Le Chaos d’Esculape · 6 Juin 2013 Roman dédié à ... barcarolle à la mode en 1914, ... toutes...

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Jean-Philippe Barrey Le Chaos d’Esculape Le Naufrage de la médecine

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Couverture : Classique

[Grand format (170x240)] NB Pages : 438 pages

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Le Chaos d’Esculape

Jean-Philippe Barrey

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Jean-Philippe Barrey

Le Chaos d’Esculape

Le Naufrage de la médecine

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6 Juin 2013

Roman dédié à tous ceux qui n’ont pas renoncé à l’essentiel de leurs vies : L’après-demain.

Le regard de la Vérité : Plage d’Innocence.

Pour l’âme qui vient du ciel, la naissance est une mort.

Empédocle, philosophe grec, 500 ans avant J.C

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Tout le monde tient le bien pour le bien c’est en cela que réside le mal.

LAO TSEU

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Lundi

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1909-1922

Anton Zauber, Je m’appelle Anton Zauber avec ce Z chevillé au corps tel Don Diego de la Vega, présent surtout pour me rappeler mon ascendance germanique, cas échéant.

Est-il possible d’omettre une telle origine ? Si noble, tellement nourrie de lumière violente et bilieuse. Je suis né le 14 février 1909 au 10, SchubertStrasse à Linz, land de

l’oberÖsterreich, Autriche, dans un immeuble bourgeois, façade ocre et imposante, résolument de style baroque. Bâtisse obséquieuse.

Que vous confier d’intéressant de mes toutes premières années d’existence ?

Elles se déroulèrent suspendu aux crinolines de ma mère comme tant de fils uniques, vraisemblablement pour ne pas percevoir la réalité trop crue de la vie, si hâtivement.

En réalité, je ne conserve que très peu de souvenirs de cette période obscure.

Je ne dis pas noire, je cite et revendique : obscure. Une ère ténébreuse. Oui, voilà, c’est écrit. N’en parlons plus. Bien sûr, il y eut cette terrible lutte fratricide qui débuta par la

disparition précipitée de ce Habsbourg d’opérette revêtu de jolis gants blancs surmonté d’un ridicule chapeau plumé dont personne ne se souciait réellement avant le tragique incident des Balkans.

Après son assassinat non plus d’ailleurs, seuls l’onde de choc et ses contrecoups eurent des répercussions néfastes sur le cours de nos destinées directement joint avec l’événement à caractère historique inscrit sur le pavé, souvent glissant, de l’histoire.

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Le drame de Sarajevo. Finalement, l’achèvement abouti de ce meurtre ne mit à jour qu’un

alibi prétexte à l’expression palpable et tangible de la rancœur bien plus profonde, singulièrement concrète qui séparait ces dignitaires européens, probablement tous cousins, les uns contre les autres.

Inutile de développer davantage ce chapitre, les manuels d’histoire regorgent de documentation sur cette escalade au conflit, soufflée à vif dans sa genèse par les cendres encore tièdes de la précédente belligérance.

Croisade pangermaniste cadencée sur fond de lied « Alsace-Lorraine », barcarolle à la mode en 1914, hurlée par la foule comme une rengaine imposée et ce sur les deux rives du Rhin.

– Wolfgang, réveille-toi, je t’en conjure, ne laisse pas tes semblables chavirer dans une telle cacophonie distordue !

Mais, Amadeus Theophilus ne sortit pas de sa torpeur létale en dépit de mes invocations incessantes.

Hélas. Trois fois hélas ! Par conséquent, mon père dût déserter le domicile conjugal pendant

toutes ces saisons dantesques, déporté le long de cette balafre qui défigurait davantage la France, jour après jour.

Le mot jour est-il bien posé dans cette litanie lugubre ? Nuit après nuit s’adapterait mieux à la dystrophisation d’un pays et de

son peuple. De tous les humains, in fine. Quand il revenait en permission à Linz, je ne voyais en lui qu’un

individu aux yeux absents, effrayé comme s’il avait côtoyé l’abomination de trop près, la barbe rousse exagérément longue, barbare et son rire aux tonalités étranges, faisait frissonner jusque les tableaux de maîtres accrochés dans notre salon. Il me faisait atrocement peur et je ne ressentais que haine et jalousie envers cet homme qui ne faisait, somme toute, que reprendre la place qui était sienne : son lit marital. Le moindre murmure entendu des divertissements nocturnes parentaux me déclenchait la nausée que seule une envie d’éliminer physiquement mon géniteur m’offrait un répit illusoire dans l’expression de ma jalousie démesurée à son égard. Violence du complexe d’Œdipe dont je sondais les outrances, au moins dans leur faculté d’autodestruction mentale.

