Le Coran est-il authentique?

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Le Coran est-il authentique ?

Mondher SFAR, Le Coran est-il authentique ? [2000] (2010)PAGE 125

Mondher SFARTunisien en exil ParieDocteur en philosophie la SorbonneChercheur en anthropologie et en histoire de la pense

[2000] (2010)

Le Coranest-il authentique?

Un document produit en version numrique par Jean-Marie Tremblay, bnvole,professeur de sociologie au Cgep de ChicoutimiCourriel: HYPERLINK "mailto:[email protected]" [email protected] Site web pdagogique: HYPERLINK "http://www.uqac.ca/jmt-sociologue/" http://www.uqac.ca/jmt-sociologue/

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Jean-Marie Tremblay, sociologueFondateur et Prsident-directeur gnral,LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES.

Cette dition lectronique a t ralise par Jean-Marie Tremblay, bnvole, professeur de sociologie au Cgep de Chicoutimi partir de:

Mondher SFAR

Le Coran est-il authentique?

Paris: Les ditions Sfar, 1er tirage: 2000, 2e tirage: 2006, 3e tirage: 2010, 150 pp.

[Autorisation formelle accorde par lauteur le 24 dcembre 2010 de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

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dition numrique ralise le 12 janvier 2011 Chicoutimi, Ville de Saguenay, Qubec.

Mondher SFARTunisien en exil ParieDocteur en philosophie la SorbonneChercheur en anthropologie et en histoire de la pense

Le Coran est-il authentique?

Paris: Les ditions Sfar, 1er tirage: 2000,2e tirage: 2006, 3e tirage: 2010, 150pp.

Du mme auteur

Le Coran, la Bible et lOrient ancienLes Editions Sfar, 1998_______________________

Actualit des Religions: Un livre vraiment passionnant. P. Chr. DelormeStudia Islamica: Un livre audacieux qui engage des dbats dune relle actualit. P. LoryRev. dHist. et de Phi. Relig.: Ouvrage qui opre une relle perce par son approche anthropologique qui consiste reconstituer les diffrentes institutions coraniques en faisant appel leurs vritables prototypes orientaux anciens. J.-G. HeintzRevue Thologique de Louvain: Un livre qui nous offre une cl dinterprtation insouponne et qui nous ouvre de nouvelles perspectives. E. PlattiRevue des Sc. Phi. & Tho.: Une entreprise audacieuse et ambitieuse. C. GilliotStudies in Religion / Sc. Religieuses: Lauteur rpond de faon convainquante une foule de questions auxquelles se heurte habituellement nimporte quel lecteur du Coran, musulman ou non, amateur ou spcialiste. M. MbonimpaArob@se: Le Coran, la Bible et lOrient ancien remet en question les fondements de deux univers culturels. Flore Van Onckelen et Bernard Dupriez

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Table des matires

HYPERLINK \l "coran_authentique_couverture" Quatrime de couvertureHYPERLINK \l "coran_authentique_intro" Introduction

HYPERLINK \l "coran_authentique_ch_1" Chapitre 1. Le Coran nest pas loriginal

HYPERLINK \l "coran_authentique_ch_1_a" Transmission du sensHYPERLINK \l "coran_authentique_ch_1_b" La thorie des variantesHYPERLINK \l "coran_authentique_ch_1_c" Les variantes du CoranHYPERLINK \l "coran_authentique_ch_1_d" De la variation la manipulationHYPERLINK \l "coran_authentique_ch_1_e" Les rvlations sataniquesHYPERLINK \l "coran_authentique_ch_1_f" Du ct du ProphteHYPERLINK \l "coran_authentique_ch_1_g" Autres ambiguts du mode de la rvlationHYPERLINK \l "coran_authentique_ch_1_h" La totalit de la rvlation ?HYPERLINK \l "coran_authentique_ch_1_i" Les textes perdus ou non retenusHYPERLINK \l "coran_authentique_ch_1_j" Deux brves prires cartes du CoranHYPERLINK \l "coran_authentique_ch_1_k" De linterpolation

HYPERLINK \l "coran_authentique_ch_2" Chapitre 2. Les composantes du Coran

HYPERLINK \l "coran_authentique_ch_2_a" Les versets : invention tardiveHYPERLINK \l "coran_authentique_ch_2_b" Les souratesHYPERLINK \l "coran_authentique_ch_2_c" Les prambulesHYPERLINK \l "coran_authentique_ch_2_d" Les lettres mystrieusesHYPERLINK \l "coran_authentique_ch_2_e" La division des souratesHYPERLINK \l "coran_authentique_ch_2_f" La basmala et al-RahmnHYPERLINK \l "coran_authentique_ch_2_g" Les titres des sourates

HYPERLINK \l "coran_authentique_ch_3" Chapitre 3. critures du Coran

HYPERLINK \l "coran_authentique_ch_3_a" Les difficults de lcritHYPERLINK \l "coran_authentique_ch_3_b" Le mythe de Uthmn HYPERLINK \l "coran_authentique_ch_3_c" Le Manuscrit de SamarcandeHYPERLINK \l "coran_authentique_ch_3_d" Le mythe de lauthenticitHYPERLINK \l "coran_authentique_ch_3_e" La fonction scribaleHYPERLINK \l "coran_authentique_ch_3_f" Strotypes et phrasologieHYPERLINK \l "coran_authentique_ch_3_g" La pratique de la recompositionHYPERLINK \l "coran_authentique_ch_3_h" Al-qurn, une uvre scribale

HYPERLINK \l "coran_authentique_ch_4" Chapitre 4. Mythes et prjugs

HYPERLINK \l "coran_authentique_ch_4_a" Mythe de loriginalitHYPERLINK \l "coran_authentique_ch_4_b" Du kitb au qurnHYPERLINK \l "coran_authentique_ch_4_c" Mythe de la collecteHYPERLINK \l "coran_authentique_ch_4_d" Mythe de la transmission parfaiteHYPERLINK \l "coran_authentique_ch_4_e" Mythe de linimitabilitHYPERLINK \l "coran_authentique_ch_4_f" Authenticit du wahy

HYPERLINK \l "coran_authentique_conclusion" CONCLUSION

HYPERLINK \l "coran_authentique_annexe" ANNEXE : Lclipse du Soleil du 27 janvier 632

HYPERLINK \l "coran_authentique_annexe_a" Une grande nigmeHYPERLINK \l "coran_authentique_annexe_b" Un psychodrame conjugalHYPERLINK \l "coran_authentique_annexe_c" Lclipse et le plerinage de lAdieu

HYPERLINK \l "coran_authentique_biblio" BIBLIOGRAPHIE,

QUATRIME DE COUVERTURE

Le Coran est-il authentique?

HYPERLINK \l "tdm" Retour la table des matiresLe texte coranique que nous connaissons aujourdhui est-il la reproduction littrale et fidle de ce que Dieu a communiqu son Prophte Muhammad, comme laffirme lorthodoxie musulmane?Lauteur de ce livre montre que cette si importante et si dlicate question mrite dtre pose.Tout dabord, le Coran nous enseigne que le texte rvl est le produit dune laboration de seconde main ralise partir dun texte original se trouvant consign sur une Table cleste garde auprs de Dieu. En aucune faon lon ne peut prendre le texte coranique pour loriginal. Cela est illustr, toujours selon le Coran, par ses abrogations incessantes durant la rvlation, par la prsence en son sein de textes dits ambigus, ainsi que dautres inspirs par Satan, et aussi par le fait quil est compos par un bon nombre de textes de circonstance, qui ne peuvent trouver place dans une Table cleste.De mme, la mort de Muhammad, le Coran sest trouv dans un ordre dispers et anarchique, consign sur des supports de fortune que lon a rassembls dans des circonstances peu lucides. En outre, la mmoire et lcriture taient loin de constituer des supports fiables. Enfin, tous les manuscrits du Coran du temps du Prophte et du 1er sicle de lIslam ont t dtruits, dit-on, sur ordre, y compris le codex attribu Ab Bakr. Et mme loriginal de la version actuelle du Coran ne nous est pas parvenu.Autant de problmes qui se sont poss au cours de la transmission du texte coranique, et qui interpellent aujourdhui aussi bien lhistorien que le croyant.

Le Coran est-il authentique?Mondher Sfar

Mondher Sfar est philosophe et historien tunisien. Il est lauteur de Le Coran, la Bible et lOrient ancien. Paris: 1998.

Photographie: B.N.F./I.M.A. Reliure franaise dun manuscrit du Coran du Maghreb (XVe sicle).

Les ditions Sfar, Paris.

Dis la vrit, mme tes dpens.Hadth

Parle de la vrit ds que tu lapprends.Hadth

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Le Coran est-il authentique?

