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Les Soirées-Débats du GREP Midi-Pyrénées
Le financement participatif
des entreprises :
quel avenir ?
Avec Thierry MERQUIOL
Ingénieur INSA Toulouse en génie des procédés industriels,
co-fondateur et président du conseil de surveillance de WiSEED,
plateforme toulousaine de financement participatif.
conférence-débat tenue
à Toulouse, le 19 novembre 2016
GREP MP Observatoire de Toulouse : 1 Avenue Camille Flammarion, 31500 Toulouse
Tel : 05 61 13 60 61 Courriel : [email protected]
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Le financement participatif des
entreprises :
quel avenir ?
Avec Thierry MERQUIOL
Ingénieur INSA Toulouse en génie des procédés industriels,
co-fondateur et président du conseil de surveillance de WiSEED,
plateforme toulousaine de financement participatif.
Merci de m’accueillir. Je sais que je passe après de grands industriels. Toute
proportion gardée, nous ne sommes chez WiSeed qu'une toute petite entreprise,
mais qui existe depuis 2008.
Je vais tout d’abord parler assez généralement du financement participatif au
sens large pour que vous ayez une vision assez globale de ce qu’est le
financement participatif, appelé aussi le crowdfunding, financement par la foule,
ce qu’il peut faire. Puis, on ira de plus en plus vers l’entreprise : comment peut-
on financer les entreprises, sous quel format ? Quel avenir pour le crowdfunding,
pour faire un peu de prospective ? Puis nous finirons par Wiseed que je connais
bien : ,quelle philosophie cela sous-tend-il ?
N’hésitez pas à m’interpeller pendant que je parle, cela donnera un peu de
dynamique à ma présentation : nous allons parler de question d’argent, de
questions humaines également. Ce que je vais vous dire est très subjectif.
N’hésitez pas à m’interrompre si vous n’êtes pas d’accord avec ce que je vous
dis.
Le financement participatif
Est-ce que le financement participatif est une vague de fond pour financer les
projets économiques, ou est-ce une chimère, une mode ?
Le financement participatif, ce n’est pas nouveau, il existe depuis la fin du
XIXe siècle. La statue de la Liberté a été financée en 1875 par des Français, à
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hauteur de 400.000 francs français de l’époque, par 100.000 souscripteurs, qui
étaient d’abord des Français pour la statue et des Américains pour la construction
du piédestal. C’est à notre connaissance la première opération de financement
participatif. On peut remonter un peu plus loin peut-être, avec Mozart qui faisait
financer ses œuvres, ses sonates, par des particuliers, sous un format de
financement participatif. Ce n’est donc pas nouveau. On peut également parler de
la tontine, qui est une forme de financement participatif. Ce qui est nouveau, c'est
que, grâce au web, à internet, les solutions permettant de regrouper de nombreux
investisseurs à moindre de coup ont donné un coup de pouce fabuleux à ce mode
de financement, le financement participatif..
Voici quelques exemples auxquels j’ai participé.
« My football club », c’était en Angleterre en Mars 2008 : 20.000 Anglais, (et
quelques Français) ont investi chacun 35 £ pour se payer un club de foot de 3ème
division en Angleterre. Il y avait des clubs qui étaient à vendre, (notamment en
1ère
division, qui ont été introduits en bourse). Les clubs de 3ème
division avaient
des difficultés à trouver du financement. C’étaient les premiers vrais exemples de
financement participatif. On s’est mis à 20.000, j’en faisais partie, et nous avons
acheté le club de Ebbsfleet dont vous n’avez jamais entendu parler, (moi non
plus !) Mais c’était simplement pour voir de l’intérieur comment se passait un
financement participatif, voir la différence entre la partie finance et la partie
participative. On a donc acheté ce club. L’investissement a été positif, puisque,
quelques mois plus tard, ce club a été finaliste d’un trophée à Wembley. L’intérêt
majeur est que nous avons, nous les 20.000 actionnaires-propriétaires de ce club,
participé aux décisions. Quelle joie de pouvoir décider de virer l’entraîneur !
Intéressant aussi de pouvoir dire : « ce joueur là on va le vendre, ce qui fera de
l’argent pour le club qui pourra acheter d’autres joueurs ». On peut changer la
couleur du maillot des joueurs, modifier le prix d’entrée aux matchs. Nous étions
20.000 à voter au début, puis ensuite on est de moins en moins nombreux, mais
on est encore 4 à 5.000 à voter. C’est donc très démocratique.
Quand on investit 35 £ dans un club de foot de 3ème
division en Angleterre, on
ne s’attend pas à avoir un retour financier intéressant. On devient propriétaire
d’une petite partie de ce club. Jamais un club ne va générer suffisamment de
rentabilité pour rémunérer cet investissement. C’est un peu un investissement à
fonds perdus.
« My Major Company », mon deuxième exemple, vous le connaissez peut-
être un peu mieux.
Il concerne le chanteur Grégoire, interprète de la
chanson « Toi plus
moi », qui a été
largement diffusée.
Grégoire est devenu
le premier site de
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financement participatif en France, avec « My Major Company » il a trouvé
70.000 € auprès de 347 producteurs pour produire son premier disque, ou plutôt
sa première chanson. Ces 347 producteurs, dont je fais partie, ont investi
70.000 €, en croyant au succès de cet album. Cet album s’est vendu très vite à
760.000 exemplaires (il a dépassé le million de ventes depuis 2010). Le modèle
économique est intéressant puisque sur les revenus de droits d’auteur, le chanteur
touche 25 %, les investisseurs (347 producteurs) touchent 30% et 45 % pour la
maison de disques. Ayant vendu 1 million d’album, les 347 producteurs ont
récupéré 30 fois leur mise en deux ans ! Il y a donc un vrai aspect économique
intéressant… mais c’est un des seuls exemples qui a eu ce résultat en France. Sur
les 50 artistes qui ont été financés par « My Major Company », seuls une dizaine
ont permis de gagner de l’argent. L’autre aspect participatif est que nous avons
participé au clip vidéo de Grégoire : chaque fois qu’il vient dans une ville, des
producteurs sont invités en qualité de VIP. On participe ainsi à la vie de l’artiste,
de son produit. Son deuxième album s’est bien moins vendu. Très honnêtement,
lorsque j’ai écouté sur la plateforme de « My Major Company », le texte et la
chanson, je n’ai pas été convaincu, ce n’est pas la musique que j’aime. Mais j’ai
pensé que cette musique allait « faire un tabac ».
Là aussi, je voulais voir comment ça se passait de l’intérieur. Sur les 347
producteurs, celui qui a mis le moins a dû mettre 20 €, donc fois 30, est parti avec
600 €. Celui qui a mis le plus a mis 5.000 €. Il est parti avec 150.000 €. Je ne
vous dirai pas combien j’ai mis… mais pas assez, malheureusement.
« People for cinéma », autre exemple pour illustrer tout cela, c’est une
plateforme, non pas pour produire des films, (c’est beaucoup trop cher), mais
pour participer à la distribution. Je fais partie des 379 distributeurs qui ont
globalement investi 50.000 € pour financer ce film très célèbre, (que vous avez
tous vu !) qui s’appelle « le Siffleur ». Autant vous avez entendu « Toi plus
Moi », autant « le Siffleur » n’a pas marché : 400.000 spectateurs seulement en
2010. Pour que les distributeurs retrouvent leur mise de départ, il en aurait fallu
700.000, et nous avons tous perdu de l’argent (il y avait Berléand, Omar Sy...)
Mais nous avons pu voir comment se faisait le financement du sport, des artistes,
du cinéma…
Quelle est la place des entreprises dans tout cela ?
Avant de vous parler du crowdfunding, je vais vous donner des chiffres pour
vous montrer dans quel univers s’inscrit le financement participatif, pour
marquer les esprits. Ce sont des chiffres de 2014 (plus fiables que les chiffres de
2015, mais les ordres de grandeur sont respectés). Où va, en France, la réserve
d’épargne des Français ? Hors immobilier, l’ensemble des placements financiers
des Français s'élève à 4.000 milliards d’euros, dont environ 1.500 à 1.600
milliards d’assurance vie, et 600 milliards placés dans les livrets réglementés, tels
que le livret A, Plan d’Epargne Logement, etc. Autre chiffre intéressant, il y a
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1 milliard € épargné chaque jour par les Français en 2014, (c’est encore plus vrai
en 2015 et en 2016) : chaque jour, les ménages français épargnent, régulièrement.
Autre chiffre intéressant, chaque jour nous parions 100 millions d’euros,
globalement sur tous les sites internet : PMU, Loto…
On peut comparer ces chiffres à ce qui est investi dans les « start up », jeunes
entreprises innovantes : 400 millions d’euros dans 443 start up en 2014, et à peu
près la même chose en 2015. On parle de 4.000 milliards d’épargne financière et
d’un placement de 400 millions investis dans 443 start up, dont 175 millions
investis dans 186 nouvelles start up. C’est vraiment une goutte d’eau dans
l’épargne des Français.
Et quand se présente l’opportunité du financement d’une jeune entreprise
innovante (je ne parle pas d’entreprises comme la SNCF ou les entreprises du
CAC40 qui n’ont pas de problèmes de financement, mais des entreprises des
PME, TPE, et les start up), entre l’opportunité et le financement, ne débouche
qu'une fois sur 100 sur un financement. Donc 99 ne trouvent pas leur
financement. C’est un chiffre assez catastrophique mais qui est réel. Pourtant, sur
les 100, je pense qu’il y en a 10 à 20 qui
mériteraient d’être financées. D’autres ne sont pas
mûres, pas matures, mais il y en a peu.
