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Le crime, ou Lettresoriginales, contenant lesaventures de César de

Perlencour. Tome 1 / , parl'auteur de [...]

Lesuire, Robert-Martin (1737-1815). Auteur du texte. Le crime, ouLettres originales, contenant les aventures de César dePerlencour. Tome 1 / , par l'auteur de "L'Aventurier françois" etdu "Philosophe parvenu". 1789.

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LE CRIME,D U

LETTRES ORIGINALES,

CONTENANT LES AVENTURES

DE CÉSAR DE PERLENCOUR,

PAR rAuteur de VAventurier François,

& du Philosophe Parvenu.

le Crime sait la honte, £c non pas réchafaud.T. CORN.

J£SSM\,

P R E M I E R.

A--B R FX E L L E S,Chez DUJÀRDIN, Libraire de la Cour.

ET A PARIS,Chez DEFER DE MAISONNEUVE,Libraire,

rue du Foin-Saint-Jacques.

«;

AVANT-PROPOS.

JL/ ANS YAventurier François, nousavons eu pour principal but d'amuser ;mais on y a reconnu quelques réflexions

,peintures & fictions utiles. Dans le Phi-losophe Parvenu

, nous avons commencéà montrer un but plus moral j & , pouréclairer en amusant

, nous avons tâchéde persuader aux jeunes-gens qu'il fautavoir un état , & que celui qui n'en apas s'expose à de grands dangers. Letitre du Crime, qui fera suivi du Repentir,annonce ici quelque chose encore de plussérieux. Sans renoncer à amuser

, nousvoudrions toucher, ébranler, effrayermême, faire voir combien ce qu'onprend pour des gentilleíses , ce qu'on,nomme, en riant j les caravanes de lajeunesse

, peut avoir quelquefois de ter-ribles conséquences

,quand un jeune-

homme,

gâté d'abord par une mèreaveugle

,se trouve jeté à Paris dans des

liaisons dangereuses,

qui le corrompent,le dégradent, & 4'entraînent à fa perte.

II y a trois ouvrages Anglois compo-

ÌY -sés par les mêmes auteurs ; l.e Jaseur ^

le Spectateur, & le Mentor Moderne. Ona dit que ,

dans le premier, où c'est unjeune - homme qui est censé pérorer

,l'esprit a beaucoup de raison ; dans lesecond

,où c'est un homme - fait qui

observe, l'esprit & la raison vont depair; dans le troisième, où c'est un vieillardqui instruit, la raison a beaucoup d'esprit.Nous serions flattés qu'on pût caracté-riser nos trois ouvrages , non par d'auíîìbeaux éloges ; mais par des distinctionsdu même genre, en reconnoisiant que ,dans le premier

,l'amusement n'est pas

fans utilité ; que dans le second,

l'amu-sement & l'utilité sont à

- peu- près deniveau ; & que dans le troisième enfin

3l'utilité n'est-pas fans amusement.

INTRODUCTION;

(t>

INTRODUCTION.

JTAVOISVU jadis, en Angleterre,

chez M. Garrik , un portrait dusage & bon Richardson, auteur deClarisse ôt de Paméla. Ce Roman-cier vertueux étoit mon héros, &je contemplois souvent son image,avec une singulière volupté. L'ha-bile comédien , chez lequel je lavoyois, me ,disoit qu'il avoit étélié avec ce brave auteur ; il meracontoit fa vie

, ôc le faisoit souventparler. Je sentois qu'il empruntoitfa voix , fa figure

,ses gestes; ôc

je concevois qu'en voyant Garrikreprésentant Richardson, je voyois,en quelque forte, Richardson lui-même. Frappé de ce récit pitto-resque

}j'avois -raconté moi-même

tout ce que je tentois du grandTome I. A

acteur} à plusieurs amis du défuntauteur. Je- me paíïìonnois dans manarration ; j'imitois, fans m'en ap-percevoir, le rôle que j'avois vufaire à Garrik ; & mes auditeurs,qui avoient connu Richardson à lafleur de son âge, me disoient qu'ilscroyoient le revoir en moi. J'avoisdonc une idée très-distincte de lapersonne de cet écrivain célèbre,sans lavoir pourtant jamais vu lui-même en original.

Ces jours derniers, je méditoísle plan d'un Roman Moral, queje voulois diviser en deux parties,dont la première seroit intituléeLe Crime; la seconde Le Repentir.,J'avois parlé

,de mon dessein , à

plusieurs personnes. Un jour qu'au-près de mon feu, j'étois ensevelidans mes réflexions ,

relatives auplan que je méditois, je fuis tout-à-coup frappé d'un bruit éclatant ;

(3)je sens une espèce de tremblementde terre ; je vois briller des éclairs

y& bientôt, au milieu d'une fuméeroussâtre

,j'apperçois

, comme unfantôme

, une figure de vieillard,qui me représente Richardson, sem-blable au portrait que j'avois jadisvu de lui.

« Sais*tu bien qui je fuis, me» dit lë Spectre, d'une voix im-» posante ?» — « Tu me rappelles ,'

» lui dis-je,

la figure de Richard-» son. » — « Oui, reprit-il} je suis

» Richardson lui-même. Tu vou-» lois m'imiter en faisant un Ro-» man Moral : tiens, fais en un ;» voilà les matériaux , ils font» françois, c'est ta langue. » A cesmots, il me remit une cassette, oùje trouvai plusieurs liasses de let-tres qu'on va voir par la fuite,avec plusieurs portraits en minia-ture , qui étoient fans doute ceux

:-

A ÌJ

(4)des auteurs au acteurs de ceèlettres. J'acceptai le pçéfent dufantôme.

,L'apparttion avoit .quelque choíè

de frappant. Je puis .me rendre ïajustice d'assurer que je ne crois spas

aux Revenans; mais je devois êtreau moins surpris, si je n'avois paslieu d'être

>

effrayé. Je Ghercho|svainement,-dans ma tête, commentçn m'avoit joué un tour fì bienfait. Je me rappelois que Garrik,représentant Fielding

,avoit ainsi,

apparu à son ami Hogarth, peintre ;qu'il en avoit imposé à cet artiste,qui avoit fait, d'après lui, le por-trait de Fielding', universellementreconnu par tous ceux quiavoienteonnu Thabile Romancier. Je medoutai donc- que quelque vivantfàifoit le raie du mort ; mais jl n'yavoit que Garrik qui fût capablede déguiser ses traits

3& de prendre

(Oceux qu'il vouloit-, 6c Garrik étoitmort.

Je voulus- m'assurer'si la: figure,que je voyois, représentoit bíerícelle

-de Richardson. Je- priai lé

fantôme de permettre qu'en deux-

coups de crayon-, je pusse saisir uneidée de son portrait ; il y consentit,Sk je le dessinai simplement autrait. Je lelui montrai ; il sourit avecbonté

: « Travaillé, me dit - il, ôt

fr tâche de me remplacer. » II dît',& disparut.

Je restai' long-temps affecté decette vision , qui n'en étoit pointúne. Plus j'exarninois mon- dessin

,plus je le rrouvois ressemblant afeu Richardson. Je favois qu'il yavoit, à Paris, plusieurs personnes,qui avoient connu ce grand auteur;tous le reconnurent du premiercoup-d'oeil. Je leur racontai l'his-

A iij

toíre ; tous en furent émerveillés;

Cependant je ne pouvois merésoudre à voir rien de surnatureldans cette aventure ; c'étoit un.homme vivant qui avoit dû fairele Revenant ; mais qu'étoit cethomme merveilleux ?

Enfin je rencontrai, aux Tuile-ries , un homme dont les traits merappelèrent ceux de feu Garrik ,'

par l'effet d'une ressemblance assezmarquée. Cet homme sourit en mevoyant. Je sabordai, il me parut unpeu déconcerté; sa voix avoit u n rap-port frappant avec celle du défuntcomédien : « Monsieur, lui dis-je,» vous êtes le filsdu fameux Garrik,» & l'héritier de ses talens. » IIrougit & voulut d'abord feindrede nier; mais, ne pouvant y réussir,il confessa enfin, de bonne grâce,qu'il étoit en effet le fils de Garrik.

(7)

Je lui fis avouer successivementqu'il avoit hérité d'une partie destalens de son père

, & qu'enfinc'étoit lui qui m'avoit joué le tourdont je viens de rendre compte. IIm'expliqua les moyens qu'il avoitemployés pour y réussir. II me con-duisit chez lui. J'y vis des portraitsen grand

, qui ressembloient par-faitement aux miniatures qu'il m'a-voit remises ci - devant, dans sonopération presque magique. «Voilà,» me dit-il, les héros de l'histoire» contenue dans les lettres quç» vous avez entre les mains. »Presque toutes ces sigures étoientvraiment célestes; j'en fus enchantésmais je croyois les avoir vuestoutes, en différens endroits. «Vous» vous trompez, me dit le jeune» Garrik ,

la larme à l'ceil ; je ne» crois pas qu'il existe encore un» seul de ces personnages. » — « Çe

A iv

(8)» sontpourtant, lui répondis-je, des» personnages très-modernes; leurs» nabillemens l'atteifent. »—« Ouï» fans douté, reprh>il; ils poxirroient» encore tous être pleins de vie, ôt» plusieurs même íèroient encore»" jeunes. Le héros principal, que» vous voyez ,

n'auroit pas vingt-* cinq ans; mais, selon votre Mai-» herbe ,

La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles.

Quoi qu'il en soit, le fils du grandacteur avoit connu particulièrementtous ces personnages. II me ra-conta, de vive voix ,

leur histoire ;il les fit tous parler 6c agir, imi-tant si bien la figure, la voix, lespestes ôc les attitudes de chacundeux , que je croyois les voirtous présens, ôc converser avec euxen personne. J'étois donc pleinde tous ces gens ; mais je me fias*

tois toujours intérieurement queje les avois vus, presque tous, endivers endroits

, ôc je ne pouvoisme résoudre à croire, fur la pa-role du fils Garrik

, que ces inté-ressans mortels fussent tous morts..Ce qu'il'y a de trop vrai, c'est queie pauvre fils du grand comédien,qui les pleuroit de si bon coeur ,est trop bien mort lui-même.; &c'est lui que je pleure à présent.II m'auroit été fort utile pour larédaction des Mémoires, que je vaisextraire 6c composer d'un choixde ces lettres. J'ai toujours unesecrette idée que .j'ai vu toutes cespersonnes ; je me flatte toujoursque plu sieurs* vivent; & quelqu'un,qui paroît en savoir plus qu'il n'endit, m'a fait espérer que je verrai,par la suite, d'autres lettres. « SI

- » vous intitulez Le Crime, m'a-t-il» dit

,l'histoire que vous avez

» extraite de vos premières let-A v

(10)» tres, vous pourrez nommer le» récit tiré des autres, Le Repentir.» C'est tout ce que je puis vous» dire pour le présent. » Quoi qu'ilen soit, je me hâte de donner lerecueil que j'ai entre les mains.C'est tout ce que j'ai reçu jusqu'ici ;s'il me vient quelque chose dâplus par la fuite, j'en ferai partau Public.

LE CRIME.

PREMIÈRE PARTIE.

PREMIÌRE LIASSE.

M. de Perkncourpère,

à M. le Comte de Lysange.

Lyon , IJ Septembre 1777.

Vous avez donc la bonté} Monsieurle Comte

,de me déclarer formellement

vos intentions honorables, en faveur de

ma famille. Vous desirez qu'elle s'allieà la vôtre. Vous reconnoissez qu'il existe ,entre nous ,

d'anciennes relations, que

vous voulez renouveler. Je fais bien auílìA vj

qu§ ces- re-lâ&ïons. existent; r®akafpli;^pi4.depuis la&g-temps au commerce, & mapartageant entre, cette belle carrière ex-

celle dp íafinance, j'ai renoncé- à fillaf*-rration de la nobleílè, & je mefimperdui,.:

de tout mon coeur, dans l'obscurité- de,la roture. VOUS voulez que j'en sorte--

par ma postérité, & vous destinez,

à moixfils

, ua trésor mille fois préférable àr

ceux que j'ai pu amalfer pour lui ;, ca.r.

on prodigue déjà le nom de trésors aux,sommes exagérées

,qui composent ce

qu'on appelle ma fortune. Mlle. Laure,votre fille

,est

,à mes yeux, au-dessus,

de toutes îes richesses de l'Univers, &je voudrois bien que mon fils, avec le.foible supplément de son opulence, luiapportât un mérite un peu plus compa-rable au sien. Vous me témoignez, d'unemaniéré très-flatteuse

, que vous pensezavantageusement sur son compte. îl apeut-être plus mérité cette bonne opi-nion cj-devant, qu'à présent.

Pour ne pas vous tromper ,.il faut que

je vous le dépeigne tel qu'il est, & queje l'apprécie à fa juste valeur.

,Ses dehors font peut-être ce qu'il ade "mieux.. II me paroît qu'à cet égard*,

tout le monde le regarde d'un oeil auílì

(»*)£tvarable que fan père., & mêrríé que famère; mais aussi, tout le bien que l'on peutdire de lui, fe borne peut-êtrè à l'élogestérile qu'on peut faire de fa bonnes'mine.Ali 1 si le caractère étoit aussi loué quela figure!... II promettoit cependant,je dois en convenir. Le fond n'est pasmême absolument mauvais' ; mais fa mèreïa si cruellement gâté

, que je n'oselire dans l'avenir ce que deviendra unenfant, qui m'avoit donné d'abord de, ítbelles espérances. Quant à son esprit

>que j'entends prôner

,je lut en voudtois-

moins. J'aime les bonnes gens; & je netoi trouve pas Tombre de la bonhommie.Jl en avoir pourtant dans son enfance,,

' & cela peut revenir ; mais il seroit craellqu'on donnât

,à votre Demoiselle

,li

douce& si angélique du côté des moeurs yan mari si peu capable de faire le bonheurde cette belle personne

,.& même re fiem

propre*

-II est vrai qu'il est bien jeune; & qu'or*

ne peut giière décider,

dans l'adolef-cence , ce que pourra devenir un hommedans l'âge viril. J'aime encore à me faireillusion en fa faveur. Peut-être la bonneéducation q«e je lui ai donnée l'empor-

(I4)tera-t-elle sur la corruption qui l'envì--

ronne.On ne vous a point exagéré les foins

que j'ai pris pour que cette éducationpût développer les qualités , dont .jevoyois en lui le germe & le présage. Samère a cependant encore influé dans cettepartie ; elle y a mis je ne fais quoid'efféminé

,qui a trop contrarié mes

vues. On a épargné,

à cet enfant, tousles efforts qui pouvaient lui donner de1 énergie & du ressort ; on a- écarté, delui, toutes les ronces & routes les épines ;on lui a applani toutes les voies qui, plusescarpées

,lui auroient été plus avanta-

geuses. On l'a enfin élevé avec une-mol-lesse

,dont je commence à entrevoir les

suites. On ne l'éveilloit qiíau son desinstrumens

, par une douce mélodie ;ceci n'est point une métaphore , & jeparle à la lettre. Le couleur de rose l'apar-tout environné

, ou plutôt persécuté ;enfin l'on m'en a fait un colifichet, unjoli rien

, & j'aurois voulu en faire quel-que chose.

II a pourtant fait d'assez bonnes études;On ne croiroit pas qu'un joli Adonis,comme lui , parle assez bien latin, &

(I°même grec. Il a appris ces deux langues

en se jouant, tant on a eu soin de lui épar-

gner toutes les difficultés. C'est l'exemplede l'éducation de Montagne qui m'aégaré. La manière dont mon drôle s'est-instruit dans les deux langues savantes,est assez comique. Un érudit de mesamis, étant devenu aveugle fur ses vieuxjours

,avoit imité Milton

, pour sup-pléer à sa vue éteinte. 11 avoit.une fille,& une jiièce ; il instruisit la première àlire lè larin

,la seconde à lire le grec.

Les deux cousines.,

qui avoient de lapénétration, apprirent chacune à com-prendre , & même à parler la languequ'elles ne dévoient que savoir lire. Ellesn'enfurent que plus utiles au bon aveugle.U mourut bientôt. Je m'emparai des deuxBeautés érudites ; je chargeai l'une deparler grec à mon fils; l'autre, de l'en-tretenir en latin ; elles y ont si bienréussi l'une & l'autre

, que leur élevéparle déjà latin & grec presqu'auffi aisé-ment que françois. Mais savez - vouscomment le malheureux leur a témoignéfa reconnoissance ? Devenu adulte

,il

leur a fait l'hommage de ses prémices ;& déjà un petit Grec d'un côté, un petitLatin de l'autre, paroissent être en che-

ïnîn, pour venir être des'monumens 8cdes gages vivans de ses études.

Les premières famés ont droit dem'alarmer pour la- fuite ; cependant, jele répète

,le fond n'est pas tnauivais; La

•corruption ne peut lui veiirr que de de-hors ; & jusqu'ici, grâce à Dieu

,il n'a

fréquenté aucune compagnie dangereuse.II est même lié rrès-particulièrement avectrois jeunes- gens dont je fais un grandcas , & fur lesquels je compte beaucouppouf lé préserver

, par leurs avis , desliaisons pernicieuses. Le ptemier vientd'être reçu Avocat ; il a autant d'élo-quence que d'honnêteté ; il travailleSeaucoup

,& l'on voit déjà

,dans lui ,l'ornement du barreau. Le second, ne

tardera pas à être reçu Médecin ; il tra-vaille déjà

,&, malgré fa grande jeunesse ,il a vraiment de la vogstev Singulièrement

charitable,

il traite gratis les pauvres ,ávec un zèle étonnant, & les aide sou-vent de sa bourse. 11 imite

, en cela, son*ami- l'Avocat, qui défend fans intérêt

»& soutient généreusement la- veuve &l'orphelin.' Le troisième s'est consacré aiíservice des autels. Ce n'est point umabbé pimpant

,quoique beau garçon ;•

mais c'est un honnête ecclésiastique, trèa»

(17)charitable & très-éloquent. Quoiqu'en-core dans les grades inférieurs, il prêchedéjà avec un succès étonnant. II est d'ail-leurs plein du phts pur zèle ; il foulageles pauvres & leur, distribué les aumônesdes fidèles ; ses moeurs font angéliques.Voilà

,Monsieur

.,les trois rares amis ,qui ont, jusqu'ici, préservé mon fils de

la corruption ; 8c , tant qu'il fera lié aveceux, je crois qu'il pourra conserver en-core des moeurs ; mais je crains que leséjour de Paris, où il fera éloigné d'eux,ne lui soit très-nuisible. Je vous prierai,Monsieur

-,de le surveiller

, & de dé-tourner , sur lui

,quelques-uns de ces

regards ,qui animent tout autour de

vous.Je vous fenvoie ; il va partir inces-

samment. II finira, à Paris, íbs exercices,ôc se rendra digne ' d'entrer dans la car-rière militaire, où vous nous promettezd'employer

, en fa faveur , tout votrecrédit pour le pousser & le faire réussir.II part fous la conduite d'un hommetrès-honnête & très-éclairé ; mais pourvude dehors peu avantageux ,

& qui n'apeut - être pas un très

-grand usage du

monde. Il n'a pas non plus l'art d'enimposer assez à son élevé, Sc c'est 1%

(i8),

faute de ma digne épouse,

qui a tou-jours eu l'atterìtion de prendre le partide son fils

,devant lui-même.

Vous me permettez donc, Monsieurle Comte

,de voir

,dans un avenir pro-

chain,

l'union de ce sujet, qui a déjàbesoin de réforme, avec votre Demoi-selle

,qui est toute parfaite. II y aura

de quoi faire l'orgueil & la consolationde mes vieux ans, si mon fils peut pro-curer à cette personne angélique tout lebonheur qu'elle mérite ; mais quel crevé-coeur pour nous tous ,

si la vettu & labeauté même étoient exposés à des cha-grins que je n'ose prévoir ! J'ai l'hon-neur de présenter mes respects à l'inté-ressante mère qui vous a donné une fillesi accomplie. J'embrasse tendrement cettefille céleste, que je chérirai encore dou-blement

,si elle peut devenir la mienne.

J'ai l'honneur d'être , &c.

(*5>)

Madame de Perlencour ,à Mme de Lysange.

Lyon, 16 Septembre.

_LN 'ÉCOUTEZ pas mon mari, ma chèreComtesse. Je fais ce qu'il mande à M.le Comte ; mais, en dépit de tout cequ'il peut dire

, mon fils est charmant ;tout le monde en convient. J'en reçoistous les jours des complimens

,qui me

comblent de joie : de forte que cet ai-mable enfant fait déjà le bonheur de famère. Vous l'avez vu ,

Madame, vousm'en avez paru enchantée

, comme jel'ai été de votre incomparable Demoi-selle. Ils font faits l'un pour l'autre. Cefera un couple adorable.

Je brûle de voir mon petit César enmilitaire ; il sera divin

,il fera des con-

quêtes !... Oh ! les pauvres jeunes filles !Gare les poules, mon coq est lâché. C'estun vieux proverbe ; mais il est appliqué.

Je vous demande grâce pour ce pauvreabbé Rouffin ,

son conducteur. II n'est

(io)pas élégant

,quoiqu'il cherche gauche-

ment à l'être ; mais mon mari lui tcouvedu mérite. Nous sommes accoutumés aupersonnage. S'il ne fait pas tout ce qu'ilveut de mon fils, le petit drôle fait à-peu-près tout ce qu'il veut de'lui ; ce quivaut peut être mieux ; du moins, à cetitre

,il le supporte ; & c'est beaucoup

qu'il veuille souffrir,

auprès de lui, une

espèce d'e contrôteuf de ses actions.Adieu

, ma belle Comtesse, aimez-1

tìioi bien. Mille tendres baisers, je vous

prie,

à votre adorátole Laure. Je raffollede cette charmante Demoiselle. Je l'aiméautant que mon fila. Quand sera-t-ellèma fille ?-

-César de Perle'àcûur>

à son ami JDumoúlirt.

.Paria, 8 Octobre.

JLVÂE

Voilà arrivé dans la; capitale, moncher ami, ou plutôt mes chers amis ;car j'écris à Senac

, notre aimable Escu-lape

, &c à notre vénérable ecclésiastique

imberbe, Toussaint, aussibienqu'augraveJurisconsulte Dumoulin.Entre vous trois,Messieurs

, vous, formez un ami ; & jevous écrirai toujours à tous les trois in.

globo.Me voilà donc à Paris. .Mon voyage

a été rapide ; & je vais vous le décrirerapidement.

.Je n'ai pas daigné m'aírêter à Mâcon l

à Châlons-sur-Saône, que j'ai brûlé en

poste. Un cpup-d'oeil m'a suffi pour cesdeux villes

, & le coup -d'oeil n'a pasété défavorable. Les bords de la Saônem'ont plu. J'aime la -campagne ,

quandj'y passe comme un trait. Jene me fuisguères arrêté qu'à Dijon, jolie petitecapitale qui a produit plusieurs grandshommes. Elle est couronnée d'arbres flot-tans ,

qui ornent ses remparts exhaussés.En passant par Montbard

,j'ai pensé au

Pline françois qui en est le Seigneur,

8cqui fait bien faire valoir ses mines defer. Auxerre m'a rappelé le

.Paysan

Perverti, de M. Rétif-de-la-Bretonne./Je n'y ai rencontré aucun des person-nages de ce Roman ,

qui m'a intéressé.Je ne fais quel refrain me ehantoit monRouffin

, en véritable oiseau de mauvaisaugure. « M. César

,diíbit - íl

, que

(")» l'exemple d'Edmondvous effraie. Crai-

»> gnez de vous pervertir & de finit

» comme lui. »Sens ne m'a rien offert de particulier.

Fontainebleau m'a arrêté une demi-jour-née

, parce que la Cour s'y trouvoit. J'yai vu du brillant. Je me fuis reconnu-lâ.J'ai vu l'Opéra, spectacle vraiment beau,avec la décoration de pierreries. Je mefuis hâté

,le lendemain

,d'arriver à Pa-

ris ; l'approche m'en a fait splaisir, maisl'entrée ne m'en a pas plu. J'ai remarqué,dès mon arrivée

, une différence de cli-

mat ,qui est à notre avantage. Les ven-

danges étoient déjà faites à Lyon ,quand

j'en partis ; elles se faisoient à Auxerrequand j'y passai ; elles n'étoient pas en-core commencées à Paris.

Me voilà dans le cahos. J'arrive &je vous écris sur-le-champ

, mes chersamis. Je reprendrai la plume au premiermoment, & je continuerai de vous rendreun compte assidu de mes aventures ; car

-je m'en promets beaucoup. Mes lettresseront presque toujours un simple narré ;chacune fera une fuite de la même lettrequi fera mon histoire , donnée successi-

vement par parcelles. Ecrivez-moi ausside temps en temps, mes bons Provin-ciaux.

(*3).

Suite.

JE ne suis pas si émerveillé de Paris que

je m'y attendois. M. l'abbé Roussin enest encore plus mécontent que moi. « On» n'est pas regardé

,dit - il

,dans ce

» pays - ci. » Le pauvre homme a desprétentions

,malgré son physique mes-

quin. II s'est fait faire une grecque encoreplus haute qu'à Lyon. II a beau se présenterdans toutes les promenades avec cettesingulière frisure, son petit manteau &son habit de soie

,sa figure auffi piètre

que sa taille, on ne le regarde pas'plus..que moi. Nous voyons passer quelque-

' fois auprès de nous des Gordons bleus',auxquels on ne fait pas plus d'attentionqu'à nous. Le petit homme est piqué

.de cette froideur des Parisiens à sonégard. II se rappelle qu'on le regardoità Lyon

,qu'il y étoit quelque chose ;

:mais ici, il n'est rien

, ou tout au plus,

,

il est uu petit être ridicule qui fait sou-', rire imperceptiblement

, quand -ìes yeux." de quelque passant tombent fur lui par{ hasard. Voilà pourquoi nos nouveaux dé-

(M)barques font quelquefois mécontens dg

la capitale. On n'aime point à n'êtrerien

,après s'être cru long-temps quel-

que chose. D'ailleurs, nous autres Lyon-

nois,

habitans de la seconde ville dii

royaume , nous la croyons en droit de

rivaliser avec la première,

& nous chi-

canons fut tous les avantages de la ca-pitale

, pour lui opposer notre patrie,NGUS nous sommes rendus chez M.

le Comte de Lysange. Ils sont tous à la

campagne. Ils prennent bien leur temps/Je ne connois ame qui vive à Paris ; je

fuis réduit à voir des abbés de Collège,,avec mon Rouffin. Je fuis accouru enhâte pour rester à bâiller dans le payslatin.

Suite.

J_jN vérité

,les pédans m'excèdent. Au

premier jour j'échapperai à M. Roussin,& je le planterai là. Quoi ! je ferai venudans la capitale, pour m'enterrer dans les

insupportables tripots des Collèges, centfois plus ennuyeux que ce qu'on appelleles plattes coteries du Marais. Moi qui

desirois

(M)desirois voir la fleur des Beautés de laFrance

,,8c me former à la galanterie ;

en prenant le ton du beau monde & dela Cour, me voilà enfermé dans l'épaisathmosphère de ces Gnomes. Je trouve maposition aussi ridicule que celle de deux.jeunes Anglois

,qui vont mourir le

•plus comiquement du monde. Ils étoientattaqués du spleen. Leurs parens ontdit : « II faut les envoyer en France, pour» que la gaîté du climat & de la na-55

tion puisse guérir leur humeur noire,55

& leur donner de l'hilarité & de l'a-» mabilité. » Qu'a-t-on fait ? On les amis en pension chez un de nos pédans•du pays latin

,où ils ont pour compa-

gnie tous ces corbeaux en rabat,

quicroassent autour d'eux. Les pauvres jeunesgens bâillent d'une si horrible manière,qu'ils risquent, à tout moment, de sadémonter la mâchoire. Le bâillementme gagne, & je n'y puis plus tenir.Le spleen est. augmenté chez les deuxpauvres Anglois. Je ne leur donne pasquinze jours. C'est envoyer les gensdans un tombeau pour les faire rire. Masituation est aussi comique

,je te le ré-

pète ; car enfin il est aussi plaisant d'en-voyer des gens dans cette lugubre école,

Tome I. B

pour y prendre de la galanterie, que poury recueillir de la gaîté. Les conversationsfont d'un lourd.... Figure-toi que tousces graves convives sont des Théologiens,des Anti-Philosophes, des Journalistes dubas parti ; car je vois, par leurs conver-sations

,qu'il y a ici deux partis dans la

littérature ; la Chambre haute compo-sée des honnêtes gens ,

des premiershommes de la République des Lettres,ôc de ce qu'on appelle les Philosophes;& la Chambre basse formée de la tourbelittéraire

,& de tout ce qui croasse dans

le bourbier. Les uns ont à leur têteVoltaire, & les autres les Journalistes. J'ail'honneur de fréquenter

, grâce à M.Rouffin

,les nobles suppôts de ce parti

infime ; 8c vous devez sentir combienj'y deviens éblouissant & céleste. Tousces honnêtes Messieurs me jurent, à touspropos ,

qu'ils ne sont pas Philosophes.Je n'avois pas été tenté de donner ceriom à un seul d'entr'eux. Je n'en puisplus

, mon cher Dumoulin. Au premiermoment, j'échapperai à M. l'abbé Rouf-fin, & à fa noble compagnie.

(*7)

1 Suite.

J 'AI tenu parole, j'ai planté là mespédans. Hier au soir

, je n'en pouvoisplus d'ennui. J'en avois la migraine ;mais au point que je m'en fuis ttouvémal. II m'a fallu sortir pour prendre l'air.J'ai cru que je le prendrois plus avanta-geusement

, en y joignantun peu de mou-vement. J'ai donc marché. Voyant quecet exercice me faisoit du bien

,j'ai

couru ; 8c, à force de mettre un pied,devant l'autre, je suis arrivé dans larue Saint-Honoré. Cette rue m'avoit plul'autre' jour , en la traversant rapidementen voiture. Je desirois d'en faire la visitea pied. Je me sentis, sur-le-champ, guéride mon mal de tète. La gaîté me revintmême tout de suite, à l'aspect d'une foulede Beautés familières

,plantées aux coins

des rues , 8c accueillant tous les passansde la manière la plus amicale.

Je savois bien que ce genre de fillesn'est pas ce qu'il y a de plus estimé, &je rougissois un peu de m'arrêter à unepareille compagnie. Je ne te détaillerai

Bij

(z8)..

'

pas tous les propos -grivois que je mefuis permis, vis-à-vis de ces filles singu-lières, ni les réponses saugrenues qu'ellesm'ont faites. C'étoit du Vadé tout pur.J'en ai bientôt distingué deux qui m'ontparu plus .dignes de ma curiosité

, queles autres. J'ai reconnu d'abord

, parleurs noms ,

l'humiliation profonde où

ces deux pauvres filles" étoient plongées.II m'a semblé qu'on nommoit la pre-mière, la Voirie

, en corrompantson vrai

nom ,qui étoit la Voiserie

,selon ce

qu'elle m'apprit. C'étoit une grandeeffrontée

,belle femme

,qui, à travers

un cynisme bien décidé, laissoir entre-voir les marques d'une assez bonne ame.Rien de plus jovial & de plus facétieuxque tout ce qu'elle me disoit. La secondeetoit vraiment intereliante. C etoit unejeune fille de dix-sept ans ,

jolie,

selontoute la force du mot ; mais d'une phy-

'sionomie si bonne, si naïve, qu'on ne'pouvoit lui résister. Son nom, que j'en-tendis prononcer , me fit éclater de rire.

« Quoi! lui dis-je, on t'appelleLevrette!

-55 Pauvre créature humaine, ru as le

55 nom d'un animal ! » — « J'en ai la fi-"

55délité, répondit-elle'humblement, is

'Je ne pus m'empêcher de serrer,

dans

mes bras, cette pauvre enfant si humiliée ,"

Sc se plaignant si peu de l'être, 8c peut-être aussi le méritant si peu. Elle m'ap-prit qu'elle s'appeloit le Lièvre

,qu'on

savoir nommée d'abord Lievrette, en-

suite Levrette. « Il faudra changer ces55

vilains noms-là, dis-je aux deux belles. »

—- « Que veux-tu, me répondit la petite,53

ils y sont accoutumés.55

_Les deux humbles Beautés me tirèrent

chacune par un bras, pour me faire en-

trer chez elles. Je résistois d'assez mau--vaise grâce. J'allois me laisser entraîner

,( pour cette fois seulement, & sans tirerà conséquence. ) Soudain arrive

, tout

.essoufflé

,M. l'abbé Roussin

,qui s'étoit

apperçu de ma disparution, & avoit couruaprès moi. « Quoi ! Monsieur

, me dit-33

il tout en colère, c'est pour ces créa-53 tures que vous me quittez si scanda-53

leusement!'3 — « Tiens

,s'écria la

55Voirie

,qu'est - ce que nous veut ce

35Tout-laid? 35-Tu vois

, mon ami, queles propos de la Demoiselle n'étoient pasd'un ton bien relevé. L'abbé, qui a desprétentions du côté de la figure, parutfort choqué du nom qu'on lui donnoit.II me déduisit les raisons les plus fortes,pour m'engager à quitter ces filles, & à

B íij

(3°)le suivre. Je semois une attraction plusirrésistible du íôté des belles, que dusien. Voyant que je ne voulois point lesuivre

,il fit semblant de m'abandonner,

& s'éloigna de quelques pas. «Bon voyage,35

dit la grande fille ; mais il me vient53 une idée. II faut qu'il monte avecM nous. II n'aura plus de plainte à fairé.

» Holà, hoé, Tout-laid, viens donc avec« nous i mon. ami. »

A ce cri peu flatteur, Pabbé Rouíïnlança fur l'effrontée un regard d'indi-gnation

,& parut vouloir courir encore

plus fort ; mais elle l'attrapa & le tirapar son petit manteau. « Viens donc,33 mon ami Tout-laid

,lui dit-elle,

33 veux-tu nous faire perdre ce beauj3 jeune - homme ? Tu vois que je me»3

sacrifie pour toi. Je renonce à ce char»

-33 mant bijou, pour me charger de toi,

35qui es petit

,laid

, 8c vieux. Du33

moins,

saches moi gré de ma com-33

plaisance.33

Des propos si touchansn'opéroient rien fur Fingrat Roussin ;quoique la fille parût les débiter de lameilleure foi du monde. Levrette sejoignit à sa camarade : « Viens

, mon33

petit Tout-laid, lui dit-elle, je te»»

cède à ma camarade ; mais s'il le faut,

» pour te plaire, avec sa permission, 8c

33celle de mou charmant petit bon ami,

« je te caresserai aussi un peu, après

J>lui.

33Toutes ces tendres invitations

ne l'ébranloient point ; mais les deuxrfyrenes le tiroient de toutes leurs forces;il avoit bien de la peine à résister ; enfin ,

' à la prière de ma petite engeoleuse, je -

me joignis aux deux belles, pour le forcerd'entrer ; s'il résistoit, il ne crioit pas ,&c je crus que, dans de pareilles circons-tances ,

qui ne dit mot consent.Quand noua fûmes dans leur apparte-

.ment,queje trouvaifortjoli: «Vous voyez,53

Monsieur, me dit le Roussin furieux,3> vous voyez findigne démarche que vousj> me faites faire. II est vrai que ,

puisque33 vous pouvez vous résoudre à mettre53 le pied dans de pareils endroits

,il

>3 vaut encore mieux que vous y soyez33

sous mes regards, que totalement

33abandonné à vous - même. Je devrois

n appeler la garde, & vous faire traîner

33chez le Commissaire, avecvos indignes

33donzelles ; mais je veux vous sauver

33 une esclandre honteuse, aussi bien33

qu'à moi.JS

NOUS nous joignîmes, lesdeux filles & moi, pour tâcher de l'ap-paiscr. « Hé bien ! dit-il, j'exige, si vou«

B iv

(3M ^» voulez que je reste un moment ici j33' que vous me respectiez, que vous vous33

respectiez vous-même , & qu'il ne se

» passe rien contre la plus rigoureuse

33décence.

33A ce mot de décence, nos

deux Beautés prirent les grands airs^mais ironiquement

,& en finissant par

éclatet de rire. « Hé bien soit, dit Le-» vrette ,

il a raison, le petit homme

>3noir. NOUS passerons ensemble dans

» le cabiner, mon petit bel ami 8c moi. »— « Point de cabinet

,s"'écria-t-il en

33fureur.

>? — « Hé ne die donc pas» comme cela

,dit la grande fille

, en33

criant plus fort que lui. Hé bien ,33

puisque nous ne pouvons rien faire,» mon ami, fais nous venir-du vin, du.

33moins

, pour nous amuser.53 — « Ah !

33qu'à cela ne tienne, reprit-il.

53Je

jetai, sur la table, une poignée de mon—

noie, qui;fut rafflée sur-le-champ. On-

envoya chercher du vin. Je trouvois cette-scène un peu ignoble

,& elle ne me

Ndonnoit point de goût pour revenir cipareil lieu. II n'y a là ,'ni enchantement,ni féerie, & je me flatte que j'-aurai, par lasuite

,des tableaux plus galans à t'offrir.

« Mon cher abbé Roussin,

dis-je art-

» pédagogue,

assurément je fuis venu

(33)»3

ici, sans aucune mauvaise intention,

33& j'y serai aussi décent que vous le

33voudrez ; mais

, en vérité,

j'avois be-

33foin d'un peu de dissipation, pour me

33guérir de i'ennui que j'avois recueilli

33chez vos insuportables pédans. Avouez

33qu'une aussi lourde compagnie n'étoit

33 pas faite pour un homme de mon33

âge. " — ccEn vérité

,Monsieur

,ré-

33pondit-il

, je vous admire. Vous vous33 rrouvez à Paris fans aucune connois-33

sance ; je vous mene chez les miennes.33 II est tout naturel que j'aie, pour mes33

amis, des gens de mon état, & non33

des gourgandines. Ils vous onr fêté de»3 tout leur coeur, & vous êtes un in-53 grat de ne pas leur tenir compte de»3 toutes leurs honnêtetés ; « mais, dites-33 vous, ce sont des pédans.

33Vous n'a-

33 vez que ce mot dans la bouche ; mais33 que veut-il dire, je vous en prie ?

35Mes amis sont des gens éclairés

, nour-35

ris de la fleur de la littérature an-33

cienne,

8c qui consacrent leurs tra-» vaux à Futilité publique. Quoi ! parce33

qu'on est versé dans l'étude du grec3» 8c du latin

, parce qu'on se dévoue à33

l'éducation de la jeunesse, on sera

33méprisable! Non, Monsieur, je vous

B v

<M)33

soutiens, au contraire, que, parmi les

33éducateurs que vous avez vu ,

& qui

33 vous ont fait politesse,

presque tous33

sont estimables, & beaucoup sont, de33

plus,

aimables. Laissez les enfans ne33

voir,

dans ces maîtres, que de redou-

33tables correcteurs; mais vous qui com-

33 mencez à figurer dans le monde,

3»regardez-vous comme un homme, &

33 voyez, dans ceux que vous maltraitez

33injustement, des hommes distingués

M par leurs vertus 8c leurs lumières, &s»

qui souvent sacrifient aux Grâces,33 comme vous prétendez le faire, n

« C'est donc là ce qu'on appelle de33

la décence,

dit en bâillant la grande'3 la Voirie. Crois-tu bonnement, vieux

3>Rouffin

, que tu vas nous faire perdre33 notre soirée à bâiller à tes sermons ?