INTRODUCTION

HYPERLINK \l "tdm" Retour la table des matiresSinterroger sur lauthenticit du texte coranique relve aujourdhui du blasphme, dun acte particulirement sacrilge envers un des principaux dogmes de lIslam, voire le plus important, aprs la croyance en Dieu et en son Prophte.Ce tabou qui enveloppe la question de lhistoire du Coran na pourtant aucune justification thologique manant du texte rvl, ni mme une raison historique, puisque la Tradition musulmane elle-mme rapporte une imposante masse dinformations sur les problmes fort srieux qui ont affect la transmission du texte coranique jusqu nous.Mais le fait le plus tonnant de cette attitude crispe de lorthodoxie musulmane, cest quelle contredit la doctrine mme que le Coran a formule sur sa propre authenticit. En effet, loin de revendiquer une quelconque authenticit textuelle, le Coran avance une thorie de la rvlation qui rfute rsolument une telle prtention.Cette doctrine coranique nous explique que le texte rvl nest quun sous-produit manant dun texte premier et authentique se trouvant consign sur une Table cleste conserve auprs de Dieu et inaccessible au commun des mortels. Le vrai Coran nest pas celui qui est rvl, mais celui qui est rest au Ciel entre les mains de Dieu seul vrai tmoin du texte rvl. En somme, le Coran [10] attribue lauthenticit non pas au texte rvl travers Muhammad mais seulement loriginal gard auprs de Dieu. Cest que le passage de loriginal cleste la copie trahit la lettre du texte transmis. Muhammad na pas reu la rvlation selon le mode de la dicte, mais selon le mode de linspiration (wahy).De plus, le texte rvl a t soumis la loi de labrogation et au remaniement divin. De sorte que le Coran nest pas ternel ni absolu. Il est historique, circonstanciel et relatif. Dautres facteurs lloignent du texte authentique cleste: Dieu donne ordre Satan dinspirer de fausses rvlations par la bouche de Muhammad, puis Il les dnonce. En outre, le Prophte est sujet certaines dfaillances humaines, toujours selon le Coran.Il est donc important de mettre au jour cette doctrine coranique de linauthenticit du texte rvl. En effet, la mort du Prophte, le texte de la rvlation sest trouv consign sur plusieurs supports: parchemins, os domoplates, tessons et autres supports de fortune. De toute vidence, lide de rassembler ces textes pars en un seul recueil a t une innovation tardive, inconnue de Muhammad et trangre lesprit du Coran. Seule la mise en forme dunits textuelles rvles a vu le jour du vivant de Muhammad. Ces units de rvlation ont donn jour aux sourates actuelles selon un processus non encore lucid, mais qui est partiellement visible travers les lettres mystrieuses qui ouvrent certains chapitres.La Tradition musulmane soutient quune premire collecte du Coran fut effectue par le premier Calife, Ab Bakr. Une autre collecte fut nouveau entreprise sous le troisime Calife Othmn. En quoi a consist cette [11] collecte? En fait les opinions varient ce sujet et rien de sr ne nous est parvenu. La situation est dautant plus obscure quune troisime collecte aurait eu lieu sous le rgne du Gouverneur omeyyade al-Hajjj. Quoiquil en soit de ces incohrences dans la doctrine musulmane sur lhistoire du texte coranique, il est clair que ltablissement dun texte officiel du Coran a t laboutissement dun long cheminement dont les modalits ne peuvent tre que dduites approximativement et avec beaucoup de prudence partir des rcits rapports par la Tradition musulmane. En somme, les premires gnrations de musulmans ne possdaient pas de texte coranique de rfrence, puisquil nen a jamais exist. Pour sen consoler, la Tradition a purement et simplement cr le mythe de lArchange Gabriel rencontrant Muhammad annuellement pour une mise au point des textes rvls au cours de lanne prcdente. Cest ainsi qu la mort du prophte le texte coranique sest trouv entirement codifi, structur et complt selon les volonts divines: les collectes qui ont eu lieu ultrieurement nont, selon certains rcits, apport rien de nouveau; elles ont seulement rectifi les altrations survenues durant les premires dcennies de lislam. Telle est la doctrine orthodoxe mythique sur la fiabilit de la transmission du texte rvl.Paralllement cette justification idaliste, la Tradition musulmane nous a lgu des indications fort utiles pour lhistorien du texte coranique, condition bien sr de savoir les dcoder. Cest sur la base de ce matriau que ltude critique du texte coranique a commenc en Occident travers une uvre magistrale et qui reste une rfrence encore de nos jours, celle de Theodor Nldeke: Geschichte des Qorans, ou Histoire du Coran, publie [12] pour la premire fois en 1860, et remise jour en 1909 par Friedrich Schwally, uvre poursuivie en 1919 pour le tome II et 1938 par Gotthelf Bergstrsser. Elle inspira notamment en 1958 lexcellente Introduction au Coran de Rgis Blachre.A ct de ce courant de critique historique du Coran, une nouvelle orientation de recherche a vu le jour vers le milieu du XXe sicle consacre ltude des genres littraires employs dans le texte sacr de lislam. Et cest encore lEcole allemande qui a trac la voie de cette orientation nouvelle et essentielle inspire dune discipline o elle a excell, celle de la Formgeschichte, dont Rudolf Bultmann (1884-1976) a t une des figures dominantes. Citons la srie darticles publie en 1950 dans la revue The Muslim World et intitule The Qurn as Scripture (Le Coran en tant qucriture) qui prfigure la contribution importante de J. Wansbrough dans ses Quranic Studies. Wansbrough a tudi les schmas du discours coranique, et il les a compars la tradition juive. La mise au jour dun discours solidement structur suggre en effet quil continue une vieille tradition scribale. Le texte du Coran apparat alors de moins en moins luvre dune improvisation issue du dsert, mais la continuit dune haute tradition.Nous allons nous aider de ces techniques scripturaires pour mieux comprendre lhistoire de la composition du texte coranique ralise par de vritables techniciens de lcrit inspir.Nous terminerons cette tude en insistant sur les mythes crs par la Tradition musulmane pour imposer une reprsentation de la rvlation et de son produit textuel qui, on le verra, est totalement trangre lesprit et au [13] contenu du texte coranique tel quil est parvenu jusqu nous.Notre traduction des citations coraniques se rfre en partie celle de Rgis Blachre. Les numros des versets correspondant aux citations coraniques sont indiqus entre parenthses dans le texte, prcds du numro du chapitre. Le systme de translittration adopt dans cet ouvrage a cherch la simplicit. Nous avons utilis en priorit la forme franaise des noms propres et des noms communs habituellement utiliss. Pour le reste, nous avons adopt le systme suivant pour les lettres arabes ayant des sons qui nexistent pas en franais ou ayant une double articulation: d: interdentale spirante sonore vlarise, ou dd,ayant la mme valeur que le z (z) ; dh: spirante interdentale, comme le th anglais dans this; gh: r grassey; h: h aspir; kh: vlaire spirante sourde, comme le ch allemand dans buch; q: occlusive glottale; r: fortement roul; sh: comme dans cheval; s: s emphatique ; t: t emphatique; th: comme dans thing anglais; u: se prononce ou; w: comme dans ouate; y: comme dans payer; z: z emphatique; c: signe rendant la fricative laryngale nomme cayn; : attaque vocalique forte comme dans assez! (hamza). Les voyelles longues portent un accent circonflexe.Enfin, je tiens remercier tous ceux qui mont encourag dans la poursuite de mes recherches et qui mont fait bnficier de leur aimable assistance. Je remercie particulirement Jean-Franois Poirier qui a bien voulu contribuer la correction des preuves.

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Le Coran est-il authentique?

Chapitre 1

Le Coran nest pas loriginal

HYPERLINK \l "tdm" Retour la table des matiresLa transmission du message divin Muhammad sest effectue selon un mode particulier qui est plus complexe que celui que lon se reprsente si lon se rfre la seule doctrine musulmane orthodoxe. Selon celle-ci, Dieu a procd une dicte littrale de Son message. Ainsi Muhammad aurait reproduit dans le Coran des paroles cres de toute ternit par Allah.En fait, le texte rvl au Prophte provient dun autre texte conserv auprs de Dieu. Cest la fameuse Table, en arabe lawh, proprit exclusive de Dieu, et laquelle Il est le seul accder avec les anges/scribes ou les anges/messagers, comme Gabriel. Ce nest qu partir de cet original que le texte coranique a t transmis Muhammad, puis aux hommes. Ainsi, de prime abord, le Coran tablit une distinction dune importance dcisive dans le processus de la rvlation. [16]Cest en effet l une question centrale dans notre enqute sur lauthenticit du texte rvl. La doctrine coranique est par consquent claire: le texte coranique rvl ne reprsente quune copie cense ne pas se confondre avec loriginal cleste, et, dans ce sens, elle ne saurait prtendre lauthenticit. Ici, le texte coranique est sans ambigut: loriginal cleste est dsign par le terme de kitb, qui signifie crit, alors que le texte qui en drive au moyen de la rvlation est appel qurn, une entit essentiellement liturgique dsignant la rcitation. Cest quentre la copie et loriginal, il y a toute une histoire qui nous renvoie bien videmment la nature de la rvlation et au mode de transmission quelle est cense emprunter. On la compris, la question dcisive que nous voudrions poser de prime abord est plus thologique quhistorique. Et lon verra que la philosophie coranique de la nature de la rvlation claire dune manire originale et insouponne lhistoire de la transmission du Coran jusqu nous. Rectifions tout dabord une mprise entretenue depuis longtemps par lorthodoxie musulmane. Pour prouver que le texte coranique est parfaitement authentique on a allgu que Dieu sest engag lui-mme le prserver de toute altration due aux alas de sa transmission travers le temps et les gnrations. Cette doctrine a t fonde essentiellement sur ce verset: Cest Nous qui avons fait descendre le dhikr (Rappel) et Nous sommes certes Celui qui le conserve (inn lahu lahfizn). (15, 9) Lon trouve souvent ce verset mis en exergue dans les copies coraniques pour souligner leur authenticit. Le dhikr dsigne-t-il ici le texte coranique? En fait, ltude des occurrences de ce terme dans le Coran montre que dhikr dsigne le genre du rcit que lon cite (dhakara = citer) des fins pdagogiques, pour en tirer une leon. Le Coran lutilise pour dsigner notamment les rcits des anciens peuples comme d, Thamd, etc. que les Croyants sont [17] appels garder en mmoire. Dieu possde ainsi les rcits dtaills de ces peuples quil conserve auprs de lui. Cest ce qui est redit ailleurs: le Rappel (tadhkira) se trouve dans des Feuilles vnres, leves et purifies, dans des mains de Scribes nobles et purs (80,13-16). Il est donc clair que dhikr dsigne non pas le texte coranique mais lensemble des rcits tirs des Feuilles clestes, celles qui bnficient du plus grand soin divin. Il en est de mme du qurn toujours tir dun original cleste : Ceci est une rcitation (qurn) sublime, se trouvant [consigne] sur une Table conserve (mahfz). (85,21-22) Mme si, ici, le texte arabe ne nous indique pas clairement si cest la Table (loriginal) ou la rcitation qui est objet de la conservation, en tout cas, cette rcitation se trouve authentifie au moyen de la Table cleste qui existe en tant quoriginal. Et comme tout original, il fait lobjet de tous les soins: entre les mains de Scribes nobles et purs, et surtout de toutes les vigilances: un crit [fort bien] cach que seuls touchent les [Anges] purifis (56,77-79). A aucun moment ces gardiens clestes ne se sont occups de la garde ou de la prservation de la copie rcite (qurn) de toute altration au cours de sa transmission travers les gnrations. Dailleurs, le texte rvl Muhammad ne constitue quun extrait du grand livre (kitb) en possession de Dieu et qui comprend entre autres la chronique du monde. Quand Pharaon a dfi Mose en lui posant cette question: Quen est-il des gnrations antrieures?, celui-ci a rpondu: Leur histoire (cilmuh) se trouve auprs de Dieu, dans un crit (kitb) [au-moyen de quoi] Dieu nerre ni noublie. (20,51-52) Il sagit donc dune vritable bibliothque cleste comprenant le savoir du monde, do est extrait la rvlation coranique, ainsi que les autres rvlations abrahamiquesJeffery, The Qurn as Scripture, 202 & 205.. [18]Cest une ide ancienne que ce livre cleste consign sur une Table prserve. Les premiers en faire tat taient les SumriensJeffery, The Qurn as Scripture, 47-48.. Ils nous ont lgu lide du destin consign dans un crit: maktb, important concept dans la mentalit orientale et arabo-musulmane, que lon retrouve dans le Coran travers lexpression kutiba cal: [il a t] dcrt [quelquun].De mme que cest loriginal de lcrit, - et non sa copie - que Dieu sengage prserver, par exemple quand il ordonne Muhammad: Rcite ce qui ta t rvl [provenant] de lcrit (kitb) de ton Seigneur. Il ny a rien qui puisse changer Ses dcrets (kalimt), et tu ne trouveras pas de refuge contre Lui. (18,27) Le texte original ntant pas soumis au principe du changement, le Prophte ne saurait sautoriser modifier la copie rcite. Nous voyons bien que loriginal sert de source dauthentification et en mme temps dargument dissuasif contre toute tentative de faux, y compris de la part du Prophte. Cet original est, ailleurs, dsign comme Mre de lcrit(umm al-kitb): Par lcrit explicite! () [il se trouve] dans la Mre de lcrit [conserve] auprs de Nous (43,2-4). Cette notion de mre signifie en langue arabe la source ou encore le centre, comme dans lexpression coranique de mre des cits (umm al-qur), dsignant la Mecque en tant que capitale arabe. Cest la fonction mme de loriginal de jouer le rle de matrice ou de noyau partir duquel la copie est tire. Nous voyons ainsi apparatre une relation gntique ou encore de prsance entre un original immuable et une copie expose tous les risques. Il existe pourtant un autre terme utilis dans le Coran pour dsigner cette relation trouble entre loriginal et la copie, cest le verbe saddaqa, comme dans ce passage [19] coranique : Ce que Nous tavons rvl [provenant] de lcrit (kitb), est la Vrit, conformment (musaddiqan) [lcrit original] se trouvant en Sa (sic) possession(m bayna yadayhi) . (35,31) La rvlation est dclare, ici, travers le verbe de saddaqa,conforme ou fidle loriginal cleste.

