Le cas de l’Inde - idrc.ca FR/cas-de-l... · qui a trait à la disparité croissante entre les...

20
Les économies émergentes et l’aide au développement international Le cas de l’Inde Ce texte est un résumé d’un rapport de recherche préparé par Subhash Agrawal Rédacteur en chef, India Focus New Delhi Un des cinq rapports sur le rôle joué par les économies émergentes dans le financement du développement international Décembre 2007

Transcript of Le cas de l’Inde - idrc.ca FR/cas-de-l... · qui a trait à la disparité croissante entre les...

Les économies émergentes et l’aide au développement international

Le cas de l’Inde

Ce texte est un résumé d’un rapport de recherche préparé par

Subhash Agrawal

Rédacteur en chef, India Focus New Delhi

Un des cinq rapports sur le rôle joué par les économies émergentes

dans le financement du développement international

Décembre 2007

Table des matières Sommaire ........................................................................................................................................ 2 1. De bénéficiaire à bailleur de fonds .............................................................................................. 3 2. La structure, les apports et les priorités de l’aide au développement indienne .......................... 5 3. La formation, l’éducation et la recherche pour le développement............................................... 9 4. La collaboration en matière d’aide au développement : l’approche de l’Inde ........................... 13 5. Les nouvelles tendances et les perspectives ............................................................................ 15 6. Conclusion ................................................................................................................................. 18 Bibliographie .................................................................................................................................. 19

2

Sommaire Au cours de la dernière décennie, l’Inde est discrètement devenue un important fournisseur d’aide au développement à d’autres pays moins développés. En fait, les tendances actuelles donnent à croire que le pays pourrait devenir un exportateur net d’aide au développement d’ici cinq ans. Cette transformation est alimentée par la perception de l’Inde, qui se voit comme une puissance émergente, par sa concurrence avec la Chine pour acquérir de l’influence politique et des ressources énergétiques dans les pays en développement, et par la croissance rapide de deux de ses secteurs intérieurs : les activités sans but lucratif et les services de consultation privés. Le but global des programmes d’aide au développement de l’Inde est d’accroître l’influence géopolitique du pays et de constituer un groupe viable de décideurs clés favorables à l’Inde dans les pays bénéficiaires. Les tentatives du pays de partager son expérience en matière d’atténuation de la pauvreté et de développement économique par l’entremise d’un réseau dynamique de consultants et d’experts sont la caractéristique la plus marquante de ce programme. Le gros de l’aide au développement de l’Inde va à la formation, au renforcement des capacités et à d’autres investissements informels dans les pays bénéficiaires — bien que le pays appuie aussi un certain nombre de projets d’immobilisations par l’entremise de l’aide financière et technique. L’Inde ne finance toutefois à peu près aucun travail de recherche pour le développement, bien que presque tout ce que le pays fait à l’étranger soit exécuté par l’immense establishment scientifique et technologique du secteur public. Les responsables de la politique étrangère du pays savent fort bien que les mécanismes actuels de prestation de l’aide au développement sont soit énormément sous-développés, soit excessivement bureaucratiques; un débat est en cours en arrière-plan, qui vise à cibler l’aide au développement du pays et à mettre en place des mécanismes d’exécution plus efficaces. Le rapport comporte cinq grandes sections. La première porte sur la transformation historique de l’Inde, qui est passée de bénéficiaire de l’aide au développement international à bailleur de fonds. La deuxième examine la structure, les apports et les domaines prioritaires de l’aide au développement de l’Inde. La troisième traite de la place privilégiée accordée à la formation, à l’éducation et à la recherche pour le développement, tandis que la quatrième approfondit l’approche de l’Inde en matière de collaboration internationale. Enfin, la cinquième section explore les tendances nouvelles et futures des programmes d’aide au développement de l’Inde.

3

1. De bénéficiaire à bailleur de fonds Au cours de la dernière décennie, l’économie, la politique et l’activité diplomatique ont connu des changements manifestes, et ce, à plusieurs niveaux, qui ont tous permis de rehausser graduellement l’image du pays à l’étranger et la confiance au pays même. Au cours de cette période, l’économie indienne a affiché une croissance annuelle supérieure à 7 %, l’investissement étranger et le commerce extérieur ont progressé à des taux supérieurs à 10 %, la taille de la classe moyenne scolarisée a triplé, l’industrie de la technologie et de l’information du pays, dont la croissance ne se dément pas, est devenue un chef de file reconnu à l’échelle de la planète, et les réserves de devises étrangères ont gonflé au point de déborder. L’Inde est maintenant la quatrième plus grande économie du monde pour ce qui est du pouvoir d’achat interne et la douzième sur le plan des réserves de monnaie forte. Les sociétés indiennes, qui exerçaient auparavant des pressions pour empêcher l’entrée de sociétés multinationales, réalisent maintenant, avec fierté, leurs propres ambitions mondiales; elles ont acheté des entreprises et des marques étrangères d’une valeur de plus de 30 milliards USD au cours des trois dernières années. En fait, l’Inde est devenue un exportateur net de capital1. Ce rendement au niveau macro ne va toutefois pas sans failles et contradictions, surtout en ce qui a trait à la disparité croissante entre les taux élevés de croissance économique dans les zones urbaines de l’Inde (et dans les emplois du secteur tertiaire) et les faibles taux de croissance en milieu rural. En fait, près de 250 millions de personnes vivent avec moins de 1 USD par jour, et de nombreuses inégalités persistent. Malgré ces défis, l’Inde a amélioré ses indices économiques globaux, ce qui est en soi une réalisation de taille compte tenu de son immense population. La pauvreté globale est passée de 40 à 25 %, l’espérance de vie moyenne a atteint 63 ans et l’Inde est l’un des rares pays en développement qui ont des chances d’arriver à réduire de moitié le pourcentage de la population vivant dans une pauvreté extrême d’ici 2015, une réalisation qui est conforme aux Objectifs du Millénaire pour le développement des Nations Unies2. La montée économique de l’Inde a aussi coïncidé avec des événements géopolitiques reliés aux attaques terroristes du 11 septembre, qui ont mis en relief les caractéristiques positives de la démocratie, de la laïcité et du multiculturalisme indiens. L’Inde et les pays du G8 partagent de plus en plus un sentiment de confiance et un esprit de partenariat, et l’isolement imposé à l’Inde à la suite des essais nucléaires de 1998 est, dans une large mesure, chose du passé. Par exemple, l’Inde et les États-Unis ont signé un accord bilatéral historique sur l’énergie nucléaire civile, qui a pour effet d’accorder à l’Inde une reconnaissance de facto en tant que puissance nucléaire. L’ascension économique et l’accroissement de son influence géopolitique ont fait en sorte que l’Inde a été en mesure de redéfinir ses relations avec le monde, y compris ses relations avec les bailleurs de fonds étrangers. Il y a dix ans seulement, l’Inde dépendait toujours plus — et souvent désespérément — de l’aide de l’Occident. À un moment, au milieu des années 1980, le pays était le plus important bénéficiaire de l’aide étrangère dans le monde. L’aide étrangère

