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Sociopedia.isa © 2010 The Author(s) © 2010 ISA (Editorial Arrangement of Sociopedia.isa) Michel Wieviorka, 2010, ‘Le conflit social’, Sociopedia.isa, DOI: 10.1177/205684601055 1 Le conflit social au cœur de la vie collective ? De nombreuses approches des sciences sociales insis- tent sur la totalité que constitue une société, sur son unité politique que l’Etat peut souvent incarner, sur son unité culturelle et historique à laquelle renvoie couramment l’idée de Nation. Elles s’intéressent aussi à la communauté que constitue une société, au lien social, à l’intégration de ses membres, à leur socialisa- tion. Elles peuvent encore décrire la société comme un ensemble stratifié de couches sociales, image que com- plète l’idée de mobilité sociale, ascendante ou ascen- dante. Le propre de ces diverses approches est de minimiser ou d’ignorer le conflit, c’est-à-dire la rela- tion antagonique entre deux ou plusieurs acteurs. Dans leurs variantes les plus extrêmes, et les plus idéologiques, ces approches vont jusqu’à réduire la vie sociale à la quête de l’ « harmonie », comme on le constate dans certains textes de la sociologie chinoise contemporaine, d’inspiration confucéenne. D’autres approches, au contraire, placent la lutte au cœur de l’analyse de la vie sociale. Les plus radicales en proposent alors des représentations social-darwin- istes ou spencériennes. Et sans emprunter nécessaire- ment cette voie, certaines analyses n’hésitent pas à développer l’idée d’ethnies ou de races en conflit, comme chez Ludwig Gumplowicz (1883) qui parlait de la « lutte des races ». Et en refusant d’épouser l’un ou l’autre de ces deux types de visions, du moins dans ce qu’elles présentent de plus extrême, en choisissant de se tenir à distance aussi bien des approches qui nient ou minimisent le conflit que de celles qui valorisent la concurrence et le « struggle for life », il est possible de repérer une tradi- tion sociologique, relativement diversifiée, qui s’efforce de donner une place importante au concept de conflit. C’est ainsi que Randall Collins, « the strongest contemporary advocate of conflict theory » (Anderson, 2007 : 662) a pu parler d’une « conflict tradition » allant de Machiavel et Hobbes à Marx et Weber (Collins, 1975). Machiavel et Hobbes, à le suivre, ont ouvert la voie en s’intéressant aux luttes pour le pouvoir. Et Marx, toujours selon Randall Collins, a proposé un ensemble de principes qui apporteraient les bases d’une « conflict theory of stra- tification » – ce qui est une formulation très dis- cutable. Car s’il est arrivé à Karl Marx de décrire la société comme faite d’un empilement stratifié de classes sociales (jusqu’à sept dans Les luttes de classe en France – Marx distingue alors l’aristocratie financière, Le conflit social Michel Wieviorka l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, France résumé De nombreuses approches en sciences sociales ou bien refusent ou minimisent l’importance du conflit dans la vie collective ou bien y substituent une vision spencérienne de la lutte sociale. Entre ces deux extrêmes, il existe un vaste espace pour envisager le conflit comme une relation, ce qui le distingue des conduites de guerre et de rupture. La sociologie propose diverses manières de distinguer des modalités variées de conflit social. La question n’est pas seulement théorique, elle est aussi empirique et historique : ne sommes-nous pas passés, dans un certain nombre de pays au moins, de l’ère industrielle dominée par un conflit social structurel opposant le mouvement ouvrier aux maîtres du travail à une ère nouvelle dominée par d’autres types de conflits aux orientations nettement plus culturelles ? Quel que soit le type d’analyse, la notion même de conflit doit être nettement distinguée de celle de crise même si concrètement les deux coexistent dans la réalité sociale. mots-clés action conflit social crise lutte de classes mouvements sociaux violence

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Sociopedia.isa© 2010 The Author(s)

© 2010 ISA (Editorial Arrangement of Sociopedia.isa)Michel Wieviorka, 2010, ‘Le conflit social’, Sociopedia.isa, DOI: 10.1177/205684601055

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Le conflit social au cœur de la vie collective ?

De nombreuses approches des sciences sociales insis-tent sur la totalité que constitue une société, sur sonunité politique que l’Etat peut souvent incarner, surson unité culturelle et historique à laquelle renvoiecouramment l’idée de Nation. Elles s’intéressent aussià la communauté que constitue une société, au liensocial, à l’intégration de ses membres, à leur socialisa-tion. Elles peuvent encore décrire la société comme unensemble stratifié de couches sociales, image que com-plète l’idée de mobilité sociale, ascendante ou ascen-dante. Le propre de ces diverses approches est deminimiser ou d’ignorer le conflit, c’est-à-dire la rela-tion antagonique entre deux ou plusieurs acteurs.Dans leurs variantes les plus extrêmes, et les plusidéologiques, ces approches vont jusqu’à réduire la viesociale à la quête de l’ « harmonie », comme on leconstate dans certains textes de la sociologie chinoisecontemporaine, d’inspiration confucéenne. D’autres approches, au contraire, placent la lutte

au cœur de l’analyse de la vie sociale. Les plus radicalesen proposent alors des représentations social-darwin-istes ou spencériennes. Et sans emprunter nécessaire-ment cette voie, certaines analyses n’hésitent pas àdévelopper l’idée d’ethnies ou de races en conflit,

comme chez Ludwig Gumplowicz (1883) qui parlaitde la « lutte des races ». Et en refusant d’épouser l’un ou l’autre de ces deux

types de visions, du moins dans ce qu’elles présententde plus extrême, en choisissant de se tenir à distanceaussi bien des approches qui nient ou minimisent leconflit que de celles qui valorisent la concurrence et le« struggle for life », il est possible de repérer une tradi-tion sociologique, relativement diversifiée, qui s’efforce de donner une place importante au conceptde conflit. C’est ainsi que Randall Collins, « thestrongest contemporary advocate of conflict theory »(Anderson, 2007 : 662) a pu parler d’une « conflicttradition » allant de Machiavel et Hobbes à Marx etWeber (Collins, 1975). Machiavel et Hobbes, à lesuivre, ont ouvert la voie en s’intéressant aux luttespour le pouvoir. Et Marx, toujours selon RandallCollins, a proposé un ensemble de principes quiapporteraient les bases d’une « conflict theory of stra -tification » – ce qui est une formulation très dis-cutable. Car s’il est arrivé à Karl Marx de décrire lasociété comme faite d’un empilement stratifié declasses sociales (jusqu’à sept dans Les luttes de classe enFrance – Marx distingue alors l’aristocratie financière,