J’ai trouvé cette photo pour illustrer les levées de
fonds des entreprises qui montre la « Rue des
Entrepreneurs », c’est un sens interdit, limité à 30
km/h pour les riverains et les services publics qui
résume exactement ce qui se passe dans le
financement des entreprises.
Il faut sortir de cette vallée de la mort du
financement qu’on appelle l’equity gap, c’est-à-
dire la difficulté pour les entreprises de financer
leur développement alors qu'il existe une épargne stérile considérable, et là,
j’assume ce propos. A quoi servent les livrets A, les livrets d’épargne ? Ça sert
officiellement à financer l’habitat social. Ces 600 milliards - le livret A se situe
autour de 400 milliards- ne servent pas du tout à financer les entreprises. J’ai
passé une partie de l'année 2013 dans les couloirs de Bercy, à discuter avec ces
gens-là, qui m'ont dit que les livrets A servent à financer l’habitat social bien
entendu mais permettent aussi à l’Etat d’emprunter à des taux très bas. On
pourrait parler aussi de l’assurance-vie qui finance un peu plus l’économie, (mais
surtout les grands comptes) et on ne prend pas beaucoup de risque : l’épargne
dans l’assurance-vie ne va pas beaucoup financer de start up, voire pas du tout
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La finance participative
Alors, comment passer d’une vallée de la mort à un espace d’expérimentation,
d’une épargne stérile à une épargne fertile : grâce à la finance participative. Nous
rentrons dans le sujet de la finance participative.
Il y en a quatre types de financement participatif : le don, le prêt, l’achat, le
prêt sur investissement.
Dans tous les cas, le point commun c’est se réapproprier le choix. Les
particuliers qui vont sur les plateformes de financement participatif disent tous
que leur première motivation, c’est le choix libre : « Je peux enfin choisir où je
mets mon argent, je ne confie pas mon argent à une société tiers, à un acteur tiers
pour le placer, l’investir à ma place». C’est très important de se réapproprier le
choix. Leurs autres motivations sont d'avoir un impact sur l’économie réelle de
proximité, de pourvoir participer à l'aventure d'un projet économique. Et enfin,
d'en tirer une rentabilité. On retrouve bien la mentalité française : quand on
demande la même chose aux Anglais, leur première motivation c’est gagner de
l’argent.
Commençons par le don contre don : on donne de l’argent et en contrepartie
on va récupérer son nom sur un site internet, ou recevoir un tee-shirt, ou pouvoir
participer à une conférence, ou recevoir un disque, etc. C’est du don contre don,
on parle de crowdgiving, c’est la première chose dont on a parlé en France en
2008, parce que la réglementation était très favorable. Pour vous donner un ordre
d’idée, le don contre don, c’est l’échange de contrepartie liée à un projet ; des
projets qui s’élèvent entre 3.000 et 50.000 € par projet. Vous avez peut-être
entendu parler de plateformes américaines comme Kickstater où on lève jusqu'à
20 millions de dollars. C’est exceptionnel de lever beaucoup d’argent sur ces
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plateformes. En France c’est également très difficile. 99,9% des dossiers lèvent
autour de 3 à 5.000 € quelques-uns vont jusqu’à 50.000 €.
Les prêts avec ou sans intérêt sont les derniers nés, ce sont les crowdlending.
Vous allez prêter de l’argent à un projet qui va vous le rembourser avec ou sans
intérêt. Sans intérêt, ça existait depuis assez longtemps, depuis 2009 aussi, parce
que la règlementation le permettait. Avec intérêt, c’est tout récent depuis octobre
2014, pour des raisons de réglementation. Sur ces plateformes, les projets vont
chercher entre 50.000 € et 200.000 €. Pour la première fois, en France et dans le
monde, vous pouvez devenir banquier. Jusqu’en octobre 2014, le monopole
bancaire permettait aux banques et uniquement aux banques de prêter de l’argent.
Cette loi sur le crowdlending a été une révolution. Depuis octobre 2014, les
banquiers n’ont plus le monopole du prêt. Ce qui veut dire qu’aujourd’hui les
particuliers ou d’autres, comme les entreprises, peuvent prêter à d’autres
entreprises. Avec une réserve d'importance toutefois : les prêteurs ne peuvent
prêter qu'au maximum 2.000 € par prêt ou par opération. Cette limite, c’est à la
fois pour protéger l’investisseur, pour éviter qu’il n’engage trop d’argent par
opération. C’est surtout pour sauvegarder les banques qui n'ont accepté de perdre
leur monopole, qu'en imposant (par leur lobbying) que les montants des prêts
particuliers soient plafonnés (assez bas!)
Une année passée à Bercy.
Et je vais faire une parenthèse sur l’année 2013 que j’ai passée à Bercy et dont
j’ai envie de partager avec vous des éléments intéressants.
Quand on a créé Wiseed en 2008, on était dans une zone complètement grise
de règlementation. Nos conseils juridiques nous ont dit à l’époque « ne faites
surtout pas ça, si vous le faites, vous risquez la prison ! ». On s’est dit, avec
Nicolas Sérès, le cofondateur de WiSEED, que nous allions quand même le faire,
même si c’était impossible. Nous en avons discuté avec les régulateurs jusqu’en
2012. Ils ne savaient pas trop ce que nous allions faire et comment. Ils nous ont
dit de ne pas le faire, et en juillet 2012, ils nous l’ont interdit, de manière tout à
fait unilatérale puisqu’ils n’avaient pas le droit de nous l’interdire. Et nous avons
dû cesser toute activité en Juillet 2012 !
En janvier 2013, j’ai été coopté par Fleur Pellerin qui nous a apporté son aide,
pour bâtir une loi. Grâce à ses services, on a passé l’année 2013, de janvier à
septembre 2013, à écrire une loi. C’est à ce moment-là que j’ai passé deux à trois
jours par semaine à Bercy avec les différents ministères. A Bercy, il y plusieurs
étages, il fallait donc discuter avec les équipes de Fleur Pellerin, avec celles de
Montebourg, avec celles de Moscovici. C’était en 2013 en pleine période
Cahuzac. J’ai vécu de grands moments, à la fois de solitude et de découvertes sur
le fonctionnement du pouvoir. J’ai compris que le pouvoir en France était à
Bercy. Non seulement à Bercy, mais dans les mains de la Direction Générale du
Trésor. Ce sont les inspecteurs généraux du Trésor qui décident en France, au-
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delà même du ministre. Pour éviter de prendre le ministre de front, ils
acquiescent, ils acceptent la loi, elle est votée, elle est décrétée. Dans les décrets
d’application, ils savent mettre les termes qu'il faut pour que la loi soit édulcorée
voire vidée de son sens.
J’ai vécu aussi des moments assez étonnants entre les ministres. Qui allait
s’approprier la gloire de cette loi sur la finance participative, loi unique au
monde ? Etait-ce Fleur Pellerin, Arnaud Montebourg, Pierre Moscovici ? C’était
la guerre – cour de récréation de maternelle ! Je ne peux m’empêcher de vous
dire cette petite histoire. Dans ces réunions, il y avait toujours les cabinets des
ministres, le gendarme de l’AMF (Autorité des Marchés Financiers), l’Autorité
de Contrôle Prudentiel (ACP), deuxième régulateur en France, et quelques
plateformes de crowdfunding qui essayaient de vendre leur « sauce » et de
discuter sur l’intérêt de faire cette loi… et toujours deux inspecteurs généraux de
la Direction Générale du Trésor. On parlait, on discutait, une décision était prise,
tout le monde était d’accord. Le directeur de cabinet se retournait alors vers les
inspecteurs généraux du Trésor. S’ils disaient non, c’était définitif.
Et donc, le prêt et la finance participative au capital datent effectivement
d’octobre 2014. On est sorti enfin d’un environnement flou pour une visibilité
réglementaire indispensable au développement de notre métier.
Le crowdequity enfin, ou l’investissement en capital, c’est ce qu’a fait Wiseed
depuis le début, c’est-à-dire financer les fonds propres des entreprises, mais en
capital. Les montants ne sont pas les mêmes. On finance à partir de 100.000 € (et,
depuis 15 jours, on peut financer jusqu’à 2,5 millions d’euros).
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Voici la liste, qui date de 2015, des principaux acteurs dans le monde.
Et les tableaux suivants vont vous donner des notions de volumes globaux de
ces financements
D'abord, la croissance des volumes qui sont financés par l’ensemble des
plateformes, dans le monde. En 2012, c’était 2,7 milliards de dollars, en 2013, 6,1
milliards de dollars, 16,2 milliards en 2014, 34,4 milliards en 2015. On pense être
autour de 100 milliards en 2016. Vous voyez le répartirions entre don, reward
(c’est à peu près la même chose), prêt (qui représente la plus grande quantité
grâce à des Américains, la société « Lending Club », qui a été créée par un
Français, Renaud Laplanche), Equity, Royalties, (c’est à peu près la même
chose).
Ces données ont été établies par la société « MasSolution »,
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Ci-dessus, la répartition 2014 et les prévisions de 2015, par zone. Vous voyez
l’Amérique du Nord, l’Europe, l’Asie qui croît (et qui était très faible en 2014).
