Le calvaire d'un innocent ; n° 113

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113 Prix 1 fr 20 Belgique : 1 fr. 50 Ce sont les secouristes qui amènent trois manifestants Messes... (p. 3526). C I. LIVRAISON 449 Manioc. org Bibliothèque Alexandre Franconie Conseil général de la Guyane

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Auteur : D' Arzac, Jules. Ouvrage patrimonial de la bibliothèque numérique Manioc. Service commun de la documentation Université des Antilles et de la Guyane. Conseil Général de la Guyane, Bibliothèque Franconie.

Transcript of Le calvaire d'un innocent ; n° 113

  • 113 P r i x 1 fr 20 Belgique : 1 fr. 50

    Ce sont les secouristes qui amnent trois manifestants Messes... (p. 3526).

    C I . LIVRAISON 449

    Manioc. org Bibliothque Alexandre Franconie

    Conseil gnral de la Guyane

  • m A n i o c . o r o Bibliothque A l e x a n d r e F r a n c o n i e

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    Cependant, dans sa voix un accent dur et pre et son visage tendu n'annonait rien de bon pour le commandant.

    Le jeune homme rpondit : Dites-lui que Christian Esterhazy a besoin de lui

    parler tout de suite... Bien, Monsieur. Harriet aurait bien voulu demander au visiteur

    d'autres explications; lui dire qu'elle comptait pouser le commandant et surtout lui demander de la rassurer quant la vritable identit de celui-ci, mais elle n'osa pas...

    Elle alla frapper la porte du commandant et comme la porte ne s'ouvrait pas, elle cria :

    Ferdinand, Ferdinand, c'est ton cousin Christian qui veut te parler tout de suite.

    Elle avait grossi sa voix pour veiller son fianc, dans le cas oii i l eut encore t endormi, et ses clats de voix arrivrent jusqu'au visiteur qu'elle avait laiss dans le parloir.

    Oh! oh! se dit Christian Esterhazy, mon cousin continue avoir des liaisons dans un monde bizarre.

    Mais, quand Harriet vint le chercher pour le mener auprs de son cousin, le jeune homme ne laissa rien paratre; i l se contenta de regarder un peu mieux celle qu'il prenait pour la chambrire de l'htel.

    La porte s'ouvrit devant lui et Ferdinand Esterhazy se porta sa rencontre.

    I l semblait vouloir tre cordial ; mais i l n'y par venait gure; ce fut d'un ton grognon qu'il demanda :

    Qu'est-ce que tu viens chercher ici? Je t'apporte une lettre de ma mre... Elle veut

    que tu lui rendes immdiatement l'argent qu'elle t'a confi... Elle ne peut faire face aux dpenses du procs qu'

    . ton instigation nous avons engag... , w ; ^ ,

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    Eh bien! n'tait-ce pas ncessaire...? Voulais-tu que nous perdions tout prestige : que nous renoncions sans combat cet hritage de gloire dont nous avions rv... Mais c'est pour toi, mon petit, non pour moi, qui ai cess depuis longtemps dj de porter ce nom d'Ester-hazy dont on nous conteste la proprit...

    Toujours des mots... des mots... rien que des mots...

    Enfin, veux-tu bien me ficher la paix!... Tu n'es qu'un blanc-bec!... Tu sens encore le lait et tu veux me donner des leons, moi... C'est moi qui suis le chef de la famille...

    De quelle famille...? Quel est notre nom exact?... E h bien! tu le sais, puisque tu as, toi-mme avec

    ce savant gnalogiste qUe tu m'as prsent un jour, dress notre arbre gnalogique... Nous sommes des grands seigneurs... de trs grands seigneurs...

    Par les femmes! dit Christian d'une voix arrire. ' Eh bien! depuis quand la btardise est-elle un

    crime?... E n nous se mlangent le sang glorieux des Es-terhazy, par notre arrire-grand'mre Marie-Anne, la sur de Yalentin-Ladislas, le hussard favori de Marie-Antoinette, et le sang des Walsm et des Voilement... Tout au plus le prince Galata, pourrait-il nous demander de mettre une barre sur notre blason... Mais le nom d'Esterhazy nous appartient...

    Et le titre de comte, aussi, sans doute? fit Christian, toujours rtif... Encore une de vos inventions...

    Ne sois pas stupide, Christian. Vlentin-Ladi si as tait comte authentiquement; il faut mener ce procs fond et bien... Tiens, prends quelques notes que tu remettras notre avocat, M e Herbin. Allons, cris...

    'Mais ce n'est pas cela que je suis venu chercher ici, tu le sais bien et comment continuer ce procs, si je n'ai pas d'argent ?..

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    Tu en auras : prends ces notes; je tiens ce qu'elles soient portes la connaissance du public... Tu y es?

    Allons dicte et dpche-toi. Le jeune homme s'tait assis devant la table et. sub

    jugu par la volont de son cousin, i l crivit ce que celui-ci lui dictait :

    Valentin-Joseph-Esterhazy vint en France en 1720 o i l acquit le commandement d'un rgiment de hussards. I l pousa Mlle Philippe de la Nougarde, baronne de Ja Garde dont naquirent deux enfants : Valen-tin-Ladislas et Marie-Anne, notre grand'mre.

    Valentin-Ladislas reprit le commandement du rgiment de son pre en 1764; d'aprs la correspondance entre Marie-Thrse et le comte de Mercy-Argenteau, i l semble qu'il fut trs en faveur auprs de Marie-Antoinette qui voulut mme le charger de porter Vienne la nouvelle de ses couches. Mais l'impratrice mit son veto ce dsir en s'tonnant que les descendants des comtes Esterhazy, proscrits la suite des rvoltes hongroises, pussent mettre la prtention de s'approcher si prs du trne...

