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LES US DU LAPS Jacques-Alain Miller Première séance du Cours (mercredi 17 novembre 1999) I LES US DU LAPS Ce sera le titre de mon Cours de l’année, « LES US DU LAPS » de l’année 1999-2000, celle où nous - l'humanité - entreront dans le troisième millénaire, bien que des puristes, des cuistres, aient fait remarquer que l’événement - si s'en est un – ne se produirait qu'un an plus tard, en 2001. Cette remarque, d'ailleurs, formellement exacte, ne peut rien contre un fait d'ordre arithmétique qui est que 2001 ne diffère de 2000 que d'un seul chiffre, tout est là. Ce changement d'un chiffre se produit tous les ans. C’est seulement tous les dix ans que deux chiffres changent. C'est seulement une fois par siècle que trois chiffres changent, et c’est seulement une fois tous les mille ans que les quatre chiffres sont destinés à changer. Une fois tous les mille ans ! Et d'ailleurs, pour être plus exact, la fois d'avant je ne sais pas si vous y étiez, (rires) on est passé de trois chiffres à quatre, de 999 à 1000. Le plus 1 de l'an 999 a ajouté un chiffre et le plus 1 de l'an 1999 est le premier à modifier les quatre chiffres. Le plus remarquable, c’est l'équanimité avec laquelle on s’apprête à cette entrée sensationnelle dans le troisième millénaire. Il y a mille ans, ce franchissement était hanté par des rêves d'apocalypse. Aujourd'hui, tout ce que nous avons, c’est le bogue (rires), on attend seulement des accidents – il y en aura. C'est-à-dire que l’événement n'est pas la fin du monde, ça n'est pas au niveau de Dieu, mais des machines. Quelle serait la surprise, si, le premier janvier 2000, l’ange Gabriel (rires) venait annoncer que le Bon Dieu, après une expérience quand même prolongée, considérait que ça suffisait comme ça et que le jugement dernier était arrivé. C’est remarquable que personne n’attend ça et que tout ce qu'on attend est au niveau de machines, et en raison de quoi ? En raison d’une étourderie, d'un souci d'économie, qui a fait qu’on a codé les machines seulement avec deux chiffres au lieu de quatre, bref en raison d'un défaut d'anticipation, très singulier en lui-même et qu'on pourrait qualifier de formation de l'inconscient globalisée. Si c'est un événement, il est purement conventionnel, puisque ce comptage même des années est une convention. C'est-à-dire que de conventions il y en a d’autres. L'année juive, depuis septembre dernier, marque 5760, mesdames et messieurs, c'est-à-dire, les 2000 de l'année des gowim - ils peuvent se la garder. La notion du caractère conventionnel de ce décompte des années est assez répandue pour que cela ne nous fasse ni chaud ni froid. À dire vrai, c'est un triomphe des Lumières auquel nous assistons ; nous pourrions même dire que c'est bien la preuve que nous sommes tous postmodernes, et il y a un côté obscurantiste du postmodernisme, et il y a côté héritier des Lumières, multiplicité des conventions. Il se pourrait d'ailleurs que l'année à surveiller ne soit pas l’année 2000, mais l'année 2012, qui est, si vous ne le savez pas, la fin de l'actuel grand cycle des années selon le calendrier maya, 2012. Ce calendrier, le nôtre, est une triomphe du compte catholique et en même temps, c’est la défaite du catholicisme par le vidage complet de son sens. C'est le triomphe du calendrier grégorien, globalisé aujourd'hui, qui n'a été adopté qu'en 1582, qui n'a été accepté par l'Allemagne protestante qu’il y a trois siècles, en 1700, avec des réserves 1

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LES US DU LAPS

Jacques-Alain Miller

Première séance du Cours

(mercredi 17 novembre 1999)

I

LES US DU LAPS

Ce sera le titre de mon Cours del’année, « LES US DU LAPS » del’année 1999-2000, celle où nous -l'humanité - entreront dans le troisièmemillénaire, bien que des puristes, descuistres, aient fait remarquer quel’événement - si s'en est un – ne seproduirait qu'un an plus tard, en 2001.

Cette remarque, d'ailleurs,formellement exacte, ne peut riencontre un fait d'ordre arithmétique quiest que 2001 ne diffère de 2000 qued'un seul chiffre, tout est là. Cechangement d'un chiffre se produit tousles ans. C’est seulement tous les dixans que deux chiffres changent. C'estseulement une fois par siècle que troischiffres changent, et c’est seulementune fois tous les mille ans que lesquatre chiffres sont destinés à changer.Une fois tous les mille ans ! Etd'ailleurs, pour être plus exact, la foisd'avant je ne sais pas si vous y étiez,(rires) on est passé de trois chiffres àquatre, de 999 à 1000. Le plus 1 de l'an999 a ajouté un chiffre et le plus 1 del'an 1999 est le premier à modifier lesquatre chiffres.

Le plus remarquable, c’estl'équanimité avec laquelle on s’apprêteà cette entrée sensationnelle dans letroisième millénaire. Il y a mille ans, cefranchissement était hanté par desrêves d'apocalypse. Aujourd'hui, tout ceque nous avons, c’est le bogue (rires),on attend seulement des accidents – ily en aura. C'est-à-dire que l’événementn'est pas la fin du monde, ça n'est pas

au niveau de Dieu, mais des machines.Quelle serait la surprise, si, le premierjanvier 2000, l’ange Gabriel (rires)venait annoncer que le Bon Dieu, aprèsune expérience quand mêmeprolongée, considérait que ça suffisaitcomme ça et que le jugement dernierétait arrivé.

C’est remarquable que personnen’attend ça et que tout ce qu'on attendest au niveau de machines, et en raisonde quoi ? En raison d’une étourderie,d'un souci d'économie, qui a fait qu’on acodé les machines seulement avecdeux chiffres au lieu de quatre, bref enraison d'un défaut d'anticipation, trèssingulier en lui-même et qu'on pourraitqualifier de formation de l'inconscientglobalisée.

Si c'est un événement, il estpurement conventionnel, puisque cecomptage même des années est uneconvention. C'est-à-dire que deconventions il y en a d’autres. L'annéejuive, depuis septembre dernier,marque 5760, mesdames et messieurs,c'est-à-dire, les 2000 de l'année desgowim - ils peuvent se la garder.

La notion du caractère conventionnelde ce décompte des années est assezrépandue pour que cela ne nous fasseni chaud ni froid. À dire vrai, c'est untriomphe des Lumières auquel nousassistons ; nous pourrions même direque c'est bien la preuve que noussommes tous postmodernes, et il y a uncôté obscurantiste du postmodernisme,et il y a côté héritier des Lumières,multiplicité des conventions.

Il se pourrait d'ailleurs que l'année àsurveiller ne soit pas l’année 2000,mais l'année 2012, qui est, si vous ne lesavez pas, la fin de l'actuel grand cycledes années selon le calendrier maya,2012.

Ce calendrier, le nôtre, est unetriomphe du compte catholique et enmême temps, c’est la défaite ducatholicisme par le vidage complet deson sens. C'est le triomphe ducalendrier grégorien, globaliséaujourd'hui, qui n'a été adopté qu'en1582, qui n'a été accepté parl'Allemagne protestante qu’il y a troissiècles, en 1700, avec des réserves

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d'ailleurs qui n'ont été levées qu'en1775. Il a été adopté par la Grande-Bretagne en 1752, par le Japon en1873 - selon notre calendrier bien sûr -par la Russie en 1917 - c'est d'ailleursla réalisation la plus notable du pouvoircommuniste (rires) - et de même enChine en 1949. J’évoque le calendrierparce que le calendrier a une histoire,passionnante, c'est une épopée dusignifiant qu'il faut suivre, on pourra enavoir peut-être l'occasion cette année,de comment le signifiant s'est emparédu temps, comment le signifiant astructuré le temps, le réel du temps etpar là a structuré le monde.

Nul ne conteste plus – surtout depuisque notre temps est devenu atomique,en 1972, le temps de tous. Il y a eu desphilosophes, bien sûr, pour y fairel'objection du Lebenswelt, du mondevécu qui ne connaîtrait pas le temps dusignifiant. Le Lebenswelt, peut-êtrenous y viendront cette année, pourquoipas aux Leçons sur la conscienceintime du temps de Husserl, et la suite.Le temps vécu n'est pas restéindifférent, impassible, à lasignifiantisation du temps.

Bergson a pu faire entendrequelques vagissements sur le fait quele temps mécanique trahissait la duréevécue. Mais nous, nous avons dutemps une toute autre conception quecelle-là. Deux mille, ça fait un compterond et c'est un point de capiton quinous invite à regarder en arrière, etaussi à anticiper.

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À Buenos-Aires, où j'étais il y a peu,j'ai été invité par mon ami GermánGarcía, à donner une conférence donton m’a proposé le titre, enespagnol « Al fin y al cabo ? », qui se

traduirait en français par commequelque chose comme À la fin des fins,en définitive, tout compte fait et j'ai cru,ce qui n’était pas forcément sonintention, qu’il m’invitait à donner unpanorama du dernier millénaire, du XI°au XX° siècle. Donc j'ai essayé de faireça (rires), une sorte de canular. Mais ons’aperçoit, quand on considère ledernier millénaire, qu’il y a une coupureentre le XIe et le XVe siècle - où il nes’est pas passé grand-chose - et puisXVIe-XXe, où il y a un rythme tout à faitdifférent de la période.

La coupure qui passe entre le XVe etle XVIe siècle, c’est marqué par laRenaissance, pour nous. Si on sedemande quels sont les événementsqui ont vraiment compté pendant ledernier millénaire, évidemment il y a uncertain nombre d'événementsrégionaux qui ont paru important sur lemoment, mais qu'est-ce qui a vraimentété important, au niveau global ? -j'étais bien forcé de prendre cette lignede raisonnement à Buenos-Aires où jen'avais pas un seul livre sous la main,ce qui a vraiment compté, en définitive,al fin y al cabo, c'est ce qui concerne lesavoir. Le reste, ce sont des anecdotes.

Si on prend cette conception, ce quia vraiment compté entre le XI° et le XV°siècle, c'est l'invention entre le XII° et leXIII° siècle du discours de l'université,qui s'est ensuite répandu sur le globe etpuis c'est au XVII° siècle, dans ladeuxième partie, du discours de lascience, la physique mathématique, etla suite, et ses remaniements, deGalilée et Descartes à Newton età Einstein.

Et c'est aussi le discours ducapitalisme dont la globalisation estavérée, manifeste depuis l'année 1989.Évidemment, on aimerait ajouter à cetteliste du discours de l'université, de lascience et du capitalisme celui de lapsychanalyse mais on n’a pas

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beaucoup de recul, à l’échelle dumillénaire.

Et, à l'échelle du millénaire, le XX°siècle est très remarquable, grandsiècle de massacres, mais aussi d’unesaisissante accélération du temps en cequi concerne la science. Il y a plus desavants au XX° siècle qu’il n’y en a eude tout le millénaire et le rythme desinventions qui procèdent du discours dela science connaît, du dernier siècle, desa dernière moitié ou de son dernierquart, une accélération absolumentsaisissante, surtout si on le compare àla tranquillité de l'existence au XI°,auquel on ne pense pas assez !

Ce sont des circonstances qui ontcontribué à me faire donner au Coursde cette année le titre de « LES US DUTEMPS ». Enfin j’ai dit « LAPS ».

Les us, on les connaît, le mot dansl’expression « Les us et coutumes »,expression du XII° siècle, qui qualifieles habitudes, les façons de fairetraditionnelles, mais c'est un mot,« us », qui peut être employé seul, quiest attesté seul par les meilleursauteurs, encore au XX° siècle. Etcomme il vient de usus, comme le motmême « d’usage », il faut entendre« l’usage » et spécialement le vieilusage, celui qui est devenu habituel.Relevons qu’il n’existe en françaisqu’au pluriel et c'est à ce titre qu’ilfigure dans mon titre.

