danse, pour être par la suite complétés jusqu'à vingt deux. Mais à l'heure actuelle, cela reste une simple supposition.

Quoiqu'il en soi, ce nouveau couple nous présente une étape de réalisation intérieure où le masculin se fait passif et le féminin actif, et que cette étape est celle-là même qui doit nous rendre apte à subir une profonde transformation qui mène à Tempérance. On notera que cette dernière lame représente une femme avec des ailes d'ange, signifiant son caractère sacré ou au moins spirituel.

Ainsi, les premiers arcanes des tarots figurant une danse macabre seraient en rapport avec des réalités matérielles, alors que les suivants, au delà de XIII, auraient une signification plus ésotérique, en rapport avec une certaine transformation figurée par la Mort.

Evidemment, les significations sont mêlées et l'on pourra toujours rapprocher les arcanes suivants de significations elles-mêmes matérielles, ce qui n'enlève rien à notre interprétation. En effet, il faut se souvenir que les tarots sous leur forme actuelle se sont développés et modifiés au fil des siècles, depuis leur naissance. Ils ne sont pas le fruit de la réflexion d'un unique individu, comme l'est la nôtre essayant de trouver des chemins dans cet ouvrage complexe.

La rencontre du féminin actif et du masculin passif

Les trois dernières paires que nous avont vues peuvent donc s'interpréter comme représentant des étapes de la vie adulte. L'Amoureux et le Chariot correspondent aux réalisations concrètes, qui sont suivies par l'examen de conscience que proposent la Justice et l'Hermite, examen devant déboucher sur la rencontre du féminin actif et du masculin passif, ce qui va permettre une transformation de l'homme atteignant alors l'état de Tempérance, qui figure équilibre et mesure, et une certaine forme de bonheur.

On notera qu'au passage, nous avons passé la lame X – La Roue de Fortune sous silence, l'ayant délibérément écartée de notre danse macabre et de ses douze personnages suivant la Mort. Si l'on se rapporte à la tradition pythagoricienne, 10 comme somme de 1, 2, 3 et 4, représente le monde. Elle symbolise le destin, qui favorise les uns et défavorise les autres, les circonstances et le hasard, qui peuvent faire d'un prince un mendiant et d'un homme malheureux un homme heureux. Dans ce sens, elle a aussi sa place dans cet ensemble, entre la folie qui pousse les êtres humains et la Mort qui les emmène.

Pour bien montrer au lecteur la richesse des associations qui peuvent être réalisées entre lames, nous aurions alors pu associer la Roue de Fortune au Bateleur, parce que toutes deux présentent une illusion d'optique : la table du bateleur ne porte que trois pieds et il manque un montant à la roue, dont les axes déjouent les lois de la perspective. Dans ce sens, le Bateleur, qui figure aussi l'enfance, l'enfant et le jeune âge, peut être vu comme le grand illusionniste, Hermès trismegiste. Ainsi, cette lame peut être associée à Mercure et au signe des gémeaux. Nous aurions eu alors :

Illusionniste et illusion

Mais nous aurrions aussi bien pu associer cette Roue de fortune à Justice, puisque le diable qui est assis sur la roue porte le même glaive que la femme de Justice. Nous aurions ainsi obtenu « La justice et le sort », ou bien « la justice et la sanction », disant comment la justice des hommes peut parfois bouleverser le cours de leur vie et détrôner les plus puissants :

La justice et le sort

Quoiqu'il en soit, nous avons préféré mettre de côté la Roue de Fortune et il ne nous reste plus qu'à faire une dernière association parmi les douze suivants de la Mort : c'est celle du Mat, dernier des arcanes, et du Bateleur, le premier, tous deux portant un bâton, l'un pour marcher et l'autre pour diriger le spectacle.

L'interprétation que nous allons donner ici sera double. Considérant notre danse macabre où douze arcanes à figure humaines suivent la mort, ce couple est en fait le premier : il est celui de l'homme, de l'individu. L'énergie vitale du Bateleur et le savoir faire que représentent tous les objets sur sa table et à sa main sont alliés à l'indétermination et à la liberté du Mat : c'est cela l'individu au bout du compte, un être riche de possibilités et libre de les mettre en oeuvre, avec bien sûr ce côté filou de l'illusionniste et un peu fou du Mat, à qui il convient d'éviter les pièges de la Roue de Fortune pour aller son chemin de vie. Il va à la mort comme tout un chacun, bien sûr, mais il a tout son temps et il est insouciant.

