Le blog, élément clé d'une stratégie en ligne - Comment ce médium a-t-il modifié le paysage du...

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Le blog, élément clé d’une stratégie en ligne : Comment l’apparition des blogs a-t-elle modifié le paysage du journalisme ? Travail présenté dans le cadre du Mémoire de fin d’études pour l’obtention du titre de Master en Communication appliquée, section Presse et Information Par Pauline Volvert Master 2 - Presse et Information Promotrice: Régine Florent IHECS-Bruxelles- Année scolaire 2012-2013 Haute Ecole Galilée Institut des Hautes Etudes des communications sociales

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Travail de fin d'études présenté en septembre 2013 et portant sur l'évolution de la presse face à l'apparition de nouveaux moyens d'expression, de codes différents des siens, accessibles, davantage libres et porteurs d'une philosophie nouvelle de l'écriture sur internet.

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Le blog, élément clé d’une stratégie en ligne :

Comment l’apparition des blogs a-t-elle modifié le paysage du

journalisme ?

Travail présenté dans le cadre du Mémoire de fin d’études pour

l’obtention du titre de Master en Communication appliquée, section

Presse et Information

Par Pauline Volvert

Master 2 - Presse et Information

Promotrice: Régine Florent

IHECS-Bruxelles- Année scolaire 2012-2013

Haute Ecole Galilée – Institut des Hautes Etudes des communications sociales

2

Remerciements

Un merci particulier à Régine Florent pour sa patience, sa tolérance et ses

suggestions, sans qui ce travail n’aurait pas vu le jour.

Je tiens ensuite à remercier Sandie Meusnier et Philippe Laloux pour leur

contribution et leur aide.

Merci à Jean-Louis Volvert pour sa relecture et ses remarques précieuses jusque

dans les moindres détails.

Enfin, merci à Laurent Ledoux.

3

Avertissement au lecteur

Ce travail n’a pas pour ambition de constituer une expertise technique sur le

fonctionnement des blogs. Il n’est pas non plus le véhicule d’idées révolutionnaires

ou nouvelles. Cet article constitue avant tout une réflexion sur l’évolution d’un

médium, de ses utilisateurs, de ses buts et des transformations que celui-ci a pu

provoquer d’un point de vue journalistique, mais aussi au sein-même de la profession

de journaliste.

Ce document s’appuie sur les témoignages d’acteurs majeurs du secteur de la

presse en ligne, experts en stratégie éditoriale ou digitale, mais aussi sur l’avis de

blogueurs. Beaucoup de propos ont été publiés sur des sites d’information français

et peuvent paraitre dépassés. #oldlink comme ça se dit sur Twitter. Pourtant, il est

important que ces propos participent à une progression, afin de comprendre par quel

schéma d’installation sont passés les blogs et de percevoir les stratégies des

rédactions quant à ceux-ci.

Par ailleurs, le cas pratique choisi est directement lié au stage effectué au second

semestre ainsi qu’à la spécialisation magazine choisie en deuxième année de

master. Il relève également d’un intérêt personnel rarement mis en avant au sein de

cette section car trop spécialisé.

Ce document est dense et compte plus de pages que demandé par la section.

Toutefois, un raisonnement doit être enrichi, réfléchi et abouti jusqu’à proposer une

valeur ajoutée, ce qui justifie la longueur et la densité de cet article académique.

4

. Introduction

Internet a tout changé, jusqu’aux certitudes des plus puissants groupes de presse,

forcés de faire face au plus grand défi de leur existence. En offrant des milliers

d’opportunités, Le monde parallèle du web a entrainé une mutation du marché de l’emploi,

du commerce, des relations humaines, et bien sûr du fonctionnement des médias. Les

nouvelles se propagent instantanément et les journalistes veillent en permanence, le clic

affuté et l’œil aux aguets. Ils ne sont toutefois plus seuls sur le territoire de l’actualité. Les

blogueurs postent des articles au gré de leurs envies, jetant leurs intérêts au visage des

internautes qui ne demandent que ça.

L’apparition des blogs, et par conséquent des blogueurs, a révolutionné la manière

de concevoir et de produire l’information, mais aussi de la consommer. Moyen d’expression,

de promotion et de revendication, le blog est un médium à part sur la toile. Ce mode de

communication 2.0 a constitué un défi de taille pour les journalistes, se sentant d’abord

menacés par une concurrence déloyale. Néanmoins, ils ont adopté le blog, l’ont choyé, et

aidé à se développer pour le consacrer comme l’un des piliers de leur stratégie en ligne. À

nouvel horizon, nouveaux médias, nouveaux métiers et nouvelles pratiques.

La question posée au départ de ce travail est : « Comment l’apparition des blogs a-t-

elle modifié la pratique du journalisme ? » L’enjeu central de cet article est donc de

comprendre la complémentarité qui unit les blogs et les médias en ligne, ainsi que les

adaptations qui ont été nécessaires de la part de ces derniers pour en faire des maillons

forts de leur développement digital.

Nous fonctionnerons en trois temps.

Pour la première partie de notre analyse, nous sommes remontés à la source de

l’apparition du blog en tant que médium, en vue de cerner sa raison d’être et les arguments

de poids qui l’ont progressivement métamorphosé en outil journalistique. Les plateformes

d’hébergement gratuites ont vu le jour. Elles s’appuient sur une facilité d’utilisation

déconcertante qui a permis de le rendre incontournable. La première préoccupation de

notre cheminement concerne le blogueur lui-même. Est-il journaliste, amateur ou hybride ?

Un journaliste peut-il être blogueur, un blogueur peut-il et surtout, veut-il, devenir

journaliste ? Nous tenterons de répondre à ces interrogations et de définir ce statut afin

d’établir les limites de ces pratiques, professionnelles ou amateurs.

5

Ensuite, nous creuserons les raisons profondes de l’apparition du journalisme

« citoyen », émanant directement de la possibilité de s’exprimer sur le net, et donc de

l’apparition des blogs. Entre crise de confiance et mauvaise perception des médias, nous

serons conduits à nous intéresser au journalisme participatif et à ses protagonistes, entre

organes de presse traditionnels et nouveaux venus s’inscrivant dans un modèle inédit, tant

économique qu’éditorial. Parallèlement, cela nous amènera à cerner les apports concrets et

complémentaires des blogs pour un organe de presse traditionnel, du point de vue du trafic

et des annonceurs.

Pour la seconde partie de notre analyse, nous soulignerons les rapports étroits entre

journalisme en ligne et marketing. Dans une société de plus en plus individualisée, des

outils sont mis à disposition des internautes pour tenter de se différencier des autres et

d’amoindrir la concurrence. Au travers de ce chapitre, nous nous intéresserons aux

possibilités qu’offre le blog, couplé au micro-blogging, en temps de crise pour les journalistes

et nous analyserons la tactique marketing qu’ils se sont appropriée afin de « survivre », à

savoir le personal branding.

Ces questions de reconnaissance sur la toile nous mèneront directement au concept de

l’influence des blogueurs, dont les plus fortunés sont souvent devenus des professionnels

qui se sont développés en entreprises. Cette réflexion sur le côté monnayable du blogging

conduira à une courte enquête sur la réelle rentabilité de ce type de blogs, dits « de niche ».

Enfin, nous nous focaliserons sur un cas pratique et précis, en vue de démontrer

qu’une niche de blogueurs peut faire évoluer les pratiques de la presse spécialisée et être

reconnus comme compléments. Ce cas est celui des blogueurs de mode. Discipline pouvant

paraitre insignifiante et superficielle, cette catégorie de blogueurs a pourtant chamboulé tout

un secteur marchand et réinventé les codes de la presse de mode. Cet empire repose sur

des titres prestigieux qui font figure d’autorité dans ce domaine depuis parfois cent ans.

Interaction et spontanéité ont contribué à faire de ces individus des leaders d’opinion. En

axant leur blog autour de leur personnalité, ils sont devenus l’exemple-même du personal

branding. Nous tenterons de raconter ce succès et de démêler les relations entre blogueurs,

magazines et marques en insistant sur des notions de complémentarité et d’interaction vues

précédemment.

6

Ce travail est avant tout une réflexion non exhaustive sur l’évolution d’une profession

confrontée à l’apparition d’outsiders. Il donne à voir les réponses des médias et leurs choix

d’adaptation pour survivre ou construire un nouveau journalisme enrichi. Ces quelques

pages constituent une rencontre entre passé et présent. Nous n’avons pas la prétention de

voir l’avenir, impossible à déterminer dans le cas des nouvelles technologies et d’Internet. À

l’heure où ce document aura été imprimé, des millions de tweets auront été envoyés, des

milliers d’articles postés et, une start up aura peut-être été fondée. Internet est un réel

espace d’expression du talent et de l’innovation. Le vôtre, le mien. Lieu de partage d’infinies

conversations et d’idées (r)évolutionnaires.

7

I. Le blog, un médium impertinent et

pertinent

1. Contexte d’apparition et plateformes

Selon l’encyclopédie de la Web culture (Lecoq et Lisarelli, 2011, p.23), les blogs -

venant de la contraction entre web et log- sont apparus à la fin des années 1990 au

Canada, sous la forme de carnets de bord recensant des pages web dignes d’intérêt selon

leurs auteurs. Par la suite, ils sont devenus les outils de productions d’individus dont les

billets écrits sont publiés dans l’ordre antéchronologique et enrichis d’hyperliens, voire de

contenu multimédia. Les premières plateformes d’hébergement mises à disposition sur la

toile sont Blogger, créée par Pyra Labs1 en 1999 et rachetée par Google ensuite, et Ublog,

plateforme française fusionnée avec Six Apart2 en 2004.

Si le phénomène du blogging démarre lentement, il prend une ampleur considérable

grâce au développement de la connectivité à internet dans le monde entier. Dès les années

2000, le blog devient un véritable outil d’expression et remplit une fonction

d’autoreprésentation sur le web. Gratuit, il touche tous les âges et toutes les catégories

sociales, prenant notamment une place considérable dans la culture adolescente.

Aujourd’hui, Tumblr3, Wordpress4 et Blogger5 raflent la mise au niveau du nombre

d’utilisateurs. Ces plateformes proposent des services gratuits et faciles à gérer pour les

débutants, mais également des interfaces personnalisables.

Tout individu qui désire mettre en valeur sa passion, son métier, ses pensées ou ses

découvertes a le loisir de le faire. Le blog est une fenêtre sur le monde et une vitrine

personnelle. Il existe quantité de blogs thématiques, amateurs ou professionnels.

1 Start-Up américaine qui a décliné car elle n’a jamais perçu de revenus, en raison de la gratuité de la

plateforme. 2 Compagnie basée à San Francisco.

3 Fondée en 2007 par David Karp, un américain de 21 ans, cette plateforme de micro-blogging a été rachetée

par Yahoo en mai 2013 pour un montant d’1,1 milliard de dollars. Elle emploie 182 personnes. (Wishpond, 2013) 4 Ce système de gestion libre des contenus permet de piloter n’importe quel site internet mais est surtout

utilisé comme éditeur de blog. Très appréciée des professionnels, cette plateforme totalise plus de 67 millions de blogs mis en ligne. 5 Blogger est une plateforme d’hébergement gratuit, propriété de Google depuis 2003, qui propose un service

d’édition de blogs (Blogspot) dont le slogan est « Crééz un blog. C’est gratuit. »

8

Le blog peut servir à partager un hobby, et dès lors intégrer la communauté partageant la

même passion, ou peut mener à se tailler une réputation au sein de son milieu professionnel,

voire d’un milieu dans lequel une carrière souhaite être entamée.

Skyblog, la plateforme des ados

En Belgique et en France, Skyblog, lancé par le fondateur de la radio française

Skyrock6, devient l’interface la plus utilisée dans les années 2000. Simple d’utilisation, elle

permet à des internautes de tout âge de publier textes, vidéos, et photos et de les rendre

accessibles à tout leur réseau de contacts. Les adolescents, en majorité, plébiscitent le site

et livrent des versions d’eux-mêmes très « Kikoolol7 » à l’image d’une génération qui

découvre le web, ses étendues de possibilités de partage et ses codes constitués

d’acronymes et d’émoticônes. « Lache tes com’s » devient le mot d’ordre de ce nouveau

média interactif où l’on raconte ses amis, ses amours, et ses états d’âme à la manière d’un

journal intime.8

L’ovni Tumblr

Très populaire de par sa simplicité extrême d’utilisation, cette plateforme de blogging

gratuite totalise pas moins de 111,7 millions de blogs sur la toile, représentant 75,8 millions

de nouveaux posts par jour. Six % des internautes possèderaient un Tumblr, dont deux-tiers

auraient moins de 35 ans (Wishpond, 2013)9.

Visuels avant tout, ces blogs contiennent 50 % de photos et une partie d’entre-eux

surfe sur la vague des mèmes10, ces détournements humoristiques caractérisés par un sens

de l’ironie aigu. Tumblr, plus que d’autres plateformes, trempe dans l’humour absurde. Un

phénomène caractérisé par son extrême viralité et son addiction très forte. En effet, un

pourcent des utilisateurs sont les auteurs de 36 % des pages mises en ligne (Wishpond,

2013).

6 Pierre Bounlanger, fondateur de la radio skyrock lance Skyblog en 2002. En 2007, la plateforme est intégrée

au site Skyrock.com 7 Selon Wictionary, Contraction de Kikou, variante de l’interjection Coucou, et de LOL, signifiant « Mort de

rire » en anglais. Cette expression péjorative désigne des adolescents utilisant à outrance des termes comme « LOL » 8 Voir annexe 1

9 Voir infographie en annexe 2

10 Mot inventé par le spécialiste du comportement animal Richard Dawkins dans les années 70. Il qualifie « des

éléments culturels qui se transmettent d'une personne à l'autre et sont, comme les gènes, soumis à des mutations. » Appliquée au web, cette théorie se traduit par « un objet culturel, le plus souvent humoristique, qui se diffuse très vite au sein d'une communauté en ligne, chacun des membres de cette communauté pouvant se réapproprier l'objet et en créer sa propre version. »(Leloup, 2012)

9

Certains de ces Tumblr sont devenus cultes, à l’image de « chersvoisins »11, dont le concept

est de répertorier des mots laissés par des voisins qui poussent un gros coup de gueule.

Hautement inutile, mais drôle.

Wordpress, la plateforme des professionnels

WordPress est la plateforme recommandée par tous les professionnels. Elle permet

d’avoir son propre URL et propose des interfaces définies ainsi que des widgets12. De plus,

la plateforme est très bien référencée par Google. Acheter un nom de domaine et transférer

ses données sur un site à son nom pose beaucoup moins de problèmes avec WordPress

que s’il l’on vient d’une autre plateforme d‘hébergement gratuit. Le conseil premier donné par

The Social media bible, un ouvrage de conseils sur l’utilisation des médias sociaux, est :

« Utilisez WordPress, Aucune autre plateforme n’est aussi flexible » (Safko, 2010, p.159).

2. Une blogosphère plurielle

La blogosphère est un terme qui qualifie l’ensemble des blogs existant du World wide

web. Cependant, la blogosphère est divisée en blogosphères au pluriel, chaque catégorie de

blogs constituant une communauté. Les communautés comptant le plus de membres sont

celles des jeux vidéos, des nouvelles technologies, des amateurs de bandes-dessinées et de

comics, des fans de mode, des apprentis cuisiniers, ou encore des gourous du marketing.

Ces communautés se construisent autour d’un noyau de blogs considérés comme référents,

à savoir le petit un pourcent qui ont réussi à devenir indispensables et sont considérés

comme spécialisés et influents, parfois davantage que les médias de niche eux-mêmes

(Lecoq et al, 2011, p.24).