Quant au « laps », il est du XIV°siècle, il vient du latin aussi, lapsus, quiveut dire « écouler » et qui nous adonné, seulement au 19° d'ailleurs,avant Freud, lapsus, et derrière leverbe labi, s'écouler, tomber.

Alors nous ne le connaissons, il estvrai, jusqu’à présent, semble-t-il, quedans l'expression « laps de temps ». Lelaps est spécialement préposé autemps, sauf en droit canon oùl'expression « laps et relaps »,stigmatise celui qui a embrassévolontairement la religion catholiquepour l'abandonner.

C'est le seul abus modéré que je mepermets, j'emploie laps tout seul parcequ’à l’oreille, les us du laps, ça montre

qu’il ne faut pas perdre de temps. Onpourrait dire les usages du temps, etvoilà la question actuelle, celle du bonl'usage du temps : comment se sert-ondu temps ? Ça été la matière delongues réflexions philosophiques : àquoi faut-il consacrer sa vie, commentest-il bon de passer sa vie, qui n'estqu'un laps de temps alloué à chacun,une quantité indéterminée.

Mais la question, évidemment, pournous, elle tombe sur la pratique de lapsychanalyse. Qu'est-ce qu’on fait dutemps en psychanalyse ? On faitessentiellement des séances, qui sontautant de laps de temps, distribuées surl'unité de la semaine, du mois, del'année, de la décade et il estremarquable, après tout, qu’unepsychanalyse s’effectue sous la formede séances.

Voilà une des questions que ce titreappelle et qui consonne avec un autretitre, celui de la prochaine Rencontreinternationale du Champ freudien, quiest tout cru : « La séance analytique »,avec un sous-titre qui précise et quicomplexifie et peut-être opacifie leslogiques de la cure et l’événementimprévu.

Mais enfin c'est aussi, les us du laps,l'usage que l'on fait en analyse de cequi glisse, de ce qui tombe, de ce quilapse, on interprète le laps. Et je medisais, en écrivant ce titre, que le lapsne serait pas une mauvaise façon dedire l’inconscient pour lequel Lacancherchait un nouveau mot , le laps.

C'est aussi par là la question qui estintroduite par ce titre dont les motsparaissent tronqués, précipités,amputés, de suffixes reposants, qu'est-ce que l'inconscient ? C'est bien ce queje compte aborder, le rapport del'inconscient et de la séance. De queltype est ce rapport ? contingent ?nécessaire ? Que dire de l’effectuationd'une analyse sous la forme deséances ? Y a-t-il un rapport essentielentre l'inconscient et la séance et lasérie de séances ? Et donc quel est lerapport de l'inconscient et du temps, cetemps dont Freud disait - c'est en tout

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cas ce qui se répercute - quel'inconscient ne le connaissait pas.

Voilà donc mon commencement. Et,pour avancer dans les rapports del'inconscient et du temps, jecommencerais par me repérer sur cetteexpression de Lacan bien connue,commentée, qui est celle du sujet-supposé-savoir, parce qu’à laconsidérer de près, c'est celle qui nousconduit au plus près de laproblématique de l'inconscient et dutemps.

Le sujet-supposé-savoir. C'est uneexpression, à vrai dire, à facettes.D'abord elle se comprend, ce qui estrare chez Lacan, dit-on. Tout un chacunla comprend sous la forme de, un dontles autres supposent qu’il sait. C'estune signification familière que celle-là,et on peut dire qu'elle surgit dès lorsque simplement on pose une questionpour apprendre ce que le locuteur nesait pas et ce qu'il suppose quel'interlocuteur sait. Il suffit d'unequestion pour faire surgir l’instance dusujet-supposé-savoir.

Certes il y a question et question. Il ya des questions qu’on pose, pourvérifier que l'interlocuteur sait ce qu'onsait soi-même, supposément. Ce sontles questions de l'examinateur, et puis,il y a les questions rhétoriques, lesfausses questions, qui sont poséesseulement pour susciter le démenti,l'indignation de l'interlocuteur, pourmettre en valeur l'évidence, ou mêmepour donner statut d'évidence à ce quiest mis en question.

Mais enfin, quelle que soit lamodalité de la question, quand il y aquestion, à l’horizon, quelque part, il y ale sujet-supposé-savoir. Mais enfin, lesujet-supposé-savoir tel que tout lemonde le comprend, n'est pas le sujet-supposé-savoir au sens technique,celui qui vient chez Lacan avec unmathème qu’un certain nombreconnaissent bien.

S S

s ( S , S . . . S )

t q

1 2 n

Le signifiant du transfert, le signifiantquelconque et là, le sujet sujet-supposé-savoir écrit sous cette forme,ça n'est pas exactement la significationfamilière qui pourtant se comprend.C'est le sujet-supposé à un signifiant,supposé par un signifiant. Mais il n’estmême pas besoin d'entrer dans le détailpour saisir que, précisément,l'expression du sujet-supposé-savoir,avec son côté familier et son côtétechnique, est bien faite pour nousmettre devant l'évidence de ladisjonction de la signification, qu’il y aprécisément des niveaux decompréhension et cette distinction deniveau, c'est le sujet-supposé-savoir lui-même.

Cette expression est bien faite pourfaire apercevoir qu'il y a une profondeursémantique, que la signification n'estpas une entité ponctuelle, superficielleet transparente, mais qu'elle a desfacettes, qu'elle offre des perspectives,qu’elle est, si l'on peut dire, à troisdimensions. Et puis, troisièmement, il ya bien d'autres lectures et usages quisont suscités par le sujet-supposé-savoir ; des jeux de signifiants, le sujetsupposé, le savoir supposé, parce quele savoir peut être verbe ou adjectif, etpuis, pourquoi pas, le sujet savoir, et lesavoir sujet et le sujet supposé ausavoir, mille et mille lectures qui seproposent.

Prenons néanmoins l’effet sujet-supposé-savoir au plus pur et qui tientsimplement à ce qu'il y ait un signifiantdont on se demande ce qu'il veut dire.Certes, il faut d’abord l’avoir identifié,comme signifiant. Et quand on sedemande ce que ça veut dire, ça enappelle un Autre, tout simplement, unAutre dont on attend qu'il fasse surgir lesens du premier.

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S S '

Autrement dit, c'est du seul fait del'articulation, de la connexion, de larelation, du rapport, que le sens a unechance de surgir. Maintenant on peutaussi bien demander : qu'est-ce que çaveut dire le sens ? Le paradoxe, c'estque le sens est d'autant plus présent,d'autant plus instant, d'autant plusinsistant, qu'on ne sait pas quel il est.C'est en ce sens que Lacan peut direque le comble du sens, c’est l’énigme,c'est-à-dire précisément le sens dont onne sait pas quel il est, d’oùl'équivalence qui se propose entre senset non-savoir. Cette équivalence metdéjà à l'horizon de la plus simplearticulation la supposition de savoir, desavoir ce que cela veut dire. Le sensest en effet attaché à un vouloir dire,qu'on peut prendre au plus bas, commeintroduisant une traduction, unesubstitution, une équivalence, unesynonymie, on peut dire que deux plusdeux veut dire quatre, quatre n’étantque l'abréviation signifiante des troissymboles précédents. Mais vouloir direrecèle d’autres pouvoirs. Vouloir dire,ce vouloir dire qui est présent déjà dansla question « Qu'est-ce que ça veutdire », une fois qu’on a identifié unsignifiant, ce vouloir dire là, si on ne lerabat pas sur la simple recherche dusynonyme, impose la présence d’unevolonté, impose le fantôme d'uneintention et du sujet de cette intention.

Et on peut déjà supposer que cetteintention, cette volonté, cette volonté dedire qui suscite la question « Qu'est-ceque ça veut dire », que cette volonté abien des chances d'être mauvaisetoujours, et d’ailleurs si on demande ceque ça veut dire, c'est parce quel’énonciateur ne l’a pas dit, l’a cachépeut-être et dans quelle intention,certainement pas des meilleures.

Déjà dans l'hystérie, qui est cetteaffliction de l’inauthenticité du sens, onvoit bien circuler cette notion qu'avec lesens, il y a quelque chose de faux qui

s’est introduit dans le monde. Et il arriveque le sujet en prenne la charge, decette mauvaiseté là, mais c'est aussibien de là que surgit l'accent paranoïdede l'hystérie, l’Autre me cache, l'Autreme ment.

C'est l’effet sujet-supposé-savoir detous les jours, sans la lettre, avant lalettre, simplement du fait qu'il y a dusignifiant, qu’il y a des choses qui sontidentifiées comme des signifiants et àdéchiffrer.

Reprenons l'affaire de la question.Quand vous vous posez une question,Il peut arriver que ce soient desquestions dont vous attendiez laréponse d'une encyclopédie.Aujourd'hui, les encyclopédies sont surInternet. Tout récemment, avant d'entrerdans le millénaire prochain,l’encyclopédie britannique elle-même,c'était la lecture favorite, le principe del'œuvre de Jorge Luis Borges,l’encyclopédie britannique elle-même arenoncé à vendre ses volumes et s’estfaite hara-kiri en se plaçant sur Internet.

Vous allez à un endroit qui affiche jesais tout. Est-ce qu'on peut dire quec’est là un sujet-supposé-savoir ? Iln’est pas évident qu’il y ait là un sujet,dans la mesure même où tout est là,supposé et il faudrait sans doutedistinguer l'anticipation de trouver làune réponse et ce qui est lasupposition. En tout cas il ne suffit pasqu'il y ait une réserve de savoirdisponible pour qu'on puisse parler desujet-supposé-savoir. Supposer que laréponse est dans l’encyclopédie, ça neconstitue pas un sujet-supposé-savoir.

Alors prenons la question par unautre biais, que la question est unedemande de savoir, une demande desavoir adressée à quelqu’un qui a cesavoir. Il suffit de dire les chosescomme cela, pour que ça nous invite àle reformuler, dans notre discours,comme ceci, que le savoir est un objetde la demande, de le dire ainsi suffit àle prendre dans la dialectique desobjets de la demande.

En effet le savoir peut être un objetdu besoin, en tout cas on le prétend :

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« j'ai besoin de savoir », le savoircomme information. Mais le savoir estéminemment, dans cette dialectique quiprend les différents objets de lademande, un objet de l’amour, donnerune réponse, c'est un témoignaged'amour. C'est déjà reconnaître celuiqui demande, c'est lui faire un don,c'est établir un lien et ne pas donner lesavoir, c'est un moyen de pouvoir.

Les historiens étudient les réseauxd'élaboration du savoir, de sonaffiliation, de sa rétention, de sadistribution, les historiens comme lesspécialistes du management. C'est unobjet dont on étudie la circulation et leseffets, les incidences, par rapport aupouvoir. J'ai dit quelque chose làdessus quand j'étais en Argentine.Étant dans le pays j'ai lu le Match, leBuenos Aires Match, où le présidentactuel, qui cédera la place dansquelque temps, donnait une interview ;homme contesté mais fort habile, quicitait un proverbe, qu’il présentaitcomme biblique et qui l’inspirait dans savie de politicien : « L’homme est maîtrede ses silences et esclave de sesparoles », il parle beaucoup.

Il est certain que l’analyste occuped’autant mieux le lieu du maître dans lediscours analytique, qu’il se tait. Et setaire c’est ne pas donner le savoir. D’oùle reproche dont nous avions fait jadisle titre de Journées sur l’interprétation« Vous ne dites rien » et qui serépercute sous les espèces de « j’aibesoin d’une parole, j’ai besoin d’unmot de vous ». Le silence n’annule pasle savoir, il annule le savoir exposé et ilproduit la supposition de savoir, lasupposition qu'il l’a et qu'il ne veut pasle donner. Et ça suffit pour faire dusavoir un objet, un objet caché, un objetconservé sous un voile. On pourraitl'appeler dans la série des objets oral,anal et la suite, l’objet épistémologique.

Certes, il ne serait pas sans affinitésavec l’objet anal, du seul fait qu'ilsuscite la demande de l'Autre, lademande de donner ce qui est àl’intérieur, ou aussi bien, on peut dire

qu'il est suscité par la demande del’Autre.