1 Les acquisitions mondiales très médiatisées par des sociétés indiennes, telles que celle de l’aciériste britannique Corus par le groupe indien Tata, ont reçu beaucoup d’attention de la part des médias et des milieux d’affaires au cours des derniers mois [« FDI outflows are set to top inflows » (The Times of India, le 21 octobre 2006) et « India Inc Goes Abroad: Indian Companies' Foreign Acquisitions » (Mape Advisory Group, avril 2006). 2 Bien que l’Inde soit en retard dans des dossiers comme l’éducation, l’hygiène publique et la mortalité infantile, ses progrès en matière de lutte contre la pauvreté sont largement reconnus. Conformément aux Objectifs du Millénaire pour le développement, l’Inde doit réduire la proportion de personnes vivant en deçà du seuil de pauvreté de 37,5 %, en 1990, à 18,75 %, d’ici 2015. En 1999-2000 (lorsqu’a été réalisée la dernière enquête nationale), le ratio de pauvreté avait déjà diminué à 26,1 %. Depuis lors, l’Inde a adopté la National Rural Employment Act pour réduire encore davantage la pauvreté dans les régions rurales. On trouvera des données plus détaillées sur le rendement de l’Inde en regard des OMD sur le site Web du Ministry of Statistics & Programme Implementation de l’Inde (http://mospi.nic.in).

4

représente à présent moins de 0,3 p. 100 du PIB national et elle est devenue marginale par rapport à l’ensemble du développement économique. En fait, les régimes successifs de l’Inde se sont opposés à ce que le pays soit perçu comme un bénéficiaire net de l’aide étrangère. Compte tenu de sa quête de puissance régionale et même de sa volonté de devenir membre du Conseil de sécurité des Nations Unies, l’Inde est de plus en plus empressée de se présenter comme un fournisseur d’aide au développement. À ce titre, les récentes politiques de l’Inde se sont efforcées de réduire la dépendance du pays à l’égard de l’aide extérieure, de rembourser par anticipation autant de dettes que possible, de réduire les relations de l’Inde avec les petits bailleurs de fonds et de maintenir des relations cordiales – mais pas serviles – avec les grands bailleurs de fonds tels que la Banque mondiale, la Banque asiatique de développement et le Japon. C’est ainsi qu’en 2003, l’Inde est devenue un créancier net du Fonds monétaire international et du Programme alimentaire mondial, après avoir été un pays emprunteur auprès de ces organismes pendants des années. La nouvelle autonomie de l’Inde et sa puissance financière émergente ont permis au pays d’annoncer qu’il n’accepterait plus d’aide liée et qu’il n’accepterait de l’aide publique bilatérale que de cinq pays (l’Allemagne, le Japon, la Russie, le Royaume-Uni et les États-Unis) et de l’Union européenne3. Les autres pays ont été invités à diriger leur aide par l’entremise d’organisations non gouvernementales et d’institutions multilatérales. L’Inde a par la suite accru le nombre des bailleurs de fonds acceptables pour y inclure la France, l’Italie et le Canada. La réaction de l’Inde au tsunami asiatique de 2004 et au tremblement de terre au Cachemire en 2005 a illustré la nouvelle approche du pays en matière d’aide au développement. À ces deux occasions, l’Inde a refusé l’aide internationale. En fait, le pays a envoyé des navires pour aider les victimes du tsunami au Sri Lanka, aux Maldives et en Indonésie, et a aidé à sauver des centaines de vies. En 2006, l’Inde a de nouveau refusé les offres d’aide de l’étranger lorsque la capitale commerciale du pays, Mumbai, a été paralysée par de violentes moussons qui ont tué des centaines de personnes. Cette nouvelle approche, que certains ont louangée et qui en a laissé d’autres perplexes, prend racine dans l’histoire et dans l’âme du pays : l’Inde a connu la réussite lorsqu’elle s’est attachée à résoudre ses problèmes par ses propres moyens. L’approche du pays est aussi guidée par une aspiration claire : après des années de retard et d’isolement, les responsables des politiques, les politiciens et les professionnels indiens sont très fiers de l’ascension constante du pays, et sont résolus à faire en sorte que cela continue.

3 India's Makeover: From Aid-Taking To Aid-Giving, Times of India, le 2 juin 2003.

5

2. La structure, les apports et les priorités de l’aide au développement indienne Il est difficile de savoir combien l’Inde fournit d’aide au développement, où va cette aide et dans quels buts. Ni le ministère des Affaires étrangères (MEA) ni le ministère des Finances ne tiennent de dossiers sur l’aide indienne. Les rapports annuels du MEA contiennent des postes de dépenses tels que la coopération technique et économique, mais ces chiffres en dissimulent autant qu’ils en révèlent. Premièrement, ce n’est pas toute l’aide au développement indienne qui emprunte les voies bien établies ou qui se décline sous des postes budgétaires clairs. Par exemple, à la suite du tsunami en Asie, en 2004, c’est le premier ministre qui a décidé de porter assistance. Pour ces types d’opérations, les forces militaires et paramilitaires indiennes fournissent des soins médicaux et des services de réadaptation, et remettent en état l’infrastructure. Dans d’autres cas, les coûts de mise en œuvre sont partagés entre différents organismes gouvernementaux. Par exemple, les projets hydroélectriques de Tala et de Punatsangchu, au Bhoutan, (les deux vendront éventuellement de l’électricité à l’Inde) sont construits avec de l’argent et de l’équipement indiens, mais le MEA et le ministère de l’Énergie partagent les coûts des projets. Dans le même ordre d’idées, la plus grande société pétrolière du secteur public de l’Inde, ONGC, a investi 10 millions USD pour bâtir un chemin de fer au Nigeria. Dans ces cas, on devrait ranger les multiples retombées avantageuses pour les pays bénéficiaires dans la catégorie de l’aide au développement, mais ces avantages ne figurent pas dans les données officielles de l’Inde. Qui plus est, les engagements font plus souvent les manchettes que les décaissements effectifs. Depuis mai 2006, l’Inde s’est engagée à verser 300 millions USD sur cinq ans au Bhoutan et 250 millions USD sur trois ans au Népal, et a ajouté 150 millions USD à un engagement antérieur de 600 millions USD envers l’Afghanistan4. Mais ces engagements ne sont pas des apports de devises et de matériel, et ils pourraient ne pas être tenus. L’Inde n’adhère pas non plus à une définition uniforme de l’aide au développement. Ce que le pays qualifie d’« aide au développement à l’étranger » est souvent un amalgame d’appui à des projets, de subventions à l’achat, de marges de crédit, de frais de déplacement, et de frais de formation technique engagés par le gouvernement indien. L’absence de définitions globales, de mesures et de méthodes comptables laisse entendre que l’Inde gère mal son aide au développement, qui manque d’ailleurs d’une orientation stratégique bien définie. Les niveaux d’aide et les structures institutionnelles L’organisme responsable au premier chef de l’aide au développement de l’Inde est le ministère des Affaires étrangères (MEA), qui est chargé explicitement de l’aide accordée par le pays au Bhoutan, au Népal et à l’Afghanistan. Le MEA conseille aussi les ministères des Finances et du Commerce en ce qui a trait à l’aide à d’autres pays. En plus de gérer les programmes-pays pour l’Afghanistan, le Bhoutan et le Népal, le MEA finance des programmes généraux tels que l’ITEC et l’ICCR. Le ministère des Finances intervient de manière indirecte — bien qu’il exerce une surveillance administrative à l’égard des prêts de l’EXIM Bank. Malgré l’apparence de coordination centrale, toutefois, il n’est pas évident que le MEA ait effectivement intégré ces divers programmes en un cadre cohérent d’aide au développement (voir la figure 1).