Viennent ensuite les blogs à valeur informative, divisés en trois catégories. Tout

d’abord, le blog médiatique. Celui-ci est hébergé par un média, qui lui procure une interface.

Aux commandes de celui-ci se trouve un journaliste salarié, un expert recruté selon la

spécialisation du blog, ou encore un individu dont le blog existant préalablement sur la toile

présente une valeur ajoutée suffisamment intéressante pour être rattaché au site de ce

média. En France, nous pouvons citer les blogs du journal Le Monde, du Nouvel

Observateur ou de l’Express, mais aussi des radios Europe 1 et RTL. En Belgique, Les sites

web du journal Le Soir et de Sudpresse 13, deux entités du groupe Rossel, contiennent un

onglet « Blogs ».

11

Voir annexe 3 12

De Window et Gadget, ces petits programmes sont des compléments pour améliorer un site et faciliter la vie de son auteur. 13

Exemples de blogs médiatiques en annexe 4

10

Le blog journalistique, à savoir le blog personnel d’un individu exerçant la profession

de journaliste, est, lui, plus rare, à l’image de celui de Caroline Lallemand, journaliste pour

Levif-L’Express, expatriée à New York, qui dévoile sa vie dans la Grosse Pomme sur le blog

www.littlecaroinbigapple.com. Les journalistes possédant une patte, un nom reconnu ont en

effet plutôt tendance à occuper une interface au sein de leur média en ligne. Le blog

amateur, aux mains de citoyens ordinaires, peut devenir quant à lui une référence, comme

Presse-citron14, fondé par le « blogueur professionnel »15 Eric Dupin et spécialisé dans la

culture web et les nouvelles technologies.

L’avènement de l’information impertinente

Le net est un moyen de toucher n’importe qui, n’importe où et n’importe quand. C’est

également un moyen de tenter de fidéliser un lecteur/téléspectateur croulant sous l’offre de

nouveautés et de canaux d’information. Internet permet au journalisme de se réinventer,

d’aller plus vite, d’être aux premières loges de ce qu’il se passe à l’autre bout du monde.

Des amateurs, adeptes de l’écriture et curieux, se sont alors emparés des

plateformes d’hébergement gratuit afin de créer leur propre espace sur la toile. Certains de

ces nouveaux venus, les blogueurs, se sont lancés dans le relais d’information, la chronique,

ou l’écriture d’articles. La libéralisation de l’information via internet a généré une confusion

entre journalistes et blogueurs tant ceux-ci ont tout de nouveaux journalistes : les journalistes

3.0. Les blogs traitant d’actualité, de culture, ou simplement de sujets d’intérêts pour le

public incarnent une version moderne de l’information, appelée « l’information

impertinente » (Lecoq et al, 2011, p.23). Celle-ci se caractérise par des angles inhabituels,

des sujets qui sortent de l’ordinaire ou des réflexions personnelles poussées, souvent

caractérisées par une prise de position et l’abandon de la sacro-sainte objectivité

journalistique.

Dans un article publié en janvier 2005 portant sur la crise frappant les médias, l’ex

rédacteur en chef du Monde Diplomatique, Ignacio Ramonet, constatait déjà ce changement

majeur : « Il y a aussi le phénomène des blogs, caractéristiques de la culture du web, qui ont

explosé partout au cours du second semestre 2004, et qui, sur le ton du journal intime,

mélangent parfois, sans complexe, information et opinion, faits vérifiés et rumeurs, analyses

documentées et impressions fantaisistes. […] Cet engouement montre que beaucoup de

lecteurs préfèrent la subjectivité et la partialité assumées des bloggers à la fausse objectivité

et à l’impartialité hypocrite d’une certaine presse. […]

14

Presse-citron s’est imposé comme un blog français de référence. Il totalise plus d’un million de visiteurs uniques chaque mois (Dupin, 2013) 15

Autoproclamé, il dirige en effet le blog comme un webzine classique.

11

Et la connexion à la galaxie Internet à travers le téléphone-portable-qui-fait-tout risque

d’accélérer encore le mouvement. L’information devient encore plus mobile et plus nomade.

On peut savoir, à tout moment, ce qui se passe dans le monde » (2005, p.1).

Les journalistes professionnels, peu habitués à partager leur expertise avec de

nouveaux venus sur le marché de l’information, ont d’abord vu cette « invasion » d’un

mauvais œil. « Certaines difficultés qu’une partie de la corporation des journalistes

professionnels rencontre sur internet, c’est qu’elle y trouve une concurrence […] de la part

d’internautes qui font bel et bien du journalisme, mais hors du cadre professionnel et de la

carte de presse. Ce sont par exemple des blogueurs qui commentent l’actualité, comme le

font les éditorialistes professionnels. Ce sont aussi des experts dans leur domaine de

spécialité […] qui peuvent s’exprimer en ligne directement, sans passer par les journalistes

professionnels qui étaient autrefois des intermédiaires obligés. Et ces experts connaissent

souvent leur sujet bien mieux que les journalistes, qui ne peuvent pas être des spécialistes

en tout. Ce sont aussi des internautes « lambda », qui témoignent de ce qu’ils voient et

entendent, de ce qu’ils vivent, et qui peuvent en rendre compte en direct et en ligne, sans

passer par l’intermédiaire des journalistes. C’est ce que l’on a appelé le phénomène de

désintermédiation, qui remet en cause très profondément le rôle, mais surtout le statut des

journalistes professionnels dans la société. Ils étaient autrefois dans une situation de quasi

monopole, contrôlant l’accès à l’expression dans l’espace public des médias. Ce monopole a

sauté avec l’internet, car l’accès à l’expression y est beaucoup plus ouvert,» explique le

blogueur anonyme Narvic16 sur le blog du journaliste Antoine Dupin (2010).

3. Blogueur ou journaliste ?

Le journalisme est un métier et n’est pas journaliste qui veut. Cependant,

contrairement à une discipline comme la médecine, les règles entourant le journalisme en

tant quel tel, sont dépassées à l’heure d’internet. Il faut établir une différence entre le fait de

« faire du journalisme » et le statut légal de journaliste professionnel. Le journaliste

professionnel bénéficie de l’obtention d’une carte de presse, mais n’officie pas toujours dans

le journalisme. Le blogueur qui « fait du journalisme » n’est quant à lui pas accrédité du titre

de journaliste et n’a donc pas les mêmes devoirs. Pourtant, il est possible qu’il réalise une

réelle mission de journalisme, soit qu’il traite une information, se documente et la

communique à ses lecteurs en y apposant de la valeur ajoutée et une réflexion digne

d’intérêt public, dite « journalistique ».

16

Blogueur qui officiait sur le blog Nörövision, aujourd’hui chroniqueur sur Slate.fr, le webzine fondé par Jean-Marc Colombiani, ancien rédacteur en chef du journal Le Monde.

12

Souvent taxé de « journaliste en pyjama », le blogueur s’adonne donc au journalisme

par sa démarche et grâce aux outils qu’il utilise pour toucher le public qui le lit. D’anonyme, il

devient une figure publique. Sur le net, le blogueur bénéficie de la loi sur la liberté

d’expression et de la presse et a les mêmes devoirs qu’un professionnel en ce qui concerne

le respect des lois.

Cependant, la plupart des blogueurs ne cherchent pas à acquérir le statut de

journaliste. Ils pensent et écrivent des articles en tant que blogueurs. La recherche de statut

n’est pas d’actualité puisqu’ils ont déjà un statut, qui leur convient, marquant une alternative

et une différence. Pour Cédric Motte, spécialiste en stratégie éditoriale, la notion de menace

qu’ont pu percevoir certains journalistes à l’égard des blogueurs n’est pas légitime. « Les

journalistes les voient comme des concurrents, mais dans l’état d’esprit des blogueurs, l’idée

n’est absolument pas de faire du journalisme. Ce sont juste des gens qui sont passionnés

par un sujet et qui se disent qu’ils ont des choses à raconter dessus. Le fait d’être journaliste

ou pas, ils n’en ont rien à faire » (cité par Peignois, 2010 p. 34).

La différence pratique entre un blogueur et un journaliste n’est en outre pas la qualité

de son écriture et de l’information qu’il délivre puisque le talent et l’esprit d’analyse ne sont

pas le monopole du diplôme. Les blogueurs se sont imposés comme une source crédible et

à prendre en compte lors de leurs interventions durant des évènements remarquables et

extraordinaires par exemple. Catastrophes, élections, et révolutions les ont vus imposer leur

style. Témoins, reporters de terrain, nombre d’entre eux sont devenus les voix particulières

de jours troublés ou de causes particulières, à l’image des blogueurs tunisiens lors du

renversement du régime de Ben Ali.

Pour l’Américain Dan Gillmor, blogueur et journaliste en ligne spécialisé dans les

nouvelles technologies,17 « C’’est l’histoire d’une révolution moderne, car la technologie

nous a donné un ensemble d’outils de communication qui permettent à chacun de devenir

journaliste à moindre coût et en théorie, d’avoir une audience illimitée. Rien d’un tant soit peu

comparable n’avait été auparavant possible » (2004, p.56).

Le bloggeur « Bishop », co-fondateur du blog « Substance-M » (2012) écrit d’ailleurs

que « le journalisme ne s’apprend pas, il se pratique. » Selon lui, un individu pratiquant le

journalisme est avant tout quelqu’un de curieux, qui réfléchit sur son environnement.

17

Dan Gillmor a publié un ouvrage de référence en 2004, We the media.

13

Différences d’obligations, de motivations et de ton

Le blogging se distingue du journalisme professionnel et encadré par sa non-

obligation de produire du contenu et sa liberté de ton et d’opinion. Un journaliste, même celui

dont l’espace de publication est un blog hébergé par son média, dépend, en théorie, d’un

rédacteur en chef, tandis qu’un blogueur est son propre patron.

Selon le rédacteur en chef de l’Express.fr, Eric Mettout, « le journaliste dépend de la

périodicité de son média et travaille en fonction de celle-ci. Cette obligation est contractuelle

et économique. Le journaliste doit procurer du contenu à son employeur pour que celui-ci

touche le même audimat, le même tirage. Les blogueurs sont libres d’obligation. Le blogueur

a donc davantage le regard sur la propriété informative de son article tandis qu’un journaliste

peut davantage se retrouver dans une position de remplissage » (Mettout, 2009).

La liberté d’expression et de ligne éditoriale, d’agenda et de hiérarchisation des

sujets sont la grande différence à souligner entre un blogueur et un journaliste mettant en

œuvre ses talents sur un blog exploité par sa rédaction. Le format du blog et son aspect

d’interaction direct avec les lecteurs donnent une impression de démocratie du net et de

nouvelle liberté d’écriture et d’opinion.

Pourtant, le blogueur, afin de fidéliser son audience et devenir, non pas journaliste,

mais « blogueur qui fait du journalisme » doit maintenir un rythme de publication constant et

répondre à des obligations envers un lectorat en demande du style d’information qu’il délivre

de manière périodique. S’il veut perdurer, le blogueur doit également établir une stratégie

éditoriale selon la niche dans laquelle il s’est établi afin de rester cohérent envers lui-même

et son public ainsi qu’une stratégie commerciale s’il désire monétiser son activité.

L’amateurisme traverse les frontières pour se diriger vers un professionnalisme auto-

reconnu, mais bénévole.

Le journaliste- blogueur, hybride du XXIè siècle

Mise en situation : Pourquoi un journaliste pourrait-il ressentir le besoin de s’exprimer

ailleurs que via la tribune du média pour lequel il travaille ?

Première hypothèse : Le journaliste cherche à obtenir un retour sur son travail et à fédérer

une communauté.

Les blogs des débuts étaient des journaux « intimes », partages de pensées et de

réflexions, d’impressions et d’avis. Le journalisme d’opinion a quant à lui connu ses heures

de gloire au XVIIIe siècle. Si les journaux d’aujourd’hui ne sont pas dépourvus d’opinion, ils

ne la donnent que lorsque l’information la rend nécessaire.

14

Le journaliste derrière son écran, s’il a commencé par snober les blogueurs amateurs, se

prend au jeu du net et comprend les enjeux qui découlent de cet espace infini d’expression

et de lecteurs. IL souhaite se faire un nom, jouer pour lui-même car au fond, il reste un

homme et se confronte à cette tendance comme à un nouveau challenge (Parisot, 2010,

p.13 et p.14).

Grâce à l’utilisation de Twitter notamment, les journalistes font ressortir leur

personnalité, dévoilent ce qui les interpelle, les choque, les amuse ou les ennuie. Le blog,

dont Twitter est l’expansion, est un moyen de se faire connaitre pour qui l’on est et non pour

qui l’on travaille, d’imposer son style et ses intérêts tout en gardant en tête les limites de la

subjectivité et la nécessité de rester neutre sur certains sujets pour éviter de provoquer un

conflit d’intérêts. La relation avec les lecteurs est la chose la plus importante pour un

journaliste-blogueur puisqu’il n’est pas occulté par son média. Le blogueur possède une

relation d’égal à égal avec le public qui le lit, notamment via les commentaires et les

partages sur les réseaux sociaux. Le journaliste-blogueur devient une personnalité jugée par

les internautes et descend de son piédestal de journaliste. Il échange, accepte les

remarques et reçoit un retour sur son travail de manière instantanée.

En 2006, Philippe Gammaire, ex-journaliste et auteur du blog L’univers des médias,

avait déjà compris la raison d’être de ces blogs, précurseurs du micro-blogging : « Je pense

que les journalistes ne pourront plus s’en passer dans un avenir proche. À cause de la

relation avec les lecteurs. Les journalistes ne peuvent plus se placer sur un piédestal et

diffuser de l’info. Ils sont désormais au milieu de l’agora virtuelle du Net, et échangent à

égalité avec leur lectorat. C’est un des effets important de la révolution en cours ».

« Ces lecteurs, qui font la démarche d’aller sur le blog- comme on achète son journal

au kiosque-, donnent leur avis, critiquent, auscultent chaque mot, enrichissent les textes en

informations, s’insurgent ou applaudissent. Bref, ils commentent et créent de la vie autour

d’un contenu. « Des liens de proximité se tissent entre les lecteurs et le blogueur. » continue

Philippe Gammaire (2006).

Seconde Hypothèse : Le journaliste désire s’émanciper du média pour lequel il travaille et de

la sacro-sainte ligne éditoriale. Il a besoin de davantage de liberté d’expression.

Les auteurs du livre Objectif blogs, se posent cette-même question de savoir :

« Pourquoi un journaliste qui possède une tribune d’expression, à savoir le média pour qui il

travaille, se tourne-t-il vers une autre plateforme ? », et cela dès 2007. (Klein et Burnay,

2007, p.69)

15

L’hypothèse de réponse des auteurs de l’ouvrage est la suivante: « les médiablogs

donnent une liberté de ton et de parole qui n’existe pas au sein du média qui possède une

ligne éditoriale bien précise. Les journalistes bénéficient aussi d’une liberté d’agenda et de

hiérarchisation des sujets. Aucune contrainte financière liée au rendement n’entre en

compte. » Le journaliste ressent le besoin de s’exprimer autrement, d’emprunter un ton

différent de celui qu’il utilise dans son milieu professionnel, et choisit ses propres sujets, qu’ii

n’aurait pas l’occasion de traiter au sein de son média (Klein et Burnay, 2007, p.69).

Moins les journalistes sont identifiables et donc rattachables à une rédaction, plus ils

bénéficient d’une réelle liberté d’expression (Klein et al, 2007, p.70). « Sur un blog, l’envoyé

spécial du Monde ou de Télérama est son propre éditeur. Il n’est plus soumis à sa

hiérarchie, à l’œil critique d’un chef de service, ni au coup de patte d’un secrétaire de

rédaction pointilleux, à l’humeur tranchante d’un rédacteur-en-chef soucieux de ménager la

chèvre et le chou, ou bêtement d’un actionnaire. Bref, toutes ces contraintes qui enchâssent

le reporter de base dans un cadre convenu, que l’on nomme aussi "ligne éditoriale".»

complète l’ancien journaliste Philippe Gammaire ( 2006).

