Le diagnostic précoce dans les troubles du spectre autistique

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Communication Le diagnostic pre ´ coce dans les troubles du spectre autistique The early diagnosis of autism spectrum disorders Nadia Chabane Service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, hoˆpital Robert-Debre ´, 48, boulevard Se ´rurier, 75019 Paris, France 1. Introduction Les troubles du spectre autistique (TSA) sont des troubles neuro-de ´ veloppementaux graves de l’enfant. Leur trajectoire spontane ´e n’inte ` gre pas naturellement le de ´ veloppement de compe ´ tences sociales mais privile ´ gie pluto ˆt les inte ´ re ˆts et orientations vers les aspects non sociaux de l’environnement. Le diagnostic de TSA est un diagnostic clinique qui se fait sur la base d’une observation de ´veloppementale et comportementale de ´ taille ´e. L’autisme est de ´fini par un ensemble de sympto ˆmes qui doivent de ´ buter avant l’a ˆge de trois ans : l’alte ´ration qualitative des interactions sociales ; l’alte ´ ration qualitative de la communication ; le caracte ` re restreint, re ´pe ´ titif et ste ´re ´ otype ´ des comportements, des inte ´re ˆts et des activite ´ s (Who, en 1992). Aujourd’hui, les enfants sont diagnostique ´s ge ´ne ´ ralement a ` l’a ˆge de trois a ` quatre ans. Les connaissances acquises en neurosciences au cours de ces dernie ` res anne ´es, notamment la notion de plasticite ´ ce ´re ´brale et de fene ˆtre de ´veloppementale au cours du de ´veloppement ce ´re ´ bral, fene ˆtre durant laquelle il est encore possible de modifier des anomalies fonctionnelles, renforcent l’inte ´re ˆt pour la mise en place de strate ´gies diagnostiques plus pre ´coces permettant de modifier la trajectoire spontane ´e du TSA et d’en limiter le handicap. Les parents expriment ge ´ne ´ ralement leurs premie ` res inquie ´ tudes vers 18 mois, inquie ´ tudes portant essentiellement sur les anomalies de la communication. L’e ´ tude des films familiaux ou la recherche fine des troubles interactifs pre ´ coces met souvent en e ´ vidence des signes, parfois aspe ´ cifiques, pre ´sents en amont vers 12 mois. Les premiers travaux sur le diagnostic pre ´ coce retrouvent e ´ galement des premiers signes repe ´rables vers 12 mois en moyenne [25]. Le diagnostic pre ´ coce de TSA est difficile du fait de la variabilite ´ importante d’expression du trouble mettant le clinicien en Annales Me ´ dico-Psychologiques 170 (2012) 462–466 INFO ARTICLE Mots cle ´s : Troubles du spectre autistique Keywords: Autism spectrum disorders RE ´ SUME ´ La de ´ tection pre ´ coce des troubles du spectre autistique (TSA) repre ´sente un enjeu crucial car elle va permettre de mettre en place une prise en charge adapte ´ e intensive et pre ´ coce a ` un a ˆge ou ` certains processus de de ´ veloppement peuvent encore e ˆtre modifie ´ s. Les e ´ tudes re ´ centes portant sur la recherche des signes pre ´ coces montrent que les TSA n’affectent pas de fac ¸on objective le de ´ veloppement de la socialisation dans les 12 premiers mois de la vie. Ils ont un de ´ but graduel, modifiant le cours du de ´ veloppement et les patterns comportementaux entre 12 et 36 mois. L’identification de marqueurs de validite ´ externe biologiques de TSA permettrait de renforcer les strate ´ gies de de ´ tection et de diagnostic de TSA chez les tre ` s jeunes enfants. L’existence de signes d’alerte impose une formation e ´ tendue des professionnels de sante ´ et de la petite enfance et la mise en place de strate ´ gies d’accompagnement de ces enfants au cours de leur de ´ veloppement afin de modifier la trajectoire spontane ´ e du trouble. ß 2012 Publie ´ par Elsevier Masson SAS. ABSTRACT The early detection of autism spectrum disorders represents a crucial stake because it allows to set up an intensive and early adapted care at an age where certain processes of development can still be modified. The recent studies on the very early signs show that TSA does not affect in a objectivised way the development of the socialization in the 12 first months of life. TSA have a gradual beginning, modifying the course of the development and the behavioral patterns between 12 and 36 months. The identification of biological markers would allow to strengthen the strategies of detection and diagnosis in very young children. However, the existence of signs of alert imposes a vast training of the healthcare professionals and the implementation of support strategies for these children in order to modify the spontaneous trajectory of the TSA. ß 2012 Published by Elsevier Masson SAS. Adresse e-mail : [email protected] Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com 0003-4487/$ – see front matter ß 2012 Publie ´ par Elsevier Masson SAS. http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2012.07.002