Le conflit socialMichel Wieviorka l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, France

résumé De nombreuses approches en sciences sociales ou bien refusent ou minimisent l’importance duconflit dans la vie collective ou bien y substituent une vision spencérienne de la lutte sociale. Entre cesdeux extrêmes, il existe un vaste espace pour envisager le conflit comme une relation, ce qui le distinguedes conduites de guerre et de rupture. La sociologie propose diverses manières de distinguer des modalitésvariées de conflit social. La question n’est pas seulement théorique, elle est aussi empirique et historique :ne sommes-nous pas passés, dans un certain nombre de pays au moins, de l’ère industrielle dominée parun conflit social structurel opposant le mouvement ouvrier aux maîtres du travail à une ère nouvelledominée par d’autres types de conflits aux orientations nettement plus culturelles ? Quel que soit le typed’analyse, la notion même de conflit doit être nettement distinguée de celle de crise même si concrètementles deux coexistent dans la réalité sociale.

mots-clés action ◆ conflit social ◆ crise ◆ lutte de classes ◆ mouvements sociaux ◆ violence

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la bourgeoisie financière, la bourgeoisie com-merçante, la petite bourgeoisie, la paysannerie, leprolétariat, le lumpenprolétariat), il a surtout parléde lutte de classes et d’un conflit central propre auxsociétés capitalistes où s’opposent le prolétariatouvrier et les maîtres du travail. L’idée de stratification sociale fait de la société

une juxtaposition de couches sociales, elle ne nousdit rien d’une éventuelle relation conflictuelle entreelles, elle est éloignée de l’idée d’antagonisme, deconflit, et bien plus proche de celle de mobilité,ascendante ou descendante, les individus étant alorsdéfinis en fonction de leur appartenance à unecouche et de leur maintien, ou de leur sortie de cettecouche, par le haut ou par le bas. Il est néanmoinspossible de passer de l’idée de stratification à celle deconflit, en considérant que la première exprime lesecond et que sous les strates sociales on trouve desacteurs pris dans des relations de domination. C’estainsi que la sociologie marxiste (Poulantzas, 1977)des années 60 et 70 a parfois décrit les sociétés con-crètes en considérant différentes couches sociales, cequi renvoie à une pensée de la stratification, tout ens’interrogeant sur la place de telle ou telle couche, lapetite bourgeoisie par exemple, dans la polarisationconflictuelle entre classe ouvrière et capital.De son côté, toujours selon Randall Collins, Max

Weber aurait souligné l’existence de multiples divi-sions de classe et mis l’accent sur le contrôle desmoyens matériels de violence. La littérature sociologique des années 60 et 70 a

fréquemment opposé les conceptions du conflit chezMarx et chez Weber. Ainsi, Marx met le conflit pro-prement social, la lutte des classes, au cœur de la viecollective, là où Weber s’intéresse davantage àd’autres formes de lutte, religieuses, ethniques parexemple. Marx s’intéresse à la propriété des moyensde production et à l’exploitation du prolétariat ouvri-er, là où Weber s’intéresse plutôt à la bureaucratie età la rationalisation de la société. Marx croit conce -vable une société débarrassée du conflit une foisassurée l’émancipation du prolétariat ouvrier, Weberest sceptique, et ne croit pas à la disparition du con-flit, etc.Certaines approches considèrent donc qu’une

société est d’autant mieux intégrée qu’elle saitempêcher ou minimiser le conflit social, tandis qued’autres postulent au contraire, comme chez Marx,qu’il constitue le moteur de la vie sociale – pour lui,l’histoire des sociétés, en général, est celle des luttesde classes, et s’il s’est intéressé en priorité aux sociétésindustrielles, son mode d’approche vaut aussi pourles sociétés marchandes ou paysannes : « l’histoire detoute société jusqu’à nos jours n’a jamais été quel’histoire de la lutte de classes », écrit-il dans leManifeste du Parti communiste (1848).

La plupart des penseurs sociaux qui traitent duconflit en font une catégorie qui comporte desdimensions normatives, ou qui incluent un juge-ment de valeur. D’un côté, certains, sans en nierl’exis tence et s’aveugler sur sa réalité empirique, ouhistorique, y voient un élément négatif, une patholo-gie. Il en est ainsi, notamment, pour Talcott Parsons,et pour bien d’autres sociologues s’inscrivant ou nondans sa ligne fonctionnaliste : « Parsons, écrit LewisCoser, was led to view conflict as having primarilydisruptive, dissociating and dysfunctional conse-quences. Parsons considers conflict primarily a ‘dis-ease’ » (Coser, 1956 : 21) ; on peut penser égalementqu’un des pères fondateurs de la sociologie, EmileDurkheim, était plus sensible aux dimensionsinquiétantes du conflit, qu’à sa capacité à contribuerau progrès ou à l’intégration sociale. Et d’un autrecôté, d’autres sociologues font du conflit sinon unélément positif, un facteur de progrès et dedynamisme, du moins une forme normale de la viesociale, un type d’interaction assurant le change-ment, ou bien encore le fonctionnement de lasociété. Cette remarque permet de préciser les bornes qui

délimitent l’espace du concept de conflit. A uneextrémité, la place du conflit est limitée, et jugée entermes négatifs, par ceux qui, d’Emile Durkheim àTalcott Parsons, s’intéressent à la société définieavant tout comme un ensemble intégré de normes,de rôles et de valeurs ; et à une autre extrémité,lorsque la société est analysée comme la résultantenécessairement changeante de la concurrence et deluttes sans merci aboutissant à une sélectionnaturelle, il n’y a pas davantage de place pour le con-flit, et bien plutôt pour des conduites de prédation,de violence, de guerre civile ou de rupture – la pen-sée de Herbert Spencer, ou le darwinisme social nerelèvent pas d’une théorie du conflit social.Un auteur particulièrement important, ici, est

