LE BOOK ILLUSTRE - L'Écritoire de...

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KERIOUKER «Écris-toi!» Paroles d’habitants de Kerihouais, Kennedy & Kergohic recueillies par Marie FIDEL HENNEBONT, 2017.

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KERIOUKER«Écris-toi!»

Paroles d’habitants de Kerihouais, Kennedy & Kergohic recueillies par Marie FIDEL

HENNEBONT, 2017.

Qui va là ?Qui vit là ?

Les paroles ont été retranscrites telles qu’elles ont été recueillies. Certains prénoms ont été modifiés pour respecter l’anonymat de quelques discrets habitants.

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Dans mon quartier

Dans mon quartier, j’ai connu l’amitié,

mais aussi des calamités.

Dans mon quartier, il y a un potager et des jardiniers

travaillant d’arrache-pied pour plus de gaieté

malgré les difficultés.

Dans mon quartier, il y a des écoliers pleins de vivacité

pour eux c’est pas compliqué, ils sont emplis de jovialité.

Dans mon quartier, j’ai connu la contrariété et ça,

ce n’est pas une fatalité, mais la réalité.

Dans mon quartier, il y a des tours et du béton

et autant de foyers, mais également un épicier.

Dans mon quartier, j’ai été brutalisée et continue d’être critiquée,

malgré la vitalité dans mes activités pour mon quartier.

Dans mon quartier, malgré la difficulté,

je continue à me batailler pour la sérénité et la tranquillité

dans mon quartier.

Réjane Coffec

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Humer l’âme du quartier Ce livre est un collectage de paroles d’habitants de Kerihouais, Kennedy et Kergohic, sur leur vie dans la cité. Cet ouvrage est le leur, tissage d’instants partagés, de pensées et d’humeurs saisies sur le vif. Derrière le béton et les fenêtres des ensembles urbains hennebontais habitent des âmes, des rêves, des souvenirs d’enfants. Certains y ont grandi. D’autres sont passés. Quelques-uns y demeurent. Sous ses airs de « quartier prioritaire », KeriouKer est un lieu de vie, qui pulse, respire, pleure aussi, et gronde parfois, puis s’illumine dans le sourire de Safina, l’oasis de Nathalie, sous la plume d’Arnaud et de Réjane, au coin d’une conversation. Durant l’année  2016-2017, j’ai arpenté le quartier, m’arrêtant çà et là au gré du  vent… J’ai rencontré des pêcheurs devenus terriens. J’ai rencontré des écrivains secrets, des chômeurs qui couvent des projets d’entrepreneurs. J’ai  rencontré des jeunes gonflés de malice et de fougue. J’ai rencontré des râleurs à KeriouKer, mais aussi beaucoup de douceur. J’ai rencontré des amoureux, des mamans, des mamies qui écrivent dans le quartier leur histoire de famille. En voici quelques bribes, cueillies à la croisée des rues.

Marie Fidel

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« Ici, c’est chez moi.  Ici, c’est chez toi. »

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Merci

Aux habitants de Kerihouais, Kennedy & Kergohic qui ont participé au projet, Au Conseil Citoyen et à l’Oasis de Kerihouais, à Nathalie, Arnaud, Marthe, Réjane… À la Maison de quartier de Kerihouais et la Maison pour tous A Michel Planchais, à l’Université Sociale À Maël, Christian, Mado À Salomé, au service Jeunesse & Citoyenneté Politique de la Ville d’Hennebont, Aux partenaires du Contrat Ville.

pour le partage…

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Sommaire

KERIOUKER « Écris-toi ! »

Kerihouais — Kennedy — Kergohic page 12 page 42 page 48

Kêr : « ville, village, villa » (anciennement « habitat fortifié », et « cité »), parfois « (le) chez soi, intérieur (ou home) ». Home, sweet home…1

Dictionnaire bilingue de Francis Favereau / Edition Skol Vreizh1

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KERIHOUAIS

Jean-Jacques & Isabelle, HLM mon amour…

Jean-Jacques « On était les premiers à v e n i r i c i . Le s p re m i e r s bâtiments A, B et C ont été construits en 1967. Même la tour. On est venu du Nizel. Il n’y avait pas d’eau courante. Rien. Alors ma mère a mis son nom quand il y a eu les p r e m i e r s H L M , i c i , à Kerihouais. Comme on était six enfants, on a été les premiers. Je n’avais même pas vingt ans, je suis né en 1948.

Avec Madame Le Lamer, Madame Martinez, on était les premiers locataires. Il reste peu de personnes présentes depuis l’origine. Des bons souvenirs, il y en a. À Noël, quand on voyait les gosses sortir avec leurs cadeaux, rollers, ballons de foot…

Il y a eu de bons voisins…

Les commerçants faisaient les tournées. Ils descendaient ici, a v a n t q u e l e s g r a n d s magasins ne viennent. Il y avait le pain, la viande.

Les mamies venaient au c a m i o n , e l l e s re s t a i e n t discuter. J’ai rencontré ma femme en 1972. Quand nous nous sommes connus, elle habitait Kennedy, moi j ’étais ici , à  Kerihouais. Nous avons eu trois garçons

30 ans dans le quartier, il faut

croire qu’on l’aime ! Et puis nous, on a toujours vécu en HLM. »

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Isabelle « J’habite depuis 31 ans dans le quartier. J’ai 64 ans. J ’a i t o u j o u r s h a b i t é e n appartement, cela ne me dérange pas.

Je ne suis pas là à contrecœur.

On est arrivé ici en mai et j ’accouchais au mois de septembre. C ’éta i t mon troisième enfant, en 1985. Je suis assistante maternelle depuis 30 ans. J’ai élevé mes enfants, et aidé mon mari dans le commerce.

Je ne voulais pas travailler à l’extérieur, je suis bien chez moi. Je trouve des enfants à garder malgré le fait qu’on habite dans une cité. Il y a le regard des gens. Certains nous disent :

“Mais qu’est-ce que vous faites à Kerihouais ?”

