Le combat pour les Trois d’Angola et contre la détention à l’isolement prolongé

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Dossier Le combat pour les Trois d’Angola et contre la détention à l’isolement prolongé Un dossier réalisé grâce aux contributions de : Nathalie Berger coordinatrice Etats-Unis, AI France Tessa Murphy chercheuse Etats-Unis sur la détention à l’isolement, AI Nina Kowalska coordinatrice de la Coalition Internationale pour les Trois d’Angola Nicolas Krameyer responsable de programme “personnes en danger”, AI France

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Les « Trois d’Angola », plus de 40 ans d’acharnement et d’injustices. Le 17 avril 2014 a tristement marqué le 42e anniversaire du placement à l’isolement d’Albert Woodfox et d’Herman Wallace, dans la prison d’Angola, en l’État de Louisiane. 42 années qui témoignent de la volonté des autorités de réduire au silence et de déshumaniser ces deux hommes.

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Le combat pour les Trois d’Angolaet contre la détention à l’isolement prolongé

Un dossier réalisé grâce aux contributions de :

Nathalie Berger coordinatrice Etats-Unis, AI France

Tessa Murphy chercheuse Etats-Unis sur la détention à l’isolement, AI

Nina Kowalska coordinatrice de la Coalition Internationale pour les Trois d’Angola

Nicolas Krameyer responsable de programme “personnes en danger”, AI France

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Les « Trois d’AngoLA », pLus de 40 Ans d’AchArnemenT eT d’injusTices

Le 17 avril 2014 a tristement marqué le 42e anniversaire du placement à l’isolement d’Albert Woodfox et d’Herman Wallace, dans la prison d’Angola, en l’État de Louisiane. 42 années qui témoignent de la volonté des autorités de réduire au silence et de déshuma-niser ces deux hommes.

Robert King, le « troisième d’Angola », a été libéré en 2001 mais a subi le même acharnement pendant ses 29 ans passés à l’isolement. Depuis 2001, il est devenu le fer de lance du combat pour que ses deux camarades obtiennent justice.

« Ils ont essayé de faire évoluer les conditions de détention… La prison d’Angola passait pour être la pire du pays. Ils ont fédéré les gens et introduit l’idée que les prisonniers avaient, eux aussi, certains droits. En conséquence, l’administration les a considérés comme une menace et ils l’ont payé très cher », déclare Robert King en 2011, à propos de ses camarades de lutte, Albert Woodfox et Herman Wallace.

UNE cONDamNaTION mONTéE DE TOUTEs pIècEs

Entre ces trois hommes, militants des Black Panthers, c’est en détention, dans la prison d’Angola, qu’un lien très fort se noue.

Au début des années 1970, Albert Woodfox et Herman Wallace, emprisonnés pour vol à main armée dans la prison d’Angola, se font connaître – et haïr – des autorités pénitentiaires en fondant la première section carcérale du parti des Black Panthers. Ensemble, ils fédèrent leurs codétenus pour revendiquer de meilleures conditions de détention, la fin des discri-minations et faire cesser l’esclavage sexuel institutionnalisé dans ce pénitencier connu à l’époque pour être le plus sanglant des États-Unis.

Leur calvaire commun commence le 17 avril 1972 lorsqu’un gardien de la prison d’Angola est retrouvé assassiné de multiples coups de couteau dans l’un des dortoirs du pénitencier. L’enquête s’oriente immédiatement vers Albert et Herman et, plus largement, vers les détenus membres des Black Panthers, qui sont alors mis à l’iso-lement et séparés du reste de la population carcérale.

Parmi les Black Panthers également suspectés figure notamment Robert King. Ce 17 avril, il est détenu dans une autre prison de l’État de Louisiane, à plus de 200 kilomètres d’Angola. Transféré à Angola quelques jours après la mort du gardien, il se retrouve immédiatement suspecté car il est connu comme étant Black Panther, et est immédiatement placé en isolement. L’enquête concernant son rôle dans le meurtre du gardien ne sera pourtant abandonnée que 29 ans après, à sa libération, en 2001.

En 1973, Albert et Herman, jugés séparément, sont reconnus coupables du meurtre et condamnés à la perpétuité par un jury exclusivement composé d’hommes blancs. Si la peine capitale n’avait à l’époque été suspendue par la Cour suprême des États-Unis, et ce jusqu’en 1976, ils auraient vraisemblablement été condamnés à mort.

Herman Wallace et Albert Woodfox, au moment de leur incarcération.

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Leur dossier d’accusation semble avoir été monté de toutes pièces sur la base des témoi-gnages de codétenus qui n’auraient jamais dû être pris en compte par la justice. Ainsi, l’un des principaux témoins oculaires est aveugle tandis qu’un autre souffre de troubles psychiatriques sévères.

Le témoignage central du principal accusateur, un certain Hezekiah Brown, décédé depuis, et condamné à l’époque à la perpétuité pour de nombreux viols, a été par la suite totalement discrédité : il a été révélé qu’Hezekiah Brown avait été récompensé pour sa déclaration, notam-ment par une grâce et une libération anticipée, et divers avantages en prison en attendant.

De fait, il n’y a aucune preuve matérielle reliant Albert ou Herman au meurtre, et des éléments de preuve susceptibles de les disculper ont été « perdus » par l’administration pénitentiaire.

Robert King ne passera jamais en procès pour cette affaire, mais sera condamné pour le meurtre d’un codétenu un an plus tard, sur la base de témoignages peu crédibles.