    Pendant la rvolution, le comte Esterhazy fut l'agent des princes prs des Cours trangres et sa sceui Marie-Anne et lui furent toujours reus dans les Cours.

    Le comte Valentin-Ladislas est donc notre arrire-grand-oncle...

    Sign : Ferdinand et Christian Esterhazy. Oui, et ainsi la preuve est faite que nous portons

    le nom de notre arrire grand'mre et non celui de notrf pre...

    Mais la preuve a t faite aussi que nos grand? parents naquirent des amours de Marie-Anne et de.

    De... Je voudrais bien le savoir... D'une tte couronne... cela doit te suffire. Ouij mais cela ne peut suffire aux juges...

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  • r 3590 " Si, lorsqu'ils sont des hommes intelligents, qui

    son des Esterhazy et qu'il ne l'a pas fais sans preuves... Bien, je ne discute plus; je ferai dans ce domaine

    ce que tu voudras; mais maintenant parlons srieusement : as-tu de l'argent me donner?

    Mon petit , i l n'y a pour toi qu'une chose faire: un mariage riche... Crois-moi; profite de mon exprience; tu m'en remercieras... Je te parle en copain, mon petit Christian; tout te sera permis quand tu auras de l'argent... Dans le mariage, i l y en a toujours un des deux qui est tromp : i l faut tcher d'tre l'autre...

    J'en ai assez de tes conseils... Regarde autour de toi, tu n'as sem que des dsastres... Et i l y a aussi les larmes de ma mre; celles de ta femme... Non, i l faut en finir avec toutes ces comdies; tu ne m'intimides plus... Tu es tomb plus bas que tes pires ennemis n'auraient pu l'esprer... Tout l'heure, tiens, tout l'heure, j'ai eu une rvlation : tu es l'amant de la chambrire de cet htel misrable dans lequel tu as chou...

    A h ! ah! ah! si elle t'entendait!... La chambrire... Mais c'est la fille de la patronne...

    Cela n'en vaut gure mieux! fit Christian avec une moue de dgot... C'est toujours un souillon... I l est vrai que la pauvre petite vaut peut-tre encore mieux-que toi...

    Tu est un polisson!... Tu ne m'intimides plus!... Oh! alors, coute; je vais te dire la vrit; la

    vraie vrit : je n'ai pas un sou de l'argent que ta mre m'a confi; i l y a longtemps qu'il est dissip...

    Misrable... Laisse-moi du temps; je paierai...

    ' Je vais consulter un homme de loi... porter plainte...

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    Prends garde! s'exclama Ferdinand Esterhazy, d'une voix sourde, en bondissant vers Christian; prends garde, tu ne sais pas jusqu'o ma colre peut aller... ,

    Je sais que tu es capable de tout... Christian reculait vers la porte. Et plus encore que tu ne le sais, rpliqua l'autre

    de plus en plus menaant. Mais c'est moi qui t'aurai... Ferdinand Esterhazy sauta la gorge de sou cou

    sin et le fit rouler terre : Imbcile... Allons, relve-toi et fous-moi le

    camp!... Christian se redressa lentement et ouvrit la porte,

    eh criant encore une fois : Misrable!... La porte retomba sur lui. Dans le fond du couloir, une ombre s'enfuyait : c'

    tait Harriet qui n'avait pas perdu un mot de l'altercation des deux hommes.

    L a malheureuse fille tait frappe au cur. Pendant ce temps, Ferdinand Esterhazy allumait

    paisiblement une cigarette; i l tait redevenu trs matre de lui et i l souriait.

    Allons, murmura-t-il, encore une page de ma vie tourner... Quels idiots!...

    Mais son sourire s'effaa quand i l entendit la porte s'ouvrir.

    Qu'est-ce que tu veux encore1? dit-il d'un ton maussade. Que viens-tu faire ici?

    Harriet tait sur le seuil, toute tremblante Ferdinand!... Quoi? Tu n'as besoin de rien?... Pourquoi viens-tu me demander cela !... a ne va pas avec ton cousin; i l m'a sembl que

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    Tu as cout la porte, comme toujours... Je t'en prie prils cette bonne habitude... Et puis, apporte-moi quelque chose a boire, tous ces discours m'ont donn soif...

    C H A P I T R E C D L X

    LA P R I S O N N I E R E

    Ds que James Wells avait t libre, i l s'tait mis fouiller la maison, en la compagnie de l'inspecteur Pailleron, tandis que le garde-champtre et le chauffeur de M . Calmon qui les avait conduits avec la voiture, si heureusement retrouve, maintenaient Wardell. mis hors d'tat de nuire et de s'enfuir, par la balle de l'inspecteur.

    Mais les deux hommes eurent beau parcourir la maison, de la cave au grenier; ils ne trouvrent plus personne.

    Amy Nabot et la Sophie, de mme que Smolten, semblaient s'tre volatiliss.

    Mais par o ont-ils bien pu passer? se demandait l'inspecteur; i l n'y avait pas que je sache, de voiture dans cette maison.

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    Ils taient ce moment clans la cour, derrire la villa, et l'inspecteur, qui inspectait le sol, poussa un cri :

    El i bien si! i l y a une voiture; tout au mois i l y en avait une; voici les traces de ses pneus sur le so l -Mais comment ne l'avons-nous pas entendue et d'o est-elle sortie... Ah! voici l'entre du garage; i l est souterrain et c'est pourquoi i l avait chapp nos investigations... Voyez, son entre est dissimule derrire cette balustrade fleurie...

    En effet, dit James Wells; alors, nous n'avons pas de temps perdre... H faut relever les traces de cette voiture et la suivre!...