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J’achevais par convoiter la balle de ce fusil britannique qui devait avoir raison de cet ogre au cours de l’été 1916 sur le front de la bataille de la Somme.

Par ailleurs, je venais d’atteindre l’âge communément dit de « raison ». Enfin j’y escomptais mais ma vraie libération eut lieu bien plus

tardivement, au cours de l’automne 1918 : La grippe dénommée espagnole fut ma vraie double révolution sans retour admissible à la case départ. Une sorte de peste noire restituée par les entrailles profondes de la terre mutée en virus bien plus ravageur que son acolyte ancestral.

Pendant ces épisodes de vaine torpeur que je ressentais lors des brèves réapparitions de mon père, seules les rêveries aux abords du jardin botanique planté non loin d’Ursulinenkirche me réconfortaient vigoureusement, promptement.

Je me souviens : cette fragrance évanescente, synonyme de l’arrivée indécise d’un été prometteur de lumière, douceur retrouvée, hélas non acquises à tout jamais me créait une régénération de l’espoir, pourtant et je le déplore, à plus forte raison avec le fardeau des millésimes indomptés qui s’accumulent dangereusement sur mes épaules, la saison estivale reste chose trop momentanée et bien fugace.

Les fleurs de Tilleuls. Leur parfum me procurait un élan irrésistible de vitalité retrouvée, une

quasi-renaissance, l’espoir de l’émergence en des jours meilleurs à venir, seul, toujours rivé à ma mère, blotti, tel mon fœtus dans ses entrailles m’enivrant de l’odeur délicate, féminine de celle qui m’avait mise au monde tandis que je cédais à la tentation de déguster avec une avidité à peine dérobée, sa délicieuse recette de la Linzertorte.

Visualisez bien l’image énoncée, elle ne manque pas d’être pour le moins grotesque mais possède néanmoins la vertu d’être éloquente. Fin de l’intermezzo puéril.

Pour le moment. Je rechignais à grandir de peur de suivre le schéma paternel qui me

dégouttait fermement. Non, j’en suis intimement convaincu vingt ans plus tard à l’heure où je m’épanche sur le papier vierge. Je ne sais réellement quelle en était ma motivation profonde pour me réfugier dans cette

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transgression : besoin de quiétude, d’absorber une dose massive de câlins afin de me préparer à recevoir les coups bien vils que la vie ne tarde jamais à nous envoyer en pleine poitrine. Peut-être est-ce tout cela et bien plus encore, réflexion faite que je recherchais âprement. C’est donc en humant ces subtils effluves floraux que je pris pour la première fois conscience que j’étais doté d’un immense privilège.

Je vivais.

Oui, je faisais partie intégrante de la communauté des vivants, si alchimique, fortuite, qu’elle force au respect sublime.

01-Mozart-Symphonie 6 in F-Andante-K43

Toutefois, l’enfance ne fut pas mon terrain de jeux privilégié ; elle accoucha néanmoins d’un humus fourmillant, le terreau fondateur qui verrait grandir au fur et à mesure des années, expériences acquises, des échecs aussi, la victoire de mon idéal.

Ma propre éclosion.

Comme les tilleuls parfumés de la Blumauer Platz implantés à quelques pas de la Hauptplatz, non loin de Taubenmarkt, le centre frémissant et commerçant de Linz.

Non, l’enfance ne me concéda que peu de mémoires délicieux parce que je n’avais pas la souveraineté d’esprit auquel j’ai toujours aspiré autant que je me souvienne. Je gardais l’espoir que cette sensation existait, tout au moins, me berçais-je d’illusions à son intention.

J’appris beaucoup plus tard qu’il ne s’agissait en fait que d’un simple leurre.

Liberté, joli mot pour désigner la conquête d’une autonomie aux vertus chimériques.

Quant à l’institution scolaire, ce microcosme de la société fondé sur un soi-disant idéal égalitaire s’avère être une entité où toutes les offenses du monde majeur s’y déroulent sans vergogne en mode mineur, abstraction faite de la notion de politesse inexistante en son sein et qui pourtant caractérise normalement l’âge adulte. L’école a beau suivre une multitude de réformes, elle ne demeure invariablement que la duplication des

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névroses de la démocratie qui la nourrit ou de tout autre appétit dérivant d’un régime politique aux desseins douteux qui l’alimente.