4 Par exemple, voir « India to give Nepal $218m in aid », BBC, le vendredi 9 juin 2006.

6

Figure 1 : Organigramme de l’aide au développement de l’Inde

Répartition géographique et sectorielle, et motifs

Source : Rapport annuel du MEA En 2007-2008, l’aide au développement de l’Inde qui relevait des compétences du MEA a atteint 420 millions USD, soit 20 % de plus qu’en 2006-2007. Dans son discours du budget 2007-2008, le ministre des Finances de l’Inde a mentionné que le pays versait aussi 1 milliard USD par année d’aide au développement par l’entremise de divers ministères et organismes. L’Inde concentre son aide au développement dans deux régions géographiques : dans son voisinage immédiat, particulièrement au Bhoutan, au Népal et en Afghanistan; et dans les pays en développement de l’Afrique, où l’Inde a une tradition d’engagement politique qui découle du leadership qu’elle a exercé au sein du mouvement postcolonial et de son rôle actif dans le Commonwealth. Conformément à la volonté du pays de devenir une grande puissance, l’Inde a toutefois commencé à étendre considérablement la portée de son aide au développement — de l’Asie centrale à l’Asie du Sud-Est, en passant par les îles du Pacifique. Parmi les pays qui reçoivent une aide considérable, mentionnons le Sénégal, le Tadjikistan, l’Éthiopie, le Vietnam et le Kampuchéa. Le tableau 1 ci-dessous présente la répartition géographique récente des dépenses par pays ou par région. Historiquement, le Bhoutan et le Népal sont les deux pays qui reçoivent le plus d’aide5. En fait, le Bhoutan a reçu près de 30 % de toute l’aide étrangère de l’Inde au cours des 15 dernières

5 L’Inde cible particulièrement l’Asie, non seulement en matière d’aide étrangère, mais aussi d’aide militaire, et les sommes sont souvent considérables. Dans certains cas, comme celui de l’aménagement du port naval à Sittwe, en Birmanie, l’aide militaire peut avoir d’autres implications sur le plan du développement. Dans l’ensemble toutefois, la correspondance entre l’aide militaire et l’aide au développement renforce la perception selon laquelle l’Inde cherche à étendre son influence politique dans la région. Conformément à l’augmentation de l’aide au développement affectée à l’Afrique toutefois, il y a aussi des indications selon lesquelles l’Inde offre de l’aide militaire à l’Afrique subsaharienne, par exemple dans le cas de l’aide à la formation militaire au Nigeria.

Ministère des Finances

MEA

Échange culturel de l’ICCR

Formation de l’ITEC

Aide au Népal

Aide au Bhoutan

Aide à l’Afgha-nistan

EXIM Bank Prêts informels

7

années6. L’aide au développement du Népal et du Bhoutan porte avant tout sur l’infrastructure, l’éducation et la santé. En fait, une bonne partie de l’aide que verse l’Inde à des pays voisins est affectée à des projets d’infrastructure qui offrent une valeur à long terme à l’Inde (tels que des projets hydroélectriques) et qui rehaussent la réputation de l’Inde. L’Afghanistan est devenu un important bénéficiaire de l’aide au développement de l’Inde, et si la tendance se maintient, l’Afghanistan dépassera sous peu le Bhoutan à titre de plus important bénéficiaire de l’aide au développement de l’Inde. Depuis 2002, l’Inde a affecté 750 millions USD au programme d’aide à l’Afghanistan. Tableau 1 : Principaux bénéficiaires de l’aide indienne (en millions de roupies indiennes) Pays/région 2004-2005 2005-2006 2006-2007 Bhoutan 10 486 14 095 5 770 Afrique 1 068 610 200 Népal 661 660 2 100 Birmanie 62 220 400 Bangladesh 242 530 200 Maldives 32 132 60 Sri Lanka 153 250 280 Afghanistan et autres 3 567 5 038 4 452 Source : Rapports annuels du MEA Bien que l’aide de l’Inde au Bhoutan, à l’Afghanistan et au Népal soit consacrée surtout à l’infrastructure et à l’appui à des projets, l’aide aux autres pays (surtout en Afrique) se répartit comme suit : 60 % pour former les fonctionnaires, les ingénieurs et les gestionnaires du secteur public des pays bénéficiaires; 30 % pour des prêts visant à permettre aux gouvernements étrangers d’acheter de l’équipement et des services indiens; et 10 % pour des activités reliées à des projets tels que des études de faisabilité et l’envoi d’experts techniques indiens. Le pays n’octroie que très peu d’aide au développement sous forme de subventions en espèces. L’aide au développement indienne à l’Afrique représente un contraste intéressant par rapport à ses activités en Asie du Sud. Alors que l’aide au développement indienne destinée aux pays de l’Asie du Sud porte avant tout sur l’infrastructure, la santé et l’éducation, l’aide à l’Afrique est consacrée en grande partie à la formation technique des fonctionnaires et des gestionnaires des entreprises d’État et des institutions sous administration gouvernementale telles que les hôpitaux, les chemins de fer et les universités. Bien que la place privilégiée accordée par l’Inde à sa propre région corresponde aux buts stratégiques du pays en matière de leadership et d’influence régionale, ses activités en Afrique tracent un tableau plus précis d’un ensemble complémentaire d’intérêts commerciaux et politiques. La concurrence apparente de l’Inde avec la Chine en Afrique jette un éclairage intéressant sur la façon dont ces autres intérêts influent sur la politique indienne. Cette concurrence porte avant tout sur trois grands domaines : l’influence diplomatique, les réserves de pétrole et les marchés de biens. En ce qui a trait à l’influence diplomatique, l’Inde est perçue favorablement en Afrique, étant donné l’appui accordé par le pays à la décolonisation et à la lutte contre l’apartheid. Mais dernièrement, l’Afrique ne figurait pas dans les priorités géopolitiques de l’Inde. Par contre, la Chine a davantage de missions diplomatiques en Afrique que même les États-Unis, et ses dirigeants et fonctionnaires multiplient les visites sur le continent. En comparaison, l’Inde a cinq missions diplomatiques pour veiller à ses intérêts dans 25 pays de l’Afrique occidentale et centrale. La quête de l’Inde pour obtenir un siège permanent à un conseil de sécurité des Nations Unies refondu l’incite fortement, sur le plan diplomatique, à réunir des appuis au sein de la nombreuse délégation africaine. Plus concrètement, toutefois, il faut une présence diplomatique sur un continent riche en pétrole et qui constitue un marché d’exportation de choix.

