Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat...

37

Transcript of Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat...

Page 1: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,
Page 2: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,
Page 3: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,
Page 4: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,

Micheline Cuénin

Le duel sous l'Ancien Régime

Préface d'Yves-Marie Bercé

Presses de la Renaissance 198, boulevard Saint-Germain

75007 Paris

Page 5: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,

DANS LA MÊME COLLECTION :

Christine de Suède, un roi exceptionnel, par Bernard Quilliet.

Illustration de la couverture : d'après un dessin de Jacques Callot

Si vous souhaitez recevoir notre catalogue et être tenu régulièrement au courant de nos publications, envoyez vos nom et adresse en citant ce livre aux

Presses de la Renaissance 198, boulevard Saint-Germain 75007 Paris

© Presses de la Renaissance, 1982. ISBN 2-85616-252-5 60-3229-6

Page 6: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,
Page 7: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,
Page 8: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,

PRÉFACE

L'agressivité des jeunes gens, l'orgueil de leur force neuve, leur refus de la peur et les terribles exigences de l'amour-propre sont sans doute en grande partie intemporels. L'affrontement loyal recueille l'adhésion spontanée des petits garçons. Ils font aussitôt cercle, savent les règles du combat, l'obligation de ne pas intervenir et la complicité tacite contre les adultes. Ces luttes des cours d'école, des rues et des champs reproduisent la scène éternelle du duel.

A la fin du XVI siècle, cette violence naturelle s'est mariée durablement à un style de combat : l'escrime. Elle s'est ritualisée en un modèle de comportement, s'est imposée comme une mode et même comme un idéal social.

En ce temps-là, les guerres de religion avaient pendant plus de trente années dévasté la France. L'insécurité permanente et générale avait contraint tous et chacun à vivre sur le pied de guerre. Des troupes de paysans embâtonnées aux bourgeois, mousquetaires et piquiers, montés sur leurs remparts, le

Page 9: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,

royaume avait vécu sous les armes. Les gentilshommes de toutes les provinces avaient couru la campagne pour un parti ou pour un autre, toujours prêts à monter à cheval au signal de tel prince ou général auquel ils se rattachaient par une fidélité personnelle, familiale, territoriale ou religieuse. Enfin, les traités de paix de 1595 à 1598 avaient ramené la sécurité et la tranquillité, d'abord dans le royaume puis même aux frontiè- res. Le règne d'Henri IV et la minorité de Louis XIII furent vierges de tout engagement militaire étranger. On en vint à s'ennuyer de la guerre. Il n'y avait plus de gloire à gagner ni de butin à prendre. La belle jeunesse n'aurait plus eu pour exercice que les parties de chasse, les joutes et les courses à la bague pendant les jours de fête. L'opinion commune voulait que la guerre fût le meilleur apprentissage que pût faire un jeune noble. Il y apprenait le métier des armes, ses usages, ses techniques. Il s'y endurcissait le corps et se forgeait le caractère. Les politiques professaient que la guerre civile épuisait un royaume, mais que la guerre étrangère apportait aux violentes passions juvéniles un exutoire salutaire, un commode et glorieux instrument d'éducation virile. « J'entends notre jeune noblesse murmurer contre la paix, écrivait en 1606 l'auteur d'un Guide des courtisans, qui les empêche de mettre à jour ce qu'ils ont de bon en l'âme. Ils peuvent apaiser leurs ardeurs guerrières en se portant sous le congé du prince en quelque juste guerre hors de leur pays. » Le service de Venise contre les Turcs, celui des Hollandais contre les Espagnols, celui de l'Empereur ou du roi de Suède engagés sur les champs de bataille de l'Europe centrale offrirent ainsi des carrières à plus d'une aventureuse initiation. Le plus illustre de ces pèlerins militaires serait Descartes qui à vingt-deux ans s'en alla porter l'épée pour le compte des Hollandais puis des Bavarois. C'est à très juste titre que Micheline Cuénin

Page 10: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,

commence son enquête avec les édits d'Henri IV, alors que la nostalgie de la guerre enfiévrait les jeunes imaginations.

Ce moment fut aussi en France le grand âge de la noblesse. Tandis que la vénalité des offices et leur survivance entraient dans les mœurs et contribuaient à exclure les gentilshommes de l'exercice des charges royales, le sentiment d'une frustration politique s'insinuait dans la noblesse provinciale et lui commu- niquait une plus sensible et plus amère conscience sociale. Elle se complaisait dans le refus de l'acculturation juridique, de l'apaisement judiciaire lentement mis en œuvre par les institu- tions royales. Les guerres privées et les actes de justice individuelle furent pratiqués jusque dans les années 1670, au moins dans les provinces les plus éloignées des grands axes de communication. Le recours aux tribunaux royaux et aux procédures des juges professionnels n'était utile qu'aux faibles ; un homme d'honneur devait savoir se passer des armes de plume et de papier et préférer défendre son bon droit avec son épée. Non pas que l'on dût s'incliner devant la seule force brutale, mais qu'il fallût rechercher l'avis, la protection, l'arbitrage de ses pairs, plutôt que les arguties d'un cuistre en robe noire. En cas de querelle, les parties s'en remettaient souvent à la sagesse impartiale d'un grand personnage protecteur des familles en cause, à la prudence d'un tribunal solennel et informel formé de parents communs, à l'expérience de quelque voisin âgé et respecté. Eviter les voies ordinaires de la justice, c'était refuser la soumission aux décrets d'un robin et affirmer que l'honneur des gentilshommes était plus ancien, plus essentiel, plus sacré que toute la science chicanière et poussiéreuse des gens de plume.