    Peste! comme vous y allez!... dit l'inspecteur. Mais nous n'avons pas les moyens de faire cela. J'ai t mandat uniquement pour arrter des voleurs d'autos; j'en tiens un, grce lui peut-tre nous tiendrons bientt l'autre; mais je n'ai pas de voiture pour prendre en chasse ces misrables... Toutefois, le chaiiffeur de M . Calrnon peut sans doute nous mener quelque part sur sos traces; peut-tre cela ne nous retardera-t-il pas beaucoup...

    L'inspecteur alla chercher le chauffeur et le garde-champtre qui, poussant leur prisonnier devant eux, regagnrent la voiture. James Wells et M . Pailleron y montrent leur tour. Le chauffeur fit tourner le vhicule dans la grande alle et suivit les traces de roues que l'inspecteur lui avait montr. Cette piste les mena une porte charretire situe tout au fond du pare et donnant sur une autre route.

    O va cette route1? demanda l'inspecteur au garde-champtre.

    Elle traverse la fort et rejoint la route de Rouen la mer. rpondit celui-ci.

    Bien ; nous pouvons toujours aller jusqu' Rouen, si la piste va jusque-l... C . I . LIVRAISON 450

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    Mais peu avant Graillon, la piste tait perdue. La route tait dtrempe par la pluie, qui tait tom-

    De la nuit prcdente, et plusieurs voitures, certainement, avaient pass par l... I l tait matriellement impossible de reprer les traces que l'on cherchait.

    -lames Wells, dsespr, dut se rendre l'vidence i l dcida de rentrer Paris avec l'inspecteur.

    On laissa le garde-champtre Vernon et la voiture de M . Cahuon, expertement guide par le chauffeur arrivait deux heures plus tard Paris.

    Wardel fut crou ou dpt, o l'tat de sa jambe blesse le fit transporter illico l'infirmerie.

    Ds le lendemain, l'activit de M . Pailleron avait tir au clair le mystre de l'enlvement de l'automobile.

    Le rcit que lui avait fait James Wells des expriences hypnotiques auxquelles l'allemand s'tait livr tant sur Amy Nabot que sur lui-mme, lui avait fait entrevoir la vrit...

    Et tout s'tait expliqu facilement : le gardien de nuit du garage tait un sujet trs nerveux, sur lequel Wardell avait exerc ses talents.

    En plongeant cet homme dans le sommeil hypnotique, ce n'avait t qu'un jeu pour les deux audacieux bandits d'enlever la seule automobile se trouvant alors au garage-

    Mais i l avait t impossible de faire parler Wardell, au sujet de son acolyte : quelle tait l'identit de celui-ci? quel but poursuivait-il I que devait-il faire de la femme qu'il avait enleve?...

    L'allemand restait muet; i l fut absolument impossible d'en tirer un mot...

    Mais l'enqute, cette fois, ouverte sur la demande de James Wells, s'orienta dans un autre sens. L'inspecteur Pailleron se mit en qute de la Simone et i l enquta sur. ses relations et ses amis.

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    I l esprait ainsi retrouver la trace du mystrieux complice de Wardell

    On se souvient que la Simone avait emmen Amy hors de la pice, pour la soustraire la vue de James Wells que ses complices s'apprtaient interroger.

    L a mgre avait entran la jeune femme jusqu'au garage et les deux femmes s'taient installes dans l'auto qui se trouvait l.

    La Simone n'ignorait pas que Smolten viendrait les retrouver, ds que Wardell aurait rduit James Wells l'impuissance.

    Cependant, le temps passait et la pseudo-sorcire commenait trouver le temps long.

    Elle n'osait bouger, sachant fort bien que Smolten ne lui pardonnerait pas une initiative quelconque : quant Amy, elle sommeillait, sans avoir conscience de ce qui se passait autour d'elle...

    Soudain, un coup de revolver veilla l'cho. Sainte Vierge marmotta la vieille ; ils se bat

    tent l-dedains ; mais elle n'eut pas le temps de beaucoup rflchir...

    U n homme arrivait au pas de course ; sans mot dire i l se baissait, mettait le moteur en marche et bondissait sur le sige.

    C'tait Smolten. Quelques minutes plus tard, la voiture sortait do la

    proprit et filait toute allure sur la route. Parfois, la Simone, un cahot plus brusque que

    les autres poussait un petit cri ; Amy gmissait ; mai

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    Smolten ne ralentissait pas pour si peu la course du vhicule...

    Pendant plusieurs heures, i l mena ainsi follement et i l ne ralentit qu' l'approche de Rouen.

    Une fois-l, i l enjoignit la Simone de descendre et de reprendre le train pour Paris, i l n'avait plus besoin d'elle.

    J'ai besoin d'argent, dit la Simone ; car i l me faudra dmnager... Votre anglais pourrait me dnoncer.

    Vous tes insatiable, Simone... Combien voulez-vous ?

    Peux mille... Gourmande ! Tenez !... Smolten se disait qu'il n'avait pas une minute

    perdre ; aussi fut-ce sans discussion qu'il tendit deux grands billets la cartomancienne. Puis i l ajouta :

    Mnagez cette somme et tenez moi au courant de vos avatars. Vous n'aurez qu' m'crire chez Baharoff.

    Entendu... La vieille descendit de l'auto qui reprit sa course

    endiable ; mais elle avait chang de direction ; elle avait abandonn la route de l'ouest et montait vers le nord...

    La voiture tait bonne ; elle rpondait tous les efforts qu'exigeait d'elle son conducteur.

    Quelques heures plus tard, elle entrait Chlon-sur-Marne. La nuit tait tombe : Smolten s'arrta devant un htel et demanda deux chambres. Puis i l fit monter un repas froid dans celle de la jeune femme.