Celui dont on suppose qu'il a cetobjet, on peut dire qu’on tombe sousson pouvoir, en tout cas le politiquemanipule cette supposition pour créerde l'espérance, de l'anticipation. Mais ilfaut néanmoins distinguer la relation dusavoir et du pouvoir et du savoir et del'amour.

La définition dont nous nous servonsde l'amour, c’est que dans l'amour, ondonne ce qu’on a pas. Et précisément,il y a une relation du savoir et del’amour, quand on donne un savoirqu’on n’a pas, c'est-à-dire quand on setrahit soi-même, quand on se révèle.

C’est là qu'il faut distinguer ce qui sepasse en analyse. Sans doutel'analysant cherche à obtenir del'analyste, enfin quand il n'est paskleinien, c'est-à-dire quand il ne parlepas autant que l'analysant, quand ilcherche à obtenir de l'analyste maîtrede son silence, qu’il dise quelquechose, qu’il donne une indication, ouune interprétation, qu'il fasse le don dela parole, peu importe le contenu, çac'est une chose, mais ce qui est bienplus précieux, c'est d'obtenir del'analyste un lapsus de l'acteanalytique, c'est d’obtenir de l'analysteune erreur, un acte manqué, par quoi ilpasse à la position analysante en effet.C’est là que s’attache ce qu'il y ad’exquis dans le don de savoir. C'estqu’on donne le savoir qu’on n’a pas, etpar là même on voit bien que c'est ceque fait à jet continu l'analysant : ildonne quelque chose qu'il n'a pas.

Bon, à la fin il donne son argent, qu'ila, mais ce qui compte, c'est le don etce qui compte et ce que précisément lesignifiant monétaire voile, c’est qu'ildonne ce qu’il n'a pas, à savoir unsavoir dont il n’est ni le maître, ni lepropriétaire, qui est situé et caché dansses paroles. C’est ça la règleanalytique, elle consiste à inviterl'analysant à donner quelque chose qu'iln'a pas et c'est donc une invitation àaimer. C'est déjà ce qui fait del'analysant un amant, un erastes.

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Alors le sujet-supposé-savoir,revenons-y puisque c'est de là quenous attendons que surgissent ce quej'annonce comme les rapportsessentiels de l’inconscient et du temps,« le sujet-supposé-savoir qui c’est ? »demande l’apprenti, est-ce l’analysteest-ce l'analysant ?

Premièrement c'est l'analyste, celuiqui sait et dont on peut attendre lesavoir interprétatif, sans doute.Deuxièmement c'est l'analysant,comme lieu du savoir inconscient, maisc'est essentiellement une fonction quiprovient d’une articulation. Et c'estpourquoi nous l'inscrivons en troisième,comme tel, à côté d'analyste etanalysant, en troisième, nous inscrivonsle sujet-supposé-savoir comme n’étantaucun des deux, mais le savoirinconscient et c’est ce qui m’a conduit,dans le temps de l’interruption del'activité en novembre, à utiliser trèssimplement ce triangle du transfert.

l e s a v o i r I C S

l ' a n a l y s t e l ' a n a l y s a n tL'analyste, l'analysant, le savoir

inconscient.

C'est un triangle dont je me suisservi pour loger un certain nombre dephénomènes de l'expérience dont, dansdes conversations cliniques, les uns etles autres, les cliniciens, pouvaienttémoigner.

Il y a d'abord le couple analyste-analysant. C’est sur cet axe que nousrepérons le transfert sentimental, lesrapports d’amour et de haine, voire lecontre-transfert, auquel Lacan atoujours fait sa place quand il évoque la

merveille à nous éblouir dans celui quiest le lieu du savoir inconscient. Certes,nous y faisons des différences, entrel'amour narcissique, imaginaire et ceque la haine a de plus réel que l'amourparce qu'elle vise l’être de l'Autre.

La haine est un éminent sentimentpost-analytique, que mérite l'analyste,pour avoir détruit, travaillé contrel'homéostase du sujet. On voit bienque, lorsque le sujet se sépare du lieude l’Autre, il peut laisser du côté del’Autre ce petit a horrible, c'est lafonction poubelle de l'analyste, qui, ilfaut le constater, peut continuer àcauser la haine après l'analyse. C'est làd'ailleurs que la passe, quand elle alieu, constitue un soulagement del'analyste, la passe, ça consiste pourl'analyste à passer le relais du transfertà l’école, le relais du transfert et lereste. S’il y a succès, on peut imaginerqu’il y a transfert positif et s'il y a échec,transfert négatif, sur l'école ! Bien sûrça peut être le contraire aussi bien,mais enfin, c'est pour ça que je crois ausuccès de la procédure de la passedans le mouvement analytique engénéral, c’est qu’il leur faut un certaintemps pour comprendre le soulagementque la passe leur apportera.

L'autre couple, c’est la relation del'analysant avec le savoir inconscient.Au fond, l'analyste n’est là que pourfavoriser la relation de l'analysant avecle savoir inconscient, il est là pour quel'analysant se connecte avecl’inconscient. Si vous voulez, l'analystec'est un provider, c'est ainsi qu'onappelle les sociétés auxquelles on payeune certaine rétribution et qui vouspermettent, quand vous êtes devantvotre ordinateur, de vous connecteravec Internet, des vendeurs d'accès,c’est ainsi qu’on dit plus ou moins enfrançais. Eh bien l’analyste, c'est unvendeur d'accès. Alors évidemment leproblème, maintenant il y a desproviders gratuits (rires), mais je ne saispas si vous êtes comme moi, mais moije n’ai pas confiance (rires), donc jesuis resté sur le provider payant, parceque le provider gratuit vous balance des

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publicités sur l’ordinateur qui rendent çatout à fait inquiétant. Ça peut changer.

Alors on peut noter, à ce propos, surcet axe, l'inversion de la position dusujet et du savoir, quand on compare lediscours du maître et le discours del'analyste.

M

S 2

S

Dans le discours du maître, le savoirest au travail tandis que le sujet estdans la supposition et c'est ce rapportqui s'inverse dans le discours del'analyste.

A

S 2

S

Dans le discours du maître, le sujetidentifié fait travailler le savoir,l'identification est ce qui sert au sujet àfaire travailler le savoir de l'Autre pouren obtenir le plus-de-jouir tandis quel'analyste fait travailler le sujet à seséparer de ses identifications, et par làil oblige le sujet à quitter la place de lavérité supposée et à se mettre autravail en tant que divisé.

Cela comporte quelque chosecomme : il n’y aura pas d’autre savoirdans l'analyse que les effets de véritéde ton travail analytique. Il n’y aura pasd'autres savoir que ce que tu produirastoi-même par ton travail.

Dans le discours du maître, commed'ailleurs dans les autres, à part celui

de l'analyste, le savoir reste séparé dela vérité. Qu’est-ce que ça veut dire ?Ça veut dire que le savoir, il y a unevérité décontextualisée et c’est ça quipermet au savoir de s'accumuler etd'être exposé, alors que la vérité n’estqu'un effet fugace, ce que Lacan écriten mettant « le savoir à la place de lavérité » dans le discours analytique.C'est que là, mais curieusement, lavérité qui est par essence un effetfugace, se trouverait capable dedevenir savoir, de s'accumuler, mais,seulement à titre de supposé.

On voit bien en quoi le discoursanalytique, là, s’oppose à ce discoursde l’université du XII° siècle. Lediscours de l'université est établi surl'exposition du savoir, d’ailleurs le savoirne vaut que si on sait l’exposer, dansune certaine rhétorique, qui n’est pas lamême dans les sciences et dans leslettres, mais selon une rhétorique etmême ritualisée, il exige qu’on posedes thèses, dont on affirme la vérité etqu’on soit capable de défendre contredes assauts des autres, qui disent maisnon je ne suis pas convaincu,argumentez mieux etc.

Eh bien quand on a ce rapport avecle savoir, on n’aime pas ce que lepsychanalyste fait avec le savoir. Lesuniversitaires n'aiment pas ce quel'analyste fait avec le savoir.

Dans l'université, on s'affirme àtravers une position qu’on défendcontre des agressions tandis quel'analyste manœuvre un savoir caché,sous un voile, ça ne sort pas, ça ne sortpas du cabinet analytique, vraiment,des manœuvres peut-être sales,douteuses et qui se laisseraientprésenter comme relevant ducomportement d'une secte, la secte deceux qui aiment l'inconscient, ceux quiont un transfert à l'inconscient, qui ontun transfert au savoir sous les espècesde l'inconscient, la secte des amants del'inconscient.

Évidemment, l’université c'est legroupe de ceux qui aiment le savoirexposé, ceux qui aiment les notes enbas de page par exemple. La note en

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bas de page, il y a un universitaire qui aconsacré un essai tout à faitremarquable à la naissance de la noteen bas de page, essentielle dansl'affirmation du discours de l’université.

Mais, évidemment, ceux quipratiquent la psychanalyse commeanalysants ou comme analystes, onpeut les présenter comme une sorte desecte qui cherchent à boire une sourceintarissable de savoir, qui se mettent enposition de sujet barré travailleur et quipar là, régulièrement, font sortir d'eux-mêmes une sorte de sécrétion desavoir, douteuse, qui ne prend valeurque dans ce contexte.

Borges, que j'évoquais, a fait unepetite nouvelle sensationnelle où ilprésente comme la pratique d'unesecte énigmatique, le coït. On nedécouvre qu'à la fin du conte que cettepratique étrange c'est, en fait, le coït.

Eh bien on pourrait décrire commeça la pratique de la psychanalyse. Ilfaut d'abord aller dans un lieu, ça nepeut pas se faire comme ça n'importeoù, il faut aller dans un lieu précis, oùquelqu'un t’attends, et alors c’est là laporte d’accès, le sas, vers ce qu'onappelle l'inconscient, et dans ce lieu etseulement en présence de celui qui t’aattendu, tu entres en contact avecl'inconscient (rires), tu copules avecl'inconscient et puis tu payes et tu sors,et puis tu recommences (rires). Etqu'est-ce qui se paye, là, quellejouissance se paye là ? Si on écrit leschoses comme ça, un peu del'extérieur, on peut répondre à laquestion de Lacan de savoir pourquoi lapsychanalyse n'a pas inventé unenouvelle perversion, c'est que l'analyseelle-même est une perversion et quec'est une façon nouvelle et singulièrede jouir du langage et d'en faire sourdrequelque chose de rare.

Passons à la troisième relation, cellede l'analyste et du savoir inconscient,troisième côté du triangle. Là, la thèsen'est pas que l'analyste connaisse lesavoir inconscient, qu’il lise commedans un livre l'inconscient du patient, lathèse c'est que l'analyste, dans sa

présence, incarne quelque chose de lajouissance, c'est-à-dire incarne la partienon symbolisée de la jouissance.Certes, il y a une partie symbolisée,c'est celle qui est écrite avec les petitsS1, S2, Sn, de ce mathème et qui sontce que Freud appelait les idées de lapulsion, il y a une partie symbolisée,mais il y a aussi une partienécessairement non symbolisée et donton peut dire que le témoignage, c'est laprésence nécessaire de l'analyste enchair et en os. Freud pouvait dire qu’onn'avait pas eu la preuve du caractèrelibidinal des symptômes avant derepérer le transfert. Eh bien on peut direqu'on a la preuve de l'objet petit a par lenécessaire de la présence del'analyste, en chair en en os dans lamesure où il y a une partie nonsymbolisée de la jouissance.

On se pose toujours la question : etpourquoi on ne fait pas une analyse parécrit, puisqu'on peut aussi déchiffrerl’écrit, l’interpréter, pourquoi on ne faitpas une analyse par téléphone,puisqu'au moins on a la voix, et puisdemain vous aurez l'image, pourquoi onfait pas des analyses en vidéo-conférence, la vidéo-psychanalyse ?C’est qu'il faut que l'analyste mette lecorps. Il faut qu’il mette le corps pourreprésenter la partie non symbolisable.