L'appétit juvénile de vaillance et le prestige de l'indépen- dance nobiliaire s'exacerbaient alors même que les techniques du combat personnel connaissaient un développement original.

Page 11: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,

Le Moyen Age avait connu les lourdes épées à double tranchant qui frappaient de taille et se maniaient à deux mains. Elles n'étaient plus de mise depuis que les perfectionne- ments des armes à feu avaient éloigné les combattants. Dans le choc de la bataille, les cavaliers préféraient se servir des pistolets de leurs fontes, puis du sabre. L'épée, déchue de sa fonction militaire, était devenue un instrument de luxe et de parade, le symbole de la vocation guerrière, l'emblème du rang social imparti au guerrier. L'habileté et les recettes des forgerons, fourbisseurs, armuriers et orfèvres avaient mis au point des armes blanches plus légères et plus maniables. L'épée n'avait plus qu'un tranchant et frappait d'estoc, pour percer. L'épéiste la tenait bien en main ; il savait se camper, se garder, dévier pour parer les coups, diriger sa pointe, chercher le défaut, se fendre soudain en botte meurtrière.

Capable de mouvements, figures et coups particuliers, l'épée devient alors un exercice d'adresse, susceptible d'entraînement et de virtuosité. Des maîtres d'arme et même des traités techniques enseignaient ce nouvel art martial appelé escrime. Il fallait l'apprendre aux adolescents avec l'équitation et les armes à feu. Un vieux serviteur, un palefrenier fidèle, montrait au jeune noble à monter à cheval, tirer l'épée et manœuvrer le mousquet. Dans les grandes villes se fondèrent des manèges, sortes d'académies d'arts martiaux où les rejetons des plus illustres familles s'initièrent auprès des meilleurs maîtres. Les premiers établissements de ce type étaient venus d'Italie. En 1594, à Paris, s'était ouvert le manège de Pluvinel, appelé à un grand renom. Ainsi dans les premières décennies du XVII siècle, s'esquissait une éducation nobiliaire spécifique, accomplie dans ces manèges ou académies, sortes de séminaires de soldats, qui préfiguraient de loin les écoles militaires venues à peu près cent ans plus tard. Le duc de Bouillon fondait à

Page 12: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,

Sedan en 1606 une « académie des exercices », le prince de Nassau ouvrait à Siegen une école du cavalier (1617) et Wallenstein suscitait des établissements analogues dans les parties catholiques de l'Allemagne . L'institution des pages autour des grands personnages et, plus tard, les compagnies de cadets répondaient aux mêmes besoins. La formation de ces maisons renforçait le sentiment d'appartenance, la fierté singulière des groupes nobiliaires. Elle offrait un théâtre à la culture du point d'honneur, elle confirmait ses impératifs et donnait aux jeunes gens les moyens de s'y conformer. Des cours de l'académie et des jeux de paume jusqu'aux terrains vagues des alentours des remparts, les bretteurs en herbe ne man- quaient pas de lieux d'exercice.

Le combat en duel et spécialement la rencontre à l'épée aurait donc connu sa plus extraordinaire diffusion dans la conjonction de l'idéal nobiliaire, qui en France trouvait son apogée au terme des guerres religieuses, dans les frustrations d'un intermède de paix et dans l'apparition contemporaine d'une technique nouvelle, relativement facile, séduisante et prestigieuse de combat à l'arme blanche. Sous Henri IV et Louis XIII, loin d'être réservé aux seuls nobles de naissance, le duel s'étendait à un très vaste éventail social. Pierre de Boissat se désole en 1610 que « cette maladie s'est aussi mêlée parmi les plébées ». C'est que la noblesse était le modèle de comportement dont chacun aurait voulu par son apparence, son costume, ses manières, se rapprocher tant soit peu. Elle n'était pas, comme on le répète trop souvent en confondant les époques, un groupe social fermé comme une caste, mais un style de vie auquel aspiraient tous ceux qu'aiguillonnait une fortune

1. André CORVISIER, Armées et sociétés en Europe de 1494 à 1789, Paris, 1976, PUF, Coll. Sup. L'historien, 27.

Page 13: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,

en ascension ou une brûlante ambition insatisfaite, c'est-à-dire le marchand laboureur enrichi, comme l'aventurier picares- que. Il était encore possible, avant que l'autoritarisme louis- quatorzien vienne réglementer la société française, de s'inté- grer au corps de la noblesse par la tradition de plusieurs générations vivant du revenu de leurs terres, envoyant leurs fils aux armées et mariant honorablement leurs filles. La reconnaissance de la noblesse dépendait du consentement collectif et non pas, comme plus tard, de la seule sanction de textes étatiques. Il y avait encore place pour des agrégations réussies et des tentatives longues et patientes, des coups d'éclat insolents et de pures et simples usurpations.

Les apparences nobiliaires n'étaient pas trop difficiles à emprunter, un chapeau à plume vissé sur la tête, une épée au côté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera, là aussi, après les ordonnances de Louis XIV; un gros laboureur ou un bon compagnon pouvaient porter l'épée sans étonner et un marchand en voyage ne s'en serait pas séparé.