On retrouve à peu près la répartition attendue entre prêts, dons... On voit que les
plateformes de prêt représentent 68% de la collecte en 2014.
A quoi sert ce financement?
Globalement, on voit ci-dessus que le plus gros de la finance participative est
destinée à des causes sociales (qui sont souvent sans rémunération), mais quand
même c'est à 27 % du financement en entreprise (film, musique, énergie,
environnement, art, formation, journalisme). On voit qu’il est difficile de financer
de la science et de la technologie pure avec de la finance participative. PP 18
Le crowfunding entre donc en compétition (pour le niveau de financement
atteint) avec les modes plus habituels : le capital-risque (VC), et les Business
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Angels (c’est-à-dire les investisseurs qui sont capables de mettre quelques
dizaines de milliers d’euros par projet. En France, ils sont estimés à 4.000, 40.000
en Angleterre, 400.000 aux Etats-Unis).
On voit donc ci-dessus que le crowdfunding est en train de croitre très vite
depuis 2013, qu'il a dépassé les business angels dans le monde, et qu'il risque de
croiser la courbe du capital risque en 2017 : La capacité d’investissement de la
foule va dépasser toutes les autres catégories !
Forbes dit qu’à l’horizon de 2020, à condition que les règlementations évoluent
dans le bon sens, (ce qui n’est pas toujours évident), le potentiel d’investissement
dans le crowfunding sera de 1.000 milliards de dollars. En 2015 nous étions à 34
milliards, et à quelques milliards seulement il y a 5 ans! Même si l'estimation de
Forbes est optimiste (ce sera sans doute un peu moins), on va atteindre des
montants très significatifs.
Les acteurs français,
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Il y en a plus de 100 dans différents domaines. Voyez ce qui nous intéresse
dans le « crowfunding ».
Les trois grands par domaine sont : pour le don, KissKiss Bankbank, Ulule et
My Major Company (qui est hélas morte l’an dernier, ils ont décidé d’arrêter, le
modèle économique n’était pas viable). Dans le domaine du prêt, on trouve
« Prêt d’Union », (particuliers qui prêtent à des particuliers), «Lendix et
Unilend qui sont deux grosses plateformes de prêts de particuliers à entreprises.
Et pour les prêts en capital, il y a trois grands acteurs en France : Anaxago,
Smart Angels et Wiseed (qui détient aujourd’hui 45 % de part de marché,
Anaxago doit en avoir 30%, et cinq autres plateformes se partagent le reste du
marché). Wiseed a 16% de part de marché en Europe. Ce qui nous met au
troisième ou quatrième rang.
Les graphique suivants ont été élaborés par Financement Participatif France
pour les fonds collectés en France.
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Voilà l'évolution des fonds collectés par les plateformes en millions d’euros en
France depuis 2011, (qui a été la première année mesurée par cet organisme) : de
8 millions d’euros, on est passé à 300 millions d’euros. En 2016, on va passer à
500 ou 600 millions d’euros. Vous voyez une progression assez importante
d’année en année.
La moyenne des dons est de 3.000 à 4.000. Pour les prêts, cela va de 220.000 à
400.000 euros, pour l’investissement 400.000 euros en moyenne. On voit
l’évolution sur le prêt. C’est sur les plateformes de prêt que passe le plus
d’argent.
Les perspectives en France.
Forbes a dit qu’il y aurait 1.000 milliards de dollars dans le monde en 2020.
Les projections selon trois hypothèses de croissance, en France, du montant
financé par les plateformes à horizon 2020 prévoient entre 1, 2 milliards à 9
milliards.
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L'hypothèse 3 voudrait que l’on double le marché chaque année,
personnellement, je n’y crois pas. Je pense plutôt qu’on devrait être autour de
5 milliards d’euros de fonds passés par les plateformes de crowfunding en 2020.
Ceci apporte donc une répons à la première question : ça ressemble bien à une
vague de fond plus qu'à une mode temporaire ?
Si on rentre plus sur l’aspect technique, les postulats de base sur la finance
participative sont les suivants : « la foule chante toujours juste » à condition
qu’on lui donne une bonne partition et qu’on l’entraîne un peu, « la foule est plus
experte que les experts », (ce n’est pas moi qui l’écris, ce sont de grands
économistes nord-américains, comme notamment James Surowiecki qui a écrit
« La sagesse des foules », The wisdom of crowds, que je vous recommande de
lire si vous voulez poursuivre votre information dans le domaine du
crowdfunding.) «La foule est plus experte que les experts », c’est écrit également
sur le site internet de Bessemer, un fond de capital risque américain intéressant.
Ils affichent toutes les boîtes dans lesquelles ils n’ont pas investi, Apple, HP, etc.,
les grandes réussites numériques. Ils expliquent que leurs experts leur ont dit de
ne pas y aller. Et ils terminent par une belle autocritique, en disant : « si nous
avions investi dans ces sociétés, aujourd’hui, nous n’aurions plus besoin de
travailler ». Ils n’ont pas investi parce que leurs experts se sont trompés, qu'ils
ont mis leur veto.
La foule est plus experte que les experts, parce que la qualité de la sélection
dépend plus du nombre de sélectionneurs et de leur indépendance de jugement
que de leur expertise. Les experts sont en petit nombre et s’auto influencent. On
verra dans les années à venir si la foule a plus raison que les experts. C’est un
postulat de base.
Et un dernier postulat est que le capitalisme va changer de visage. Le dernier
livre de Jeremy Rifkin, La Nouvelle Société du Coût Marginal Zéro et l'Eclipse
du Capitalisme, montre que les nouvelles générations vont avoir plus d’attraction
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pour le partage que pour la possession. C’est ce que développe la théorie des
communaux collaboratifs : on va plutôt collaborer et échanger qu’être
propriétaire. Exemple avec l’auto-partage, sur le site Zilok, pour la location
d’objets de particulier à particulier. Personnellement, je n’achèterai plus jamais
un outil électrique du style scie-sauteuse, tronçonneuse, etc. On sait que les
possesseurs de perceuse en France, en moyenne, l’utilisent 10 à 12 mn par an. Or,
nous avons tous une perceuse chez nous ! Avec Zilok à Toulouse, on peut vous
mettre en relation avec cinq personnes se trouvant à moins d’un kilomètre de
chez vous possédant une perceuse qu’ils mettent en location aux particuliers (
louer une perceuse coûte 5 euros le weekend). De même pour les voitures. Dans
quelques années, on ne possèdera plus de voiture. Ce qui montre bien qu’il y a
une tendance au partage, à la collaboration.
Qui s'adresse au crowdfunding?
Du côté porteur de projet, dirigeants d'entreprises qui cherchent des
financements, pourquoi aborder la foule plutôt que d’aller contacter des fonds de
capital risque ou des banques ? Quand on va aborder la foule, on a une perception
très intéressante des dossiers et des projets. Perception un peu particulière, certes.
Chez Wiseed, si l’on met pendant un mois des projets en ligne, les gens qui vont
voter posent des questions, font des commentaires, et je suis toujours étonné
quand le dirigeant qui a fait appel à nous, au bout d’un mois, nous dit que sa
société ou son projet est perçu par la foule d’une façon qui n’est pas du tout celle
à laquelle que il pensait. Ce qui permet finalement au dirigeant, de revoir son
discours, de recadrer son projet qui ne correspondait pas totalement aux attentes
des utilisateurs.
Par exemple, Les Pages jaunes ont fait une opération de crowdsourcing, où ils
ont demandé à des milliers de personnes de leur faire un spot publicitaire de
moins d’une minute. Ils en ont reçu 750, faits par des créateurs vidéo qui étaient,
soit des particuliers, soit des agences. Ils se sont rendu compte que, dans la
perception des pages jaunes par ces personnes, plus qu’un annuaire, c’était un
outil de géo positionnement. Du coup, dans la publicité des pages jaunes
aujourd‘hui, ils se présentent plus comme un outil de géo-positionnement des
entreprises qui sont dans les pages jaunes, que comme un annuaire. C’est ce
retour de la foule qui leur a permis de voir comment ils devaient se positionner.
C’est presque une étude marché. Au contraire du capital risque : si vous allez voir
un fonds d’investissement qui vous réponds : « non, je n’investis pas dans votre
dossier », et que vous demandez pourquoi, on ne vous donne jamais la vraie
raison. Par contre la foule va le dire. Mais cela nécessite de «sortir du bois» : si
vous êtes un dirigeant qui voulez financer quelque chose qui est couvert par le
secret, c’est compliqué puisqu’il va falloir donner de l’information.
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Pourquoi faire?
Les gens qui s'adressent au crowfunding sont porteurs de solutions pour un
problème non résolu, ou une attente insatisfaite, ou un besoin impérieux qui
apparait. Ils offrent une promesse de résultat, grâce à une offre visible,
Plus précisément, quand on fait appel à la foule, il faut un produit ou un service
à fort impact sociétal. Les projets sociaux sont beaucoup plus attractifs que des
projets plus communs. Chez Wiseed, on a essayé de financer des chaudronniers
industriels qui travaillaient dans l’aéronautique, sans succès, car ce projet n'était
pas assez innovant.
Il faut aussi qu'il y ait de la création de richesse visible, avec une équipe qui
donne envie : les dirigeants, c’est ce qui compte le plus dans le choix des
investisseurs.
Que peut-on en espérer, quand on est un dirigeant ?