Ils ne comprennent pas. Dans la cité, il y a des brebis galeuses, de la délinquance, de la drogue mais je ne suis pas persuadée que ce soient des jeunes d’ici. Je ne me sens pas en insécurité.

Hennebont est une jolie ville, avec toutes les installations  : piscine, haras, associations. C’est une ville vivante.

Les gens comme nous ne veulent plus partir, parce que nous sommes installés ici. Nous avons n o s r a c i n e s , n o s habitudes. Il y en a qui meurent ici… Si on part, je regretterai mon appartement. On se sent bien ici. On aime regarder par la fenêtre les enfants qui sortent de l’école. »

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Julienne, « Entrez, entrez ! »

«  J’ai 88 ans. Je viens d’Inzinzac. Je suis venue en 1984 dans cet appartement. J ’é t a i s h a n d i c a p é e e n fauteuil. J’ai été opérée onze fois. J’en ai bavé, mais je suis costaud !

Par la fenêtre To u t ç a , c ’é t a i e n t d e s champs de maïs. Il y avait des chevaux, là. Je suis bien ici. J’aime bien ma maison. Je suis habituée à elle.

Je me souviens de l’arrivée de la maison de quartier. Tout le monde allait la voir, et pour le Premier de l’an, on avait un petit cadeau.

J’aimerais que… Actuellement, je constate b e a u c o u p d e m a i n s courantes. Les portes, les ascenseurs ont été cassés. J’aimerais que les gens s’aiment entre eux. Ils sont tous pressés, maintenant. Moi je ne connais pas ceux q u i s o n t d a n s l e bâtiment… »

J’aimerais que les gens se rassemblent,

parlent ensemble.

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Adrienne, une histoire de famille

« Voilà 36 ans que j’habite ici. Je suis la deuxième plus âgée i c i . J e s u i s u n e v r a i e Hennebontaise.

Dans le temps, il y avait la fête d’Hennebont et les courses de trott inettes pour les e n f a n t s . I l s a l l a i e n t à Ke r i h o u a i s , à Ke n n e d y, faisaient le tour des quartiers. Les petits repartaient avec un cadeau.

Ma marraine a dû être l’une des premières à venir ici. Ma maman aussi habitait ici. Mes sœurs et moi nous vivons dans la cité. Et ma nièce a habité dans le bâtiment en bas, tout comme une cousine à maman.

Des histoires d’amour naissent ici.

Ma fille et son mari habitent dans la cité. Elle avait quinze a n s q u a n d i l s s e s o n t rencontrés. Ils étaient toute une bande de copains et copines. »

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Michel, Coiffeur-voyageur & Adulte-relais

«  J’étais coiffeur en Afrique. Quand je suis parti là-bas, c’était le hasard complet. C’est bien, Nairobi. Déjà, le climat, jamais chaud, jamais froid. C’est une ancienne c o l o n i e a n g l a i s e à l’architecture victorienne, une jolie ville. J’ai travaillé en Tanzanie aussi.

J’avais envie de bouger et j’ai un métier

qui me le permet.

Pourquoi suis-je rentré ? Parce que je suis un imbécile !

Je suis de Rennes, à l’origine. Lo r s d e m o n re t o u r, i l neigeait. C’était un premier mai. Je n’étais jamais revenu depuis six ans. Ce retour a été très difficile. Je suis allé à Francfort, à Paris, en Corse, où je suis resté q u i n z e a n s . E t a p r è s , Penmarc’h. L’été, je trouvais ça bien, mais le premier hiver a été très dur.

Je renais depuis que je suis revenu ici.

L’approche des gens est beaucoup plus simple.

J’ai trouvé un logement à Kerihouais, en 2008-2009. Je voyais bien que les bailleurs sociaux hésitaient :

— On a bien un truc, mais c’est Kerihouais… — C’est quoi Kerihouais, les Minguettes  ? La cité des 4000 ? Qu’est-ce qu’il y a ? — Vous étiez artisan, quand même… — Ça m’est égal, faites-moi visiter. 

J’ai trouvé l’appartement beau, clair. Je suis au sixième étage, je vois tout le Blavet. J’ai dit oui, je le prends.

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De fil en aiguille, j’ai suivi une formation. J ’ai arrêté la coiffure, j’en avais marre. Je  suis adulte-relais depuis janvier (2016). Mon rôle dans le quartier est de rapprocher les gens des ressources et de les mettre en mouvement sur un projet. Ça ne se fait p a s d u j o u r a u lendemain. C’est un métier. Plus tu ouvres une porte, plus d ’ a u t r e s p o r t e s s’ouvrent. C’est pour cela que ça me plaît.

Ici , on pourra faire des reproches, mais il y a quand même une âme dans le quartier, le petit supermarché, les jeunes dehors. Ça bouge. Trop pour certains…

C ’ e s t u n c o n fl i t d e générations, entre les vieux et les jeunes.

Les vieux ont oublié qu’ils ont été jeunes et qu’eux aussi faisaient d e l a m o b y l e t t e autrefois. La différence et la jeunesse font peur, il y a une part d’incompréhension. Les jeunes du quartier ont grandi à l’école avec des g e n s d e c o n f e s s i o n s d i f f é r e n t e s , i l s s o n t tolérants. »

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Arnaud, papa & poète

« Je viens de Reims. J’ai 41 ans, j’ai une petite fille de cinq ans, qui s’appelle Ivana.

Comment suis-je arrivé dans le quartier ? Avant j’habitais à la Grange, et comme je souffrais des cervicales, j’ai demandé un rez-de-chaussée. J’ai atterri ici. Nathalie, Thibaud et Barbara m’ont proposé de venir à la maison de quartier. J’ai dit oui, pas de souci. Mes parents tenaient un camping, alors la sociabilité et moi, ça fait un.