UNE DéTENTION à L’IsOLEmENT INDéfINIE, ILLéGaLE mêmE aU REGaRD DU DROIT LOcaL

La décision d’enfermer Herman, Albert et Robert à l’isolement n’est pas d’origine judiciaire, mais pénitentiaire. Pour Amnesty International, elle est directement liée, au moins pour partie, à leur militantisme en prison.

De 1972 à aujourd’hui, la décision initiale de maintien à l’isolement d’Albert et d’Herman a été renouvelée plus de 160 fois, plus de 100 fois pour Robert avant sa libération en 2001. À l’issue de chaque examen, qui ne leur a jamais laissé la possibilité de prendre part à la procédure ou de contester la décision, la commission a décidé de laisser Albert, Herman et Robert à l’isolement en invoquant la « raison initiale du placement à l’isolement ». En 1996, la politique carcérale de la Louisiane a été modifiée pour que la « raison initiale du placement à l’isolement » ne soit plus un motif pour maintenir un détenu en isolement. Mais ce changement n’a jamais été appliqué aux Trois d’Angola.

Les dossiers disciplinaires montrent que, pendant des décennies, aucun des trois hommes n’a commis d’infraction disciplinaire grave, et les documents relatifs à leur santé mentale indiquent qu’ils ne représentent aucune menace, ni pour eux-mêmes, ni pour autrui.

Amnesty International considère qu’aucun motif pénal légitime ne justifie la reconduction systématique du maintien à l’isolement des deux hommes. Pendant 15 ans, sous la direction de Burl Cain, qui estimait que l’absence d’infraction disciplinaire ne devait pas être prise en compte, la commission de révision a ignoré de fait la politique carcérale en vigueur dans l’État de Louisiane.

Pendant des dizaines d’années, en se contentant de revalider la décision initiale de placer les deux hommes à l’isolement cellulaire, les commissions de révision successives ont soumis Albert Woodfox et Herman Wallace à des conditions qu’on ne peut qualifier que de cruelles, inhumaines et dégradantes.

BURL caIN, DIREcTEUR DE La pRIsON D’aNGOLa

À propos d’Herman Wallace en 2006 :« Son dossier disciplinaire […] importe peu, vraiment. S’il est là, c’est en raison de sa condamnation initiale, c’est pour cela qu’il est ici, et c’est pour cela qu’il va y rester. »

Et, en 2008, le même, à propos d’Albert Woodfox : « Je préfère le maintenir à l’isolement. Je sais qu’il a une propension à la violence. Je sais aussi qu’il cherche toujours à mettre en œuvre les idées des Black Panthers et je ne souhaite pas qu’il circule dans ma prison car il essaierait de recruter parmi les jeunes détenus. J’aurais moi-même toutes sortes de pro-blèmes, plus que je ne peux en gérer, et les Noirs seraient tous derrière lui. Ce serait le chaos et le conflit, j’en suis convaincu. Il doit être confiné dans sa cellule tant qu’il est à Angola. »

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L’acHaRNEmENT DEs aUTORITés sUR HERmaN : INHUmaIN ET ExEmpLaIRE

Fin juin 2013, Herman Wallace se voit très tardivement diagnostiqué un cancer du foie en phase terminale. Fin août, les médecins lui donnent seulement quelques semaines à vivre. Herman écrit alors :

« Les prisons d’État ne sont pas équipées pour fournir l’assistance médicale la plus basique qui soit aux hommes et femmes sous leur juridiction. Prenez mon exemple, emblématique. Après une période prolongée de perte de poids et d’autres symptômes, on m’a diagnostiqué une infection à l’estomac. Mon état s’est détérioré et il a fallu avoir recours à des médecins privés pour identifier une énorme tumeur au foie et diagnostiquer un cancer à un stade très avancé. Si, comme c’est la norme, un suivi biannuel de mon hépatite C avait été réalisé, ce cancer aurait pu être découvert et soigné il y a des mois, voire des années. »

Le 1er octobre 2013, alors qu’Herman est à l’article de la mort, un juge fédéral examine enfin en ur-gence un appel que le prisonnier avait déposé dès 2009. La condamnation d’Herman est alors annu-lée pour discriminations flagrantes dans la sélection du jury. Le juge exige sa libération immédiate.

Alors qu’une ambulance l’attend à l’extérieur de la prison, l’État de Louisiane fait appel de la décision et les autorités pénitentiaires refusent de libérer Herman Wallace. Le juge fédéral doit alors menacer les autorités d’obstruction à la justice pour que celles-ci, enfin, s’exé-cutent, et lui ouvrent les portes de la prison.

Le 4 octobre 2013, Herman Wallace meurt des suites de son cancer, en homme libre, inno-centé et entouré de ses proches. Il aura joui, semi-inconscient, de trois jours d’une liberté dont il a été privé pendant plus de quarante ans.

Dans sa dernière lettre, il déclarait : « Il n’y aucun doute sur le fait que la détention prolon-gée à l’isolement provoque des dégâts irréparables sur la santé physique et psychologique d’une personne. Il est tout aussi irréfutable que l’administration pénitentiaire est consciente des effets de cette pratique vicieuse, conçue dans le but de briser l’esprit de la personne. […] J’ai vu nombre d’hommes sains d’esprit à leur arrivée devenir complètement brisés après peu de temps passés à l’isolement. J’ai vu de nombreux hommes sombrer dans la folie, j’en ai vu se laisser mourir de faim, se trancher les veines et mettre fin à leurs jours. Cette pratique inhumaine ne rend pas la prison plus sûre, pour personne.

