Le désir ,psychiatrie -...

8
Page 2 4 et 6 Asiles Marginaux De la psychiatrie 10 en thèses Chine sur la psychiatrie - ' La folie se porte bien Le désir de ,psychiatrie ~ MARGE N°, 6• Av/ril-Mai - Prix: 2,50 F Directeur de la publication: Gérald DITTMAR Editeur: S.A.R.L. CI MARGE », 341, rue des Pyrénées, 75020 PARIS. Dépôt légal : ,~ trimestre 1975. Composition et Imprimeur: IM.PO.~ 65, rue du Fg-St-Denis, 75010 Paris. Tirage: 3000 exemplaires. N° de commission paritaire 55 885. Assez de mensonges messieurs les spé- cialistes et que cela soit bien clair dans l'esprit de tous à savoir que nos objectifs sont: - la destruction de la psychiatrie, - la libération de tous les « malades men- taux ., - la suppression de tous les asiles. Il faut crier, hurler qu'il n'y a pas d'autre alternative à la psychiatrie que celle de sa destruction. C'est pourquoi il est nécessaire de dénon- cer le discours anti-psychiatrique qui n'est que le retour du même. l'anti-psychiatrie c'est en- core et toujours la psychiatrie et son discours, la répétition sans la différence. le temps n'est plus à dire mais à faire, non pas l'action pour l'action, mais bien l'intervention géné- ralisée sur les lieux mêmes de la répression sauvage et aveugle qui demain peut tous nous frapper, car nous sommes tous des malades mentaux en puissance et nous savons trop ce qu'il nous attend si nous ne faisons rien. est le seul discours qui peut fonder notre pra- tique contre l'institution psychiatrique. Nous affirmons tranquillement que la ma- ladie mentale ça n'existe pas et que ce n'est qu'une invention de psychiatres. De plus, nous sommes persuadés qu'il s'agit bien d'un phénomène racial, d'une négation de l'autre qui passe par le refus de cette différence qu'est le comportement du « malade mental ». Il n'est plus nécessaire de démontrer qu'en plus de son caractère profondément répres- sif la machine psychiatrique est un immense instrutnent (et de premier ordre S.V.P. !) aux mains de la bourgeoisie, de qui les psychia- tres, libéraux, gauchisants, pseudo-révolu- tionnaires ne sont que des ailiers objectifs qui norment, encadrent, codent, gardent, em- prisonnent, lobotomisent, normalisent, neuro- leptisent, classifient, électrochoquisent, ana- lysent, ces dits « malades mentaux ». la vérité c'est qu'on appelle la folie mala- die mentale, parce que la folie fait peur, qu'elle dérange, qu'elle décode et court-cir- cuite tout le système. C'est ça l'investisse- ment politique inconscient ou conscient du champ social. Ce que nous disons c'est que la folie est politique, que ses origines sont po- litiques et que comme la délinquance elle est une fantastique révolte de l'homme COntre le pouvoir de cette société de misère, que tous les malades mentaux sont des prisonniers po- litiques et que c'est pour des raisons fonda- mentalement politiques qu'on les enferme, que la folie ça existe bel et bien et que ça fonc- tionne très bien, mais que ça n'a rien à voir avec une maladie et qu'il s'agit de tout autre chose que ce que les spécialistes en question voudraient bien y voir. ' Alors voilà on peut se demander ce que ça veut dire ce désir de' psychiatrie? Qu'est-ce que ça signifie et à quoi ça sert un psychiatre? Coureur de vacations, de chimères ou de fan- tasmes? . . L'extraordinaire c'est que nous avons même rencontré des psychiatres heureux qui aime leur travail, en sont fier et défendent l'insti- tution. Ils ont bonne conscience, ils répondent à la demande, on peut- d'ailleurs se demander laquelle puisque c'est eux qui la crée, ils ai- dent et soulagent. On croit rêver, eux les complices des flics, des juges, des patrons, eux qui utilisent leur pouvoir à enfermer, eux qui se déchargent du sale travail sur ces lar- bins, les leurs, que sont les infirmiers psychia- triques. Que dire? Que faire? Chaque année de brillants médiocres petits cons d'étudiants en médecine font leur entrée en psychiatrie. Ce qu'ils veulent c'est voir les fous de près, les étudier, comprendre pourquoi ils sont fous et comment ils ont pu en arriver là, ces mal- heureux ... Ça ne risque pas de leur arriver. Qu'on se souvienne de ces mots de Cooper qui, parlant des psychiatres, disait Cl qu'ils ne sont en fait que des médecins médiocres, des gens qui n'ont pas pu "réussir" en médecine générale ». Mais après tout qu'importe, « la violence qui crève les yeux, continue Cooper, c'est cette violence subtile et masquée que les autres, les hommes normaux, exercent sur ceux qu'on a baptisés fous". Ce qu'il se passe c'est qu'il existe une catégorie d'hommes qui n'accepte pas la diffé- rence, c'est alors que leur soif de rationnel les conduit au sadisme. Gérald DITTMAR.

Transcript of Le désir ,psychiatrie -...

Page 1: Le désir ,psychiatrie - archivesautonomies.orgarchivesautonomies.org/IMG/pdf/autonomies/marge/Marge-n6.pdf · Il a débouché sur la contes-tation du système. Mals le groupe s'est

Page 24 et 6

Asiles MarginauxDe la psychiatrie

10en

thèsesChine

sur la psychiatrie- ' La folie se porte bien

Ledésirde,psychiatrie

~

MARGE N°, 6 • Av/ril-Mai - Prix: 2,50 F

•Directeur de la publication:

Gérald DITTMAR

•Editeur: S.A.R.L. CI MARGE »,

341, rue des Pyrénées, 75020 PARIS.

•Dépôt légal : ,~ trimestre 1975.

•Composition et Imprimeur:

IM.PO.~ 65, rue du Fg-St-Denis, 75010 Paris.

•Tirage: 3000 exemplaires.

•N° de commission paritaire 55 885.

Assez de mensonges messieurs les spé-cialistes et que cela soit bien clair dansl'esprit de tous à savoir que nos objectifssont:

- la destruction de la psychiatrie,

- la libération de tous les « malades men-taux .,

- la suppression de tous les asiles.

Il faut crier, hurler qu'il n'y a pas d'autrealternative à la psychiatrie que celle de sadestruction.

C'est pourquoi il est nécessaire de dénon-cer le discours anti-psychiatrique qui n'est quele retour du même. l'anti-psychiatrie c'est en-core et toujours la psychiatrie et son discours,la répétition sans la différence. le tempsn'est plus à dire mais à faire, non pas l'actionpour l'action, mais bien l'intervention géné-ralisée sur les lieux mêmes de la répressionsauvage et aveugle qui demain peut tous nousfrapper, car nous sommes tous des maladesmentaux en puissance et nous savons trop cequ'il nous attend si nous ne faisons rien. làest le seul discours qui peut fonder notre pra-tique contre l'institution psychiatrique.

Nous affirmons tranquillement que la ma-ladie mentale ça n'existe pas et que ce n'estqu'une invention de psychiatres. De plus, noussommes persuadés qu'il s'agit bien là d'unphénomène racial, d'une négation de l'autrequi passe par le refus de cette différencequ'est le comportement du « malade mental ».

Il n'est plus nécessaire de démontrer qu'enplus de son caractère profondément répres-sif la machine psychiatrique est un immenseinstrutnent (et de premier ordre S.V.P. !) auxmains de la bourgeoisie, de qui les psychia-tres, libéraux, gauchisants, pseudo-révolu-tionnaires ne sont que des ailiers objectifsqui norment, encadrent, codent, gardent, em-

prisonnent, lobotomisent, normalisent, neuro-leptisent, classifient, électrochoquisent, ana-lysent, ces dits « malades mentaux ».

la vérité c'est qu'on appelle la folie mala-die mentale, parce que la folie fait peur,qu'elle dérange, qu'elle décode et court-cir-cuite tout le système. C'est ça l'investisse-ment politique inconscient ou conscient duchamp social. Ce que nous disons c'est que

la folie est politique, que ses origines sont po-litiques et que comme la délinquance elle estune fantastique révolte de l'homme COntre lepouvoir de cette société de misère, que tousles malades mentaux sont des prisonniers po-litiques et que c'est pour des raisons fonda-mentalement politiques qu'on les enferme, quela folie ça existe bel et bien et que ça fonc-tionne très bien, mais que ça n'a rien à voiravec une maladie et qu'il s'agit de tout autrechose que ce que les spécialistes en questionvoudraient bien y voir. '

Alors voilà on peut se demander ce que çaveut dire ce désir de' psychiatrie? Qu'est-ceque ça signifie et à quoi ça sert un psychiatre?Coureur de vacations, de chimères ou de fan-tasmes? .

. L'extraordinaire c'est que nous avons mêmerencontré des psychiatres heureux qui aimeleur travail, en sont fier et défendent l'insti-tution. Ils ont bonne conscience, ils répondentà la demande, on peut- d'ailleurs se demanderlaquelle puisque c'est eux qui la crée, ils ai-dent et soulagent. On croit rêver, eux lescomplices des flics, des juges, des patrons,eux qui utilisent leur pouvoir à enfermer, eux

qui se déchargent du sale travail sur ces lar-bins, les leurs, que sont les infirmiers psychia-triques. Que dire? Que faire? Chaque annéede brillants médiocres petits cons d'étudiantsen médecine font leur entrée en psychiatrie.Ce qu'ils veulent c'est voir les fous de près,les étudier, comprendre pourquoi ils sont fouset comment ils ont pu en arriver là, ces mal-heureux ... Ça ne risque pas de leur arriver.Qu'on se souvienne de ces mots de Cooperqui, parlant des psychiatres, disait Cl qu'ils nesont en fait que des médecins médiocres, desgens qui n'ont pas pu "réussir" en médecinegénérale ».

Mais après tout qu'importe, « la violence quicrève les yeux, continue Cooper, c'est cetteviolence subtile et masquée que les autres,les hommes normaux, exercent sur ceux qu'ona baptisés fous".

Ce qu'il se passe c'est qu'il existe unecatégorie d'hommes qui n'accepte pas la diffé-rence, c'est alors que leur soif de rationnelles conduit au sadisme.

Gérald DITTMAR.

Page 2: Le désir ,psychiatrie - archivesautonomies.orgarchivesautonomies.org/IMG/pdf/autonomies/marge/Marge-n6.pdf · Il a débouché sur la contes-tation du système. Mals le groupe s'est

2' MARGE

AS 1LES MAROINAUXJe suis sorti de prison pour entrer à l'hôpital.

J'ai vraiment l'impression de tomber de Charybdeen Scylla. De prisonnier, je devenais soignant.Mais je me retrouvais parmi les surveillants,avec en plus, quelques femmes de ménage. Il,m'a semblé que le plus Important, dans un hô-pital psychiatrique, est de fermer les portes àclef, même si, progressivement, on les ouvre,et de faire le ménage, de compter le linge, des'occuper de l'inventaire. Une infirmière a dit,un jour, ce pendant qu'elle comptait avec an-goisse ses draps et ses tales d'arelller: « Vous

.savez, je suis débordée, mes malades m'em-pêchent de faire mon travall D. Une fille a casséles carreaux d'une porte d'entrée dans un pa-villon. Les hospitalisés sortent par le carreau.Pourtant, on continue à fermer la porte à clef,puisqu'elle doit être fermée à clef 1 Une élèveinfirmière a réussi à faire ouvrir son pavillon.L'expérience a tenu un mois. Les portes sontrefermées. Motif: les grands-mères sont alléesse noyer... Un groupe de discussion a été montéavec des résidents. Il a débouché sur la contes-tation du système. Mals le groupe s'est dis-sout. Le personnel a estimé qu'II y avait desmeneurs et leur a fait subir des brimades. Uninfirmier frappe un homme avec un tuyau deplomb. Ce dernier est blessé à l'arcade sour-cilière. Thèse officielle: c'est un de ses cama-rades qui a frappé ce malade. Un élève Infirmiertente de protester et de faire connaître la vé-rité. Il est menacé de se faire casser la figure.Le rapport des forces est tellement inégal quel'élève finit par quitter l'hôpital.