Transmission du sens

HYPERLINK \l "tdm" Retour la table des matiresMais, est-ce dire que cette conformit signifie une identit littrale entre la copie et son original? La rponse ne peut tre que ngative, puisque cette notion de conformit est applique dans le Coran pour dsigner le type de rapport entre les textes rvls antrieurs qui diffrent forcment entre eux par la lettre, mais identiques quant leur contenu spirituel : quand un crit [le Coran] est venu aux Juifs [mdinois] provenant de Dieu, en conformit (musaddiq) au leur (2,89). De mme que lvangile venu Jsus est conforme la Thorah (5,46), tout comme lcrit (kitb) venu Muhammad est conforme lvangile (5,48). Ces exemples montrent que la conformit de la copie son original est identique celle qui existe entre les textes rvls. La copie rvle Muhammad est donc loin de reproduire littralement le texte cleste (kitb) consign dans la Table garde par les Anges purs: elle ne fait, selon le Coran, quen conserver le sens gnral.De leur ct, les traditionalistes musulmans nont pas hsit formuler clairement lhypothse de la non-conformit littrale entre loriginal cleste et sa copie transmise par Muhammad. Ainsi, Suyt (mort en 911 H./1505) - auteur dun trait qui reste un modle en son genre sur le Coran - expose trois hypothses quant au mode de transmission du texte original. La premire est bien videmment celle de la conformit littrale entre [20] loriginal et la copie. La seconde hypothse est celle o lArchange Gabriel serait descendu surtout (sic) avec les sens [du Coran], et Muhammad aurait alors appris ces sens et les aurait exprims dans la langue des Arabes. Enfin, troisime hypothse, Gabriel aurait reu les sens [du texte coranique] et il les aurait exprims en langue arabe, - les habitants du Ciel lisent le Coran en Arabe -, puis, il laurait fait descendre ainsi [sur Muhammad].Suyt, Itqn, I/125, 537. Nous voyons bien ici que les deux dernires hypothses avancent clairement lide de linauthenticit littrale du texte coranique au regard de loriginal cleste. Un verset du Coran rejoint mme le deuxime scnario de la transmission du texte cleste: Nous avons fait [du kitb] une rcitation (qurn) en langue arabe (43,3) Cest donc bien Dieu et Ses Scribes angliques, et leur tte Gabriel, qui auraient procd llaboration du texte arabe reu par Muhammad. Encore quil ne faille pas voir ncessairement dans cette version arabe une traduction littrale de loriginal. La Tradition prtend mme que Gabriel naurait pas lu lui-mme la Table cleste et que Dieu, pour transmettre Ses Paroles, lui aurait inspir (les Paroles) rvles (takallama bi-al-wahy). Cette inspiration divine haute voix aurait fait trembler le Ciel de peur de Dieu. Et ds que les habitants du Ciel entendent [ces Paroles], ils sont foudroys et tombent prosterns. Et le premier qui relve la tte, cest Gabriel. Cest alors que Dieu lui communique oralement ce quIl veut de Sa rvlation. Gabriel dicte son tour ces Paroles aux [autres Anges]. Et dans chacun des Ciels, les habitants lui demandent: Quest-ce qua dit notre Seigneur? Gabriel rpond: [Il a dit] la Vrit. Et Gabriel de transmettre ainsi la rvlation de Ciel en Ciel jusqu Muhammad, son destinataire finalIbid., I/126, 540..[21]Lexgte Al-Juwayn a coup la poire en deux. Pour lui, le Coran contiendrait deux genres de textes juxtaposs conformes aux deux possibilits habituelles de transmission des missives dans la tradition royale. Une partie du texte coranique serait alors transmise selon le sens, sans tenir compte de la lettre du texte original dict par Dieu. Lautre partie serait, linverse, une copie littralement conforme au message dict par DieuSuyt, Itqn, I/126, 543..

La thorie des variantes

HYPERLINK \l "tdm" Retour la table des matiresAvec cette doctrine dune rvlation transmise selon le sens et non selon la lettre, nous franchissons une nouvelle tape dans la rupture de lunit de la rvlation coranique. Ainsi, aprs avoir assist au ddoublement de la rvlation en original et en copie, ensuite, la diffrenciation littrale entre eux, nous en arrivons maintenant lclatement de la copie en une multiplicit de possibilits dexpression littrale. Cest la thorie avance par la Tradition des Sept lettres (sabc ahruf), ou Sept lectures (sabc qirt). Cette thorie est justifie par la Tradition au moyen dun hadth rapport par Uthmn faisant dire Muhammad: Le Coran est descendu selon sept lettresIbid., I/130, 555.. Suyt affirme que lon a interprt ce hadth de quarante manires. Parmi celles-ci, la thse dIbn Qutayba qui explique quil sagirait de sept modes de variation du texte coranique : 1) celui de la dclinaison, sans que le sensen soit affect ; 2) celui du temps des verbes; 3) celui des lettres de la mme graphie, mais ayant des signes diacritiques diffrents; 4) celui des lettres proches dans leur graphie; 5) celui de la place de groupes de mots dans la phrase; 6) variation du texte par ajout ou suppression [22] de mots; et, enfin, 7) variation des mots selon leurs synonymesSuyt, Itqn, I/131, 562.. Al-Rz, de son ct, y ajoute la variation des mots du Coran selon le genre, le nombre et le mode de prononciationIbid., I/131, 563.. Le mme Suyt relate une thse, rapporte par Ibn Hanbal, expliquant les sept lettres par la possibilit qua tout mot du Coran dtre remplac par sept synonymesIbid., I/132, 566.. Ubay, un des secrtaires de Muhammad charg de la rdaction du Coran, aurait mme exprim cette rgle quil aurait applique dans sa version coranique: Jai dit [dans le Coran]: Audient et Savant, [ la place de] Puissant et Sage, [mais sans aller jusqu trahir le sens, comme on le fait quand] on substitue lexpression dun chtiment celle du pardon, ou celle-ci celle-l.Ibid., I/133, 566. Ainsi, Ubayy, un des plus importants scribes du Prophte, dont le nom est associ la rdaction du Coran, va bien au-del de la simple synonymie en tablissant la lgitimit de linfinie libert des variantes, la seule condition, toutefois, que celle-ci ne dbouche pas sur des contresens. Lon a mme fait dire au deuxime Calife, Umar, qui lon a attribu la premire collecte des textes composant le Coran, cette affirmation: Tout ce que lon dit dans le Coran est juste (sawb) tant que lon ne substitue pas chtiment pardon (= que lon ne commette pas de contresens).Ibid., I/133, 567. Suyt rapporte ici des variantes utilises par Ubayy dans le verset 2,20 pour substituer marcher les synonymes: passer et aller. Suyt cite aussi les variantes dIbn Masd, un autre secrtaire de Muhammad, remplaant dans le verset 57,13 le verbe faire patienter, par faire attendre et faire retarder [23] lchanceSuyt, Itqn, I/133, 568.. Et Suyt de rapporter cette anecdote: Ibn Masd a fait lire un lecteur la phrase : larbre du zaqqm est nourriture du pcheur (44,43-44). Mais ce lecteur na pu prononcer que: nourriture de lorphelin. Ibn Masd la repris, mais sans succs. Alors, il lui demanda: Peux-tu prononcer: nourriture dun dprav. Lhomme rpondit: Oui. Ibn Masd lui dit: Alors, garde cette expression !Ibid., I/133, 569.

