Le dépistage systématique des cancers du sein par mammographie entre 40 et 50 ans : une décision...

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Imagerie de la Femme 2008;18:101-105 Controverse technique 101 © 2008. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Controverse technique Le dépistage systématique des cancers du sein par mammographie entre 40 et 50 ans : une décision politique impossible, un choix personnel difficile Philippe Vennin 1 , Sophie Taïeb 2 , Luc Ceugnart 2 1. Département de sénologie, 2. Département d’imagerie médicale, centre Oscar-Lambret, 3, rue Frédéric-Combemale, BP 307, 59020 Lille cedex. Correspondance : P. Vennin, à l’adresse ci-dessus Email : [email protected] Si l’on part de l’idée que le trai- tement précoce est, par définition, plus efficace et que, plus une tumeur est petite, mieux on la soignera, toute discussion est vaine, tant il sera dif- ficile au pays de Descartes d’aller à l’encontre de ce qui semble être le bon sens. Si l’on s’en tient aux faits (encore appelés l’Évidence), on voit bien qu’ils sont têtus et que les années, les études, les revues systématiques et les méta-analyses les plus récentes n’ont pas départagé le vieux débat concernant le dépistage des cancers du sein chez la femme quadragé- naire [1-3]. Les raisons de cette « impasse » sont connues : Le cancer du sein est relative- ment rare entre 40 et 50 ans. Le dépistage par la mammo- graphie (le seul pour qui nous ayons des chiffres à peu près solides) est d’efficacité limitée, surtout à cet âge. Comme pour toute intervention médicale, le dépistage n’est pas dénué de risques, mais nous n’avons pas d’estimations directes des plus inquiétants. Quel est le risque de cancer du sein invasif dans cette tranche d’âge ? Les taux bruts annuels (en France en 2000) sont de 14 pour 10 000 entre 40 et 45 ans et de 23 pour 10 000 entre 45 et 50 ans, soit environ 185 cas de cancer du sein pour 10 000 femmes entre 40 et 50 ans [4]. Ce qui veut dire que 98 % des femmes n’auront pas de cancer du sein entre 40 et 50 ans. Parmi les femmes atteintes, un peu moins de 20 % des cancers sur- viennent entre 40 et 50 ans [4]. Le dépistage des cancers du sein par mammographie n’est globalement pas très efficace La revue Cochrane, la plus récente fondée sur les résultats de sept études prospectives randomisées, considérées comme non biaisées, estime la réduc- tion relative du risque de décès par cancer du sein entre 15 et 20 %, et la réduction en valeur absolue à 0,05 % [5]. Ce qui signifie que pour 2 000 femmes suivies pendant 10 ans, une seule verra sa vie prolongée [5]. Une estimation australienne est un peu plus optimiste, mais du même ordre : respectivement 2,3 ou 2 décès par cancer du sein en moins pour 1 000 femmes dépistées pendant 10 ans à partir de 50, 60 et 70 ans [6]. Les auteurs de la revue Cochrane, comme d’autres [7] insistent sur le ris- que de mauvaise estimation du béné- fice du dépistage par le calcul de la mortalité spécifique (risque de mau- vaise attribution de la cause du décès), tout en sachant que les études n’ont pas été conçues et ne sont pas assez puissantes pour voir une éventuelle différence de mortalité globale. Indépendamment des études ra n- domisées, une baisse de 25 % de la mortalité par cancer du sein a été observée aux États-Unis (et au Royaume-Uni) entre 1987 et 1997 [8]. À cette époque, cette diminution du nombre de décès par cancer du sein pouvait être attribuée au dépistage et aux traitements systémiques adjuvants. Différentes modélisations statistiques ont donné au dépistage une part variant de 28 à 65 % (la médiane est 46 %) [9]. Pour les auteurs, la variabilité entre les modèles de la contribution en valeur absolue du pistage est plus importante que pour le traitement, reflétant l’incerti- tude plus grande associée à l’esti- mation du bénéfice du dépistage. Une deuxième diminution nette (8,6 % [IC 95 % 6,8-10,4]) de l’incidence des cancers du sein a été constatée aux États-Unis entre 2001 et 2004 [10], probablement liée à la chute brutale de la consommation des traitements hormonaux de la ménopause mais peut-être aussi en conséquence déca-

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Imagerie de la Femme 2008;18:101-105 Controverse technique 101© 2008. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Controverse technique

Le dépistage systématique des cancers du sein par mammographie entre 40 et 50 ans : une décision politique impossible, un choix personnel difficile

Philippe Vennin 1, Sophie Taïeb 2, Luc Ceugnart 2

1. Département de sénologie,2. Département d’imagerie médicale, centre Oscar-Lambret, 3, rue Frédéric-Combemale, BP 307, 59020 Lille cedex.