    Amy, qui commenait, grce l'air frais de la route, reprendre ses esprits, se laissa aller dans un fauteuil, en baillant. Elle mourrait de fatigue et d'envie de dormir ; de faim, sans doute aussi, car elle fit honneur au repas que son compagnon lui servit. Pendant cette collation improvise ; ils ne prononcrent pas une parole ;

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    mais les regards que lanait Amy Smolten taient trs loquents ; elle ne tarderait pas se rebeller et alors...

    Celui-ci, quoique les procds, employs tour tour par la Saint-Estve et Wardell ne fussent pas de son got, tait bien rsolu empcher cette ventualit ; i l ne fallait pas que la jeune femme eut l'ide de crier ou d'appeler l'aide au cours du voyage qu'ils allaient faire de compagnie-

    Mais Smolten tait homme de rsolution et si les procds hypnotiques de Wardell n'taient pas sa porte, i l lui restait la seringue et l'aiguille dont s'tait servi l'acolyte de la Saint-Estve et qu' titre de prcaution supplmentaire i l avait emport ; i l avait aussi au fond de ses poches un petit flacon d'un narcotique inoffensif.

    Ce fut celui-ci qu'il versa la drobe, dans le verre de sa compagne, alors qu'elle achevait son repas.

    Puis i l prit cong en lui conseillant de bien dormir jusqu'au lendemain matin.

    Les paupires d'Amy taient lourdes ; elle ne pouvait lutter contre la langueur qui l'envahissait et qu'elle attribuait la fatigue.

    Lentement, car tous ses membres taient connue rompus, elle se mit au lit et quelques minutes s'taient peine coules qu'elle dormait profondment.

    Alors, la porte s'ouvrit doucement, Smolten fit un pas dans la chambre couta un instant sa respiration ; puis, rassur, i l teignit la lampe et ferma la porte el de l'extrieur, pour aller, son tour, se livrer au sommeil.

    Et aprs avoir prvenu le garon de l'htel de bien vouloir l'veiller quatre heures du matin, i l rentra dans sa chambre.

    Sa conscience, trs certainement, ne l'empcha au-

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    cunement de goter le repos,. C'tait un. homme chez qui la discipline, l'obissance passive., vertus de l'arme allemande, avaient tu tout rflexe moral individuel.

    A l'aube, une aube grise et terne, le garon vint frapper sa porte et i l s'veilla aussitt.

    Quelques minutes plus tard, i l pntrait dans la chambre o Amy dormait encore et saisissant son bras, i l enfona dans la chair l'aiguille, charge du poison qui devait la rendre inconsciente et docile.

    La jeune femme poussa un gmissement et se tourna sur elle-mme ; mais sans s'veiller.

    Le narcotique tait de bonne qualit, murmura Smolten, gay en constatant la facilit de sa tche.

    I l se rendit ensuite au garage o i l mit la voiture en tat de reprendre la route ; i l fit le plein d'essence ; paya sa note d'htel et fit monter deux chocolats dans sa chambre.

    Puis, de nouveau, i l pntra chez Amy et l'veilla. Elle s'tira, se frotta les yeux, enfin, les ouvrit. Qu'est-ce qu'il y a % murmura-t-elle d'une voix

    toute ensommeille. I l faut vous lever, vous habiller ! nous allons

    partir... Me lever... m'habiller, partir... rpta-t-elle

    comme si elle avait appris une leon... Me lever... m'habiller...

    Et sans se soucier de la prsence du jeune homme, elle sortit ses jambes hors des draps, chercha ses bas, s'habilla comme un automaie inconscient.

    Smolten, les bras croiss, la considrait en silence. Quand elle fut habille, i l lui caressa doucement les

    cheveux, arrangea sous son chapeau une boucle rebelle, la prit -par la main et l'emmena dans sa chambre o. le domestique avait dpos sur une petite table les deux chocolats fumants, accompagns de beurre et de brioches.

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    Mangez, Amy... Ah ! oui, dit-elle, d'une voix qui paraissait venir

    de trs loin, manger... C'est du bon choeola' Trs bon chocolat... Elle mangea, toujours avec ses gestes d'automate et

    des mines de chatte gourmande. I l n'y avait d'engourdi chez elle que l'esprit ; les

    nerfs moteurs des sensations avaient toute leur lasticit.

    Smolten mangeait aussi ; i l avait besoin de prendre des forces pour le long trajet qu'il lui restait faire.

    U n quart d'heure plus tard l'auto reprenait la route.

    Et ce fut le mme train fou jusqu' la frontire. L, Smolten dut faire viser ses papiers ; mais ils

    taient parfaitement en rgle et ce ne fut qu'un retard de peu de minutes. A Metz, on s'arrta pour djeuner...

    Amy se montra gaie, facile vivre... Elle ne pensait rien, se laissait aller, inconsciente. Puis, la voiture repartit dans la direction de Franc

    fort. Maintenant, qu'on tait en territoire allemand, Smolten respirait. I l savait qu' Francfort i l trouverait de laide et une autre voiture, destine remplacer celle-l qu'un complice ramnerait en France, afin de faire perdre sa trace.

    I l ne savait pas si les policiers, lancs sa poursuite, avaient identifi la voiture dont i l se servait ; mais i l se disait que c'tait une chose possible et que, par consquent, i l ne fallait pas ngliger cette prcaution.

    La voiture rentrerait en France par le nord, de sorte que si elle avait t signale, on puisse ignorer qu'elle avait franchi la frontire de l'est.

    Tous ses espoirs se ralisrent.

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    A l'htel Imprial, .Francfort, i l trouva son relai rpare' avec .soin. Un valet, admirablement styl,

    devait l'accompagner pendant la dernire partie du voyage, qui se terminerait Charlottenbourg, o le banquier Baharoff possdait une charmante villa'qu'il mettait la disposition de Mlle Nabot.