Les variantes du Coran

HYPERLINK \l "tdm" Retour la table des matiresIbn Mujhid, (245-324 H.), explique dans son Livre sur les Sept Lectures (Kitb al-sabca f al qirat) que les gens se sont mis en dsaccord en matire de lecture [du Coran], de la mme faon quils lont fait en matire de Droit. Les dtails (thr) sur le Coran quils ont rapports selon les dires des Compagnons du Prophte et de leurs Suivants renferment des divergences qui sont largesse et grce pour les Musulmans.Ibn Mujhid, Kitb al-Sabca, 45. Les auteurs orthodoxes, devant la variabilit du texte coranique et au danger quelle fait planer sur son authenticit, ne purent que faire contre mauvaise fortune bon cur. Ils ont tout simplement transform linconvnient en avantage, la variabilit, source de suspicion, en bndiction divine pour une humanit linguistiquement diverse, qui a du mal se contenter dune littralit rigide. Cest sous cette oiseuse justification des variantes du texte coranique que lon a permis leur adoption officielle et leur conservation partielle jusqu nous.Cest ainsi que le vieux compagnon du Prophte Anas ibn Mlik, (mort en 709), ne sest pas embarrass, selon le [24] chroniqueur Tabari (mort en 923), pour substituer au verset 73,6 le verbe aswabu (= plus juste) celui retenu dans la version officielle aqwamu (= plus correct)Blachre, Introduction, 69, note 89.. Autre type de variantes, linterversion de termesdont on trouve un exemple dans le corpus dIbn Masd au verset (112,3): Il na pas t engendr et Il na pas engendr, au lieu de Il na pas engendret Il na pas t engendrIbid., 202.. La plus importante sourate du Coran, la Ftiha (Liminaire) na pas chapp elle aussi cette incertitude. Ainsi, au verset (1,6), lorthographe du mot sirt (chemin) varie, daprs Ibn Mujhid, selon les codices, de sirt en zirt, et de conclure sur cette note rsigne: et le Kitb nen prcise pas lorthographeIbn Mujhid, Kitb al-Sabca, 106.. Par kitb, lauteur entend, bien sr, le Coran, sans doute tel quil est rapport dans les divers manuscrits de lpoque. Cette remarque de cet important auteur est du plus haut intrt, puisquelle tmoigne de ce quau cours du premier sicle de lIslam il nexistait pas encore de texte crit unifi quant sa graphie, et que les plus grands savants verss dans la connaissance du texte coranique taient dans limpossibilit de dcider parmi les variantes qui soffraient eux, tant la tradition orale, de son ct, montrait ses modestes limites.La mme sourate de la Liminaire nous offre une autre variante remarquable au mme verset que nous venons dvoquer. Tandis que la Vulgate officielle commence ce verset par Conduis-nous!, Ibn Masd y substitue: Dirige-nous!, et dans les corpus dUbayy et Al: Conduis-nous! Affermis-nous!; alors quune variante anonyme donne: Que ta main nous guide! Conduis-nous!Blachre, Introduction, 203.[25]Nous trouvons de mme, dans la clbre sourate Al-Asr, dimportantes divergences entre la version officielle et celles attribues Ibn Masd et Al. Alors que dans la Vulgate nous lisons: Par lHeure de laprs-midi (wal-asri) ! LHomme est en perdition. Sauf ceux qui ont cru. (103,1-3), dans la version attribue Ibn Masdnous avons : Par lHeure de laprs-midi! Certes Nous avons cr lHomme pour sa perdition. Sauf ceux qui ont cru, et dans celle attribue Al: Par lHeure de laprs-midi! Par les vicissitudes du sort! LHomme est en perdition, et il y est jusqu la fin du temps.Blachre, Introduction, 49-50..Cette dernire version, cruellement pessimiste, serait-elle une version originale, ou plus exactement, une survivance dun premier jet appel tre amlior dans son contenu comme dans sa forme? Il est difficile, bien sr, dy rpondre vu lextrme indigence des sources anciennes dont ptit lhistorien. Mais le phnomne est retenir. Car, comme nous lavons vu, la rvlation saccommodait, avec beaucoup de libralit, des variations de son expression littrale. Et la pratique textuelle obissait un travail continuel de mise en forme qui passait gnralement pour un exercice normal. Au cours dune promenade avec Umar, aprs un dner offert par Ab Bakr, Muhammad entendit un homme en prire rcitant dune faon toute particulire le Coran: Qui a conseill, ainsi sadressa le Prophte Umar, de lire le Coran sous sa forme premire (ratb), comme il est descendu? Quil le lise selon la lecture dIbn Umm Abd!Ibn Ab Doud, Kitb al-mashif. Cette anecdote est du plus grand intrt, puisquelle tablit clairement lexistence du temps de Muhammad de deux tats du texte rvl: un tat premier, et un tat [26] travaill, remani et corrig. La forme du texte frachement rvl est dsigne ici par ratb qui sapplique en gnral pour qualifier les dattes frachement cueillies ou celles qui sont tendres. Lors de sa rvlation, le texte divin est ainsi appel subir une mise en forme, affectant le style comme le contenu. Cest le cas des variantes que nous venons de voir dans la brve sourate 103. Il est fort probable que la dernire version pessimiste de cette sourate constitue sa forme ratb, son tat primitif appel tre modifi. Nous pouvons donner aussi une autre illustration de ce processus de travail du texte. Au cours de son inventaire des Corans en rouleaux conservs Istanbul, Solange Ory a relev dans le 2e fragment du rouleau n 8 (Istanbul n 3-4) cette variante du verset (10,82): fa-ghalab hun al-haqqa (ils ont alors vaincu ici la Vrit) , alors que le texte coranique de la Vulgate dit: wa yuhiqqu al-llhu al-haqqa (et Dieu rtablira la Vrit)Ory, Un Nouveau type de Mushaf, 107.. Le thme de ce verset renvoie lhistoire de Mose et Pharaon. Les magiciens ayant montr devant Mose de quoi ils sont capables, celui-ci leur lana un dfi, celui de neutraliser leurs charmes. Il est clair que la variante se rapporte la premire version du rcit, lequel affirme que ce sont les magiciens qui, dans un premier temps, ont eu le dessus sur Mose, et par consquent sur Dieu. Cette dernire constatation apparut, avec le temps, assez choquante, et le passage dut alors tre remodel, pour donner une version plus convenable, celle de notre Vulgate. Ce travail du texte ratb se retrouve travers les variantes du verset 2,237 o lacte damour est dsign par le verbe toucher alors que la version dIbn Masd donne copulerBlachre, Introduction, 202.. [27]Souci de convenances, mais aussi de respectabilit, en usant de termes plus littraires comme cihn (101,5) la place de sf pour la laine teinte, ou musada (104,8) la place de mutbaqaBlachre, Introduction, 202.. Le verset 33,20: Ces gens croient que les Factions ne sont pas parties, et si les Factions viennent, ils aimeraient se retirer au dsert, parmi les Bdouins, a cette variante attribue Ibn Masd: Ces gens croient que les factions sont parties et, quand ils dcouvrent que ces Factions ne sont pas parties, ils aimeraient se retirer au dsert, parmi les Bdouins. Un autre verset, le 58,4: Cela vous est impos pour que vous croyiez en Allah et en son Aptre. Voil les lois (hudd) dAllah, a une variante nettement diffrente attribue Ibn Mad et Ubayy: Cela vous est impos pour que vous sachiez quAllah est proche de vous, quand vous le priez, prt exaucer quand vous limplorez. Aux Infidles un tourment cruel!Encore plus importante cette variante attribue Ubayy: Et quand Jsus, fils de Marie dit: Fils dIsral! je suis lAptre dAllah envoy vers vous et je vous annonce un prophte dont la communaut sera la dernire communaut et par lequel Allah mettra le sceau aux Prophtes et aux Aptres. [Quand Jsus dit cela], les Fils dIsral dirent: Ceci est sorcellerie vidente. La version officielle de la Vulgate, quant elle, donne: Et quand Jsus, fils de Marie dit: Fils dIsral! je suis lAptre dAllah envoy vers vous, dclarant vridique ce qui, de la Thora, est antrieur moi et annonant un Aptre qui viendra aprs moi, dont le nom sera Ahmad. Or, lorsque Jsus vint avec les Preuves, les Fils dIsral dirent: Ceci est sorcellerie vidente. (61,6) Il est curieux de voir que quand la version officielle mentionne le nom dAhmad, qui est cens tre celui de Muhammad, sans [28] mentionner le sceau de la prophtie, celle dUbayy fait linverse. Cette dernire version pourrait tre postrieure celle de la Vulgate. On le voit, alors que lobjet de la qualification de sorcellerie mise dans la bouche des Fils dIsral sont les Preuves rapportes par Jsus, dans la version dUbayy elle a pour objet lannonce de la venue prochaine du sceau des Prophtes, ce qui est plutt incomprhensible. De plus, la version dUbayy a une allure plus radicale, insistant davantage sur la primaut de la nouvelle religion. On ne peut, cependant, pour ces raisons, conclure la facticit de la version dUbayy. Elle pourrait correspondre une ractualisation dun texte un moment o la rupture avec les Gens du Livre est consomme.Mentionnons cette dernire variante attribue Ibn Masd: [Cest] un Prophte qui vous communique lcriture que Jai fait descendre sur lui et qui contient les rcits sur les Prophtes que jai envoys avant lui chaque peuple. La version officielle en est assez diffrente: [Allah a envoy] un Aptre qui vous communique les ya explicites dAllah pour faire sortir des Tnbres vers la Lumire ceux qui croient et accomplissent des uvres pies. (65,11)

De la variation la manipulation

HYPERLINK \l "tdm" Retour la table des matiresSi le Coran a t inspir Muhammad selon le sens, et conformment la Table cleste, il est parfaitement comprhensible, on vient de le voir, que les premires gnrations musulmanes, et commencer par le Prophte lui-mme, ont t peu regardants la lettre du message divin. Synonymie et amliorations successives du texte rvl ont fait partie de la fonction prophtique et du travail des scribes affects cette charge. [29]Tel nest plus le cas ds lors quil sagit de modifier le contenu du message, dy introduire des ides non inspires par Allah, ou den retrancher des dveloppements conformes loriginal cleste.Or, voici que Dieu lui-mme se permet de modifier Sa propre parole et de bousculer la rgle de la conformit et de la prennit de la transmission de son propre message: Nul Aptre napporte un signe (ya) sans la permission dAllah. chaque chance un crit. Allah efface (yamh) et confirme ce quIl veut, et la source de lcriture (umm al-kitb) se trouve auprs de Lui. (13,38-39)Nous voyons poindre dans cette importante dclaration la contradiction qui mine lunit, lidentit et lauthenticit du message divin. Dune part, la garantie du texte coranique, comme on la vu, est fonde sur lexistence dun archtype, dun original jalousement gard auprs du Souverain cleste. Dautre part, la vie politique et sociale dune communaut est soumise la loi de lvolution et des changements des rapports de force. Chaque tape et chaque difficult ncessitent une dcision spcifique. Cest le sens prcis de cette expression fondamentale dans la thologie sociale que nous venons de lire: A chaque chance un crit (li-kulli ajal kitb). (13,38) Comment rsoudre ce conflit entre un texte divin consign dans une Table svrement garde et prserve de toute altration, et la ncessit de sadapter une situation mouvante, soumise la loi des chances (ajal), et, par consquent, de devoir modifier les textes rvls selon les contingences du moment? Le Coran ne semble pas apporter une solution satisfaisante ce dilemme. Il se contente de dplorer la mauvaise foi de ceux qui voient dans ces modifications la preuve tangible dune imposture prophtique: Et si Nous avons substitu un signe (ya) un autre, - et Dieu sait trs bien ce quIl fait descendre ils disent: Tu nes quun faussaire!. Mais la plupart ne [30] savent point. Dis: Cest lEsprit Saint qui a fait descendre [le Coran] venant de ton Seigneur avec la Vrit afin de consolider la foi de ceux qui ont cru, et cest une Direction et une bonne nouvelle pour les Musulmans. (16,101-102) Nous mesurons ici lampleur du dfi et sa gravit. Ce texte fait clairement cho des dfections dun certain nombre de Compagnons du Prophte suite aux modifications du texte rvl. Cest eux que le Coran fait nouveau allusion dans une ultime explication au sujet de ces modifications peu rassurantes: Nous ne faisons pas disparatre (nansukhu) un signe ou nous ne le faisons pas oublier, sans que Nous en apportions un meilleur ou semblable. Ne sais-tu pas que Dieu est pour toute chose omnipotent? (2,106) Et le Coran de sen prendre ceux qui en doutent: Voulez-vous dfier [littralement: questionner] votre Aptre comme Mose a t autrefois dfi ?Quiconque change lingratitude (kufr) contre la foi scarte du bon chemin. (2,108) On le voit, la rponse coranique aux objections de lentourage sceptique du Prophte se rsume dans laffirmation de la toute puissance divine. Et que, dans tous les cas, le but ultime de ces changements apports au texte rvl est dprouver la foi des fidles. Curieusement, la raison essentielle des modifications au cours de la rvlation a t formule, comme on la vu plus haut au verset 13,38, dune manire subreptice, et elle na jamais t reprise ou plus amplement dveloppe. Mais avancer largument de la ncessit de sadapter une situation mouvante et des problmes qui surgissent dans le temps a son revers: mettre en pril la validit et lidentit de la rvlation, mme si son authenticit divine reste hors de cause. Ce dilemme a pes de tout son poids sur la propagation de la foi musulmane, sur la formation de la thologie orthodoxe, mais aussi sur llaboration du canon de la rvlation muhammadienne. Nous y reviendrons.