53 8c morbleu sois gai ; je veux-te dé-33 croter ôc faire

,de toi

3 un homme.

33Tiens,, bois à ma santé.

33Nous bûmes,

& la Virago se mit à chanter une chan-son qui

, par un heureux hasard, se

trouva presque décente.Cependant je causois assez particuliè-

rement avec ma petite Levrette ,,qui meparoissoit la meilleure enfant du monde :

« Eh mon Dieu ! que tu es un beau ca-

(35)

33valier

, me disoit - elle ! que je suis

33heureuse de t'avoir vu , au moins cette

>3fois ci ! car je vois bien que tu n'es

3> pas fait pour fréquenter des malheu-

33reuses comme nous. Tu es un Mon-

53sieur

, un jeune Chevalier avec son

53 Précepteur. C'est par désoeuvreménr,

33 parce que tu es arrivant, que tu ne33

connois personne, c'est pour cela que33 tu es monté chez nous ; mais il ne33

faut pas nous y accoutumer. Tu es33

fait pour des compagnies plus relevées'33 que la nôtre. C'est bien à toi qu'on33 peut dire à la lettre

, que tout Paris

33 va te jeter ses femmes à la tète. O !

33 que je voudrois bien être assez belle33 & assez honnête, pour mériter d'être33 ta maîtresse ! Je fais bien que tant33

d'honneur ne m'appartient pas ; mais33 pourras-ru mépriser ta pauvre petite35

Levrette ?>5 — « Non, ma chère amie,>

33lui ai-je répondu, en la serrant contre.

M mon coeur , non je ne te mépriserai33

point; je t'aimerai, au contraire, de,3» tout mon coeur. Je viendrai te voir,33

de temps en temps , & puiser, dans33 tes bras

, une gaîté,

dont j'espère ques' je n'aurai pointa rougir.» — « Nou^si mon bon ami, a-t-elle repris, tu ne

B vj

3>rougiras point avec moi; tu verras;

3> au contraire,

quand tu sauras mon33

histoire, que je fuis plus malheureuse

33 que coupable ; mais il faudra nous,»3

voir autre part qu'ici ; cat tu ne dois.

3» pas fréquenter nos malheureux tripots-33

C'est la perte de la jeunesse, mort

33bon ami. C'est la plus détestable com-

33 pagnie. Tu te dégraderois.33

J'étois édifié des propos de la petite-'Levrette. J'ai cherché un autre nom pourelle. Je songe à la nommer Mille-Fleurs ,par la fuite. L'abbé Rouffin ne nous petdoitpas de vue ,

& prêtoit une oreille atten-tive. La camarade s'amusoit à lui fairedes espiègleries. Elle lui attáehoit, furfa haute gtecque ,

fans qu'il s'en apper-vçût, une espèce de bonnet de femme ; elleJui grouppoit des chiffons derrière le dos,.ôc fur-tout un papier où elle avoit écrit t« Voilà Tout-laid.

33Elle vint à bout

de lui mettre un peu de rouge , & delui coller quelques mouches fur le visage,sans qu'il s'en doutât ; de sorte qu'encet état il avoit une vraie figure de chi~en-lit. « Enfin, Messieurs, dit la maligne35

femelle, si vous ne souhaitez rien3j autre chose de nous , vous voudrez» bien nous permettre de faire notre

(37)'33 commerce. » Nous levâmes le siègesur-le-champ. Les deux Beautés nousreconduisirent jusqu'en bas, en éclatantde rire. Je voulois avertir l'abbé Rouf-fin

,du tour qu'on lui avoit joué ; mais.

la Voirie me faisoit signe,

de l'oeil, dene rien dire.

A peine les polissons ont ils apperçu ,dans la rue ,

la figure hétéroclite dupauvre Rouffin, qu'ils se sont mis à lehuer, en criant : Voilà Tout-laid. Notregrande amazone s'est mise à distribuer

_

quelques soufflets 8c quelques coups depied dans le cul, en criant; «qu'est-ce33 que ces polissons-là ? Est-ce ainsi qu'on33

traite nos pratiques, les gens qui sortent33

de chez nous ?33

Vous sentez quelrespect elle nous concilioit

, par des.

propos de cette espèce. Je ne décris pointla cohue qui s'éleva autour du pauvreabbé, les huées qui éclatèrent jusqu'auxcieux

,les coups de poing qui tomboient

assez dm fur la grande nymphe & l'abbé-Roussin

,la boue qui leur voioit au vi-

sage. Le Guet passa. Une espèce d'Exemptvint dire à l'oreille au pauvre combat-tant : « Monsieur l'abbé

, ayez la bonté33 de me suivre.

33 —- « Pourquoi cela ,» s'écria-t-il ?

33 — « Parce que >si vous.

(}8) /.

33 ne venez pas de bon gré, lui répondit

35l'Exempt

, je vais vous faire enlever53 par six fusiliers.

33Nous suivîmes

l'Exempt,

d'un côté de la rue ,tandis

que le Guet marchoit de l'autre côté.On conduisit l'abbé chez un Commissaire.Pour moi, on ne me dit rien. Je suiviscependant, pour voir la fin de cette scènetragi-comique. L'Exempt dit au Com-missaire qu'on venoit d'arrêter Monsieurl'abbé sorrant d'un lieu public

,& que

d'ailleurs l'équipage où 011 le voyoit,parloir suffisamment. J'eus beau dire quec'étoit pour moi qu'il éroit entré dans celieu de débauche, qu'il étoit mon Pré-cepteur , que son devoir étoit de meconduire. Ma déposition ne le justifiapoint. On trouva plaisant, au contraire,qu'un Précepteut conduisît son élève chezdes filles. M. le Commiffaire l'envoyaà S. Lazare. M. l'abbé, que la surpriseôc la confusion avoient rendu muet,pendant quelque temps, voulut enfindire quelque chose pour\ sa défense.

« Que voulez-vous,

M. l'abbé, lui dit

33le Commissaire ? Justifiez-vous auprès

33de M. l'Archevêque ; c'est lui qui

33 vous fait arrêter ; c'est lui qui fair les

3!frais de votre détention. II veut que

(39).

J>son Clergé soit régulier. Justifiez-vous

33auptès de lui.

33On n'écouta pas ce

que voulut répondre' le pauvre diable.On le fir monrer dans une voirure. IIparoissoit consterné. « Voilà

,Monsieur ,

33 me dit-il, ce que je gagne avec vous. >3

Je le plaignis un peu, la voiture Fem-mena à S. Lazare

, ôc je me retirai chezmoi tout pensif.

Cette scène m'a rendu sérieux. J'aifait des réflexions profondes. Me voilàdébarrassé à présent de cette crasse pé-danresque

,de ce pédagogue importun

qui me rapetissoit les idées & me faisoitvégéter' dans un petit cercle. Me voilàlivré à moi-même. Je vais prendre, à-présent, mon essor., agir d'une manièredigne de moi

,ôc me montrer dans

toute ma grandeur. Je vais d'abord con-tinuer fidèlement mes exercices ; car jemonte à cheval , & je tire des armestous les jours. Je vais entrer dans lemilitaire. Je me distinguerai, & je netarderai pas à m'avancer dans cette noblecarrière. Je veux que la gazette apprennebientôt

,à mes parens , mes succès 8c

ma gloire. Je ne négligerais pas , pourcela, la littérature

,& fur-tout la philo-

sophie, qui est, comme tu sais

, ma

(4°)passion favorite. Je vais tracer les plans,de Gouvernement doiit je m'occupe de-puis long-temps. Je dois mes lumièresôc mes travaux à l'Etat.... Je re souhaitele bon soir

, mon cher ami. J'entendsrôder, autour de ma chambre

,la fille

de mon hôtesse,

jolie brune,

qui meparoît sentir quelque chose pour moi.C'est une passade ; mais enfin

,il faut

lui faire un soupçon de cour. Je vaism'qccuper un peu de cette agréable con-quête.

Dumoulin j à César.

Lyon, 18 Octobre.TJL E voilà donc arrivé, brave César.

Ton début est brillant, tel que je m'yattendois. De Phôtel garni dans uncollège

,du collège, dans la rue Saint-

Honoré ; de-lâ, l'un à S. Lazare, l'autrepeut-être bientôt, dans une aùtre maisondu même genre. Cela est merveilleux.Tu vas prendre un joli essor

,à présent

que tu es livré à^toi-même. Tu com-mence par des plans de Gouvernement.

-(40Rien de mieux imaginé. L'Etat doit t'avoirles plus grandes obligations, de vouloirbien ainsi t'occuper de lui ; 8c tu finis ,on ne peut pas mieux, par la poursuite de

ta petite hôtesse. Tu es un sage décidé,un philosophe consommé PauvrePerlencour, que je te plains !

J'apprends que tu n'as point encoreécrit à tes parens. Cela est édifiant. Tonpère en est justement irrité ; ta mère tejustifie comme elle peut. Elle veut passer

pour bonne mère,

à raison de l'excessiveindulgence qu'elle témoigne en ta faveur;mais elle est une cruelle marâtre pourfa fille. La pauvre enfant ! elle a pris levoile en pleurant. C'est à toi qu'on la,sacrifie, malheureux.

Je n'ai pu cacher, chez ton père, quej'avois reçu de tes nouvelles. On m'ademandé des détails ; je n'en avois pasde bien glorieux à raconter. J'ai entaméun récit. Madame de Perlencour ,

dèsle commencement de mon narré, a sentiqu'il ne te remettroir pas très-bien dansl'esprit de ton pète. Elle a prétexté unemigraine, & m'a congédié. Je me suisprésenté

,depuis

,deux fois chez elle.

J'en ai été reçu si froidement, que jen'ose plus y retourner. L'abbé Roussin a

écrit de S. Lazare. Je t'envoie copie defa lettre, que le Commis de ton pèrem'a communiquée. Avec tes plans deGouvernement

,écris moi donc quel-

que chose de plus raisonnable & de plussatisfaisant. Sénac & Toussaint t'embrasJsent aussi bien que moi.

M. rabbé Roujfin,

à M. de Perlencour père.

Paris, S. Lazare.

.LYLONSIEUR l

Je' ne connoissois pas tout le poids dela tâche que je me fuis imposée

, en mechargeant de M. votre fils.- J'y ai suc-combé dès le premier pas , & m'en voilàdélivré ; mais d'une manière bien cruellepour moi. Je ne m'amuferai point à vousdonner de longs détails

, trop mortifianspour mon amour-propre. Je vous dirai,en deux mots, que nous sommes arrivésà Paris

, après un voyage où M. votre filsm'a donné beaucoup d'humeur ; que nous

(43 )

n'avons point trouvé M. le Comte deLysange à son hôtel ; que j'ai mené monElevé chez mes amis

,où il a été fêté

de bon coeur , & où il s'est montré fortmaussade ; qu'il m'a entraîné dans unlieu public

,où, grâce à ma présence ,

il ne s'est rien passé d'absolument ré-voltant ; mais où l'on m'a fait des nichescruelles

,qui ont fini par me faire enfer-

mer à S. Lazare. C'est de cette jolie re-traite que je vous écris. Voilà mon débutdans la capitale. C'est à M. votre fils

que je dois cette bonne fortune. Je re-nonce à un Elevé si difficile à conduire.II lui faut un Gouverneur plus fort ôcplus imposant que moi. Me voilà ruiné ;car plus d'espérance pour moi d'avancerdans la carrière Ecclésiastique ; trop heu-reux si les Lazaristes veulent bien merecevoir pour un de leurs membres,après m'avoir tenu ,

pendant quelquetemps, comme leur prisonnier. C'est là.mon seul but & l'objet de mes sollici-tations actuelles. Je vous souhaite, Mon-sieur

Sbeaucoup de prospérité, aussi bien

qu'à M. votre fils. II aie mérite pas quefa digne soeur soit cruellement sacrifiée

pour lui.'

(44)'

César de Perlencour , à Dumoulin.

Paris , 'Novembre.

J 'A I réparé, mon cher ami, la faute

que j'avois commise par mon silence,vis-à-vis de mes parens. J'ai écrir à ma-mère , pour lui demander de l'argent.-Tu me persifles ; mais je te le pardonne.Crois-tu bonnement que ma soeur aitde la répugnance à s'enterrer dans unCouvent ? Je ne veux pas qu'on me lasacrifie ; je n'entends pas cela. Si jecroyois qu'on lui eût fait violence, jelaverois la tête d'importance à Mme. mamère.

O le bon abbé Roussin ! qu'il est plai-sant ! qu'il va l'être encore davantage!L'habit de Lazariste doit lui aller tout-à-fait bien. Je serai charmé de le voirsous cet acoutrement.

Je mene toujours la même vie. Riende plus régulier. Je me partage entremes exercices

,les spectacles

,le jeu

modéré,

Levrette & la philosophie. J'aifait une trouvaille. J'ai un autre guide,

(45)à présent, que le pauvre Roussin. C'est

un homme du monde. 11 n'aura pointle titre assommant de Gouverneur ; onne sera point obligé de lui en payer les

gages , 8c il me dirigera dans la car-rière du monde

,qu'il connoît parfaite-

ment. C'est à Levrette, ou plutôt à Mlle,

de Mille-Fleurs que je dois fa connois-sance. Tu sais que je veux lui donnerce nom. J'étois chez elle à l'hôtel d'An-gletene. II -y a ,

dans cette maison, un

tripot de joueurs. J'ai voulu passer chezeux, pour me dissiper

,malgré les repré-

sentations de ma petite syrène, qui afait tout ce qu'elle a pu pour m'en dé-tourner. J'ai vu, là, de grands bandits.'Plusieurs m'ont toisé~ des yeux. II sem-bloit qu'ils en vouloient tous à ma bourse.'Un certain Chevalier Gascon

,assis à

l'écart dans un coin,

paroissoit méditerprofondément. II n'a pas daigné m'ho-norer de son artention

, ôc je ne fais•pourquoi j'ai désiré qu'il la fixât furmoi. J'ai fait ce que j'ai pu pour attirerses regards. Son oeil s'est arrêté fur moideux ou rrois fois ; mais en passant, &assez indifféremment. 11 s'est levé

, a faitquelques tours dans la chambre, toujoursparaissant faire peu d'attention â ce qui

(4<í)_

>se passoit autour de lui. Je lui ai adressé k '

parole deux ou trois fois,

il m'a réponduFort laconiquement. Enfin, fans presque

me regarder,

il m'a proposé un pari desix francs ; je l'ai accepté & j'ai gagné.II a continué de se promener,-sans pa-roîtte s'occuper de moi, ni de rien de

ce qui l'environnoit. Je commençois,de mon côté

,à me lasser de son in-

différence,

& à ne plus penser à lui. II

m'a proposé un second pari de six livres.Je l'ai encore gagné

, & il s'est encorepromené en silence. Enfin, en passant à

côté de moi : « Vous m'avez dépouillé,

33dit-il ; car mes douze francs étoient

33 tout mon vaillant. Je n'ai pas le sou,33 & je ne fuis pas fâché de les avoir perdus

as contre vous. Cela est bizarre. Je fuis

33fâché de les avoir perdus ici, de vous

33 y avoir trouvé ; car en vérité, c'est

33 un indigne réceptacle ; & l'intérêt, que33 vous m'inspirez

,m'engage à vous dire

33 cette petite vériré.33

Tu vois, monami, que voilà un honnête homme. Quise seroit attendu à le trouver là ? Mais

je fais comme cela des trouvailles... Je

rencontre dans un lieu de débauche, la

plus vertueuse fille du monde ; ( car mapetite Levrette mérite cet éloge. ) Je

( 47)déterre , dans une académie de jeu, un

,

vrai Sage ,qui va m'aider de ses con-

seils. Qh ! je fais ce que je fais; tu au-rois manqué cela, toi.

Je remerciai mon Socrate. Je lui offrisde lui restituer ses douze francs. « Non

33 pas, dit-il, car je ne saurois plus où

33 vous trouver, pour vous les remettre."33 Qui fait si nous nous reverrons ja-

33mais,

ss — « II ne tiendra pas à moi,33

lui dis-je.53

II me remercia, & nous

causâmes ensemble à l'écart. « Vous

33 voyez là de grands malheureux , mess

dit-il ; ce sont des roués: Je les appelle

33ainsi

, parce qu'ils méritent de l'être ,33 &-cette expression commence à pren-»3

dre.33

II n'y a pas d'inconduite compa-33

rable à celle de ces gens-là. Plusieurs

,

33n'ont ni feu ni lieu. Ils passent ici

33quelques heures'à dormir dans un coin,

>33

fur une chaise. Ces deux Chevaliers33

de S. Louis, que vous voyez, ne

33sont pas entrés dans un lit depuis des

,33années. Considérez comme ces mal-

33heureux blasphèment& apostrophent le

SSciel. Ces gens-là passent du B ici,

' 33d'ici au B Ils se jettent comme

33des affamés fur ks nouveaux venus,

(48)

33 pour les dévorer. Ce sont des corbêauxj

j>des loups acharnés fur une curée. Ils

33 vont vous flairer, mon ami. Si vous

33 avez de l'argent,

ils ne vous quitte-

33 ront pas. Fuyez de grâce, pour vôtre

33bien

, pour ma satisfaction même.

33Allez souper.

33 — « Je suis sensible,

33dis-je au philosophe

,à l'inrérêt dont

33 vous daignez m'honorer. Je vais donc

33souper ; mais je me rappelle que vous

33m'avez dit' que vous êtes à présent au

33dépourvu. Votre sotiper sans doute

33est prêt ; mais

,si vous daigniez ar-

33 cepter votre part du mien, nous n'i-

33rions pas bienloin...

33 — « L'idée n'est

» pas mauvaise,

répondit-il. Où soirpez-

33vous?

33 — « Dans cet hôtel même,

>3répondis - je

,chez deux filles. Cela

33n'est pas trop édifiant ; mais elles 011;

33 toutes deux un excellent coeur ,&

33l'une des deux entr'autres vaut de-1'or.»

1— « Tant mieux,

reprit- il ; je crois

33avoir entrevu cela ; une petite Le-

33 vrette je crois, une grande la Voirie.

« Pauvres filles, qui souffrent de pareil*

33 noms ! Allons, une petite débauche;

53allons souper chez des filles

, pour 1»

>3singularité du fait!

33

Nos filles,

puisque ce nom est ain»

ptofané,

(4?)profané à Paris

,m'ont bien reçu. Elles

ont paru froncer un peu le sourcil, envoyant le Chevalier Marqué

,c'est le

nom du personnage ; mais elles ontbientôt repris toute leurgaîté. Nous avons'fait partie quarrée

, nous avons sablé lechampagne. Nos belles ont chanté ôcfait des folies. II étoit déjà tard. « Allons,ss mon cher Chevalier, m'a dit le com-s> pagnon. II faut être sage. II est temps33

de nous retirer ; car votre projet n'est

33 pas , fans doute,

de passer ici la-

53 nuit.33

Je ne fais pas si mes yeux entémoignoient le désir. « Allons

, mon33

bon ami, ajouta-t-il, d'honnêtes gens33 ne couchent pas ici. » La grande fillene paroissoit pas de cet avis ; mais lapetite s'écria : « II a raison ; j'aimerois» bien à me voir dans les bras de mon33 petit Lyonnois ; mais je fuis jalouse33

de son honneur. Adieu, mon bon

33ami. N'oublie pas ta petite Levrette,

33qui va penser à toi fur son oreiller.

35Elle t'aime de tout son coeur ; mais

33 ne t'abandonne pas aux femmes, ôcs»

prends garde même aux hommes que33 tu fréquenteras.

33Elle accompagna cet

avis d'un coup - d'oeil fur le ChevalierTome I, C

(5°)Marqué

,dont elle paroissoit se méfier.

Je la quittai avec attendrissement.Je voulus reconduire mon hommechez

lui. « Non, dit-il ,* c'est moi qui dois

ss être votre conducteur. Le plus pressé

33est de vous remettre au logis.

35Je

m'y laissai conduire. Quand nous y fûmesarrivés. « Quelle heure est-il, me dit-

33il ?

ss — ccDeux heures, répondis-je. »

— « Fort bien,

reprit-il, tout est fermé

»3chez moi. Cela va m'épargner la peine

53 d'y retourner. Je vais dormir fur une33

chaise, dans votre anti-chambre.Bon!

33voilà justement un lit. Je fuis aujour-

33d'hui d'un bonheur marqué.

33Je fis

mettre des draps à un lit destiné pourun domestique. Le Chevalier daigna s'encontenter. Nous causâmes long - temps.Je lui dis qui j'étois

,& le motif qui

m'amenoit à Paris. II connoît beaucouple Comte de Lysange

,il est même son

allié ;-il connoît tout le monde, la villeôc la cour ,

il va me produire. II m'afait voir que mon père ôc ma mèren'avoient pas le sens commun, de m'avoirenvoyé dans la capitale

*sous

' la con-duite d'un homme qui ne la connoissoit

pas ; il va réparer cène balourdise, C'est

(50l'homme qu'il me falloit. II est assez

content de la petite Levrette. II se pro-pose même de faire quelque chose d'elle ;mais il me faut des connoissances plusdécentes & plus relevées, même pourle passe - temps. II m'en donnera unedont je ferai content.... Enfin tu vois

que je n'ai pas perdu mon remps ,de-

puis que je fuis à Paris. Je tombe desommeil.... Au revoir.

Le Chevalier Marqué ,

à Frédégonde.

Paris,

JE fuis désensorcelé, j'ai trouvé hier

l'hôtel d'Angleterre, un petit imbécille,dont je compte tirer un grand parti.C'est un enfant gâté, un petit Lyonnois

,fils d'un Financier Négociant. Cela doitavoir de l'or ; le père en donnera touthaut, la mère tout bas. Nous recevronsdes deux mains. Le jeune - homme dedix-sept ans est d'une fort jolie figure.C'est un poupon qui. fort des mains de

Cij

(s*)fa mère. II doit épouser une Demoisellede Lysange. Je n'ai pas manqué de dire

que je connoissois parfaitement le père,la mère ôc la Demoiselle, auxquels je

me fuis dit allié, quoiqu'en effet je neles aie jamais vus, ni connus. Le petitbon-homme est d'une crédulité

,d'une

bonhommie singulière, en se croyant

bien fin, Cela n'a jamais rien vu, ni

rien fait. Cela est sot comme un riche;

car ill'esten effet beaucoup; en un mot,c'est précisément ce qu'il nous faut,pour en faire notre vache-à-lait.

C'est à l'hôtel d'Angleterre que jel'ai rencontré. Mon petit drôle est allévoir les filles

,de-là il a passé du côté

du jeu ; c'est là la marche. II faut luidonner de l'expérience

, ôc une leçon auxparens, de ne pas abandonner leurs enfansà eux-mêmes dans la capitale. J'ai re-connu la niaiserie de mon petit bon-homme dès son entrée dans le tripot.On a d'abord fait attention à lui ; les

regards so sont fixés fur son individu ;soudain l'enfant

, pour donner bonneidée de lui, n'a pas manqué de fairepasser en revue tous ses bijoux

,deux

montres, une boëte d'or,

des bagues à,

diamans ; que sai$-je moi ? on a tout

(53)vu ; ôc l'imbécille ne songeoit pas qu'eílmontrant la proie à tant de loups affa-més

,c'étoit allumer leurs désirs, & les

exciter â la saisir. Aussi j'ai vu rous mesogres faire des projets pour dépouillerPhomme aux bijoux. Pour moi ^ j'étoisretiré dans un coin; je ne'le perdoispas de vue ; mais je semblois ne pas levoir ; il est venu m'étaler successivement, 'devant les yeux, toute fa petite bijou-

1

terie ; je ne voyois rien. II m'a parlé ;je ne répondois que par monosyllabes.Enfin i j'ai su me faire désirer. Je lui aiproposé un pari de six livres

, pourlui voir tirer fa bourse. Je le lui ai fait'gagner. Je ne me suis pas apperçu qu'ilfût sensible à ce gain. En effet, six frahcssont peu pour lui. II auroit fallu parierdes louis

, je n'en avois pas. J'ai hasardéun second écu , que je lui ai encorelaissé gagner. Je jouois là le rôle de cesRomains, qui, assiégés par les Gaulois,enfermés dans leur citadelle & pres-qu'affamés, jetoient du pain par-dessusles murailles

, pour donner bonne idéede leur abondance. Sans être sensible àce petit gain

, mon jeune richard m'atoujours vu avec plus d'intérêt. Pour luiinspirer de la confiance en ma probité,

C iij

.

(, 54)je lui ai conseillé de ne pas fréquenter

ces tripors. Je lui ai peîht ceux qui s'ytrouvoient

, comme des roués, & je les

ai peints d'après nature. Je n'ai pas voululâcher mon jeune-homme. Je me fuisfait mener à souper par lui

,chez des

filles de l'hôtel. II y a entr'autres unepetite Levrette dont nous pourrons fairequelque chose. Cela a ce vernis d'inno-

cence qui plaît, & dont ceux qui nefont pas innocens savent tirer parti. J'aiassuré qu'il seroit trop tard pour rentrerchez moi. Le pigeonneau m'a conduità son colombier ; me voilà établi chezlui. Je n'avois pas le sou

,& je devois

les douze francs, que j'avois empruntésla veille. Je les ai fait dépenser au petitCésar de Perlencour

,afin qu'il n'eût

plus d'argent blanc. Ensuite je l'ai amenéà me forcer de souffrir la restitution ;&

, comme il n'avoit plus que des louis,ôc même des doubles

,il m'a' présenté

un double louis. Je vais lui fournir unTailleur. J'aurai soin que cet honnêtefrippon fasse au moins deux habits troplarges, au jeune-homme fluer. Ces habitsse trouvant à ma taille, je m'en accom-moderai. Je tâcherai de mettre auffi

dans ma poche l'argent qui fera payé

(,55).

pour ces habits. J'avois besoin de cela;

car je ne savois plus de quel côté donnerde la tête. Je n'avois ni feu ni lieu. Je"

n'osois plus me présenter chez personne,

pas même chez toi ; tant ma mise étoitpeu de mise ; passe-moi ce mauvais ca-íembourg. Cette "aubaine ne te fera pasnon plus de mal*; car ,

depuis quelquetemps, ru es un peu dans la crote. Me.voilà installé. Je fuis le Gouverneur

,le

Mentor de mon jeune Télémaque. Je tel'arnenerai au premier moment ; je nepuis le remettre en de plus dignes mains;& nous travaillerons tous les deux enconscience

, pour profiter de l'occasionpropice que la fortune nous présente.Adieu

,la plus aimable des scélérates ;

au plaisir de te voir.

César de Perlencour, à Dumoulin.

Paris;

JE vais prendre mon essor

, 8c fairemon entrée dans le grand monde. Jeme fuis fait habiller superbement. C'estle Chevalier Marqué qui m'a procuré

C iv

(5«)un Tailleur. Cet habile artisan se contentede' billets au lieu d'argenr. J'ai eu leplaisir

,à cette occasion, de rendre un

petit service au Chevalier,

sans qu'ilm'en coûte rien. Mes habits se mon-toient à deux mille francs. Pour dix-neuf cenrs livres , il m'a procuré unbillet de deux mille francs, payable dans

un an, & le Tailleur s'en est contenté

pour son paiement. Le Chevalier a bienvoulu accepter les cent francs que j'aiépargnés

, par ce moyen ,fans m'en ap-

percevoir. II s'est aussi accommodé dedeux habits que le Tailleur avoit fait

trop larges pour moi ; & qui, par hasard,lui vont à merveille. 11 a bonne minesous un peu d'ajustement ; & , comme ilm'accompagne

,fa mise ne jurera pas

avec la mienne.J'ai fait mon entrée dans le monde.'

II m'a conduit, pour mon début, chezMadame Frédégonáe. C'est une femmed'environ trente ans, d'une beauté en-core très-rare

,& qui a dû être éblouis-

sante. Elle m'a reçu avec une bonté dont

tu ne peux avoir d'idée. « C'est notre33

enfant, a-t-elle dit ; mon cher Che-

33valier , regardez - vous comme de la

->?maison,

JS ...

(57)fElle paroît consommée dans Fusage

du monde. Elle a le ton d'une aisance,d'une supériorité que je ne connoissois pasencore. J'ai vu, là ,

des gens titrés enhommes. Les femmes sont adorables.Ce sont des filles célestes

, comme les

nomme le Chevalier Marqué. II y a plu-sieurs Beautés de l'Opéra. Je puis meregarder

,à présent

, comme faufilé ;me voilà dans une sphère exaltée ôcpresque sublime. II me falloit cette mai-son pour me former. Tu me trouveroisdéjà très-changé. Quand je me représentetous nos pauvres Provinciaux

,à com-

mencer par toi-même ; je sens une cer-taine commisération qui marque biehl'intérêt que vous m'inspirez encore, toustant que vous êtes. On m'assure que jene tarderai pas à devenir l'homme dujour.

Je vois toujours la petite Levrette.La pauvre enfant se trouve bien dansfa classe inférieure. Je la sollicite depasser

, avec moi, dans celle où je fuismonté ; car en vérité

,Madame Frédé-

gonde veut la former. La petite inso-lente me dit dûment que tous ces o-ens-là sont de la canaille ; que le ChevalierMarqué est un échappé de Bicêtre. Elle

C v

(5«)me' prie à genoux de ne pas voir tonsces Bohémiens. Je lui passe fa franchiseimpertinente

, en faveur du tendre amourqu'elle a certainement pour moi.

Frédégonde., au Chevalier Marqué.

Paris.

1 ON protégé a tout le mérire que ram'avois annoncé ; c'est une dupe des plus

rares qu'on puisse voir. II y a de l'étôffe

pour le mistifier. Nous pouvons tailler enplein drap. Pauvre enfant ! on voit bienqu'il a été élevé par fa maman. C'estla plus jolie poupée que je connoisse.Toutes nos femmes en sont folles. Ellesveulent toutes avoir ses prémices ; mesdroits de primauté font incontestables.S'il n'avoit pas le malheur d'être nériche, on l'aimeroit tout de bon

,& il

seroit vraiment le favori de toutes nosBeautés.

Quoique je sois assez bien meublée,il faut que je me meuble encore mieux.Arrange - toi pour cela. Je vendrai lesmeubles que j'ai à présenr, ôc qui ne

(59>^sont pas encore payés, à deux ou trois

de mes soupirans,

qui me les paierontfans les avoir, au petit bon-homme'lepremier. Ils resteront au plus tenace desacheteurs.

II faut persuader à l'enfant qu'il peutnous procurer tout ce que nous voudrons,fans bourse délier. On lui fera faire desbillets. On lui dira qu'étant mineur

,il

peut les rendre nuls, & se dispenser d'y-satisfaire. Par la fuite, il les payera ou

non ; que nous importe ? lui seul sera dansl'embarras.

Tu as bien fait de te loger, dans lecolombier du pigeonneau. Cela étoitindispensable

, pour le diriger & ne lepas perdre de vue. Tu vas te rendremaître de ses liaisons ; mais rends-toimaître aussi de ses correspondances. IIpeut mander à Lyon tout ce qu'il faitici. 11 m'a parlé d'un ami Dumoulin,qui peut lui désiller les yeux , ôc luidonner des avis trop sages. II faut em-pêcher ce désordre, morbleu! Amene-moidonc la petite Levrette

,je l'ai vue l'autre

jour chez Nicolet ; elle est d'une figureintéressante

: on en pourra faire quelquechose

,aussi bien que de la grande la

Voirie,

sa camarade. II faudra que celaC vj

change de nom, de mise & de ton. Cela'est encore tout neuf. On fera passer cela

pour des Demoiselles de condition, deprovince

,nées avec peu de fortune. J'ai

plusieurs sots titrés qui me les paieront

au poids de For.

Le Chevalier Marqué, à Frédégonde'.

VJ'E S T bien pour avoir mon petitoison fous les yeux ,

Ôc pour pouvoir

me répondre de lui à moi-même, queje me fuis logé chez lui. II est dans mesfilets, & il ne faut pas qu'il fasse ungeste , un pas, que selon mes intentions.C'est une marionnette que je fais mou-voir. C'est un instrument dont je faisjouer. Je lui ai donné un valet-de-chambreentièrement à ma disposition. Toutes leslettres qu'il écrit me sont remises, auflìbien que celles qu'il reçoit. Je supprime

toutes celles qui me portent ombrage. Jet'en enverrai quelques-unes. Je t'adresse

pour commencer les deux ci-jointes, delui ôc de son ami. Voyez comme cela

s'exprime. Laissez écrire cela,

{6i).

César de Perlencour, à Dumoulin.

«IVLE voilà jeté dans le tourbillon,

mon ami. Je fuis entraîné dans le torrentdes plaisirs. C'est une ivresse. On n'a pasle temps de se reconnoître. II est vrai qu'ilm'en coûte gtos ; mais il ne faut paspenser à cela. On répand Pargent commede Peau, dans les compagnies que je fré-quente. C'est celui qui en a qui paye.C'est à présent mon tour , parce quej'arrive , 8c que je suis un peu en fonds.Quand je ferai à sec

, un aurre nou-veau venu prendra ma place. D'ailleurs,on trouve le moyen de me faire avoirtour ce que je veux , ôc ce que je neveux pas ,

fans bourse délier ; ou bien onme fait avoir de Pargent, sans qu'il m'encoûte autre chose que ma signature. Mevoilà dans le commerce, je fais ce qu'onappelle des affaires. On m'amene unimbécille

, un Juif^

qui me fournit desmarchandises, moyennant une lôttre-de-change , que je ne payerai pas. Je prendsde tout, jusqu'à des cercueils ; tout m'est

bon. Un autre imbécille m'achette cesmisérables marchandises, aux troisquarrs,de perte , en apparence; c'est-à-dire qu'il

me donne cinquante écus,de ce qui m'encoûte deux ou trois cents , en lettres-de-change ; mais ncius avons de Pargent,& vogue la galère. Toutes ces lettreslà ne doivent pas être payées

, parce queje fuis mineur ; & que ,

selon eux,c'est un privilège unique. Tout le monde,

autour de moi,

profire de ma minorité.Je signe pour tout le monde. II est agréabled'obliger

,quand il en coûte si peu. J'a-

vois d'abord du scrupule. Je disois quec'étoit voler ; mais on a rassuré ma cons-cience. « Ce sont des Juifs, m'a-r-on dit,

33des coquins à qui vous faites rendre

33 gorge. C'est le voeu du Gouverne-55 ment. 55

Tu ne saurois croire combienj'ai de plaisir à remplir ce voeu. Cepen-dant je crains bien que tu ne remarquesun peu de fripponnerie dans cette con-duite. II faut que j'examine cela. Je ne

veux pas être un frippon. Je ne serois

pas digne d'êrre ton ami.« Frédégonde n'étoit pas contente de

ses meubles,

qui étoient pourtant assez

jolis. Je lui en ai fait fournir de nou-veaux qui sont superbes. II ne m'en a

(<?3)coûté qu'un trait de plume. Elle a en-suite vendu ses anciens à trois ou quatrepersonnes, 8c à moi

- même. Nous les

avons tous payés,

& nous ne les avonspas eus. Je ne fais ce qu'ils sont devenus.Elle est à présent en argent ,

& elle estd'une gaîté charmante. Je rends gaies, decette façon, plusieurs autres Beautés. Ellesdisent toutes : « C'est un trésor qu'un33

petit mineur comme cela,

dans une33

société.33

Aussi ai-je toutes les faveurs.Je fuis fur les denrs.

« Avoue que routes ces ressources -Lt

sont bien étranges, pour roi ; avoue que

tu scrois bien neuf à ma place. Tu auroisbien besoin de te trouver dans une po-sition aussi brillanre que la mienne pourte former ; mais ru y perdrois bien vitela tête. Et moi

,il m'en reste encore

assez pour cultiver tous les arrs, & fairefaire les plus jolies choses du monde àdes gens de lettres

,à des arristes. J'ai

une société d'auteurs, de gens à talehs,

a qui je donne souvent à dîner , & quej'appelle mes bêtes

, comme Madame deTencin. Je te parlerai de cela dans maprochaine.

»J

'(*4)

Dumoulin, à César de Perlencour,

Lyon»

« J Eté plains beaucoup, monpauvre ami.

Tu fais, à Paris, un bien mauvais début.

Tu ne pouvois plus mal romber pour les

connoisiances. Ton Chevalier Marquémérireroit bien de Pêtre , ce me semble,& il feroit peut-être beaucoup de façons

pour laisser voir son épaule. Ta Frédé-gonde est une scélérate comme lui. Tesfilles de POpéra sont leurs dignes cama-rades. Ta petite Levrette a bien raisonde dire que tous ces gens-là sont de la

canaille. II n'y a qu'elle qui vaille quel-

que chose dans tes connoissances ; ôc elleest innocemment la première cause dumalheur que tu as d'être si mal faufilé.Tu devrois bien la tirer de ce bourbier,ôc la mettre dans un état plus honnête.C'est la meilleure dépense que tu pour-rois faire. Tu es la dupe de tous ces gens-là. Tu es leur vache-à-lait. II doiventfaire des gorges chaudes fur ton compte.Je ne fais pas comment ils uç t'éclatenc

(/5)pas de rire au nés. Tu es d'une crédu-lité

,d'une bêtise.... Je ne te reconnois

pas ; tes lettres sont extravagantes, stu-pides

,absurdes ; pauvie Perlencour

, tut'es singulièrement formé dans la capi-tale ; tu t'y es complettement abruti.

33Mes amis pensent comme moi. Nous

avons perdu Penvie d'aller voir ce dan-gereux séjour. Quitte moi toute cettevile canaille

, mon cher ami ; je t'enconjure au nom de notte amitié. Reviensplutôt dans ta patrie

, tu en as besoin,

pour re purger de la corruption dont tues déjà presque gangrené.

33Je ne vois plus tes parens, parce que

ta mère m'a fait mauvaise mine, à desseinde m'écatter. Je ne sais pas s'ils reçoiventde res nouvelles. Je n'ose t'aller dénoncerà eux. Ils te rappelleroient probablementsur-le-champ auprès d'eux.

33Tu te ruines, mon bon ami, ru perds

ta santé, ta fortune, ton honneur & ta

probiré. Que nous sommes heureux ,mes deux amis & moi

, en comparaisonde toi. Quel avantage de n'être pas nésriches ! Nous jouissons d'une bonne cons-cience. Descends dans la tienne

, monami ; tu y trouveras bien du trouble.

33

{66}

Suite de'la lettre dit Chevalier Marqué.

JL u vois, belle scélérate, avec quelle

indiscrétion le jeune-homme dévoile fa

bêtise ; & avec quelle impertinence son

ami déclare ses sentimens fur notre

compte. Tu vois que je ne dois passouffrir une pareille correspondance. J'ai

fait passer la lettre du petit niais à fou

adresse, pour engager l'ami à s'expliquer,

Sa réponse m'apprend bien clairement

comme il pense. O ! s'il éroit â Paris,quel plaisir de duper un esprir fort commecelui-là

,qui veut faire le raisonneur!

Notre petit César est trop bonace ; il n'y

a pas de plaisir à le mener par le nés :

A vaincre fans péril, on triomphe fans gloire.