    La voiture tait un coup bleu sombre, de toute beaut ; elle tait-capitonne de velours jaune d'or et des fleurs ornaient les porte-bouquets.

    Aprs une bonne nuit, au cours de laquelle Smolten pratiqua sur la prisonnire-la mme -opration: que la nuit prcdente, la jeune femme, toujours aussi inconsciente, monta dans la voiture avec son compagnon.

    Cette fois, Smolten pouvait se reposer des fatigues qu'il avait prouv en conduisant, sans arrt pendant trois jours.

    U n bras, ngligemment, pass autour de la taille de sa compagne, qui ne rsistait pas, i l s'abandonna enfin, aux douceurs du far-niente, si doux lorsqu'on a la satisfaction du devoir accompli.

    E t Smolten prouvait cette satisfaction... I l tait tout l'ait content de lui. N'avait-il pas men bien une machination dange

    reuse J \ . ." : Et i l avait rencontr, en la personne de cet anglais,

    un obstacle sur lequel i l n'avait pas compt !... Mais tout irait bien, dsormais I l pourrait, dans quelques jours, rentrer en France

    et reprendre, son cong coul, sa'place l'ambassade... I l n'aurait plus"qu' voir si Dubois avait pu s'acquitter de sa mission et, grce la valise diplomatique, les papiers et les plans dont il aurait pu s'emparer, passeraient heureusement la frontire.

  • James bondit vers. elle... Amy ! cria-t-il, (p. 3547).

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    Mene bon train, la voiture arriva vers le milieu du jour Leipzig o nos voyageurs djeunrent et dans la soire, elle atteignait Charlottenbourg...

    Comme la voiture atteignait une grille monumentale, le cocher fit rsonner sa trompe.

    La grille s'ouvrit aussitt et, dcrivant un savant virage, la voiture s'engagea dans une cour sable et vint se ranger devant un perron.

    Le valet sauta terre et ouvrit la portire ; Smolten descendit et tendit la main Amy qui , sans manifester le moindre tonnement, sortit de la voiture et gravit son ct le large escalier du perron.

    Un valet, en habit la franaise, vint la rencontre des visiteurs.

    I l tait certainement prvenu, car i l ne manifesta aucune surprise, et ouvrant une porte, i l dit simplement :

    Si Madame et Monsieur veulent entrer... Amy, docile et sans aucune crainte, pntra dans la

    X>ice et alla s'asseoir dans un fauteuil. Nous avons faim, Amy ? demanda Smolten, vo

    yant que la jeune femme rprimait un billement. Oui, rpondit-elle, j 'a i faim... -le vais vous faire conduire dans votre chambre

    et on vous servira immdiatement, de sorte que vous pourrez aller vous coucher, car vous tombez de sommeil.

    Oui, dit docilement Amy ; j 'a i sommeil.. Smolten sonna le valet et lui donna un ordre ; celui-

    ci s'inclina et pronona :

  • 3604 -

    Si Madame veut me suivre. Amy se leva et, sans mot dire, suivit le domestique. Celui-ci la conduisit dans un trs belle chambre, sur

    laquelle ouvrait la porte d'une salle de bains, dans laquelle la jeune femme se hta de pntrer pour faire sa toilette.

    Quand elle ressortit de cette pice, elle trouva sur ta table une collation fastueuse laquelle elle fit honneur immdiatement. Puis, l'ide lui Adnt d'aller retrouver Smolten...

    Habitue depuis plusieurs jours n'agir que sur son ordre, la malheureuse tait incapable de penser par elle-mme ; la funeste drogue la tenait encore sous son empire.

    Elle cherchait Smolten parce qu'il tait devenu sa pense, son cerveau...

    Elle alla vers la porte ; mais celle-ci rsista ses efforts pour l'ouvrir ; tonne, mais sans crainte encore, elle se tourna vers la fentre, travers laquelle elle apercevait les frondaisons du parc. Mais celle-ci ne s'ouvrit pas davantage.

    Alors, une vague peur entra dans son me ; elle se laissa tomber sur un sige et se mit pleurer comme un enfant abandonn, la nuit, au fond d'un bois...

    Et ce fut en pleurant qu'elle s'endormit...

    Quand elle s'veilla, la nuit tait venue tout fait; mais en mme temps, le cerveau de la jeune femme, indemne, >ce soir-l, de toute drogue, redevenait lucide; elle 'tonna de se trouver dans cette pice inconnue.

  • 3605 -

    A la pale lueur d'une lampe de chevet que le valet avait allume avant de quitter la chambre, la malheureuse chercha le commutateur qui commandait le lustre et elle ne tarda pas le trouver.

    La pice s'illumina ; elle vit. le luxe de cette pice, qui contrastait avec la pauvret de la petite chambrette qu'elle occupait chez Mme Etienne et une question lancinante emplit son esprit :

    Que m'est-il arriv Elle avait le vague, trs vague souvenir d'un Ion?

    voyage ; des visages d'hommes se penchaient sur elle ; mais elle ne les reconnaissait pas...

    Que m'est-il arriv 1 Puis, en mme temps que la lucidit, la peur revint: James ! cria-t-elle. C'tait vers James Wells qu'elle se tournait quand

    elle prouvait le besoin d'un dfenseur. Et l'cho lui renvoya ce nom ! Prise alors d'une terreur folle, la jeune femme se

    mit frapper dans la porte coups de poings en appelant au secours ; mais ses fines mains taient en sang e1 la porte n'en semblait mme pas pas branle.

    De guerre lasse^ elle se jeta sur un divan et se mit crier. Elle tait en proie une vritable crise de nerfs.