Retour à un journalisme d’opinion ?

Quand on lui demande s’il n’y a pas un risque de ne faire que de l’opinion, Philippe

Laloux, digital media manager du journal Le Soir réagit et tue le débat dans l’œuf :

« Justement ! C’est ça que nous voulons. Un blogueur ne doit pas faire du journalisme de

dépêche, il doit donner son avis, construire son blog autour de ses idées. Il y a une liberté de

ton incomparable qui lui est offerte, il faut qu’il en profite. Toutefois, tous les blogs du Soir

sont journalistiques avec un réel intérêt public, mais le ton n’est pas celui d’un journal.»(1er

juillet 2013)

Le journaliste, fort de son éducation et de son expérience conserve les valeurs de

déontologie de l’information et une conscience professionnelle qui peut cependant faire

défaut aux blogueurs amateurs qui se lancent dans le partage d’information. Pierre

Assouline, journaliste et blogueur, confirme cette pratique : « Certes l’information en ligne a

modifié les perceptions que l’on a de l’information, la manière d’écrire des articles et la

conception de la mise en scène de l’information. Malgré ça, les fondamentaux de la base du

journalisme restent intacts. Ce qui était valable jusqu’à présent sur papier par rapport à la

diffamation, la manière de faire une enquête, de vérifier les sources, ou de recouper les

informations restent valables en ligne. » (Assouline cité par Perdriolle, 2010)

16

4. Le journalisme citoyen, différent du journalisme

amateur

Le débat sur le journalisme amateur ne date pas de l’apparition des blogs. Des

médias régionaux comme Sud presse18 ou Les éditions de l’’Avenir19 par exemple, ont

notamment recours à la contribution de « collaborateurs » dont le métier n’est pas journaliste

mais qui donnent de leur temps libre pour écrire quelques articles par semaine contre une

rémunération inférieure à celle d’un journaliste pigiste.

Le terme « journalisme citoyen » souvent considéré comme un synonyme du

journalisme amateur a pourtant pris une dimension différente depuis l’apparition d’internet. Si

le journaliste citoyen est un amateur, il n’écrit pas par plaisir, mais par devoir, comme

régulateur de la presse dite de masse, à force de coups de gueules et de rappels à l’ordre,

officiant comme réveil des consciences endormies et témoin de terrain.

« À la différence du journaliste professionnel, il [le journaliste citoyen] n’écrit pas

seulement pour informer, mais, dans le but de faire pression sur la presse et de rétablir la

vérité au cas où cette dernière manquerait à son devoir. Le journaliste citoyen se doit donc

d’être au mieux interrogateur, ou de donner son opinion. Le journaliste citoyen ne peut rester

neutre car dans ce cas, il serait inutile puisque la maxime de neutralité relève du journalisme

professionnel. Il doit marquer sa différence. Le journaliste citoyen doit pousser le lecteur à

réfléchir plus encore que ne le fait un journaliste. Mais, à la différence de la presse

professionnelle, son arme n’est pas la neutralité, » écrit Richard Patrosso (2007), auteur-

contributeur pour agoravox.fr20, « le média citoyen » autoproclamé, dans un article visant à

rétablir les frontières entre journalisme citoyen et journalisme professionnel.

Une crise de confiance

Cette contestation de la presse, au sein d’un climat de crise de confiance, s’explique

par plusieurs facteurs clés. Le premier d’entre eux est le reproche fait aux médias en ligne

d’effectuer du « journalisme de dépêches ».

18

Sudpresse est un groupe de presse quotidienne régionale, propriété de Rossel, spécialisé dans l’information de proximité. Il comprend des titres emblématiques tels que La Meuse, La Nouvelle Gazette et La Capitale. 19

Les éditions de l’Avenir est un groupe de presse quotidienne régionale, propriété du groupe Corélio. 20

Agoravox.fr est une plateforme multimédias en ligne 100% participative et gratuite qui prône l’intelligence collective de « veilleurs citoyens ».

17

Eric Shérer, directeur de la prospective numérique du groupe France Télévisions explique

au sein de son livre « A-t-on encore besoin des journalistes ? Manifeste pour un journalisme

augmenté » que « Le public voit bien désormais, via Internet, le manque de sérieux des

exclusivités, et parfois des expertises, s’aperçoit que les informations, qui viennent le plus

souvent d’agences de presse ou de communiqués de presse, sont à peu près partout les

mêmes, se désole de la pauvreté, du manque de courage et de suivi dans les questions

posées aux grands de ce monde. La multiplication des sources anonymes, « autorisées »,

« sûres », « proches de », « dans l’entourage », etc., n’aide guère, pas plus que les opinions

masquées derrière des formules vagues […], et ajoute à la distance ressentie. » (Schérer,

2011, p.65).

Internet a également amené le lecteur à se poser davantage de questions sur les

conditions de « fabrication » de l’information. Eric Schérer poursuit son raisonnement :

« L’absence de transparence dans le processus de collecte de l’information des entreprises

de presse gêne. Le public aimerait en savoir davantage sur la manière dont une information

sort au grand jour, sur la façon dont elle est d’abord proposée au journaliste, connaître ses

critères de tri dans une interview, le contexte d’une citation, son agenda personnel, etc. »

(Schérer, 2011, p.65).

Chaque année, depuis 1987, Le Baromètre de confiance des Français dans les

médias est réalisé par TNS Sofres21 pour le journal La Croix auprès d’un échantillon

représentatif de la population. Les conclusions de ce baromètre 201322, publié en janvier,

confirment l’intérêt prononcé des Français pour l’actualité,23mais met aussi en évidence le

manque de confiance dans les médias qui la transmettent. Ainsi, la radio garde la tête avec

54 % de crédibilité, la presse écrite est à 49%, et la télévision à 48%. Les médias Internet,

qui avaient bénéficié d'une crédibilité en hausse régulière depuis la création de la mesure

pour Internet en 2004, stagnent à 35 % de crédibilité. (TNS Sofres cité par La Croix, 2013,

p.6 et 9)

Cette crise survient au sein d’une crise de confiance plus importante à l’encontre des

médias et du journalisme en général. Critiqués, les médias traditionnels se voient notamment

reprocher leur complicité avec le monde politique et l’ambigüité de ces rapports, entre amour

et haine, connivence et manque d’indépendance.

21

Institut de sondages français, leader des enquêtes marketing et d’opinion. 22

Voir annexe 5 23

70% des personnes interrogées déclarent s’intéresser de près à l’actualité

18

Jean-Paul Marthoz, journaliste, écrivain, blogueur24, professeur à l’UCL et à l’Ihecs, et

membre du conseil de Human Rights Watch pour l’Asie centrale, explique cette connivence

existante entre le monde politique et les journalistes. « Le monde politique et l’État n’ont pas

leur pareil pour courtiser les journalistes et les engluer dans des rapports de connivence et

de fausse sympathie qui compromettent l’indépendance. Il n’est évidemment pas interdit,

même pas à des journalistes, d’avoir des amitiés et des sympathies, mais l’intégrité de la

profession impose de garder une certaine distance. » (Marthoz, 2011, p.88-89).

Les médias se font aussi pointer du doigt en raison des pressions subies par leurs

actionnaires qui font de plus en plus partie de grands conglomérats économiques. En

France, cette tendance au rachat de groupes de presse par des groupes d’affaires diversifiés

s’illustre notamment par le Groupe Lagardère, dont la filiale Lagardère active possède entre-

autres Paris Match, Elle, Be et Europe 1, ou LVMH qui possède le groupe Les Echos depuis

2008.

Dans son ouvrage, Médias de masse et masse des médias, Ignacio Ramonet,

rapporte cet état d’esprit ambiant : « Les citoyens se méfient d’une presse qui appartient à

une poignée d’oligarques contrôlant déjà largement le pouvoir économique et qui sont

souvent en connivence avec les pouvoirs politiques. » (Ramonet, 2011, 37)

Ainsi, Serge Dassault, cinquième fortune de France et propriétaire du Figaro depuis

2004 via la société Socpresse dont il est le seul actionnaire, déclarait la même année :

« L’intérêt d’acheter un journal est que cela permet de faire passer un certain nombre d’idées

saines ». Les journalistes s’étaient alors plaints de pressions de la part de la direction25.

Le propriétaire de Dassault aviation avait pourtant annoncé la couleur dès sa prise de

fonctions au conseil d’administration du groupe Socpress: « Je souhaiterais, dans la mesure

du possible, que le journal mette plus en valeur nos entreprises. J’estime qu’il y a

quelquefois des informations qui nécessitent beaucoup de précautions. Il en est ainsi des

articles qui parlent des contrats en cours de négociation. Il y a des informations qui font plus

de mal que de bien. Le risque étant de mettre en péril des intérêts commerciaux ou

industriels de notre pays. » (Ramonet, janvier 2005, p.26)

24

Son blog, La liberté sinon rien, est hébergé par le soir.be, site du journal Le Soir pour qui il est également chroniqueur. 25

, notamment afin d’abandonner une interview dans le cadre d’une vente illégale de Mirages à Taiwan.

19

Aujourd’hui, pour contrer ces aspects négatifs d’une presse de masse, le lecteur est

devenu acteur et participe à l’élaboration de l’information. il s’est transformé en journaliste

citoyen et a développé de nouvelles exigences. (Dawance, Dechamps, Joris, Volvert, 2012,

p.31)

« En plus de l’exactitude, de la rapidité, de la pertinence, et désormais de la

personnalisation et du dialogue, le public réclame aux journalistes une relation de

confiance.» constate Eric Schérer dans son livre, argumentant pour un journalisme

augmenté. (Schérer, 2011, p. 66)

5. Le journalisme participatif, une réponse

Cette confiance en les médias se reconstruit petit à petit grâce au journalisme

participatif. Dès 2004, un vent de révolution souffle sur internet. Le journaliste américain

Dan Gillmor publie We the media26, une réflexion sur la façon dont nous produisons et

consommons l’information. Cet ouvrage, militant pour le journalisme citoyen, devient une

référence pour tout participant au cycle des blogs et des nouvelles manières de produire les

news via des amateurs, c'est-à-dire nous.

Dès le début des années 2000, des médias alternatifs voient le jour afin de satisfaire

cette envie de partage et de participation à la vie publique. Le site coréen OhMyNews,

précurseur du genre, a très tôt recueilli des milliers de contributions d’internautes.

Le journalisme participatif juxtaposé

Plutôt que de se faire dépasser par le phénomène de ces amateurs friands de donner

leur opinion et de débattre entre-eux, plusieurs journaux en ligne comme Le Figaro en

France et Le Soir en Belgique ont très tôt ouvert leurs pages aux commentaires et aux chats

organisés ponctuellement afin de susciter les débats en interne et de créer une réelle

interaction entre journalistes et lectorat. Cet apport s’appelle du journalisme participatif

juxtaposé. (Noblet et Pignard-Cheynel, 2008, p.8-11)

De son côté, Lemonde.fr appelle régulièrement ses internautes à témoigner au sujet

de problématiques particulières. Interrogé par le Blog numérique de l’ESJ Lille, école de

journalisme reconnue de France, Alexis Delcambre, rédacteur en chef du Monde.fr, exprime

l’interactivité de la formule: « Les internautes n’hésitent pas à rédiger dix, quinze, trente

lignes sur un sujet, ce qui montre qu’ils sont en confiance avec le média. »

26

Nous, le média.

20

De manière concrète, ces appels à contribution sont un moyen de faire monter l’audience sur

des sujets qui collent à l’actualité.

« Ce format a conquis la rédaction et ces expériences collectées forment le tronc d’articles

basés sur les meilleurs témoignages, » explique Alexis Delcambre, qui insiste sur le gain de

praticité de ces appels à témoins. « Les internautes amènent de la matière qui peut être

creusée plus tard lors d’un article sur le sujet et constituent une base de données très utile

d’intervenants référents sur des thèmes précis. […] Ce n’est pas vraiment ce qu’on peut

appeler un format éditorial low cost parce qu’il nécessite beaucoup de temps, […] mais Le

Monde semble y gagner par rapport à la consolidation de son audience». conclut-il (2011).

Le journalisme participatif intégré

Sur la même lancée que Dan Gillmor, Joël De Rosnay27 et Carlo Revelli publient en

2006 un essai sur le futur du journalisme de masse, La révolte du pronétariat28, Les deux

auteurs ont auparavant mis leur théorie en pratique en fondant agoravox.fr, le premier média

100 % citoyen en ligne, financé entièrement par ses contributeurs bénévoles et amateurs.

Toutefois, le phénomène dont témoigne AgoraVox, le fameux « tous journalistes », est

minoritaire au sein de la toile. Les reportages et articles mis en ligne restent l’apanage d’un

petit nombre d’amateurs identifiés comme faisant partie de la frange intellectuelle de la

population (Rebillard, 2012).

Si AgoraVox est géré par un réseau de journalistes professionnels, ceux-ci

s’occupent surtout de veiller à un bon agencement des contenus et laissent une grande

liberté aux contributeurs quand au contenu de leurs articles. Ce « laisser-faire » n’a pourtant

pas trouvé écho puisque les médias qui se sont ensuite lancés dans le journalisme

participatif ont souhaité mettre en œuvre un modèle hybride encadré par des professionnels

du journalisme.

Un journalisme à trois voix

Un exemple caractéristique de cette hybridation est le site Rue89, fondé en 2007 et

auto-qualifié de « participatif encadré ». Aux commandes se trouvent des anciens

journalistes du quotidien Libération qui filtrent tous les apports des internautes, depuis le

simple commentaire à la proposition d’article. Pour Laurent Mauriac, directeur général, le but

est de faire de Rue 89 « un site de confrontation d’idées où experts, amateurs et journalistes

(les trois voix) partagent un espace d’expression commun.» (Mauriac, 2007)

27

Scientifique, ex-chroniqueur sur Europe 1 28

Jeu de mots entre Net et prolétariat. Signifie une action du peuple via le net.

21

Dans la pratique, les amateurs sont encadrés, leurs contenus examinés par la rédaction et le

moindre commentaire est contrôlé afin d’éviter les dérapages car le site en tant qu’hébergeur

est responsable des propos échangés en son sein.

Mediapart, média citoyen engagé et encadré

Cette tendance au cloisonnement semble se prolonger avec la création en 2008 d’un

autre pionnier du journalisme à trois voix, le pure player 29d’Edwy Plénel30, Mediapart. Celui-

ci sépare le « Journal », la partie rédigée par les journalistes professionnels et salariés, du

« Club », l’espace réservé aux internautes abonnés où l’on peut trouver « les éditions

participatives », sortes de journaux thématiques collectifs, ainsi que les centaines de blogs

hébergés. Egalement encadrée par les professionnels en vue de « réguler le cinquième

pouvoir autoproclamé31 », cette partie importante du site est soumise aux mêmes lois et

devoirs que le « Journal ». Pugnace et engagé, Mediapart renoue avec un journalisme

d’investigation fort en révélations en vue de répondre à la crise de la presse papier et de

faire avancer la presse en ligne avec un nouveau modèle économique et journalistique.

Financé par ses fondateurs au nombre de six et par des partenaires n’appartenant pas au

monde de la finance, Mediapart parie sur un lecteur intelligent, sachant faire la part des

choses et désirant participer à une réflexion collective intellectuelle et modérée pour

contribuer au « meilleur débat ». Contrairement à Rue89 qui est un site gratuit et financé par

la publicité, Mediapart refuse cette logique dominante de la gratuité causant un manque

d’indépendance, et demande une contribution financière32 à ses lecteurs afin d’accéder à un

contenu éditorial « de qualité ». Le site souhaite fidéliser son lecteur, devenir « son » journal,

dans un monde où l’internaute vogue de sites en sites pour dénicher l’information qui

l’intéresse.