Mais ce couple, quand on considère la totalité des vingt deux lames, représente aussi la réalisation ultime, l'aboutissement du chemin, et peut-être pourquoi pas le retour à la jeunesse éternelle, en fin de vie, puisque le Mat rencontre alors le Bâteleur, source de vie et origine première. En effet, nous avions vu au chapitre précédent que le Mat tournait le dos au Monde, qui représente la vie aussi bien que la vie en société. Dans ce sens, c'est la lame du Mat elle-même, en tant que dernière à venir, qui représente véritablement la Mort, alors que l'arcane XIII ne symboliserait que le changement et la transformation.

L'individu, sa liberté et son potentiel, le retour à la source de vie

III – Six nouvelles associations dans la danse macabre

Au chapitre précédent, pour réaliser nos paires parmi les douze personnages qui suivent la Mort, nous avons considéré l'ordre de succession. Une nouvelle idée pour réaliser de telles paires consiste à apparier les cartes de manière à ce que leur total donne XIII, le nombre de l'arcane sans nom. Nous aurons ainsi des alliances de qualités contraires qui toutes mènent néanmoins à la Mort.

Commençons par l'alliance de l'Amoureux et du Chariot, déjà vue au chapitre précédent. Elle nous invite à penser qu'autant l'action que l'inaction et les hésitations nous emmènent à notre sort final.

Après quoi, considérons l'alliance du Pape, qui pardonne, et de la Justice, qui condamne : le résultat est le même. Ce sera la même chose pour l'Hermite, qui fuit le monde, et l'Empereur qui le gouverne. Que l'on suive la voie de l'Impératrice, avec sa justesse et sa constance, ou que l'on subisse au contraire les coups du sort de la Roue de Fortune, c'est idem.

La Force et la Papesse font, elles, référence à l'inconscient et à la conscience, la confiance et la prudence, au féminin actif et au féminin passif : pratiquer l'un ou pratiquer l'autre nous ramène toujours à la mort. C'est la même chose pour ce qui est du rapport du masculin actif au masculin passif, symbolisés par le Bateleur et le Pendu.

Considérant que le Mat peut avoir zéro ou vingt deux comme numéro, nous pouvons former un dernier couple entre lui et la Mort. Mais de ce fait, nous pouvons alors cette fois considérer l'arcane sans nom comme représentatif du changement et de la transformation et nous pouvons reconsidérer les différentes paires d'opposés que nous avons constituées pour affirmer que le changement dont il est question n'est ni plus ni moins que la victoire sur la dualité.

Chaque fois que nous pouvons concilier deux paires d'opposés, nous sommes amenés à réaliser une transformation intérieure, pour notre plus grand bénéfice. La danse macabre des tarots nous propose donc six épreuves à passer pour réaliser notre transformation vers Tempérance et le bonheur et l'équilibre, qu'on peut énoncer comme :

● Hésiter et agir● Condamner et pardonner● S'engager ou se retirer● Rester sur son chemin ou s'en écarter au grè des circonstances● Faire confiance ou être prudent● S'abandonner au destin ou le combattre

Vaincre la dualité pour se transformer

Rappelons au passage l'image de XIIII – Tempérance, qui est l'aboutissement de ce processus de transformation, qui nous signale par ses ailes sa nature surhumaine, spirituelle :

Tempérance, issue de la danse macabre

Il nous reste alors en mains sept arcanes, qui ne font pas partie de la danse macabre et de son aboutissement. Nous allons donc alors naturellement les associer avec les sept jours de la semaine en suivant l'idée qu'une fois la victoire sur la dualité opérée et l'état de bonheur de Tempérance obtenu, l'individu serait comme maître du temps lui-même, en ce qu'il n'aurait plus peur de la mort et du jour de son arrivée.