Institution peu fréquentable. Un simple prélude à peine voilé de notre intégration sociétale dans

l’appréciation qui paraît la mieux adaptée pour ne pas contester le fonctionnement de la bête immonde, j’ai nommé la société particulièrement celle nommée de consommation. La base de notre éducation repose sur ce schéma sournois dispensé par nos institutions scolaires : créer des intelligences contrôlées qui ne sortent pas du rang, invariablement, l’école demeure prison, une cellule pour être précis. La lucarne qui la surmonte permet au détenu d’imaginer l’univers sans lui laisser l’opportunité de pouvoir l’étreindre et de le croquer comme une pomme mûre à pleines dents. Évidemment, comme partout, j’y ai connu des exceptions, des professeurs qui s’écartaient du sentier battu de la bonne pensée ambiante. Quand un précepteur ose caresser à ce degré d’insolence, il marque l’esprit de son disciple, à jamais.

L’infraction paraît la règle fondamentale à honorer dans l’exercice de cet art difficile qu’est l’enseignement. Cependant l’école fut aussi un tremplin colossal pour mon esprit comme pour tous ceux qui sont animés par l’appétence pantagruélique à trouver une clarté.

La lumière du savoir est si éclatante. Une lapalissade strictement véridique que je souhaite vous rappeler à

cet instant précis. Ce qui semble directement assuré n’est jamais incontestablement garanti.

Le savoir est un Dieu et les livres sont sa Bible, non figée dans le marbre.

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1923-1924

Les hivers coulaient doucement sur le coude encore fougueux du Donau lorsqu’il traverse Linz, blanchissant au passage a fortiori lors du basculement des saisons, la somptueuse chevelure brune de Sophia, ma mère, me transférant a contrario quelques centimètres additionnels en longitude et latitude.

C’est au cours de l’année scolaire 1923 que j’entrepris le plus étonnant transport enthousiaste que je n’avais encore conçu à cette époque.

Aujourd’hui encore, cette période de forte exaltation sensorielle me bouleverse par l’émerveillement qu’il eut la bonne idée de concevoir en mon for intérieur.

Ma rencontre avec un semblable, si différent, tout au moins dans ses contours, l’étranger : l’autre.

Le parallèle approprié pour étayer mon sentiment de cette époque lointaine serait indiscutablement le comparatif émotionnel ressenti par Christophe Colomb à la veille de son départ pour rejoindre le Levant par le Ponant. Une angoisse nourrie de doutes et d’espérance, voilà ce qu’il dut percevoir au plus profond de son être avec de surcroît une charge bien lourde à porter seul : celle d’une destinée hasardeuse mettant en péril l’ensemble de son équipage. Il fut aussi un explorateur en quête d’acquisitions reculées, hostiles, dangereusement inconnues : un aventurier, au sens noble du terme.

Mon Amérique à moi répondait au nom quelque peu rugueux mais tellement authentique dans son expression spontanée de l’admission amicale : Otto. Il accosta d’Allemagne comme on arrive des ténèbres, de nulle part. J’appris beaucoup plus tard que son père était venu s’installer en

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Autriche pour voler au chevet de l’entreprise familiale tombée en désuétude suite à la crise qui touchait alors de plein fouet les anciennes provinces de l’Empire austro-hongrois, démantelé après le traité du Trianon signé impérialement sous les candélabres dorés d’un lointain palais français.

Un prix Nobel du chaos absolu nous fut même gracieusement décerné tel un os que l’on donne à ronger aux chiens affamés et l’heureux vainqueur de cette compétition ne fut autre que Fritz Haber, grand chimiste de la mort pétillante, annonciateur de l’ère hégémonique du redoutable Zyklon B.

Je me souviens avec exactitude de ce matin diffus de février, lorsqu’Otto entra pour la première fois dans la cour de notre Gymnasium où je préparais à l’instar de mes camarades, la matura, l’équivalent autrichien de l’abitur allemand. Et c’est dans cette grisaille hiémale qu’il pénétra sans indulgence dans ma vie.