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Annales Medico-Psychologiques 170 (2012) 462–466

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

Communication

Le diagnostic precoce dans les troubles du spectre autistique

The early diagnosis of autism spectrum disorders

Nadia Chabane

Service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, hopital Robert-Debre, 48, boulevard Serurier, 75019 Paris, France

I N F O A R T I C L E

Mots cles :

Troubles du spectre autistique

Keywords:

Autism spectrum disorders

R E S U M E

La detection precoce des troubles du spectre autistique (TSA) represente un enjeu crucial car elle va

permettre de mettre en place une prise en charge adaptee intensive et precoce a un age ou certains

processus de developpement peuvent encore etre modifies. Les etudes recentes portant sur la recherche

des signes precoces montrent que les TSA n’affectent pas de facon objective le developpement de la

socialisation dans les 12 premiers mois de la vie. Ils ont un debut graduel, modifiant le cours du

developpement et les patterns comportementaux entre 12 et 36 mois. L’identification de marqueurs de

validite externe biologiques de TSA permettrait de renforcer les strategies de detection et de diagnostic

de TSA chez les tres jeunes enfants. L’existence de signes d’alerte impose une formation etendue des

professionnels de sante et de la petite enfance et la mise en place de strategies d’accompagnement de ces

enfants au cours de leur developpement afin de modifier la trajectoire spontanee du trouble.

� 2012 Publie par Elsevier Masson SAS.

A B S T R A C T

The early detection of autism spectrum disorders represents a crucial stake because it allows to set up an

intensive and early adapted care at an age where certain processes of development can still be modified.

The recent studies on the very early signs show that TSA does not affect in a objectivised way the

development of the socialization in the 12 first months of life. TSA have a gradual beginning, modifying

the course of the development and the behavioral patterns between 12 and 36 months. The identification

of biological markers would allow to strengthen the strategies of detection and diagnosis in very young

children. However, the existence of signs of alert imposes a vast training of the healthcare professionals

and the implementation of support strategies for these children in order to modify the spontaneous

trajectory of the TSA.

� 2012 Published by Elsevier Masson SAS.

1. Introduction

Les troubles du spectre autistique (TSA) sont des troublesneuro-developpementaux graves de l’enfant. Leur trajectoirespontanee n’integre pas naturellement le developpement decompetences sociales mais privilegie plutot les interets etorientations vers les aspects non sociaux de l’environnement.

Le diagnostic de TSA est un diagnostic clinique qui se fait sur labase d’une observation developpementale et comportementaledetaillee. L’autisme est defini par un ensemble de symptomes quidoivent debuter avant l’age de trois ans : l’alteration qualitative desinteractions sociales ; l’alteration qualitative de la communication ;le caractere restreint, repetitif et stereotype des comportements, desinterets et des activites (Who, en 1992). Aujourd’hui, les enfants sont

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0003-4487/$ – see front matter � 2012 Publie par Elsevier Masson SAS.

http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2012.07.002

diagnostiques generalement a l’age de trois a quatre ans. Lesconnaissances acquises en neurosciences au cours de ces dernieresannees, notamment la notion de plasticite cerebrale et de fenetredeveloppementale au cours du developpement cerebral, fenetredurant laquelle il est encore possible de modifier des anomaliesfonctionnelles, renforcent l’interet pour la mise en place destrategies diagnostiques plus precoces permettant de modifier latrajectoire spontanee du TSA et d’en limiter le handicap.