Pour Phlippe Laloux33, Mediapart a le meilleur modèle économique et éditorial du

journalisme participatif. « Ils disposent d’une équipe rédactionnelle qui encadre entièrement

les publications amateurs et leur permet de repérer les blogueurs de qualité, ce qui est

extrêmement couteux. Aucun site belge ne pourrait se permettre ce qu’ils font. Le budget

pour payer les journalistes doit avoisiner les 750 000 euros. » Mais Médiapart est à part dans

le paysage du journalisme participatif à tous niveaux.et leur modèle économique basé sur

une idéologie de l’information différente le leur permet. » (1er juillet 2013)

29

Un pure player est un site d’information en ligne ne possédant pas de version papier. Se dit aussi d’une entreprise qui concentre son activité dans un seul secteur. 30

Ancien rédacteur en chef du Monde, il a fondé Médiapart avec cinq partenaires. 31

Le cinquième pouvoir correspond aux « journalistes citoyens » 32

L’abonnement s’élève à neuf euros par mois. 33

Journaliste et digital manager du journal Le Soir

22

Mediapart met un point d’honneur à mener des enquêtes approfondies sur le long

terme34, fondées sur des méthodes parfois décriées35 causant littéralement une mise à dos

de toute la classe politique française. Après avoir mis au jour l’Affaire Woerth-Bettencourt36

en 2010, c’est une autre affaire qui fait trembler la République fin 2012, celle entourant la

possible détention d’un compte en suisse non-déclaré par le ministre du budget, Jérôme

Cahuzac. Les méthodes de Mediapart sont controversées37, renouant avec une tradition

d’enquête offensive collant davantage avec la manière de faire anglo-saxonne. Un sondage

réalisé par le site newsring.fr (Fleury, 2013) auprès de 150 internautes38, portant sur la

question : « Faut-il prendre exemple sur Mediapart ? » a été mis en ligne récemment. 79%

des internautes ont répondu « oui », argumentant que ce genre de presse leur redonne

confiance en les médias.

6. L’adoption des blogs par les médias

Afin de regagner la confiance et susciter l’enthousiasme des citoyens, mais aussi de

drainer du trafic sur leur site39, les médias traditionnels, dont l’offre en ligne n’est pas

suffisante pour attirer assez d’annonceurs, ont décidé de combattre le mal par le mal dès le

début de l’apparition des blogs, comprenant là les énormes possibilités en termes de

marché. En France, le premier à franchir le pas en 2003 est le site d’actualité 20minutes.fr.

Tous les autres quotidiens et hebdomadaires suivront.

Eric Mettout, rédacteur en chef de l’Express expliquait déjà le but de cette démarche

en 2008 : «Notre stratégie par rapport aux blogs […] est d'occuper des terrains comme par

exemple la mode avec le blog de Géraldine Dormoy 40qui a permis à l’Express de s’inscrire

dans cette niche. […] Les blogs permettent de recruter et de fidéliser des internautes, bien

sûr, mais aussi de trouver une liberté de ton que l'on ne trouverait pas ailleurs», continue le

rédacteur en chef (Mettout cité par Le Golf et Signouret, 2008).

34

Médiapart plaide pour accorder du temps aux enquêtes, et d’oublier la logique d’une rédaction rapide propre au net. 35

Enregistrements clandestins 36

Affaire révélant la possible fraude fiscale de Liliane Bettencourt, première fortune de France, au cœur d’un conflit d’intérêts politique et d’un financement de campagne illégal supposé. Cette affaire entremêle les époux Woerth et Nicolas Sarkozy. Médiapart a révélé l’affaire grâce à des enregistrements pirates réalisés par l’ancien majordome Liliane Bettencourt. 37

Durant l’Affaire Cahuzac, Edwy Plénel est sorti de son rôle de journaliste et a exhorté le procureur de la république à examiner le dossier et à procéder à une enquête sur ce qui avait été révélé dans le journal. 38

Voir annexe 6 39

Sur le site du monde.fr, le trafic généré par les blogs représente 13% du trafic général. 40

Le blog de Géraldine Dormoy, « Café mode » est aujourd’hui le troisième blog de mode le plus visité de France.

23

La stratégie du Soir en ligne concernant les blogs est très similaire à celle de

L’Express. « Si l’avantage premier d’un blog est d’être un outil mobile en dehors des

rédactions, le but éditorial est de pouvoir diversifier l’offre du journal en proposant des sujets

qui ne bénéficient pas forcément d’une rubrique.

Nous souhaitons nous installer dans des niches afin d’agréger des communautés et apporter

une valeur ajoutée journalistique à la marque du Soir, » explique Philippe Laloux, digital

media manager du Soir. « Nous tentons notamment une approche plus lifestyle avec le blog

d’Eric Boshman et le blog Loft kitchen, qui s’inscrivent dans la vague du fooding. Nous en

avons également un autre sur le tennis, Lob et amortie, avec Patrick Haumont qui est

simplement le meilleur dans sa catégorie, et surtout il y a Geeko et belgium iphone qui sont

des cartons absolus. » (1er juillet 2013)

En parlant d’audience, Philippe Laloux est catégorique, les blogs amènent beaucoup

de visiteurs : « Les blogs représentent un tiers du trafic sur le site du Soir, ce qui correspond

à 50 000 visites par jour. Ils sont devenus un pilier majeur de la stratégie digitale de la

marque. Tous les blogs existent autour de leurs auteurs mais sont portés par Le Soir et bien

rattachables à notre image de marque. Pour ce qui est des communautés formées, tout

dépend du blogueur. Certains sont plus à l’aise que d’autres sur les réseaux sociaux. Il n’y a

pas de règle, mais il n’y a pas de secret non plus ; le blogueur récolte les réactions qu’il

suscite. Notre objectif ultime est de rajeunir le lectorat, et ça passe par les blogs et les

réseaux sociaux puisque les jeunes se trouvent sur Internet.» (1er juillet 2013)

D’un point de vue commercial, certains blogs attirent davantage d’annonceurs que

d’autres, ce qui dépend de leur thématique, mais aussi de leur provenance et de leur

gestion. « Geeko et belgium Iphone sont vraiment les deux gros pourvoyeurs de publicité,

les nouvelles technologies étant évidemment un marché porteur. Mais avant tout, s’il faut

qu’ils soient rentables pour le groupe, les blogs doivent être pertinents et apporter une valeur

ajoutée à la ligne éditoriale du journal. Il y a quatre-cinq ans, j’avais plaidé pour virer du côté

du journalisme participatif mais les moyens n’étaient pas là. Aujourd’hui, je ne regrette pas

que ça n’ait pas marché, nous sommes purement dans le qualitatif, » explique Philippe

Laloux, soulignant la différence fondamentale avec ses concurrents de IBM. (1er juillet 2013)

Le groupe de presse a voulu générer du contenu gratuitement, mais la plupart des blogs

hébergés ne ramènent aucun annonceur puisqu’ils ne sont pas gérés « éditorialement » et,

pour la plupart, sont l’œuvre de robots41 . Une illusion de participation de taille qui désole

Philippe laloux. « Notre trentaine de blogs rapportent plus de trafic que la centaine que la

41

Des blogs de streaming pour regarder les matchs de foot notamment.

24

Libre42 et la Dh43 hébergent, qui sont des spams et des bombes à clics,» analyse le digital

media manager. (1er juillet 2013)

La saga du Huffington post

Arianna Huffington a, elle, basé toute sa stratégie de publication en ligne sur la

contribution d’un réseau de 9000 blogueurs bénévoles. Fondé en 2005 avec un capital de

départ d’un million de dollars, le site The Huffington Post s’appuie sur des blogueurs, qu’ils

soient experts, écrivains, célèbres, ou amateurs, disséminés à travers tous les Etats-Unis.

Mais le pure player américain s’appuie aussi sur une poignée de journalistes44. Les quelques

600 articles publiés chaque jour aident à fidéliser les lecteurs et évincent rapidement toute

concurrence, excepté la dame grise45. Orienté vers l’actualité et les célébrités, le « HuffPo »

rivalise avec le site du New York Times et avoisine les 25 millions de visiteurs par mois.

En 2011, Arianna Huffington décide toutefois de vendre son pure player au groupe

AOL tout en restant directrice de publication. La femme d’affaires réalise une plus-value de

314 millions de dollars au cours de la transaction, ce qui ne plait pas à certains des

blogueurs ayant contribué au succès du site, arguant que la businesswoman s’enrichit sur

leur dos. Un de ces contestataires, Jonathan Tasini, décide alors de mener l’affaire jusqu’au

tribunal fédéral, estimant que les blogueurs sont responsables d’au moins un tiers de la

progression de l’entreprise d’Arianna Huffington, et qu’ils ont de facto droit à leur part du

gâteau (Colette, 2011).

La majorité des contributeurs ne sont pourtant pas de cet avis, affirmant avoir

toujours été conscients que posséder un blog relié au Huffington Post était une vitrine pour

saisir d’autres opportunités, et rien d’autre. Arianna Huffington n’a d’ailleurs jamais promis de

rémunération, et selon Mario Ruiz, porte-parole de l’entreprise, « Les blogueurs utilisent la

plateforme pour établir des connexions et faire en sorte que leur travail soit vu par le plus de

gens possible. » (Ruiz cité par Colette, 2011).

42

La Libre Belgique, concurrent du journal Le Soir, appartenant au groupe IBM. 43

La Dernière heure, journal belge appartenant au groupe IBM. 44

100 journalistes en 2005, 350 aujourd’hui. 45

Surnom du New York Times

25

Tout travail mérite-t-il salaire ?

Cette affaire a pourtant introduit la notion de professionnalisme du blogueur dans une

entreprise de presse, remettant en question les fondements et les ambitions de cette

pratique. Tout travail mérite-t-il vraiment salaire ? Si les blogueurs étaient payés, ne

seraient-ils pas en quelque sorte des chroniqueurs?

Dans le cas des blogueurs amateurs membres d’un site participatif, Aude Baron,

rédactrice du Plus46, est catégorique, le statut du blogueur-contributeur ne permet pas de

rémunération puisque, selon elle, il ne s’agit pas d’un « travail » à proprement parler :

« Parfois il nous arrive de proposer des sujets à tel ou tel [ contributeur] parce que nous

savons qu'il a des affinités avec cette thématique, mais la règle est claire : nous proposons, il

dispose. Zéro contrainte. Nous observons toutefois que la plupart du temps, les contributeurs

sont ravis qu'on pense à eux et qu'on leur donne des idées. Car la motivation première des

internautes qui participent à un site comme Le Plus n'est pas de gagner de l'argent avec leur

plume, sinon ils seraient écrivains ou journalistes, mais de partager leurs idées avec le plus

grand nombre et d'enrichir le débat. Les blogueurs ne sont pas des journalistes, et c'est

d'ailleurs pour ça que nous les sollicitons. Le blogueur apporte un enrichissement à

l'information en partageant un point de vue critique, une opinion, une analyse. Le blogueur

n'est pas là pour produire de l'information. Ça, c'est un métier qui s'appelle le journalisme.

Chacun son rôle.47 » (Baron, 2012)

Benoit Raphaël, co-fondateur du Plus et ex rédacteur en chef du post.fr48 est du

même avis et souligne les risques de mêler l’argent à cette relation: « Payer un

collaborateur risquerait de briser la dynamique et le naturel de la conversation, qui fait partie

de l’ADN du net, en la faisant entrer dans un système de rémunération systématique. Nous

tenons à ce que la motivation première des contributeurs du Plus soit l'envie. L'envie de faire

avancer le débat, de confronter ses idées avec la communauté (2012).

Eric Mettout, rédacteur en chef de L’express.fr, appuie les propos des deux jeunes

journalistes du Plus mais nuance sur le « faut-il, faut-il pas » : « Très honnêtement, je n’ai

pas de réponse toute faite. Ce que je sais, aujourd’hui, [c’est qu’] à lexpress.fr, nous ne

payons pas les blogueurs. Par souci de bonne gestion (ce ne serait pas possible

financièrement), mais aussi par principe. Nous leur offrons une tribune, de la visibilité, ils

46

Supplément web participatif du Nouvel Observateur comptant une quinzaine de journalistes-éditorialistes 47

Pour tester votre légitimité à percevoir une rémunération, faites le test imaginé par Aude Baron en annexe. 48

média en ligne participatif disparu en 2011 au profit du Huffington Post français, hébergé par le groupe Le Monde.

26

nous apportent leur expertise, posent un regard décalé sur notre fond de commerce,

l’actualité, bref nous alimentent et nous différencient. Valeur contre valeur, l’échange est

égal, et s’il ne l’était pas, […] les blogueurs nous fuiraient. » (Mettout, 2011)

Au journal Le Soir qui n’est pas un média participatif, les blogueurs sont des

professionnels, chroniqueurs ou journalistes, et sont par conséquent payés puisque leur blog

intervient dans leur charge de travail. « Le seul journaliste qui ne souhaite pas être rémunéré

est Jean-Paul Marthoz car son blog, La liberté sinon rien, est davantage un espace de

réflexion pour ses études et ses écrits personnels, et tend à obtenir une visibilité à

l’international. » explique Philippe Laloux, digital media manager du journal belge. « Tous

les autres sont payés, car c’est un vrai travail qui prend du temps et qui fait entièrement

partie de la stratégie éditoriale du Soir en ligne. Le blogueur a des impératifs envers la

rédaction, il doit produire pour faire vivre son blog et l’accompagner de bout en bout, de la

production, qui prend 50% du temps, jusqu’au service après-vente, où il promeut son post

sur les réseaux sociaux, » insiste-t-il. (Laloux, 1er juillet 2013)

Dans le cadre des médias participatifs, les blogueurs ont quasiment toujours un

métier à côté, rémunéré, parfois directement lié à l’expertise qu’ils partagent au sein de leur

blog. Si tout travail mérite salaire, selon l’adage, le blogging amateur, même rattaché à un

média, ne peut pas être qualifié de travail dans le sens où il n’y a aucune contrainte de

temps, d’argent, et de directives. Le blogueur est son patron, et non pas le site qui héberge

son opinion. La notion de plaisir d’écrire, de discuter, d’échanger, de comprendre et de

participer à la réflexion collective est très importante. Toutefois, la question de la

rémunération des blogueurs touche une autre problématique puisque payer tous ces

contributeurs « amateurs » n’est pas faisable en pratique pour les médias en ligne, posant la

question de savoir si les différents modèles économiques, souvent basés sur la publicité,

sont tenables sur le long terme.

27

Le blog, argument à l’embauche

En avril 2013, le site Careercast49 a publié une étude sur les professions les plus et

les moins prometteuses. Journaliste est couronné du titre de « pire métier du monde ». Les

critères pour aboutir à ce résultat réunissent le taux de stress, le salaire et les perspectives

d’emploi. Les changements apportés par la nouvelle technologie exigent d’un journaliste qu’il

soit polyvalent, hyper réactif et connecté, et font ainsi monter la concurrence.

Alice Antheaume, journaliste et responsable des nouveaux médias à l’École de

journalisme de Science-po50, écrit sur le blog du « Labo de sciences-po », intitulé « Work In

Progress » et hébergé par slate.fr51, que « tout journaliste doit être ultra-compétent pour être

embauché. »

Les rédactions cherchent des éléments présentant un « petit plus », autre que la

qualité rédactionnelle, la curiosité, la débrouillardise, la connaissance et le dynamisme

requis. La formation ne suffit plus et le talent ne fait pas tout.