6 Fondé sur des rapports du MEA et des estimations indépendantes. Pour une analyse historique du programme d’aide de l’Inde au Bhoutan, voir Development Strategy of Bhutan par Neil Fraser et Bhutan: Country Assistance Evaluation Study 2005 (rapport no 30737 de la Banque mondiale).

8

À vrai dire, la rivalité entre l’Inde et la Chine se manifeste surtout dans la volonté des deux pays de mettre la main sur les ressources énergétiques de l’Afrique et de se garantir un approvisionnement en « brut de concession »7. L’Afrique possède environ 8 % des réserves pétrolières connues de la planète, ce qui représente une perspective intéressante pour la Chine (le deuxième plus grand importateur d’énergie du monde) et l’Inde (le cinquième). L’Afrique est toutefois davantage qu’un simple fournisseur de ressources d’importance stratégique; c’est aussi un marché d’exportation en pleine croissance. À titre d’économie en plein essor, la Chine et l’Inde ont toutes deux besoin de nouveaux marchés, particulièrement ceux où le mode de vie, les profils de consommation et les niveaux de revenu sont semblables à ceux de leurs marchés intérieurs. Par conséquent, les entreprises indiennes ont commencé à investir des sommes importantes en Afrique — près de 400 millions USD au cours des deux dernières années seulement. Les intérêts commerciaux font donc désormais partie intégrante des programmes d’aide et des processus politiques de l’Inde, et ce, de diverses façons. De nombreuses sociétés indiennes sont conscientes que leur croissance se heurtera à des limites naturelles à moins qu’elles ne puissent percer des marchés non traditionnels. Bien que l’Afrique n’ait pas toujours été parfaitement compréhensible pour l’Inde, le continent commence à intéresser les exportateurs indiens, qui souhaitent s’implanter sur les marchés africains, où les produits de l’industrie légère indienne, ses biens de consommation et ses produits intermédiaires peuvent concurrencer par les prix et sont bien adaptés aux conditions locales. Par exemple, les camions fabriqués par le géant indien Tata se vendent déjà bien en Afrique parce que les conditions locales sur le continent sont semblables à celles de l’Inde. En fait, de nombreux diplomates et bailleurs de fonds étrangers estiment qu’une bonne partie des dépenses de l’Inde au titre de l’aide au développement ne sont rien de moins qu’un mécanisme de subvention à l’exportation de biens excédentaires8. L’Inde ne saurait se montrer aussi généreuse que la Chine, mais elle tente d’élargir son influence en Afrique. L’Inde exécute un programme d’aide à l’intention des pays africains : le Special Commonwealth African Assistance Programme (SCAAP). Les pays bénéficiaires comprennent le Botswana, le Cameroun, la Gambie, le Ghana, le Kenya, le Lesotho, le Malawi, Maurice, le Mozambique, la Namibie, le Nigeria, les Seychelles, la Sierra Leone, l’Afrique du Sud, le Swaziland, la Tanzanie, l’Ouganda, la Zambie et le Zimbabwe. Le commerce de l’Inde avec l’Afrique, exception faite du pétrole, a bondi de 914 millions USD, en 1990-1991, à plus de 10 milliards USD cette année. Le milieu indien de la politique étrangère a aussi été forcé d’accorder une plus grande priorité à l’Afrique après avoir constaté que le pays faisait face à une éventuelle crise énergétique. Par conséquent, l’Inde a accentué son offensive diplomatique dans le golfe de Guinée, en Afrique occidentale, d’où est extrait 70 % du pétrole africain, en affectant 500 millions de dollars à des facilités de crédit assorties de conditions libérales à huit pays riches en ressources : le Burkina Faso, le Tchad, la Guinée équatoriale, le Ghana, la Guinée-Bissau, la Côte d'Ivoire, le Mali et le Sénégal. De concert avec l’Inde, ces pays forment le TEAM-9 (l’Approche techno-économique pour le mouvement Afrique-Inde)9. Les diplomates indiens mentionnent aussi le Pan-African E-Network à titre d’exemple d’une aide au développement qui serait en voie de valoir énormément de sympathie pour l’Inde au sein des gouvernements africains10.

7 Le « brut de concession » est obtenu dans le cadre de la propriété (partielle ou entière) d’une installation de production pétrolière. Il est généralement beaucoup moins cher que le pétrole acheté sur le marché libre et on estime qu’il possède une plus grande valeur stratégique lorsque les conditions du marché sont imprévisibles. 8 Entrevues confidentielles réalisées de mars à juillet 2007 à New Delhi. 9 On trouvera les données sur les relations économiques entre l’Inde et l’Afrique sur le site Web du MEA. 10 Entrevue avec Gurjit Singh, ambassadeur de l’Inde en Éthiopie.

9

3. La formation, l’éducation et la recherche pour le développement

La rapide croissance de l’Inde est fondée en partie sur ses secteurs de l’enseignement supérieur et de la haute technologie. L’Inde a beaucoup à offrir à d’autres pays pour ce qui est des possibilités d’éducation et de formation, qui ont trouvé leur place dans l’aide au développement du pays par l’entremise du programme Indian Technical and Economic Cooperation (ITEC). Le programme ITEC fournit aussi un point d’appui au pays pour étendre ses activités d’aide au développement à des domaines qu’on pourrait considérer comme appartenant à la recherche pour le développement. Le programme ITEC est administré par le service des affaires économiques du MEA11, les missions diplomatiques indiennes à l’étranger agissant comme principaux points de liaison. Le programme ITEC couvre 150 pays et, de concert avec le Special Commonwealth African Assistance Program (SCAAP), forme le principal mécanisme d’aide au développement de l’Inde. Le programme ITEC et le SCAAP12, qui fournissent de l’aide technique à des pays de l’Asie, de l’Europe de l’Est, de l’Afrique et de l’Amérique latine, ont dépensé près de 2 milliards USD depuis leur création13. L’assistance technique fournie par ces programmes comporte quatre volets :

• la formation; • des projets et des activités reliées à des projets telles que des études de faisabilité et

des services d’experts-conseils; • le détachement d’experts; • des séjours d’études.