11 saur que j'engage le petit bon-hommeà nous attirer ce Rodomont. Tu seras la

Dalila de ce fort Samson. Quel plaisir

de le voir pris dans tes filets !

(*7)

César de Perlencour, à Dumoulin.

J'AI,comme je re l'ai dit, une petite

cour de gens à talens. Je les fais travaillerchacun dans leur genre ; je les inspire

,ou plutôt je travaille par leurs mains';ce sont mes outils. Je vois quelques jeunesSeigneurs ; ils m'assurenr tous qu'il fautabsolument guider ces prétendus gens àtalens ; que ces animaux - là ne sonr ca-pables de rien par eux-mêmes. Ils ne sontque ce qu'on les fair. Si les gens commeil faut ne daignoient pas se mêler d'eux ,ils seroient moins que rien. Je fais ce-pendant' de très - jolies choses par leurcanal. II est singulier de voir commentles gens comme il faut ont le don detout savoir

,sans avoir rien appris.

J'ai à mon service quelques poe'tesde l'Almanach des Muses, quelques Pro-sateurs

,quelques Journalistes, tous ani-

maux hargneux, tous gens de bon appé-

tit. J'ai un Peintre farceur,

intrigant,grand efflanqué, faiseur de miniatures

,lié

avec routes les filles,

disant pis que

(6$)pendre de PAcadémie Royale, parce qu'iln'en sera jamais. II a un front unique

pour faire recevoir ses portraits. Onn'oseroit lui dire qu'on n'est pas res-

semblant. II fait des critiques du Sallon,ôc des petites vignettes satiriques fur

tous les ridicules du jour. J'ai un Musi-cien détestable, grand ivrogne

,qui a

fait un concert miaulique. II ne fait gtaceni à Glouck, ni à Piccini. II a fait les

airs de quelques chansons du Pont-Neuf,Ôc se vante d'avoir fait aussi les paroles.J'ai un Sculpteur qui dit que le marbretremble devant lui. Je crois que son grandtalent, est de jeter des figures en plâtre.J'ai un Architecte, nommé Desmazures,savetier de bâtimens

,qui récrépít de

vieilles maisons & qui n'en a jamaisbâti une neuve. II n'y a pas un édifice

en France, ni dans PEurope, qui rrouvegrâce devant ses yeux. II faut voir ses

plans, dit-il, quand il les aura mis au net.Tu vois que tous ces prétendus gens

à talens sont subalternes chacun dansleur partie. Tu n'imaginerois pas tout ce

que je fais leur faire faire, tout le parti

que je tire de leur ineptie. Ce sont demauvais outils

, avec lesquels je fais de

grandes choses. Enfin,

j'ai rassemblé des

{69 yprôneurs de toute espèce, & bientôt jeserai explosion dans toutes les carrièresôc toutes les académies ; & j'occuperaitoutes les voix ôc toutes les trompettesde la Renommée. Je te parlerai de toutcela plus en détail par la fuite.

Frédégonde, au Chevalier Marqué.

JLiE Comte de Lysange est arrivé avec

sa fille, mon roué. Tu m'as demandé

plusieurs fois si nous devons laisser ap-procher d'elle notre pigeonneau ; pour-quoi pas ? On la dit fort jolie, ôc unpeu philosophe ; c'est-à-dire le contrairede dévote. II faut que Perlencour la voie ;non pour Pépouscr, nous ne devons pas luipermettre si-tôt le sacrement ; mais pournous amener cette Beauté. Nous pourrionspeut-être tirer parti de cette jolie impie:Tiens,voilà deibn style.J'ai accroché cettelettre à fa femme-de-chambre

5qui a été

jadis l'une de mes Nymphes. La Belleécrivoit à une Carmélite ; je ne fais com-ment la lettre est revenue dans les mainsde Mademoiselle Camargo, fa digne sou-;

.brette.

(7o)

Mademoiselle Laure de Lysange,

à la Mère S. Amand.

Paris.

«1VL A chère petite maman , vous

voulez donc bien me flatter que je pourrai

vous dédommager, en partie, de la perte

que vous avez faite, en vous voyant privée

de la belle Honorée de FAstre, à pré-

sent Pépouse de Pincomparable EugèneSans-Pair ( i ). Combien votre indulgence& votre amitié pour moi me sont pré-

cieuses ! II y a pourtant quelque diffé-

rence , entre votre façon de penser & la

mienne. Vous me croyez un peu impie,

ma chère maman. J'ai rencontré, dans

le monde,quelques-uns des gens éclairés

qu'on appelle Philosophes, pour les dé-

nigrer. J'ai lu quelques-unes de leurs

productions condamnées ; enfin,

j'ai euFagrément de passer quinze jours chez

( i ) Voyez le Philosophe Parvenu.

(70le grand Voltaire

,& j'ai lu- tous ses

ouvrages. Miséricorde ! il n'y a aucunede vos saintes compagnes, qui ne fît lesigne de la croix

,si elle entendoit ces

horreurs , & qui ne me jetât de l'eau-bénite

, pour m'exorciser. Cependant,nous adorons, vous & moi

,le même

Dieu, & j'ose me flatter que je Padore'avec aurant d'amour que vous, ma chèremaman ; mais je confesse qu'à présentles pratiques un peu minutieuses & peut-

fêtre un peu superstirieuses du cloîrre fé-minin

,pourroient répugner à mon ame

nourrie de la lumière philosophique. Jegémissois donc bien sincèrement, quandje voyois les auteurs de mes jours obstinés

.

à vouloir m'enscvelir dans un Monastère.jlls changent à présent de résolution

, &*c'est-pour me proposer un paru encoreplus affligeant pour moi. Ils veulent medonner pour épouse à un jeune-hommede dix-sept ans ,

moi qui en ai,vingt.C'est le fils d'un homme de fortune

,&

';cet hymen a pour but de réparer lamienne. On veut me donner cet enfantpour maître. On le dit fort joli garçon;mais un peu libertin ; car il fait ses fre-daines actuellement à Paris. II y est venu,<dit-on, pour moi. II ne nous a poinç

encore vus, parce que nous étions â U

campagne quand il est arriyé; mais à

présent que nous sommes de retour,nous ne tarderons pas, fans doute

,à le

voir paroîrre fur Phorison. Je ne fuis

pas fort pressée de recevoir fa visite;je

ne désire point du tout d'être son épouse.Je prévois des persécutions qui m'effraient.Malgré ma philosophie, je ne serois pasfâchée qu'on m'enfermât, à présent, dans

un Couvent, auprès de ma chère mèreS. Amand.

33

Suite de la lettre de Frédégonde.

V^uE dis-tu de cette chère impie ? Jolie)

jeune & philosophe, par conséquent

sans préjugés, que ne doit-on pas attendred'une pareille commère

,persécutée de

plus ? Elie deviendra une nouvelle Ninon,II faut absolument que tu lui menes sonpetit Prétendu. Quand elle nous con-noîtra

,elle viendra se jeter dans nos

bras.

(73)

César de Perlencour, à Dumoulin.

JL u ne m'écris point, mon cher ami,reçois-tu bien exactement mes lettres ?

Je continue de te rendre compte detoutes mes actions. Le Comte de Lysangeest de retour. Je l'ai appris

,j'ai volé

chez lui. J'ai vu fa Demoiselle Laure,qu'elle est belle ! Ah ! je n'avois rien vu

jusqu'ici. Je n'avois rien aimé. J'aime àprésent

,j'adore Pincomparable Laure.

Quoi ! tous ces charmes me sont desti-nés ! Quoi ! je serai le possesseur d'un sigrand trésor ! Ah

,Dieu ! j'en mourrai

de joie. Je n'étois pas fort empressé dela voir

, encore moins de Pépouser. Aprésent je brûle de voir notre hymens'accomplir. Elle est nécessaire à monbonheur. Elle ne m'a pourtant pas reçuavec autant de chaleur, que je Pauroisdésiré. Je n'ai vu, dans son accueil, quede la politesse

,& une certaine complai-

sance, un air de bonré qui a un peu,

choqué mon amour-propre ; mais j'espèreque, quand elle me connoîtra mieux,

Tome L D

-(74)_elle concevra plus d'estime ôc de consi-

dération pour moi. M. le Comte sonpère m'a reçu , avec plus de cordialité,comme son gendre. Mme. la Comtessem'a embrassé plusieurs fois, en m'appe-lant son fils. Elle ne tarissoit pas furl'éloge de ma figure. On m'a invité à

me regarder comme de la maison, & àvenir le plus souvent que je pourrois ;tu sens que je profiterai de la permission.II règne un grand ton dans cette mai-son, un ton plus noble, plus décent quecelui des tripots que j'ai-fréquentés jus-qu'ici. Nousyavons dîné. Le ChevalierMarqué

, que j'avois mené avec moi,paroissoit un peu emprunté. Je ne faissi le maître de la maison étoit biencontent de voir ce personnage chez lui.M. Ie Comte doit parler demain auMinistre de la guerre , pour m'obterrirdu service. On parle de guerre ; voilàdes occasions de me signaler & de mé-riter la belle Laure.

(75)

Mademoiselle Laure ,à la Mère Saint Amand.

JE l'ai vu , ma chère petite maman. Tout

le monde le trouve charmant, je suis

de lavis de tout le monde ; il m'a faitimpression ; mais je fuis toujours dansles mêmes sentimens que ci - devant. IIest excessivement joli, beaucoup plus

que je ne voudrois. II deviendra proba-blement l'un des plus beaux hommes duroyaume. II a un esprit assez distingué& même cultivé ; mais il y joint un tonde suffisance, je dirois presque de fa-tuité

, que sa grande jeunesse seule peutfaire excuser. Quant au caractère, je ne1« crois pas foncièrement mauvais; maison voit qu'il a été cruellement gâté dansla maison paternelle

, ôc qu'il a été malentouré, depuis qu'il en est sorti. II étoitaccompagné d'un homme qui ne m'a pasparu plaire, ôc que je n'ai pas goûté.Je parierois que ce n'est pas un hommede bonne compagnie. Quoiqu'il se dé-guisât

jil laiûoit reconnoître un mau-

D ij '

(70vais ton. O ma petite mère ! U y a beau-coup â réformer chez notre jeune-homme.Ce n'est pas là le mari qu'il me faut;que dis-je ? C'est un enfant. Je ne pour-rois jamais avoir de respect poiir cettejolie poupée. On ¥s prié de revenir, &je pourrai, sans doute

,le juger mieux

à une seconde vue.' Je ne serois pas fâ-chée qu'il vînt à bout de me plaire parla fuite ; mais faire de cela mon époux !

Ah ! jamais. J'ai été assez•contente de

Pimpressiou que j'ai paru faire fur lui. IIa pris feu le petit jeune - homme. Envoilà assez pour aujourd'hui fur ce sujet.

Le Comte de Lysange,

à M. de Perlencour père.

Paris.

J3| ou s avons vu le cher fils, mon bon

ami ; il est charmant pour la figure. Ma-dame la Comtesse en raffole. Ma fille ,avec fa mine sucrée

,n'a pas paru le

regarder ; mais elle a rougi ôc- l'a beau?coup examiné,

Au)Je m'en veux de ne m'être pas trouvé

à Paris ', quand il y est arrivé. II n'au-roit peut-être pas vu la mauvaise com-pagnie

,qui paroÎL avoir déjà influé fur

lui assez sensiblement ; mais il est sijeune, qu'on peut se flatter de corrigerbientôt ces malheureuses impressions. II-m'a amené un homme, qui ne me pa-:roîf pas fait pour se trouver chez moi ;fans doute le reste de fa société ne vaut.pas mieux. Je me fuis informé de ficonduite. Les rapporrs n'ont pas été fa-vorables. II voit, en hommes-comme enfemmes

,des gens réellement notés à

la Police, pour leur inconduite & leurs

.mauvaises qualités. II a déjà fait beau-;

.coup de dettes. II se ruine pour ces

.malheureux. II est dans un coupe-gorge.Je ferai tous mes efforts pour l'en rerirer.'Voyez, de votre côté, ce que vous avez,à faire. Je ne dis rien à ma fille

,de

ces belles découvertes ; mais il paroîtqu'elle se doute de quelque chose. IIn'y a pas là de quoi lui faire voir M.'César en beau. Je voudrois bien recon-noître un peu de réforme, avant de faire,en fa faveur, auprès du Ministre de laguerre ,

les démarches que je lui ai pro-mises.

D iij

'(7«)

César de Perlencour, à Dumoulin,

JE n'ai pas manqué de retourner chez

ma nouvelle maîtresse,

MademoiselleLaure. Elle est ravissante ; mais un peusérieuse avec moi. On diroit qu'elle meregarde comme un enfant, & commeun enfant qui a besoin de se corriger.II paroît qu'on n'est pas ébloui de monmérite dans cette maison. On ose fronderpresqu'ouvertement mes moeurs. On metrorrve excessivement jeune, & l'on veutque je fois un Caton ; ce qui est, ce mesemble

, une contradiction manifeste. M.le beau-père se donne déjà les airs deme faire des remontrances. II m'a ditcrûment que je voyois mauvaise com-pagnie ; il se mêle déjà de vouloir ré-gler mes liaisons. « II ne faut pas voit33 ces gens-là

, me dit-il.33

II m'a signi-fié positivement qu'il ne' sonhaitoit pasque j'amenasse

,chez lui, le Chevalier

Marqué. Celui-ci est furieux, lui qui sedonne les airs d'être mon Mentor. Toutson prétendu mérite a échoué dans ía

(79)première maison décente, où nous som-

mes allés ensemble. Il y a de quoi rire ;mais M. le Comte me fait froncer lesourcil. II m'est revenu qu'il fait des in-formations fur mon compte. Peut-êtrea-t-il écrit à mon père un tas de proposcontre moi. On va me laver la tête aupremier jour

,&-me couper les vivres.

De quoi se mêle cet impérieux Gentil-homme ? Voudra-t-il me traiter avec cedespotisme

,quand je serai son gendre?

La petite Levrette,

aussi,

prend la li-berté de me donner des avis : « Mon33

cher ami, dit-elle,

il faut absolument33

quitter ces misérables.>s-,

Elle est d'unétat bien relevé, elle

, pour traiter ainsi!les autres. Mais je lui paííe ces bizarre-ries

, parce qu'elles sont plaisantes,

ôcque d'ailleurs la pauvre enfant paroît dela meilleure foi du monde. Elle est en-trée pourtant chez Frédégonde, malgré filrépugnance pour cette méchante femme ;car il faut avouer qu'elle est un peu mé-chante cette Frédégonde ; mais le seulbut de la chère petite Levrerte

,dans

cette démarche,

est de se trouver à por-tée de voir tous les complots qu'on for-me ,

dit - elle, pour me dépouiller ; ôc

d'empêcher, autant qu'il est en elle ,D iv

(8o)tout le mal qu'on veut me faire. Ladigne Frédégonde va la mettre dans le

commerce. Cela ne m'arrange pas. Jem'accommodois très-bien de cette chèreenfanr. J'ai de quoi l'entretenir. Je ne

-vois pas pourquoi, on voudroit recou-rir

, pour cela,

à la bouise des autres.J'ai dit

,à ma chère petite coquine,

que j'avois vu Mademoiselle Laure, dontje lui ai fait un portrait sublime. « Ah !

33 mon cher ami,

m'a-t-elle dit, en33

m'embrassant,

vois ces gens-là. Voilà

-33des compagnies comme il te faut. Tu

33 ne voudras peut - être plus voir,33

après cela, ta pauvre petite Levrette,

33qui t'aime tant ; mais patience ! Ah !

33s'il ne falloir que me sacrifier pour

33 ton bonheur ! Le ciel m'est témoinM que je le ferois de tout mon coeur ,33 & que ce seroit, pour moi, la plus

ssbelle partie de plaisir. Levrette se pri-

53 vera de Pagrément de voir son petit=3

César, si elle peut,-à ce prix, con-33

tribuer au bonheur de ce mortel

SSchéri.

33

Cette pauvre enfant est attendrissante.Je l'ai embrassée avec un charme in-concevable. Elle merendroit bon-homme;Qui bon-homme, cela n'est pas flatteur-

.

(80pour l'amour - propre ; mais j'aurois duplaisir à Pêne avec elle. Au premierjour, elle doit me raconter son histoire.

Cependant nous nous divertissons tou-jours. Nous faisons des exrravagances ,que nous trouvons adorables. Le tonqui règne dans ces sociétés de filles ôcde garnemens de toute espèce, est co-mique. Tout ce qu'il y a de plus absurde,est reçu avec transport. Propose-ton unepartie bien extravagante. « Ah ! la bonne33

folie,

s'écrie la compagnie ; >3& on

y court à bride abattue ; coûte quicoûte. Ceux qui ont de Pargent payent,ôc ne tardent pas à ne pouvoir plus payer.Je me trouverai bienrôt dans ce cas.

Je joue de mon reste,

& je veux dumoins enrerrerlaSynagogue avec honneur.Je fais toujours mes dîners plaisans avecnus auteurs & mes artistes

, & messoupers plus charmans avec les plus ai-mables scélérates de la capitale. Je voisassidûment Mademoiselle Laure. J'y^aisseul Le Chevalier Marqué en enrage.Je me déguise dans cette maison. Je fuisdécent. Je prends

,fans m'en apperce-

voir, le ton de ma belle maîtresse.

Fin de la première Liasse.

(**)

LE CRIME.

SECONDE LIASSE.

César de Perlencour , à Dumoulitt*

í)ela prison de Sa-îrit—Germain-des-Prés.

J.VX o w bonheur commence à se dé-mentir. Dès mon printemps j'essuie des.

orages. D'abord ma santé se trouve al-térée

, & je ne fais si je n'éprouve pasles mites cuisantes de mes divertisse-mens. J'ai, de plus

,le malheur de me

voir enfermé dans la prison de FAbbayede Saint-Germain-des-Prés. En vérité-Ion me traire avec une rigueur dont il

1

n'y a pas d'exemple. J'ai vouîtt fairevoir que j'avois du sang dans les veines,,-voilà tout mon crime. D'abord, je neme fuis servi que de ma canne. Un des-Journalistes

>& qui je donne à dîner.

(«3).

a eu Pindignité de tourner en ridicule

une pièce de vers que j'avois faite, avec

un de ses amis. Je l'ai bâtonné. II n'y

a pas de mal à cela. Quelques jours après ,un petit Poëte, encore un de mes para-sites

,m'a été dénoncé

, comme auteurd'une épigramme contre moi. Je l'aitraité de même. On a trouvé cela mau-vais. On m'avoit passé le,Journaliste;on s'est gendarmé pour le Poëte

,qui

ne valoit guères mieux. Un Exempt dePolice m'a fait venir chez lui , & m'asemonce vertement. J'ai eu beau luidire que les personnages ne méritoieutpas la moindre attention de fa part; queleur punition étoit une misère , dont -onne devoit pas parler. II m'a taxé de suffi-sance très-répréhensible, & m'a signifiétrès - décidément, de m'observer davan-tage à Pavenir. Malheureusement, uneperite affaire d'honneur, que j'ai eue danscette circonstance

, a paru plus gravequ'on ne l'auroit trouvée dans un autre <

moment. Un Militaire décoré s'est aviséde s'emparer

, pour son argent, de lapetite Levrette ; moi, qui n'entre pointdans les arrangemens de Frédégonde.,je me fuis plaint hautement. D'ailleurs',je me fuis appercú. de la fuite cruell©

D v)

(84)de mes plaisirs

,qui attaquoit ma santé»

J'ai cru que mon rival étoit la causepremière -du cuisant présent

,dont ma

Levretre n'avoit été que le canal. Je mesuis cru en droit de traiter M. le Mi-litaire

, comme il le méritqit. II a étépiqué de l'insulte. Nous nous sommesbattus à Pépée

, & la mienne lui a percéle corps d'outre en outie. II est blesséconsidérablement ; fans un danger pour-tant bien décidé. On a été tout-à-faitscandalisé de cette leçon donnée, sansintérêt, à un homme titré. On m'a en-fermé , jusqu'à nouvel ordre, à la prisonde l'Abbaye ; & je suis très-peu contentde m'y voir. Mon futur beau-père sefait prier pour solliciter mon élargisse-ment. Le Chevalier Marqué & toute faséquelle paroisseut assez peu touchés demon malheur. Levrette feule m'est fidèle.Elle est au désespoir de se voir la causeinnocente de mon malheur. Elle ne mequitte presque pas , & m'adoucir les

.rigueurs de mon esclavage. J'étois à laveille d'obtenir je ne fais quel grademilitaire , assez honnête pour un conv.mençant ; & voilà tout renversé. On

..-dit que je suis une mauvaise têre. Je meíèntirois assez de courage pour faire k

(*5)loi au Geôlier, ôc le forcer de me laisserdécamper

,si j'avois des armes ; mais 011

dit que je ne ferois que rendre mon casplus grave.

Que va dire Mademoiselle Laure?voilà ce qui m'inquiète. Je sens que j'ai

.un certain besoin de voir cette bellepersonne. Elle devient nécessaire à monbonheur. Levrette la remplace auprès demoi. Elle remplace tout le monde. Elle

.seule me reste fidèle3)

quand tout lemonde m'abandonne. Innocente créature!Au milieu du désordre elle est vertueuse.Elle me fait sentir le prix de la vertu,elle me la fait aimer. Tous les autresêtres , que j'ai vus jusqu'ici à Paris, nes'en doutent pas. Ah ! mon ami, voilàun mauvais début.

Je te raconterai, dans ma prochainelettre, Phistoire de cette pauvre Levrette.II y a de quoi pleurer ; j'en ai eu Poeilhumide. Je ne re charge pas de riendire à mon père. II sera fans doute tropinstruit de mon aventure.

(«O '

Le Chevalier Marqué, à Frédégonde.

±N OTRE jeune-homme est coffré. Nous

ne Pavons point encore vu ,depuis fa

détention. Nous le négligeons trop peut-être. II peut encore nous être utile. 11

est bien loin d'être ruiné. II ne faut pasrenoncer si-tôt à une si excellente proie.

J'en veux beaucoup à ce Comre deLyfange, & à fa Demoiselle Laure. Cesgens-là sont d'un orgueil insoutenable.Cela crie vengeance. Si tu savois avecquel insupportable dédain ils m'ont re-çu ,

& qu'elle figure,

indigne de moi,je faisois-là ! Enfin, ils m'ont jugé indignede mettre le pied chez eux. Ils ont si-gnifié positivement au jeune-homme,qu'iln'eut pas le front dorénavant de m'ame-ner avec lui. Tu sens Patrocité de Pin-jure. Des Gredins , comme cela-, quitraînent les débris d'un prétendu grand

nom, fans avoir de quoi le soutenir,qui ne veulent marier leur fille à notre

dupe , que pour avoir du pain ! Les mal-heureux ! ce sont eux qui veulenr vivríà ses dépens ; & ils nous accusent

>&

(87)ils abusent d'un sacrement, d'une céré-monie respectée

, pour parvenir à leurbut ; tandis que nous ne nous permer-tons aucune profanation. Pour comblede malheur

, je me sens un goût assezvif pour cette ingrate & orgueilleuseLaure. Non que je prétende à Pépouser,je seròis bien vîte las d'une bégueule decette espèce ; mais quoi qu'il en soit,travaillerons-nous à faire forrir leur pi-geonneau de la cage où il est renfermé ?•

Car il sera leur dupe, comme la nôrre.

Favdriserons-nous ce mariage, & laisse-

rons - nous tranquillement PimpudenteLaure

,qui n'a presque rien

,épouser,.

avec son petit air de dédain, quatre-

vingt mille livres de rente, avec unibeau jeune-homme ?

Frédégonde, au Chevalier Marqué»

J u STICE î justice \ Quoi! les Gredîns.t'ont insulté à ce point, & tu me de-mandes si nous devons favoriser un ma-riage qui seroit leur fortune ! Y peuses-tu ì Ah f puisepe les malheureux nousméprisent, il faut qu'ils apprennent à

(88)nous connoître. Ils nous accusent d'êtredes faiseurs de dupes, & nous auricusla bêtise de leur abandonner une proie

que nous possédons avant eux yfur la-

quelle nous avons les premiers droits!Non

,s'il vous plaît, non ; si le jeune-

homme doit être dépouillé , c'est parnous ,

& non par ces orgueilleux nobles.Mademoiselle Laure ne sera poinr épou-sée. II faudra, au çpnrraire, qu'elle y passe

le pas comme les autres. II faut humi-lier

,confondre son orgueil. Tâchons de

faire forcir le jeune-homme de prison,qu'il aille sur-le-champ faire sa cour à

la belle dédaigneuse,

qu'il la fasse tom-ber dans ses filets. Nous lui apprendronsl'estimable talent de débaucher les filles.II nous Pamenera souple comme cul

gant. Quel plaisir de la voir tombée des

hauteurs de fa grandeur,

confondue

avec routes nos Beautés roturières &publiques

, te tendre les bras, & im-plorer pour ainsi dire tes faveurs ! Quel

:plaisir d'humilier, d'écraser la Qualité!

-Ne dit-on pas que cette petite pécore se

-mêle de Philosophie? C'est une impie.II convient bien à une petite sotte,élevée dans un Couvent

,de faire h

raisonneuse„

ôc d'afficher Fincrédulité!

(8í>)11 faut la punir de n'avoir pas de reli-gion. Songeons que nous sommes lesredresseurs de torrs ,

les vengeurs pu-blics. Vîte

,vîte

,les fers au feu ! agis-

sons pour la líberré de Perlencour, pour

le châtiment des Lysanges, & pour ta

vengeance.

César de Perlencour, à Dumoulin.

it me manquoit, mon cher ami, pourêtre terrassé par le malheur

,de me voir

foudroyé par mon père. II fait tout ; ilest furieux ; vois ce qu'il m'écrit.

M. de Perlencour père, à son fils.

Lyon.HT1J. u ne m'as point trompé

,malheureux!

Je ne voulois pas te laisser partir. Jesentois que tu étois capable de faire lesplus infâmes sottises, tu les as faites. Jete voyois indigne d'être Pépoux d'une De-moiselle aussi respectable que Mademoi-selle de Lysange. Ta mère l'a voulu.Avec sa détestable prévention en ta sa-

veur ', elle m'a vexé,

harassé, elle Pá

emporté. M. le Comte de Lysange,m'asollicité lui-même, pour son malheur &

pour le tien. Tu t'es comporté d'unemanière digne de toi ; tu t'es jeté à corpsperdu d.ns les plus infâmes lieux dedébauche, & dans les plus abominablestripots de jeu. Tu t'es abandonné entreles mains de la plus vile canaille, quit'a dépouillé & traité avec le plus sou-verain mépris. Tu as déjà écorné consi-dérablement ta fortune

, ôc tu n'en asplus assez pour contracter Phonorablealliance qui s'ofrroit à toi ; mais ii t'enreste assez pour te payer pension dans

une maison de force,

où tu 'auras leloisir de pleurer tes fredaines.

O malheureux voyage' ! malheureusecondescendance de ma part! Repens toi,misérable. Profite de la correótion quetu reçois à présenr ; profire de ta jeunesse,qu'on m'al lègue fans cesse pour solliciter

mon indulgence. Crains un père irritéqui peut pardonner les premiers écarts ;qui deviendra implacable

,si le plus

prompt ôc le plus solide changement nedésarme son courroux.

(5>0

César de Perlencour, à Dumoulin.

JLLy a de l'espérance, mon ami. Celui

que j'ai blessé n'est pas mort ; mais lesang qu'il a perdu le rend moins bouil-lant.- II a réfléchi qu'il avoit ttois foismon âge

, & que fa maturité le rendoitaussi condamnable de s'être 'piqué contremoi , que ma jeunesse me rendoit excu-sable. C'est ma chère Levtette qui lesollicite en ma faveur ; c'est elle qui est

venue de sa part me donner Pespoird'une délivrance prochaine. On croirque,s'il se désiste de toute plainte contre moi,le Gouvernemenr ne s'obstinera pas à mepunir. C'est peut-être en me faisant infidé-lité avec lui, que Levrette vient à bout del'appaiser. Si je le croyois... mais craignonsde-sonder ce désagréable mystère. Quoi-qu'il en soit

,Pespoir, que m'a donné

ma petite amie, nous a rendu

,à tous

deux, un peu de gaîté. Nous avons fait,tête-à-tête, un souper délicieux. La sé-rénité pure a brillé

, pour nous ,dans

une prison. Que ma Levrette est ado-rable ! Qu'elle est bonne ! Ah ! si je n'a-

(?ovois connu qu'elle

,je ne seroîs pas où

je fuis, C'est un ange tombé du ciel,

par un malheur unique,

ôc perdu pourun moment ,

dans les enfers,

parmiles esprits de ténèbres ; mais qui doitrevoler rôt ou tatd à son brillant séjour.Du tumulte de la joie, nous avons passéà Pattendrissement. Levrette aune ame,cher Dumoulin. Elle m'en communique

une. Ces momens de sensibilité lui ontrappelé ses douloureuses aventures. Elle

me les a racontées, avec ce ton vrai-

ment touchant qui part du coeur , &qui va au coeur. J'en connoissois déjà"quelques-unes par ses récits touchans. Jevais te les communiquer. Mes pleursmouilleront peut-être quelquefois monpapier

,pendant que je les écrirai.

Suite.

HISTOIRE DE LEVRETTE.

»IVloN cher ami

,dit Levrette-, j'i-

gnore où je fuis née. C'est, je crois, en

route , au milieu du grand chemin, que

,( 93)ma mère me déposa. Qu'étoit-elle alors?Je n'en fais rien ; Charlatanne ou Bo-hémienne

,n'importe. Tu vas rougir de

moi, en apprenant que je fuis si peude chose ; mais ce n'est pas ma. faute,mon bon ami. Je te félicite d'être né dans

un état plus heureux-; mais tu dois meplaindre, & ne pas me mépriser. J'eus,du moins, un père honnête - homme.Oui, tous ceux qui Pont connu , me Pontassuré.; .ôc moi, autant que je puis m'ensouvenir, je t'assure qu'il étoit la dou-ceur même. Sa femme le faisoit'bieri-enrager-, c'est le .mot. "Elle Pa pblígéde s'enfuir à quatre cents lieues, dans je11e fais quel pays ,

fur une montagne,dit - on ,

qui vomit des feux, où l'onassure qu'il mene une vie très-édifiante,fous Phabit d'Hermite, Quoi qu'il en soit?ma mère resta chargée de moi, ; mais,est-ce bien.ma mère ? Ne m'a-r-on pointchangée en nourrice ? Pardonne, rrion

' bd.n ami, tout le mal que je vais êtreobligée de t'en dire, pour la vérité demon récit. Je fais combien une mèredoir être un objet sacré pour nous. Ah !

mon Dieu, que de plaisir j'aurois goûré

' à en avoir une, faite comme les autres ;

(94)mais hélas 1... tu vas- voir si j'ai tort de

me plaindre.

j» Dès Page le plus tendre,

j'étoisl'objet de ses rigueurs. Jamais je n'aipassé un jour fans être meurtrie de coups,ôc souvent ensanglantée. On faisoit des

complimens à ma mère fur la grâce &la gentillesse de fa fille ; & la pauvre-enfant, sous le linge

,étoit toute noire

de coups, ôc son pauvre petit postérieurétoit tout écorché par les verges , fansqu'elle l'eût mérité, mon bon ami. Je

me souviens qu'un jour, une voisinem'habilla en Ange

, pour suivre laProcession le jour de la Fête - Dieu.J'étois mise 1e plus joliment du monde,& tous les voisins s'écrioient : « Ah ! la

33charmante petite !

33Hélas ! sous mes

belles jupes de soie ôc d'or, j'étois écor-chée. Ma cruelle mère avoit voulu, qu'aumilieu de mes honneurs, je sentisse,pendant toute la Procession

,la pesan-

teur de sa main ôc de ses verges. LePublic s'en apperçut d'une manière sin-gulière. J'eus le malheuc de glisser & detomber dans la rue. J'avois

,devant moi,

une petite corbeille 4e roses effeuillées,qui furent renversées fur le pavé; je-tomr

(95)bai assise sur ces fleurs. Elles s'attachèrentà la partie saignante. Je me relevai sur-le-champ. Ma mère accourut pour mepunir de m'être laissée tomber. La puni-tion devoir être appliquée sur la partiesouffrante. Elle troussa les jupons

,8c

tout le monde vit, avec une douce fur-prise, un petit derrière caché modeste-ment fous des roses. On sourit, & l'onbattit des mains ; mais on m'arracha decelles de ma mère, & on lui dit qu'elleétoit une marâtre. Je n'y perdis rien ;car , dès que je fus de retour à la mai-son

,elle fondit sur moi, avec sa verge

redoutable, me fouetta impitoyablement,faisant voler les roses ensanglantées ; 8cje payai tous les reproches si bien mé-rités qu'elle avoit reçus.

33Hélas! il falloit que mon postérieur

lui rendît raison de toutes les mortifi-cations qu'elle essuyoit. Elle avoit unhomme qui vivoit avec elle

, & quin'étoit pas si doux que mon père. Cebrutal usoit contr'elle du bâton aussisouvent, qu'elle employoit, contre moi,les verges. Elle ne recevoir pas un coup,qu'elle ne me le rendît au centuple.Elle prenoit plaisir à faire

,fur mon in-

dividu, ces exécutions cruelles, qu'elle

appelloit, en plaisantant, ses visites des

pays - bas. II falloit que je lui payassejusqu'aux coups qu'elle avoit reçus, dansson enfance

, avant que je fusse au monde.

« 11 faui qu'elle s'y accoutume ,disoit-

« elle ; j'en ai souffert autant qu'elle,33

dans mon enfance.33

Elle le méritoitpeur-être mieux que moi.

33A mesure que nous acquérions toutes

deux des années,

elles faisoient, fur elle&moi, un effet tout différenr; j'avançois

vers la Beauté; elle avoit passé ce terme,ôc s'en éloignoit toujours de plus en plus.Elle faisoit la comparaison de son état

au mien,

à cet égard ; & la rage nais-soit dans son coeur. Alors commencèrentles grandes persécutions. J'étois obligéede payer ci-devant toutes les mortifica-tions qu'essuyoit ma mère ; il fallut do-rénavant que je payasse

, outre cela,pour toutes^ les politesses qu'on me fai-soit. J'étois battue quand les hommes ladédaignoient ; je Pétois quand ils mefaisoient la cour. Son amant lui-mêmes'en mêloit, & m'attiroit, par-là

,de-s

orages continuels.

33Ce n'étoit pas seulement fa vanité

qui étoit mortifiée,

c'étoient les vivresqu'on lui conpoit, quand on remarquoit

le

' (s>7)le déclin de sa beauté. Elle'sentit enfin

que cette, ressource alloit lui manquer.Elle prit son parti de bonne grâce. Ellerésolut de sonder sa cuisine sur mescharmes naiflans ,

plus appétissans. queses appas trop mûrs. Je ne voulus pasme prêrer à cet arrangement. Troisièmegenre de persécution. J'étois battue parceque ma mère ne plaisoit pas ; je Pétoisparce que je plaisois, ôc je Pétois enfinparce que je ne voulois pas me laisservendre à ceux à qui je plaisois. Ma mèreme prenoit souvent par mes longs cherveux ,

quelle entortilloit aurour de sonbras, & elle me traînoir fans pitié furle carreau , en m'accablant de coups depieds.

« Tout le voisinage s'appercevoir de fabarbarie Ôc de-mes souffrances. Tout lemonde s'indignoit contr'elle ; j'étois obli-gée d'étouffer mes cris , de peur de ladénoncer rrop souvent au Public, ôc delui faire jerer la pierre par le peupleirrité. J'étois au désespoir;

33Je ne vous donnerai pas des détails

scandaleux sur les lâches tentatives qu'ellefît pour me livrer à différens hommes;n'osons pas flétrir & diffamer le carac-

Tome I. E

rère sacré d'une mère ; mais,' encot£ un1 coup ,

celle-là étoit-elle la mienne ?,

etJe fus obligée de fuir une si cruelle

-violence, 8c de mettre ma vie & mouhonneur à couvert ; & encore commentqaitcai-je la maison maternelle ? Ce fut

' ma cruelle mère qui m'en chassa elle-même

,' en voulant m'asiommer. Elie me

.poursuivoit avec une barre de fer,

dontelle vouloir me fendre la tête ; je eourois«le toutes mes forces

,cela est naturel,

La" peur me donna des ailes plus légères

que la rage ne lui en communiquoit. D'ail-leurs

,les voisins la retenoient le plus

qu'ils pouvoient ; de sorte que j'eus lébonheur de lui échapper. J'étois déjà loinde notre maison

,quand je vis bien dis-

tinctement qu'elle ne me poursuivoitplus. II n'étoit pas sûr pour moi de re-tourner sous fa barre funeste. J'allaitoujours en avant. Je sortis de la ville;je me trouvai bientôt dans une camrpagne assez écartée. J'apperçus alors

une Dame, vénérable qui se promenoir

avec quatre jeunes Demoiselles,

très-•jolies

,fans doute ses filles ; ces aimables

enfans jouoient entr'elles,

se faisoientdes niches innocentes, folâtroienr, cou*

(s>?)•

roient & regardoient avec amour leurbonne mère, qui leur sourioir avec com-plaisance. « Qu'elles sont heureuses

, me33

disois-je, en soupirant ! voilà ce que

» c'est que d'avoir une mère. Quelle

33félicité !' Hélas ! j'en ai été privée

« toute ma vie.... Mais si cette bonne

33mère vouloit bien être aussi la mienne !

ssSi elle m'acceptoit pour fa fille, ou

i3du moins pour fa servante ! Oui, c'est

Í3bien assez pour moi. Je verrois ses

>3fil.les heureuses

, & je le serois dui3

reflet de leur bonheur. O Dieu ! si je» pouvois contribuer à procurer, à cette)3

bonne mère,

quelques momens de33

satisfaction!>3

J'implorai le ciel, pouirqu'il daignât disposer en ma faveur l'es-prit de cette Dame & de ses Demoi-selles ; &, prenant rout-à-coup mon partitje me jetai à genoux ,

fur Pherbe, auxpieds de ce grouppe joyeux qui s'arrêta touc

.étonné. » O Madame,

Mesdemoiselles,33

m'écriai-je! ayez pitié de moi, sauvez« une pauvre'fiíle

,qui est bien malheu-

>3reuse & qui n'est poinr coupable. C'est

33 ma mère que je fuis. C'est celle qui33

m'a donné le jour, qui veur me tuer le33 corps & Pâme; elle veur me débaucher-

3>'elle veut m'assassiner; elle veut m'ôter

Erj

(ÎOO)

>jPhonneur 8c la vie. Prenez-moi chez

33 vous , irìa bonne Dame, je servirai

33 vous, votre mari, vos Demoiselles, vos» heureuses-Demoiselles. Hélas! elles

33 ont une mère, & je n'en ai pas. »

Je fondois en larmes,

à genoux, pros-ternée sur le gazon que j'arrosois de mespleurs. La mère, les filles furent arten-dries. Je vis leurs yeux humides,

etPre-

ssnons-là

, maman ,direnr les Demoi-

33selles, sauvons-la, elle paroîr honnête. »

— « Oui, mes enfans, répondit la mère,33

je fuis portée à le croire. Elle est sû-

33 rement malheureuse, du moins. Nous

33sommes si heureuses ! il faut avoir

iì pitié de celles qui ne le sont pas33 comme nous. Levez-vous

, mon en-s>

fant, ôc venez avec nous. Nous ver-

33 rons ce que nous pourrons faire pour33 vous. 33

Je me levai, je m'élançai. Je

baisai, avec transport,

les mains de lamère ,

des Demoiselles. On me fit quel-ques questions.. J'y répondis en détail.Elles s'instruisirent, fui mon sort, les cinqpersonnes chéries ; elles augmentèrentFintérêt que je les voyois prendre pourmoi.

