Le Bon Gustave - Hier Et Demain Pensées Brèves
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Bibliotlièciuo do Philosophie scientifique (suite^
3° HISTOIRE
ALEXINSKï(Grèo,oire),anciendéputéàlaDouma.LaRussiemoderne(8'<tnille).ALEXINSKr(Grég.).LaRussieet l'Europe(5«mille).AUftlftC(Julesd'). La Nationalitéfran-çaise, sa formation.AVENEL(VicomteGeorgesd').Découvertesd'Histoiresociale(6«mille).BIOTTOT(Colonel).Les Grands Inspiresdevant la Science.Jeanne d'Arc.SLOCH(0.),professeur&la Sorbonne.LaRépubliqueromaine.83RGHÈSE(PrinceG.).L'Italie moderne(4'mille).
BJUCHt-lECLE'COt»),-"el'Insdtut.L'Into-lérancereligieuseel lapolitique(4'i.).8RUYSSEL(E. ian),consulgénéralde Bel-gique.LaViesociale (6*mille).CAZAWAN(LOUIS),m1de Conférencesa laSorbonne.L'Angleterremoderne(6*m.)CAZA5IIAN(Louis).La Grande-Bretagneot la guerre.CHiRRiAjf.Li8slgiquemoderne[7*m.).CHARRIAUT(H!nri)etH.-L.AMIGI'GR3SSI.L'Ita-lie en guerre.COLIN(J.),Lt-Goloael.Les Trantfor.ua-tlonsde la Guerre (6' mille).COLIN(J.)L«-Colonel.LesGrandesBatall-lesdeVH\stoire.'0»i'»ntiqunêH9i3.(6'ta.)C^DtSEr(A.),menoredel'institui.Les Dé-mocratiesantiques (8*mille).
OIEHL(Charles),membrede l'institut.UneRépubliquepatricienne.Venise(5-m.)GARCiA-CALOERQN(F.).Les Démocratieslatines de l'Amérique(5*mille).GENNEP.FormationdesLègendet(5'm.HARHANO(J.), ambassadeur.Dominationet Colonisation.
HILL,ancienambassadeur.L'Etatmoderne.LEBON(0' Gjstite).LaRévolutionFran-çaise et la Psychologiedes Révolu-tions (if mille).LEGER(l'<s), membrede l'iottitut. LePanslaviv t et l'Intérêt français.LlGHTENSE'tGER(H.),protsseuradjomià laSorbonne.L'Allemagnemoderne(13*m.).LUGHAIRE(J.) D' de l'Institutde Florence.Les Démocratiesitaliennes.METNIER(eammaidant0.),pfàl'EcolemilitairedeSaint-Cyr.L'Afriquenoire (5*mille).MICHELS(Robert).Professeurà l'UniversitédeTurin.Les Partis Politiques.ëUZET(A.).LeMondebalkanique(5«a.).NAUQEAU(LUoric).Le Japon moderne,son Evolution(10*mille).OLLIYIER(E.).«lel'Académiefrançaise.Philo-sophied'uneGuerre(1870; (6"mille).OSTWALO.(W.),professeura l'UniversitédeLeipzig.LesGrandsHommes.PIRENXE(H.),Profà l'Uaiversiiéde Gand.Les Démocratiesdes Pays-Bas(4*m.).ROZ(Firmin).L'Energleaméricaine(8«a.).
HIER ET DEMAIN
PRINCIPALESPUBLICATIONSDU D' GUSTAVELE BON
VVOYAGES.HISTOIREETPSYCHOLOGIEVoyageauxmontsTatras,avecunecarteetunpanoramadressésparl'auteur.
(PubliéparlaSociétégéo^raphi/uedePari<.)Voyageau Népalavecnombreusesillustrationsd'aprèslesphotographieset
dessinsexécutésparl'auteurpendantsonexploration.(Publiéparle Tourdu\kr,Je.)
L'HommeetlesSociétés.—Leursoriginesetleurhistoire.TomeI'r.Déve-loppementphvsiqueetintellectueldel'homme.—ToirmII,Développementdessociétés.(Epuisi)
LesPremièresCivilisationsdel'Orient(Egypte,Assyrie,Judée,etc.).In-4°illustréde430gravures,2caiteset9photographies.(Eptdsé.)
LaCivilisationdesArabes.Grandin--}0,illustréde366gravures,4 carteset11planchesencouleursd'aprèslesdocumentsdel'auteur.{Epuisé.)
LesCivilisationsdel'Inde.Grandîn-40,illustréde352photogra*ureset2cartes,d'aprèslesphotographiesexécutéesparl'auteur.(Epuisé.)
LesMonumentsdel'Inde.In-folio,illustréde400planchesd'aprèslesdocuments,photographies,plansetdessinsdel'auteur,(Epuisé.)
Loispsychologiquesdel'EvolutiondesPeuples.12*édition.PsychologiedesFoules23°édition.PsychologieduSocialisme.7-'édition.Psychologiedel'Education.20emillePsychologiepolitique.13emille.LesOpinionsetlesCroyances.10emille.LaRévolutionfrançaiseetlaPsychologiedesRévolutions.IIemille,AphorismesduTempsprésent.7emille.LaViedesVérités.8emille.EnseignementspsychologiquesdelaGuerreeuropéenne.27''mille.PremièresConséquencesdelaGuerre.20°mille.
2>RECHERCHESSCIENTIFIQUESLaFuméeduTabac.Rechercheschimiques.{Epuisé.)Recherchesanatomiqueset mathématiquessurlesloisdesvariationsdu
VolumeduCrâne.In-8°.(Epuisé)LaMéthodegraphiqueetlesAppareilsenregistreurs,contenantladescriptiondesnouveauxinstrumentsdel'auteur,avec63fig.(Epuisé.)
LesLeversphotographiques.Exposédesnouvellesméthodesdeleversdecartesetdeplansemployéesparl'auteurpendantsesvoyages.2vol.in-18.(Gauthier-Vil-lars.)
L'EquitationactuelleetsesPrincipes.—Recherchesexpérimentales.4eédi-tion.Unvol.in8\ avec57figuresetunatlasde178photographiesinstantanées.
Mémoiresde Pbysioue: Lumièrenoire.Phosphorescenceinvisible.Ondeshertziennes.Dissociationdelamatière,etc.(Reçuescientifique.)
L'EvolutiondelaMatière,avec63figures.30emille.L'EvolutiondesForces,avec40figures.19'mille// existedestraductionsencinglais,allemand,espagnol,italien,danois,suédois.
russe,arabe,polonais,tchèque,turc,hindoslani,japonais,etc.dequelques-unidesprécédentsouvrages
Ala LibraitieFlammarionL'oeuvredeGustaveLeBon,parlebaronMolono,ambassadeurduJapon.PIn-8avecunportrait
Droitsdetraductionetdereproductionréservé*pourIcuilespays.Copyright1918,byERNESTFLAMMARION.
INTRODUCTION
L'immense conflit où se heurtent si violemmentles forces de l'univers n'a pas accumulé seulementdes ruines matérielles, mais aussi des ruines mo-rales. Si nous voyons le monde changer, ce n'est pasuniquement parce que des cités ont été anéanties, desfrontières géographiques déplacées, mais surtout parceque les anciennes conceptions orientant la vie despeuples ont perdu leur force.
Les idées qui rayonnaient au firmament de la civi-lisation et réglaient les rapports entre les hommespâlissent tour à tour. Les peuples voient s'ébranler leurconfiance dans la puissance des armatures socialesqui les protégeaient.
Les divers gouvernements, quel le que fût leur forme,ont manifesté la même insuffisance. Toutes les doc-trines : le pacifisme et le socialisme, la liberté aussibienquel'autocratie montrèrent une égale impuissance.Aucun des dogmes proposés aux nations n'a révéléune efficace, vertu. Les formules les plus chargéesd'espoir perdent tout prestige.
La meurtrière épopée issue des ambitions germani-ques n'a donc pas seulement fait sortir les peuples deleur vie journalière, mais aussi des conceptions tradi-tionnelles qui leur servaient de flambeau.
Le monde se"trouve arrêté dans sa marche etl'avenir enveloppé de ténèbres parce qu'un peuplepuissant par les armes s'est précipité sur l'Europe
I
I INTRODUCTION.
pour l'asservir. Invoquant les principes d'une philo-sophie que beaucoup admiraient sans en comprendreLesmenaces, il affirma que le droit donné par la forceétait supérieur à tous les autres. L'équité, la justice,l'humanité et toutes les acquisitions résultant de sièclesd'efforts furent déclarées sans valeur. L'Allemagneespérait qu'elles se montreraient sans force.
Pour faciliter son entreprise cette nation fit preuved'une férocité et d'un mépris des lois traditionnellesde l'honneur qui remplirent le monde de stupeur etdressèrent bientôt contre elle les peuples indignés parce retour à la barbarie.
L'invasion fut repousséc, mais combien de tempsencore faudra-t-il rester en armes pour éviter les
attaques d'un peuple ne reconnaissmt aucune valeuraux traités?
L'histoire a vu des périodes où les hommes agirentautant qu aujourd'hui, elle n'en a pas connu où il leurfut aussi nécessaire de réfléchir. N'invoquant pluspour expliquer les choses, ni les hasards d'un sortincertain, ni les volontés souveraines de dieux incons-tants, l'homme moderne ne cherche qu'en lui-mêmeles causes de son destin. Il voit le danger des illusionset comprend que le monde n'est pas gouverné par leschimères issues de ses désirs.
Puissante destructrice d'illusions, la guerre a con-sidérablement modifié notre vision générale des choseset forcé tous les esprits à méditer sur des questions dedroit, de psychologie et d'histoire abandonnées jadisaux spécialistes.
Les problèmes que la paix fera surgir sont nombreuxet difficiles. Croire à leur simplicité conduit auxsolutions incertaines chargées de conséquences dan-
INTRODUCTION. 3
gereuses. Tout se lient dans l'édifice économiqueet social. Les intérêts y sont enchevêtrés et con-tradictoires. La nécessité les domine plus que nosvolontés.
J'ai déjà consacre un volume aux; Enseignementspsychologiques de la guerre et un second à ses pre-mières conséquences. Je me propose d'examiner plustard les problèmes qu'elle fera naître.
Ces longues études aboutissent finalement à un petitnombre de conclusions faciles à formuler en penséesbrèves.
La pensée brève semble une forme littéraire bienadaptée aux besoins de l'âge actuel. Le champ dela connaissance est devenu si vaste et la spéciali-sation si étroite qu'il faut bien se résigner à n'aborderque les idées générales servant de soutien aux diversesbranches du savoir. Elles constituent l'armature phi-losophique des choses, l'âme des phénomènes.
Peu nombreuses à chaque époque, elles évoluentlentement et ne peuvent changer sans que les civilisa-tions qu'elles orientaient soient transformées.
Condensées en propositions concises, ces idées géné-rales et les réflexions qu'elles entraînent n'ont d'ail-leurs d'intérêt qu'à la condition d'être la synthèsede faits nombreux. Elles disent alors beaucoup dechoses en peu de mots et dispensent de longs discours.Leur rôle est surtout de faire penser et non de dé-montrer.
Les lecteurs bienveillants qui, de régions variées duglobe, suivent depuis longtemps ma pensée à traversdes langages fort divers, retrouveront dans ce livre lesprincipes que j'ai déjà appliqués à l'étude de grandsproblèmes historiques. Une fois encore j'ai tâché dedégager la psychologie des vagues théories livresquespour l'adapter aux réalités journalières qu'elle semblaitvouloir ignorer et que seule elle peut expliquer pour-tant.
4 INTRODUCTION.
Ce nouveau travail sera utile s'il conduit le lecteur àconsidérer certaines faces des phénomènes qui avaient
pu lui échapper, à reviser ses opinions en faisant letour des choses, à se défier surtout des explicationssimplistes que la complication extrême des phéno-mènes ne comporte jamais.
Ce ne sont pas seulement des pensées nées du spec-tacle de la guerre et des possibilités d'avenir dontelle sera la source que renferme cet ouvrage. Il setermine par des réflexions scientifiques d'intérêt géné-ral. L'auteur ne pouvait oublier qu'une partie de savie fut consacrée à des travaux de laboratoire et quela science est la seule génératrice de nos rares certi-tudes. Elle «est aussi la grande consolatrice pendantces heures sombres où tous les charmes de la vie dis-paraissent, où l'ombre de la mort grandit chaque jouret où l'avenir lui-même semble dépourvu d'espérance.La chaîne des heures serait trop lourde si, pour fuirdes réalités obsédantes ramenant aux barbaries dela préhistoire, on ne pouvait errer dan* les régionslointaines de la science pure où s'élaborent les loissouveraines qui orientent les mondes vers des butsmystérieux.
Paris, novembre 1917.
,. LIVRE 1
Lés Forces qui mènent l'Histoire
CHAPITRE PREiMIER
Les puissances matérielles et morales.
Lesguerresreprésententl'extériorisationvisiblede forçainvisiblesen conflit.
<•>
Les forces psychologiquessont l'âme des phénomènesmatériels.
<•>
Les forces matérielles sont redoutables. Les forces
psychologiquesintincibis.
*+<$>** ,'
La guerre est un merveilleuxexemplede la puissancedes
forces psychologiquesqui mènentles hommes.Elle montre
avec quellefacilité la crainte de la mort et les intérêts
personnelss'évanouissentdès qu'agissentces forces.
<•>
Dans ses préparatifs de guerre l'Allemagneavait tout
prévu, sauf l'influence des fadeurs psychologiques.Ils
devinrent assez puissants pour soulever le monde contre
elle.
O HIERETDEMAIN.PENSEESBREVES.
Le développementmatériel d'une civilisationest sans
parallélismeavecsonévolutionmorale.
<$>*•
Les forces psychologiquesfurent ,toujcursles véritables
souverainesdes peuples. Transforméesen croyancesreli-
gieuses,politiquesou sociales,elles conduisent,suivant le
sensde leur action, les civilisationsà grandir ou à dispa-raître.
<•>
Les forces qui mènent l'histoire: forces biologiques,
forces affectives, forces mystiques, forces collectiveset
forces intellectuelles, possèdent des logiques distinctes
nayant pas de communemesure.
CHAPITRE II
Les forces biologiques et affectives.
Les forces biologiques comprennent tous les besoins
nécessaires à ientretien de la vie. Elles sont canalisées
par les deux grands facteurs d'activité de tous les êtres:
le plaisir et la douleur.
»<•>
Les forces affectives, c'est-à-dire les sentiments et les
passions, se mettant le plus souvent au servicedes forces
biologiques,la raison est impuissantecontre elles.
•<•>
Les progrèsde la civilisationont développéconsidérable-
ment l intelligence,mais ils sont restés sans action sur les
sentimentsdont l'agrégat constituele caractère. L'ambition,
la cupidité, la férocité et la haine survivent à toutes les
époques.<•>
Sur la plupart des questionsscientifiquesou techniques
dépendant de l'intelligence, les hommesde tous les paysse trouvent d'accord parce que l'expérienceest leur guide.
En matière religieuse,politique ou sociale, les impressions
10 HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES.
personnellesremplaçantiexpérier.ce,la compréhensionn'est
possible qu'entre personnesdouées de sentiments iden-
tiques.Ceri estplusalors lajustessedeschoses,maisl'identité
des sentimentsprovoquéspar ceschosesqui crée l'entente.
Les divergences intellectuelles se supportent et une
raison faible s'inclinefacilement devant une raison forte.Les divergencessentimentales,au contraire, ne se tolèrent
pas. La violenceseulelesfait céder.
Les sentimentsdeviennentfacilementcontagieux.L'intel-
ligencene l'est pas.<•>*
Les êtress égalisentbeaucoupplus dans le domainedes
sentimentsquedansceluide l'intelligence.
Les sentiments et l'intelligence n'ayant ni évolution
parallèle,ni communemesure,une civilisationtrès haute se
superposeaisémentà des sentimentstrès bas.
Des hommesd'intelligencesupérieure ont parfois, au
point de vuesentimental,unementalitévoisinede celled'un
sauvage.<§>
Dès qu'un sentiments exagère, la faculté de raisonner
disparaît.
HIERET DEMAIN.PENSEESBREVES. I I
Un peuplequi ne réussit pas à dominerses instinctsde
barbariefinit par les glorifier afin de pouvoir leur obéir
sans honte. Ce fut une grande habileté des philosophes
germaniquesd'essayer de justifier par des raisons biolo-
giqueset historiquesles impulsionsataviquesdeconquête,de
meurtre et de pillage de leur race.
<$>
Certains sentimentsne peuvent être combattusque pardessentimentsidentiques.On ne dominepas la méchanceté,la violenceet la mauvaisefoi avec de l'honnêteté et des
scrupules.<•>
Les grands auteurs dramatiquesde tous les tempscom-
prirent que lessentimentsne se hiérarchisent pas. Le plusintensedomineà un momentdonnétousles autres. Euripidemontrela jalousie l'emportantsur l'amour maternelquandMédée immole les fils qu'elle avait eus de Jason, pourle punirde soninfidélité.Corneille, au contraire, nousfaitvoir le besoinde vengeanceeffacéchez Chimène par son
amourpour le meurtrierde sonpère.
<»
La loi physiologiqued'après laquelledeuxdouleursétant
simultanées,la plus forte efface la plus faible, se vérifie
égalementdans le domainedes sentiments.Les diplomatesallemands l'ignoraient quand ils escomptaienttus haines
politiques.Ellesétaient trèsfortes, maisdisparurent instan-
tanémentdevant la haine plus forte encore de l'étranger.
12 HIERET DEMAIN.PENSEESBRÈVES.
Les passions vivent rarement isolées. L'envie a pour
compagnela haine, l'amour n'existe guère sans jalousie.L avarice est inséparable de la dureté.
Dans les civilisationsmodernes,le besoin du luxe,ou tout
au moinsde sesapparences,est souvent plus impérieuxqueceluidu nécessaire.
+<$>
Un être sans préjugés,sans illusions, sans viceset sans
vertusserait tellementinsociableque la solitude constitue-
rait son seul refuge.<•>•
La plupart deschagrinset desjoiesde l'existencerésultent
de cequenousattachons aux chosesune importancedispro-
portionnéeà leur valeur.
Si imparfaite quesoit encorela connaissancedeslogiques
affective,mystique et collective,elle donnecependantdéjàla clef de phénomèneshistoriquesque la logiquerationnelle
ne saurait expliquer.
CHAPITRE III
Les forces mystiques.
L'esprit mystique se caractérise par l'attribution de
pouvoirsimaginaireset mystérieuxà desdoctrines,desrites,
desamulettes,despersonnagesou des formules. Il est indé-
pendant de la dévotion à une divinité quelconque.Les
défenseursd'une foule de sectes politiques et scciales sont
saturés d'esprit mystique.
<•>
Quand des millions d'honunes professent certaines opi-
nionset d'autres millionsd'hommesdesopinionsexactement
contraires, on peut être certain que cesconvictionsreposent
sur des bases mystiquesou affectives, et nullemznt ration'
nelles.<•>
Les forces mystiques possèdent un pouvoir créateur
immense.Elles ont édifié de grandes civilisations et fait
surgir du néant les merveillesde l'art, que lesgénérations
admireront toujourssi lesfuturs canons ne les anéantissent
pas*
<$>*2
14 HIERET DEMAIN.PENSEESBRÈVES.
Le mondemoderness croyait soustrait à l'influencedes
forces mystiques.Jamais pourtant l'humanitén'y fut plusasservie.Ce sont ellesqui mirent l'Europe en feu.
«-<$>
L'esprit mystiqueest créateur de forcesimaginairesmais
puissantesen raisonde la confiancequelles inspirent.Ces
forcesfont parfoisagir l'hommecontrairementà sessenti-
ments lespluschers,à sesintérêts lesplus évidents.
<•>
Les conceptionsd'ordre affectif ou mystiques'acceptentou se rejettenten bloc,maism sedémontrentpas.
<£
Sur lesforcesmystiquesla raisonest sansprise.
<•>
En pénélran dans la sphèredu mystique,l'esprit leplus
sagaceperd sesfacultés de discernement.Le manifestedes
intellectuelsallemands,où l'on vit des savants réputésnier
l'évidenceet interpréterlesfaits aux seuleslumièresde leurs
illusions,est unenouvelleconfirmationde cetteloi.
Dans le domainedes forces mystiquesplus encore quedans celui desforces sentimentales,toutes les intelligences
s'égalisent. ++$>*+
Unecroyancemystiquese suffit,maiselleacquiertplusde
force encoreen s'associantà desintérêts matériels.L'idéal
HIERET DEMAIN.PENSEESBRÈVES. 15
mystiqued'hégémoniede l'Allemagnen'eût peut-être pas
suffià provoquerla guerresans l'espoirdeconquériret pillerde richesprovinces.
<$>
Si l'Allemagne établissait actuellement le bilan des
résultatsde l'impulsionmystiquequi l'a lancéesur lemonde,
elle trouverait à son passif : la mort misérablede plusieursmillionsd'hommes,une perte de cent milliards et uneaver-
sionuniverselle.A sonactif figureraitseulementl'annexion
de quelques provinces impossiblesà garder sans des
dépensesmilitaires très lourdes.
<$>
Croire aveuglémentdispensede raisonner et empêched'être influencépar un raisonnement.Bien des années
s'écoulerontavant que le peupleallemandperde la convic-
tiond'avoir été attaqué par la France et l'Angleterrecons-
pirant sa perte.
La leçon des faits n'instruit pas l'homme prisonnierd'une croyanceou d'une formule.
Les convictionsd'origine mystique se propagent par
contagionmentale ou suggestion,jamais par des raisonne-
ments.<£
Lesvéritésrationnelleslesplussûresn'acquièrentdepres-
tigesur lespeuplesqu'aprèsavoir revêtuuneformemystique.
16 HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES.
<£>
Unparti politiqueouune révolutionne triomphentjamais
par des argumentsrationnels,mais seulementaprès avoir
inspiréunefoi mystiquetrès viveà leursadeptes.
Unpeupleayant foi dans la victoireneressentni la faimni la misère.Sa résistancemorales'écroulele jourprécisoù
il commenceà douterdu succès.
Si on éliminaitd'une civilisationtouteslesentitésmys•
tiquesqui servirentà l'édifier,elleperdrait la plupart de
sesmobilesd'action.+<•>
// nest guère d'exemple,dans l'histoire,de croyancesà
formereligieuseébranléespar l'issuedesbatailles.Aprèsdes
sièclesde défaites, l'islamismeestencoreredoutable.Le rêve
d'hégémoniede l'Allemagneayant pris uneformereligieuseresterapourl'Europeunesourcede conflitsprolongés.
<•>
On ne triomphepas d'une foi viveavecdesarmesmaté'
rielles,maisseulementen lui opposantunefoi plusforte.
<•>
Contre lesillusionsmystiqueslescanonssont sans force.
CHAPITRE IV
Les forces collectives.
Un peupledevient très fort quand il possèdeun idéal
capabled'engendrerchez tous ses citoyenslesmêmessen-
timents,les mêmespensées et, par conséquent,les mêmes
actes. L'anarchie séculaire des Germainsdisparut lors-
qu'au moyende l'écoleet de la casernela Prusse leur fit
'acquérir un idéalde dominationuniverselle.
<•>
Quand un peuple a été longuementdressé a l'effort
collectif,il finit par superposerà son âmeindividuelleune
âme collectivequi la domineentièrement.Tous ses senti-
ments: orgueil,gloire,soif de puissance,deviennentalors
collectifs.
La substitutiondu collectif à Cindividueln'élève pas
l'intelligence,maiselledonneunegrandeforcemilitaireet
industrielleaux peuplesqui la réalisent.
<$>
Les sentimentscollectifsobéissentà la mêmeloi que les
sentimentsindividuels,c'est-à-dire la dominationde toutes2.
18 HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES.
les passionspar une seuledevenuetrès forte. L'orgueildu
peuple allemand s'était tellement développéqu'il lui fit
sacrifierà son ambition d'hégémoniel'intérêt évidentde
maintenirla paix nécessaireaux progrèsde son industrie.
<$>
Faire surgir dessentimentsdans Yâmedesmultitudesest
relativementfacile, les refrénerdifficile.En se développantilsdeviennentdesforcesqu'onnemaîtriseplus,
•<•>»
Aveciévolutionactuellede la civilisation,chaquesociété
sembleconduiteà se diviserenpetitsgroupementspossédantdesintérêtssimilaireset dirigéspar desindividualitésfortes.
<£
Danslessociétésnouvellesen voiedeformationl'individu
isolésera vite écrasé.Il ne pourray prospérerqu'ens'agré-
geantà desgroupespossesseursd'intérêtssemblables.
«>
En matière de sentiments,l'âme collectived'un peupleest supérieureaux âmes individuelles.En matièred'intel-
ligence}les âmes individuellesl'emportent au contraire
beaucoupsur l'âme collective.
Lesgrandespersonnalitésindépendantestendentde plusen plus à disparaître.L'être collectif remplaceprogressi-vementl'être individuel.
HIERET DEMAIN.PENSEESBREVES. 19
<•>
Chez les peuples primitifs n'ayant pas sensiblement
dépassél'étapede la tribuet du clan lesindividusne possè-
dent pas encored'âme personnellenettementformée,mais
seulementune âmecollective.Le militarismeet l'évolution
industrielleramènentcertainesnationsà la phasecollective
despremiersâges.«•$>
S'annexer à une collectivité,c'est accroître sa force
sociale,maisperdresa personnalité.
<£>
Les Grecs préféraient la grandeur individuelleà la
grandeurcollective,lesRomainssecontentaientde 'la supé-riorité collective.
Les Romainsencoredemi-barbaresasservirentla Grèce
quipossédaitdéjàunelégiondepenseurset d'artistesimmor-
tels, grâce à des qualités collectivesde disciplineet de
ténacitéunpeudédaignéesdesvaincus.
Les batailles tendent à devenir collectives.Les com-
binaisonsd'un grand chef ne sauraient suffireaujourd'huià déciderenquelquesheuresdessuccèsd'unecampagne.Une
victoiremodernereprésentel'additionde milliersd'énergies.
<$>
Les nations doivent toujoursse tenir en défensecontre
les accèsde délirecollectifd'un peuple,surtout quand il
20 HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES.
appuie sa soif de conquêtessur la convictiond'accomplirune missiondivine. C'est au nomde conceptionsanalogues
que les Arabes et les Turcs ont jadis ravagé le monde.Le
canon seulpeut combattrede tellesillusions.
»<•>
La plupart des sentimentsou des associaliçnsde senti'
ments tels que l'optimisme, le pessimismeet lecourage,se
propagentpar contagionmentale, mais la propagationest
beaucoupplus facile quand elle prend la forme collective.
$>.
On peut demander à l'âme collective des sacrifices
impossiblesà obtenir de l'âme individuelle.
Une souffrance collectivese supporte plus aisément
quune souffranceindividuelle.
<•>
Pendant la guerre les sentimentscollectifsont été les
plusactifs.Si, aprèsla paix, leurprédominancesemaintient
ils atténueront les influencesindividuellessouvent fort
égoïstes.<$>
Ténacité,solidarité,disciplinesontdesqualitésdecarac-
tère qui donnèrenttoujours aux peuplesunegrande force.Aucunequalité intellectuellenesaurait les remplacer.
HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES. 21
L'âge moderne représente le triomphe de la médiocritécollective.
CHAPITRE V
Les forces intellectuelles.
Créatrice de toutes les découvertesqui ont transformé
l'existencedes hommes,la raison possèdeun pouvoir très
grand. Il ne le fut cependantjamais assezpour déterminer
la conduitedespeuples.<$>
La logiquerationnellebâtit la science,maisnejouequ'un
faible rôle dans la genèsede l'histoire.
<:>
Ce n'est pas avec la raison,et c'est le plus souventcontre
elle,ques'édifientlescroyancescapablesd'ébranlerlemonde.
Guidéeseulementpar la raison,l'Allemagneaurait vuque,sans combatset par la simpleextensiond'une puissancein-
dustrielledue à sa richessehouillèreet à sonéducationtech'
nique,elle imposerait son hégémonieà l'Europe. Dominée
par sonrêved ambition mystiqueellene le vit pas,
Les gouvernants qui prétendent n'avoir que la logiquerationnellepour guide arrivent vite à l'incohérence.
HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES. 23
<•>
En politique,le rationalismesert surtout à revêtir d'une
forme acceptabledes appétits qui ne le sont pas,
<$>
Une des sourcesles plus fréquentes d'erreur est de pré-
tendre expliquer arec la raison des actes dictés par des
influencesaffectivesou mystiques,
La raison sert beaucoupplus à justifier la conduitequ'àla diriger.
<•>»
Derrière les actes que la raison croit guider se trouve la
formidable armée des atavismes qui les déterminent.
<$>
L'hommequi prétend n'agir que par raison se condamne
à rarement agir.<•>
L'intuition fait penser, la volonté fait agir, la raison
sert surtoul à expliquer.
Des idéesmal élaboréesengendrentdes résolutionsfaibles
et des actesmédiocres.
Le mondeest évidemmentplus guidé par l'instinctif que
par le rationnel.Mais alors que les philosophesallemands
considèrentl'instinctif commele meilleurguide des peuples,les philosopheslatins admettent que le progrèsde la civi-
24 HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES.
lisation consisteà soumettre de plus en plus l'instinctifau rationnel,
-<£
L'instinctif est un principe de vie, mais non de civili-
sation.<$>
L'intelligence tendant souvent à paralyser l'action, il
n'estjamais avantageuxpourunpeupled'avoir plusd'intel-
ligencequedecaractère.LesByzantinsdiscutaientfort bien,
mais agissaientfort peu, tandis que Mahomet était déjàdans leurs murs.
En matière de prévision, le jugement est supérieurà
l'intelligence.L'intelligencemontre toutes les possibilités
pouvant se produire.Le jugementdiscerneparmi cespossi'bilitéscellesqui ont leplusdechancede SJréaliser.
<$>
L'analogie, origine fréquente de jugements définitifs,alorsqu'elledevrait être seulementcréatrice d'hypothèsesà
vérifier,est unesourcedefréquzntsserreurs.C'est ensegui'danl sur des analogiessuperficiellesque les dirigeants de
notreétat-majoraccumulèrenttant defautes et serefusèrentsi longtempsà multiplier les canons et lesmunitions. ,
<•>
Si l'on s'entend peu dans lesdiscussions,c'est quedes
esprits différents emploientles mêmesmotspour traduire
des idéesdissemblables.
HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES. 25
Les personnesayant l'habitude de tout critiquer sont
généralementcellesqui possèdentle moinsd'esprit critique.