On voit donc tout le monde mettre la main à l'épée et les chroniques judiciaires ne sont pas avares de scènes de défi, de cliquetis de fer et de sang versé. Les sergents et huissiers chargés après de tels éclats de signifier les décrets de justice pris contre les duellistes devaient bien prendre garde d'échapper aux coups de bâtons et embuscades, sans préjudice des insultes et menaces de leur couper les oreilles. A l'origine des combats, on découvre de vieilles querelles de famille ou tout simplement une rivalité amoureuse, ou encore des préséances de cabaret. Deux anecdotes mettant en scène des duellistes roturiers serviront ici d'apologue. Soient deux marchands gascons prêts à se battre pour l'honneur de leurs gens. L'un d'eux a chassé de ses bois une vieille femme qui allait faire des fagots un jour de

Page 14: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,

novembre 1643. Il se trouve que cette pauvresse était une ancienne domestique de l'autre qui prend bruyamment sa défense. Il s'écrie en prenant soin de se faire entendre de nombreux témoins que l'offenseur et ses fils « allassent le trouver audit bois où ils les attendent, et qu'ils portassent chacun leur épée pour faire au premier touché et que, s'ils n'y venaient pas, lui et ses propres fils les assommeraient de coups de bâton ».

Voici encore un autre cartel jeté par un marchand angou- moisin à un officier de l'élection qu'il accuse de l'avoir taxé trop lourdement dans l'assiette des tailles. « Monsieur, je vous veux voir l'épée en la main et me mander le lieu par le porteur. Si vous ne voulez pas donner de rendez-vous, vous me manderez où vous serez demain et je vous attendrai sur le champ. Je crois que vous êtes trop honnête homme pour ne me vouloir satisfaire et puisque la principale chose du monde c'est l'honneur, ainsi je ne doute pas que vous n'ayez cette qualité- là, aussi me donnerez-vous jour, autrement gardez le bâton. Je suis, Monsieur, votre affectionné serviteur. »

Dans chaque historiette, la morale est simple. Le défi lancé opposait, implicitement mais clairement, les divers moyens de régler un différend. D'abord le recours à la justice et à ses solutions onéreuses et procédurières, longues et incertaines, était orgueilleusement refusé. Ensuite, il était affirmé que les hommes d'honneur savaient se reconnaître, qu'ils ne pouvaient régler leurs querelles qu'avec du sang. Celui qui aurait voulu éviter ce choix savait qu'il s'exposait au déshonneur, au mépris collectif, qu'il s'isolait dans la société et s'excluait de l'estime publique.

1. Procédures extraites des instructions criminelles des présidiaux de Lectoure (1643) et Angoulême (1652).

Page 15: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,

A vrai dire, la cruelle étiquette du duel n'a peut-être jamais été qu'un code de jeunesse dont les sanglants usages ne s'attardaient pas au-delà des emportements de vingt ans. Peut- être aussi la tolérance relative que montrent les textes recueillis par Micheline Cuénin participait-elle de l'indulgence que toute société réserve plus ou moins aux frasques et violences de ses jeunes gens. Les hésitations du prince confronté aux belles insolences de Rodrigue sont un autre champ de recherche. Si le prince reconnaît la valeur de Rodrigue, il risque d'ériger le duel en règle commune. En revanche, punir le Cid revient à encourager la lâcheté. Comme le notait plaisamment un mémorialiste anglais, il faudrait en bonne logique punir le duelliste non pas de mort puisqu'il ne la redoute pas, mais d'une peine infamante; et si, au contraire, on veut affirmer le code de l'honneur, il faut condamner à mort le lâche. Ainsi raisonnait Patrick Brydone rapportant en 1770 les étranges lois de Malte concernant le duel. « Malte est peut-être l'unique nation au monde où le duel est permis par la loi. Les institutions qui régissent l'île sont fondées sur les principes impétueux et romanesques de la chevalerie et ils ont toujours considéré comme impossible d'abolir le duel même si des restrictions ont été imposées afin d'en diminuer les risques. Elles sont assez curieuses ; les duellistes sont obligés de vider leur différend dans une rue particulière de la cité, et s'ils osaient se battre en quelque autre endroit, ils seraient passibles de toutes les rigueurs de la loi. Ils sont aussi obligés, ce qui n'est pas moins singulier mais beaucoup plus commode pour eux, de remettre l'épée au fourreau, sous peine des plus sévères punitions, si cet ordre vient à leur être donné par une femme,

Page 16: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,

par un prêtre ou par un chevalier. » Dans cet étonnant microcosme méditerranéen, l'honneur de l'Europe avait trouvé un refuge minuscule. La chevalerie cosmopolite de Malte était encore, avant l'assaut des soldats de Bonaparte, le foyer lointain et attardé des derniers compagnons de Rodrigue.

Yves-Marie BERCÉ

1. Patrick BRYDONE, A Tour through Sicily and Malta, dans Series of Letters to William Beckford..., Londres, 1773.

Page 17: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,
Page 18: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,

Dans la grande citadelle de Blaye, durant l'hiver 1636- 1637, un pauvre et vertueux gentilhomme, Philippe Fortin de la Hoguette, tentait de dissiper l'ennui. Commis par le gouverneur en titre de la place, le duc Claude de Saint- Simon, à la garde de cette lointaine forteresse provinciale, il avait déjà épuisé toutes les ressources d'une modeste bibliothèque : Montaigne, le Tasse, Cervantès... Aussi occupait-il ses loisirs à correspondre avec ses amis pari- siens, les savants frères Dupuy, et avec l'illustre Peiresc. Il réclame des nouvelles et des nouveautés. Ainsi lui arrive en main Le Cid de Pierre Corneille. C'est pour lui aussi, à simple lecture, le coup de foudre. Certes, Fortin avait pu voir jouer ou entendre vanter, depuis cinq ou six ans, bien d'autres tragi-comédies où figuraient un duel, voire deux, mais c'était autre chose ! Sans plus attendre, il recrute des comédiens amateurs et choisit pour lui-même le rôle de Don Diègue, en rapport avec son âge (il a cinquante-deux