«Nousarrivâmeschez ces Dames, dans

une maison bourgeoise ; mais de belle

apparence. Le maître parut ; c'étoit urthomme de bonne mine ; je crus le voirsourire en m'appercevant. « Nous avons fai t33 une recrue ,

lui direnr les Dames ; i>

Sc elles lui expliquèrent, en peu de mots,comment elles m'avoient recueillie

,&

ce que j'étois. « Vous avez très-bien fait,» dit-il. C'est une bonne trouvaille ; »& il me regarda avec complaisance ;mais d'un air cependant honnête & in-capable d'alarmer. Le fils

,qui arriva,

me lorgna peut-êrre un peu plus amou-reusement ; mais je vis aussi

,fur fa phy-

sionomie, un air d'honnêteté qui me

rassura.

« Mon Dieu ! que je fus heureuse, danscette maison

,le peu de temps que j'y

demeurai! Que j'avois de plaisir à-mevoir dans une famille honnête

,où je

n'appercevois que des choses qui fiat—toient mon coeur ,

randis que tout ceque j'avois vu jusqu'ici, chez ma mère,Pavoit toujours révolté ! Ah ! mon cherami, j'étois née pour la vertu & Phon-nêteté.

33Cependant j'entrevoyois que le père

ôc le fils cherchoient à me plaire,

chacunde son côté. Ilmesembloit même qu'ilscroyoient tous deux y avoir réussi. Je

E iif

leur faisois animé, comme je le devois

M. Lunicourr père étoit si bon ,' son filsétoit si gentil '.-J'avois tant d'obligationsà toute cette chère famille, & tant deconfiance en eux, tous , que je les regatr-dois tous comme père & mère

,frère

ôc soeurs. A ce titre, je foîâtrois librement

avec le père ôc le fils,

quand ils ve-noient rire avec moi. Je me laissois em-brasser par l'un & l'autre. Je le leurrendois de tout mon coeur ,

fans y enten-dre malice. Ils n'étoient pas si inrtocens

que moi. J'entendis le barbon dire unjour à un de ses amis : « Cette petite

33fille là m'aime ; vous ne sauriez croire

33cotpbien j'en suis flatté.

33Alors il

m'apperçut, ôc je lui dis bonnement í

« Ah ! c'est bien de tout mon coeur. »II m'embrassa avec transport ; de moncôré, il n'étoit pas question d'amour

, envérité. Depuis ce temps -là

,il paroissoit

plus' soigneux de fa parure; il y mettoitmême une affectation & une espèce decoquetterie

,qui faisoient un peu sourire

sa famille,

& sur-tout son fils. Le jeune-!homme affectoit, au contraire

,d'être

en déshabillé, en frac"; il savoit qu'il

éroit fort joli de toutes les manières. U

se croyoit aussi un peu aimé, cV peut-

(IOJ)être il en étoit quelque chose. Les deia»rivaux sc rencontraient tous les jours daná

ma chambre-, où ils venoient me faire la.

cour. Ils se toisoient des yeux ; ils cher-choient à se faire quitter mutuellementla place. Le fils, moins réservé que lepère

,restoit presque toujours maître da

champ de bataille;" Un jour j'érois dans un bal, un gros

masque vint me faire sa cour ,ôc ne

tarda pas à m'avouer qu'il étoit le pèreLunicourt. Je lui fis mille amitiés. Bien-tôt un second plus leste se mit fur les

rangs, ôc m'avoua qu'il étoit le fils. Jône le traitai pas moins bien. Le premiecm'offrit de me reconduire au logis ; )fconsentis. Le second ne tarda pas à-venir.

me disputer à son rival, qui ne voulut paslui céder. Le jeune traita ï'ancien de vieuxpoussif; l'autre répondit à cette injurepar celle de jeune efflanqué. Ils étoienttans les deux forr bien déguisés. Ils sa-voient rendre aussi leurs voix méconnojs-sables. Ils m'avoient d'ailleurs l'un &l'autre recommandé le secret, ainsi je nesavois comment empêcher la dispute.Des injures on en vint aux coups ; lejeune emporré commença , & l'autre ré?pondit avec fureur. Mous étions déjà

E iv

(i°4K'dans la rue. Les deux combattans se

jetèrent mutuellement dans-la boue,

ils roulèrent de manière à se couvrir,complèremenr en boue de Paris. Leursmasques tombèrent dans le combat; ils

se levèrent ôc se reconnurenr tous deux.,quoique couverts de fange. Notez qu'ilsétoient tous deux déguisés en femmes,& que leur figure mouchetée de boue,étoit singulièrement comique ,

fur-toutcelle du père. Le fils confus ôc repentant •

resta muet de surprise ; mais il ne tarda

pas à sourire de la figure de son rival,-qui devint furieux

, ôc fit jouer sa cannesans ménagement. Le pauvre jeune-homme sachant quel ennemi il avoit sur

les bras, ne put se dispenser de se sau-

ver. Diverses personnes, qui le virentcourir ainsi

,poursuivi par un orage de

coups , ,ôc qui ne savoient pas le respect

que le battu devoit au battant, criaient:

« Ah ! se lâche ! » Moi, je les siaivois

en criant vainement : « Ecoutez donc,

33 apprenez. 33Le fils, ainsi poursuivi, ne

pouvant se venger sur son rival,

se

rejeta sur les clabaudeurs. II en rôndinoit

un ; tandis que son père lui rendoit le

même service.

« Tandis que je cherchois à les arrêter,

(«OS)je fus arrêtée moi - même. Une femmefurieuse me travailloit à coups de poings

,comme on travailloit devant moi plu-sieurs pauvres diables. Je la reconnusfur - le - champ. C'étoit ma mère. Jedevins immobile ôc muette, comme lafemme de Loth changée en statue desel. « Ah ! scélérate

,s'écria ma cruelle

>3marâtre. C'est donc ainsi que tu fuis

33 ta mère ! il ne te faut que deux

» hommes, malheureuse,

deux polissons

33 qu'on va mener à Bicêrre.33

Le père8c le fils entendirent qu'on parloir d'eux.Us suspendirent leur querelle. II me re-gardèrent ; ils virent une femme furieusequi me traînoit dans" la boue

, en mefrappant. Us se jetèrent fur elle

,m'ar-

rachèrent de ses mains, & s'escrimèrent

sur elle, comme" deux. Maréchaux surune enclume, avec un merveilleux con-cert.

e<Bientôt le Guet vint. On nous con-

duisit tous chez le Commissaire. La mal-heureuse femme s'écria, devant Phommede robe

,qu'il étoit bien affreux qu'on

battît une mère, parce qu'elle réclamoit

fa fille. Le Magistrat me demanda si cettefemme étoit ma mère. Je ne. pus le nier.11 ordonna donc que je serois remise

E v

( io6)entre ses mains. Le père &c le fils mmanquèrent pas de lui faire des excusesqu'elle rejetoit, en disant qu'elle ne secontentoit pas de cela, qu'il lui falloitdes dommages & intérêrs.

Cependaur je poussois des cris plain-tifs. Je me jettois aux pieds des deuxLunicourt. « Ah ! mes chers maîtres

,33

disois-je , ne' m'abandonnez pas ,sau-

s> vez moi des mains de ma mère ; elle

33 va m'assassiner. 33,— « Ma chère enfanr,

»3répondoient

- ilsy nous sommes bien

» fâchés de ton malheur ; mais que veux-33 tu que nous fassions ?

>3 — « Ah ! re-33

pris- je, que va dire la bonne Ma-so

dame Lunicourt ; que vont dire ses

s» "chères Demoiselles? Ah! pauvre Le-33 vrette ! que je fuis malheureuse ! » LeCommiflaire daigna recommander for-tement à ma mère

,de ne pas me

barrre, & de me traiter, an contraire,

avec la plus grande douceur.«<

Je veillerai

33fur vous, lui dit-il; &, si vous rnaî-

» traitez votre fille qui paroît honnête,»3

je vous la ferai enlever, & vous serez

»3punie. » Elle partit fans rien répondre

en m'entraînnnt, ôc je fus forcée de íasuivre j en étendant me« bras vers k

( 107)père & le fils qui étoient désespérés &versoient des larmes.

« Je pouvois' à peine me soutenir ; mamère m'accabloit

-de coups de poing ;

&, comme elle vit que ce secours neme donnoit pas la force de marcher

,.elle-fut obligée de me prêter son bras,cruellement secourable. Elle me fit .en-

trer dans fa fatale maison. Elle m'yttaita mon bon ami,- j'ai trop de peineà me rappeler ces douloureuses circons-tances ,

& je ne dois pas, puisqu'elleest ma mère

,,la peindre tout-à-fait en

noir, & dire tout ce .qu'elle me fit.

Qu'il, te suffise de savoir qu'ouíre les

coups, elle m'enferma au pain & à l'eatid.ins une cave.

» Heureusement que je 'ne lui gagnoierien dans cette cave , & qu'elle voulaittirer parti de mes pauvres appas ,

quidévoient être bien pâles & biera lan»guissans

,dans cette obscure prison. Ce-

pendant j'y goûtai quelques plaisirs. Cefut ma voix qui me les attira. Je'.ra'a-musois à chante*, pour charmer les en-nuis de ma situation. Mon petit amiLunicourt, le fils

,qui rôdok dans tout

Paris pour me chercher", entendit & re-connue les accents de fa feien-aimée,. 'M

E vj

(xo8.).me cria par le soupirail de la cave;« Ma chère-Levrette, est-ce vous?» —« Oui, mon cher Lunicourt, lui répon-

33dis-je, c'est votre pauvre Levrette. Je

» fuis ici, & je voudrois bien en sortir j

» mais je fuis enfermée sous clef dans

»>.un petit caveau , au fond d'uiíe

»3grande cave. 33 — « Je vous en dé-

» livrerai,

reprit - il, ma chère amie.

» Prenez patience. Je ne tarderai pas

3Ȉ vous rejoindre.

s>Je lui donnai mille

bénédictions, & je l'attendis avec impa-

tience.- • N

« Le lendemain,ma mère'fit descendredu bois dans la cave. Elle y descenditelle-même, pour indiquer à un hommeoù elle vouloit qu'il le plaçât. Cet homme

avoit la voix de mon bon ami. Je tres-saillis. Ma mère partit. L'arrangeur de

bois vint à bout d'ouvrir la porte de

mon caveau. C'étoit Lunicourt. II vola

dans mes bras ; mais soudain ma mèreredescendit. II fut obligé de refermer

ma porte, avant qu'elle nous apperçût.Elle avoit fans doute réfléchi que fifille pouvoit appeler du secours, ôc elle

venoit empêcher que je n'obtînsse de hcompassion

, ôc peut-être ma liberté, de

la part de l'homme qui m'entendroity.

(ic?)Elle venoit pour obvier à*'cet inconvé-nient par sa présence. Elle fit arrangerle bois devant elle ; & fit sortir l'homme ,en lui demandant s'il n'avoit rien en-tendu. II lui jura que non. Elle voulutvoir si ma porte "étoit bien fermée, ellela tira. Je la retins de mon côté ; ellesentit de la résistance

,& cela lui suffir.

« Mon bon ami savoit ouvrir les porres.II avoit une provision de rossignols. Ilne tarda pas à revenir ; il ouvrir la portede la cave , & reparut, non plus sousle déguisement d'un porteur de bois ;« mais paré joliment

, & beau comme» Pamour. Sauvons - nous vîte

, ma3.3

chère amie, dit - il.

33Soudain nous

entendîmes tracasser à la porte de lacave. C'étoit ma mère quidiíoit : « est-ce» que j'aurois oubliée de fermer cette33 cave ?

33Nous nous réfugiâmes dans

le caveau. Elle vint encore voir si laporte étoit bien close elle la tira detoutes ses forces ; mais nous la rete-nions tous les deux, ôc elle y fut encoretrompée.

« Elle partit, 8c nous ne tardâmes pasà la suivre ; non , pour la rejoindre ;mais au contraire pou*. Ta fuir de toutnotre pouvoir. Nous nous étions trop

(no)pressés.' Nous l'entendîmes parier furPescalier de la cave. Nous fûmes obligésde redescendre hors de la portée de fa

vue. « Nous nous arrêtâmes pour écouter

33 ce qu'elle disoit. Monsieur le Comte,

s»s'écríoit-elle

, je vais vous Pamener

33tout-à-1'heure.

33 — « Mais elle n'est

33 pas chez vous, disoir une voix cassée.is

— « Je vous dis qu'elle y est, répartit la

33 méchante mère ; » òc elle descendit.Nous nous sauvions devant elle commedes ombres légères. Je rentrai dans maniche

, & le jeune-homme eut le secretde se cacher. Elle enrra chez moi. « Sui-

33 vez-moi,

dit - elle,

malheureuse. Je

» suis trop bonne ; mais si vous ne33

m'obéissez pas ,tremblez.

33

í3 Je la suivis en tremblant. Ejle me fît

remonter à la lumière,

8c me présenraà un vieux petit homme caduc ,' quis'appelloit Monsieur le Comre. «Tenez33

la voilà,

dit - elle,

la reconnoissez-

13 vous ? » — « Oui, fans doute, répon-

33dit-il, elle est charmante.

13 —« Ma-

33demoiselle, reprir-elle

,voilà îe plus

» honnêre Seigneur du monde,

qui veur» bien avoir des bontés pour vous ;

33tâchez de le'contenter, & empressez-

» vous à lui plaire. » —' « Qui', Poulette1;

(m-)>3

dit le grêle vieillard,

si je, puis avoir

M le bonheur de, vous pLiire, je vous

33ferai votre fortune. » Ah ! la fortune

étoit bien loin, si elle dépendoit de

cette condition. Le bon homme appro-cha

,de ma joue ,

fa bouche édentée.Je sentis qu'il falloit ne pas fâcher mamère, pour ne pas me revoir enfermersur-le-champ

, & que d'ailleurs son cham-pion n'éroit pas redoutable. Je' laissaisouiller ma joue par un piteux baiser.Le bon-homme fit servir une collationsuperbe. II fallut boire ôc manger. Cen'étoit pas là le pire de mon rôle. Legalant suranné me défila tons les bonsmots du siècle de Louis XIV. Ma mère,qui vouloir le flatter

,se tenoit les côtés,

ôc feignoit d'éclater de rire. J'apperçus,.dans une glace

,la figure que je faisoist;

là, celle du vieillard ôc celle de mamère. Nous formions un grouppe quime parut comique

, & me fir sourire. Levieillard en fut enchanté. U redoubla dezèle à dire ses vieux bons mors, qui luidonnoient un air singulièrement niais.Pour complérer le comique de la scène,mon bon ami pénétra jusqu'à nous, fansêtre apperçu que de moi. II se cacha,denièie mon fauteuil, ôc je ie fis par-

("O( (

.ticipeí à norre goûter,

sans qu'on s'endourât, tant je fus adroitement lui passer

ce que je trouvois de- plus appétissant,ìp le voyois dans la glace. II me faisoicdes signes ôc des mines. Un paraventle cachoir à ma mère

,& le vieux Comte

y yoyoit à peine. Ce jeu me faisoit toucde bon éclater de rire ; le cacochyme at-tribuoit mes ris

,à ses propos. II me

baisoit la main gauche,»

tandis que Lu-nicourt me faisoit plus de plaisir en mebaisant la droite.

« Ma mère eut occasion de se lever ;le jeune-homme en fit autant, & passa

derrière le paravent. Elle l'apperçut :

« Qui êtes-vous,

lui dit-elle, que de-

33 mandez-vous ?>3 — « Je fuis le valet-

33de-chambre de M. le Comte

,répon-

33dit-il. Je viens chercher mon maître.»

— « Que dit-il, s'écria le ,viei!laid en

sstoussant, & fans le voir? » — «C'est

n votte valet-de-chambre qui vient vous

33chercher. » <— « Malheureux ! s'écria

» le bon-homme, ne veux-tu pas atten^

33dre dans Fanti-cKambre ? 33.Le jeune-

homme y passa,

& s'y cacha. Son pré-

tendu maître., enchanté de moi, me fit

présent d'une bourse de cinquante louis,& dit : « Puisque mon coquin de valet-

,

("3)>s

de-chambre est-là, je veux qu'il mene-

ÌJsur-le-champ la perite voir Fapparte-

33 ment que je lui destine. Holà ! hohé !•>

II passa dans l'anri-chambre pour chercherle drôle, & ne Papperçur pas. ce

Où est-

33il donc

,s'écria le Comte ?

33Je lui

montrai,

de la main, Pescalier,

& ildescendit

, croyant y trouver son valet.« Où est-il donc allé

, me dit aussi ma33 mère ?

33 — « Je crois,

lui dis-je, que

» je viens de le voir monter là haut.>>

Elle courut & monra les degrés quatreà quatre. Alors mon amant sortit desa niche

, ôc m'enleva dans ses bras,fans que je fisse aucune résistance. 11 cul-

buta M. le Comte qu'il rencontra furl'esealier

, ôc nous voilà dans la rue.« Nous volions comme deux oiseaux.

Nous détournâmes bien vîte dans uneautre rue. Nous trouvâmes une voiturevuide. Nous y montâmes. « Va" ventre33

â terre ,dit Lunicourt au cocher.

33 —« De quel côté ?

33 •— « Devant toi. «Nous brûlâmes le pavé.

« Ah ! ma chère amie, que je fuis

» aise de votìs avoir dans mes bras,

33dit Lunicourt, en m'embrassant !

i> —« Mon cher ami, lui répondis-je

, ques»

je fuis aise de nvy voir ; & que je voùs

.

(I,4).33

ai d'obligation ! mais,

où alîonî-

33 nous ?i3

II parut embarrassé ; « mais,

ss-, dit-il, où vous voudrez. » II paroît quele petit Monsieur auroit voulu me con-duire dans quelque maison libre, où j'au-rois pu .être à fa disposition. Ce n'étoit

pas là mon compte. « N'allons - -nous

33 pas chez vos parens, repris-je ? » —« Je le veux bien

,répondit - il ; mais

33 votre mère connoît sûrement la mai-

33son

,& elle viendra encore vous y

s» réclamer ; d'ailleurs.mon père voiw

3>paroíc un peu persécurant. » —- « A-

33peu-près comme vous, lui dis

-je;

33 mais gagnons toujours la maison pa-'ss

ternelìe;3, &: il donnà, avec beaucoup

de peine, au cocher, Pordre d'aller chezson père.

« J'y fus reçue par tout le monde, avecdes transports qui m'attendrirent jus-qu'aux larmes. La joie des femmes éroitpure ; celle du père étoit mêlée

-d'un

peu de jalousie contré son fils. « Mais,33

dit k Dame, comment pouvons-nous»3

faire ? La malheureuse mère va venir

s» encore " réclamer sa fille,

' &•nous

33 ne pourrons la refuser. II me vienr

33 une idéç ; puisque je dois mettre," Tous quelques jours

, mes filles dans

« un Couvent, je puis avancer ce terme,». &

, comme jé désire savoir au juste

33 comment elles y seront rraitées,

je'

33 veux aller les y installer moi-même,33 Sc y passer quelques jours avec elles,>s pour connoître le train de la maison,

33Oi, je louerai un appartement, pour

33, moi,

dans Pintérieur, & je prendrai,

33 avec moi , Levrette pour me servir.

33Sa mère ne viendra pas la déterrer-

33là peut-être.

33Je remerciai, à genoux,

la généreuse mère. Je vis qu'elle n'étoitpas fâchée d'ôter, à son mari & à son fils,le sujet de leur jalousie mutuelle. « Al-

33Ions

, tout cela se peut faire dès au->3

jourd'hui,

reprit-elle. » En effet, elleprécipita toutes les démarches nécessaires;ôc

,malgré la figure un peu allongée du

père & du fils, nous entrâmes, dès le

jour même, au Couvent, la mère, ses

Demoiselles 8c moi.

« Me voilà dans une nouvelle vie. MonDieu ! qu'elle fut agré ' .le pour moi !

Quel contraste de cc .maison reli-ligieuse

,à la maison profane de ma

mère ! quelle -différence entre les proposqu'on renoit dans ces deux retraitesopposées-, de la vie qu'on menoic dansl'une ôc l'autre ! Quelle distance du

sanctuaire de la dévotion, au repaire du

libertinage ! Je devins dévote , mon honami. J'approchai, pour la première fois,des sacremens. J'acquis une existence,je me trouvai avoir une ame , je fus

comptée pour quelque chose.-J'apprisquefétoís

,devant Dieu, égale â tous, les

hommes. Tu sens, mon bon ami, quelle

tendresse,

quelle élévation résultoit,

pour moi, d'une situation si nouvelle &si flatteuse. O! comme je desirois ardem-ment d'être reçue pour toute la vie dans

ce port tranquille,

où mon innocencejouissoit du-calme & de la sûreté ! Avecquel plaisir j'assistois à Foífice divin ;

avec quelle joie je chantois les cantiquessacrés ! Avec quelle volupté pieuse, j'al-lois quelquefois me prosterner seuledans le sanctuaire du Seigneur! Je con-templois les rableaux & ies siarues qui

me représenroient des objets faciès. Jecroyois voir des Anges qui deseendoientdu ciel

,& que PErernel envoyoit- vers

moi, du trône de fa gloire. Ah ! qu'onm'eût reçu Soeur converse dans cetcemaison, & mon bonheur étoit assuré, auflibien que ma vertu.

« Le ciel ne m'accorda pas cette grâce.Je ne fais quel démon alla souffler, ì

.tu?)

Toreille de ma mère, le lieu chéri oùj'écois cachée. Elle vinn faire vacarmeau Couvent; elle y-vomit des blasphèmes.Toutes les Religieuses furent épouvan-tées ; toutes ces colombes timorées crurentvoir les voûtes du Monastère prêtes às'écrouler fur leurs tètes. Elle ne virentvd'autre remède pour se débarrasser decette furie

,de ce démon incarné

, quede lui remettre sa fille. Malgré mes cris3

mes pleurs , je fus sacrifiée ; on m'arra-cha de l'autel que je tenois embrassé

,pour me remettre à un Ange de ténèbres.

« Ah! si ma mère m'avoit fait tremblerci-devant par ses blasphèmes

,combien

ne me fit-elle pas frissonner au sortird'une maison sainte

, par ses horriblesimprécations! Je reçus plusieurs coups , &j'avois déjà le visage ensanglanté, avant

' d'arriver à la maison. J'y fus de nouveaurenfermée dans le caveau , avec la cir-constance de plus, que j'étois enchaînéefortement avec de grosses cordes, &avec la chaîne du tournebroche.

» On m'en tira encore au bout de quel-ques jours , pour me livrer à un homme.Mon bon ami

,je ne détaille pas tous

mes tourniens. Livrée à Famour à forcede coups, il falloir, sourire toute meur-.

trie , & me laisser embrasser,

quandj'avois la mort dans le coeur. On memit au désespoir. Un des galans

, mespersécuteurs, me dit

, par hasard, qu'ilavoit, dans fa poche

, une prise d'opium,'Je vins à bout de la lui dérober. C'estle seul vol que j'aie fait de ma vie. C'&oif

pour me. donner la mort. Quand je fus

feule, je me prosternai la face contre'terre. Je priai, avec un coeur brisé

, avecdes larmes amères ,

le Dieu devant le;

quel je me disposois à paroître. Je lui

demandai pardon de l'attentat que je

méditois. Je le pris à témoin, que je

n'avois pas d'autre voie pour sauver monhonneur. Je me recommandai à sa mi-séricorde. Ensuite

,les yeux au ciel

,j'a-

valai intrépidement l'opium. Je me jetaifur un lit

, pour laiíîer opérer le poison;mais fans doute la dose étoit trop peu'

forte pour m'immoler. Au lieu de lí

mort, la drogue funeste m'amena unsommeil singulier

,égaie par les songes

les plus séditieux,

mais les plus riam,Je voyois un homme qui me serroit dans

ses bras,

ór cherchoit à triompher de

ma pudeur. Je sentais, en effet, coji- '

fusément, que j'étois au pouvoir àe

quelqu'insol-ent , contre lequel je-'»*

débattois machinalement. Je crains bienqu'on n'ait abusé du déplorable sommeil,dans lequel on m'avoit fait peut -

êtretomber à dessein. Quoiqu'il en soit, jem'éveillai, en effet, j'ignore après com-bien de temps ; & je me trouvai dans

,les bras d'un infâme. Mon Dieu,

si jepéchai dans ce malheureux état, je t'endemande pardon y le crime etoit invo-lontaire. Je n'en fus pas moins accabléede désespoir ; & je résolus

, à quelqueprix que ce fût, de fuir la tyrannie.

« Je trouvai, par bonheur, auprès du litde ma mère

,les habits d'un, petit jeune-

,homme qu'elle admettoit, peut-être

,je

n'ose dire où. Je m'en emparai, je m'enrevêtis ; je vins à -bout de m'échapperfous ce déguisement. Je courus de toutesmes forces ; mais' où aller

,où m'a-

dresser pour trouver ma subsistance ?

.TOUS les hommes, qui m'honoroient deleurs regards complaisans

,fous les ha-

bits de mon sexe, ne jetoient pas les

yeux fur moi,

depuis que j'avois leurhabit. II me vint une idée subite. Je merappelai d'avoir entendu dire que plu-íïeurs femmes déguisées avoient servi leRoi, & s'étoient fait honneur dans lacarrière militaire. « Allons, me dis-je,

,(íi0)

» imitons ces héroïnes; &, pour sauver

» notre honneur , entrons dans les sen-

» tiers de la gloire. » Sur-le-champ, jepris mon parti. J'allai fur la place Saint*

Michel,

& je dis à un Recruteur queje .voulois servir le Roi ; il me regarda

en souriant,

& je crus entrevoir qu'il

ne me trouvoit pas l'air bien mâle. » Fort

» bien, dit-il, mon petit César ; &

» combien voulez- vous ? »— « Mais,

33répondis-je, ce que le Roi donne,&

3' rien de pins. » — « Vous êtes bien

33complaisant, reprit-il

5 venez donc

35 avec moi terminer cette gtande af-

33faire.

33II me conduisit dans un de

ces fouis de la rue de la Huchette,

l'on prend les jeunes gens au trébuchet,II ferma la porte, & , me pçenant très-

aisément sous son bras ; car il étoit très-

sort. « Vous allez voir, me dit-il, l'en-

" gagement que je donne aux petits

s» garçons , qui veulent devenir des U-

33 ros. 33Alors

,puisqu'il faut vous le

dire,

il me mit la culotte bas, auffi fa-

cilement- que si je n'avois pas fait de

.résistance; &, d'une main de fer qui,'

n'étoit pas morte, me traita comme unpetit écolier qui a mal fait son thême,Tu sens

, mon chsr ami, que je fus in-dignée

' ' ("Omdi°née de l'affront; mais-j'en redoutois

un plus grand ;>je craignois , en medébattant

,de laisser appercevoir rríou

sexe. J'eus ce malheur. Je m'en apperçuspar un terrible éclat de rire.

,qui

échappa tout -à

- coup à mon exécuteur-.II cessa sur-lechamp l'exécution, « Ah!«s

ah ! ma Reine,

dit-

il, vous venez

» comme cela me surprendre. J'y ai été '33

pris, comme vous voyez. J'étois dans

s»la bonne foi. J'ai commis un sacrilège.

33Je vous en demande mille pardons.

33Comment réparer ma faute ? Je fuis

os à vos pieds,

Reine,

ordonnez de

33 mon fort.33

Alors il se jeta à mes ge-noux ,

d'un air ironique, me prit, mal-gré moi, les deux mains

,qu'il couvrit

de ses odieux baisers ; & m'empêcha parlà de remonter ma culotte. Je sentois

,en frémissant, que cette maudite culottedevoit me gêner beaucoup, & me laisserà fa merci

, rant qu'elle seroit sur mestalons. « Ah ! mon bon Monsieur

,lui

« dis-je ; c'est moi qui dois me jeter à33 vos genoux , ayez pitié de moi, gé-33 néreux Militaire

, je fuis si malheu-.33

reuse, que, si vous connoiffiez seule-33 ment la moitié de mes souffrances,53 vous me plaindriez, & yous épargne-

Tome J. F

{,11)»>

riez- ma misère.33 — « Ah ! Poulette,

s3reprit-il. Que parlez-vous de pitié?

*> Vous êtes faite pour les adorations.

»>Que craignez - vous de moi ? Je ne"

s> veux pas vous faire aucun mal ; ausj contraire

, je prétends vous prouver»3 tout l'excès de mon amour. 33

« Le malheureux vouloit passer à laviolence ; j'appelois le ciel & la terre à

«ion secours. II entendit venir ses ca-marades. « Tout beau

,dit - il, je ne

>3prétends pas que "personne en tâte

sa avant moi. » II sortit & m'enferma àla clef

,ôc sans doute il, rejoignit ses

-camarades.

13Mon premier soin fut de remonter

mes culottes,

& de rendre grâce au ciel.'-Mais je n'étois pas délivrée. Le malheu-reux devoit bientôt rentrer. II brûloitíans doute d'assouvir fa brutale paffion,Sc de m'abandonner ensuite à

ses coivfrères. Je frémissois de crainte. Je fris-ibnnois d'horreur. Malheureusement, j'é-tois à un troisième étage. Je voulois me•sauver ; je mesurois

,des yeux ,

la hau-

teur des fenêrres. Tout-à-coup,

je vois

•entrer dans la cour, un homme chargéde bottes de foin. «Voilà, me dis-je, un» lit ambulant,qui sn'éprgnexa le dange-r

'("3)3» de la chute ; &, si le malheureuxportes>3

faix est culbuté '#il n'en mourra pas. >>

Soudain, je m'élance , en implorant le

-ciel. Je tomhe fur le foin, fans me fairepresqu'aucun mal. Le porteur est terrassé

10us le faix ; mais il n'est qu'étourdi, &c

n'est pas assommé. La craiáte me donnedes aîles ; je vole' fans être poursuivie. Jesors de Paris, & je prends, au hasard,la route de Fontainebleau.

3>Je cours d'abord intrépidement.

Bientôt la nuit vint. Sonombre, jointe à lafatigue

, m'obligea de m'arrêter au boutde je ne fais combien de lieues. J'en-trai dans une auberge. J'y demandai dequoi souper : « Ma Poulette

,dit l'hô-

33tesse, on va vous servir. » Je fus assez

honteuse & fâchée de me voir reconnuepour une femme. Je soupai du bout desdents. Je payai, & je demandai un lit.« Oh! ceci est autre chose

,dit rhôtefle.

- 33Nous donnons à souper aux Demoi-

j) selles comme vous , pour leur argent j•33 mais aucune ne couche chez nous. La

33 campagne est assez grande pour con-.33 tenir votre

-individu ; passez fur vos

j »3 terres. 33A ces mots , on me mit po-

•dimènt à la porte., malgré la répugnance.que- je. .férnoigriois pour passer la nuit3

Fij

'("4)'la 6elîé étoile. Heureusement le tempsetoit beau. Je ttouváá un petit bouquetd'arbres ,'sous lequel je me couchai, àquelque distance du grand chemin ; & je

ne tardai pas à m'y endormir,

malgrélà peur que je ressemois de me,voir'feule,de nuit, au milieu d'une campagne.

33La fraîcheur du matin m'éveilia au

Tpoint du jour ; je me levai un peu tran-sie ; & , pour me réchauffer, je pour-suivis ma route à pied. Le jour étoitdéjà beau

,quand jé m'engageai dans la

forêt de Fontainebleau, qui a des situationspittoresques & sauvages

,dont la vue

m'amusa d'abord ; mais bientôt il survintun orage. Une épaisse obscprité bannitpresqû'enrièrement le jour. Une pluie"épouvantable perça jusqu'à moi, malgré'les feuillages touffus. Les vents déchaînéssouffloient contre moi, & m'empêchoient'd'àvancer ; la foudre éelatoit & tomboitde tous les côtés

, me poursuivant sousles arbres, où je n'osois m'arrêter. Lesgrands chênes se brisoient en éclats. LeDruit de la foudre, des vents ,

de la pluie,Jes hurlemens des animaux égarés dansla forêt

,se' joignaient à

-l'horreur du

spectacle-; la nature en travail

1

ré'unissoícjoutes lés circonstances, pour faîrtf entrée

.(IZ5Ì)

la terreur dans mon ame ,'par tnesyeux,^& par mes oreilles. Je me recomman?dois à Dieu & à tous, les Saints. Deux;hommes vinrent mettre, le comble à mon,effroi. Le ciel en courroux, qui vomis-soit sur la terre la foudre & lëstorrens,.ne les effrayoit point. Ils vinrent à moi ,le pistolet à la main. Je me jetai à ge-noux dans la boue, pour solliciter leurcompassion. « Nous ne connoissons pas33

la compassion, me dirent-ils. Viens,,

33 nous t'allons mettre .à couvert de la33 pluie; fuis "nous

, ou nous allons te33

brûler la cervelle,ss

C'étoit assez d'a-voir le crâne mouillé

,fans savoir en^

core criblé déballes. Je suivis,'en trem-blant, les honorables voleurs.

33Au bout d'une centaine de pas, ils

me bandèrent les yeux. Tu sens quelsiìrcroit

, pour moi,

de terreur & detremblement. Bientôt la foudre tombeà nos pietìs

, & je perds connoissance.Je m'éveillai dans une vaste Caverne

,dans un sourerrain redoutable, au mi-

lieu d'une troupe de bandits,

dont lesfigures patibulaires me firent croire quej'étois -morte ,

& que mon ombre gé-missante étoit au pouvoir des espritsinfernaux. « Grâce, grâce ,

Messieurs}F iij

-

{xx6) '» m'écnai - je ! mon Dieu ! touche - les'

33 en ma faveur.33

Au nom de Dieu,íes scélérats éclatèrent de rire. Je fis le

signe de la croix, ce qui les fit rire

encore plus fort ; enfin le chef .ordonna--

que je fusse dépouillée,

& l'on ne tardapas à découvrir mon sexe. Alors leséclats de rire devinrent immodérés, inex-tinguibles. « Elle me plaît, dit le Chef;>> je lui trouve une petite figure qui me» revient assez. Je la confisque à mon33 profit. Qu'elle reprenne les habirs de

33son sexe. » Alors il appella deux bé-

gueules,

c'est le nom qu'il leur donna.Elles vinrent en tremblant. C'étoit deuxfemmes de bonne mine & d'un airdistingué. L'une plus fière, l'autre plusdouce. « Tiens

, me dit-il,

voilà une33

Duchesse & une Marquise, j'en fais

93 tes servantes. Viles souillons,

mal-

33adroites créarures,- servez bien votre

3>maîtresse ; & toi, ma Poulette

, ne33

passe rien à ces Guenons. Vîte,

ha-

33billez votre maîtresse en femme, pa-

33rez-la des plus beaux habits que vous

js portiez ci - devant.33

A ces mots, illes renvoya -, avec chacune un coup depied très -

incivil dans le derrière. La'fière Duchesse sanglottoit & paroissoit

avoir le coeur brisé. La douce Marquise-

pleuroit en silence. Je les suivis enpleurant moi,- même

,déchirée de vois

traiter si cruellement deux femmes dedistinction.

« Dès que je fus feule avec'elles3

jeleur demandai pardon

,à genoux, de la

mortification que je leur causois inno-•

cemment. La Marquise,

à genoux elle-même

,daigna me remercier de mon

humanité, & me dire : « Mon Dieu! que33 vous êtes bonne !

33La Duchesse me

regardant d'un oeil indigné : « Cela suf-

j3fit, me dit-elle, laissez-vous habiller.«

« Mes deux nobles servantes m'habillè-rent ,

l'une en rechignant,

l'autre debon coeur, & je parus astez bien misedevant Grinciador, le chef des voleurs,.

« Elle est assez gentille,

dit-il en sou-33

riant. Allons je te dévoue à mes plai-p

j3 sirs.33

Une Beauté fière me regardad'un oeil irrité : « Et toi, Comtesse

,lui

J3 dit-il, ton règne est passé. Vas à la33

cuisine laver les écuelles.33 La Dame,

fit i|ne assez laide grimace. II l'honorad'un coup de pied dans le derrière

,Sç

m'installa à fa place,

jusqu'à ce que quel-que nouvelle Beauté me fit traiter commema .devancière.

F iv

"

.

(I2§.}

« Tu vois, me dit Grinci'ador, un

>

»3drôle de séjour. C'est ici l'azile de la

>3Justice. Je m'amuse à mettre ici cha-

33 cun' à sa place, à traiter, comme ils

» le méritent,

des Gredins qui occu-33 pent, dans le monde

,les places les

33plus honorables. Tiens

,vois - tu , çe

33sont des gens titrés qui remplissent

33ici les fonctions les plus basses. C'est

33 un Président qui est mon valeti d'écu-

33rie. C'est un petir Abbé pimpant-qui

33décrotte mes souliers

,& je veivx-

33 qu'il soit retappé pour remplir son

33ministère.

'3 En effet, je vis un petitAbbé, en rabat & en petit manteau defoie, qui alloit vuider le vase de nuit;Tout ce détail, au reste

, nous est inu-tile. Mon voleur disoit que son projetn'étoit qu'ébauché ; que la France n'étoit

pas le pays qu'il lui falloit pour cela ;

que le Gouvernement étoit trop vigilant,éc les hommes pas assez énergiques ; qu'iliroit en- Angleterre remplir son but dans

toute son étendue.

33Nous fîmes un souper splendide. J'eus

1'honneur de manger à la table de Mes-sieurs les voleurs ; nous fîmes une chèredélicieuse. C'étoit tin très-gfand Seigneurqui étoit notre cuisinier. « Du moins.

» ìl est bon à quelque chose,

disóit

ai Grinciador.,33

Nous étions servis pardes esclaves-décorés ; car le chef, .pourinsulter à la dignité de ses malheureuxcaptifs, vouloit qu'ils remplissent les plusviles fonctions, avec toutes les marques<le leurs dignités.

. *33

Je craignois la fin du repas; parcecjue je sentois bien que je serois la vic-time immolée dans le lit de l'indignechef. II ne manqua pas , en effet , de mefaire conduire à son appartement ,

quiétoit une Caverne où il y avoit un fortbon lit. ' Mes deux servantes me désha-billèrent. Je ne voulois pas me mettreau lit. Le maître impérieux ordonna àquatre esclaves

, tous honorables per-sonnages décorés des plus éminentesdignités

,de me tenir par les quatre

membres, & ,

dans cet état, bon Dieu !

tu m'entends.... J'étois si troublée, que

je perdis presqu'entièrement connois-íànce

, & tu te doutes que je" devins lavictime du plus impitoyable des hommes*

33Quelle différence de cet abominable

.séjour, à celui du Couvent où j'avoisdemeuré. Hélas ! il ne m'étoit pas permisde dire mes prières. Tout le monde souf-•froit, & il îalloit que je contribuasse à

F v

tourmenter quelques - uns des -malheu*

reux. Par exemple, mes deux servantes,j'étois l'instrument dont on se servoit

pour les faire souffrir. On me forçoirde les maltraiter. Un jour Grinciadors'y obstina ; son caprice exigeoit que jeles souffletasse copieusement. J'employoirtpus les prétextes imaginables pour m'endispenser. Le tout vainement. Ne sachantplus comment faire, je feignis de m'é

1

vanouir. Le barbare n'y fut pas trompé;

« Qu'on la dépouille,

dit-il, & qu'on

J3la réveille à coups de fouet.