Les parents expriment generalement leurs premieres inquietudesvers 18 mois, inquietudes portant essentiellement sur les anomaliesde la communication. L’etude des films familiaux ou la recherche finedes troubles interactifs precoces met souvent en evidence des signes,parfois aspecifiques, presents en amont vers 12 mois. Les premierstravaux sur le diagnostic precoce retrouvent egalement des premierssignes reperables vers 12 mois en moyenne [25].

Le diagnostic precoce de TSA est difficile du fait de la variabiliteimportante d’expression du trouble mettant le clinicien en

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difficulte pour apprecier le caractere significatif de certainesmanifestations relativement discretes, et ce, d’autant plus que lecomportement typique lui-meme presente des variations inter-individuelles. Le profil de developpement de l’enfant ayant un TSAest tres heterogene. Chez les tres jeunes enfants, le diagnosticrepose donc essentiellement sur le jugement du clinicien expert.

2. Les signes precoces

Les signes cliniques les plus evocateurs de TSA constituant deveritables signes d’alerte sont : la mauvaise qualite du contactoculaire, l’absence de sourire reponse, d’attention conjointe, dereponse a l’appel du prenom, les faibles capacites d’imitation et dejeux symboliques, l’absence de pointage et de communicationverbale. D’une maniere generale, les enfants a haut risquepresentent des difficultes a initier et a maintenir des relationsinterpersonnelles. A ces signes d’alerte s’ajoutent les activites quisont repetitives et traduisent un besoin d’immuabilite. On retrouveegalement des stereotypies des mains et des doigts, des activites deflairage des objets et des personnes, la mise en bouche des objets,des reactions atypiques aux sons et aux autres stimulationssensorielles, ainsi que des anomalies motrices et posturales.

Les recherches cliniques actuelles s’orientent donc vers l’identi-fication de signes constituant des marqueurs fiables de l’autisme,c’est-a-dire qui soient suffisamment sensibles (pourcentage suffi-sant d’enfants identifies), specifiques (faible taux de faux positifs), etayant une bonne valeur predictive (diagnostic confirme et valide parla suite). Ces signes doivent etre facilement reperables par lesprofessionnels de la petite enfance (pediatres, personnel de PMI, decreche. . .). Si, dans le contexte individuel d’une anamnese precise eten reunissant tout un faisceau de signes cliniques, le professionnelaverti peut faire un diagnostic d’autisme chez les jeunes enfants avecune fiabilite relativement bonne, il n’en reste pas moins que tous cessignes n’ont pas la meme valeur pronostique.

Afin de determiner quel serait le pattern clinique specifique desTSA chez les tres jeunes enfants, et la periode de leur apparition aucours du developpement, les chercheurs ont adopte des strategiesmethodologiques distinctes.

2.1. La methode retrospective

La methode retrospective se base essentiellement sur l’utilisa-tion des films familiaux et des entretiens familiaux pouvantreposer sur l’utilisation d’outils standardises et valides pour lediagnostic de TSA tel l’ADI-R ou l’ADOS. Ces strategies, porteusesd’informations, sont cependant sujettes a plusieurs biais pour lerecueil et l’analyse des informations. Les films parentaux, pardefinition, echappent a la situation standardisee et sont difficile-ment analysables en termes de recherche sur une large population.L’heterogeneite des prises, liee au contexte, rend delicate lageneralisation des resultats obtenus (les parents ayant unetendance naturelle a filmer les scenes ou l’enfant a des comporte-ments plus adaptes ou des scenes familiales ne permettant pas unelecture fine des capacites d’interaction et de communication).