En 2008, alors qu’une vague de licenciements frappe la presse aux États-Unis, le

groupe Six Apart, propriétaire de la plateforme TyPad, instaure un programme pour « sauver

les journalistes » en mettant à leur disposition un compte d’une valeur de 150 dollars

comprenant un blog relié à une régie publicitaire et à des outils de promotion afin de devenir

indépendant et visible entre deux jobs. Une initiative qui a été critiquée, accusant la société

de se faire un coup de pub et de placer la stratégie commerciale avant l’accompagnement

des journalistes, encore peu adaptés à ces tactiques de vente de leur travail. (Govekar,

2008)

49

Careercast est un site de recherche d’emploi américain. 50

L’école de journalisme de Sciences Po est classée huitième du palmarès 2013 des formations de journalisme en France. Institution parisienne, cet établissement se situe dans le haut du tableau et propose un double diplôme en partenariat avec l’Université de Columbia, à New York. 51

Slate.fr est un magazine en ligne fondé en 2009 par Jean-Marie Colombiani, ancien rédacteur en chef du journal Le Monde, Éric Leser, Johan Hufnagel, et Éric Le Boucher, journalistes, et Jacques Attali, inspiré de sa version américaine, le magazine en ligne Slate. Ce webzine est spécialisé dans l’information et l’analyse, mais son ton est résolument décomplexé. Ouvert aux internautes depuis 2010, il propose des blogs et accepte la contribution de ses lecteurs.

28

Nicolas Bégasse, aujourd’hui jeune journaliste pour 20minutes.fr52, se posait déjà la question

en 2009 au sein d’un article rédigé sur le Web observatoire du journalisme53 lors de ses

études à Grenoble : « Lorsqu’on sort d’une école de journalisme, voire qu’on y est encore, la

marque que l’on crée sur Internet permet-elle de résoudre le souci numéro un d’un jeune

actif : trouver du boulot ? »(Bégasse, 2009)

Mélissa Bounoua, alias MissPress, aujourd’hui journaliste au Plus, est l’une des 50

personnalités à suivre selon les recommandations de Twitter. Elle répond à l’affirmative dans

son cas : « Les rédacteurs en chef me suivaient et commentaient mes articles. […] Au mois

d'avril j'ai commencé un stage dans une boîte de production qui bossait pour Arte et c'est

notamment via mon compte Twitter et mon activité sur mon blog que j'ai été repérée (…).

Je pense vraiment que si je n'avais pas eu mon blog et mon compte Twitter, je n'aurais pas

eu de travail aussi vite. […] J'étais vraiment convaincue que je serais pigiste pour un bon

moment. » (Bounoua citée par Bégasse, 2009)

Au sein d’une société de plus en plus basée sur l’individu, l’aspirant journaliste se doit

de bénéficier d’une visibilité double, voire triple, et de s’inscrire sur les « bons » réseaux,

c'est-à-dire ceux où il peut se faire connaitre selon les caractéristiques et les aspects de sa

personnalité qu’il choisit de montrer. D’inconnu, il impose un nom, le sien, qui devient

synonyme d’une marque propre et donc d’une qualité qu’il espère pertinente pour les

directeurs de médias et les rédacteurs en chef. Cette tactique, utilisée dans la publicité,

relève directement du marketing et s’appelle le « personal branding ».

52

Concurrant du journal Métro en France. 53

Site de l’Ecole de journalisme de Grenoble consacré à l’observation des médias.

29

II. Quand le marketing se mêle au

journalisme

1. Le personal branding

En 1997, déjà, l’essayiste américain Tom Peters intitulait un article « The brand called

You », c’est à dire « La marque, c’est vous », prônant l’importance de l’individu faisant de lui-

même une entreprise. Comprenant que l’époque de l’emploi à vie est révolue, Tom Peters

mise sur une nouvelle ère où l’homme fait la fonction, et non l’inverse. Ce libéral propose

une théorie selon laquelle « l’homme est un agent libre dans un monde d’agents libres en

devenant le PDG de soi-même. » (Peters, 1997).

Selon Fadhila Brahimi, auteur de l’adaptation du livre Moi 2.0 , version française de

l’ouvrage du blogueur américain Dan Shawbel, pape et pionnier de la discipline, le personal

branding est « un art de valoriser ses compétences en utilisant les supports de marketing et

de communication offerts par Internet, dont le but est de mieux cerner les contours de sa

personnalité et son système de valeur, afin d’évoluer avec les personnes que l’on souhaite. »

(2011, p.5).

Le blogueur, qu’il soit journaliste ou amateur, doit se positionner sur un marché, celui

de l’information, des médias et de la consommation. Pour toucher un public, il se transforme

en marque en se forgeant un personnage sur lequel il s’appuie : lui-même. Le journaliste

Mark Glaser, rédacteur en chef de Mediashift54, rappelle que “A une époque où les gens vont

de job en job, le personal branding devient plus qu'un hobby, c'est une nécessité". (Glaser

cité par Maalouf, 2010).

54

Mediashift est un web-laboratoire d’idées spécialisé dans les révolutions digitales, hébergé par PBS, Public Broadcasting Service, le service public américain.

30

Lors de l’émission de l’Atelier des médias diffusée le 19 novembre 2010 sur RFI55 et

portant sur la question « Faut-il former les journalistes au personal branding ? », Vincent

Glad, alors pigiste pour Slate.fr56, déclarait que « Peu de journalistes représentent réellement

une marque à proprement parler », et qu’il faudrait davantage parler de « partage de travail

via Twitter et de montée en flèche d’une certaine notoriété au sein d’un cercle restreint

plutôt que de réelle célébrité ». (2010)

Il citait cependant l’exemple de Jean-Marc Manach, journaliste aux commandes d’un

blog, Bug brother, sur le site du journal Le Monde, et spécialiste d’un sujet particulier ; la vie

privée sur internet. En tant qu’expert, il incarne une référence en cette matière et lorsqu’un

média parle de vie privée sur le net, Jean-Marc Manach est forcément cité ou interviewé.

Ceci le rapproche d’une marque.

Eric Mettout, rédacteur en chef de l’Express citait quant à lui, durant cette même

émission, un autre Jean-Marc, Morandini. Titulaire d’un site à son nom, personnalité

télévisuelle, et de Twitter, fort de 448 000 followers. Son nom exprime un concept, un style

de télévision, une façon d’interviewer, bref une marque de fabrique, qu’on aime ou qu’on

n’aime pas. (cité par Maalouf, 2010).

Le « je », tenu à l’écart des rédactions, prend ses quartiers au sein des blogs et des

réseaux sociaux. Selon Mathieu Simonson, doctorant en sociologie, qui a disserté sur le

sujet au sein du numéro de juin 2010 de la revue Journalistes, la première chose à faire pour

un journaliste, qu’il sorte de l’école ou pas, est de mettre en évidence sa propre valeur

ajoutée. Ensuite, il est nécessaire d’installer une relation durable avec le public. La troisième

étape consiste à soigner sa réputation. Enfin, il est indispensable de renforcer sa crédibilité

et son impact auprès du public fédéré afin d’assoir son influence. Ce « travail » effectué hors

de tout cadre professionnel permet aux blogueurs d’exister sur la toile, et donc aux yeux de

possibles employeurs, collègues, ou personnes actives au sein du milieu dans lequel ils

évoluent. Cette démarche serait une réponse à une crise économique sans précédent.

(Simonson, 2010)

Personne n’est en effet à l’abri d’un licenciement et un blog resté actif devient une

carte de visite. Sur internet, chacun effectue du personal branding sans s’en rendre compte.

Le moi-je devient alors un art de vivre. Jean-Christophe Ferault, ancien journaliste au journal

Les échos, confie au blog de l’ISCPA, école de communication et de journalisme parisienne,

que ce phénomène n’est pas nouveau. Viré lors du rachat du journal Les Echos par le

groupe LVMH, dont il avait contesté la compatibilité avec le journal, il se retrouve sur le

55

Radio France Internationale 56

Aujourd’hui journaliste freelance pour Slate.fr et chroniqueur pour Canal +.

31

carreau, sans aucune perspective d’emploi. Il crée alors son blog, « Mon écran-radar », et

grâce à sa présence sur Twitter, il rejoint vite le quotidien Libération ( Ferault cité par

Carfantan, 2013).

Jean-Christophe Ferault explique cette évolution du métier: « On vit dans une société

individualisée. Dans les rédactions journalistiques d’aujourd’hui, c’est chacun pour sa

gueule. Avant, un bon journal était un collectif de journalistes où une alchimie soudait les

rédacteurs les uns aux autres, il en résultait des belles productions. Désormais, tous les

journalistes font du personal branding sur Twitter.

C’est un outil idéal pour se mettre en avant, et se vendre dans le bon ou le mauvais sens du

terme. Les journalistes de mon âge peuvent être dans une position des plus agréables :

avec notre expérience que les jeunes n’ont pas, savoir utiliser les nouvelles technologies

digitales peut s’avérer être un atout crucial sur le marché » (cité par Carfantan, 2013).

Les dangers du personal branding

Pourtant, cette activité sur les réseaux sociaux et les blogs peut se transformer

rapidement en suractivité, souvent taxée de « cache-misère » et de « personal branling »

dont la traduction est « se faire mousser », c'est-à-dire se vanter via sa présence en ligne

multiple. Les internautes peuvent rapidement sanctionner un pseudo-journaliste qui à leurs

yeux se montre beaucoup mais brasse du vent.

Cédric Motte, expert en stratégie éditoriale explique la nuance aux auteurs du Web-

observatoire du journalisme, le blog de l’école de journalisme de Grenoble : « Exister sur le

web ne suffit pas. Il faut exister sur le web en tant que journaliste. Toute la difficulté, c’est

d’avoir une saveur journalistique. La première des limites est là : le blog n’apporte pas

forcément cette approche. Avec l’idée de personal branding on fait croire aux gens qu’ils

trouveront plus facilement du travail. C’est un discours dangereux. Même si je pense que

sans existence sur Internet un journaliste n’a pas d’avenir, il faut qu’il sache que ce n’est pas

une solution miracle. En tant que journaliste vous avez beau faire de vous une marque, si les

journaux n’embauchent pas et que le marché est saturé, vous ne vous en sortirez pas pour

autant. Le personal branding n’est pas une fin en soi. » (Cité par Milleret, 2009)

La règle d’or pour éviter une disgrâce publique sur Twitter, selon Dan Shawbel est de

bloguer des articles de fond, pas plus de cinq par semaine, et de démontrer la qualité de la

réflexion, la valeur ajoutée que le blogueur apporte au sujet traité, dans la niche qu’il occupe.

Twitter est avant tout un outil d’échange et de promotion pour le journaliste qui cherche à

s’attirer des lecteurs intéressés par ce qu’il fait et qui il est (2009, p.47).

32

Interrogée par Ziad Maalouf lors d’une émission de l’Atelier des médias57 consacrée à

la question « faut-il former les journalistes au personal branding ? », Mélissa Bounoua, alias

la blogueuse MissPress, exprimait une nuance importante : « Tout journaliste ou étudiant

peut utiliser les bons outils, soit Twitter, Linked’In, ou un blog. Mais tous ne comprennent pas

qu’il ne suffit pas à être présent partout sur le net, sur un nombre incalculables de réseaux. Il

faut être une unité compréhensible pour les recruteurs et les lecteurs, former une identité

concrète et non une multiplicité de présences. » (Bounoua, 2010).

Un autre danger du personal branding est l’élitisme. Cédric Motte s’exprime sur cette

conséquence de la généralisation de l’outil marketing en tant que pratique: « Il y a une

excitation autour du personal branding. Comme tout le monde s’y met, cela va être de plus

en plus compliqué pour les journalistes de sortir du lot. Alors bien sûr il y a des inégalités

devant la plume et le reportage mais globalement j’ai l’impression qu’il va y avoir une fracture

entre ceux qui ont un blog, sortes de mini stars du web sollicitées, et d’autres à l’inverse qui

seront exclus du champ des recherches. Le personal branding exploite totalement l’idée de

libre marché. Il va pousser la notion de concurrence à l’extrême. Pour se démarquer il va

falloir être excellent. 10% de sollicités et 90% qu’on dit à tort mauvais car ils n’ont pas

d’existence en ligne. Or un journal n’a pas besoin d’avoir la « toute puissance ». Certains

recruteurs vont se dire « lui on n'en veut pas, ce n’est pas un champion car il n’a pas 3 000

followers sur Twitter » par exemple. » (cité par Milleret, 2009).

Les jeunes journalistes ou bloggeurs devraient donc posséder une image et une

signature identifiables dès leurs débuts afin d’espérer obtenir davantage de propositions de

jobs ou d’exister par eux-mêmes, d’être reconnus pour leur travail personnel au sein de leur

média, mais tout en ayant conscience que la concurrence est rude et se renforce avec la

généralisation de cet outil.

Pour Alice Antheaume, journaliste, blogueuse sur slate.fr58 et responsable des

nouveaux médias à Sciences-po, la question à se poser concernant le personal branding et

la formation des journalistes relève davantage de la façon dont un journaliste souhaite se

démarquer du média pour lequel il travaille plutôt que d’exister par lui-même, pour lui-même.

« L’organisation de présence en ligne se fait en fonction du but que l’on recherche,»

explique-t-elle.

57

L’Atelier des médias est une web émission radio participative diffusée par RFI, Radio France internationale.

33

« Le mot marque gêne les journalistes parce que l’on a l’impression que l’on est à

vendre, mais au-delà de l’image, nous sommes un produit. On ne forme pas les étudiants au

personal branding, mais on forme les étudiants à produire de l’information en réseau, à avoir

conscience de leur image en ligne, et à être professionnels en permanence. » (2010).

La journaliste entend par là qu’il est nécessaire d’apprendre à un étudiant à basculer

progressivement du côté professionnel sur les réseaux sociaux et sur son blog, et de mettre

un terme à tout ce qui relève de sa vie privée sur le net, ou du moins de la séparer très

distinctement . Les apprentis journalistes sont donc invités à cloisonner leur profil Facebook,

souvent privé et connecté aux amis, et leur compte Twitter, public et donc davantage

professionnel. Nombreux sont les jeunes diplômés à effacer le contenu de leur blog qu’ils ne

trouvent plus à la hauteur de la réputation qu’ils souhaitent se construire. Des pans de vie

sont alors purement et simplement oubliés, comme s’ils n’avaient jamais existé. Une

première étape de personal branding (2010).

Storytelling et transparence

Le commandement du libéral Tom Selers est de « cultiver sa différence et de mettre

en avant ses atouts. » (Selers, 1997) Mais la généralisation des outils et de l’utilisation du

personal branding ne met-elle pas en danger son principe fondamental ? À force de vouloir

se différencier des autres journalistes, tous finissent par rentrer dans une forme de

saturation. Qu’y a-t-il de plus semblable à un jeune journaliste qu’un autre journaliste ? Et

qu’un blogueur à un autre blogueur pour tout internaute non-acquis à leur cause ?

Pour espérer se différencier, il existe le storytelling, l’art de raconter son histoire.

Selon l’un des auteurs du Personal Branding blog, Oscar Del Santo, le personal branding et

le storytelling vont de pair. « Nos biographies personnelles et professionnelles sont des

histoires qui attendent d’être racontées et de trouver écho en des histoires similaires d’autres

personnes. » explique-t-on sur ce blog (2012).

Le storytelling participe à l’établissement de sa patte, sa « marque » et son maitre-

mot du sur le net est la transparence. La meilleure manière d’établir son autorité via son blog

consiste à être honnête et authentique afin de construire une narration crédible et un effet

durable (Del Santo, 2012).

34

2. L’influence du blogueur

Entre médias et blogs, s’il existe une complémentarité évidente, les blogs atteignent

parfois des scores d’audience bien supérieurs. Cela suffit-il pour dire que certains blogs sont

donc plus influents ? Que renferme ce mot qui décrit un impact sur une communauté?