Georg Simmel, qui avec ce thème du conflit exerçaune profonde influence sur la sociologie américaine,qu’il s’agisse de Robert Park et des sociologues dits deChicago ou, plus tard, de Lewis Coser, qui s’en estinspiré pour proposer une théorie fonctionnaliste duconflit et en souligner les diverses fonctions, et lesvaleurs positives : le conflit, pour Lewis Coser, assurele maintien d’un groupe, sa cohésion, à l’intérieurdes frontières qui sont les siennes, il empêche quecertains de ses membres ne le quittent, il « may con-tribute to the maintenance, adjustment or adapta-tion of social relationships and social structures »(Coser, 1956 : 151).Georg Simmel a proposé une analyse originale du

conflit, puisque d’un côté, il le place au cœur de lavie sociale, et que d’un autre côté, il y voit une sourcefondamentale d’unité de la société, et même il le

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valorise en expliquant qu’il contribue à la sociali -sation des individus, et à la régulation de la vie collective : « une fois que le conflit a éclaté … il esten fait un mouvement de protection contre le dua -lisme qui sépare, et une voie qui mènera à une sorted’unité … » (Simmel, 1992 : 19). L’idée de conflit peut être associée à celle de pou-

voir et, à la limite, à celle de coercition. Elle devientalors distincte de l’idée de sociabilité, elle signifie queles êtres humains sont sociables, mais sont aussi capa-bles de s’opposer entre eux, d’entrer en lutte. Le con-flit dans cette perspective est ce qu’il advient lorsqueles intérêts d’individus ou de groupes sont antago-niques, et qu’ils s’opposent pour le statut ou le pou-voir. Les participants au conflit sont ici sensibles auxémotions, un thème récemment renouvelé parRandall Collins, pour qui la violence tend à être del’ordre de la communication émotionnelle (Collins,2008), en même temps que capables de poursuivrerationnellement leurs objectifs, ils mobilisent desressources pour tenter de parvenir à leurs fins, ils nedeviennent pas pour autant chacun un loup face àd’autres loups, comme chez Hobbes décrivant l’étatde nature – « homo homini lupus » –, ils sont dansdes logiques de relation, et non de destruction et desurvie.

Le conflit comme rapport

Car le conflit n’est pas l’affrontement irréductibleentre des ennemis, ce n’est pas un jeu à somme nulleoù ce qui est gagné par l’un est perdu l’autre. C’estun rapport entre des adversaires qui partagent cer-taines références culturelles, c’est, dit Simmel, « unesynthèse d’éléments, un contre autrui qu’il fautranger avec un pour autrui sous un seul conceptsupérieur » (Simmel, 1992 : 20). Le conflit n’est pasdavantage la crise, qui constitue une situation àlaquelle les individus et les groupes réagissent, et nonun rapport entre acteurs. Le conflit n’est pas nécessairement violent, mais il

peut l’être, et les relations entre violence et conflitappellent d’être précisées : un conflit peut comporterdans certaines phases des aspects violents, mais si laviolence dure, s’installe, ou bien si elle perd toutecapacité à être avant tout instrumentale, et donc con-trôlée et limitée, alors, elle mine nécessairement leconflit, l’entraîne vers d’autres logiques, de pure rup-ture, de terrorisme. De plus, la violence propre à unconflit, même extrême, n’empêche pas des formestacites d’accord ou de modération de coexister avecelle. Dans un livre classique, par exemple, ThomasSchelling signale que des messages qui commu-niquent un appel à la fin du conflit peuvent prendrel’allure d’une violence brutale et extrême – les

bombes atomiques larguées sur Nagasaki etHiroshima par l’aviation américaine pendant laSeconde Guerre mondiale sont aussi des messagesqui indiquent bien qu’une certaine communication,donc une relation, n’est pas exclue. Pour d’autresillustrations de ce phénomène, voir Diego Gambetta(2009) ou Martin Sanchez Jankowsky (1991) quidémontre comment les gangs de rues plus ou moinsviolents adressent des messages à des gangs rivaux, àla police ou aux responsables politiques.Pour qu’il y ait conflit, il faut qu’il y ait un champ

d’action, à l’intérieur duquel peut se nouer le rapportentre adversaires, il faut autrement dit, qu’il y ait toutà la fois unité du champ, et autonomie des acteurs.Ce champ, cet espace commun fait que les enjeux duconflit sont reconnus par les acteurs en opposition,qui luttent pour contrôler les mêmes ressources, lesmêmes valeurs, le même pouvoir. Georg Simmelillustre bien ce point précis, en racontant commentun conflit a opposé les ouvriers et les brasseries berli-noises en 1894, les premiers boycottant les secondes.Cette lutte violente menée « des deux côtés avec ladernière énergie, mais sans aucune haine person-nelle » n’a pas empêché qu’en « plein milieu du con-flit, deux des leaders ont même exposé dans la mêmerevue leur opinion … tous deux présentant objec-tivement les faits, et donc tout à fait d’accord, nedivergeant que dans les conséquences pratiques, cha-cun selon son parti » (Simmel, 1992 : 55). Plus systématiquement, il ne peut y avoir conflit

que si trois éléments sont présents : un champ ou desenjeux qui sont les mêmes pour les acteurs, cequ’Alain Touraine (1974) a appelé un principe detotalité ; un principe d’opposition, dans lequel cha-cun se définit par rapport à un adversaire ; et unprincipe d’identité, dans lequel chacun se définit lui-même. De ce point de vue, parler pour la sociétéindustrielle de classes sociales et de rapports de classes, dans une perspective pouvant se réclamer deKarl Marx, c’est parler en termes de conflit. Il y abien un principe de totalité, puisque les acteurs enprésence entendent chacun pour leur part piloter lasociété, contrôler l’usage qui est fait de la produc-tion ; un principe d’opposition, puisque prolétariatet capital se vivent comme des adversaires (et noncomme des ennemis qu’il faudrait supprimerphysiquement) ; et un principe d’identité, car cha-cun, peut-on penser, est susceptible d’avoir une con-science sociale, pour les uns ouvrière, pour les autrespatronale ou entrepreneuriale – un point largementdébattu, en parti culier par d’importants penseursmarxistes, tel Georg Lukacs (1960).La sociologie du conflit, si elle doit envisager les

possibilités d’escalade, mais aussi celles de la bureau-cratisation ou de la juridification, se prolonge aisé-ment par la philosophie politique du consensus,