Au fur et à mesure, j’allais à la maison de quart ie r, on discutait, on tapait la belote, on buvait le café, on faisait de la couture, ainsi de suite. J’ai toujours aimé ce quartier, car i l y a beaucoup de v e r d u r e . N a t h a l i e , l a présidente des potagers m’a demandé si je voulais avoir un petit potager j’ai dit oui, et j’ai commencé à créer des liens. À la Grange, il n’y avait rien, pas de potager, pas de maison de quartier.

Moi, je suis très content d’habiter ce quartier.

Q u a n d j ’a i m a fi l l e , j e l’emmène au City, il y a des petits jeux. Beaucoup de gens ne veulent pas venir à Kerihouais parce qu ’ i l y a une mauvaise réputat ion, mais je suis désolé, quand on y habite, non. J’aime bien mon quartier, la major i té des gens sont accueillants, chaleureux, civiques. Bien sûr je ne vais pas faire m a v i e i c i , m a i s p o u r commencer, je trouve que c’est sympa.

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J’écrivais, un peu… J’ai commencé en BEP, j’avais 16 ans, j ’ai tout gardé. Des  trucs noirs, dans ma période sombre. Certains textes ressortent, c’est beau.

On se délivre beaucoup dans

un bouquin ou sur un papier.

C’est un échappatoire, un exutoire. Pour écrire, il faut savoir s’évader, voire même s’inventer une vie. J’ai arrêté d’écrire quand j’ai commencé à sortir. »

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« Ô, toi, parfaite inconnue, je ne sais qui tu es,

je ne sais d’où tu viens, mais le fait de savoir que

tu es faite pour moi, il me tarde de te rencontrer.

J’espère que nous ne vivrons pas un amour

platonique ou une simple idylle, mais plutôt

combattrons les démons qui joncheront le

passage de notre amour mutuel. J’espère acquérir assez de vaillance pour braver

les défauts qui sont en moi.

Nous ferons de notre amour le bastion pour

affermir la relation que nous aurons entreprise

jusqu’à notre destruction physique. »

Arnaud

Régine et Kilian, force et courage…

« On habite ici depuis six ans. Avant, on habitait du côté d’Inzinzac-Lochrist, dans une maison en location, mais nous sommes originaires de Lorient. Nous sommes arrivés ici à cause de la maladie de mon mari, il nous fallait un appartement très rapidement… Franchement, ils n’avaient pas ravalé les bâtiments à l’époque, et je me disais que jamais je n’habiterais là. Mais quand on a vu l’appartement, la grandeur et l’espace qu’il y avait, ça nous a fait changer d’avis. C’est vrai que quand on voit l’extérieur, c’est pas terrible. Mais ils ont ravalé depuis. »

Si on avait un souhait, ce serait plus de convivialité et de respect dans le quartier.

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Ludovic, ainsi va la vie…

« J’habite à Kerihouais depuis 1999. Cela fait un moment. Je suis parti sur Auray, et je suis revenu sur Hennebont. J’étais content de revenir, oui et non… Oui parce que j’ai de la famille à Hennebont, mais à Auray, j’habitais en maison. L à , j e m e r e t r o u v e e n appartement…

J’ai connu le quartier très jeune. Certaines personnes sont parties, elles ont fait leur vie.

Moi, la vie a fait

que j’ai été obligé de revenir sur Hennebont…

I l y a eu des moments agréables, quand on faisait des bons repas avec les voisins dehors. Il y a eu des moments un peu plus difficiles. »

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Isabelle & Audrey, mère et fille

« Cela fait dix ans que je suis dans le quartier avec mes trois enfants. Avant, j’étais à Brest. Je me suis mariée, et du coup, je  suis venue habiter sur Hennebont. C’était un choix.

L ’a r r i v é e , c ’é t a i t b i e n . On  faisait des activités à la maison de quartier, pour les enfants, pour nous… Le père Noël venait. On fêtait Halloween, Pâques. On faisait tout pour les enfants. Nous souhaitons que cela reprenne… »

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C’est dommage aujourd’hui,

le chacun pour soi.

Mireille « l’abeille »Grand sourire et grand cœur

« J’habite à Kerihouais depuis 27 ans. J’ai 55 ans. Je travaille à Plouay, dans une usine de canard, depuis 17 ans. Je suis dans les petites tours. Je ne suis pas au cœur de la cité, donc ce n’est pas pareil. On n’a pas la même vue du quartier.

J’ai des petits voisins, des personnes âgées dont je m’occupe. Je  les connais depuis que je suis là.

Ils m’ont donné le double des clés. Quand ils ont besoin, je vais les voir. Oui, il y a de la solidarité. Tous les dimanches, je vais chercher du pain. J’en prends pour la voisine d’à côté.

Autrement, le petit pépé, il lui arrive parfois des accidents. Ce qui fait que j’appelle ses enfants. Les jours derniers, il  nous a préparé un petit apéro, comme il n’avait pas pu le faire pour la bonne année.

Moi je me plais bien là. Mes projets quand je serai à la retraite ? Voyager. Je n’ai pas fait beaucoup de voyages jusqu’à maintenant. Je suis allée une fois au Portugal. On voyagera peut-être un peu plus. »

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José Blanchet, à sa mémoire…

Enfant de la pêche « Je suis un fils de pêcheur. Mais quand on dit pêcheur… pêcheur pêcheur ! Mon père, un jour, s’est énervé. Il avait bu un peu d’alcool ce soir-là, et il avait dit : “vous ne ferez jamais la pêche”. Pourtant, il nous avait formés à la pêche. C’est pour ça que je suis parti sur la cuisine. J’ai travaillé une vingtaine d’années en cuisine, avec des grands chefs, mais à la fin j’en avais marre. J’ai eu une fille. Je travaillais dix-huit heures par jour et je ne gagnais rien. Je suis revenu par ici et je me suis remis dans le poisson. J’étais poissonnier acheteur-vendeur. Toutes les nuits, j’étais au port à Lorient. En fin de nuit, j’étais à Quiberon. Je faisais les

marchés. À 16 heures, j’étais à Saint-Guénolé dans le Finistère. J’arrivais à 20 heures chez  moi. Je dormais dans mon assiette. J’étais à moitié fou. Et j’ai pété un plomb. Ils m’ont passé en maladie.