Dans le cadre du programme ITEC, on offre chaque année, en Inde, une brève formation à quelque 3 000 candidats étrangers, dans un certain nombre de domaines techniques — de la culture informatique à la gestion de l’eau. Il existe de par le monde plus de 40 000 anciens participants au programme ITEC. Ce chiffre représente un vaste groupe de hauts fonctionnaires bien disposés à l’égard de l’Inde — du moins c’est ce qu’espère le MEA. Selon Primrose Sharma, secrétaire associée du MEA et directrice du programme : « Le programme ITEC est un volet très visible et très fructueux de la diplomatie indienne. » Malgré les avantages économiques évidents que les pays bénéficiaires tirent de l’assistance et de la formation techniques, les programmes de l’ITEC n’ont pas procuré à l’Inde des avantages politiques à long terme. D’autres fonctionnaires du MEA (en service et à la retraite) soulignent le caractère ironique du fait qu’après avoir reçu une formation du programme ITEC, de nombreux fonctionnaires des pays bénéficiaires quittent leurs emplois gouvernementaux confortables, mais plutôt mal rémunérés pour entrer dans le secteur privé, particulièrement ceux qui ont acquis des compétences monnayables, par exemple en technologie de l’information14. À l’heure actuelle, près de 50 % des activités du programme ITEC ont trait à la technologie de l’information. Une bonne partie de la formation dans ce domaine est offerte en sous-traitance par des entreprises telles que NIIT, Tata Consultancy et Aptech. Parmi les autres principaux domaines dans lesquels intervient le programme ITEC, mentionnons le développement des petites et moyennes entreprises, et l’enseignement de l’anglais. De plus, le programme ITEC offre des bourses aux étudiants étrangers qui suivent un programme d’enseignement régulier

11 Le MEA dirige aussi l’Indian Council of Cultural Relations (ICCR), qui favorise l’établissement de liens culturels par l’entremise de programmes d’échange qui permettent d’inviter des étudiants étrangers, des enseignants, des auteurs, des éditeurs, des artistes du spectacle et d’autres artistes. En 2007-2008, le budget de l’ICCR a atteint 15 millions USD. 12 On trouvera des renseignements supplémentaires sur le programme ITEC et le SCAAP à http://itec.nic.in/about.htm. 13 Estimation fondée sur divers reportages des médias. Voir, par exemple, « India's ITEC programme trains them for life », par Manish Chand, dans le bulletin électronique officiel du Ministry of Overseas Indian Affairs. 14 Entrevues confidentielles (mars-juillet 2007, New Delhi).

10

en Inde. Le programme envoie aussi des experts et du matériel indiens à l’étranger dans le cadre de son aide technique à des projets réalisés dans les pays bénéficiaires. La recherche pour le développement L’Inde a beau être un pays pauvre, elle a lourdement investi, au cours des 50 dernières années, pour mettre en place un vaste réseau national de laboratoires, d’universités et de centres de recherche spécialisés. Le principal architecte de cet effort a été le premier premier ministre de l’Inde, Jawaharlal Nehru, qui n’a ménagé aucun effort pour mettre en place ces « temples modernes de la science ». Il a façonné le cadre et adopté les priorités nécessaires pour que l’Inde devienne un pays autonome sur le plan technologique. L’Inde a débuté modestement, avec seulement 20 universités, 60 laboratoires nationaux et très peu de recherche industrielle, pour en arriver aujourd’hui à plus de 200 universités, 400 laboratoires nationaux et 1 300 autres unités de recherche spécialisée. L’Inde a la capacité de produire à peu près n’importe quoi, des outils de base aux satellites avancés. Bien que toutes ces installations ne soient pas à la fine pointe, ou même utiles pour ce qui est d’adapter les technologies avancées aux besoins locaux, l’Inde a pu mettre en place une solide infrastructure de recherche et de développement. Une bonne partie de cette infrastructure de recherche demeure dans le secteur public, y compris près des deux tiers de la recherche en santé, presque 75 % de la recherche en énergie et l’ensemble de la recherche agricole. Le gros de l’aide au développement de l’Inde est axé sur des institutions du secteur public parce qu’il n’y a à peu près aucune tradition de partenariats public-privé en Inde. La plupart des universités de l’Inde, si ce n’est quelques centres d’excellence, tels que les Indian Institutes of Technology, manquent cruellement de ressources et effectuent donc très peu de recherches de haute qualité. Par conséquent, les universitaires indiens jouent un rôle restreint ou nul dans la recherche pour le développement. Une autre raison pour laquelle le secteur public de l’Inde joue un rôle si important dans l’aide au développement, c’est que dans des domaines tels que le développement social, la santé génésique, l’éducation et la fiscalité, les seuls experts disponibles en Inde sont à l’emploi du secteur public. Prenons par exemple les finances publiques. L’Inde produit un grand nombre d’économistes, mais seulement un nombre moyen de spécialistes bien formés aux finances publiques, dont la majorité travaillent au sein de l’administration. Par conséquent, le nombre de conseillers indépendants susceptibles de travailler à l’étranger est faible. L’expertise indienne, qu’elle soit opérationnelle, technique ou reliée à l’analyse économique et démographique, provient de quatre grandes sources :

• les cabinets d’experts-conseils du secteur privé et les consultants indépendants; • les universités et les établissements de recherche; • les institutions d’élaboration des politiques et de formation du gouvernement; • les organisations non gouvernementales professionnelles.

Malgré la prolifération des instituts techniques — ou peut-être en raison de cette prolifération — il est difficile de distinguer la recherche indienne qui a trait au développement international. La multiplicité des institutions ainsi que l’absence d’élaboration des politiques et de contrôle centralisés compliquent l’étude de la recherche pour le développement en Inde. La plupart de la technologie déployée à l’étranger est strictement un sous-produit de la recherche effectuée au pays même pour régler les problèmes de l’Inde, tels que la pénurie d’eau souterraine, les maladies infectieuses, le chômage en milieu rural et l’inégalité des sexes. En fait, la plupart des organismes du secteur public de l’Inde ne se consacrent pas exclusivement à l’aide, pas plus qu’ils ne possèdent des compétences particulières concernant les conditions économiques et sociales des pays bénéficiaires. En fait, bon nombre des organismes par l’entremise desquels est administrée l’aide indienne sont des « correspondances » bureaucratiques plutôt que des choix stratégiques ou des entités choisies par l’entremise d’appels d’offres.

11

L’intense rivalité interministérielle concernant les budgets, les sphères de compétence, le personnel et les affectations à l’étranger explique elle aussi l’absence d’un secteur spécialisé en recherche pour le développement. Cette rivalité est encore plus vive lorsqu’il est question de la politique étrangère — et l’aide au développement de l’Inde a beaucoup à voir avec la défense des intérêts politiques et économiques de l’Inde. Le portefeuille des affaires étrangères a toujours occupé une situation privilégiée dans les hiérarchies du cabinet indien, et de nombreux premiers ministres (notamment MM. Nehru et Rao) ont aussi occupé le poste de ministre des Affaires étrangères. Par conséquent, le MEA est demeuré un organisme fermé et puissant qui n’a que peu d’expérience du partage des responsabilités — ou qui ne souhaite pas les partager. Le programme ITEC octroie habituellement le travail comportant des interventions techniques sur place et les dimensions opérationnelles de tout projet d’aide au développement aux nombreux organismes de recherche officiels de l’Inde ainsi qu’à des unités du secteur public. Le programme lui-même demeure l’organisme de coordination par l’entremise duquel l’aide est dispensée. Des centaines d’instituts et d’unités du secteur public indien interviennent dans l’aide technique à l’étranger. Quatre organismes toutefois se distinguent :

• la National Research and Development Corporation; • les Indian Institutes of Technology; • l’Indira Gandhi National Open University; • la National Small Industries Corporation.