Est-II utile encore de parler des traitementsabusifs, des internements arbitraires, de la cel-lule, où l'on boucle les agités 1... Le plus Im-portant est d'analyser ce qui se passe, de seposer la question du pourquoi et de tracerquelques lignes qui nous indiqueraient dans quelsens nous diriger.

On parle d'antipsychiatrie mais, mise à partdes expériences Isolées, nous en sommes en-core à la psychiatrie, au mauvais sens du mot.Actuellement, quand on est dans un hôpitalpsychiatrique, on est détenu. Mais le matra-quage n'est plus aussi évident. SI demeure lacellule, la violence se raréfie en apparence. Làoù le coup de pied dans les testlcules disparaît,il est remplacé par le coup de marteau chimi-que. La camisole de force régresse, mals elleest remplacée par la camisole médicamenteuse.La chimiothérapie ne mérite que le nom dechimiatrie.

Il n'est pas étonnant que nous en soyons tou-jours à de telles pratiques. Quand nous ouvronsle Journal, c'est pour lire' qu'un forcené a tirésur des passants, qu'un fou furieux s'est barri-cadé ou qu'un sadique a poignardé sa femmeet ses enfants. Les conclusions .s'Imposent : ilfaut enfermer tous ces gens-là. Ils sont dange-reux. Mais pourquoi le sont-ils?

Intoxiqué par une presse parfaitement orches-trée et dirigée, l'homme de la rue n'a pas devéritable opinion. Il ne pense pas. D'autres lefont pour lui. Les fous sont comme les Indiens,les nègres et les Juifs. De la réserve à la traite,aux camps de concentration, il n'y a qu'un pas.Qui dit aujourd'hui psychiatrie dit camp de con-centration. Nous parquons dans des camps cesgens différents de nous que notre racisme nepeut pas supporter. Dès lors que quelq'un acommis un délit ou qu'il est considéré maladepar les spécialistes, il appartient à une raceà part. Cette race, on la parque dans des campsde concentration.

Les antipsychiatres s'en sont rendu compte.Ils sont arrivés aux solutions communautaires,aux petites unité et expériences marginales. Ily a effectivement quelque chose de changé.Mais pas dans les hôpitaux, ni non plus dansl'opinion publique. Nous en sommes donc tou-jours au même point. Nous parlons d'antipsy-chiatrie, mais en général, nous faisons de lapsychiatrie au sens traditionnel du terme.

N'allons-nous pas essayer de changer toutcela? Au Congrès de Bruxelles a été créé unréseau européen, dont il est prévu qu'il aurades ramifications' dans le monde entier. Ce ré-seau consiste en une chaîne de communautéset expériences marginales répertoriées et re-liées entre elles par un réseau de communica-tions leur permettant de, ne plus être aussiisolées et de mieux court-circuiter l'asile. Il estimportant de constituer ces îlots thérapeutiques,mais il faut aller plus loin. Il importe de démys-

tifier la maladie mentale et de se mettre enmarge de la psychiatrie traditionnelle. C'est leprcès de l'institution. Nous devons aller plusloin. La première chose à faire, c'est de con-sulter les gens qui sotn dans les hôpitaux psy-chiatriques. Les taulards n'ont été entendus quedans la mesure où on leur a permis de prendrela parole. Avec le Comité d'Action des Prison-niers, ils l'ont arrachée. Il est évident que lamême démarche est à suivre avec les psychia-trisés. Pour l'instant, nous en sommes loin. Misà part le Groupe Information Astle et l'Actioncontre la Répression Médicale, à Perray (Vau-cluse), cela n'a pas été bien loin. L'antipsy-chlatrle est dépassée, dans la mesure où ellen'a pas réussi à changer l'opinion, c'est-à-direla masse.

Nous ne sommes pas les premiers à l'avoirdit, à le Marge », mais nous pensons que la seulesolution est la création d'expériences. indépen-dantes, isolées du contexte médico-Iégo-morall-sant de la psychiatrie. Qui plus est, nous sou-haitons impulser un climat, des opinions, un étatd'esprit à généraliser par une sorte de mouve-ment de boule de neige. Notre postulat : l'aslledoit être détruit. L'hôpital psychiatrique doit êtredétruit. A partir de là, tout est possible. Mais ilest Indispensable qu'un ouragan se déchaîne, etcet ouragan ne peut venir que de la masse. Lors-qu'il est question d'expériences pilotes, commu-nautés thérapeutiques, prises en charge dans depetites unités, l'entourage prend une importanceconsidérable. Or, nous savons que, dans ce genred'expériences, justement, le quartier rejette lefoyer ou le centre où affluent, passent et repas-sent les marginaux en quête de contacts et dedétente.

Un exemple me semble assez précls et signi-ficatif. J'ai tenté d'héberger chez mol quantitéde gens que l'on dit malades mentaux, drogués,délinquants, de toute façon marginaux. Le ré-sultat, c'est que les voisins ont fait plusieursfois des pétitions auprès de la propriétaire, pourfinir par une plainte à la police. Des agents sontdonc venus enquêter dans l'Immeuble. Ils ontIntorrgé la concierge. Les bruits me sont re-venus: Il paraît que, chez moi, Il vient des hip-pies et des voyaus, que des jeunes se droguent,font du tapage la nuit et engagent des discus-sions politiques très inquiétantes: ce sont tousdes gauchistes ou des anarchistes. Comments'informe la rentière de l'étage au-dessus? Elleécoute nos conversations au tuyau qui passepar la salle de bain...

Ceux qui viennent essaient de réfléchir, de sereposer, de s'amuser, de repartir sur d'autresbases, de comprendre ce qui leur arrive, d'ar-rêter éventuellement une toxicomanie. Ce n'estpas moi qui vais les chercher. Ils arrivent, parcequ'un copain leur a donné l'adresse ou parcequ'il m'ont rencontré quelque part et m'ont ex-pliqué leur situation. Isl ont donc demandé àvivre à la maison. Les racontars ne sont que lereflet de t'arriération générale et de l'intolé-rance crasse de notre pauvre Français moyen.De l'homme, tout simplement. Alors, _une règlede base, c'est que si une personne veut se dro-guer, de quelque façon que ce soit, elle le faitoù elle le veut, mais pas chez moi, parce que mamaison n'est pas à l'abrI. Elle est en danger per-pétuel. Mes idées, ma pratique, mon idéal,qu'importe! Ce qui compte, ce sont les ragots.Un jour, j'ai été arrêté, parce qu'un garçon seservait, à mon insu, de ma voiture pour fairedes coups. Je me suis retrouvé au commissariat.J'ai été enfermé dans la cage. Je suis restébouclé six heures, jusqu'à ce que la preuve aitété faite que je n'étais pas l'auteur des coups.

t'rntolërence pour tout ce qui est marginalaboutit au rejet pur et simple. A ce niveau, cen'est même plus le problème de la folie qui sepose. Ce n'est pas non plus celui du crime, nicelui de la drogue. C'est celui de notre culture.Le processus inverse reste à enclencher: c'està la population tout entière comme aux petitesunités c'est aux quartiers comme aux maisonsqu'il i,~combede résorber ce que l'on appelle lecrime et la mentalité mentale. C'est à nous d'ar-river prog·resslvement à Intégrer ces gens quel'on expulse, parce qu'Ils sont différents de nous.Il est grand temps de mettre fin à ce racismequi nous fait enfermer ceux dont nous avonspeur dans le camps de concentration' de la psy-chiatrie.

Jacques LESAGE DE LA HAyE.

_,../"

10-,thèses sur la psychiatrie1) L'internement en asile psychiatrique est tou-

jours réglementé par la 101 de 1830. Or, cetteloi prévoit, en particulier, le • placement d'office.(art. 1B et 19) • ordonné à Paris par le Préfetde police, dans les départements par les Pré-fets, pour tout malade dont l'état d'aliénationest une cause de troubles 'pour l'ordre public ...et la sécurité des personnes. D • (1°). En outre,«l'intervention d'un médecin n'est pas néces-saire pour mettre en route les rouages policIerset administratifs ... » (1°).

2) Depuis une dizaine d'années, une commis-mission ministérielle 's'est réunie pour réformercette loi sans avoir obtenu, à ce jour, aucunrésultat.

3) Cela fait maintenant quinze ans que te sec-teur est officiellement la doctrine de l'état enmatière psychiatrique. Or, par son inertie, "ad-ministration psychiatrique empêche la réalisa-tion de ce projet, aidée en cela par les psy-'chiatres qui, en voyant disparaître l'asile, crai-gnent en réalité de perdre leur pouvoir.

4) Le discours de l'Etat voit dans la psychia-trie de secteur la mort de l'asile. En réalité, enenvoyant à l'infirmier ou le psychiatre «soi-gner D les gens à domicile, en considérant lafamille comme le bon lieu thérapeutique où le« malade D, après un séjour le plus court àl'asile, doit «guérir D, le psychiatre de secteurrenforce la cellule familiale en y faisant passerla structure asilaire. La psychiatrie de secteurest donc l'extension de l'asile à toute la société.

5) Un point à retenir: la psychiatrie de sec-teur • marche D très bien dans les munlcipaiitéscommunistes, là où du flic de base au psychia-tre, en passant par l'infirmier et le camarade,directeur de l'hôpital, tout le monde est Jnscrltau P.c.. Ce quadrillage para-policier plaît' lncon-testablement à tous ces braves gens à tel pointque les dirigeants du P.C. n'hésitent pas à fairehospitaliser les camarades qui ne répondentpas aux normes du militantisme (les alcooli-ques, entre autres). Ceci pourrait enftn fairecomprendre que la plus-value de consctencede classe produite par le travail du mili-tant et exigée de lui par le parti, relèved'un dispositif rigoureusement analogue à celuioù la plus-value produite par le travailleur estexigée de lui par le Capital. Pour le pouvoir, l'avan-tage de J'asile sur les prisons est celui-ci: quandun individu va en prison, j;J sait quand il en sortira,mais quand il va à J'asile, il ne le sait pas. La déci-sion dépend du médecin chef.

6) Il y a très peu de fous dans les asiles, maisdes alcooliques, des gâteux, des vieux dont per-sonne n'en veut plus, des délinquants et desdrogués, des anormaux, quoi! Cet échantillon-nage de la population asilaire indique que dansla société le seule critère de la maladie est l'in-capacité au travail. Sont donc malades obliga-toirement et susceptibles d'être enfermés ouhospitalisés ceux qui ne peuvent plus travalllerou pis encore ceux qui refusent le travail.

7) Nous ne ferons pas de romantisme, c'est-à-dire de snobisme de -la folie, étant bien pré-cisé que ni la raison, ni la lucidité ne sont àl'opposé de la folie. Certains d'entre nous ontpu dire: la folie, on la choisit avec lucidité Ce-pendant, le fou, faisant fonctionner sa tête commeune machine infernale (et à cet égard la tâche del'asile est de bloquer cette machine et detransformer le fou en loque) et parcourant desterritoires inconnus est un nomade Il est doncl'un des nôtres, voyageur parmi d'autres.

