Le conte et la théorie

7
II. Kleine Beiträge Harold Neemann, Laramie, Wyoming Le conte et la théorie Lorsqu’il y a dix ans j’ai décidé de me consacrer à l’étude du conte de fées, je me suis trouvé un peu perdu devant les vastes dimensions du corpus des contes et surtout devant l’étendue des recherches sur le conte. Mais alors que la richesse du conte m’a amené à explorer la complexité des récits, la multitude d’études critiques qui se sont emparées du conte au vingtième siècle m’a d’abord d’autant plus frappé que la plupart des approches théoriques, auxquel- les les contes ne servent que d’illustration, m’ont semblé assez réductrices. Et pourtant, à mesure je m’intéressais de plus en plus au phénomène du conte merveilleux du dix-septième siècle, les recherches théoriques éveillaient davan- tage ma curiosité. J’étais avant tout curieux de savoir à quel point les résultats de ces recherches me permettraient de mieux comprendre le conte dans son en- semble. Bien que toute étude théorique du conte puisse, en principe, contri- buer à éclairer quelque caractéristique du genre du conte de fées d’un nouveau jour, en particulier les grandes théories ne tiennent compte que de tels aspects qui se révèlent utiles à telle ou telle approche. Ce qui m’a intrigué le plus, c’est que de même que le conte merveilleux constitue un phénomène littéraire et socio-culturel du dix-septième siècle, le genre sert d’objet d’étude à divers théoriciens du récit de nos jours, tels Genette 1 et Bremond 2 , parmi d’autres. Examiner le conte merveilleux dans cette perspective exige qu’on se fraye un chemin à travers toute une série de paradoxes. Par exemple, les auteurs des contes littéraires du dix-septième siècle ont bien puisé leurs sources dans le folk- lore sans toutefois admirer le peuple. Alors qu’ils cherchaient à recréer la sim- plicité rustique des contes populaires, ces auteurs s’efforçaient de rendre les ré- cits plus raffinés dans le but de les adapter au goût de leur public mondain. De plus, bien que les contes n’aient presque jamais été reconnus comme genre lit- téraire, la théorie critique contemporaine les considère comme un microuni- vers narratif plein de significations et même comme modèle de récits plus com- 1 Genette, Gérard: Figures III. Paris 1972. 2 Bremond, Claude: Le Message narratif. In: Communications 4 (1964) 4–32; id.: Les Bons récompensés et les méchants punis: morphologie du conte merveilleux français. In: Sémiotique narrative textuelle. éd. C. Chabrol/S. Alexandrescu. Paris 1973; id.: Le Meccano du conte. In: Magazine littéraire 150 (1979) 14–18. Fabula 42. Band (2001) Heft 3/4 Brought to you by | Heinrich Heine Universität Düsseldorf Authenticated | 134.99.128.41 Download Date | 12/13/13 4:34 AM

Transcript of Le conte et la théorie

Page 1: Le conte et la théorie

Le conte et la théorie 297

II. Kleine Beiträge

H a r o l d N e e m a n n , L a r a m i e , W y o m i n g

Le conte et la théorie

Lorsqu’il y a dix ans j’ai décidé de me consacrer à l’étude du conte de fées, jeme suis trouvé un peu perdu devant les vastes dimensions du corpus des conteset surtout devant l’étendue des recherches sur le conte. Mais alors que larichesse du conte m’a amené à explorer la complexité des récits , la multituded’études critiques qui se sont emparées du conte au vingtième siècle m’ad’abord d’autant plus frappé que la plupart des approches théoriques, auxquel-les les contes ne servent que d’illustration, m’ont semblé assez réductrices. Etpourtant, à mesure je m’intéressais de plus en plus au phénomène du contemerveilleux du dix-septième siècle, les recherches théoriques éveillaient davan-tage ma curiosité. J’étais avant tout curieux de savoir à quel point les résultatsde ces recherches me permettraient de mieux comprendre le conte dans son en-semble. Bien que toute étude théorique du conte puisse, en principe, contri-buer à éclairer quelque caractéristique du genre du conte de fées d’un nouveaujour, en particulier les grandes théories ne tiennent compte que de tels aspectsqui se révèlent utiles à telle ou telle approche. Ce qui m’a intrigué le plus, c’estque de même que le conte merveilleux constitue un phénomène littéraire etsocio-culturel du dix-septième siècle, le genre sert d’objet d’étude à diversthéoriciens du récit de nos jours, tels Genette1 et Bremond2, parmi d’autres.