Otto ressemblait à tout ce que vous voudrez hormis à l’archétype teutonique tel que l’on peut se l’imaginer si l’on se réfère aux trop simplistes images d’Épinal. Bien proportionné de sa personne, il était pourvu d’une taille moyenne, doté par nature d’une allure mince et sportive, peau couleur pain d’épices, texture proche de la perfection, analogue à la douceur veloutée d’une pèche en pleine maturation. Ses cheveux portaient la teinte du pennage d’un corbillat, un noir jais aux reflets bleutés, que je présumais épisodiquement lorsqu’ils étaient exposés sous la clarté aveuglante du soleil y deviner un arc-en-ciel lorsque mon œil affable se focalisait sur leur fluorescence multicolore. Pour ne rien abîmer à cette toile vivante, son regard était d’une franchise incorruptible, dégageant pureté et sincérité de l’enfance qui voulait s’éterniser encore en lui pour quelques temps. La teinte de ses yeux réfléchissait un azur lapis-lazuli qui me produisait invariablement l’envie de plonger à pieds joints dedans et sans l’ombre d’une équivoque.

Au premier Augenblick, nous nous sourîmes instinctivement, confraternellement, attachés ostensiblement l’un à l’autre à compter de cet instant, pour longtemps. Condamnés conjointement à vivre le pire mais bien davantage son contraire : la meilleure facette de l’amitié. Ce beau chevalier venait de la lointaine Rhénanie, plus précisément de la ville de Solingen. Il me

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sembla immédiatement le connaître depuis toujours, en tout cas je ne ressentis aucune réticence de quelque ordre que ce soit à son égard.

Autant que je me souvienne, il n’était mon aîné que de deux ans environ, différence d’âge qui nous valut quelques ardentes querelles sur le thème majeur de la soumission passive consentie sciemment vis-à-vis d’un autre que soi.

Relativisons le sujet, cela fut principalement un sujet de discussion divertissant entre nous deux bien plus que l’expression d’une quelconque domination l’un envers l’autre.

– Anton, je te demande de bien vouloir m’écouter, tu sais que tu me dois le respect eu égard à mon grand âge, se plaisait-il à me rebattre les oreilles, de sa voix déjà formée.

Puis il éclatait de rire à la fin de sa harangue fictivement précieuse. Et moi, en véridique chenapan : – Otto, ce n’est pas parce que je suis ton cadet qu’il faut me taire à plein

temps. – Certes, je t’écoute petit, mais je n’entends que ce je veux bien écouter

et n’obéirai à tes prérogatives que sur autorisation de mon avoué. – Assurément. Pour la conciliation de notre relation, je m’inclinais sans renâcler à ses

exigences puériles faussement viriles. Ainsi, le hasard dessinant bien les choses, nous nous retrouvâmes

ensemble en cours, soudés comme les deux doigts adjacents d’une main. Nous avions tous deux nos matières préférées, lui les mathématiques, la physique et la chimie, moi l’histoire, la géographie et la littérature. Ces inclinations innées nous procuraient la liberté de n’étudier sélectivement que dans nos disciplines fétiches, devoirs y compris et de partager ainsi nos connaissances, à moindre coût cérébral.

J’allais pour ma part jusqu’à moduler nos réponses pour un travail identique afin de n’éveiller aucun soupçon préjudiciable résultant de nos précepteurs, à dessein d’annihiler tout risque d’incohérence de la tâche accomplie dans un souci de bien-être commun. À nous deux, nous formions un élève de haut rang. Mais en duo, exclusivement.

02-Mozart-Piano Concerto 11 in A-Tema con variazoni-K331-K300i

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Je présume qu’il adopta du même artefact car nos résultats se révélèrent parfois surprenants, divergents : je me suis retrouvé ainsi affublé de bien meilleures notes que lui en mathématiques, simple rançon du hasard de son imaginaire débordant, au but éloquent de me glorifier, il va sans dire. Nous nous voulûmes plus audacieux que Malin ; ce dispositif fonctionna admirablement pendant nos deux années scolaires communes.

Cet amusement de dupes, économiseur d’efforts stériles, vains, offrait ainsi libre cours à notre imaginaire pour nous adonner à d’autres activités ô combien plus enrichissantes que le bachotage, et ce pour l’un comme pour l’autre. Otto était un garçon épris de liberté de mouvement qui avait besoin de grandes étendues pour se ressourcer et de temps disponible à son actif comme un autre espace à conquérir afin de nourrir sa quête créatrice d’une identité foncièrement aventurière.

Orphelin de mère depuis sa plus tendre enfance, il répugnait à m’inviter le jeudi pour prendre un thé chez lui.

Y avait-il un lien de cause à effet ou était-ce là le simple fruit de mon imagination débordante qui cherchait à justifier de cette distanciation qu’il dressait entre nous ?