Les entretiens parentaux, essentiels au recueil de l’anamnesecomplete sur le developpement du petit enfant, sont sujets auxbiais de memorisation et au foward telescoping (les parents mettenten avant les signes qui ont suscite l’inquietude majeure etidentifient moins des signes plus precoces leur apparaissantcomme moins atypiques). Malgre ces biais methodologiques, lesetudes retrospectives permettent d’identifier un pattern communde signes precoces dont la survenue se situe entre 12 et 24 mois etqui associe : le manque d’orientation au prenom, la mauvaisequalite du regard vers le visage de l’interlocuteur, l’absence ou lafaible capacite d’attention conjointe, de partage affectif, d’imita-tion [1,19,26,27].

Un pattern secondaire correspondant aux formes dites regres-sives est egalement rapporte. Les formes regressives impliquentune coupure dans l’evolution du developpement pseudo-harmo-nieux de l’enfant. Cette regression des acquisitions se situerait en16 et 20 mois et concernerait entre 15,6 % et 27 % des enfants[4,13]. Cette regression serait mixte et impliquerait le langage et lasocialisation (Lord, en 2004 ; Ozonoff et al., en 2005). La perte desacquisitions de socialisation paraıt etre plus complexe a definir parles parents que celle du langage, en tenant compte du fait que lanotion de regression est differente de l’arret des acquisitions [15].Certains auteurs se sont penches sur ces patterns secondaires, avecprofil de developpement social anterieur normal, et mettent enavant des signes aspecifiques tels que les troubles du sommeil,l’irritabilite, les troubles de l’alimentation. Ces formes seraient lereflet d’un echec dans la progression et transformation descompetences de base en place pour la socialisation, il n’y auraitpas de renforcement des predispositions naturelles pour l’inter-action et la communication, et ainsi incapacite a passer a un niveaudeveloppemental plus avance, ce qui sous-tend la notion deplateau developpemental ou de pseudo-regression [6].

2.2. La methode prospective

Les etudes prospectives en suivant les enfants au cours de leurdeveloppement peuvent permettre de reperer les signes d’alerte aumoment de leur emergence. Elles peuvent etre realisees enpopulation generale et impliquent la recherche des signes precocessur une tres large cohorte d’enfants au cours d’etapes particulieresdu developpement. Le cout majeur et le temps necessaires a larealisation de ce type de recherche orientent vers l’identificationd’une population a risque de developper un TSA sur laquelle lessignes precoces seraient plus particulierement etudies. Du fait del’implication des facteurs de susceptibilite genetique dans les TSA etde l’augmentation du risque relatif dans les familles ou un sujet estatteint de TSA par rapport a la population generale, ces etudes ont etemenees chez les freres et sœurs d’enfant ayant un TSA. En etudiant lasurvenue des signes precoces avec des outils de detection tels que le :M-Chat (M-CHATTM ; Robins, Fein, Barton, en 1999) ou l’ESAT [24].Plusieurs equipes situent l’emergence des symptomes a partir del’age de 12 mois [16,18] (Bryson et al., en 2007). Il semblerait qu’il yait une installation graduelle des symptomes au cours du tempsamenant a des phenotypes intermediaires [11], la forme regressiveetant la plus frequemment rencontree.

D’autres auteurs ont etudie l’evolution d’une variable dedeveloppement specifique au cours du temps dans une populationa haut risque de TSA comparee a un groupe d’enfants ayant undeveloppement classique et sans antecedents familiaux de TSA.Quelques exemples de ces recherches montrent une chronologieparticuliere dans l’installation et la lecture des comportementsatypiques.