B) Nous l'avons vu, l'Etat cherche à transplanterla vérole asilaire dans toute la société. Nous de-vons strictement faire le contraire: faire passerla rue ,le désordre, la révolution à l'intérieur del'asile: faire passer notre contagion à l'Intérieurdu lieu de décontamination.

9) Nous ne serons pas sectaires, c'est-à-direque nous serons toujours prêts à différencier l'in-dividu de la fonction sociale qu'il exerce. En clair,un psychiatre, un psychologue, un Infirmier nesont pas forcément des flics. Mais ce sera à euxde le prouver, non pas à partir d'un discours ra-dical et tout et tout, mais, bien entendu, à partirde leur pratique quotidienne à I'aslle et allleurs.

10)Aujourd'hul, la machine scolaire se met àproduire des anticorps, « lycéens révolutionnairesqui refusent toute notion d'école. L'asile, lui aussi,devra produire des anticorps, Individus dont onne saura plus si l'un est soigné et l'autre soi-gnant, révolutionnaires joyeusement décidés àfaire éclater l'aslle et à anéantir tout savoir psy-chiatrique.

Page 3: Le désir ,psychiatrie - archivesautonomies.orgarchivesautonomies.org/IMG/pdf/autonomies/marge/Marge-n6.pdf · Il a débouché sur la contes-tation du système. Mals le groupe s'est

MARGE 3

LE'aRIF.~.Un groupe d'élèves-infirmiers a décidé de créer un

groupe autonome à l'intérieur de l'hôpital psychiatriquede Ville-Evrard. la question se posait depuis fin 1972.la fondation' de ce groupe a eu lieu en mai 1973. Ala suite d'une discussion autour d'uri magnétophone,un des participants a rédigé un texte nous relatantl'histoire du GRIF, c'est-à-dire Groupe de Recherchedes Infirmiers en Formation.

Nous. avions fait de la dynamique de groupe, encycle d'Initiation. Beaucoup d'entre nous réclamèrentla libre disposition d'un local extérieur à la salle decours: Un médecin-chef nous a offert une pièce assezvaste, où il nous serait possible de nous réunir. Nousavons d'ailleurs inauguré cette salle, en juin 1973, avecune Importante participation des élèves, ainsi que lemédecin-chef responsable de l'enseignement, des moni-teurs et d'autres catégories de soi.gnants. Par la suite,le GRIF n'a pas été fréquenté que par des élèves,mais aussi par des infirmiers diplômés, des médecins,des assistantes sociales, des moniteurs et des psycho-logues: '

Au .départ, nous voulions continuer à faire de ladynamique de groupe. Nous devions également fairela fête, danser, discuter, nous réunir librement (partoutailleurs, c'était la répression), faire venir des gensde l'extérieur, aller voir des films ensemble, en débat-tre, faire passer des films à l'intérieur de l'hôpital eten discuter parelllement,

Dès le départ, on s'est considéré un peu en anar-chie: pas de leader, ni d'obligations, libre droit d'en-trée à tout le monde, surtout aux malades.

Sur le plan des échanges, au démarrage, nous avonseu des problèmes, notre seule relation étant de nousfaire écraser quarante heures par semaine et mêmedavantage. Nous avions du mal à nous libérer, surtoutparce que nous ne 'disposions que de deux heures parsemaine. Ce qui nous a gêné également, c'est laconfusion qui régnait au niveau théorique. Quand onen a eu marre de la théorie, on a décidé de passer àl'action. Mais qui dit action pense répression et on aeu peur de se faire casser la gueule, car cette répres-sion existait et existe encore sur le plan pavit.lonnaire.Par exemple, les convocations du GRIF arrivaient lelendemain ou on oubliait de les remettre à l'intéressé.

Il est à noter qu'au départ, nous étions plus nom-breux que 'maintenant, mals Il semble, entre autreschoses, que, lorsque les gens ont vu qu'ils risquaientde se remettre en question, Ils se sont barrés. Il estun autre point que nous avons à peine réalisé: la par-ticipation des malades à nos réunions. Il en est venu,mals finalement assez peu. Nous avons, en tout cas,été très marqués par le passage, chez nous, d'unInfirmier et d'une psychologue, venus d'ailleurs, quiétaient tous les deux d'anciens malades et avaientconnu la répression d'autres hôpitaux psychiatriques.Ils pouvaient en parler en connaissance de cause,surtout depuis qu'ils n'étaient plus malades, puisqu'ilsétaient passés dans le camp des solqnants, Ils avalentenfin droit ,à la parole.

Le GRIF constitue le pôle de regroupement des mecset des nanas qui en ont ras-le-bol de la formation etde la répresslon au pavillon. Cette répression existesous toutes les formes, mais une des plus dange-reuses est l'accusation, l'attaque contre l'individu,orchestrée à plusieurs, afin de trouver les pointsfaibles, détruire ce que la personnalité a de meilleur,la liberté de pensée, de parole et d'action.

Plus d'un parmi nous a entendu:- Discuter avec les malades, c'est pas du boulot.Ou encore:- Pourquoi tu discutes? Pourquoi veux-tu qu'on te

donne nos Idées, qu'on les discute, qu'on critique lestiennes? On a compris, t'es un masochiste et, en plus,t'es un pédé, parce que tu as les cheveux longs.

La répression a dû jouer contre ceux-là même quil'exercent aujourd'hui. Ils nous l'expliquent parfois,quand ils sont en veine de confidence:

- Au début, on a tous eu des idées, mais après,on change.

Contre un tel système, notre forme d'action, c'estsurtout notre état d'esprit, notre façon d'agir, qui ris-quent; dans le mellieur des cas, de poser l'éventualitéd'une remise en question et, hélas seulement, derendre l'emprisonnement des malades plus supporta-ble. Nous avons évidemment réussi quelques actionslndlvlduelles. L'une d'entrenous, dans l'effervescencede l'action, a réussi à faire ouvrir les portes de sonpavillon, jusqu'à ce qu'il y ait un problème avec unemalade et que les portes soient de nouveau fermées.

Il y eut Clermont-de-l'Oise, en octobre 1973. C'étaitune journée qui rassemblait surtout des infirmiers etélèves-infirmiers psychiatriques, organisée par lesCEMEA (Centres d'Entraînement auxMéthodes d'Edu-cation Active). Notre Intervention était surtout un actede présence, car nous n'avions rien préparé. Si nousavons manifesté bruyamment, c'est parce que nousétions scandallsés par l'auto-satlsfactlon de certainsparticipants, qui disaient des choses comme: • Noussommes, nous les Infirmiers, les techniciens de la re-lation .•

Plus tard, l'un d'entre nous a rédigé un tract, avecl'accord du groupe. On l'a lu ensemble. Les réactionsont été:

- Oh! là, là, c'est trop agressif. C'est dangereux.On va se faire casser la gueule.

Alors, on en a fait un d-euxième,assez général, puison a envisagé d'en préparer encore un, point par point,

mais, au moment de la décision, tout le monde s'estdégonflé et on a rangé les tracts.

On a ensuite fait passer un film sur les prisons. Unecentaine de personnes sont venues et le débat nous apermis de faire passer un certain nombre de nos ldées.Nous avons aussi projeté un autre film, mals c'était unvrai navet et le débat n'a pas volé bien haut, malgréla participation de membres de Gardes-Fous qui, com-me nous, se heurtaient à l'inertie de l'hôpital.

La rencontre avec le GIA nous a pas mal apporté.Nous avons été invités aux Comités de Quartier issusde ce groupe. Plusieurs d'entre nous sont allés à desréunions du GIA (Groupe Information Asiles).

Ce qui est important, c'est que nous sommes à l'in-térieur de Ville-Evrard, avec toutes les possibilités etimpossibi'lités que cela entraîne, sur le plan de l'actioneffective et. surtout, efficace. Nous ne pensons pasque, pour l'instant, cela puisse aller beaucoup plusloin. Nous nous bornons à des actions ponctuelles: un

film, un débat, un meeting. Nous avons eu l'occasionde rencontrer beaucoup de personnes, qui s'ajoutentaux permanents du GRIF (une quinzaine environ). LeGroupe comprend, selon une liste • théorlque », unequarantaine de participants.

Ce qui est à' souligner, c'est comment le GRIF, audépart, organisme de formation, a évolué dans le sensd'un groupe de discussion effectuant une remise enquestion politique. Nous ne tenons plus du tout lemême discours que lors de l'inauguration. Néanmoins,avec la formation continué, un nouveau départ seraitpossible. Nous l'accepterons dans la mesure où cetteformation ne consistera pas en une entreprise de ré-cupération, mais en une occasion pour les soignantsde prendre conscience du rôle qu'ils jouent dans l'hô-pital et dans la société.

Jean-PaulVILLENEUVE.GROUPE DE RECHERCHE

DES INFIRMIERSEN FORMATION.

MAN WITH A MACHINE.'_

Page 4: Le désir ,psychiatrie - archivesautonomies.orgarchivesautonomies.org/IMG/pdf/autonomies/marge/Marge-n6.pdf · Il a débouché sur la contes-tation du système. Mals le groupe s'est

4 MARGE

DE, LA PSYCHIATRIEEN CHINE

, Dans le domaine psychiatrique, la révolutionculturelle a défintivement consacré la victoirede la ligne révolutionnaire sur la ligne Liouchao-chista. Celle-ci consistait à traiter les « maladesmentaux. par la méthode dite des «trois re-mèdes maqlques ». c'est-à-dire électro-chocs, in-jection d'insuline et prescription de calmants.Au contraire, avec la victoire de la ligne maols-te, «la politique fut mise au commandernent »,ce qui signifie que les « malades mentaux» sontmaintenant rééduqués par une lecture intensivedes pensées de Mao Tsé Tung, assaisonnée iciet là, de quelques très vagues principes tels«que, Il ne faut pas se couper de la pratique»,«que l'ancien serve le nouveau », C que l'étran-ger serve le national ».

On aurait tort de croire que la psychiatriemaoiste est plus douce ou moins répressive quela précédente. Soit un exemple tiré des prisons:un Chinois, condamné pour viol, fut envoyé dansun camp où il fut soumis à une rééducationidéo-logique doublée d'une réducation par le travail.Il finit par devenir un bon maoiste et traduisit satransformation idéologique en se castrant. Onne sait pas s'il fut félicité, mals son' acte nousfait considérer, avec suspicion, l'a pensée MaoTsé Tung, dont le seul résultat sur ses adeptesest de les conduire à l'auto-castration. Maoistesde tous les pays, nous savons maintenant quivous êtes... '

Revenons à l'asile. Précisons Immédiatementque jamais en Chine la notion même de maladiementale ou l'existence de l'asile ne furent con-testées. La «maladie mentale» renvoie toujoursà un CI désordre du cerveau» qu'il convient de« guérir If. On y remédie par une médicamenta-tion c douce» et par l'acupuncture. Sur lescauses de la maladie mentale, le discours psy-chiatrique chinois renvoie invariablement à laconception du monde comme cause interne,celle-ci devant ensuite se «dialectiser» avec lacause externe, c'est-à-dIre la situation dans lemonde du «malade ». D'ores et déjà, nous pou-vons formuler l'axiome de base de la psychiatriemaoiste: «SI tu ne vas pas bien, si tu es dé-primé, ou si tu délires, c'est que quelque chosecloche dans ta conception du monde, c'est queton cerveau ne fonctionne pas dans le bon sens ».On y remédie alors par une lecture incessantedes œuvres de Mao.

