LE DRAME

DU

JUTLAND

DU MEME AUTEUR :

La Bataille de Jutland, vue du « Derflinger » par G. V. HASE (traduit de l'allemand). — Payot, éditeur.

La Crise mondiale (tome I) par W. CHUR- CHIL (traduit de l'anglais). — Payot, éditeur.

EDMOND DELAGE

LE D R A M E DU

J U T L A N D AVEC CARTES ET PLANS

PARIS

BERNARD GRASSET

61, rue des Saints-Pères, 61

Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation. réservés pour tous pays y compris la Russie.

Copyright by BERNARD GRASSET (1929).

AUX MARINS

A MES CINQ FILS

LE DÉPLOIEMENT

LA GRANDE FLOTTE

La bataille de Julland — ou, comme

les Allemands l'appellent, du Skagerrak, — est un des grands drames de la guerre de 1914. Il ne dura que quelques heures, mais par la valeur de l'enjeu, il égale la Marne, Verdun.

Qui s'en doute?

Si les Allemands avaient triomphé, nous étions tous perdus. Sans la maîtrise de la mer, jamais l'Entente n'aurait vaincu.

C'est le duel, gigantesque, des deux plus puissantes flottes d'Europe, l'an- glaise et l'allemande.

Nous avons tenté de l'évoquer, sans

passion, souvent avec admiration, par- fois avec pitié:

Tous ces marins luttèrent héroïque- ment, loyalement et, déjà, appartien- nent à l'histoire impartiale.

I

LES PRELUDES

Le 31 mai 1916, deux peuples s'af- frontent sur mer. L'un règne sur les océans. Ses marins ont dans le sang des siècles de navigation et de combats. La trame de son histoire est tissée de cam-

pagnes et de victoires navales. Le plus grand amiral de tous les temps le do- mine : Nelson, véritable vainqueur de Napoléon.

L'autre reste, jusqu'à la fin du siècle dernier, un peuple de terriens. C'est par l'infanterie prussienne que triomphent Frédéric II et Moltke.

Bismarck n'a jamais eu le sens de la

mer. C'est au fond un hobereau. Il ne

regarde pas au-delà des Vosges et des Balkans. Colonies et océans, il les aban- donne volontiers à ses ennemis. Il les offre à la France, en dérivatif à ses ran- cœurs.

Guillaume II pourrait être surnommé le marin. Il ne comprend pas que sa mégalomanie navale va fatalement l'en- traîner à la guerre avec l'Angleterre. Mais avec un instinct assez sûr, il dit à son peuple : « Notre avenir est sur l'eau. »

Il sait découvrir Tirpitz : puissante personnalité, en qui se mêlent bien les défauts et les vertus du Prussien : le

labeur obstiné, le sens pratique, le man- que de tact et d'esprit politique.

Tirpitz s'est imaginé, sans doute de bonne foi, que sa flotte est un instru- ment de paix, que l'Angleterre reculera devant le risque que représente pour

elle cette marine de parvenus, qu'elle partagera le royaume de la mer. Il est un des aveugles qui déchaînent le cata- clysme.

Guillaume II, impérial touche-à-tout, adore parader en amiral, jouer au chef d'escadres, à l'ingénieur naval. Il a, du moins, le mérite de conserver Tirpitz. De 1891 à 1916, celui-ci reste Chef d'Etat - Major général et Secrétaire d'Etat. Combien notre République a- t-elle usé de ministres de la marine en ces vingt-cinq ans?

Ce quart de siècle suffit à Tirpitz pour créer le personnel et le matériel qui s'opposeront à ceux de la première marine du monde. Il prépare minu- tieusement les deux grandes lois navales, de 1898 et 1900, travaille l'opinion alle- mande comme une pâte molle, arrache les crédits au Reichstag. L'îlot d'Héligo- land est transformé en un formidable

bastion. La Baltique est reliée à la mer du Nord par le canal de Kiel ; il est élargi à prix d'or, à la veille de la guerre, pour laisser passer les plus grands bâ- timents.

Le corps des officiers de marine est une arme d'élite. Les jeunes nobles portent la redingote bleue des lieute- nants de la garde, ou le petit poignard des aspirants. Les matelots sont recru- tés dans toutes les parties de l'Alle- magne, dressés à la rude école du sous- officier prussien. Ce personnel est de premier ordre. Il se battra avec cou- rage, science, initiative.

Les bateaux sont excellents. Que de reproches, en Allemagne même, n'a- t-on pas adressés à Tirpitz ! Avec un entêtement de Teuton, il va droit son chemin. Il se défie des mirifiques inven- tions de son maître; il laisse l'étranger se livrer à de coûteuses expériences.

Quand il est bien sûr de son fait, il construit en séries. D'un chaos, d'une flotte d'échantillons, il fait une marine homogène. Ses navires sont robustes, bien protégés, bien cloisonnés. La plu- part sont rentrés au port, criblés de coups, mais vivants.

Tout, dans la marine allemande, est jeune, sans passé.

L'anglaise est ancienne, glorieuse; des rites régnent à l'Amirauté, arche sainte. Elle a la puissance et le formalisme des institutions vénérables. Les Nobles Lords siègent dans la même pièce d'où partaient, jadis, les ordres à Nelson.