[…] Lorsque je m’élève contre ces abus, je prends la parole au nom de tous les détenus dont la voix a été réduite au silence. Mon nom est Herman Wallace. Libérez les Trois d’Angola. Libérez tous les prisonniers politiques. »

Herman Wallace levant le poing, dans l’hôpital pénitentiaire, septembre 2013.

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L’acHaRNEmENT DEs aUTORITés cONTRE aLBERT : INTERmINaBLE...

• acharnement judiciaire

Albert Woodfox a, quant à lui, vu sa condamnation annulée trois fois : en 1992, 2008, et février 2013. Pourtant, il reste maintenu en prison, à l’isolement.

En 1992 et 2013, la décision était motivée par la discrimination dans la sélection des membres du jury. En 2008, la Cour concluait qu’il avait été privé de son droit de bénéficier de l’assistance adéquate d’un avocat. Les trois fois donc, la décision portait sur l’absence d’équité dans la procédure ayant mené à sa condamnation. Pourtant, en février 2013, l’État de Louisiane, comme les fois précédentes, a fait appel de la décision devant une cour fédérale, ce qui s’apparente à de l’acharnement judiciaire contre un homme de 67 ans, dont plus de 42 ans de sa vie derrière les barreaux.

• calomnie

En février 2013, en réponse aux milliers de sympathisants d’Amnesty International demandant au procureur de l’État de ne pas faire appel, ce dernier a répondu à chacun une lettre type mensongère : au mépris de la réalité, celui-ci arguait notamment que les preuves contre Albert Woodfox étaient irréfutables, qu’il n’était pas détenu à l’isolement, et que ce dernier avait été inculpé de viol dans les années 1960 et qu’il allait être jugé pour cela. À aucun moment, ce dernier n’a pourtant été inculpé d’un tel crime.

En 2008 déjà, alors qu’Albert Woodfox était libérable suite à l’annulation de sa condamnation, le même procureur avait fait courir des rumeurs identiques dans une lettre envoyée à

l’ensemble du voisinage de sa famille, qui devait l’accueillir à sa sortie.

• Vengeance

Depuis mai 2013, quelques semaines après l’annulation de sa condamnation, les autorités pénitentiaires ont réservé un traitement spécial à Albert Woodfox : à chaque entrée et sortie de sa cellule, soit trois fois par semaine, Albert a été l’objet de fouilles anales et corporelles systématiques. Tragique ironie, cette pratique inhumaine visant à humilier les détenus avait été proscrite suite à une action en justice menée par Albert Woodfox… en 1978.

Une nouvelle fois, Albert Woodfox a fait un recours contre ce traitement, et obtenu gain de cause le 31 janvier 2014. L’administration pénitentiaire arguait que ces fouilles visaient à prévenir tout risque de contrebande. Au contraire, le juge fédéral a motivé sa décision comme suit : « Considérant les faits présentés, le tribunal juge que la pratique des fouilles anales contre Albert Woodfox, basée seulement sur son entrée et sa sortie d’une zone d’isolement, n’est pas nécessaire, si l’on considère son âge, son maintien à l’isolement complet et sous supervision constante, et sa conduite disciplinaire irréprochable […]. La privation continue des droits constitutionnels de celui-ci constitue un préjudice irré-parable, incontestablement. »

Le 1er janvier 2014, Albert Woodfox écrivait à ses soutiens, du fond de sa cellule :

« Je ne sais pas ce que représente pour vous le Nouvel An. Pour moi, c’est la prise de conscience qu’une nouvelle année de torture mentale et émotionnelle débute. Je me demande constamment si cette année sera celle du triomphe de la justice et de la liberté. Ou si ce ne sera qu’une année de plus, identique aux autres.

Est-ce que, cette année, je perdrai la bataille contre les crises de claustrophobie, les douleurs et les souffrances mentales et émotionnelles récurrentes ? Est-ce que, cette année, je me trouverai à court de créativité pour faire abstraction du temps et de l’espace, et est-ce que le poids du monde m’écrasera au lieu de me rendre plus fort ? »

Albert Woodfox

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ÉTATs-unis : LA deTenTion à L’isoLemenT proLongÉ, un TrAiTemenT crueL,

inhumAin eT dÉgrAdAnT

Albert Woodfox est actuellement le plus ancien prisonnier détenu à l’isolement aux États-Unis. Son cas est non seulement emblématique des failles du système judiciaire en Louisiane, mais plus largement d’un problème de non-respect des droits humains profondément des-tructeur, lié au maintien à l’isolement et de manière prolongée. Des pratiques contraires aux normes internationales relatives au traitement des personnes. Pour Amnesty International, la détention à l’isolement prolongé constitue sans aucun doute un « traitement cruel, inhumain et dégradant », au même titre que la peine de mort ou la torture.

IsOLEmENT, éTaT DEs LIEUx

Aux États-Unis, les détenus considérés comme dangereux pour eux-mêmes ou pour autrui, ou ceux qui, pour de multiples raisons, doivent être protégés des autres détenus, peuvent être placés dans des cellules spéciales d’isolement à sécurité fortement renforcée, dans des quartiers disciplinaires appelés Closed Cell Restrictions Units (CCR). Des prisons entières ont été construites dans cet objectif, les Super Maximum Security Units, dites Supermax. Elles ont notamment servi de modèle à la construction d’une partie de la prison de Guantanamo.