Pour comprendre qui peut être un malade men-tal en Chine, il faut partir de l'axiomatique del'état: • Ou tu es bourgeois, ou tu es prolétaire,ou tu as une conception du monde bourgeoise, outu as une conconception du monde prolétarien-ne, et alors quatre combinaisons seulementapparaissent: Prolétaire + prolétarienne (1), Pro-létaire + conception bourgeoise (2), Bourgeois +conception prolétarienne (3), Bourgeois + concep-tion bourgeoise (4).

La combinaison (1) définit la oormalité: estnormal en Chine l'individu qui se dévoue tota-lement au peuple, au parti, à l'Etat (ces troismots étant interchangeables) et qui convainc les

. autres de suivre son exemple, sinon de le dé-passer.

La combinaison (4), extrêmement rare, carac-térise le fou, le déviant, le criminel, l'ennemi dupeuple, la vipère lubrique, l'individu irrécupé-rable. Pour lui, ce sera le camp, parfois l'asile.

Ce sont alors les cambinaisons (2) et (3) quiconstituant par excellence la clientèle de l'asile(en fait, c'est surtout la combinaison (2), car des« bourgeois» il en subsiste très peu en Chine.Toutefois, il faut bien qu'il en reste, car «lalutte de classes continue sous la dictature duprolétariat », point «décisif» qui constitue jus-tement l'apport original de Mao au «marxismeléninisme »). La grande tentation de la psychia-trie chinoise, c'est d'expliquer le «désordre del'esprit» par l'antagonisme existant entre uneorigine de classe et une conception du mondeopposées. Prenons trois cas différents corres-pondants aux combinaisons (4) et (2): Une ma-lade mentale internée dans un asile avait pris ladétestable habitude de lacérer toutes les cou-vertures généreusement prodiguées par lepeuple, mais aux dires des infirmiers, jamaiselle n'abîmait ses vêtements. D'où pouvoit pro-venir un tel égoïsme? (L'égoïsme en Chine·

maoïste est à la fois une maladie idéologique,une pratique bourgeoise et le critère de dis-tinction du bien et du mail. L'enquête effectuéesur son origine sociale aboutit: elle était d'ori-gine bourgeoise. Cela expliquait très bien pour-quoi à l'intérieur de l'asile elle continuait sespratiques d'ennemie du peuple (lacération descouvertures) qui faisait d'elle un cas irrécupé-rable (4).

Une autre malade, d'origine paysanne, déchi-rait aussi ses couvertures, mais elle en extrayaitsoigneusement les fils rouges pour en tisser undrapeau rouge. Ble n'avait manifestement pasperdu la raison. Elle délirait, certes, mais dansle bon sens. Sans doute, des bribes de concep-tions bourgeoises du monde l'avaient-eJ.lescon-taminée. Un peu de pensée de Mao et tout ren-trerait dans l'ordre (2).

Une autre malade, d'origine modeste, déliraitparce que son fiancé s'était retrouvé cuisinier,c'est-à-dire qu'elle supportait très mal (sa fa-mille aussi) que son futur mari ait une conditionsociale aussi basse. On est heureux de cons-tater qu'en Chine, comme ailleurs, le désir s'in-vestit dans ,le social et que le délire naît del'affrontement de deux désirs allant dans desdirections opposées. Mais, pour un maoïste, ilétait évident que c'était son égoïsme, sa con-ception du monde bourgeoise qui était à l'originede son délire. On lui répéta qu'il n'y avait au-cune honte ft à servir le peuple» et qu'il n'yavait pas de sot métier, et elle cessa de dé-lirer ...

Alors, à quoi ça sert l'asile en Chine? On se-rait tenté de répondre à abrutir (lecture inten-sime de Mao), mais ce ri'en est que l'aspectsecondaire, l'aspect principal étant de réinsérerles gens le' plus vite possible dans le circuitde la production. Et. selon les statistiques, çafonctionne bien le système chinois puisque 80%des «malades mentaux. repartent «guéris »,de l'asile. Quant aux autres, l'Etat s'efforce «dese montrer amical envers eux ».

On remarquera que de cet usage quasi impé-rial permanent et ,généralisé de la disjonctionexclusive (ou tu es prolétaire ou tu es bour-geois, ou tu as une conception du monde pro-létarienne ou tu as une bourgeoise, ou tu esmalade ou tu. es sain) monte l'odeur immonded'un pouvoir qui a su marquer la population endeux canaux, fun immense, l'autre réduit, à par-tir de critères lénifiants trouvés dans ,les pou-pelles de la morale chrétienne bourgeoise: outu es égoïste et, alors attention, tu vas te fairerééduquer par les masses, par le peuple et tudevras faire ton auto-critique et si ça ne marchetu te retrouveras en taule ou à l'asile, ou alorstu donneras ta vie à l'Etat et tu .seras cité enexemple.

Il n'existe pas de discours spécifiquement psy-chiatrique en Chine. L'asile psychiatrique n'y aaucune spécifité et s'il est parfaitement intégréà la société, c'est que la société tout entièreest devenue un vaste asile psychiatrique, une'vaste entreprise de rééducation.

Le ,prétendu discours psychiatrique chinoisfonctionne alors sur un second énoncé, jamaisdit, et qui peut se formuler ainsi: une originede classe' prolétarienne prédispose à la santémentale, comme une origine bourgeoise à la ma-ladie. Mais d'où ça vient cette idée selon la-quelle un urolétalre ne peut pas être vraimentun malade mental? Il faut relire Lénine et par-ticulièrement son entretien avec Clara Zetkinconcernant les femmes, la sexualité et la psy-chanalyse. Lénine disait à peu près que la psy-chanalyse, née sur le «terreau de la bour-immoral où elle avait surgi. Les «théoriciensqeolsle » et rapportant tout au «sexuel », pos-sédait quelque chose de ce terrain décadent etchinois» ont repris le discours léniniste en ledélayant: «La bourgeoisie contemporaine estextrêmement pauvre dans le domaine idéolo-gique. Sur le plan théorique, elle ne peut rienapporter de' nouveau, elle a dégénéré jusqu'à labête en présentant son mol ultra-égoïste co~meune manifestation de l'instinct animal qui exlsteen tout homme. Ce sont là les théories deFreud, théories parmi les plus basses et lesplus réactionnaires ».

L'importance de ce texte ne se situe pas auniveau de sa signification, à savolr que la psy-chanalyse serait une merde bourgeoise (à lalimite, on serait d'accord), mais au niveau deson fonctionnement. La bourgeoisie est dégé-nérée, est-il dit, cela implique alors que nous,les prolétaires, nous sommes sains, forts, quenous sommes les mei.IJeurs, etc., etc. La bour-geoisie est dégénérée, donc nous sommes sains.

_/'

Petite paranoïa méprisable, à usage de «révo-lutionnaires» méprisables.

Il est dit aussi que la bourgeoisie a régresséjusqu'à la bête. Or, la bête en l'oocurence, c'estla sexualité et ce qu'il faut entendre alors, c'estqu'il y a 'du fumier dans la sexualité. La sexua-lité, c'est la bête, c'est l'ennemie, elle est objetde honte et de dégoût et, d'ailleurs en Chine,la sexualité c'est ce dont on ne parle pes.: à unpsychiatre français qui demandait à des con-frères chinois si les maladies mentales ne pou-vaient pas parfois «relever d'anomalies sexuel-les », les psychiatres, gênés et soudain muets,refusèrent de répondre.

Enfin, les «théoriciens chinois» nient formel-lement l'existence de l'inconscient: «Tout vientà la conscience, disent-ils, et il n'existe aucunecréation subconsciente If.

Dénégation absolue de l'inconscient, ignoran-ce désirée du désir.

La Chine apparaît alors comme une morneétendue, comme un grand Empire parcouru d'in-dividus asexués et puritains, hurlant partout labonne nouvelle: Oui, oui, oui, nous sommescastrés, l'Inconscient n'exista pas, c'est une in-vention des bourgeois. ..

Et dire qu'il y a en France des inconscientspour oser prêter à la Chine une exemplarité ré-volutionnaire.

Patrick SANTINI.

ALLONS, VENEZ AMISTous les cent pas, tout au long de ma rueIl y a des concerts de poubelles, la gueule ouverteAvec, au fond, par-dessus les bouteilles videsDes cotons maculés de sangEt de vieilles seringues souillées, qui attendent

[le momentD'empoisonner une autre âme errante...Elles me font penser, ma belle, à ton sang retiréQuand tes bras et tes cuisses sont lardésDe coups d'éperon sauvagesEt que, écumante, le plaisir exhorbitant tes yeuxTu laisses couler en toi ce flot vénéneuxEt que l'extase ardente convulse ton visage...,J'ai vu des piaules bondées de pantins grimaçants

[ou amorphesAttendant l'attentat qui rythme leurs jours

[monotonesEt qui, quand le venin désertait enfin leur chairSe tournaient tout timides vers le ciel éclatantLes yeux embués de larmes et les lèvres crispéesSe tenant au chambranle de la porte entrouverteS'élançant dans l'air froid n criant 'Il Allons-y! •La peau à fleur de nerf, les mains glacées,

[maladroites ...De nuit en nuit, sur l'écran de leur mémoireSe dressait la seringue grimaçanteD'où coulait le poison perfide, le nectar trompeur,Et puis, peu à peu, l'art possédait leur cœurLes joies d'une vie simple, un foyer protecteurDes sons et des couleurs, des phrases

[ tourmentéesDes rires trop nerveux, des larmes de tendresseRedonnaient à leur corps la chaleur bienfaisanteEt l'opium tant chéri devenait l'ennemiLa beauté et la joie devenaient leurs amies,Finis les ventres creux et finies les piqûres;L'esprit et la chair retrouvent dignitéFureur et destruction ensemble nous ont quitté ...Et je vols ces poubelles où finissent les seringuesEt je vois ces camés comme des soleils assisEt je leur tend la main: «Allons, venez, amis... »

Michel P. MARIE.

POUR CONTINUERON A BESOIN DE FRIC

SOUSCRIVEZMARGE, C.C.P. La Source 34 541-26

Page 5: Le désir ,psychiatrie - archivesautonomies.orgarchivesautonomies.org/IMG/pdf/autonomies/marge/Marge-n6.pdf · Il a débouché sur la contes-tation du système. Mals le groupe s'est

MARGE 5

Nous n'avons bâti notre causesur rien d'autre Que nous-mêmes

Nous pensons qu'il n'y a plus aujourd'hui de classerévolutionnaire (s'il y en a jamais eu)... A dire vrai,nous ne savons plus très bien ce qu'est une classe.Son rôle dans la production? Il est sans cesse à redé-finir et détermine à coup sûr plus de deux classes an-tagonistes - et ici les analyses se compliquent etla dialectique s'épuise. Les partisans de IÇ!dictaturedu prolétariat voient leur prolétariat se réduire commeune peau de chagrin; la manière réelle de l'étendren'est certainement pas de le redéfinir; il serait dom-mage que les adeptes de l'Histoire se retrouvent àcontre-courant. _

Les conceptions habituelles du/sur le prolétariatconfinent à la métaphysique - investi d'un rôle histo-rique qu'il n'assume jamais, il devient l'idée qu'on sefait de ce rôle historique - triste fin pour une penséematérialiste. On s'en tire en parlant de conscience,ma.is curieusement à ce prolétariat qui est tout, cetteconscience on lui apporte de l'extérieur. On s'en tireen parlant d'erreurs et de trahisons - comme si ceprolétariat qui doti un jour effectuer, consciemment,le plus profond bouleversement de l'histoire pouvaitêtre abusé, avec son appui, par les syndicats et lespartis qui le représentent depuis des décennies -comme si les revendications bureaucratiques n'étaientpas aussi, à un moment donné" les rèvendicationsessentielles des prolétaires.