Examiner le conte merveilleux dans cette perspective exige qu’on se fraye unchemin à travers toute une série de paradoxes. Par exemple, les auteurs descontes littéraires du dix-septième siècle ont bien puisé leurs sources dans le folk-lore sans toutefois admirer le peuple. Alors qu’ils cherchaient à recréer la sim-plicité rustique des contes populaires, ces auteurs s’efforçaient de rendre les ré-cits plus raffinés dans le but de les adapter au goût de leur public mondain. Deplus, bien que les contes n’aient presque jamais été reconnus comme genre lit-téraire, la théorie critique contemporaine les considère comme un microuni-vers narratif plein de significations et même comme modèle de récits plus com-

1 Genette, Gérard: Figures III. Paris 1972.2 Bremond, Claude: Le Message narratif. In: Communications 4 (1964) 4–32; id.: Les

Bons récompensés et les méchants punis: morphologie du conte merveilleux français.In: Sémiotique narrative textuelle. éd. C. Chabrol/S. Alexandrescu. Paris 1973; id.:Le Meccano du conte. In: Magazine littéraire 150 (1979) 14–18.

Fabula 42. Band (2001) Heft 3/4

Brought to you by | Heinrich Heine Universität DüsseldorfAuthenticated | 134.99.128.41

Download Date | 12/13/13 4:34 AM

Page 2: Le conte et la théorie

298 Harold Neemann

plexes. Et en tant que récits qui auraient été écrits pour enfants, les contespopulaires et littéraires étaient en fait destinées aux adultes.

Tous ces paradoxes tiennent à la façon particulière dont les auteurs mondainsdu dix-septième siècle ont défini le genre du conte de fées littéraire. Autrementdit, l’idée que l’on se fait du conte de nos jours peut se rattacher au phénomènelittéraire et socio-culturel du dix-septième siècle. Notons, à titre d’exemple, lafaçon subtile et efficace dont Perrault imite certains aspects des récits populai-res tout en dissimulant, avec adresse, les modifications littéraires qu’il y ap-porte. Le style simple de Perrault témoigne d’une simplicité qui n’a en fait riende naïf et dont l’auteur calcule habilement tous les effets. De plus, le caractèrepuéril de bien des contes de Mlle Lhéritier et d’autres conteuses des dix-sep-tième et dix-huitième siècles provient de la tendance à imposer une pseudo-oralité aux récits . Dans le but d’amuser un public mondain et adulte, les au-teurs des contes «jouent à mimer la puérilité»3. Il s’agit donc d’une naïveté af-fichée et d’une fausse puérilité. Cette conception du conte de fées en tant querécit simple, naïf, sinon puéril, destiné aux enfants, qui de nos jours est plusrépandue que jamais, est étroitement liée au phénomène de la mode du contede fées de cette époque-là. Car la notion de conte merveilleux telle qu’elle semanifeste alors influencera beaucoup la production, la réception et l’étudedu conte au cours des siècles à venir, y inclus les fameux travaux des frèresGrimm.

En tant que genre complexe, dont les caractéristiques se composent d’élé-ments littéraires, folkloriques, mythologiques et culturels , le conte merveilleuxsuscite l’intérêt et attire l’attention des chercheurs de différentes disciplines in-tellectuelles depuis près d’un siècle. En effet, le genre est souvent l’objet denombreuses approches théoriques. Les récits servent d’une sorte de champd’expérimentation à diverses écoles de théorie littéraire, culturelle et sociale.Les recherches théoriques sur le conte s’étendent de la critique littéraire tradi-tionnelle à la morphologie, du folklore à la psychanalyse, de l’anthropologie àl’histoire des idées et des mentalités, du structuralisme à la narratologie et à lasémiotique. Fait révélateur, depuis longtemps les spécialistes de conte voientcependant se dessiner une tendance à profiter des récits de façon à émettre telleou telle théorie à laquelle le conte sert de simple illustration. Car bien des étu-des semblent s’efforcer de faire correspondre, à tout prix, un conte quelconqueau schéma conceptuel établi d’avance sans toutefois examiner le conte dans sonensemble et souvent sans tenir aucun compte du récit même. La plupart de cesrecherches semblent d’ailleurs mettre l’accent sur des aspects particuliers serapportant à tel ou tel domaine sans aller au-delà des limites de la discipline in-tellectuelle dont il s’agit. En effet, beaucoup d’approches théoriques négligentde tenir compte des méthodes développées dans d’autres domaines. Les dé-fauts des études monolithiques montrent d’autant plus qu’il est nécessaire