33Je ne

voulus pas donner tant de peine à sesMinistres. « Ah ! ma bonne petite Le-» vrette ,

disoit la Marquise,

les mains

.»»

jointes, pour l'amour de Dieu, donne

» moi des soufflets ; &,

si la Duchesse

» ,n'en veux point, donne- moi aussi fa

J3 part. 33Le grand voleur sourit ; « sa-

33tisfais-la

, me dit-il ;' mais pour fa part»3*

seulement.33 II fallut- obéir; mais je fis

patte de velours. Grinciadordaigna ne pasc'en fâcher ; mais pour la Duchesse

,il

voulut absolument que je fisse claquer lessoufflets

, & que ses joues en portassentl'empreinte ; &, comme je ne frappoisjamais aussi fort qu'il vouloit, il me crioir|>lusfort;&,aivantque;eparvinsse'audegré

'qui lui piaisoit, la fière patiente reçitt de»miliers de soufflets ; elle ne gagna doncrien à ma bonne volonté pour elle. Je Uvoyois grincer des dents, & j'étois obligéede m'en consoler.

v :Grace à Dieu, cette vie ne dura pas,.Un beau matin

,la Maréchaussée en-

fonça nos grilles de fer, & pénétra dansnotre souterrain. Les voleurs £t défen-dirent comme des lions. Plusieurs furenttués, la plupart furent garottés. Le chefeut le bonheur d'échapper aux Archers.L'indigne Duchesse dit que j'é$GÌs lamaîtresse du chef des voleurs , ee -quifit qu'on me garotta comme les coquins,malgré les voix réunies de tous lesautrescaptifs, qui attestoient que j etois captive}comme eux ; &, de plus, la plus hon-nête fille du monde. Je fus donc amenéeen prison

,renfermée dans un* cachot.

Je subis des interrogatoires, je fus con-frontée avec les scélérats. Ils furent con-damnés au fort des voleurs de grandchemin. Heureusement ils eurent laconscience de me reconnoître parfaite-ment innocente

,dans ce qu'on appeloit

leur testament de mort. Déchargée detoute accusation

,je sortis de prison ;

mais ils ïi'avoient plus besoin de rien,F vj

puisqu'on les menoit à la mort"; 8c moi

je ne savois comment soutenir la triste-Vie qu'on me laissoit.

33Je courois dans Paris

,cherchant

vainement dés ressources. Je rencontraiune malheureuse femme, qui éroit'de-laconnoissánce de ma mère

, & qui pensoit& agissoit comme elle. cc-Mon enfant, me33

dit-elle', ta mère vient d'avoir la petite

33vérole ; elle est affreuse ; elle va être

33bien malheureuse.

33 — « Hélas ! ré-

33pondis-je, je voudrois bien la secourir;

33mais j'ai besoin moi - même de se-

3> cours. 33 — « Fais comme moi, reprit

3.3la scélérate

, & tu pourras être utile

33 à ta mère & à toi-même. » II étoitdéjà huit heures du soir. En me parlantainsi

,Fhonnête Beauté s'adressoit fami-

lièrement à tous les hommes qui pas-soienr. J'étois fort scandalisée

,& je me

préparois à la quitter,

quand je la vis

tout - à - coup s'enfuir & disparoître.Etonnée de son éclipse

,je regarde au-

tour de moi, & j'apperçois le' Guet qui

me met la main fur le collet. « Mes-

v sieurs, m'écriai-je toute effarée, qu'ai-

33je*' fait', de grâce ? Je fuis innocente! »

On me conduisit chez le Commiííàire.Traînée au milieu des soldats, à Ja face

du Public, j'aurois voulu rentrés foui

terre ; je nie serois précipitée dans uagouffre, s'il s'en étoit ouvert un devant

mes pieds. On dit au Commissaire qu'onm'avoit trouvée dans la compagnie d'unefille qui racrochoit, & qui s'étoit,-sau-vée. Je protestai vainement de mon in-nocence. L'homme noir m'envoya à S.Martin, comme une fille suspecte. Mescompagnes de prison rirent beaucoup deme voir pleurer. L'amie de ma' mère ,cause innocente de ma détention

,vint,

le lendemain, m'apporter de la soupe. Ellerit & pleura de ma situation. « Que veux^33 tu , me dit-elle, ma pauvre fille ? La33 vertu ne te va point. Te voilà con-r33

fondue avec les coquines,

diffamée

33 comme elles ; le plus fort est fait.33

Que Diable gagneras- tu à être hon-33

nête ? Va, je r'amenerai un honnête->3

homme, qui te réclamera & te fera^

33sortir d'ici ; mais il faudra être recon-

ss noissanre.>»

33 Tout ce queme dit cette impure, meparut bien affligeant

-ymais je desirois

ardemment de sortir de l'infâme prisonoù j'érois confondue avec la lie de monsexe. J'attendis quelques jours l'hommequ'on m'avoit promis. 11 vint.enfin, parut

'(134)ïne goûter

, me dit qu'il me réclamèron

en qualité de sa parente (il ne me pa-roissoit pas flatteur

,de passer pour la

parente d'un garnement comme celui-là.)II réussit pourtant, §c

, au bout de prèsd'un mois de détention ,

j'obtins maliberté. Je fus enregistrée à la Police,sous le nom & la qualité de fille pu-blique

, quoique'jamais je ne l'eusse été,& que j'abhorrasse ce malheureux étaftMon bon ami, quoique j'y fusse classée,& pour ainsi dire patentée

, ]e ne pou-1

vois me résoudre à en exercer les indignesfonctions ; mais l'amie de ma mère meconduisit chez elle. Je vis cette mal-heureuse mère étendue fur un déplorablechâlit, dans l'érat le plus déplorable.On alloit lui vendre les misérablesmeubles qui lui restoient

, & la con-duire en prison pour que'lqu'argent qu'elledevoit, & ne pouvoit payer. Elle implorama miséricorde; sa vue me déchira4ecoeur. Je ne pus voir souffrir ma mère:Ce fut Tunique désir de la soulager, qui

me plongea dans le malheureux état quetout m'a forcé d'embrasser. Ce n'est pas«ne excuse suffisante sans doute ; mais,en vérité

,il ne m'a pas été possible de

faire autrement. -J'ai été entraînée par

les circonstances, & tu conviendras',

mon bon ami, que'jè fuis bien mal-

heureuse.

« J'ai été forcée d'abord de me livrerà un homme

,ensuite , de chute en

chute, & Ç-U3 nécessité en nécessité

,j'en

suis venue à me trouver dans la fange,au milieu de la rue , pour m'y adresserà tous les passans ; & je fuis ainsi tombéedans le fond de l'abîme. Plains moi,mon cher ami ; mais toi qui as eu lebonheur de naîrre d'honnêtes gens , nete mêle pas de gaîté de coeur avec lacanaille

,dans laquelle je ne fuis intro-

duite qu'à mon corps défendant. Tu tedégraderois, avec des malheureusescommenous. Ta Frédégonde ne vaut pas mieuxque nous. Elle est bien plus indigne,pour le caractère

, que la plupart desinfortunées -qui sont obligées dexde£-cendre dans les rues. Je lui dois pour-tant l'avantagé de n'être plus tout-à-faitdans le bourbier. Elle m'a procuré unhonnête-homme, qui me fait du bien,& m'a tiré de la fange. II m'a donné

,fur-tout, une eonnoissance, à laquelle jedevrai peut-être bienrôt le plaisir_d'ètrefaménéë tout-à-fait à l'horineur. C'estune jeune Marquise, charmante

,qui

(i3«)daigne s'intéresser véritablement à moi.Elle avoue qu'elle a fait à-peu-près le

même métier que moi, sous le nom deCrépuscule ( i ). II y a quelqu'analogie

entre nos deux caractères. Elle pensequ'elle pourra me faire faire^na fortune

$

& me rendre heureuse comme elle. Elleespère que le rapport «des goûts amèneraune conformité de situation. Je le sou-haite & je l'augure. Je désire ardemmentde ne plus me voir liée avec toute la

vile espèce, que je suis obligée defié-quènter

, tant en hommes qu\en femmes.'Ne vois plus ces gens-là

, mon bon ami,sur-rout Frédégonde & ron ChevalierMarqué. Ces coquins-là te conduiroientà ta ruine. Ils ont causé jusqu'ici tous tesmalheurs, n

César de Perlencour, à Dumoulin.'

V OÏL A l'Histoire de Levrette, mortcher ami, n'en es-ru pas rouché ? Pourmoi

,j'en ai souvent eu les yeux liu-

( l ì Voyez le Philosophe Parvenu, J '

(137)mides. Cette pauvre enfant est la .ten-rdresse mêmei Le sort s'est plû à l'humi-lier ; mais le ciel

, pour la dédommagerde tout, lui a donné une ame. Je luiai bien promis

, en Fembraííant mille,-

fois,

de ne plus fréquenter le ChevalierMarqué

,ni Frédégonde ; mais ,ne suis-

je pas né pour voir ces gens-là ? Ne suis-je pas condamné à cette société

, par unarrêt du destin ? Ils sont venus tous deux,dès que* Levrette m'a quitté , ils sont

-

venus, dis-je, les yeux rayonnans dejoie, m'annoncer que j'étois libre. Je leucdois ma liberté. Ce sont vraîmenr mesamis. Tout le monde est trop prévenucontr'eux ; je ne puis me dispenser devoir des gens à qui j'ai une si grandeobligation. Levrette même, qui les décriepar amirié pour moi,-ne doit-elle pasà Frédégonde l'avantage d'être sortie dela fange des rues de Paris ?

Levrette me paroissoit interdite. Elles'étoit toujours vantée que c'étoit eilequi avoit appaisé

, en ma faveur, l'ad-rversaire que j'avois blessé ; & pojnr dutout, voilà que ce bienfait est dû à Fré-dégonde & au Chevalier Marqué. Ce.dernier m'a montré une lettre de l'OfE-cier blessé, où il vante leur générosité,

(i3«) /& confesse qu'il se rend uniquement à

leurs sollicitations. II y a plus', le Che~-

valier", craignant que je n'eusse besoind'argent

,m'a tiré à parr, & m'a dit :

« Mon cher ami, nous ne sommes pas

53 bien riches, Frédégonde & moi. Nous

33 nous sommes cotisés, & voilà tout

33 ce que nous avons pu faire, pout

j3 commencer. Nous râcherons de vous

33fournir d'autres ressources. Pour Dieu!

»3n'en parlez à ame qui vive, pas même

33à Levrette, » En me tenant ce pro-

pos ,il m'a glissé douze louis dans la

main. Je n'ai pu m'empêcher de luiferrer tendrement la sienne. Quelle géné-rosité fans faste ! vouloir que personnen'en soit instruit ! Ils ont fait tousdeux beaucoup d'amitié à Levrette

,quoiqu'elle m'eût parlé mal d'eux. Ilslui ont dit, je ne lais quoi, à l'oreille.Elle étoit bien affligée de ne pouvoirme fournir rien. Elle comptoit qu'on luiapporreroit une certaine somme

,de la

part de mon adversaire appaisé. Elle seproposoit de. m'en secourir dans le mo-ment présent. La pauvre enfant ! je luitiens compte de son bon coeur ; maisles auttes m'ont obligé réellement. J'aiété fidèle au secret qu'ils m'ont imposé.

- •(1-3?)

' Nous sommes sortis tous ensemble,

de lâ maudite prison. Nous sommes alléssaluer & remercier 1'Officier mon ci-devant adversaire

,& nous avons célé-

bré, avec lui, ma délivrance

, par unsouper délicieux. II paroît qu'il est amou-reux fou de Levrette , malgré son âgeassez avancé. Ce n'est pas là ce qui m'a-muse le plus ; mais il saur savoir nouscontenir. J'ai déjà fait bien des folies.Je n'en veux plus faire. Je'vais menerla vie la plus régulièie. J'en ai fait leplan

, & je ne m'en écarterai pas. Jevais reprendre aussi tous mes projets,relatifs au Gouvetnement. Ils sont dej^a plus grande conséquence. II ne suffit

pas que je travaille pour mon proprebien être ; en qualité de citoyen

,je dois

m'occuper aussi du bonheur de la patrie.

Fin de la seconde Liasse.

(i4o)

LE CRIME.

TROISIÈME LIASSE.

Le Chevalier Marqué, à Frédégonde,

Paris, Janvier 1778.•

J\.H ! je n'en puis plus, je m*en tiens

encore les côtés,

à force de rire. Ah^le bon couple ! les excellentes dupes!honnêtes enfans ! que vous êtes bien,

formés pour le profit des frippons!'

J'entrevoyois l'instant ou le petit bon-homme alloit nous échapper. Son inno-

cente petite coquine avoit l'effronteriede chercher à lui désiller les yeux, H

alloit nous prendre pour ce que noussommes. Notre dernier stratagème aréussi. C'est à roi que j'en dois Vidés*

Tu es merveilleuse pour imaginer ; ma'S

avoue que je ne suis pas gauche poutexécuter.

- ' Le pigeonneau croit à présent très^fermement que c'est à nous qu'il doitfa délivrance ; & cette heureuse croyance.le réconcilie avec nous , & le rengagepour jamais dans nos filets. La niaisede Levrette, qui seule a tout~ fait, parl'ascendant qu'elle a sur l'adversaire ap-?

-paisé, la niaise a été d'abord surprise,déconcertée. Elle a fini par croire quenous étions les auteurs du bien qu'elle

' a fait ; mais ce qu'il y a de plus mer-veilleux

, & ce qui a produit le plusgrand ester,,ce sont les douze louis quej'ai glissé dans la main du jeune-homme.C'est-là le coup de maître. II a été sub-jugué par ce trait de générosité. La jeunefille elle-même., toute confuse, m'en a,remercié. Les pauvres nigauds ! ils ne

' savent pas que j'avois été chargé parl'adversaire

,de remettre ' vingt - cinq

louis à la petite Levrette. Elle les auroitdonnés à son ami ; nous y avons gagnétreize louis

, & le mérite de la bonne

-action, dont elle nous a remercié elle-même ; car elle s'est doutée du présentcjue j'ai fait à son petit ami

, quoiquej'eusse eu la modestie de recommanderle silence au jeune indiscret. J'ai faitplus

,j'ai engagé la niaise à remercier

(l4l)le vieil amant, du cadeau qu'il lui avoïc

fait, en cas qu'il lui en parlât. Elle nèfait ce que cela veut dire ; mais elle

a

promis de faire ce que je voudrois. J'ai

engagé ce vieux amoureux, de son côté,

à ne lui en pas parler, ce qu'il m'a aufiì

promis ; ainsi tout ira bien. Je te rends

compre de ces détails,

honnête"" ícélé- '

rate ,afin que tu puisses voir, comment i

j'ai rempli tes idées , & ce que j',y ai'

ajouté de mon crû. A propos-, tu saìi

que j'ai fait attester notre générosité; ít

l'efficacité de nos soins par le viem

Officier lui même , dont Perlencour M

connoit pas l'écriture. Voici la lettre qíii

j'ai prêtée à ce bon Militaire. II ne Fan*

roit probablement pas íi bien composalui-même.

('43)

.Prétendue lettre du Comte Vetuslin ,

a César, de Perlencour.

IVLONSIEUR,

« Vous vous êtes comporté, avec moi ;33 comme un jeune homme très-fmpru-

33denr. On vous a puni ; ce n'est pas

,33-ma faute, & je n'y fuis pour rien.33

Je vous en ai voulu pendant quelque

33 temps ,& j'ai eu raison ; mais vous

>3 avez des amis respectables,

"auxquels

!3 je ne puis rien refuser. Madame Frédé-33

gonde & M. le Chevalier Marqué sons

>3bien recommandables, par le zèle avec

33lequel ils servent leurs amis. J'ai été

>3entraîné par leur éloquence persuasive ;

,>3

& mon ressentiment n'a pu tenir contie,33

leur générosité. Quelqu'un a voulu•s vous insinuer

,à ce qu'on m'a dit,

;33 que c'étoit une jeune fille qui m'avoit'3

fait revenir sur votre compte, Je n'é-» coute pas ces sortes de petites per-33

sonnes ; celle-ci a été la cause de notre

(H4) '

n altercation,

elle ne peut l'être de

» notre réconciliation ; n'écoutez pas

33plus que moi cette jeune couttisanrîe,

33 & laissez - vous éclairer par les pet-33

sonnes mûres & honnêtes,

telle que

33Madame Frédégonde & M. le Che-

33vaiier. II est inutile , Monsieur

,de

33dire qu'il ne faut pas. montrer ce billet

>3à Levrette. J'ai l'honneur

, ôcc.>3

.Hé bien ! précieuse scélérate

, te se-

srois-tJ! douté que l'honnête Vetustin eût

écrit u bien que cela ? II ne s'en doute

pas lui-même. II seroit sans doute glo-

'rîeux,

Ns'il savoir qu'on lui a fait écrire

une pareille épître.Voilà le petit bon homme ramené sons

notre férule. II s'agit de voir à présent

le nouveau parti que nous pourrons tire'

de lui. II lui faut d'abord de l'argent pouf

qu'il nous en procure, & je vais lui en-

seigner les moyens d'en obtenir de íi

mère. Je veux aussi qu'il me fasse voii

Mademoiselle de Lysange,

dont je suii

réellement amoureux; tandis que lu'>

le pauvre enfant, il s'imagine l'être, &

c'est tout. Je veux profirer de la ípare du

chat, pour tirer les marons du feu.

Frédégondej

(*45,>

Frédégonde , au Chevalier Marqué.'

JTRIPPON subalterne, applaudis toîd'avoir dupé un petit blanc-bec, arrivé,depuis peu ,

de fa Province. Je fuisoccupée d'objets plus importans. Je con-duis de front plusieurs intrigues dontra pauvre cervelle seroit bouleversée. 11

y a cependanr un petit coin, dans mon-attention, pour ton petit Provincial &c

pour toi - même. Je veux bien que tuaies fa bégueule de Laure. II faut em-

tpêcher son mariage avec cette Beautéphilosophe

,;confisque - là donc à ton

profit.Malgré la finesse que tu veux bien

l'attribuer, ru ne vois pas une chose

,.qui me frappe les yeux. Tu fais, aussibien que moi

, que Perlencpur à unesoeur peu aimée de sa mère

, & tou-jours sacrifiée à son benêt de frère. On.la tient au Couvent pour se débarraflerd'elle, & je ne serois pas surprise quela mère, idolâtre de son fils, voulût/en-terrer fa fille dans le Couvent, pouraugmenrer un peu la fortune du fils

Tome Z. G

,(I.4°.unique. II faut lui en inspirer l'envie,si elle, ne l'a pas. II faut que la De-moiselle de Perlencour pleure toute sa

vie,

dans une maison.

de pénitence,les péchés qu'elle n'a point fa}s

,afin

que son frère ait une part un peu plus

considérable, & que notre éponge soit

un peu plus avantageuse à pressurer. Jeconnois un petit Comte de Saint-Flour,épris de cette Beauté

,& se promettant

bien de l'épouser. II est venu me ra-conter son douloureux martyre ,

& medemander conseil. Je lui ai dit que le

frère s'opposeroit de toutes ses forces à

ce mariage ; tu sens que je l'ai animé,

par là, contre ce frère. II ma dit qu'ilferoir sauter la cervelle à cet imperti-

nent ,s'il vouloit s'opposer à son bon-

heur. Ne manque pas d'irriter ton cré-

dule jeune-homme contre celui qui veutêtre son beau-frère, 6c même contre fa

soeur. Dis lui que ce couple insolentle regarde comme un imbécille

, & cher-

che à le détruire dans l'esprit de son

père & de sa mère, afin que l'héritageleur reste. Tu verras comme ton petitbenêt recevra le jeune Comte

,quand

ìi se présentera devant lui-. Je n'ai pasle temps d'entrer dans de plus grands

' '(I47).

détails fur cette minutie. Je te donne

une idée; travaille & fuis-la. Ce n'estqu'un coup de lumière ; il r'offre uneroute immense. Brouille

,désunis, fais

ton bien aux dépens de qui il appar-tiendra.

César de Perlencour, à Dumoulin.

J'AI déjà oublié toutes mes peines;mon cher ami, depuis que je fuis enliberté. Grâce à Dieu & à ma mère ,je fuis un peu en fonds, & je jouis. Jevois la plus charmante société

, tant enhommes qu'en femmes. Frédégonde &cle Chevalier Marqué font tout zélés pourmes intérêts. On ne leur avoir pas rendujustice.

Je remplis, autant qu'il m'est possible,'toutes les promesses de réforme & deconduite que j'ai faites aux auteurs demes jours. Je jouis

, comme je te le dis:mais avec modération. Toutes les fillesde l'Opéra, que je vois, vantent, à l'en-vi, ma sagesse. Je serai bientôt sansargent, ce qui va me rendre encore plussage.

Gij

(i48)Au milieu de la vie joyeuse que je

meue ,j'ai pourtant à me plaindre d'une

disgrâce. Je comptois trouver Mademoi-selle de Lysange chez son père ; mais

Je ne fais' par quel caprice ils l'ont en-fermée dans un Couvent, pour la fous-,traire sans doute à mon amour. Ils fontdifficulté même de me dire où est ceCouvent ; mais je les en punirai. LeChevalier Marqué prend feli pour moi.11 m'assure qu'il la déterrera

,&: qu'il ne

tardera pas à la remettre dans mes bras.11 m'a appris une singulière nouvelle.Mademoiselle ma soeur se donne les-airsde me décrier, avec un petit insolent,son amant. Ils partagent déjà tous deuxle bien qui-doit me revenir

,& projètent

de me faire enfermer comme un imbé-cille,- afin de s'approprier ma dépouille.Le jeune 'impertinent doit me venirvoir, un de ces jours ; je le recevrai

comme il le mérite.Je fais mêler les arts aux plaisirs.,Je

cultive & je protège les talents. Je voisles plus grands -hommes. M. d'Alembert

\ne fait un accueil vraiment flatteur,M. Diderot irest pas moins- honnête à

mon' égard. J'ai une tragédie fur le mé-tier

j. je la "'"ferai jouer infailliblement»

(H?)& j'ai lieu de me flatter d'un succès mérité.Je songe à m'ouvrir, par cette voie

,les

-

porres de l'Académie Françoise. Tu voiscombien j'ai d'objets qui m'occupent ; j'yjoins la Philosophie

,la Politique

,&,

de plus,

je m'amuse comme un Roi. Deta petite sphère

, tu dois lever, avec

peine0 vers moi

, ton regard ébloui.Pauvre Dumoulin !

On ne vit qu'à Paris, & l'on végète ailleurs.

Le même au même.

Février 1778.

JLJE Chevalier Marqué m'a tenu parole.

11 a déterré la belle Laure de Lysange.Elle estaux Carmélites, & j'ai lieu decroire qu'elle s'y ennuie beaucoup ; car,^je puis t'avouer qu'elle m'aime rendre-ment. Je m'en fuis apperçu , & monChevalier clairvoyant me l'a assuré po-

-sitivement. 11 dit que je viendrai à bout-de conquérir Ôc de subjuguer cette vir-tuose. II faut qu'elle s'enfuie de sonCouvent, & qu'elle vole dans mes .bras,

.G iij

(M°)pour me prouver son amour. Rien de si

aisé à gagner que ces Philosophes, ces

raisonneuses. Elles ont l'esprit romanes-

que. Une folle se défend mieux.M. de Voltaire vienr d'arriver à Paris.

Je lui ai été présenté. C'est du salpêtte

que ce vieillard. Le Chevalier Marquém'àssure qu'il me regaide déjà commeson successeur. J. J. Rousseau & quel-

ques autres, éblouis de fa gloire,

& poi-gnardés de jalousie

,se sont déjà sauvés

de Paris, comme craignant de donnet

de l'ombrage à notre plus grand homme.Pour moi, je ne fuis point jaloux ; j'ap-plaudis de tout mon coeur à ses succès ;

& je seroîs fâché que les miens pussent lui

faire froncer le sourcil.

Le même ail même.

jL^jous sommes dans l'enivrement des

fêtes ,les plus délicieuses, mon cher

ami. Nous, en donnons une charmanteà M. de Voltaire ; elle dure depuis plu-sieuis jours; l'idée en est preíquentière-

ment de moi. Ma bourse n'auroit pas

{IJ1).suffi pour les frais

,qui sont très-consi-

dérables. Plusieurs jeunes Seigneurs mesecondent de leurs travaux & de leursdeniers, & nous faisons du beau; mais

on veut que cela ne transpire pas dansle Public ; parce que nous jouons tous-différens rôles, mêlés avec les nymphesde l'Qpéra. Figure toi que nous repré-sentons., devant M. de Voltaire, toutesles scènes décrites dans fa Henriade.

Nous avons commencé par la tempêtequ'il décrit si bien :

L'astre brillant du jour à l'instant s'obscurcit,L'air siffle, le ciel gronde , & l'pnde au ìoin mugit»Les vents font déchaînés fur les vagues émues

yLa foudre étincelante éclate dans les nues,Et le feu des éclairs, & l'abîmc des flotsOffrent par-toirt la mort aux pâles Matelots.

Nous avons rendu exactement toutes cescirconstances

, -avec une vérité frapoante.Jamais la mer n'a été si bien imitée jon, croyoit réellement voir la plaine li-quide. Henri IV est descendu dans l'îledu solitaire. Bientôt après, i! est abordéen Angleterre. Nous avons représenté laCour d'Elisabeth

,& la galanterie grave

qui régnoit chez cette nation fière & unpeu sauvage.

,G iv

(I 52)Bientôt après, nous avons exposé le

rableau vivant de la Cour de Francerplus vive

,plus gaie. Catherine de Mé-

dias,

entourée de toutes ses Dames,dont elle avoit fait autant de courti-

sanes,

rramoit des complots affreux aumilieu des plaisirs

,& débauchoit tous

les Seigneurs qu'elle vouloit gagner. Nousfaisions les courrisans

, & nous ne man-quions pas de courtisanes. Les plaisirsétoient variés, multipliés, charmans.Lepauvre Voltaire n'étoit que spectateur,& nous envioit le rôle d'acteurs. Ce,tableau riant contrastoir avec celui de

la Cour d'Angleterre plus sombre. Il

contrástoit encore davanrage avec celui

de la S. Barthélemi, qui suivoit immé-diatement. NOUS avons réalisé le songed'Henri IV. La représentation des Cieuï& des enfers

,tels qu'ils sont peints dans

la Hentiade, nous a paru frapper tons

les spectateurs. La bataille d'Ivry a fait

un grand effet ; mais le temple de l'a-

mour ; mais la belle Gabrielle ; mais les

amours du Roi avec cette charmantemaîtresse

,voilà.ce qui a enlevé tous

les suffrages. Nous avons passé dix soirées

délicieuses dans ces représentations, a

un Chant par jour. Je ne puis te décrire

(M3)le contentement du grand Voltaire- J.Jacques Rousseau étoit invisible & pré-sent dans une loge grillée. Ií a goûté,de bonne grâce, toutes nos fê.tes, quoi-que Voltaire en fût l'objet ; j'allois levoir de tèmps en temps ; mais il autason tour le bon Genevois, ôc nous re-présenterons aùffi Emile avec fa Sophie,& sur-tout,vla Nouvelle-Héloïse

, avec lecher S. Preux.

J'ai fait beaucoup de conquêtes danstoutes ces représentations. La petiteLe-vretre en a fait, de son côté

,beau-

coup plus encore que moi. Elle étoit unede nos principales actrices ; tout le mondela trouvoit adorable.

Nous préparons actuellement la repré-sentation de la Pucelle

,dans le même

genre que celle de la Henriade.

-Suite.

INOTRE représentation de-la Pucellea surpassé encore celle de la Henriade,mon cher'ami

, parce qu'elle nous afourni des tableaux plus gais. Les amoursde Charles VII avec la belle Agnès Sorel,

G v

(M4)ont intéressé dès le commencement. J'aiété chargé de faire le beau Monrose,6c j'ai eu des aventures très-particulières

avec Agnès. Le temple de la Sottise nousa. fourni le moyen de faire des satyresvivantes ; nous y avons placé grandnombre de personnages très-connus, quiétoient ttès-reconnoissables. Le^ châteaude Cutendre a paru très-plaisant. L'His-toire de la belle Dorothée a fait verserdes larmes. Quelqu'un

,qui est-à la tête

d'un spectacle,

se propose de mettre cesujet sur son théâtre, ôc d'en faire unePantomime

,qui aura sans doute du

succès. La représentation du Couvent a

paru piquante. C'est moi qui ai fait Soeur

Besogne. J'étois-là comme un Coq aitmilieu de cinquante Poulettes. Je ne tedétaillerai point le temple de la Re-nommée , les combats

,les exploits de

Jeanne. Tout a été rendu au naturel.C'est la grande la Voirie qui a fait la

Pucelle. Si elle n'avoit pas l'air d'uneVierge

,elle avoit au moins celui d'une

.A-mazone &: d'une Héroïne.

.

Je ne re déci is pas les scènes déli-cieuses que ces fères m'ont procurées

>dans le particulier,

les têtes-à-têtes &k& rendez-vous amoureux dont j'ai é.ta

(MS)favorisé. Notre petit Waux-Hall, théâtrede ces amusements, est assez étendu. l\y a un jardin

, un labyrinte. Tous lescoins & les recoins ont été témoins de,

mon bonheur.,J. Jacques Rousseau a eu son rour ,

comme je te l'ai dit. C'est une personne]charmante qui a joué le iô!e de fa Julie

»qu'il nomme la Nouvelle-Héloise. Par unhasard singulier

, cette jolie personnelressembloit à çe qu'étoit réellement au-trefois la Julie du bon, J. Jacques. II areconnu jusqu'à st voix. II a fondu-enlarmes ; il s'est précipité fur le théâtre,II a embrassé fa Julie. Tout le monde»attendri, lui a battu des mains en san-glortant. Voltaire

,lui-même ,a eu l'ceil

humide.C'est encore ma petite Levrette qui

a joué le rôle de Sophie, dans la repré-sentation de l'Emite 'r elle a un air sitendre

,si honnête

, que ce ìèle lui alloittrès-bien. Cette Sophie est une héroïnepurement imaginaire. J. Jacques ne pou-voir paSv la reconnqître dans ma char-mante courtisane; miis il n'a pu s'em-pêcher d'être enthousiasmé de la ma-nière admiiable dont elle a rendu cepeisonnage. II s'est encore piécipicé pour

G v}

. (i50Fembrasser avec transport. Voltaire avoulu en faire aurant ; elle s'y est prêtée

avec une grâce enchanteresse. C'étoitmoi qui jouois l'Emile. J'ai obtenu auffi

des applaudissemens.

-' Ensuite on a dansé. Nos deux vieillards

ont pris part à ce plaisir, avec une char-

mante bon - hommie. Rousseau a dansé

une gavotte , & Voltaire un .menuet. Ils

étoient encore tous deux assez ingambes.Ensuite

,les deux rivaux célèbres fe font

embrassés, avec une cordialité dont il

n'y a pas d'exemple. Toute Tassembiée

a paru attendrie & transportée. Ce mo-ment a été peut-être le plus charmanEde la fête.

Nous nous proposons d'en célébrerbeau-

coup d'autres de cette espèce. M. d'Alem-bert & M. Diderot méritent, de nous,des hommages ; & M. Franklin

,donrje

ne te parlois pas. II se trouvoit là. Jecontemplois avec amour cette tête véné-rable. Nous autres Monarchistes

, nouscélébrons ^affranchissement & la libertédu Nouveau-Monde.

-(157)'

Le même au même.

J\.u milieu de nos fêtes littéraires, je

jouis singulièrement, mon ami. J'ai desbonnes fortunes continuelles-, & du plushaut étage. Je commence a faire sensationdans la capitale

, &c il me" semble que j'ysuis l'homme du jour.

J'ai vu, ttès-familièrement, de très-grandes Dames

,qui ' réunissoient les

grâces à la qualité. J'en ai reçu des ca»deaux que leur rang ne m'a pas permisde refuser ; je me voyois d'ailleurs enfonds

, & j'étois dans l'enivrement jmais j'ai essuyé un petit revers.

Je reçus, il y a quelques jours , unetendre invitation de me rendre dans unchâteau

,à quelques lieues de Paris ,auprès d'une belle Dame

,dont j'avois

fait la conquête. Accoutumé à ces sortesd'avances

,je ne fus point surpris de

celle-ci ; & je me rendis pimpant, au

lieu du rendez-vous. Je n'avois pas man-qué de me munir de tous mes nouveauxbijoux

,& j'avois

,de plus

,fur moi , ae

moins deux cents louis en or.

Je trouvai le château d'un goût exquis,j'y fus reçu avec transport par une dou-zaine, au moins, de Demoiselles, toutes'plus jolies les unes que les autres s

quiîormoient le plas charmant serrail. Elles

me parlèrent, avec enthousiasme, de leurmaîtrelle, qu'elles représentèrent commela plus belle personne du monde. « Son

» Altesse, me cìirenr-elles,

est "actuelle-

s' ment occupée pendant quelque temps;» mais elle nous a chargées de faire,

33vis-à-vis de vous ,

les honneurs de

*>son palais. » — « C'est donc une

» Princesse,

leur dis-Je?» — « C'est

» plus que cela,

répondirenr-elles. » —« A moins que ce ne soit une Reine,33 m'écriai - je

,je ne vois pas qu'elle

» puisse être plus -qu'une Princesse. » —««

C'est plus qu'une Reine,

direnr les

33Demòi.'elks. » — « C'est-à-dire

, se-33

pris-je, que c'est une Divinité. » —i

« C'est une Immortelle,

répliquèrent»ï les jolies Nymphes. » Je leur dis quec'étoit là une énigme, & elles promirentde me l'expliquer.

Ma curiosité étoit éveillée. Je regar-dois tout avec une grande attention. Toutétoit magnifique dans ce beau séjour;,les meubles les plus communs, quiíòaî

(159)de fer

,de plomb dans les plus riches

maisons, étoient dorés, ce qui m'éton-

noit;-& ces Demoiselles m'assuroienrqu'ils étoient d'or massif, ce qui parois-soit encore plus étonnant. Je demandaila raison d'un luxe si prodigieux ; lesbelles réassurèrent qu'elles possédoientle secret de faire de l'or. Ici je soup-çonnai un peu de charlatanisme ; maisj'avois affaire, du moins

, aux plus joliesCharlatanes du monde. « Je n'en ferai» que plus libre avec elles,medisois-je.»Je vis que je pouvois me dédommagerde l'absence de la Piincesse, &c je m'ap-plaudis tout-haut de me voir entouréd'un essaim si charmant de jeunes per-sonnes.

c<Ah ! jeunes ,

s'éciièrent les

» Beautés, en éclatant de rire ! Des,

» personnes de deux ou rrois siècles tout"au plus! » A ce propos, je lesregardai en souriant, & je leur dis qu'ellesvouloient rire ; mais elles me soutinrent,,le plus sérieusement du monde

,qu'elles

avoient ' toutes plusieurs centaines d'an-nées. A les entendre

,elles avoient paru,,

dans les différens,'siècles, sous, différens-'personnages. L'une avoit été Marion deLorme

,l'autre

,Ninon de l'Enclos, un©

aatre, plus ancienne t avoit. éié Gabrielle

(ï*>)d'Estrées qu'on avoit dit faussement mortechez Zamet. Enfin

,il y avóit

,dans

cette jeune troupe ,jusqu'à la Belle Agnès

Sorel, jusqu'à la Pucelle d'Orléans. Cettedernière n'avoit pas été btûlée, commeon le croyoit ; non plus que la ReineMarie Stuart_, & Lady Gray n'avoientpas été décapitées ; car elles prétendoientse trouver là sous mes yeux. Leur maî-tresse avoit été

,selon elles

,succeffive-

vement la Laure de Pétrarque,

l'Alcinede l'Arioste, & lr'Armide du Tasse ; ellepossédoit la pierre Philosophale

,qui'lui

donnoit, non-seulement l'or ; mais,

devplus

, une jeunesse & une santé imper-turbables

, avec l'immortalité. Je ris beau-,

coup .de toutes ces chimères qu'on medébitoit gravement, & je m'amusai avec-mes jolies centenaires. Elles étoient toutescharmantes ; le lieu étoit délicieux. Jen'ai jamais vu un paradis plus volup-

tueux.* •

Mes Immorrelles vouloient me faireparticiper à tous les avantages qu ellespossédoient. II fallut m'habiller en bergerde l'Arcadie. On me prit mes habitseuropéens

, mes bijoux & tout ce queje possédois. On eut grand soin d'écriretout ce qu'on m'arrachoit poliment des

.-(IÍI). ' -mains, & qui ne devoit pas y rentrer*Je conçus quelqu'inquiétude ; mais jeréfléchissois qu'une, communauté entièrene se réuniroit pas naturellement pourtromper un jeune-homme

,qui ne leur

faisoit aucun mal. Je jouis ainsi, pendantdouze jours, de mes douze Immortelles,en attendant toujours leur maîrresse,qtú devoit paroitre à chaque moment,& qui ne paroissoit jamais.

Cependanr,

elle se faisoit entendre ,"

si elle ne se montroit pas :de tous côtés ,

une voie harmonieuse me frappoit, tan-

tôt par sa parole douce & sonore ; rantôtpar ses chanrs mélodieux

,fans que je

visse-jamais la personne céleste, à quiappartenoit cet organe enchanteur. Onm'assuroit que c'étoit la voix de la maî-tresse qu'on me promettoit continuelle-ment. Enfin je vis un grand fantômeblanc se promener quelquefois dans lejardin

, au clair de la lune. Je vouloiscourir à lui, quand je l'appercevois deloin ; mais il s'esquivoit, & s'enfonçoitdans l'ombre

,sous un bois de myrrhes,

si-tôt que j'apptochois de lui. On m'as-suroit que c'étoit-là cette Dame fugitive,dont j'avois fait la conquête, 6c qui ne se

laissoit entrevoir, que comme une ombrelégète 6c mobile.

Te ne tardai pas à l'aborder. Depuis

aque je fuis à Paris, je fuis devenu en-treprenant. Tout le pouvoir, qu'on attti-buoit à cette prétendue Fée

, ne m'enimposoir point. « Ah! cruel Chevalier,» me dir - elle

,n'abusez point de votte

asascendant sur moi. Ce n'est pas moi

» qui vous ai écrit. On a cru deviner^

33 mes sentimens. Laissez-moi gémir feule

33dans l'ombre. »Les yeux déjà fascinés par la vue de

tant de belles personnes ses suivantes,je croyois que la maîtresse devoit leurêtre supérieure

, que c'étoit un astre debeauté ; je le croyois

, je le voyois, monimagination agissoit dans l'ombre. Mesdésirs s'allumèrent avec elle. Je devinspressant ; on voulut absolument se fairevaloir

, en reculant mon bonheur. « Che-

33 valier, me dit 1a prétendue Fée °, 'je

3> n'ai pas pennis qu'on vous reçût chez

» moi, pour vous débaucher ;\c'est uni-

3f quement pour.faire votre bonheur.»