<•>
L'esprit critiqueest à la fois créateurde progrèset géné-rateur d'inaction.
<$>»
Ce n'est pas à la raison, mais au bon sens,qu'ileûlfallu
jadis éleverun temple.Beaucoupd hommessont douésde
raison, trèspeu de bonsens.
L'abondancede paroles inutilesest un symptômecertain
d'infériorité mentale.<•>
Leshommesde géniefont la grandeur intellectuelled'une
nation,'mais rarement sa puissance.
<•>
Les hommesde penséepréparent leshommesd'action. Ils
ne les remplacentpas.<•>
La penséed'un grand hommene vit pleinementqu'aprèssa mort.
CHAPITRE VI
Les interprétations de l'histoire.
L'histoire comportedes témoignages,desprincipeset des
méthodes.II faut se défier des témoignages,douter des
principeset n accepterque lesméthodes.
<•>
La notionde pourcentagedevrait être à la basedesobser-
vationspsychologiqueset sociales.Lesfaits isolésneprouvent
rien, seul leur degré de fréquencerelative est important à
connaître.
L'histoirede la guerre, tellequelesAllemandsl'écriveni,montreavec quellefacilité les auteursdéforment les faits
quand ils contredisent leurs convictionsou leurs principes.
En attribuant aux intérêts économiquesun rôle prépon-dérant, les théoriciensdela conceptionmatérialistede l'his-
toireoublientque ces intérêtssetrouventfacilementbalayés
par desforcespsychologiquesdont lesplus puissantesseront
toujours les impulsionsmystiques.
HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES. 27
<£>
Une vision exacte mais fragmentaire d'un événement
conduit à des interprétationsinexactesdèsqu'on l'appliqueà uneautre partie du mêmeévénement.
•$>
C'est parce quelle s^ composesurtoutdevisionsfragmen-
taires généraliséesque l'histoire reste si incertaine.
+<$>
Ce que contient souventde plus sûr un livre d'histoire
n'est pas le récit desévénements,mais la mentalitéde l'écri-
vain qui les raconte.»<•>
Les générations qui forgent l'histoire d'une époquene
surent jamais l'écrire. Les vivants nont un peu d'impar-tialité quepour lesmorts.
<•>
Les historiensvoientgénéralementles événementspassésà travers les idées du tempsoù ils vivent. C'est pourquoileshommeset les doctrinespopulairesà uneépoquesemblent
exécrablesà uneautre.LepapeAlexandreVI et CésarBorgia
furent sympathiquesà leurs contemporains.Machiavel ne
devintantipathique qu'après sa mort.La Saint-Barthélémy
provoquaun tel enthousiasmedansdiverspaysqueplusieursmédailles furent frappées pour la commémorer.Le pape
fit reproduiresur lesmursdu Vatican,oùonlesvoitencore,
les détails du massacre.
JO HIERET DEMAIN.PENSEESBREVES.
Les textes, les médailles, les monumentspermettent de
reconstituerlesquelettedu passé,mais qui nesait pas déter-
minerlessentimentset les idéesdont ils dériventignoretout
de l'histoire.<•>
Création du passé, le présent est générateur d'avenir.
Etudier les changementsrévolus permet suivent de pres-sentir les événementsfuturs. Demain est la floraison
d'aujourd'hui et d'hier.
<$>
Un fait historiquen'apprend rien, séparéde sa genèse.
CHAPITRE VII
Les explications et les causes.
// n'y a guère de causessimplesen histoire. Chacuneest
entourée d'un cortège d'éléments invisibles plus actifs
que lescausesvisiblesinmxédiates.
<•>
Unedescaractéristiquesdementalitéprimitiveestd'attri-
buer des causes simples aux phénomènes.
<•>
L'interprétation simpliste des causes a toujours faussél'histoire.De grands événementscommela guerre mondiale
ont rarement pour originela volontéd'un seul homme.Les
sourcesen sont profondes, lointaineset variées.La décision
d'un souverain ne peut agir qu'après leur lente accumu-
lation.
Aux esprits supérieurs seuls apparaît l'extrême com-
plexité des causes, la difficulté de les relier aux effetsobservéset l'impossibilitéd'expliquer les originesréellesdu
phénomènele plussimple,la chuted'une pierre par exemple.3.
30 HIERET DEMAIN.PENSEESBREVES.
Dans la genèse des phénomèneshistoriquesles causes
s'additionnenten progressionarithmétiqueet leurseffetsen
progressiongéométrique.Des causes,infimespeuvent donc,à certains moments,engendrerdes effetsconsidérables.
Examinéeau point de vue de la raison pure, la guerremondiale apparaît à sa naissance et durant son évolution
commeun chaos d'invraisemblances.Elle contribuera à
montrer aux théoriciensqui en doutaient encore le faiblerôle joué par la raisonsur les actionsdespeuples.
On ne saisit bien les origines de la guerre imposéeparFAllemagnequ'en lisant l<isdissertationsde sesphilosophes,de seshistorienset de seséconomistesdepuisun demi-siècle.
Leurs conclusionssont nettement résuméesdans cette décla-ration récente d'un professeurgermain : « L'Allemand a
consciencede sesdroits et de ses devoirset il entendpren-dre la directiondu monde».
Le rôle du philosophene consistepas à rechercherlavaleur rationnelledesmobilesfaisant mouvoirles hommes,mais l'influenceque ces mobilesexercent.
Dans leursinterprétationslesavant et l'ignorantdébutent
par deshypothèses.Mais alorsque l'hypothèseest aux yeux
HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES. 31
du savant une simple supposition tenue pour provisoire
jusqu'à sa vérification, elle constitue une certitude pour
l'ignorant.
Uhypothèse admise sans contrôle relarde longtempsla
découvertede la vérité.
CHAPITRE VIII
L'imprévisible en histoire.
L'obscurevolontédes chosessembleparfois supérieureà
celle des hommeset déroute leurs prévisions.Quand la
guerrecessaentre la France et l'Angleterre]en 1815, ces
pays avaient été en lutte pendant soixante ans sur une
périodede 127années.Au momentde Fachoda, le conflit
faillit se'renouveler.Commentdevineralors que ces deux
grandesnations deviendraientun jour alliées?
<$>
Lesévénementsimprévisiblesont été beaucoupplusnom"
brèuxpendantla guerre que lesfaits prévisibles.Personne,
par exemple,ne prévoyait sa durée. On pouvait encore
moins deviner l'accumulation de fautes psychologiques
qui dressapresquetouslespeuplesdel'universcontrel'Alle-
magne,malgré son désir de maintenirune neutralité con-
forme à ses intérêts.
<•>
Longue serait la liste des événementsréalisés con-
trairementà toutes les prévisions.Nul n avait soupçonné
HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES. 33
la défaite de l'immense Russie par le petit empire
japonais; et personnen'aurait pu supposerque la faible
Belgique résisterait au puissant empire germanique.On
eût moinsprésagé encore que l'Angleterre et l'Amérique,
dépourvuesd'armées et profondément hostiles au milita'
risme,constitueraientdes puissancesmilitairesde premierordre.
Après la retraite de Charleroi, un esprit raisonnant
selon les donnéesde la psychologie,de la stratégie et de
l'histoire,n'eût jamais prévu qu'une armée en retraite se
retourneraitbrusquementet arrêterait net l'élan d'un enva-
hisseurvictorieux.
Un événementest imprévisiblequand chacunedespossi-bilitésdont il dépendoffredeschancesde réalisationpresque
égales. Les Allemands reconnaissentque la prolongationde la guerre leur eût été impossibles'ils n'avaient, à ses
débuts, conquis le bassinde Briey dont Ja défeme était
facile. Les Alliés n'auraient pu également continuer
à lutter si l'Amériqueavait, comme les Allemands l'es-
péraient, interdit l'exportation du fer qui nousmanquait.De tels événementséchappaient évidemmentà toutes les
prévisions.
Il restera toujours inexplicable que l'Allemagne n'ait
pas comprisl'intérêt immensequelle avait à ne pas obliger
lesÉtats-Unis à lui déclarerla guerre. Tout l'or des Alliés
34 HIERET DEMAIN.PENSEESBREVES.
serai'/ passé prcgressicementen Amérique et le moment
approchait où, leur crédit étant épuisé,ils n auraient pu se
procurer lacier et le matériel que seuls lesÉtats-Unis
étaient en mesurede fournir. •
<•>
L'Allemagneavait inférât à attaquer sa rivale redoutée
l'Angleterre, à envahir la France pour conquérir ses
richesses,mais on cherchevainementquel pouvait être son
but en attaquant la Russie dont l'industrie, le commerce
et la banqueétaient entre ses mains au point que beaucoup
de Germains considéraientcepays commeune coloniealle-
mande. Impossiblede comprendreun tel événementquandon ignore ses causesmystiques.
Les Allemandsavaient prévu bien des chosesavant de
déclarer la guerre,sauf cependantlesplusessentielles,telles
que la résistancedes Français, les interventions de l'An-
gleterre, de l'Italie et de l'Amérique.
LIVRE II •
Pendant les Batailles
CHAPITRE PREMIER
La genèse psychologique
des grands conflits.
Les causes immédiatesd'une guerre n'ont qu'un intérêt
secondaire. Il faut plonger dans ses causes lointaines
pour découvrir sa genèse.
*<•>
Les élémentsrationnels jouent en général un rôle peu
important dans l'origim des conflits qui remplissentl'his-
toire.<•>
La raison se borne uniquementà servir les forces affec-tives, mystiquesou collectivesqui sont lesvrais moteursdes
grands conflits.<•>
Les sentiments les plus actifs dans la genèse des
guerressont l'orgueil, l'ambition, la méfianceet la haine.
<•>*
La méfiance,plusencorequela haine,a été depuiscinquanteans le sentimentdominant les relationsentre peupleseuro-
38 HîERET DEMAIN.PENSEESBREVES.
pêens. Elle les a conduitsà des armementsdont l'exagéra'tion rendait la guerre inévitable.
+<$>
On peut ramenerà un petit nombre de causes les grands
conflits de l'histoire : 1° Causes biologiques : telles les
impulsionsde la faim qui déterminèrentjadis les invasions
germaniques destructrices de la civilisation romaine-
2° Causes affectives : telles la jalousie, la haine, la cupi-dité et surtout l'ambition.Lesguerresde Cent Ans et de SeptAns sont des guerres d'ambition. 3° Causes mystiques :
telles les influencessupposées de puissances supérieuresordonnant aux fidèles de conquérir le monde.Elles déter-
minèrent lesinvasionsmusulmanes,les croisades,lesguerresde religion,la guerre de Trente Ans, et la guerre actuelle.
4° Causes économiques : telle la surproduction indus-
triellesuscitant des rivalitéscommerciales.
<•>
La puissancemilitaire se met indifféremmentau service
des influencesbiologiques,affectives,mystiques et écono-
miques.
Les dirigeants allemands réussirent à rendre la guerre
populaire en lui attribuant pour cause la nécessitéde se
prémunir contre l'invasion russeredoutéedepuislongtemps,
puiscontrele désir supposéde revanchedesFrançais, enfincontre la menaçante rivalité économiquede l'Angleterre.La crainte de l'invasion russe fut la principale cause
HIERET DEMAIN.PENSEESBREVES^ 39
déterminantede l'adhésion unanime des Allemands.Seuls
leurs chefs connaissaient assez la désorganisation de la
Russiepour savoir quelle nétait pas redoutable.
^»
'// est\bien rare que les peuplesse battent avec acharne-
ment pour desintérêts purement matériels.Les plusgrands
peuplesen conflit aujourd'hui, les États-Unis notamment,
combattentpour des principes.
CHAPITRE II
Éléments psychologiques des batailles.
L'histoiredespeuplesse composesurtout du récit de leurs
batailles. Les périodes de paix furent des accidents
éphémères.<$>
Les guerres utilisent des armes matérielles,mais leurs
vrais moteurssont desforcespsychologiques.Chaquecanon,
chaquebaïonnette,est enveloppéd'une atmosphèredeforcesinvisiblesdirigeant les sentiments et les actions des com-
battants.
Napoléon disait à Sainte-Hélène que la destinéed'un
pays dépendparfois d'un seuljour. L'Histoire justifiecette
assertion,mais montre aussi qu'il faut généralementbeau-
coup d'années pour préparer ce seul jour.
<•>*
Pas d'armée puissante sans un idéal pour guide. Amour
de Rome chez ses légionnaires, appât du butin chez les
reîtresdu Moyen Ageet lesGermainsde touteslesépoques,amour de la gloirechez lessoldatsdeNapoléon,religiondu
HIERET DEMAIN.PENSEESBREVES. 41
devoirchez les volontairesanglais, amourde la patrie chez
lesFrançais actuels.
Les mobilesd'action des armées ont varié à travers les
âges.L'espoirdu butin et la peur du châtiment,seulsfacteurs
psychologiquesutilisés par les anciens chefs, n'ont d'in-
fluenceaujourd'hui que chez des races dont la civilisation
n'a pas effacéencore les primitifs instincts.
<$>
Les actions collectives,dont Je rôle social était déjà si
grand, tendent à prendre une influenceprépondérantedans
les batailles modernes.Celle de la Marne est une bataille
collective.<$>.
La force d'une armée tient surtout à ce que l'hommeen
foule perd son égoïsmeindividuelpour acquérir un égoïsme
collectif.<£
Toute-puissantedans la vie sociale, la contagionmen-
tale représenteégalementune des basesles plus sûresde la
conduite du soldat. Elle est la véritable créatrice de la
cohésionet de la soliditéd'une armée.
•»<£>*
La force de résistanced'un peuple grandit immensément
quand il a pour ennemiun dévastateursans pitié, menaçantles faibles d'une servitude sans espoir.
<•>4.
42 HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES.
Ne reconnaître dans une guerre ni lois, ni traités, est
assurément un avantage momentané pour l'envahisseur,mais il crée chez les vaincusune accumulation de haines
à laquelle ne peut [résister aucun vainqueur.
L'expériencesembleprouverquedans lesguerresmodernes
de tranchées les armées s'usent lentement par le fait seul
de la défensive.L'usure complèteconstituerait la défaite.
Une défaite n'est rien si le vaincune désespèrepas. On a
justementfait remarquer qu'aucun peuplene subit plus de
défaites que les Romains.Appuyéscependant sur la cons-
tance de leur volonté,ilsfinissaient toujours par triompher.
*<•>
La guerre est surtout une lutte de volontés.
Dans les batailles prolongéeset indécises,où l'équiva-lencedes forces crée l'équivalencedes lassitudes, le succès
appartient forcément à celui qui sait prolonger [la lutte
quelquesinstants de plus que son adversaire.
<$>
La guerrea révêléqueprévoiret oser étaient les qualités
qui manquaientle plus aux générauxmédiocres.
CHAPITRE III
L'âme nationale et l'idée de Patrie.
L'âme d'une race régit sa destinée.Il faut desgénérations
pour la crier, et parfois peu d'années pour la perdre.
L'âme collectived'une foule diffère beaucoupde l'âme
collectived'une race.La première est transitoire, la seconde
permanente.+<$>
Les grandes nations modernessont des agrégats de races
diverses,dont l'âme a été unifiéepar un long passé de vie
commune,d'intérêts, de croyances et de sentiments iden-
tiques.
En raison de leur structure psychologiquedissemblable,les races sont diversement impressionnéespar les mêmes
sujets. Sentant et agissant de façons différentes, elles
ne sont pas accessiblesaux mêmes évidenceset ne sau-
raient dès lors se comprendre.
44 HIERET DEMAIN.PENSEESBREVES.
C'est la supérioritéde son âme ancestrale quidistinguele
civilisédu barbare.L'éducation ne saurait doncleségaliser.
<£>«•
La race est la pierre angulaire sur laquellereposel'équi-libre des nations. Elle représentece qu'il y a de plus stable
dans la vie d'un peuple.Des croisementsrépétéspouvant la
dissocier, l'influence des étrangers est fort dangereuse.
De tels croisementsdétruisirentjadis la grandeur de Rome.
Elle perdit sa puissanceen perdant son âme.
<$>
Les traditions nationales représententun des principaux
élémentsfixateurs de l'âme des peuples.Sans elles,chaque
génération devrait' recommencerà chercher péniblementdes guides pour orientersa conduite.
L'évanouissementde l'âme individuelle transitoire dans
l'âmepermanentede la race, sousl'influenced'ungrand péril
national, fortifie ccnsidérablement l'unité mentale d'un
peuple.
Quand l'intérêt de la roce sesubstitueentièrementchezun
peuple à l'instinct de la conservationindividuelle,la résis-
tance de ce peuple à ses agresseurs devient infinie. On
peut le détruire, on ne le soumetpas.
Le patriotisme est la plus puissante manifestation de
HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES. 45
l'âme d'une race. Il représente un instinct de conservation
collectif qui, en cas depéril national, sesubstitueimmédia'
tement à l'instinct de conservation individuelle.
<•>
La patrie reste une abstraction un peu vague pendant la
paix. Sa puissance apparaît seulement quand elle est
menacée.Dégagéealors du voilemystiquequi l'enveloppait,elle devient une réalité assez forte pour transformer la
conduite d'un peuple.
La patrie n'est pas constituée seulement par le sol où
nous vivons, mais awsi par les ombresdes aïeux qui con-
tinuent à vivre en nous et contribuent à élaborer notre
destinée.<•>*
Défendre la patrie, c'est pour un peuple défendre à la
fois son passé, son présent et son avenir.
Le patriotisme acquiert toute sa valeur en devenant
mystique.Qui ne serait patriote que par raison le serait
fort peu.<•>
Un peuple chez lequel s'affaiblit l'idée mystique de
patrie disparaît de l'histoire sans mêmeavoir le temps de
parcourir toutes les étapes de la décadence.
<£
Lesguerressont lesplus sûrs agentsde consolidationd'une
âme nationale.
46 HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES.
Les Etats-Unis avaient atteint le faite de la puissance
industrielleet commerciale,mais leur âme nationale n'était
pas encore très stable. La guerre l'aura définitivement
fixée.
Lesconspirationsallemandesen Amériqueont prouvéla
difficultépour un peuple d'absorber des éléments étran-
gers. Si les vivants peuvent fondre leur langue, leurs
moeurset leurs intérêts, les morts qui les guident restent
rebelles à cette fusion. On ne change pas de race en
changeant de latitude.
<3>++
L'âme des races a des frontières qui ne se franchissent
pas. <•>
La patrie ne se défend bien qu'avec des qualités ances-
irales. H suffisaità l'Angleterre d'une organisation habile
pour créer en deux ans une armée bien équipée,mais pour
infuser à cettearmée lesqualités de ténacitéet de vaillance
capablesde transformer des volontairesindéris en vétérans
intrépides,il fallait l'influencede la race. Les régimentset
les canonsse créent en 'quelquesmois. Des sièclessont né-
cessairespour forger le coeurdes hommesqui les manient.
La guerre révèleà un peuplesesfaiblesses,mais aussises
vertus.
HIERET DEMAIN.PENSEESBRÈVES. 47
La guerre transformerait certains peuples au point de
changer le futur déroulementde leur histoire s'ils pouvaientconserver pendant la paix une faible partie des qualités
manifestéespendant la guerre.
<&.
Les guerres provoquéespar des haines de races peuventse reculer, mais ne s'évitent pas.
CHAPITRE IV
La vie des morts et la philosophie
de la mort.
Les qualitésde caractère qui font la grandeur d'un peuplesont l'oeuvrede ses aïeux. L'âme des vivants est façonnée
par celledes morts.
Dans les grands conflits, pouvant décider du sort d'un
peuple, l'invisiblearméedes mortsguide lesgestes des com-
battants. La bataille de la Marne fut gagnée par des
morts. Ils étaient là plus nombreuxque les vivants, ceux de
Tolbiac,de Bouvines, de Marengo et de toutes les gloires
passées,pour empêcher la France de sombrer dans l'abîme
où semblait la pousser un sinistre destin.
<$>>
Les volontésdes vivants m luttent pas facilement contre
celledes morts.<&
En Angleterre, l'opinion des morts est plus puissante
quecelledes vivants.Le gouvernementanglais enfit l'expé-rience pendant la première année de la guerre. Conquérir
HIERET DEMAINPENSÉESBRÈVES. 49
l'âme des morts à travers celle des vivants fut sa plus
difficiletâche.<$>
L'inconscient,où s'élaborentlesmotifsde beaucoupde nos
actes, représenteune condensationde l'âme des aïeux.
<$>
Lesmorts doivent avoir leur placedans la directiond'une
société, mais il ne faut pas que leur puissancesoit trop
lyrannique, car, ne pouvant progresser,ils tendent à para-
lyser le progrès.<•>
La discipline interne créée par les morts est tou-
jours moins dure que la discipline externe imposéepardesvivants. Les individus et les peuples ne possédant pasla premièredoivent se résignerà subir la seconde.
<$>
Quand l'hommeécoutel'âme de sa race, le sensde la mort
devientnouveaupour lui. Il comprendalors quesousl'éphé-mèrese cache la durée, et que la perpétuité refuséeà l'indi-
viduest accordéeà la race dont il représenteun fragment.
<•>
La mort n'est qu undéplacementd'individualités. L'héré-
dité fait circuler lesmêmesâmesà travers la suite desgéné-rations d'une même race.
<$>
50 HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES.
Nos actes ne sont éphémères qu'en apparence. Leurs
repercussionsse prolongent parfois pendant des siècles.La
vie du présent tissecelle de l'avenir.
Nos formes transitoires recèlent un contenu éternel.
Héritier d'un longpassé, chaqueêtre, momentanémentsurgisur la ligne du temps, renferme un nombre immensede
générations attendant l'heure d'échapper à leur provisoirenéant.
CHAPITRE V
Changements de personnalité
créés par la guerre.
Les éléments psychologiquesfondamentaux d'une race
restent permanents. Les éléments secondairespossédésparles diverses individualités qui la composentsont mobiles.
De leurs combinaisonsrésultent des équilibres nouveaux,
générateursde personnalitésnouvelles.
<$>
Ce que nous connaissonsdes êtres qui nous entourent et
ce qu'ils en connaissenteux-mêmesreprésentes.ulementune
de leurs personnalitéspossibhs.
Canaliséepar l'habitude et la constancedu milieu,notre
âmejournalière changepeu. Il est donc impossibledeprévoirles personnalités qui surgiront sous la nécessité impé-rieused'une adaptation à des circonstancesimprévues.
»<£
Toutêtre porte en lui despossibilitéslatentesde caractère
léguéespar sesdivtrs aïeux, que les événementsfont surgir.
52 HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES.
•<•>
L'homme peut généralementplus qu'il ne croit, mais il
ne sait pas toujours ce qu'il peut. Les circonstancesseules
lui révèlent sesCapacitésignorées.
*<•>
Les discours m traduisent pas la véritable personnalitéde chaque être. Seuls sesactes le révèlent, quelquefoismême
à sespropres yeux.
Quand, sous l'influenced'excitations puissantes, les équi-tlibres de l'organisme mental sont modifiés,l'hommepeut se
transformer au point de devenir,méconnaissablepour lui-
même. A sa personnalité ancienne s'est substituée une
personnalité imprévue.<•>
Pour que puissent naître des personnalités nouvelles, il
faut que les équilibres habituels de l'organisme mental
soient désagrégés par des événements troublant vio-
lemment les rapports de l'être avec son milieu.
La guerre est un puissant excitant de toutes les énergies,cellesdu bien commecellesdu mal. Elle stimule à la fois les
vertus, les vices et l'intelligence.
<•>
Les qualités développéespar la guerre sont de celles
qui élèvent l'homme au-dessus de lui-même : l'héroïsme,
HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES. 53
la ténacité, l'esprit de sacrifice, la vaillance et surtout la
continuitéde l'effort.<•>
V hommedelà viejournalière estgénéralementsuidé parsonégoïsmeindividuel.L'hommedes batailles par lesintérêts
collectifsde sa race.
CHAPITRE VI
Les formes du courage.
La résistanceau sentiment naturel de crainte produite
par le danger constitue le courage. Si le danger, tout en
restant menaçant, cesse d'être immédiat, le couragenécessitede la persévérance.
Le courage militaire a beaucoupévoluédans le cours de
ihistoire. Des héros antiques aux barons féodaux, nul
guerrier n'osait affronter d'inoffensifs javelots et d'incer-
taines flèchessans la protection d'une pesante armure. La
tempête de fer à laquelle le soldat modernes'expose sans
protection leseût fait reculerd'horreur.
<£
Jadis un momentd'héroïsme suffisait pour assurer l'im-
mortalité. Conquérir aujourd'hui une ligne de tranchées
exige une continuité de courage inconnue aux guerriersd'Hcmère. Achille est célèbredepuis trois mille ans pourdes exploits qui,de nosjours, ne lui vaudraient pas la croix
de guerre.
HIERET DEMAIN.PENSEESBREVES. 55
<•>
Les guerres modernes ont substitué au courage intermit-
tent et irréfléchi le courage continu et prudent. Beaucoup
plus utile que le premier, il est plus difficileà créer.
<•>•
L'héroïsme silencieux des luttes souterraines d'aujour-d'hui et celui de l'aviateur perdu dans l'immensité sont bien
supérieurs aux héroïsmes éclatants mais momentanés des
anciennes batailles.<•>
Le courage discontinu nest transformé par l'habitude
en courage continu que si lesdangers répétés sont semblables.
Tel qui se montre héroïque à l'assaut sera effrayé par un
engin ignoré.<$>
Le courage devant un danger imprévu exige une volonté
forte nécessitant une dépense nerveuse qui ne saurait se
prolongeret ne pzut être réparée quz par un loig repos.
<•>
Savoir transformer en habitude un danger, une fatigue»un ennni, cest les rendre facilement acceptables.
<•>
L'attention n'étant pas divisible peut être dérivée. On
détourne utilement les préoccupations du soldat par des
exercices variés et continus.
<•>
56 HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES.
Chaquegroupe militaire finit par posséderune bravoure
collective.Elle demande toujours un certain temps pour se
former.$>
Un honvnecourageux, sorti de son groupe et placé dans
un autre où il est inconnu, perd parfois beaucoup de sa
bravoure.
Une mêmecollectivitémilitaire peut oscillerde la peur à
l'héroïsme,suivant le chef qui la commande.
<•>»
Convaincre une troupe de sa supériorité, c'est lui
insufflerun héroïsmecontinu,générateur de succès.
Une des infériorités psychologiquesde la défensiveest de
déprimer le courage, alors que l'offensive le stimule.
<•>
La tranchée a prouvé que la valeur se mesureà la téna-
cité, l'endurance, l'initiative, le courage, la volonté, le
jugement, qu'alitésque n'enseignent pas les livres et qui
dépendentuniquementdu caractère.
L'héroïsmena pas de caste.
CHAPITRE VII
L'art de persuader
et l'art de commander.
L'âme du chef faisant celledu soldat, une troupequi perdle chef sachant la commander perd en même temps sa
cohésionet prend bientôt l'inconsistanced'une foule.
Les galons facilitent le commandement,mais ne créent
pas iart de commander.
Les grades n'établissent qu'une hiérarchie factice sou~
vent illusoire en temps de guerre. La valeur morale seule
peut créer l'obéissance,le respect et le dévouement chez les
subalternes.<$>
L'art de commandern'est completque s'il à pour soutien
l'art de persuader.
Les traités de rhétoriquedonnent des règlespour composerdes discours, ils ne sauraient enseigner l'art de persuader.
<$>
58 HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES.
Dans lesharanguesdestinéesà persuaderunecollectivité
onpeut invoquerdesraisons,mais il faut d'abordfaire vibrer
des sentiments.<•>
La raison convainc quelquefois pour un instant,
elle ne fait pas agir. Les grands meneursd'hommesy ont
rarement recours.<•>
Le maniement des lois psychologiquesconduisant les
foules est indispensablepour inculquer à une collectivité
l'esprit de corps.
On accroît énormémentla valeur d'une troupeen créant
chez elle l'esprit de corps. Grâce à lui certains régiments
acquirent pendant la guerre une réputation telle qu'onavait toujours recoursà eux dans les circonstancesoù il
fallait deshommesnefléchissantjamais.
<$>
Dans une troupepossédantl'esprit de corps, la gloireet
l'émulation sont collectives.Ces sentimentss'étendentpar
contagionmentaleauxunitésnouvellesintroduitesdanscette
troupe, à la conditionque les hommesincorporésne soient
pas trop nombreux.+<$>
La confiancedu soldat dans ses chefs est un des plus
importants élémentsde sa valeur.
+<$>
Au chefdontl'âmeest encommunicationintimeaveccelle
HIERET DEMAIN.PENSEESBRÈVES. 59
de ses hommes la parole est inutile : un geste, un regard
suffisent.
Entretenir la bonne humeur et la gaieté chez des soldats
que la mort menace à chaque minute est un art qu'aucun
chef ne doit ignorer.<$>
Certains mots accroissent les énergieset rendent le soldat
invincible. Il faut être déjà un grand chef pour les penseret
les dire.
On agit facilement sur les hommesisolésen faisant appelà leurs intérêts, c'est-à-dire à leur égoïsme.Les multitudes
n'étant pas égoïstes,il faut, pour lesséduire, utiliser d'autres
mobiles.<•>«•
L'affirmation, la répétition, le prestige et la contagionconstituent les grands facteurs de la persuasion, mais leurs
effetsdépendent de celui qui lesemploie.
«-<$>.
Pour persuader il faut, suivant les cas, s'adresser aux
influencesaffectives,mystiques ou collectivesqui mènent les
hommes,et fort peu à leur intelligence.
La controverse est rarement un moyen de persuasion.Contredire une opinion ne fait souvent que la fortifier. Lesidées d'un adversaire se modifient en l'amenant à se
60 HIERKTDEMAIN.PENSÉESBRÈVES.
convaincre lui-même par une série de suggestionset de
réflexionsqui germent lentement ensuitedans l'inconscient.
Les femmes connaissant d'instinct ce procédé persuadent
facilement.<£>
Un orateur change aisément l'opinion de sesauditeurs,mais son influenceétant éphémère, il agit peu sur leur
conduite.<».
Lesvotesd'uneassembléeimmédiatementaprèsun discours
ou le lendemainde ce discours sont souventfort différents.
Ensubjuguantlescoeurson dominefacilementlesvolontés.
LIVRE III
La Psychologie des Peuples
CHAPITRE PREMIER
L'âme des peuples et sa formation.
L'âme d'un peuplereprésenteuneaccumulationd'éléments
ancestraux stabiliséspar les siècles.Sur ce rocsolideflottentles élémentsmobilesdes âmes individuellescrééespar l'édu-
cation et le milieu.