Nous associons donc l'Etoile à Vénus et au vendredi, le Soleil au dimanche et la Lune au lundi, la Maison Dieu et son éclair rappelant le tonnerre de Mars sera associée au mardi, le Jugement nous renvoyant au temps du jugement dernier sera associé à Saturne et au samedi, le Diable, comme image de Mercure-Hermès figurera le mercredi, et il nous reste enfin le Monde et son triomphe, que nous associons à Jupiter et jeudi :

Vendredi, samedi, dimanche, lundi, mardi, mercredi , jeudi

Evidemment, cette interprétation est purement hypothétique mais elle a toutefois l'avantage d'être plaisante. En effet, dans cette dernière séquence de sept lames, nous voyons apparaître la vie le premier jour, sous les traits de l'Etoile, et la création dans son ensemble, sous les traist du Monde, le septième jour.

Une autre possibilité s'offre à nous, en appariant les sept lames de la manière suivante : l'Etoile symbolisant le principe de fécondation féminin, sera associé au principe de fécondation masculin figuré par la Maison Dieu.

Après quoi, nous formons la paire naturelle Lune Soleil, symbolisant le féminin et le masculin, le conscient et l'inconscient, et qui est une réplique dans le plan spirituel de la paire précédente, qui s'appliquait au plan matériel.

Il nous reste alors le Diable, symbolisant le mal et l'enfer, que nous plaçons à gauche du Jugement, représentant le jugement dernier, et à sa droite le Monde, qui peut être vu comme une image du paradis.

Alliance du féminin et du masculin, dans la chair et dans l'esprit

On peut alors considérer en toute modestie que les six tâches morales, à réaliser pour arriver à Tempérance et dépasser le Mat et la Mort menant la danse macabre, demandent à être approfondies dans la chair et dans l'esprit, pour réaliser le grand oeuvre alchimique ?!

Après quoi, quoiqu'il arrive, la vie de l'espèce humaine elle-même aura une fin, quand les trompettes du jugement retentiront et que Dieu lui-même séparera le bon grain de l'ivraie, jugeant les morts et les vivants, envoyant les uns dans l'enfer du mal et du Diable, et les autres, dans le paradis de la vie et du Monde. C'est ce qu'illustre notre dernière tierce :

Le jugement dernier, l'enfer et le paradis

III – Vertus cardinales et pêchers capitaux dans les tarots

Trois des quatre vertus cardinales sont explicitement nommées dans les tarots : il s'agit de la Force, la Justice et Tempérance. Il reste la prudence, qui peut-être figurée par la Papesse.

Prudence, justice, force et tempérance

Les sept pêchers capitaux sont l'orgueil, la colère, la gourmandise, l'avarice, l'envie, la paresse et la luxure. On peut les retrouver de la manière suivante dans les tarots :

L'orgueil, la colère, la gourmandise, l'avarice, l'envie, la paresse et la luxure

En effet, le Diable est bien évidemment luxurieux, le Pendu nonchalant, le Mat intempérant, l'Amoureux véléitaire et donc envieux, l'Hermite avare. Il nous reste la colère avec la Maison Dieu et son éclair violent et l'orgueil avec la Roue de Fortune.

Un coup du sort, c'est bien effectivement ce qui menace l'orgueilleux et un accident ce qui menace le colérique.

En suivant la démarche que nous avons déjà adoptée dans les précédents chapitres, nous allons chercher à apparier les onze lames qui nous restent de manière à faire apparaître de nouvelles interprétations. Nous commençons par réunir en deux tierces l'Etoile, la Lune et le Soleil, d'une part, et le Bateleur, l'Impératrice et l'Empereur d'autre part et nous constatons qu'une femme et un homme donne un enfant dans la chair, alors que le principe féminin et l'inconscient alliés au principe masculin et à la conscience donnent naissance à un enfant dans l'esprit : c'est l'Etoile, figurant l'Imagination et l'idée.