La technologie, ça c'est le côtéanticipation du millénaire, la technologienous permet sans doute d’être là sansle corps, c'est vrai. Mais être là sans lecorps ça n’est pas être là, ça n'est pasle vrai de vrai de la ??? Sans doute onva vous dire : on peut donner la voix, onpeut donner l'image, demain ondonnera l'odeur, et peut-être même ondonnera le clone ! Mais il reste quepour le prochain millénaire aussi, il yaura une partie non symbolisée de lajouissance et c'est celle qui appelle laprésence de l'analyste.

Alors, l'analyste, il est là à ce titre, entout cas c'est à ça, c'est là dessus queLacan a resserré l'objectif, il est là autitre de son incarnation et non pas dusavoir qu'il aurait du savoir inconscientdu patient. C'est bien plutôt là la

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passion de l'ignorance qui le connecteau sujet-supposé-savoir et cettesupposition, toute la question est desavoir si elle peut être imputée ausavoir inconscient ou si la suppositionest quelque chose d’intrinsèque àl'inconscient.

Ah ! là, et c'est un pas de plus,puisqu’en effet, à l'occasion, Lacanutilise l’expression du sujet-supposé-savoir comme synonyme del'inconscient, puisque l’inconscient estessentiellement lié à quelque chose quiparaît aussi douteux qu'unesupposition. Qu'est-ce que Freud auraitdit de tout ça ? Freud était très fermesur ceci : que l'inconscient c’estquelque chose de réel et il dit en touteslettres que si on fait l'objection quel'inconscient n'est rien de plus qu’unefaçon de parler, en français dans letexte, la façon de parler, si on dit quel'inconscient n'est rien de réel au sensde la science, il faut hausser lesépaules. C’est page 354 de la nouvelleédition des Conférences d'introductionà la psychanalyse qui est sortie cetteannée et qui est tout à fait excellente.

C'est-à-dire qu'il entend bien, Freud,lui, que l'inconscient est quelque chosede réel, au sens de la science, pas unefaçon de parler. Mais en même temps,on doit quand même constater queFreud présente l'existence del'inconscient, die Existenz, ou plusexactement l'existence des processuspsychiques inconscient, il le présentetoujours, régulièrement, dans sestextes, comme une hypothèse. Le motest Annahme, voilà le statut freudien del'inconscient : une hypothèse. Et il fautbien dire que hypothèse c’estsupposition, supposition c’est le motlatin qui traduit ce qu’a de grec le termed’hypothèse et qui se répercute dansl’expression de Lacan le sujet-supposé-savoir. Quand on dit in der annahmedaß, ça veut dire en supposant que -dans la langue ? ?.

Et Freud maintient les deux bouts, àsavoir le statut hypothétique del'inconscient et en même temps sonstatut réel, real, in sinn der

Wissenschaft, au sens de la scienceparce qu’il n’entend pas l'hypothèse ausens où Newton dit et Lacancommente, après Koyré, hypothesesnon fingo, je ne feins pas deshypothèses. Ici il ne s'agit pas d’unehypothèse qui serait feinte, il s’agit dece que Freud appelle une hypothèsenécessaire, car pour lui l’hypothèse del’inconscient, comme il s’exprime, estinférée, c’est une hypothèse parcequ’elle est inférée à partir des donnéesde l’expérience, c’est-à-dire de ladonnée d’effets absolument tangibles,d’effets réels tangibles, Wirkungen realgreifbar.

Ça n’est pas simplement dans lesConférences de Freud qu’on trouvecela, c’est très précieux ce texted’Introduction à la psychanalyse,souvent méprisé, c'est un texted’exposition populaire ; c’est là qu'onsaisit l'organisation de la pensée deFreud, il y a quelque chose, là, qui nousdonne comme le sentiment d’un contactplus intime avec l’accès que lui avait àl’inconscient.

Cette idée de l’hypothèse del’inconscient, vous la trouvez parexemple dans le Mot d’esprit, troisièmepartie et chapitre VI, qu'il m’était arrivéde commenter ici, sur la relation dumode d’esprit au rêve et àl’inconscient ; et Freud parlait del'inconscient, c'est page 294 de l’éditionfrançaise, « comme de quelque chosequ’effectivement on ne sait pas, alorsqu'on se trouve contraint par desdéductions irréfutables de lecompléter ». Et, pour prendre une autreépoque de l'œuvre de Freud, on peutse reporter au chapitre« L'inconscient » de laMétapsychologie, dont la premièrepartie s'intitule « Justification » - dieRechtfertigung - de l'inconscient.

Là Freud parle : die Annahme desUnbewusste, l’hypothèse del'inconscient est à la fois nécessaire etlégitime et quelle est sa déduction ?c'est celle que Lacan a reprise au débutde son enseignement dans « Fonctionet champ de la parole et du langage »,

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ça procède directement de la premièrepartie de l'inconscient dans lamétapsychologie de Freud. Freud partde ce que les données de laconscience comportent un très grandnombre de lacunes, qu'il y a desdiscontinuités, qu'on ne sait paspourquoi on a fait un certain nombre dechoses, et pour lui, la preuve même deça, c’est l'oubli des consignes reçuespendant le sommeil hypnotique. Pourlui ça reste une pierre de touche : onendort quelqu'un par l’hypnose, on luidonne des consignes et ensuite cequelqu'un exécute ces consignes et nesait pas, a un vide, savoir pourquoi.

Pour Freud, c'est là-dessus qu'ilrepère ce qu'il appelle l’hypothèse del'inconscient, c’est-à-dire qu’il y a untrou et il nous faut faire, à ce moment-là, une hypothèse qui permet de rétablirla continuité et qui permet de rétablirl’intelligibilité. C'est exactement ce queLacan a traduit de façon sensationnelleen disant : l’inconscient est le chapitrecensuré de mon histoire.

Donc, en interpolant des actesinconscients que nous avons inférés, ditFreud, nous rétablissons la continuité.C'est ça, c'est ici exactement qu’opèrel’hypothèse de l’inconscient. Et ellenous donne ce qu'il appelle un gain desens, Gewinn ein Sinn, c'est-à-dire ilemploi le même mot que le Lustgewinn,le gain de jouissance ou le gain deplaisir, ici c'est un gain sémantique, ungain quant au sens et en même tempsau sens et à la continuité,Zusammenhang, la continuité du récitou le discours conscient comme disaitFreud. À partir du moment où laprocédure analytique permet d'exercerune influence effective sur le cours desprocessus conscients, nous avons, dit-il, une preuve irréfutable de l'exactitudede l'hypothèse de l'inconscient.

On peut dire que l'hypothèse del'inconscient, c'est-à-dire cettesupposition qui est pour Freudirréfutable, cette supposition qui estattachée à l'instance même del'inconscient traduit le fait du passage

de ce qui est privé de sens, Sinnlöse,au sens.

Vous pouvez dire que tout leproblème se rassemble dans cettephrase de Freud : la possibilité, dit-il, dedonner un sens au symptômenévrotique par l'interprétationanalytique est une preuve inébranlablede l'existence, ou si vous préférez de lanécessité de l'hypothèse, de processuspsychiques inconscients.

Je dis que tout est là parce que,comme il peut vous être sensible, danscette phrase Freud passe de lapossibilité de donner un sens à lanécessité de l’hypothèse del'inconscient. C'est-à-dire qu'il passe dedie Möglichkeit, de la possibilité, à uneautre modalité, die Notwendigkeit, lanécessité. Ici, nous avons en réductionce changement de modalité logique, lepassage de la possibilité à la nécessité,qui est au fond de ce qui lui permetd'attribuer le caractère réel àl'inconscient.

Alors ce qui est très frappant, si onsuit justement et si on prend au sérieuxl'enchaînement des Conférencesd’Introduction à la psychanalyse deFreud, c'est que le chapitre où il exposecette hypothèse de l'inconscient est trèséloigné de celui où il parle du transfert.Le chapitre où il parle de l'inconscientc'est, en quelque sorte, le comble de cequ'il élabore concernant l’interprétationcomme ce qui donne du sens ausymptôme. Le chapitre de l'inconscient,c'est le comble de son élaborationsémantique et puis pour introduire letransfert, qui termine à peu prèsl'ouvrage, il y a tout une autre série dechapitres qui eux portent, pour le diresimplement, sur la libido.

C’est seulement à partir du caractèrelibidinal que Freud introduit le transfert,lorsqu'il se révèle que le symptôme n'apas simplement du sens mais qu’ilconstitue aussi un moyen desatisfaction, un mode de jouissancecomme nous disons. Toute l’élaborationdu transfert se fait sur le côté libidinal,dans la mesure où le transfert est

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comparable au symptôme commesatisfaction libidinale.

Ce qui, pour Freud, fonde letransfert, c'est que l'analyste attire lalibido qui se retire des symptômes, c'estce que Lacan a traduit en parlant del'objet petit a comme condensateur dejouissance, au plus près du texte deFreud. Et c’est par là que le transfertnous présentifie même le mode deformation du symptôme.

En même temps qu’il insiste sur lecaractère artificiel du transfert, qu'ilqualifie de névrose de transfert, Freudn’y voit pas une illusion mais il y voit letémoignage même de ce qui est laréalité psychique, la preuve que lerefoulé est de nature libidinale. C'est làd'ailleurs qu’il expose ce que j’aiévoqué tout à l'heure : notre convictionquant au fait que les symptômes ont lasignification de satisfaction libidinale, desubstitution, n’a été définitivementassise que du jour où nous avons prisen compte le transfert.

Ce qui, pour Freud, est premier c'estce statut libidinal de l'analyste et mêmeprécisément ce qu'il appelle laBedeutung libidinale de l'analyste et j’aidéjà fait remarquer jadis qu'il employaittoujours ce terme de Bedeutung, à ladifférence du mot Sinn quand ils'agissait d'une référence libidinale. Etc'est seulement cette Bedeutung quidonne naissance au nouveau sens queprennent les symptômes dans letransfert.

On peut dire que, pour Lacan, aucontraire, ce qui est premier c'est lenouveau sens que les symptômesprennent, ce qui est premier c’est lephénomène sémantique, alors quel'émergence de l’objet encore latent duréférent encore latent, comme ils'exprime dans la Proposition vient enterme second. On assiste donc, deFreud à Lacan, à une inversionévidente, chez Freud le transfertcomme phénomène libidinalconditionne l’interprétation ; chez Lacanc’est l’interprétation qui conditionne letransfert et c'est ça que traduit la

primauté du sujet-supposé-savoir chezLacan.

Mais cette primauté du sujet-supposé-savoir, elle a uneconséquences que je vous feraisapercevoir la fois prochaine lesconséquences. Elle a la conséquenceque Lacan définit l’inconscient à partirdu transfert et que définir l’inconscient àpartir du transfert, c’est l’établir dansune relation essentielle avec le temps,avec le temps de son déchiffrement.

Dans la perspective du transfertl'inconscient n'est pas un être, c'est unsavoir supposé, c'est-à-dire enespérance, en attente. Et c'est danscette mesure même que Lacan peutdire que l'inconscient est relatif, estaffaire d'éthique. Ça n'est passimplement pour dire : c'est affaire denotre désir. C'est dire l'inconscient n'estpas une affaire d'ontologie, c’est uneaffaire d’éthique, c’est-à-dire quel’inconscient est foncièrement ettoujours à venir et c'est cet inconscientà venir qui constitue le plus saisissantet peut-être le plus caché de ce que lapratique de Lacan a apporté à lapsychanalyse.

Je développerais ça la foisprochaine.

Applaudissements.

Fin du Cours 1 de Jacques-AlainMiller

17 novembre 1999

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LES US DU LAPS

Jacques-Alain Miller

Deuxième séance du Cours

(mercredi 24 novembre 1999)

II

J’arrive en retard. J’arriverégulièrement en retard et c’est cequi fait que je suis spécialementintéressé par le sujet de cette année.Je suis, à vrai dire, subjectivementintéressé et je confesse que j’attendsde ce Cours, de faire ce Cours, de neplus arriver en retard.

Il paraît que lorsqu’on enseignecomme il faut, on est dans la positiond’analysant, je ne vois pas pourquoije ne pourrais pas en attendre laguérison d’un symptôme, d’unsymptôme à moi, pour une fois.