[31]Les rvlations sataniques

HYPERLINK \l "tdm" Retour la table des matiresSi les modifications du Coran apportes au cours de la rvlation au nom de lvolution des choses ou de la toute puissance divine ont suscit une vive raction dans lentourage immdiat du prophte, que dire alors si lon y rajoute des rvlations suscites par le Dmon, et qui, plus est, sur ordre de Dieu lui-mme? Cette complication supplmentaire apporte lidentit du Coran sest pourtant produite et fut clairement revendique: Et Nous avons tabli aussi pour chaque Prophte un ennemi: des Dmons parmi les Humains et les Djinns, qui sinspirent des paroles ornes, fallacieusement. Si Allah avait voulu, ils ne leussent point fait. (6,112) Ces Dmons (shaytn) de nature humaine ou infernale ont pour fonction dinduire en erreur le Prophte. Ils vont mme jusqu lui inspirer de fausses rvlations: Avant toi, Nous navons envoy nul Aptre et nul Prophte, sans que le Dmon jette [de fausses rvlations] conformment ses souhaits. (22,52) Le Coran se conforme-t-il ici la Bible o il est question de prophtes insenss qui suivent leur esprit et qui ont des visions illusoires et des prdictions trompeuses, eux qui disent: Oracle du Seigneur, sans que le Seigneur les ait envoys (Ezchiel 13,3 & 6)? Peut-tre. Mais il sagit ici plutt du cas de faux prophtes non suscits par Dieu. En revanche, la Bible donne lexemple de prophtes mandats par Dieu pour dire de fausses prophties. Dans une vision qua eue le prophte Miche, Dieu demanda ses anges de laider sduire Akhab, roi dIsral. Lun deux sest alors prsent devant le Seigneur et de lui dire: Cest moi qui le sduirai. Et le Seigneur lui a dit: De quelle manire? Il a rpondu: Jirai et je serai un esprit de mensonge dans la bouche de tous ses prophtes.Le Seigneur lui a dit: Tu le sduiras; dailleurs, tu en as le pouvoir. Va et fais ainsi. (1 Rois 22,21-22) Quand le Coran formule la rgle de [32] lpreuve du faux que Dieu inflige tous ses Prophtes, il sinscrit dans une tradition ancienne dont la Bible nous offre ici une remarquable illustration.Envisageons maintenant les consquences dune telle pratique sur les textes rvls. Car dans ces conditions de rvlations piges comment distinguer le vrai du faux? La rponse du Coran est plutt rassurante: Avant toi, Nous navons envoy nul Aptre et nul Prophte, sans que le Dmon jette [de fausses rvlations] selon ses souhaits.Alors, Dieu supprime (yansukhu) ce que jette le Dmon, puis Il fixe (yuhkimu) Ses signes. [Dieu procde ainsi], afin de faire de ce que jette le Dmon une tentation pour ceux au cur desquels est un mal et ceux dont le cur est dur. (22,52-53) Nous voyons bien que les rvlations sataniques sont diffuses auprs des Croyants comme le reste du message divin. Les mauvais tombent alors dans le pige qui leur est tendu, et leurs pchs sen trouvent dautant plus aggravs. Mais une fois le but atteint, Dieu procde llimination des paroles dmoniaques quIl a inspires. Mais, comment? Dieu ne le prcise pas.Lon sachemine alors vers lmergence de deux types de rvlations divines: les unes sont vraies et sres, les autres sont fausses et douteuses: Cest Lui qui a fait descendre le kitb, contenant des signes confirms (muhkam) qui sont la partie essentielle du kitb (hunna ummu al-kitb); et dautres [signes] quivoques (mutashbiht). Quant ceux qui ont le cur oblique, ils suivent ce qui est quivoque, cherchant susciter la rbellion (fitna) et linterprter. [Or], Dieu seul connat son interprtation. (3,7)Nous voyons ici clairement la similitude de la division introduite dans le texte rvl dans les trois cas que nous venons de passer en revue: 1) celui de la modification du texte; 2) celui des rvlations sataniques; et enfin, 3) celui de la nature quivoque dune partie de la rvlation. [33] Dans le premier cas, nous sommes en prsence de rvlations supprimes, contrairement celles fixes (thabbata) et qui sont conformes la Table cleste (umm al-kitb) (13,39). Or, dans le troisime cas, le texte non quivoque est dcrit comme fixe (muhkam) et reprsentant lessentiel du kitb (umm al-kitb) (3,7), ce dernier terme a t utilis dans le cas de la modification textuelle, mme sil na pas ici tout fait la mme signification. De mme que, au sujet des rvlations sataniques, la partie saine de la rvlation est dite confirme (muhkama) (littralement: fixe), terme utilis, comme nous venons de le voir, pour dcrire le texte univoque.Nous pouvons conclure de ces rapprochements que Dieu se donne le droit de supprimer une partie des paroles rvles, soit pour amliorer le texte, soit parce quelles sont dictes par le Dmon. Dautre part, la partie quivoque (les mutashbiht) est traite trangement de manire similaire la partie supprime, comme si elle tait une rvlation de qualit infrieure, destine occuper une place marginale. Quand dans le verset 13,39 que nous avons cit, Dieu conclut son propos sur sa capacit supprimer ce quIl veut de la rvlation, avec ces mots: Et Il a la Mre du kitb, ce rappel sonne comme une invite considrer comme vou la disparition ce qui ne correspond pas ce noyau dur de la rvlation. Or, les rvlations dites mutashbiht ont la mme posture que cette partie supprimer. Dailleurs, les juristes musulmans ne sy sont pas tromps, eux qui ont assimil ces rvlations quivoques aux versets abrogs. Mais cest l un autre sujet.[34]Du ct du Prophte

HYPERLINK \l "tdm" Retour la table des matiresLe Coran nous donne plusieurs reprises limage dun Prophte soumis de rudes pressions de la part de son entourage paen, juif ou chrtien, le poussant jusqu produire de fausses rvlations: En vrit, [les Ennemis] ont certes failli te dtourner de ce que Nous tavons rvl pour que tu forges quelque chose dautre contre Nous, auquel cas ils tauraient pris comme ami. Et si Nous ne tavions pas affermi, tu aurais certes failli te rapprocher deux quelque peu. [Si tu lavais fait], Nous taurions fait goter [en tourments] le double de la vie et le double de la mort, et puis, tu naurais pas trouv un alli contre Nous. (17,73-75) Ailleurs, Muhammad hsite communiquer une partie de la rvlation: Peut-tre laisses-tu de ct une partie de ce qui test rvl et es-tu, de ce fait, dans langoisse (11,12) Alors, Dieu lui intime lordre de communiquer la rvlation retenue: Aptre! communique ce qui est descendu sur toi venant de ton Seigneur. Et si tu ne le fais pas, alors tu nauras pas fait parvenir Son message. (5,67) Les ennemis essayent en effet par tous les moyens de pousser le Prophte manipuler la rvlation: Apporte une prdication autre que celle-ci, ou change-la!. Et Dieu dinciter son Prophte leur rpondre: Il ne mappartient pas de la changer de mon propre chef, et je dois me conformer ce qui ma t rvl. (10,15) Ces mmes ennemis vont jusqu prtendre la prophtie, en disant: Jai reu une rvlation, alors que rien ne leur a t rvl. Et il y a celui qui dit: Je vais faire descendre quelque chose de semblable ce qua fait descendre Allah. (6,93)Devant toutes ces pressions et provocations, le Prophte tente de rsister, avec lappui dAllah. Y parvient-il? Malheureusement, pas toujours. Les rvlations [35] sataniques, inspires par Allah, sont l pour illustrer la difficult de la tche.

Autres ambiguts du mode de la rvlation

HYPERLINK \l "tdm" Retour la table des matiresNous abordons ici un autre type de dfaillance susceptible daffecter le texte rvl, toujours selon la doctrine divine du Coran. Tout dabord la dfaillance technique dans la transmission de la rvlation par Muhammad. Allah lui explique la bonne faon de communiquer: Ne remue point ta langue, en prononant [le texte rvl], pour en hter lexpression! A Nous de le rassembler et de le rciter! Quand Nous le rcitons, suis-en la rcitation, ensuite, Nous son exposition! (75,16-19)Autre obstacle venant cette fois du Prophte: loubli. La Tradition nous rapporte une clbre relation de sa femme Asha: Le Prophte, ayant entendu quelquun rciter le Coran la Mosque, dit: Dieu fera misricorde cet homme, car il ma rappel tel et tel verset qui mont chapp dans telle et telle sourate.Bokhri, Les Traditions, III/538. Autre version: Il ma rappel un verset que jai oubli.GdQ I/47. Le Coran confirme cette possibilit doubli de la part du Prophte: Nous ne supprimons un signe (ya) ou Nous ne le faisons oublier (2,106) Cet oubli est interprt ici comme venant dAllah et dcid par lui.Autre caractristique de la rvlation qui en fait un phnomne improvis, et par voie de consquence, peu compatible avec un projet textuel prtabli, cest son lien causal avec les vnements et lhistoire quotidienne de la nouvelle communaut appele se constituer autour de son Prophte. Cest ce que la Tradition dsigne par [36] asbb al-nuzl, ou ce qui a caus les paroles rvles.Plus surprenant encore, cette Tradition a t jusqu faire de certains des compagnons du Prophte de vritables inspirateurs des textes rvls. Cest ce que nous trouvons chez un auteur comme Suyt qui y a consacr le chapitre 10 de son livre Itqn, intitul: De ce qui a t rvl dans le Coran conformment aux expressions prononces par certains Compagnons. Suyt rapporte que le compagnon qui sest le mieux illustr dans ce domaine, cest le futur Calife Umar. Son fils aurait dit: Le Coran na rien repris littralement de ce que les gens disent, sauf de Umar. Le Coran est descendu selon certaines de ses paroles.Suyt, Itqn, I/101, 401.. Mujhid aurait mme t jusqu affirmer que parfois Umar avait une vision et alors le Coran descendait selon celle-ci.Ibid., 402.. Plusieurs compilateurs de Hadths ont mentionn un dire de Anas qui rapporte que: Umar a dit: Jai t lunisson de mon Seigneur en trois occasions: 1) Jai dit: Aptre dAllah, si lon faisait du lieu de sjour dAbraham un lieu de prire? Alors, le verset est descendu: Faites du lieu de sjour dAbraham un lieu de prire (2,125); 2) et jai dit: Aptre dAllah, des gens bien et des gens moins bien frquentent tes femmes. Si tu leur ordonnais de se voiler? Alors, le verset du Voile est descendu ; 3) les femmes du Prophte se sont ligues contre lui cause dune histoire de jalousie. Je leur ai alors dit: Si daventure le Prophte vous rpudie, son Seigneur lui donnera dautres femmes meilleures que vous. Alors, un verset (66,5) est descendu dans ces mmes termes.Ibid., 403. [37]Un autre rcit, toujours selon Anas, rapporte que quand le verset: Et Nous avons cr lHomme partir dune masse dargile (23,12), Umar a dit: Bni soit Allah le meilleur des crateurs!, alors le verset 23,14 est descendu dans les mmes termesSuyt, Itqn, I/102405.. Dautres paroles de Umar auraient t reprises telles quelles dans le Coran, comme: Celui qui est ennemi dAllah, de ses Anges, de ses Aptres, de Gabriel, de Michel, [celui-l est ennemi dAllah] car Allah est ennemi des Infidles. (2,98)Ibid., 406.Dautres compagnons ont eu aussi le privilge de voir leurs paroles reproduites telles quelles dans le Coran. Ainsi, Sacd Ibn Mucdh, quand il sexclama: [Seigneur!] Gloire Toi! Ceci est une grande infamie! propos des accusations qui ont circul contre Asha, la femme du Prophte. Le verset 24,16 a alors repris textuellement cette exclamation.Ibid., 407. La mme expression a t attribue dautres comme Zayd Ibn Hritha, et Ab AyybIbid., 408..Lon rapporte aussi quau cours de la bataille dUhud, quand Muscab Ibn cUmayr fut bless, il na cess de crier: Muhammad nest quun Prophte venant aprs dautres Prophtes. Sil meurt ou sil est tu, retournerez-vous sur vos pas.; puis il mourut. Cest alors que le verset 3,144 reprit ces mmes paroles.Dans le mme ordre dides, SuytIbid., I/102-3, 411. en est venu se poser une question plus gnrale sur la vracit historique des paroles mises dans la bouche des Anges, voire mme de lentourage anonyme de lAptre de Dieu, comme dans la prire de la Ftiha, (Liminaire): ces paroles sont-elles censes tre dites rellement par ces personnages ou bien [38] seulement imagines et supposes ltreSuyt, Itqn, 411-415.? Mais cest l une question relevant davantage de la smantique et des rgles de lnonciation qui montre la pertinence et la subtilit des interrogations poses par la Tradition musulmane sur la nature du texte rvl, ce qui tmoigne dune ouverture desprit et dune libert dinterrogation dont on trouve peu de traces de nos jours...Dautre part, la Tradition nous rapporte la part des secrtaires de Muhammad dans llaboration de certains versets. Zayd ibn Thbit aurait demand Muhammad dajouter deux versets, les 4,98-99, pour exclure les impotents et les aveugles du chtiment annonc au verset 4,97 contre ceux qui ont refus dmigrer de la Mecque pour Mdine et pour combattre aux cts du ProphteGdQ I/48..De mme quil a exist auprs du Prophte des secrtaires malhonntes chargs de transcrire la rvlation. Ils ont russi se livrer des manipulations du texte sacr linsu de Muhammad. Lun deux, rest anonyme, aurait crit lAudient, le Clairvoyant la place de lAudient, lOmniscient, et inversement. Il aurait mme fait cet aveu : Jai crit auprs de Muhammad tout ce que je voulais. La Tradition rapporte qu sa mort, chaque fois que lon a essay de lenterrer, la terre na cess de le rejeterBlachre, Introduction, 13..