La création dans la chair et dans l'esprit

Il nous reste maintenant cinq cartes, dont la Mort, que nous allons mettre à part et considérer les paires V et VII et XX et XXI l'une en dessous de l'autre. Le Jugement figurant le jugement dernier et le Monde le paradis chrétien, nous pouvons alors tirer naturellement la conclusion que le Pape peut être ici pris comme image de Dieu le père, et l'homme couronné du Chariot, comme son fils Jésus lui-même :

Dieu le père et son fils, le jugement dernier et le paradis

V – L'église et le Christ

Les tarots forment un mélange de figures païennes, empruntées à l'antiquité et à la tradition ésotérique, et de figures chrétiennes. Aussi, il ne serait pas étonnant que nous puissions faire apparaître une figuration de l'église et du Christ. Avec un peu de réflexion, on peut penser à mettre le Pape, comme chef de l'église et image de Dieu le père, au centre d'une croix. Pour ce faire, il suffit d'aligner les neuf premiers arcanes en trois rangées de trois lames et de retirer les coins. Cela donne :

L'église et le pape

On voit alors que de la même façon que l'Empereur règle son action conformément au jugement de l'Impératrice, le pouvoir du Pape est dominé par celui de la Papesse et du Livre, qui figure ici la bible. Et ce qui donne son fondement au pouvoir du Pape, c'est le pouvoir de Justice et de la raison. Enfin, le pouvoir du Pape s'étend à l'Empereur et donc aux puissants, aussi bien qu'aux peuples dont il aide à guider les choix, figurés par l'Amoureux.

On peut alors réaliser une deuxième croix figurant le Christ sur la base des neuf arcanes suivants :

Le Christ en croix

On découvre alors que l'image du Christ qui apparaît est justement celle de Tempérance, mi-femme mi-ange, qui indiquait l'issue de la danse macabre : quelle heureuse coïncidence. Au pied de la croix, nous avons Marie-Madeleine, la courtisane, quand au-dessus nous trouvons Marie, sous les traits de la Force. Et ce Christ est vainqueur de la Mort, à sa gauche, et du Diable, à sa droite.

Il n'est ici bien évidemment pas question, répétons-le, d'affirmer que l'apparition de ces images étaient dans les intentions des créateurs des tarots. Non, il faut voir les tarots comme les lettres d'un alphabet de figures, de mots et de nombres que l'on peut combiner à loisir pour les faire parler.

Toutefois, nous remarquons qu'au cours de nos interprétations, nous avons relevé l'arcane VII – Le Chariot, comme image du Christ, ainsi que le XIIII – Tempérance, ci-dessus. VII, XIIII : il reste XXI, comme troisième multiple de sept, nombre sacré, et effectivement, sur cette lame, nous voyons une femme dans une mandorle, entourée des quatre évangélistes, la mandorle étant l'attribut du Christ en gloire. D'où une image composite du Christ :

Les trois visages du Christ

Le Chariot figure le Christ sous sa forme masculine, siégeant à la droite du père au jugement dernier, le Christ enfin couronné roi de ce monde. Tempérance figure le Christ qui a vaincu la Mort, sous sa forme angélique, puisque la lame vient en succession de l'arcane sans nom. Le Monde figure le Christ sous sa forme féminine, là encore règnant sur le Monde. Mais au-delà du Monde, il y a l'arcane sans nombre, le Mat, qui suggère qu'il y a un au-delà du Christ, ou tout au moins une alternative, ce Mat qui vient rejoindre le Bateleur, figure du grand illusionniste Hermès trismégiste.

Comment pouvons nous interpréter cette figure de l'illusionniste ? On peut se demander quels peuvent être nos dernières images mentales, au moment de notre mort et on peut légitimement penser qu'avant que notre cerveau cesse de fonctionner, nous tombions sous l'emprise du rêve et du phantasme, c'est-à-dire de l'illusion.

Partant de là, on peut encore se demander ce que font de nous ces derniers instants et combien de temps ils durent : autrement dit, quid du paradis promis dans l'au-delà par le Christ. Et si ce fameux royaume de Dieu n'était en fait que le royaume de l'illusion de nos derniers instants qui s'éternise, faute de support physique pour pouvoir évoluer. Nous resterions ainsi nous et notre conscience coincés dans un dernier phantasme dont il ne nous serait pas posssible de nous enfuir. La question devient : un tel phantasme ultime peut-il constituer à lui seul un univers où notre âme pourrait évoluer indéfiniment.

Ainsi, notre danse macabre de départ se transformerait en trois groupes de sept arcanes, chacun mené par l'une des images du Christ. La dernière lame restante échappe alors au règne du Christ et symbolise l'inconnaissable : c'est le Mat, comme ultime liberté et comme ultime principe vital, qui va au-delà de la Mort et de Christ lui-même.