Correspondance : P. Vennin, à l’adresse ci-dessus Email : [email protected]

Si l’on part de l’idée que le trai-tement précoce est, par définition,plus efficace et que, plus une tumeurest petite, mieux on la soignera, toutediscussion est vaine, tant il sera dif-ficile au pays de Descartes d’aller àl’encontre de ce qui semble être lebon sens. Si l’on s’en tient aux faits(encore appelés l’Évidence), on voitbien qu’ils sont têtus et que les années,les études, les revues systématiques etles méta-analyses les plus récentesn’ont pas départagé le vieux débatconcernant le dépistage des cancersdu sein chez la femme quadragé-naire [1-3].

Les raisons de cette « impasse »sont connues :

• Le cancer du sein est relative-ment rare entre 40 et 50 ans.

• Le dépistage par la mammo-graphie (le seul pour qui nous ayonsdes chiffres à peu près solides) estd’efficacité limitée, surtout à cet âge.

• Comme pour toute interventionmédicale, le dépistage n’est pas dénuéde risques, mais nous n’avons pasd’estimations directes des plusinquiétants.

Quel est le risque de cancer du sein invasif dans cette tranche d’âge ?

Les taux bruts annuels (en Franceen 2000) sont de 14 pour 10 000 entre

40 et 45 ans et de 23 pour 10 000 entre45 et 50 ans, soit environ 185 cas decancer du sein pour 10 000 femmesentre 40 et 50 ans [4]. Ce qui veut direque 98 % des femmes n’auront pasde cancer du sein entre 40 et 50 ans.Parmi les femmes atteintes, un peumoins de 20 % des cancers sur-viennent entre 40 et 50 ans [4].

Le dépistage des cancers du sein par mammographie n’est globalement pas très efficace

La revue Cochrane, la plus récentefondée sur les résultats de sept étudesprospectives randomisées, considéréescomme non biaisées, estime la réduc-tion relative du risque de décès parcancer du sein entre 15 et 20 %, etla réduction en valeur absolue à0,05 % [5]. Ce qui signifie que pour2 000 femmes suivies pendant 10 ans,une seule verra sa vie prolongée [5].Une estimation australienne est unpeu plus optimiste, mais du mêmeordre : respectivement 2,3 ou 2 décèspar cancer du sein en moinspour 1 000 femmes dépistées pendant10 ans à partir de 50, 60 et 70 ans [6].Les auteurs de la revue

Cochrane,comme d’autres [7] insistent sur le ris-que de mauvaise estimation du béné-

fice du dépistage par le calcul de lamortalité spécifique (risque de mau-vaise attribution de la cause du décès),tout en sachant que les études n’ontpas été conçues et ne sont pas assezpuissantes pour voir une éventuelledifférence de mortalité globale.

Indépendamment des études ran-domisées, une baisse de 25 % de lamortalité par cancer du sein a étéobservée aux États-Unis (et auRoyaume-Uni) entre 1987 et 1997[8]. À cette époque, cette diminutiondu nombre de décès par cancer du seinpouvait être attribuée au dépistage etaux traitements systémiques adjuvants.Différentes modélisations statistiquesont donné au dépistage une partvariant de 28 à 65 % (la médianeest 46 %) [9]. Pour les auteurs, lavariabilité entre les modèles de lacontribution en valeur absolue dudépistage est plus importante que pourle traitement, reflétant l’incerti-tude plus grande associée à l’esti-mation du bénéfice du dépistage. Unedeuxième diminution nette (8,6 %[IC 95 % 6,8-10,4]) de l’incidence descancers du sein a été constatée auxÉtats-Unis entre 2001 et 2004 [10],probablement liée à la chute brutalede la consommation des traitementshormonaux de la ménopause maispeut-être aussi en conséquence déca-

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lée du dépistage [11]. Sans surprise,une réduction de l’incidence descancers du sein (4,3 % entre 2004et 2005 et 3 % entre 2005 et 2006)est également observée en France. Lephénomène est évidemment tout àfait paradoxal puisque le dépistagenational s’organisait à la même époqueet aurait dû occasionner une augmen-tation du nombre de cancers du sein[12].