    Enfin, elle se calma et retint ses sanglots. Que voulait-on d'elle % Elle tentait de rflchir et de trouver une rponse

    cette question... Et, comme pour lui rpondre, une tapisserie se sou

    leva et un homme pntra clans la pice. Pourquoi faites-vous tant de bruit ? demanda-t

    i l d'une voix calme et froide, Amy, les yeux exorbits, considrait cet homme.

  • 3606

    Elle voulut crier et les cris s'arrtrent dans sa gorge.

    Elle se dressa et ses bras battiren t l'air devant l'homme qui tait entr comme un famtme.

    Me reconnais-tu, Amy ? Elle ne rpondit pas ; un long gmisement sortit de

    sa gorge... Elle s'vanouit. L'homme se pencha sur elle et la dvisagea ; puis i l

    souleva la jeune femme dans ses bras et la jeta sur le lit en murmurant :

    Elle est toujours aussi belle...

    C H A P I T R E C D L X I

    D A N S L E P I E G E

    I l faisait dj jour, lovsqu'Hugues Melan rentra chez; lui.

    Doucement, sur la pointe des pieds, i l se glissa dans la chambre coucher.

    Une peur terrible s'empara de lui lorsqu'il vit que le lit d'Yvonne tait vide.

    Rapidement, il se dirigea vers le salon et ouvrit la porte en appelant sa femme.

  • 3607 -

    Yvonne, couche sur le divan s'veilla en sursaut cl regarda son mari d'un air boulevers.

    Seigneur!... qu'est-il arriv? Tu m'effraies... Le visage d'Hugues tait ple, ses cheveux lui tom

    baient sur le front, ses yeux taient fixes et ils semblaient ne rien voir.

    As-tu bu? Y vomie s'tait dresse sur le divan et elle avait pos

    cette question d'une voix dure. Oui... .j'ai bu!... admit-il. Elle le regarda d'un air plein de mpris. Viens te coucher! dit Melan d'une voix rauque

    en se dirigeant vers ln. porte de la chambre coucher. Elle se leva et le suivit docilement. , Dshabille-toi!... ordonna-t-il en jetant bruyam

    ment ses souliers dans un coin de la chambre. Yvonne obit, mais ses mains tremblaient; elle arri

    vait difficilement dgrafer son corsage. Soudain, elle s'arrta net et demanda voix basse : Et la traite, Hugues ? Elle sera paye demain! Dieu soit lou ! La jeune femme poussa un soupir de soulagement

    et continua se dshabiller. Ds qu'elle fut couche, elle s'endormit d'un som

    meil lourd, interrompu par de mauvais rves. Elle dormait encore, lorsque quelques heures pl

  • - 3608

    Seigneur, pourquoi ni'avez-vous laiss dormir si longtemps... Monsieur sera de retour dans quelques minutes et le djeuner n'est pas prt...

    Que madame ne s'inquite pas, monsieur est. sorti ce matin en me disant qu'il ne rentrerait pas avant le soir... i l m'a pri de faire la commission madame

    Yvonne rpta, d'un tont incrdule : Comment % Mon mari ne sera de retour que ce

    soir ? Vous tes sre qu'il a dit cela % Tout -fait sre, madame. Yvonne reposa sa tte sur les coussins et ferma les

    yeux... elle ne comprenait rien cette histoire. J fois je apporter le djeuner madame % de-

    mandn Lisette d'une voix douce. Mais Yvonne secoua simplement la tte, elle ne pou

    vait manger... Sa tte lui faisait mal ; elle voulait rester seule et rflchir..-.

    /c j'esterai au lit, Lisette, dit-elle enfin en voyant que la servante hsitait quitter la chambre ; j'ai envie de dormir, je suis trs fatigue.

    Lisette lui jeta un regard tonn, mais n'osant plus rien dire, elle ferma doucement la porte derrire elle.

    Yvonne tira les couvertures plus troitement sur elle et tourna son visage vers le mur.

    >Te rien voir, ne rien entendre... Elle ferma les yeux et tenta de se rendormir. Cela lui sembla le seul remde... ne pas penser et dor

    mir, autant que cela lui serait possible.

  • 3609 -

    Tout marchera trs bien, avait dit Dubois Melan, i l ne faut pas avoir peur, c'est l l'essentiel. S i tu me donnes les plans, je te donnerais immdiatement trois mille francs et, huit jours aprs, je te remettrai encore une fois cette somme... je crois que cela vaut bien le petit effort que je te demande.

    L'ide de possder une aussi grosse somme, tenta Melan ; i l pourrait enfin payer ses dettes et donner Yvonne toutes les choses qu'elle dsirait depuis longtemps.

    Mais la mdaille avait un revers... sa carrire serait peut-tre brise jamais par l'affaire que Dubois venait de lui proposer... S i l'on s'apercevait de sa trahison, i l finirait en prison.

    Cela le tourmentait sans cesse ; i l devenait de plus en plus inquiet et ne savait pas prendre une dcision.

    I l avait peur, mais i l n'osait pas l'avouer... Dubois aurait eu un sourire ironique et n'aurait peut-tre plus insist... Mais Melan tait dj trop dans sa dpendance cause de son argent.

    Le jour o i l l'avait rencontr avait t un jour malheureux, pour lui , se disait-il, mais maintenant, i l tait trop tard pour reculer.

    C'tait un vritable malheur qui allait fondre sur lui, i l le voyait venir, mais i l ne savait comment lui chapper... et Melan se disait qu'il devait continuer marcher sur la route que Dubois lui avait indique.

    I l avait reu la veille cinq cents francs de lui pour quelques papiers qu'il lui avait apport de l'Etat-Major. (''taient des documents secrets d'une extrme valeur, mais Dubois avait, naturellement, marchand et Melan avait finalement, accept la somme que l'autre lui offrait.