Je précise que je n’arrive en retard,régulièrement, que quand j’ai àparler. Le reste du temps, j’ai un toutautre rapport avec le laps. C’est donctrès concentré, très cerné et commeaujourd’hui j’ai dépassé deux heures,ça m’a été l’occasion dem’apercevoir à quel point ce retardest étalonné.

Ce Cours est annoncé à 13h30. Jen’arrive jamais à 13h30, mais jeconsidère que de 13h30 à 13h45,c’est permis (rires). C’est d’ailleursmême ritualisé puisque ça s’appelle,pour ceux qui l’ignorent, « le quartd’heure académique ». L’enseignant,dans l’université, est autorisé à ceretard, qui peut même êtrerecommandé : laisser arriver lesretardataires, les autres retardataireset faire espérer, faire attendre, lavenue de la parole magistrale. Après13h45, et jusqu’à 14h00, c’estvraiment le champ du symptôme. Etdonc ça se mesure exactement à où

se place mon arrivée, entre 45 et14h00 et après 14h00, comme ças’est trouvé aujourd’hui, c’estvraiment le champ de l’événementimprévu (rires), qui est encore àdistinguer.

1 3 h 3 0 4 5

1 4 h 0 0

]

Je ne vais pas continuer monanalyse en direct comme ça, je vousferais part de mes notations au fur età mesure qu’elles me viendront etvous pourrez constater mes progrèsà partir de ce petit dispositif.

Donc je reprends. Lorsque jedéroule devant vous, ici, ce quiretient l’attention, ce qui accrochen’est pas du tout nécessairement lecourant principal de ce que j’énonceet j’ai déjà pu constater plus d’unefois que c’est plus souvent un menudétail, une remarque latérale, uneobservation incidente, qui retient etd’ailleurs signale l’importance dumenu détail comme condensateur delibido.

C’est ainsi que la première questionqu’on m’a posée, dans le privé, pas icipuisque je ne laisse pas place à ça,d’abord parce que j’arrive en retard donc,me sentant coupable d’arriver en retard, jeremplis tout le reste du temps, si j’arrive àarriver à 13h30, peut-être que je pourraisvous laisser la parole. On m’a donc poséen privé une question sur le Cours de ladernière fois, la première et qui portait surl'allusion, vraiment faite en passant, à unconte de Borges, que je disaissensationnel et que je résumais en disantque ce conte présente le coït comme lapratique d'une secte énigmatique.

On m'a demandé le titre de ce conte etc’est par là que je vais commencer. Jeprendrai faveur de cette question puisqueje ne songeais pas à le développer,sans elle.

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J.-A. MILLER, LES US DU LAPS - Cours n°2 - 24/11/99 -14

Je vous ai livré, il y a deux ans, un petitconte de Voltaire sur les aveugles quijugent des couleurs et je vous disais quec'était, pour moi, le joyau de l'œuvre deVoltaire et c’est peut-être ce que jepréférerais de la littérature française. J’yretrouvais une essence du français enlittérature.

Eh bien ce conte de Borges est pourmoi le joyau de ses écrits et c'est peut-êtrece que je préfère dans la littérature delangue espagnole, à laquelle pour une partj’ai accès dans la langue.

Ce sont trois pages qui figurent dans lerecueil le plus connu de Borges, en toutcas il est allé loger ça dans ce recueil dontil y a des éditions différentes, enrichies aufur et à mesure. Borges l’a logé in finedans son recueil Fictions, lui-mêmecomposé de deux recueils qui étaientparus précédemment, à part. Dans cerecueil, apparemment, ce conte passeinaperçu. Pour vous en donner le titre, ils'intitule « La secte du Phénix » et ce sontcinq paragraphes, rien de plus. Le premierparagraphe introduit de façon parodique lasecte du Phénix.

C'est, évidemment, comme beaucoupde ce que Borges a écrit, une sorte decanular. La secte est présentée de façonindirecte, par le biais de ceux qui ont écritde cette secte et, à lire ce paragraphe, jelirais le premier quand même, ça faitsonger aux mentions - d'un coup, dequelques phrases - que l'on trouve en effetdans la littérature antique, par exemple surles sectateurs de Jésus, sans doute parceque, dans ce premier paragraphe, il estquestion de Flavius Joseph. Cetteapproche indirecte, par ce qu’on a dit, cequ'on a écrit, convient évidemment à lanotion même de la secte, en tant qu’ellese rassemble autour d'un savoir qui estessentiellement secret, un savoir qui n'estpas exposé, un savoir qui est savoir sousun voile, qui est un savoir supposé, pourreprendre le terme de Lacan.

Donc de cette secte, au savoir secret,qui est elle-même supposément secrete,pour accéder au savoir de cette secte, dece qu'elle est, on n’a que des indicesfragmentaires, cueillis dans toutes leslittératures, des indices décalés etéventuellement contradictoires. Il faut dire

que Borges excelle dans l'évocation dusavoir fragmentaire, celui des vieilleschroniques, mais aussi bien on le voitprélever un morceau de système, etsystème de l'idéalisme allemand,l’Argentin va cueillir là une petite phrasequi résonne, le fragment surgit enfin dansson éclat.

Borges étale, dans tout ce qu'il aproduit de littérature, les corps morcelésdu savoir, il se meut comme un poissondans l'eau dans S de grand A barré,comme nous désignons le caractèrenécessairement fragmentaire, éclaté,décalé, du savoir et il arrive à faire sourdreune poésie de l’érudition canularesque. Ilavait certes beaucoup lu, Borges, maisenfin il avait surtout beaucoup lul'encyclopédie britannique d’où il prélevaitdes petits éclats, faisant allusion à uneculture universelle.

Dans ce petit texte, « La secte duPhénix », il conjugue le savoir et le secret.Le savoir et le secret paraissent deuxtermes antinomiques. D’un côté ce quel’on sait et de l'autre côté ce que l'on nesait pas. C'est précisément ce partage dusavoir et du secret qui nourrit l'imaginairede la conspiration, puisque c’est trèsprésent, chez Borges, la conspiration.

L’existence d'une conspiration a poureffet de partager l'humanité en deuxclasses distinctes : ceux qui savent etceux qui ne savent pas. Il faut bienreconnaître que la psychanalyse, à sesdébuts, précisément parce qu’on était làrassemblés autour d'un savoir qui n'étaitpas de tous, qui présentait à la fois uncertain caractère de nouveauté,d'originalité qui prétendait en même tempsà l'universalité, ça a d'abord été approché,conçu, ce mouvement psychanalytique,comme une sorte de conspiration et il n'estpas dit, d'ailleurs, que les premierspsychanalystes eux-mêmes, et Freud,n'aient pas beaucoup cédé à l'imaginairede la conspiration. Ils appelaient ça entreeux « la cause », mais c’est aussi bien laconspiration freudienne.

C'est le point de départ de ces affairesde sectes et de conspirations, ceux qui ontle savoir et ceux qui ne l'ont pas. D'un côtéles quelques-un, les happy few band of

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brothers (à vérifier), et puis tous lesautres.

Mais, précisément, la torsion queBorges imprime à l'imaginaire de la secte,pour ce texte en particulier, c'est qu'il serévèle que les quelques-uns ne saventpas davantage que tous les autres. Ça neles empêche pas d'être groupés, d'êtrerassemblés, par quoi finalement ? par lesignifiant de la secte, signifiant lui-mêmedont Borges nous a montré d'ailleurs toutde suite que ce signifiant est hautementdouteux.

Ils ne savent pas davantage que lesautres ce qui est un secret pour les autreset même, à la fin de ce texte, ce qui serévèle précisément, c'est que lesquelques-uns - ce qu'on nous a présentécomme des quelques-uns - ils sont en faittellement nombreux qu'ils sont tous lesautres et c’est ça qui surgit à la fin dutexte.

Le secret pour les autres, c’est aussi unsecret pour eux-mêmes et ça répond àcette phrase que je cite souvent de Hegeldans son Esthétique concernant - c'est àpropos de l’art égyptien qu'il dit ça - lessecrets des égyptiens étaient des secretspour les égyptiens eux-mêmes et c'est çaqui, petit à petit, dans les cinqparagraphes de Borges, finit par émerger.

Il y a deux grands versants du savoir,d'ailleurs, qui ont occupé ce qu'on appellel'Occident, l’Occident des occidentaux,que Lacan appelait des occidentés. Lesdeux grands versants du savoir, c'est lesavoir grec et le savoir égyptien. Le savoirgrec, le savoir étalé, le savoir exposé, dontle modèle est mathématique.

C'est en Grèce qu'on a inventé ça, derassembler du monde, pas des foulescomme ça (montrant l’auditoire), un petitnombre, et puis venir en apportant desgrands panneaux sur lesquels étaienttracés un cercle, un rectangle, un triangleet de lire des démonstrations au fur etmesure qu'on inscrivait sur le panneau lespetites lettres à leur place, sur lediagramme, pratique qui a surgit un beaujour, au monde et seulement là, en Grèce.

Il faut bien dire que ça a surgit d'abordcomme une secte spéciale, la secte desmathématiciens. Ah ! celle-là a eu dusuccès ! C'est d'ailleurs pourquoi elle

retient, elle a de quoi retenir dans lapsychanalyse, secte plus récente et quin'a pas encore obtenu sa place, la placecentrale dans la culture que la secte desmathématiciens a conquis.

Évidemment, c'est une secte qui étaitorientée vers un réel tout à fait nouveau etun réel extrêmement solide qui faisait pâlirLacan de jalousie. Comment obtenir pourla secte des psychanalystes un réelpromis au même succès que le réelmathématique ?

Donc le savoir grec d'un côté, savoir dumathème, on commence, on termine, vousn’avez rien à dire, c'est bouclé, il n'y a plusqu’à refaire le chemin ou qu’à intégrer lerésultat dans une structure pluscompréhensible et de l'autre côté le savoirégyptien.

Ça, le savoir égyptien, c'est le savoircrypté, c'est le savoir mystérieux, supposéet il faut bien qu'on le suppose, pour y allervoir et essayer un déchiffrement, c'est-à-dire de remplacer un certain nombre designifiants par d'autres qui, eux, veulentdirent quelque chose pour vous et qui dece fait font que les premiers aussi veulentdire quelque chose.

Deux postulations, le savoir grec et lesavoir égyptien et antinomiques comme lemathème l’est au mystère. Cetteantinomie là - c'est présent dans le textede Borges - a été essentielle pour l'espritdes Lumières.

Et là on peut encore se rapporter àVoltaire, à son article « Secte » duDictionnaire philosophique. « Il n’y a pointde secte en géométrie, dit-il. On ne ditpoint un euclidien, un arctimédien. Quandla vérité est évidente, il est impossible qu'ils'élève des partis et des factions. Jamaison n'a disputé s’il fait jour à midi ». Ça,c'est évidemment une naïveté, on peutparfaitement disputer la question de savoirs’il fait jour à midi et il s’agit encore desavoir où se produit ce midi-là, parexemple.

C'est tout l'esprit des Lumières, l'espritantisecte, examiner toutes choses à lalumière de ce midi là, de ce midi dont onne dispute pas, étendre ce midi là quirègne sur le modèle mathématique,l’étendre à toutes questions en ce monde.

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Ah ! Évidemment, quand on étend,quand on veut examiner à midi, desvérités qui ne prospèrent que dansl'ombre, des vérités chauve-souris, quandon met ça à la lumière du midi, cesvérités-là s’évaporent. La Révolutionfrançaise a sanctionné la volonté d'allerexaminer les fondements des signifiantsmaîtres comme si c'était des signifiantsmathématiques, de vouloir, en matièrepolitique, être démonstratif et universel.

La psychanalyse est partagée entre legrec et l'égyptien. D'un côté, elle a pourobjet de son travail le savoir del'inconscient qui est de type égyptien, dansla mesure où il est à décrypter et on sait lafascination personnelle de Freud pourl'ancienne Égypte, pour son art, pour sesproduits. Il s’environnait de témoignagesdu savoir égyptien, du savoir crypté.