Les États-Unis ont le taux d’incarcération le plus élevé au monde ; plus d’un adulte sur 100 se trouve en prison, dont plus de 80 000 en isolement, soit dans des Supermax, soit dans des quartiers disciplinaires qui imposent les mêmes conditions de détention. La durée moyenne d’isolement est de 60 jours mais certaines peuvent atteindre 10 à 15 ans. Albert Woodfox et Herman Wallace sont, à la connaissance d’Amnesty International, les prisonniers ayant passé le plus de temps dans de telles conditions.

UNE pRaTIqUE « LéGaLE »

Cette pratique existe dans 44 États sur 50. Les critères de placement sont le plus souvent arbitraires ; des prisonniers peuvent se retrouver à l’isolement pour avoir répondu un peu violemment à un gardien, refusé d’obéir à un ordre, porté plainte contre la prison ou être séropositif. La discrimination raciale y est fréquente. D’après des rapports du ministère de la Justice, des condamnés à mort, des personnes souffrant de troubles psychiatriques et des mineurs s’y trouvent également.

Malgré les preuves incontestables des consé-quences physiques et psychologiques préjudi-ciables du maintien prolongé à l’isolement, la Cour suprême des États-Unis a statué que, même lorsqu’il est imposé pour une durée indé-finie, l’isolement cellulaire ne constitue pas en soi une violation de la Constitution.

Pour que les conditions de détention constituent un « châtiment cruel et exceptionnel » elles doivent être suffisamment sévères pour priver les détenus de l’un des « éléments de base néces-Cellule d’isolement, Pelican Bay.

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saires à sa vie » : nourriture, vêtements, abri, soins médicaux ou sécurité personnelle. Ce qui en pratique signifie que l’on peut être enfermé à l’isolement pendant des décennies et que, pourvu que l’on vous procure nourriture, eau, vêtements et le minimum obligatoire de soins médicaux, on considèrera que le système pénitentiaire a agi dans les limites fixées par la Constitution.

Les chercheurs d’Amnesty International se sont entretenus avec de nombreux détenus placés à l’isolement. Certains, lorsqu’il leur est demandé de décrire leur calvaire, évoquent la nourriture, des vêtements inadaptés ou des soins médicaux déplorables. Mais tous, sans exception, font part de la souffrance mentale et de la détresse causées par l’isolement prolongé. Pourtant, cette dimension pénible, cruelle et destructrice du maintien à l’isolement n’est pas reconnue comme elle devrait l’être par les tribunaux, les législateurs et les administrateurs péniten-tiaires des États-Unis.

Cette interprétation étriquée de ce qui constitue un châtiment cruel et exceptionnel a été fixée par une décision de 1995 qui a fait jurisprudence, dans l’affaire Madrid c. Gomez, par laquelle une cour fédérale de district a statué que les conditions de vie dans les quartiers de très haute sécurité de Pelican Bay (Californie) étaient « peut-être à la limite de ce que la plupart des êtres humains peuvent endurer d’un point de vue psychologique. » Le tribunal a ordonné que les détenus atteints d’une maladie mentale grave soient retirés des quartiers de très haute sécurité, au motif que les conditions de vie dans ces unités les ex-posaient à des « atteintes très sérieuses à leur santé men-tale », mais il n’est pas allé jusqu’à reconnaître que les conditions y étaient contraires à la Constitution pour tous les prisonniers, qu’ils souffrent ou non d’une pathologie mentale avérée.

À l’époque, Pelican Bay n’existait que depuis six ans. Si le juge avait su que certains des détenus concernés par cette action en justice seraient toujours enfermés dans une cellule d’un quartier de très haute sécurité 19 ans plus tard, il aurait peut-être rendu un jugement différent.

Un détenu à l’isolement dans le quartier de très haute sécurité de Pelican Bay a écrit à Amnesty International : « Le plus difficile [...] est de rester sain d’esprit quand les gens autour de vous commencent à perdre la tête et que vous n’y pouvez rien. Cet endroit est vraiment un enfer. Le quartier de très haute sécurité brise les hommes et c’est un effort de tous les instants pour ne pas se laisser briser.»

Couloir de la prison à sécurité renforcée de Pelican Bay, Californie, 2012.

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Intérieur d’une cellule de Pelican Bay, Californie.

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DE GRaVEs cONséqUENcEs sUR La saNTé mENTaLE ET pHysIqUE

Les études disponibles ont toutes démontré les conséquences psychologiques extrêmement graves de l’isolement cellulaire. La preuve la plus convaincante en est certainement le taux de suicide observé chez les individus placés à l’isolement, statistique qui montre, dans de multiples juridictions, que les unités d’isolement carcéral sont particulièrement concernées : ainsi, en Californie entre 2006 et 2010, 42% des suicides de détenus...

Les troubles psychiatriques sont nombreux et fréquents, y compris chez des individus ne présentant pas de troubles préexistants : anxiété, dépression, insomnie, hallucinations, cauchemars, bouffées délirantes, attaques de panique…

Des troubles relationnels et du comportement social sont constatés, troubles qui empêchent toute réinsertion ultérieure dans la population carcérale normale, à fortiori à l’extérieur de la prison.

Des années passées à l’isolement entraînent perte de poids, intolérance à la lumière, perte d’acuité visuelle, douleurs musculaires et articulaires, ostéoporose par carence, hypertension, tremblements, maux de tête, asthme exacerbé par l’atmosphère confiné des cellules, problèmes cardiaques par manque d’exercice….

Certains détenus perdent leur couleur de peau d’origine, aggravant le sentiment de perte d’identité et leur donnant l’impression d’être devenus des fantômes.