    Le soir, i l l'avait mis dans une enveloppe avec une

    C . 1. LIVRAISON 452

  • 3610 -

    note sur laquelle i l avait crit : cet argent est pour le marchand de meubles .

    Et avant de quitter la maison, i l avait pos cette enveloppe sur son secrtaire et l'avait adress Yvonne.

    Elle la trouverait, lorsqu'elle s'veillerait et elle irait payer ce crancier exigeant.

    Melan soupira... I l n'avait encore accompli qu'une petite partie de sa tche et ces cinq cents francs ne feraient disparatre de son esprit que bien peu de ses soucis.

    Le plus difficile tait encore faire. I l luttait contre lui-mme... ne pouvait-il pas se

    trouver une excuse... I l avait envie de tout lcher et de rentrer chez lui. Mais qu'arriverait-il'? Sa situation tait dj si compromise! Autant valait continuer cette sale besogne, se disait-il en grinant des dents.

    Ces dettes lui pesaient trop; i l ne voyait aucun moyen de les payer autrement qu'avec l'argent qu'il gagnerait au service de Dubois.

    Et s'il refusait, soudain, de continuer, le dsastre serait invitable.

    Ce ne serait pas seulement un dsastre financier, mais aussi la fin de son bonheur... l'amour d ?Yvomie ne supporterait pas une telle dbcle.

    I l ne doutait pas un instant qu'elle le quitterait immdiatement lorsqu'il se trouverait dans la misre; elle n'tait pas femme supporter courageusement les difficults matrielles, sa mre l'avait trop gte et lui avait appris que l'argent tait une chose ncessaire au bonheur.

    L a certitude d'tre abandonn lorsqu'il ne pourrait plus donner sa femme les choses qu'elle dsirait, l'avait perdu... il avait t trop faible pour envisager froidement la perte d'Yvonne et i l s'tait jet dans les bras du tentateur.

  • - 3611 -

    U n peu avant la fermeture des bureaux, un officier entra dans la pice o travaillait Melan et i l lui dit :

    Vous avez fini votre travail, monsieur ? Pas encore, mon colonel... j'aurais travailler

    assez tard dans la soire... cela a t plus long que je ne le pensais...

    Le colonel inspecta soigneusement le plan que Melan avait dessin et i l se pencha longuement sur les diffrents documents qui se trouvaient sur la table du jeune homme.

    Puis, se redressant i l dit : C'est bien !... vous pouvez rester ici , autant que

    ce sera ncessaire ; j'avertirais l'ordonnance. Pendant quelques secondes, Melan eut la sensation

    que le colonel le regardait d'un air souponneux, i l semblait hsiter quitter la pice et Melan crut qu'il allait lui parler. Mais l'officier se dtourna et ferma la porte derrire lui , sans avoir profr une seule parole.

    Ce regard avait troubl profondment la conscience de Melan.

    Aurait-on des soupons 1 Plein d'inquitude i l se demandait... Mais si cela tait on ne lui permettrait pas (se rester l'Etat-Major jusqu'au soir ; si on le croyait capable d'une trahison on ne lui aurait pas accord cette confiance ?

    I l devait trahir cette confiance, se disait-il : i l devait agir d'une manire ignoble, simplement parce qu'il avait une femme qui aimai'! le luxe et la vie facile.

  • 3612

    Soudain, i l prouva une haine violente contre Yvonne; ses mains tremblrent, la tte lui tournait... i l poussa un gmissement de dsespoir.

    Le temps passait lentement... i l lui semblait que l'aiguille de la pendule n'avanait plus.

    Impatiemment, i l arpenta la chambre; i l faisait encore trop clair dehors; i l fallait attendre.

    Aprs quelque temps, qui lui Sembla une ternit, i l remarqua qu'il commenait faire sombre; le soir tombait et bientt i l serait dlivr de cette attente.

    I l sortit dans le couloir pour s'assurer qu'il n'y avait plus personne dans les bureaux.

    Une ordonnance surveillait le couloir; le soldat passait toutes les cinq minutes prs de la porte. Mais son visage impassible ne trahissait rien d'inquitant et Melan pensa que c'tait uniquement son imagination trop vive, qui lui faisait voir un danger dans cette prsence.

    I l supposait que les officiers avaient tous quitt le btiment et qu'il tait le seul employ qui avait eu la permission d'y rester.

    Melan rentra dans son bureau et alluma l'lectricit.

    Puis i l ferma les rideaux et s'assit devant sa table de travail.

    Encore deux heures, se dit-il ; dans deux heures, je pourrais prendre en toute scurit les documents ncessaires Dubois; personne ne viendra plus me dranger...

    I l se pencha sur son travail; essayant d'tre calme et d'avoir confiance dans la russite de son plan.

    I l tait neuf heures. Dubois devait l'attendre au caf Rougemont entre

    neuf |ieures et dix heures; i l lui avait dit d'tre ponctuel.

  • 3613

    Courage!... se dit Melan en se levant, i l faut agir tout de suite!

    Il referma le plan qu'il venait de dessiner dans le tiroir de sa table et se dirigea vers l'armoire, qui contenait les documents secrets qu'on lui avait confi.

    La clef de cette armoire n'tait pas en sa possessions, le colonel la gardait toujours sur lui et i l donnait lui-mme Melan les papiers et les plans qu'il voulait lui faire copier.

    Melan avait prvu cela et i l avait fait faire une fausse clef.

    l ouvrit facilement l'armoire et comme i l savait exactement o se trouvaient les papiers dont Dubois avait besoin, i l s'empara de ceux-ci. Ses mains tremblaient.