Qu’est-ce que j’ai fait, après ça ? Je l’ai mal vécu parce que je suis devenu chômeur. J’étais sur la commune de Plouhinec. Je me suis séparé amicalement et j’ai atterri ici.

Au début, je ne connaissais personne.

J’étais tout seul.

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Trouver ses marques dans le quartier C’est grâce aux jardins. En apportant mon petit bout de café, je me suis fait des amis. Petit à petit, on m’a intégré et je suis rentré dans le groupe.

Je me suis senti moins seul. Arnaud m’a invité au conseil citoyen. Je ne savais pas où j’allais. Vu mes problèmes d’alcool, vu le fait que je me soignais et que j’étais à l’écoute d’autres personnes, je me suis senti bien. »

Arriver ici m’a apporté de l’amitié.

José s’en est allé quelque temps après ce témoignage,

vers un horizon plus bleu, où, nous le souhaitons de tout cœur,

il repose en paix.

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Les mamansSabine « Je suis arrivée en 2012, ça fait quatre ans. J’avais plus ou moins vécu à Kerihouais, adolescente, parce que mon père y avait emménagé. J’y allais un week-end sur deux. Pour moi, c’est un retour en arrière, j’ai trouvé que ça s’était beaucoup dégradé. Seule avec mes enfants, j’étais moins rassurée. Je suis secrétaire de l’amicale de l’école primaire et maternelle. Pourquoi me suis-je investie  ? Parce qu’il n’y avait plus personne pour prendre la relève. J’entendais beaucoup de critiques, je me suis dit : “Au lieu de critiquer autant essayer de m’investir et voir comment ça se passe réellement.” Et de là, j’ai essayé.

Allons voir par nous même. En fait, il y a une super ambiance, comme dans tout amicale. On fait les choses pour les enfants avec plaisir. On s’amuse. On essaie de gérer les humeurs de chacun, de satisfaire tout le monde. On n’y arrive pas, mais ce n’est pas grave. On continue. On se dit que c’est pour les enfants. Ils sont contents donc c’est notre principal but. J’ai côtoyé les professeurs. Quand son enfant crie de joie parce qu’il est avec tel professeur à la rentrée, c’est gagné. »

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Réjane

« Je suis arrivée à Kerihouais e n 2 0 1 3 . C ’ é t a i t u n changement. Je viens de la campagne. J’ai toujours été en maison… Le fait de vivre tous  ensemble dans un immeuble, je me suis dit  : “Où suis-je tombée ?” E t p u i s a p r è s o n s o r t . On  commence à se faire des connaissances. Je suis allée dans les jardins de l’Oasis, où  je me suis fait des amis. J’ai intégré des associations, l e  c o n s e i l c i t o y e n . Sinon, rester chez soi dans ce béton-là, c’est mort… »

Il faut sortir de chez soi !

Nathalie

« Je suis arrivée en 2002 et je suis partie l’année dernière. J’ai trois enfants. Je voulais d é m é n a g e r , m a i s p a s changer mes enfants d’école. C’est important pour moi. C ’est une bonne école. Ma  grande est en seconde. Maintenant, elle a un très bon souvenir de l’école. »

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Rosiane et Preschila, retrouvailles

« Nous sommes arrivées ici il y a un an environ. On se connaissait avant et on s’est retrouvées ici, comme par hasard. À Landévant, les loyers étaient beaucoup trop chers en individuel. La maison était trop humide, mon fils faisait de l’asthme. Il nous fallait donc un logement sain. C’est bien ici, on a tout à proximité, le parc, des animations pour les enfants, même si les jeux méritent peut-être d’être rénovés. On verra si l’on peut arriver en maison HLM, on est toujours sur liste d’attente… »

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Sandra

J’habite à Kerihouais depuis un an. Avant, j ’étais en caravane pendant plus de trois ans à Caudan, chez ma belle-mère.

Je me plais bien ici. Ça ne fait pas six ans que je suis dans le Morbihan. Avant, j’étais dans le Béarn, dans le 64. Mon compagnon m’a amenée ici. Je ne connaissais pas Hennebont.

J’ai deux enfants ici, mais j’en ai d’autres. En tout, à nous deux, on en a sept.

On est avec les deux petits pour l’instant. On espère retrouver les autres.

Kerihouais, j’aimais bien au début, mais depuis quelque temps j’ai presque envie de partir. Certains jeunes des quartiers font des dégâts, ça gâche tout . La journée encore, ça ne me dérange pas, mais le soir, non.

Je vais rester sur Hennebont, c’est sûr. A p r è s s i c ’ e s t e n c o r e Kerihouais , je prendrais Kerihouais quand même, parce que je reste attachée au quartier.

L’école est à côté. Déjà, c’est valable. Et puis on a tout à proximité. C’est l’avantage du quartier.

Je fais partie des jardins. C’est grâce à ça que j’ai aimé le quartier.

R y a n , i l a d o r e ç a . Même  quand il pleut, il veut aller aux jardins.

J’aimerais que l’on puisse partager plus avec les voisins.