La totalit de la rvlation?

HYPERLINK \l "tdm" Retour la table des matiresUne des principales questions souleves trs tt au sujet de lhistoire du Coran, cest de savoir si le texte qui nous est parvenu renferme la totalit des rvlations divines rapportes par le Prophte de lislam.[39]Bien sr, un tel questionnement prsuppose tout dabord deux ordres de faits que lon doit dterminer avant toute rponse. Tout dabord, lon devrait nous interroger au sujet de la Table cleste de laquelle sont tires les rvlations: renferme-t-elle un texte dfini dans ses contours et trs prcisment dtermin dans son contenu? Rien nest moins sr. Dautre part, quen est-il du rapport de la copie son original, toujours du point de vue de la compltude ? Ici encore, les choses ne semblent pas trs claires, et ce que nous avons dit plus haut sur cette question nous incite la plus grande prudence quant la conformit de la copie rvle. Quand Dieu annonce: Aujourdhui, jai achev pour vous votre religion (5,3), il ne sagit pas de mettre un point final la rvlation dont le terme na jamais t annonc.Mais, le plus remarquable, cest la nette conscience des premiers musulmans du caractre inachev de la rvlation. Et commencer par Muhammad lui-mme. En effet, lors de son dernier plerinage la Mecque, il aurait dit: gens! Prenez [sur mon exemple] vos prescriptions lgales (cilm) avant que le cilm ne soit saisi [par lAnge de la mort], et avant que le cilm ne monte au ciel.Ibn Hanbal, Musnad, V/266. Les compagnons du Prophte se sont tonns de cette affirmation quant lincompltude de la rvlation, alors que celle-ci est cense contenir la totalit du cilm. Ils demandrent alors Muhammad: Prophte dAllah! comment se fait-il que le cilm puisse monter au ciel alors que nous sommes en possession des feuillets (mashif) [du Coran] Le Prophte, visiblement gn, rougit et leur rpondit que les juifs et les chrtiens ont eux aussi des feuillets, mais nen tiennent pas compte. En fait, par perte du cilm il faut comprendre: la perte de ses porteurs, concluent les auteurs du rcit, quelque peu [40] dubitatifs. Quoiquil en soit du degr de vracit de ce rcit, il tmoigne notre sens dune conviction quavaient les premiers musulmans, du vivant du Prophte comme aprs, de ce que la rvlation tait associe au destin de la personne du Prophte et quelle devait ncessairement tre interrompue sa mort. Anas Ibn Mlik aurait mme dit que: Dieu a poursuivi la rvlation auprs de son Prophte, du vivant de celui-ci, jusqu ce que son Prophte et reu la plus grande partie de ce quil y en avait (akthara m kna). Puis, [ce nest qu] aprs [que] lAptre dAllah est mort.Bokhri, Les Traditions, III/520. Dun point de vue purement thologique, le Coran a nonc un principe qui nie dfinitivement lide de compltude de lcrit face aux paroles inpuisables de Dieu: Dis: Si la Mer tait une encre pour crire les dcrets (kalimt) de mon Seigneur, et si mme Nous lui ajoutions une mer semblable pour la grossir, la mer serait tarie avant que ne soient taris les dcrets de mon Seigneur. (18,109) Ou encore: Si ce qui est arbre sur la terre formait des calames et si la mer grossie encore de sept autres mers [tait encre, arbres et mers spuiseraient, mais] les dcrets (kalimt) de Dieu ne spuiseraient point. (31,27) Cette image appartient sans doute une vieille tradition puisque nous la trouvons dans Jean: Jsus a fait encore bien dautres choses: si on les crivait une une, le monde entier ne pourrait, je pense, contenir les livres quon crirait. (Jean 21,25) Le Coran, comme la Bible, ne sont que gouttes deau face locan des paroles divines. Qui peut prtendre aprs cela la compltude du Coran, ou, plus encore, quil contiendrait toute la science de lunivers?

[41]Les textes perdus ou non retenus

HYPERLINK \l "tdm" Retour la table des matiresLa rvlation tait conue comme une grce, non comme une uvre. Elle ne pouvait avoir de fin. Telle fut la situation originelle. Mais du moment o lide, tardive, est ne de rassembler la totalit des paroles effectivement rvles, lon saperut trs vite quil sagissait dune entreprise totalement impossible. Bien des textes sont perdus jamais. Cest ce que le fils du Calife Umar na pu que dplorer: Personne dentre vous ne pourra dire: Jai eu le Coran dans sa totalit. Et quen sait-il de sa totalit! Beaucoup [de passages] ont disparu du Coran (qad dhahaba minhu qurnun kathrun). Mais, quil dise: Jai eu ce que nous en connaissons.Suyt, Itqn, III/66, 4117. Ces disparitions sont a priori de deux sortes. Selon la thorie de labrogation qui est apparue relativement tard dans la dogmatique musulmane, surtout avec lmergence de la thorie du droit (le fiqh), des passages du Coran ont t abrogs et limins de la rcitation. Mais il existe une autre catgorie de textes perdus au cours du difficile processus de transmission du Coran du temps de Muhammad et aprs. Cest cette dernire catgorie que le fils dUmar fait allusion dans ltonnante apostrophe quon vient de lire. Or, il nous semble que cest cette mme catgorie de textes perdus que les thoriciens du fiqh font allusion quand ils parlent du cas des textes coraniques abrogs dans leur rcitation et non dans leur pouvoir juridique (m nusikha tilwatuhu dna hukmuhu). tonnant cas dabrogation! Pour quelle raison Dieu nous prive-t-il de textes lgaux quil entend maintenir dans leur pouvoir lgislatif? Suyt a risqu cette justification: ce serait pour prouver le zle des hommes obir aux lois divines sans que ceux-ci en aient de traces visibles. Et de donner [42] lexemple dAbraham nhsitant pas sacrifier son fils ds quil en eut lordre reu par une simple visionSuyt, Itqn, III/66, 4116.. La Tradition nous a lgu de nombreux tmoignages sur la perte de textes rvls. Ainsi, Asha, la femme du Prophte, aurait dclar: La Sourate 33 des Factions (al-Ahzb) se lisait du temps du Prophte avec deux cents versets. Mais quand Uthman a crit les mashif (= a fix le canon coranique), il na pu [rassembler] que ce quelle en contient de nos jours (cest--dire: soixante-treize versets.).Ibid., 4118. Retenons ici que le Calife Uthman tait dans lincapacit de retrouver les deux tiers du chapitre en question. Dautres sourates sont signales comme ayant perdu une importante partie de leur contenu initial. Cest le cas de la sourate 24: al-Nr (la Lumire) et celui de la sourate 15: al-Hijr qui ont respectivement 64 et 99 versets, contre 100 et 190 lorigineBlachre, Introduction, 185.. De mme que la sourate 9, al-Tawba (le Repentir, mais lorigine elle portait le nom de lincipit: bara, ou Innocence) aurait t aussi longue que la sourate 2: al-Baqara (la Vache), soit 286 versets, alors quelle nen renferme actuellement que 129. Selon certains chroniqueurs, cette importante amputation de plus de la moiti du contenu original expliquerait que cette sourate ne comporte pas dans son tat actuel la formule liturgique bism allh, ou basmala, et elle est de fait la seule en tre dpourvue.Qays, K. Kashf, 21.Parmi les textes omis ou perdus, citons le clbre verset sur la lapidation des adultres: Si le vieux et la vieille forniquent, lapidez-les absolument, en chtiment de Dieu, et Dieu est puissant et sage!(idh zanay al-shaykhu wa al-shaykha, fa-rjumhum l-batta naklan min Allah, wa [43] Llhu cazzun hakm)de Prmare, Prophtisme, 108. Pour certifier lauthenticit de ce verset, la Tradition rapporte ce discours attribu au Calife Umar: Dieu a envoy Muhammad et lui a rvl le Livre; et parmi ce quil lui a rvl, il y a le verset de la lapidation. Nous lavons rcit, connu et bien compris. Et lenvoy de Dieu a lapid, et nous avons lapid aprs lui.Ibid., 107-108. Lon a aussi attribu au mme Umar cet autre versetquil aurait eu lhabitude de rciter du vivant de Muhammad: Ne vous dtournez pas de la coutume de vos pres; ce serait une impit de votre part.Suyt, Itqn, III/68, 4126. Et lon rapporte aussi ce dialogue qua eu Umar avec un compagnon au sujet dun verset cart: Umar a dit Abd al-Rahmn Ibn cAwf: Nas-tu pas trouv parmi ce qui nous a t rvl ce verset: Que vous combattiez (jhid) comme vous aviez combattu la premire fois!? Car je ne lai pas trouv! Il lui rpondit: Il a disparu (usqita) du Coran.Ibid., 4127. Lors de la bataille du bir macna, il aurait t rvl un verset mettant dans la bouche des morts tombs cette occasion ces paroles quAnas Ibn Mlik, compagnon de Muhammad, avait lhabitude de rcitercomme texte coranique: Faites savoir nos proches que nous avons rencontr notre Seigneur qui a t satisfait de nous et qui nous a satisfait. Anas conclut que ce verset a fini par retourner au ciel (hatt rufic)Ibid., 4130.. Autre texte pris par la Tradition pour une rvlation reue par Muhammad: Nous avons fait descendre la richesse (al-ml) [aux hommes] pour quils puissent faire la prire, donner le zakt (impt religieux). Et si le fils [44] dAdam avait une rivire [dargent], il en aurait voulu une autre, et sil en avait deux, il en aurait voulu une troisime. Mais le ventre du fils dAdam ne pourra se rassasier que de la terre; et Dieu ne pardonne qu celui qui samende.Suyt, Itqn, III/67, 4122. Lon attribue aussi Ab Ms al-Ashcar un verset coranique non canonique quil aurait prserv de loubli: vous qui croyez!, ne dites pas ce que vous ne faites pas, pour viter quun tmoignage soit crit contre vous et que vous en rendiez compte le Jour du Jugement.Ibid., 67-8, 4125.