La classe ouvrière est le champ où se réfugie lavietlle philosophie, où se construisent de brillants etmédiocres discours à prétention scientifique à l'élabo-ration desquels, de toutes manières, elle est la seuleà ne' pas participer. Du prolétaire on a fait un êtreabstrait, porteur de tout le futur et innocent de toutpassé, se perdant corps et biens dans sa classe, lui,ses désirs, et sa vie. Cette conception de la classeouvrière enchaînée à la Vérité et à l'Histoire est ledernier avatar du sacré.

La lutte de classe existe - nous préférerions diredes luttes de classes - mais ses formes tradition-nelles bien loin de tendre à la suppression des contra-dictions ne tendent qu'à en changer les termes. Nouspensons, et nous n'avons pas peur d'être les seuls àle dire, que l'action organisée et hiérarchisée du pro-létariat, réformiste ou ressentimentale, a été la forcequi a permis à ,la société industrielle de sans cesse seréadapter. Immense est le potentiel de bouleversementde la classe ouvrière; il suffirait pour qu'il s'accom-plisse qu'elie considère ce qu'elle produit comme luiappartenant et qu'elle en jouisse. Bien loin de le faire,eUe respecte non seulement la marchandise mais re-produit les valeurs qui la sous-tendent, à savoir lerespect du travail et de l'Etat. Le changement dont estporteur le strict rapport de forces inscrit dans la luttede classe vise à changer le sens du travail, de la mar-chandise et de l'Etat, non à les détruire.

Quant aux grandes révoltes de l'histoire, en fairesujet la classe ouvrière relève d'une interprétation idéo-logtque. le sujet n'était pas une classe mais desopprimés et plus précisément encore les plus oppri-més ; et à ce titre y participait une majorité d'ouvriers,mais aussi des artisans, des paysans, mais aussi dese tntellectuels ». mais aussi tout ce prolétariat enhaillons, ce sous-prolétariat tant décrié, nous serionstentés de dire tous ces marginaux, c'est-à-dire juste-ment tous ces déclassés. Et toute cette canaille déjà nese battait pas pour un quelconque devenir scientifiquedu prolétariat mais bien pour elle-même. Personne n'estporteur de la vérité historique. Le prolétariat n'est quece qu'il fait et pense, et non pas ce qu'on pense qu'ilfait ou ce qu'on fait pour qu'il pense. L'histoire n'ade sens que celui que nous voudrons bien lui donneren la transformant.

Il n'est pas question pour les gens de e Marge. derejoindre qui que ce soit, de se rallier à quelque lutteque ce soit, pas même à celle de la classe ouvrière.Il n'est pas question de nous battre pour une causequi ne soit pas totalement la nôtre. Voici déjà uneposition qui nous place e en marqe », car les idéolo-gies ne reconnaissent que des causes e désintéres-sées ». c'est-à-dire des causes où l'individu se perd.e Aliéné. veut bien dire e être autre », or nous nevoulons pas nous perdre dans une catégorie ou unconcept qui nous dépasse, fût-ce celui d'Histoire. Nousvoulons tout simplement (!) décider de nous-mêmes,de notre vie, de son cadre et de son emploi. Il nes'agit pas là d'une conscience séparée; mais biend'une révolte viscérale et de sa conscience. Vivrecette révolte, car telle est bien la question, c'est d'unecertaine manière 'être marginal. Ce mot même dee rnarqe », ce point de départ que nous avons situédans la marginalité (cf. n° 1 et 2) ne vont pas sansfaire problème. Nous y revenons. Non pas pour essayerd'établir une théorie de la marginalité, encore moinsde parler en son nom, et de nous perdre ainsi à nou-veau dans une nouvelle totalisation, une nouvelle re-présentation, mais en essayant de répondre à la ques-tion e comment vit-on et peut-on vivre sa révolte? .,ce qui nous amènera à une autre question: 1[ Commentpeut-on'faire, de cette révolte et de ce vécu un projetpolitique? la réponse à cette deuxième question

est notre existence même et nous souhaitons qu'ellen'aie pas de fin.

Tout d'abord il est évident, mais peut-être vaut-ilmieux le dire, qu'il ne s'est jamais agi pour nous deconstruire une contre-société ou société parallèle, cardans cette société, la seule, celle qui nous opprime,nous y sommes entièrement, à tout instant et nepouvons d'aucune façon nous en abstraire. De même,être marginal ne veut pas dire être en dehors, commes'il y avait un intérieur et un extérieur du corps social.Nous n'échappons pas à la marchandise et à sesravages. Si nous pouvons dans certains cas-limites dé-serter la production - à condition de ne pas recréerde nouveaux cycles de production ou de commerce(artisanat, trafics), nous n'échappons pas au cycle dela consommation. Nous n'échappons pas à l'architec-ture du profit, aux campagne utilitaires; nous n'échap-pons pas au discours et à sa reproduction. De plus,le système reste l'autour d'un éventuel isolement etce dont nous sommes issus, imprégnés - et ça neveut pas rien dire.

Il n'en reste pas moins que vivre sa révolte ouêtre marginal c'est effectuer des ruptures.

Nous partons d'un grand refus: celui d'être réduits,digérés par une machine économique et idéologiqueavec laquelle nous n'avons rien à voir. Nous refusonsla dictature de l'Etat, d'une catégorie sociale, de lanation; nous refusons la dictature de l'école, de l'ar-mée, de la famille, de l'idéologie. Nous refusons ladictature du prétendu intérêt général, nous refusonsl'esclavage du travail, Nous sommes ceux qui ne nousconfondrons jamais avec une fonction, un rôle social.Nous restons farouchement inutiles.

La tentative difficile, parfois misérable aussi, devivre ce refus - d'une manière pratique - fait denous des marginaux; et marginaux nous le sommesdoublement - de falt en désertant ou sabotant notredevoir social - et de droit, en étant exclus en tantparias, individus dangereux, irresponsables, par ceuxqui continuent de l'accomplir. Cette vie, qui est d'abordune vie de réfractaire ne va pas sans un certain étatde fureur. Cette marginalité n'est pas un lieu théorique,elle n'est pas non plus codiflable; elle passe partoutà travers le corps social. En outre, ce n'est pas d'unerevendication qu'il s'agit, mais bien d'une marginalitéde fait. Ce que nous exigeons à travers elle n'est riend'autre que le droit à la différence. .

Le refus le plus évident, et aussil'un des plus diffi-ciles à tenir, est le refus du travail. En ce sens, lapratique délinquentielle est lourde d'Insurrection. Maisle voyou n'est pas le seul à se heurter à l'interdit,interdit par la loi, ou interdit par tradition d'imbécllité.Tous ceux qui affirment leur droit à ta différence seheurtent à l'interdit; les femmes - nous parlons decelles qui ne revendiquent pas la mythique égalité(qui ne peut se traduire concrètement que par l'uni-formité, la loi du plus grand nombre et t'assimilation)mais de celles qui ne veulent plus dépendre des au-tres, en l'occurrence des hommes, mals d'elles-mêmesavec leurs particularités. Tous ceux et celles qui nesupportent pas de ne pas jouir de la libre dispositionde leur corps, qu'ils soient homosexuels(les), travestis,ivrognes ou droguéS.

L'insoumission commence là où s'effrite le respect.Nous ne respectons pas grand-chose. Autrement dit,pour nous, rien n'est sacré; nomades à la recherched'un peu de profane, à la recherche d'une parcelle delibre créativité; de créativité qui ne soit soumise àaucun impératif sinon à celui de notre bon plaisir, denotre désir. Tout ceci n'est ni raisonnable, ni ration-nel, et nous sommes aussi en marge du rationnelexclusif. Nous nous situons à côté d'une culture for-melle et pourrissante. Nous nous sentons prochesd'autres déracinés ou colonisés de l'intérieur et del'extérieur, travailleurs ou voyous immigrés, déportés,ne se retrouvant plus dans aucun pays, dans aucuneculture. Aux frontières d'une civilisation qui se dé-compose, nous sommes les seuls à ne pas nous situerdans un passé qui se contente de durer.

Les prémices de ce bouleversement que nous annon-çons, et que nous entendons dans une certaine me-sure provoquer, nous les voyons dans tous ces réfrac-taires, gens peu fiables et sans aucune garantie - leurvie ne repose sur aucune base sûre, ni matérielleni morale- souvent sans domicile fixe et sans tra-vail, sans famille et sans religion. Ce qu'ils, ont encommun nous semble être une forme de vagabondage- à travers l'espace, voyageurs ou gens instables,gens inquiets et souvent maladroits à travers les

, campagnes et les villes qui les remplacent - vaga-bondage à travers les structures: ne supportant paslongtemps la moindre forme d'enfermement, désertantle plus possible les lieux d'ennui - vagabondage intel-lectel à travers les situations, les idées, les images,utopistes ou rêveurs. La dérive dont quelques-unsparlent tant est-elle autre chose que le vagabondagedu désir?

Or les' vagabonds ont toujours été considérés com-me des gens dangereux - dangereux pour les e éta-

blis • et vivant dangereusement pour eux-mêmes,quantà leur santé physique pour beaucoup, quant à leursanté mentale, leur sécurité, pour tous, embarquésloin de ce cher point d'équilibre de la vie qu'est lavie passive.

Ce qui les caractérise (et nous caractérise) c'estl'absence de référence. Pas de références par rapportaux valeurs régnantes, aux théories, aux systèmes,pas de références par rapport à l'ordre établi, ou àsa critique établie. En ce sens la grande marginalitépourrait bien être la folle, ce lieu - ou ce non lieu -de l'absence de repère, où la critique et le contrôlesocial se brisent, là où justement tout essai de théoriee sur. n'est qu'une dégueulasse tentative policière.

Si nous ne supportons pas les limites et l'aliénationsociales, nous nous Insurgeons avec encore plus devigueur contre la pratique qui consiste à enfermerencore plus précisément ceux qui se sont insurgésd'une manière ou d'une autre contre la carcéralité dela vie quotidienne. la prison et l'asile sont ces derniè-res armes de la normalité, cette volonté de réduirecoûte que coûte les réfractaires, de détruire les Indi-vidus différents.

Fondamentalement nous sommes des a-normaux.Nous ne reconnaissons aucune norme. Aussi, serait-ilillusoire de vouloir nous assigner une place sur l'échi-quier politique qui va de l'extrême-droite à l'extrême-gauche, avec des mesures politiciennes. Ici encore,nous sommes fondamentalement différents.

Notre lutte consiste alors à favoriser, à accélérervoire à provoquer ces désertions, ces ruptures, cesinsoumissions, cette décomposition. Pour qu'il n'y estpas de malentendus; nous précisons que pour nous,la décomposition la plus urgente est celle de la mar-chandise et du pouvoir qui lui est lié.

Aussi les prémices de la révolution, ce sont aussila montée des actions ouvrières directes telles quele sabotage et les grèves sauvages Inventives; cesont l'émergence politique de ces couches ouvrièresdangereuses, instables aussi, qui remettent directementen question la marchandise et le travafl, qui veulentvivre pleinement, ici et maintenant. Chaquefois que lesouvriers s'affirment en tant qu'Individus et se battentpour décider de la production et de tous les aspectsde leur vie, la convergence explosive de leur lutte et dela nôtre annonce la mort de l'Etat Industriel et deson ennui.

Jean-Pierre RODIER.