3 Velay-Vallantin, Catherine: L’histoire des contes. Paris 1992, 30.

Brought to you by | Heinrich Heine Universität DüsseldorfAuthenticated | 134.99.128.41

Download Date | 12/13/13 4:34 AM

Page 3: Le conte et la théorie

Le conte et la théorie 299

d’étudier le genre du conte de fées dans toute sa complexité. Comme les re-cherches théoriques sur les contes merveilleux n’ont pas encore réussi à appré-cier entièrement les récits ni à incorporer la multitude de résultats qui peuventcontribuer à mieux faire comprendre les textes, il faut les aborder dans un es-prit pluridisciplinaire.

Pour revenir à la façon dont beaucoup de théoriciens se servent de contes,voici quelques exemples d’approches:

(1) Dans son étude The Great Cat Massacre4, Robert Darnton consacre unchapitre aux ‹contes paysans› qu’il étudie uniquement dans la perspective del’histoire des mentalités. Ainsi cherche-t-il à découvrir ce qu’il appelle ‹la cos-mologie du peuple› à l’aide d’une approche qui consiste à mettre en évidence lamanière dont les petites gens organisaient mentalement la réalité de leur mondeet celle dont cette réalité se traduit dans leurs récits . En particulier, il se sert decette approche dans le but de scruter divers modes de penser dans la France dudix-huitième siècle. Tout en avouant que la mentalité des petites gens de ce siè-cle-là semble impénétrable, Darnton maintient qu’il est possible de débrouillerle système de signification peu familier inhérent aux documents anciens aux-quels il a recours (c’est-à-dire des versions populaires des contes mis par écrit ily a plusieurs siècles) en étudiant les contes dans le contexte de la période enquestion.

Ce qui fait problème, cependant, c’est que l’étude de Darnton est non sansdéfauts d’ordre méthodologique. C’est que l’auteur s’appuie sur différents ré-cits publiés à plusieurs siècles d’intervalle et il n’examine plusieurs contes qued’après des traductions anglaises. De plus, Darnton ne tient qu’insuffisammentcompte des influences littéraires sur la production des contes populaires. Cetteméthode me semble donc assez inadéquate pour pénéter la mentalité des peti-tes gens de l’époque. Et pourtant, Darnton conclut que, parce que les contespopulaires français célèbrent les exploits du héros rusé, ces contes témoignentd’autant plus de la façon rusée dont les petites gens faisaient face à leur réalitéque, d’après lui, la tricherie, c’est-à-dire le système D, fait encore de nos jourspartie de l’état d’esprit bien français . Certes, Darnton réussit à montrer que lescontes populaires révèlent des vestiges de la vie sous l’Ancien Régime. Mais ilreste à savoir à quel point l’analyse des contes permet vraiment de réconstruirele monde des idées d’une culture orale disparue dans une société paysanne dudix-huitième siècle.

(2) Quant à l’analyse morphologique, c’est l’exemple d’une approche quicherche de force à faire entrer tout conte de fées dans un modèle théorique. LaMorphologie du conte de Propp5 a déclenché tout un mouvement structuralistequi a mené à des recherches narratologiques, auxquelles les travaux structura-listes et formalistes ont fourni les bases théoriques. Les études structurales duconte ont ainsi ouvert la voie à de nouvelles méthodes d’analyse qui, en adap-

4 Darnton, Robert: The Great Cat Massacre. New York 1984, 9–75.5 Propp, Vladimir: Morphologie du conte. Paris 1965.

Brought to you by | Heinrich Heine Universität DüsseldorfAuthenticated | 134.99.128.41

Download Date | 12/13/13 4:34 AM

Page 4: Le conte et la théorie

300 Harold Neemann

tant et en retravaillant le modèle de Propp, ont permis de l’étendre à des récitstrès différents du conte.