Un peuplen'atteint la stabilité qu'après avoir acquisune
consciencecollective. Cette acquisition exige parfois des
siècles.<•>
La vie d'un peuple, ses institutions, ses croyances, ses
arts et ses luttes représentent la forme visible des forcesinvisiblesqui le mènent.
De la mentalité d'un peuple dérivent sa conduite et,
par conséquent,son histoire.
On ne peut pressentir les réactionspossiblesd'un peuple
qu'en étudiant ses actes dans les grandes circonstancesde
son histoire.
64 HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES.
Les erreurs de prévision commisespar les diplomates
allemands sur la neutralité supposéede l'Angleterre et de
la Belgiqueont montré l'impossibilitéde pressentir la con-
duite d'un peuple dans les grands événements,d'après sa
psychologiejournalière.
+<$>
Le caractère réel d'un peuple n'apparaît que dans les
crisesimportantes de son histoire.
<$>
L âme d un peuplese lit très biendans ses actes, très mal
dans ses livres et ses discours.
*<•>
Les écrits et les paroles représentent l'âme consciente de
la vie journalière; les actes, l'âme inconsciente et stable
crééepar les aïeux.*<•>
Quelquesannéessuffisentpour civiliser l'intelligence d'un
peuple. Il faut des sièclespour civiliser son caractère.
Les transformations mentales entraînent rapidement des
transformations matérielles.
<£>
HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES. 65
Le progrèsmatériel de certains peuplesest devenudestruc-
teur de leur progrès moral.
»<$>
Un peuple ne change pas son âme ancestrale, mais elle
peut subir des orientations nouvelles, génératrices de succès
ou de catastrophes. C'est ainsi que la mentalité allemande
a changé d'orientation sous l'influence de trois facteurs : le
militarisme, l'unification politique, l'éducation technique.
<$>
Un peuple peut transformer sa civilisation en adoptantla langue, les institutions et les arts d'un autre peuple. Il
ne transforme pas pour cela son âme. Après la conquêtenormande lesAnglaisparlèrent longtempsfrançais, mais res-
tèrent Anglais. En latinisant les Gaubis Rome ne changea
pas leur caractère.
Le Japon qui, en quelquesannées, passa de l'emploi des
arcs et des flèches aux armes et à l'industrie modernes,
neut pour s'assimiler une civilisation nouvellequ'à utiliser
les qualités de patience, de ténacité, de disciplineléguées
par ses aïeux. Il changea de civilisation, mais ne changea
pas d'âme.<•>* '
La nationalité peut être constituée par quatre éléments
différents rarement réunis chez un même peuple: la race,
la langue, la religionet les intérêts.
6.
66 HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES.
Les peuples ne possédant pas une âme anceslrale suffi-samment stabilisée vivent dans l'anarchie et progressent
peu. Ceux dont l'âme a été trop stabilisée ne progressent
plus. Dans les temps modernes,les Russes représentent la
phase de stabilisation insuffisante, les Chinois celle de
la stabilisation trop complète.
<•>
A une certaine périodede l'histoire d'un peuple lesfautesde pensée,de caractère, de jugement et par conséquentde
conduite restent sans remède. Elles deviennent créatrices
decesfatalités inexorablessousle poidsdesquellesdegrands
empiresuni fini par succomber.
Substituer commemobiled'action la gloire collectiveà
la gloire personnelle est pour un peuple un important
progrèsmoral.
Les nations ne se transforment que par iévolutien des
âmes. C'est en lui-même et non hors de lui-mêmequun
peuple doit rechercher les causesde sa grandeur ou de sa
décadence.
Dans les circonstancesgraves de l'histoire, les peuplesvoient souvent plus juste que leurs gouvernants.Ils voient
alors par leurs morts.
<•>
HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES. 67
L'âme d'un peuple,beaucoupplus que la volonté de ses
dirigeants, détermine le régime politique qu'il peutaccepter.
»<£
Faire naître, grandir ou disparaître des sentimentset des
croyances dans l'âme des peuples est un fondement essen'
liel de l'art de gouverner.
<$>
Transformer la mentalité d'un peuple est parfois plusutile que d'accroître ses armements.
Conquérir le territoire d'un peuple ne suffîtpas. Pour le
dominer il faut encorevaincre sonâme.
CHAPITRE II
Psychologie comparée de quelques peuples.
Tous les peuples présentent un certain nombre de carac-
tères communs,mais chacun deux en possèdeégalement de
spéciauxqui lesdifférencient.Telles,par exemple,la ténacité
chez les Anglais, l'indécision et Vimprécisionchez les
Russes.
La vision des chosespar un peuple dépend plus de son
tempérament psychologique,cest-à'dire de son caractère,
que de son intelligence.Ce caractère conditionne la façondont il réagit sous les excitations du mondeexiérieur.
<•>
Chaque peuple a un idéal de droit, de morale et de
justice trop personnel pour être accepté par d'autres
nations. L'ignorance de celte loi psychologiquea créé la
décadencede plusieurs colonies.
Certains caractères des peuples se maintiennent dans
tout le cours de leur histoire. Jean de Saulx, vicomte de
HIERET DEMAIN.PENSEESBREVES. 69
Tavanne, disait déjà sous Charles IX que la France,
invincible quand elle reste unie, est le pays où ion sait
toujourspourvoir aux affaires alors quelles semblentdéses-
pérées.
Un peuple est libre de qualifier d'immortels lesprincipes
qui le guident, mais il n'a point le droit de les imposer à
d'autres nations de mentalités différentes. Les métaphy-
siquespolitiquessontaussi respectablesque lesmétaphysiques
religieuses,à la condition quelles neprétendent pas s'imposer
par la force.$> -
Bien que fort simple et régie par un petit nombred'élé-
ments, l'âme des Balkaniques resta au début de la guerreun mystère pour la plupart des diplomates européens,
parce qu'ils s'obstinèrent à la juger d'après les règlesde leur
propre logique.$>
La guerre actuelle aura fourni desjustifications nouvelles
de cette loi historique qu'un peuple ne peut adopter les
institutions, les arts, la langue, la religion d'une race diffé-
rente, sans leur faire subir des transformations profondes.Lesdieux eux-mêmessont condamnésà de tels changements.
Transporté en Chine, le Bouddha hindou prit rapidementles caractères d'une divinité chinoise. Parvenu en Angle-
terre, le Jchovah bibliqueest devenu un Dieu anglais, gou-vernant le mondeau profit de l'Angleterre. Adopté par les
70 HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES.
Germains, le Dieu charitable et doux des chrétiens s'est
transformé en divinité sanguinaire et farouche, sans pitié
pour les faibles, pleine d'égards pour les forts.
Avant la guerre l'Allemagne envahissait le monde avec
son industrie, mais elle ne l'envahissait plus avec ses pen-sées. L'ère des grands philosophes,des grands écrivains yétait close depuis longtemps.
$>
L'Allemand même isolé reste toujours un être collectif.Il n'acquiert de valeur que fondu dans un groupe. Chaque
citoyenest unecellule du grand organisme: l'Etat.
$>»
La consciencede l'Allemand est une consciencecollective
dirigéepar l'Etat, cellede l'Anglais et de l'Américain une
conscience individuelle n'abandonnant à l'Etat qu'une
faible partie d'elle-même.
++<$**
Ce qu'on appelle germanismeest simplement la synthèsedes appétits toujours engendrés chez un peuple par la
convictiond'être assez fort pour s'emparer des territoireset des richessesde peuplessupposésmoinsforts.
Il faut bien admettre que la culture germanique ne crée
pas beaucoup de clairvoyance,puisque les partisans d'an-
HIERET DEMAIN,PENSEESBRÈVES. 71
nexionsterritorialesruineusespour l'Allemagnese recrutenl
parmi lesprofesseurs,lesfonctionnaireset les industriels.
La Prusse a mis plus d'un demi-sièclepour façonner la
mentalité de l'Allemagne au moyen de l'école et de la
caserne,mais cette mentalité étant contraire à la nature de
l'homme reste artificielle.Les Allemands finiront sûrement
par constater que la gloire d'être à peu près lesseulsdéfen-seursde l'absolutismeet de la violencecoûtecheret rapporte
peu.<•>
La mentalité belliqueuse des Allemands semble pourle moment irréductible. Après trois ans de lutte mon'
diale, le ministre de la Guerre prussien a demandé au
Reichstag des crédits pour une nouvelle école d'officiers,
afin de préparer les futures batailles qui, suivant lui,
succéderontà la guerre actuelle, le pacifismen'étant qu'une
utopie dangereuse.
Le célèbremémoiredeBissing,gouverneurde la Belgique,mériterait d'être gravé sur le mur denosécoles.Après avoir
exposéque la Belgiquedoit rester sous le joug allemand,
et considérant que le souveraindépossédépourrait devenir
gênant, Bissing \recommande énergiquementde suivre le
conseil de Machiavel : <;Quiconquese proposede s'empa-rer d'un pays est contraint de se débarrasser du roi et du
72 HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES.
gouvernement, fut-ce par la mort ». On ne trouverait
dans aucun autre pays un hommed'Etat moderne osant
signer de pareilles lignes.
<$.
L'abîme mental entre l'Anglais et l'Allemand s'était
déjà révélé avant la guerre dans leur conduiteà l'égard des
peuplesconquis.L'Angleterre rendit la liberté au Transvaal
vaincu. L'Amérique, après avoir organisél'île de Cuba, la
laissa se gouvernerelle-même.Les Allemands,au contraire,en Pologne, en Alsace et dans toutes leurs colonies,nord
jamais connu d'autre régime politique que la violenceet
se créent pour ennemisles peuples qu'ils gouvernent.
<•>
Si les Germains avaient soupçonné l'âme anglaise, ils
eussentcompris que leurs férocités en Belgique n'auraient
d'autres résultats que d'indigner les Anglais au point de
faire surgir du sol britanniquedes millionsde combattants.
Peu soucieuxdes théorieset de la logique,l'Anglaisn'en-
visage que la réalité et tâche de s'y adapter.
Les peuples ont toujours hiérarchisé les valeurs d'aprèsle degré d'utilité qu'ils leur atttibuaient. Les Romains des
premiers âges auraient mis l'aptitude à bien manier lalance très au-dessusde l'art de composerdes chants homé-
riques. Un général allemand serait, de nos jours, beaucoup
HIERET DEMAIN.PENSEESBRÈ.ES. 73
plus fier d'incendier une cathédrale eu une bibliothèqueque
de découvrir une planète.
La férocité est un sentiment de race, spécial à certains
peuples et que les siècles n'effacent pas. Le plaisir des
anciensAssyriensà Voirécorchervifs leurs captifs est de
mêmenature que celui desBalkaniquesmodernestorturant
longuementleurs prisonniers et que la joie délirante des
Allemands en apprenant le torpillage du Lusitania.
$>
Les peuplesdont la civilisationa trop adouci lesmoeurset
paralysé lesqualités de caractère lutteront toujoursdifficile'ment contre des races doutes à la fois de subconscienze
bestiale, de discipline rigide, du désir de conquêteset de
l'amour du pillage.0*»
Unedescaractéristiquesde certainspeuplesest den'avoir
aucune stabilité, ce qui rend impossible de se fier à
eux. On peut généraliser à leur égard l'observation faite
par un ancien député au Reichstag, l'abbé IVetterlé, à
proposde sescollèguespolonais.«C'étaient tousdeshommesde bonnecompagnieet de commerceagréable,mais combieninconstantset peu sûrs. Je les ai vus passer de ieppositionla plus révolutionnaire au gouvernementalismele pluscchevelé,et cela d'un momentà l'autre, sans motif appa-rent. Ils menaçaient un jour de placer des bombessousle siège du chancelier; le lendemain ils votaient d'enthou-
7
74 , , HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES.
siasme des lois réactionnaires. On ne pouvait jamais
compterd'une façon absoluesur le concoursde ces person-
nages changeants.»<£
On s'exposeà bien des erreurs dam l'interùrélalion de
la conduite des peuples quand on oublie que toutes les
âme*ne se mesurentpas avec le mêmemètre.
CHAPITRE III
L'incompréhension entre races différentes.
L'incompréhensionrégit les rapports entre les êtres de
race,d'éducationet de sexe différents,parce que les mêmes
sensationset ILSmêmes mots éveillent chez eux des idées
e/ desszntimentsdissemblables.
«-$>»
La guerrea montréunefois deplus à quelpoint lespeuplesse connaissaientpeu. L'Allemagne ignorait l'âme de la
France et de l'Angleterre. Nous n'ignorions pas moins
cellede l'Allemagne.
Les peuples ont appris par la lutte actuelle combien
variait, suivant les races,[lesensde certains motsabstraits :
droit, liberté, justice, humanité, force et bien d'autres. Les
philosophesle savaient déjà.
Un des plus frappants exemples d'incompéh n ion
entre hommesde races différentesest fourni par ce fait
que lessocialistesallemandset français s'élaieni.rencontrés
76 HIERET-.DEMAIN.PENSÉESBREVES,i
dans de nombreuxcongrèssans avoirjamais soupçonnéleurs
divergencesd'idées, de sentimentset mêmede doctrines.
Possibledans le domainedes intérêts, l'internationalisme
ne l'est pas dans celuides sentiments.
<•>
La persistance des haines de race tient à ce que les
hommesde mentalités dissemblablesréagissent de façons
différentes sous des excitations semblables. Croyances,
jugements,visionsde la vie, tout chez eux diffère.
Si les idées des peuplesétrangers ou des peuplesmorts
sont souvent inaccessibles,c'est que nous ne pouvons les
juger qu'à travers notre propre mentalité. Comment
comprendreaujourd'hui, par exemple,unRomaindivinisant
les empereurs, les cités et même [de simples abstractions
commela concordeP
Les professeursqui déclaraient autrefois le peuple alle-
mand un admirable modèle le donnent aujourd'huicommetype de la barbarie. Ils auraient évité de telles
variations d'opinion en étudiant ses doctrines philoso-
phiques.Les conquêteset les massacresdes Germains sont,
en effet, de simples applications des enseignementsque
propageaient depuis longtempsleurs livres.
<•>*
HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES. 77
L'âme d'un peuple nous est impénétrable quand elle
s'écarte trop de la nôtre et surtout lorsque,riétant pas encore
stabilisée, elle varie sans cesse avec les circonstances.
Les oscillations de iâme russe r.om restent pour cette
raison incompréhensibles.v <$>
Pour se supporter, les êtres de mentalité différente doi-
vent s'éviter. Dès qu'ils, se fréquentent, leurs divergences
psychologiquesentrent en conflit.
*<•>..
Nous considéronsvolontiers commeprivé de tout juge-ment l'hommequi n'a pas notre jugement.
CHAPITRE IV
Rôle des illusions dans la vie des peuples.
Les illusions correspondentà d'irréductibles besoinsde
la mentalité humaine, puisque leur influence ;e montra
toujours prépondérante à travers l'histoire. A toutes les
époquesdes millions d'hommes se trouvèrent prêts à se
sacrifier pour e.Yes,C'est au ncm d'illusionsque de grands
empiresont été détruits et d'autres fondés.
Le faible rôle des influencesrationnellesdans la vie des
peuplesest une des causesqui rendentsi difficiled'en pres-sentir le cours.Si l'on éliminait de l'histoire les illusions
et lesfantômes, il ny aurait plusd'histoire.
<•>•
Beaucoup d'esprits considéraient noire époque comme
un âge positif n obéissant qu'à la raison. L expérienceest venue prouver au conlraùe que le monde restait
conduitpar les plus chimériquesutopies. Au nom de leur
illusoiremission d'hégémonieles Allemands ont ravage
l'Europe, pendant que les pays envahis étaient victimes
HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES. 79
d'illusions d'un auhe ordre, pacifistes el internationa-
listes,qui faillirent amenerleur perte.
<£
La crédulitécomplèteet nonle scepticismeconstituel'état
normaldes individuset surtout despeuples.
<$>
Si les hallucinésn'avaient pas joué un rôle prépondérantdans l'histoire, le cours des événements eût été différentIl n'est pas certain cependant que le monde y aurait
gagné.L'erreur fut souventun stimulant plus fort que la
vérité.$>.
Lespeuplessepassentplusfacilementde >':ainqued'illu-
sions.Subjuguéspar ces fantômes séduisants, ilsoublient
leurs intérêts lesplus chers.
Dans la lutte éternellecontre l'illusion, la raisonne peut
triomphersans l'aide du temps.
$>.
L'expérienceseuleest une destructricerapide d'illusions,
à la condition de revêtir une forme catastrophique. Elle
rend alors l'erreur instantanémentvisible commel'éclair
illuminantla nuit.<•>
Au momentoù s'ébauchentdans le mondede nouvelles
tentatives de pacifisme, il est utile de rappeler cette
80 HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES.
réflexiondu président Roosevelt: les illusionspacifistesont
coûtéà la France des torrents de larmeset de sang.
Le pacifisme est un générateur certain de guerres de
conquêtes.Un peuple pacifiste n'étant pas redouté attire
fatalement l'agression surilui. Une nation bien armée se
v:it rarement attaquée.
Les illusionscollectivescèdentà des nécessités,jamais à
des raisonnements.
*f L'Allemagne restera pendant longtempsdangereuseparce
que la coalition des peuples contre elle a grandi ses illu-
sions et son orgueil. Incapable de comprendre les motifsde cette coalition, elle les attribue à une jalousie univer-
selle cewée par ta prétendue[supériorité.
«0..
Ce que nous nommonsle progrèsdes idées n'est souvent
qu'une transformation des illusionscrééespar ces idées.
<•>
L'erreur étant généralement plus impressionnantequea vérité, les politiciens préfèrent l'erreur à la vérité.
<•>
HIERET DEMAIN.PENSEESBREVES. 81
Les forces matérielles combattues aujourd'hui sont
redoutables,mais lesillusionsgénératrices de cesforcesplus
redoutables encore.<£
Créatrices d'espérance et par conséquent de bonheur,
les illusionsseront toujoursplus séduisantesque les réalités.
Pour détruire une erreur il faut plus de tempsque pour
l'établir.
L'art de manier des illusions est aussi nécessaire aux
conquérants que l'art de manier les canons.
<3>.»
L'irréel est le grand générateur du réel.
CHAPITRE V
Les opinions individuelles
et la conduite.
Au point de vue intellectuel,la valeur de l'hommedépend
d'abord de sonjugement,puis du nombreet de la précision
de ses informations. Au point de vue de la conduite, elle
dépendde son caractère.
<$>
La véritable personnalité d'un individu ou d'un peupleréside moins dans son intelligenceque dans son caractère
<8>»»
L'homme intelligent sans caractère reste toujours un
mené et ne devient jamais un meneur. Il est rarement le
maître de sa conduite.
$>
Les opinions que ion professe exercent généralementune influenceassez faible sur la conduite que l'on pratique.
<•>
Beaucoupd'hommesont raison d'affirmer l'invariabilité
de leursopinions,mais tort de s'en vanter. C'est montrer
HIERET DEMAIN.PENSEESBREVES. 83
qu'ils n'ont rien appris depuis le jour où elles se sont for-mées. Une preuve aussi évidente d'ignorance ou d'imbé-
cillité ne s'affichepas.<».
Rares sont les esprits capables d'édifier leurs opinionssur des réflexionspersonnelles.La rcce, le groupe social,le milieu, la profession,le journal suffisentle plus souvent
à orienter les idéeset alimenter les discours.
Pensercollectivementest la règlegénérale. Penser indivi-
duellement l'exception.
La valeur attribuée à une opinion ne dépend pas géné-ralement de sa justesse, mais du prestigepossédépar celui
qui l'énonce.<$>
• La plupart des êtres restent enveloppés d'un réseau
d'opinions, de préjugés et d'erreurs qui leur vcVeJesréalités. Ils traversent la vie sans y percevoir autre chose
que les visionsde leurs rêves ou les récits de leurs livres.
Dans les grands cataclysm^ssociaux, l'âme individuelle
est tellementdominéepar l'âme collectiveque les esprits les
plus éminentsperdent leurs facultés critiques et deviennent
incapablesde percevoirclairement aucune évidence.
84 HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES.
Chez les individus, et surtout chez les peuples, les bles-
sures d'intérêt s'oublient assez facilement. Celles d'amour-
propre ne se pardonnent pas.
Le remords, sentiment individuel, est ignorédes collecti-
vités. Les pires crimes d'une, nation trouvent chez elle
autant de défenseursque ses vertus.
<$>
S'ignorer vaut mieuxparfois que se connaître.
La véritable connaissancede soi-même rendrait géné-ralement fort modeste.
<£
On rencontre beaucoup d'hommes parlant de liberté,
mais on en voit très peu dont la vienait pas été principale-ment consacréeà se forger des chaînes.
Nos vertus resteraientparfois bienincertainessi, à défaut
de l'espoir d'une récompense,elles n'avaient la vanité
pour soutien,<•>
L'hommeest le vrai créateur de sa destinée. Il reste une
épavedans la vie quand il n'en est pas convaincu,
<8>«»
HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES. 85
Le> volontésprécaires se traduveni par des diicours, les
volontésfortes par des actes.
Tâcher de modifier sa vie intérieure est plus utile au
bonheurque d'user sesforcesà poursuivrela transformationde sa vie extérieure.
CHAPITRE VI
Les opinions collectives.
L'opinion collectiveesl devenue si puissante que /es
autocrates les plus absolusne sauraient lui résister. Les
peuples, et non leurs maîtres,dicteront bientôt la paixou la guerre.
<*>
L'opinion publique représente une force considérable,mais rarementspontanée.Il faut desmeneurspour la créer
ou l'orienter, surtout dans le casde grands conflits.
S'annexer à un groupe, c'est prendre l'âme collective
et les opinionsde ce groupe.Dans les agglomérationsaux
contoursbiennets: militaires,magistrats,professeurs,etc,%l'identité des occupationset surtout la contagionmentale
donnentà tous lesmembresde cegroupedesopinionscollée'
tives voisines.<•>
Les enchaînementsde la logiquecollectiven'étant pasceux de la logiquerationnelle, les contradictions que ne
HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES. 87
supporterait pas la secondesont acceptéesfacilementparla première.
Les foules raisonnent peu, mais sentent et réagissentvivement.Entre la sensation et la réaction, l'individu sait
intercaler un raisonnement,l'hommeenfoulene le peutpas.
<•>«>
Les motset les imagesont plus de pouvoir sur l'âme des
multitudesque tous les aiguments.
Une oùinicnfondéesur des sentimentscollectifspeut être
exacte, mais la raison na généralementaucune part dans
sa genèse.<î>«*
On a iuslementremarquéqu'en Russielesfoulesne s'atta-
chent pas aux idées,mais au verbe. En quelquesminutes
elles applaudiront avec enthousiasmedes orateurs, sou-
tenant des opinions diamétralement contraires. La même
observationpourrait s'appliquer à beaucoupde pays.
<•>
Quand l'hommeauquel on veut confierla directiond'une
affaire proposede se faire assister par un comité, il fautrenoncerimmédiatementà lui confiercette affaire.
En devenant collective l'erreur acquiert la force d'une
vérité.
CHAPITRE VII
Les idées dans la vie des peuples.
Chaque civilisationavec ses institutions, sa philosophie,sa littérature et ses arts, dérive d'un petit nombred'idées
directrices. Elles impriment leur marque sur tous les
élémentsde cette civilisation.
•Transformerles idéesd'un peuple c'est changer sa con-
duite, sa vie, et par conséquentle cours de son histoire.
$>.
Bien que la guerre européenne ne semblemettre en jeu
que des forces matérielles, des idéessont en réalité aux
prises. L'absolutismey lutte contre les aspirations démo-
cratiques.
La destinéed'un peupledépend beaucoupplus des certi-
tudesqui le guident quedes volontésde sesgouvernants.
L'Allemand moderneest plus dangereuxencorepar ses
idées que par ses canons. Le dernier des Teutons teste
HIERET DEMAIN.PENSEESBREVES. 89
convaincude la supérioritéde sa race et du devoir, qu en
raisondecette supériorité, il a d'imposersa dominationau
monde.Cette conception,identique à celleprofesséelong-
tempspar les Turcs à l'égard des Chrétiens, donne évi-
demmentà un peuple une grande force. Il faudra peut-être une nouvellesérie de croisadespour la détruire.
Les peuplesquiprétendent se guider par des idéespure-ment rationnelle*seront toujours militairementinférieursà
ceux conduitspar des croyances politiques, religieusesou
sociales, assez fortes pour créer desfanatismes collectifs.
Si l'idée allemande triomphait, la face du monde
changerait parce que l'indépendant des peuples serait
anéantie pour toujours.
.$>.
La valeur politiqueou socialed'une idée ne doit pas se
mesurerà sondegréde vérité,maisaux dévouementsquelle
inspire.A en juger par les enseignementsdu passé et ceux
de la guerre actuelle,les idéesles plus fausses sont souvent
cellesqui impressionnentle plus profondément les âmes.
Pour se propager et devenir mobiled'action, une idéedoit avoir un soutien sentimental ou mysfioue.L'idée
90 HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES
purement rationnellen'est pascontagieuseet res'e sansforcesur l'âme desmultitudes.
<£
Une idée vague et imprécise mais enveloppée de
mystère exalte facilement, alors qu'une idée claire et
préciserestesouventsans action,
Les événements qui Iculeverscnl la vie des peuples
changentfréquemmentles idéesévoquéespar lesmots. Des
te:mes anciens un peu usés, tels que celui de patrie,
acquièrent scudain un cigeureux relief ; d'autres jadis. chargés d'espérances, tels que pacifisme et internationa-
lisme,perdent tout prestige.
<•>.
A force de se vanter des vertusqu'il n'a pas, un peuple
finit par se persuader,qu'il lespossède.
$>
Peur orienter la conduite d'un peuple, les idées n'ont
pas^ besoin d'être justes, il suffit quelles possèdent du
prestige.
Le_pacifismeet 'l'internationalismequi nous ont coûté
si cher durent leur force aux erreurs séduisantesleur ser-
vant de soutien.
HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES. 91
Les grands événementssont parfois générateurs d'idées
contraires à cellesqui les ont fait naître. [Lesthéoriesaile
mandessin ledroit et la force seront sans doute tout à fait
transformées par la guerre actuelle.
Les idées sont soumises,comme les êtres, au brocessus
d'évolution qui condamne le .mondeà se transformer. Des
idéesdirectrices, justes à une époque,ne le sont plus à une
autre. L'oubli de ce pùncipe nom valut beaucoupa]'erreurs
militaires au début de la guerre.
<•>>
O/i ne modifie les idées d'un peuple qu'en changeantsesformules. Desexpéuenecsrépétéessont nécessairespourdéterminer de tels changements.
L'optimismeest,commele pacifisme,la conséquenced'un
état mental. L'optimismefait l'homme plus heureux, le
pessimisme le rend plus prévoyant. Si la France s'était
préparée à la guerre annoncée par quelquespessimistes,mais que niaient des optimistes enveloppésde pacifisme,elle eût évité bien des ruines.
Les idéesfausses sont les grandes dévastatrices de l'his-
toire. Les armes matériellesne suffiseutpas à lescombattre.
92 HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES.
Une idée famse ri ayant à tenir compteni des réalités,ni des vraisemblances,se présente généralement sous un
aspectplus séduisant qu'une idée vraie.
.«>
Une idéefausse trouvefacilement des milliersd'hommes
pour la défendre. Une idée vraie en trouve généralement
bien peu.
Quand une idée fausse envahit le chamb de l'entende-
ment, les expériences les plus démonstratives restent sans
action sur elle..>
Faire pénétrer une idéefausse dans l'âme des multitudes,
c'estallumer un incendiedont nul nepeutprédire lesravages.Lesdirigeantsde l'empireallemanddoiventenêtre persuadés
aujourd'hui.
Si l'fa'stoire des guerres enregistrait seulement celles
provoquéespar des idées justes, cette histoire serait fort
courte..>
La ténacité des idéesfausseset leur danger sont mis en
évidencepar les congrèssocialistestenus en pleineguerre.On y vit 'd'incorrigibles théoriciensrépéter inlassablement
leurserreurs sur le pacifismeet l'internationalisme,originesde nos désastres.
$>
HIERET DEMAIN'.PENSEESBREVES. 93
Quand les luttes militaires seront terminée>, certaines
idées, silencieusesaujourd'hui, entreront de nouveau en
conflit. Des résultats de ce conflit entre les idées vraies et
les idéesfausses l'avenir des peuplesdépend.
.$>..
Les plus sanguinaires conquérants sont moins dévasta-
teurs que les idées fausses.
)>
CHAPITRE VIII
La vieillesse des peuples.
// n'est pas d'exemple,dans l'histoire,de naiions ayant
progressétoujours.Après une certaine phase de grandeurelles déclinent et disparaissent,ne laissantparfoisqued'in-
certains vestiges.<•>.»
Si les cycles de l'histoire doivent se répéter, toutes
les nations seraient, commecellesdu passé, condamnéesà
vieillir et disparaître. Le sable a recouvert les vestigesde Ninive. La gloire de Rome nest plus quun souvenir,
$>
Les peuplespérissent, les oeuvressurvivent quelquefois.Mais de la mort une vie nouvellejaillit bientôt. Sur la
s poussièredes races créatrices des pyramidessont nées des
races nouvelles,riches de vérités inconnues des anciennes
civilisations.<•>.
Ce (qu'on appelle la vieillesse d'un peuple est une
vieilhise mentale beaucoup plus que biologique.
HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES. 95
La vieillesse[d'un peuplecommencelorsque,atmlli parle bien-être el devenu incapable d'effort, il substitue
l'égoïsme[individuelà l'égoïsmecollectif,cherche à obtenir
un maximumde tranquillitéavec un minimumde travail et
se monhe incapablede s'adapter aux nécessités nouvelles
que les progrès d'une ci' ilisalion font toujours surgir.
Lespeuplesne grandissentplus quand la vie leurdevient
trop facile. Rome ne progressaque pendant la périodede
ses luttes. L'âge de la paix et de la prospérité matérielle
marqua lesdébutsde sondéclin.
// existe dans l'histoire des peuples des momentsoù le
culte de la force, la passion du gain et la mauvaise foi
peuventconstituerdes élémentsde succès,mais de '.clssuc-
cèsentraînent bientôt la décadence.Carthage en fit jadis
l'expérience.Malgré ses richesseset la puissance de ses
armées,elle disparut de l'histoire en ne laissant d'autres
vestigesque le méprisdespeuplespour la foi punique.