Le Mat, au-delà des trois images du Christ

A moins encore que le Fou ne se soit perdu sur des chemins auxquels le Christ lui-même n'a pas accès, puisqu'il descend du verbe et que le Fou est inaccessible au verbe.

Mais encore une fois, c'est là une libre spéculation inspirée par les cartes et nos réflexions personnelles. Toutefois, de cette manière, on pourrait représenter le Mat au milieu d'un hexagramme dont le premier trigramme représenterait Dieu le père et l'autre Dieu le fils :

Dieu le père, Dieu le fils, et le Mat

Dans cette représentation, les trois figurations du père sont IIII – L'Empereur, V – Le Pape et VIIII – L'Hermite et l'on remarque la coïncidence des nombres IIII + V = VIIII. Au-delà du pouvoir spirituel du Pape et du pouvoir temporel de l'Empereur, il y a le pouvoir secret de l'Hermite, qui répond au règne du Christ en croix figuré par l'ange de Tempérance. C'est là une vision peu orthodoxe de la réalité, qui contredit en tout cas les enseignements de l'église et qui convient mieux à nos croyances personnelles.

Ce Dieu là est un dieu vagabond, tel Odin qui se présente parfois aux yeux des voyageurs : c'est donc une image de dieu païenne. Et ce dieu vagabond va à la rencontre d'un autre vagabond, qui est le Mat, détaché du monde. L'occultiste et le Mat sont donc les deux facettes d'un même personnage allant à la découverte de lui-même, pour échapper, peut-être, à la Mort qui rôde dans la foule des arcanes. L'occultiste s'éloigne des coups du sort et des vicissitudes de l'existence et le Mat s'éloigne de la folie du monde et de son agitation : il désire aller au-delà du succès.

La rencontre du Mat et de l'hermite

Notre histoire se termine donc par la rencontre de la folie et de la sagesse, l'ultime réconciliation des contraires, sous les traits du Mat représentant l'humaine folie, et de l'Hermite, symbolisant la sagesse divine. Mais bien sûr, la Mort reste le troisième personnage en mouvement de ces tarots et, toujours, elle rode...

VI – La liberté comme valeur ultime des tarots

Les tarots en succession, selon l'interprétation la plus répandue, décrivent un cycle qui commence avec le Bateleur et s'achève avec le Monde, et c'est le Mat qui parcourerait le chemin qui le mène de la naissance à la réussite sociale, voir au paradis, selon l'interprétation que l'on donne du Jugement, vu comme jugement de l'opinion publique ou comme jugement de Dieu.

Sur ce parcours un certain nombre d'épreuves attendent le Mat, en même temps qu'il aura à développer un certain nombre de qualités. Ainsi, le Mat s'éloigne du Monde pour y revenir après avoir accompli un voyage initiatique rappelant le tour de France des maçons. Dans cette interprétation, le Mat serait la première carte des tarots et, dans ce sens, il conviendrait de lui attribuer le nombre zéro.

Imaginons maintenant que le Mat, par esprit de contradiction, se mette à parcourir les arcanes en sens inverse des aiguilles d'une montre. Sa première étape serait le Monde, qui correspondrait à la naissance, après quoi viendrait le baptème figuré par le Jugement. Le Soleil et la Lune désigneraient l'enfance sous le signe du père et de la mère, et ainsi de suite jusqu'à la treizième carte à rebours qui serait l'Hermite. Nous pouvons alors constituer les deux series suivantes :

Parcours direct des tarots et parcours rétrograde

On constate alors que l'Hermite, cette figure clé des tarots se retrouve en même position que la Mort et que lorsqu'on ajoute XIII et VIIII, on trouve XXII , le deuxième nombre que l'on puisse affecter au Mat. On peut l'interpréter en disant que la connaissance de soi , le savoir ésotérique, associés à la Mort ou à la transformation mènent à la liberté du Mat.

