Le bruit du Off - Un monument de douleur et de grâce

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http://lebruitduoff.com/2010/07/12/la-casa-de-la-fuerza-un-monument-de-douleur-et-de-grace/ Le bruit du Off Le bruit du Off la rumeur d'un festival la rumeur d'un festival La Casa de la Fuerza : un La Casa de la Fuerza : un monument de douleur monument de douleur et et de de grâce grâce 12 juillet 2010 Autant le préciser tout de suite, Ce Casa de la Fuerza est un sacré morceau ! Cinq heures de représentation, deux entractes, trois changements de décor, une pléthore de comédiens, performeurs, musiciens, et même un haltérophile et une infirmière !… Angelica Liddell a vu grand, et le résultat est impressionnant. Au-delà de ce moment de bravoure, reste une oeuvre atypique, totalement ouverte, qui joue et se joue de l’épuisement jusqu’à la lie. Une performance, dans le véritable sens du terme, un objet théâtral hybride, monstrueux, qui nous emmène très loin dans l’expérience du vivant, jusqu’à ses frontières… La Mort, parlons-en, puisqu’elle est, par essence, le fil du pitch de la Casa : Ces femmes, travailleuses

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12 juillet 2010

Autant le préciser tout de suite, Ce Casa de la Fuerza est un sacré morceau ! Cinq heures de représentation, deux entractes, trois changements de décor, une pléthore de comédiens, performeurs, musiciens, et même un haltérophile et une infirmière !… Angelica Liddell a vu grand, et le résultat est impressionnant. Au-delà de ce moment de bravoure, reste une oeuvre atypique, totalement ouverte, qui joue et se joue de l’épuisement jusqu’à la lie. Une performance, dans le véritable sens du terme, un objet théâtral hybride, monstrueux, qui nous emmène très loin dans l’expérience du vivant, jusqu’à ses frontières… La Mort, parlons-en, puisqu’elle est, par essence, le fil du pitch de la Casa : Ces femmes, travailleuses

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des usines de la ville-frontière de Ciudad Suarez, que l’on retrouve au petit matin torturées, violées, puis étranglées, après parfois même été prostituées de force, puis finalement enterrées comme des bêtes dans les faubourgs de la ville-mirage. De ce drame, Angelica Liddell tire un récit extrême, halluciné, dont les tableaux à eux-seuls constituent une expérience limite des corps, et du Monde. Les comédiens, mais peut-être le terme de performeurs leur sied-il mieux, poussent leur résistance au bout du bout du raisonnable, nous livrant une véritable expérience physique, que le public partage forcément, Angelica Liddell ne nous épargnant rien de cette performance absolue, qui joue sur la durée et sur la résistance du spectateur.

Esthétiquement souvent très proche de l’art contemporain, et de ses performeurs historiques -les actionnistes Viennois, Gutaï, le Body-art ou encore Sophie Calle- cette oeuvre puissante, dévastatrice, dit magnifiquement le temps, son écoulement majestueux dans une dramaturgie éclatée… Ainsi de cette scène de 25 minutes, magnifique, de la première partie, où il ne se passe quasiment rien, sinon quelques infimes chuchotements, quelques gestes minimalistes, le tout dans une pénombre assumée : ou comment éprouver avec les acteurs cette durée, jusqu’au bord de l’implosion… Etre, enfin, au coeur du sujet.

Les acteurs, justement. Réellement impressionnants d’investissement physique, de conviction, d’art oratoire… A commencer par la meneuse, Angelica Liddell herself, qui nous donne là un numéro exceptionnel de maîtrise et de force… Quelques faiblesses, cependant, viennent altérer la réelle beauté de cette oeuvre époustouflante. Certaines longueurs hors-propos, comme dans la 3e partie, le final, qui gagnerait à un peu plus de concision. Et quelques lourdeurs symboliques, dispensables… Mais l’oeuvre est d’une telle évidence, d’une telle majesté, que ce ne sont que là des broutilles…

Autres points fort : l’omniprésence de la musique, avec notamment le violoncelliste Pau de Nut, qui ciselle littéralement la pièce de ses volutes profondes ; un texte pointu, très engagé, très contemporain qui parfois pourrait évoquer Rodrigo Garcia, en tout cas le meilleur de l’écriture théâtrale… Et cette obsession des corps, dénudés, lavés, scarifiés… toujours en rupture : une virtuosité physique et un travail sur le dépassement de soi, sur l’accomplissement, jusqu’à épuisement

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total. Visuellement un très bel objet abouti, dont les références multiples à l’art, nourrissent la scénographie, minimale sans être minimaliste, en accomplissant le projet sans en détourner un iota. Il suffit de se souvenir de l’extraordinaire scène de l’ensevellissement, où des mètres cubes de charbon sont manipulés par les acteurs, qui effectuent dans cette seconde partie des prouesses d’engagement physique…

Du corps, Angelica Liddell dit qu’il engendre la vérité. C’est si vrai dans cette oeuvre impressionnante, toute en force et en douleur. Une oeuvre engagée, violente. Un joyau brut qui a brillé longtemps dans le ciel du Cloître des Carmes hier soir, ovationné debout par un public resté avec Angelica jusqu’au bout de la nuit, pour l’accompagner dans ce moment de grâce.

Marc Roudier