Les vieillards, assurait Bacon, font trop d'objections,
consultent trop longuement, risquent trop peu, regrettent
trop vite, agissentrarementau momentpropiceet se conten-
tent de succèsmédiocres.De tels défauts s'observentégale-
ment chez des peuples dont diversescausesont paralysé
les énergies.
96 HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES.
L'impuissanceà se décider, la tendance à l'inaction et la
peur des responsabilitéssont des symptômescaractéristiquesde sénilitéchez lesindividm ccmmechez lespeuples.
Il semblerait qu'arrivés à une certaine phase de leur
existence, les peuples ne puissent progresser sans l'action
de grandes crises bouleversant leur vie. Elles paraissentnécessairespour les dégagerde l'étreinte d'un passé devenu
trop lourd, de préjugés et d'habitudes trop fixés.
Un peuplevieillit vite lorsque,ne sachant pas s'adapteraux nécessitésnouvelles, il se laisse dépasser. A en juger
par les statistiques industrielles,maritimes et comnicrciales,
certaines nations étaient avant la guerre considérablement
distancéespar d'autres. La lutte actuelle sera peut-être un
stimulant capable de réveillerles activités endormies.
$>
Lorsqu'une catastrophe met en évidence l'usure et par
conséquent l'insuffisance d'une ancienne armature sociale,la nécessitéde la transformer s'impose. Bien dirigée,cette
difficileopération rend à la sociétéébranléeune vienouvelle-
Mal conduite, et ce cas est le plus fréquer.l, elle engendreune anarchie qui, pour certains peuples, a marqué la finde. leur histoire.
<$>.
HIER ET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES. 97
Parmi les causes de destruction menaçant les civilisations
trop vieilles, on peut citer iaccumulation des règlements
régissant la vie sociale. Ils paralysent les libertés, les
initiatives, et finalement la volonté d'agir.
Certaines professions créèrent à toutes les époquesles mêmes déformations mentales. Machiavel se plaignait
déjà de la paperasserie et de la routine des états-majoisde son temps.
Le développement du pacijîsme, chez un peuple entouré
de nations avides de conquêtes, désagrège les ressorts
de son activité et le conduit rapidement à être as<:erui.
Un passé de grandeur est toujeurs pour les peuples un
lourd, parfois même un écrasant fardeau.
Le degré de vitalité des diversesnations sera plus visible
encore au lendemain de la paix que pendant la guerre.
LIVRE IV
Facteurs matériels
de la Puissance des Nations
CHAPITRE PREMIER
L'âge de la houille.
Dans la phase d'évolution actuelledu monde, les acliomdes peuples et des rois sont dominées par des nécessités
économiquesbeaucoupplus fortes que leurs volontés.
$>•
L'âge industriel a définitivement envahi le monde. La
supériorité d'un peuple nest plus caractérisée par le déve-
loppementde sa philosophie,de sa littérature et de sesarts,mais par sa richesseen houille et sa capacité technique.
«-:•>
Dans tout le mondeantique et jusqu'à une époquerécente
la puissance d'un pays dépendait beaucoup du nombre et
de la capacité de ses habitants. Elle résulte principale-ment aujourd'hui de sa richesse en charbon.
L'évolution nouvellede l'âge modernesecaractérise par le
rôle de la houille. Sans uiililê il y a deux siècles,elle est
devenue si indispensableque la vie d'un pays s'arrêterait9.
102 HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES.
avec sa disparition. Plus de cheminsde fer, plus d'usines,
et en tempsde guerre plus de canons.
La houille seule pouvait créer le machinismerénova-
teur moderne de la civilisation.
<!>..
Dans la vie des peuples, ïenchaînement des phénomènes
finit par dominertoutes les volontés.La découvertede mines
de houillepermit à l'Allemagne la fabrication économiquede produits d'exportation. Il en résulta une surproduc-tion nécessitantla conquêtede marchéslointains et, par voie
de conséquence,la création d'une flotte puissantepour pro-
tégerces exportations. Les ambitionsgamanique1-grandirentet la réalisation de l'ancien rêved'hégémonieparut possible.
La richessed'un pays en charbon et en fer détermine
aujourd'hui, non seulementle niveau de sa puissancemili-
taire et industrielle, mais encore sa possib:litéd'expansioncommerciale.
<§>*
Le rôleprépondérant du fer et du charbondans lesguerresmodernesa été mis en évidence par le manifeste des six
grandes associationsindustriellesde l'Allemagne affirmant
que sans la conquête du bassin de Briey, au début de la
guerre, la lutte n'aurait pu être continuée,faute du fer néces-
saire eux munitions.
HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES. 103
La puissanceconfcice à un pays par sa richesseen char-
bon ré uhe du fait que le travail cn-:u:l d'un ouvrier,coûtant enviicn I 500 francs, peut être accompli par une
quantité de houille valant 3 francs, U ouvrier-houille
coûte donc cinq cents fois moins cher que l'ouvrier
humain .$>
La prospérité économiquede l'Allemagne tient surtout à
ce quelle extrait annuellement de son sol 190 millions de
tonnes de charbon. Leur énergie mécanique représente le
travail manuel de 950 millionsd'ouvriers,
<S>»
Tâcher d'accaparer l'énergie solaire comme le firent les
plantes qui formèrent jadis la houille serapour lespeuples
privés de charbon un des gros problèmesde l'avenir.
*«>
Un pays dont la richessehouillèreest insuffisantenepeut
fabriquer économiquement.Use trouvepar conséquentforcéde limiter ses exportations à des produits dont la fabrica-tion exige une faible force motrice.
<&•
Accroître la production houillère d'un pays revient à
augmenter le chiffre de ses travailleurs. Avec beaucoup dehouille et peu d'habitants un peuple est plus riche et plusfort qu'avec peu de charbon et beaucoupd'habitants.
I. On trouverales clémentsdece calculdansmonouvrage: Lesenseignementspsychologiquesde la guerre(27eédition).
CHAPITRE II
Les luttes économiques.
Les luttes économiquessont parfois aussi ruineusesqueles luttesmilitaires.L'histoire montre quelles engendrèrentla décadencede plusieurspays.
$>
Pas de progrès sans concurrence,et par conséquentsans
luttes industrielles.
De nos jours, une lutte économiquepeut enrichir le
vainqueur.Une lutte militaire le ruine pour longtemps.Les
relations entre peuples seront transformées quand des
expériencessuffisammentrépétées auront prouvé l'exacti-
tude de cette vérité.$
Un peuple envahissantprogressivementune nalion avec
ses produits arrive à la dominer aussi complètementques'il l'avait conquisepar lesarmes.La dépendanceéconomiquecée vile la dépendancepoliiique.
$>»
Lesalliancesmilitairessontfaciles,parcequ'ellesassocient
des intérêts semblables.Les alliances économiquesdurables
HIERd DEMAIN.PENSEESBREVES. 103
sont presque impossibles,les intérêts industriels et commer-
ciaux des alliés n'étant pas identiques.
En matière industrielle et commerciale, aucune barrière
douanière, aucune intervention de l'Etat, aucun règlement
ne sauraient protéger utilement l'incapacité professionnelle
et le défaut d'initiative.
»<•>*
Quand un peuplepossède une industrie pres-jueprospère,
iagriculture par exemple,il doit s'efforceravant toute autre
entreprise de rendre cette industrie entièrement prospère.
$>
D'après les statistiques, la France malgré la qualité de
son sol n'obtient, en raison de ses procédés inférieursde culture, qu'une moyenne de 13 hectolitres de blé à
l'hectare, alors que l'Allemagne et l'Angleterre en
obtiennent 21 et le Danemark 27. La différence est du
même ordre pour l'avoine et l'orge. Ne semble-l-il pas
évident qu'améliorer notre culture serait autrement
rémunérateur que de fabriquer péniblement pour l'expor-
tation des marchandises rendues par la concurrence peu
rémunératrices ?<«>
C'est avec raisonqu'un éminentdéfenseurde l'agriculture
disait récemmentqu'elle deviendra la pierre angulaire de la
reconstitution nationale.
<$...
106 HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES.
La capacité d'absorplion'commercialedes peuples loin-
tains se réduit à mesurequ'ils progressent. Le Japon et
bientôt le reste de l'Asie semblent devoir se fermerentièrement aux produits européens.
+<•>
Dans lespays où l'industrie est restéeindividuelle,ellene
saurait lutter contre les associationsformées à l'étranger.
Une des grandes forces de l'industrie allemande est
d'avoir régularisé l'association des fabricants de pro-duits similaires et rendu ainsi très économiquela pro-duction.
Les associations d'industries semblables, généralisées
depuislongtempsen Allemagnesousle nom de cartels, sont
une condition nécessairedes progrès industriels modernes.
Pour lutter utilement contre de nouvelles invasionscom-
merciales, nosfabricants devront apprendre à s'associer
au lieu de je combattre.
La lutte contre l'invasion des marchandisesallemandes
n'est possibleque par la fabrication de produits similaires
au même prix. L'établissement de barrières douanières
supposées inviolables n'aurait d'autres conséquencesque
l'introduction, par les pays neutres, de produits fabriqués
HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES. 107
en Allemagneou dans ces mêmespays neutres par desAlle-
mands.Ceserait enrichir à notre détriment d'outres peuples-
<$>
// a fallu le conflit mondial pour révéler que le com-
merce allemand allait progressivement conquérir tous
les marchés. On accumulera bien des discussions avant
d'expliquercomment,avecune situationaussi exceptionnelle,les Germainsnefirent pas l'impossiblepour éviter la guerre.
<3>«»
Les futures tentatives d'hégémonieindustrielle de l'Alle-
magne seront aussi redoutables que son rêve d'hégémonie
militaire.
En attendant le jour où l'orientation des idéesaura com-
plètement changé, le monde verra sans doute les luttes
économiquesalterner avec les luttesguerrièreset s'engendrer
réciproquemmt.
Lesguerresà main armée représententun état transitoire,
leslutteséconomiquesun état pzrmimnt.
CHAPITRE III
Le conflit entre les conceptions chimériques
et les nécessités économiques.
Bien que souvent invisibles, les nécessités économiquessont les grandes régulatrices du monde moderne.
<$>
L'Etat avec son inexpérience,sa rigidité, son irresponsa-bilité et ïindifférence de ses employés, ne saurait inter-
venir dans les rouages compliqués du commerce sans
les fausser entièrement.,
+<•>
Les théories politiques illusoires exercent parfois plusde ravages que les canons. Les conceptionssocialistessur le
pacifisme, la lutte des classes, la destruction du capital
furent les causes principales derreurs militaires et écono-
miquessous le poids desquellesla France faillit succomber.
-»<•>
Oublieux de la puissance des lois économiquesquimènent le monde, la plupart des hommespolitiques restent
HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES. 109
persuadésquelesformulesel lesdécrets issusde leurscraintes
oude leursdésirs peuvent changer le cours des choses.
Une des expériences lesplus démonstrativesdu danger
de violer les lois économiquesest fournie par les résultats
des taxations pendant la guerre. Elles contribuèrent à
la disette de charbon et de divers aliments.
$>
L'activité possibled'un peuple dépend de toute une série
de facteurs indépendantsde ses désirs: production de son
sol, chiffre de sa population, aptitudes de sa race surtout.
$>»
Un pays qui, sous prétexte de se suffire à lui-même,
refuserait d'acheter au dehors les matières premières:
coton, soie, houille, etc., nécessaires à diverses industries,
déterminerait la mort de ces industries et des commerces
qui s'y rattachent.
Certaines exportations d'articles de luxe peuvent être
facilitées par des sympathies internationales. Celles des
matières premièresindispensables,tellesque la houille ou le
coton, dépendent de nécessités impérieuses supérieures à
tous les sentiments.
Préte)idre cesser les relations commerciales avec un
peuple qui peut seul obtenir économiquementcertains
produits indispensablesconstitue une illusion dangereuse.10
110 HIERET DEMAIN.PENSEESBREVES.
Le boycottagedespersonnesest utile, celuidesmarchandises
fabriquées souvent nécessaire, celui des matières pre-
mières impossible.
Supprimer le risqueet la concurrencedans lesentreprises
industrielles, convne le rêvent encore les socialisteslatins,
serait tarir tous les progrès de la civilisation.
$>
L'exploitation de nos richessesindustrielles et agricoles
après la guerre exigera un développementimmensedu crédit
nécessitant une décentralisation financière d'où résultera
la renaissance des anciennes banques provinciales que les
grandes sociétés firent disparaître. Seules ces banques
régionales peuvent apprécier la valeur des industries
locales et par conséquentle crédit quelles méritent.
<•>»
La diversité des conseilsdonnéspar les théoricienssur le
sensde nos futurs efforts montre qu'ils tiennent plus de
comptede leurs désirs que des possibilitéséconomiques^
:•>
En poursuivant l'édification de sociétésimaginairesfillesde la raison pure, les théoricienspréparent la décadencedes
nations où ils vivent.
•»<$>
L'établissement d'une ligue pour la paix semblefacile
parce que, malgré tous les enseignementsde l'histoire, on
HIERET DEMAIN.PENSEESBREVES. III
suppose les alliances capables de survivre à des intérêts
économiquescontradictoires.
«-$>
L'affirmation des diplomates allemands que les petitsEtats doivent disparaître au profit des grands dérive dune
conception jadis exacte mais inapplicable à l'évolution
économiqueactuelle du monde. Une fédération de petits
États gardant leur indépendance est aujourd'hui possiblealors que leur annexion ne saurait être maintenue que parune oppressionmilitaire fort coûteuse.
«$>
Avec l'évolution des idées résultant de l'observation des
faits, la domination de territoires étrangers, but principal
de la guerre actuelle, apparaîtra bientôt commeuneopéra-tion ruineuse dans le présent et sans profit pour l'avenir.
<$>
Développer la production et supprimer tous les obstacles
dont les socialistescherchèrent à l'entraver, devrait être le
but essentielde notre future politique.
Le premier ministre de la Grande-Bretagne disait au
Parlement que l'avenir des peuplesdépendra du parti qu'ils
sauront tirer des enseignementsde la guerre. Le monde est
entré, en effet, dans une phase de civilisationoui'action des
chimèresserait aussi funeste que celle desplus destructives
invasions.
CHAPITRE IV
Le rôle de la fécondité.
Du microbe jusqu'à l'homme, la fécondité fut toujoursune cause, sinon de supériorité, au moins de prospérité.A l'époque des invasions germaniques qui détruisirent la
civilisation romaine, l'inlassable fécondité des envahis-
seurs constitua leur principale condition de succès. Tués
par milliers ils renaissaient toujours.
+<$>
Tout peuple qui se développe avec excès devient fata-lement envahisseur et destructeur des peuples dont la
fécondité est moindre.
Un pays est redoutable pour ses voisins quand son
sol ne lui procure plus une nourriture suffisante.La faim
fut l'origine des grandes invasions qui bouleversèrentjadis
l'Europe.
Si leshordesgermaniquesn'avaient pas autrefois pullulé
HIERET DEM/.ÏN.lENSEESBREVES. 113
sur un solincapable de les nourrir, le monderi eût connuni
la destruction de la civilisation romaine, ni les mille ans
du moyenâge, ni la guerre actuelle.
<•>.
// est dangereuxde neprospérerque lentementauprèsd'un
peuplegrandissant très vile. La guerre a prouvé l'impor-
tance de celle vérité.
La paix ne devra pas faire oublierles parolessuivantes
prononcéesau Reichstag : «Tous les idéals humanitaires
sont pour toujours ensevelis.Nous voulons ce dont nous
avons besoin,et surtout de la terre pour nourrir de plus
grandes masses d'hommes.»
Les Allemandsqui avant la guerre voyaient, sous l'in-
fluencede causesidentiquesà cellesagissant en France, leur
natalité commencerà décroître, n'en cherchaient pas le
remède dans [des procédés fiscaux, mais considéraient
«qu'une politique de repopulation est avant tout une
politique de colonisationdes campagnes».
La rivalité dans la fécondité est devenue pour certains
économistesl'idéal à proposeraux peuples. Toute l'histoire
des êtres, de l'insecte jusqu'à l'homme, et celledes inva-
sions germaniquesde l'antiquité à nos jours, démontrent10.
114 HIERET DEMAIN.PENSEESBREVES.
que la surpopulation fut toujours une cause de guerresd'extermination et de conquêtes.
Darwin a insisté sur cette loi générale ne souffrant pas,dit-il, d'exception: lesêtres se reproduisent dans une telle
proportion que les descendants d'un seul couple d'ani~
maux quelconquesenvahiraient rapidement le monde s'ils
n'étaient pas régulièrement détruits en partie à chaque
génération.Lesêtreshumainssubissantcette loi sont obligés
quand ils se multiplient trop ou de se détruire réciproque*
ment, ou d'envahir les pays voisins.
<•>
La qualité de la population représente un facteur de
progrèsfort supérieur à sa quantité. S'il en était autrement
les pays du monde les plus peuplés, tels que la Russie
et la Chine, au lieu de, rester demi-barbares, seraient
à la tête de la civilisation.
Dans les civilisations de type industriel le succèsappar-tient forcément aux peuplesnon lesplus nombreux,mais les
plus travailleurs, les plus disciplinés, les plus capables
d'efforts collectifs, s'ils possèdenten même tempsassez de
fer et de houille.
HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES. 115
Un grand pays sans charbon n'a pas inlérêl à voir sa
population s'accrcîlre. L'Italie, dépourvue de houille,na pu devenir industrielle et semble destinée à rester
pauvre.
LIVRE V
Facteurs psychologiques
de la Puissance des Peuples
CHAPITRE PREMIER
Rôle de certaines qualités secondaires
dans la vie des peuples.
Des qualités inutilisablesà certaines périodesde la civili-
sation déterminent la prospérité d'un peuple quand de
nouvellesconditions d'existencepermettent leur utilisation,
+<•>
Les supériorités littéraires, artistiques et intellectuelles
furent dans certaines civilisations, cellesdesanciensGrecs
et des Italiens de la Renaissance,par exemple,des éléments
de grandeur. La patience, la ténacité, l'obéissance aux
règlements et autres qualités jadis tenues pour médiocres
constituent dans la civilisations à forme industrielle des
conditions de succès.
L'âge moderne,avec sa techniquecompliquéeet sa division
du travail, exige des qualités de patience, de vigilante
attention, de minutie, d'effort soutenu et de solidarité
que des races individualistes à intelligence vive ne
pratiqueront jamais facilement.
<;>
120 HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES.
Le sentiment de la continuité est pour un peupleun e'/e-
ment de stabilité très lent à acquérir et sans lequel il ne
saurait, cependant, ni durer ni grandir.
$>
La force despeuplesmodernesdépend de moinsen moins
de leursgouvernants.Elle se composesurtout d'une addition
de millions de petits efforts individuels. Un pays devient
grand lorsque tous ses citoyens travaillent à sa grandeur.
Son déclin est rapide quand il abandonne à l'Etat les
initiatives et les responsabilités.
<•>
Les succèsd'un peuple sont dus aujourd'hui moins à la
valeur de sesgouvernants, ou mêmede ses élites, qu'à cer-
taines qualités secondaires possédéespar la majorité des
citoyens.
Lessupérioritésindividuellespeuventparfois se remplacer
par de modestes qualités collectives. Avec des poussièresd'individualités médiocresles Allemands ont su faire des
agrégats très forts.<».
La puissance d'un peuple exige des qualités communes
à la grande majorité de ce peuple. La supériorité des
éliiesne suffit pas à déterminer sa grandeur.
CHAPITRE II
La volonté et l'effort.
La bataille de la Marne, qui sauva Paris de la destruc-
tion et représente le plus important événementde notre vie
nationale,e%tun mémorableexempledu rôle dominateur de
la volontédes hommessur les prétenduesfatalités de l'his-
toire.
Une des plus fécondes découvertes de la psychologiemoderne est d'avoir montré que notre activité consciente
constituela manifestation superficielled'une activité incons-
ciente beaucoupplus importante.
$>
La volontépeut être conscienteou inconsciente.Dans la
v'
~té inconscientela décisionarrive toute formée dans le
champ de la conscience.La volontéconscienteest au con-
traire précédéed'une délibération et par conséquentd'une
évaluation des motifs.<£
La décisionvolontaire la plus réfléchiecontient presque
toujours une part de volonté inconscienteayant contribuéII
122 HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES.
sinon à la faire naître, du moins à la fortifier. Quand le
président des Etats-Unis déclara la guerre à l'Allemagneil est probableque dans la balance des motifs où se pèsentnosdécisionsvinrent inconsciemmentagir des facteurs tels
que l'utilité d'une armée en cas de conflit avec le Mexiqueeu le Japon, l'importance prépondérante du rôle à prendre
pour les Etats-Unis dans les affaires du monde, etc. De
ce bloc de motifs la décisionbelliqueusefinit par jaillir.
S'il existe parfois une grande divergenceentre les actes
d'un hommeet ses propos, c'est que la volonté inconsciente
peut différernettementde la volontéconscientecrééepar des
influences superficielles.On le vit au début de la guerre
quand pacifistes et socialistesagirent d'une façon si opposéeà leurs drc>.rines.
<»
La volonté inconscientecrééepar les aïeux, puis fortifiée
par l'éducationet les influencesdu milieu,dirige les actes.
La volontéconscientedirige surtout lesdiscours.
La place de l'hommedans la vie est marquéenon par ce
qu'il sait, mais par ce qu'il veut et ce quil peut.
<£
Les événementsdominent les volontés faibles. Ils sont
dominéspar les volontésfortes.
<•>
HIERET DEMAIN'.PENSÉESBRÈVES. 123
Pour progresser, il ne suffit pas de vouloir agir, il fautd'abord savoir dans quelsensagir.
$>.
La clairvoyanceest plus rare encoreque la volonté.
$>.
La guerre a réveilléen France les vieillesénergies.Notre
situation économiquedans le monde dépendra de la conti-
nuité de nos effortspendant la paix:
L'hommed'action est un constructeurou un destructeur,suivant la directionde sesefforts.
$>.
Le progrèsnaît de la continuitéde l'effort ; la décadence,du repos.
«$
Le seul moyend'obtenir la continuité de l'effort est de
transformerc:t effort en habitude par une éducation con-
venable. Ce n'est pas à l'instruction livresque qu'un tel
résultat p?ut être demandé.
<•>
L'effort continu est un véritable créateur de miracles.Grâce à lui, un pays aussi p:u militariste que l'An-
gleterre créa une armée de 4 millions de combattants et
transforma toutessesconditionsd'existence.
124 HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES.
<$>
Dans les guerres modernes où les grandes manoeuvres
sont rares, l'intelligence organise la préparation, mais la
continuité d'effort des combattants est une condition
principale de succès.
«>
L'évolution prochaine du monde conduira les peuples à
compterun peu sur leurs alliances, mais beaucoupplus sur
leurs propres efforts. Aya^t expérimentalementappris la
faible valeur du droit sans force, ils devront acquérir la
puissancenécessairepour ne jamais devenir des vaincus.
:•>
L'inaction morne de certains hommes rebelles à tout
effort ne diffère pas sensiblementdu reposde la tombe.Ces
morts vivants n'ont de la vie que l'apparence
CHAPITRE III
L'adaptation
La loi de l'adaptation régit tous les êtres. Se transformeren s adaptant ou disparaître est une nécessitéuniverselle.
De même que chaque variation de climat entraine une
transformation profonde de la faune et de la flore, tout
changementéconomique,religieux, politique ou social néces-
site une adaptation nouvelle de la mentalité des peuplessoumis à scn action.
«>..
La contagion mentale est un puissant agent dadapta-tion. On se plie inconsciemmentaux modifications accep-tées par ientcurage. Le difficile est de trouver ceux quidonneront l'exemple.
«>
La vie mentale est conditionnée par deux influences
prépondérantes, celle des milieux passés, dont l'hérédité
entretient l'empreinte, et celle des milieux présents qui
transforment graduellement les êtres. Ces deux influences11.
126 HIERET DEMAIN.PENSEESBRÈVES.
sont indispensables,mais tout progrès est impossiblesi la
puissancede l'une paralyse celle de l'autre.
La stabilité de l'âme d'un peuple, qui fait 'sa forcedans la vie normale, l'entrave aux époques oii une
adaptation rapide est nécessaire. Ce fut le cas de
l'Angleterre qui mit plus d'une année, après la déclaration
de guerre, pour s'adapter à des conditions d'existence
entièrement nouvelles.
L'adaptation rapide est toujours pénibleparce que, si
l'homme transforme avec peine ses manières de vivre, il
changeplus difficilementencore ses façons de penser.
O».
Un peuple décline dès que son armature sociale est
trop rigide pour se plier à des conditions nouvellesd'existence. Une des causes les plus fréquentes de lachute des grands empiresfut celte inaptitude à s'adapteraux nécessités imprévues que les circonstances faisaientnaître.
<&
Chaque peuple ne peut absorber qu'une quantité limitéede civilisation.
<$>
Un des plus grands dangers menaçant une société
est de contenir beaucoup d'individus restés à des phases
HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES. 127
dévolution inférieure et par conséquentmal adaptés à
l'étal actuel de cette société.
<&
L'âge moderne va devenir de plus en plus impitoyableaux inadaptés. Les nécessités nouvelles élimineront vite
ces survivants d'époques disparues.
CHAPITRE IV
L'éducation.
Les hommesse conduisantbeaucoupplus avec leur carac-
tère qu'avec leur intelligence,le but de iéducation devrait
être de dresser le caractère. Les Allemands connaissent
cette vérité, notre Universitésemblait l'ignorer tout à fait.
$>
L'éducation pourrait inculquerà l'élève l'esprit de corpsen l'intéressant aux succèsde sa classe autant qu'à ses
propres succès. Il comprendrait alors que mieux vaut
s'associeravec ses rivaux que les combattre. Très méconnu
en France, ce principe constitue un des élémentsde la
puissance industrielle allemande.
L'éducation technique,la disciplinede l'école puis de la
caserne et l'aptitude à l'effort collectif rendent facileaux Germains l'exécutionminutieusedu travail commandé.
Ce n'est pas le maître d'école, mais le technicien qui
permit l'expansion industriellede l'Allemagne.
<?
HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES. 129
Un savant professeur a parfaitement résumé iétat de
notre éducation techniqueen écrivant : «La guerre nous a
forcés de créer en quelques mois un outillage chimique
formidable, alors que nous nous refusions à perfectionner
en temps de paix un matériel rudimentaire qui nous faisait
prendre en pitié par nos concurrents.»
<3>*»
On saisit l'utilité de l'éducation technique à ne con-
sidérer même que l'enseignement agricole. Les spécialistes
affument que si nous obtenions en céréales le même ren-
dement à l'hectare que les Allemands, dont le sol est
pourtant inférieur à celui de ' la France, notre richesse
annuelle serait accrue de deux milliards.
<$>
En France l'agriculture reste une des professions les
moins considérées, alors quelle exige des connaissances
plus variées que la plupart des autres. «L'homme sachant
bien diriger une ferme serait capable de gouverner l'empire
des Indes », disait un ministre anglais.
<$>
La réforme de l'enseignementindustriel et commercial,
jugée d'une utilité absolueen Angleterre, serait encoreplus
nécessaire en France, mais elle s'y heurtera longtemps à
l'cpposilion d'une Université qui prétend tout diriger bien
que rebelle à tous les changements.
+<•>
130 HIERET DEMAIN.PENSEESBREVES.
Le fouetà l'école,le bâton à la caserne,rendent lesGer-
mainscapablesd'obéir sans discussionaux ordres de leurs
chef<.L'énergie développée pendant la guerre par des
peuples chez lesquelsces procédés sont inconnusprouve
que l'âme humaine peut être disciplinéepar des méthodes
moins serviles...$>
Un ministrede la Guerreprussienaffirmait, au coursdu
présentconflit,quela préparation militaire de la jeunesseà
l'écoledoit avoir pour but non seulementde la rendreplus
forte, «mais aussi de mettre unfrein à l'esprit d'indépen-dance personnelleet d'initiative qui menacede dégénéreren un subjectivismedissolvantdont périssent les démocra-
ties ». Ces principesne sont utiles que pour former des
soldatsprêts à se sacrifier aux ambitionsd'un souverain.
Si l'égalité démocratique est réalisable, elle le sera
seulementpar un systèmed'éducation utilisant les capa-cités spécialesde chaque être et non par des institutions
politiques.$>
Une des forces de l'éducation allemande est de savoir
tirer parti, grâce à des enseignementsvariés, des aptitudes
différencesde chaque élève. Une cause de faiblesse dam
l'éducationlatine est son enseignementidentique appliquéà desmentalitésdissemblables.
HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES. 131
L'éducation ne devrait pas avoir pour but la récitation
de manuels, mais la création d'habitudes de pensée et de
caractère. L'enseignement purement mnémonique de nos
Universités développe peu l'intelligence et nullement le
caractère. Professeurs,parents et élèvesne l'ont pas encore
compris.<»..
Aucune amélioration possiblede l'éducation en France
si elle continue à êtie dirigée par des universitaires ne
connaissant le monde qu'à travers leurs livres.
$>
Une éducation purement intellectuelledevient vite une
causede décadence.
Les théories livresquesne fournissent qu'une conception
déformée de l'univers, sans rapport avec les enseignementsde l'expérience.
+<•>
Les Anglais considèrent avec raison que certains jeuxscolaires préparent très utilement à la vie. Une équipe
sportive implique en effet: association, hiérarchie, disci-
pline, qualités indispensables à une société qui veut
prospérer.<•>
Une des réformesfutures lesplus nécessairessera d'incul-
quer à tous les jeunes Français le respect de la discipline.Elle était devenue nulle dans la famille, nulle à l'école,
132 HIERET DEMAIN.PENSEESBRÈVES.
nulle dans les administrations, nulle dans les arsenaux,nulle enfin partout.
L'homme ne sachant pas se dominer lui-même y esi
contraint par les lois, mais cette discipline imposéene
vaut jamais la discipline interne que peut donner iédu-
cation.
La réformede l'éducation constituera la tâche la plus
urgente après la guerre. Bien que des esprits éclairés aient
inutilement tenté de modifier notre Université, il ne faut
plus désespérerd'y réussir en songeant que les grandes
catastrophessont génératrices de réformesque tous lesdis-
coursdu tempsde paix ne pouvaientobtenir.
$
Une éducation capable d'accroître le jugement et la
Volontéest parfaite, quellesque soient les chosesenseignées.Avec ces seulesqualités, l'hommesait orienter sa destinée.
Mieux vaut comprendrequ'apprendre.
CHAPITRE V
La morale.