2.2.1. La motricite

Landa et Garrett-Mayer [12] ont mis en avant des variationsdans le domaine de la motricite globale et de la motricite fine entre14 et 24 mois en comparant 60 enfants a risque versus 27 enfantstypiques. A six mois, il n’existe pas de difference entre les deuxgroupes.

2.2.2. Les conduites repetitives et les mouvements anormaux

Les conduites repetitives contribuent au developpement de lamotricite chez le sujet normal. La distinction entre un enfant arisque de TSA et un enfant au developpement classique se fera surla duree, l’intensite et la frequence de ces conduites. Les etudescomparatives realisees montrent ainsi une apparition et unepersistance de mouvements particuliers tels que l’agitation desbras dite « mouvement d’ailes de papillon » a 12 mois. A 18 mois est

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repere le mouvement de mains sur les oreilles (pouvant signer unesensorialite auditive particuliere) [8,14,17].

2.2.3. La reponse aux stimuli sensoriels et l’attention visuelle

Zwaigenbaum et al. [29] ne retrouvent pas de distinctionentre groupe a risque et groupe « normal » avant 12 mois (lesgroupes sont comparables a six mois) dans la reponse auxstimuli sensoriels. Pour l’attention visuelle, etudiee en termesde changement de l’attention et de delai de desengagementpour la cible precedemment observee, les enfants qui auront unTSA ont un delai de desengagement plus long entre six et12 mois.

2.2.4. Developpement social et emotionnel

Il n’apparaıt pas de distinction majeure pour le temperament asix mois en comparant les enfants qui developperont un TSA auxenfants qui auront un developpement harmonieux. La regulationemotionnelle et comportementale est cependant distincte a24 mois chez les enfants a risque de TSA [5].

Au paradigme du Face to Face (impliquant une interaction activede l’adulte avec l’enfant suivi d’une face neutre puis de la reprise del’interaction active), il n’existe pas de difference entre les deuxgroupes a six mois, sauf pour la variable de desengagement visuel,plus lent chez les enfants TSA [7].

Dans une etude prospective particuliere de suivi a six, 12,18 et 24 mois de neuf enfants qui ont ete par la suitediagnostiques pour un TSA, Bryson et al. montrent en 2009 l’evo-lution interindividuelle heterogene des differents patternscomportementaux. A six mois, les neuf enfants etudies montrentun meme interet et plaisir dans l’interaction avec l’adulte, uncontact oculaire normal, et une reponse au sourire adaptee.Quatre d’entre eux ont une moins bonne motricite fine et deuxd’entre eux ont des delais de desengagement visuel plus longs. A12 mois, cinq enfants sur neuf montrent une diminution d’interetpour la socialisation, un retard de langage, une irritabilite, desanomalies en motricite, des stereotypies, ainsi que des reponsesatypiques aux stimuli sensoriels. A 18 mois, sept enfants sur neufgardent le meme degre d’interet pour la socialisation qu’a12 mois, mais un sur neuf s’ameliore pour rechuter a 24 mois.L’evolution des anomalies de developpement semble suivre uneacceleration entre 18 et 24 mois, ou le TSA est parfaitementlisible en termes cliniques.

Il apparaıt donc au regard de ces premieres donnees qu’il n’existepas de marqueur clinique comportemental distinctif de TSA dans lessix premiers mois de la vie. L’analyse des parcours de developpe-ment apres six mois plaide pour la notion de discontinuite desconduites de socialisation, l’existence de differentes trajectoiresdeveloppementales et la variabilite en termes de severite desdifferentes composantes comportementales mesurees [22]. Les TSAn’affectent pas de facon objective le developpement de la socialisa-tion dans les premiers mois de la vie. Ils ont un debut graduel,modifiant le cours du developpement et les patterns comporte-mentaux entre 24 et 36 mois. Les questions en suspens demeurentcelles des mecanismes impliques influant sur SNC entre six et12 mois : comment stopper leur progression et inverser lesprocessus deleteres (en tenant compte des processus de selectionneuronale sur le developpement cerebral et de la complexite de laconnectivite corticale) ? Des etudes longitudinales associant desmesures cliniques, neuro-fonctionnelles et neurobiologiques serontnecessaires pour repondre a ces questions.