L’efficacité du dépistage est encore moindre entre 40 et 50 ans

Pour Barrat et al., il y a dans cettetranche d’âge 0,5 décès par cancer dusein en moins pour 1 000 femmesdépistées pendant 10 ans [6]. Laméta-analyse la plus récente donneune réduction du risque relatif dedécès de 15 % après 14 ans de suivichez les femmes de 40 à 50 ans quiont une mammographie tous les ansou tous les deux ans, avec cependantun intervalle de confiance large de 1 à27 % (RR 0,85 [IC 95 % 0,73-0,99])[13]. Cela peut se traduire par un à13 décès évités pour 10 000 femmesdépistées. Ces estimations du béné-fice du dépistage ont été marquéespar des critiques sur la qualité desétudes publiées (qualité qui déter-mine les études finalement retenuespour l’analyse) et par la possibilitéqu’une partie du bénéfice observé soitlié au dépistage fait après l’âge de50 ans [3]. La réduction du risquerelatif de décès par cancer du sein de15 % est cependant cohérente avec laplupart des méta-analyses antérieureset avec une étude randomisée récentequi, après 10,7 années de suivi, observeune réduction non statistiquementsignificative de la mortalité par cancerdu sein dans le groupe intervention(RR 0,83 [IC 95 % 0,66-1,04]) [14].Dans cette étude faite au Royaume-Uni, la réduction absolue du risque dedécès est de 0,40 pour 1 000 femmesinvitées ([IC 95 % 0,07-0,87]) et laréduction du risque de décès parcancer du sein ajustée sur la non-compliance est de 24 % (RR 0,76 [IC95 % 0,51-1,01]).

Risque de faux positif

La définition du faux positif estvariable selon les études. Si l’onconsidère le taux de rappel, il se situeen général en France en dessous de10 % pour la première mammo-graphie et en dessous de 5 % pour lessuivantes [15]. Ce risque de faux posi-tif n’est pas nécessairement lié à l’âge,mais nous manquons d’informationsprécises à ce sujet [2]. Des risquescumulés impressionnants ont étédécrits dans cette tranche d’âge,jusqu’à 30 % après cinq mammogra-phies et 56 % après dix mammogra-phies [16]. Apparemment, les fauxpositifs n’ont pas de conséquence,l’anxiété est passagère, et il n’y a pasde baisse significative de l’adhésionau programme de dépistage [2]. Un« enthousiasme » pour le dépistagedes cancers est d’ailleurs décrit (auxÉtats-Unis) qui n’est pas altéré parla description des effets négatifscomprenant le risque de faux positif[17]. Une revue systématique récentea repris 23 études sur les effets à longterme des faux positifs, sans retrouvernon plus de conséquence majeure, lesfaux positifs ont, d’après cette revue,des retombées faibles sur le taux deretour au dépistage qui, curieusement,varie selon le pays (augmenté auÉtats-Unis, diminué au Canada, sanschangement significatif en Europe)[18]. Nous n’avons pas d’informationsur une éventuelle variation de cesparamètres selon l’âge dans cette revuesystématique. À ce sujet, il est intéres-sant de constater qu’à taux de détec-tion de cancer équivalent (autour de6 pour 1 000 mammographies entre50 et 54 ans), le taux de rappel est ledouble aux États-Unis par rapport auRoyaume-Uni (environ 13 % versus

7,5 %, respectivement) [19].

Risque de faux négatif (fausse réassurance)

La sensibilité de la mammographiede dépistage ne change pas avec l’âgeentre 50 et 64 ans ; elle est un peudiminuée par le traitement hormonal

de la ménopause, par une chirurgiemammaire antérieure et chez lesfemmes minces [20]. Bien que nousne disposions pas de chiffres précis, lasensibilité de la mammographie estvraisemblablement plus faible avant50 ans (65 % ?). La mauvaise sensibi-lité chez la femme jeune est sans douteliée à la plus grande densité de laglande mammaire et à la vitesse decroissance des tumeurs [21]. Par exem-ple, sur une compilation de plus de18 000 femmes participant à undépistage organisé des cancers dusein lié à un risque familial, le taux decancer de l’intervalle est de l’ordre de30 % [21].