Parmi les causesde la force d'un peuplefigure au pre-mier rang le degré de sa moralité. Lorsque la Russiese
trouva sans munitionsni vivres, par la faute d'une sériede
ministres,degénérauxet de bureaucratesprévaricateurs,elle
comprit nettement le rôle de la morale dans la vie des
nation*.
La morale d'un peuple est l'oeuvre de son passé. Le
présentcrée lesvertusde l'avenir. Nous vivonsde la morale
de nospèreset nosfils vivront de la nôtre.
<•>
Toute règlemorale est d'abord une gêne, une contrainte
qu'il faut imposer.La répétition seuleen fait une habitude
facilement acceptable'.
<•>
Une moralité commerciale élevée donneà un peuplela supériorité sur des rivaux n'atteignant pas le même
degréde moralité. Quand un éditeur, par exemple, ms-
crit sur la couvertured'un guide ancien une date récente12
134 HIERET DEMAIN.PENSEESBREVES.
pour tremper l'acheteur, ou qu'un fabricant répuiéd'objec-
tifs met sa marque sur un instrument médiocre, ils ne
font que favoriser les concurrents étrangers tenant à
jour leursguides et vérifiant leurs instruments.
La guerre actuelle aura contribué à prouver que, mên\een politique, l'honnêteté est utile. L'Allemagnesait aujour-d'hui ce que lui coûta la violation de ses engagementsà
l'égard de la Belgique. Les ministres russes qui trahirentleur patrie et occasionnèrent les désastres d'où sortit la
révolution durent faire dans leurs cachots de sérieuses
réflexionssur les avantages de la probité.
++<•>«•
On ci'.cra pendant Icngtempscommepreuve de l'inintel-
ligencec/es/. ules lessocialistesrussescomplotantd'abandon-ner les Alliés, entrés en guerre uniquementpour défendrela Russie, scru comprendreque de telsprojets déshonoraient
leur pays et engendraient à son égard une méfiance quil'empêcherait à l'avenir de trouver des ciliés.
<•>
L'honnêteté raisonnéeest de la sagesse,mais du fait seul
qu'on la raisonne elle tend à ne plus être de l'honnêteté.
Un des plus sûrs résultais des manoeuvres diploma-
tiques allemandes fut de provoquer une méfianceuniver-selle.L'Allemagne a détruit dans le mondetoute confiance
HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES. 135
en ses discours. Elle souffrira longtempsde cette défiancedésormaisindestructible.
En méprisant, au nom de leurs théories philosophiques,toutes les lois morales pendant la guerre, les Allemands
auront involontairement contribué à la création d'une
morale internationale. Réunispour se défendre, les peuple?ont tellement insisté sur les principes pour lesquels ils
luttaient que ceux-ci, jadis un peu vagues, finiront pars'incruster dans les âmes et inspirer un respect si universel
qu'on ne sera plus les violer.
>»
Suivant lesphilosophesallemands, la morale qui règleles
rapports entre individus ne s'applique pas aux Etats. En
leur qualité de souverainsabsolus,le*gouvernementsne sont
liéspar aucun traité. On ne pourra évidemment attacher
qu'une confiancebien limitée aux futurs contrats faits avec
un pays professant de pareilles doctrines.
CHAPITRE VI
L'organisation et la compétence.
L'organisation résulte simplement de l'application des
principes dominant toutes les sciences: dissocier les élé-
ments générateurs d'un phénomène,les étudier séparémentet rechercherl'influencede chacun d'eux. Pareille méthode
impliquedivision du travail, compétenceet discipline.
D'Alexandre à Auguste et à Napoléon tous les esprits
supérieurs furent de grands organisateurs. Aucun d'eux
n'ignora qu'organiserne consistepas seulementà créer des
règlements,mais aussi à lesfaire exécuter.Dans cette exé-
cutiongît la principale difficultéde l'organisation.
<$>
Pas d'organisationpossiblesi chaqueindividuet chaquechose n'occupentpas leur vraie place. L'application de
cette élémentaire vérité demande malheureusement une
clairvoyanceassez rare chez certainspeuples.
HIERET DEMAIN.PENSEESBRÈVES. 137
La valeur d'une organisation quelconquedépend du chef
placé à sa tête. Les collectivités, aptes à exécuter, sont
incapablesde diriger et moinsencorede créer.
<•>
Appliquées à l'organisation d'oeuvres de prévoyance
sociale, d'assurances, de retraites et d'éducation techniqueleshabitudes de travail collectif et de discipline rendirent
d'immensesservices aux Allemands. Leur organisation de
l'apprentissage, par exemple, empêcha chez eux la crise
de la main-d'oeuvre si menaçante en France.
•»<$>
L'absence de coordination des services semble le plusirréductibledéfaut des administrations latines. Des géné-rations de ministres ont vainement tenté d'y remédier.
Ce défaut sévissait à tel point qu'à Paris une rue était
dépavée et repavée trois à quatre fois dans le mêmemois,
parce que les servicesdu gaz, de l'eau et de l'électricité ne
parvenaient pas à s'entendre pour faire en une :eule
fois cette opération. Pendant la guerre on vit des délé-
gués officiels,envoyés en Amérique par deux ministères
différents,se faire concurrence pour acheter les mêmes
chevaux que, faute d'entente préalable, ils payaient quatre
fois plus cher.
Multiplier les contrôles dans un service public c'est
éparpiller tellement les responsabilitésqu'ellesfinissent par12.
138 HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES.
disparaître. Ce qui est contrôlé par trop de personnesn'est
jamais bien contrôlé.
La faible valeur de l'organisation des services publicsdans certains pays ne tient pas seulement à l'indifférencedes employéset à leur peur des responsabilités,mais à cequela faveur remplace souvent la compétence.
Les Américains semblent avoir très bien saisi tous les
secrets de l'organisation. Leur grand ingénieur Taylor amontré que dans la plupart des travaux d'usine on peut,en éliminant méthodiquementles efforts inutiles, obtenir lesmêmes résultats avec beaucoupmoinsde fatigue. Quantitéd'usines, même allemandes, sont maintenant organiséesd'après ce principe.
<£>«
La nécessité devient vite un puissant fadeur d'organi-sation. Il est douteux que l'esprit de méthode réputédes Allemands soit supérieur à celui qui permit aux An-
glais de former en deux ans une armée de 4 millionsd'hommesavec ses officiers,sesmunitionset tout le matériel
compliquédes guerres modernes. ,
Une des causesde notre faiblesseéconomiqueet gouverne-mentale tient à ce que les industriels étaient mis cheznous à l'écart du gouvernement ou traités en suspects.Les nécessités de [la guerre ayant rendu leur concours
HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES. 139
indispensable, on dut constater que des problèmes fort
complexes furent, grâce à eux, facilement résolus. S'ils
n'agirent pas toujours assez vite, c'est que la redou-
table incompétencedes bureaux entrava constamment leur
action.<8>».
L'interview de l'administrateur général des vivres en
Amérique serait utilement affichée dans certains bureaux
dont l'organisation fut si défectueusependant la guerre.«Les vivresn'ont pas besoin,disail-il, d'une dictature, mais
d'une sageadministration. Je conçois,pour moi,cette admi -
nistration non dans des décrets draconiens ou des inquisi-tions arbitraires, mais dans une harmonieuseentente et une
intelligente coopération des trois grands groupes intéressés:
producteurs, distributeurs, consommateurs.Mes conseillers
seront pris exclusivementparmi ces trois groupes et non
parmi les théoriciensou les bureaucrates. »Quel abîmeentre
la mentalité qui a dicté ces lignes et celle de nos gouver-nants l
<&»
La Russie a constaté expérimentalementque l'organisa-tion même médiocre d'un grand pays est fort longue àétablir et ne s'improvise pas. Cette organisation n'ac-
quiert de valeur qu'après avoir été fixée dans les âmes.
<•>
L'excès d'organisation ne semblepas toujours favorableau progrès. La méticuleuse organisation de la Chine finit
140 HIERET DEMAIN.CENSEESBREVES.
par paralyser toutesles initiatives et la conduisità un état
de décrépitudedont ellene peut sortir.
Un pays gouvernépar l'opinion ne saurait l'être par la
compétence.<•>
Le nombrepeut créer l'autorité, mais non la compétence.
Une desgrandes supérioritésde l'industrie sur les admi'
nistrationspubliquesest que la compétences'y voit préféréeà la hiérarchie et surtout à la faveur.
<•>
La compétencesans autorité est aussi impuissantequel'autorité sans compétence.
La compétencedevient inefficacedès quelle est sous les
ordresde l'incompétence.
CHAPITRE VII
La cohésion sociale et la solidarité.
Les armes ne suffisentpas à constituer la puissanced'un
peuple. Elle réside surtout dans la cohésionmentale créée
par l'acquisitionde sentimentscommuns,d'intérêts communs,
de croyances communes.Tant que ces éléments ne sont
pas stabiliséspar l'hérédité, l'existence d'une nation reste
éphémèreet à la mercide tousles hasards.
Mêmeinvisible,l'influencede l'ordre socialpèsed'un poidsénormesur notre vie journalière. Elle oriente nos penséeset nos actes beaucoupplus que tous les raisonnements.
Une société se maintient par l'équilibre des intérêts de
ses membres.Quand cet équilibreest rompu, les appétits et
leshaines,contenusgrâceaux freins sociauxlentementédifiés,se déchaînentlibrement.Le pouvoir change alors sans cesse
de mains et l'anarchie dure jusqu'au jour où une autorité
for te,apte à rétablir l'ordre, est universellementréclamée.
><•>
142 HIERET"DEMAIN.PENSÉESBREVES.
A défaut de communauté ethnique, la foi en un même
idéal religieux,politiqueou social,peut créer chez un peuplel'identité de penséeset de conduite nécessaireau maintien
de son existence.+<$>
L'union des partis politiques est indispensableà un pays
pour lutter contre ses ennemis.Si les dissensions qui nous
avaient conduits au bord de l'abîme renaissaient aprèsla guerre, la France se verrait menacéed'une irrémédiable
décadence.*<$>«•
// ne serait pas inutile de rappeler par une inscription
gravée dans l'enceinte des parlements que les peuples
n'ayant pas su, commejadis les Grecs et plus tard les
Polonais, renoncerà leurs luttes intestines,finirent par la
servitude et perdirent jusqu'au droit d'avoir une histoire.
$
Un parti politique tenant à être utile s'attacherait à
prouver aux foules que la fusion des classesdoit remplacerleurs rivalités. Vainement tentée pendant longtemps,cette
fusion deviendra pput-être possibleavec la démonstration
pratique desbienfaits de l'association.
<$>
Aux rapports impersonnelset froids des diversesclasses
sociales, la vie des tranchées aura substitué des relations
HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES. 143
cordiales et une discipline sans raideur. Quand les
hommes se connaissent, ils constatent vite quils s'éga~
lisent sur beaucoupde points et que lesdifférencesd'origine
livresquesont sans importance.
<$>
Lesémotions collectivesrésultant d'une guerre prolongée
rapprochent les hommesqui les ont ressenties en commun.
Elles créent entre eux une solidarité susceptible de sur-
vivre à la disparition de ces émotions.
<•>
Les peuplesdont la solidarité n'aura pas été définitive'
ment fixée par la guerre verront sûrement succéder aux
luttes militaires les batailles socialistes,les batailles êco-
nomiques et bien d'autres encore.
<$>
La solidarité fondée sur l'intérêt possède une base
solide.Celle appuyée sur la fraternité ou la charité fut tou-
jours fragile. C'est aux groupements d'intérêts similaires
que l'Allemagne doit beaucoupde ses[progrèséconomiques.
Les transformations socialesutile', pe dériveront pas des
théories socialistes actuelles, mais dune solidarité sans
dogme qui se préoccupera surtnut d'améliorer Inexistencede chacun par une éducation mieux adaptée aux besoins
nouveaux et par des formes diverses d'association.
144 HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES.
Si le mot solidarité arrivait à remplacerceluide socia'
lismeun grand progrès serait réalisé, car la puissancedes
motsestgénéralementsupérieureà celledesdoctrines.
Inutile de prêcher aux homm-jsqu'ils sont frères, chacun
sachant bien que ce n'est pas vrai. Plus inutile encorede
les exhorter à des luttes de classes.Elles sontcréatricesde
ruines réciproques.Il faut simplementleur prouver qu'ilsont intérêt à s'aider en associantleursefforts. I
CHAPITRE VIII.
Les révolutions et l'anarchie.
Les révolutions lesplus difficilessont cellesdes habitudes
et despensées.+*$**
De toutes les révolutions, la plus profonde, peut-être, fut
celle réaliséepar l'Angleterre lorsque, contrairement tà ses
traditions séculaires, elle accepta, pendant la guerre,
de remettre tous les pouvoirs entre les mains de l'Etat
et lui accorda un droit absolu sur la vie et la fortune
des citoyens. Ce bouelversement national s'effectua sans
désordre, parce qu'il fut l'oeuvre de tous les partis et non
d'un seul commeles réaolutions antérieures.
Provoquer une {évolution est toujours facile, la pro-
longer difficile. ,
Renverser un autocrate nest nullement supprimer le
régime autocratique. Des milliers de sous-autocrates irres-
ponsables, nécessaires à l'administration d'un pays, con-13
146 HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES.
tinuent en effet à détenir le pouvoir réel. Le régimepeut
changer de nom, mais ils restent les vrais maîtres.
»<$> %
Une révolution brusque ne fait que substituer un nou-
vel arbitraire à l'ancien.
$>
Les barrières sociales que les révolutions renversent se
relèvent tôt ou tard, car les peuples ne peuvent subsister
sans leur pouvoir {imitateur, mais elles ne se relèvent gêné'
ralement pas à la mêmeplace.
*<•>
// est parfois plus facile à un peuple de supporter ses
maux que les remèdes employéspour les guérir.
<£>
Dans un pays divisé en classes possédant des intérêts
contraires, une révolution peut se faire pacifiquement,mais
il est bien rare quelle reste longtempspacifique.
«•<£
Une révolution, à ses débuts, ne se gouverne pas plus
qu'une avalanche pendant sa chute.
<$>
La contagion mentale est le plus sur facteur de pro-
pagation d'une révolution.
<$>
HIERET DEMAIN.PENSEESBREVES. 147
Le plus grave danger menaçant une assemblée révolu-
lionnaire n'est pus dans les réactions qui se font à sa
droite, mais dans lessurenchèressurgissantà sa gauche.
<£
Une révolution accompliepar des foules ne suit d'autre
direction que les impulsionsmobileset désordonnéesde ces
foules. De tels mouvementsont une grande force, mais ils
sont sans durée et engendrent fatalement l'anarchie.
<$>
Les révolutionnaires russes ont oublié de méditer ce
mot de Napoléon : l'anarchie ramène toujours au pouvoirabsolu.
<£
Les révolutions qui commencent se meuvent dans une
atmosphère d'illusions et de surenchèresgénératrices d'un
désordre social d'où, finalement, les restaurations surgis-sent.
;•>
Parmi les causesde révolutionsfigure la perte de la foi
générale dans la valeur des conceptionsanciennesdirigeantla vie sociale. L'anarchie qui en résulte est alors une
recherche inquiète de vérités nouvelles capablesd'orienter
un peuple.<$>
C'est pendant la période de triomphed'une révolution,
lorsque, les liens sociaux étant rompus, chacun suit ses
148 HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES.
impulsions,qu'apparaît le mieux le rôle indispensablejouédans les sociétéspar la disciplineet la cohésion.
»<$>
Les historiens jugeant les événements révolutionnaires
leur attribuent souvent des causes bien étrangères à leurs
originesréelles.Quand, au début de la révolutionrusse, les
soldats abandonnèrent les tranchées, ce ne fut pas au nom
de principes incompréhensiblespour eux, mais simplement
afin de participer au partage des terres promis par les
socialistes.v <•>
Un des plus effrayants résultats de la révolution russe
fut d: transformer par la destruction des cohésionssociales
une armée de plusieurs millions d'hommes parfaitement
aguerris la veille, en un troupeau sans âme fuyant devant
la moindre attaque.
Les ennemisdu dedans rendent une nation impuissantecontre les ennemis du dehors.
<$>
Certaines révolutions, telles que la révolution fusse,détruisenten quelquesmoisl'oeuvred'agrégationréaliséepardes sièclesd'efforts.
La clairvoyanceest rare chez les révolutionnaires.Dès
leurs premiers triomphes ceux de la Russie poursuivirent
HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES. 149
trois buts égalementfunestes à l'avenir de leur pays: 1° une
paix immédiate et par conséquentl'abandon des Alliés quis'étaient engagésdans la guerre pour eux; 2° la promessedu partage des terres qui créera des luttes permanentes sur
tous les points du territoire ; 3° la séparation desdiversesnationalités de la Russie qui entraînera la destruc-
tion de l'immenseempire.
Après la séparation de l'Ukraine, grande province de
30 millions d'hommes très fertile et très riche, puis de la
Finlande et de la Lithuanie, la Russie restera encorele plusvaste des empires, mais il en sera aussi le plus pauvre et
se verra entouré de provinces hostiles, toujours en lutte.
La révolution russea simplementsubstituéà un rigoureux
régime un régime plus dur encore. Elle a de nouveau
montré que les peuples ont les gouvernementsqu'ils méri-
tent.<{>
Aucune analogie à établir entre la Révolution françaiseet la révolution russe. La première fut faite par des bour-
geois instruits, la seconde par des ouvriers et des paysansillettrés dont le niveau mental ne dépasse guère celui des
anciensScythes.
Pour la majorité des ouvriers russes une révolution se13.
150 HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES.
résume en cette notion : personnene commande,chacun
fait ce qu'il veut.
Tant que les idéesde l'Allemagne resteront inchangées,
l'Europeseramenacéedeguerresfréquentes.Mais l'artificiel
empiregermaniquereprésentantun état féodal superposéà
un état industriel, les Allemandseux-mêmescomprendrontunjour l'incompatibilitéde cesdeux régimes.Il en résultera
nécessairementune de ces révolutionsde pensées,toujours
génératricesde révolutionspolitiquesprofondes.
Quoique les grandes révolutions soient aisément pré-dites, il nest guère d'exemplesque leurs plus importantes
conséquencesaient été pressenties.
<$>
Vanarchie estpartout quand la responsabiliténest nulle
part.
LIVRE VI
Le Gouvernement moderne
des Peuples
CHAPITRE PREMIER
Les progrès démocratiques.
Grâce à la guerre, l'égalité qui n'existait que dans les
codes finira sans doute par s'introduire un peu dans les
moeurs.<•>
La guerre actuelle aura fait davantage pour la réalisa-
tion des idées démocratiques que des révolutions vio-
lentes.Les hommes soumisaux mêmes dangers ont appris
à se connaître et à constater l'équivalence des capacités
d'ordres différents.
La guerre marquera sans doute le triomphe définitif de
la démocratie dans le monde. Monarques et diplomates ont
trop manqué de clairvoyance pour que les peuples con-
sentent désormais à remettre aveuglément leur destinée
entre leurs mains. Les guerres ne serontpeut-être pas moins
fréquentes, mais elles seront au moins déclarées par ceux
qui en supportent le fardeau.
<•>
La guerre menace toutes les autocraties et cependant
elle a eu pour résultat l'apparition dans lespays en lutte
154 HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES.
de gouvernements autocratiques. Utiles parfois pour les
décisions rapides, ils ont cependant accumulé de telles
erreurs que la nécessité s'imposa de contrôler leur gestion
par des commissionscompétentes.
<$>
Avec l'évolution des temps nouveaux,nul pouvoir absolu
ne sera capable de concilier et coordonner les intérêts
variés et parfois contradictoires des divers groupes sociaux
pour les adapter à l'intérêt général.
La guerre mondiale ayant eu pour résultat d'ébranler
fortement l'autorité des conceptions autocratiques, les
seulesmonarchiespouvant subsisterseront cellesde pays où
le souverain ne gouverne pas et constitue simplement un
symbole de l'unité nationale.
Le passage de l'autocratie individuelle à l'autocratie
collective sembledevoir être pour beaucoupde peuples une
des conséquencesde la guerre européenne.
Si l'antique loi de l'offre et de la demande continue à
régir le monde, il est probablequ'après la guerre lesouvriers
verront leur situation grandir énormément,en raison de la
rareté de la main-d'oeuvre,devant les nouveaux besoinsde
l'industrie.>$>
HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES. 155
Avec un peu d'ordre el la fermeture des cabarets, la
classeouvrière arrivera vite à constituer une nouvellebour-
geoisie.La partie moyennede l'ancienne bourgeoisie: ma'
gistrats, fonctionnaires, professeurs, etc., a beaucoup de
chances,au contraire, de former bientôt une catégorie de
prolétaires qui alimenteront peut-être l'armée socialiste
abandonnéepar la ouvriers satisfaits de leur sort.
Un grand progrèssera réaliséquand les électeursdespays
démocratiqueséliront pour les représenter, au lieud'avocats
ou d'hommes confinés dans les livres, des industriels, des
agriculteurs, des commerçantsconnaissant les réalités de
la vie.
Le véritable progrès démocratique n'est pas d'abaisser
l'élite au niveau de la foule, mais d'élever la foule vers
l'élite.
CHAPITRE II
L'étatisme allemand et l'éfatisme latin.
Létatisme et sa forme ultime, le collectivisme, tendaient,avant la guerre* à devenir la religion nationale des peupleslatins. Héritier du pouvoir de la Providence et de celui des
rois, l'État constituait pour eux une entité mystique toujours
critiquée, mais sans cesse invoquée par des citoyens lui
réclamant surtout la satisfaction de leurs exigences per-sonnelles.
Le libéralisme respectueux de toutes les opinions et l'éta-
tisme n'admettant que la sienne semblent de plus en plusinconciliables.Les progrès de létalisme feraient disparaîtretoute trace de liberté par l'établissement d'une cçnsure'per-manente des écrits, des actes et des pensées.
L'histoire de la politique en Francedepuis trente ans estcelle des conquêtes du socialisme étatiste. A défaut du
nombre, il avait l'audace et le nombre cède toujours àl'audace. Ses surenchères démagogiques et «s menaces
HIERET DEMAIN.PENSEESBRÈVES. 157
conduisirent le pays à l'extrême bord de l'abîmeoù, sans la
guerre, il eût probablementsombré,
«>..
Les résultats si différentsobtenuspar l'étalisme en France
et en Allemagne contribuent à montrer non seulement queles effets des institutions dépendent de la mentalité des
peuples qui les adoptent, mais encore que les mêmesmots
peuvent désigner,d'un pays à l'autre, des chosesbien diffé-rentes.
L'étalisme allemand est une institution surtout mili-
taire. Sortant peu de son domaine,il laisseaux industriels
leur liberté d'action. L'étatisme latin, au contraire, prétendtout gérer et tout diriger. Quand il n'absorbepas les entre-
prises industrielles, il les traite en ennemies et les
accable de règlementsvexatoires paralysant leur essor.
<3>**
L'étatisme germanique est un facteur des immenses
progrès économiquesde l'Allemagne, alors que l'étatisme
latin fut une des causes les plus sûres de notre décadence
industrielle.
Lorsqu'un Etat prétend tout diriger et tout absorber, il se
trouve bientôt en présence d'intérêts collectifs inconci-
liables, qui limitent son action. Son impuissance se résout
alors en anarchie.14
158 HIERKTDEMAIN.PENSÉESBRÈVES.
.<»
Dans les pays où l'étatisme latin domine, la gestion
suprêmedes affaires sembledévolue à des ministres. En
fait, elle appartient à une légion de commisirrespon-sables.Les ministres,peu écoutés,en raison de leur incom-
pétence,de la faible durée de leurs fondions et de l'in-
disciplinegénérale, n'exercent qu'une autorité illusoire.
<•>«-
Tout individu travaillant à une oeuvre collective au
succèsde laquelle il n'est pas intéressé fournit un faiblerendement.De ce principe psychologique,si méconnudes
socialistes, résulte que les entreprises gérées par l'Etal
coûtentcher et rapportent peu.
$>
Une des forces de l'industrie américaine est de se passerdesinterventionsde l'Etat. La faiblesse de la nôtre est due
aux entraves étatistes. Si nos conceptionsne changentpas,notreindustriesuccomberasousle poidsdes loiset desrègle-ments.
Quand les citoyensne peuvent pas s'entendrepour gérerleursaffoires,il faut bienque la lourde et coûteusemachine
de l'Etat intervienne.
$
Les administrations de l'Etat et celles de l'industrie
privée présentent cette distinction fondamentale que les
premières s'occupent beaucoupplus de la forme que du
IIIF.RET DFMAIN.PENSEESBRÈVES. 159
fond, alors que les secondes dédaignent la forme et ne
s'attachent qu'aux réalités utiles.
<•>
Le mépris des lois économiques,l'incohérence des taxa-
tions et des réquisitions pendant la guerre, la paralysie de
toutes les initiatives par des bureaux tyranniques et incom-
pétents, peuvent faire pressentir dans quelle anarchie tom-
berait un pays asservi définitivement au régime du socia-
lismeélaiiste.
Les renchérissementsconsécutifs aux taxations pendantla guerre ne firent que confirmer d'anciennes expériences.
La Convention avait déjà dû reconnaître que rien ne peut
remplacer l'initiative privée, la liberté du travail et le jeumutuel des échanges.
<&
Décourager la culture du blé par des taxations forçant
l'agriculteur à vendre sa récolte au-dessous du prix de
revient et par conséquentà cesser cette culture, puis tâcher
de la ranimer par des subventions soumisesà l'arbitraire
administratif, constituent deux exemplesmémorables de la
pernicieuseinfluencedes interventions étatistes.
+<•>
Si, après la guerre, les initiatives industrielles, agricoleset commercialessont paralysées par des règlements vexa-
loires résultant d'interventions étatistes, la décadence des
peuples soumis à ce régime est certaine. Il n'y a pas de
160 HIERET DEMAIN.PENSEESBREVES.
progrès sans les initiatives individuelleset ces initiatives
sont impossiblesdès que l'État prétend diriger l'organisme
compliquéde l'industrie et du commerce.
<$>
Le socialismepacifiste, qui avait tant contribué à nos
premières défaitespar l'insuffisante préparation due à la
diffusion de ses doctrines, a repris l'influence perdue au
début de la guerre pour deux motifs : 1° le développement
universel, par suite des nécessitésde la guerre, d'une auto-
cratie étatiste très voisinedu joug rêvé par les socialistes;2° l'affirmation, impressionnantesur l'imagination popu-
laire, que l'on pourrait obtenir la paix au moyen d'un
congrès international socialiste.
<•>
L'étatisme latin est •une forme inférieure de gouver-
nement, ayant eu son utilité commejadis le régimeféodal,mais qui n'en a plus aujourd'hui. En se prolongeant il
aurait pour terme ultime l'égalitédans la servitude,puis la
décadence.<$>
La théorie allemandede l'État souverainabsolun accep-tant d'autre loi que sa Volontéimplique nécessairementla
prépondérance de la force sur le droit. C'est pour justifiercette prédominance que les philosophesallemands ont été
amenés,après avoir divinisé l'État, à identifier le droit et
la force, et à considérerla douceuret l'humanité commedes
marquesd'impuissance. •<•>
HIERET DEMAIN.PENSEESBRÈVES. 161
La conceptionallemande de l'État ne pouvant être lié
par aucun traité est plus asiatique que romaine, plusancienneque moderne.Elle constitueune véritable régres-sion contre laquelle le mondeentier s'est dressé.
<$>
En faisant de l'Etat une divinité souveraine, Hegelet ses successeursformulèrent simplement en termes phi-
losophiques la conception militaire de tous les rois de
Prusse.
Uélalisme et lesocialismesont si voisinsqu'en Allemagne
la majorité des socialistes constitue un parti gouverne-mental.
<•>
// est incontestable qu'en quelques années l'Allemagneavait réussi à se placer à la tête de l'industrie. Mais on
se tromperait fort en attribuant sonsuccèsà des influencesétatistes. Une éducationtechniquesupérieure,une discipline
sévère, la solidarité des diverses industries, l'intervention
de hautes individualités capables de diriger les grandes
entrepriseset surtout la possessionde richesminesde houille
furent lescausesdesprogrèsréalisésen vingt-cinq ans.
<£
Précieuse pour coordonner l'effort d'esprits médiocres,
l'organisation étatiste de l'Allemagne ne saurait favoriser14.
162 HIERET DEMAIN.PENSEESBREVES.
les recherches importantes, oeuvre exclusive des élites.
En perdant son individualisme l'Allemagne a perdu ses
grands savants, ses grands écrivains, ses grands penseurs.
<£
L'étatisme peut être momentanémentunecausedeprogrès
pour la peuples faibles, mais, inévitablement, il engendrela décadence.Quand l'Etat seul penseet agit à la placedes
citoyens, ils deviennent incapablesde penser et d'agir. Les
supériorités individuelles se noient dans une médiocrité
universelle,puis disparaissent.
<î>4*
Les partisans irréductiblesde l'étatisme deviendrontfort
dangereuxaprès la guerre. Ayant vu l'autocratie étatiste
imposéeà tous les peuples pendant le conflit, ils en coti'
cluent à son utilité pendant la paix. De toute évidence,
pourtant, un régimeadapté à une situation anormale n'a
de valeur que pour cette situation.
<$>
Si l'étatisme militaire créé par la guerre se continuait
pendant la paix on peut se demander dans quelleslimites
seraient tolérées l'indépendance de pensée et la liberté
individuelle.De la solution donnée à ce problèmel'avenir
de la civilisation dépend.
L'individualisme moderne a vu se dresser contre lui
deux ennemisredoutables: le socialismeet le germanisme.
HIERET DEMAIN.PENSEESBRÈVES. 163
Si l'humanité finit par préférer l'asservissementcollectif à
la liberté elle entrera dans un âge de définitive régression.
Déterminer les limites respectivesde l'individualisme et
de iétatisme sera un desplus difficilesproblèmesde l'avenir
CHAPITRE III
La religion socialiste.
Le rôle des croyancesn'est pas moins important aujour-
d'hui que dans le passé. Beaucoup d'hommes se croient
dégagés de toute religion,mais l'esprit mystiquelesdomine
toujours. La foi socialiste est une des manifestations de
cet esprit au même titre que le bouddhismeet l'islamisme.
<•>>
Les adeptes de sectes politiques diverses: nihilistes,
francs-maçons,socialistes,etc., sont desêtres religieuxayant
perdu d'anciennes croyances, mais ne pouvant se passer
d'une foi pour orienter leurs pensées.