Page 19: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,

ans). Séduit par « cette tissure miraculeuse », le voilà, écrit-il candidement aux frères Dupuy, « étudiant pour être bateleur » (lettre du 18 février 1637). « Vous vous moquerez tous de moi... Grand bien vous fasse! » (8 avril). Pour modérer son enthousiasme, on lui adresse les libelles accusateurs, dont les Observations de Scudéry. Mais Fortin tient tête aux spécialistes : « Pour moi, je confesse n'avoir jamais vu une plus vive image des vrais sentiments de l'honneur et de l'amour, qui sont les deux mobiles de toutes les plus grandes actions des hommes. Ce n'en est pas l'image seulement, c'en est l'âme. Si je m'abuse, je suis impénitent, et trouve mieux mon compte d'errer avec le peuple et le badaud que d'être des raffineurs » (12 mai).

Le 7 juin, il persiste encore dans son « hérésie » et, méprisant Scudéry, déclare : « J'aime mieux être de l'opinion de MM. les ministres, de la cour et de plusieurs bons bourgeois que de la sienne. »

Le Cid sera joué trois fois au Louvre en 1637, ce qui est beaucoup pour Louis XIII, peu amateur de théâtre ; il sera patronné par la duchesse d'Aiguillon (c'est tout dire) et, entre autres distinctions, choisi comme spectacle de soirée le 22 février 1654, pour le mariage du prince de Conti, alors même que ce dernier, on le verra, s'active, à la demande du jeune Louis XIV, à faire la chasse aux duellistes.

A la même date, presque jour pour jour, le duc de Montausier, sur le front de la Valteline, tuait en duel l'un de ses meilleurs amis, et mettait en peine, par ses blessures et son silence, l'hôtel de Rambouillet tout entier. Enfin il se trouve hors de péril, et reçoit de Chapelain le message suivant, daté du 10 décembre 1636 :

Page 20: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,

« Monsieur, « Nous avons enfin appris la cause de votre silence,

et de n'avoir point de vos nouvelles depuis longtemps. Quelque gloire que cette action ajoute à votre vie, quelque honneur que vous cause le sang que vous avez répandu, il est impossible néanmoins que la perte de votre ami ne vous touche et que vous n'aimassiez mieux avoir moins de réputation et l'avoir encore vivant. Mais comme ces malheurs sont inévitables dans votre condition (...), je ne fais point de difficulté que, dans toute l'affaire, votre cœur, comme votre justice et votre prudence, n'ait paru aux yeux de toute l'armée. Nous sommes ici pour en parler avec soin... Cependant guérissez-vous et vous remettez en état de venger aussi bien les querelles de la France que les vôtres particulières, et n'oubliez rien de ce que l'honneur vous peut permettre pour vous conserver à vos amis. »

Ainsi la fatalité malheureuse, propre à la condition de gentilhomme, triomphait-elle au théâtre comme dans la vie. Pour tenter de la briser, les rois Bourbons, la République elle-même, engageront leur autorité pendant quatre siècles.

Page 21: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,
Page 22: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,

CHAPITRE I

L'épée et la loi

Sauf pour suppléer à une effusion de sang généralisée — ce fut le cas lors du combat des Horaces et des Curiaces —, le duel était inconnu des Anciens, qui ne pratiquaient donc que le « combat singulier », entre champions désignés. A en croire les nombreux historiens du duel qui se succéde- ront du XVI au XIX siècle, ce sont les « barbares », Germains, Lombards et Francs, qui introduisirent le duel dit judiciaire au sein d'un même groupe social. Il s'agissait d'une procédure criminelle, instituée aux fins de découvrir la vérité : on tenait alors pour certain que, Dieu ne pouvant laisser punir l'innocent, il fallait tenter par les armes de lui faire révéler ce qu'il était le seul à savoir. La coutume plaisait trop pour ne pas avoir connu, au Moyen Age, une dangereuse extension. Interdite par Louis IX, elle dut être rétablie par Philippe le Bel, sous la pression des mœurs, mais l'ordonnance qu'il promulgua en 1306, et qui ne fut abrogée que par Louis XIII, en restreignit

Page 23: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,

très précisément l'usage. La décision par les armes ne pouvait intervenir entre deux combattants (deux seule- ment, car on eût autrement ressuscité les guerres privées) que dans un crime « capital », c'est-à-dire dont la peine était la mort : blasphème, meurtre, inceste, sodomie. Il fallait en outre que l'affaire fût de notoriété publique et qu'on ne pût produire aucun témoignage, pas même les dires de l'accusé. Quant aux injures verbales et effectives, aux démentis qui s'ensuivaient ordinairement, tous conflits qui seront plus tard affaires d'honneur, ils se réglaient par plainte en diffamation devant les Parlements.

Mais, à la même époque, il en allait tout autrement en Italie. L'usage, officialisé par nombre de juristes, était de considérer l'insulte comme un crime capital et qui, de plus, ne pouvait être réparé par les juges. En dépit des interdictions civiles et religieuses, mentionnées pour le principe, les duels naissaient pour des motifs arbitraires. Qui plus est, on y conviait ses amis en renfort, et l'on poussait l'élégance jusqu'à rejeter toute arme défensive, jusqu'à se présenter en chemise pour mieux faire fi de toute protection.