— « Madame,

lui répondis - je , vous33 avez trop de moyens de le faire ; mais

ïj expliquez-moi donc, je vous prie, ce>» que c'est que ces dons surnaturels qu'on

,

(i*3)» vous attribue. Qu'est - ce,que cette35

pierre Philosophaie ? Qu'est - ce que3> cette jeunesse perpétuelle & cette im-33

mortalité ? » — « Ah,

barbare ! dit-3?

elle, vous ne croyez pas que je pos-

33sède tous ces dons. '3 — « Non fans

33doute

,répondis-je, & comment vou-

33lez

- vous que je croye cela ? 33 ——

« Méchant, dit-elle, aimez - moi, 8c

33bientôt vous le croirez.

33 — ccS'il ne

33saur que cela

,repris - je

, pour le-3?

croire, je dois le croire de la foi la33

plus ferme ; car je vous adore.33

Celarevenoit à-peu-près à ce que disoit uneautre femme à son amant, qui.lui re-prochoirune infidélité

,sur le témoignage

de ses propres yeux. Elle nioit en vain.« Ah ! vous ne m'aimezplus, dit-elle,33 car vous en croyez plus vos ' yeux ,s> que ce que je vous dis.

>3Je Témoi-

gnai à la Déesse, que ,

malgré monamour ,

je ne pouvois la croire route-puissante

,fans preuves. « Je vous en

33donnerai, me dit-elle

,je convertirai,

>3 en or, rout ce que vous avez apporté33

chez moi.33 — et Tout est d'or

,lui

3>répondis-je

,excepté les diamans qui

» ne gagneroient pas à être changés en.

J3métal.

>3 — ceAh ! raisonneur impi-

33toyable

,reprit - elle

, vous avez la-

>3jeunesse & la plénitude de la vie ; le

33 temps seul peut vous apprendre que je '

33saurai vous perpétuer l'une & l'autre.

33Allez souper avec mes suivantes; vous

33n'êtes pas encore assez docile pour

33 que je vous admette dans ma fami-

33liarité intime. Je vous donnerai des

33 preuves ; mais vous n'auriez pas dû les

33exiger.

33Je quittai l'Immortelle

, en lui faisant

une profonde révérence,

& je me reti-rai auprès des suivantes prétendues cen-tenaires

, avec lesquelles je m'amusoisbeaucoup. Toutes savoient assez bienl'histoire. Chacune me parloir assez per-tinemment de tout ce qui étoit relatif

-au personnage antique dont elle prenoitle nom ; de sorte qu'elles rendoienr assezplausible

,l'absurdité qu'elles vouloient

soutenir ; & , pour peu qu'on fût 'né»

crédule, on auroit été tenté de croire

ces Déesses,

fur leur parole. II me pa-roissoit assez piquant de prendre mesébats

, entre Agnès Sorel & Gabrielled'Estrées

, entre la Reine Marie Smart6c Lady Gray. Je folâtrois avec Marion

(^5)de l'Orme & Ninon de l'Enclos, & tantde jolies personnes me dédommageoientassez de l'absence de leur maîtresse.

.,Cependant, elle voulut bien me par-

donner,

dès le lendemain; elle me donna_rendez-vous, à l'entrée de la nuit, dansson jardin. EUe étoit singulièrement bienmise

, & ,dans Fobscurité

, je la trouvaienchanteresse. Elle me tint un tas dejolis propos fort tendres

,qui ne signi-

fioient pas grand'chose ; mais ,qui m'a-

musèrent beaucoup. Elle se prétendoittoujours immortelle

,& presque toute

puissante. Je lui disois qu'elle n'avoit pasbesoin de ces qualités' pour me plaire.Nous passâmes ensemble une soirée déli-cieuse. Elle m'envoya encore cependantsouper avec ses Nymphes ; mais fur la findu repas, elle me fit appeler. J'y volai. Jefus conduit", mistérieusement

,dans les

appartemens d'Alcine 6c d'Armide, quiparoissoient le temple de la Volupté.

.L^dcove en étoit le sanctuaire. La Déessem'y attendoit ; je ne la voyois pas ; maisj,e la trouvois adorable. Je ne me vantepoint de mes plaisirs: qu'on les imagine,ou plutôt qu'on juge si jç fus heureux.ou sage.

Ce bpnhçur dura plusieurs jours ,

{166)toujours sous le voile 'du mystère. On

me fit subir une certaine cérémonie affez

brillante & assez comique, pour m'in-vestir de la jeunesse perpétuelle & de

l'immortalité. Je ne crus pas rout-à-fait

que j'obtenois ces avantagçs ; mais je

jugeai que je devois me livrer à l'illu-sion ; & je m'y abandonnai' de bon

coeur.Je commençois à m'ennuyer au milieu

de rant de plaisirs. Dix jeunes libertinsvinrent me débarrasser de mon bonheur.

Une nuit que je reposois, assez peuenthousiasmé

,auprès de la Fée Armide,

je les entendis entrer. Ils faisoienr unbruit infernal. « Hé bien! disoient-ils,

33l'imbécille n'a-t-il pas assez long-temps

53joui pour son argent ? S'imagine-t-n

35 que , pour ses deux mille écus, on

33l'amnsera pendant toute l'Eternité?

,« N'eftilpas temps que nous reprenions

33 nos places ?>3

Je sentis dans quelles

mains j'étois tombé, & je vis qu'il falio/m'armer de courage.

Soudain- je vois entrer les polissons

avec des flambeaux. « L'ami, me dirent-

33ils ,v nous te demandons bien pardon

33de troubler ta bonne fortune. Elle est

i3 si charmante !.... Vois,

contemple ta

{i67)

33jouissance. 3, Ah

,bon Dieu! mon

ami. J'étois couché avec un monstre. Ah !

la scélérate ! elle avoit bien raison dese cacher. Elle étoit bien véritablement

une centenaire. Folle imagination, com-ment donc osois-tu m'abuser à ce point

v& me faire prendre une infâme Guenon ,,une vieille dégoûtante

, pour la pluscharmante personne du monde ? J'étoiscomme Roger

,quand il reconnoît la

vieillesse & la laideur d'Alcine. Furieuxcomme lui, je ne pus m'empêcher detraiter cette impure Prêtresse de Mercurecomme elle le mériroit. « Ah! vieille scé-

33lérate

,lui dis-je

,c'est donc- ainsi que

33 tu traires un honnête-hommequi ne te33

cherchoit pas. Je sens bien que tu as33

mis tous mes effets en sûreté, 8c que

.

33 tu m'as volé fans scrupule ; mais je fuissa plus indigné

,j'ai le coeur plus soule-

>3vé d'avoir pu serrer, dans mes bras,

33 un objet si hideux que toi, que d'a-33,

voir perdu tout ce que je possède,JS

Cette apostrophe fut suivie d'un souffletéclatant, que j'appliquai sur sa joue dé-charnée ; alors la Furie

,les yeux hors de

la tête ,grinçanr des dents

,jouant des

ongles : « à moi un soufflet, s'écria-»>

t-elle! Souteneurs-, vengez-moi,>3 Sou-

(1<í8)dain tous les Gredins levèrent leurscannes-fur mes épaules. L'indigné Furiecrioit : et

Frappez fort,

assommez fans

33miséricorde.» Nud, sans armes, pris

au dépourvu, je me fuis vu traiter avec

l'indignité la plus atroce ; mais j'ai eu le

bonheur de saisir l'épée de l'un d'eux,

&

je les ai poussés si vertement, que quatreont été blessés, & le plus fort de tous est

tombé roide mort. J'ai été"-aussi blessé

en deux endroits, 6c désarmé. La mégèrevouloir qu'on m'égorgeât sans pitié ;

«

mais ils ont craint les suites d'un assassinat.

US ont bandé mes plaies,

qui ne font pasconsidérables, & m'ont chassé nud en che-

mise,

& arrosé de plusieurs seaux d'eau

fangeuse. Les jolies Nymphes, qui m'a-

voient fait tant d'accueil, me crioient, en

me frappant à l'envi, & me jettant de

la boue au visage: «Allez donc l'homme

33á bonnes fortunes, bel Adonis crotté,

33allez vous vanter de celle

- ci.33

J'ai,distribué quelques soufflets ; mais on est

venu à bout de me garotter _& de me

mettre un bâillon. En cet état, on nutraîné dans une charrette , à quelqueslieues-du château, au milieu d'un bois.

On m'y a laissé dans la boue»

& j'a*

été refroidi .par une pluie épaisse, qui

{i69)

a fini de me désoler. Des passaus m'ontenfin déchaîné &c reconduit chez moi.J'y fuis dans mon lir

,percé de deux

coups d'épée ; & , ce qui me fâche leplus, meurtri de plusieurs contusions.,Jesens

,de plus

,des incommodités honteu-

ses, fruits de la débauche,

qui me fontrougir ; &

, pour comble de malheur, jefuis exactement fans un sou. Voilà oùse sont terminés tous mes triomphes,toutes mes conquêtes & mes bonnesfortunes. Voilà ce que je voulois tecacher en commençant ma lettre

,qui

débute avec une apparence de gaîté ; maisl'habitude de t'ouvrir mon coeur l'a em-porté fur ma confusion. Je r'ai toutavoué , je ne m'en repens pas , tâche detrouver quelques moyens de me soulager jdonne moi au moins des conseils

,de

l'espérance, & de la consolarion. Frédé-gonde 8c le Chevalier Marqué prennentfeu véritablement en ma faveur. Ils fontindignés. Ils veulent absolument me ven-ger ; ce que je desirerois le plus ardem-ment , ce seroir d'être soulagé. Ce sontde vrais amis, comme tu le vois. C'estdans ces occasions qu'on reconnoît lebon coeur & le sincère attachement. Lapauvre petite Levrette est inconsolable.

Tome I. H

(i7o)Elle me donne tout ce qu'elle a. Elle neréserve que quelques écus pour fa mère,Je m'adresse à la mienne. Elle a un foibleincurable pour moi. J'en profite, & jelui demande des secours, par une lettredont.le jargon n'a pas le sens commun;mais auquel elle est accoutumée de ma

part, & qui lui fera faire sûrement tousïes efforts pour tirer, de ce pas, son fils

bien-aimé.

Frédégonde} au Chevalier Marqué,

JE fuis furieuse

,j'écume. Vengeance,

vengeance! Arme-toi, Chevalier. Prends,

avec toi,

vingt de tes suppôts , armésjusqu'aux dents , & va punir le crime& l'atrocité.

Tu connois l'abominable Arsinoé;

cette effroyable créature ,qui tient un

Serrail à quelques lieues de Paris': Hé,bien ! la scélérate m'a volée ; car c'est

;

moi qu'elle a volée ; c'étoit moi qui de-

vois obtenir, par mon adresse, tout ce

qu'elle a pris à notre petit imbécille. Elle

a su qu'il étoit la crédulité même. Elle

l'á fait tomber dans ses filets , par fi

(i7i)malice infernale. Elle m'a pris monbien

, ma dupe, tour son avoir, que jeconvoitois si justement ; cela crie ven-geance. Le Pigeonneau venoir de tou-cher deux cents louis ; il avoit reçu descadeaux de toute espèce

,des bijoux

éblouissans ; tout cela devoit m'appàrte-nir. L'indigne mère du Serrail s'en estemparée ; & elle a osé encore , avec sadérestable figure

,se faire rendre les

hommages de l'amour, par un beau

jeune-homme. Cours-y, encore une fois,

avec tes satellites. Que la mégèie soitfouettée

,jusqu'au sang

, avec des orties;que toutes ses malheureuses soient trai-tées de même ; que tous les effets soientrepris, s'il est possible , & confisqués ànotre profit ; & que le Gouvernementsoit informé, par des voies indirectes, dece qui se passe dans cet indigne repaire.

Que pouvons-nous faire à présent denotre petit malheureux ? Le voilà sansle sou ; il est, de plus

,criblé de coups

d'épée, 6c infecté du virus le plus dé-testable. Ne voilà-t-il pas un hommebien- profirable

, un beau morceau, pouren être jaloux? II ne veut plus, d'ailleurs,faire des billets comme ci-devant. II l'apromis, dit- il , solemnellement à ses

Hij

pareils." Ne voilà-t-il pas encore un per-sonnage bien conséquent, pour se mêlerd'être homme de parole ? II peut ce-pendant nous être encore urile ; il doitavoir un jour du bien. II ne faut pas l'aban-donner ; mais il faut qu'il signe. Nousserions des poules mouillées

,si nous

ne savions pas faire signer un blanc-bec.II est donc décidé que nous le secour-

rons ; nous lui trouverons de l'argent.Outre ma vengeance ,

deux choses doiventà présent nous occuper- Premièrement,la Philosophe Mlle. Laure de Lyfangedoit être débauchée par le petit jeune-homme

, pour être remise dans tes bras.C'est une punition qu'elle mérite pouravoir osé nous mépriser. En second lieu,nous devons conspirer pour forcer lasoeur a prendre le voile, afin que le frèreait meilleure part. Voilà

, mon ami,mon digne second, les objets qui doiventnous occuper. Adieu

, mon bras droit.J'imagine

?exécute,

(173)

Le Chevalier Marqué, à Frédégonde.

J.ES ordres font remplis

,adorable

Furie. La vieille Arsinoé a été fustigée,d'une manière cruelle & digne de toi.C'étoit un horrible spectacle que celuide la partie souffrante. J'en ai détournéles yeux. Les Nymphes plus gentillesont été plus ménagées ; mais on n'en apas moins vu couler leur sang

,aussi bien

que leurs larmes. L'exécution s'est faitede manière

,qu'il est presqu'impoffible

que nous soyons découverts. Nous avonsretrouvé presque rous les effets

, 6c unebonne partie de Pargent; ainsi nous n'a-vons presque rien perdu. J'ai fait

,d'ail-

leurs, passer au Gouvernement des avissecrets

,& je ne doute pas que, sous peu

de jours , cet indigne Couvent ne dis-paroisse de la terre. Partage, avec moi,le laurier que mérite cet exploit glorieux.

H iij

(-74)

Le même à la même.

J3J o s avis ont produit leur effet, ado-rable scélérate. On a fait l'honneur, auxmalheureuses

,de leur envoyer la Ma-

réchaussée. Les Déesses ont été conduitesà Paris, pieds & poings liés. La vieilleMatrone est déjà renfermée à la Sal-pêtrière

, avec deux de ses complices lesplus coupables. Les auttes sont encoreà Saint Martin. II y en a deux qui meplaisuu, & dont je tâcherai d'obtenirl'élargissement.

Notre petit imbécille ne sait rien detout cela. II est dans son.lit à gémir,à pleurer. Quelquefois il 'me fait pitié ;mais

,quand je vois que c'est un être

mixte,

fans caractère, qui n'est bon ni

pour le crime, ni pour la vertu , unêtre purement passif

, un instrumentaveugle dour on fera tout ce qu'on vou-dra

, je le crois indigne de l'intérêt de

tous les honnêtes gens. Je lui persuadetoujours bien qu'il peut posséder, quandil voudra, Mademoiselle Laure, 6c quela soeur, secondée du petit jeune-homme

(^75)qu'elle aime

,travaille pour sa ruine. Je

ne laisse jamais arriver jusqu'à lui leslettres de Dumoulin ; mais je fuis par-venu à contrefaire parfaitement récriturede cet importun ami ; & je ie fais écrire

comme il me plaît. Voilà, par exemple ,une de ces lertres que j'ai forgées ; jugede l'impression qu'elle doit faire fur lepetit imbécille.

Fausse lettre de Dumoulin,

à Perlencour.

«i

ES parens, mon cher ami, mej>

paroissent assez contens de toi, je

33t'en félicite. Ils ont reçu ,

fur ton33 compte, des complimens très- flatteurs33 au sujer de tes succès littéraires. Taj3 mère est dans le ravissement. Elle33

t'exalte fans pudeur, & te met dans

33les nues. Profite de ce moment d'en-

33thousiasme

, & demande-lui tout ce33 que tu voudras ; tu es sûr de l'obte-33

nir.>3

« Je ne fuis pas très - content de ta33

soeur ; je la protégeois ci-devant, parce33 que je la croyois opprimée ; mais elle33 s'est ttop livrée à un petit amant que

H iv

(i7<?)

31 je crois mauvais sujet, & qui lui donne

33de ttès-indignes conseils. II me semble

33 que Mademoiselle de Perlencour n'a-

33git pas très-fraternellement avec toi.

33Je ne t'en dis pas davantage. Je ne

33désapprouve plus rant le projet de l'en—

33fermer, pour son bien

,dans un bon

33Couvent. Ce sont de ces sujets qu'il

33faut, tant qu'on peut, faire disparoître.

33Intelligenti pauca. Je t'embrasse. »Hé bien ! qu'en dis-ru

,belle Frédé-

gonde ? Ne crois-tu pas que cette lettre

pourra enflammer le pigeonneau contrefa soeur? Ne crois-tu pas qu'il s'enhardiraà demander de l'argenr à fa mère ? Vois

comme il lui écrit, 8c juge ,par-là

,de la

manière dont je fais tourner cette gi-

rouette.

César de Perlencour, à sa mère.

Mars.

J.YJL A chère maman ,la plus indulgente

des mères,

je vous ai déjà causé biendes chagrins ; pourrai - je vous donner-jamais aflez de satisfaction

, pour eu

*' (i77)effacer jusqu'au souvenir ? Je fais tout ceque je peux pour cela. Je travaille fansrelâche. Je médite des ouvrages ,

j'encompose même, ,11S ont, avant de par-roître

,le plus grand succès ; 6c ceux

qui ne les ont pas lus,

assurent qu'ilssont divins ; de sorte que- je jouis déjàde la plus grande estime fur parole.

J'ai eu le bonheur d'être vu ,d'un

oeil favorable, par Mademoiselle de Ly-sange. Elle est dans un Couvent ; mais,fans me montrer à elle

, je fais que jefais des progrès continuels fur son coeur ;6c je ne rarderai pas à m'introduireauprès

,

d'elle. Quand, son père verra quema réforme est solide & dutable, il mela donnera infailliblement.

Que faites-vous de ma soeur ? J'ap-prends

,fur son compte ,

des choses quine me font pas plaisir. Elle que j'aimois....cela n'est pas honnête de fa parr. Elles'est amourachée d'un mauvais sujet, quilui donne de très-mauvais conseils. Jene crois pas qu'il faille les marier en-semble. Protégez-moi, contre ce coupledangereux, ma chère maman. Ah ! masoeur

,je ne vous reconnois pas ; je ne

m'attendois pas à de pareils procédés devotre parr.

H y

(178)ïl y a déjà long-temps que je n'ai eu

le bonheur de vous voir, ô la plus ten-dre des mères. Que ne puis-je allerbientôt jouir de ce plaisir! mais j'en fuisprivé dans ce moment, par un déplorableaccident. Je fuis dans mon lit, assassiné

-y

oui, ma mère

, je fuis blessé,-

"mais

très - légèrement, par un heureux hasard.J'ai été attaqué sur la grande route ,dans un bois, dans un coupe-gorge. J'aiété volé

,assassiné, ma chère maman.

Je n'ai sauvé que ma vie,& mes blessures

ne sont pas mortelles. II ne faut donc

pas vous effrayer. J'avois, fur moi, tousmes bijoux & tout mon argent. MeToilà couché fur mon grabat, exacte-ment fans un son ; il n'y a pas du toutde ma faute

, maman, je vous le jure.Je connois vos entrailles de mère , &je me recommande à votre bonté mater-nelle. Je vous baise mille fois les. mains,,

ma belle maman. II fera peut - être à

propos de ne rien dire au papa-

(179Ì

Madame de Perlencour, à sonfils.

Lyon, Mars,

_/\.H ! mon fils, qu'est-ce que J'apprends ?

Mon Dieu,

sa^ve mon cher fils. Crueíenfant ! Envoie vîte à la poste prendre centlouis que je te fais passer. Je vole moi-même te rejoindre

, te soigner. MonsDieu ! mon Dieu ! Si je n'allois plustrouver mon fils vivant !....

Mais qu'est-ce que j'apprends, Mon-sieur ? Quelqu'un, digne de foi, qui vientde Paris, convient que vous êtes volé ,Sc même que vous êtes blesse

, ou plutôtégratigné; mais il nous laisse entrevoirque c'est votre faute. Vous avez faitencore de vos fredaines

,méchant gar-

nement. Vous êtes bien heureux quemon argent soit à la Poste. Vraimentnon,, je ne le dirai, pas à votre père.II éclateroit en reproches contre moi jcar, Dieu^merci, toutes vos sottises mesont imputées., On en charge ma tropgrande tendresse pour vous.

H vj

(i8ojJe ne sache pas que votre soeur ma-

chine rien contre vous. Son Prétendantest même un assez joli jeune-homme,& un parti sortable ; mais je ne yeuxpas marier ma fille. II faut

, pour l'ai-sance de la famille

,qu'elle prenne le

parti du Cloître. Elle n'en a pas d'autte.Mais, en véritable esprit de contradiction,elle témoigne de la répugnance pour unétat si saint 8c si tranquille. Ne la flattez

pas dans cette obstination. Elle vousécrira peut-êtrè pour se recommander à

vous , pour vous engager à faire desinstances auprès de nous en fa faveur,

,Remontrez lui sévèrement ses devoirs,l'obéissance qu'elle "doit à une mère

,le

sacrifice de ses'Çgoûts ôt de fa personne^tnêmei, qu'elle doit à sa famille. Je vouscommande de prendre inexorablementle ton ferme

,& même impérieux

,qui

vous convient vis-à-vis d'elle. Je vou-drois bien voir qu'une petite insolente,

comme cela,

se donnât les airs de tenirtête à toute fà famille. D'ailleurs, queperdra-t-elle en 'quittant le 'monde ?

Et vous, Monsieury si l'en fait rout pourvous, rendez - vous- en digne

, & faite

que je m'enorgueillisse d'un fils, pour

lequel, jusqu'ici, nous avons tout sacrifié.

(I8I)

César de Perlencour,

au Chevalier Marqué.

J E viens de recevoir cent louis de mabonne femme de mère , mon cher Che-valier. C'est peu de chose ; mais il fauts'en contenter. Hâtez-vous de me pré-senter votre petit mémoire. Tout ce queje puis faire pour le présent

, c'est devous rembourser. J'aurai

,sans doute,

par la fuite, les moyens de reconnoîtrevotre générosité.,Je vais beaucoup mieux;je baise les mains de la belle Frédégonde.

Frédégonde, au Chevalier Marqué.

JLJE petit niais a donc reçu cent louis.

Ce n'est pas grand'chose ; mais il fauts'en contenter , en attendant mieux.

Que dis-tu de cette mère ? Je croîsque tu ferois bien d'aller voir, à Lyon ,ces gens-là. Tu verrois le parti que ta

(***)pourroís tirer de leur épaisse opulence.S'ils te chargeoient d'être le Gouverneurde leur fils , il faudroir accepter. Lepetit jeune - homme seroit là dans debonnes mains.

Je m'occupe toujours du projet de

remettre dans tes bras la fière Laure,dont tu as la bonté d'être amoureux. Jevais entrer dans son Couvent

, commePensionnaire. Je lierai connoissance avecelle. J'empaumerai son esprit , je ferai

d'elle ce que je voudrai. J'introduirai,auprès d'elle

,le petit jeune - homme

déguisé en fille. Elle l'aime déjà ; elle

l'adore ; elle deviendra folle de lui. Elle

se sauvera, avec lui , du Couvent ; &elle tombera dans tes mains, ensuitedans les nôtres, 8c ensuite dans cellesde tout le monde.

César de Perlencour, à Dumoulin,

J.VX A soeur mTa écrit,, mou cher ami ìpour se recommander à moi. Si <je n'a-rvois pas été prévenu; corxtr'elle', j'aurois

(i&5)été touché de sa lettse ; mais la méchantefille ! Faire un complot contre moi aveGson petit galant insolent !... Cela crie

vengeance. Ma mère m'a recommandéde ne la pas" flatter dans son obstinationôcfa désobéissance. Tiens, juge de soustyle

, je le' mets sous tes yeux.

Mademoiselle Adèle de Perlencour„

à son Frère.

«\^J MON cher frère! ô toi le pre-

>3mier ami que m'ait donné la nature,;

3>je m'adesse à toi

,dans l'amertume

>3de mon coeur. Quoique nous soyons

33 tous les deux du même sang, que

33 notre sort est différent ! Tu as une33 mère , 6c je n'en ai pas ; tu as une» mère : ô faveur inappréciable ! ô- mon,33

Dieu! celle qui sembloit devoir tenir,33 en quelque façon, plus à moi , par33

la conformité du sexe, me rejeté de

J»son sein ; & qu'ai-je fait pour mérites

3* cette rigueur ? Quand m'est-il échappé-

» la moindre action: coupable,

quiJ» ait pu donnet

„à ma mère

3 u» ìns-

(i84)33 tant de mécontentement ? Quand ai-

33je manqué, au contraire

,de lui prou-

33 ver ma soumission & mon respectueux

33 amour , par tous les soins '8c touc

33l'empressement que m'a inspiré moiu

33zèle? A qui ai-je fait tort dans la

» famille ? A qui ne me' fuis - je pas

33efforcée

, au contraire,

de donner de

33la satisfaction ? Fille soumise

,soeur

33tendre

,chère jusqu'ici à vous rous,

33 comme vous me l'étiez à moi-même,

33ai - je fait naître le moindre nuage

33fur le front de mon père

,«Sç. fur le

33tien ? Pourquoi donc suis-je traitée en

33 étrangère, en criminelle ? Pourquoi

>» veut-on me retenir dans une prison

33perpétuelle ? Mon cher frère, au nom

33de la tendre amitié que nous avons

's> l'un pour l'autre ; au nom de css

33plaisirs enfantins que nous éprouvions,

'3 quand nous nous amusions ensemble

33à de perits jeux innocens

,dans les

33jours de notre enfance ; au nom de

33 ces petits services que nous nous ren-

33dions mutuellement & qui nous étoient

33si délicieux, ne m'abandonne pas dans

33 cette cruelle circonstance. Fais que je

assois traitée comme toi, comme l'esl"

(.í 85)

33fant de la maison. Mon frère, rends

33moi un père

, une mère,

rends moi

33le bonheur. Tu le feras

,fans doute ;

33oui

,je connois ton bon coeur ,

je

33connois ton amitié pour moi. Tu ne

33 voudras pas que ra pauvre soeur soit

33maltraitée ; car, j'ai déjà souffert bien

33des persécutions

, mon bon ami. Je33 ne veux pas t'en exposer le détail, pour3» ne pas faire saigner ton coeur, pour33 ne pas t'irriter peut-être contre celle

ss à qui tu dois l'amour 6c le respect.

33Tu ne voudras pas que je sois sacrifiée ,

33d'autant plus que c'est pour roi, mon

sscher bon ami. Je te le dis en t'en

33demandant pardon à genoux. Oui,

33c'est pour roi

, pour augmenter ta53

forrune qu'on ensevelit vivante ta33

soeur infortunée. Ah ! pour la forrune ,33 je te cède la mienne de bon coeur. LeSS

rendre jeune-homme, que le ciel a

33formé pour sympathiser avec moi

,33 pour s'unir à ra soeur

, cet aimable

33mortel me dispense de lui rien apporter.

33II est assez riche. II ne dépend que

>3d'une mère dont il est adoré., & qui

33 ne lui refusera pas la satisfaction de33 me recevoir fans dot. Oui, ce fera une33

satisfaction de plus pour lui. II fera

(i8«)ss enchanté de faire tout pour moi ;33 & moi, j'aurai de mon côté

» Ce plaisir si flatteur à ma tendrelie extrême ,33 De tenir tout enfin du bienfaiteur que j'aime.

ss Tu vas bientôt connoître cet excellent

ssjeune-homme, mon bon ami. Sur le

ss portrait que je lui ai fait de toi, il

» t'aime déjà comme un frère; il t'adore

33 comme un sauveur , un libérateur}

33 car nous te devrons notre délivrance

33& notre bonheur. 11 brûle d'aller te

33rejoindre. II va partir pour Paris. Tu

33le vetras , mon cher ami

, tu em-33

btasseras ton frère. Tu concerreras,33 avec lui

,les moyens de nous rendre

»3 tous heureux,

& , grâce à tes soins

33 & à ta générosité,

dans peu nous33 pourrons célébrer le double mariage

33de César de Perlencour avec Laure de

33Lysange

, & du Comte de S. Flour

>3 avec ta soeur- Adèle. 33»

Tu vois, ce me semble

, mon cherDumoulin

, que Mademoiselle de Per-lencour sait écrire. Je t'avoue que,malgré mes sujets de plainte contr'elle,j'ai été vivement ému de fa lettre. Leslarmes me sont venues deux ou trois fois

(i§7)auxyeux, pendant cette lecture. Ma pauvresoeur souffrir

, 8c souffrir pour moi ! Jene pouvois nie familiariser avec cetteidée ; mais me traiter d'imbécille ! com-ploter

, avec son impertinent amant, deme faire dépouiller

, & , avec ces pro-jets, m'écrire fur ce ton hypocrite.... Ah !petit serpent !

J'ai voulu consulter le Chevalier Mar-qué. II est dans le cas de voir mieux quemoi là-deflus. II est fans passion.. Je luiai lu ma lettré. Je croyois le voir fondreen larmes. Point du tout, il n'a fait quesourire

, avec une certaine complaisance.Enfin

, « la petite personne, m'a-t-il33

dit, sait écrire. Elle a du pathétique.

33Oh ! c'est une fine mouche. Tramer

33des complots

, comme, celui dont je

33 vous ai parlé ; traiter son frère d'im-33

bécille, & lui écrire avec ce ton flat-

33 teur 6c mielleux...

Oh ! la petite per-)3

sonne en fait long. Ces filles amou-33

reuses sont bien intraitables. II faut33 que celle-ci le soit beaucoup. Je con-33

nois son petit bon-

homme d'amant.33

Ce qu'elle vous dit de son désinté-

3>ressèment n'est pas vrai ; il est

, auss

contraire,

intéressé comme un démon.» Sa mère l'est encore plus. Elle ne

v( iSS)

33consentira jamais que son fils épouse

33sans dot. Ces gens-là disent toujours

33qu'ils ne veulent rien, 6c savent em-

>3 porter tout. Si vous introduisez cet

33avide intrus dans la famille

, ce fera

33 une. espèce de chancre qui vous ton-33 géra jusqu'aux os. Passez-moi la com-

33 paraison, en faveur de la justesse.

33Vous le verrez venir d'un petit ait

33insinuant & souple; car il est, quand

33il le veut , tout sucre & tout miel.

33Méfiez-vous de lui, je ne vous en dis

» pas davantage.>3

Cela suffit bien; qu'il vienne donc,

cet insinuant cavalier. Je le recevrai

comme il le mérite. Pour plus de sûieté,j'ai consulté aussi Frédégonde sur la lettiede ma soeur ; elle m'a parlé comme lê

Chevalier Marqué.<<

Mais, a -1 -

elle

»3ajouté

,qu'est - ce qu'elle veut dolic

33 cette petite fille? Ne lui procurera-t-on33 pas le fort le plus flatteur ? Ne lui

33fera-1-on pas avoir

,de très-bonne

33heure, quelque Prieuré ou même quel-

33 qu'Abbaye. Nous nous chargeons de

33cela nous autres. Ne sera-t-elle pas

33 cent fois plus heureuse que dans le

33monde ? Ose-1-elle être amoureuse

33à ce point, & déceler si effrontément.

(ISJ,)

33son amour? Une fille qui a passé pres-

33 que route sa vie au Couvent ! une33

Religieuse Et que feront donc à

33présent les pauvres filles qu'on appelle

33des coquines.?... Et la malheureuse

33qui craindroit d'être utile à ion frère....

» Ah ! je suis indignée ; & à qui te sa-

33crifie-t-elle encoie , mon cher Perlen-

33 cour ? à un petit S. Flour,

à un petit» sot que je connois mauvais sujet, qui

,« ne sera jamais capable de la rendre» heureuse ; qui se moque d'elle

,qui

3>n'en veut qu'à son bien. Chasse moi

33cela à coups de pieds dans le ventre,

3>quand il paroîtra chez toi. Traiter un

3>homme comme toi d'imbécille ! Ah !

33cela crie vengeance !

33

Hé bien, cher Dumoulin,

n'aurois-jepas été la dupe de mon bon coeur, fans cesdeux amis ? La petite levrette est venue'me voir. Elle a reconnu de l'altérationfur mon visage. Je lui ai montre la lettrede ma soeur. Oh ! pour elle

,elle a

pleuré bonnement, 8c même à chaudes-larmes. « Mon bon ami, m'a-t-elle dit,33 tu vas sûrement travailler pour ta33

soeur.33

Elle a presque réveillé masensibilité, par une éloquence

, en vérité,du genre le plus touchant. Elle a sûre-

(i9o)ment le coeur le plus excellent ; maiselle en fera toujours la dupe, 8c elle ne

peut avoir i'expérience de Frédégondeôc du Chevalier Marqué ; au reste

,elle

m'a toujours chanté fa chanson ordinaire,

que ces gens-là sont des coquins, que

je ne dois pas les voir,

ni les écouter,

Elle m'a impatienté; je le lui ai té-

moigné, & nous nous sommes quittés

assez mil ensemble.Je suis revenu sur-le-champ au s'en-

timent de Frédégonde & de son Che-

valier. J'attends, pour faire ma réponse,la visite du Comte de S. Flour

, quemisoeur m'annonce ; je t'avoue que je ne

le recevrai pas d'une manière très-flat-teuse.

Pour me distraire de ces objets, qui

ne sont pas agréables, je compose actuel-

lement une rragédie , où je veux éw

créateur. Je joindrai la grandeur aiCorneille, au pathétique de Racine,*

aux entrailles de Voltaire. Je mariera!

la terreur & la pitié à l'admiratioft

Les François ne sont pas assez tragiqueils sont trop galans pour cela. Je veuí

travailler dans le genre de i'Angl0lî

Shakespear ; mais je l'ennoblirai. J'aataí

des déserts, des cavernes, des tombeauXi

(150jusqu'à des exécutions. Il faut porter degrands coups ; il faut creuser profondé-

ment dans ces coeurs François,

à peineeffleurés par nos jolies Elégies dialoguées,ôc qu'on dise bientôt de moi comme deMalherbe,

Enfin, Perlencour vint.

Le même au même.

JL/E petit Monsieur S. Flour est venu.Aussi hypocrite que ma soeur

,il éroit

tout courbettes ; il vouloit m'embrasser.

« Monsieur, m'a-t-il dit, je viens vous33

demander votre amitié.33 — « Mon-

33sieur

,lui ai - je répondu

,ni mon

33amitié

,ni mon bien

,ni ma soeur.

33II a paru déconcerté. II est resté muet pen-dant quelque temps. « Mais", Monsieur,33

a-t-il repris enfin, vous m'éronnez

3>beaucoup

,il saur que quelqu'ennemi

>3secret ait cherché à me détruire dans

33 votre esprit.33 — «Monsieur, ai-je

SSreparti % votte ennemi secret

, c'est33

vous-même. On fait les complots que» vous formez avec mon indigne soeur ;

(i?0ss

mais je vous ferai voir, à tous deux,

ss que vous n'avez pas affaire à un im-

33bécille.

J3 — « Monsieur, s'est-il écrié,

33je ne vous comprends pas. On vous

33 a prévenu contre Mademoiselle votre

SSsoeur 8c moi ; pour Dieu ! daignez

33 me déclarer les griefs qu'on nous

33impute.

33 — « Monsieur, lui ai-je

33répondu

,il n'est pas besoin de toutes

ss ces explications-

là, pour vous dire

33bien clairement

, que mon père &

33 ma mère ne veulent pas vous donner

33leur fille ; que je ne le veux pas non

33plus

, 8c que votre mère,

d'accord

33 avec nous ,n'y consentirait jamais.

33Ainsi

, renoncez à un espoir qui ne

x seroit que vous engager dans de

»3fausses démarches

,8c laissez ma soeur

33remplir sa destinée. C'est au Cloître

33qu'elle est appellée

, par le voeu deli

33famille. Nous ne souffrirons pas qu'un

33étranger vienne détruire les projets

33 que nous formons pour notre fortune '

33& notre gloire ; 6c

,si vous osez con-

33tinuer de chercher à la séduire, j«

33saurai vous punir de votre témérité. »í

Extrêmement mortifié,

il s'est efforce,

long-temps de m'appaiser,

de me fléchir,|

de me supplier que je lu,i permisse de se 1

justifier.

justifier. Quand il m'a vil bien inexo-rable

,il a changé tout-à-coup de ton

,& jeté le masque bas ; d'humble qu'ilétoit, il est devenu fier 6c superbe. « Hé

33bien

,Monsieur

,m'a-t-il dit, si vous

33 me refusez pdnjf ami,

craignez de33

m'avoir pour ennemi. J'aurai votre33

soeur malgré vous ; vous me répondrez» de tous les obstacles que j'éprou-33

verai, & je saurai vous punir, d'une33

conduite indigne d'un frère & d'un33

galant homme. Je sens que c'est par33 une basse avarice, par un vil intérêt33

personnel que vous foulez aux pieds33 les liens du sang

,& que vous sacri-

33fiez votre innocente soeur

, la plus33

verrueuse des filles, pour réparer la

33fortune d'un jeune libertin

,qui s'ëít

3' déjà ruiné par la plus indigne con-33 " duite,

ss — « Monsieur,

lui ai-je crié ,33

sortez de chez moi. Vous venez m'in-33

sulter, parce que vous me voyez

" malade 8c hors d'état de vous punir33 pour le moment ; mais soyez' sûr que '3

33dès que je pourrai sortir

,j'irai vous

s>demander raison de l'outrage que vous

33 me faites.33 — « Venez

, me répondit-33

il, le plutôt que vous pourrez , 6c

33soyez assuré que je vous traiteraicomme

Tome Z. I

(ls,4)

s» vous le méritez. 33II est sorti furieux,& m'a laissé non moins furieux quelui. Mais voyez donc cet impudent.Voyez comme il s'y prend pour megagner. Ah ! ses desseins contre moi fontmanifestes. II n'y a plus de doure. Maisje saurai leur faire voir qui je suis. Je

punirai ce perfide couple. J'ai relu la lettre"

de ma soeur, 8c je l'ai relue d'un oeil sec.

Ses raisons gauches,

obliques, ne m'ontplus touché. Je lui ai répondu sur-le-champ

,selon le mouvement qui m'a-

gitoit dans ce moment. Je mets ,fous

tes yeux, la copie de cette réponse, & je

t'en fais juge.