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c’est-à-dire de l’effort pour résoudre le conflit. Sansremonter à Platon, qui s’efforce, dans La République,de définir la façon dont l’Etat idéal pourrait élimi nertout conflit, citons plutôt Jürgen Habermas qui acherché à cerner les conditions d’une éthique de ladiscussion démocratique (2003). Sur un autre regis -tre, il s’est constitué une activité pratique dénommé« conflict resolution » qui constitue un immensechamp à la fois académique et professionnel et sedonne pour finalité d’éliminer les sources du conflitdans toute sorte de domaines : dans la vie familiale,professionnelle, en politique, en géo-politique, avecalors des efforts pour gérer des différends intercul-turels et faire du « peacebuilding ». Le propre de laplupart de ces divers efforts est de tenter d’impliquerun tiers entre les parties en conflit, de façon à créerune médiation rendant possible la sortie du conflitpar la négociation, en aidant à construire des com-munautés conscientes d’elles-mêmes, en faisantpreuve de pédagogie, en faisant apparaître l’intérêtpartagé des parties pour une solution « win-win »,etc. (Bercovitch et al., 2009 ; Deutsch et al., 2000 ;Sandole et al., 2009). Par ailleurs, la sociologie duconflit a beaucoup à gagner à tenir compte desinnombrables travaux de psychologie sociale qui étu-dient, notamment, la façon dont les groupes enopposition se renforcent ou s’affaiblissent dans le conflit, le jeu entre le « in-group » et le « out-group » ; les études d’Henry Tajfel par exemple sontparticulièrement intéressantes (1981). Mais l’évolu-tion d’un conflit n’est pas nécessairement sa résolu-tion plus ou moins harmonieuse, il peut y avoir aussides tendances accrues à la violence. Et un conflitpeut fort bien connaître des phases distinctes, lesunes plus proches de la résolution négociée, les autresmarquées par l’escalade.Ces remarques nous conduisent à préciser ce que

n’est pas le conflit social.Le conflit n’est pas la guerre, qui renvoie, selon la

terminologie de Carl Schmitt, à un monde faituniquement d’amis et d’ennemis, et où des commu-nautés sont unifiées par une opposition externe àd’autres communautés susceptibles de constituer lesunes pour les autres une menace radicale – tout lecontraire d’une relation où l’on peut débattre etnégocier. Mais la guerre peut constituer le prolonge-ment ou la perversion d’un conflit social, le moyenpar exemple, pour une élite dirigeante, ou pour uneclasse économique dominante de transformer desdifficultés dans leur traitement des problèmes so -ciaux et politiques internes en une mobilisation con-tre un ennemi externe. Tout au long de la Guerrefroide, les idéologues des deux camps ont présentéleur opposition en termes de conflit de classe, lesEtats-Unis étant décrits dans le camp soviétiquecomme une puissance impérialiste au service du

capitalisme, l’Union soviétique apparaissant symétri -quement pour le camp américain comme un ennemidu progrès qu’est supposée apporter l’éco nomie capi -taliste.Le conflit n’est pas davantage facilement

réductible à la notion de concurrence, un thèmelonguement discuté par Georg Simmel, pour qui laconcurrence constitue une forme particulière de con-flit/consensus, et, souvent, un conflit indirect, ouparallèle, dans lequel les acteurs ont la même finalité,partagent les mêmes enjeux, mais sans s’opposerdirectement ou nécessairement. Mais la concurrencen’implique aucune relation sociale et c’est pourquoion peut admettre, finalement, qu’elle opère dans desespaces distincts de ceux du conflit social.

Les différents types de conflit social

La sociologie, directement ou indirectement, pro-pose plusieurs façons de distinguer divers types oumodalités de conflit social. Les unes reposent sur unehiérarchie, allant du conflit le plus élevé, dans sesenjeux, jusqu’à ses expressions les plus limitées. C’estainsi que dans des perspectives qui doivent beaucoupà Karl Marx, la lutte des classes apparaît chez denombreux penseurs sociaux comme la forme la plushaute du conflit, la plus centrale, la plus détermi-nante. De ce point de vue, bien des luttes concrètespeuvent inclure cette dimension, tout en en compor-tant d’autres, elles peuvent par exemple conjuguerdes revendications de bas niveau de projet, desdemandes destinées à modifier le rapport entre con-tribution et rétribution en faveur des protagonistesde l’action, une pression de type politique, pour quechange la législation sur un point précis par exemple,et l’affirmation d’une visée historique ou d’uneutopie qui, elles, relèvent directement du conflit declasses. De même, et toujours de ce point de vue, ilest possible de lire certaines conduites à la lumière del’hypothèse d’un conflit de classe, même si elles n’enincluent que de faibles aspects, et semblent joueravant tout à un autre niveau, politique, ou bienencore organisationnel par exemple. Ainsi, la sociologie des organisations, quand elle

reconnaît l’importance du conflit, s’est ainsi asseznettement partagée, dans les années 60 et 70, entretrois grands modes d’approche. D’une part, un pointde vue marxiste, ou marxisant, voit dans les conflitsorganisationnels au sein d’une entreprise, d’uneinstitution, d’une administration, d’un hôpital, etc.,la traduction ou l’expression, à un niveau limité, del’opposition majeure entre le mouvement ouvrier etles maîtres du travail, et s’efforce finalement de dé -celer, derrière les tensions internes à l’organisationconcernée, une visée historique, l’appel à un autre

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type de société. D’autre part, dans une perspectivequi doit plus à Max Weber, des sociologues commeRalph Dahrendorf (1959), tout en conservant levocabulaire des classes sociales, se sont attachéssurtout à analyser la façon dont l’autorité, dans uneorganisation, structure les relations entre dirigeantset dirigés. Les conflits sociaux, dans cette perspective,mettent en jeu la répartition de l’autorité, ils aboutis-sent à la modifier, ou au contraire à la maintenir.Enfin, une vaste littérature aborde les conflits organ-isationnels en s’installant à leur niveau, et sanschercher à considérer des dimensions qui lesdépasseraient. Le conflit, dans cette troisième pers -pective, ne met pas en cause les orientations plusgénérales de la vie collective, celles qui font qu’au-delà de l’appartenance à une organisation, au-delà deleurs intérêts, les individus et les groupes peuventêtre définis par leur lutte pour le contrôle pour lamaîtrise de l’accumulation, pour la direction de laproduction, pour la définition des modèles culturelset cognitifs, et peuvent se reconnaître dans des con-tre-projets. Il n’y a aucune raison de trancher a priori entre