On peut alors former neuf autres paires de deux arcanes qui, toutes, par addition de leur nombre, nous donnent celui du Mat. L'intelligence et la clairvoyance de l'Impératrice, fécondée par le principe masculin du Soleil, comme la maîtrise de l'Empereur alliée à l'inconscient féminin de la Lune, nous amènent à la liberté du Mat. On retrouve encore l'ouverture du Bateleur au Monde, l'alliance de la bible de la Papesse et du Jugement, celle du pouvoir du Pape et de sa bienveillance à la grâce de l'Etoile, l'hésitation de l'Amoureux et l'énergie vitale de la Maison Dieu.

La paire suivante, composée du Chariot et du Diable nous indique l'alliance du succès dans la société et de l'épanouissement de la chair. Enfin, Tempérance seconde Justice, en la rendant plus humaine et moins rigide, tandis que les circonstances de la Roue de Fortune libèrent le Pendu.

On remarque alors que la Force reste seule à ne pas former de paire et, si on l'ajoute au Pendu, on trouve XI + XXII = XXXIII, nombre qui nous rappelle le Christ. Mais d'une autre manière, la Force se suffit à elle-même et on peut la poser comme antinomique et complémentaire de la liberté du Mat. On remarquera le lion muselé, alors que le Mat est libre : la Force reste et fait face aux problèmes, quand le Mat va trouver des solutions ailleurs.

Rester, partir, faire face ou fuir

Dans cette nouvelle perspective où le Mat symbolise l'accomplissement de soi, on remarque l'importance de l'association de l'Hermite et de la Mort. Aller au-delà de la Mort dans la première série, qui figure la danse macabre que nous avons déjà étudiée, nous mène à Tempérance, alors que la deuxième série, au-delà de l'Hermite, nous mène à Justice.

Nous retrouvons ainsi trois des quatre vertus cardinales et l'on peut se demander si le Mat qui prend la fuite ne serait pas une bonne figuration de la prudence, la quatrième.

Bien sûr, on pourra rétorquer que c'est la Papesse qui a été donnée comme représentation de la prudence dans le chapitre IIII. Mais cela n'a aucune espèce d'importance car la symbolique des arcanes est complexe, tout autant que les rapports que les mots du langage peuvent avoir les uns avec les autres. Et, rappelons-le, nous ne sommes pas dans le domaine des sciences exactes : les significations sont multiples et parfois contradictoires.

En conclusion, selon le sens de parcours des arcanes que l'on choisit, on obtient tantôt la danse macabre évoquée au chapitre II, menée par la Mort, tantôt cet autre défilé des arcanes en sens inverse, menés par l'Hermite. Leur mise en parallèle nous permet alors d'associer deux à deux les lames de manière à former le nombre vingt deux, nombre du Mat et de la liberté. Car la Mort, comme le chante Léo férré, est « l'ultime liberté » qui nous est donnée à tous.

De leur côté, et chacun à leur manière, le Mat et l'Hermite sont à la recherche de cette même liberté. Le Mat la recherche dans le monde, dans la fuite et dans l'extériorité, alors que l'Hermite la recherche dans l'introspection, le repli sur soi et l'intériorité. Le Mat cherche à se libérer de l'emprise de la société et de l'autre, alors que l'Hermite cherche à se libérer de l'égo, « ce moi qui nous tient en laisse ».

Dans ce sens, la liberté serait l'objet de la quête des tarots, son ultime valeur. Ayant vus le jour sous l'ancien régime, ils préfigurent peut-être la révolution française et l'avènement de ce qu'on appelle la « démocratie », mais qui reste à tout prendre « une certaine forme de démocratie ».

Aussi les tarots sont-ils encore d'actualité dans ce sens que nous pouvons encore évoluer vers l'âge d'or de l'anarchie où l'être humain sera enfin libre en toute conscience et que personne ne s'avisera plus de se glisser sous les masques du pouvoir pour en endosser les prérogatives mais aussi les avantages démesurés qu'il confère.

VII – Le Mat en association avec d'autres arcanes

Partant de l'idée que le Mat est celui qui chemine parmi les autres arcanes, on peut s'interroger sur l'interprétation de sa rencontre avec ceux-ci. Nous avons déjà évoqué la rencontre du Mat avec le Bateleur, comme celle du défunt avec le grand illusionniste, Hermès trismégiste. Après le Bateleur vient la Papesse, et sa rencontre avec le Fol nous indique qu'après notre mort, nous rejoignons l'histoire.