Dans certaines prisons, de la nourriture, de l’urine et de la matière fécale collées aux murs entraînent des infections cutanées pour lesquelles les détenus ne reçoivent aucun soin.

En refusant de reconnaître la souffrance mentale inhérente à un isolement prolongé, les tribu-naux des États-Unis sont en flagrante contradiction avec un consensus national et international émanant de nombreux experts pénitentiaires, médicaux et psychiatriques, ainsi qu’avec le droit et les principes internationaux en matière de droits humains. Sans un changement radical de la part de ces tribunaux, il est difficile d’espérer la fin de ces pratiques inhumaines dans un proche avenir.

En 2011, une délégation d’Amnesty International avait obtenu pour la première fois un accès à trois des quartiers de très haute sécurité de Californie, dont celui de Pelican Bay. Ce quartier est considéré comme l’un des plus durs du pays, avec des cellules sans fenêtre, un manque de lumière naturelle, des aires d’exercice bétonnées ; aucun programme, aucun travail ; aucune réhabilitation et aucune activité collective. Les détenus sont privés de contacts non seulement entre eux mais aussi avec leurs familles, car la prison a été construite à l’extrême nord de l’État et les appels téléphoniques ne sont pas autorisés.

Certains des détenus n’avaient pas vu ou parlé à des per-sonnes extérieures depuis des années et nous étions leur pre-mier contact avec l’extérieur. Se déplacer depuis le sud de l’État, où vivent la plupart des familles, coûte trop cher pour beaucoup, et les prisonniers peuvent donc passer des di-zaines d’années sans voir leurs proches ou entendre leur voix. Un détenu disait avoir vu « des gens devenir fous dans le quar-tier de très haute sécurité […], surtout des détenus qui n’ont pas de visites et qui perdent la tête ». Infection non soignée d’un détenu à l’isolement souffrant

de troubles mentaux - Arizona, 2007.

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UNE VIOLaTION fLaGRaNTE DEs DROITs HUmaINs

La dureté gratuite des conditions de vie dans les quartiers de très haute sécurité bafoue la législation et les normes internationales mais elle est également contreproductive pour les détenus, les institutions et la société en général. L’accent mis sur le châtiment plutôt que sur la réhabilitation, les répercussions dévastatrices sur la santé mentale et physique, et les obstacles au maintien des contacts avec les familles rendent plus difficiles une réintégration réussie des prisonniers dans leurs communautés après leur libération.

Un prisonnier qui venait de sortir d’un quartier de très haute sécurité a expliqué : « Le plus dur, quand tu es libéré après des années en quartier de très haute sécurité, c’est de trouver un emploi sans compétences et sans réhabilitation. » Un autre détenu écrit : « Je ne vois pas en quoi cela peut être utile à la société. La plupart des hommes vont passer des années en cage, seuls, et seront relâchés dans la société avec toute une charge de haine et de rage. C’est une vérité hideuse. Nous, en tant que pays, refusons de voir la réalité de notre système pénitentiaire. »

Amnesty International a recueilli le témoignage d’un groupe de familles dont un membre se trouve incarcéré dans des quartiers de très haute sécurité de Californie et leur a demandé de citer une chose qui, selon elles, atténuerait un peu l’inhumanité des quartiers de très haute sécurité. Leur réponse a été claire. Ce qu’elles voulaient, c’était communiquer : un contact physique, pouvoir se serrer dans les bras, ainsi que la possibilité de téléphoner.

Le malheur infligé aux familles a été décrit par un détenu dans une lettre à Amnesty Interna-tional : « Notre pays maintient des milliers de ses citoyens dans des cages en béton. Les années passent, les vies passent. La souffrance, jamais. Ce sont nos familles qui souffrent le plus, à nous regarder vieillir et devenir fous dans une cage. C’est ce qui me fait le plus mal, de savoir que ma mère et ma sœur souffrent avec moi. »

UNE pRaTIqUE qUI faIT DéBaT

Si le placement à l’isolement a été en vogue dans tout le pays dans les années 1980 et 1990, il semble maintenant perdre du terrain puisqu’un certain nombre d’États ont commencé à réduire cette pratique, ou à fermer complètement leurs unités d’isolement cellulaire.

Le recours à l’isolement ne fait ainsi plus consensus aux États-Unis. Certains États, qui ont supprimé ces Supermax, ont montré que la violence au sein des prisons n’augmentait pas mais souvent diminuait, que la sécurité n’en était pas affectée et que l’économie financière réalisée était importante, permettant de réaffecter le budget à des dépenses liées, le plus souvent, aux programmes de réinsertion.

Ces réformes sont en grande partie la conséquence d’ordonnances judiciaires imposant une amélioration des conditions et des critères de placement à l’isolement, ou une réduction des coûts élevés de ce type de détention. Si le balancier semble désormais pencher contre la pratique du placement à l’isolement, la question est tout de même loin d’être réglée.

Différents comités de l’ONU, Amnesty International et d’autres associations de défense des droits humains appellent les États-Unis à supprimer l’isolement cellulaire prolongé qui s’apparente à un « châtiment ou traitement cruel, inhumain ou dégradant » au même titre que la peine de mort ou la torture.