ces familles d’approche, qui ne s’excluent pas néces-sairement : dans la pratique, le conflit organisation-nel en lui-même ne débouche pas nécessairement surla structuration de rapports sociaux plus larges ouplus importants – ce qui n’exclut évidemment pasqu’il puisse être majeur, susciter de fortes tensionsinternes, et qu’il puisse, éventuellement, s’inscriredans des projets ou des utopies allant jusqu’à mettreen cause le type général de société. Une deuxième façon de distinguer entre divers

types de conflits consiste à s’intéresser non plus tantà leur niveau ou à leur importance relative, mais auregistre principal de significations de chacun d’eux.Dans une perspective qui doit beaucoup à MaxWeber, il s’agira ici, avant tout, de refuser l’idée d’unprimat et presque d’un monopole de la lutte desclasses, et donc d’une conception proprement socialedu conflit, enraciné alors dans les rapports de travailet dans la production, pour mettre en avant l’exis-tence de conflits religieux, culturels, ethniques, voireraciaux. Ce qui pose un important problème théorique : si

le concept de conflit implique l’existence d’unchamp commun, d’un espace où les protagonistessont susceptibles de dialoguer, de négocier, s’ilimplique une relation antagonique, est-il possible d’yrecourir s’il s’agit de tensions entre ensembles cul-turels, religieux, ethniques, voire racialisés ? Carlorsque les identités qui définissent de tels ensemblescessent d’être sociales, stricto sensu, c’est-à-direqu’elles ne sont pas liées au travail, au revenu, à l’ac-cès à la consommation, au logement, à l’éducation,etc., alors, elles impliquent vite la non-relation, l’ab-

sence de champ commun, de possibilité de négocia-tion ou de débat. Une appartenance culturelle,religieuse, ethnique, raciale (nous laissons ici de côtéle débat sur la pertinence sociologique du vocabu-laire de l’ethnie et de la race, qui sont des catégoriestoujours susceptibles d’ouvrir la voie au racisme)n’est guère négociable, elle ne se discute pas, les indi-vidus sont dedans, ou dehors. S’il peut y avoir unegrande diversité de modalités de contact, voire decoexistence entre identités, l’hypothèse de la relationantagonique contrôlée cède vite la place aux réalitésde la guerre, des conduites de violence ou de rupture,s’il s’agit pour elles de leur rapport avec l’extérieur, età celles de la recherche de la cohésion et de la puretéen leur sein. En ce sens, le conflit est éloigné de l’ap-pel à la distance la plus grande possible du groupeavec les autres groupes, et de la recherche de à sonhomogénéité. Il ne peut être confondu avec la xéno-phobie et le racisme, même si, dans l’expérience con-crète des acteurs en conflit, de telles tendancespeuvent être observées. C’est pourquoi l’idée de con-flit ethnique, ou racial, est si fortement contestable,même si elle anime de nombreuses recherches, dontcertaines ont abouti à des ouvrages « classiques » oude référence (Horowitz, 1985 ; Van den Berghe,1965). Car cette famille de « conflits » constitue enfait des non-rapports sociaux, des non-relations, ellerepose ou débouche sur des pratiques de rejet, d’ex-clusion, de ségrégation ou de discrimination d’où lasociété concernée sort non pas par des négociationsou des débats entre « races » ou « ethnies », mais biendavantage par un dépassement que le Présidentaméricain Barack Obama a appelé « post racial ». Le« conflit », ici, dans les démocraties tout du moins,n’est pas « racial », il n’est pas entre « races » ou « ethnies », il oppose plutôt ceux qui entendentmettre fin au racisme et aux discriminations, et ceuxqui les tolèrent, les acceptent ou en tirent profit. Un troisième mode d’approche consiste à consi -

dérer que dans une société, les principaux conflitsont pour horizon le pouvoir d’Etat, l’accès au sys-tème politique, au pouvoir. La politique constitue unespace privilégié de conflits, surtout lorsqu’elle estreprésentative, et que les acteurs sont l’expression deforces sociales, culturelles, religieuses, ethniques ouautres. Elle est d’abord le lieu où il faut combiner lesdeux modes d’analyse sociologique qui viennentd’être évoqués. Car d’un côté, la représentation poli-tique s’organise en fonction du poids relatif desdemandes et des attentes sociales, ce qui renvoie aupremier de ces deux modes d’approche, et à la hiérar-chie des conflits qui existent dans la société con-cernée : par exemple, dans les sociétés industrielles,le conflit opposant le mouvement ouvrier auxmaîtres du travail se retrouve dans la structurationdes partis politiques, la gauche incarnant plutôt le

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premier, la droite les seconds – même si les études desociologie électorale, ou bien encore l’analyse deSeymour Martin Lipset sur l’autoritarisme de laclasse ouvrière (1959) ont souvent mis en cause l’idéetrop simpliste d’une correspondance directe, du con-flit social à la représentation politique. Et d’un autrecôté, la représentation politique ne fait pas le tri, etelle tient compte de toutes les réalités qui peuventexister, sociales stricto sensu, mais aussi culturelles,religieuses ou ethniques. La sociologie dite « de la mobilisation des

ressources » (Oberschall, 1996 ; Tilly, 1978), qui apris son essor aux Etats-Unis à partir des années1960, dans un contexte politique général où il s’agis-sait, précisément, de redécouvrir le conflit dans l’his-toire et la société américaine privilégie ce niveaupolitique, et donc l’idée que les acteurs qu’elle étudieont pour principal objectif, à travers leurs mobilisa-tions, d’accéder à ce niveau, de s’y maintenir et d’yaccroître leur influence relative. C’est pourquoi elles’intéresse en priorité aux calculs ou à la stratégie desacteurs en conflit, à leur capacité de mobiliser de l’ar-gent, des réseaux, des solidarités en vue de parvenir àleurs fins.La politique, enfin, constitue en elle-même un

espace conflictuel, au sein duquel des acteurs luttentnon seulement parce qu’ils représentent des forces oudes intérêts sociaux, culturels, religieux ou autres,mais en fonction de logiques propres d’action, avec,peut-on penser, une certaine autonomie par rapportà d’autres champs ou niveaux de la vie collective.Mais notons que ce point a toujours été largementdébattu dans les sciences sociales et politiques, l’idéed’une autonomie, même relative, du politique étantrejetée par ceux qui font de l’Etat, et du jeu desacteurs politiques et des partis l’expression directe dedemandes et d’attentes économiques. Par exemple,l’Etat constituerait dans cette perspective, et selon laformule célèbre de Friedrich Engels, le Conseil d’ad-ministration de la bourgeoisie, et non une entitécapable de poursuivre ses propres intérêts.