La National Research and Development Corporation (NRDC)15 La NRDC est une entreprise du secteur public créée en 1953 pour agir comme mécanisme de transfert technologique. Ses buts particuliers sont les suivants : mettre au point et commercialiser des technologies qui répondent aux besoins indiens, particulièrement en milieu rural; breveter et transférer cette technologie nationale à des entreprises privées; et fournir un capital de risque et une aide technologique aux entrepreneurs. Dernièrement, elle a délaissé la recherche et le développement pour devenir un dépôt des technologies développées par diverses institutions gouvernementales. La NRDC, qui a participé à l’élaboration de projets d’assistance technique au Sénégal, en Égypte et en Angola, est actuellement affectée par le MEA à la création d’un centre en Côte d'Ivoire pour faire la démonstration de la micromachinerie indienne. Les Indian Institutes of Technology (IIT) Il existe sept IIT et trois autres sont en chantier. Les IIT ont été créés au cours des années 1950 et 1960 avec l’aide de pays développés; chacun a une histoire différente et une évolution particulière. À titre de centres de haut savoir, ils réunissent certaines des meilleures technologies et des meilleurs cerveaux de l’Inde. Les IIT sont aussi parmi les premiers établissements indiens d’enseignement supérieur à avoir créé des bureaux de liaison industrielle et de transfert technologique; ils ont été actifs dans la recherche appliquée ayant trait à la technologie de l’information, à l’énergie et à la construction. De nombreux IIT disposent de leurs propres services d’octroi d’autorisations pour l’utilisation des technologies maison. Le MEA fait à l’occasion appel aux IIT pour des études de faisabilité des projets d’aide au développement et s’adresse aux membres du corps professoral des IIT afin qu’ils agissent à titre d’experts pour appuyer des projets à l’étranger. L’Indira Gandhi National Open University (IGNOU) Le principal établissement de téléapprentissage de l’Inde, l’Indira Gandhi National Open University (IGNOU), a vu le jour en 1985. Depuis sa création, l’IGNOU a connu une croissance et un succès phénoménaux. Ne comptant que 4 000 étudiants à ses débuts, l’IGNOU est devenue la plus grande université du monde, avec plus d’un million d’étudiants, un réseau de

15 La plupart de ces renseignements sont tirés de sites Web officiels : http://www.nrdcindia.com, http://www.ignou.ac.in, http://www.nsic.co.in/working/index.asp et http://www.iitk.ac.in.

12

47 centres régionaux, plus de 1 200 centres d’études en Inde et près de 300 centres d’études dans 38 pays, surtout en Afrique, en Asie centrale et dans la région du golfe Persique. L’IGNOU, dont le siège est à Delhi et dont les divers établissements sont reliés par des satellites INSAT, propriété de l’État, offre des cours de premier et deuxième cycles ainsi que des cours professionnels dans diverses disciplines — qui vont des sciences sociales à l’administration des affaires, en passant par les sciences et le tourisme. Étant donné les liens historiques et culturels qu’entretient l’Inde avec de nombreux pays en développement, et la réputation de l’Inde comme source d’une éducation de qualité, l’IGNOU jouit d’un excellent accès politique et d’une grande reconnaissance sociale dans de nombreuses régions du monde. Par exemple, même dans une société traditionnellement fermée comme celle de l’Arabie saoudite, l’IGNOU a trois centres et, en seulement quatre années, a vu les inscriptions passer de 63 à 900 étudiants — dont 70 % sont des femmes. La National Small Industries Corporation (NSIC) La NSIC est une entreprise du secteur public chargée de promouvoir l’industrie à petite échelle en Inde, particulièrement dans les régions rurales. Elle dispense son aide à diverses étapes de la production : en déterminant les technologies, en obtenant les matières premières, en formant la main-d’œuvre, et en aidant à embaucher le personnel et à acheter la machinerie. La NSIC a aidé à mettre en place une solide base entrepreneuriale de première génération en Inde, et a été invitée par le MEA à lancer des cours de formation dans des pays bénéficiaires.

13

4. La collaboration en matière d’aide au développement : l’approche de l’Inde

L’Inde a toujours participé avec enthousiasme aux regroupements multilatéraux, notamment le Commonwealth, le G-77, le G-20, le Mouvement des non-alignés et de nombreux autres blocs de pays en développement. Le pays a aussi préconisé le renforcement des Nations Unies, joué un rôle de premier plan dans le cadre des négociations de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et défendu l’inviolabilité du droit international. Globalement, l’Inde a donc appuyé un monde multipolaire doté d’institutions multilatérales et de cadres juridiques solides. Cette préférence pour les initiatives multilatérales ne s’est pas démentie. L’Inde, qui est déjà l’un des plus importants bailleurs de fonds du nouveau Fonds des Nations Unies pour la Démocratie16, multiplie les efforts pour jeter les bases d’un futur forum régional sud-asiatique. Le pays a aussi entrepris des démarches pour adhérer à l’ASEAN, à l’APEC et à l’Organisation de coopération de Shanghai. Plus récemment, l’Inde a aidé à former l’India-Brazil-South Africa (IBSA) Dialogue Forum et le Fund for Alleviation of Poverty and Hunger, qui relève de l’IBSA et qui sera géré par le Programme des Nations Unies pour le développement. Le Fonds IBSA vise à mettre en commun de l’expérience, de l’expertise et des ressources pour relever des défis en matière de développement. Bien que l’Inde évolue avec aise dans ce type de cadre Sud-Sud et qu’elle affiche un bon dossier pour ce qui est d’appuyer le multilatéralisme au sens large, ses gestes et ses intentions ne concordent pas toujours. Le multilatéralisme de l’Inde voulait donner au pays une voix plus puissante et un plus grand effet de levier dans les dossiers internationaux. Cette position était vraie à l’époque où l’Inde était le chef de file des pays nouvellement indépendants, et elle tient tout autant maintenant que l’Inde s’est positionnée comme la voix des économies émergentes qui veulent façonner les règles du commerce mondial. Mais l’appui non équivoque de l’Inde à un monde multilatéral est stratégique plutôt qu’idéologique, et le pays continue presque invariablement à « suivre le courant ». Le pays a à maintes reprises manifesté sa volonté d’aller à l’encontre de l’opinion mondiale pour favoriser ses intérêts stratégiques. L’appui accordé à la junte birmane et le commerce avec la Birmanie en sont un exemple. Le refus de signer le Traité d’interdiction des essais nucléaires en est un autre. Cette volonté de faire cavalier seul plutôt que d’adhérer à des initiatives internationales se manifeste surtout dans la façon dont l’Inde réagit aux crises politiques et humanitaires dans sa propre région. Éperonnée par sa visibilité économique toujours plus grande et sa confiance sur la scène internationale, l’Inde cherche de plus en plus à se présenter comme une grande puissance. Par conséquent, l’Inde n’a à peu près aucun antécédent de coopération avec d’autres pays en matière d’aide au développement. En fait, le pays a très peu réfléchi à cette question. Des cadres supérieurs du MEA sont toutefois de plus en plus conscients qu’une telle coopération, peu importe sa forme, procure certains avantages économiques et politiques17. Bien qu’il ne soit qu’embryonnaire, ce réexamen de l’approche s’inspire des récentes expériences de collaboration avec des organismes d’aide occidentaux dans le cadre d’une campagne plus générale d’instauration de la démocratie au Népal. Sa participation aux programmes d’aide à l’Afghanistan a aussi permis à l’Inde d’entretenir des relations plus suivies avec d’autres bailleurs de fonds dans un cadre de coopération. Dans ce contexte, il pourrait être plus facile de comprendre la position probable qu’adoptera l’Inde concernant la collaboration future avec d’autres pays engagés dans l’aide au développement, particulièrement les bailleurs de fonds occidentaux. Pour l’instant toutefois, il est difficile d’envisager un changement profond de la politique indienne, ou même de voir quels