Tract distribué au cours duCongrès du G.E.R.I.P., au Tou-quet, le 10 avril 1975, par un

groupe du Mouvement Marge.

Vers ladésinsertion sociale

Une fois de plus, des infirmiers psychiatriquesvont parler au nom des 1[ Malades mentaux »,soi-disant pour leur bien, pour leur réinsertionsociale. Il paraîtrait même que ces lnflrrnlers lar-bins, voulant prendre en charge le sort de ceuxqu'ils encouragent à détruire n'aient pas totale-ment réglé leurs problèmes avec les psychiatresqui les manipulent. De toute façon, si nous nousinsurgeons contre toute réinsertion sociale, ellenous paraît encore plus abjecte quand elle se faitau nom des bons sentiments et de la charité chré-tienne. Nous savons trop que les malades men-taux sont les purs produits de la famllle, del'école, d'une morale façonnée par le christia-nisme que a cartelé l'individu en faisant de soncorps et de ses désirs une torture.

Et réinsérer l'Individu dans une machine qui l'adétruit, revient à faire de lui une loque acceptantsans révolte toutes Ies mutilations.

Vous ne contiendrez pas longtemps ceux quevous enfermez. Il ne faudra pas vous étonner siun jour les «malades» retrouvent leur grandesanté pour vous éliminer.

Vienne le temps où les déserteurs sociaux sesoigneront en détruisant tout ce que vous dé-fendez, en déferlant sur vos asiles pour anéantirvotre outil de travail et tout ce qui vous fait simal vivre

, Un groupe du MOLNement Mar_ge.

Page 6: Le désir ,psychiatrie - archivesautonomies.orgarchivesautonomies.org/IMG/pdf/autonomies/marge/Marge-n6.pdf · Il a débouché sur la contes-tation du système. Mals le groupe s'est

6MARGE

Une expérience inoubliableJe devais avoir douze ans sans doute, lorsque

mes parents, sur le conseil d'un professeur quime trouvait trop turbulent, m'amenèrent con-sulter un psychiatre. A l'époque, un état commele mien, fut vite qualifié de • caractériel» (ceque Je raconte se situe dans les années 46-47;et le sujet, moi, environ douze ans).

D'abord, autant que je me le rappelle, je mesuis retrouvé au Centre Claude Bernard, entreles mains d'un homme, puis d'une fernme.. Onme posa, alors, cette question fort choquantepour mes parents, petits bourgeois .• Voyons,qu'on me dit, vous aimez beaucoup les actricesde cinéma, vous vous identifiez à elles devantvotre glace. Pourriez-vous me dire ce qui dis-tingue l'homme de la femme? ». Mol, tout bête:• Les cheveux longs, la robe ». Non, qu'on merépond. Et voilà la femme devant le tableau noir,la craie à l,a main, et qui m'explique qu'une fille,a une fente, ce que n'a pas le garçon... Rapidecontact avec la psychanalyse. Car mes parents,scandalisés, envoyèrent une lettre fort sèche deremarciement pour les bons soins rendus 1

Pour moi, ça ne s'est pas achevé pour autant.On me conduisit chez le psychlâtre, bonhommequi vous dit: bah 1 avec l'âge, ça lui passera:mais les parents sont de drôles d'animaux: ilfaut, que le coOt de la consultation soit Justifiépar des prescriptions thérapeutiques. Et mevoilà cette fols dans le cabinet d'une célébritébien grasse, à tous égards, et bien salope dutemps: rien de moins que le sieur M...Léon (ne pas confondre avec Henri 1). Et ce vieilhomme, déjà en fin de carrière, expliqua à mesparents, devant mol, que tous les enfants sontdes monstres et que ce dont j'avals besoin pourdevenir normal, c'était une cure de quinzeélectro-chocs, à la Salpêtrière. Et, un matin froidet gris, mon père me conduisit en voiture jus-qu'à ce fameux hôpital. La salle où l'on procédaità ce genre de fantaisies ou d'expériences setrouvait au fond d'une cour sur la gauche. Avantmon arrivée, dix ou quinze hommes, dont un flicdéprimé, attendaient leur tour. Quand vint Iemien, une infirmière martiqulnalse, je crois,m'administra, à l'entrée de la salle, une plqOred'on, ne sait trop quoi, derrière un paravent.Puis, Je dus traverser la salle Immense: deslits, à droite, à gauche. Couchés, des hommes,une pipette entre les lèvres, se tordaient sousl'effet du' courant électriq.ue. Deux électrodes,semblables à des écouteurs téléphoniques,étaient disposées sur chacune des tempes.Spectacle d'épouvante que je n'oublierai de mavie. Enfin, l'infirmière et mol, arrivâmes à la finde la salle: un lit Inoccupé. • Etendez-vous, jane sera rien. » Et voici la pipette qu'on me fourreentre les lèvres. Les électrodes mouillées, çafaisait frais et doux, puis je perdis conscience.Quand je m'éveillais, Il fallait que mes parentsme fassent coucher. Toute la journée, ce futcomme ça: au bout de quinze jours, ou un peuplus tard, mes parents s'adressèrent à un neuro-psychiatre, chargé des enfants. Celui-cl, indigné'du traitement qu'on m'avait administré, télé-phona à M... pour I'enqueuler d'une bellemanière. Avec le recul du temps, je pense quemoi, l'enfant. caractériel », turbulent, et tout ettout, devait recevoir une bonne leçon. Quoi demieux que l'électro-choc, la vue des hommes setordant de douleur sur leur lit, cette lente etminutieuse traversée de la salle, pour me • guérlr », les • chocs. aidant? Manque de pot, çan'a pas marché! '

Mais voici. quelques précisions sur ce traite:ment • miraculeux ., aujourd'hui administré, sousun dérivé du curare (les Indiens, vous pigez 1).Le traitement • consiste à provoquer chez lemalade une crise comitiale - état comateux -au moyen d'un courant de 100 à 150 volts agis-sant pendant 0,1 à 1 seconde. On fait passez cecourant sous 250 mA au maximum, au moyen dedeux électrodes imbibées d'une solution saléeconductrice appliquée aux tempes ». (P. La-rousse Médical à l'usage des familles, t .. 1). In-convénlents: fracture possible, luxation, rup-tures musculaires, troubles cardio-respiratoiresau cours de la phase tonique (1) ou clonique (declonus: contraction excessive du corps, ici enarcle de cercle. Vu 1). Aussi, aujourd'hui, a-t-onassocié le choc à un • anesthésique réanima-teur» lui-même en rapport avec • l'injection in-traveineuse de barbituriques et une curarisationsous assistance respiratoire ».

Ce n'est pas fini. A qui applique-t-on ce traite-ment? D'abord, à des adultes - mais, sans

doute pas à l'époque 1 Et pourquoi? Mélancolie,anxiété, agitation avec risques de suicide, étatsde confusion marquée. Petits inconvénients sup-plémentaires: troubles de mémoire, notam-ment, plus ou moins durables, • si on ne con-solide pas le traitement par des médicaments»(ces troubles seraient llés aux chocs sous nar-cose). C'est toujours Larousse qui parle. Lacure, précise-t-i1, • comprend en moyennesix à douze chocs, à raison de deux à quatrepar semaine. Un choc quotidien est parfois utileet sans Inconvénient au début », Je l'avaiséchappé belle. .

Plus tard, pour des raisons d'ordre sexuel, mesparents me conduisirent chez un autre psy-chiatre qui crut bon de m'administrer, sous for-me de piqOres, du testostérone (hormones mâ-les). Résultat: je courus davantages les mâles.Bref, échec des psychiatres sur toute la ligne.Reste un internement d'une semaine au pavillondes isolés pour toxicomanie en été 65 et valiummatin, midi et soir, pour éviter un pseudo-déli-rlum tremens: une seconde désintoxication vo-lontaire, celle-là, en 1970 (1), pendant quinzejours, dans un autré hôpital psychiatrique,dans une section libre. Eh! bien, le résultatest que sur toute la ligne, aucune méthode n'aréussi à me transformer. Mon • cas» s'estaggravé. Bon. En dépit de mes parents qui crai-gnaient la folie (mon père parlait, à douze ans,d'un parente à lui qui avait perdu la raison: sesnerfs étant devenus aussi fins qu'un fil, jecharie pas 1), je n'al pas perdu la raison; maisj'ai acquis du moins une haine assez solide pourtous les représentants de la Loi: Eglise (. Il estun monstre s : j'avais à peine neuf ans 1), Fa-mille (ça se conçott), Ecole (idem), Psychiatrieet, finalement, l'Armée (mais je me suis faitréformer en y mettant, si j'ose dire, le prix età une époque où... passons 1).

J'aurais pu rester aussi inculte: mais, pardéfi peut-être, j'al fait mes classes, mals 'pas àl'école, soyez-en sOrs 1

PIERRE.

LETIRE OUVt;RTE AUX PSYCHIATRES

Ex-père psychiâtre, priez pour vous, car désor-mais, c'est nous qui expertison dans le cul. Laporcnalité de cette société normalade nous faitvomir Nous ne sommes pas de la race de ces in-dividus normoyens et larmoyants que VOt,lS êteschargés de carrégulariser. La pensée rationnulleruminant ses normeuhmeuh, ne fera jamais devous que des vaches aussi crapolitlères qu'unenorme alitée sur un divan.

Qui sommes- nous? Des récalcitrons qui enavons marre d'être pressés dans vos cacanalisa-tions, des vaqabondabhorrés répétant au vaga-bondadoré : vagambader et non pas vagamberger.Nous, qui vagabandons, réfracterrant nos désirsdans l'astrolétairenité, nous préférerons toujoursdivagabonder sur la fracture des corps et la sur-face des coffres plutôt que de divagalamer iJl'aisne ou à l'usile.

Le pouvoir des mots-crassle, démoniaque ma-niaquerie de la médiacrasserie et de ses média-chions (ne) se confond (pas) avec le mouvoir despeaux-nia peaux de yackzéflikeries.

Surgissant de vos bouches à égout de merde,nos hordes iront mordre à l'Idéal amer de votreordre. C'est dans vos bas canaux crevés -culvée de chiottes et bac anal -, que .nous fête-rons nos bacchanales. (Crever un égout, n'est-cepas déjà foutre la merde ?).

L'éfflicacité afflicante de cette société ne nousdésespéritera pas. Au contraire. L'obséquerritéprécaire de vos résidusines fera reluire l'aspériténocturne de nos écarts diserminalisés et vos va-lurnes structurlututurisées ne résisteront as -épaves impavides - aux avés espacés des dépra-vés.

Abonnements à cc MARGE»5 numéros: 15 F

10 numéros : 25 F341, rue des Pyrénées

75020 PARIS« MARGE»

C.C.P. La Source 34541-26

La folie se porte bienJ.I y a peu de temps encore, le silence s'orga-

nisait autour de la folie: elle est maintenantdevenue prétexte à littérature. Je peux parlerde cette attitude qui consiste à parler sur lafolie, en la trouvant Intéressante, excitante etbelle - pour mieux oublier sa parole et cequ'elle engage. Elle est devenue sujet dé thèse,objet d'études littéraires, critère sthétlque. Elleprésente. pour la pensée universitaire et avant-gardiste en mal de nouveauté d'évidentes _qua-lités artistiques. Certains mêmes, qui, ne crai-gnent pas de faire l'apologie de la folie, prennenttoutes leurs précautions de confort inteUectuelpour ne pas y sombrer. Ce qui n'est pour euxque Ie spectacle de la folle illumine la pauvretéde leurs horizons. On veut bien tout admettrede la folie, sauf sa contagion, sauf qu'elle puissetransformer. Et ce bruit nouveau autour d'ellepeut être aussi dangereux que cet ancien si-lence.