On peut penser que les femmesqui ont été rassurées par un examennormal s’inquiéteront moins d’uneanomalie de leur sein, et consulterontplus tardivement, mais il n’y a pasd’études empiriques récentes sur cesujet. Seule une étude finlandaise en1994 rapportait effectivement un délaiau diagnostic chez les femmes quiavaient eu une mammographie nor-male antérieurement [22].

Douleur liée à l’examen

La prévalence de la douleur lors dela mammographie varie selon lesétudes (et les critères de douleur)de 28 à 77 %, mais peu de femmesconsidèrent cette douleur comme unobstacle au dépistage suivant [2].

Risque de sur-diagnostic

Le diagnostic en excès est la décou-verte et le traitement de lésions cancé-reuses qui ne seraient pas apparues duvivant de l’individu en l’absence dedépistage. C’est sans doute le risque leplus redoutable, vu les conséquencesdu diagnostic d’un cancer du sein, maisc’est aussi le plus difficile à estimercompte tenu des multiples sources debiais. Une revue récente fait le pointde la littérature à ce sujet [23]. Lesestimations les moins biaisées vont de4 % à 7,1 % entre 40 et 49 ans et de1,7 à 54 % entre 50 et 59 ans pour lediagnostic en excès des cancers invasifs

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[23]. C’est souligner la difficulté demesurer honnêtement le nombre dediagnostics excessifs. Pour la tranched’âge qui nous intéresse, le risque dediagnostiquer en excès un cancerinvasif est sans doute minime. Enrevanche, le dépistage augmente nota-blement le nombre de lésions intra-canalaires, qui représentent un peuplus du quart des « tumeurs »dépistées à cet âge (28 % entre 40 et49 ans, 20 % entre 50 et 69 ans) [24].Nous n’avons pas d’informationdirecte sur l’histoire naturelle deces « lésions » in situ. Elles sont àl’évidence hétérogènes, d’agressi-vité variable, il est impossible desavoir actuellement quelle est la pro-portion de ces « lésions » qui évo-luent vers un cancer invasif, ni encombien de temps. Les informationsdont nous disposons sont indirectes(anomalies considérées à tort commebénignes, rechutes après traitement,analyse de pièces d’autopsie, modéli-sation mathématique) et laissent sup-poser que l’évolution vers le cancerinvasif n’est pas irrémédiable [25].Quant à connaître l’évolutivité de ceslésions à la quarantaine, on ne peutémettre que des hypothèses. Évidem-ment, on peut toujours dire que cesanomalies pré-cancéreuses sont detrès bons pronostics, mais les traite-ments ne sont pas anodins et lesrépercussions psychologiques ne sontpas moindres que pour les cancersinvasifs de bon pronostic [26].

Risque de cancer lié à l’irradiation

Les cancers radio-induits existentincontestablement, ils ont été décritspour les doses élevées (radiothérapie,radioscopies, retombées des explosionsatomiques) et varient en relation avecla dose et avec l’âge au moment del’exposition. L’extrapolation de cesétudes aux faibles doses est évidem-ment hasardeuse. Une modélisation(linéaire sans seuil) donne un avantagede survie avec le dépistage avant 40 anssi la réduction du risque de décès estd’au moins 20 % [27]. Deux publica-tions récentes concernent ce sujet,

mais elles ne vont pas tout à fait dansle même sens. Une grande étude decas témoins n’a pas vu d’associationentre la mammographie de dépistageet le risque de cancer du sein chezdes femmes porteuses de mutationsBRCA1 et BRCA2, présumées à risqueparticulier de cancer induit par lesrayonnements ionisants du fait du rôlede ces gènes dans les processus deréparation de l’ADN [28]. Une autregrande étude internationale a rétros-pectivement interrogé des femmesavec une mutation BRCA1/2 surl’exposition aux irradiations etretrouve une augmentation du ris-que de cancer du sein associée auxradiographies du thorax, faites avant40 ans [29]. Cette dernière infor-mation, si elle était confirmée, seraitinquiétante, au moins pour les femmesà risque héréditaire, dans la mesure oùl’irradiation du sein pour une radio-graphie de thorax est inférieure àl’irradiation d’une mammographiestandard.

Le débat

Le débat qui entoure la mammo-graphie de dépistage entre 40 et50 ans reste donc ouvert. Le rapportbénéfice-risque n’est aujourd’hui, et del’avis général, pas suffisamment docu-menté pour proposer systématique-ment une mammographie régulièreà toutes les femmes de cet âge [30].Même sans considérer les conséquen-ces financières d’un dépistage proposésystématiquement, on convient qued’un point de vue éthique, avant deproposer une intervention médicale àquelqu’un en parfaite santé et qui n’arien demandé, il faut un niveau depreuve que nous ne possédons pasactuellement.