La place du conflit de classes

La place du conflit social dans la sociologie estéminemment variable dans le temps et dans l’espace,et elle varie d’abord en fonction des réalités mêmes.Dans certains contextes, le conflit proprement social,celui qui, dans les sociétés industrielles, s’enracinedans le travail et les rapports de production et qui seprolonge à propos de la redistribution ou de la con-sommation ou dans l’espace urbain, occupe uneplace importante et suscite de nombreuses recher cheset d’importants débats sociologiques. Il en a été ainsi,en particulier, dans plusieurs pays d’Europe lors des

trente années consécutives à la fin de la SecondeGuerre mondiale, lorsque la reconstruction et ledéveloppement ont donné à voir une puissante classeouvrière, avec des syndicats et des partis politiquesjouant un rôle considérable. Lors de la même pé riode, la sociologie américaine accordait unemoins grande place au conflit social, entre autresraisons du fait qu’il n’avait pas la même acuité qu’enEurope, du moins par rapport à d’autres enjeux, àcommencer par la question des droits civiques. Defaçon générale, si, aux Etats-Unis, une tradition illus-trée notamment par Robert Park, comme le rappelleLewis Coser dans l’introduction de The Functions ofSocial Conflict, a tenté de faire du conflit social unthème central, porté en particulier par des projets deréforme, la domination intellectuelle du fonctionna -lisme parsonien, jusqu’au milieu des années 60, asigni fié la faiblesse des approches valorisant le conflit,jusqu’au moment où de nouvelles luttes lui ontredonné une place non négligeable, en même tempsqu’elles venaient signifier, comme l’a écrit AlvinGouldner, la crise de la sociologie occidentale – c’est-à-dire parsonienne (1970). Mais ces luttes, après lemouvement pour les droits civiques des années 50 etdu début des années 60, n’étaient pas spécifiquementouvrières, elles étaient plus politiques, contre laguerre au Vietnam, ou visant à mettre fin à la ségré-gation raciale, et contre-culturelles ou bien encoreétudiantes, que « sociales » au sens classique de l’ad-jectif. Toujours est-il que l’essor de la « conflict socio -logy » aux Etats-Unis avec notamment ReinhardBendix (1966), est corrélative du début du déclin dufonctionnalisme parsonien, « les conflits n’ont jamaisété centraux pour Parsons et ses épigones » (Joas etKnöbl, 2009 : 176). De même, au Royaume-Uni, lathéorie sociologique du conflit telle qu’elle estdéveloppée par des auteurs connus comme John Rexou David Lockwood, est lourde d’une forte critiquede Parsons (Joas et Knöbl, 2009).Encore relativement peu développée en Afrique

et en Asie, la sociologie s’est peu exprimée sur lesconflits sociaux de ces continents dans les annéesd’après-guerre. De façon plus générale, les sciencessociales, anthropologie en tête, tout en étant con-scientes de l’existence de conflits dont les plusdécisifs étaient anticolonialistes ou anti-impérialistes,avec une charge parfois d’action révolutionnaire, ettout en percevant bien les divisions ethniques etraciales qui pouvaient s’exprimer, n’ont alors que peuparlé de conflit social pour les parties non occiden-tales du monde, comme si une division du travailfortement ethnocentrique faisait de la sociologie,finalement, la science sociale des pays développés etabandonnait le terrain, pour le reste du monde, à d’autres disciplines. Les conduites de lutte sem - blaient dominées ailleurs par la rupture et la

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radi calité, il y avait peu de place pour la constructionde conflits sociaux au sens que nous avons préciséplus haut, et par conséquent guère d’espace pour unesociologie du conflit. Dans l’ensemble, il en était demême en Amérique latine, où les idéologies révolu-tionnaires et la violence des guérillas ont davantageinspiré la recherche sociologique que la quête de ladémocratie et de la mise en place des conditionsfavorables au conflit social – un enjeu néanmoinsbien perçu par des chercheurs qui, tels le brésilienFernando Henrique Cardoso, participeront ensuite àla sortie démocratique des dictatures.Tout au long des années 70, 80, 90, les sociétés

où il avait été possible et légitime de parler de conflitde classes et de mouvement ouvrier sont sorties del’ère industrielle classique. Au cours de cette période,les formes de l’organisation du travail ont consi -dérablement évolué, les usines taylorisées, où lesouvriers étaient soumis à des modalités « scien-tifiques » de management et d’organisation de la pro-duction ont laissé la place à d’autres types de travail,à la « McDonaldization » dont parle George Ritzer(1993), à la flexibilité, au management dit « participatif », à l‘externalisation d’activités jusque-là assurées en interne. Le capitalisme a alors pro-fondément évolué, comme le montre par exempleRichard Sennett (2006). Les ouvriers, contrairementà une idée superficielle, n’ont pas disparu, mais ilsont perdu leur capacité d’existence et d’action collec-tives, ainsi que leur centralité et leur visibilité en tantque tels. Dès lors, on a assisté au déclin historique duconflit central qui les opposait au capital, et quiinformait tout la vie collective, la politique, le fonc-tionnement du tissu associatif, le débat intellectuel.Le néo-libéralisme a comme balayé la scène, lapurgeant des conflits classiques de classe. Dès la findes années soixante, certains sociologues ont parlé de« société postindustrielle » (Bell, 1973 ; Touraine,1969). Ces deux sociologues ont utilisé l’expressionde « société postindustrielle » mais en lui donnantchacun un sens différent : celui de l’extension de lasociété industrielle pour Daniel Bell ; celui duchangement du type de société pour Alain Touraine.Un peu plus tard, d’autres ont utilisé l’expression de« postmodernité » (François Lyotard par exemple,1979) et parlé de fin des Grands récits, tandis qued’autres, ou les mêmes, décrivaient l’entrée dans lerègne de l’individualisme généralisé, et donc dans desunivers dépourvus de conflits sociaux. Dans ce contexte, le grand conflit de l’ère indus-

trielle tendait sinon à disparaître, du moins à perdrede sa centralité, au point que l’expression de « luttedes classes » semble aujourd’hui désuète même si cer-tains sociologues du travail en maintiennent l’impor-tance (Arrighi et al., 2005). Certains ont voulucontinuer à la faire vivre artificiellement, d’abord