Mais bien que son étude ait amené beaucoup de progrès dans le domaine de lanarratologie, la méthode d’approche de Propp est loin d’être sans défauts.Comme l’ont bien prouvé Claude Bremond et Jean Verrier, «Propp est embar-rassé par une série d’éléments, essentiels à l’intrigue du conte, et que son analysene peut intégrer»6. Ainsi voit-on se dessiner une tendance chez Propp à réduirecertaines séquences des contes. Il choisit exprès, pour des raisons techniques etidéologiques, de ne pas tenir compte de telle ou telle variante qui ne correspondpas à son modèle. Propp prend donc des libertés considérables avec les récits. Ilarrive assez souvent que la séquence propprienne se révèle inadéquate à la di-versité des intrigues des contes. Bremond et Verrier ont bien montré que lescontes analysés par Propp ne se laissent réduire à la séquence propprienne qu’aurisque de mutiler les textes. Propp semble donc avoir retouché son étude théo-rique afin de justifier des caractéristiques ‹gênantes› des contes.

En somme, Propp s’efforce d’imposer sa grille d’analyse à tout un corpus descontes, ce qui semble en effet une vaine tentative, d’autant plus qu’elle ne sau-rait pas tenir compte de toute la diversité des intrigues. Certes, il faut recon-naître le mérite de Propp d’avoir mis en évidence les éléments fonctionnels duconte. Mais une telle approche purement morphologique tend trop à réduire lastructure de n’importe quel conte à une séquence de fonctions et à ne faireaucun cas de la richesse sémantique du genre.

(3) Malheureusement, beaucoup de disciples de Freud n’ont pas écouté leurmaître lorsque celui-ci leur déconseillait de se fier à la constance des valeurssymboliques. Car, à y regarder de près, bien des études psychanalytiques surles contes témoignent d’une approche qui repose sur la théorie d’un symbo-lisme humain universel. Une telle façon d’aborder les symboles narratifs révèlecependant le plus souvent que l’argumentation manque de preuves textuelles.Prenons l’exemple suivant: il est certes permis de rattacher la couleur rouge àla notion de menstruation, mais le texte même du Petit Chaperon rouge ne vientpas corroborer une telle hypothèse7. De plus, une interprétation qui part duconcept de symboles invariables ne tient aucun compte du processus complexede la transmission orale ni des influences littéraires ou socio-culturelles qu’ontsubies les récits .

Partant du principe qu’il y a analogie entre le travail du rêve et celui du texte,l’interprétation psychanalytique d’un conte présuppose un récit élaboré à par-tir du fantasme d’un sujet imaginaire. Il est important de se rendre compte decette méthode d’approche pour comprendre la façon dont certains critiques

6 Bremond, Claude/Verrier, Jean: Afanassiev et Propp. In: Littérature 45 (1982) 61–78,ici 66.

7 voir Holbek, Bengt: Interpretation of Fairy Tales. Danish Folklore in a European Per-spective (FF Communications 239). Helsinki 1987, 266sq.; cf. Fromm, Erich: TheForgotten Language. New York 1951, 240sq.

Brought to you by | Heinrich Heine Universität DüsseldorfAuthenticated | 134.99.128.41

Download Date | 12/13/13 4:34 AM

Page 5: Le conte et la théorie

Le conte et la théorie 301

freudiens interprètent le conte de La Belle au bois dormant comme le rêve d’unejeune fille à l’âge prépubère. Car cette méthode permet d’interpréter le longsommeil du personnage fictif comme un fantasme de fuite provoqué par le sur-moi sévère en réponse aux premières expériences érotiques de la fille. Seloncette approche, le conte a pour fonction d’établir un compromis entre le sur-moi du sujet et les exigences du ça, qui mène à une fin heureuse8. Mais une telleinterprétation gagnerait à tenir compte des influences socio-culturelles sur laproduction des contes. Car et la version de Perrault et celle des frères Grimmreflètent l’attitude restrictive envers la sexualité féminine de la part de l’aristo-cratie française du dix-septième siècle et de la bourgeoisie allemande du dix-neuvième siècle.