Les plus intelligents savent déjà que pourcombattre un ennemi redoutable Ha révolte,l'impatience, l'amour, le dégoOt...), il faut enfaire un objet esthétique. Les autres, pleins debonnes lntentlons. restent prisonniers de cette• culture s, du • regard sur », de la séparation.du spectacle, du musée généralisé, qui tue ouenferme tout ce qu'elle touche.

Ah! que ,la folie est belle 1Elle peut même devenir un rôle social en-

viable. Lorsque l'on n'a ni • génie », ni richesse,ni puissance, on peut toujours se valoriser ense disant fou. Ceux qui n'ont pas réussi dans lalittérature ou la politique peuvent toujours serecycler dans la folie. Cet empressement esthé-tique autour de ,la démence a son corollaire im-médiat dans une soumission admirative etinavouée aux psychiatres, psychanalystes' et au-tres dangereux farceurs

Comme toute • mode », elle fait vendre ou sevend, par l'Intermédiaire de l'introduction du« délire» dans la publicité ou sous forme d'art.

Mais attention, la folie dont on se' réclame,ce n'est pas n'importe laquelle - ,la belle seu-lement -, celle qui est capable de magnifiquesattitudes, d'angoisses biencharnues, de. déses-poirs bien littéraires. On va même jusqu'à privi-légier telle ou telle forme de folie - scientifi-quement reconnue (emboîtant ainsi le pas auxspécialistes de la question). Quant aux autresformes - celles qui ne sont capables que demanques, de maladresse, de mutisme -, on pré-fère les laisser croupir au fond des asjles ___;dansl'asile généralisé de l'espace quotidien. '

Ceux qui se comparent à tel grand suppliciépour obtenir quelque admiration ou déférence nesont que des littérateurs. Ceux qui trient dans lafolle les aliments de leur théorie, ceux qui pra-tiquent le délire sans jamais risquer de s'y per-dre, ne sont que des procureurs. Ceux qui fontdes livres pour disséquer la détresse des autresne sont que des marchands.

Le jour où la folie - et ce qu'elle agite - des-cendra dans la rue, ils n'auront pas le temps d'enabstraire ce qui leur convient.

A ceux qui jouent le rôle de la folie, il faut leurlancer à la figure qu'à la racine de la folle 11y al'angoisse - c'est-à-dire la souffrance -, on n~peut pas vouloir l'angoisse, on ne peut que vou-loir en sortir.

Je ne sais pas ce qu'est la folie, sinon juste-ment cette angoisse, ce décrochage, sinon qu'ellen'est pas de • l'autre côté », mais bien de ce côté-ci où ous sommes - à la limite de nos attitudes,de nos désirs -, qu'II n'y a pas de rupture entrema possible folie - ma proche angoisse et marévolte active -, Il n'y a que cet effacement desrepères, ces paysages nouveaux qui montent -là où, justement, se décomposent tes valeurs etles formes: où éclate le • regard sur ».'

Nous avons tout à faire pour que ce qu'agite lafolie sorte des lieux où on normalise pour se ré-pandre dans la vie. Entre autres, se débarrasserde l'esthétisme qui, au lieu d'enfermer dans lesasiles, enferme' dans des musées ou dans desmarchandises. Mais si la deuxième mort des fous,c'est de les enfermer dans leurs éventuelles 'œu-vres, un jour, avec tant d'autres, • la peinture deVan Gogh armée de fièvre et de. bonne santé,reviendra pour jeter en l'air la poussière d'unmonde en cage que son cœur ne pouvait plussupporter ».

SEBASTIEN.

Page 7: Le désir ,psychiatrie - archivesautonomies.orgarchivesautonomies.org/IMG/pdf/autonomies/marge/Marge-n6.pdf · Il a débouché sur la contes-tation du système. Mals le groupe s'est

MARGE 7

Les véritables occupations,des .

infirmiers psychiatriquesBien que dans les' hôpitaux de chirurgie, le

rôle des infirmiers tienne une grande Impor-tance et beaucoup de responsabilités, l,à, aucontraire, leurs tâches sont minimes. Sur troiséquipes, U n'y a que celle du matin qui se trouveJe plus à l'œuvre, pour raisons de changer lelinge, faire ou aider les pensionnaires à laverles carrelages, noter sur le rapport ce qu'ordon-ne le médecin, ses entretiens avec ses ma-lades, aller chercher les permissions acceptéesde certains résidents. Et, comme l'équipe del'après-midi, préparer les cachets, distribuer ceC' poison » aux heures voulues et ouvrier et fer-mer à clef les portes comme le fait un gardiende prisons pour les portes des cellules. Ce quiest intolérable, c'est lorsqu'Ils battent (!) leurspensionnaires, les écrasant de leurs remarquesou leurs ordres de supériorité, les • vous, fer-mez vos gueules. C'est nous qui portons tesblouses blanches».

Le vrai désastre de l'équipe de l'après-midi,premier travail, préparer les cachets pour lesoir, 20 heures, petite occupation, d'un lnflrmler,pendant qu'un autre de ses collègues va pourfermer les portes des dortoirs à clef. SI, parbonheur, des malades se trouvent allongés surJeur lit pour se reposer, la blouse blanche n'hé-site pas à mettre ses pensionnaires au bas du'Ut. Us se pressent à faire leur petite bricolechacun, afin d'être au plus tôt réunis dans lebu reau du pavillon, pour réaliser un travail quidure toute l'après-midi. Celui-cI est le jeu detarot, de belote ou même, par beau temps, de-hors, exécuter des parties de ping-pong ou deboules.

Que font les malades cependant car, étantdonné que les Infirmiers se prennent pour despersonnes de grande Importance, ils refusent lescontacts avec leurs pensionnaires, ce qui veutdire: • Vous, débrouillez-vous entre vous, malsne venez pas nous casser les pieds, on a nosoccupations! ». Alors, pauvres d'eux, les ma-lades se promènent dans le parc, restent assissur une chaise au pavillon, ne sachant que fairede leurs dix doigts.

A 18 heures enfin, ce n'est pas trop tôt, (esblouses blanches reprennent un peu de couragepour aller chercher la soupe. Ah 1 mais là, Ilss'entendent bien avec leurs pensionnaires, par-ce qu'1Is amènent un malade avec eux, pour quece dernier pousse la charrette, porte les mar-mites. Les plats sont trop lourds pour les blou-ses blanches. C'est comme la vaisselle. Cesderniers ont peur de l'eau. Aussi, faut-il que cesoient les maltraités qui fassent ce que lesbienheureux n'aiment pas faire.

Qu'a fait l'équipe d'après-midi? Préparer lescachets, fermer les portes, servir la soupe etdonner 'les cachets.

Ouol, quand on regarde bien la chose, ils ontpassé plus de temps à s'amuser qu'à travailler.A rester à l'écart des blouses blanches et às'occuper comme ils le peuvent. Quand un ma-lade a fait une bêtise, les infirmiers s'en donnentà cœur-joie pour le corriger ou l'enfermer dansle cabanon.

Alors, si des parents aimant leurs enfants setrouvent dans ces sortes d'hôpitaux, qu'ils ne sebercent pas d'illusions, en pensant: c Mon fils,ou ma fille, est bien soignée et je ne pense pasque mon enfant s'ennuie ».

Bien solqné l C'est une chose qui ne sera ja-mais pour des malades se trouvant dans les hô-pitaux psychiatriques car, dans ces lieux, les psy-chiatres, au lieu de se donner la peine de com-prendre le cas de leurs pensionnaires afin deleur donner les soins nécessaires à leur état,tout en les guérissant convenablement, et nonpas faire ce qu'ils font actue.IJement, c'est-à-dire abrutir leurs pensionnaires de tranquilli-sants, comme s'ils faisaient des essais de ca-chets su ries premiers êtres humains, afin devoir le résultat de leur poison.

Pour en finir, c'est encore moi-même que l'onarrive à se soigner chez soi, quand une dépres-sion nerveuse vient pour s'installer.

Pour cela, il faut savoir que l'on est mal traitéen hôpital psycyiatrique, avoir de la volonté etun bon entourage.

Yves GUISSE.

LA NUIT DESLe monde est-il une grande nuit? Eh oui, sans

doute. C'est dans la nuit que nous naissons et àelle que nous retournons. Les étoiles ne me con-soleront pas.

L'incroyable jour de ma naissance, le jour horri-ble. Dans le déchirement et la douleur, mauvescomme l'aurore difficile des printemps, la saisonqui importe. Langes et limbes, le terrible couteauqui trancha le cordon ombilical, qui me soumitau regard étonné du monde. Terrible, le couteau!La guillotine est une agréable douceur qui caressele cou.

La lumière n'est pas chose naturelle. Elle estsortie de moi, à mon tour de mon ventre, de mabouche avec mes premiers baillements. Depuis,à chaque matinée, elle siège, la souveraine, surla ligne de l'Est, tranquille, provocante. Mais nousnous aimons bien, et mon regard la flatte. C'estelle ma maîtresse.

Pourtant. Et la nuit de la mer... et la nuit surnos têtes, et la nuit de l'avant, et la nuit del'après? Comme vous me plaisez, poisson desprofondeurs! Vos yeux énormes en ont-ris vu,de cette nuit du monde 1 C'est pour cela, aussi,que vous êtes si gros, et tellement installés dansl'assurance de l'injustice et de la cruauté, et siforts de respirer chaque jour la pression du liqui-de sur nous! La vie et la mort des abysses, oùla vie ne sert qu'à faire valoir la mort.

Non, nous ne sommes pas au'monde. Commenty serions-nous? Seuls, les défunts y sont, dansleur tombeau immuable, résignés à ne plus s'in-venter la lumière vitale. L'électricité est une gran-de invention, qui nous donne de l'importance, ànous autres humains. Combien la petitesse même

O"UVRIERSdes cités ramassées, dans la frayeur grégaire. etqui brillent si peu, si loin de faire pâlir les étoiles,me conforte le cœur 1

C'est nous, répétons-le, qui avons inventé lesoleil, et la chaleur et la lumière, et c'est de nousqu'elles .sortent, et de notre jeunesse. De lapoitrine découverte de ce jeune homme, dudiamant éblouissant des cuisses de la femme.Des poils de la poitrine de ce jeune homme, desgouttes de transpiration qui descendent de sesaisselles, quand il lève les bras pour mouvoir leciel.

La fécondité est une surprise, qui passera com-me le café, et qui aura son temps, et qui a euson temps. Ne soyons pas sérieux. Sous les ce-rises, la jeunesse qui eonnalt le don a repris à ellele soleil. Solides comme le pôle Sud, voici larace divine, qui dit l'existence du jour - et à (apointe de mon sexe, qui va planter encore sonpolqnard dans la nuit mille fois millénaire. Rougecomme le sang, comme le sang menstruel, commela honte, comme les palpitations ultimes de l'aga.nie.

Ne soyons pas sérieux. La technique ne "estpas. Et nous sommes mortels, dans cette froideNuit qui nous a accueillis, et que je veux oublier,pour connaÎtre le don. Il est vrai d'avoir tort. Etnul regard sur moi ne me jugera plus.

Ne soyons pas sérieux. La fécondité est uneplaisanterie, dans cette éternité. Je veux être fé-cond. D'autres le sont déjà - Humains. Les seuls,à dire vrai, pour mériter ce nom. Rares.Qu'importele total? Voici qu'ils se mettent à croître, justecomme les microbes, aux derniers moments del'infection et juste avant la fin. J'al la sévérité aux:paumes de la main.