Les guerres d'Italie firent découvrir ces coutumes aux gentilshommes français, séduits par tant de folle vaillance. L'engouement atteignit François I lui-même, qui parfois accorda le champ clos, au moins en Italie, pour motif d'honneur. Certes, il n'avait pas donné suite au cartel de Charles Quint qui l'accusait, après la signature du traité de Madrid, de bris de foi jurée, mais il avait hautement répondu qu'il « défendrait son honneur jusqu'au bout de la vie ». A la fin de sa vie toutefois, le roi chevalier opta pour la prudence. Il rejeta la demande de La Châtaigneraie qui désirait combattre contre Jarnac, lequel avait répandu

Page 24: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,

à son endroit l'accusation d'inceste : les juristes du conseil appliquèrent strictement l'ordonnance de 1306, et ne virent pas dans l'affaire toutes les conditions requises pour l'autorisation. Mais, moins de quatre mois après la mort de son père, Henri II se laissa convaincre. Le combat eut lieu le 10 juillet 1547.

L'on sait pourquoi ce duel autorisé, avec un cérémonial qui ne dura pas moins de six heures, fut le dernier du genre : non seulement il vit la mort de La Châtaigneraie, qui rendit l'âme de langueur et de honte après le fameux coup de Jarnac, mais le roi se sentit responsable de la disparition de son favori. Les fils d'Henri II s'en tinrent d'autant plus solidement à cette interdiction que le concile de Trente, dans l'une de ses premières sessions, venait d'excommunier non seulement les duellistes, mais les princes qui autorisaient ou toléraient le duel dans leurs Etats. Désormais, et jusqu'à nos jours, le duel devenait un acte clandestin.

Pour tenter de l'endiguer, une ordonnance de Charles IX, inspirée par la reine Catherine, créa en 1566 une juridiction du point d'honneur, confiée au connétable et aux maréchaux de France. Pendant ce temps, les Italiens et les Espagnols raffinaient sur le code d'Alciat et publiaient maints traités qui, telle une casuistique civile, tentaient de prévoir tous les types d'insultes, avec les remèdes et réparations appropriés. Les docteurs anglais cherchaient avant tout, pour leur part, à trouver le moyen d'éviter toute offense, et la reine Elisabeth ne montrera pas, sur ce point, l'indécision de ses cousins français.

Il est vrai que ceux-ci verront leur autorité ébranlée par vingt années de guerres civiles, qui accroîtront la turbu- lence de la noblesse et son goût de l'autodétermination.

Page 25: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,

Aussi, l'une des tâches les plus urgentes qui se posèrent à Henri IV, une fois le royaume reconquis, fut de reprendre l'effort des Valois. La doctrine royale avait été fort clairement énoncée dans la grande ordonnance de Blois de 1576 : Henri III y déclarait les duellistes coupables de lèse- majesté, comme usurpant le droit de justice dévolu par Dieu même au seul monarque. Mais le même roi ne poursuivit pas les duels clandestins, et laissa faire ses chers « mignons », Quélus et Saint-Mégrin, qui périrent en un combat à six. C'est seulement après leur mort qu'il punira de la peine capitale les duellistes et leurs seconds.

Pour sortir d'une situation aussi anarchique, il eût fallu négocier dans un climat de sérénité et de bonne foi, approfondir la notion d'honneur. Mais le Bourbon ne cesse d'être en butte aux complots de la noblesse ligueuse : après force pardons, il devra faire exécuter Biron, et la même année donner des gages à l'Eglise en ouvrant le royaume au concile de Trente : autant de raisons qui motiveront l'édit de 1602, rappelant les dispositions de l'ordonnance de Blois de 1576, tandis que le Parlement de Paris avait déjà pris l'initiative de la répression par son règlement du 26 juin 1599. Ce dernier, dans le droit fil de sa vocation, rappelait dans le préambule l'argument juridi- que fondamental selon lequel se faire justice soi-même usurpait le droit du souverain. Mais cette théorie butait contre une situation de fait qui inclinait le second ordre à opposer au prince une révolte qu'elle estimait justifiée par la misère où l'avait conduite « la licence des guerres tant civiles qu'étrangères ». Sur cette époque qui s'étend entre 1602 et le futur édit de 1609, le témoignage de Jean de la Taille vaut d'être cité.

Né en 1540 d'une famille noble du Gâtinais et disposé à

Page 26: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,

devenir juriste, il rencontre Ronsard à Paris, et celui-ci fait de lui un poète. Dans les répits des guerres civiles, où il sert fidèlement les Condés car il est huguenot, il se consacre à la poésie, comme théoricien et comme drama- turge : à l'exemple de beaucoup de réformés, il cultive la tragédie biblique, nourrie d'allusions contemporaines, et son Saül, de 1572, fut un succès. Lorsqu'il publie en 1607 son Discours notable des duels, c'est un vieil homme accablé d'épreuves, qui mourra dans la misère l'année suivante. Il ne poursuit aucune polémique, il compose mal : il veut seulement que son témoignage soit entendu. Aussi l'adresse-t-il au prince de Condé, dont il sait l'audience auprès du roi : le prince vient précisément d'obtenir la grâce du fils de ce vieux serviteur, après un duel qui avait coûté la vie à l'adversaire. Ce geste de clémence aurait pu faire garder le silence au vieux poète : c'est le contraire qui se produisit. Dans un parfait respect des principes qu'il rappelle en préface, Jean de la Taille s'acharne à montrer que la grâce est une fausse solution. Il faut à tout prix aller au fond de la question, afin d'extirper un mal pure « invention du Diable ».