    Htivement, i l les enfouit dans sa serviette... Tl tournait ce moment-l le dos la porte et un lger bruit lui fit tourner la tte.

    Affol, i l bondit vers l'armoire pour la refermer; mais i l tait dj trop tard.

    Deux officiers se trouvaient sur le seuil et ils le considraient en silence.

    Melan eut l'impression que tout s'croulait autour de lui.

    L'un des officiers s'avana lentement et sans mot dire, il s'empara de la serviette du dessinateur... H l'ouvrit et en tira les papiers, que Melan venait de prendre dans l'armoire.

    L'autre un revolver la main, se tenait devant la porte; il ne quittait pas Melan du regard.

    Celui-ci l'avait remarqu et une ide traversa son cerveau : s'il pouvait me tuer... je lui en serais reconnaissant... pourquoi ne tire-t~il pas sur moi...

    Faites entrer les gendarmes... dit le premier des

  • - 3614

    officiers en posant la main sur l'paule de Melan. Ce furent l les derniers mots que celui-ci entendit,

    car i l s'affaissa sur le sol, priv de connaissance...

    Yvonne tait reste au lit jusqu'au soir. Enfin, lorsqu'il fit sombre, elle se.leva et s'habilla,

    pour attendre son mari. Le salon tait glac, elle s'enveloppa dans un chle

    et s'assit sur le divan... Son cur battait trs fort... elle respirait pniblement; sans qu'elle sut pourquoi des frissons de peur la parcouraient.

    L'angoisse lui serrait la gorge. Pourquoi ne vient-il pas? Qu'est-il arriv? se de

    mandait-elle inquite et anxieuse. Soudain, la sonnette de l'entre retentit violem

    ment. Yvonne tourna vers la porte des yeux dilats d'ef

    froi. Bientt, elle entendit des clats de voix. Retenant son souffle, elle essaya d'couter ce qu'on

    disait dans le vestibule. Soudain, la porte s'ouvrit et Lisette, la femme de

    chambre, se prcipita dans la pice en s'criant : Madame, i l y a des messieurs, qui dsirent

    vous parler... ce sont des messieurs de la police... , Avant qu'Yvonne eut pu rpondre, les inspecteurs

    avaient pntr dans le salon... une ple lumire venant

  • - 3615 -

    du couloir permettait de discerner vaguement leurs silhouettes sur le seuil.de la porte ouverte.

    Yvonne reconnut aussitt l'uniforme des policiers et elle se sentit incapable de dire un seul mot; une terreur folle s'tait empare d'elle et elle couvrit son visage de ses deux mains.

    L'un des hommes ordonna d'une voix dure : Veuillez donner de la lumire et nous montrer

    toutes les pices de cet appartement. L'instant d'aprs le salon tait clair et l'inspecteur

    de police s'avana vers Yvonne. Vous tes Madame Melan? demanda-t-il en po

    sant sur elle un regard perant. Yvonne n'osait pas lever les yeux. Oui! dit-elle d'une voix peine perceptible. Nous avons ordre de faire une perquisition chez

    vous, madame. Je vous prie de bien vouloir nous montrer la chambre de votre mari...

    Yvonne se leva lentement; ses jambes se drobaient sous elle et elle chancelait en marchant.

    De temps en temps, elle s'arrtait et s'appuyait contre le mur pour ne pas tomber.

    L'inspecteur ne semblait rien remarquer et i l la suivait sans dire un mot.

    Enfin, elle ouvrit, d'une main tremblante, la porte de la chambre coucher et alluma l'lectricit.

    Asseyez-vous, lui dit un des inspecteurs en lui avanant une chaise; nous en avons pour quelque temps.

    Yvonne s'affaissa dans le fauteuil et gmit doucement.

    A travers ses paupires demi-closes, elle vit un des hommes s'emparer d'une lettre, qui se trouvait sur le secrtaire de Melan.

    "T. lui tendit 'a lettre

  • 3616

    Elle vous;est adresse, madame... puis-je vous prier de rouvrir devant nous ?

    L'autre regarda encore une fois l'adresse : Vous vous appeliez bien, Yvonne? demanda-t-il

    d'un air souponneux. I l semblait hsiter lui remettre la lettre.

    ; Yvonne hocha la tte : y - La lettre est de mon mari, donnez-la moi...

    L'inspecteur s'excuta; mais il se tint tout prs d'elle et 'lui. dit d'une voix dure :

    Ouvrez-la tout de suite et n'essayez pas de me cacher l contenu.

    Yvonne l'ouvrit avec des mains tremblantes. Elle en tirait les cinq cents francs et la note que

    Melan avait ajout l'argent. L'officier lui prit immdiatement le tout des-mains

    et i l lut la note,, avant.qu'Yvonne mme et pu se rendre compte de son contenu.

    Puis le policier remit dans l'enveloppe la note et le billet de cinq cents francs... mais il ne dit pas un mot.

    Avez-vos les clefs du secrtaire? demanda-t-il quand i l eut vu que les tiroirs taient tous ferms clef.

    Yvonne secoua la tte ngativement; elle ne comprenait rien cette histoire et elle n'osait pas poser de questions.

    Les deux inspecteurs forcrent le secrtaire sans hsitation et ils fouillrent dans tous les tiroirs en examinant soigneusement tous.les documents qu'ils y trouvrent.

    Chaque petite noie l'ut lue, chaque papier fut examin la lumire, les policiers tirrent tous les dossiers et examinrent les fonds des tiroirs pour voir s'il ne s'.\ trouvait pas quelque cachette.

    Yvonne les yeux grand ouverts regardait... elle la)s-

    TABLE DES MATIRESCDLXV La prisonnireCDLXVI Dans le pige