En enseignant la fraternité universelle et la déchéance
de l'homme,lechristianismea détruit chezlesRomainsl'idée
de patrie et anéanti la civilisation antique. Le triomphe de
l'idéal socialistedésagrégerait aussi le culte de la patrie et,
par la lutte des classes, il engendrerait desguerres civiles
conduisant chaquepatrie à se détruire elle-même.
HIERET DEMAIN.PENSEESBREVES. 165
Les croyances à forme religieuse comme le socialisme
sont inébranlables parce que les arguments restent sans
prise sur une conviction mystique. Le fidèle croit et ne
raisonnepas. t<$>
Tous lesdogmes,lesdogmespolitiquessurtout, s'imposent
généralement par les espérancesquils font naître et non
par les raisonnementsqu'ils invoquent.
Guidés seulement par la raison les pacifistes avaient
de justes motifs pour déclarer la guerre impossible.Ils
oubliaient seulementque les peuples sont orientés par des
forces sur lesquellesla raison est sans prise.
«.<$>
Les historiens ne constateront pas sans étonnementquele catéchismesocialisteallemand n exerça ses ravages chez
lesouvriersfrançais et lespoliticiensqui lessuiventqu'aprèsavoir été pratiquement abandonné en Allemagne.
<£
Malgré leurs divergences de principes, le socialisme
collectiviste et le militarisme conduisent exactement au
mêmerésultat : la servitude.
Plusieurs penseurs ont soutenu que le triomphe du
socialismepouvait amener un retour completà la barbarie.
L'expérience de la Russie montre du moins qu'un peuple
166 HIERET DEMAIN.PENSEESBREVES.
subjuguépar la foi socialiste tombe vite dans un état
d'anarchie qui le rend victime de voisins peu soucieux
d'adopter une foi génératricede pareillesconséquences.
Il n'existe qu'une parenté illusoire entre le socialisme
latin et celui des Américains et des Allemands. Préoc-
cupés surtout de la production des richesses,cesderniers
l'ont favorisée, sachant bien que l'ouvrier en profite tou-
jours. Préoccupés uniquement de la répartition des ri-
chesses,les socialistes français et leurs législateurs n'ont
au contraire cessé, en poursuivant le capital, de le
détourner des entreprises nationales et de l'obliger à se
porter sur les placements étrangers. Ils ont ainsi accentué
notre décadenceéconomique.
La guerre de classes, adoptée par les socialistesfran-
çais après avoir été délaissée par leurs confrères alle-
mands, serait plus meurtrière et plus coûteuseencorequelesguerres entre peuples. Cesdernières ne créent, en effet,
que des ruines provisoires, alors que la première engen-drerait une ruine définitive.
<•>
L'hommene donne tout son rendementques'il est directe-
ment intéresséau succèsde l'oeuvreentreprise. De ce prin-
cipe psychologiquerésulte que l'ouvrier ne louchant pasun salaire proportionnel à ses efforts pour la prospéritéde
HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES. 167
son usine, et l'employé de l'Etat travaillant à prix fixe,
fourniront toujours un rendement médiocre.
<•>
Si le socialismeconsistait simplementà Vouloirl'amélio-
ration du sort d?s multitudes, tout le monde serait socia-
liste, mais les deux points fondamentaux de la doctrine :
la lutte des classes et la suppression du capital, entraîne-
raient la désagrégation des sociétés et leur ruine.
<$>
Jamais le rôle du capital ne s'est révélé aussi important'
que pendant la guerre mondiale. Non seulement la puis-sance d'expansion économiqued'un pays, mais surtout sa
force défensive et par conséquent son indépendance, résul-
tent de sa richesse. Il importe donc de ne plus entraver
son développement comme ne cessent de le faire les légis-lateurs dominés par les influencessocialistes.
<$>+
Les pays où les socialistes auront le pouvoir, non de
détruire le capital, ce qui est impossible,mais de le faire
émigrer, sont vouésà une rapide décadence.
<$>
Le rôle du capital, prépondérant dans la guerre actuelle,le sera plus encoredans lesguerres futures. L'obus du canon
de 75 coûte 60 francs, celui du 305, 2 500 francs. Pour
détruire un canon ennemi à 4 kilomètres il faut tirer
plus de 1000 projectilesdu 155 court. La destruction d'un
168 HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES
canon ennemi valant 10 000 francs, coule plus de
300000 francs avec le 155 et énormémentplus avec des
calibressupérieurs.Les spécialistesauteurs de ces calculs
ont évalué à 25 milliards lesdépensesde l'artillerie depuisle commencementde la guerre.
<•>
->Un pays sans capital est un pays sans défense.
La prodigieuse persistance des illusions socialistes se
trouvebien marquéedans les lignessuivantes d'un savant
écrivain . "La dure épreuve imposéedepuis trois années
au monde n'a rien appris aux socialistes.Ils tournent
obstinémentautour des mêmesformules, par lesquellesils
s'appliquaientjadis à créer les plus dangereusesillusions^
Tout ce qu'ils voient dans cette guerre c'est la possibilité
d'en tirer argument en faveur de cette lutte des classes
socialesqui constituele fond de leur doctrine.»
<$>
Les nations peuvent-ellesprospérer sans concurrences
intérieureset extérieures?Les socialistesrésolventfacile-'
mentceproblème,maisl'expériencene l'a pas résoluencore.
<$>
Vivant dans les théoriesabstraites indépendantes des
lois économiques,les socialistes peuvent promettre aux
foules les paradis dont elles sont avides.Limités par des
HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES. 169
nécessités économiquesinflexibles,les adversaires du so-
cialismene sauraient faire les mêmespromesseset posséder
par conséquentle mêmeprestige.
La plus dangereusedes erreurs socialistes,fut de ne pas
comprendreque la lutte des classesnuit à une productiondont l'ouvrierprofite toujours.Les socialistesallemandsqui
enseignentcette lutte dans leurs livres,y cnt pratiquementrenoncédepuislongtemps.
:•>
Il fallait entièrementignorer les mobilesconduisant les
hommes pour imaginer une société où tous les moyensde production seraient exploitésen commun.Celte concep-tion impliquant pour les peuples une étroite servitude ne
pouvait germer que dans des cerveaux soumis à la rude
disciplinedes casernesgermaniques.
<*>
Vintelligence, le capital et le travail sont les facteursessentielsdu développementindustriel moderne. En lutte
chez les nations que dominent les illusions socialistes,ces
trois élément; ont fini, chez d'autres peuples,par formerune association génératiiceprincipalede leursprogrès.
•»<•><
// est impossiblede dire si le capitalismedisparaîtra dans
l'avenir. On ne peut nier aujourd'hui qu'après avoir trans-15
170 HIERET DEMAIN.PENSEESBRÈVES.
formé le mondeen moinsd'un siècle,il resteVêlementindis-
pensablede sesnouveauxprogrès.
<$>
Pour comprendrela persistance de certaines illusions
socialistesil faut se souvenir que l'absurdité d'un dogmene nuit jamais à sa propagation.
<•>
On saisit la puissancede la religionsocialisteen consta-
tant que, malgré les irréparables désastres quelle faillit
engendrer, ses adeptes n'ont rien perdu de leur foi et
prétendent encore régir les sociétés avec leurs chimères.
La religionsocialistea fait de tels progrèsdans certains
esprits que parler de liberté individuelle, d'initiative, de
limitation des droits de l'Etat, leur semble le langaged'un âge disparu.
<$>
Au point de vue des doctrines socialistes, la guerre
présentedeuxphénomènesd'apparence contradictoire.Elle
a d'abord déterminé l'effondrementdes théories interna-
tionalistesen prouvant que les liens crééspar la race sont
beaucoupplus forts que ceux résultant des intérêts de
profession.D'autre part, le développementde l'ètatisme
allant jusqu'au servage a momentanémentréalisé le plus
chimériquedes rêvessocialistes.
HIERET DEMAIN.PENSEESBREVES. 171
Les convictions mystiques échappant aux atteintes de
la raison et de l'expérience,les socialistesverront seulement
dans la guerre une confirmationde leurs doctrines.
<$>
Les'progrès de la religionsocialiste vétifient'cette loi de
l'histoire que si les peuples changent parfois les ncms de
leursdieux ils ne sauraient sepasser de cesgrands fantômes
pour orienter leur vie.
CHAPITRE IV
Les qualités psychologiques
nécessaires aux gouvernements.
Un chef d'Etat représente aujourd'hui une synthèsede
volontésqu'il peut orienter, maisqui le dominents'il ne sait
pas lesorienter.<$>
De mêmeque le physicien connaissant les forces de la
nature est maître des phénomènes,l'homme d'Etat capablede manier les forces psychologiquesdirigerait à son gréles sentimentset les Volontésdes hommes.
<•>*
L'homme d'Etat habile sait utiliser les illusions dont
beaucoupd'âmes ne peuvent se passer. L'homme d'État
inexpérimentéles persécuteet en est victime.
<3>»t-
L'ignorance de la psychologiedes peuples fut de tout
tempsune source d'erreurs politiques désastreuses.
HIERET DFMAIN.PENSEESBREVES. 173
Les classes dirigeantes sont issues de concours révélantla mémoire,mais non les qualités de jugement et de carac-tère qui font la valeur de l'homme. Aussi les sociétés se
trouvent-elles conduites par des chefs souvent mé-
diocres.
Vivre exclusivement dans les livres empêche de com-
prendre les réalités. C'est pourquoi les gouvernements de
théoricienssont si dangereux pour un pays.
*<•>
Plus un problème politique est difficile, plus on trouve
d'hommesse croyant aptes à le résoudre.
L'absence de clairvoyance et l'irrésolution constituent les
plus habituels défauts des hommespolitiques. Ne sachant
pas diriger les événements, ils se laissent dominer par eux,et subissent tous les hasards,
Parmi les hommespolitiques présidant aux destinées des
peupleson rencontrebeaucoupd'esprits simplistes,persuadés
que les lois naturelles se modifient avec desdécrets. Rares
sont les esprits observateurs ayant le sens des possibilitéset se bornant à orienter la marche des choses sans prétendreen transformer le cours.
15.
174 HIERET DEMAIN.PENSEESBREVES.
Les foules s'imaginent volontiers que leurs.gouvernants
appartiennent à une humanité supérieure infaillible. De là
leurs fureurs dèsqu'une défaillance révèle l'hommederrière
l'idole.
La valeur d'un ministre dépend beaucoup de son
entourage, mais l'art de choisir les hommes est encore
plus difficileque celui de lesgouverner.
<•><•
Tel hommedevenuministreaurait dû être simplecocher
et tel autre, resté cocher, mériterait d'être minisire, disait
Napoléon. Sans doute, mais commentfaire la distinction et
découvrir les vraies capacités?
Les pires tyrans sont moins dangereux que les gouver-nants indécis.L'indécisionfut toujoursgénératrice de cata-
strophes.
Si tant d'hommesd'Etat se montrent irrésolus dans leurs
actes, c'est faute d'avoir une idée nette de ce qu'ils veulent
et de ce qu'ils peuvent.<$>
L'homme incapable de dominer ses nerfs est indigne
d'occuper le plus humble échelonde la puissance politique.Si la guerre de 1870devint inévitable,c'est que lesnégocia-tions furent conduitespar un ministren'ayant pas assez de
calme pour vérifier, avant d'agir, l'exactitude des faits
HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES. 175
rapportés dans la dépêchefalsifiée qui déclenchale conflit.
La subtile psychologied'un diplomate ennemi réussità uti-
liser notre irritabilité ethnique pour nous lancer dans une
série de catastrophes.<$>
Les chefs d'Etat doivent savoir discerner les mobiles
susceptibles d'agir sur les diverses mentalités. Incapables'
d'un tel discernement, les diplomates allemands ne compri-
rent pas que la terreur, si efficacesur lesBalkaniques, serait
sans action sur les autres peuples.
<$>
Une des plus dangereuses habitudes des hommes poli-
tiques médiocres est de promettre es qu'ils savent ne pou-
voir tenir. tCr=
,En politique les institutions importent moins que les
moeurs.
Les assemblées parlementaires constitueraient un régime
politiquesuffisantsi ion pouvait les soustraire à l'influence
des grands fantômes qui les oppriment: la peur, la jalou-sie et la haine. Ils furent depuis vingt-cinq ans les inspi-
rateurs de persécutions et de lois désorganisatrices de
l'industrie, des finances et de l'armée.
Le sectarisme et la crainte des électeurs laissent difficile-
ment aux législateurs une grande liberté de jugement.
176 HIERET DEMAIN.PENSEESBREVES
<•>
Aux Etats-Unis, les attributions de l'Etat se trouvant
peu nombreuses, les influences politiques demeurentsans
action. Le rôle du politicien ne devient désastreux^quedans les pays où VÉtat absorbe toutes les fonctions.
<•>
// fut toujours dangereuxpour lespeuplesd'être conduits
par des hommesplus préoccupésdes effets de leurs mesures
sur un parti que de la valeur dz ces mesures et de leur
intérêt générai
L'homme d'Etat supérieur sait opposer l'évidence qu'il
perçoit à l'erreur que l'aveuglement des partis politiques
prétend lui imposer.<$>
L'inexpériencepolitique semanifestegénéralementpar le
besoind'accumuler des mesures restrictives. Prises un peuau hasard, elles sont généralement contraires à toutes les
lois économiqueset il faut bientôt les rapporter.
<•>
Les gouvernementsqui nonl pas su créer l'opinion ne la
connaissentsouvent qu'au momentoù elle les renverse,
<•>
Les hommes d'Etat sans caractère tâchent vainement
délayer leur faiblesse individuelleen l'associant à des fai-blesses collectives.
HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES, 177
On ne peut rien attendre des hommespolitiques pour
lesquels le monde est un miroir reflétant seulement
leursdésirs, leurs rêveset leurs craintes.
<$>
Alors que le savant recherche la vérité sans craindre ses
conséquences, le politicien médiocre s'en méfie et la
considère commeune ennemie. Il censure son expression,dans la vaine espérancede l'anéantir.
<$>. «
Une des erreurs politiques les plus dangereuses est de
confier à des orateurs brillants la direction des affaires
publiques. Napoléon avait déjà remarqué que les grandsorateurs aptes à gouvernerune assembléeétaient incapablesde conduire la plus modeste affaire.
<•>
Un grand orateur est rarement un grand penseur. L'art
de l'orateur consiste surtout à manier habilement les
formules illusoirescapablesd'impressionnerles foules.
L'homme politique qui dépense son activité en parolesla dépenserarement en actions.
Pour les diplomates commepour les femmes, le silence
est souventla plus claire des explications.
178 HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES
Le véritable hommed'Etat se montre parfois intransi'
géant dans ses discours,mais jamais dans ses actes. Les
nécessitésqui régissentla vie des peuples modernesne sont
pas compatibles avec l intransigeance.
<$>
Gouverner c'est pactiser, pactiser n'est pas céder.
Pour gouverner sagement, il ne faut pas oublier que
l'influence du passé limite l'action possible de l'homme
sur le présent. La foule des vivants reste toujoursencadréepar celledesmorts.
<§>
L'idée que les hommes se font des choses est pour les
gouvernants plus utile à connaître que la valeur réelle de
ceschoses.
Faire naître, grandir ou disparaître des sentiments et
descroyancesdans l'âme despeuples représenteun des élé-
mentsessentielsde l'art de gouverner.
<•>
Savoir manier les sentiments d'un peuple, c'est dirigersa volonté..Savoir lesperpétuer, c'est refaire son âme.
CHAPITRE V
Imperfections des gouvernements
révélées par la guerre.
Le défaut de clairvoyance a été la caractéristique gêné'
raie des hommesd'Etat avant et pendant la guerre. Les
gouvernants capables de prévoir les événementsseulement
quelquesmoisd'avance sont exceptionnels.
<•>
L'impuissance à prévoir et l'irrésolution s'expknt tou-
jours. Les Allemands ne songentpas sans terreur à la des-
truction qui eût menacé leur flotte si l'imprévoyance d'un
ministre anglais ne leur avait jadis abandonné l'île
d'Héligoland. Les Alliés ne peuvent se rappeler sans amer-
tume que le déroulement de la guerre eût été tout autre
si, au début de la campagne, un ministre avait possédé
l'esprit de décisionet la prévoyance nécessairespour ordon-
ner à quelques cuirassés de suivre les vaisseaux allemands
quand ils se dirigèrent sur Constantinople.
4<3>«.»
Un empereur clairvoyant eût compris que l'Allemagne
180 HIERET DEMAIN.PENSEESBREVES.
était le pays de l'univers le plus intéressé à maintenir
la paix. Il eût ensuite saisi la profondeur du conseil de
Bismarck de ne jamais se brouiller avec la Russie.
<$>
Les conséquencesde l'imprévoyancene se réparent guère.Les Alliés perdirent inutilement plus de 100000 hommesà
Gallipoli, dans la Vaine tentative de réparer des fautes
d'imprévoyance et d'indécision antérieurement comnises.
*+($>*+
Un simple vocable : l'imprévision, résume les causesde
la plupart des échecs dont furent victimes les Alliés au
début de la guerre.<•>
Les maîtres des peuples continuent à vivre d'idées
devenuessans valeur. Une des vérités les mieux démontrées
par lesfaits est qu'un pays negagne rien à vouloirs'annexer
des peuples étrangers contre leur volonté. L'Autriche en
fit jadis l'expérience avec la ^énétie, l'Allemagne avec
l'Alsace qui fut pour elleunecausede troubleset de dépenses
pendant cinquante ans.
+><•>
(t Trop tard », ce mot fut, commel'a dit un ministre
anglais, l'explication de bien des revers.
Impuissante jadis dans le déroulement de l'histoire, la
HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES. 181
volonté des peuples est devenue un facteur essentiel de la
politique moderne.<$>
Si les grandes puissances sont si nal renseignéesparleursagentsc'est que, pour être considérésde leurschefs,ces
agents se bornent à en refléter les opinions.Nos illusions
sur les Bulgares et les Grecs, au début du conflit, n eurent
guère d'autres causes.$>.
Les erreurs dans le maniement des forces psychologiques
peuvent annuler la supériorité des armements.L'Allemagneen fit l'expérienceà mesure que l'insuffisancepsychologiquede ses diplomates lui suscitait de nouveaux ennemis.
<•>
Les gouvernements faibles sont, comnie les individus
sans caractère, peu redoutables pour leurs ennemis et
dangereux pour leurs amis. La Russie durant la guerreillustra cet exemple.
Un dictateur nest qu'une fiction. Son pouvoir se dissé-
mine en réalité entre de nombreux sous-dictateurs ano-
nymeset irresponsablesdont la tyrannie et la corruptiondeviennent bientôt insupportables.
Toute puissance sans responsabilité se transforme vile
en tyrannie.
16
182 HIERET DEMAIN.PENSEESBRÈVES.
On peut se faire une idée de la formidable puissance
des marchands de vin et de la crainte qu'ils inspirent à
nos législateurs en constatant que le plus illustre de nos
ministresde la Guerrefaillit être renversé pour avoir essayéd'entraver leur commerce,en raison de ses conséquencessur
la santé du soldat.
Les motifs de contester la valeur de notre Parlement
sont nombreux, mais il faut reconnaître que, sans les
grandes commissions issues de son sein, nous n'aurions
jamais eu ni les jnunitions, ni les canons nécessaires à
la défense. Un gouvernement absolu, mais prisonnierd'illusions bureaucratiques, n avait pas réussi à les obtenir.
<3>*»
La surenchère, si générale en politique, fut toujours une
dangereuse méthode. Elle peut être momentanément utile
à des partis, mais jamais à des gouvernements.
<$>«-
Préférer l'utilité d'un jour à des vérités durables et
gouverner d'après les opinions du moment, c'est créer pourl'avenir des situations sans remède.
CHAPITRE VI
Enseignements politiques
déduits de la guerre.
Jamais l'art de gouverner naîtra été aussi malaisé
qu'après la guerre. Une des plus grandes difficultésconsis-
tera peut-être à rompre avec les habitudes d'intervention
universellesqu'avait nécessitéesle conflit.
<•>
L'art de manier avec certitude la gamme des sentiments
qui font mouvoir les hommes ne s'enseigne ni dans les
livres ni dans les écoles.Il est resté empirique et s'acquiertseulement par l'expérience. A en juger d'après toutes les
erreurs de psychologiecommisespendant la guerre, cette
acquisitionn'est pas facile.
Les grands moteurs de la conduite des peuples sont les
croyances et les intérêts. Les croyances ne pouvant être
réduites ni par la raison, ni par la force, les gouvernants
doivent se borner à concilier des intérêts. Plusieurs siècles
184 HIERET DEMAIN.PENSEESBREVES.
de persécutionset de guerres sanglantesfurent nécessaires
pour établir la soliditédeceprincipepsychologique.
Les hommes les plus aptes à guider les événements
sont souvent entraînés par eux après les avoir conduits
jusque une certaine limite qu'ils ne peuvent d'avance
prévoir.<»
Les buts obtenusen politiquesont parfois fort différentsde ceuxpoursuivis.L'Allemagne ne sedoutait certainement
pas du servicequelle rendrait à l'Angleterre en la forçantà la guerre. Pour le présent elle lui évita une lutte civile
avec l'Irlande et consolida en un bloc homogèneles élé-
ments inconsistantsde son immenseempire. Pour l'avenir
elle aura considérablementaccru sa puissance industrielle
et économiqueen lui faisant comprendre les dangers de
l'infiltration germanique.
Grâce aux progrèsde son industrie l'Allemagneeût vile
conquisen tempsde paix l'hégémonierêvée.Elle aura boule-
versél'universpour un résultat absolumentcontraireà celui
quelle cherchait.
Laplace, dans son livre sur les probabilités, démontre«les avantages que la bonnefoi a procurésaux gouverne-mentsqui en ont fait la base de leur conduite. Voyez au
contraire, ajoute-t-il, dans quel abîme de malheur les
HIERET DEMAIN.PENSEESBREVES. 185
peuples ont été souvent précipités par l'ambition et par les
perfidies de leurs chefs. Toutes les fois qu'une grande puis-sance enivrée de Yamour des conquêtesaspire à la domina-
tion universelle,lesentimentde l'indépendance produit entre
les nations menacéesune coalition dont elle devient presque
toujours la victime ».Cette page écrite il y a plus d'un siècle
contient des vérités qui resteront éternelles, quoiquesans
beaucoup de chances de recevoir une application pratique.
Les luttes livrées pour des principes sont toujours fort
longues. Telles dans l'antiquité les guerres médiques et
dans les temps modernesles guerres de religion, la guerrede Trente Ans, les guerres de la Révolution. Si la guerrede sécessionaux Etats-Unis dura seulementcinq ans, cest
que la ruine financière de l'un des partis en présencerendit
impossiblela continuation du conflit.
Il est toujours dangereux pour une nation d'avoir un
passé trop chargé d'iniquités.'<•>
Si puissant que devienne un peuple, si grandes que soient
ses conquêtes,si supérieursque puissent être ses armements,
son pouvoir ne saurait durer dès qu'il constitue une menace
permanente 'pour les autres peuples. Plus d'un conquéranten fit jadis l'expérience. Les Allemands la répètent à leur
tour.16,
186 HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES.
Frédéric II posait déjà les règlesappliquéesplus tard parsessuccesseursquand il disait que la guerre est une affairedans laquellele moindre scrupulepeut tout perdre. Suivant
lui on ne saurait faire une guerre sans avoir le droit de
pillage, d'incendie et de carnage.
*<•>
Gouverner contre iopinion est impossible,mais on peutla créer. Une des forces du gouvernement allemand futd'avoir su, depuislongtemps,orienter iopinion de sonpeu-
pie vers la nécessitéd'une guerre de conquête.Il y parvintavec l'aide des universités,des journaux et de nombreuses
associations.
Des mesuresd'exception imposéesà un groupepolitique,
religieuxou ethnique ne font que le fortifier. Persécuté il
augmentede cohésion,alors qu'il se dissout dès que cessent
les inégalitésde traitement. Cette loi psychologiquea main-
tenu aux Juifs leur individualité à travers les siècles.Pour
l'avoir méconnue l'empire d'Autriche verra forcément ses
provincesse dissocier.<£ %
Conquérirun peuplepeut être l'oeuvred'un jour. L'assi-
miler demandeparfois des siècles.Souvent mêmele temps
n'y suffit pas. L'Angleterre ne put jamais s'agréger l'Ir-
lande, l'Autriche a toujours pour ennemis les peuplessoumis à sa domination.
HIERET DEMAIN.PENSEESBRÈVES. 187
La violencene suffit pas pour fusionner les âmes des
races. Bien que l'histoire ait solidement démontré cette
loi psychologique,lesmaîtres despeuplesne l'ont pas encore
comprise.<$>
L'utilité des esprits supérieurs dans le gouvernementdes
peuplesfut bien mise en évidence par l'histoire des vingtannéesqui suivirent la guerre de 1870.Le chancelieralors
à la tête de l'Allemagne sut isoler la France en s'alliant
à l'Italie, à la Roumanie et à l'Autriche, puis en obtenant
la neutralité bienveillantede la [Russieet de l'Angleterre,Cette situation disparut progressivementdès que l'Alle-
magne fut gouvernée par des chefs arrogants, toujours
prêts à menacerl'Europe de la force allemande.
Pour les peuples de races, de langues, de religions ou
d'intérêts différents,réunis par les hasards des conquêtes,il
n'existe que deuxformes possiblesde gouvernement: l'au-
tocratie pure ou une fédération de provincesautonomes.
Ce dernier type de gouvernements'imposeaujourd'hui par-tout. L'Angleterre en fit l'expérienceavec le Transvaal et
l'Irlande, l'Autriche avec la Hongrieet bientôt, sans doute,avec ses autres provinces.La Russie, composéede peuples
divers, avivera probablementaux mêmesséparations aprèsune série de bouleversements.
188 HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES.
Un peuplene saurait espérer un gouvernementmeilleur
que lui-même. Aux âmes incertaines conespondent des
gouvernementsincertains.
<•>.
Si lesgouvernementsdémocratiquesfurent toujoursjus-
qu'ici desgouvernementsd'avocats c'est que les luttes par-lementairesdonnent à l'habitude de la parole un rôle pré'
pondérant. Dans les civilisations à forme industrielle, la
compétencetechnique devenant beaucoup plus nécessaire
que la compétenceoratoire, le techniciensembleappelé à
remplacer l'avocat. C'est une des réformes auxquelles
songele plus l'Angleterre. L'ancien type moyen du poli-ticien orateur tend à disparaître.
$>
Dans lesgrands conflits, la force despeuplesfait celledes
gouvernants.
LIVRE Vil
Perspectives d'avenir
CHAPITRE PREMIER
Quelques conséquences de la guerre.
La guerre européenneouvre une de cesgrandes périodesde l'histoire où, commeà l'époquede la Réformeet de la
Révolution, les peuples changent leurs conceptionsde la
vie, leur idéal et aussi leurs élites.
C'est au lendemainde la paix que sedérouleront les plus
importantes répercussionsde la guerre. Elle se prolongeradans des luttes économiques,industrielles et sociales qui
transformeront l'avenir despeuples.<•>
Les conséquencesmatérielles du conflit européen seront
moinsimportantespeut-êtreque lestransformationsmentales
qu'il aura engendrées.Les changementsdu mondeextérieur
façonnent rapidementun nouveau mondeintérieur.
<•>
L'Europe ne verra sans doute pas ses frontières géogra-
phiques très modifiéespar la guerre, mais ses frontières
psychologiquesse trouveront changées.
<3>*»
192 HIERET DEMAIN,PENSÉESBRÈVES.
Lesguerresrenversentfoule l'échelledes valeurs morales.
L'acle sévèrementréprimécommecrime en tempsordinaire
devientvertu et gloire dans le combat. L'intérêt individuel
s'efface,La vie humainen'a plus qu'une importancecollec-
tive.$>.
La démonstrationexpérimentaisque la dominationmili-
taire d'un peuple étranger constitue une opérationcoûteuse,
improductive et par conséquentinutile, épargnera ptul-ê'.re au monde de nouveaux carnages.
O/i a justement remarqué que les grand* génies appa-rurent souventpendant lespériodesde guerre. Le sièclequivit naître Raphaël, Michel-Ange, Galilée, Copernic est
celui où le monde se trouva le plus ravagé par des luttes
féroces.C'est dans la vie des campsque Descartescomposasa Méthode. La guerresembleraitdoncconstituerun stimu-
lant de touteslesénergies.Une foule de progrèsscientifiqueset industriels n'eussent probablementpas été réalisés sans
le conflitactuel.$>.
Les guerres exaltent ou dépriment un peuple suivant
son état mental quand elle éclate. La guerre de 1870
déprima considérablementla France. La lutte actuelle
réveilla au contraire ses activités endormies.
<•>
L'Allemagne, en croyant s'assurer de nouveaux débou-
HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES. 193
chcs,ne réussitqu'à perdre ceux qu'elle possédait, surtout
en Orient. Le Jupon sera sans doute le principal bénéfi-ciaire de la guerre européenne.
.<•>.
Que trouveà sonfoyer,quand sesblessuresl'y ramènent,
le soldat allemand qui rêvait d'une .abondance illimitée
créée par les richesses conquises? La menace d'impôtsnécessitantun écrasant labeur et une pauvreté sans espoir.Ces constatations faites par quelquesmillions d'hommes
modifieront peut-être leurs idées sur le, avantages des
guerres.
Les faits seulspouvaient enseignerau peup c allemandce
que valaient les théoriesde ses philosophes.
Ruineséconomiques,clientèledisparue, relationscommer-
ciales rompues représentent la contre-partie des stériles
victoiresde l'Allemagne. Toutes les statistiques montrent^que la « Mittel Europa », mêmeparfaitement organisée,ne peut pas remplacer le commerceavec les autres pays.Devant le blocéconomiquede l'Europe centrale se dresserale blocbeaucoupplus fort des autres puissances.
Les conséquencesimmédiatesde la guerre seront forttangibles: rareté de la main-d'oeuvreet des matièrespre-mières, élévation des chargesfiscales, nécessitéd'accroître
17
194 HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES.
la production avec des ressourcesamoindries. En dehors
de ces phénomènes visibles, surgiront des conséquenceslointainescomprenanttrop de possibilitéspour être connais-
sablés aujourd'hui.
Un statisticien allemand évalue commeil suit le coût
de la guerre européennependant les trois premièresannées:
dépensesen argent 430 milliards, hommestués 7 millions,
estropiés5 millions.Il serait difficilede découvrir ce que les
auteurs de tels cataclysmespouvaient y gagner.
Sans parler de pays comme la Russie où la banque,l'industrie et le commerceétaient entièrementgermanisés,
l'infiltration de l'Allemagne s'étendait rapidementpartout.La guerre seule pouvait révéler le danger que l'empireallemand faisait courir à l'univers.