Alors que cette analyse de La Belle au bois dormant nous semble encore assezraisonnable, regardons, à titre d’exemple, l’interprétation du conte de Blanche-Neige. D’après J.F. Grant Duff, le récit constitue le rêve d’une jeune fille qui selivre à des fantasmes sur le pénis de son père, symbolisé par les sept nains9.Cette lecture réductrice témoigne d’une analyse prédéterminée selon laquellece conte est bâti sur une version de l’histoire d’Œdipe, sans se soucier le moinsdu monde du texte même. Ce n’en est en fait qu’une des nombreuses tentativesde faire correspondre un conte au schéma œdipien. Certes, une telle manièred’aborder un conte peut aboutir à des interprétations fascinantes, sinonconvaincantes. Mais en analysant l’inconscient des sujets fictifs , une telle ap-proche tend à rapprocher tout conte de la problématique de l’Œdipe. Si inté-ressantes que soient de telles interprétations, elles se révèlent le plus souventincomplètes dans la mesure où elles ont tendance à isoler des caractéristiquesfaciles à faire entrer dans la matrice conceptuelle préconçue. Heureusement, ily a d’autres critiques, tels Jean Bellemin-Noël10 et François Flahaut11, dont l’ap-proche psychanalytique est beaucoup plus profonde et fructueuse.

Selon les psychanalystes jungiens, le conte présente des personnages et des ac-tions qui correspondent à des phénomènes psychiques archétypaux. Commechaque conte est une mise en scène de l’acquisition du soi, le héros du conte re-présente le complexe du moi idéal en harmonie avec les exigences du soi. Vu lerôle que joue le conteur dans la création du conte, il semble pourtant difficiled’accepter l’hypothèse jungienne que les contes soient des émanations sponta-nées de l’inconscient. Car cette hypothèse présuppose que les contes de féesconstituent des œuvres d’art créées par des conteurs individuels de façon indé-pendante de la tradition. Mais alors que chaque conteur contribue à la créationdes récits, tout conte doit autant à la tradition qu’à chaque récitation particulière.

8 Bornstein, Steff: Das Märchen von Dornröschen in psychoanalytischer Darstellung.In: Imago 19 (1933) 505–517.

9 Duff, J.F. Grant: Schneewittchen. Versuch einer psychoanalytischen Darstellung. In:Imago 20 (1934) 95–103.

10 Bellemin-Noël, Jean: Les contes et leurs fantasmes. Paris 1983.11 Flahaut, François: L’interprétation des contes. Paris 1988.

Brought to you by | Heinrich Heine Universität DüsseldorfAuthenticated | 134.99.128.41

Download Date | 12/13/13 4:34 AM

Page 6: Le conte et la théorie

302 Harold Neemann

Ces réflexions sur quelques interprétations réductrices n’ont point pour butde rejeter tout approche théorique. Bien au contraire, nous avons vu à quelpoint le conte se prête à diverses approches critiques. Quant à l’analyse mor-phologique du conte, par exemple, malgré ses défauts elle entre pour beaucoupdans l’étude structurale et fonctionnelle du genre. Il est cependant permis dedouter que le modèle morphologique de Propp sache vraiment tenir compte dela diversité des intrigues de la multitude de contes. C’est pourquoi toute ap-proche est en principe valable pourvu qu’elle mette le conte même au premierplan des recherches et que le récit ne serve pas simplement à illustrer telle outelle théorie.

Si différentes que soient les approches, elles peuvent toutes contribuer, d’unefaçon ou d’une autre, à enrichir nos connaissances du conte à condition quenous abordions le grand nombre d’études théoriques avec une distance critique.Certes, aucune interprétation n’est exempte de défauts, mais dans une cer-taine mesure toutes les recherches sur le conte constituent un apport àl’étude du genre. Comme il s’agit de récits à la fois simples et complexes, leschercheurs ne peuvent que profiter de la diversité des approches. Avec certai-nes réserves bien entendu, toute approche critique est susceptible de mieuxfaire comprendre un certain aspect du vaste champ d’investigation. Considé-rons, par exemple, les contes de fées littéraires du dix-septième siècle dont lesauteurs puisaient leurs thèmes d’inspiration dans la tradition orale. Etantdonné que le conte merveilleux mêle le plus souvent des motifs oraux et litté-raires, le genre appartient autant au domaine de la littérature qu’à celui du folk-lore. Voilà pourquoi les recherches folkloriques s’avèrent utiles à toute ana-lyse du conte. Et pourtant, quant aux contes de fées qui datent de l’èreclassique, il ne faut pas oublier que nous avons affaire à des textes écrits . Ilconvient sans doute d’incorporer les résultats de différentes recherches sur leconte dans notre interprétation. La critique littéraire part néanmoins du prin-cipe qu’il s’agit en premier lieu de récits écrits et, par conséquent, de produc-tions littéraires qu’il faut étudier en tant que telles tout en tenant compte desrésultats des recherches dans d’autres domaines.