Par ce discours, il n'entend pas déroger à l'honneur ; il ne veut même pas « empêcher ces combats légitimes quand il y va du point d'honneur » : il s'agit là de « duels bien compassés », comme fut celui de son fils. Ce qu'il stigmatise, c'est la minceur des motifs. « Aujourd'hui, on n'y regarde pas de si près. Sitôt qu'on est appelé, il faut, à quelque prix que ce soit, se battre, soit à tort, soit à droit. »

Et les effets sont effroyables. Ce qui a remis la plume à la main de ce vieillard, ce sont, entre autres récits terrifiants, deux tragédies familiales catastrophiques : ses

Page 27: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,

deux cousins, César et Scipion de Langonge, appelés par un adversaire, sont en fait froidement assassinés par une escouade de cavaliers venus en prétendus « parrains » ; de plus, son futur gendre vient d'être tué, en duel aussi, par le fils de Jean, son presque beau-frère. Certes, on a vu que le survivant avait bénéficié de la grâce royale ; mais il est certain que le cas échéant, le coupable récidiverait.

A quel point la grâce est une fausse solution, en voici la preuve. Elle coûte d'abord une fortune, si bien que c'est appauvrir une noblesse exsangue que de l'octroyer. Certes, le roi la donne en principe gratuitement mais « pour (la) faire sceller, entériner, combien il en coûte, chacun le ressent assez ! » Et Jean de la Taille de faire un calcul. Comme « on tient avoir été rapporté au roi que le registre des grâces se monte à sept mille, étant à présumer que la plupart ont été données par sadite Majesté depuis seule- ment que les duels sont défendus par ses édits depuis la paix », cette défense des duels a enrichi la justice « de deux ou trois millions d'or ». Et la grâce n'éteint pas les poursuites : elle ne fait que protéger le coupable contre la peine de mort.

Si le duel n'entraîne pas de décès, s'il y a blessure, dommage grave seulement, on expose aux frais de la justice un homme « demi-mort ou bien blessé, pour achever de le ruiner de biens », comme ce fut sans doute le cas pour le fils de notre auteur. Cette ruine matérielle consume la noblesse autant que les duels et, surcroît de misères, au profit des robins qui s'enrichissent de ses dépouilles. Comble d'infortune, cette ruine achève de la faire mépriser ! Mieux vaut la mort qu'une telle déchéance ! Voilà pourquoi les nobles, jouant le tout pour le tout, optent pour le duel sans merci.

Page 28: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,

La solution ? C'est de rétablir le combat en champ clos. Henri II a eu bien tort de s'en remettre à l'avis des théologiens : ces bonnes gens ne considéraient pas la conséquence de leur avis. Et Jean de la Taille de réhabili- ter le jugement de Dieu, même dans son principe, en évoquant des combats sous Charles V, Louis XII, où le roi autorisa la lutte d'un homme et d'un chien dont les abois dénonçaient le meurtrier de son maître !

Comment Jean de la Taille ne se serait-il pas souvenu de ses vingt ans? C'était en 1560, lors de la conjuration d'Amboise : il était gentilhomme du prince Louis I de Condé. Soupçonné d'être complice des vaincus, le prince, mû par un réflexe de chevalier, offre un combat individuel à qui oserait l'accuser en face. Un tel homme se présente aussitôt, et c'est François de Guise. La reine empêcha les suites du défi. Mais il vaut la peine de noter que ce dernier se situait dans la pure tradition, non éteinte, des temps anciens, où ces combats avaient valeur de preuve et d'épreuve. Le défi incluait, on le savait bien, le risque de mort, mais précisément : une opinion soutenue au prix de la vie forçait le respect et l'admiration, sans parler même du prestige de la seule vaillance; le défi faisait partie intégrante, si l'on ose dire, du code génétique de la noblesse de haut lignage, et l'on attendait d'elle cette « monstre » de grandeur. D'ailleurs, ajoute Jean de la Taille, ces combats solennels ont souvent sur le coupable un effet dissuasif, doublement bénéfique : souvent, il n'ose se montrer et déclare forfait.

Le roi peut-il par conséquent se refuser à une mesure qui donne du lustre à son autorité absolue de maître du champ clos, alors que cette autorité est en fait bafouée par la désobéissance massive à ses édits, et la noblesse pour sa

Page 29: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,

part peut-elle contester la validité de l'honneur « rendu » au vainqueur, devant la foule assemblée à cet effet ? La péroraison pathétique de cet appel si éloigné de la rhé- torique en usage attendait tout de la « miséricorde » royale.

Cette opinion d'un huguenot n'est pas isolée. D'autres voix, en ces années qui marquent le début du XVII siècle, idéalisaient déjà les combats du siècle précédent, qui commençaient à devenir légendaires. En 1603, le ligueur Scipion Dupleix entreprenait une histoire des guerres civiles, mais avait d'abord couché par écrit Les lois militaires touchant le duel (1603). On notera qu'il emploie le terme lois, et non règles, ce qui est déjà tout un pro- gramme. Le Discours sur les duels de Brantôme ne sortira des presses hollandaises qu'en 1722, mais son contenu correspond à des conversations tenues sous Henri IV.