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Paroles

Maelis, 9 ans

«  Je suis arrivée en mars 2016, je suis en CM1. Avant,  j’habitais à Kerroch. C’est bien, il y a des endroits pour jouer, des amis, beaucoup de monde. Un bon souvenir ici  ? C’était avec des amis. Un cirque s’était installé sur la place. Avec tous mes copains, on s’était bien amusés. »

Aglaé, 13 ans

«  J’habite ici depuis un an, je suis au collège. C’est calme, comparé à d’autres endroits, les appartements sont bien. Ce que j’aime bien ici, c’est qu’ils organisent beaucoup de choses. Pendant Halloween, tous les enfants venaient. »

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Léonie, 14 ans

« On fréquente Kerihouais pour le collège. On est en troisième. Quand on finit plus tôt, on vient par ici. On suppose que ce sont des gens en difficulté dans les HLM, mais on a des amis  ici. Ils ne sont pas comme ça. Ils ne se plaignent pas. C’est la fréquentation et non les habitants qui donnent au quartier sa mauvaise réputation, à cause des bagarres, de la drogue…»

Jeanne, 14 ans

«  J’ai habité Kerihouais quelques années. Je  venais chez mon père, depuis mes cinq ans jusqu’à mes treize ans. Quand nous sommes partis, c’était un peu à cause des problèmes dans le quartier. On entendait beaucoup de bruit dans les appartements. Je garde de bons souvenirs quand même. Je me rappelle qu’on allait jouer au terrain de foot, un peu plus en bas, et des fois sur les jeux derrière. Cela m’a fait bizarre de partir. Notre appartement, je trouvais qu’il était bien. »

de jeunes

Aux jardins

« Je pense à Agnès, une adhérente au jardin qui est très motivée. Elle est prête à tout, elle ne dit jamais non. C’est rare, les gens comme ça.

Elle va jusqu’au bout. »�32

Nathalie, l’Oasis de Kerihouais

« J’ai grandi ici. Je suis née ici. Quand je le dis, souvent on rigole, on me dit : “T’es une vieille !” Non, il y a des gens qui vivent là depuis plus longtemps que moi. J’ai vu évoluer le quartier.

Je n’ai que des bons souvenirs ici.

Le monsieur aux coquillages La première chose dont je me souviens, ce sont les jeux, les balançoires avec les gros pneus, le grand bac à sable. J’étais tombée dedans et je m’étais blessée. Ma jambe s’infectait. Il y avait un monsieur à l’époque, rue de Kerihouais. Il faisait un peu de voyance, des remèdes de magnétiseur. Il avait préparé un baume à base de plantes. Ma grand-mère le connaissait. Et au bout d’une semaine, plus rien. Il est décédé maintenant. Il avait une maison avec des coquillages dessus. Alors moi, je l’appelais le monsieur aux coquillages.

Je me souviens Je me souviens des écoles qui n’ont pas changé. J’ai suivi toute ma scolarité ici. Mes  enfants aussi. Je me souviens du petit magasin Cocci qui s’appelait la Coop avant. Quand maman était enceinte, je lui demandais tous les jours  : “Elle arrive quand ma petite sœur ?” Comme elle faisait ses courses à la petite Coop, il y avait un système de points-cadeaux. Elle disait  : “Quand le livre sera rempli, ta petite sœur arrivera.” Je suis allée demander au patron  : “Ma petite sœur n’est pas arrivée ? Parce que les points sont finis !”

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Alors des fois, c’est vrai qu’on râle… On se dit  : “Les jeunes avec leur scooter, ils ont cassé des choses.” On n’a pas envie justement que l’image du quartier soit négative. Et quand on entend les gens parler de Kerihouais, c’est  : “Ah, vous vivez là-bas ? Ça craint ! Les gens ont peur de sortir, de se faire agresser”. Personnellement moi non, je  sors aussi bien en journée que le soir. Je ne me suis jamais fait agresser.

Je n’ai pas peur de sortir.

Pourquoi les gens disent-ils cela ? Il y a même des gens du quartier qui le disent. Alors on essaie de savoir avec eux pourquoi : “Parce que les jeunes sont virulents dès qu’on leur dit quelque chose.” Oui c’est vrai, mais il y a la façon, aussi, de leur dire. J’ai vu des gens leur parler assez sèchement. Peut-être en allant les voir  ? En leur disant gentiment les choses ? 

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Souvent on me dit : “Mais tu ne veux pas partir ?”  Ça m’est arrivé de dire oui.

Je partirais bien pour essayer de changer de paysage, de

m’évader…

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« Beaucoup de larmes ont coulé

À présent où les cacher  ?

Un jour ou l’autre, le masque s’en va

On tombe seul face à soi

Le temps de se remémorer sa vie

On se demande ce que l’on fait ici

Quand beaucoup de choses nous ont fait

souffrir

On pense souvent à mourir,

Mais me battre est mon but à présent

Je dois aller de l’avant pour ne pas

Tomber dans le néant, regarder et avancer

Toujours droit devant…

Promesse à mes parents. »

Nathalie

Nous, on n’a pas à se plaindre, parce qu’on a les jardins.

Les jardins ont été créés en 2009. Quand j’ai repris la présidence de l’association, il y a quatre ans, ça s’appelait comme ça : l’Oasis de Kerihouais.

L’Oasis ? Il n’y a pas de palmiers, il n’y a pas de chameaux.

Moi je ne connaissais rien. La première année, j’ai mis que des fleurs. Tout le monde rigolait  : “Les fleurs, ça ne se mange pas !”

Ben non, mais c’est joli.

J’ai toujours a imé m’investir et essayer d’organiser des choses pour mettre un peu de g a i e t é , c r é e r d e s animations, essayer de faire bouger les gens.

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La petite Zina, bébé des jardins

La petite de Charlotte, on l’a connue quand elle était dans le ventre de sa maman. C’est le bébé des jardins. Quand elle est née, très vite, elle venait ici, avec sa maman. Elle a deux ans et demi. Elle  nous aide. On rigole. On est assez estomaqués de voir comme elle parle. Je ne sais pas si c’est le fait d’être souvent avec des adultes. Ça a dû jouer aussi sur son langage. C’est du social, quand on réfléchit à la chose.