« MARGED N° 6 est donc sorti, nous avons reçuun soutien indiscutable. Il nous faut maintenantcontinuer et nous développer. Des contacts ont'été établis avec plusieurs autres groupes en No....vège, Suisse, Allemagne, Belgique. MARGE INTER-NATIONAL est né. Nous demandons donc à tousceux qui voudraient constituer des groupes MARGEde nous écrire, ainsi que de nous envoyer desarticles. Nous aimerions bien connaître ceux quinous ont envoyé ce très beau texte: «La nuitdes ouvriers ».

MARGE.

POUR QUE cc MARGE »NE CREVE PAS,

POUR NOUS SOUTENIRDANS NOTRE COMBAT,

'ABONNEZ-VOUS OU SOUSCRIVEZA

cc MARGE J)

C.C.P. La S,ource 34541-26341, rue des Pyrénées,

75020 PARIS

Page 8: Le désir ,psychiatrie - archivesautonomies.orgarchivesautonomies.org/IMG/pdf/autonomies/marge/Marge-n6.pdf · Il a débouché sur la contes-tation du système. Mals le groupe s'est

8 MAR,GE

'TEXTE 'CONSTITUTIF DU RESEAU-,

les personnes et groupes présents les 24,25 et 26 janvier 1975 à la rencontre • Alter-native au secteur»: équipes de santé men-tale, psychiatres, infirmiers, psychiatrisés,avocats, communautés, etc. ont décidé deformer un réseau européen qui assurera unecoordination entre eux, ainsi qu'avec toutesles équipes qui se joindront à ce réseau enaccord avec son texte constitutif.

le réseau regroupe:- tout d'abord les psychiatrisés mais éga-

Iement tout groupe décidé à lutter contre l'op-pression qu'il subit,

- tous ceux qui sont les promoteurs et lesanimateurs de fait d'expériences collectivespsychiatriques ou non qui constituent desalternatives au secteur ou des tentatives dedestruction de l'asile,

- enfin tous ceux, travailleurs de la santémentale ou non, qui refusent de s'inscrirecomme les agents d'un ordre psychiatriquerépressif et exigent que soient traités lesvrais problèmes sur un mode autre que tech-nocratique.

Deux à trois personnes par pays effectue-ront la coordination au niveau européen. Cettecoordination comporte:

- échanges d'informations sur les expé-riences et les luttes des uns et des autres,

- lutte contre la répression,- réalisation d'actions communes.le secrétariat européen sera assuré par une

personne belge jusqu'à la tenue d'une pro-chaine rencontre. A partir de cette rencontrequi aura lieu dans six mois environ, le secré-tariat européen devra être assuré par unepersonne appartenant au pays où se tiendracette nouvelle rencontre.Préambule:

Nous estimons que les luttes sur la santémentale doivent s'Insérer dans J'ensemble desluttes des travailleurs pour la défense deleur santé et en, coordination avec toutes lesluttes des forces sociales et politiques pourla transformation de la société. Il ne s'agitpas, pour nous. d'obtenir la tolérance pour lafolie mals de faire comprendre que la folieest l'expression de contradlctlons socialescontre' lesquelles nous devons lutter commetelles. Sans transformation de la société iln'y a pas de psychiatrie meilleure 'mals tou-jours une psychiatrie oppressive.

Nous refusons d'enfermer dansIa termino-logie psychiatrique les problèmes d'aliénationet de marginalisation alimentés par le systè-me scclopolltlque.

Nous exigeons de cesser d'être les agentspassifs d'un système de répression de faitdes marginaux sous couvert de soins et deréadaptati on.

le réseau se fixe pour objectifs:- la plus large information sur les expé-

riences psychiatriques ou non de destructionde l'asile, d'alternative au secteur, de travaildans la communauté, le soutien de ces expé-riences et leur défense par tous les moyens(de presse, financiers, juridiques, etc.),

- l'analyse politique collective des situa-tions locales et des institutions en place endémontant les mécanismes économiques etpolitiques qui légitiment et perpétuent lesdites institutions répressives tout en entre-tenant des processus de marginalisation,

- le soutien aux luttes en cours dans lechamp des institutions psychiatriques insé-parables des autres luttes menées par lesmarginalités et les couches sociales oppri-mées,

- une recherche active de tous les moyensvisant à faire disparaître le monopole dupouvoir psychiatrique au bénéfice d'une luttemenée par les intéressés eux-mêmes dans lecadre des luttes sociales qui commencent àl'école, dans le quartier, dans le milieu detravail et dans la ville,

Alternative il la psvchiat rie- l'exigence d'une relation concrète entre

les pratiques et les discours théoriques tenusà leur propos.L'hôpital psychiatrique.

l'hôpital psychiatrique est encore de droitl'épine dorsale du dispositif du secteur. Toutetentative de sectorisation ou de psychiatriedans la communauté n'aboutira qu'à une minia-turisation de l 'hôpital si on ne casse pas lalogique de l'hôpital. Cette rupture - qui cons-titue un des axes fondamentaux du réseauinternational que nous avons constitué -vise à définir, en premier lieu, avec l'optiquemédicale du traitement de la « maladie menta-le » et avec les impératifs de rentabilité quilui sont systématiquement conjoints (parexemple les notions d'acte médical, de prixde journée, de lit, etc.). L'existence de mé-tiers de soin de la folie (psychiatres, infir-miers, éducateurs, etc.) participe des systè-mes généraux de contrôle, de normalisationet de répression. la folie pose des questionsdont les réponses sont à chercher à un toutautre niveau que celles qui sont apportées pardes corps de métiers spécialisés. Ce n'est pasparce qu'il y a quelque part une souffrancequ'on doit s'en remettre systématiquement àla machine médicale.

Quoiqu'il, en soit, dans l'immédiat, il nesaurait y avoir de doute, il est nécessaire:

- d'arrêter toute nouvelle constructiond'hôpitaux psychiatriques et de services spé-cialisés. Dans ,les pays qui sont saturés parce genre d'équipements répressifs et où leseffectifs des hôpitaux ne cessent de décret-tre, à quoi bon vouloir les remplir de force?Dans les pays où ces équipements sont en• retard », il est primordial de lutter contreleur construction et le type d'impasse qu'elleimplique,

--- d'engager' dès .màintenant un preeessusde reconversion des hôpitaux psychiatriquesexistants. Il ne 'saurait s'agir d'une liquidation

. bureaucratique du type de celle qui a été faiteen Californie. Il n'est pas question de léserune couche de travailleurs et de jeter les gensà la rue. Ce processus de reconversion devraêtre pris en charge par l'ensemble de ceuxqui vivent la folie, -de ceux qui vivent parla folie, deceux qui vivent avec la folie, avecles différents groupes sociaux qui sont inté-ressés à .cette reconversion et qui ne sontpas nécessairement branchés sur la folie.L'enfancè.

C'est de plus en plus tôt que les enfantssont marginalisés et exclus de 'l'école, et diri-gés vers les institutions psychiatriques. C'estpourquoi l'enfance est un front de lutte essen-tiel pour notre réseau. le secteur et les insti-tutions parallèles sont la caution et l'instru-ment privilégié de cette exclusion car Ilsoffrent aux enfants, aux adultes et aux ensei-gnants des possibilités de prise en charge dé-multipliées proposées comme solutions tech-niques individuelles à des problèmes politi-ques. l'idéologie psychanalysante est une desformes les plus subtiles mises en place actuel-lement pour entretenir ce système.

la fonction actuelle de la psychiatrie infan-tile est de traiter médicalement des enfantsqui lui. sont envoyés pour retard scolaire ouinadaptation à la structure scolaire. Dans no-tre lutte, l'école a une importance stratégiqueessentielle.

Nous proposons de constituer plusieursgroupes internationaux de travail au sein duréseau:

- pour analyser précisément la situationde la psychiatrie infantile et de l'école dansles différents contextes nationaux, locaux, etc.

- pour réunir les expériences qui, lors-qu'elles sont isolées, sont immédiatement ré-cupérées,

_;_ pour penser à des posslbllltés de liai-sons concrètes au niveau du quartier avec

les travailleurs, les groupes politiques, lesgroupes d'action, les enseignants compte te-nu des incompréhensions qui peuvent éven-tuellement surgir auprès des organisationssyndicales,

- pour élaborer des formes de lutte et lapossibilité de faire surqlr une pratique alter-native, '

- enfin pour laisser la plus grande place àla parole des enfants qui sont les premiersIntéressés.Justice et psychiatrie.

La justice et la psychiatrie sont deux moda-lités complémentaires d'intervention contrela déviance. Délinquance et maladie mentaledeviennent équivalentes. Contre l'alliance en-tre justice pénale et psychiatrie, nous voulonsdévelopper l'alliance des travailleurs de lasanté mentale avec les avocats et magistratsde gauche. Il s'agit d'utiliser leurs pouvoirsrespectifs non pas pour l'oppression des dé-viants mais pour faire éclater les contradic-tions sociales à la base de la déviance.

1. Nous devons participer à la défense 'desinternés comme des psychiatrisés, obtenirpour eux le respect des droits que les cons-titutions garantissent à tout cltoyen.des droitsélémentaires de l'individu.

2. Nous devons notamment lutter pour ledroit à l'information des internés et des psy-chiatrisés sur ce qui se passe dans les insti-tutions où ils vivent. le réseau doit contrain-dre la presse à aborder ces questlons. Il doitpermettre l'information réciproque sur les lut-tes menées dans chaque pays à ce sujet.

3. Nous pouvons dès maintenant publier- largement les expertises psychiatriques. Nouspouvons aussi constituer des groupes de psy-chiatres qui se mettent à la dispositions desinculpés.

4. Nous demandons l'abolition des lois surles hôpitaux de force, sur la toxicomanie, Con-tre les' alcooliques dangereux, sur le place-ment d'office.

5. Nous dénonçons l'intervention croissan-te des psychiatres dans les prisons et ladélivrance de neuroleptiques aux détenus pourmaintenir l'institution.

6. Nous remettons en cause les mesures desurveillance pénale auxquelles participent lespsychiatres à qui les juges délèguent de plusen plus leur pouvoir. Nous refusons le rôlepolicier du secteur (fichage, traitements for-cés).

7. le réseau que nous constituons est ou-vert à tous les groupes, de magistrats, dedétenus, de défense juridique, qui luttent dansla même direction. Son organe de coordinationtravaillera en relation avec la coordination in-ternationale des mouvements de justice dé-mocratique.Les psychiatrisés.

les psychiatrisés et internés ne sont passeulement des marginaux puisqu'ils sont destravailleurs ou chômeurs ayant subi l'exploita-tion ou la répression de la société capitaliste.

Seule une transformation de la société, unaffrontement de classe, et à condition qu'ils yparticipent pourra supprimer l'institution psy-chiatrique avec ses nombreux bras (asile, hô-pital psychiatrique, secteur, prison, etc.). Nousdevons lutter contre l'idéologie psychanalyti-que qui récupère leurs discours et leurs luttesdans une nouvelle forme subtile de répressionet de quadrillage policier: le passage de l'hô-pital psychiatrique au secteur.

Nous devons également supprimer ,les rap-ports soignants-soignés reproduisant la domi-nation de classe. Nous réclamons. pour lesmouvements de psychiatrisés et d'internés ledroit d'information, d'organisation et de libertéd'expression, le droit de consultation et de re-trait des dossiers, le droit à l'information mé-dicale et au refus des médicaments, l'abolitiondes lois d'internement et de collocation.