Et en même temps la psychanalysevise à conduire au mathème. La référencede Freud, c’est le discours scientifique,autant il a le goût, la fascination de l’objetégyptien, autant il martèle l'appartenancede la psychanalyse au discoursscientifique et qu'il faut que le réel del'inconscient soit attestable dans lediscours scientifique.

Évidemment, la question est beaucoupplus difficile que ce que Voltaire en émet. Ily a des sectes en mathématique, il n’y apas simplement des spécialités, il y a dessectes qui ont tendance, en effet, àdevenir des spécialités. Mais enfin il n’y apas la géométrie, comme on pouvaitencore l’écrire au XVIII°, il y a desgéométries, et puis l’intuitionnisme,comme on l’a appelé, la conceptionintuitionniste des mathématiques, qui asurgit au XXe siècle, a surgit avec destraits sectaires, extrêmement marqués,autour d'un leader, Brauer, qui concevait,en effet, son intuitionnisme comme unevéritable croisade.

La secte est définie de façon trèsinsuffisante dans le dictionnaire Robert comme « l'ensemble de personnes quiprofessent une même doctrinephilosophique ou comme un groupeorganisé de personnes qui ont une mêmedoctrine au sein d’une religion ». Ça ne vapas du tout. On se rapporte à la racine dumot segui - suivre - mais il y a évidemment

dans la secte quelque chose de la section,quelque chose de sectio, qui désignel’action de couper, de se séparer.

La secte comporte essentiellement unepartialité de la vérité, un parti pris enmatière de vérité. Déjà, s'assumer commesecte, c'est avouer que le savoir dont ils'agit, ce savoir de doctrine, n'est pas pourtous, ou que la secte retienne ce savoir ouqu’elle constate que les autres y résistent.C'est un savoir séparé et c'est pourquoi lasecte, en effet, a des affinités essentiellesavec le secret, avec le savoir qui n'est pasà la disposition de tous.

Borges dans sa « Secte du Phénix »,commence par nous décrire une secte detrès loin, telle qu'on veut l'approcher par ceque j'appelais des indices et puis, dansune glissade sensationnelle duparagraphe suivant, il l’élargit finalement àl'humanité entière et il révèle en quoil'humanité elle-même est une secte.

Je vous lis le premier paragraphe, enfrançais : « Ceux qui écrivent que la sectedu Phénix eut son origine à Héliopolis etqui la font dériver de la restaurationreligieuse qui succéda à la mort duréformateur Aménophis IV, à l’aide destextes d’Hérodote, de Tacite et desmonuments égyptiens, mais ils ignorent ouveulent ignorer que la dénomination dePhénix n’est guère antérieure àRabanomaoro - Raban maure – (àvérifier), et que les sources les plusanciennes disons les saturnales oùFlavius Joseph parlent seulement desgens de la coutume ou des gens dusecret. Gregoriovius avait déjà observédans les petits couvents de Ferrare que lamention du Phénix était rarissime dans lelangage oral, À Genève, j’ai converséavec des artisans qui ne me comprirentpas quand je leur demandais s'ils étaientdes hommes du Phénix mais ils admirentsur le champ être des hommes du secret.Sauf erreur de ma part, il en est de mêmepour les bouddhistes, le nom sous lequelle monde les désigne n'est pas celui qu’ilsprononcent. Mystère ».

Le mystère règne, la mention deGenève, ici, est évidemment touchantepuisque c’est le lieu que Borges a choisipour mourir et le lieu où il a passé lesannées les plus heureuses de son

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enfance, son adolescence et d'ailleurs il ya un de ses derniers recueil de poèmesqui s'appelle les Conjurés et le poème les« Conjurés » est le dernier du recueil et cequ'il appelle là le conjuré, c’est l’union despremiers cantons suisses pour former laSuisse et donc en quelques vers, ilévoque cette conspiration, cetteconjuration initiale et le poème se terminesur l'évocation, qui a l'air de l’enchanter,d'une Suisse qui s'étendrait au mondeentier.

Quelle délicatesse, ce terme de gensde secret, qui est, avec des majuscules,c’est le nom, le nom propre, le nom detoutes les sectes initiatiques, les Gens duSecret, ça serait formidable de s’appelerGens du Secret au lieu de psychanalyste.Il dit aussi les gens de la coutume et çaannonce la place qu’il va donner dans cetexte à un rite mystérieux.

Un rite, c'est une action symbolisée quicomporte précisément qu'on prête soncorps aux symboles et en même temps lerite - il y a des rites individuels que nousdécrit Freud, à l'occasion - mais le rite, il ledécrit par analogie avec le riteanthropologique, fait lien social et dans laglissade de Borges, finalement, tout lesecret dont il s’agit était introduit par leslivres et par les on-dits, etc., tout le secretse révèle se concentrer dans un rite.

Dans le deuxième paragraphe, il fait ladifférence entre les Gens du Secret et lesgitans. Les Gens du Secret ne sont pascomme les gitans, ils ne sont pas non pluscomme les juifs, « les sectaires, dit-il, seconfondent avec les autres hommescomme le prouve le fait qu'ils n'ont pas étépersécutés. Troisième paragraphe « il n’ya guère de groupes humains où nefigurent pas des partisans du Phénix. »Voilà une secte qui est quelque sorteomniprésente, qui se mêle à tous.

Quatrième paragraphe, le quatrièmeparagraphe soustrait doucement à lanotion de secte tous les traitsparticularisant de la secte. ils n'ont pas delivre sacré, ils n'ont pas de mémoirecommune, ils n'ont pas de langue à eux,ils ont seulement un rite. Et même, dit-il, lerite constitue le secret.

Voilà comment le rite : j'ai compulsé lesrapports des voyageurs, j'ai conversé avec

des patriarches et des théologiens, jepeux certifier que l’observance du rite estla seule pratique religieuse des sectaires,le rite constitue le secret, celui-ci setransmet de génération en générationmais l'usage veut qu’il ne soit enseignéaux enfants ni par leur mère ni par lesprêtres, l’initiation au mystère est l'œuvredes individus les plus vils, un esclave, unlépreux, ou un mendiant sont ? ? ? Unenfant peut également en instruire unautre, l’acte en soi est banal, momentanéet ne réclame pas de description, lematériel est constitué par du liège, de lacire ou de la gomme arabique. »

Bon, ça c’est pour égarer le lecteur, oncommence à comprendre de quoi il s’agit.« Il n'y a pas de temple consacréspécialement à la célébration de ce culte,mais des ruines, une cave ou un vestibulesont considérés comme des lieuxpropices. Le secret est sacré, mais il n’enest pas moins un peu ridicule, l'exerciceen est furtif et même clandestin et sesadeptes n’en parlent pas – çà, ça date del'après-guerre – il n'existe pas de mothonnête pour le nommer, mais il est sous-entendu que tous les mots les désignent,ou plutôt qu’ils y font véritablementallusion, ainsi au cours du dialogue j'ai ditquelque chose et les adeptes ont souri, oubien ils ont été gênés car ils ont senti quej'avais effleuré le secret. »

Là, je crois qu’il m’est arrivé de direrécemment que Borges avait été trèsréfractaire à la psychanalyse, ce qui estvrai, il a dit d'ailleurs de la psychanalyseque c'était la branche médicale de lascience-fiction (rires), ce qui est d'unejustesse formidable, mais évidemment onsent bien ici la présence, il a fait, paraît-il,un petit peu de séances d’analyse. Danscette description, on voit une initiationhasardeuse, l'absence de temple et la fin,« j'ai mérité – dans le cinquièmeparagraphe – j’ai mérité dans troiscontinents l’amitié de nombreux dévots duphénix, je suis persuadé que le secret, audébut, leur parût banal, pénible, vulgaireet, ce qui est encore plus étrange,incroyable. Ils ne voulaient pas admettreque leurs ancêtres se furent abaissés à desemblables manèges. Il est étrange que lesecret ne soit pas perdu depuis longtemps

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malgré les vicissitudes du globe, malgréles guerres et les exodes, il arrive,terriblement, à tous les fidèles. Quelqu'unn'a pas hésité à affirmer qu'il est devenuinstinct. »

Voilà le texte. C’est le coït, que Borgesréussit, il nous égare avec quelquefanfreluches comme la cire arabique, quin’est pas indispensable à l'acte, mais ilparvient littérairement à énigmatiser lecoït. C'est pourquoi j'appelle ça uneréférence d’une phrase à ce texte, dans latentative d'énigmatiser la séanceanalytique pour nous et de décrire ce quifait partie du quotidien d’un certain nombred’analysants et d’analystes, de le décriresur le mode sectaire.

C’est le secret du texte et le texte seprésente lui-même comme un savoir àdécrypter, on se demande en effet de quois’agit-il, est-ce que la gomme arabique estabsolument définitoire de ce rite, on peutlaisser ça de côté pour saisir ce dont ils'agit, puisqu’on le lit, le texte est fait pourqu'on se demande de quoi s'agit-il, quelleest la référence.

Or je me suis aperçu, ça fait longtempsque j'avais la notion de ce texte et de soncharme et je me suis aperçu dans laremarquable édition de La Pléiade,vraiment qui est une édition scientifiquequi n’existe pas en espagnol, tome I, page1595, on trouve une note qui signale queBorges a livré le secret dans un entretienavec un Américain, je suppose quel’Américain lui a dit « Allez, de quoi s'agit-il, il est temps de le dire » et Borgesmange le morceau et il dit précisément« la première fois –pour nous, c’est pleind’échos bien sûr – que j'ai entendu parlerde cet acte, quand j'étais petit garçon, j'aiété scandalisé à l'idée que ma mère etmon père l’avaient accompli. C'était unedécouverte, stupéfiante non ? Mais onpeut dire que c'est un acte d'immortalité,un rite d’immortalité, n'est-ce pas ? »

Donc le tour de force de ce texte, c'estd'énigmatiser - si je puis employer le termeque je me promettais, il y a déjà quelquesannées de lancer - l'acte sexuel, la relationsexuelle. Je dirai que c'est même pousserà la limite l'esprit des Lumières jusqu'aupoint où le rationnel, le réel rationnel, seretourne en fantastique. C'est un exercice

qu'on pourrait pratiquer ici, le monde quise rassemble, des corps, posés, ? ?silencieux, c'est-à-dire qu'ils n'utilisent pasleur bouche pour faire du bruit, sinonfurtivement à l'oreille du voisin et puis unde ces corps, en évidence, qui s'agite, quia l’air saisi d'une danse spéciale et produitdes bruits. Cette description, si on lapoursuivais un petit peu, serait de nature àfaire légèrement bouger le coefficient deréalité et d'ennui de la réalité quotidienne.

C'est l’exercice que fait Borges, avecson art et alors je dis que c’est l’esprit desLumières parce que les Lumières, ça étéd'abord de formuler : il y a des coutumes,il n'y a pas que notre façon de faire, il y ena d'autres, il y a des coutumes, elles sontessentiellement diverses selon les peupleset selon les traditions et l’humanité separtage entre diverses coutumes.

Le fait qu’elles sont multiples montreque les nôtres comme les autres sont dessemblants qu’elles n’ont pas un fondementnécessaire dans l'humanité, que ce sontdes inventions et il s’agit de choisirl'invention la meilleure, celle qui fait lemoins de mal à cette humanité - jeprésente un concentré de l'esprit desLumières. Or ici, je dis que c'est le pointlimite de cet esprit, puisque la coutumedont il s’agit, Borges emploie le mot, lesGens de la Coutume, c’est la coutume del'humanité comme telle.

On peut dire que dans ce texte, le faitde nature, l'œuvre de chair, est traitéeintégralement comme un fait de culture,elle est mise au compte d'une secte, elleest mise au compte d'une partialité. Elleest virée par là au compte du semblant.

La question, la vieille question desLumières, la vieille question deMontesquieu, comment peut-on êtrepersan ? la question que pose celui quiadhère tellement aux coutumes de sonlieu, de son temps, de son peuple, qu’il nepeut plus saisir pourquoi l'autre faitautrement, il s'en étonne, ah bon ?