Les discussions autour du dépis-tage des cancers du sein ont souventdépassé le domaine médical pourconduire à des débats sociaux, écono-miques et politiques. Finalement,l’ACP (American College of Physi-cians) n’a rien ajouté en 2007 auxconclusions initiales du NIH (Natio-nal Institutes of Health) dix ans plus

tôt. On se souvient du tollé suscité àl’époque aux États-Unis par la recom-mandation lors un consensus organisépar le NIH de ne pas appeler à undépistage systématique entre 40 et49 ans, mais à un choix personnelinformé. On se souvient du retourne-ment de situation, lié à des influencesessentiellement politiques, qui avaitfinalement conduit à proposer ledépistage systématique dès 40 ansaux États-Unis [31]. Les recomman-dations récentes de l’ACP n’ont passoulevé le même émoi dans les médiasnord américains. Peut-être les journa-listes sont-ils las des discussions sur ledépistage des cancers du sein, ou lespolitiques occupés à d’autres tâches. Ilest aussi possible que le public et lesmédecins aient maintenant comprisque le dépistage avait à la fois desavantages et des inconvénients et queles choses sont bien plus complexesqu’elles n’y paraissent a priori

[32].

Comment faire en théorie ?

L’idéal serait d’informer indivi-duellement du mieux possible sur lesconséquences positives, négatives etpotentiellement inconnues du dépis-tage. On imagine facilement que cesoit un « vœu pieux », compte tenude la complexité des informations àtransmettre et du temps qui seraitnécessaire à de telles explications.

On pourrait aussi imaginer de« cibler » les femmes dites « à ris-que », mais mis à part les formeshéréditaires, les facteurs de risque decancer du sein sont associés à desrisques relatifs modérés et la plupartdes femmes atteintes n’ont pas defacteur de risque précis. On peut seservir du calculateur mis à dispositionpar le NIH [33]. Ce calculateur estbasé sur le modèle de Gail et prend encompte, entre autres, l’âge, le contextefamilial de cancer du sein, l’âge à lapremière grossesse, l’âge des pre-mières règles. Il faut cependant êtreconscient que ce calcul de risque,solide pour un groupe, ne permet pasd’estimer de façon fiable un risque

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individuel et a peu de valeur discrimi-nante entre les niveaux de risque [34].

Comment faire en pratique ?

En premier lieu, il est nécessaired’isoler les situations de risque héré-ditaire qui relèvent d’une consultationspécialisée (par exemple, trois cas decancer du sein dans la même branched’hérédité, deux cas pour une formebilatérale ou avant 50 ans, associationà un cancer de l’ovaire ou à un cancerdu sein chez l’homme).

En l’absence de demande, il n’y apas d’indication à proposer systémati-quement un dépistage des cancers dusein entre 40 et 50 ans.

En l’absence de demande, et horsformes héréditaires, il n’y a pasd’élément qui justifie de proposer undépistage sur les « facteurs de risque »,comme l’âge des premières règles,l’âge à la première grossesse ou unantécédent familial de cancer du sein.

S’il y a une demande, il ne paraîtpas déraisonnable, dans l’état actueldes connaissances, de faire une mam-mographie de dépistage entre 40 et50 ans, chaque année ou tous lesdeux ans, après information sur lefaible risque de cancer du sein à cetâge, sur le niveau du bénéfice attendu,sur les limites de l’examen et sur lesrisques possibles.

En France, on peut recommanderaux femmes qui choisissent de se fairedépister de prendre rendez-vous dansun cabinet de radiologie qui participeau dépistage organisé des femmes deplus de 50 ans et, si possible, de faireune mammographie numérique, qui,à cet âge, est plus sensible [35].

Il est évidemment hasardeux dese projeter dans l’avenir. Serons-nouscapables d’identifier par les analyses depolymorphismes génétiques (SNP)des populations exposées à des risquessignificatifs, sans être majeurs, de can-cer du sein pour cibler davantage ledépistage traditionnel ? [36]. Serons-nous capables d’évaluer correctementl’apport de nouvelles techniques,comme l’IRM, dans des situationsà risque identifié, comme la densitémammaire, pour lesquelles la mam-

mographie est moins performante ?[37].

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