<».
L'agriculture prendra sans doute après la guerreune importance supérieure à celle de l'industrie. Les
disponibilitésde tous les peuples en céréaleset en viande
ayant été épuiséespar les immensesarmées qu'il fallait
nourrir, ils chercheront vainement à se ravitailler au
dehors. Une élévation énorme des prix en résultera jus-
qu'à ce que de nouvelles ressourcesalimentaires aient été
créées.L'exploitation agricole des territoireset des colonies
deviendra forcémentla principale préoccupationdespeuples.
HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES. 195
Dans certains pays, l'Angleterre notamment, l'industrie
agricoleétait de plus en plus reléguéeau dernier plan. La
menacede disette crééepar les torpillages la fit rapidement
passer au premier rang. Il en sera de même dans tous les
pays aspirant à conserver leur autonomie.
5e reporter à un demi-siècleen arrière suffit pour voir
qu'avec une agriculture prospère et une industrie moyenneun peuple peut mener une vie beaucoupplus heureuse quecelle résultant du développement exagéré de ses usines.
Une conséquence utile de la guerre sera sans doute de
faire abandonner un peu l'usine pour la terre.
0.*
Ce sera surtout pendant la paix que la population civile
sentira le poids de la guerre.
<•>•
L'appauvrissement des classes moyennes, conséquencede la guerre, ôtera aux pays un grand élément de sta-
bilité.
La France sortira évidemmentde celte guerre épuiséed'hommes et d'argent, mais dégagée peut-être des illu-
sions politiques et sociales qui eussent fini par engen-drer une irrémédiable décadence.
196 HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES.
La guerre aura été une grande destructricede toutes
les routines: routines militaires, routines industrielles,
routines mentalessurtout.
CHAPITRE II
Les futures menaces de la politique.
De nouvellescroyances politiques se créeront nécessaire-
ment après la guerre chez les hommes nouveaux, mais, se
heurtant à des conceptions trop anciennes pour cire déra-
cinéesfacilement, il en résultera de violents conflits.
**<$>**
Les problèmescréés par la paix setrouveront aussi chargés
d'imprévu que ceux soulevéspar la guerre. Il serait déses-
pérant que les politiciensseuls soient appelés à les résoudre.
<•>
// faut dès à présentsongerqu au lendemainde la guerrela France pourra se trouver sans matières premières, sans
industries, sans fret, sans charbon, avec des impôts tripléset beaucoup de villes à rebâtir. Confier à des théoriciens
politiqueset non à des industriels, des agriculteurs et des
commerçantsla direction du pays, serait engendrer la ruine
et l'anarchie.<•>
L'esprit critique et l'esprit dogmatiqueresteront toujours
trop incompatibles pour n'être pas perpétuellement en17.
198 HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES.
lutte. Le premier appartient à la sphère du rationnel, le
secondà celle du mystiqueet de l'affectif.
L'esprit dogmatiquecroit et ne r/iisonnepas. Il ne règne
pas seulementdans les religions,mois aussi dans lesinstitu-
tions socialeset militaires.
$>
Le jacobinisme, le protectionnismeet le socialismemis
au servicede l'élatismc pourront constituer après la guerre
des fléaux aussi funestes que l'invasion germanique. Con-
trainles, inquisitions, réquisitions,taxations deviendraient
alors les principaux moyens de gouvernement.
Dans un pays où les partis politiques sont intolérants
la centralisation administrative restera longtemps néces->
saire. La décentralisation industrielle et financière semble
seulepossible.
La plus grande difficultédes futurs gouvernementssera
d'équilibrer les intérêts souvent contraires des divers grou-
pementssociaux de façon qu'ils ne se nuisent pas récipro-
quement et respectentl'intérêt général.
CHAPITRE III
Le droit et la force.
L'histoire philosophiquedu droit peut être divisée en trois
phases successives: 1° Le droit biologique. Régissant la vie
du mondeanimal et les rapportsde l'honmieavec lesanimaux,
il a pour unique règle la loi du plus fort. 2° Le droit à
l'intérieur des sociétés. // est caractérisé par la domination
de l'être collectifsur l'être individueldans l'intérêt.commun.
3° Le droit à l'extérieur des sociétés ou droit interna-
tional. Constitué uniquement jusqu'ici^ par la domination
de la force, il se développera seulement lorsque les intérêts
communsdes peuples lui auront créé des sanctions.
«>..
Au sein d'une société, le droit prime la force. Dans les
rapports entre sociétés différentes, c'est au contraire le
droit qui est primé par la force.
Pour les peuples de mentalité purement militaire, le
droit de faire une chose représente simplement le pouvoir
d'accomplir cette chose. Le Peau-Rouge scalpant ses
200 HIERET DEMAIN.PENSEESBRÈVES
prisonniers, le cannibale les décorant, le Germainpillantet massacrant, affirment avoir le droit de commettreces
actes puisqu'ils en ont le pouvoir. Le canon est te seul
argument efficacecontre dz telles conceptions.
<•>»
Le droit de détruire les animaux a pour seul fonde-ment la force résultant de notre intelligence.C'est en
vertu du même principe que les philosophesallemands
attribuent, aux races humaines supérieures le droit
d'anéantir les plus faibles. Toutes les civilisationsseraient
alorsmenacéesde destructionpar le groupehumainmomen-
tanément le plus fort et les peuples retourneraient à la
barbarie de la préhistoire.
«>.
Dégagéesde leur contenu métaphysique,les définitions.du droit se ramènentà celle du Digestede Justinien : «ce
qui dans chaquepays est utile à tous ou au plus grandnombre».L'utilité serait donc le seulfondementdu droit,
mais, cette utilité variant suivant les pays, on ne saurait
parler de droit universel.<•>»
Les progrèsdesmoeursont fini par créercertains prin-
cipesqu'admettent touteslesnationsciviliséeset dont la vio-
lation soulèvel'indignation universelle.Les peuples envi-
sagent la défense de tels principes quand ils déclarent
combattrepour le droit.
HIKRKl"DEMAIN.PENSEESBRÈVES. 201
Dans les relations entre individus d'une même société,
le gendarme est le soutien nécessaire du droit. Dans les
relations entre peuples, le canon seul a pu jusqu'ici rem-
placer le gendarme.$>
Le droit est fils de nécessités sociales. Les lois ne
petwent être codifiéesutilement que déjà stabiliséespar (a
coutume.$>.
Les codes n'ont de valeur que fixés dans les âmes. Sans
autres soutiens que le châtiment ils resteraient sans force.
«>
Le droit civil ne représenta d'abord qu'une extensiondu
droit religieux. Les volontés divines se complétèrent plustard par celles des rois et beaucoup plus lard encote parcelles des collectivités. Pour certains peuples, comme les
Musulmans, n'ayant pas séparé le droit civil du droit
religieux, une loi non soutenue par la religion est sans
prestige. Nos colonisateurs l'oublient quelquefois.
Le droit de conquête, survivance des idéesantiques, et le
droit à l'indépendance, conception moderne des peuples,étant absolument inconciliables, les guerres entre F/Alle-
magne et le reste du monde se répéterontjusqu'à la dispa-rition complèted'un de ces principes.
§>
202 HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES.
L'alliance d'un Etat faible avec un Etat fort n'a d'aulre
résultat possiblepour l'Etat faible que son vasselage si
l'Etat fort est vainqueur,et sa ruinesi l'Etat fort est vaincu.
La Turquien'a retiré de son alliance avec l'Allemagnequela perte de l'Arabie, de l'Arménie, de la Mésopotamie,de la Syrie et une ruinefinancière complète.
Le droit qui veut être respecté a pour compagnenéces-
saire la force.<•>
La force n'opprime jamais l'idée pendant longtemps,
parce qu'une idée opprimée devient vile génératrice de
force.$>
Les psychologuesallemands enseignent que le succès
entraîne une aceugleapprobationet qu'auxyeuxdespeuples
la cause triomphante a toujours le droit pour elle. Ils ont
dû cependant constater que ce fut jugement quand
l'Allemagne était victorieuseque les neutres se dressèrent
„ contre elle.
L'abus d'une force finit par créer la des'ruclion de cette
force. Les violenceset les crimespassés sont alors expiés
par les fils qui gémissenttlongtempssous le lourd far-
deau des iniquitésde leurs pères.
HIERET DEMAIN.PENSEESBREVES. 203
Rarement, au cours de l'histoire, la valeur d'un système
philosophiqueput être expérimentalementjugée comme le
fut pendant la guerre la thèse germanique conférant aux
peuples forts le droit d'asservir les peuples faibles.
$..
Asservir n'est pas conquérir.
0..
La force ri ayant que des armes matérielles pour soutien
finit par devenir aussi impuissanteque le droit sans force.
<•>-
Le droit établi sur la violence peut s'imposer quelque
temps,mais ne saurait durer. Il devient bientôt créateur
de coalitions lui opposant un droit plus fort. La naissance
de ces coalitions est une loi constante de l'histoire. On les
vit se former après toutes les tentatives de domination
européenne,sous Charles-Quint, Louis XIV et Napoléon.
<•>.
Un grand progrès pour les peuples fut d'organisercontre la force individuelle une force sociale plus
puissante. Le principal progrès social de l'avenir, progrèslointain encore, sera de substituer à la force agressived'un seul peuple la force collective de tous les autres.
-$>
L incendie des cathédrales, des bibliothèques et des
oeuvresd'art, les massacressystématiques, les déportations
204 HIERET DEMAIN.PENSEESBREVES.
d'esclaves,représentent un recul de la civilisationqui, en se
prolongeant,pourrait devenir définitif et priver les peuplesde toutes les conquêtes morales élaborées par des siècles
d'efforts.<•>
Au point de vue du succès militaire, il sembleavan-
tageux d'être délesté de générosité, d'humanité, d'équité,et de respectdesengagements,mais l'avantage n'est durable
qu'à la conditionqu'on resteindéfinimentle plus fort. Or,
il n'est pas d'exemple dans l'histoire de peuples restés tou-
jours les plus forts.
Les peuples faibles ont facilement des scrupules. Les
peuplesforts n'en ont pas.
.<$>..
Les conquérants divinisent la violence tant qu'ils de-
meurent les plus forts. Devenus les plus faibles, ils s'em-
pressentde la maudire.'<•>
// a fallu aux juristes de la Haye une dose singulièred'illusions pour croire possible l'établissement d'un code
dénuéde sanctions. L'histoire ne connut jamais semblable
code ni religieuxni civil.
»<3>«»
Empêcher la violencede. rester la loi définitive des rela'
lions entre peuples constituera peut-être le plus difficileproblèmede l'avenir. Aucun progrès de-la civilisation ne
sera cependantpossibles'il n'est résolu.
HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES. 205
La civilisation devra réaliser encore bien des progrèsavant que les droits des peuples puissent avoir d'autres
soutiensque le nombrede leurs soldats.
<>.
Le rôle de la justice socialeest d'empêcherpar la menace
de sanctions la violation des règles nécessairesà la vie
d'une société.Le rôle futur de la justice internationale sera
le même quand il deviendra possiblede lui découvrir des
sanctions. Cette possibiliténapparait pas encore.
«<•>
La méfiance générale contre les peuples violant leurs
engagementset les lois de l'humanité sera sans doute le
germe des sanctions nécessaires à ia création d'un code
international.<!>*
Quelle soit d'ordre moral ou matériel, représentéepar la
puissance des codes,des idées,des religions ou des armes,la force restera nécessairement souverainedu monde. Undes plus importants progrès de la civilisation s:rait de
substituer les forces morales à la force armée.
$>•
Les civilisations se bâtissent avec des idées, mais ne se
défendent encore qu'avec des canons.
IS
CHAPITRE IV
Les réformes et les lois.
// faut de longuesannées de voyages et d'obsercations
pour comprendre que les véritables réformesne se font
pas avec des lois.
Science et politique ne sauraient avoir les mêmes
méthodes.La première est surtout préoccupéedu général, 11
secondedu particulier. Etudiant des chosesfixes ou arti-
ficiellementfixées, la scienceétablit facilementles lois qui
régissentles élémentsdes choses.La politique se trouve au
contraire en présenced'êtres vivants et mobilesaux réac-
tions souvent imprévues.
<•>»
• La valeur des institutionsdépenduniquementde la façondont elles sont appliquées.Aucune ne possèdeune souve-
raine vertu.
Une réformepolitiqueou socialeest rarementutile quandelle ne succède pas à une transformation mentale.
HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES. 207
Les lois ne sont efficacesqu'à la condition de suivre les
coutumes sans chercher à les précéder. Leur rôle est de
sanctionner des usages et non de les créer.
<•>
Une réforme n'est durable que si elle représente l'addi-
lion de petites réformes successives.
<•>
Les lois et les règlementsdeviennentnuisiblesquand, au
lieu de traduire des nécessitésd'intérêt général, ils ont sim-
plement pour but de satisfaire les exigencesd'un parti.<3>t»
Les lois cessent d'être justes quand elless'appliquentà des êtres de mentalité inégale. Régir une colonieavec
des codeseuropéenssous prétexte d'assimilation constitue
une dangereuseutopie.<$>
Un règlementn'est compriset respectéque formulé en
termes brefs et clairs. Un long règlement est nécessai-
rement mauvais parce qu'on ne peut en retenir toutes les
parties.<•>
Une des forces de l'Allemagneest d'avoir su, grâce à sa
militarisation, faire observer les règlements et les lois
alors qu'ils sont peu respectéschez lespeupleslatins.
$
208 HIERET DEMAIN.PENSEESBREVES.
Ebranler le respectd'une seule loi c'est ébranler la forcede toutes les autres. Les décrets moratoiresdu début de la
guerre fournissant des prétextes pour se soustraire à de
,formelsengagementsont porté à l'armature socialeun coupdont elle ne se remettra que lentement.
Un véritable progrès après] la guerre ne serait pasd'édicter de nouvelleslois, mais d'en supprimer un grandnombre.
<•>
La guerre n'aura pas été sans utilité si elle nous faitdécouvrirqu'au lieu de réclamer sans cessedes réformesà
l'Etat c'est nous-mêmesqu'il faudrait réformer.
Pas de force durable chez un peuple avec l'instabilité
des lois,des institutions,des idéeset des doctrines.
<•>
On ne fait pas le droit, il se fait. Cette brève formulecontient toute son histoire.
CHAPITRE V
La future interdépendance des peuples.
L'élévation générale du prix de la vie pendant la guerreet la privation, dans chaquepays, d'une foule de produitsont expérimentalement prouvé l'interdépendance indus-
trielle, commercialeet financière des peuples. Les écono-
mistes la signalaient déjà, mais sans avoir jamais coti'
vaincu personne.<$>
On peut donner comme exemplesde l'interdépendancedes peuples, le fait qu'avant la guerre la métallurgie
française de l'Est se procurait son charbon en Westphalieet lui donnait en échange des minerais de fer. Les
métallurgistesfrançais ne pouvaient pas plis se passer du
charbonallemandque lesmétallurgistesa fernandsdesmine-
rais français.$>»
L'interdépendancedespeupless'est manifestéemêmepen-dant la guerre. Le coton nécessaireà la fabrication des
explosifs venait des Etats-Unis, les nitrates utilisés en
agriculture du Chili. Les pyrites indispmsabks dans la
18.
210 HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES.
préparation de l'acide sulfurique, base de certaines muni-
tions, venaient d'Espagne et de Norvège.
<•>
Malgré les avantages certains du libre-échangeet la
probabilitéde son futur triomphe, la guerre aura donné
unegrandeforceau protectionnisme.Ellea, en effet,montré
aux peuplesla nécessitéde produirele plus possiblesur leur
sol les matières dont ils ont besoinpour se rendre indé-
pendants.<•>
Malgré les indestructibles divergences de structure
mentalequi les séparent, les peuplessont condamnésà des
relationsconvnercialesde plus enplus étroites. Ils continue-
ront à se haïr, mais ne pourront éviter d'échanger les
produitsdifférentsque chacunobtientsuivant sescapacités,sonsol et son climat.
<•>
On peut raisonnablement espérer qu'après des -luttes
sauvages ayant détruit des millions d'honvnes, dévasté
d'antiquescités, ruiné de puissantsempires,les philosophesallemandsdécouvrirontque, par suite de l'interdépendancedesnations,un peuple industriels'enrichitplus enexportantses produits qu'en détruisant ses clients et leurs richesses
à coups de canon.<•>
Quand l'Europe obtiendra une paix prolongée, ce ne
serapas la force du droit ni desconventionsinternationales
HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES. 211
qui la maintiendront, mais la démonstration définitive de
l'interdépendance économiquedes peuple1;.
<•>
Supérieure à toutes les volontés, l'interdépendance des
peuples pourra provoquer une transformation profondedes idéesqui mènentencoreles nations et leursmaitres.
CHAPITRE VI
La militarisation de l'Univers.
Depuis l'origine des âges, la condition nécessairede la
viefut toujours l'aptitude à sedéfendre. L'être désarméest
rapidementécrasé. . .
Les nécessités se subissent et ne se discutentpas. Bien
qu incompatibleavec lesprogrèsde la civilisation, le mili-
tarisme semblepourtant le seul moyen de défense connu
centre les menacesd'Etats puissammentarmés. Avant de
songera progresser,lespeuplesdoivent éviterd'être asservis.
La militarisation du monde civilisé et toutes les rêgres-sionsqui en seront la suite deviendrontpeut-être les carac-
téristiquesdu siècle actuel.
Après avoir été successivementà base religieuse,à base
militaire, à base juridique, puis à base économique, les
sociétéssemblentretourner à l'état purement militaire.
<•>
HIERET DEMAIN.PENSEESBREVES. 213
Le besoin d'expansion et de domination se développe
fatalement chez les peuples dont le pouvoir militaire
grandit. Leurs armements étant fort coûteux, ils essayentd'en tirer profit.
$>
Les armementsdu temps de paix constituent une primed assurance contre les attaques extérieures, mais le déve-
loppementdu matériel de guerre rendra cette prime si rui-
neuseque peu de peuples seront capables de la supporter.
$>
Chez lesnations très militarisées il n'existe d'autre droit
que la volonté deschefs. La célèbre affaire de Saverne, où
l'on vit un colonelprussien faire jeter dans une cave des
civils dont la physionomie lui avait déplu, constitue un
mémorableexemplede la mentalité crééepar la substitution
du droit militaire au droit civil.
$>
Un desplus difficilesproblèmesde l'avenir sera de super-
poser aux civilisations raffinées un militarisme rigide,contraire au développementde l'intelligence, mais indispen-sable au maintien de l'indépendance.
<$>»
Si, pour seprotégercontre lemilitarismeallemand,tousles
peuplesde l'univers sont obligésde se militariser, l'indivi-
dualisme disparaîtra forcément, même au sein des nations
où il était le plus développé.:•>
214 HIERET DEMAIN.PENSEE?BREVES.
L'exagération des armements, créatrice de la puissanced'un peuple,finit par entraîner sa ruine.Lesempiresfondés
uniquement sur le militarisme succombentpar le milita-
risme.La décadencede l'empire romain commençadès qu'iln'eut plus que desforces militaires pour soutien.
<$>
Quand les méthodesd'armement d'un peuple présententune évidentesupériorité, les autres nationssont bienobligées
de les adopter, sous peine de se voir asservies.Malgré son
horreur du germanisme, l'Europe est menacée d'en subir
les principesmilitaires avec toutes les servitudes politiques
qu'ils entraînent.
Supposons le militarisme allemand détruit. Comment
l'empêcher de renaître, sinon en lui opposant un milita-
risme plus fort. Une militarisation universelle sera donc
nécessairepour démilitariser un seul peuple.
»<£>
L'Europe ne pourra éviter le militarisme que parsuite d'une transformation profondedans la mentalité du
peuple germanique. Possiblepour l'avenir, cette transfor-mation est bien improbable aujourd'hui.
t*<S>**
Tant que les conceptions militaristes de l'Allemagnen'auront pas été transformées, lespeuples obtiendrontdes
armistices,mais non une paix durable.
HIERET DEMAIN.l'£NSEESBRÈVES. 215
On parle souvent dune sociétédes nations, mais, comme
ta déclaré un premier ministre au Parlement, cette
sociéténepourra êtreconstituéequepar lesnationsen armes.
Or il est peu probable que des peuples bien armés restent
longtempspacifiques. Ce nesl pas du moinsce qu ensei-
gnent la psychologieet l'histoire.
CHAPITRE VII
L'évolution industrielle
des guerres modernes.
Le fondeur de canons est devenu le grand arbitre des
temps nouveaux.Les maîtres du monde ne pourraient rien
sans lui.
Les guerres modernes sont des guerres d'industriels
beaucoupplus que de généraux. Le génie de César et celui
de Napoléon resteraient impuissants contre un adversaire
possédant un nombreillimité de canons.
<•>
Leseffectifsont joué un rôle important) mais non essen-
tiel, dans la guerre actuelle. Les moyens de destruction
mécaniquesexercèrentune action prépondérante appelée à
le devenir davantage encore avec les progrès de l'industrie.
Dans l'avenir, ce ne seront pas sans doute lespays les plus
peuplés,mais possédant le plus d'engins de destruction, qui
acquerront la prédominancemilitaire.
HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES. 217
Les philosophesqui voudront montrer avec quellesdiffi-cultés s'établissent certaines vérités élémentaires rappelle-ront qu'il fallut de longsmois d'observation et la perte de
plusieurs centaines de milliers d'hommes pour faire com-
prendre le rôle des tranchées, des fils de fer et des canonsà longueportée,
<•>
La guerre s'est faite avecdes élémentsdont aucun n'était
connu de nosgénéraux : sous-marins, tranchées,fils de fer,avions et canons lourds.
<•>
La tranchée constitue une forteresse mobile déplacéeà volontéquand elle est prise ou détruite.
<•>
La tranchée moderne a rendu impossibles les batailles
décisivesd'autrefois commecelles d'Actium, d'Iéna et de
Waterloo qui fixaient en une journée le sort d'un pays.
Quoiquetrès longues et très meurtrières les guerresactuelles
restent cependant toujours indécises.
Primitivement»,dédaignée des chefs militaires, l'artil-lerie lourde finit par être considérée comme le grand
facteur des batailles. Son efficacité,cependant, est limitée,
puisque les A^e n.inds ne réussirent pas à s'emparer de
Verdun.<$>
19
218 HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES.
Les difficultés dé l'offensive moderne et la fréquente
impossibilitéde percer des lignes de tranchéessont misesen
évidence par les statistiques affirmant que la destruction
d'un mètre de tranchées coûte 30000 francs, 3 tonnes
d'acier et quatre à cinq jours de travail, alors que le travail
d'un jour suffitpour refaire une tranchée de mêmesdimen-
sions.<•>
La guerre a prouvé une fois encore qu'un procédé de
destruction quelconque engendre immédiatement la créa-
tion des moyensde s'en protéger. Obusiers de 420, zep-
pelins, gaz asphyxiants, etc., ont vu bientôt leurs effets
plus ou moinsannulés. Le sous-marin lui-mêmene saurait
échapper longtemps à cette loi. Un agent de destruction
vraiment invincibledevrait posséderdes effetsassez instan-
tanés pour anéantir les armées et les villes avant qu'ellesaient le temps de sedéfendre.
<$>
Quand révolution industrielle desguerres aura pris tout
son développementun nombreimmensed'enginsdestructeurs
sera facilement manié par un petit groupe de spécialistesexercés.La machine à tuer remplacera alors le guerriercommela houille a remplacé l'esclave.
CHAPITRE VIII
Possibilités d'avenir.
Dans les temps troublés le domaine de l imprévisible
enveloppe tellementcelui du possible que la pensée recule
devant les obscurités de l'avenir. Elle seule cependant est
capable d'éclairer un peu la route où les peuples doivent
s'engager.
Les enseignementsdu passé ne suffisentplus à guider les
peuples sur des routa inconnues. Obligés d'agir comme
ils n'avaient jamais agi, leurs pensées s'orienteront vers
des principes directeurs nouveaux créés par les nécessités
nouvelles.<•>>
Bien qu'il soit contenu dans le présent, l'avenir n'yest perceptible que sous forme de possibilités.
<•>
Les prévisions fondées sur des appréciations d'intérêts
peuvent être rationnelles, il est rare cependant quelles
soient justes. Les passions et les influences mystiquessont des mobiles de la vie des peuples devant lesquelstoutes les considérationsd'intérêts s'évanouissent.
220 HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES.
•<:>
Nos visionsd'avenir sont surtout des visionsd'espérancessans parenté nécessaire avec la réalité. On ne saurait
les dédaigner, puisqu'elles furent de puissants mobiles
d'action. Une humanité privée d'espérance aurait bien
de la peine à vivre.
En raisonnant de l'avenir d'après le passé et en se rappe-lant la persistance des idées d'origine mystique, on peutcraindre pour l'Europe une nouvelleguerre de Trente Ans
interrompueseulementpar des paix incertaines.Le conflitaurait mêmedes chancesde durer davantage si la mentalité
allemande ne change pas. Les défaites n'empêchèrent
point en effet les Croisades et les guerres de religion de
se renouveler aussi longtempsque persistèrent les illusions
mystiquesleur ayant donné naissance.
A mesure que la civilisation se développe, elle fait
surgir des conflits de plus en plus menaçants. Si
toutes les aspirations hégémoniques: allemandes, russes,
balkaniques, japonaises, etc., qui grandissent, entrent en
lutte, l'ère de la paix sera close pour longtemps.
// est impossible de pronostiquer l'issue des guerresmodernes d'après les règles applicables aux anciennes
luttes. Une ou deux batailles perdues décidaient jadis du
sort d'un peuple, les armées battues ne se remplaçant pas.
HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES. 221
La perle de quelquescentaines de milliers d'hommes ne
saurait entraîner aujourd'hui de solution décisive, en
raison des moyensde défenseactuelle et de la facilité de
remplacer les combattants.
<•>
Un des principaux enseignementsdes guerres nouvelles
et qui peut-être empêchera leur répétition trop fréquenteest que, dans une lutte mettant aux prises des millions
d'hommes, la défaite complète et définitive de l'un des
adversaires semble impossible. On détruit une armée, on
n'anéantit pas un peuple.
<•>
Pour évaluer la durée possibled'une guerre, il faut con-
sidérer le but réel que les belligérantspoursuivent. L'enjeu
principal de la guerre européenneest en réalité Anvers
et surtout Constantinople,clef commercialede la Méditer-
ranée, de l'Egypte et des routes de l'Inde. Posséder l'an-
tique cité c'est tenir en vasselageéconomiqueune partie de
l'Europe.<$>
Les réflexions les plus justes sur la nécessité, pour la
France, d'éviter une paix incertaine furent formulées parun de nos ennemis,le prince de Hohenlohe: «La France,
disait-il, combattra coûte que coûte jusqu'au bout; le
peuple français sentnettement qu'il y va de son existence.Il
sait qu'il ne retrouvera jamais plus, à côté de lui, d'aussi19.
222 HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES.
nombreuxet d'aussi puissants alliés; il sait que s'il ne sort
pas vainqueur de la lutte terrible actuellement engagée,
toutes ses chances de victoire auront à jamais dis-
paru ».<•>
On pourrait espérer que le souvenir des dévastations et
des ruines engendréespar le conflit mondial empêchera
pendant longtempsle retour des guerres si l'on ne savait
combienest courte la mémoiredes peuple*
La destruction de merveilleusescités par des hordes
incapables de dominer leur férocité ancestrale permet de
redouter l'anéantissementfutur des chefs-d'oeuvreépargnés
par les siècles.L'avenir nous réserve peut-être un monde
où toutes les oeuvresd'art détruites seront remplacéespar
des usines,des caserneset des tranchées.Les peuples civi-
lisés regretteraient alors d'avoir trop vécu.
Les batailles de l'avenir, probablementaériennes, auront
pour but principal l'incendie des cités et l'extermination
de leurs habitants par de petites équipesd'ingénieurs. La
destructionsystématiquede la populationcivile remplacera
sans doute alors celle çle la population armée.
Un diplomate allemand affirmait quavec lesprogrès
rapides des moyens de destruction la prochaine guerre
HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES. 223
amènera l'anéantissement de la race blanche. Sa dispa-rition complète paraît douteuse, mais il est possible quesi de telles luîtes se répétaient, le sceptre de la prospérité
passe entre les mains desnations dz l'Extrême-Orient.
«<$>
Les peuples auront été tellementhabitués par les formesnouvelles de la guerre à la mainmise de l'État sur la vie
nationale, la liberté, la fortune et l'existence des citoyens,
qu'on peut se demander si ce retour à l'antique servage ne
deviendra pas la loi future du monde.Les notions de droit
individuel et de liberté s'évanouiraient alors au point de
n'être même plus comprises.
<$>+
Un desplus importants personnagesde l'empire allemand
demandait que, pour reconstituer les richesses perdues,l'Etat obligeât tous lescitoyensà exercer un métier manuel.
La fabrication des objetsde luxe serait interdite, des impôtsécrasants appliqués aux personnesprétendant conserver de
tels objets, les tableaux notamment. Si cesprojets se réa-
lisaient, l'Allemagne deviendrait unegigantesqueusine où,sous le bâton de caporaux rigides, la masse des citoyens
fabriquerait des articles d'exportation et des canons, en
échange d'une ration modestede bière et de choucroute.Il
faut une mentalité bien spécialepour proposer commeidéal
de vie un tel enfer.*$>
224 HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES.
La vie dans la caserne ou l'usine en attendant la mort
sur les champsde bataille serait-elle vraiment iaboutisse-
ment de tant de siècles de civilisation et d'efforts? Autant
vaudrait alors revenir à l'âge des cavernes. L'homme yvivait dans les dangers sans doute, mais il jouissait au
moins de quelque liberté.
<£
La seulechance possibled'une paix prolongéene se trou-
vera ni dans une alliance des peuples, ces alliances étant
incertaines, ni dans la démonstration de l'interdépen-dance industrielle des nations, la foi mystique dominant
tous les intérêts, mais seulementdans la substitutionchez le
peuple allemand d'une philosophienouvelleà l'ancien idéal
mystique d'hégémonie.De telles transformations sont tou-
jours très lentes.
Il semblepeu probable que l'Europe puisse espérer revoir
de longtempsune ère de liberté. En dehors mêmedu mili-
tarisme qui la menace, comment échapperait-elle aux
chaînes diverses que les théoriciens de iétatisme et du
socialismerêvent de lui forger?
LIVRE VIII
Dans le Cycle de la Science
CHAPITRE PREMIER
Les vérités scientifiques et les limites
de nos certitudes.