3. La detection en population generale

La politique de detection des signes d’alerte de TSA doit etremenee en population generale ; les questionnaires de depistagesuscitent des lors beaucoup d’interet, car ils pourraient permettre

un reperage precoce des enfants a risque. Plusieurs outils ont ainsiete elabores et testes. Le CHAT (Checklist for Autism in Toddlers),outil comprenant un entretien avec les parents et une observationdirecte de l’enfant, pose des problemes de sensibilite et de valeurpredictive [2]. Le STAT (Screening Tool for Autism) de Stone et al.[23] n’est pas encore clairement defini en termes de sensibilite etde specificite. Ces instruments ne permettent pas encore unedetection fiable en etude systematique de grandes populations.

Parmi les outils plus recents, The Early Screening of Autistic Traits

(ESAT) de Swinkels et al. [24] est un outil comprenant une checklist

de 14 items remplis par le pediatre avec les parents d’enfants de14 mois. De meme, Pierce et al. [20] ont teste un outil de detectionaupres d’enfants consultant leur pediatre dans le cadre de la visitedu bilan des 12 mois. Cet outil de 24 items est rempli par lesparents en salle d’attente (cinq minutes de passation), puis cote parle medecin pediatre forme prealablement (deux minutes decotation). L’analyse des resultats apres examen a l’age de troisans des enfants juges a risque apres la passation a montre unebonne valeur predictive (0,75). Il s’agit donc d’un outil interessantpour evaluer les signes d’alerte en population large, ce d’autant queles procedures de passation et de cotation sont rapides.

4. La recherche de marqueurs de validite externe dans lediagnostic precoce

Le diagnostic de TSA chez le tres jeune enfant est donc delicat aposer avant l’age de 18 mois. Il s’agit essentiellement d’undiagnostic clinique qui repose sur l’expertise du praticienspecialise. Sur le plan interindividuel, la symptomatologie desTSA est largement heterogene. Ainsi, l’intensite de chacun dessymptomes autistiques peut varier, de legere a severe, d’un enfanta l’autre. La presence ou non et l’importance du retard dedeveloppement lorsqu’il est associe rendent les tableaux cliniquestres differents les uns des autres. Par ailleurs, chez l’enfant tresjeune, les differences entre les secteurs de developpement sontmoins marquees, ne pouvant porter que sur quelques mois. Uncourant de recherche actuel vise a identifier un ou des marqueursbiologiques de TSA permettant de renforcer le diagnostic cliniqueet d’identifier plus clairement et tres precocement des tres jeunesenfants a risque. Ces marqueurs biologiques doivent par definitionpreexister a l’installation des signes cliniques classiquementreperables. L’objectif est donc d’identifier, chez des enfants agesde six a 12 mois, des anomalies specifiques intervenant sur lesprocessus neurocognitifs, anomalies ayant un impact sur ledeveloppement ulterieur.

4.1. Un exemple de recherche de marqueurs : explorer le trace et la

fixation du regard par « eye tracking »

L’etude de la direction du regard et la reconnaissance desvisages avec des paradigmes utilisant la technique de « eye

tracking » chez des tres jeunes enfants autistes non syndromiquespourraient permettre d’identifier un possible marqueur tresprecoce de trouble du spectre autistique. Plusieurs travaux ontdeja permis de montrer chez l’adulte un trace de regard atypiquedes visages avec une fixation pauvre sur la region des yeux. Cestravaux ont ete repliques chez de tres jeunes enfants de 24 moisayant un TSA [9], qui regardent plus souvent la bouche que les yeuxsur le visage presente. Ces premiers resultats sont cependantcontredits par ceux de Young et al. en 2009, qui ont suivi 59 enfantsa risque de TSA a l’age de six, 12, 18 et 24 mois en eye tracking. Iln’existe pas de correlation predictive entre fixation de la bouche oudes yeux pour la survenue de TSA a six mois, mais une correlationpositive entre survenue du langage et fixation de la bouche. Uneetude recente de Pierce et al. [21] a mis en evidence que les tresjeunes enfants TSA, compares aux enfants normaux, ont une