La marine est la chose du peuple britannique. Pour elle il se saigne aux quatre veines. Il la veut forte et belle. Ses matelots sont les mieux nourris du monde, ses officiers des gentlemen, sportifs, pas trop savants. Le demi-

succès du Jutland sera, pour toute

l'Angleterre, comme l'écroulement d'un beau rêve; elle doutera presque d'elle- même.

Dans le temps que Tirpitz est l'or- ganisateur de la flotte allemande, Fisher est le roi de l'anglaise. Il entre à l'Ami- rauté la même année que son émule est nommé Chef d'Etat-Major général de la marine allemande. Il occupe succes- sivement tous les grands postes. Il est l'ami, le confident d'Edouard VII, l'ido- le du peuple, le maître sans rival de la stratégie et de la technique navale bri- tanniques.

Tirpitz est méthodique, Fisher érup- tif. Il porte la hache dans le vieil orga- nisme, se vante de mettre « à la fer- raille » bateaux et amiraux. Il prévoit la guerre, concentre toute la flotte dans le nord, pour qu'elle frappe vite et fort. Il crée le dreadnought — grand bâtiment cuirassé à gros canons d'un même cali-

bre. — Il rêve d'un navire idéal tout puissant. Depuis longtemps, il pressent le rôle du sous-marin, de l'avion, du pé- trole-roi, vainqueur du charbon. Il est le père des croiseurs de bataille : la cavalerie de la flotte, rapide, mais pres- que sans protection. A la retraite depuis quatre ans, il est rappelé dès la décla- ration de guerre, malgré son grand âge, à la tête de l'Amirauté. Il règle d'abord le compte de von Spee aux Falkland.

Le Julland est une manière de duel Tirpitz-Fisher.

Il n'a lieu qu'après vingt-deux mois d'hostilités. Il aurait fort bien pu ne jamais survenir... Au début des opéra- tions, aucune des deux flottes ne prend la mer. Le Kaiser, qui n'avait aucun pouvoir réel sur la direction de l'armée, s'était réservé la conduite des escadres — malgré Tirpitz, qui eût voulu les commander. Celui-ci suit

l'Empereur à son quartier-général, à Coblence, à Charleville. Il se ronge dans l'inaction. Il s'use dans une lutte vaine contre le cabinet naval et le Chan- celier Bethmann-Holweg. Tirpitz de- mande qu'on lance la flotte de Haute- Mer contre la Grande Flotte anglaise. L'Empereur refuse. Il conseille à ses marins « une calme patience, une ré- serve prudente, en face de forces supé- rieures ». Puis, malgré les grognements impuissants de Tirpitz, il leur impose l'Ordre d'Opérations en Mer du Nord qui interdit toute grande offensive. Il faut « aboutir à l'équilibre des forces par des attaques partielles... et, seule- ment ensuite engager le combat dans des circonstances favorables ».

Tiraillé entre Tirpitz et l'Empereur, le Haut-Commandement naval a com- mencé par organiser solidement le ré- duit de la Baie Allemande, où la Flotte

va rester à l'ancre pendant toute la guerre, dans l'estuaire de la Jade, près du grand arsenal de Wilhelmshaven. On sait que l'île d'Héligoland, aban- donnée à l'Allemagne par l'imprévoyan- ce anglaise, à la fin du siècle dernier, avait été, dès le temps de paix, creusée comme par des termites, bétonnée, bar- dée de canons. Elle devient le centre

d'un immense camp retranché — le fa- meux « triangle humide » — dont les rivages allemands forment les côtés.

Les ports, les estuaires, sont mis à l'abri de toute attaque anglaise. Der- rière des barrages de mines, les pa- trouilleurs, les divisions de croiseurs légers, les escadres cuirassées tendent

un réseau serré, infranchissable aux bâtiments de surface et aux submersi- bles ennemis.

Ceux-ci n'ont joué aucun rôle dans la guerre d'escadres.

Cependant, le péril sous-marin hante sans cesse l'esprit des stratèges navals des deux partis. Dans la terreur de l'invisible adversaire, les flottes restent à l'affût, tapies dans leurs bases.

Elles ressemblent à d'immenses arai-

gnées, au centre de leurs trames de mines, de filets, dont elles sont comme

prisonnières. L'appareillage du moin- dre bateau exige des opérations com- pliquées. Les chenaux d'accès sont soi- gneusement dragués, gardés de nuit, ainsi que par des portiers, par des ba- teaux-feux. Dans le jour, avions et zeppelins scrutent, par beau temps, l'horizon de toute la baie d'Héligoland. Du côté anglais, celle-ci est surveillée par des patrouilleurs et des sous-ma- rins.

Ce n'est que tardivement que les flottilles allemandes se risquent en mer du Nord. Leur passivité abandonne,

B

...LE TOUR DU MONDE CLAUDE ANET

Feuilles persanes (Perse). Ariane, jeune fille russe (Russie). La Rive d'Asie (Turquie).

MARC BERNARD En hydravion au-dessus du conti-

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Le Dépaysement Oriental ( S

Egypte).

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C H E Z B E R N A R D G R A S S E

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