Ce qui mérite d’être souligné, cependant, c’est qu’après avoir servi d’objetexpérimental aux auteurs mondains du dix-septième siècle, le conte est devenuen quelque sorte un champ d’investigation théorique au vingtième siècle. Demême que les auteurs des contes merveilleux expérimentaient un nouveaugenre, leurs contes constituent un champ d’expérimentation dont profitent denombreux théoriciens de notre époque.

Résumé

Cet article nous donne une impression de la façon dont l’auteur aborde les contes mer-veilleux en mettant en évidence les rapports entre le phénomène littéraire et socio-cultu-rel fort paradoxal du dix-septième siècle et le phénomène critique de notre époque où leconte sert d’objet d’étude à de nombreux théoriciens du récit. L’idée que nous nous fai-

Brought to you by | Heinrich Heine Universität DüsseldorfAuthenticated | 134.99.128.41

Download Date | 12/13/13 4:34 AM

Page 7: Le conte et la théorie

Le conte et la théorie 303

sons du conte tient beaucoup à la manière particulière dont Perrault et d’autres auteursmondains ont défini le genre du conte de fées littéraire à l’ère classique. En même temps,la multitude d’analyses théoriques qui se sont emparées des récits ont beaucoup influencéla notion du conte de fées telle qu’elle se manifeste de nos jours. De même que le contemerveilleux constituait un objet expérimental dont profitaient les auteurs ‹modernes› enexpérimentant un nouveau genre, et à qui les récits servaient de simple illustration pen-dant la Querelle des Anciens et des Modernes, leurs contes servent d’une sorte de champd’expérimentation à diverses écoles de théorie littéraire, culturelle et sociale aux ving-tième et vingtetunième siècles.

Abstract

This article provides some insight into the ways in which the author analyzes the contemerveilleux both as a seventeenth-century socio-cultural and literary phenomenon markedby several paradoxes, as well as a subject of twentieth century international scholar-ship. Our contemporary understanding of the fairy tale is largely predicated on the sub-tle and skillful construction of the literary genre as developed by Perrault and hiscontemporaries. At the same time, the multiplicity of theoretical analyses to which thenarratives have been subjected have informed our notion of fairy tale. Just as the classicalFrench authors appropriated the tales as an example and a tool in arguing the modernistcause, while experimenting with a new genre, their narratives have become an object ofexperimentation for various schools of literary, social and cultural studies in the twen-tieth and twenty-first centuries.

Zusammenfassung

Der Artikel vermittelt einen Einblick in die Untersuchungen des Autors zum ‹conte mer-veilleux› als soziokulturelles und literarisches Phänomen des 17. Jahrhunderts mit all sei-nen Widersprüchen sowie als Gegenstand literaturwissenschaftlicher Abhandlungen des20. Jahrhunderts. Unsere heutige Vorstellung vom Märchen beruht zum großen Teil aufder subtilen und kunstvollen Konzeption der von Perrault und seinen Zeitgenoss(inn)enentwickelten literarischen Gattung. Gleichzeitig wird unser Märchenverständnis voneiner Vielzahl theoretischer Erkenntnisse beeinflußt. Während die ‹contes› des ‹GrandSiècle› im Rahmen der ‹Querelle des Anciens et des Modernes› den Vertretern der ‹Mo-dernen› als Versuchsobjekt und als Mittel zur Veranschaulichung ihrer Literaturauffas-sung dienten, ist das Märchen in den letzten siebzig Jahren ein Forschungsfeld für Lite-ratur-, Sozial- und Kulturwissenschaftler geworden.

Brought to you by | Heinrich Heine Universität DüsseldorfAuthenticated | 134.99.128.41

Download Date | 12/13/13 4:34 AM