dans la pensée gauchiste, ensuite dans le terrorismed’extrême gauche, si important en Italie, et obser -vable dans plusieurs sociétés occidentales(Wieviorka, 1988). En même temps, la questionsociale a revêtu un tour nouveau, et au thème clas-sique des rapports de production, qui permettait depenser le conflit à partir de l’exploitation ouvrièredans le travail, ont succédé de nouvelles interroga-tions ne laissant guère d’espace au conflit : les socio-logues se sont intéressés à la dualisation du marchéde l’emploi, et, au-delà, de la société, aux con-séquences dramatiques de la précarisation dessalariés, à l’exclusion sociale, à l’accroissement desinégalités et des injustices, sans guère relier cesthèmes à l’idée de conflit social. Le conflit de classe alaissé la place à de nouvelles formulations des prob-lèmes dits sociaux, sur la marginalité, la violenceurbaine, l’underclass (une notion fort débattue), lechômage, etc., en même temps que les partis poli-tiques les plus liés à l’idée de lutte des classes, communistes, mais aussi social-démocrates disparais-saient ou connaissaient de grandes difficultés, et queles syndicats perdaient de leur poids et de leur capa -cité mobilisatrice.

Les nouveaux conflits sociaux

Pourtant, contrairement à ce qu’annonçaient les ten-ants de l’idée d’un individualisme généralisé liqui -dant toute forme significative de conflit, à partir dela fin des années 60, des luttes nouvelles, ou renou-velées, ont ébauché un nouveau paysage de la con-flictualité sociale. Mouvements régionalistes,demandant à « vivre et travailler au pays », mouve-ments étudiants mettant en cause le fonctionnementet les orientations de l’Université, et donc de la pro-duction et de la diffusion du savoir, mouvements defemmes, contestation écologiste, anti-nucléaire, etc. :ces acteurs ont été analysés dès les années 70 par lasociologie dite de la mobilisation des ressourcescomme des mouvements sociaux tentant de s’af-firmer dans le champ politique (Della Porta et Diani,1999), là où Alain Touraine et son école y voyaient lafigure contestataire de conflits sociaux marquantl’entrée dans une nouvelle ère, postindustrielle(1978). Ces nouveaux conflits ont des dimensions cul-

turelles bien plus nettes que ceux qui animaient lessociétés industrielles. Leurs protagonistes invententdes façons de vivre ensemble, ou plaident pour desvaleurs et des changements culturels, ils veulent aussimiliter autrement, et par exemple n’acceptent plus leprincipe de satisfaction différée qui, à l’ère indus-trielle, faisait des militants ouvriers des acteurs agis-sant dans la perspective de « lendemains qui

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chantent ». Ils demandent bien plus qu’auparavant àêtre tenus pour des individus dotés d’une subjec -tivité personnelle, ils veulent choisir de s’engagercomme ils l’entendent, et de pouvoir se dégagerquand ils le désirent. La conflictualité collective n’in-terdit pas, ici, l’individualisme. A partir des années 90, ces conflits ont pris un

tour nouveau du fait de leur insertion dans la globa -lisation. Leurs acteurs sont sortis du cadre tradition-nel de l’Etat-nation, ils ont cessé, en tout cas, de luiaccorder un monopole, ils sont eux-mêmes devenus« globaux », menant des contestations à l’échelleplanétaire. Affaiblis à partir des attentats du 11 sep-tembre 2001, la contestation « altermondialiste »n’en a pas moins inauguré l’ère des conflits globaux,qui articulent des dimensions mondiales à d’autres,nationales, voire locales. Ils ont ébauché la construc-tion d’un champ conflictuel, d’un espace de luttesavec ses enjeux (les acteurs entendent contribuer àcréer un « autre monde ») ; leur faiblesse tient aux difficultés qu’ils ont à définir leur adversaire – les multinationales ? Les capitalistes ? Les Etats-Unispuissance impérialiste ? Les grandes organisationsinternationales comme le FMI ou la Banque mondiale ?Enfin, certains de ces « nouveaux conflits so -

ciaux » sont portés par des acteurs collectifs quidemandent reconnaissance du passé historique dontleurs ancêtres ont souffert, et des injustices dont ilsestiment pâtir aujourd’hui encore du fait notammentdu racisme et des discriminations. Ils demandent parexemple que soient reconnus un génocide, des mas-sacres de masse, la traite négrière, l’esclavage, l’éradi-cation de leur culture, et dénoncent, parfois d’unseul et même mouvement, la façon dont ils sont mal-traités dans la société où ils vivent. Ces acteurs quisouvent opposent leur mémoire à l’histoire officiellemettent en avant des revendications historiques etculturelles ; leur difficulté, là aussi, est de construiredes espaces de rapport conflictuel, ils se présententdavantage comme placés en position de concurrence– ce que montre fort bien un ouvrage de Jean-MichelChaumont au titre explicite : La Concurrence des vic-times (1996). Dès lors, de nouveaux débats surgissentdans les sciences sociales, comme dans la philosophiepolitique : quelles relations entretiennent le social etle culturel, la lutte contre les inégalités et l’injusticesociale, et celle pour la reconnaissance ? Ces ques-tions sont l’objet d’un débat extrêmement intéres-sant entre Frazer et Honneth (2003).

Conflit et crise

Conflit et crise sont deux catégories analytiquementdistinctes et de façon encore très générale, on peut

admettre que l’espace du conflit rétrécit quand s’élar-git celui de la crise. Mais dans la pratique, conflit etcrise souvent aussi se mêlent, les conduites desacteurs relevant alors de l’un et de l’autre. En périodede crise, la relation conflictuelle entre acteurs sedécompose, les tendances à la rupture, voire à la vio-lence, se développent, mais aussi éventuellement ledécouragement, le retrait, la fermeture sur soi. Ainsi,lorsque le mouvement Solidarnosc s’est constituédans la Pologne encore communiste, en 1980, il ad’abord construit un conflit dans lequel se mêlaientdes dimensions proprement sociales (ouvrières),nationales et démocratiques. Mais au bout dequelques mois, la crise économique (manque de denrées alimentaires) et politique (transformation durégime en junte militaire) s’est emparée du mouve-ment, et l’a décomposé, des tendances populistes etnationalistes sont apparues en son sein, la radicalisa-tion a caractérisée aussi bien l’acteur contestataireque le pouvoir, qui a mis fin à l’aventure légale deSolidarnosc par un coup militaire, le 13 décembre1981. Le conflit avait été assez largement supplantépar la crise.Les relations entre crise et conflit varient d’une