Le fond de la question est d'avance tranché ; la légiti- mité, voire la légalité du duel, n'est pas contestable : il n'est que de mettre au net les procédés. L'exemple de Bayard, idéal absolu, dont, comme Jean de la Taille, Brantôme avait entendu parler les compagnons, et que le Loyal Serviteur venait de faire revivre en un savoureux langage, était en soi démonstratif. Quant aux défenses religieuses, il apparaît clairement, à lire Brantôme, qu'elles sont bonnes pour les Espagnols et les Italiens, papimanes renommés ; le Français gallican fait fi du concile de Trente, au demeurant non reçu en France pour ce qui touche la discipline, singulièrement à cause de l'article sur les duels, qui « entreprenait hautement sur la puissance et autorité de tous les rois », écrit Guillaume Ribier.

Dans un premier temps, pour donner des gages de fidélité catholique, mais aussi par sensibilité, le roi Henri

Page 30: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,

avait, après l'arrêt du Parlement de Paris de juin 1599 qui lui forçait la main, rappelé en 1602 les peines édictées par ses prédécesseurs; mais l'ordonnance, dans son préam- bule, se justifiait de cette sévérité en faisant valoir « les plaintes des pères qui craignent que la témérité de jeunesse précipite leurs enfants à de mauvais conseils et com- bats », comme si le roi cherchait des excuses, et voulait décharger sa responsabilité. Aussi les maréchaux et connétables avaient-ils été à nouveau et solennellement investis de tout pouvoir « pour défendre le combat, ouïr les parties en public et ordonner par jugement souverain sur la réparation de l'injure ». Mais la noblesse pouvait- elle entrer dans les vues du monarque qui écartait le noble combat au profit d'un « plaid », avilissant par nature, fût- ce devant des juges militaires ? Bien au contraire, on cultivait les souvenirs historiques, et on s'enchantait d'images littéraires. L'extraordinaire succès des Amadis, ces romans de chevalerie, dans leurs versions espagnole, italienne et française, adaptées aux mentalités de chaque nation, entretenait la nostalgie du champ clos. Un autre grand succès, L'Astrée, dont le premier volume parut en 1607, persistait à voir dans le vieux duel judiciaire une méthode de saine police. L'auteur, Honoré d'Urfé, fils de Claude d'Urfé, gouverneur des enfants de France fils d'Henri II, et frère du marquis d'Urfé qui fera entendre si haut la voix de la noblesse aux états généraux de 1614, y représente la reine Amasis qui, à l'instar d'Henri IV, se propose d'interdire le duel dans ses Etats. Elle se voit aussitôt rétorquer par son entourage qu'il faut maintenir « cette juste façon d'éclaircir les actions secrètes des méchants », sans quoi la « licencieuse méchanceté (...) ne

Page 31: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,

se soucierait de mal faire, pourvu que ce fût secrètement ». Cette politique s'étend depuis longtemps à l'honneur individuel.

Comment changer si brusquement de manière, de conviction, et croire que la réparation de l'honneur pût s'obtenir non en sortant victorieux d'un combat, mais en refusant de s'y rendre ? C'est en vain que le roi, dans l'édit de 1602, déclare « prendre sur lui l'honneur » de ses sujets. Il y a longtemps qu'il n'en est plus maître, et il le sait bien : le point d'honneur ne peut faire l'objet d'aucune délégation.

Pour peu qu'il existe entre eux et lui des liens person- nels, et c'est souvent le cas, Henri laisse faire des bretteurs insensés comme Damien de Montluc, sieur de Balagny, qui collectionne les victimes et, partant, les succès fémi- nins. Que ce soit clémence ou reconnaissance, il ne peut sévir. Il y a plus. Proche de la noblesse qui lui avait conquis un royaume et dont il avait partagé l'âpre héroïsme dans la familiarité des camps, Henri IV était sensible à ses traditions vivantes. Aussi l'édit de Fontaine- bleau de juin 1609, après les exhortations et défenses de rigueur, rétablissait-il le duel autorisé, à l'article 5 :

« Constatant que la proscription du duel n'avait abouti qu'à multiplier les désordres et meurtres, nous avons jugé nécessaire, pour obvier à plus grands et périlleux acci- dents, de permettre à toute personne qui s'estimera offensée par une autre en son honneur et réputation de s'en plaindre à nous ou à nos très-chers et aimés cousins les connétables et maréchaux de France nous demander ou à eux le combat, lequel leur sera par nous accordé, selon que nous jugerons qu'il sera nécessaire pour leur honneur. »

Ainsi était exaucé le vœu de Jean de la Taille, mais il

Page 32: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,

était mort avant de connaître cette joie. Du moins un espoir se levait-il. Une rencontre était possible entre le roi et sa noblesse, dès lors que le premier, passant outre aux interdictions conciliaires, réservait la possibilité de mainte- nir, en l'adaptant aux circonstances, un usage séculaire valorisé à chaque génération. Peut-être la question eût-elle pris un autre visage si le couteau de Ravaillac, quelques mois plus tard, n'avait tout remis en cause.

Mais une bonne partie des duels ne pouvait être soumise à autorisation : tous ceux qui touchaient la vie passionnelle et l'amour des dames. Le roi lui-même donnait l'exemple des folles ardeurs et il est certain que sa seule qualité le mettait à l'abri des représailles. Comment n'aurait-il pas été indulgent pour des combats eux aussi recommandés par le roman de L'Astrée, qui servit de code de valeurs pour plus d'un siècle ?