Il y a beaucoup d’enfants ici : “Bonjour, bonjour, on peut vous aider ?” On a organisé des ateliers jardinages avec les écoles. On leur a appris comment on plante des oignons, des haricots verts… »

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Christian, voyage voyage…

Kerihouais. C’est là que je vis. Combien de temps suis-je ici ? Ça fait une paire d’années ! Avant j’étais militaire, dans la marine nationale, donc j’ai beaucoup navigué. Surtout en Amérique Latine. J’ai été voir les pyramides, le Nil… La marine, je me suis engagé. J’avais 18 ans. Quand je m’allonge, je les vois encore. Ce sont les souvenirs. Puis j’ai été animateur d’insertion. J’ai travaillé avec les familles Michelet, les Daubert… J’ai connu pas mal de gens du voyage, ceux qu’on appelle « les manouches ». C’était intéressant, parfois brutal. Ils ne sont pas faciles toujours, les gars, mais ça se passait bien.

À l’époque, j’avais une voiture, je circulais. J’allais les voir jusqu’à Paris, parfois, pour essayer de dédramatiser la situation. Faire respecter les règles. J’aimais mon travail.

Quand je suis venu ici, ça m’a fait un changement radical. Je suis à la retraite depuis longtemps.

Ce jardin, heureusement qu’il existe. C’est un lieu de convivialité.

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Quelqu’un qui fume sa cigarette, à la fenêtre, face à l’épais rideau de verdure de Kerbihan.Une couette qu’on secoue au vent quelques étages plus haut. Kennedy me laissera-t-il voir derrière ses murs, ses façades ? Déjà, Chloé me sourit…

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KENNEDY

Chloé, retour à la civilisation « J’habite à Kennedy depuis six mois. J’ai dix-sept ans. Avant, on était à Bubry. Au  niveau des écoles, lycées, c’était un peu compliqué. Il fallait venir sur Hennebont. Ma  sœur est à la fac à Lorient. Elle devait prendre le bus très tôt le matin. Elle se levait à cinq heures. Maintenant, elle peut se lever plus tard. On est quatre, moi, ma sœur, mon frère et ma mère. Vu qu’à Bubry on n’avait pas grand-chose à faire, je me suis dit qu’à Hennebont, on pourrait plus bouger. J’ai un copain. Chaque fois que je voulais aller chez lui, il fallait que je demande à ma mère. Quand on est arrivés ici, j’étais contente. Déjà le premier soir, on a pu aller se promener dans le parc. On est bien là. »

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Jacques

« Ça va faire douze ans que je suis à Kennedy. On dit ceci, cela, mais bon… On  est bien desservis, on a tout ce qu’il faut. Je suis bien dans m a c a g e , j e n’embête pas les voisins. »

Annie

« Je suis là depuis 2005. Ma famille est d’ici.

J’ai mes racines ici. Ma grand-mère, mon grand-père qui travaillait aux forges.

Ma grand-mère, j’aimais bien aller la voir, on f a i s a i t d e s a c t i v i t é s ensemble. »

Katia & Florence

« On est nées là. On a grandi là. Ça a changé. Il n’y a plus beaucoup de jeunes comme nous. Avant, ça bougeait.

On pique-niquait derrière. On mettait une couverture. On était tous là. Les grands-mères venaient avec leurs chaises. Il y avait des grands a r b re s , o n é t a i t à l ’o m b re , on était bien. »

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Suzanne & Lujamet, les amoureux du bal

« Je suis arrivée ici en 2005. Mais j’habitais à Kergohic avant. J’ai fait 24 ans là-bas. Je suis venue ici parce que c’est plus petit. Avant, j’avais un grand logement, un T6. Avec mes quatre enfants, il me fallait cela. Je travaillais par ici, dans les écoles, les centres aérés, c o m m e e m p l o y é e d e maison, un peu de tout. Je suis native d’Arzano. Mes deux maris ont travaillé au haras. C’est pour ça que je suis venue par ici. »

« Nous, on va au bal. On danse.

Madison, tango, tout. On va danser le

mercredi, le jeudi et le dimanche.

Le bal, c’est notre truc ! »

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Berthe, la doyenne

« J’ai 98 ans. Je vis depuis 50 ans à Kennedy, depuis qu’ils ont fait les bâtiments. C’est notre rendez-vous ici, près du parc. On discute d’une chose, d’une autre… On dit ses petites peines…

On était bien au Timor. Il y avait de beaux chars, des fêtes foraines. Il  y avait de la bagarre, un peu de tout. De l’ambiance. On ramassait les chiffons. La laine, le coton à  part. On allait vendre chez un monsieur à Hennebont. C’était bien. Je me plaisais au Timor. Quand le voisin n’avait pas de pain, on lui donnait. On s’arrangeait mieux. J’ai trouvé dur au début d’arriver là. C’était les mêmes gens, les mêmes voisins. Maintenant, chacun rentre chez soi, c’est triste. Si on me demandait de retourner aux baraques, je retournerais. Avec le confort, bien sûr ! »

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KERGOHIC

Marthe, l’aventurière

« Comme je suis née en 1955, les HLM, je les ai un peu vus grandir. Avant, c’était une ferme. Il y avait des champs de navets et en bas, au bâtiment Gérard Philippe, se trouvait une fontaine. Nous, on était rue de la Liberté, et quand les forges d’Hennebont ont fermé (mon père y t ravai l la i t ) , nous sommes partis habiter à Kergohic. Je devais avoir une douzaine d’années.

Tout ça, c’est mon quartier.

Quand ils ont fini les HLM, tous ceux qui étaient dans les baraques d’après-guerre, au camp de Beaufort, sont venus. Ils avaient des poulets, des lapins. Ils ont mis tout ça dans les salles de bain. Ça devait être folklo ! Moi je n’ai pas vu, j’étais trop jeune. Je me suis mariée en 1977, et je suis revenue habiter à Hennebont en 1991.