On appelle ces blogs-stars des « leaders » d’opinion », génies du branding. Pourtant

est-ce bien ce dont-il s’agit ? Tout d’abord, « l’influence » est étroitement liée au trafic que

génère un blog, à savoir le nombre de visites uniques, par jour, et de lectures à proprement

parler. Ensuite s’ajoutent la quantité de liens pointant vers ce blog, et leur degré de

référencement. Plus la communauté autour du blog s’élargit, plus le blog est considéré

comme influent. Plus les liens proviennent eux-mêmes de blogs influents, plus l’influence

grandit. Celle-ci se mesure avec des outils bien précis qui s’ils ne donnent pas de résultats

100% fiables, permettent de repérer la pertinence que présente un blog au sein de la

blogosphère. Le terme d’influence exprime donc davantage une audience et une échelle de

propagation qu’une réelle autorité sur les internautes. Cette autorité dépendant de la

thématique du blog et de ses objectifs éditoriaux. Selon Vincent Glad, désormais

chroniqueur sur Canal+ et sur Slate.fr, il y a « influence et influence » car« mieux vaut

fédérer une petite communauté de lecteurs fans plutôt qu’un cercle plus large mais moins

attentif. » (Glad, 2010)

Quelques exemples pour la mesurer

a) Le Klout

(Source : www.klout.com, 2013)

Ce graphique, tiré du site www.klout.com lui-même, explique le principe de ce qu’est

« Le Klout », qui est directement lié à l’interaction créée sur les réseaux sociaux tels que

Facebook, Twitter, Instagram, Google +, Foursquare ou encore LinkedIn. Le klout se mesure

selon la force d’interaction et de réaction que les contacts de l’internaute manifestent lorsque

celui-ci choisit de s’exprimer sur des sujets en particulier.

35

Puisque tout blogueur est présent sur les réseaux sociaux afin d’améliorer ses performances

et d’élargir son lectorat, le score Klout permet d’apprécier l’influence que possède cette

personne. Ce terme est toutefois à prendre avec des pincettes. En effet, via ce procédé,

Justin Bieber est considéré comme plus influent que Barack Obama car il suscite plus de

réactions et de partage. Le score Klout se situe entre 0 et 100 et un blogueur peut être

considéré influent lorsqu’il atteint le score de 55. Le site permet également de voir dans

quelles catégories le compte Twitter est considéré comme influent. L’expérience a été

réalisée avec trois blogs de catégories différentes.

La blogueuse de mode Garance Doré, aujourd’hui collaboratrice du magazine Vogue,

totalise un klout de 69 pour des sujets tels que le blogging, la mode et la télévision. Jean-

Marc Manach possède quant à lui un score de 75 et est classé dans les catégories

technologies et vie privée. Mais c’est Jean-Marc Morandini qui fait un pied de nez à ses

nombreux détracteurs en s’offrant un Klout de 80. Ces trois blogueurs possèdent une

narration qui leur est propre et qui ont su fédérer un lectorat fidèle. Leur nom est associé à

des disciplines, un style, une marque.59

b) Le rang Alexa

Alexa est un site de classement des sites selon leur nombre de visiteurs. Propriété

d’Amazon depuis 1999, il décerne des rankings. Google possède le rang deux, et

Facebook, le rang un, ces deux sites étant les plus visités au monde. La plateforme de

blogging qui monte, Tumblr, se situe en 26ème position, derrière la plateforme Blogspot, qui

est treizième. Le site Wordpress, apprécié des journalistes, occupe quant à lui la trentième

position de ce classement mondial. Au niveau belge, les ténors du classement sont les

mêmes, c'est-à-dire Facebook et Google (.be).

Ce site procure également des statistiques sur le temps moyen passé par le lecteur

sur un site en particulier, et son taux de réputation au vu du nombre de liens pointant

vers lui.

c) Ebuzzing

Ebuzzing Anciennement Wikio, conserve les fonctionnalités phare de l’ancien site de

statistiques. Il donne des classements nationaux et mondiaux des meilleurs blogs selon un

algorithme inspiré du PageRank de Google, inventé par Larry Page.

59

Voir annexe 7

36

Au sein de ces classements, ces blogs sont divisés en diverses catégories selon leurs

profils. Le classement dépend de plusieurs paramètres comme le nombre de blogs plus

influents qui citent le blog en question par exemple.

d) Les Backlinks

Pour être influent, un blog soit se trouver en bonne place dans les résultats des

moteurs de recherche comme Google et Bing. L’une des manières d’être bien placé auprès

des géants de la recherche en ligne est de posséder un grand nombre de backlinks, c'est-à-

dire de liens qui pointent vers ce blog, et surtout venant de sites eux-mêmes populaires. Ce

nombre, également donné par Alexa, traduit la réputation en ligne du site et surtout

l’importance de la communauté l’entourant. Plusieurs services permettent de calculer le

nombre de backlinks émis comme Backlinkwatch.

3. Une entreprise peu rentable

Avec environ 164 millions de blogs60 estimés sur la toile en 2011, et environ 80

millions de plus aujourd’hui, Internet regorge de visions et de visages différents. Difficile de

s’y faire une place au soleil, mais pas totalement impossible. Dans chaque niche, des stars

du web apparaissent, véritables phénomènes de société. Des inconnus deviennent des

experts et des professionnels du journalisme se réinventent. Dans cet ensemble de

blogueurs influents, nombre d’entre eux monétisent leur activité autour de leur marque.

Quand un blog devient-il rentable par rapport à l’énergie qu’on blogueur y investit ?

Selon une étude effectuée en juin 2012 par la plateforme française Overblog61 auprès

de 5000 blogueurs du monde entier, seuls 5% des blogs « professionnels »62 européens

seraient rentables, à hauteur d’au moins 3000 dollars63 par mois contre 16% aux Etats-Unis.

Les revenus ne reposent pas uniquement sur le trafic, mais aussi sur la capacité à attirer des

annonceurs selon sa thématique. Parmi les thématiques qui fonctionnent le mieux, nous

trouvons les nouvelles technologies, l’information ou le lifestyle, mais aussi des niches

inattendues comme les mom blogs, où de jeunes mères donnent des conseils aux autres

pour leur éviter d’être totalement dépassées. (Overblog cité par Dupin, 2012)

60

Selon Wikipédia. 61

Voir annexe 8 62

Accueillant de la publicité 63

Soit 2300 euros

37

Cependant, les blogs recevant des millions de visites et de clics ne sont pas pour la

plupart des blogs où officie un seul auteur. Ces blogs sont de véritables entreprises

puisqu’ils se sont développés en webzines. Ainsi, à l’instar du Huffington Post ou de

Popsugar64, une équipe les supporte et la valeur de l’entreprise augmente, se chiffrant en

millions de dollars.

En France, 69 % des blogueurs ne comptent que 0 à 100 visites par jour. Pour ce qui est

des blogs ne faisant pas réellement recette, les avantages sont autres. Bloguer permet de

transmettre son savoir si l’on présente une sorte d’expertise dans un domaine ou de se faire

connaitre et de, peut-être, passer de l’autre côté de la barrière, du côté des médias ou du

secteur dont parle le blog. Beaucoup de blogueurs ont par ailleurs publié des livres basés

sur leurs posts65. (Parisot, 2010, p.36) Plaisir d’écrire et de partager, ouverture sur le monde

et mille possibilités de se réinventer en se donnant une chance de rencontrer des personnes

aux passions semblables, et de s’épanouir sont les gros avantages cités par les blogueurs.

Être vu et lu,

64

Site américain mêlant beauté, célébrités et mode 65

Par exemple : «The clandestine Diary of An Ordinary Iraqi, du Baghdad blog ou The Julie/Julia project qui a été adapté en film en 2009.

38

III. Cas pratique : Les blogueurs de mode

chamboulent la presse spécialisée

Si le blog est un des éléments clé d’une stratégie en ligne pour les médias participatifs et

traditionnels, mais aussi pour les journalistes, il peut également être le levier d’une nouvelle

carrière pour des amateurs. Le secteur où une communauté de blogueurs a radicalement fait

changer les choses et fait descendre les journalistes de leur piédestal est celui de la mode.

Dès 2004-2005, des amateurs ont conquis la blogosphère en postant tenues, photos, coups

de cœur et découvertes allant à l’encontre d’une presse spécialisée qui plébiscitait les

grandes marques et les vêtements hors de prix. Relax, preppy, chic, bohème, parisien, new-

yorkais, australien ou anglais, un blogueur n’est pas l’autre et cette niche devient bientôt un

coin du net attirant les clics de millions de modeux lassés des magazines et à la recherche

d’un style plus proche de la rue et du monde actif. Bientôt, ce qui était un loisir se transforme

en mini-entreprise, le marketing s’en mêle et les marques flairent le bon filon. Histoire d’un

succès raconté.

1. Une « véritable épidémie »

Vogue et son rival Harper’s Bazaar étaient, jusqu’au milieu des années 2000, des

géants incontestables de la publication spécialisée dans la mode et le lifestyle, propriétés de

patrons de presse telles que Condé Nast ou Hearst. L’apparition d’internet a profondément

bouleversé toutes les certitudes économiques de ce type de presse spécialisée, forçant ces

magazines à réfléchir à une nouvelle approche de la consommation de son contenu et à un

plan de séduction envers un nouveau public, attiré par plus de gratuité et d’instantanéité en

ligne.

Durant les cinq dernières années, chaque magazine a investi massivement dans un

site web qui propose du contenu à haute valeur ajoutée renouvelé en permanence et a

développé des applications destinées aux nouvelles technologies. Chacun est également

présent sur les réseaux sociaux et a restructuré son équipe, en misant sur des personnalités

qui ont fait leurs armes dès l’essor d’internet.

Pourtant, cette transformation s’est effectuée lentement, assez pour voir apparaitre

une nouvelle forme d’expression sur les sujets de prédilection des journalistes de mode.

Vers 2006, un phénoweb important a bouleversé les rédactions de ces magazines : les

blogueuses66.

66

Majoritairement de sexe féminin aux prémisses du phénomène.

39

Un petit noyau de ces citoyennes lambda ont aujourd’hui autant d’influence que leurs

inspirations et possèdent un pied dans l’univers des médias. Franca Sozzani, rédactrice en

chef de Vogue Italie déclarait en 2011 que le phénomène des blogueuses était « semblable

à une épidémie », ajoutant « A-on-vraiment besoin d’elles ? ». Deux ans plus tard, Vogue

Italie dispose pourtant d’une plateforme de blogging importante qui concentre tous les codes

des « intruses », c'est-à-dire l’utilisation accrue de Twitter, Facebook et Instagram ( Franca

Sozzani se prend elle-même en photo avec l’aide de son smartphone) et l’écriture d’un blog

participatif consacré au journalisme « citoyen » dans la mode (Dormoy, 2011).

Garance Doré, la pionnière

Garance Doré est l’une des premières blogueuses francophones à s’être fait une

place enviable sur le net en éditant son blog dès 2006, alors qu’elle gagne sa vie en tant

qu’illustratrice pour la presse magazine. Frustrée de ne pas avoir de réels retours de lecteurs

sur son travail, elle décide de créer un espace libre pour s’exprimer et rechercher les avis

d’un public potentiel. Le succès est rapide, le site recevant la visite de 26 000 internautes par

jour dès ses débuts (aujourd’hui, ce chiffre monte à 70 000 visiteurs uniques et 900 000 par

mois). Aux illustrations se joignent de petits textes spontanés, puis des photographies.

Le nom Garance Doré devient une marque, sa plume est reconnue et sa renommée

grandissante lui ouvre finalement les portes des créateurs et des défilés. Plus qu’une mode,

elle propose une image, une tranche de vie, celle de la femme française, élégante et drôle,

avec un petit twist d’originalité. Partie de rien en 2006 à Marseille après des études en

communication, elle vit aujourd’hui à New York, travaille notamment pour Vogue Paris et a

réussi à coupler une profession de base difficile à monnayer, l’illustration, contre une carrière

enrichissante et multiple.

En formant un couple avec un autre blogueur reconnu, Scott Schuman, alias The

Sartorialist67, Garance Doré s’est également imposée sur le marché américain et a pu créer

son entreprise basée sur son savoir-faire où elle emploie 35 personnes: Garance Doré

studio. Dans une société en crise, la blogueuse a compris les codes à adopter, notamment le

street styling, pour continuer de faire rêver, première fonction de la mode, mais en misant sur

une mode de tous les jours, raisonnable, basée sur un mix entre belles pièces et petites

67

The sartorialist est le blog de mode le plus consulté au monde, édité par Scott Shuman, qui bénéficie d’un bookdeal avec la maison d’éditions Taschen et a déjà publié deux livres inspirés de ses posts.

40

marques. Comme le dit Bill Cunningham, photographe de mode pour le New York Times,

« The best fashion show is definitely on the street. Always has been, and always will be68. »

Pour des milliers d’internautes fashionaddicts, Garance Doré est la référence de la

blogueuse qui a naturellement réussi à imposer en douceur ses codes à l’industrie. Sept ans

après avoir débuté son aventure, la « frenchie » est toujours considérée comme une

pionnière qui a su se reconvertir pour faire de son blog un objet mi-business, mi-plaisir.

L’auteur se sert de la mode pour communiquer et se diversifie toujours plus. Entre une web-

série, « Pardon my French » et des collaborations avec des marques comme J.crew, la

blogueuse pose des questions sur le sens de la mode, où elle va, d’où elle vient, afin de

générer des débats suivis en masse par ses internautes.

Elle agit comme une rédactrice de mode, mais revendique un supplément d’âme qui

confère à ses posts une sympathie qui fait que ses lecteurs sont hypnotisés, fascinés par sa

simplicité et son dynamisme. Garance Doré a acquis une réelle légitimité, y compris auprès

de ceux qu’elle admire, les dirigeants de grands magazines. Concernant sa collaboration

avec Vogue Paris, elle exprime elle-même son « étonnement » lorsque la rédactrice en chef,

Emmanuelle Alt, lui a proposé d’écrire une chronique. « Ce genre de boulot, il faut attendre

et espérer qu’on vous le propose, ce sont eux qui viennent vous chercher, pas l’inverse »,

explique-t-elle. Pourtant, le magazine, en pleine crise d’identité après le départ de sa

rédactrice en chef- icône Carine Roitfeld a bien compris la valeur ajoutée de proposer une

tribune non pas à une blogueuse lambda mais à Garance Doré, et lui a demandé « de ne

pas faire du « Vogue » mais de garder son propre style » (Doré, 2013).

Tavi Gevinson, la relève

La pratique des blogs de mode se généralise et devient une forte tendance dès 2008,

lorsque ces internautes particulières sont invitées lors des défilés et considérées au même

rang que des rédactrices respectées comme Suzy Menkes et Grace Coddington,

respectivement du New York Times et de Vogue. Une jeune fille, Tavi Gevinson, auteur du

blog « Style Rookie69 », crée le buzz en bénéficiant notamment d’un siège au premier rang

du défilé Marc Jacobs à New York alors qu’elle est âgée de treize ans. Les rédacteurs et

créateurs consacrent une personnalité, un univers et une vision du monde atypiques pour un

si jeune âge. Harper’s Bazaar lui propose une collaboration la même année, mais vite, Tavi

Gevinson voit plus loin.

68

« Le meilleur défilé de mode se passe dans la rue. Ça a toujours été le cas, ça le sera toujours. » 69

Débutante du style

41

Leader d’opinion, elle a fondé un site pour les adolescentes passionnées de mode,

« Rookie »70, qui emploie jusqu’à quarante contributeurs. Certains l’appellent « la future

Anna Wintour », du nom de la rédactrice en chef du Vogue américain.