Réponse de César de Perlencour,

à sa soeur.

uVous êtes une hypocrite, Made-

j3moiselle ; vous m'écrivez d'un ton

33souple, insinuant

, 6c vous envoyez

JJ votre amant m'insulter chez moi, de

SSla manière la plus indigne. Vos com-

33plots, contre moi, sont assez mani-

i3festés par un éclat aussi scandaleux ;,

33 mais vous n'y réussirez pas , je vous

3sle prédis. Vous n'aurez , pour vous»

(i95)i3

ni votre père,

ni votre mère, ni'

33 votre frère ; votre frère,

sur - tout,33

qui est justement indigné contre vous.ss

On me reproche impudemment que33 je cherche à vou,s sacrifier

, pour aug-»3 menter ma fortune , en usurpant la

33vôtre. Cette conduite- est indigne de

33moi ; ce soupçon m'outrage.' Vous

»3devez savoir que ce n'est pas moi qui

33sois capable d'agir si lâchement, par

33de si indignes motifs. Votre Préten-

33du est un insolent que je punirai

,í3 dès que je pourrai sortir. II n'est pas33

vrai qu'il cherche à vous épouser sans

33dot. Sa mère n'y consentiroit pas , 6c

33il est aussi intéressé qu'elle. II veut

»3plus que votre dot, le malheureux ;

33mais il n'aura rien que le châtiment

33 qu'il mérite. Fi ! Mademoiselle, rou-

33gissez de vous erre laissée enflammer,

33de tant d'amour

, pour un si indigne33

sujet, .& d'oser déceler,

si effronté-

33 menr, un pareil amour. Ne me parlez

33point des liens du sang

, ni de l'amitié33

qui nous unissoit dans notre enfance.

33Plus nous avons été liés érroitemeut,

33plus vous êtes coupable d'agir avec moi,

- ss comme vous le faites. Au reste,

33demeurez dans le Cloître ou dans le

»smonde

, peu m'importe. Ce n'est point"33 à votre fortune que j'en veux; mais

33je ne puis vous soutenir contremon père

SS & ma mère,

qui veulent absolument

93 que leur fille prenne le voile, & qui

SSsentent qu'elle mérite d'être ensevelie

33dans l'ombre. Ils me défendent polì-

33tivement de vous soutenir dans votre

»sobstination contre leurs desseins. Ils

33 me chargent de vous représenter

33l'obéissance qu'une fille

,sur-tout, doit

33 aux auteurs de ses jours. Allez,

Ma-

33demoiselle

,remplissez les devoirs

» d'une Demoiselle bien née ; soyez sou-

>3mise

, comme vous le devez, à ceux

33qui vous ont donné la vie; 8c, si vous

33voulez avoir en moi un frère

, com-<

33 portez-vous comme doit le faire une

ss soeur,SS ' ,J'ai fait partir sur-le-champ ma lettre,

8c je me suis promené quelque temps à

grands pas dans ma chambre ; car je

commence à marcher. J'étois furieux ;

mais peu-à-peu ma fureur se calmoit,ôc, à mesure que je la sentois décroître,la pitié & la tendresse, fraternelle se ra-nimoìent dans mon coeur ,& me faisoientsoupirer. J'ai relu encore la lettre de

ma soeur. Je ne l'ai pas trouvée si criante

(*í>7)

que le moment d'auparavant ; au con-traire

,elle m'a touché, Est-il bien vrai

que-cette pauvre fille ait tort vis-à-vis demoi ? qu'elle forme des complots ^pourme dépouiller ; que son amant soit soncomplice? Comment sais-je cela? C'estle Chevalier Marqué qui me l'a dit ;mais comment le sait-il lui-même ? II apu être trompé Mais cette lettre demon ami, est-elle bien de toi ? II mesemble que je ne reconnois pas absolu-ment ton écriture.

Levrette est venue. Je lui ai comm*nique ma réponse à ma soeur, dont j'a-vois gardé copie. « Ah ! mon cher ami,33

n'écris pas comme cela, m'a-t-elle33

dir, je t'en conjure à genoux. Tu vas33

donner la mort à ta pauvre soeur. Elle33

n'a aucun tort vis-à-vis de toi ; cela33 est manifeste. C'est ce vilain Chevalier33

Marqué, c'est lui, avec fa digne Fré-

33dégonde ,-qui t'a irrité contr'elle 5

33mais

, encore un coup ,n'écoute pas

33 cette vile canaille. Comporte toi plus

33noblement envers ta soeur

,d'une

33manière plus digne de toi.

33Elle m'a

touché. J'ai été fâché d'avoir fait partirma lettre ; si je l'avois eu encore entteles mains

,il est sûr que je l'aurois jetée

I iij

Ó5>8)

au feu. J'ai rendu compte à Levrettede la visite du Comte de S. Flour.

« Mon pauvre ami, m'a-t-elle dit en33

pleurant, je te plains bien, car tu33 es complettement dans ton tort. Oui,

>3 mon ami, tu joues-là un rôle qui n'est

33 pas digne de toi. Ecris sur-le-champ

33à ta soeur

, pour corriger la malheu-

33 reuse impression que va lui faire la

»3lettre qu'on vient de mettre à la poste;

33 &, quant au Comte de S. Flour,

33tâche de l'appaiser.

33 — « Moi l'ap-

33paiser

, me suis-je écrié ! cela n'est pas

33passible. Nous sommes trop avancés

33l'un vis-à-vis de l'autre; nous ne

33 pouvons plus nous voir que l'épée à"

33la main. Telle est la loi de l'honneur,

33Je fuis fâché de m'être mis dans ce

33 cas ; mais je ne puis plus reculer.33 •

Le Chevalier Marqué est enrré avecFrédégonde. Levrette s'est retirée triste-

ment. Les deux nouveaux venus ,à qui

j'ai rendu compte de tout ,m'ont ap-

plaudi avec transport, 8c m'ont embrasse

de joie. «Voilà vraiment un petit-César,

33 a dit Frédégonde.33

Ils m'ont tous s

deux un peu ranimé ; car cette scène

m'avoit attristé.' J'ai revu Levrette. Elle connoît le

(J5>9)

Comte de"$. Flour. Elle l'a vit. Ellem'a dit que je l'avois mis au désespoir.II venoit d'écrire à ma soeur. « II m'a

33lu sa lettre

, a dit Levrette , &,>3 autant que je puis me fier à ma»3

mémoire, en voici à-peu-près la

33substance.

33

Lettre du Comte de S. Flour,

à Mademoiselle Adèle de Perlencour.

Paris , Avril.

«x\.H ! ma chère Adèle, je fuis au

33désespoir. Tout est perdu sans ressour-

33 ce, plus d'espoir d'aucun côté. J'ai vu» votre frère. Est-ce là un frère ? bonSS

Dieu ! Je l'ai abordé avec toute l'a-s>

mitié que je sentois pour lui, & que33 je cherchois à lui inspirer pour moi,33 en le regardant comme un frère, un33

amí, un sauveur ; il m'a reçu avec33- une hauteur, je dirois presqu'une in-33

.science donr il n'y a pas d'exemple.

33Plus je me fuis humilié pour le ga-

33 gner ,' plus il m'a impitoyablement3>

foulé aux pieds. 11 parle de complots>3 que nous avons tramés ensemble,

I iv

.( zoo)

33 vous '8c moi. il saura nous faire voir

33 ce qu'il est. II est indigné contre vous33 & moi. II n'est pas vrai, selon lui,33 que je vous demande fans dot. Ma

»3 mère n'y consentiroit pas. Je n'en»i veux qu'à votre fortune & à la sienne.

as Enfin,

il m'en a dit tant, il m'a traité

33si indignement, que j'ai perdu patience;

s» 8c je lui ai signifié que je m'en pren-33

drois à lui,

de tous les obstacles que33 je rencontrerois. II s'est emporté; nous33 nous sommes presque donné rendez-

33 vous ; & nous aurions vuidé la que-33 relie sur-le-champ

,s'il avoit pu sortir.

»3 II n'y a donc plus d'espérance de son,

33 côté, ni d'aucun autre , comme il me33

l'a déclaré trop expressément. Nous,

33sommes bien malheureux. Croyez,

33 ma chère amie,

qu'il n'y a pas de ma33

faure dans cette cruelle scène. Traité

33d'une manière si ignominieuse,, je n'ai

33 pu m'empêcher de témoigner que j'y

33étois sensible. Un homme d'honneurn'y

33pouvoirpas tenir. Qu'allons-nous faire?

33Comment pourrons-nous éviter, le sa-

33crifice affreux qu'on exige de vous ?,

33II n'y auroit que des moyens violents,

33 comme un enlèvement ;& je sens que

-J3 vous ne vous prêterez jamais à una

(201 )

33démarche répréhensible

, 8c que je33

m'attirerois votre colère,

si j'osois

33 vous fáire une pareille proposition.

33Ah ! trop rigoureux parens ! Ah ! frère

33cruel ! on l'a sûrement prévenu contre

33 nous. II est entouré de malheureux;

33 qui l'égarent. De lui-même,

il n'agi-

33roir probablement pas si indignement.

33Ah ! nous sommes bien malheureux ! 33

^Levrette,

après m'avoir rendu comprede cette lettre, a recommencé ses tendresremontrances ; mais le tort seroit-il doncde mon côté ? Mon ami

,je t'en fais

juge. Je ne voudrois pas qu'on pût mereprocher que j'ai sacrifié ma soeur àmon vil intérêt. Toutes ces discussionsm'ont mis du noir dans l'ame.

I y

(202)

César de Perlencour, à Dumoulin.

J 'EToi s fâché, comme je t'aî dit, monami, de mon altercation avec le Comtede S. Flour 6c ma soeur. L'état de mabourse m'inquiétoit aussi. Ces gens mefont faire une dépense au-dessus de mesforces. Ils me font encore contracter des

-

engagements très-imprudents, malgré laparole positive que j'avois donnée à mesparens, de ne plus faire

,à l'avenir, .de

pareilles sottises. Je me trouverai ruiné

avant que la succession de mon père mesoit échue ; 8c mon oeil inquiet com-mençant à s'enfoncer dans l'avenir

,-n'y

découvre pas une perspective brillante.Le Chevalier Marqué s'est apperçu dé-

mon inquiétude, & il m'en a fait avouerle sujet. « Jeune-homme pusillanime

f» m'a-t-il dit, vous craignez de man-» q.uer de ressources. Voilà ce que c'esï

33 que d'être né avec de la fortune.. On,

3»est comme un enfant qui ne sâuroit

» marcher tout seul, & qui a toujours

»3besoin de lisière & d'appui» Suivez-

» moi»

morbleu, ! je vais vous faire vo-f

( ioj )

w que les gens industrieux n'ont pas33

besoin de fortune, ou plutôt qu'ils

» savent subjuguer cette capricieuse

33Déesse, & la tenir à leurs ordres. Je

33 ne vous mènerai .point chez des Fi-

33nanciers, chez des Négocians

,chez

-

» des Parvenus de toute espèce. Ces33 gens, la plupart du temps, sont plus

ss heureux qu'habiles. Je veux vous mon-33. trer des gens qui doivent tout à leur "

33industrie

,à leur mérite réel.

33A ces mots, le Chevalier m'a con-

duit dans un superbe Hôtel. J'y ai vu>d'abord des Bureaux immenses, remplisde Commis qui travailloient avec beau-coup de zèle. Les étiquettes des cartonsm'ont annoncé qu'il y avoit-làdes pa-piers relatifs^ à toutes les Provinces, àtoutes les Généralités, à toute l'admi-nistration du Royaume. Il m'a conduitdans la Salle du "Conseil

,tapissée en

fleurs-de-lys , avec un grand portrait enpied

,du Souverain ; un parquet & tout

ce qui annonce une espèce de TribunalPublic. Delà, j'ai vu la Salle d'Audience,décorée d'une manière fastueuse & im-posante. Là des gens f mis avec une'espèce de pompe, distribuoient des placesqu'on» devoit occuper dans toute l'étea-

I vj

( 20'4 )

due du Royaume, 8c dans les Inde^

Orientales & Occidentales. «Monsieur,ss

disoit un de ces distributeurs-, à un33

Candidat, qui se présentoit humble-

33 ment, « vous aurez vingt mille livres

J3de rentes ; mais il faudra les manger

33à Toulouse.

33Le Candidat remercioit

bien respectueusement l'homme impo-sant

, qui ,après avoir examiné

,fur un

registre,

les places vacantes , en pro-menoir ainsi une, dont on lui savoirbeaucoup de gré.

Le Chef suprême, l'oracle étoit ren-fermé dans son cabinet. On introduisoitchez lui les protégés les plus distingués,chacun à son tour. Enfin

,les deux bat-

tans s'étant ouverts ,il a paru à la fin

de l'Audienee, grave & majestueux,

comme un Ministre d'Etat. Tout lemonde

,à son aspect

,s'est incliné pro-

fondément. II a parlé avec bonté à diffé-

rentes personnes , qui ont paru enivréesde joie. Le Chevalier m'a présenté à sa 'Grandeur, qui m'a fait un accueil très-flatteur, & m'a promis de s'occuper de

mon avancement.Ensuite j'ai été admis à la table de

cette apparence de Ministre. La com-pagnie m'a paru brillante» II y avoit d©

(2b5)'très-aimables Dames. La chère étoitdélicieuse. J'ai été fêté. La Dame, quifaisoit les honneurs de la. maison

,m'a

prié, fort affectueusement, de revenir luidemander à dîner le plus souvent que jepourrois.

Je fuis sorti fort content de cettemaison. J'ai remercié rendrement leChevalier Marqué

,qui m'avoir procuré

cette connoissance. II sourioit avec com-plaisance

, & m'a dit enfin : « Mon bon33

ami, d'où comptez-vous sortir?33 —« Mais

,de chez un Ministre, je pense.

33Ce doit être même, plus que cela.

33Je vois des Buteaux publics

, une33

Salle d'Audience, une Salle du Con-

w seil. Si l'on tenoit des Etats-Généraux,,33

8c qu'ils fussent permanens, on pour-» roit nommer cet Hôtel, Palais des» Etats. »

A tous ces propos , mon homme écla-toit de rire. « Hé bien! m'a-1- il dit33

enfin,

jeune-homme, ne vous méfiez

33donc pas de la forrune. L'homme que

33 vous avez vu, qui est le Chef suprême» de l'Hôtel, qui vous a paru, pour le'3 moins

, un Ministre,

est un particu-33

lier comme nous ,qui n'a pas. un

» denier de revenu%

8c qui n'a,pas.

(lOtf)» l'ombre d'un grade ; qui n'est exacte-

»3 ment rien, & qui jouit des avantages

» de la fortune & de la naissance. II y

>3 a long-temps que je le connois; per-» sonne ne devroit plus être fa dupe;

» mais, dans une ville comme Paris, la

99 recrue des dupes se renouvelle chaque

>3 année ,chaque mois , chaque joùr,

93 Apprenez ce qu'est cet homme qui,

» comme je vous dis, n'est rien. Il a

» imaginé un projet qu'il dit fort utile,

» au Gouvernement, ou bien il l'apillé

" je ne fais où. II prétend qu'il l'a pro- '

» posé au Ministre, ce qui n'est, peut- ;

»3 être pas vrai. II assure que cé projet'

3> va passer incessamment ; qu'il a des

» conférences deux fois par semaines

» avec le Ministre; qu'il a été présenté;

« au Roi, 8c que l'on doit regarder cette

» affaire comme absolument décidée en

>3 sa faveur. II n'y a pas ,dans tout

n cela, un mot de vrai. Quelquefois il y

» a illumination à la porte de cet homme*"'Industrieux : alors on répand dans le,

" quartier que c'est le Ministre qui est

33 venu^tenrr. séance Sc dînera l'Hôtelj,-

» 8c le Ministre, comme je vous le dis,

" ne fait probablement pas un,mot de*

» toute cette belle histoire.3> — «

Mais

»

(*°7>» ces Bureaux ,

dis - je au Chevalier ;» tous ces Commis.... Cela doit coûter

33des sommes immenses. 3»— « Tous ces

» Commis, répondit-il ,sont des dupes

» subalternes qui,

n'ayant point d'ar-33 gent à donner, sont reçus à travailler33 pro Deo , dans l'espoir d'obtenir , par» la suite

,des places quand Parfaire

>3fera passée. Encore les rançonne-t-on ,

» & en tire-t-on le plus d'argent qu'on-

» peut. 33 "— « Mais enfin,

repris - je ,» ils ne peuvent pas fournir de fortes-

» sommes, & suffire à la dépense de» l'Hôtel.

33 '— « Aussi, répliqua le Che-» valier, on a- des dupes supérieures

„» c'est-à-dire plus riches, qui fournissent» des fonds. Nos Messieurs se vantent» qu'ils feront avoir des places dans.

» cette affaire; mais qu'ils sont autorisés,,

» en secret, par le Gouvernement, à:

33 exiger,des particuliers, une marque de33

reconnoissance, pour ces places qu'on

33leur procure. C'est ainsi, selon eux,

>3 que lé Ministère enrend les récom-» penser

, fans qu'il lui en coûte rien-. U»» particulier veut obtenir une place..On-

>3exige de lui une certaine somme pro-

» pardonnée aux honoraires de 1a place».

(zoS)•» On proteste qu'on ne veut toucher '

33son argent, que quand il sera pourvu

33 de la place ; on le lui fait déposer

33chez un Notaire ; mais il y a le pot- '

33de-vin secrer ; il y a quelques petites

3»sommes qui n'entrent point en ligne

>3de compte, & qui {ont lâchées pour Í

33 gagner quelques gens prétendus intet-

33 médiaires. II faut auffi avancer quel-

33 que chose pour les frais courans d'admi-

33 nistration. De forte que ce Chef &

*> ses consotts, en paroissant ne vouloir

-

»3rien toucher

,touchent " réellement

33assez pour fournir aux dépenses

,

33 très - considérables,

de cet Hôtel,

33 & jouissent de tous les avantages33 d'une fortune immense ,

qui ne

33leur coûte que la peine de leurrer le

>

33Public.

33

-Je ne pus m'empêcher de sourire

, en

apprenant à connoîrre le fond de tout

cet appareil fastueux,

qui m'en avoitd'abord imposé. « II faut avouer, m'é*

33criai-je

, que Paris seul peut offrir de

s»pareils intrigans.

33 — « Vous, voyez

33bien, dit le Chevalier, qu'il ne faut

33 pas vous désespérer,

ni 'redouter]

» l'avenir. Ne craignez rien, sous les

33étendards du Chevalier Marqué :

» Nil desperandum Teucro âuce & auspice Teucfo.

» Ne désespérez pas, conduit par un Héros.

33Courage

, mon enfant ! si je vous•3

aide à manger votre fortune , je vous -

33aiderai à la réparer , & je vous pro-

33curerai un courant d'or intarissable

,33 comme la Rivière a un courant d'eau.

>3

Je remerciai le Chevalier,

fans ce-pendant espérer si fermement en lui. IIm'a reconduit plusieurs fois à THôtel del'Industrie. Je m'y fuis amusé ; je crois

y avoir fait quelques conquêtes. II s'ytrouve des Dames très-aimables ; on ya donné des fêtes très-brillantes

,où la

superbe Frédégonde a paru dans routefa pompe. La petite Levrette n'a pointété éclipsée par cette matrone. Elle estl'idole de cette Société

, comme de toutescelles qu'elle fréquente.

Cet Hôtel est agréable,

fans doute ;mais

,malgré l'enthousiasme du Che-

valier Marqué, je ne goûte pas la ma-

nière dont on s'y soutient. Pourquoitromper le Public ? Pourquoi vivre auxdépens des dupes^? II est tant d'états lé-gitimes

,qui peuvent être aussi lucratifs.

(210)Si le Chevalier n'a pas d'autres moyenspour réparer ma fortune, il est impru-,dent à moi de la dissiper fur de pareillesespérances.... Ne fuis-je pas bien raison-nable

, 6V même bien sérieux ? qu'en dis-

tu ? Je vais me dissiper dans un balcharmant.

Fin de la troisième Liasse.

(«O

LE CRIME.

QUATRIÈME LIASSE.

Frédégonde, à César de Perlencour.

Paris.

IVJ.o N petit César, déguise-toi en

femme-de-chambre, fais-toi habiller parta Levrette qui a du goût. Je te prendsà mon service. Je vais te conduire,"

avec moi,

dans un Couvent , où tuverras des choses qui te feront plaisir.

César de Perlencour, à Dumoulin.

JE ne vais pas être si raisonnable darii

cette lettre que dans la précédente, moncher ami. J'ai obéi au billet de Frédé-gonde

, que je joins ici. Levrette m'ahabillé très-joliment , 6c m'a juré que

(2.2)je paroissois

,sous cet ajustement, la

soubrette la plus piquante & la plusfripponne qu'il y eût à Paris. J'ai rejointFrédégonde qui s'est écriée : « II est à

33 croquer. Allons, Mademoiselle, com-

33 mencez vos fonctions. II ne faut pas

ss que vous paroiflìez neitve dans l'en-

33droit où je dois vous conduire.

33Sou-

dain elle s'est fait servir à fa toilette, par

Mademoiselle César de Perlencour. Elle

n'a pas manqué de lui donner plusieurs

coups fur les doigts,

& de la traicet

continuellement de bète 8c de mal-adroite,Tous les galans

,qui font venus lui faite

leur cour à fa roilette,

Font fait derrièreelle à fa femme-de-chambre. On lui a

prodigué beaucoup de complimens fur fa

nouvelle acquisition., & on lui a dit qu'il

n'y avoit qu'une femme aussi sûre qu'elle,1-

de fa beauté, qui pût souffrir,

auprèsd'elle

, une si jolie femme-de-chambre.<

Elle m'a fait faire,

chez elle, un

apprentissage de deux jours. Ensuite elle

m'a conduit au Couvent qui renferme lá !

belle Laurede Lysange, où elle est entrée,'en grand deuil

, comme pensionnaire,sous le nom de Madame la Comtesse de '

Brabant, Douairière,

8c moi comme.fifemme-de-chambre, sous celui de Pau-

,(2I 3)Une. J'ai éprouvé un doux frémissementenentrantdans un,petit bercail de pieusesBeautés

,parmi lesquelles

,fur - tout, se

trouvoit celle que j'aimois. Je n'ai pastardé à i'appercevoir

, cette chère Laure.Elle méditoit profondément dans le jar-din

,les yeux, tantôt fixés fur la -terre ,tantôt levés au ciel

, avec un air tou-chant

,& pour ainsi dire amoureux, qui

-la rendoit adorable. Qu'elle m'a parubelle ! avec quelle ardeur je voulois allerme précipiter à ses genoux ! Frédégondem'a retenu"; Elle m'a recommandé, avecvivacité & même une espèce d'empotte-ment ,

de ne pas me trahit. Je fuis"devenu souple comme un gant. Cechangement lui a plû. « Courage m'a-» t-elle dit ! tu fautas prendre une mine3

hypocrite. Tu feras quelque chose.33

Elle a abordé mon ange, en me défen-dant de me mêler de la conversation.

Ile a ptis un ton patelin, dont, avec

fa violence, je ne l'aurois pas cru ca-

able. Elle a beaucoup questionné laemoiselle

,fur tout ce^qui regardoit le

Couvent. Celle-ci a répondu avec uneageffe unique

, & une merveilleusedouceur. Je croyois voir un Ange quef-'onné par un 'Diable. Le mot est lâché,

(2I4)je ne m'en dédis pas. Dans toute cetteconversation, il n y avoit pas un mot,ni un regard pour moi, qui dévoroiádes yeux la jeune personne. J'étois censée

une domestique, un être secondaire qui

ne compre pas dans la société.Ma maîtresse m'a chargé d'aller fat-

tendre dans son appartement. Cet ordre.

ne m'a pas plu, 8c je me le fuis fait

*répéter deux fois. Je n'ai quitté

,qu'à'

regret, la compagnie de la belle Laureyqui ne faisoit cependant aucune atten-tion à moi. J'ai rencontré bientôt la

mète S. Amand,

Directrice des Pension;

naires, au milieu d'un essaim de jeunes'

Beautés.' 11 y en avoit un grand nombre

qui étoient à croquer. Quel Paradis!'c'étoit celui de Mahomet. Elles m'ont

appelé. Elles savoient dejà mon nom'

« Pauline, Pauline,

m'ont elles crié. »Je ne me fuis pas fait tirer l'oreille>

pour accourir à leurs voix. Elle m'ont

questionné sor ma maîtresse,

& leurs

questions ont été aussi multipliées, auffi

détaillées, auffi minutieuses que déjeunespersonnes étoient capables d'eu fairei'

Je me sentois embarrassé pour répondre.,

Je ne voulois pas contrecarrer ce Ofis

diroit ma maîtresse, qui avoit néglige

-(«5)

-de me faire ma leçon. La mère S. Amand.s'apperçut de

.mon embarras

,loua ma

discrétion,

blâma leur curiosité , & fitcesser leurs questions. Je devois, malgrémoi, regarder, d'un oeil amoureux, lesplus jolies de ces Demoiselles

, ce quileur plaisoit probablement

,fans qu'elles

s'en apperçussent ; car elles me regar-doient auffi d'un oeil de complaisance ;

;& je les entendois s'enrredire rout bas :

,« Voilà une grande fille de bonne mine,33

tout-à-fait revenante. » Celle qui mepatoissoit la plus jolie, & que je devoisregarder le plus amoureusement, m'adit même : « Pauline

, vous paroissez fort>3

aimable,

8c vous nous plaisez beau-.»3 coup. '3 J'ai fait un tendre & respec-tueux remercîment

, en baisant la mainde cette belle personne

, avec plus d'ar-deur sûrement que n'auroit fait une

".personne de son sexe. Elle y a été plus

»sensible aussi

, & m'a quitté avec unregard tendre 6c presqu'avec un soupir.

Ma situation est fort agaçante , aumilieu de tant de personnes aimables.J'ai besoin de tout l'amour dont meremplit la belle Laure

, pour me défendredes caprices divers que m'inspireroienr lesautres. Frédégonde me vante les agré-

\IJ6)ments de ma situation ; je les sens mieuxqu'elle ; mais ils sont accompagnés debeaucoup de dangers & d'embarras. Sil'on venoit à découvrir qùi nous sommesl'une 8c l'autre, elle seroit enfermée ìla Salpêtrière

,6c moi à S. Lazare, au-

près de l'abbé Rouffin, mon ci-devarit

Précepteur. Elle veut que je lui aie beau-

coup d'obligation de me trouver avecelle dans ce gentil bercail. Je ne vois,

pas à propos de quoi cette folle s'expose

à tant de dangers, pour me fournir les

moyens de débaucher Mademoiselle de

Lysange ; car voilà le motif qu'ellein'allègue ; 6c quel intérêt peut - elle

avoir à me faire commettre cette sot-tise ?

Elle a déjà gagné, en partie,

l'amitiéde ma Laure

,qui soupire beaucoup

,&

qui sûrement, dit-elle, est amoureuse.

Or , ce doit être de moi, selon Frédé-

gonde ; nous verrons, si cette assertion^

se vérifiera. La malheureuse est entréechez l'innocente créature. Elle y a vudes dessins

, 6c un petit portrait enpastel ; car ma Laure s'occupe de la

peinture & du dessin. Frédégonde a

reconnu ma ressemblance, au premier

coup-d'oeil. « Voilà une physionomie)

j3 a-

Uí?)33 a-t- elle dit, qui me revient beaucoup.

ssA qui cela ressemble -1 - il ?

13Laure

a rougi, & répondu. «C'est le portrait

33d'un parent. 33 — « Voilà des preuves,

33 me dir laséductrice.33

Je conviens quiíy a de l'apparence

,8c Laure m'en de-

vient plus chère.Je ne reste pas entetré dans cette

pieuse retraite. 3'ai la faculté de sortirpresque tous les jours, Je reprends enville les habits de mon sexe. Je vaqueà mes affaires, aux grands objets de toutgenre qui m'occupent fans relâche. Jefuis une femme dans les murs du Cloître

,& un homme hors de son enceinte.

Le même au même.

J E fuis aimé, mon bon ami. Je n'en

puis plus douter. La Mère S. Amandm'a pris en amitié ; elle m'a avoué queMademoiselle Laure

,sous une appa-

rence de philosophie,- cachoit un coeur

trop tendre ; mais elle pouvoit être tendi epour un autre ,

& cette confidence, de labonne Religieuse, ne me suffisoit pas. J'aivoulu quelque chose de plus clair. Hier,

Tome L. K

(n8)la Révérende se trouvant dans le jardin

,avoit oublié ses poches ; elle m'a chargéde les aller chercher dans fa Cellule

;j'y ai volé. L'envie m'a pris de les vi-siter , pour voir s'il n'y auroic aucunpapier qui pût m'intéresser. J'y ai trouvé

une lertre de ma Divinité,

écrite &:

reçue depuis quelque temps. Je la metssous tes yeux. Juge de mon bonheur &de ma joie.

Lettre de Mlle. Laure de Lysange,

à la Mère S. Amand.

«J\.

H ! ma" bonne maman ,plaignez-

1

ss moi, je vous en prie ,plaignez-moi.

33Je fuis bien malheureuse. Je me

33croyois au-dessus des atteintes de l'a-

3> mour, je ne me croyois pas du moins

33susceptible d'une passion si décidée

SS pour celui qui me l'a inspirée. Oui,33

qui me l'a inspirée. Je reconnois toute33

l'ardeur d'une passion orageuse,

qui

33 met le désoidre dans mes sens &dans

3> tout mon être. Et c'est un enfant qui

33 me jeté dans cet état de trouble &

3>d'humiliation. C'est un jeune blanc-

» bec , qui s'est même assez mal conr

(2I9)33

duit jusqu'ici ; & qui paroît avoir

33refroidi

, par ses déréglements,

la

33bonne volonté que mon père avoit

33 pour lui. On vouloit d'abord me33

donner, à cet adolescent ; j'en gémis-

33sois en -secret. On commence à ne

» plus s'en soucier , parce qu'il a déjà

33dérangé sa fortune ; &c j'ai le mal-

>3heur de regretter peut-être l'esclavage

33auquel j'échappe si heureusement. O !

33Philosophie

, que peux-tu contre l'a-

>3 mour ? Je ne fais que rêver de ce jeune33

libertin ; son fantôme, trop adoré,

33 me fuit par-tout. Je cherche la soli-

33rude que je devrois fuir, puisque je

33 ne m'y occupe que de lui. Encore si

33c'étoit un homme estimable , qui, par

33Fascendant d'un mérite réel, subjuguât

33 mon coeur, auparavant trop superbe;33

mais c'est un enfant que je n'ai passs même le droit d'estimer quant auss

moral. Car enfin, le seul mérite in-33

contestable que je lui connoisse jus-33

qu'ici,

c'est sa charmante figure, 8c

s?sa-taille déjà si avantageuse. II n'est pas

33dépourvu d'esprit ; il a même des

33connoissances 6c de la culture ; mais,

33gâté par fa mère , il laisse paroître

3Jsouvent une suffisance, & même uneKij

(no)33

fatuité assez naïve,

mais pourtant cho-

« quante. Quant au coeur ,je crois qu'au

33fond il n'est pas mauvais ; mais des

33méchans abuseront de sa facilité

, pour33

lui faire faire des sottises. II est mal

33tombé

,je le plains ; car il s'amasse

33de cruels regrets pour l'avenir. II étoit

33né pour le bien

,& de cruelles cir-

>3constances

, & d'indignes alentours le

33conduiront à fa perte.33

Et voilà le sujet que je préfère à

33plusieurs honnêtes gens, qui s'étoient

33mis ci -

devant fur les rangs , pour33

obtenir le présent de ma main & de

33 mon coeur. J'avois voulu nfélever au-33

dessus de la portée de mon sexe, en

33cultivant la Philosophie; & cette grave

33conductrice m'a sait donner dans un

33 amour qui me compromet à ce point,

33Ah! ma chère maman ,

éclairez-moi,

33secourez-moi. Je sois lasse du monde,

33 que je n'ai fait qu'entrevoir. J'y ai

33 trop mal débuté. Je ne souhaite pas33

d'y rester. Je brûle de retourner au-33

près de vous. Pourquoi y a-t-il tant33

de préjugés 8c tant de petitesses dans

33 votre malheureux état ? Que je l'em-

33brasserois volontiers ! Allons, je m'oc-

s» cupe trop auffi d'un objet qui n'eíl

(221)ss pas digne de moi. Je donne du poids

33 & de l'importance à une passion qui

33 ne seroit rien,

si je n'y faisois pas33 trop d'attention. Je vais la perdre

33dans votre heureuse retraite

, 8c dans

33le sein du Dieu dont je vais embrasser

33les autels. Adieu

, ma petite maman.33

Je ne vais pas tarder à vous rejoindre,

33& j'espère que vous reverrez, sage &

33raisonnable comme ci - devant, votte

33fidèle Laure. ^La fière & belle personne m'aime

donc; cela est clair; mais c'est malgréelle, & je ne lui en ai aucune ! obliga-tion. D'ailleurs

,je n'ai pas lieu d'être

flatté de la manière dont elle me traite.Ah ! Mademoiselle Laure

,impertinente

Philosophe,

c'est-là le cas que vous faitesde moi ! Je dois vous punir de votreinsolence. Plus de pitié. Je commençois.à la plaindre d'être tombée entre lesmains de Frédégonde ; mais j'ai montréfa lettre à cette intrigante créature : « Pas33

de quartier,

m'a-t-elle dit ; venge-33

toi ; elle mérite d'être sacrifiée, &

s»livrée ensuite à sa Philosophie.

33

K iij

(222)

Frédégonde, au Chevalier Marqué.

j£\.ÉJouïs-toi, mon brave. Je travaillepour roi. La perite bégueule que tuadores est amoureuse

, non pas de toi ;mais du jeune - homme. C'est ce petitimbécille, dont nous faisons notre jouet,qui lui a tourné la tête. Je fuis entrée

au Couvent pour y faire une retraitebien édifiante. J'ai pris le jeune écervelé

pour ma femme-de-chambreí.i Joli commeil est, il paroîr encore très-bien,- déguisé

en femme. II semble que les Nonnes &les Pensionnaires, par un instinct aveugle& secret

,sentent vaguement le sexe

redoutable qu'elles doivent fuir de toutesleurs forces. Toutes ces filles sont follesde Pauline. C'est le nom que j'ai donnéà ma suivante. La Dame de ses pensées,

toute occupée de lui, est la seule qui nel'ait pas encore apperçu ,

quoiqu'il lui

crevé les yeux. Mais, comme Je te le

dis,

elle est amoureuse, avec sa Philoso-phie

,presque jusqu'au délire. II a sur<-

pris une lettre,

de fa main,

adressée à

("3)une bonne Religieuse

,où elle fait

l'humble aveu de sa passion. Cela esttout-à-fait plaisant. II faut la tournersur toi cette passion. C'est à quoi je tra-vaille.

Profite deìa retraite du jeune-homme ,'pour faire le voyage de Lyon

, que jet'ai conseillé. Tâche de gagner son père& sa mère

,& de re faire nommer ,

par eux ,son Gouverneur ; afin que ,

s'ilouvre les yeux fur les tours que tu luijoues

,„il ne puisse t'envoyer promener,

ni se séparer de toi. Pendant ce temps-là, il va travailler pour engager fa Phi-losophe à faire un faux-pas

,à se sauver

avec lui du Couvent. Soudain tu enga-geras ses parens à le faire enfermer à~S. Lazare

, ou à S. Yon à Rouen, pour

le punir de l'enlèvement ; & tu vien-dras te mettre en possession de la filleéchappée du Couvent

,qui ne saura plus

que devenir.Tâche d'assurer la clôture de la soeur-

enfermée malgré elle ; fais qu'elle pro-nonce ses voeux devant toi, pour qu'ellen'en puisse revenir. Rafermis, endurcisbien les imbécilles parens ,

s'ils mollis-soient vis-à-vis d'elle. Pars sur-le-champ,malheureux ! & reviens vîte m'apporter

K iv

("4)tout l'argent que- tu auras eu l'adressed'obtenir

,des bonnes gens que tu vas

voir. Notre jeune-homme fort presque

tous les jours, & il ne pense pas à toi.II ne m'a pas dit un mot de toi, depuis

que nous sommes cloîtrés. Tu vois, parce trait, l'amour qu'il a pour toi

,&

celui qu'il méiite de ta paît.

César de Perlencour , à Dumoulin.

JCJNFIN la belie Laure a jeté les yeuxfur moi, mon cher ami. Elle a tressailli;elle a rougi

,pâli

, & s'tst sauvée préci-pitamment chez Frédégonde. «Qu'est-ce,33

lui a-t-elle dit. que cette prétendue

33femme-de-chambre,que vous avez près

33de vous ? Savez-vous que c'est un

sshomme ?» — <.<.

Bon ! vous êtes folle,

33lui a répondu la malheureuse, en

33éclatant de rire. Je connois rrès-bieu

33 ma femme-de-chambre, pour la fille

33d'une pauvre femme

,qui m'a servie

33long-temps ; mais je fais d'où vous

33vient votre erreur. Elle ressemble très-

33particulièrement à un jeune - homme

.

(il5î33 que je connois auffi bien que vous. » —cc Au jeune Perlencour

,s'écria Laure.

33

— ccJustement, répondit Frédégonde ;

33mais vous verrez , au premier jour,

33 ce jeune-homme venir me voir, 6c

33alors vous reconnoîtrez aisément qu'il

33est autre que ma femme-de-chambre.

33

*— -« Je n'en reviens pas ,reprit Made-

33moiselle de Lysange. II est vrai que

33j'ai peu vu Monsieur de Perlencour ;

33mais fa figure

, ce me semble,

m'est

33resté gravée dans la mémoire ; 8c elle

33ressemble, selon moi, parfaitement à

33celle de cette prétendue femme-de-

33chambre. On ne voir point de res-

33semblances si frappantes

, entre deux

33personnes

,fur-tout, qui ne sont pas

33du même sang. II est parlé de quelques

33frères jumeaux, qui onr eu ensemble

33 une conformité surprenante; mais Per-33

lencour n'est pas le frère de cette33

prétendue jeune fille.>3 •— « Et qu'en

33savez-vous

,reprit Frédégonde ? Notre

33jeune-homme ressemble parfaitement

33à son père

,la jeune fille au sien. Si

33 ces deux pères sont la même personne,

33 vous m'avouerez que les enfans doivent

33se ressembler entr'eux. Or

, je dois

33 vous confesser, que la mère de ma

K v

{116)« femme-de-chambre a été quelque peu33

galante dans fa jeunesse ; qu'elle a eu33 un amant nommé M. de Perlencour,33 & que, de ces amours clandestins,

33est née la petite Pauline. C'est aux

33 dépens de son père secret qu'elle ass

été élevée. Je fuis sûre de ce que je>3 vous dis

, comme de mon existence.

33Votre méprise est naturelle. II fau-

33droit

, pour vous en garantir, que

3j vous connussiez le jeune-homme par-33

faitement, que vous l'euffiez vu long-

33 temps , & que fa vraie figure ne pût

»3 vous échapper sous toutes sortes de

ss déguisemens. Alors vous connoîtriez=o

la différence rrès-légère qui se rrouvess entre les deux figures

, & vous ne les

» confondriez pas l'une avec l'autre.33

Laure, stupéfaite,

anéantie,

levoit ti-midement son oeil fur moi

,qui en trois

dans ce moment. Elle me contemploiten silence. « Vous me confondez

,dit-

33elle à Frédégonde. Comment croire

33des choses si étranges ?