On y plaint la mort héroïque de Damon, soutenant à la pointe de l'épée la vertu de sa maîtresse Madonte, qu'il croit cependant ignominieusement infidèle. Ce n'est pas le geste assurément qu'on déplore, mais les traîtrises de la Fortune. Car Damon n'a fait qu'obéir aux commande- ments des Lois d'amour, Douze tables aussi sacrées que les Douze tables du droit romain, et que le druide Adamas a fait graver au Temple d'Astrée. Là viennent chercher la vérité tous les couples en inquiétude. La Sixième table, qui s'adresse au parfait amant, lui fait obligation de ne point souffrir « la honte de la chose aimée », mais de « mourir, ou de la venger tout aussitôt ». Le précepte ne fut que trop suivi.

Page 33: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,
Page 34: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,

CHAPITRE II

L'occasion manquée

Dans un tel climat, il n'est pas malaisé de comprendre que nombre de gentilshommes se déclarent incommodés par la sévérité des mesures répressives qui figurent toujours dans le nouvel édit. D'autres en revanche mettent l'accent sur ce que ce dernier présente de constructif et de salutairement traditionnel : l'autorisation du champ pour motif d'honneur. Parmi eux, un très grand seigneur, le marquis, futur maréchal de Créqui, qui venait d'être nommé gouverneur du Dauphiné en remplacement du duc de Lesdiguières. Il patronna un ouvrage intitulé Recher- ches sur les duels, dû à l'un de ses officiers subalternes, mais de bonne formation juridique, Pierre de Boissat. L'ou- vrage, qui fut imprimé à Lyon en 1610, peu de temps avant la mort du roi, connut une large diffusion. Et pour cause : fort de la caution royale, P. de Boissat s'attachait à montrer l'absurdité du duel clandestin : perversion des anciens usages, délire pathologique venu d'Italie et qui

Page 35: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,

atteint même les enfants sortant de l'école, il ne peut recueillir comme adeptes que des irresponsables. Solliciter des seconds est de même fondamentalement contraire à la nature de l'acte, puisqu'il s'agit d'y assumer son identité et son image.

On sent que, dans l'esprit de Boissat et de son protec- teur, la personnalité du souverain régnant pèse lourd. Sur lui repose de connaître « de l'intérêt et de l'honneur de chacun ». Lui seul, homme de sang-froid, de force, de vaillance et de clémence saura discerner les situations qui mériteront d'être confiées au sort des armes ; lui seul saura faire accepter « une satisfaction raisonnable ». Car dans un climat encore si passionné, la guerre civile à peine éteinte, force était de valoriser à l'extrême la personne d'Henri le Grand, naguère encore l'ennemi pour beaucoup, et dont personne ne pouvait alors prévoir la fin imminente. Tâche d'autant plus salutaire que les longs désordres avaient engendré une sorte d'anarchie nobiliaire, de brigandage non réprimé, où l'initiative individuelle régnait insolem- ment, comme aux plus sombres temps de la féodalité.

Les femmes aussi se montraient fascinées par le jeu de l'épée et s'identifiaient aux gentilshommes. Un demi-siècle plus tard, Tallemant des Réaux, J.-A. de Thou, les Mémoires de Sully rapporteront avec une admiration à peine dissimulée les exploits et la mort de M de Chateaugay : « ... galante et belle, elle allait d'ordinaire à cheval avec de grosses bottes, la jupe retroussée, et un chapeau avec un bord et des rayons de fer et des plumes par-dessus, l'épée au côté et les pistolets à l'arçon de la selle. »

Après avoir été aimée, une fois veuve, par le duc d'Angoulême, fils de Charles IX, elle s'était attachée à

Page 36: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,

Le duel? Le mot évoque irrésistiblement l'univers de Dumas et de Paul Féval. Pourtant, ce livre nous en- traîne bien au-delà des images que les fictions des ro- manciers nous ont imposées. Sous l'Ancien Régime, en effet, le duel est une pratique courante. Pour un rien — un mot déplacé, une rivalité galante, une question de préséance, une querelle de cabaret —, on « appelle » l'offenseur, on entraîne parents et amis, et l'on se retrouve au petit matin, ferraillant à deux, quatre ou huit, jusqu'à ce que mort s'ensuive. Les édits contre cet usage barbare (les morts se comptent par milliers tous les ans) se multiplieront sans parvenir à le déraciner. La loi privée du sang se maintient obstinément contre la volonté du prince. Cette religion du « point d'honneur », et surtout le mépris de l'existence qu'elle suppose, nous offrent la matière d'une passionnante étude de mentalités. A partir des sources les plus sûres et les plus diverses (mémoires, correspondances, textes littéraires et juri- diques), Micheline Cuénin retrace les moments forts de ce conflit qui mit aux prises, plusieurs siècles durant, l'autorité monarchique et le « sacrement de l'assassi- nat », le politique et le romanesque...

Micheline Cuénin est maître-assistante à l'Université de Paris III. Spé- cialiste du XVI et du XVII siècles, elle est l'auteur d'un important ouvrage sur Roman et société sous LouisXI V (Champion, 1979), ainsi que de plu- sieurs éditions de textes aux éditions Droz.

Page 37: Le duel sous l'Ancien Régime - Numilogcôté et des bottes de cavalier constituaient un apparat suffisant. Le port d'arme n'était nullement interdit et contrôlé, comme il le sera,

Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement

sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire qui a servi à la numérisation.

Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

*

La société FeniXX diffuse cette édition numérique en accord avec l’éditeur du livre original, qui dispose d’une licence exclusive confiée par la Sofia ‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒

dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.