Le crowdfunding peut rapporter entre 100.000 € et 2,5 millions d’euros pour le
financement participatif en capital, et ca peut se faire en 10 minutes (ou en 3
mois…) sur une plateforme. C'est arrivé récemment : un dirigeant cherchait
600.000 euros, on l’a mis en ligne, et dix minutes plus tard, il avait son
financement ! C'est peut-être un cas extrême, mais on ne met jamais plus de trois
mois, 90 jours, ce qui est très court pour un financement classique. Au-delà de
trois mois, on sait que ça ne marche pas.
Les retours de la foule sont essentiels, non seulement sur l’aspect finance de la
finance participative, mais aussi sur la participation des ambassadeurs, voire des
clients. C’est très important parce qu’on a des centaines d’investisseurs qui vont
donner des conseils, donner des idées, ouvrir des portes aux dirigeants.
Que peut-on en espérer, quand on est un investisseur ?
Comme je vous l’ai dit, choisir et participer, mesurer l’impact de son épargne,
c’est vraiment cela qui a mon avis est le plus intéressant, et le plus motivant.
Mais évidemment le retour sur investissement, ça compte aussi! Soit sous forme
de produits dont on bénéficie, soit par le versement d'intérêts, (de 2 à 10 % sur les
projets de prêts). Il n'y a pratiquement jamais de dividendes, parce que ces
entreprises vont réinvestir, donc elles ne versent pas de dividendes. Mais ce que
l’on attend, ce sont des plus-values en capital : quand on investit 1, on espère
retrouver 2, 3, 5, 10 et plus quelques années plus tard, en fonction de la réussite
de son investissement !
18
Présentation de Wiseed
Je vais faire un focus sur Wiseed pour montrer comment une plateforme de
crowdfunding fonctionne dans la réalité.
Chez Wiseed, notre mot d'ordre, depuis le début, c'est « réenchanter
l’épargne», parce que placer votre argent sur un livret A, une assurance vie, ou
acheter des produits dérivés, ou confier votre argent à des intermédiaires, ce n’est
pas toujours intéressant et ça ne fait pas rêver!. Réenchanter l’épargne, c’est
vraiment notre leitmotiv. Nous pensons que le crowdfunding va devenir un
puissant moteur éco-citoyen de proximité dans notre quotidien parce qu’on est
vraiment sensible à cette génération d’optimistes qui vit dans un monde de défis.
Quand on interroge les 76.000 membres de Wiseed et qu’on leur demande ce
qu’ils cherchent dans leur investissement - ils pourraient mettre une partie de leur
épargne dans des plans moins risqués - ils nous disent qu'ils cherchent :
-de l’authenticité dans des projets de financement, on mesure cette authenticité,
notamment à travers l’équipe dirigeante,
-de la collaboration quand on parle de participation,
-de la durabilité : on n’est pas là pour sortir au bout de 10, 15 jours comme en
bourse. Ce qui nous intéresse c’est cette économie du partage, au sens large. On
entre dans ce que disait Rifkin sur les communo-collaborateurs.
Quelques chiffres sur Wiseed : créés en 2008, nous sommes la première
plateforme au monde à avoir fait de l’investissement participatif en capital. Les
Anglais ne l’ont pas fait pour des raisons règlementaires, les Américains
n’avaient pas besoin de le faire, ils avaient beaucoup d’investisseurs particuliers.
La plateforme est sortie sur le Web en Juin 2009. Depuis, on a financé 140
projets économiques, pour plus de 60 millions d’euros, et nous avons près de
75.000 membres qui mettent un ticket moyen d’investissement de 2.000 €. En
2016, cela peut paraître beaucoup, mais en réalité c’est très peu : nous sommes la
plateforme qui a le plus petit ticket d’investissement par opération.
Dans quoi investissons-nous chez Wiseed ? On investit dans cinq produits
qui présentent des couples « rendement-risque » différents pour chaque horizon
de placement. Les start up, c’est un couple « rendement-risque » très important ;
beaucoup de rendement potentiel, mais beaucoup de risques, avec un horizon de
placement de 5 à 8 ans. On est sur de l’achat d’actions non cotées avec beaucoup
de risques mais potentiellement un gros rendement. Avec la promotion
immobilière, on est sur un couple « rendement- risque » très intéressant de
l’ordre de 5 à 10% annuel, pendant 2 ans maximum, sur des sous-jacents assez
peu risqués. Concernant les coopératives, il s'agit de titres participatifs «de bon
père de famille», de l’ordre de 3% à 4% par an pendant 5 à 7 ans. Dans le
domaine des énergies renouvelables, il s'agit d'emprunts obligataires. permettant
de prêter à 4% pendant 7 à 10 ans. Dans le domaine de la reforesterie, il s'agit de
19
faire de la reforestation, dans un premier temps dans les pays tropicaux, dans un
deuxième temps dans les pays européens. Ce sont des rendements de 3% à 4%
sur 10 à 15 ans.
Une offre simple.
Chaque fois, on propose des produits qui doivent s’adapter à votre ressenti sur
le couple « rendement-risque » en fonction de votre horizon de placement.
On peut investir à partir de 100 €, donc devenir actionnaire à partir de ce
montant assez faible (même si avec un montant aussi faible Wiseed ne gagne pas
beaucoup d’argent, mais cela permet de démocratiser l’accès à ce genre de
produit). Cela permet notamment à des étudiants de se lancer. Les projets portent
surtout sur des actifs non cotés. Ce sont des valeurs mobilières. Quand on parle
d‘investissement dans l’immobilier, on ne finance que de la promotion
immobilière, sans droit d’entrée, aucun coût pour l’investisseur et facile à gérer.
L'image ci-dessous montre la relation entre la sécurité du placement et son
horizon de sortie dans divers domaines. Ici la sécurité très faible en santé et
technologie, c’est un horizon assez long, par contre si ça marche cela donne dix
fois, vingt fois en fonction de votre investissement. Mais il y en a une sur dix qui
va au bout. Le risque est très particulier.
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Et la photomontage ci-dessous présente quelques uns des nombreux projets qui
ont pu aboutir grâce à nous :
Par exemple, on a financé des photobioréacteurs pour traiter les eaux usées des
immeubles, notamment des immeubles de bureau. Ces eaux usées, au lieu de
partir dans les égouts, partent dans des bioréacteurs, soit sur le toit, soit sur le
côté, qui vont produire des algues à partir des déchets des eaux usées et de ces
algues va sortir du biocarburant.
J’aime beaucoup ce projet qui s’appelle NEWWIND, l’arbre à vent : c’est un
arbre métallique dont chaque feuille est une éolienne. Cet arbre produit de
l’énergie suffisante, hors chauffage, pour une maison de 120 m2, avec quatre
personnes.
Et il y a une start up qui fait de l'éclairage à base d’algues fluorescentes et
phosphorescentes qui pourront éclairer certains bâtiments. Et à Toulouse, on a
financé NAIO, le robot désherbeur qui désherbe seul des maraichages bio.
Pour conclure, je vous présente trois sociétés qui ont été financées sur
Wiseed :
-POIETIS, société bordelaise, (qui a trouvé 783 investisseurs pour 951 000
euros) qui fait de la bio impression de cellules de peau. C’est une impression
laser où on va remplacer l’encre par des cellules de peau différenciées,
l’épiderme, le derme, les poils, etc. A partir de là, on refait un petit morceau de
peau qui, dans un premier temps, sert à faire des expérimentations par des
industries cosmétiques pour éviter de travailler sur des êtres vivants. Dans un
deuxième temps, on pense qu’on pourra faire des greffes de peau à partir de ses
propres cellules. On fera un prélèvement de cellule souche qu’on différenciera en
cellule de peau, vos propres cellules souche, vos propres cellules peau et on
pourra vous les regreffer.
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-EXOES, aussi à Bordeaux, (171 investisseurs pour 856.000€)qui récupère la
chaleur issue du pot d’échappement des camions sous forme d’énergie qui est
renvoyée dans le moteur, ce qui permet de réduire la consommation de fuel de
5% à 15% sur les camions.
-INTUITLAB, (48 investisseurs, 556.000€)société toulousaine qui fait de
l’interface homme-machine permet de travailler sur les ordinateurs, les écrans
tactiles notamment.
Ceci vous montre qu’on lever des montants assez significatifs. Là, le ticket
moyen était assez important, dans d’autres cas il est un peu plus faible, mais dans
le domaine de la santé, du digital, du service, on arrive à financer de très beaux
projets.
Chez Wiseed, nous sommes optimistes. Nous pensons que le crowdfunding va
sans doute changer radicalement le mode de financement des entreprises.
Accueillir les optimistes qui financent les optimistes, telle pourrait être notre
devise.
22
Débat
Un participant - Merci de cette présentation. Pouvez-vous dire deux mots du
modèle économique de Wiseed, vous n’en avez pas parlé dans votre présentation.