Le savant utilise les forces de la nature et en détermine
les lois, mais il ignore profondément leur essence.
<•>
A iaurore des sciences les faits semblent facilement
explicables.Quand la sciencegrandit, des phénomènesaussi
simples en apparence que Vélectrisation d'un bâton de
résine, la combustion d'une bougie, ou la chute d'un
corps, deviennent inexplicables.
Dans le domaine de l'observation la sciencen'a jamais
fait failliie. C'est seulement dans le cycle des interpréta'
tions que cette faillite est réelle.
<•>
Toutes nos vérités scientifiquesétant des approximations
à noire mesure, leur interprétation dépendde la mentalité
qui tel formule.
228 HIERET DEMAIN,PENSÉESBRÈVES.
Les conséquencesdes lois scientifiquesfinissentgénérale-ment par prendre plus d'importance que la découvertede
ces lois. Les trois principes fondamentaux de la thermo-
dynamiques'énoncenten quelqueslignes,mais ils ont donné
naissance à de nombreuxvolumesd'explications.
<£•
Les vérités scientifiquesles plus sûres en apparence sont
seulementde conventionnellescertitudes.C'est ainsi que les
axiomes essentiels de la géométrie s'appliquent à des
corps inconcevablespour la pensée. On essayerait vaine'
ment d'imaginer, par exemple, un point n'ayant pas trois
dimensions. Un point réel, c'est-à-dire pensable,a forcé-
ment de l'étendue et peut par conséquent être traversé
par plusieurslignesparallèles, contrairementà l'un despluscélèbresaxiomesde géométrie.
<£
Les grandes découvertes scientifiquesdébutent par des
intuitions surgissant dans l'esprit sous forme d'hypothèses
que doit ensuite vérifier l'expérience.
<•>
Refuser d'accepter l'hypothèsepour guide est se con-
damner à prendre le hasard pour maître.
Les hommesde tous les âges ont vécud'hypothèsesmais,
alors que l'ignorant lesacceptecommedes certitudesdéfini-
HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES. 229
tives, le savant ne leur accordede valeur qu'après une véri-
fication expérimentale. L'hypothèse est seulement pour lui
un échelonde la vérité.<•>
Une doctrine scientifiqueet surtout philosophiquen'a pas
besoin pour triompher de s'appuyer sur des raisons très
sûres. Il suffit qu'elle soit soutenue par des croyances très
fortes.<$>*
Une banalité expriméeen termes algébriquescesse,pour
beaucoupd'esprits, d'être une banalité. La théorie la plus
incertaine se fait accepter facilement dès qu'elle est
revêtue d'une forme mathématique.
<•>•
L'histoire des sciences montre que bien des propositions
admisescommevérités sont le plus souvent de simplespoints
de vue momentanésdestinés à disparaître.
<£ •
L'ancienneté d'un dogme ne constitue nullement une
preuvede son exactitude. Pendant deux milleans les philo-
sopheset les savants crurent à l'indestructibilitêde l'atome.
Aujourd'hui l'expérience a prouvé que la matière subit la
loi universelle condamnant les chosesà vieillir et mourir 1.
1. Cest à l'auteurdu présentouvragequappaitieulcettedémons-tration.Elle demandadix ansde recherchesexpérimentalesconsignéesen dix'huitmémoiresrésumésdansunlivre,l'Évolutionde la Matière,dontla 30eéditionvientdeparaître.
20
230 HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES.
Même en matière scientifique,il est rare quenosconvic-
tions aient uniquement l'expérience pour soutien. Les
théorieslesplusfaciles à démontrer,cellesde la circulation
du sang ou de la dêmatérialisation de la matière, par
exemple, ne fuient acceptées qu'après l'assentiment de
savants revêtusd'un prestigeofficiel .
L'utilité et la vérité sont des notionsfort distinctes.On
peut être obligéd'accepterune nécessité,mais il est dange-reux pour le progrèsde l'esprit humain d'identifier,comme
lefont lespragmatistes,le véridiqueet l'utile.
<$>
Deux véritésd'aspect contradictoirene sont parfois quedes fragmentscomplémentairesd'une même vérité.
1.J'eusl'occasiondeconstaterlajustessedecettepropositionlorsquejefuspendanttroisansseulà soutenir,contrairementauxassertionsduplusiltuslredesphysiciensfrançais,quelesrayonsémispar l'uraniumne se réfractantpas,ne se réfléchissantpaset nese polarisantpasappartenaientà unchampnouveaudela physique.
CHAPITRE II
Les vérités actives et les vérités inactives.
Au point de vue de leur action sur la conduite, nos certi-
tudes pourraient être diviséesen vérités actives et vérités
inactives. Les vérités inactives se formulent en assertions
banales que chacun répète sans être influencé par elles
jusqu'à ce qu'une catastrophe en révèle la force.
<•>
Une vérité qui se heurte à des sentiments,des passions',des croyances,des intérêts ou simplementà de l'indifférence,reste une vérité inactive. Elle cesse même, pour beaucoup
d'esprits, de constituer une vérité.
<£
Nouspossédionsavant la guerreungrand nombrede véri-
tés inactives:. la supériorité des canons à longue portée,l'utilité de nombreusesmunitions,la valeur des tranchéeset
biend'autres encore. L'expérience seule révéla leur valeur.
<•>
L'énoncé d'une vérité est sans intérêt tant quelle ne
frappe pas assez l'esprit pour devenirmobiled'action.
*<?>*
232 HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES.
Lescatastrophessontparfois nécessairespour transformeren vérités actives les vérités inactives.L'arrêt du recul des
Allemands après la bataille de la Marne montra, confor-mément aux théories de leurs livres, qu'avec des tran-
chées on arrête une invasion. Nous eûmes huit dépar-tements dévastés parce que cette vérité, active pour les
Allemands,était restée inactive pour nous.
<$>
Certaines vérités sont inactivesparce que leur simplicité
apparente dissimuledes conséquencesdifficilesà percevoir.On peutconsidérer,par exemple,commeune vérité évidente
qu'il ne faut pas prétendre concurrencerses rivaux sur des
terrains où leurs ressourcesnaturelles les rendront toujoursles plus forts: Le contenu de cette vérité est très supérieurà sa partie évidente, puisqu'elle semble peu compriseencore.De sa compréhensioncomplète,tout notre avenir
économiquedépend.
Les vérités évidentes deviennent vite des vérités inac-
tives. C'est pourquoi il faut souvent les répéter sous des
formes diverses.
Le succèsd'une véritédépendbeaucoupdu momentoùelle
est formulée.Quand un illustre général anglais prêchait à
sonpays, avant laguerre, la nécessitédunearméepuissante,il n'était pas écouté.De mêmedans le domainede la science
pure. Personne n'adopta les idées de Lamarck lorsque
aVanl\Darwin il enseignait le transformisme.
HIERET DEMAIN.PENSÉES'BREVES. 233
<$>
Des vérités capables d'illuminer l'avenir restent sans
action sur le présent lorsque peu d'esprits sont aptes à
en saisir la portée.
L'erreur est parfois plus génératrice d'action que la
Vérité.
20t
CHAPITRE III
La nature et la vie.
La vie d'un être représente la sommede l'existencede
millionsde petites cellules remplissant des fonctions fort
différenteset se conduisant commesi ellesconstituaientdes
individualités distinctes,capables chacune de diriger son
évolutiondans un sensdéterminé.
L'être vivant est comparableà un édificedont lespierress'usant très vite devraient être sans cesse remplacées.
L'édifice garde à peu près sa forme, mais il necontient
bientôtplus aucun de sesmatériaux primitifs.
<•>
Durant leur évolution,lescellulesd'un être vivantexécu-
tent une série d'opérations physiques et chimiquesinfini'ment plus compliquéesque celles de nos laboratoires.Ces
opérationsn'ont rien d'un mécanismeaveugle,puisqu'ellesvarient suivant les nécessitésdu moment. Les choses se
passentcommesi les cellulesétaient guidéespar des intelli-
HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES. 235
gencesdifférentesde la nôtre et dans bien des cas fort
supérieures..<•>
La petite cellule initiale d'où dérive chaque être vivant
et qui, développéedans un sens déterminé,deviendraoiseau,
hommeou chêne, contient un long passé et un immense
avenir. Ce minuscule clément chargé d'un entassement
de sièclesrévèleun mondede forces, orienté par un méca-
nismedont la compréhensionreste très au-dessusde notre
intelligence.<$>*
Le savant capable de résoudre les problèmes résolus à
chaque instant par les cellulesd'un être vivant posséderaitune intelligence si immensémentsupérieure à celle des
autres hommesqu'il mériterait d'être considérécommeun
Dieu.
La terrible loi de la lutte pour la vie dont lescivilisations
tentent péniblementd'adoucir les effetssemblebien une loi
éternelle. Les cellulesde notre propre corps luttent cons-
tamment entre elles. La lutte est aussi intense dans le
monde végétal que dans le mondeanimal.Les plantes com-
battent sur terre pour une place au soleilet sous terre pourla possessiondes alimentsdu soi
<$
L'instabilité et la lutte sont les lois de la vie.Le repos,c'est la mort.
.<•>
236 HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES.
Les forces*physiques,la radiation solaire notamment,
déterminent les conditionsde notre civilisation. Chaleur
extrêmeou froid extrêmeimpliquentla viesauvageou tout
au moinsla barbarie.
<£•
Chaque âge géologiqueeut ses rois de la création. Aux
modestestrilobitesde l'âge primaire succédèrentlesgigan-
tesquesreptilesde l'âge secondaire,et plus tard lesmammi-
fères d'où l'hommedevait émerger un jour en attendant
que le mondevoiesurgirde nouveauxmaîtres. Ils serontca-
ractériséspeut-êtrepar um intelligencesuffisantepour com*
prendrelesphénomènesde la vie si inaccessiblesaujourd'hui.
+<•>+
La loi de la transformation des êtres par mutations
brusquesqui tend à remplacer celle de l'évolution lente
indique seulementqu après une série successivede change-mentsintérieursinaperçus,les équilibresde l'être vivant ont
été assezmodifiéspourqu'une cause légèrechangesoudaine-
ment leur aspect.
La mutation brusqueest une révolution,mais une révo--
lution couronnant une lente évolution.Les révolutionsdes
peuples représententune application du mêmeprincipe.
Dès que le tempsintervient dans l'équationgénéraledes
choses,la petitesseinfinie peut engendrerl'infiniegrandeur.
HIERET DEMAIN.PENSEESBRÈVES. 237
D'infimes polypes ont bâti des continents. Des îles et des
montagnes furent créées par l'accumulation continue de
petits grains dé sable. Une fourmi à laquelle serait accordé
le tempsarriverait à niveler lesplus hauts sommets.
<•>
Le temps est forcément associé à toute création. Les
dieux eux-mêmesne pourraient rien sans lui.
<S>t*
La nature n'a nullement établi entre les animaux et
l'homme l'abîme profond que nous essayons de marquer
par les termesméprisants de notre langage. Pour nous, la
femelle d'un animal n est pas enceinte, mais pleine; elle
n'accouche pas, elle met bas; elle ne meurt pas, elle crève;
elle n'est pas enterrée, mais enfouie. Notre dédain pour les
animaux nest dû qu'à l'ignorance de notre parenté avec
eux.<$>>
// est toujours imprudent de parler des buts supposésde
la nature, alors que nous la connaissons si peu. Elle
agit dans un plan fort différent du nôtre. Ses valeurs ne
sontpas nos valeurs et elle ignorenosmesures.
<{>*
Lorsque, pour justifier leurs dévastations, lesAllemands
rappellent comment la nature fit progresser les êtres en
détruisant les plus faibles, ils oublient que tous les progrès
de la civilisation ont justement consistéà soustraire l'homme
238 HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES.
aux forcesde la nature. Elle nousdominaitjadis, nous la
dominonsaujourd'hui.
<•>
La civilisationet la nature semblentpoursuivredes buts
fort distinctset souvent mêmecontradictoires.La justiceest une création humaine indispensableà l'existence des
sociétés,maisque les forces aveuglesde la naturene con-
naissentpas.
CHAPITRE IV
La matière et la force.
L'évolution de la pensée scientifique a conduit de la
certitude absolue à des incertitudes progressives. Il y a
cinquante ans la science représentait un cycle de vérités
que le doute n'effleurait jamais. Les fondementsde l'édificeétaient dune imposante grandeur. Des équations savantes
reliant les éléments irréductibles des cfwscs : le temps,
l'espace, la matière et la force, semblaient tracer à la
nature ses lois. \Les découvertes léccnles ont anéanti
toutes nos illusions sur la simplicité de l'univers.
<»
La mécaniqueclassique,jadis en apparence la plus sûre
des sciences, est celle qui révéla le plus d'incertitudes
dès que l'expérience toucha ses fondements. A l'époqueoù ses adeptes croyaient expliquer le monde avec les
équations du mouvement, l'univers paraissait fort simple.
Aujourd'hui l'impuissance de la dynamique à interpréterles chosesest devenueévidente. La mécanique énergétique
qui ne voit dans les phénomènes que des mutations
240 HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES.
d'énergie, ri a pas réussi davantage à donner des explica-tions plus sûres.
<$>>
Les nouvelles expériencessur la variation de la masse
avec sa vitesse, sur l'identité de la matière et de la force,sur le rayonnement de l'énergie par élémentsde grandeursvariables dits Quanta et par conséquentsur la substitution
du discontinu au continu dans les phénomènes,ont suffià
montrer la faible solidité de principes scientifiquesconsi-
dérésjadis commeindestructibles.
<$>+
Un éminentmathématicienfaisait justement remarquera
propos des idéesnouvelles,qu'aujourd'hui onvoit unemême
théorie « s'appuyer tantôt sur les principes de l'ancienne
mécaniqueet tantôt sur les hypothèsesqui en sont la néga*tion». Très sûre quand elle se limite au domainedes faits,la sciencedevient plus incertaine chaque jour dans celui
des interprétations.<•>+
Les conceptsde la mécanique,déjà tant modifiésdans ces
dernières années, devront changer encore quand sera gêné"ralisêe l'idée que la matière représente simplement une
forme d'énergiedouéed'une provisoirefixité. La matière et
laforce,qui semblaientjadis constituerdeux mondesséparés,
apparaissent aujourd'hui commelesformesdifférentesd'une
mêmechose1.
1. Voirl'ÉvolutiondesForces,parGustaveLe Bon,în-18,16eédi-tion.
HIERET DEMAIN.PENSÉESDRÈVES. 241
Tous lesélémentsde la nature semblentreliéspar d'invi-
sibles liens. Entraîné par les fils de l'attraction, l'océan
oscilleentre lesastres et la terre. Le volumed'im corpsvarie
constammentavec la température de son milieu. La table
sur laquellej'écris ces lignes est soumiseaux attractions de
tous les astres de l'univers et les attire à son tour. Rien
ne reste isolédans le mécanismedu monde.
<$>
Les phénomènesimprévus révélés par la découverte de
la dissociation de la matière ont prouvé que nous sommes
entourés de forcesgigantesquesà peinesoupçonnéesobéissant
à des lois encore ignorées.La plus colossalede ces forces,
l'énergie intra-atomique,était aussi inconnueil y a quelquesannées que le fut l'électricité pendant de longssiècles.
Les réactions chimiques, origine des forces que nous
utilisons, modifientl'équilibre des molécules,mais effleurentà peine la stabilité des atomes. Le jour où la science
parviendra à désagréger entièrementlesatomes d'un corps,elle aura entre les mains une source colcssaled'énergie quirendra inutile l'emploi de la houille et transformera en-
tièrement lesconditions d'existencedes peuples.
Sous son apparente immobilité,la matière la plus stable,.un bloc de marbre par exemple,possèdeune vie intense et
21
242 HIERET DEMAIN.PENSEESBREVES.
une impressionnabilitéextrême facilement révéléesparcertains instrumentstels que le bolomètre.
<$>
La matière, considéréejadis commeun élément inerte
imagedu repos,ne subsistequegrâce à l'immenserapiditédu mouvementtourbillonnairedes atomesqui la compo-sent. La matièrec'est de la vitesseet nondu repos.
La matière représenteun état d'équilibreentre lesforcesinternes dont elle est le siège et les forces externes qui
l'enveloppent.La définitiond'un corps reste donc insépa-rable de celle de son milieu. Le métal le plus dur se
transforme en vapeur quand son milieu éprouve cer-
taines variations. L'eau devientsolide,liquideou gazeusesuivant le milieuoù elle est plongée.
<•>
// est frappant de constater avec quelle difficulté la
sciencequi cbservesi facilementles faits arrive à endéter-
miner la loi. Plus d'un demi-siècledz péniblesrecherches
fut nécessairepour s'apercevoir que les loisdéterminant
l'apparition d'un mode quelconque d'énergie: chaleur,
électricité, mouvement,etc., étaient identiques à celles
qui régissent l'écoulementd'un liquideet qu'il n'y a par
conséquentaucune manifestation possibled'énergie sans
dénivellationde certains éléments.
HIERET DEMAIN.PENSEESBRÈVES. 243
Dans la nature, la petitesse apparente des élémentsest
parfois sans rapport avec la grandeur de leurs effets. La
cellule initiale d'un éléphant ou d'un chêne est beaucoupmoins grosse qu'une tête d'épingle. Un minusculefragmentde métal contient une quantité immense d'énergie inlra~
atomique.<•>-
Avec une force quelconquede la nature on peut obtenir
toutes les autres, sauf celles qui animent les êtres. La vie
seule crée la vie.
CHAPITRE V
Visions philosophiques.
Personnifiéesousforme d'un être jugé d'après nos senti'
mentshumains,la nature apparaîtrait douéede qualitésfortmédiocresSa férocité serait révéléepar l'obligation où elle
met toutes les créatures de s'entre-déoorer pour vivre.
Son intelligence semblerait restreinte, puisqu'on la Voit
essayer des formessuccessivesnombreusesavant d'en réussir
de plus parfaites. Sa bienveillance à notre égard serait
tenue pour nulle, puisque l'existenced'un funeste microbe
est aussi soigneusementassurée que celledes plus puissants^
génies.
Interrogé sur ses intentions, l'être personnifiant la
nature répondrait sans doute que dominé par la nécessité
et le temps Une possèdeaucune volontéet ne lit pas mieux
quelescréaturesdans le livre du destin.
<•>•
Les hommesn'ont jamais cessé de rêver d'éternité et%
cependant l'éphémère les domine toujours.Les plus grands
empiresse sont évanouis, les dieux eux-mêmessont tombés
HIERET DEMAIN.PENSEESBRÈVES. 245
enpoussièreet aujourd'hui l'astronomiemontreque lesastres
peuplant le ciel finissent aussi par disparaître,
<$>»
Nos idéessur leschosesvarient nécessairementsuivant queion considèrela forme éphémèrede ces chosesou leur con-
tenu éternel.«<£
Les religions apprenaient jadis à l'homme à regarderdans le passé et le considéraientcommedéchu de sa pri-mitive splendeur. La science montre au contraire quele progrèsest dans l'avenir. Nos effortscréent la puissancede l'humanité future.
A l'éternité individuelle promise par les anciennes
croyances doit se substituer le sentiment de continuité et
de perfectibilitéde la race. Cet idéal n'est pas insuffisant,
puisquesur les champs de bataille des millions d'hommes
sacrifient leur vie pour assurer la prospérité future d'êtres
qu'ils ne verront jamais.
L'esprit humain préférera toujours une interprétation
chimériqueà l'absence d'explications.
Lesloisdesphénomènessont écritesdans un livre dont une
existenceentière ne suffitpas à déchiffrer quelqueslignes.
<$>
21.
246 HIERET DEMAIN.PENSÉESBRÈVES.
Rester convaincu que le inonde est dominépar des
fatalités occultescontre lesquellesl'homme demeure îm-
puissant, c'est oublier que tous les progrès de la
science consistent justement à dissocier des fatalités.
Les grandesépidémiescessèrentd'être des fatalités quand
leurs causes furent connues.
<•>
Les progrèsde la civilisation représententles triomphes
successifsde l'hommedans sa lutte contre les fatalités de la
nature.«>
L'histoiresembleprouver qu'il estplusfaciledesubjuguerla nature quesespropres sentiments.Les forces naturelles
sont asservies,le soleil, la foudre et l'océandeviennentnos
esclaves,mais nous n'avons pas encore réussi à dominer
certains instinctsde notre animalitéprimitive.
<$
L'astronomieétant incapablede déterminerla trajectoirede trois corps agissant les uns sur les autres, on conçoit
l'impossibilitéde calculer l'action réciproquedes milliers
d'élémentsintervenant dans les phénomènessociaux. Une
prévision n'est possibleque si l'un de ces élémentsdevient
très prépondérantà l'égard des autres.
La sciencene pourra jamais servirde baseà une morale
parce qu'aucunecomparaisonpossiblen'existeentre leslois
moraleset lesloisphysiques.Lespremièresreprésententdes
HIERET DEMAIN.PENSEESBRÈVES. 247
nécessitéssociales variables d'un peuple à un autre. I^es
secondessont universelleset ne varient jamais.
<£>
Toutes nos définitionsse ramenant à des comparaisons,cequi n'est comparableà rien,commel'espace,le tempset la
force, n'est pas susceptiblede définition,mais seulementde
mesure.
L'appréciation philosophiquede la valeur des choses
dépend entièrement du point de vue de l'observateur.
Une intelligence supérieure indépendante du temps
envisagerait les races humaines comme d'insignifiantes
fourmilièrespeuplant un globe voué par son refroidisse-ment progressif à une mort certaine. Un esprit con-
sidérant seulement la nature verrait dans le plus grand
génie et dans la plus humblemoisissuredes organismesdu même ordre momentanémentsurgis de la matière et
destinésà y retourner bientôt. Au point de vue exclusive-
menthumain, l'hommedevient au contraire le centre d'un
universdont \la durée est [assezlonguepour sembler éter-
nelle.<•>
Les dissertationssur la vanité des choseset sur les mys-tères qui nous enveloppent ne doivent pas trop retenir
nos pensées.La vraie sagesseest de suivresa destinéesansse préoccuperdes buts mystérieuxd'un univers que nousne comprenonspas. Que serait la vie des éphémères ne
248 HIERET DEMAIN.PENSEESBREVES.
vivant qu'un jour s'ils employaientleur temps à disserter
sur la brièvetéde ce seuljour ?
.<•>
Pour les dieux de prescience infinie dont les religions
peuplent le ciel, l'avenir en raison même de cette pres-cienceeîi aussi fixé que le passé l'est pour nous. Parcou-
rant à leur gré l'échelle infinie du temps, ils ne sauraient
distinguer l'étroite ligne de séparation entre le passéet l'avenir que nous nommonsle présent.
$
La poursuite du bonheuret celle de la vérité sont fortdistinctes. Pour l'homme soucieux de son bonheur, il est
sage de ne pas trop rechercherles fondementsdes choses.
Le chercheur avide seulementde vérité doit au contraire
essayerde tout approfondir.<$>
La découvertephilosophiquementla plushaule,puisqu'ellenous ferait pénétrer dans l'essencedes choseset côtoyer
l'absolu,serait d'arriver à connaître la matière et lesforces
autrement que par leurs relations avec le mondeextérieur.
Les concevoir autrement est actuellement impossible,
puisque ce sont uniquementces relations qui constituent
les propriétés permettant de définir les choses.
Chaque scienceaboutit bientôt à un mur de causalités
inaccessibles.Il nest pas un seul phénomènedont la cause
première soit connue.
HIERET DEMAIN.PENSÉESBREVES. 249
L'observation astronomique révèle que les astres sont à
divers âges d'évolution. Ils semblent donc parcourir le
cycle fatal des choses: naître, grandir, décliner et mourir.
Des mondespeuplés commele nôtre, couverts de cités floris-
santes, remplisdesmerveillesde la scienceet de l'art, ont dû
plus d'une fois sortir de la nuit éternelle et y rentrer
sans rien laisser derrière eux.
<>
L'univers et les êtres qui l'habitent représentent des
formes transitoires régiespar des forces éternelles.
TABLE DES MATIERES
Les nouveaux problèmes.
INTRODUCTION.... ; I
LIVRE I
Les forces qui mènent l'histoire.
/. Lespuissancesmatériellesetmorales"
72. Lesforcesbiologiquesetaffectives 93. IASforcesmystiques 134. Lesforcescollectives 175. Lesforcesintellectuelles 226. Lesinterprétationsdel'histoire 26
7.Lesexplicationsetlescauses 29
8. L'imprévisibleenhistoire 32
LIVRE II
Pendant les batailles.
/. Lagenèsepsychologiquedesgrandsconflits 372. Elémentspsychologiquesdesbalailles 403. L'âmenationaleet l'idéedePatrie 434. Laviedesmortsetlaphilosophiedelamort 485. Changementsdepersonnalitécréésparlaguerre 516. Lesformesducourage 547. L'artdepertuadereil'arldécommander 57
TABLEDESMATIERES. 251
LIVRE III
La psychologie des peuples.
/. L'âmedespeupleset sa formation 632. Psychologiecomparéedequelquespeuples 633. L'incompréhensionentreracesdifférentes 754. Rôledesillusionsdanslaviedespeuples 785. Lesopinionsindividuelleset la conduite 826. Lesopinionscollectives 867. Lesidéesdansla viedespcuples 888. Lavieillessedespeuples 94
LIVRE IV
Facteurs matériels de la puissance des nations.
/. Lâgedelahouille 1012. Leslutteséconomiques 1043. Le conflitentre les conceptionschimériqueset les nécessités
économiques 1084. Lerôledelàjécondité 112
LIVRE V
Facteurs psychologiques de la puissance des peuples.
/. Rôledecerlainesqualiléssecondaircsdanslaviedespeuplcs1192. La volontéet l'effort 1213. L'adaptation 12?4. L'éducation 1285. Lamorale 1336. L'organisationet lacompétence 1367. Lacohésionsocialeetlasolidarité 1418. Lesrévolutionsetl'anarchie 145
LIVRE VI
Le gouvernement moderne des peuples.
/. Lesprogrèsdémocratiques 1532. L'étatismeallemandetl'élatismelatin 156
252 TABLEDESMATIÈRES.
3. Lareligionsocialiste 164
4. l*esqualitéspsychologiquesnécessairesauxgouvernements....1725. Imperfectionsdesgouvernementsrévéléesparlaguerre 1796. Enseignementspolitiquesdéduitsdelaguerre 183
LIVRE VII
Perspectives d'avenir.
/, Quelquesconséquenccsdelaguerre 191
2, Lesfuturesmenaçadelapolitique 197S. Ledroitetlaforce 199
4. Lesréformesetleslois 206
5. Lafutureinterdépendancedespeuples 209
6. La militarisationde l'Univers. 212
7. L'évolutioninduslrielledesguerresmodernes 2168. Possibilitésd'avenir. 219
LIVRE VIII
Dans le cycle de la science,
/. Lesvéritésscientifiqueset leslimitesdenoscertitudes 227
2. Lesvéritésactivesetlesvéritésinactives 231
3. Lanatureetlavie 234
4. Lamadèreetlaforce 239
5. Visionsphilosophiques 244
3374-17.—Cotbfcil.ImprimerieCrété.
Bibliothèque do Philosophie scientifique (suite)
2° PSYCHOLOGIEET PHILOSOPHIE
MNEL(tfieomteGeorgesd'). Le Nivelle-ment des Jouissances.8AL0ENSPERGER(F.),chargéde coursà laSorbonne.La Littérature.
BERGSON,POINCARÉ,Ch.GIDE,Etc.,LeMaté-rialisme actuel (7*mille),8INET(A.),directeurdeLaboratoireàlaSor-bonne.L'Ameet le Corps (9*raille).BINET(A.).Les Idéesmodernessur lesenfants (14*mille).
. 80HN(CG.).La Naissance de l'Intel,ligence(40figurés)(6«mille).BOUTROUX(E.),de l'Institut.Science etReligion(18*mille).COLSON(C.),del'ln$iitut.Organismeécono-miqueet Désordre social.CRUET(J.),avocatà lacrd'appel.LaVieduDroitet l'ImpuissancedesLois(5*m.).0AU7AT(Albert),docteures lettres.La Phi-losophiedu Langage(4*mille).OROIARD(D'G.).Le Rêveet l'Action.OUGAS(U, «KtfgédePhilosophie.La Mé-moire,et l'Oubli.OWELSHAUVERS(Georges),professeura l'Uni-versitédeBruxelles.L'Inconscient.3UIGNE8ERÎ(C),chargéde coursi la Sor-bonne.L'Evolutiondes Dogmes(6*m.).HACHET-SOUPLET(P.),directeurdel'InsUluldePsychologie.LaOenèsedes Instincts.HANOÎAUX(Gabriel),del'Académiefrançaise.La.Démocratieet le Travail.JAMES(William),del'Institut.Philosophiede l'Expérience(9-mille).MAIES(William).LePragmatisme(7*m.).
JAHES(Williim).LaVolontédeCroire(4*s.)JANET(0' Pierre),del'Institut,professeurauCollègedeFrance.Les Névroses(8*m.).LEBON(D'Gu»tevel.Psychologiedel'Édu-cation (20*mille).LEBON(O'Gustive).LaPsychologiepoli-tique(I3«mille).LEBON(0'Gustave).Les Opinionset leiCroyances(10*mille).LEBON(0'Gustave).La Viedes Vérités(9«mille).LEBON(DrGustave).EnseignementsPsy-chologiquesdelaGuerre (27'mille).LEBON(DrGustave).Premières Consé-quences de la Guerre (20*mille)LE80NiD' Gustave'.Hier et Demain,Pensées,brèves(10emille).LEOANTEC.Savolrl(7*mille).LEOANTEC.L'Athéisme(15*mille).LEOANTEC.Scienceet Conscience(S'a)LEDANTEC.L'ÉgoFsme(9«mille).LEOANTEC.LaSciencede la Vie(6*m.).LEGRAND(0' If.-A.).La Longévité.L0MBR0S0.Hypnotismeet Spiritisme(8-mille).BACH.LaConnaissanceet l'Erreur(5'a.)MAXWELL.LeCrimeet la Socleté(5'm.PICARD(Edmond).Le Droit pur (6'mille).P1ER0N(H.J.M'deConf'àl'EcoledesH»'-Etu-des.L'Evolutionde la Mémoire(4'mil.)REY(Abel),professeuragrégédePhilosophie.La Philosophiemoderne(10*mille).VASCHIOE(0').Le Sommeilet les Rêves(5*mille).VILLEÏ(Pierre),professeuragrégéde l'Uni-versité.Le Mondedes Aveugles.