Question sans réponse. J’attribuais ce comportement rétif à la dilapidation familiale

dramatique, vécue par lui comme bouleversante mais le forgeant aussi durement que l’acier acéré d’une dague pointue.

Aussi et par simple pudeur, je n’osais guère par réciprocité le convier à venir chez moi agissant ainsi de concert avec lui, mon allié affectif, ne désirant pas, d’autre part, lui exposer une part par trop intime de ma personnalité sensible.

J’étais son benjamin, certes, je n’en étais pas moins un adolescent au seuil de devenir charnellement un homme et plutôt fier d’être pourvu des attributs masculins, lesquels commençaient à émerger du grand coma infantile.

Nous adoptâmes donc une nouvelle stratégie d’attaque pour nous rejoindre les jeudis après midi en terrain neutre.

L’idée vint de lui et le concept ne manquait assurément pas de charisme.

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Notre intégration au sein de l’Ôsterreichischer Wandervogel, section de Linz, sorte d’organisation scoute mais sans cette prolifération outrageuse de concepts moraux, clé de voûte des sympathisants de Lord Baden-Powel qui étranglent la nature intrinsèque de l’individu, son inclinaison à l’initiative primale fut notre nouveau point d’ancrage affectif. Une sorte de clé de voute affective à partager à deux.

Nous nous fixâmes donc un point de rendez-vous fixe, endroit où nous devions nous rejoindre afin d’entreprendre une escapade libre en montagne avec les autres membres du Wandervogel local.

– Anton, la loi canonique que je te fixe présentement l’exige comme suit ; à midi, je t’attendrai tous les jeudis tant que je vivrai sous le kiosque protégeant la statue érigée en l’honneur des travaux de Johannes Kepler sur le mouvement des planètes, vois-tu où cette dernière siège-t-elle ?

– Tu me parles de ce pavillon de couleur blanche surligné par le bronze vieilli d’un homme aux bras ouverts qui porte un livre de sa main droite, c’est bien cela ?

Otto applaudit à ma description précise de la juste place réservée à ce précurseur de l’astronomie moderne.

Ainsi, je me rendis compte que j’évoluais dans une région tout simplement merveilleuse, inéluctablement, le bassin de Linz imposait tout en douceur une vraie félicité visuelle : un saphir aux pieds fermement ancrés dans le Danube dont la frimousse titillait la moustache des Edelweiss.

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Nous déambulâmes de la sorte pendant plus d’un an, soutenus par les vents favorables qu’exploitent les oiseaux migrateurs et à leur image, nous volions au gré de nos tentations de découvertes de notre Land.

Les saisons s’affichaient distinctement sur les cimes alentours, même les yeux clos, il était tout à fait possible de les deviner sans être pour autant un grand devin.

Un fort effluve d’aspérule odorante exposait le printemps auquel succédait l’arôme benoît proche du miel synonyme de la période estivale. Les vapeurs odoriférantes des épicéas mêlées à la mousse de chêne et aux

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morilles évoquaient brutalement l’embrasement automnal des escarpements rocheux. La glace et la neige régnaient en seigneurs absolus sur l’hiver symbole torride de la puissance fortifiante de la nature. Ces deux éléments polaires précédemment cités répandent un fumet caractéristique semblable à une aimable combinaison corsée de bois chaud, humide et saturé d’ozone en suspension.

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Nous nous transformèrent en grues cendrées voltigeant par-dessus les Alpes majestueuses, si supérieures, quoiqu’en y considérant de plus près, ces montagnes imposantes savent se montrer magnanimes à qui sait les respecter pour ce qu’elles sont : des divinités sacrées, certes, quelque peu susceptibles il est vrai mais où je vécu en leur sein protecteur une nouvelle sensation que l’on appelle communément le bonheur.

Ponctuellement, il semble bien qu’il existe ici-bas. Là haut surtout. J’y ressenti la béatitude simple d’être tout simplement là, à cet endroit,

maintenant et d’en avoir pleinement conscience. Une sorte de sentiment proche du fameux carpe diem décrit par les

écrivains antiques et souvent retranscrit en maxime sur les cadrans solaires. J’étais tellement absorbé par nos études tout comme nos excursions

hebdomadaires que j’en omettais par pure inattention d’observer ma mère et de relever certains signes qui auraient dû m’alerter sur un virement possible d’humeur impactant mon existence devenue insouciante.

Presque indolente.

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