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preference pour les figures colorees en mouvement plutot que lesscenes sociales. Une fixation de 69 % des figures geometriques enmouvement predit en effet un diagnostic de TSA dans 100 % des cas.

La recherche de marqueurs biologiques sensibles, specifiques, abonne valeur predictive apparaıt donc essentielle dans le champexploratoire des TSA pour donner un indicateur solide du risquedeveloppemental chez les tres jeunes enfants.

5. Les signes d’alerte, une necessite d’intervention

Si les procedures diagnostiques de TSA restent encore delicatesaujourd’hui en pratique classique pour les tres jeunes enfants, ilapparaıt indispensable de suivre les tres jeunes enfants a risque quipresentent des signes d’alerte afin de limiter l’impact de latrajectoire spontanee du TSA et l’installation secondaire detroubles du comportement. Les mecanismes de plasticite cerebralesont un argument de consequence plaidant pour une interventionprecoce chez le tres jeune enfant, intervention ciblant lesanomalies de la communication et de l’interaction. L’acquisitiond’un outil de communication et de meilleures strategies inter-actives avec le tres jeune enfant peuvent limiter la survenue decomportements inadaptes, et devier, a des degres variables, latrajectoire spontanee du trouble. Cette intervention permetegalement de limiter le stress familial et le sentiment d’impuis-sance legitimement rencontre par les parents, et de favoriser leurmobilisation et leur participation active dans les modalitesreeducatives de leur enfant.

Des modeles d’intervention precoces sont ainsi proposesaujourd’hui aux familles, tels que les modeles de Denver [3], quiimpliquent la mise en place de 25 interventions intensives parsemaine aupres de l’enfant, et le modele de Koegel, adapte auquotidien de la famille et incluant un partenariat etroit avec lesparents [10]. Ces programmes peuvent etre idealement associes al’apprentissage d’un outil de communication utilisant un supportvisuel adapte aux tres jeunes enfants comme le PECS (Picture

Exchange Communication System) [28]. Ce type d’interventionprecoce montre aujourd’hui une efficacite certaine sur les axes decommunication et de socialisation.

6. Conclusion

La detection precoce des TSA represente un enjeu de taillepuisqu’elle ouvre des perspectives de prise en charge a un age oucertains processus de developpement peuvent encore etremodifies.

Les procedures de depistage manquent de sensibilite car ellespeuvent ne pas identifier les variantes legeres sans deficienceintellectuelle evidente ou sans retard de langage. Le diagnosticchez les enfants tres jeunes est l’affaire de specialistes avertis, carles premiers indicateurs fiables sont surtout des anomaliesqualitatives et parfois tres subtiles du comportement social. Ilconvient donc aujourd’hui de renforcer la formation des profes-sionnels de sante et de la petite enfance impliques dans les bilansde sante sur le developpement normal et pathologique de l’enfant,et de les sensibiliser aux signes d’alerte pouvant faire evoquer unTSA. Ces enfants doivent etre orientes tres precocement vers descentres diagnostiques specialises dans les TSA et beneficierrapidement d’interventions adaptees, interventions qui sontencore a developper dans notre pays.

Declaration d’interets

L’auteur n’a pas transmis de declaration de conflits d’interets.

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Page 5: Le diagnostic précoce dans les troubles du spectre autistique

N. Chabane / Annales Medico-Psychologiques 170 (2012) 462–466466

Discussion

Pr J.-F. Allilaire.– Quel est ou quels sont les enjeux sous-jacents ala question de savoir si l’Asperger est ou non une entiteindependante au sein du TSA ?