Thierry Merquiol - Effectivement, je ne voulais pas m’appesantir sur Wiseed
mais sur le relais économique de toutes ces plateformes. Notre financement est
est un pourcentage du flux qui passe sur ces plateformes : chaque fois que
quelqu’un met 100 €, il est prélevé sur ces 100 € entre 2€ et 10€, entre 2% et 10
%, c'est notre rémunération. Ce chiffre varie selon qu’il s’agisse d’une plateforme
de don, de prêt ou de capital. Aucune plateforme en France aujourd’hui n’est
rentable. Les flux ne sont pas suffisants. Pour les plateformes de dons, il faut
qu’elles passent environ plus 50 millions d’euros par an pour être rentables. Pour
les plateformes de prêt il faut qu’elles dépassent 300 à 400 millions d’euros. Les
plateformes comme Wiseed doivent dépasser 25 millions d’euros. Nous sommes
à l’équilibre en 2015, sans certitude pour 2016, car nous avons beaucoup
embauché, nous sommes passés de 10 à 44 personnes, avec beaucoup
d’investissements. Vous voyez à peu près les flux qui sont nécessaires pour
pouvoir vivre. Chez Wiseed, la plupart du temps, ce sont les projets qui paient, ce
sont rarement les investisseurs, qui paient en fait de façon différée. On facture à
l’entreprise qu’on a financée et non pas à l’investisseur.
Contrairement aux fonds communs de placement que vous proposent les
banques, nos rémunérations sont faibles : quand vous investissez dans un fond
commun auprès d’une banque, elle va prélever 5% par an pendant les 8 ans de
votre contrat, soit au final 40% du montant que vous aurez investi, et il n'en
restera plus que 60% pour investir. Les sociétés de gestion des banques gagnent
beaucoup d’argent avec ces produits.
Un participant - Une remarque et une question. La remarque, c’est à propos
des 3% de déficit budgétaire autorisé par l'Europe que vous nous avez coupé le
souffle. On aurait pu imaginer que ces 3% avaient été discutés, négociés, de
manière un peu plus rigoureuse au niveau européen. Ma question : à partir du
moment où vous allez devenir productifs et rentables, est-ce que vous n’allez pas
être un danger pour le système bancaire qui va chercher à vous couler ?
Thierry Merquiol - Effectivement, ma présentation de ces 3%, c’est un peu
caricatural. Mais c’est la version du Trésor qui a donné ce chiffre qui ensuite a
été négocié entre les acteurs européens…
23
En 2013, lorsqu’on a écrit cette loi sur le financement participatif, et en 2014 à
la publication de la loi et des décrets, on s’est battu face au lobby bancaire. Pour
la petite histoire, pourquoi a-t-on gagné ? Non pas parce qu’on était bons, forts et
meilleurs que les autres, mais parce que les banques ont vidé de sa moelle la loi
de séparation bancaire entre banques d’affaires et banques de dépôts. Fleur
Pellerin et Pierre Moscovici ont vu en réaction, dans le crowdfunding, la
possibilité de casser le monopole, ce qui a beaucoup joué en notre faveur. Pour
l’anecdote, la loi a été promulguée en juillet 2014, avec un décret en octobre
2014. Dans la loi, il était écrit «les placements de crowdfunding pourront financer
les entreprises par des actions, des actions ordinaires, des actions de préférence,
des obligations convertibles. » L’été est passé, les décrets sont sortis, et dans les
décrets, il est dit que les plateformes de financements participatifs ont le droit de
financer en actions ordinaires, et en obligation, les actions de préférence et les
obligations convertibles ont disparu du texte !. Rien que ces deux adjectifs
réduisent le marché d’au moins 50%. Lorsque je suis allé voir les équipes de
Fleur Pellerin et de Moscovici, ils ont reconnu que c’était la Direction Générale
du Trésor qui avait fait cette modification. Et les interlocuteurs que j’avais
côtoyés m’ont dit qu’en effet les banques savent bien faire du lobbying au bon
moment. Elles ne se sont pas attaquées à la loi, mais se sont débrouillées pour
que le décret vide la loi d’une partie de sa matière. On est aujourd’hui très petits
(200 millions d’euros) comparés à ce que prêtent les banques qui gèrent l’épargne
des Français, c’est très peu. Mais ça commence pourtant à les chatouiller !
Un participant – Je voulais savoir si, à part la notion d’importance de taille, il
y avait une différence entre le financement participatif et le micro crédit. Par
ailleurs, le financement participatif dans ce que vous nous avez montré est
essentiellement occidental. Peut-on envisager de le développer en direction des
pays en voie de développement ?
Thierry Merquiol – Le micro-crédit est beaucoup plus ancien que le
crowdfunding. Le micro-crédit, comme son nom l’indique, c’est de toutes petites
sommes. Le montant moyen engagé par les investisseurs y est de moins de 50€ et
va plutôt financer des entreprises de micro-crédit qui, elles, vont répartir les
crédits en fonction des besoins qu’elles ont sur des petits projets, surtout dans les
pays en voie de développement, mais aussi en France. C’est toujours un
intermédiaire qui va gérer ces fonds, sur un projet au fin fond de l’Afrique par
exemple, pour s’assurer qu’ils arrivent là où il faut. C’est la société de
micro crédit qui va le gérer. C’est un peu différent du crowdfunding, mais ça sert
également à financer de l’économie.
Sur le deuxième point, le financement participatif, en Afrique également on a
créé des Wiseed. Ce qui me paraît très intéressant sur le financement dans ces
pays, c’est que c'est surtout la diaspora qui va répondre à la vraie problématique.
Aujourd’hui la diaspora envoie beaucoup d’argent. Je l’ai constaté lors de récents
24
déplacements en Côte d’Ivoire et au Maroc. Cet argent passe par des sociétés qui
prennent beaucoup de frais de fonctionnement. Et il arrive dans leurs familles qui
souvent ne l’utilisent pas pour faire construire leur maison, alors que c('était
l'objet du financement et de l'envoi d'argent. Et quand les expatriés rentrent, après
3 à 5 ans, dans leur pays, ils ne trouvent pas la maison qu'ils ont financée ! Mais
comme c’est la famille qui est coupable, ils ne peuvent pas se retourner contre
elle. On a donc créé des plateformes, plutôt basées en France ou dans les pays
occidentaux, pour financer des projets dans les pays en voie de développement.
Les montants qui passent par les diasporas, notamment en Afrique, sont énormes.
Ensuite, la problématique est d’avoir suffisamment de projets dans ces
territoires et aujourd’hui c’est un peu juste. Notamment en Côte d’Ivoire la masse
de projets n’est pas suffisamment importante.
Un participant – Je voudrais faire un commentaire sur la règle budgétaire du
déficit maximal autorisé égal à 3 % du PIB par la Commission Européenne. Je
peux citer les deux livres de Yanis Varoufakis, ex ministre des finances de
l’éphémère gouvernement grec dirigé par Alexis Tsipras, et de James Galbraith
junior, un copain de Varoufakis et fils du grand économiste John Kenneth
Galbraith. Tous les deux dénoncent explicitement, dans des paragraphes qui y
sont dédiés, la folie du 3% de déficit maximal imposé aux pays membres de
l’euro. En fait, ce sont les petits hommes gris de Bercy qui ont imposé cela à leur
ministre et qui, surtout, ont voulu jouer les malins par rapport à leurs homologues
de la Bundesbank et du ministère fédéral allemand des finances en disant :
« C’est nous qui avons fixé les règles et, en gros, on va « couillonner » les
Allemands, car nous les Enarques-inspecteurs des finances, sommes plus malins
que les Allemands».
D'autre part, j’ai longtemps travaillé dans un labo de recherche et
développement qui avait pour ambition de transférer son savoir-faire aux
entreprises françaises, grosses et petites. J’ai pu constater l’existence d’une sorte
de « plateforme de verre » dans l’institution scientifique française qui faisait
qu’on nous regardait avec des yeux un peu méprisants. Mes copains de promo qui
eux faisaient dans la physique fondamentale trouvaient vulgaire de s’intéresser
aux gens qui posaient des problèmes de qualité de production (agroalimentaire,
agronomie, matériaux composites, chimie, automobile, aéronautique, biomédical,
entretien des voies d’accès aux ports maritimes…) alors que nous faisions de la
physique nucléaire appliquée à la résolution de tels problèmes et qu'ainsi nous
contribuions à améliorer les produits en augmentant la qualité et/ou la
productivité. Quand je regarde le site de Wiseed, cela me redonne de l’espoir de
voir des projets extrêmement intéressants aboutir. Par exmple, sur le plan
scientifique et sociétal, il y a un projet qui consiste à valider auprès des autorités
de santé, un kit de diagnostic de certaines tumeurs cancéreuses adapté à chacun
d’entre nous (tous potentiellement un jour cancéreux) permettant de ne pas
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délivrer à tout patient, (traité par radiothérapie pour un cancer de la thyroïde, de
l’utérus ou d’un autre organe), la même dose, alors que le bipède humain est un
animal extrêmement variable d’un individu à l’autre. Ce projet existe. C’est pour
moi quelque chose de fondamental pour la population et je voulais en témoigner.
Thierry Merquiol – Comme je vous l’ai dit, l’impact sociétal du produit ou du
service contribue beaucoup dans le financement participatif. On voit que des
projets de biotechnologie dont vous venez de parler sont des projets extrêmement
difficiles à financer parce que très risqués, mais que la foule est capable de les
financer parce que ça lui parle : elle se dit que ce médicament a peut-être une
chance sur dix de sortir et que s’il sort il me soignera moi, mes enfants ou petits-
enfants.
Une participante - Faites-vous une sorte de tri sur les projets avant de pouvoir
les mettre sur le site ? Est-ce que vous avez cette démarche d’économie sociale et
solidaire en vous disant, pour certains projets, même s'il y a une bonne chance de
réussite avec de la rentabilité derrière, qu'on n’a pas trop envie de le mettre en
avant sur notre plateforme ni que des personnes s’y mettent, pour des raisons
éthiques et non économiques ?. Avez-vous cette préoccupation ? Ma deuxième
question est un peu plus technique et rationnelle : êtes-vous soumis aux règles de
lutte contre le blanchiment puisque vous ne savez pas vraiment qui amène
l’argent sur ces plateformes ? Comment gérez-vous cela ?