Je n’avais pas de logement. J’avais trois enfants et il fallait que je leur donne à manger et un toit. Quand j’ai eu mon logement, j’étais contente parce que Hennebont, c’est ma ville. J’ai commencé par faire des réceptions en mairie, puis des ménages. J’ai des enfants voyageurs. Mon aînée a fini ses études et rencontré mon beau-fils. C’était un militaire, ils ont été pendant deux ans à Nouméa, e n N o u v e l l e - Ca l é d o n i e . C’était long le voyage, mais

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on a une belle récompense. Le sable fin, la mer bien bleue. Myriam, ma dernière fille a été à Nantes, Orléans, au Canada. Quand elle a fait son Erasmus à Barcelone, elle m’a dit : “Maman tu peux prendre des congés pour venir me voir ?”

Eh bien, j’ai pris le bus de Rennes et je suis descendue à Barcelone. J’avais besoin de bouger, de voir autre chose.

Maintenant, en vieillissant, je  suis au conseil citoyen, j’essaie de donner un coup de main. Ça m’intéresse, surtout

pour l’urbanisme parce que je fais la guerre, là-haut, pour les voitures, les poubelles, les espaces verts… dire ce qui ne va pas.

L a s e u l e c h o s e q u e j e regrette, c’est le manque de b o u t i q u e s d a n s l a r u e Maréchal Joffre.

J’aime bien mon quartier. Quand on a demandé  : “Qu’est-ce que vous allez faire des HLM  ? Allez-vous les démolir ?”, on nous a répondu qu’on ne savait pas encore. Moi j’ai dit :

Le jour où on nous envoie un courrier pour qu’on déménage, moi je reste jusqu’au bout. Je fais la résistance.  Je ne veux pas lâcher mon logement. »

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Christian, « J’ai dix ans… »

«  Je suis arrivé en 1965. J’avais dix ans. Les bâtiments de Kennedy étaient tout neufs et ici, Kergohic a été construit après. J’étais gamin. On jouait ici dans les champs. Là, à la place des voitures, se trouvait un grand château d’eau et un peu plus loin, un blockhaus qui datait de la guerre 39-45. J’ai vu les tours pousser.

J’ai habité dans le premier HLM de Kergohic.

Je demeurais avec mes parents dans une petite masure. Donc ils avaient fait une demande. Ils ont été acceptés ici. Quand ils sont décédés, j’ai pris la suite.

Maintenant, j’aurais du mal à partir et aller vivre ailleurs.

Je connais plein de monde. Avant, les gens restaient beaucoup plus longtemps. D e p u i s u n m o m e n t , je constate plus de turn-over. Ce sont des gens de passage. Ils restent un an maximum et puis ils s’en vont. Ce sont souvent des jeunes couples qui viennent ici en attendant de construire leur maison ou b ien d ’acheter quelque

chose. 

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I l y avait des baraques, en haut, ça s’appelait le camp de Beaufort. C’était des gens qui travaillaient aux forges. A p r è s l a g u e r r e , i l s demeuraient là. Beaucoup ont regretté les baraques pour venir aux HLM, ici. Dans les baraques, ils se r e c o n n a i s s a i e n t , se retrouvaient, ils discutaient dans les jardins… Tandis qu’une fois arrivés ici, les gens rentraient dans leur appartement, s’enfermaient, terminé. Ils ne se voyaient plus.

Nous, on était toute une bande, on rigolait bien.

O n f a i s a i t d e s b ê t i s e s . O h , d e s petites bêtises de gamins ! Tout le monde en a fait, je pense, plus jeune. J ’ a i p a s s é t o u t e m o n adolescence ici. Je suis parti au service militaire. J’ai fait toute ma carrière à la Société Bretonne de Fonderie et de

mécanique et je suis revenu i c i . J e s u i s f o n d e u r . On fabriquait des pièces pour les voitures. Je suis à la retraite et j’ai bénéficié d’un départ anticipé, car j’ai été exposé à l’amiante. Mais ça va !

Si on me laisse là, je resterai jusqu’à ma mort. C’est tranquille ici. Je n’ai jamais eu d’histoires en 50 ans. »

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Jeanine,« Quand j’étais petite… »

« Ici, c’était une ferme dans le temps. Plus bas, c’était un lavoir, une fontaine. Plus loin encore, c’était un champ de blé. Au fond, il y avait des châtaigniers.  Les châtaignes de Kergohic. J’étais petite de ce temps-là. »

Olivier,

la vie n’est pas un long fleuve tranquille…

« Je suis né à Hennebont. Je suis Breton pur et dur. Voilà 43 ans que je suis ici. J’avais sept ans quand je suis arrivé à Kergohic. J’en ai vu des vertes et des pas mûres. Je suis handicapé. Fils et petit-fils de directrice d’école.

Tout le monde s’entendait bien.

On était une ribambelle d ’e n f a n t s d a n s l a c a g e d’escalier. On se retrouvait tous dehors sur le parking. Mais maintenant, il y a moins de respect. Il n’y a pas que d e s b e l l e s c h o s e s i c i . On montre l’envers du décor. Entre Kennedy et Kergohic, il y a toujours eu des rivalités.

Avec les anciens, c’est un régal. C’est avec eux qu’on apprend. Ici, je les connais tous.

Je vais rester jusqu’au bout, parce que c’est

mon quartier. »

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Yoanna, maman de Clément, Louna, Maelis et Sacha

« J’étais sur Hennebont puis Pont-Scorff et, pour raisons familiales, je suis revenue ici. C’est plus grand que Kennedy. On a un balcon, maintenant. Là, on arrive avec un 100 mètres carrés. C’est sûr que ça change la vie des petits. Ça ne me déplaît pas. Après, si  j’avais à changer, ce serait pour avoir ma maison. Avec un jardin pour les enfants.Mais pour l’instant, les enfants aiment bien aller au parc. »

Kevin et LucasFrères migrateurs

« On est arrivés en août ici. On vient de Limoges. On est de nature à déménager souvent. La Bretagne, on ne connaissait pas. Ici, c’est pas mal. Surtout que le bâtiment est juste à côté du parc. On a une piscine, un stade, il y a tout à  proximité. On fait du foot. Ce qui change, c’est le jardin, parce qu’on avait une maison. Elle était en mauvais état. Quand on sautait sur le plancher, ça faisait vibrer tout l’immeuble autour. C’est complètement différent. On a rencontré un peu de monde ici. Notre frère a un copain, notre mère a des amis partout dans le bâtiment.