16 Voir http://www.un.org/democracyfund/. 17 Entrevues confidentielles avec des diplomates indiens (mars-juillet 2007, New Delhi).

14

avantages l’Inde pourrait retirer d’un engagement en faveur des principes auxquels souscrit la communauté mondiale des bailleurs de fonds. L’Inde s’est montrée chatouilleuse lorsqu’on a soulevé des questions relatives aux droits de la personne, et un alignement manifeste avec des bailleurs de fonds occidentaux minerait sa position comme porte-parole du monde en développement. Par ailleurs, la structure stratégique de l’aide au développement en Inde ne fait que commencer à prendre forme. Cette nouvelle structure pourrait rendre l’Inde plus sensible à la collaboration, et elle pourrait aider le pays à jouer un rôle plus marquant sur la scène internationale.

15

5. Les nouvelles tendances et les perspectives Nombreuses sont les raisons de croire que l’Inde devient un acteur de premier plan dans le milieu de l’aide au développement :

• La simple géopolitique de l’aide et la situation de l’Inde à titre de puissance moyenne.

• Une série de grandes tendances se sont conjuguées pour accroître la visibilité de l’Inde.

• De nombreux pays développés doivent respecter d’importants engagements financiers dans d’autres domaines, par exemple le financement des régimes de pension, tandis que la corruption qui accable de nombreux États en développement a désillusionné certains bailleurs de fonds du secteur privé.

• L’effondrement de l’Union soviétique a tari une source continue d’aide économique à des pays pauvres, particulièrement en Afrique et en Asie.

• Les pays en développement tels que l’Inde estiment que la diplomatie économique leur ouvre des débouchés, particulièrement à la lumière de leur appétit vorace d’énergie, de l’augmentation de leurs richesses et de leurs ressources financières, et de leurs ambitions de plus en plus grandes à l’échelle de la planète18.

Compte tenu de ces tendances, l’Inde tente de se positionner comme un des chefs de file de la coopération Sud-Sud, un domaine dans lequel le pays possède une vaste expérience en raison du rôle clé qu’il joue dans le Mouvement des non-alignés. Pour jouer ce rôle, l’Inde forme de nombreux consortiums de développement et d’aide, et adhère à d’autres, tels que le Forum IBSA et le Groupe de pilotage pour l’assistance à la reconstruction de l’Afghanistan. Certes, l’aide au développement en est à ses débuts en Inde et demeure loin derrière celle de la Chine, qu’on estime environ sept fois supérieure à celle de l’Inde19. Toutefois, l’Inde possède tout un éventail de compétences en matière de savoir et de langues, et un capital humain qui offre d’énormes possibilités pour ce qui est d’offrir de l’assistance technique à des tiers. L’Inde a aussi une longue tradition de démocratie qui pourrait s’avérer utile pour la réforme de la gouvernance dans de nombreux pays plus pauvres, et elle possède aussi la capacité et la volonté de mobiliser des ressources considérables pour des activités particulières de développement et des interventions humanitaires. L’Inde a beau jouir d’une position enviable sur les plans humain, technique et géopolitique, un vaste et efficace programme d’aide au développement est loin d’être inévitable. Le programme d’aide au développement du pays doit faire l’objet d’une réévaluation en profondeur et d’un engagement politique renouvelé. Selon Mukta Tomar, secrétaire associée au MEA, bien que le programme ITEC ait connu un succès mitigé, le gouvernement doit se demander si l’Inde devrait continuer d’investir dans un grand nombre de petits projets et de cours de formation, ou réaliser un moins grand nombre de projets à plus grand déploiement. Le débat ne fait que commencer, mais un tour d’horizon des médias indiens, particulièrement des écrits des analystes les plus en vue en Inde ainsi que des chroniqueurs diplomatiques des quotidiens, laisse entendre que l’Inde commence graduellement à reproduire le modèle chinois. Le gouvernement procède aussi à un examen interne afin de déterminer dans quelle mesure l’Inde devrait recourir à des prêts à des conditions libérales dans le cadre de l’aide au

18 Pranay Gupte, dans India - From Begging Bowl to Economic Diplomacy, cite un analyste principal des affaires étrangères en Inde : « L’histoire de la diplomatie économique de l’Inde est à peine commencée. Durant des générations la sébile a été un important symbole de la diplomatie indienne. Il est rafraîchissant de constater que New Delhi aide maintenant d’autres pays à progresser. » 19 « Look Who’s Giving: India’s Dalliance with Aid Diplomacy », Jehangir S. Pocha, magazine Business World, le 28 février 2007.