Thierry Merquiol - Les plateformes sont labellisées par les régulateurs. En
France, nous avons deux régulateurs : l’Autorité des Marchés Financiers, l’AMF,
et l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution, l’ACPR, qui dépendent de
la Banque de France. Ce sont les deux régulateurs. Si vous allez sur des
plateformes de crowdfunding, exigez le logo « Marianne » qui montre que ces
sociétés sont régulées et contrôlées. Dans le contrôle, il y a toutes sortes de
procédures. Wiseed est règlementé comme une banque. Ce qui est très couteux.
On a effectivement des détections. Quelqu’un qui met 100€ sur un investissement
ne pose pas de problème, mais quelqu’un qui met 100 fois 2.000€ ou 8.000€, (ce
qui est la limite), cela déclenche une enquête. On est contrôlé par l'ACPR qui
nous dit tous les trois mois : on veut des renseignements sur tel ou tel
investissement, avez-vous fait votre travail ? De même que les banques françaises
doivent faire également ce travail de demander aux personnes d’où viennent les
fonds. C’est assez contraignant, mais cela permet, en effet, de lutter contre le
blanchiment et le financement du terrorisme.
Sur la sélection, on reçoit 1.500 demandes de financement par an, sur Wiseed,
et on en finance entre 50 et 200. On retrouve le 20 % mentionné. Je suis
d’ailleurs désolé de ne pouvoir en financer davantage. Ce qui nous manque
aujourd’hui ce sont des investisseurs. Avec plus d’investisseurs nous financerions
plus de dossiers, dont certains sont très intéressants. Pour éviter que Wiseed soit
trop restrictif, sur les 1.500 projets, 500 sont présentés à la foule pendant un mois
26
pour un vote. La foule va décider si ce projet lui plaît. Si le projet lui plaît, elle va
nous dire combien elle est prête à investir. S’il ne lui plaît pas, pour quelle raison.
On va impliquer très tôt les internautes dans la décision de dire « on y va » ou
« on n’y va pas ». Cette phase de vote permet de dire : oui, on y va parce qu’il y a
beaucoup d’intérêt et des intentions d’investissement suffisantes, ou non, on n’y
va pas. Si on y va, on rencontre les dirigeants et nous faisons notre cœur de
métier d’analyste.
Ensuite, sur les aspects d’économie sociale et solidaire, on a proposé beaucoup
de coopératives qui portent cette idée d’économie sociale et solidaire. Tout ce qui
nous intéresse, ce sont les projets économiquement viables : s’ils ont une couche
économique sociale et solidaire, ils se financent beaucoup plus facilement sur la
plateforme. Mais ce n’est pas systématique. Ce n’est pas parce qu’ils sont
tamponnés ESS qu’ils vont trouver un financement sur les plateformes. C’est
surtout le projet économique qui compte. Quand je dis le projet économique, ce
n’est pas uniquement le profit. C’est le nombre d’emplois qui vont être créés,
quelle est la richesse globale qui va être générée, qui sont les sous-traitants en
France ou ailleurs. La foule est très pragmatique, intelligente collectivement pour
mesurer ce genre de chose.
Une participante - Je connais une association humanitaire qui veut monter un
dispensaire dans un pays en guerre. On les a dirigés vers une levée de fonds grâce
au crowdfunding. Ma question : est-ce que je dois passer par un crowdfunding
pour leur faire un don ou je passe directement par eux puisque je les connais ?
Quel est l’avantage de l’un ou l’autre ?
Autre question : pour celui qui finance un crowdlending, si deux ans après, il a
absolument besoin d’argent, comment il fait-il pour récupérer sa mise ?
Thierry Merquiol - Dans le premier cas, si vous les connaissez, vous pouvez
leur donner directement. Sauf que la mise en place de cette plateforme permet
d’optimiser les dons. Tout se fait par internet grâce aux plateformes.
L’association ne peut faire la mise en place de la plateforme toute seule, si ce
n’est recevoir des chèques, éventuellement des virements. Ce sera un peu plus
compliqué. L’intérêt pour les associations d’utiliser de telles plateformes est dû
au fait qu’elles reçoivent énormément de demandes et avec une diffusion vers
beaucoup de personnes qui ne connaissent pas l’association au départ. Ceux qui
connaissent l’association n’ont pas vraiment intérêt à passer par la plateforme.
Ces plateformes sont là pour démultiplier le nombre d’investisseurs, de
donateurs, de prêteurs.
Sur les fonds donnés, vous ne les reverrez jamais. Sur les prêts, vous avez des
prêts aux entreprises qui vont vous rembourser en 36 à 60 mois. Mais vous ne
pourrez pas sortir, c’est comme un prêt avec une banque sur 15 ans, vous ne
pouvez pas sortir au bout de 5 ans. Vous vous engagez sur une durée.
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L’entreprise s’engage sur une durée. Mais, il y a le risque que l’entreprise fasse
faillite et qu’elle ne vous rembourse pas.
Sur du capital, c’est un peu différent. Vous allez rentrer au capital de la société
que vous allez financer via une holding. Nous allons créer par opération un
véhicule dans lequel nous allons mettre tous les investisseurs Wiseed. Quand 871
investisseurs de POIETIS sont dans une holding, c’est ce holding qui investit
dans POIETIS. Si on met 871 investisseurs dans une start up, elle explose en vol.
Dans cette holding, vous pouvez dire, au bout de 2 ans, que vous souhaitez partir
et demander si quelqu’un veut racheter vos parts. Ce n’est pas garanti, mais si
vous les vendez au prix où vous les avez achetées, vous êtes assurés que
quelqu’un va vous les reprendre, ce qui permet une certaine liquidité. Sachez que
ces investissements dont nous avons parlé sont risqués, ne sont pas très liquides.
Ne mettez pas plus de 5% de votre patrimoine dans ce projet. C’est très risqué.
Ce n’est pas du livret A, ni du CAC 40. Soyez attentif au produit.
Un participant - A propos du nom Wiseed, quelle en est l’origine, la raison.
Deuxième question : vous avez dit que vous commenciez à approcher le marché
africain, certains pays d’Afrique, mais comment se comportent les Russes ? Et
est-ce que vous financez des projets russes, indiens, chinois, ou est-ce que ce sont
uniquement des projets français ?
Thierry Merquiol - Aujourd’hui, on ne finance que des projets français,
éventuellement européens, par des investisseurs qui sont essentiellement
européens ou français ou français des territoires d’Outre-mer. Nous avons essayé
de nous implanter en Angleterre et en Suisse, nous n’y sommes pas arrivés.
Aujourd’hui, on va se développer, je l’espère, en Allemagne et au Canada. Nous
avons des appels du pied pour travailler en franchise (la marque Wiseed
commence à être connue) à Singapour, en Chine aussi, pour utiliser la marque
Wiseed. Avec la Russie, on a été approchés par des créateurs de plateforme
russes, pour s’associer à eux. Mais aujourd’hui, on ne peut pas tout faire, malgré
notre désir d’aller vite, car nous n’avons pas les moyens de nous développer très
vite. La Russie n’est pas un marché prioritaire pour Wiseed. On a fait faire une
étude pour savoir où on pouvait s’implanter. Le premier pays, c’est l’Allemagne.
Le deuxième, c’est le Canada, par pure opportunité, ensuite Singapour parce que
les Singapouriens sont prêts à investir dans des projets en France.
Dans Wiseed, il y a deux mots : « seed », c’est la graine, la semence. Et donc
le « seed » capital, c’est l’amorçage, c’est le premier argent qui vient dans
l’entreprise au-delà du premier cercle de financeurs que sont les amis et la
famille, l'ensemencement extérieur au réseau des fondateurs, c’est la graine, le
sillon pour démarrer. « Wi », c’était en 2008 très à la mode…
28
Une participante - Question par rapport à l’environnement bancaire. On
entend parler du risque d’une nouvelle crise financière. Actuellement, comment
vous vous situez par rapport à cela. Personnellement, je me trouve dans une
situation où je ne peux plus faire de crédit parce que ma société, dans le secteur
financier, était en déficit en 2015. On est dans un système aujourd’hui où une
entreprise qui a trop de travail, ne peut pas investir. Le marché étriqué est guidé
par l’austérité dans le domaine européen, qui est malade. Qu’en est-il de votre
société, de votre financement en cas de crise financière ? Comment voyez-vous
l’avenir ?
Thierry Merquiol - Il est difficile de vous répondre précisément. Ce que je
peux vous dire c’est que l’épargne des Français est contrôlée par les Français qui
savent où ils mettent leur épargne dans ces plateformes. Ils choisissent l’endroit
où ils vont prêter, donner ou investir. Quand vous placez votre épargne dans un
fond commun de placement, ou un livret A, à la banque qui va souscrire des
assurances vie, vous ne savez pas où va l’argent. Vous ne maîtrisez rien. S’il y a
un risque systémique, tout va plonger – la bourse, les assurances vie. L’argent de
proximité dans une start up, dans une entreprise immature, il y a plus de chance
que vous le retrouviez. Sauf si les sociétés meurent en raison de l’environnement
global du marché du travail, par exemple. N’importe où vous placez votre argent,
même dans la pierre, il y a risque, à l’exception de l’or et des diamants, à
condition que les lingots d’or et les diamants ne soient pas à la banque. Le jour
où il y a crise, vous ne rentrez pas dans la banque.