Albert Woodfox se présentera devant un tribunal au cours de l’année 2014 pour attaquer en justice l’État de Louisiane au motif que les décennies qu’il a passées à l’isolement consti-tuent un châtiment cruel et exceptionnel au regard de la Constitution des États-Unis. Il devra convaincre le tribunal que, même si l’État l’a nourri et vêtu pendant ces années passées à l’isolement, la souffrance mentale inhérente à cette situation constitue une violation de ses droits constitutionnels. Il fera valoir que l’État de Louisiane l’a placé à l’isolement en 1972, et à en quelque sorte jeté la clé de sa cellule puisqu’au cours des dizaines d’années qui ont suivi, il n’a eu aucune chance d’en sortir, et que ce faisant, l’État l’a privé de ses droits à une procédure régulière tels que garantis par la Constitution.

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Il faut alors espérer que l’humanité l’emportera dans cette affaire, et que le placement prolongé à l’isolement dans des conditions cruelles, inhumaines et dégradantes sera fina-lement reconnu comme un châtiment cruel et exceptionnel en vertu de la Constitution des États-Unis.

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Extérieur de la prison d’Angola, Louisiane

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Le combAT des Trois d’AngoLA : iniTiÉ depuis Leurs ceLLuLes, dÉsormAis

une mobiLisATion mondiALe

Le combat pour faire cesser l’injustice et la torture infligées aux Trois d’Angola est aussi long que leur mise à l’isolement.

Depuis son origine en 1972, ce combat a été d’abord celui des trois hommes eux-mêmes, depuis le fond de leurs cellules respectives. Malgré leur isolement, malgré les efforts des autorités pénitentiaires pour que ces trois-là ne se retrouvent jamais ensemble dans le même quartier dis-ciplinaire, malgré les souffrances morales et physiques endurées, le plus impressionnant dans cette mobilisation – aujourd’hui devenue mondiale – réside dans la détermination et l’esprit de résis-tance constants dont ont fait preuve les trois hommes. Dans le fait aussi que, malgré leur isolement du monde extérieur, la mobilisation, même mondiale, s’est toujours faite et organisée avec eux.

Alors qu’Herman est décédé trois jours après sa libération, et qu’Albert est toujours détenu à l’isolement, la mobilisation en leur faveur n’a pas été vaine, bien au contraire : elle a été parsemée de nombreuses victoires, judiciaires mais aussi dans l’opinion publique, auprès des législateurs et des responsables américains et mondiaux.

Ainsi :

- En 2001, Robert King est sorti libre de prison, Albert Woodfox a vu sa condamnation annulée à trois reprises, Herman est mort libre, sa condamnation annulée.

- Les autorités de Louisiane sont de plus en plus isolées dans leur acharnement, y compris auprès de l’opinion publique locale : du rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, à la veuve de la victime, en passant par les centaines de milliers de citoyens mobilisés à travers le monde, tous appellent désormais à la fin du calvaire pour Albert Woodfox, dernier des Trois d’Angola encore à l’isolement

- Leur combat, et le nôtre, commencent à faire bouger les lignes : le soutien massif à la détention à l’isolement dans l’opinion publique et chez les législateurs américains, commence à se fissurer. Des politiques alternatives se mettent en place dans plusieurs États, et de plus en plus de voix se font entendre dans le pays pour nommer cette pratique pour ce qu’elle est : une

Fresque murale de l’artiste Rigo 23.

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forme particulièrement odieuse de traitement cruel et inhumain. En 2014, grâce à la plainte déposée par les Trois d’Angola avec l’aide de l’ACLU (American Civil Liberties Union) en 2001, un juge fédéral pourrait reconnaître pour la première fois dans l’histoire américaine que l’isolement prolongé est contraire à la Constitution américaine.

Que de chemin parcouru ! Pourtant, les débuts sont difficiles : entre 1972 et 1997, les quelques manifestations organisées par leurs amis à l’extérieur vont très rapidement s’essouffler et les Trois

d’Angola retournent pour de nombreuses années dans l’oubli le plus total du monde extérieur.

Pour les Trois d’Angola au contraire, le combat depuis leur cellule pour de meilleures conditions de détention au sein de la prison, pour reven-diquer leurs droits et ceux de leurs codétenus, n’a jamais cessé : grèves de la faim, lettres et plaintes déposées auprès de la justice, ont permis de petites victoires, infiniment grandes lorsque l’on considère les moyens qui étaient les leurs.

En 1978, les Trois d’Angola ont ainsi permis que soit mis un terme à la pratique des fouilles anales aléatoires pour les détenus à l’isolement.

À la même époque, comme le narre Panthers in the hole, alors que les détenus doivent manger, à terre, dans le plateau déposé devant leur cellule, Robert King déclenche un mouvement de révolte contre cette pratique. Quelques semaines plus tard, les autorités pénitentiaires doivent s’incliner et des ouvertures à hauteur d’homme sont pratiquées dans les portes des cellules.

1997 - NaIssaNcE DE La cOaLITION INTERNaTIONaLE pOUR La LIBéRaTION DEs TROIs D’aNGOLa

Ce n’est qu’en 1997, soit 25 ans après leur mise à l’isolement, que la mobilisation à l’extérieur de la prison va réellement commencer. Cette année marque en effet la naissance de la Coalition internationale pour la libération des Trois d’Angola.

Créée par un petit groupe d’activistes en Californie puis en Louisiane, son but vise à la libération d’Herman, Albert et Robert. Année après année, la Coalition a organisé la campagne de mobilisation et offert un espace d’information et de coordination pour les milliers de

Rassemblement pour le 29e anniversaire de la mise à l’isolement des trois hommes, 17 avril 2001.

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Premières mobilisations dans les années 1970.