C’est le sentiment d’étrangeté qui saisitdevant les coutumes de l'étranger. AuXVIII° siècle, on s'est enchanté en effetdes récits de voyageurs, de l'exotisme quivirait au semblant la vie quotidienne. Cequi précède le texte de Borges, c’est Lesupplément au voyage de Bougainville de

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Diderot, où il s’enchante de nous montrerqu’il y a des peuples pour lesquels l’actesexuel a de toutes autres valeurs moraleset symboliques que pour nous.

Diderot…, le prêtre arrive et puisaussitôt on lui offre l’épouse du chef, lafille, etc. et Diderot décrit comment leprêtre se récrie, dans les premiers temps !(rires), devant ces offres.

Ici Borges nous conduit à quelquechose qui est comme la question commentpeut-on être homme ? C'est la conditionhumaine qui elle-même paraît étrangère,ici, énigmatique et spécialement au niveaudu coït. Comment peut-il se faire qu'on selivre à quelque chose d’aussi incroyableque ce qu’on appelle faire l'amour. Legénie de Borges ici, dans la secte duPhénix, c’est précisément d'aborder lesexe par le savoir, il dit la secte du Phénix,Phénix c'est le phallus, c'est-à-dire lephallus est un Phénix – vous êtes lephénix des hôtes de ce bois – en effetl’acte sexuel consomme la disparition duphallus et puis, supposément, le phallusaprès un temps, un laps plus au moinsgrand renaît de ses cendres.

Alors ici, voilà ce qui justifie Phénix, cequi justifie secte, c'est que précisémentl'humanité fait du sexe un secret, et mêmequand elle n’en fait plus un secret, il y aquelque chose du sexe quiintrinsèquement est un secret.

De ce fait, l’humanité peut être décritecomme une secte et le paradoxe quianime ce texte, c'est bien que là, enmatière de sexualité, tous se comportentcomme les quelques-uns qui cacheraientun secret à tous, alors que, précisément,c'est le secret de tous et c'est pourquoic'est bien un texte, tout de même, del'époque de la psychanalyse.

Alors ça, le quelques-uns à part qui serévèle en définitive passé dans le tous,dans l'universel, c'est un thèmefondamental de Borges.

Vous pouvez aller lire son conte quis'appelle « Le congrès », qu'il a mis trèslongtemps à écrire, qui avait uneimportance spéciale pour lui, paraît-il,d’après ses dires, qui décrit uneconspiration très spéciale, fomentée parun propriétaire foncier de l'Uruguay qui,devant son incapacité à devenir député au

congrès de l’Uruguay, décide de fonder deCongrès du monde.

« Vous saurez représenter tous leshommes de toutes les nations. » Alors ilne regroupe jamais qu’une petite bandeun peu véreuse, dont chacun est décrit…quelque chose comme les apôtres oucomme la bande de Freud et puis qu’est-ce qu’on fait quand on est le Congrès dumonde ? Ils se mettent à parler de tout etde n’importe quoi, y compris les chosesles plus futiles, ils dressent des listes, ilsmontent une bibliothèque d'ouvrages deconsultation, ils cherchent la langue quiconviendrait à la réunion du Congrès dumonde, est-ce l’espéranto ? est-cele volapuc ? est-ce le latin ? est-ce lelangage analytique de John Wilkins, surlequel Borges a écrit une note érudite, queLacan cite dans les Écrits ? Et puisretombée, Don Alexandro, fait brûler leslivres, les fait rassembler dans la cour, lesfait brûler.

Il dit : « Le Congrès du monde acommencé avec le premier instant dumonde et il continuera quand nous neserons plus que poussière, il n'y a pasd'endroit où siège le Congrès du monde,le Congrès du monde est partout, il est enchacun, en chaque chose, en chaqueévénement et il emmène ce qui reste de lapetite bande en promenade le soir, envoiture découverte, à travers BuenosAires, pas loin du cimetière de la Recolettaet c'est un moment enchanteur qui estdécrit en un seul paragraphe, une sorte derévélation, que le Congrès du monde estlà, qu’il n’est pas besoin de s’échiner àrassembler des livres et à étudier deslangues, mais que tout est là déjà, et n'apas besoin de nous, n'a pas besoin qu’onse remue.

Il y a comme une révélation mystique,et je ne vous en cite que ce passage :« Ce qui importe - dit le narrateur - c'estd'avoir senti que notre plan, dont nousnous étions tant de fois moqué - c'est desgens des Lumières quand même,évidemment le Congrès du monde c’estune sorte aussi de point limite de l'espritdes Lumières, l'universalité soutenue parune conspiration, qui finalement découvrequ’elle est inutile - d'avoir senti que notreplan existait réellement et secrètement et

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qu'il était l'univers tout entier et nous-mêmes ».

Donc au départ, on a ces quelques tousqui sont comme crispés sur leurparticularité, ils veulent représenter tous etfinalement c'est la sublime dissolution duCongrès du monde dans le monde lui-même. C'est en quelque sorte : le monden’a pas besoin d'être représenté par leCongrès du monde. Il n'a pas besoin quecertains se livrent à une tâche spéciale,cette tâche est déjà accomplie, elle estdéjà là, c’est l’univers, c'est le grand tout.On ne peut pas s’empêcher de penser à laphrase de Hegel « l'absolu qui veut êtreauprès de nous ». Rien de toutes cesphénoménologies de l'esprit ne seraitconcevable si l’absolu ne voulait pas etn'était pas déjà auprès de nous.

C'est le moment mystique entre ce quel'universel, l’univers lui-même, du seul faitd’être abordé par le biais du particulier, dece projet du propriétaire foncier del'Uruguay, l’universel, d’être abordé à partirdu particulier et quand le particulier saits'abolir ensuite, l'universel, l’universel et lequotidien, chaque chose, prend alors unautre sens.

C'est l’essence de toutes les sagesses,de toutes les sagesses mystiques, de faireretrouver dans le plus futile de ce quiarrive, dans le plus futile de l'événement,le sens de l'absolu qui est ici un senssecret. C'est la conjugaison si belle de cesdeux mots : réellement et secrètement.C'est un secret qui n'a pas de contenu, unsecret qui n'est rien que la signification dusecret, comme Lacan peut dire que lesujet-supposé-savoir, ça n’est que lasignification du savoir.

La secte du Phénix pour y revenir, ellemet en scène l'appartenance de lasexualité du secret. C'est un secret quetous pratiquent, et pourtant ça reste unsecret pour chacun. Il y a du secret dansla sexualité, pour chacun.

Ce que fait vibrer Borges, dont Lacandisait que son propos résonnait avec lesien, il le dit dans les Écrits, à propos durecueil Autres investigations, de Borges,où figure le texte sur John Wilkins, voustrouverez cette référence dans la « Lettrevolée », sur le vocable nullibiété, c’est unsavoir qui tient tout entier dans un acte,

que tous accomplissent comme un rite, faitvoir Borges, c'est-à-dire sans savoir cequ'il signifie. C’est, de toute la littérature, letexte le plus condensé, le plus exquis,pour mettre en scène le non-rapportsexuel. Ce que veut dire le non-rapportsexuel en tant qu'il est secret, qu’il estsecret pour ceux qui accomplissent larelation sexuelle, et ceux qui nel'accomplissent pas, aussi bien.

Eh c'est en cela que, de façonprodigieuse, Borges indique à la dernièrephrase que le rite rejoint l'instinct, parceque le rite comme l'instinct c'est, parexcellence, ce qu’on fait sans savoirpourquoi.

C'est la dernière phrase n'est-ce pas :« Quelqu'un n'a pas hésité à affirmer, qu’ilest devenu instinctif. » C'est exactementdans la même veine que s'inscrit larévélation mystique, la révélation du sanspourquoi. Vous connaissez la citation deAngélus Silésius, à laquelle se référeHeidegger et Lacan aussi bien : « la roseest sans pourquoi ». Eh bien c'estprécisément la révélation qui se donne àla fin du congrès « le monde est sanspourquoi ». Le monde n’a pas besoin denous, de notre souci, n'a pas besoin denous si nous sommes le souci, si noussommes esprit d'entreprise, si noussommes désir. C'est une sagesse quiretrouve celle du Tao. Il ne faut pastellement bouger, il suffit de se promeneret puis tout ce qui arrive est là.

C'est le thème du monde et dumanque. Le manque est illusoire. Il n’y aque ce qui est et c'est encore trop dire,c'est encore trop dire parce que ça évoqueautre chose, il y a ce qui est mais c'estencore trop dire ! On pourrait dire commeHeidegger « il y a… », le « il y a ».

Le monde tel qu’il apparaît à la fin decongrès, c’est le monde matériel, celuiqu'on aperçoit dans la promenade, eh biensûr il y a aussi les imaginations, lessonges, les fictions et tout cela est aussid’une certaine façon et c'est pourquoiBorges débouche, en définitive, surl’univocité de l'être. C'est-à-dire : cela estaussi, à quoi tu songes, tes rêves, l’idéequi te passe par la tête, l'instant, tout celaest aussi.

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Alors bien sûr, dans cette perspective,le temps devient problématique. Eh c'estce Borges qui est l'auteur d'un texte capitalpour notre enquête de cette année et quicomporte une réfutation du temps.D'ailleurs Borges est l'auteur de deuxréfutations du temps, l’une en 1944 - ilprend soin de le dire - l'autre en 1946. Ilpousse la malice jusqu’à publier ces deuxarticles, dans son recueil, en même tempset en indiquant bien leurs dates 1944,1946, réfutations du temps.

Et d'ailleurs le titre exacte estNouvelles réfutations du temps, ce quiindique bien sur qu’il y en a eu avant, desréfutations du temps. Ce qui est ici lamalice c’est, bien sûr, que le titre lui-mêmedément la thèse qu'il expose et le soin qu'ilapporte à présenter son article sous laforme 1944, 1946.

D'ailleurs, cette réfutation du temps, ilcommence par dire qu'il n'y croit pas, maisqu’elle vient souvent, dit-il, me visiterpendant la nuit ou dans la lassitude ducrépuscule, avec la force illusoire d’unevérité première.

Alors qu'est-ce que son texte démontre,là ? Qu’en fait, on a réfuté le temps. Denombreux philosophes réfutent le temps etque les négations du temps sont desréfutations qui appartiennent à l'idéalismephilosophique, à l'imaginaire ou à lalittérature. Pourquoi il fait ça sur son modeavec des petits fragments qu’il va cueillirpartout ? Pour montrer que la négation dutemps est pensable c’est-à-dire qu’elle estœuvre de la pensée et de l’imagination.Mais avec quel effet : d’isoler le réel dutemps.

La nouvelle réfutation du temps, deBorges, elle montre quoi ? Que d’êtreréfuté ça n’empêche pas le temps d’être.Et d’ailleurs réfuter le temps ça prend dutemps, ça lui a pris entre 1944 et 1946 et ila rassemblé ça en 1955.

Ça ne l’empêche pas, le temps, ça nel’empêche pas d’être et il est malgré laréfutation, du temps, c’est-à-dire commel’impossible. Et c’est là qu’on trouve versla fin cette phrase si belle, qu’on pourraitprendre comme exergue cette année : letemps est la substance dont je suis fait. Eltiempo est la susbtansia de questo y ???

Donc, à la fin, c’est la réfutation de laréfutation, la réfutation dans le réel de laréfutation idéaliste du temps. La dernièrephrase est la suivante : pour notremalheur, le monde est réel et moi, pourmon malheur, je suis Borges.

Ce n’est pas tout à fait la fin, la finprécisément, j’ai été content de m’enapercevoir, c’est un texte que je pratique,mais j’ai été content de m’apercevoir, dansla petite construction que je faisais pourvous, que vraiment le texte se termineaprès cette phrase, par une citationd’Angélus Silesius, un distique :

« Ami c’est suffisant, si tu veux en liredavantage, vas et deviens toi-mêmel’écriture et toi-même l’être » – das ? ?