Un participant - Vous avez dit que le taux de réussite des starts up est à peu
près de une pour dix en financement en biotechnologie. Globalement, il est de
combien ce taux de réussite, pour les autres ? Les entreprises qui se sont formées
ont de l’argent, des projets, leur taux de réussite, de transformation est de
combien dans la vie réelle ?
Thierry Merquiol - Il y a plusieurs choses. On dit qu’une entreprise a une
chance sur deux d’exister au-delà de 5 ans. Parmi celles qui sont accompagnées
par les incubateurs, les pépinières, il y en a deux sur trois qui survivent au-delà de
5 ans. Chez Wiseed, depuis 2009, nous avons fait 140 dossiers, et il y en a cinq
qui sont mortes. Nous sommes bien en-dessous de ces statistiques, mais c’est
encore un peu trop tôt pour l'affirmer. Sur 100 entreprises, 33 vont mourir, 33
vont survivre, juste vivre avec un peu de dividende, un peu de plus-value pour
leurs investisseurs, et 33 vont surperformer. Au départ, on ne sait pas lesquelles
vont surperformer. Si on prend des projets en biotechnologie avec des candidats
aux médicaments qui ont le projet de développer un nouvel antibiotique contre
les maladies nosocomiales, par exemple, elles n’ont qu’une chance sur dix d’y
arriver. Mais, quand elles y arrivent, c’est le jackpot ! Elles ont investi 15, 20
millions d’euros, et elles sont rachetées 250 millions de dollars par une
« bigpharma », comme Pfizer, Sanofi. Mais, il y en a 9 sur 10 qui ne vont pas
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aller au bout, qui vont perdre tout leur investissement. Domaine par domaine, il
est difficile d’avoir une statistique globale. Mon encouragement, si vous
investissez sur des plateformes, quelles qu’elles soient, panachez vos
investissement, mettez 30% sur une société en digital, 30% sur une société en
biotechnologie parce que le produit vous plaît, 30% sur de l’immobilier qui va
vous rapporter 10% par an sur 2 ans maximum. Si on savait les sociétés qui vont
marcher, ce serait trop facile et ça manquerait de « fun ».
Un participant - Merci pour votre exposé. Outre Wiseed, vous avez présenté
tout le paysage. Merci aussi pour les coulisses, un certain nombre de coulisses
qu’on a pu entendre. Il y en a une dont vous n’avez pas parlé c’est l’aéroport de
Toulouse. Que pouvez-vous nous en dire ?
Thierry Merquiol - En avril 2014, on a découvert avec Nicolas Sérès, le
cofondateur de Wiseed, les trois offres de rachat de l’aéroport de Toulouse et on
s’est dit : « si ces sociétés font ces offres, c’est dommage qu’on ne puisse pas
proposer cet investissement à des particuliers». Nous avons décidé de faire une
offre sur l’achat de l’aéroport de Toulouse pour voir comment réagirait la foule.
On a bâti une page pour récupérer des intentions d’investissement. Il n’était pas
prévu de faire payer les gens dès le départ. Nous voulions connaître les intentions
d’investissement. Un matin, Stéphane Soumié m’a interviewé à 7h45 sur BFM
Business. Ensuite, nous avons été complètement dépassés par ces intentions. En
quinze jours, on a eu dix mille intentions d’investissement pour 20 millions
d’euros - certains voulaient mettre 5 €, d’autres 1 million d’euros - de dix mille
personnes de partout en France, tous les départements français y compris
d’Outre-mer. Evidemment, la moitié venait de Midi-Pyrénéens, et il y avait
beaucoup de Nantais ! Avec ces intentions, j’ai fait une offre de rachat.
Evidemment, je ne pouvais pas racheter les 49,99 % qui étaient vendus par l’État,
qui devaient lui rapporter 360 millions environ. L’objectif était de racheter les
10% qui restaient à l’État pour que, globalement avec les collectivités
territoriales, on reste majoritaire. L’offre de participation a bien évidemment été
refusée en disant qu’ils ne pouvaient pas changer le cahier des charges, que
c’était trop tard. Ce qui était faux, puisque dans le cahier des charges, il y avait
un article qui disait que l’État se réservait le changement des charges jusqu’à la
signature.
Vinci avait aussi déposé une offre, leurs avocats m’avaient contacté pour voir
comment ils pouvaient se rapprocher de nous, en me conseillant de ne pas
dépenser trop d’énergie dans cette affaire, que les dés étaient pipés puisque
c’était déjà promis aux Chinois. Au cours de cette opération, nous avons reçu des
mails nombreux et, dans un mail anonyme, nous avons eu la révélation d'un pacte
secret passé entre la France et les Chinois. Je suis allé le montrer au président du
Conseil Général de l’époque, au président de la CCI, au maire de Toulouse, au
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président du CES, Comité Economique et Social. Ils m'ont répondu que c’est une
invention. Deux jours après, Mediapart l’a sorti, et tout le monde l’a cru. Ce pacte
est scandaleux. Il est écrit, noir sur blanc, que l’Etat vend 49,99% de ses parts
(donc ce n’est pas une vente de l’intégralité, le repreneur quel qu’il soit n’a pas la
majorité). Mais il y a un article qui dit que, pour toute décision importante, l’Etat
votera comme son repreneur. Je vous rappelle qu’en octobre 2016, lors de
l’Assemblée générale de l’aéroport, la société d’exploitation de l’aéroport de
Toulouse a distribué les dividendes comme d’habitude à ses actionnaires, et que
les Chinois ont pris 15 millions de plus sur les réserves des 70 millions de
trésorerie de l’aéroport. Ils ont donc commencé à compenser leurs services, alors
qu’ils avaient dit qu’ils ne toucheraient jamais à la trésorerie de l’aéroport qui
servait aux projets de développement de l’aéroport. La réalité est là ! Sans
compter que la société qui a acheté les parts de l’Etat est une SAS à Lyon, à
10.000 euros de capital. Derrière, il y a des fonds, sans savoir ce qu’il en est.
On a essayé de faire la même chose à Nice. Sans succès…
Un participant - Vous n’avez pas parlé de la fiscalité. On parle de rentabilité,
sur le coût de l’investisseur qui veut savoir ce que l’Etat prend sur le rendement.
Je voudrais savoir comment fonctionne la fiscalité. Ensuite, vous avez aussi parlé
du fait que, si on veut récupérer ces sommes, on se trouve dans la situation d’un
actionnaire minoritaire. On sait que les actionnaires minoritaires ne sont pas très
bien protégés en France. Les « business angels » font des pactes d’actionnaires au
départ qui leur permettent de sortir en fonction des résultats de l’entreprise. Vous
êtes un intermédiaire auprès des actionnaires dans l’entreprise, donc on passe par
vous.
Thierry Merquiol - Comme je vous l’ai dit, on crée une holding. Vous voulez
investir dans une société A. Vous n’achetez pas les actions de la société A, mais
les actions de la holding A. Ce qui veut dire que, au lieu d’avoir 0,000 1% de la
société A, la holding va détenir entre 5% et 20% de la société A. L’actionnaire,
bien que minoritaire, sera présent au conseil d’administration. Il sera donc
représenté pas par vous mais par Wiseed. Nous allons avec Nicolas Sérès, en
qualité de présidents de la holding, signer un pacte d’actionnaire avec la société,
avec des options de rachat. Si les actionnaires doivent sortir, on sort en même
temps qu’eux. Nous avons des pactes qui sont assez serrés et contraignants pour
le dirigeant. Alors, si la société meurt, il y a perte des liquidités, ce qui est
normal. Mais si la société marche bien, comment on récupère ? C’est écrit dans le
pacte, et on récupère lorsqu’il y a un acheteur de nos parts. Cet acheteur peut être
les dirigeants qui font ce qu’on appelle un MBO pour chercher l’argent auprès de
la banque pour racheter les minoritaires. Ça peut être un acteur de second tour qui
va mettre 5 millions pour racheter une partie des actionnaires. Ça peut être une
introduction en bourse ou un partenaire industriel qui rachète la société avec tout
le monde aux mêmes conditions, et on sort exactement comme les dirigeants.
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C’est ce qui est prévu. Nous sommes déjà sortis deux fois avec une plus-value
qui a été la même pour le dirigeant fondateur et pour les actionnaires.
Sur la fiscalité, imaginons qu’on sorte avec une plus-value. Il y a deux
fiscalités, une fiscalité sur le prêt, sur le revenu du prêt, ce sont des bénéfices non
commerciaux qui sont soumis à prélèvements sociaux à 15,5%, plus le montant
d’impôt sur le revenu que vous payez. Si vous payez la tranche supérieure à 45%
plus 15% (60%). 60%, c’est ce que l’Etat prend sur les jeux de hasard. C’est de la
confiscation. En Angleterre, quand on fait un investissement sur les plateformes
de crowdfunding, s’il y a des plus-values, elles ne sont pas imposés, et en cas de
moins-value, il y a un crédit d’impôt de la moitié de ce que vous perdez.