33 — « Vous en33 verrez la preuve , reprit la malheu-

33reuse, quand le Chevalier viendra me

33 voir.33

f "7)

Suite.

JT RÉDÉGONDE ne manqua pas de mefaire ma leçon, dès que Laure fut partie.Je promis de suivre toutes les instruc-tions qu'on me donneroit. Ma belle deLysange me rencontra bientôt, & me fitle plus charmant accueil. « Ma Pauline ,33 me dit-elle, je t'aime bien , parce que33 tu me paroîs une bonne fille, franche

33 & unie.33 — cc

Ah ! répondisse,je vous

33aime bien auffi .moi, Mademoiselle ,

33 autant que je vous respecte.33 — et

Dis-

33moi donc, reprit-elle, qui tu es ; car je

33fuis grosse de te connoître.

33Et ici

commença un petit Dialogue,

dont jene veux pas te faire grâce. « Votre cu-33

riosiré est bien flatteuse , lui dis-je ;33

mais je fuis bien peu de chose,ss —

« Qu'est-ce d'abord que cette Madame

33de Brabant qui t'a prise à son service ?

33

( Brabant est le nom que prend Frédé-gonde dans ce Couvent.) — cc

C'est une"33

ancienne connoissance de ma mère :33

voilà tout ce que j'en fais. Elle a bien33

des bontés pour moi.3? — & Tu les

K vj

(,22S)

33mérites

, mon enfant. Que fait ta33

mère ? 33— «Elle est garde-malade;33 cela lui donne bien du mal. Elle

33n'étoit pas née pour cela ; car elle a

33été bien à son aise

, maman. C'étoit33 une espèce de Dame.

33 — ccEt ton

»3père ? 3, — cc

Je ne l'ai pas connu ;33 on dit que je lui ressemble beaucoup.

«— cc

Veux-tu que je te dise en confi-

ssdence

,pourquoi tu me plais tant?

33C'est parce que tu ressembles beaucoup

33à un jeune-homme, qui ne me seroit

33 pas indifférent s'il valoit quelque33

chose,

s'il te valoit, par exemple

,33 ma petite Pauline ; mais je crains bien33 que ce ne soit un mauvais sujet. Le33 connois-tu ? Sais

- tu ce que c'est que33 M. de Perlencour ?

>3 — ccAttendez

,ss

il me semble que j'ai entendu pro-33 noncer ce nom-là. C'est peur-êtte lui33

à qui l'on dit que je ressemble ; car33 ma maîtresse jure que la ressemblance

33 est frappante. Je ne l'ai pas vu ; mais

33j'aurois envie de le voir

, pour recon-• 33

noître si cela est vrai. Madame dit33

qu'il doit venir ici au premier mo-» ment ; nous tâcherons de le dévisa-33 ger. SS -— cc

Tu verras un joli petit» jeune homme ; mais il est déjà bien

(22?)33 corrompu , parce qu'il a eu le malheurss de tomber dans de bien mauvaises

33mains. Ne connois-tu point une cer-

33taine Frédégonde

,qu'on dit être une

33abominable femme

, & un certain33

Chevalier Marqué,

qui mérite bien

33de l'être ? Le petit imbécille a eu

33rimprudence d'amener dîner chez

33 nous ce Gredin-là,

dont le moindre33

défaut est d'avoir l'air d'un, vrai manant.33

Ce sont, fur- tout , ces deux êtres

'33

misérables qui, comme deux démons,33

se sont emparés de ce pauvre petit33

malheureux,

qui le ruinent , qui le33 rongent jusqu'à la moële des os, 8c

33finiront, peut-être, par le rendre auffi

33méprisable qu'eux.

33

J'ai protesté que je ne connoissois pascette canaille-là ; que je n'en avois pasentendu parler. Depuis ce temps, labelle Laure continue de me faire beau-coup d'amitiés. Elle se plaît à me donnerde petites commissions

,à se faire servir

par moi & moi, je la fers d'uncoeur

Elle a beaucoup de rivales dans l'a-mitié qu'elle me témoigne. La plupartdes Pensionnaires me font fête

,à l'envi

de Mademoiselle Laure. Elles exigent

presque toutes ,de moi, de petits ser-

vices, que je leur rends avec plaisir.

Je fuis toujours de leur toilette. Ellesrient beaucoup de ma mal-adresse, & ellesdisent que cela me va. II y en a une,entr'autres

,qui s'est avisée de devenir

très-peureuse, depuis qu'elle me connoît,qui ne veut plus coucher seule

, & quiprétend absolument que je lui tiennecompagnie pendant la nuit. Moi, je nedemande pas mieux ; car elle est jolie;& que Mademoiselle Laure n'a-t-ellela même fantaisie ! ... Au reste

,la mère

Directrice ne paroîr pas fort éloignée de

me laisser coucher avec la peureuse ; &,la première nuit qu'il tonnera ,

s noussommes bientôt dans la saison

,) je ne

doute pas que la Révérende Mère nevienne me prier

,elle-même

,de coucher

avec Mademoiselle du Tremblay ; aprèscelle-là, toutes les autres prétendronr aumême privilège, & le tour de Mlle. Laureviendra peut-être. En attendant, je reçoisles plus tendres caresses^ On me donnedes baisers, 8c j'en rends ; je fais danses

toutes ces Demoiselles. On n'a jamais

été si gai dans ce Couvent. Les Reli-gieuses, elles-mêmes, paroissent me goûteraussi. Elles me sollicitent cte me faire

(*3i)Soeur Converse. Voilà un état assuré

, encas que je fois ruiné par Frédégonde 8cle Chevalier Marqué.

Je n'ai pas cru devoir taire,

à Ma-dame de Brabant, la conversation quej'avois eue avec Laure

,fur elle & son

complice. Je lui ai rendu le charmantportrait, que la Demoiselle m'avoit faitde Frédégonde 8c de son Chevalier. Ellea paru furieuse de ce qui la regardoir ;mais elle a été enchantée de ce que sonfavori passoit pour avoir l'air manantissune.

Telle est ma vie dans le Couvent,mon cher ami ; elle n'est pas imposante ;mais j'en mene dehors une plus consé-quente 6c moins frivole. Je donne dansles hautes sciences & dans tous les genres

-de littérature. Je vois tous les Cori-phées du Parnasse. Je travaille infati-gablement à ma tragédie. J'érudie à fondla politique

, dans les cafés où l'on parlele plus des affaires d'Etat. Je vais inces-sament proposer mes projets aux diffé-rens Ministres. Je veux aussi faire im-primer un plan de Gouvernement

, 8c

un nouyeau corps de Loix, qui sera in-titulé le Code Perlencour. En un mot,de deux jours l'un

, je vis vraîment enhomme, pendant deux ou crois heures.

La belle Laure brûle de voir, au Par-

loir,

le jeune Perlencour,

qui doit venirvisiter Madame de Brabant ; elle se

cachera pour l'examiner tout à son aise.

Je lui donnerai bientôt ce plaisir.

Le Chevalier Marqué, à Frédégonde.

Lyon.

J? i D è L E à tes loix, ma générale, je

fuis parri sur-le-champ pour Lyon. J'ai

sait grande diligence, & je suis arrivé en

cinquante heures. J'ai déjà vu le père

8c la mère de notre petit imbécille. La

mère est beaucoup plus sotte que lui.

Elle est enthousiasmée de son fils. On

aura d'elle jusqu'à sa chemise, en lm

vantant cet astre d'amour, ce prodige

du siècle. Je me suis exalté la tête commeelle. J'ai élevé le jeune-homme dans le,troisième ciel ; j'ai loué fa figure, íó»

esprit,

ses grâces. J'ai vanté jusqu'à ses

vers. Elle tomboit en pâmoison. C'étoit

pour elle une jouissance ; elle n'a pas

pu goûter plus de délices, la premièrenuit de ses noces. Elle m'adore

,à pré-

sent,

presqu'autant que son fils. Elle $

(*33 )

à moi. C'est un nouveau chiffon,

dontnous pouvons faire l'usage qu'il nous plaît.

Son mari n'est pas tout-à-fait si facileà gagner. II a un air de réflexion ; maisil est d'une foiblesse inconcevable. IIsent toute la sottise de fa femme

,6c

il lui est soumis comme un marmouser.Un homme, comme cela

, peut avoir detemps en temps quelque fougue ; mais

,à la longue, on en fait tout ce qu'on veut.

On m'a déjà presque proposé de mecharger du petit jeune-homme ; car jen'ai pas manqué de raconter routes sesfredaines

,de le plaindre fur les mau-

vaises liaisons dont il est entouLé. Alorsl'affectueux couple m'a parlé

, avec exé-cration

,d'un certain Chevalier Marqué

,& d'une vieille coquine de Frédégonde,qui plongent le jeune-homme dans tousses désordres. On voudroit bien purgerla terre de ces deux horreurs. On m'ademandé si je les connoissois. Vrai,comme je sois

,je n'ai pu le nier. J'ai

même été obligé de faire chorus avecla compagnie

,& de dire beaucoup de

mal de cette vieille sorcière de Frédé-gonde. J'ai un peu plus ménagé le ChevalierMarqué. J'ai attribué tous les reprochesqu'on peut lui faire, au malheur qu'il a

(»34)de connoîrre cette indigne Frédégonde.Tu vois comment on nous traite dans cettemaison. II faut nous en venger ,

cela-

est trop juste. J'ignore qui est-ce quileur a fait notre portrait.

Je me fuis donné pour le Chevalierde Loutraille

,qui étoit beaucoup re-

commandé au père. J'avois ces lettresde recommandation

, que je lui ai pré-sentées. Auffi fuis-je fêté à toute ou-trance. Si ces gens favoienr que c'est leChevalier Marqué qu'ils accueillent si

bien ! ....On doit me mener demain ait

Couvent de la Demoiselle. Le père neparoît pas très-décidé à la violenter. IIfaut que je le fortifie.

Suite.

J'AI vu la belle Adèle de Perlencour;elle est adorable. C'est son frère enfemme ; c'est-à-dire

, avec des traits plusmignons 8c un teint plus délicat encote,&plus éblouissant. Elle a, d'ailleurs

, unair de douceur

,de tendresse & de mé-

lancolie,

bien plus enchanteur que l'airun peu suffisant de notre pigeonneau.

(*3S)Elle paroît encore plus céleste fous laguimpe. Ah ! ma foi, c'est un meurtre.Je fuis tenté de te demander grâce pourelle. Je m'emparerai plutôt de fa per-sonne

, pour la mettre à l'abri de la vio-lence. Si je pouvois l'engager à se sauveravec moi !

....Mais cela paroîr rrop bien

élevé. L'amour seul, tout puissant furune personne si rendre

, pourroit l'en-gager , peut - être

,à trahir son devoir ;

mais je ne vois pas qu'elle en ait pour•moi. Son oeil ne m'a rien dit, en cons-cience. Elle ne paroît pas se douter qu'ilpuisse y avoir jamais, entre nous deux

,rien de ce qui s'appelle amour. Je nelui parois pas un être fait pour cela.C'est ce qui combat un peu les sentimensdepitié que j'ai conçus pour elle, & fera queje finirai par l'abandonner à son sorr.

On m'a montré,

à la promenade ,Dumoulin, I'éternel ami du petit César.Cer Avocat bavard pourroit jaser & diredes choses qui ne nous convîendroientpas. II ne fréquente plus cette maison ;mais j'ai pris mes précautions de façon,qu'elle lui sera fermée le reste de fa via.Je l'ai peint de la bonne encre. II mabeaucoup d'obligation.

On m'a tant prié, tant prié, qu'il a

{z56)fallu me rendre. J'ai accepté la place

qu'on m'a proposée de Gouverneur dujeune-homme. On me donne mille écris

par an d'honoraires, avec une pension

de quinze cents livres, pour le reste de

ma vie, après l'éducation finie. On me

fixe douze mille francs par an , pouf la

dépense du jeune - homme ; ainsi voilàquinze mille francs dont je puis disposer

par an , y compris mes honoraires,

&je puis même compter fur vingt millelivres ; car nous obtiendrons bien

, paran ,

cinq mille livres de gratifications.A présent que je vais prendre les

rênes, on se promet les plus brillants

succès. Jusqu'ici le jeune-homme a été livréà lui-même; il n'est pas surprenant qu'ilsoit tombé dans quelques égaremens ;mais

,sous la conduite d'un homme

aufli sage,

auffi éclairé,

aussi consommé

que son nouveau' Mentor.: Oh ! il nepeut plus broncher ; il va briller dans

toute fa gloire. Je me nomme, à présent,dans cette maison, M. le Chevalier deLoutraiíles

,& je ne permettrai pas que

mon élevé voie le Chevalier Marqué, nila vieille sorcière de Frédégonde.

Je vais re revoir sous peu de jours,sorcière encore jeune

,figure Angélique

(*37)avec une ame un peu Diabolique ; maisil faut, dans le monde

,de tout un peu.

Tu fais des tiennes dans un Couvent.Si je croyois que le jeune - homme fûtassez avancé aupiès de fa belle

, pourqu'elle se prêtât à l'enlèvement, j'enga-gerois déjà ses parens à me charger d'obte-nir une lettre-de-cachet

, pour le faireenfermer pendant quelque temps ; maisil vaut mieux

, je crois, attendre que jefois de retour à Paris. Qu'en dis-tu ?

Frédégondej au Chevalier Marqué.

1VA AiHEUREUxîje t'apprendrai ceque c'est qu'une vieille sorcière. Tu Triom-phes

, en me répétant ces mots injurieux.Tu n'en passes pas moins pour un co-quin

,& qui, plus est, pour un coquin

subalterne, ce qui est le comble de

l'ignominie; mais cette épithète n'attaqueque ton

i

honneur,

& par conséquentporte à faux ; au lieu que ce mot devieille attaque ma figure & mon individu,ce qui te fait rire en secrer. Hé bien

,je vais te payer de la même monnoie,

(238)8c je t'apprends qu'on te trouve Hait

manantijjime, ce qui me paroît très-juste.Qu'en dis-tu ? Cela ne vaut-il pas bienla qualification de vieille sorcière ? Ven-

geons - nous. Tout le monde conspire

contre nous. On ose s'accorder à nousregarder comme des garnemens. Justi-fions les odieuses dénominations qu'on

nous donne. Point de scrupules ! Osons

tout nous permettre contre des ennemis:

Dolus aut virtus, quis in ho/le requirat ?

Dir Virgile,

selon toi, 8c selon la pitoya-ble traduction que tu m'en donnes.

Avec un ennemi, fraude ou vertu , qu'importe ?

Le petit jeune - homme va m'échapper,11 a subjugué sa Belle. II va couche'

avec elle au premier moment. Preniiles arrangements avec fa famille

, avant

ton départ de Lyon, pour le faire arrêterà ton arrivée à Paris. II est adoré de

toutes ces folles de Pensionnaires. H a,sûrement trahi déjà son sexe

1 avec plu-

sieurs ; mais elles ne s'en vantent pas.Le secret ne peut pas durer. II va arri-

ver un éclat. La Lyfange,

découverte

en commerce avec un homme, ne pouní

(*39)plus rester dans le Couvent, 8c n'oserarerourner chez son père. Elle sera doncà nous. Alors traite-la fans quartier, ellele mérire. C'est elle qui a l'insolence de

te trouver Vair manamijsìme.Je brûle que ceci finisse. Je m'ennuie,

moi,

dans ce Couvent, parmi les bé-gueules. Les Pensionnaires s'amusent; jeleur ai amené un jeune étalon ; 8c moi jebâille. D'ailleurs, quand le sexe du jeune-homme éclatera, tu sens quel scandale!combien toutes les vieilles seront indi-gnées. II pourroit bien m'en arriver mal.On me feroit un crime d'avoir intro-duit un homme dans une pareille mai-son. II faut que je m'éclipse

,6c que je

disparoisse.

Césir de Perlencour, à Dumoulin.

Ì.VJL ADEMOISELLE Laure vouloit abso-lument voir le jeune Perlencour auParloir. II est venu hier faire sa visire àMadame de Brabant. Pauline étoit sottiepar hasard ; car on auroit voulu la met-tre-là, pour confronter les deux figures.,

(240)tqu'on trouve si ressemblantes. "La De-moiselle s'est cachée derrière un para-vent. Elle a vu Perlencour

,enveloppé

d'un grand manteau, pour cacher les

habits de Pauline dont il étoit en secretrevêtu. « C'est exactement la même rî-

33 gure, a dit tout bas Mademoiselle

33 Laure. Quel dommage que Pauline

33 ne soit pas ici !33

Pauline n'a pastardé à venir. On l'a dir à Madame de

Brabant ; malheureusemenr M. de Per-lencour a pris congé dans ce moment.II n'a fait que palier' derrière un para-vent ; il y a mis bas son manteau ,

&

sur-le-champ Pauline a reparu. On a été

fâchée de ce qu'elle n'étoir pas rentrée

un clin-d'oeil plutôt. On lui a dit : ccTu

33 as dû rencontrer le Chevalier ton

ss portrait. » —cc Ah,

ah ! dit-elle, jV-

33 vu un jeune-homme, en manteau

33bleu

,qui sortoit d'ici. Ah! que je le

j3voie !

>3Pauline a couru après le jeune-

homme, 8c elle est revenue dire : «Hé

33mais vraîment oui, je crois qu'il me

33ressemble. » — « Hé

,grande bête, lui

33 a t on dit, il falloir donc le ramener,33

afin que nous vous vissions rous deuï

33l'un à côté de l'autre.

>3N'importe ;

l'idée de la figure de Perlencour étoii

toute

(M-0toute fraîche ; 8c cela sufïisoit pour queMademoiselle Laure jugeât de l'extrêmeressemblance. Cependant elle est biensûre à présent que le jeune-homme 8cPauline"sont deux personnes différentes.Elle les a vus presqu'ensemble. II n'y aeu qu'un clin-d'oeil de différence. Elle

a été très-affectée de' la vue de Perlen-cour. Elle avoue que c'est un très-beaujeûne-homme ,

qu'il y auroit même del'étoffe pour faire, de lui, un honnêtehomme ; mais elle en revient toujoursà maudire ce manant de Chevalier Mar-qué

,& cette vilaine Frédégonde

,qui

corrompent si indignementce beau jeune-homme.

11 y a eu du tonnerre ; on le desiroitdepuis long-temps. Tu vas nie dire tout '

de fuite : « tu as couché avec la belle33

peureuse.33

Tout' beau,

Monsieur,qu'en savez-vous ? Je ne veux pas, moi,vous faire de pareilles confidences. Siquelques jeunes Pensionnaires ont desfoiblèsses pour moi, dois-je m'en vanter,6c nie faire pafler' pour un Gascon' prêt à*

se glorifier des bonnes fortunés qu'il n'apeut-être pas ?

Quoi qu'il en soit,

si ma situation est:délicieuse, elle devient très-dangereuse.

Tome I. L

(l4l)Si j'étois découvert pour ce que je fuis Jle Gouvernement pourroit bien n'êtrepas porté à ne faire qu'en rire. On pour-roit me renfermer dans une retraitemoins agréable. Madame de Brabantauroit fa part de ma disgrâce , commema complice. Elle est dans les transes ;elle vent absolument que tout ceci finisse,Sc j'avoue que moi-même je n'en serai

pas fâché.

Suite.

J\H ! mon bon ami

,j'ai fait une

grande sottise. J'en suis désespéré ; maisqu'y faire ? Le tour de Laure est venu.Elle m'a vu tenir compagnie à d'autres,pendant la nuit. Elle a cru qu'elle pou-voir se permettre le même agrément. Je

ne veux point te donner de détails. Ilsfont trop honteux pour moi. J'ai étéséduit

,entraîné par l'occafion, par l'as-

cendant irrésistible des circonstances. Je

me fuis trahi. Laure a entrevu qui j'é-tois. Grand Dieu ! J'ai voulu devenir

entreprenant. J ai été repouíTé avec hor-reur. J'osois passer à la violence. Elle a

(*43)poussé un cri, & s'est évanouie dans mes '

bras. Tu ne me crois pas assez lâche

pour avoir consommé le ciime : nonmon ami, non ,

j'ai respecté son état& sa vertu ; mais je n'en fuis pas moinsallé ttop loin

,puisque j'ai violenté celle

que je devois révérer en silence. C'estcette détestable Frédégonde qui est causede tout le mal. Elle ne cessoit de medhe que Laure

, avec sa Philosophietonte physique, ne demandoitpas mieux

5

que j'entrois dans ses désirs secrets, enlui faisant une douce violence-} que jelui sauvois

, par cette apparence de vio-lence

,la honte de céder. Mon Dieu ,

que je fuis fâché de ce que j'ai fait ! Onest accouru au secours de ma victime.Elle a rouvert les yeux 5

elle a rencontréles miens, & s'est détournée &: renverséeavec hoireur. J'ai craint qu'elle ne par-lât

,qu'elle ne me trahît. Je me suis

retiré humblement.Frédégonde est furieuse ; elle me traite

d'imbécille. A la manière déterminéedont elle prononce ce vilain mot , ondiroit qu'elle ne m'auroit jamais nomméautrement. Selon elle, tout mon but de-voit être d'engager Laure à quitter leCouvent, & à se retirer avec nous 5

maisLij

je ne devois tenter l'entreprise que quandje serois dans une maison toute à moi,où je serois maître d'elle. Qu'allons-nousdevenir ? Laure a paru trop détester monentreprise

, pour me garder le secret.Je suis retourné chez elle

yje l'ai trou-

vée feule. Elle s'est encore détournée enm'appercevant. Je fuis tombé à ses ge-noux : « O ma chère Laure

,ai-je dit,

« pardonnez un instant d'emportement» dont je n'ai pas été le maître. Je vais

5' me bannir de votre azile & de devant

» vos yeux , pour ne pas encourir le

» risque de devenir aussi coupable ; mais,

» pour Dieu ! dites que vous me par-5' donnez, n Elle frissonnoit ; tous sesmembres étoient agités d'un tremblementconvulsif; elle élevoit les yeux au ciel,6c lui demandoit pardon. « Oui, Mon-» sieur

,disoit

-elle

} mais, au nom du

35ciel, partez ,

délivrez - moi de votre35 vue. 33 — cc

Ma chère Laure, pour-

» suivois-je,

promettez-moi de ne rien

33dire.

53 — « Tout ce qu'il vous plaira,33

difoit-elle,

mais partez. -33Elle alloit

'retomber dans un profond évanouisse-

ment. Je me fuis retiré} quel parti dois-je prendre ?

(**5>J

César de Perlencour , à Dumoulin.

..VI.A foi, mon ami, je suis décampé

du Couvent fans tambour ni .trompette-,fans prendre congé de personne. Jaicru pouvoir abréger les cérémonies. J'airespiré

,quand je me suis vu dans un

air libre. J'ai mis bas,

j'ai jeté à mespieds les habits du sexe foible

, que jene reprendrai sûrement jamais ; je me fuis

L iij

Le' Chevalier Marqué, àTrédégonde.

Paris.

J'ARRIVE, ma générale, je fuis enfonds. Ges Perlencour font de bonnes

gens ,des gens bien chrétiens ; ils font

du bien à leurs ennemis ; car nous sommes

un peu les leurs. Le jeune-homme re-cevra de mes nouvelles. Quitte ce tristeCloître,& viens merejoindre.Je t'attends,& je me mets au lit, en pensant à toi.

(240retrouvé tout-à-fait un homme. Qu'il no.soit plus question de toutes ces misères.Cependant, j'avoue que je fuis inquiet.Je ne fuis pas content de moi. J'ai bienmanqué à cette Demoiselle de Lysange.Que va-t-il résulter de-là? Parlera-t-elleou non ? Ne sera-t-elle point dans le

cas de souffrir elle-même de mon in-discrétion ?

J'ai une inquiétude encore plus grande, '

je te l'avoue. Ma soeur,

malheureusepeut-être sans le mériter

, ne me fortpas de l'esprit ; si j'avoîs tort aulìi à sonégard

,je ne me le pardonnerois pas.

J'ai revu ma bonne petite Levrette.Oh ! comme elle m'a embrassé ! C'estcelle-là qui est bonne. La pauvre enfant !avec tant de corruption autour d'elle

,Être si excellente ! En vérité,

elle mefait rougir.

Ce vilain Chevalier Marqué est arrivéde je ne fais quel pays, où il étoit alléfaite je ne fais quoi. II n'a pas absolu-

ment voulu me le dire. II devoir, je

crois,

passer à Lyon. Je lui avois donné-

une lettre de recommandation bien chaudepòur mon père. Je ne fais pourquoi iln'a pas voulu absolument que je l'y ap-pellasse le Chevalier Marqué. Ilapri$>

(>47)je crois, 'le nom de Chevalier de Lou-traille. Je commence à ne pas goûterexcessivement cet homme

,très-faux fous

une apparence de sincérité.J'ai fini ma tragédie. Elle est déjà

presque reçue , & sera jouée dans peu.On la prône déjà dans toutes les sociétés.Je dois en faire des lectures. Je vaism'occuper un peu des objets littéraires ;mais simplement pour me distraire 8c

comme un pur amusement. Ma grandeoccupation sera de me livrer aux objets-Philosophiques Sc Politiques ; fur-toucil est question de m'obtenir une audiencepatticulière du Ministre. Nous y ttaite-rons de grands objets. Je fuis né pourles grandes choses.

Le Chevalier Marqué, à Frédégonde.

1i E petit jeune-homme fait le difficile

vis-à-vis de moi, ma belle ame damnée.

J'ai été obligé de faire mon apologie.Je n'ai pas jugé à propos de lui dired'où je viens

,ni la qualité que j'ai

obtenue de son père vis-à-vis de lui. UL iv

ne faut pas qu'il se doute que j'aie att-c'une part dans ce qui va lui arriyer. IIfaisoit «n peu le méchant. Je l'aí gagné

avec quelques louis d'or. Cela ne m'a

pas coûté prodigieusement. J'ai touché'

mie année d'avance de ses revenus &des miens

yj'ai donc quinze mille francs

entre Jes mains. Je l'ai fait taire avecson propre argenty & nous allons jouir,à notre aise

,de ses deniers, tandis que

le petit Monsieur fera forcé de nouslaisser bien tranquilles.

Je fuis fâché que tu aies quitté leCouvent, au moment où j'y avois leplus de besoin de ta résidence. Nousn'allons plus savoir ce que deviendra labelle Laure, & nous n'aurons plus au-cun moyen de la gagner. Nous avonsperdu tout le fruit de nos peines. Nouscomptions que ce petit drôle engage-roit la Belle à se sauver du Couvent aveclui ; & que, sur ces entrefaites, monjeune - homme se trouvant arrêté

,sa

capture deviendroit la nôtre, & resteroit

entre nos mainsy

& point du tout, le'petit imbécille

,qui Fa été moins que

nous dans- cette circonstance,

n'a fait ques'amuser dans le joli Monastère

y& à

présent BOUS ne tenons rien. La proie

est restée dans la nasse}

& nous ne fa*

vons plus comment la gagner. II n'yfaut pourtant pas renoncer. Quant à Mon-sieur le petit jeune-homme

,-il va payer

les petits amusements qu'il a eu Finso-lence de prendre sans notre permission.

César de Perlencoura

à Dumoulin,

J'AI un peu maltraité le Chevalier.Marqué

, mon bon ami. II s'est justifié

comme il a pu. Je ne fais pas au justed'où il vient. II n'a pas voulu me ledire

ymais il m'a donné quelqu'argent

pour mappaiser. II me paroît en fonds.J'ignore où il a pu se remonter si bien.II aura volé quelqu'un sur le grand che-min. Je commence à bien revenir surle compte de cet homme-là, aussi bienque de sa Frédégonde. La malheureuseest sortie du Couvent, dans le momentoù j'avois le plus grand besoin qu'elley restât. Je ne sais plus à présent ce quedevient ma chère Laure. Si on s'étoic.ápperçu de quelque chose ! Si on alloitla soupconner de complicité, avec moi,

L v

(25°)Sc la punir !

,....Tu sais ce qu'on dit de

la vengeance des Monastères. On parleÀs cachots souterrains, où l'on enferme

,les malheureuses victimes. J'ai entendudire confusément qu'on avoit fait dis-paroître quelqu'un

,dans ce malheureux

Couvent. Seroit - ce ma chère Laure ?

Innocente ou vertueuse,

souffriroit-ellepour mes fautes ? ou bien seroit-ce dumoins quelqu'une de mes autres vic-times ? Ces idées me tourmentent

yil

faut nous en distraire.J'ai d'agréables distractions

, mon ami.J'ai le charme dés plaisirs, & fur-toutla brillante illusion de la gloire. Matragédie est décidément reçue, à ce qu'onm'assiire

y( car je ne veux pas paroîrre

dans tout cela. ) Elle va être jouée aupremier moment ; & tous mes amis mejurent- que je puis compter fur le succèsle plus complet.

Tous mes projets & mes plans degouvernement ont été merveilleusementbien accueillis par le Ministère. Ce fontdes gens de poids qui me l'assurent, &l'on va prendre jour avec moi pour meprésenter au Ministre, qui brûle de mevoir. U me présentera sûrement lui-même à Sa Majesté. Ainsi me voilà en

(MOpied. Je vais acceprer de l'emploi ; caril faut être quelque chose ; mais on meconseille de ne pas exiger d'abord ungrade trop élevé

,à cause de ma jeunesse,

& pour ne pas rrop éveiller l'envie contremoi. Je me contenterai donc du rangde Colonel, pour commencer. Je n'exige-rai pas non plus tout de fuite la croix.II faut la nìériter par des .actions. Des.plans & des projets ne suffisent pas pourmoi.

Tout radieux de gloire, je n'aurai pas

de peine à tirer ma chère Laure de faprison, 'si on l'y tient enfermée. Je laprotégerai. J'avancerai son père. J'ai passéchez lui

, pour avoir des nouvelles defa fille. La guerre recommence} Mon-sieur le Comte est parti pout Brest, oùson régiment va s'embarquer, fans doutepour FAmérique }

Madame la Comtesses'est retitée dans une terre éloignée. Jeme charge de leur fille.

Que ne t'ai-je, mon cher Dumoulin,

pour témoin de mes glorieux succès ! Mapremière lettre contiendra sûrement debrillans détails.... Mais

,qu'est - ce que

j'entends ? ciel !

(MO

Lettre de Saint - Jean, Domestique deMonsieur César de Perlencour, à Mon-sieur Dumoulin.

JLVLONSIEUR,

Je fais que vous êtes Fintime ami de

mon jeune maître. II comptoít vous ap-prendre de belles choses. Le pauvre jeune-homme ! il a été arrêté, hier à minuit,de la part du Roi

,tandis qu'il vous

écrivoit. On ne lui a pas donné un mo-ment pour íe retourner. On n'a pas voulului dire où on le conduisoir. On Fa sait

monter en voiture,

&c l'on est partiventte à terre. II ma laissé sans le fou ,8c je Fai bien pleuré.

J'ai couru ,pendant toute la journée

,pour recueillir des informations fur son

compte. On croit qu'il est enlevé unique-ment pour être enfermé à S. Yon

,mai-

son de force située auprès de Rouen. H

n'y fera pas mal, & cette prison n'est

pas déshonorante.Je comptois que M- le Chevalier Mar-

qué,

son ami, qui m'a placé auprès de

(MOlui, -pourroit faire quelque chose en safaveur ; mais jamais il n'obligea que lui-même. II vient aussi d'être arrêté , & sonsort est pire que celui de mon jeunemaître jcar on veut me faire accroire qu'il aété conduit à Bicêtre

, ce que je ne puiscroire; car enfin on ne traite pas ainsi

un homme de fa qualité.Je comptois aussi fut une autre pro-

tectrice de Monsieur César ; c'est unenommée Madame Frédégonde

,chez

laquelle il va beaucoup.de grand monde ;mais on dit qu'elle vient d'être auffiarrêtée au même instant, & conduite ,qui plus est, à FHôpital; ce qui seroitle comble de Finjure pour Famie de tantde jeunes Seigneurs. Je n'ai plus queMademoiselle Levrette à qui je puissem'adresser. C'est une très - jolie jeuneDame. Je fuis bien sûr qu'elle fera tout<e qu'elle pourra pour la délivrance demon jeune maître. Si vous pouvez laseconder

,Monsieur

, vous -qui êtes sonami, vous fêtez une bonne oeuvre. Mevoilà sur le pavé , sans aucune ressource.On a mis le scellé par-tout, & il ne mereste tien dans les mains ; Cat je n'aipas volé mon maîtte, Monsieut ; je vousFassure

, 8c tous mes amis pourront vous

(M4)le certifier. Je me recommande à la Pro-vidence & à votre générosité

, en atten-dant que vos foins

,réunis à ceux de

Mademoiselle Levrette,

puissent merendre mon très-cher maître.

Fin de la première Partie.

ERRATA.3L

ÂGE 6 ligne 6, mais qu'étoit ; lise\ mais quidonc étoit.

Pag. 68 , lig. io ,Giouck; lis. Gluck.

Pag. 84,

lig. 4 , Levrette n'avoit été que lecanal ; lis. Levrette

, peut-être , avoit été lecanal.

Pag. 100 ,lig. 24 ,

Elles s'instruisirent ; lis. Ellesinstruisirent.

Pag. 134, lig. i(í, fur un déplorable ; lis. fur

un détestable.Pag. 147 , lig. 14, tout zélés ; Us, tout z.èlet

(M5)

Lettre de M. Gessner, à M. le Suirey

traduite de VAllemand,

Zurich.

IVl o N s i E v R ,

J'ai l'honneur de vous envoyer ci-jointmon sentiment motivé sur vos ouvrages ,que vous avez eu la bonté de me fairepasser en manuscrit. Je souhaite que lejugement du Public confirme & autorisele mien ; en ce cas vous aurez beaucoupde succès.

J'ai ici , pour le moment, tin jeune-homme très-intéressant

,qui ressemble

beaucoup à votre héros du Crime, Césarde Perlencour. Si c'est lui, comme je lesoupçonne

,c'est César repentant. Jus-

qu'ici,

il ne convient de rien. II meparoît avoir de la sensibilité. Je Fai sur-pris

,les larmes aux yeux, en lisant vos

Noces Patriarchales, dont vous me fîtesautrefois présent. II m'a parlé avec atten-drissement des amours innocens à'Isaac& de Rébecca, II m'a vantáce contraste,

que vous avez si bien peint, de la splen-deur de Babylone, avec la vie champêtredes Patriarches

, cette jeune amante quit-

tant la cour de Sémiramis, pour se rendreà la simplicité de cette vie pastorale. II

sent Fesser terrible de ,cet ordre, donné

par Dieu, d'immoler Isaac au momentoù

, récemment uni par Fhymen avecRébecca, il alloit voler

, pour la pre- '

mière fois, dans lés bras de son épouse. II

s'est exprimé avec enthousiasme fur votreAventurier François

,où il a remarqué,

â travers une foule d'avantures amusantes,variées, rapides & neuves, les quatrepeuples élémentaires

,la France-Australe

de votre création,

jolis épisodes où vousdonnez des idées Philosophiques furle Gouvernement

,la Physique & mille

autres matières,

& où vous répandez la

magie de FEpopée,

fans sottir des bornesde la nature. II m'a parlé

, avec encoreplus d'éloge

,de votre Philosophe Par'

venu , roman d'un but plus moral ; maisaussi amusant, où vous faites voir la

nécessité d'avoir un état, & les dangersauxquels on s'expose quand on n'en a

pas. Les Romains d'Afrique, que vous

avez créés dans cet ouvrage ,font une

fiction qui nous présente encore vos idées

(M7)-

neuves fur plusieurs matières intéres-santes. II avoue , en soupirant, que vousfaites bien de publier Le Crime ; quevous y ferez sentir d'une manière rer-rible les inconvéniens

, pour les mères ,de gâter leurs enfans par une tendresseaveugle

, & de les abandonner ensuiteà eux-mêmes, dans-la corruption de lacapitale ; « mais il faut

,dit - il, que

33 cet ouvrage soit suivi du Repentir,J3

où tous les désordres seront réparés ,33

asin que les coeurs ,qui -ont été serrés

33 & oppressés par le tableau des crimes>3

& de leurs châtimens,

respirent 8c

» s'épanouissent, en voyant la vettu ra-33

dieuse dissiper tous lés nuages funestes

33 & orageux qui avoient voilé Fhorison,33 & ramener le calme & la sérénité.

3>VOUS nous faites espérer cette suite duCrime, 8c je la désire autant que monjeune-homme.

II connoît aussi,

Monsieur, votre

Poëme du Nouveau - Monde, dont feuM. Thomas m'avoit parlé avec éloge ; ily reconnoît la même imagination qui ani-me vos Romans, & qui joint la féerie à lanature : il s'intéresse vivement pout cetteClémence Isaure

,éprise de Colomb ,l'accompagnanc -sans qu'il s'en doute

%

(MOm m

*

sous l'habit d'Hermite,toujours invisible

& présente dans tout Fouvrage; iL parle,

avec de grands éloges, de cette peintured'un monde entier ; de cette fiction des

Eleuthètes, peuple encore de votre créa-tion ; de cet Episode de Tindal& Zilna;de ce Concile ; de ce contraste de FItaliepolicée avec FAmérique sauvage ; de cettemort enfin du héros qui voit

, en expi-

rant ,les Rois de France, d'Espagne &

le Pape à ses. genoux, & qui leur donneses instructions suprêmes. J'ai communi-qué

, au jeune Repentant, votre manus-crit où- ce Poëme est entièrement ré-formé. II m'a paru enthousiasmé de la

versification plus brillante & plus sou-

tenue ,de Fintrigue plus attachante ,

dela liaison plus sensible qui s'y trouvent}il vous promet le plus grand succès.Pour moi, Monsieur, qui connois votrecaractère paisible, ennemi de tout ma-nège & de toute intrigue

, je sens que,n'étant pas prôné

, vous ne devez pasavoir un succès rapide. Celui que vousobtiendrez à la longue viendra pas-à-pas.,-

Comme un jour doux , dans des yeux délicats.

Je vous plaindrois, avec votre amour

du repos ,si vous réussissiez prompte-

(MOment, & si vous faisiez explosion. Songezdonc quel crime de réussir à donner unPoëme Epique à votre nation, & àquelles persécutions vous devriez vousattendre.

J'ai lu, avec attendrissement, votre

manuscrit intitulé Les malheurs du Génie& de tAmour, ou Mémoires du Tasse.J'ai suivi ce grand Poëre condamné àla mort dès Fâge de neuf ans , amantaimé d'une Princesse

,emprisonné pour

cet amour ,réfugié en France

,où il est.

témoin de la S. Barthélemi,

où il estfaufilé dans la cour galante & cruelle deCatherine de Médicis. Je l'ai plaint àson retour en Iralie, où il est persécuté

comme homme & comme auteur ,où

il tombe dans Finfortune, où Henri IIIéchappé de Pologne, l'accueille en passantà Venise. Je Fai chéri l'esprit aliéné parses malheurs, toujours touchant & su-

,blime , honoré enfin par le Pape & mou-rant la veille du jour où il devoit entreren triomphe dans Rome. Je vous in-vite à publier bieniôr ces inté> eíTans Mé-moires

,aussi bien que la vraie corres-

pondance, entre Hélois & Abélàrd, que

vous dires ayoir découverre, & où il ya çant d'avantures piquantes, & de pein-