On ne sait pas combien de temps on va rester, mais on est bien ici. »

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Jarode, grandir ici

« J’ai 15 ans, je vis ici depuis sept ans. Quand je suis arrivé, ça me changeait parce qu’avant, j’habitais en maison. Je ne sortais pas trop de chez moi. Après, j’ai commencé à avoir des amis et à sortir tout le temps.

Tout le monde se connaît ici. Tout le monde parle à tout le monde.

Il y a beaucoup de personnes ici qui sont sympas. Beaucoup. Les jeunes avant, ils traînaient ici et quand ils ont grandi, ils sont partis. Et maintenant, d’autres petits jouent ici. »

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Safina, « Le voyage de notre vie » « Je suis née aux Comores et je suis arrivée en France à Marseille à l’âge de trois ans. C’est ma grand-mère qui m’a élevée. J’ai trois enfants de s i x  a n s , q u a t r e a n s e t deux ans. Je suis arrivée sur le quartier de Kennedy il y a un an. À Marseille, mon mari me disait depuis longtemps  : “ I l  f a u t q u ’ o n c h a n g e d’environnement.” Moi aussi, dans ma tête et dans mon cœur, je voulais changer d’endroit.

On était dans une cité. E n  b a s  d e c h e z n o u s , par  exemple, il y avait des jeunes gens qui vendaient des substances illicites. Ce qui s’est passé, c’est que je suis partie un jour dans le petit square du quartier avec mes enfants. J’ai entendu  : “boum boum boum boum boum boum boum boum  ». J’ai dit à mes enfants  : “ C e  s o n t d e s p é t a r d s , continuons à jouer.” Je suis rentrée chez moi et j’ai appris que c’étaient des coups de feu. Là, mon cœur de mère était prêt à quitter cet endroit.

Où va-t-on aller ?

J’avais une amie qui habitait à Lorient. Elle me disait  : “Ici, la vie est tranquille, c’est plus c a l m e ”. C e q u ’e l l e m e racontait résonnait dans ma tête et dans mon cœur, je me disais :

“Pourquoi ne pas aller voir ce qu’il y a

là-bas  ?”

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On a envoyé une demande d’HLM par internet. On ne savait pas où on allait arriver. On nous a appelés pour nous dire  : “On a un appartement pour vous, cité de Kergohic à Hennebont.” On a regardé sur internet ce qu’on pourrait voir ou faire dans ce secteur. J’avais repéré qu’il y avait un parc à côté de la maison, un haras, une bibliothèque, une piscine. On n’allait pas être sans rien.

C’est comme cela que ça a commencé l’histoire.

On fait nos valises. Mon mari a quitté son travail. Notre histoire, c’est une aventure. Maintenant qu’on analyse et qu’on en reparle… On est partis en train. On a pris le strict nécessaire. La première impression : “C’est loin !” On a changé trois fois de train. J’ai dit  : “Moi, je ne fais pas demi-tour !”

C’était vraiment le voyage de notre

vie.

On est arrivés le soir chez notre amie et le lendemain, c ’ é t a i t l a v i s i t e d e l’appartement. La première chose que j’ai vue, ce sont les fleurs et aussi la taille des immeubles.

On voyait le ciel.

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L’appartement était bien, assez grand pour nous tous et en rez-de-chaussée. Kergohic, c’est vraiment différent de Marseille. On m’a dit que j ’ é t a i s d a n s u n e c i t é prioritaire. Je comparais avec ce que j’avais connu… Là je suis dans une résidence. C’est calme. Si j’entends “boum boum boum”, je vais me dire tranquillement que ce sont des pétards.

J’ai rencontré du monde à la maison pour tous. J’ai fait en un an plus d’activités que dans ma vie !

Ici le regard était interrogateur, un regard différent.

Au début, quand je suis arrivée ici je sentais le regard sur moi, je me sentais plus différente qu’à Marseille. Parce qu’à Marseille, il y a t e l l e m e n t d e f e m m e s comme  moi. Je suis de c o n f e s s i o n m u s u l m a n e . Je porte une djilbab.

Le s g e n s , i l f a u t q u ’ i l s apprennent à connaître la personne : “ Déjà, elle parle comme nous, ça fait un pas. Elle a des enfants, elle court au jardin avec eux, ça fait deux pas. Elle  participe aux activités, elle essaie de se mêler, ça fait d’autres pas.”

Maintenant, les  gens sont habitués à me voir.

Les enfants se sont fait rapidement des copains dans la classe. Ce sont des enfants. Ils sont petits. Ils n’ont pas de barrières. »

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« Quand on met des mots, on arrive mieux à voirce que l’on a vécu. »

Safina

CONCLUSION

Merci aux habitants de Kerihouais, Kennedy et Kergohic. Ils m’ont ouvert leur porte, leur cœur, un bout de leur existence. Je suis repartie avec un sac empli de paroles et de vie… Une envie pulse à KeriouKer, celle d’exprimer un sentiment d’appartenance et une belle image des quartiers, trop souvent écorchée par les dires. Si ce livre pouvait faire rayonner un peu de leur lumière, à l’image de leur Oasis. Je laisse le crayon à ces forces vives.

Marie Fidel

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Porteur du projet et coordination : Marie Fidel Collectage de paroles et réalisation de l’ouvrage : Marie Fidel Illustrations : Certains habitants de Kennedy, Kergohic et Kerihouais, Maël Corre & Marie Fidel.

06 88 64 04 08 [email protected] lecritoiredemarie.com

Imprimé en septembre 2017, en 200 exemplaires par Actif Copie (Lorient)

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L’Écritoire de Marie