Donc la fiscalité porte uniquement sur les revenus des prêts, c’est minimum
15,5%, plus le montant de votre imposition. C’est un peu dissuasif et ça change
chaque année avec la loi de finance. On ne sait pas ce qui va se passer. Il y aussi
l’ISF dont on ignore ce qu’il va devenir.
Un participant - Merci pour toutes ces précisions. Une petite remarque qui
concerne l’activité don. Je ne vois pas pourquoi je passerai par vous. Si je donne
à une association, je vais avoir un reçu fiscal qui va modifier un peu les choses.
Ensuite quelle est la différence avec les SICAV en se positionnant en tant
qu’investisseur. Troisième point : il y a d’autres plateformes qui couplent du
parrainage. J’aimerais connaître votre opinion pour essayer de démêler le vrai du
faux.
Thierry Merquiol - Sur le don, si vous connaissez l’association ou le porteur
de projet, vous pouvez donner directement. Ces plateformes sont faites pour
démultiplier. J’ai oublié de vous dire qu’une opération de financement
participatif, c’est avant tout une opération de communication. Le premier cercle
compte beaucoup. C’est-à-dire des personnes qui connaissent le porteur de projet,
l’association de personnes qui vous disent de venir sur la plateforme ce qui va
lancer la dynamique. C’est un outil qu’il faut utiliser. Parce qu’il y a ce premier
cercle où ce sont souvent des amis, copains, réseau, qui va déclencher un
deuxième cercle, celui des membres qui ne se connaissent pas du tout, mais qui
se disent qu’il y a une attractivité intéressante sur ce projet et qui sont prêts à
mettre de l’argent. C’est plutôt un outil pour vous faire connaître : si vous êtes
une association avec 200 ou 300 membres et que vous avez besoin de fonds, vous
vous adressez d’abord aux 200 membres en demandant que chacun amène sa
participation et c’est peut-être gagné. Alors, vous n’avez pas besoin de
plateforme. Je ne connais pas bien les SICAV je ne vais pas pouvoir vous
répondre.
Sur la partie parrainage, vous voulez dire que des personnes vont parrainer en
disant venez sur cette plateforme avec un intéressement. Cela existe sur des
projets autre que les plateformes comme Wiseed (qui porte sur des projets
d’entreprises économiques), mais sur des projets associatifs, sportif, culturels… Il
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est vrai que si vous avez une « tête d’affiche » très connue, comme un club de
sport, qui veut monter une opération de crowdfunding et réussit à avoir une vidéo
de Teddy Riner, évidemment que ça va fonctionner. Teddy Riner aura donné son
image qui sera relayée. Je vais vous répondre sur un cas très précis. On va bientôt
sortir sur la plateforme de Wiseed, dans la phase de vote, un projet de scooter
électrique. Ce scooter électrique a été désigné par Stark qui va faire une vidéo sur
ce scooter électrique. On imagine que, parce que c’est Stark, derrière il va y avoir
une affluence d’investissements. Stark ne va pas participer à ce capital, mais il
touchera un % de tous les revenus, en royalties, parce qu’il y a sa marque, sa
signature sur le projet. Effectivement, il y a là à la fois un parrainage, un
affichage, un intérêt.
Nos plateformes sont contrôlées par l’Autorité de Contrôle Prudentiel pour
contrôler le conflit d’intérêt. On doit systématiquement déclarer le conflit
d’intérêt. Si, moi je décide personnellement d’investir sur un projet sur la
plateforme, je dois le déclarer à l’ACP parce qu’il peut y avoir potentiellement
conflit d’intérêt.
Une participante - Je vais vous poser une question personnelle à laquelle vous
pouvez décider de ne pas répondre. Je voudrais savoir, quand vous étiez enfant,
vous et votre partenaire, si vous étiez dociles ou indociles, bons ou mauvais
élèves ?
Thierry Merquiol – Nicolas Sérès et moi avons deux caractères très différents.
Je suis plutôt un homme de synthèse et j’ai plutôt tendance à extérioriser. Si je
me retourne dans ma carrière, je crois que l’entreprenariat a toujours été un fil
rouge. Je ne m’en suis pas rendu compte jusqu’à il y a quelques années. J’ai tenté
de reprendre une entreprise, j’ai participé à la junior entreprise, je suis président
d’une association qui fait de la médiatisation olfactive.
J’ai donc une tendance à l’entreprenariat. Pendant de mes études, je gérais
également une entreprise, j’étais en contact avec des entreprises. Globalement,
j’étais un élève moyen jusqu’au bac, très indiscipliné, ce qui m’a valu de le rater
« haut la main ». J’ai passé mon bac C en 1980 avec 4,25 de moyenne. Ensuite, je
l’ai eu avec mention bien, après avoir changé de lycée. J’ai pris conscience de
l’intérêt des études quand je suis rentré à l’INSA où j’ai compris que je travaillais
pour moi et pas pour les autres. Je n’ai jamais été vraiment docile. Aujourd’hui,
on est face à un régulateur qui est l’ACPR. J’avais un interlocuteur avec qui j’ai
discuté de 2008 à 2012. J’étais un peu la « mouche du coche ». En 2013, ils
m’ont demandé de changer d’interlocuteur. J’avais atteint mes limites de
courtoisie, de compréhension et d’acceptation de ce qu’il disait. Depuis que nous
avons changé d’interlocuteur en interne de Wiseed, ça va beaucoup mieux !
Tout créateur d’entreprise veut changer le monde. S’il veut créer une
entreprise, c’est que quelque chose ne lui va pas, qui ne correspond pas à ses
attentes. On veut déplacer les lignes, on est un peu anticonformiste.
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Chez Wiseed, nous avons un test ou plutôt un outil de scoring. Nous posons 90
questions aux dirigeants qui nous déposent un dossier. Parmi lesquelles une
vingtaine de questions où on mesure la ténacité, le leadership, l’aspect
visionnaire, l’aptitude à parler aux autres, la capacité d’écoute et
l’anticonformisme (c’est nous qui l’avons fait, donc ce n’est pas un test validé ni
académique) pour essayer de mesurer ses dimensions personnelles. A travers ces
20 questions, ceux qui sont 100% conformistes me font peur, ceux qui sont très
anticonformistes me font peur. Mais au regard des statistiques, la plupart d'entre
eux sont plutôt anticonformistes, voire parfois trop…
On peut être corsaire sans être pirate. Ce sont les profils que nous aimons bien.
Un participant - Je voulais faire une simple remarque sur le terme « crowd »
foule. Si je comprends bien, votre société fonctionne bien. Le « Wi » pourrait être
écrit « we », c’est-à-dire la notion de nous, nous sommes ensemble. Pourtant le
terme de foule, on ne l’aime pas trop. On a beaucoup de leaders politiques qui
parlent des masses, des hordes quand il y a trop de monde dans les
manifestations. Je voudrais que vous disiez pourquoi vous êtes optimiste. En fait,
quand vous cherchez à vous renseigner, vous êtes des pessimistes ; quand vous
êtes extraordinairement bien renseignés, vous devenez optimistes. Votre société
de 40 personnes comment est-elle composée ? Comment arrivez-vous à prendre
des dispositions et à assumer des risques pour les autres?
Thierry Merquiol - Effectivement, on prend des risques surtout lorsqu’on crée
un modèle, parce qu’il n’existe pas. Ce que nous avons fait n’existait pas, à part
ce que j’ai dit précédemment qui était moins risqué parce qu’il s’agissait de dons,
plutôt que d’investissements et qu’on a pris beaucoup de recul.
Le recrutement chez Wiseed se fait surtout par cooptation. Ce sont des
personnes à qui on dit si vous avez besoin de confort, de cadre, ne venez pas chez
Wiseed, vous n’allez pas vous sentir bien.
On a beaucoup de demandes, on s’est trompé plusieurs fois et ça a laissé des
cicatrices. Dans une jeune entreprise de 10-15 personnes, si vous vous trompez
sur un recrutement, l’impact est très important. On prend beaucoup de personnes
en stage, voire en apprentissage, ensuite on confirme ou pas.
Lorsque vous dites Wiseed avec « we », le nous, évidemment à terme Wiseed
sera montré comme tel aux clients. Wiseed voudrait s’introduire en bourse pour
pousser le modèle jusqu’au bout. Chez Wiseed on pense que l’argent que vous
investissez, c’est de l’argent qui vous ressemble. Vous allez mettre de l’argent là
où ça vous plaît, où ça vous parle. Cet argent qui nous ressemble, c’est de
l’argent qui va nous rassembler.
le 19 novembre 2016
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Thierry MERQUOL est ingénieur (INSA Toulouse en Génie des
procédés industriels) et titulaire d’un Master of Sciences en
Biochimie (obtenu à l’Université Laval au Québec, l’une des grandes
universités nord américaines). Il a exercé différentes fonctions dans
l’industrie et a été Directeur commercial d'une filiale d’Air Liquide.
Il a assuré la direction de l’«Incubateur Midi-Pyrénées» (dont
l’objectif est de favoriser l’émergence de projets innovants) de 2002 à
2008.
Co-fondateur en 2008 de WISEED, plateforme toulousaine de
financement participatif (l’une des cinq principales structures de ce
type en France), Thierry Merquiol en est aujourd’hui Président du
Conseil de surveillance (voir le site wiseed.com)
WISEED s’est fait connaître du grand public lors de son offre, refusée
par le Ministère des Finances, de participer à l’acquisition de parts
détenues par l’Ètat dans le capital de l’aéroport de Toulouse Blagnac
lors de sa privatisation.