Reponse du rapporteur.– La nouvelle classification des TroublesEnvahissants du developpement dans le DSM-V prevoit en effet deregrouper le syndrome autistique et le syndrome d’Asperger dansune meme terminologie diagnostique : Trouble du spectreautistique. L’individualisation de cette entite diagnostique a partirdes travaux de Lorna Wing a permis l’emergence et la creation denombreux mouvements associatifs de parents ayant un enfantAsperger et de jeunes adultes constituant des groupes d’entraide etde soutien en Amerique du nord. Une reconnaissance de cespatients a donc ete obtenue, permettant ainsi la mise en place demesures d’accompagnement particulieres, en termes de scolariteet d’acces a la vie professionnelle. Ces mouvements associatifs nesoutiennent pas la disparition de la terminologie Asperger,craignant l’absence de prise en compte ulterieure des specificitesdes personnes qui en sont atteintes. En termes de distinctionphenotypique, il est souvent delicat de differencier une personneautiste sans deficit cognitif d’une personne ayant un syndromed’Asperger, mais le regroupement de toutes les expressionscliniques des TED sous la terminologie de TSA risque cependantde rendre moins lisibles les donnees des etudes incluant de faconindifferenciee des sujets aux profils cliniques tres differents. Laquestion est encore en discussion actuellement.

Dr M. Masson.– Je vous remercie pour vos deux tresinteressantes communications. Le trouble de la fixation du regard(eye-staring) peut-il etre considere comme un marqueur-trait duspectre autistique ? Est-il present dans le syndrome d’Asperger ?

Reponse du rapporteur.– Les donnees obtenues en Eye Tracking

sont encore preliminaires et parfois distinctes d’une etude a l’autre.

DOI de l’article original :http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2012.07.002

0003-4487/$ – see front matter

http://dx.doi.org/10.1016/j.amp.2012.07.004

Les paradigmes utilises sont differents ainsi que les ages des sujetsinclus dans ces etudes. Les anomalies retrouvees sur le trace duregard sur les visages ont ete egalement montrees chez lespersonnes ayant un syndrome d’Asperger. Aujourd’hui, cesdonnees ne sont pas encore suffisamment sensibles, specifiqueset fiables pour parler de marqueur developpemental de TSA.

Dr P. Van Amerongen.– Il serait necessaire de ne pas oublier laclassification CIM-10 en contrepoint du DSM-IV ou DSM-V.

Comment procedez-vous pour communiquer une ebauche dediagnostic a l’entourage des personnes malades ?

Reponse du rapporteur.– Les bilans diagnostiques realisespermettent de poser un diagnostic en se referant aujourd’huiaux deux systemes de classifications nosographiques. Lesrecommandations de la Haute Autorite de Sante en termes destrategie diagnostique soulignent l’interet de l’utilisation de laCIM-10.

Dr P. Houillon.– Ayant eu l’occasion d’examiner un jeune adulteavec le diagnostic d’un syndrome d’Asperger associe a unsyndrome de Gilles de la Tourette, j’aimerais savoir ce que vouspensez d’une telle association, quelle en est sa frequence, et s’ilexiste des pistes recentes permettant de mieux saisir l’etiopatho-genie de cette association.

Reponse du rapporteur.– L’association entre syndrome de Gillesde la Tourette et TSA est reconnue dans la litterature, elle estretrouvee chez environ 6 % des personnes avec TSA. De meme,l’association avec le trouble obsessionnel compulsif est egalementrapportee. La recherche des mecanismes pathophysiologiquessous-tendant compulsions, tics, rituels et stereotypies, parfoisdifficilement differenciables, devrait apporter des pistes pourl’identification des circuits neuro-fonctionnels impliques dans cesmouvements repetitifs.