La génération Y cherche encore ses icônes, et s’identifie à de fortes personnalités

qui ont des choses à dire en dehors des vêtements qu’elles aiment porter et des créateurs

qu’elles admirent. « Tavi incarne cette adolescence rebelle et étrange, en avance sur son

temps, qui rejette les codes et qui analyse beaucoup ce qui l’entoure en éprouvant une

certaine nostalgie du vingtième siècle qu’elle a à peine connu» explique Emma Bazilian,

journaliste sur Adweek.com (2013).

À seulement dix-sept ans, Tavi Gevinson possède une entreprise dont elle est

l’image de marque. Sa réussite, elle la doit au coup de projecteur donné par les grands

médias du secteur de la mode, mais surtout à elle-même et au travail auto-imposé lors de la

première année de mise en ligne du site (Bazilian, 2013).

2. Légitimation des blogueurs

Les blogueurs de mode ne sont pas journalistes car ils ne produisent pas de

l’information à proprement parler. Pourtant, la presse spécialisée dans cette niche utilise

exactement les mêmes filons que ces blogueurs, si ce n’est que les hebdomadaires et autres

mensuels doivent généraliser leurs contenus pour toucher un large public. Le blogueur plait

à un lectorat qui accroche avec sa personnalité et son univers, son discours et ses envies,

démontrant un besoin de conseils et de subjectivité de la part des internautes. Karine

Taveaux-Grandpierre, professeur à l’Université Paris 13, a publié une réflexion sur le

parcours de plusieurs blogueuses et de leur influence sur la presse magazine au sein de la

revue du CJMS du premier semestre de l’année scolaire 2012-2013.

Reconnaissance par un public

Selon ce professeur, l’ingrédient numéro un du succès des blogueuses de mode est

l’alliance entre un style d’écriture spontanée et une proximité avec les lecteurs. « Ainsi vont

se créer autour d’elles des communautés, des groupes d’hommes et de femmes qui se

sentent des affinités avec elles, non seulement par leur physique – elles ne sont pas des

tops modèles, tout en étant jolies et évoquent largement leurs petits défauts – mais aussi par

leurs préoccupations des plus futiles et au plus terre à terre. » explique Karine Taveaux

Grandpierre

70

« Débutante », titre tiré du nom de son premier blog qui l’a rendue célèbre, « Style Rookie ».

42

« Elles dévoilent un aspect humanisé, plus personnel, du monde de la mode qui

semble plus proche du lecteur lambda, de son budget et de ses préoccupations. » continue

l’auteur (2012, p.222).

Scott Schuman, compagnon de Garance Doré et blogueur mode le plus lu du monde,

explique dans une interview publiée sur PSFK, un site de consulting, que « le public

n’achète pas seulement un concept, il achète des personnalités qui donnent à voir ce

qu’elles apprécient, ce qu’elles valorisent. » (Schuman cité par Feinstein, 2010).

Ce lectorat recherche une facilité de projection qui n’est pas permise dans les

magazines. La tendance du street styling, exploitée par de nombreux blogs71, s’explique par

ce décalage entre un monde réel et un monde de papier. Les blogueurs souhaitent

s’affranchir des contenus proposés dans la presse spécialisée traditionnelle et mettent en

valeur des inconnus qui leur semblent intéressants (Taveaux-Grandpierre, 2012, p.223).

Reconnaissance par les médias

Curieux, les médias - France culture, Le Monde, Néon, Elle, Madame Figaro entre-

autres - s’intéressent à ce phénomène dès 2007 et leur offrent des tribunes et des articles,

consacrés à asseoir leur légitimité en tant qu’experts.

Afin d’attirer le lectorat des blogueurs, plus jeune, qui a grandi avec le net et

recherche l’identification à des individus qui lui ressemblent, la presse magazine utilise les

blogueurs en leur offrant des partenariats, des shootings, ou encore quelques colonnes lors

d’évènements importants, mais aussi en s’appropriant les codes du street styling. Au lieu de

considérer la blogosphère comme une rivale de taille, la presse l’invite à collaborer et s’en

inspire, s’adapte, la met en valeur, mais adapte progressivement les codes aux publications

spécialisées.

71

Face hunter est le plus représentatif de cette tendance. Son crédo ? voyager aux quatre coins du monde pour dénicher des styles uniques et obtenir un bookdeal chez Taschen

43

« Cette folie autour de ces filles débarquées de nulle part nous a forcés à adapter

notre stratégie éditoriale et à prendre en compte les demandes du public sur internet. Au

début, elles ont été perçues comme des « it-girls » puis sont progressivement devenues des

porte-paroles de milliers d’anonymes et ça nous a fait réagir. Nous avons adopté certaines

de leurs méthodes comme les photos de street style à la sortie des défilés- qui font parfois

davantage réagir que les défilés eux-mêmes. L’autre grosse différence a été d’utiliser un ton

plus jeune, plus frais, moins « dadame » pour toucher les moins de trente ans qui ne

faisaient pas forcément partie de notre lectorat avant l’arrivée d’internet. Cette adaptation a

rajeuni l’image de la marque Madame Figaro, même si nous étions déjà en pleine mutation

digitale et en bon chemin pour y arriver, » explique Sandie Meusnier, rédactrice en chef de

l’édition web de Madame Figaro (21 février 2013).

Chacun y gagne puisque le blogueur traverse la frontière entre amateurisme et un

certain professionnalisme, bénéficie d’une tribune d’expression reconnue et dont la

réputation n’est plus à faire et obtient une publicité gratuite et à grande-échelle pour son

blog. Le magazine récupère une partie de son lectorat et attire des annonceurs intéressés

par les profils de ces figures du net qui « font vendre ».

Reconnus à présent par le public et les médias72, ces blogueurs représentent un

espace publicitaire important sur la toile. La presse magazine, dont le pourcentage

d’annonceurs diminue progressivement, (-10,8% au premier trimestre73) se voit donc dans

l’obligation d’investir dans ce qui marche : une nouvelle manière d’écrire, une utilisation des

nouveaux médias accrue et une interactivité dynamique sont progressivement adoptées.

Le blogueur Lilzeon, co-fondateur du blog « Le Boulevardier », hébergé par

L’ExpressStyles.fr, analyse ce phénomène de recrutement de la part des médias et des

marques: « Elevée au bon grain des conversations en ligne, la blogueuse « mode » a une

habitude de détection et de formalisation. Il est donc normal que certaines marques ou

certains médias cherchent à acheter un style, une façon d’écrire le monde, un talent

éditorial. » (Lilzeon, 2012).

72

Le magazine L’Officiel, propriété des éditions Jalou, se voit lui attribuer un petit frère, l’Officiel new talents. Ce magazine consacre les meilleures blogueuses et fait découvrir au public des plumes dénichées sur le net, afin de mettre en valeur de nouveaux talents. Cette initiative survient alors que le rapport du bureau d’audit de circulation de 2012 annonce une perte globale de lecteurs pour toute la presse féminine. (-9,6% pour Marie-Claire, - 16,2% pour Cosmopolitan, -2,8% pour Harper’s Bazaar par exemple) (Azopardi, 2013) 73

Chiffres Net Ratings

44

Emily Burman, blogueuse américaine spécialisée dans le digital et la mode, va plus

loin et explique que les blogueuses représentent l’avenir des médias spécialisés dans cette

niche: « Les journalistes de mode citoyens ont évolué depuis leurs débuts très « blogueurs

de chambre à coucher» pour devenir des entités attrayantes, interactives et

commercialisables. En utilisant une vaste gamme de plates-formes numériques, y compris

Facebook, Instagram, Pinterest et Twitter, en plus de leur blog, ils bénéficient d’une influence

d'une grande portée. Les blogueurs de mode peuvent dans de nombreux cas être

considérés comme les nouveaux joueurs en puissance, avec une influence énorme sur le

marché de la consommation, ce qui en plus de la gloire, leur donne souvent un statut auprès

des créateurs et leur permet d’obtenir des collaborations, un bookdeal74, et une ribambelle

de produits de luxe. […] Cela reflète l'impact profond des journalistes citoyens et de la

culture participative sur l'industrie de la mode, mais aussi sur l'interconnectivité et

l'engagement d’une communauté en ligne plus large. » (Burman, 2012).

Reconnaissance par les marques et rentabilité

Réalisant l’impact qu’ils possèdent sur la vente des produits qu’ils mettent en valeur,

les blogueurs de mode et de beauté vont très vite monétiser leurs activités, faisant appel à

des régies publicitaires, en collaboration par exemple avec le service Google Adsense,

spécialisé dans la publicité sur le web. Plus le blog possède un lectorat ciblé, plus les

marques sont intéressées d’apparaitre dans un coin de la page. Mais si les blogueurs

n’acceptent pas de publicité directe et visible, les méthodes suivantes existent pour un

résultat semblable (Taveaux-Grandpierre, 2012, p.234).

a) La mention

Les marques sont fortement demandeuses de la pratique la plus banale utilisée par

les blogueurs de mode : publier un billet sur un article commercialisé par une marque et dire

qu’ils l’aiment. Si cette initiative à priori innocente n’est pas considérée comme de la publicité

à proprement parler, les marques en sont fortement demandeuses et mettent en place une

stratégie afin d’en bénéficier régulièrement puisque cette pratique peut booster leurs ventes.

Parmi ces stratégies, l’envoi de cadeaux75 est légion, mais aussi l’invitation à des

évènements exclusifs (soirées branchées, ventes privées, ouvertures de boutiques, défilés)

qui finissent immanquablement par un post sur le sujet.

74

Un bookdeal est un contrat de commercialisation d’un livre proposé par une maison d’édition. 75

Voir Annexe 9

45

« Les gens veulent [acheter] des articles à cause de ce que les blogueurs représentent - Un

sous‐ensemble d’individus qui partagent leurs idées créatives et passions, » explique Laura

Feinstein, journaliste freelance, lors d’une rencontre organisée par le site de consulting

PSFK sur le thème de l’influence des blogueurs sur les ventes. (Feinstein, 2010)

b) La collaboration

Les marques courtisent les blogueurs, font d’eux et d’elles des égéries. Les

collaborations éphémères permettent aux marques de relâcher de la publicité à moindre coût

et de toucher à leur tour le lectorat de la blogueuse ou du blogueur de façon plus directe

puisque son nom est directement associé à celui de la marque. Le blogueur créée un effet

d’annonce sur son blog qui permet à la marque de tester la future popularité de ce qu’elle va

proposer sur le marché selon le nombre de commentaires émis lors de ces teasers.

(Taveaux-Grandpierre, 2012, p.234)

Les collaborations, ne représentent pas de conflits d’intérêts, puisqu’elles leur proposent une

occasion de propulser leur propre nom sur le devant de la scène. Aucun investissement de

la part du blogueur n’est nécessaire et il se diversifie au sein d’activités, en recevant un

retour généralement positif de sa communauté de lecteurs. En achetant le produit créé ou

mis en valeur par le blogueur qu’il suit chaque jour, le public a l’impression de contribuer à

un évènement, il se sent inclus et peut même ressentir le besoin d’aider le blogueur à

s’épanouir dans sa vie professionnelle, comme il le ferait avec un ami.

c) Le billet sponsorisé

Si les blogueurs restent libres de parler des produits qui leur plaisent, une étude

réalisée par l’agence digitale française Outils du web, publiée par le site Presse-Citron76,

démontre que les marques les démarchent pour sponsoriser des billets, c'est-à-dire payent

pour obtenir une visibilité sur leur blog. La pratique77 est mal vue dans le monde du blogging

mais 36% des posts publiés suite à la sollicitation d’une marque sont bien des posts

76

Le site Presse-citron est un site constitué par un panel d’auteurs amateurs, sous la houlette d’Eric Dupin qui s décrit comme blogueur professionnel, spécialisé dans l’actualité du web et des nouvelles technologies. 77

Voir un exemple en annexe, tiré du blog www.thecherryblossomgirl.com

46

sponsorisés. Ces posts doivent être signalés par le blogueur en toute transparence, mais ce

n’est pas toujours le cas. 78

La plupart des blogueurs se sentent obligés de préciser qu’ils n’acceptent pas les

demandes de posts sponsorisés afin de garder leur indépendance, à l’instar d’Olivia Rocks,

blogueuse lifestyle et journaliste à la Libre Essentielle, qui explique les possibles conflits

d’intérêt : «On est assaillies de mails par les marques, maintenant, si ça ne me plait pas je

ne vais pas en parler. Quand j’écris sur une marque, on ne me donne rien en échange…

Alors que d’autres marques te démarchent en proposant une somme contre un post sur le

blog… Mais je ne rentre pas dans ce genre de choses, car je veux rester libre dans mon

écriture et sur mes choix concernant les produits ou vêtements que je veux mettre en

valeur. » (Rocks citée par Badjir, 2010)

Lilzeon, alias Laurent François, co-fondateur du blog Le boulevardier, hébergé par

L’ExpressStyles.fr, explique en totale transparence ce système en débutant par la façon dont

un blogueur a accès à un produit : « Recevoir des sacs, pantalons, chaussures, est déjà en

soi une forme de rétribution. C’est généralement un deal simple: je vous envoie un produit,

vous le testez, et vous en parlez éventuellement. C’est une boucle d’influence vieille comme

le monde. On vous rassure, on reçoit rarement des montres à 3000 euros. » (2012)

En ce qui concerne les billets sponsorisés, Lilzeon nuance : « Quand vous êtes sur

un blog comme le nôtre, en français, c’est éminemment compliqué de céder à la tentation;

on écrit sur un blog qui a un modèle vertical puisqu’on est hébergés sur le site de L’Express.

Et on préfère travailler d’autres types de partenariats, plus étoffés. Néanmoins, sur notre

version anglaise, on se permet d’en publier un par mois environ, quand le sujet est en phase

avec nos convictions, mais aussi car notre interface est plus visuelle. Comptez entre 30 à

1000 € par billet, selon la force de votre espace. On vous rassure: 70 à 80% du trafic d’un

blog provient d’un moteur de recherche. Le fait que vous parliez d’un sujet sur votre blog via

billet sponsorisé ne veut pas dire que vous manipulerez le chaland sur le long terme; on

ajoute généralement une balise « no follow » dans le code de l’article qui l’empêche d’être

référencé par Google et on mentionne quand le contenu est sponsorisé. Une nouvelle fois,

au lecteur d’être vigilant (2012) ».

78

Voir Infographie en Annexe 10, réalisée par l’agence digitale Outils du Web publiée sur le blog Presse-citron le 28 juin 2013.

47

3. Indépendants, les blogs de mode?

Lorsque Rue89 lui pose la question de l’indépendance réelle des blogueuses,

Géraldine Dormoy, créatrice du blog Café mode, hébergé par L’Express.fr, et désormais

responsable éditoriale web de L’ExpressStyles.fr, répond que « La question des rapports

entre les blogueuses mode et les marques est en train de devenir le même genre de

marronnier que les franc-maçons pour L’Express. » Mais selon elle, « les blogueuses sont

confrontées aux mêmes problèmes que les journalistes mode, mais n’ont pas une rédaction

pour les soutenir derrière. » (Dormoy citée par Scalbert, 2010).