Deux brves prires cartes du Coran

HYPERLINK \l "tdm" Retour la table des matiresParmi les caractristiques du corpus dUbayy, cest la prsence de deux sourates absentes du canon dUthmn. Elles seraient incluses aussi dans le corpus dIbn Abbs qui ne nous est pas parvenu. La premire porte le titre de: Le reniement (al-Khalc), dont voici le texte: Au nom dAllah, le Bienfaiteur misricordieux! 1) mon Dieu! de toi nous implorons aide et pardon! 2) Nous te louons. Nous ne te sommes pas infidles. 3) Nous renions et laissons ceux qui te scandalisent. La seconde sourate non canonique dUbayy, La Course (al-Hafd), se dcline comme suit : Au nom dAllah, le Bienfaiteur misricordieux! 1) mon Dieu! cest toi que nous adorons. 2) En ton honneur, nous prions et nous nous prosternons. 3) Vers toi nous allons et courons. 4) Nous esprons ta misricorde. 5) Nous craignons ton tourment. 6) En vrit, Ton tourment doit atteindre les Infidles.Blachre, Introduction, 189. Nous rejoignons lavis de Blachre qui constate que ces sourates apocryphes se distinguent de la Liminaire par [45] quelques nuances dans la langue et par lallure un peu molle du style. Il pense aussi quelles pourraient avoir t cartes de la recension uthmanienne du fait quelles faisaient double emploi avec la mme LiminaireBlachre, Introduction, 190.. Il est du plus grand intrt de remarquer que tandis quUbayy a inclu dans son Coran ces deux brves prires, en sus de celles de la Liminaire (Ftiha) et des deux sourates 113 et 114, Ibn Masd, quant lui, aurait rejet dans sa recension coranique non seulement les deux sourates non canoniques, mais aussi les trois prires canoniques: les 1, 113 et 114. Pourquoi daussi importantes divergences? Nous assistons sans aucun doute ici la confrontation de deux philosophies du contenu du texte coranique: un point de vue rigoriste, qui considre que la prire est un genre qui appartient en propre aux hommes et quelle doit tre tenue lcart du primtre divin. Lautre point de vue, appelons-le ouvert ou libral, considre la prire comme partie intgrante de la littrature sacrale, autorisant de ce fait son intgration dans le canon. Retenons de cette divergence deux enseignements. Dune part, il nexistait pas lpoque de Muhammad une vision bien claire de la nature du verbe divin: est-il un phnomne phontique et littral strictement codifi, ou bien une inspiration authentique, certes, mais dont laspect littral est dune importance secondaire. Dautre part, cette divergence montre aussi quel point les contours du texte coranique taient imprcis la mort du Prophte, ce qui ouvrait la voie de multiples canons possibles.[46]De linterpolation

HYPERLINK \l "tdm" Retour la table des matiresLa Tradition na jamais cach que le texte rvl a subi des interpolations quelle a fait passer pour des passages authentiques du Coran: lAnge Gabriel dictant les versets Muhammad et lui indiquant lendroit o ils doivent tre insrs, dans tel ou tel chapitre. Ce scnario mythique a t conu pour lgitimer a posteriori le travail de composition manifestement arbitraire des sourates coraniques partir de parties de textes rvls ayant une unit thmatique. Ainsi, la plupart des sourates du canon coranique actuel sont formes dagrgats de rvlations qui font delles des compositions htrognes. Ce phnomne lintrieur des sourates se trouve encore accentu par linterpolation au sein mme de chacune des parties constitutives de la sourate. Il sagit, en effet, de mots ou de phrases qui surgissent lintrieur dun dveloppement et qui sen distinguent soit au niveau de la composition, soit au niveau du sens. Ces interpolations trahissent par consquent un travail de recomposition textuelle partir dun premier jet, et constituent autant de traces dinterventions - divines ou humaines qui ne se soucient pas dtre en harmonie avec le texte initial.Le premier indice dinterpolation, cest la proportion anormale quoccupe un verset parmi les autres versets de la sourate. Ainsi, le verset (2,102) contenant des dveloppements sur la magie utilise par Salomon, et expliquant que celui-ci ne peut en tre tenu pour responsable, mais que ce sont bien plutt les anges Hrout et Mrout qui lenseignrent aux humains. Ce plaidoyer en faveur de Salomon compos dun seul verset est exceptionnellement long, huit lignes, contre une moyenne de deux lignes pour les versets courants. Il en est de mme du verset: Les Anges et lEsprit montent vers Lui au cours dun jour dont la dure est de cinquante mille ans. (70,4) [47] Celui-ci est trois fois plus long que les autres versets de la mme sourate et na pas la mme rime. Cest une interpolation qui a pu tre introduite ici en guise de glose du verset prcdent qui voque lui aussi la monte au ciel.Une autre catgorie dinterpolations consiste en la prsence dun verset, ou plus, sans lien logique avec lide dveloppe dans le texte et linterrompant. Ainsi, dans la sourate La Vache, les versets 153 162 ont pour thme des encouragements adresss aux croyants aprs un chec militaire. Or, au milieu de ce dveloppement, le verset 158 annonce subitement lautorisation du rite de lambulation entre al-Saf et al-Marw, deux stations propres au culte du plerinage la Mecque. Puis, les versets suivants reprennent le dveloppement antrieur. Le verset 3,92 annonce la ncessit de laumne, sans lien avec les dveloppements antrieurs consacrs aux chtiments promis aux diffrentes catgories dinfidles. Le verset 5,69 offre un cas particulier dinterpolation, puisquil reprend mot mot le verset 2,62. Ce verset 5,69 a t trs probablement introduit ici par mgarde, autant quil exprime une apprciation positive sur les dtenteurs de lcriture et autres croyants, alors que le contexte o il se trouve reproduit est empreint de rcriminations contre eux. Autre verset sans lien avec le contexte: le 5,109. Il est pris entre deux dveloppements: en amont, sur le testament des moribonds, et en aval, sur Jsus, alors quil est consacr la prophtologie et ce quil est demand aux prophtes le jour du Jugement.Lon se demande aussi pourquoi le bref verset 57,17 consacr lomnipotence divine a pris place dans un contexte consacr aux Hypocrites.Lon trouve aussi une srie de versets constituant une interpolation au milieu dun dveloppement consacr un thme diffrent. Ainsi, les versets 29,18-23 viennent-ils interrompre lhistoire dAbraham, pour sen prendre [48] ceux qui ne croient pas en Muhammad et dmontrer le caractre invitable du chtiment qui les attend. Ou encore les versets 36,69-70 rejetant laccusation faite au Prophte dtre un pote, et sans aucun lien avec les versets antrieurs ou postrieurs consacrs la rfutation de la croyance des Associateurs. De mme, les versets 55,7-9 introduisent le thme de la balance et de la ncessit de lquit dans les poids et mesures, et cela au beau milieu dun dveloppement sur lomnipotence de Dieu. Il est aussi remarquer que cette interpolation nest pas au dbut dun nouveau verset, mais intgre la fin du verset 55,7. Cette interpolation lintrieur dun mme verset nous la retrouvons aussi dans le verset 2,189 contenant deux dveloppements diffrents: le premier consacr aux phnomnes astraux, le second des dispositions de savoir-vivre sur la manire dentrer dans les demeures. Le verset 35,18 est compos de deux thmes diffrents, le premier sur le principe de la responsabilit individuelle, le second dterminant les destinataires des avertissements divins.Cette dernire figure dinterpolation se retrouve aussi au verset 4,164 o la phrase, Allah a clairement parl Mose, na aucun lien avec le dbut du verset ni avec les versets suivants. La phrase interpole se trouve parfois au milieu du verset, comme au 6,25 qui commence par Parmi [les Infidles], il en est qui tcoutent, et, subitement, elle enchane avec et nous avons plac sur leur cur des enveloppes afin quils ne le comprennent pas. Nous avons mis une fissure dans leurs oreilles. Sils voient quelque ya, ils ne croient pas en elle. Aprs cette interpolation, le texte reprend le dveloppement entam au dbut du verseten ces termes: Quand ensuite ils viennent toi Autre cas dinterpolation fautive lintrieur dun verset: Certes, nous avons donn lcriture Mose / ne soit donc pas en doute de le [49] rencontrer / et nous en avons fait une Direction pour les Fils dIsral. (32,23) On voit clairement cette interpolation, place ici entre deux barres, qui ne peut tre quune bribe dun dveloppement inconnu.De mme, linterjection: et il fut dit: Arrire au peuple des Injustes!, place la fin du verset 11,44, na aucun lien avec son dbut ni avec les versets suivants. Il en est de mme des versets 11,45-47 qui voquent lintercession de No en faveur de son fils, alors que celui-ci a t vou un destin fatal dans les versets antrieurs.Il existe aussi une catgorie particulire dinterpolations provenant du dplacement dun texte lintrieur du Coran. Ainsi, le verset 24,60 commence par une rgle de biensance entre croyants, en spcifiant quelle touche aussi laveugle, le boiteux et le malade. Cette prcision est de toute vidence le doublet dun autre verset, le 48,17, o elle trouve sa vritable justification, puisquil sagit dautoriser ces infirmes ne pas participer la guerre. Il sagit donc, dans 24,60, dune interpolation fautive. De mme que le verset 28,74: en ce jour o Allah les appellera, Il dira: o sont mes associs que vous prtendiez tels? na aucun lien avec les dveloppements o il est plac. Seulement, il se retrouve tel quel dans un verset antrieur de la mme sourate (28,62). Ici ce doublet est suivi de la rponse des divinits associes, incriminant leurs propres adorateurs. Autre cas de doublet, le verset 35,12 semble, comme la vu BlachreBlachre, Le Coran, 464, note 13., reprendre le thme du verset 25,53 sur les deux mers, lune douce, lautre saumtre; et, en sa deuxime partie, le thme du verset 16,14 sur lexploitation halieutique de la mer. En tout cas, ce verset 35,12 donne limpression dune interpolation qui serait justifie par lide commune aux autres versets, celle du pouvoir crateur de Dieu. Nous voyons sans doute ici sous [50] nos yeux une des techniques de la composition du texte coranique, qui tmoigne dun travail de recomposition htive.Nous pouvons galement parler de mprise dans cet autre verset: Nous avons command lHomme de faire le bien envers ses pre et mre. Sa mre la port dans la peine. Sa gestation dure et son sevrage a lieu trente mois. / Quand enfin il atteignit sa maturit, soit quarante ans, il scria: Seigneur! permets-moi de te remercier du bienfait dont tu mas combl ainsi que mon pre! () (46,15) Lon voit bien ici que la deuxime partie de ce verset concerne un personnage particulier, non identifi, alors que son dbut aborde le thme gnral des tapes du dveloppement de ltre humain. De quel personnage sagit-il ici? Le verset 27,19 permet, dy rpondreBlachre, Le Coran, 534, note 14. avec quasi certitude: A ces propos, Salomon sourit et dit: Seigneur! permets-moi de te remercier du bienfait dont tu mas combl ainsi que mon pre () Nous voyons bien ici que lauteur du verset 46,15 ignore lidentit du personnage dont il est question dans la deuxime partie du verset qui commence par: Quand, enfin, il atteignit sa maturit () Il a mme cru quil sagissait dun propos gnral sur les humains, ce qui lautorisait laccoler, comme une suite logique, la premire partie du verset. Cette mprise est manifestement du plus grand intrt pour lhistoire du texte coranique. Peut-on en dduire que cette interpolation fautive a t commise par quelquun dautre que le Prophte? En toute logique, nous pensons que oui. Car il est difficile de concevoir que Muhammad ait laiss autoriser une telle mprise. Celle-ci ne pouvait provenir que de quelquun qui navait pas une frquentation suffisante des textes rvls. Signalons un autre cas de ce type dinterpolation fautive. Au milieu du rcit de Mose affrontant les [51] magiciens de Pharaon, surgit un versetsans lien avec le contexte. Il fait seulement suite cette phrase du verset 27,10 : Devant Moi, les Envoys ne sauraient avoir peur. Suit cette interpolation: Except ceux qui ont t injustes puis ont substitu du bien du mal, car Je suis absoluteur et misricordieux. (27,11) Il est clair que ce dernier verset ne saurait concerner les Envoys, mais des pcheurs dont le rcit se trouve ailleurs. L aussi, le compositeur de cette sourate a commis une mprise qui tmoigne sans doute dune prcipitation dans son travail, ou peut-tre dune ngligence justifie par les conditions techniques dans lesquelles il a travaill.Il existe aussi des gloses pour prciser, expliquer ou ajouter des dveloppements non prvus lors de la premire rdaction. Ainsi, le long verset 7,157 introduit dans le discours adress par Dieu Mose lide de la venue de Muhammad et la ncessit dy croire. Cest une addition qui tmoigne du processus de lgitimation au moyen du cycle prophtique.Lon peut aussi tre daccord avec BlachreBlachre, Le Coran, 500, note 37. pour considrer que la premire phrase du verset 40,35: ceux qui disputent sur les ya dAllah sans quaucune probation leur soit venue, est une interpolation visant expliquer la dernire phrase du verset prcdent: Ainsi Allah gare celui qui est impie et sceptique (murtb). De mme que dans le verset: Dieu - ainsi que les Anges et les Possesseurs du Savoir rvl - atteste que / il nest de divinit que lui / il pratique lquit, [lui dont on doit dire qu] il nest de divinit que lui, le Puissant, le sage. (3,18) Nous sommes ici en prsence dune interpolation de lexpression en apposition / il nest de divinit que lui / dont lemplacement correct est juste aprs Dieu, et non aprs la proposition que. Ajouter cela le fait que cette partie interpole constitue [52] un doublet lintrieur du mme verset. Il est clair que le rdacteur de cette version coranique a fait montre dun certain zle dans la glorification de Dieu, sans se soucier des impratifs grammaticaux ou stylistiques de la phrase. Ce qui est en tout cas sr, cest que ce verset a subi linterpolation dun doublet plac un mauvais endroit.Le verset 2,177 dfinit la bont pieuse en deux temps. Dabord en affirmant quelle ne rside pas dans la pratique formelle du culte, mais dans la foi et la pratique de laumne. Ensuite, cette bont serait le propre de ceux qui honorent leurs engagements et ceux qui font montre de patience face ladversit. Il est clair que la deuxime dfinition a t surajoute la premire, probablement par dplacement. Nous retrouvons ce mme phnomne de cumul lintrieur du mme verset 2,187 qui commence par autoriser les rapports sexuels la rupture du jene, puis dfinit les limites de la journe du jene, et enfin, annonce linterdiction davoir des rapports sexuels lintrieur de la Mosque Sacre. Ces dispositions se terminent par cette conclusion: Voil les lois (hudd) dAllah. Ne vous en approchez point pour les transgresser! Ainsi Allah expose ses ya aux Hommes, esprant peut-tre quils seront pieux. La dernire disposition sur linterdiction des rapports sexuels lintrieur de la Kaaba - qui est une pratique orientale ancienne - montre que ce verset a t compos aprs la prise de la Mecque en janvier 630. Les deux premires dispositions pourraient avoir t rvles en premier. Limpression qui se dgage de cette composition, cest que ces trois dispositions rituelles ont en commun soit le thme du jene, soit celui de la sexualit. Sans doute que la premire disposition cumulant les deux thmes a autoris le rdacteur de ce verset y associer les deux autres lois qui abordent chacune un de ces thmes. Nous voyons bien quil sagit ici dun travail de composition soucieux de lordre thmatique. Mais cet [53] ordre, on le voit, na pas t jusquau bout de sa logique, car il est rest grev par le cumul de deux thmes. Le verset que nous allons citer illustre parfaitement un cas dinterpolation au milieu dune phrase incidente place entre une question et une rponse: Les Impies nont pas mesur Allah sa vraie mesure quand ils ont dit: Allah na rien fait descendre sur un mortel. Demande-leur: qui a fait descendre lcriture apporte par Mose comme Lumire et Direction pour les Hommes? / Vous la mettez en rouleaux de parchemin dont vous montrez [peu] et cachez beaucoup. On vous a enseign ce que vous ne saviez point ni vous ni vos anctres. / Dis: Cest Allah. Puis, laissez-les se jouer en leur discussion. (6,91) Il est remarquable que Ibn Kathr, Ibn Amir et Ubayy donnent la phrase interpole la troisime personne: Ils la mettent Blachre en conclut une addition postrieure lmigration MdineBlachre, Le Coran, 162, note 91.. Nous pensons comme Blachre que la variante dUbayy constitue une tentative dharmonisation avec le dbut du verset. Cette variante a probablement vu le jour aprs la mort du Prophte. Autre exemple daddition servant de complment dinformation, le verset 52,21 faisant promesse aux hommes pieux quau Paradis ils seront en compagnie de leurs enfants. Ce verset, plus long que les autres, rompt le rythme de ces derniers. Il semble donc rpondre une proccupation exprime aprs la rvlation de la promesse paradisiaque. Il reste un autre type dinterpolation possible: celui qui introduit une drogation une rgle ou un jugement. Ainsi, la condamnation des potes: De mme les potes sont suivis par les Errants. Ne vois-tu point quen chaque valle ils divaguent et disent ce quils ne font point? / Exception faite de ceux qui ont cru, ont accompli des uvres pies, ont beaucoup invoqu Allah et qui [54] bnficient de notre aide aprs avoir t traits injustement. Ceux qui sont injustes sauront vers quel destin ils se tournent./ (26,224-226 // 227-228) Il est hors de doute que lexception dont bnficient les potes pieux introduite ici est une interpolation tardive, venant rformer un jugement radical port contre les potes en tant que tels. Cela se comprend dautant plus facilement que Muhammad sest ralli certains potes vers la fin de son apostolat, dont le plus clbre est Hassn Ibn Thbit. De mme que la condamnation la Ghenne des Convertis mecquois qui ont refus de suivre le Prophte dans son migration Mdine se trouve nuance dans ces deux versets: Exception faite pour les hommes, les femmes, les enfants abaisss [sur la terre], ne pouvant user dexpdients et ne se dirigeant pas dans le vrai chemin. Peut-tre Allah effacera-t-il [la faute de ceux-l]. Allah est effaceur et absoluteur. (4,98) Lintroduction de cette longue phrase incidente montre quil sagit dune interpolation tardive: la nuance apporte nayant pu se trouver dans le texte de la condamnation du verset 4,97. De mme que quand le Coran a cit Abraham aux nouveaux croyants musulmans en guise dexemple de ceux qui ont rompu radicalement avec leur milieu familial, le mme verset a introduit cette interpolation: Sauf en la parole dAbraham adresse son pre: Certes, je demanderai pardon pour toi, alors que je ne possde rien pour toi, lgard dAllah. Il est clair quil sagit dune mise au point la suite sans doute dune objection faite par lentourage prophtique, rappelant lpisode o Abraham a intercd en faveur de son pre.La rgle nonce aux versets 24,27-28 sur linterdiction faite aux croyants de pntrer chez des trangers sans leur autorisation ou quand ils sont absents se trouve nuance au verset suivant par cette drogation: Il nest pas de grief vous faire dentrer dans des demeures inhabites o se [55] trouve un objet vous appartenant. Allah sait ce que vous divulguez et ce que vous celez. (24,29)Cette interpolation drogative finit parfois par enlever la rgle sa vritable raison dtre: Par recherche de ce quoffre la vie immdiate, ne forcez pas vos esclaves la prostitution, au cas o elles auraient fait un vu de chastet! Quiconque les force, alors Dieu, aprs quelles ont t forces, sera absoluteur et misricordieux. (24,33) Nous voyons bien que la seconde phrase vient nuancer la condamnation des proxntes indlicats vis--vis des filles forces se prostituer. Tout compte fait, ce dlit a t pratiquement absout aprs avoir t condamn dans un premier temps. De mme que linterdiction de prendre des Infidles comme affilis (awliy) sest trouve contourne par cet ajout : moins que vous ne craigniez deux quelque fait redoutable (3,28).Il en est de mme de ceux qui ont reni leur nouvelle foi. Leur rcompense sera que sabatte sur eux la maldiction dAllah, des Anges et des Hommes tous ensemble, maldiction quils subiront, immortels, sans que le Tourment soit allg pour eux ni quil leur soit donn dattendre. (3,87-88) Or, aprs cette condamnation svre et sans appel, le Coran introduit subitement cette drogation: Exception sera faite pour ceux qui, aprs cela, seront revenus de leur faute et qui se seront rforms. Allah, en effet, est absoluteur et misricordieux. (3,89) Cette nuance ne peut avoir t formule au moment de la rvlation des versets vengeurs contre les Apostats. Seuls des impratifs ns de nouveaux rapports de force ont pu imposer un tel rajustement de dernire minute.[56]