16

développement du pays. Les médias ont fait état, au cours des derniers mois, de cas de pompes et de moteurs indiens à l’arrêt dans certains pays bénéficiaires parce que les marges de crédit assorties de conditions libérales consenties pour les acheter ne couvraient pas l’entretien subséquent par des ingénieurs compétents. Une autre raison qui motive une réévaluation prudente par l’Inde de son programme d’aide au développement (particulièrement en Afrique) découle des reportages assez fréquents dans les médias indiens sur les problèmes croissants auxquels fait face la Chine dans des pays africains tels que l’Angola et l’Afrique du Sud20. Les responsables indiens, qui surveillent de près ces événements, tiennent à s’assurer que l’aide au développement de l’Inde à l’Afrique soit perçue comme équitable pour les populations locales. En fait, les responsables indiens s’emploient à s’assurer que l’Inde évite de se voir accoler la réputation de producteur de produits peu fiables21. Le rapport du gouvernement, qui fait actuellement l’objet d’un examen, renferme une nouvelle idée prometteuse. On y recommande que les organisations non gouvernementales indiennes puissent utiliser leurs fonds dans d’autres pays. Cette mesure permettrait aux organisations non gouvernementales indiennes d’agir comme la branche « officieuse » du MEA. Bien que cette politique soit débattue sous l’égide de la Planning Commission of India, la plupart des signaux indiquent qu’une politique permettra des partenariats publics-privés dans le cadre de l’aide au développement de l’Inde22. Le moment venu, ce changement sera favorisé par la création d’importants organismes bénévoles par les plus grandes sociétés de l’Inde, y compris Reliance, Tata et Arcelor-Mittal. En fait, on relève de plus en plus de références aux partenariats publics-privés dans les discours officiels et les documents d’orientation, ainsi que dans les textes universitaires et les commentaires des médias. En Inde, toutefois, la définition et la forme de ces partenariats évoluent toujours. En fait, le gouvernement s’est toujours profondément méfié des organismes privés et bénévoles. Malgré ces antécédents, le milieu de l’élaboration des politiques se montre désormais plutôt ouvert à l’idée que les entreprises privées dynamiques de l’Inde et les organisations non gouvernementales appartenant à des réseaux internationaux puissent être mises à profit pour compléter l’aide au développement du MEA. Tout indique aussi que le gouvernement indien envisage la création d’un puissant comité du cabinet sur la sécurité énergétique, à l’image de l’actuel groupe du cabinet sur la sécurité nationale. Ce comité aurait pour mandat de contrer la politique de Beijing, soit le recours à l’aide financière et militaire pour se garantir l’accès à des champs pétrolifères en Amérique latine et en Afrique, où certains pays promettent de devenir les fournisseurs de pétrole de l’avenir et échappent en grande partie à l’influence américaine23. Par conséquent, à l’avenir, l’aide au développement de l’Inde ciblera probablement l’Afrique. Toutefois, si l’Inde espère atteindre son but non avoué, mais évident, de devenir un acteur influent sur la scène régionale (sinon mondiale), les efforts d’aide au développement du pays devront être mieux financés et ciblés, être exécutés avec plus d’habileté et administrés de manière plus professionnelle. C’est pourquoi le gouvernement envisage la création d’un nouvel organisme d’aide — l’India International Development Cooperation Agency. Toutefois, on n’a fait connaître aucun détail depuis que le ministre des Finances a proposé cet organisme, en février 200724. Si cet organisme voit le jour, ce sera la manifestation la plus nette de la reconnaissance, par le gouvernement indien, de l’importance de l’aide au développement comme instrument privilégié de la politique étrangère, ainsi que la reconnaissance du besoin de lui

20 « Mbeki warns of China-Africa ties », BBC, le 14 décembre 2006. 21 Entrevue avec Mme Mukta Tomar, secrétaire associée, ministère des Affaires étrangères. 22 Syeda Hamid, un membre supérieur de la Planning Commission, aurait dit, selon la presse : « Il faut de toute urgence trouver des systèmes grâce auxquels le gouvernement pourrait travailler avec des organismes bénévoles, tant en Inde qu’à l’étranger, qui s’appuieraient sur la confiance et le respect mutuels ainsi que sur un partage des responsabilités. » 23 « Govt to set up energy security panel to counter China », Times of India, le 7 mars 2007. 24 Discours du budget du ministre des Finances à la Chambre basse du Parlement, le 28 février 2007.

17

affecter davantage de ressources et de lui donner une plus grande visibilité ainsi qu’une structure cohérente.

18

6. Conclusion L’arrivée de l’Inde dans le camp des bailleurs de fonds a revêtu de multiples dimensions et a été à l’occasion truffée d’incohérences. La structure de l’aide au développement de l’Inde est centralisée au sein du MEA, mais son application est diffuse. L’Inde a aussi cherché à tirer profit de ses liens traditionnels avec les pays en développement qui sont ses partenaires. On ne saurait douter de l’affinité de l’Inde avec d’autres pays en développement, mais ses incursions dans le domaine de l’aide au développement semblent être motivées surtout par des intérêts stratégiques. Ses activités d’aide au développement régional semblent motivées par sa quête d’une intégration économique sûre, de stabilité politique à l’échelle régionale et d’une plus grande influence sur la scène internationale. Ses programmes d’aide au développement sont structurés en conséquence. Ses entreprises mondiales de grande envergure s’appuient sur des liens historiques, mais sont souvent élaborées dans l’optique de défendre ses intérêts stratégiques commerciaux; bien que l’aide de l’Inde ne soit pas « liée » au sens propre, elle dépend habituellement de l’achat de biens et services indiens dans des secteurs tels que les produits pharmaceutiques, la technologie de l’information et les automobiles. Si l’Inde espère devenir un acteur régional (sinon mondial) de plus en plus influent, ses activités d’aide au développement devront pouvoir compter sur des ressources supplémentaires, une plus grande visibilité et une structure cohérente. Le gouvernement envisage actuellement la création d’un nouvel organisme d’aide, l’India International Development Cooperation Agency. Si cet organisme devait voir le jour, ce serait l’indication la plus nette de la reconnaissance par le gouvernement indien de l’importance de l’aide au développement comme instrument privilégié de la politique étrangère.

19

Bibliographie

Sites web

Annual Report 2006 – 2007, Ministry of External Affairs: http://meaindia.nic.in/annualreport/09ar012007.pdf

Annual Report 2005 – 2006, Ministry of External Affairs:

http://meaindia.nic.in/annualreport/23ar012006.pdf Annual Report 2004 – 2005, Ministry of External Affairs:

http://meaindia.nic.in/annualreport/30ar01.pdf « India’s African Relations: Playing Catch up with the Dragon », Sanusha Naidu, mai 2007, UCLA

Globalization Research Center-Africa http://www.globalization-africa.org/papers/84.pdf

« India pushes people power in Africa », Sudha Ramachandran, le 13 juillet 2007, Asia Times

http://www.atimes.com/atimes/South_Asia/IG13Df03.html « Look Who’s Giving: India’s Dalliance With Aid Diplomacy », Jehangir S. Pocha, magazine

Business World, le 28 février 2007 http://www.businessworld.in/mar1207/special_feature07.asp

Autres sources Broadman, Harry, Africa's Silk Road: China and India's New Economic Frontier, La Banque

mondiale, septembre 2006 Gupte, Pranay. « India: From begging bowl to economic », magazine Peace Corps Online 23

janvier 2005 Humanitarian Policy Group, Aid donorship in Asia: the changing landscape of official

humanitarian aid, septembre 2005, Overseas Development Institute, Londres India-Brazil-South Africa (IBSA) Economic Cooperation: Towards a Comprehensive Economic

Partnership, juin 2006, Research and Information System for Developing Countries, New Delhi

Jobelius, Matthias, New Powers for Global Change? Challenges for the International

Development Cooperation: The Case of India, mars 2007, Friedrich-Ebert-Stiftung, Berlin Manning, Richard, « Will ‘Emerging Donors’ Change the Face of International Co-operation? »

Development Policy Review, numéro 24(4), 2006, p. 371-385 Planning Commission, Draft National Policy On The Voluntary Sector, 2006, gouvernement de

l’Inde Price, Gareth, India’s aid dynamics: from recipient to donor? septembre 2004, Royal Institute of

International Affairs, Londres