Sophie Fontanel, journaliste pour Elle France et blogueuse, interrogée par l’Express,

renchérit : "C'est vrai que tous les magazines sont soumis eux aussi à la pression des

annonceurs. Un journal comme Elle doit gérer ça tous les jours. La force d'un journal, c'est

qu'on est plusieurs pour affronter la marque puissante, et on peut lui opposer une loi du

journalisme. La blogueuse, elle, doit se débrouiller seule. » (Fontanel citée par Dormoy,

2010)

Pour pallier à ce problème, un collectif de blogueurs s’est constitué sur le net, les

« Independent fashion bloggers »79. Sur ce site, des articles traitent des problématiques

rencontrées et des façons de refuser les offres des marques, mais aussi de comprendre ce

que l’on cède si l’on accepte. L’adage écrit lorsque l’on clique sur la rubrique « the business

of blogging » donne le ton: « While in business school, one of the first things I learned was

the old adage, “There’s no such thing as a free lunch.” Even if you say, “but what if…” or “but

it seems like…” or “but this one REALLY is…” NO. Think again. » 80(IFB, 2013)

79

Blogueurs de mode indépendants 80

“« La première chose que j’ai apprise en école de commerce est qu’un déjeuner gratuit n’existe pas. Même si vous dites, « Mais et si… » ou « Mais il semble que… » ou « Mais celui-ci est réellement…» NON. Repensez-y. » (IFB, 2013)

48

Conclusion

Sur Internet, tout est question de stratégie et d’adaptation. Plus que jamais, les

médias se tournent vers le web. En ligne, une vie parallèle s’organise et des communautés

se forment au moyen des plateformes, forums et réseaux sociaux. Les blogs ont joué un rôle

considérable dans ce déploiement de connexions, en ouvrant la marche et en démarrant

leur épopée vers les hautes sphères du net il y a plus de dix ans.

Au départ de ce travail, nous nous sommes interrogés sur les conséquences de

l’apparition des blogs pour la pratique du journalisme. Nous avons tenté d’expliquer les

évolutions qui ont fait qu’aujourd’hui les blogs occupent une place de choix au sein de la

stratégie digitale des médias, mais également celle des journalistes et des amateurs.

Au sein de la première partie de notre raisonnement, nous sommes revenus plus de

dix ans en arrière pour comprendre les atouts à l’origine de la propagation des blogs. Moyen

de communication et d’interaction révolutionnaire, le blog est devenu le passe-temps fétiche

des internautes qui ont plébiscité les plateformes d’hébergement gratuit. Espace de liberté

d’expression absolue, il a rapidement participé au partage de l’information. Si au départ les

journalistes se sont montrés méfiants envers ces outsiders amateurs, ils se sont bientôt

approprié cet outil. Du blogueur au journaliste-blogueur, il n’y avait qu’un pas. Nous avons

donc répondu à la question de savoir qui était le blogueur. Il n’y a pas une identité de

blogueur, il y en a trois. L’amateur, citoyen ordinaire, expert dans un domaine ou défenseur

d’une cause, le journaliste qui officie au sein d’un blog médiatique, ou le journaliste qui

possède un blog personnel. Chacune de ces figures du blogueur possède des motivations

différentes et « fait du journalisme ». Le blogueur amateur ne souhaite toutefois pas devenir

journaliste, et désire simplement émettre son opinion sur des sujets qui l’intéressent. Le

statut de journaliste professionnel agrémenté d’une carte de presse, très peu pour lui.

Nous nous sommes ensuite demandés « Pourquoi un journaliste voudrait-il blogguer

lorsqu’il a à sa disposition une tribune d’expression au sein de son média ? » Nous nous

sommes aperçus que l’espace du blog offre davantage de liberté d’expression et

d’indépendance qu’une rédaction. Le journaliste choisit le ton qu’il désire employer et a le

loisir d’écrire et de publier du contenu multimédia sur des sujets qu’il ne peut habituellement

traiter au sein de sa rubrique. En ligne, le journaliste découvre qu’il peut fédérer une

communauté et se met au niveau de ses lecteurs qui le corrigent, réagissent et font vivre le

contenu produit en le partageant sur les réseaux sociaux. Une forme d’information différente

49

qui, comme nous l’avons vu, est nécessaire pour les médias qui exhortent leurs

contributeurs à ne surtout pas faire du journalisme de remplissage. Les blogs sont là pour

apporter une valeur ajoutée.

Toutefois, la discipline qui a donné ses lettres de noblesse au blogging est le

journalisme citoyen. Différent du journalisme amateur, où la motivation est le plaisir d’écrire,

le journalisme citoyen repose sur le devoir de signaler, de corriger, ou de contester. Les

disciples de Dan Gillmor, journaliste américain auteur de l’ouvrage de référence We the

media, ont lancé l’idée de faire du journalisme autrement, afin de répondre à une crise de

confiance généralisée envers les médias de masse. Accusations de journalisme de

dépêches, méfiance au sujet de la fabrication de l’information et désapprobation liée au

leadership de grands conglomérats économiques ont en quelque sorte convaincu les médias

de proposer des tribunes d’expression à leurs lecteurs. Si certains sites se limitent au

partage de commentaires et de chats ponctuels, cette nouvelle façon de concevoir

l’information via des amateurs a conduit une frange de journalistes à aller plus loin et à

imaginer des plateformes participatives.

Nous avons ainsi démontré la valeur ajoutée que présente l’existence d’une

communauté en ligne mêlant professionnels du journalisme et amateurs. Toutefois, nous

avons également mis en évidence les dangers de cette pratique lorsque les émetteurs de

blogs se trouvent être des robots. Ces blogs n’amènent aucune valeur ajoutée et constituent

le cancer du journalisme participatif.

Le journalisme à trois voix, mis en œuvre par des pure players tels que Rue89 et

Mediapart représente sans doute l’idéologie participative la plus légitime. Il a été démontré

que leur stratégie d’encadrement éditorial est la plus légitime puisqu’elle permet de garantir

une participation constructive. Moins ouverte que le « média citoyen » des « tous

journalistes », Agoravox, cette pratique permet d’héberger des débats sains et mesurés et

de repérer de belles plumes, tout en offrant un gage de qualité à sa communauté de

lecteurs. Le blogueur-contributeur est devenu l’un des piliers d’un journalisme qui redonne

confiance en l’information, puisque le citoyen y prend part.

Du côté des médias traditionnels, nous avons cerné l’avantage que constituent les

blogs pour les médias en ligne puisqu’ils permettent à ceux-ci de se diversifier et de toucher

davantage de publics cibles de niches. Des rubriques comme le lifestyle, la mode, la cuisine

ou les nouvelles technologies attirent les internautes car elles sont peu représentées au sein

des quotidiens ou des magazines d’information. Ce sont pourtant des thèmes porteurs qui

bénéficient d’une connotation « jeune », permettant de facto d’approcher une génération qui

ne lit pas ou très peu les informations. Philippe Laloux, digital media manager du journal Le

50

Soir a confirmé cette pratique, arguant que les blogs font réellement partie d’une stratégie en

ligne qui à long terme vise à rajeunir le lectorat.

Au sein d’une société de plus en plus individualisée, Le journaliste se voit également

encouragé à pratiquer le personal branding, à savoir cette tactique marketing qui consiste à

se vendre et à construire sa marque sur Internet via son blog en guise d’appui et d’argument,

ou à travers ses échanges sur les réseaux sociaux. Si les journalistes n’aiment pas

l’admettre, l’information qu’ils émettent est un produit, nécessitant un service de vente et

d’après-vente. Bénéficier d’une communauté de followers est un atout car au sein de ces

fans gravitent souvent d’autres journalistes. Ce personal branding, parfois pratiqué à

outrance, présente toutefois quelques dangers. Concurrence accrue, élitisme et mépris de

« ceux qui n’en sont pas » peuvent amener à établir un fossé entre les hyper-« marketés » et

les novices qui n’ont pas bâti une réputation en ligne comparable. Une confusion

dangereuse entre l’être et le paraitre.

Nous avons abordé le troisième chapitre de ce travail avec l’envie de démontrer

qu’une catégorie de blogueurs peut influer sur le fonctionnement de la presse spécialisée et

devenir un phénomène que ni les journalistes, ni le secteur marchand se rapportant à sa

niche ne peuvent ignorer. Le cas des blogueuses de mode nous a paru légitime et illustre de

manière satisfaisante cette prise de pouvoir non-calculée.

La réussite de cette niche de blogs prouve qu’il est possible de monétiser une activité

sur le web lorsqu’elle est en rapport avec un secteur publicitaire porteur. La mode étant un

secteur marchand, les annonceurs ne manquent pas et les blogueuses sont devenues des

cibles de choix pour les marques désireuses d’exercer un marketing direct ou indirect sur

leurs nombreux lecteurs. En ce qui concerne les notions de marketing vues dans le chapitre

deux, les blogueuses, parmi les premières, ont effectué du personal branding et développé

leur image de marque. Leur pseudonyme est devenu synonyme de réussite basée sur un

loisir, transformé en fond de commerce.

Cette analyse a dévoilé la complémentarité entre blogs et presse spécialisée. Celle-

ci a dû s’adapter et utiliser un maximum d’outils pour se rapprocher des billets enrichis des

blogueurs. Réseaux sociaux, web-tv, street styling et interaction maximale sont devenues la

norme pour un journaliste de mode, démontrant l’influence que peut avoir une communauté

sur un secteur de presse établi depuis de nombreuses années. Parallèlement, certaines de

ces blogueuses sont devenues les figures invitées des médias, intrigués par le phénomène

et désirant s’attirer leur lectorat de manière stratégique.

51

Ce cheminement permet donc d’établir que le blog est au centre des stratégies,

conscientes ou non, établies par la presse en ligne, le journaliste, ainsi que l’amateur. La

presse traditionnelle a besoin de ce format pour proposer une version décomplexée de

l’information, attirer des annonceurs, mais aussi pour se diversifier et atteindre un public

difficile à séduire. La presse participative a, elle, établi une logique d’échange et de débat

autour de l’idée de collaboration entre blogueurs-contributeurs et journalistes professionnels.

Le journaliste, quant à lui, se voit conseiller de posséder un blog afin d’ajouter une corde

numérique à son arc et d’être davantage visible en ligne. Soumis à la pression accrue de la

concurrence, il se doit de céder aux siènes du personal branding. Le blog permet ainsi de se

démarquer. Enfin, l’amateur, dont l’animation du blog constitue un hobby peut se révéler

capable de chambouler le fonctionnement d’un secteur marchand relié à la niche qu’il

exploite. Ce blogueur, porteur de visions nouvelles peut également influencer la presse

spécialisée à adopter les médias qu’il utilise pour se faire connaitre et pour communiquer

son contenu.

Pour conduire ce travail vers une direction qui nous a parue logique, des choix ont

été effectués en vue d’accentuer certains aspects de la problématique et d’en éliminer

d’autres. Plusieurs thématiques qui avaient leur place dans ces pages ont été mises de côté,

comme le cas des blogueurs citoyens dans les pays en crise, par exemple, qui aurait été

intéressant à traiter mais qui constitue un travail de fin d’études entier à lui tout seul. Choisir,

c’est donc bien renoncer. Ce document nous aura permis de réaliser un travail de

documentation intense et passionnant, de décortiquer ainsi l’évolution d’un médium qui nous

est apparu lors de la découverte du réseau Internet et de construire une réflexion parfois

difficile à faire aboutir et à structurer. Ce processus nous a forcés à creuser les rapports

entre les acteurs et les enjeux des blogs au sein de la presse en ligne et des médias de

niche.

Aujourd’hui, plus que jamais, le blogueur possède un statut enviable de libre-penseur,

de facteur d’évolution, de pouvoir contestataire et de laboratoire d’idées. Qu’il soit

contributeur, auto-entrepreneur ou journaliste, esprit vif et petit « plus » le caractérisent. Les

futurs blogueurs/leaders d’opinion devront prouver qu’ils peuvent maintenir ce statut

d’indépendance et ne pas se faire avaler par les médias en devenant de simples

correspondants ou chroniqueurs parmi d’autres. Si exprimer une opinion fait la différence,

encore faut-il disposer d’un média pour la partager. Si l’individu règne en maitre sur son blog,

encore faut-il qu’il soit lu pour exister.

52

Sources

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récupéré le 27 juin 2013 du site http://blog.slate.fr/labo-journalisme-sciences-po/

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57

Table des matières

Introduction……………………………………………………………………………………...…4

Chapitre I : Le blog, un médium impertinent et pertinent…………………7

1. Contexte d’apparition et plateformes 7

Skyblog, la platforme des ados 8 L’ovni Tumblr 8 Wordpress, la plateforme des professionnels 8

2. Une blogosphère plurielle 9

L’avènement de l’information impertinente 10

3. Blogueur ou journaliste 11

Différences d’obligations, de motivations et de ton 13

Le journaliste-blogueur, hybride du XXIième siècle 13

Retour à un journalisme d’opinion ? 15

4. Le journaliste citoyen, différent du journalisme amateur 16

Une crise de confiance 16

5. Le journaliste participatif, une réponse 19

Le journalisme participatif juxtaposé 19

Le journalisme participatif intégré 20

Un journalisme à trois voix 20

Mediapart, média citoyen et encadré 21

6. L’adoption des blogs par les médias 22

La saga Huffington post 24

Tout travail mérite-t-il salaire ? 25

Le blog, argument à l’embauche 27

58

Chapitre II : Quand le marketing se mêle au journalisme……………….29

1. Le personal branding 29

Les dangers du personal branding 31

Storytelling et transparence 33

2. L’influence du blogueur 34

Quelques exemples pour la mesurer

a) Le Klout 34 b) Le rang Alexa 35 c) Ebuzzing 35 d) Les backlinks 36

3. Une entreprise peu rentable 36

Chapitre III : Cas pratique : Les blogueurs de mode chamboulent la

presse spécialisée……………………………………………………………38

1. Une « véritable épidémie » 38 Garance Doré, la pionnière 39

Tavi Gevinson, la relève 40

2. Légitimation des blogueurs 41

Reconnaissance par un public 41

Reconnaissance par les médias 42

Reconnaissance par les marques et rentabilité 44

a) La mention 44 b) La collaboration 45 c) Le billet sponsorisé 45

3. Indépendants, les blogs de mode ? 47

Conclusion…………………………………………………………………….48

Sources………………………………………………………………………..52

59

L’apparition des blogueurs sur la toile a révolutionné la manière de

produire l’information, mais aussi de la consommer. Les journalistes

se sont approprié les codes des amateurs en quête de liberté

d’expression et de davantage d’indépendance pour en faire un outil

indispensable au débat et à la diversité. Les médias en ligne, qu’ils

soient traditionnels ou participatifs ont inclus les blogs au centre de

leur stratégie digitale. Un atout commercial et éditorial attractif pour les

annonceurs, les publics cibles difficiles à atteindre ou les lecteurs

déçus des médias classiques. Le blog s’impose et en impose. FR

The appearance of bloggers on the internet has revolutionized the way

of producing information but also the way of consuming it. The

journalists have appropriated the practices of the amateurs in search of

freedom of speech and more independence to make of these an

essential tool to promote debate and diversity. The media online, which

can be traditional or encourage people to take part, have included the

blogs in the centre of their digital strategy. This means a commercial

and editorial advantage that attracts the advertisers, the target public

who can't be reached easily or the disappointed readers of classical

media. The blog asserts itself and has become essential. ANG

Het verschijnen van bloggers op het internet heeft de manier waarop

de informatie wordt geproduceerd, maar ook de manier waarop deze

wordt verbruikt, radicaal veranderd. De journalisten hebben zich de

praktijken van de amateurs op zoek naar vrijheid van meningsuiting en

meer onafhankelijkheid toegeëigend om er een onmisbaar werktuig

voor debat en verscheidenheid van te maken. De media online, die

traditioneel kunnen zijn of die de mensen kunnen doen deelnemen,

hebben de blogs in het centrum van hun digitale strategie ingesloten.

Dat betekent een commerciële en essentiële troef die de

adverteerders, het doelpubliek dat moeilijk te bereiken is of de

ontgoochelde lezers van klassieke media kunnen aantrekken. de blog

is onvermijdelijk en imponeert. NDLS

Le blog, élément clé d’une stratégie en ligne :

Comment l’apparition des blogs a-t-elle modifié le paysage du journalisme ?