Celle du Mat et de l'Impératrice nous fait penser au retour d'Ulysse chez Pénélope, et celle avec le Pape au retour de l'enfant prodigue. Puis, en intervertissant les deux cartes du Mat et de l'Empereur, nous avons l'anarchie tournant le dos au pouvoir : voilà encore une interprétation non orthodoxe, mais qui nous parle de ces deux figures.

L'anarchie tournant le dos au pouvoir

La rencontre du Mat et de l'Amoureux est celle de la liberté et de la dépendance. Le Fol vient-il délivrer le jeune homme de sa dépendance en l'incitant à la fuite, ou bien est-ce le fuyard libre qui va se trouver pris au piège d'une relation de dépendance : les deux interprétations se valent, à moins que l'on n'attribue au Mat un rôle positif, auquel cas c'est la première interprétation qui est à prendre en compte.

Le Mat allant au devant du chariot nous signale l'aspect vain de l'agitation et des succès mondains : en effet, le Mat avance sur ses deux jambes, alors que le chariot est bloqué, avec ses deux roues à la perpendiculaire.

La rencontre du Mat et de Justice est symétrique de celle de l'Hermite avec Justice que nous avons déjà appelée « La rencontre de la réalité et du mystère, de la raison et de l'irrationnel ». Cette fois, c'est la liberté et la folie qui viennent distraire Justice, et la raison qu'elle représente, de son oeuvre, l'appelant peut-être à une vision plus élargie du monde.

La folie et l'irrationnel venant assaillir la raison

Lorsqu'on ajoute les nombres de ces trois lames et que l'on se ramène ce total à l'intervalle des nombres allant de I à XXII, c'est-à-dire que l'on utilise l'arithmétique modulo vingt deux des mathématiciens, on aboutit à l'arcane XVII – L'Etoile, l'une des plus puissante des tarots, signifiant l'imagination, la fécondité et la chance, la générosité. En effet, la jeune fille de l'Etoile répand sur terre les eaux que tempérance avait appris à maîtriser : c'est une image de la corne d'abondance et de l'âge d'or.

On peut donc voir la folie et la sagesse féconder la raison pour produire l'idée, issue de l'imagination, mais aussi pour faire naître un avenir neuf, débarassé du contingent et de l'égo.

La question qui se pose alors, c'est de savoir où exactement se situe la fin des tarots. L'interprétation naturelle suggère que c'est XXI – Le Monde, alors que nous avons vu ci-dessus que nous pouvions attribuer cela à l'Etoile. C'est cela qui fait toute la richesse des tarots : comme nous l'avons dit en introduction, ils nous racontent des histoires ou plutôt, nous nous racontons des histoires avec eux. D'aucuns pourront toujours prétendre qu'il existe une vraie interprétation, ésotérique, c'est-à-dire reliée à une tradition secrète, ça n'est pas un véritable problème et c'est surtout bien moins que probable. Car si, de la même manière, les alchimistes avaient trouvé le moyen de produire la quintessence, de réaliser le grand-oeuvre et de transmuer le vil plomb en or, nous serions déjà au courant : tout cela reste un idéal fait de rêves et de mots, un idéal certainement inaccessible.

Il n'en reste pas moins que vivre est toujours plus ou moins une folie et que nous n'échapperons pas à la mort : ce sont les deux certitudes sur lesquels nous nous sommes appuyés dans ce voyage au milieu des arcanes. Et comme la mort nous fait peur, nous n'échappons pas à la tentation de vouloir être sage, espérant par là atteindre un au-delà de la Mort, auquel elle n'aurait plus accès. C'est le phantasme de tous les hommes et celui des anarchistes qui croient en la possibilité d'un paradis sur terre et l'avènement d'un âge d'or.

C'est ce qui légitime notre lecture des tarots, parlant d'un Fol et d'un Hermite, fuyant chacun à sa manière l'arcane sans nom, pour aller quérir Justice et la raison et engendrer l'Etoile et vaincre la mort.

8 / 10 / 08, 21 h 41

11/ 10 / 08, 18 h 38

L'âge d'or et la victoire sur la Mort