expérience à une autre, et, pour une même expé -rience, d’un moment à un autre. Ainsi, les conflitssociaux qui construisaient un rapport dense entresyndicats et patronat dans l’Europe à la sortie de laPremière Guerre mondiale ont été déstructurés avecla crise économique de 1929, puis, dans certainspays, par la montée du fascisme. Par contre, auxEtats-Unis, à la même époque, la Grande Dépressiona suscité en réponse une politique, le New Deal, quicomportait un large encouragement aux syndicats,qui ont alors connu un véritable âge d’or. La crise financière qui s’est révélée au grand jour,

dans le monde entier, en 2008, a entraîné des con-séquences économiques et sociales considérables, et amis en lumière les carences, mais aussi les espoirs dedeux types d’action : d’une part, les syndicats,acteurs conflictuels au cœur de la société industrielle,sont apparus affaiblis, peu capables de peser institu-tionnellement, d’autre part, les sensibilités écolo-gistes, l’appel au développement durable et à lacroissance verte par exemple ont joué un rôle,timide, certes, dans les schémas de sortie de crise, cequi rendait justice aux acteurs contestataires qui, dèsles années 70, ont mis en avant ces idées sur un modeconflictuel. L’expression la plus impressionnante de la con-

jonction d’un conflit et d’une crise est certainementla révolution. Celle-ci en effet n’est ni une modalitéextrême de conflit, ni une pure crise. La révolutionrusse de 1917, par exemple, était portée par desacteurs se réclamant du prolétariat, mais la pousséeouvrière, pourtant limitée, n’a exerce des effets aussi

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considérables que du fait de la crise des institutionset de l’Etat – ce qu’avait bien perçu Lénine, pour quice n‘est pas l’acteur qui est révolutionnaire, mais lasituation. L’espace de la sociologie du conflit social n’est

donc pas seulement limité par la minimisation, lerejet, la négation ou la disqualification de ce que leconflit signifie, ou par l’héritage du darwinismesocial. Il est également susceptible d’être encombrépar des dimensions qui le pénètrent, par la crise quile déstructure ou l’affaiblit. Et symétriquement, onpeut penser que les meilleures réponses à une crisesont celles qui rouvrent la voie au conflit, et donc àla formation et au renforcement d’acteurs placés dansdes rapports antagoniques.

Bibliographie complémentaire commentée

Collins R (1975) Conflict Sociology : Toward anExplanatory Science. New York, San Francisco etLondon : Academic Press. Randall Collins considère que la sociologie peutdevenir une « successful science » à condition, notamment, de suivre le chemin d’une « conflict perspective ». Il défend l’idée d’une « conflict theory » qui s’éloigne du fonctionnalisme parsonienet qui donne une importance centrale à la pensée deMax Weber, sans négliger l’apport de Karl Marx, eten tenant compte de nombreux auteurs, aussi diversque Machiavel ou Pareto.

Coser LA (1956) The Functions of Social Conflict.London : The Free Press of Glencoe. Lewis Coser propose dans ce livre, qui se réclameabondamment de la pensée de Georg Simmel, une version que l’on est tenté de qualifier de « fonctionnaliste de gauche ». Le conflit est pour luifonctionnel, et utile dans la vie collective. Il seraitsource de solidarité à l’intérieur des groupes enconflit, il renforce les liens sociaux, et contribue àl’intégration de la société dans son ensemble.

Simmel G (1903) The sociology of conflict. AmericanJournal of Sociology 9 (1903) : 490–525.Pour Simmel, le conflit présente un certain sens, ilpeut constituer une source importante desocialisation des individus, il permet à la société detrouver son unité à partir des oppositions qui laconstituent, il est la forme qui autorise la résolutionde tensions.

Tilly C (1978) From Mobilization to Revolution. Reading,MA : Addison-Wesley. Pour Charles Tilly, l’action collective sert àpromouvoir les intérêts communs des acteurs qui s’yengagent, et il en est ainsi, en particulier, s’il s’agit duconflit politique, c’est-à-dire de la lutte pour lepouvoir politique entre acteurs qui mobilisent desressources pour y accéder, y étendre leur influence etamoindrir celle des autres acteurs. Ce livre repose sur

des illustrations historiques et contemporaines précises et documentées, et situe les orientations deCharles Tilly, qui conjuguent marxisme etutilitarisme, à d’autres courants de pensée.

Touraine A (1974) Production de la société. Paris : Seuil. Alain Touraine oppose le conflit, c’est-à-dire larelation conflictuelle, à la crise, qui suscite desconduits réactives. Il distingue trois niveauxprincipaux de conflictualité, celui de l’historicité, oùdes acteurs sociaux sont en lutte pour le contrôle desorientations générales de la vie collective, celui qu’ilappelle institutionnel, où il s’agit pour les acteurs enprésence de peser au niveau des décisions politiques,et celui qu’il qualifie d’organisationnel, où les acteursen présence s’efforcent d’améliorer en leur faveur lerapport entre leur contribution et leur rétributiondans un système organisé.

Wieviorka M (2005) La Violence. Paris : HachetteLittératures. [Violence : A New Approach (2009) tra-duction par David Macey. Los Angeles et London :Sage.]Pour Michel Wieviorka, l’espace de la violence seréduit lorsque celui du conflit augmente et vice versa.La violence est pour lui rupture, impossibilité denégocier, de débattre, d’agir dans le cadre d’unerelation ; elle est d’une certaine façon l’opposé duconflit, qui est de l’ordre de la relation. Ce quin’interdit pas que dans la pratique, la violence puissetrouver sa place dans le conflit.

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Michel Wieviorka est professeur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (Paris) etadministrateur de la Fondation Maison des Sciences de l’Homme. Ses travaux ont porté sur lesmouvements sociaux (notamment avec Alain Touraine), sur la violence et le terrorisme, sur leracisme et l’antisémitisme, ainsi que sur les différences culturelles, la démocratie et lemulticulturalisme. Il est président de l’Association Internationale de Sociologie (2006–2010),et fondateur de Sociopedia. [email : [email protected]]