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militants anonymes et les asso-ciations du monde entier qui se battent pour leur libération, et pour faire cesser la détention à l’isolement aux États-Unis.

De 1998 à 2001, les Trois d’An-gola n’avaient pas d’avocats, à part un jeune étudiant en droit, Scott Fleming. En 2001, une section locale de l’ACLU a déposé une plainte au nom des trois hommes pour violation du 8e amendement de la Consti-tution américaine, qui prohibe les traitements cruels et inha-

bituels. Cette plainte au civil doit être enfin jugée au second semestre 2014.

En 2001 aussi, l’avocat Nick Trenticosta devient l’avocat d’Herman Wallace, puis, en 2004, l’avocat George Kendall vient renforcer l’équipe.

La coalition s’est renforcée en Louisiane en 1998 lorsque Malik Rahim et Mwalimu Johnson, anciens codétenus des Trois d’Angola et membres des Black Panthers, sont retournés à la Nouvelle-Orléans et ont découvert que leurs trois amis étaient toujours détenus à l’isolement…

8 féVRIER 2001 : LIBéRaTION D’UN HOmmE EN LUTTE, ROBERT KING

Après 31 ans de détention, dont 29 à l’isolement, Robert King sort de prison le 8 février 2001 avec une seule idée en tête : faire libérer ses camarades et dénoncer les carences et injus-tices du système judiciaire et carcéral américain.

Depuis 2001, Robert a sillonné les États-Unis et les cinq continents pour plaider la cause des Trois d’Angola et des prisonniers politiques aux États-Unis. Il a été notamment reçu par les Parlements des Pays-Bas, du Portugal, de France, d’Indonésie, du Brésil et d’Angleterre.

Malik Rahim (à gauche) et Mwalimu Johnson (à droite), 2013.

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Robert King devant la prison d’Angola pour exiger la libération de ses camarades.

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Invité d’honneur de l’ANC (African National Congress), il a eu l’opportunité de rencontrer Des-mond Tutu en Afrique du Sud.

En 2003, pour gagner sa vie, Robert King commence à fabriquer et à vendre une sucrerie qu’il avait créée en prison : les Freelines1 (pralines de la liberté). Dans sa cellule, il avait élaboré sa petite cuisine person-nelle, avec des casseroles en canettes chauffées par la combustion de lianes de papier toilette. Il en distribuait à ses amis codétenus, notamment dans le couloir de la mort.

En 2009, Robert King publie son autobiographie From the Bottom of the Heap (Depuis le bas de l’échelle, non traduit en français), dont de nombreux éléments ont inspiré le présent ouvrage.

2006 - « La maIsON qU’HERmaN a cONsTRUITE »

En 2006, l’artiste américaine Jackie Sumell lance le projet « La maison qu’Herman a construite2.»

Elle pose la question suivante à Herman Wallace : « De quelle maison rêve un homme ayant vécu pendant plus de trente ans dans une cellule de deux mètres par trois ? »

Les échanges épistolaires entre l’artiste et Herman donnent naissance à une exposition juxtaposant une reproduction de sa cellule avec le plan de la maison rêvée. C’est celle qui apparaît dans le rêve d’Herman dans la présente bande dessinée.

En 2013, ce projet est devenu un documentaire, Herman’s House, réalisé par Angad Bhalla.

2008 - DEs éLUs sE mOBILIsENT

En mars 2008, deux représentants du Congrès américain, Cedric Richmond et John Conyers, rendent visite à Herman et Albert à la prison d’Angola. Scanda-lisés, les deux élus interviennent auprès des autorités pénitentiaires : les deux détenus sont alors placés dans un dortoir expérimental avec d’autres détenus. Après quelques mois, ils sont finale-ment replacés dans leurs cellules à l’isolement, sous un prétexte complè-tement fallacieux.

Depuis, Cedric Richmond et John Conyers sont de tous les combats pour dénoncer l’injustice infligée aux deux hommes et, plus généra-lement, la pratique de la détention prolongée à l’isolement aux États-Unis.

2011- amNEsTy INTERNaTIONaL ENTRE DaNs La DaNsE

Le documentaire In the Land of the Free du réalisateur britannique Vadim Jean, avec Samuel L. Jackson en narrateur, sort en 2011 aux États-Unis et en Angleterre. Ce film retrace, depuis ses débuts, l’histoire des Trois d’Angola, en étalant au grand jour l’iniquité de la condamnation des trois hommes.

1 - voir le site : http://www.kingsfreelines.com2 - www.hermanshouse.org

John Conyers (à gauche) avec Robert King.

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Le 9 octobre 2012, Robert King reçoit son diplôme de docteur honoraire en droit de l’Université Anglia Ruskin de Cambridge pour ses réalisations comme militant des droits civiques.

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Outil militant, ce film est projeté des centaines de fois dans des cinémas, universités, écoles, ainsi qu’au Parlement européen et au Congrès américain.

Une version sous-titrée en français de ce documentaire, non distribuée en France, a été projetée à travers la France par les militants d’Amnesty International à de nombreuses reprises depuis mai 2013.

En juin 2011, Amnesty International publie le rapport : 100 ans à l’isolement : les Trois d’Angola et leur combat pour la justice. L’organisation, qui enquête depuis quelques années sur la détention à l’isolement aux États-Unis, s’est attardée sur la cruauté particulière du traitement infligé aux trois hommes. La sortie du rapport marque le lancement d’une campagne de mobilisation publique internationale.

quelques dates-clés de cette mobilisation

• 17 avril 2012 : Pour le 40e anniversaire de la mise à l’isolement des deux hommes, Amnesty International et Robert King remettent au gouverneur de Louisiane 50 000 signatures d’une pétition demandant la fin de la mise à l’isolement d’Albert et Herman.