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Le Coran est-il authentique?

Chapitre 2

Les composantes du Coran

Les Versets: invention tardive

HYPERLINK \l "tdm" Retour la table des matiresLe phnomne de linterpolation que nous venons de voir luvre tout au long de ces derniers dveloppements nous a fait dcouvrir le verset en tant quunit textuelle de base du Coran. Il est temps de dcouvrir son histoire, car il en a une, et elle est intressante pour comprendre lhistoire du texte coranique.La notion de verset ne devrait pas poser de problmes historiques. Cest du moins lavis de la doctrine orthodoxe musulmane qui sest occupe dtudier la question de lordre des versets sans sinterroger sur leur origine. Pourtant, la division du texte coranique en versets ne se trouve effectue que partiellement dans les plus anciens manuscrits coraniques connus, dits hdjaziens, comme [58] ceux de la Bibliothque nationale de Paris portant les n 328 ou 326 o la division a t introduite aprs coupBlachre, Introduction, 100.. Cest pour des raisons essentiellement liturgiques que lon procda la division du texte sacr en versets. Notre source la plus prcieuse pour en savoir davantage est comme souvent : le Coran. Or, celui-ci parle de ya, qui est un emprunt lhbreu, mais dans un sens tout autre que celui qui a fini par dsigner la division textuelle des chapitres du Coran. Le terme ya, employ 382 fois dans le Coran, dsigne essentiellement un signe divin, qui peut tre un phnomne miraculeux, un dcret, ou toute autre manifestation de la volont et de la puissance divines. Parmi ces signes se trouve en bonne place le texte rvl par Allah et communiqu ses prophtes. Cest ainsi que le Coran dsigne la rvlation par ya, quoique souvent au pluriel: Certes, Allah a t gracieux envers les Croyants quand Il a envoy, parmi eux, un Aptre issu deux qui leur communique Ses ya (yatl calayhim ytihi), les purifie (3,164) Mose aussi a t envoy [ Pharaon] avec des ya et un pouvoir vident (40,23). On le voit, ce terme de yaest trs important pour comprendre la nature et lessence du texte rvl: cest dabord et avant tout un signe divin, et de ce fait, il commande la foi en lui et lobissance aux commandements qui y sont formuls. Tel est donc le sens coranique de ya, qui va dsigner rapidement, aprs la mort de Muhammad, une subdivision des chapitres coraniques. De texte rvl, en tant que signe divin, ya a t rduit une simple unit de division textuelle, un verset. Le critre de la division en versets repose dans la priode mecquoise sur le style, lassonance et la rime. Cet effet de style a t pris par la Tradit