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Devant le siège du gouverneur de Louisiane, à Bâton Rouge

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• 19 février 2013 : Albert Woodfox voit sa condamnation annulée une troisième fois.

À l’appel d’Amnesty International, des dizaines de milliers de personnes écrivent au procu-reur général de l’État de Louisiane pour lui demander de ne pas faire appel de cette décision, ce qui prolongerait le calvaire d’Albert Woodfox. En réponse à chacun des signataires, le procureur lance une campagne de calomnie contre Albert et fait appel.

• mai 2013 : Robert King est invité par Amnesty Interna-tional en France, en Angleterre, et à Bruxelles.

Il y reçoit notamment l’appui du ministère des Affaires étrangères français, du barreau des avocats de Paris, de la Mairie de Paris, de la Commission européenne, ou encore des membres de la Commission des droits de l’homme du Parlement britannique. Il dépose aussi 50 000 nouvelles signatures recueillies en France auprès de l’ambassade des États-Unis à Paris. Sa visite est aussi lar-gement médiatisée : une trentaine de médias nationaux relaient alors l’histoire des Trois d’Angola.

2013 - La BaTaILLE pOUR La LIBéRaTION D’HERmaN

Fin juin, alors qu’Herman apprend qu’il a un cancer en phase terminale, Amnesty International lance une pétition pour demander sa libération immédiate et la fin de son isolement.

Aux États-Unis, le 12 juillet, le Comité des affaires judi-ciaires du Congrès américain appelle à une enquête sur la pratique de la détention à l’isolement dans l’État de Louisiane3, en citant le cas des Trois d’Angola comme un

3 - http://richmond.house.gov/sites/richmond.house.gov/files/documents/ 7%2012%2013%20Letter%20to%20DOJ%20re%20Angola%203.pdf

Robert King avec les parlementaires de la commission des DH, au Royaume-Uni.

Robert King au Sénat français.Robert King en entretien à la BBC.

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Herman Wallace, en juillet 2013, alors qu’il vient d’être libéré de sa peine à l’isolement après avoir été diagnosti-

qué d’un cancer incurable.

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exemple flagrant de violation des droits constitutionnels des détenus. Herman est sorti de l’isolement le 10 juillet 2013. Il faudra quelque 150 000 appels du monde entier pour qu’il soit finalement libéré le 1er octobre 2013, sur décision d’un juge.

2014 – LIBéREz aLBERT !

Depuis le 1er octobre 2013, tous les ef-forts des militants sont concentrés sur la libération d’Albert.

Le 7 octobre 2013, trois jours après la mort d’Herman, Juan E. Méndez, rap-porteur spécial des Nations unies sur la torture, appelle publiquement les États-Unis à cesser immédiatement le main-tien à l’isolement d’Albert Woodfox. Il conclut : « Quatre décennies d’isolement peuvent uniquement être décrits comme de la torture4. »

Alors que sa condamnation a été annulée, mais que l’État de Louisiane a fait appel de cette décision, la décision du juge concernant cet appel n’est pas connue à ce stade.

Fin février 2014, Teenie Rodgers, veuve du gardien qui aurait été tué par Albert et Herman, déclare dans un entretien avec Amnesty International qu’elle est convaincue de l’innocence des Trois d’Angola, et appelle à la liberation immédiate d’Albert Woodfox.

4 - http://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=13832

Juan E. Mendez, rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture.

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Défilé dans les rues de la Nouvelle-Orléans pour rendre hommage à Herman Wallace et exiger la libération d’Albert Woodfox.

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Teenie Rodgers, veuve du gardien Brent Miller.

« Je suis persuadée que les Trois d’Angola sont innocents. J’ai examiné tous les éléments et personne ne pourra me convaincre du contraire : ils sont innocents. L’accusation vous dira de vous reporter aux preuves et aux transcriptions. C’est ce que j’ai fait, et je n’ai rien trouvé qui prouve la culpabilité d’Herman et d’Albert. J’ai l’impression que l’État s’acharne sur eux parce qu’ils ont besoin de coupables et qu’ils croient rendre justice. En réalité, ils commettent une injustice, depuis des an-nées. Je pense qu’il faut que cela cesse, pour que ma famille et moi puissions enfin trouver la paix. »

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POUR EN SAVOIR PLUS ET POUR AGIR :

En français :

www.amnesty.fr/angola3

En anglais :

www.angola3.org

Créée en 1961 par Peter Benenson, Amnesty International est un mouvement mondial et indépendant rassemblant près de 3 millions de personnes qui œuvrent pour le respect, la défense et la promotion des droits humains. En cinquante ans, Amnesty International a profondément évolué. Son champ d’intervention, initialement limité aux prisonniers d’opinion, s’est étendu à l’ensemble des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels inscrits dans la Déclaration universelle des

droits de l’homme de 1948.

Prix Nobel de la paix en 1977, Amnesty International est indépendante de tout gouvernement, de toute tendance politique, de toute croyance religieuse et est donc en mesure de dénoncer les violations des droits humains partout dans le monde, en toute impartialité. Elle fonctionne et fi nance ses actions grâce au soutien fi nancier de ses donateurs et de ses membres. Amnesty International n’accepte aucune subvention ou don des États, des partis politiques et ne sollicite

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