Alors, qu’est-ce que ça introduit, si onforce juste un petit peu les choses pour lesconceptualiser, c’est qu’il y a une cassureborgésienne du cogito. La cassure c’estque le cogito s’en va de son côté, c’estl’idéalisme, c’est la réfutation du réel, c’estla réfutation du temps.

Eh, d’ailleurs le cogito, au moins uncertain nombres d’interprètes qu’aDescartes ont voulu montrer qu’il n’y avaitd’existence à proprement parler que dansl’instant. Et en effet, dès que Descartesachoppe sur son cogito, il se pose laquestion : je pense donc je suis, maiscombien de temps ?

Les commentateurs ont voulu montrerque cette question du combien de tempselle ne pouvait se résoudre qu’en passantpar le grand Autre, le grand Autre divin.Parce que le cogito ne pouvait jamaiss’assurer de son être que dans l’instant dela pensée.

Et donc « mais combien de temps »,pour que ça se continue, il faut ladémonstration de l’existence de dieu. Etdonc en effet, du côté du cogito, il n’y apas de temps et en même temps, çal’ouvre à l’omnitemporalité, à lacoprésence de tout ce qui a eu lieu et auralieu, par la pensée je suis l’univers, je suistous les hommes. C’est un thème quienchante Borges, du côté du cogito.

Mais le sum, lui, il joue sa partie à côté.C’est que par la pensée, je nie le réel, jefais de la littérature, je réfute le temps,mais du côté du sum, je suis du temps. Etpersonne, il me semble, n’a d’une façon

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aussi pure et aussi précise que Borges,marqué l’appartenance du « je suis » autemps. Un « je suis » qui est fait de temps.Et, mais comme il s’exprime le tempssubstance de ce que je suis.

Alors, là, ce clivage, c’est encore tropsimple de dire : moi je ne suis que Borges.C’est là que ce texte se complète d’unautre, qui est célèbre, qui est une simplepage de Borges qui s’appelle : Borges etmoi où moi, je parle de ce Borges, quidonc n’est pas moi, dont je lis le nom, quifait des tas de choses, qui a une viepassionnante, tandis que moi je mepromène dans Buenos Aires et en plustout ce que je fais est mis au compte deBorges.

Donc évidemment le « je ne suis queBorges » qui termine la réfutation dutemps, ça pâlit devant cette sublimedivision, qui est exquise. C’est à la fin dela réfutation du temps, quand il dit : je suisle fleuve qui m’entraîne, le tigre qui medéchire, le feu qui me consume.

Là, il dit je suis Borges et je suis ce quidévore Borges. Ça n’est pas une divisionsimplement entre l’être et l’apparence,c’est qu’il y a un côté Borges celui qui a lenom, l’écrivain, l’être du symbolique et enmême temps le m’as-tu-vu, que moiconsidère un peu douteux. Mes qualités àmoi, chez Borges, prennent un certainaccent théâtral, dit-il.

Il y a d’un côté Borges, c’est ce qu’ilfaut comprendre me semble-t-il, Borgesimmortel. Et puis de l’autre côté il y a moi,le support, le matériel, de Borges. Il y a lemoi mortel et comme le dit le texte : je suiscondamné à disparaître définitivement, etseul quelque instant de moi pourrasurvivre dans l’autre.

Le mortel s’éprouve mangé parl’immortel, au point qu’il dit je ne peux pas,comme le recommande Spinoza, Spinozaqui dit de l’être, persévérer dans l’être. Moije suis forcé de persévérer dans Borges etnon en moi, pour autant que je soisquelqu’un.

Autrement dit il y a d’un côté Borges,enfin un moi qui est dans le temps, qui esttemps, et puis il y en a un autre qui estsignifiant et qui par là est une idéalité, uneidéalité qui opère en effet et qui faitd’ailleurs de moi son déchet. Le moi, ici,

s’éprouve comme le déchet de sa propreimmortalité.

Il faut quand même noter que lapremière phrase, ah qui n’est pasexpliquée, la toute première phrase decette page célèbre c’est : c’est à l’autre, àBorges, que les choses arrivent.

Ça veut dire que Borges placel’événement du côté du signifiant,contrairement à ce qu’un vain peuplepourrait penser, l’événement est du côtéde l’immortel, pas du côté du flux temporeloù simplement je me promène. Pour qu’ilarrive quelque chose, il faut être du côtédu signifiant.

Alors, faisons encore un petit retour auphénix-phallus. Désigner le phalluscomme le phénix, c'est mettre l’accent sur,précisément la puissance devant le temps.Le « ph »» triomphe du temps, quitriomphe de lui puisqu’il renaît, qu’il renaîtavec la puissance de l’encore.

Il ne faut pas s’exalter là dessus. Letemps marque sa présence bien sûr, auniveau du particulier, mais non pas s’ils’agit de la transmission de la vie. Etprécisément ces deux aspects, qui sont làtout le temps présents, dans ce queBorges nous fait passer, le germenimmortel et puis les corps qui dépérissentet qui périssent. La vie existe sous cesdeux formes, l’immortel de la vie et puis lepérissable sous la forme corporelle. Vousvous souvenez de ce sur quoi j’avaislourdement insisté l’an dernier, dans cettesupposée biologie lacanienne.

Ainsi le rapport de la vie au temps estdouble, elle y cède et puis aussi bien ellele traverse. Et ce qui demeure, au moinsdans l’espèce, et quand elle dure, c’est lacélébration du rite sexuel, c’est-à-dire lacélébration de ce non-savoir sur le sexe,ou du secret sexuel, d’un non-savoir quise donne des allures de savoir, c’est çaqu’on appelle un secret, en la matière, dusecret sexuel qui est aussi bien fermé àses propres sectateurs.

C’est pourquoi on cherche toujours àen apprendre davantage sur le sujet de cesecret. C’est qu’il y a une appartenanceessentielle entre le sexuel et le secret quifait qu’en effet encore s’applique à cettequête.

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Alors, le conte de cinq paragraphes esttout tramé de l’histoire, une histoire qui estparcourue en tous les sens, depuis lesplus vieilles chroniques, jusqu’aux « on-dits » recueillis dans les voyages.

Mais en fait, ce qui est cerné, c’est unfait trans-historique, c’est la répétitionmystérieuse du même acte.

Et là, je le dirai en court-circuit puisquej’arrive au terme du laps, on trouve dans lanouvelle réfutation du temps de Borges,cette proposition – que je ne développeraipas - ne suffit-il pas de la répétition d’unseul terme, dit-il, pour disloquer etconfondre toute l’histoire du monde, pourfaire apparaître que cette histoire n’existepas ?

D’ailleurs cette bibliothèque ambulantequ’était Borges, en même temps, il avait àl’égard de l’histoire le même recul queLacan dans la dernière partie de sonenseignement, à l’égard de l’histoire. Nepas toucher à la hache, à la hache del’histoire.

Et ici, le terme unique qui se répète etqui est de nature à disloquer l’histoire dumonde et à faire apparaître qu’il n’y a pasd’histoire du monde, c’est le rite sexuel.C’est la leçon de cette secte du phénix,que le coït annule l’histoire du monde etque sur lui convergent la nature et laculture qui donnent accès comme à unpoint à l’infini où les deux ordres parallèlesse rejoignent dans le secret, hors savoir,et c’est bien le cas de le dire, à ce propos,pardonnez leur, parce qu’ils ne savent pasce qu’ils font (rires).

Alors j’ai évoqué, je terminerai là-dessus, la secte du phénix à propos de lapsychanalyse, de la psychanalyse commepratique et comme pratique de la séance.J’aurais pu dire la secte de la séance.

Évidemment la psychanalyse commepratique sectaire, on peut l’aborder auniveau du groupe, analytique. C’estévident qu’il y a un pousse à la secte,dans la psychanalyse, et pour le saisir ilfaut le rapporter à ce dont elle fait sonaffaire et qui est dénommé l’inconscient.Freud pouvait vouloir en faire un réeldigne de la science et Lacan le capturerdans le mathème, il y a bien ce qui résisteet que Lacan a situé et qui fait qu’il y asecte, qu’il y a matière à sectarisme, dans

la psychanalyse. Il ne faut pas penser qued’internationaliser la secte change lanature de secte, on fait simplement unsyndicat de sectes.

Mais c'est un abord très limité de laquestion parce que ce ne sont que desconséquences du rapport au savoir qu'il ya dans le discours analytique. Lephénomène est à saisir dans sa racine,c'est-à-dire dans la séance analytique elle-même et il y a une appartenanceessentielle de la psychanalyse et de laséance. La séance est tout de même laforme majeure de sa pratique, il n’y a pasde psychanalyse sans séance depsychanalyse et une séance depsychanalyse, c’est une rencontre, qu'onpourrait qualifier sur le fond de la secte duPhénix, une rencontre entre Gens duSecret, Gens de l'Inconscient, Gens duSavoir Supposé.

Là on pourrait pas dire que des lieuxpropices pour la secte de la séance sesont des ruines, caves, ou vestibules, onconsidère que le lieu propice c’est lecabinet de l’analyste. Mais enfin Freudavait une certaine liberté avec ça, il luiarrivait de faire des promenades, avec telanalysant, exceptionnellement, il n’est pasquestion que la promenade devienne laforme majeure de la pratique analytique(rires), et c'est une rencontre dont on peutdire, sur le fond de la secte du Phénix, queles gens, de cette secte, qui serencontrent régulièrement, s’abstiennentde se livrer au rite sexuel. Ça ne fait quemettre en évidence la relation essentiellequ'il y a entre la séance et le rapportsexuel.

Ce qu'on appelle la règle d'abstinence,ce qu’on appelle gentiment la règled'abstinence, qui compléterait la règle del’association libre, qu’est-ce quelle veutdire cette règle, sinon qu'il faut que larelation sexuelle soit possible, pour qu'ellen'ait pas lieu ?

Elle est d'ailleurs, il faut avouer,évoquée par la présence même du lit, dece lit qui s'appelle le divan et qui fait qu’il ya des sujets qui ne peuvent pas s'allongerson ce lit, dans la séance analytique, parle fait que la connotation sexuelle est, poureux, insupportable à soutenir.

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Enfin, vous imaginez comment sous laplume de Borges ça se dirait çà : ils serencontrent dans une pièce où il y a un lit(rires) et il n’y en a jamais qu'un qui s'ycouche (rires). Et précisément pour qu'à laplace il s'établisse une relation au savoir.La relation au savoir mobilise la libido et ilfaut que cette libido s’emploie au savoir.

Bon, je poursuivrais la semaineprochaine, sur le temps et ses usagesdans la psychanalyse.

Fin du Cours de Jacques Alain Miller du24 novembre 1999, Cours n°2.

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LES US DU LAPS

Jacques-Alain Miller

Troisième séance du Cours

(mercredi 1er décembre 1999)

III

Je voudrais vous faire apprécier queje suis en progrès sur la dernière fois(rires). Vous constatez que le fait ded’énoncer mon symptôme de retard,publiquement et donc d'être couvert dehonte du fait que je l’étale, n'a pasréussi à me faire arriver à l’heure, jeveux dire avec seulement le quartd'heure académique du retard. Il m’afallu un petit supplément.

J'ai constaté, en effet, que ce sontprécisément dans les minutes où jedois partir que je suis visité par uneidée sensationnelle, dont d'ailleursj’aurais sans doute l'occasion de parlerdans quatre ou cinq fois, donc nedevrait pas avoir même un caractèred'urgence à être fixée et pourtant, eneffet, je balance entre le fait de meprécipiter ici et tout de même de notercette idée là et voilà le cortègepathologique qui m'amène devant vousavec les quelques minutessupplémentaires de retard. Mais enfinvous constatez à quel point jeprogresse dans la connaissance etpeut-être le savoir y faire avec cesymptôme.

On s'est inquiété, auprès de moi, dece que je faisais du temps. On a trouvéque je ne parlais pas assez du temps,n'oubliez pas le temps, m'a-t-on dit. Etde façon d'autant plus pressante qu’oncroyait s'être aperçu, les annéesprécédentes, passées, que je laissaisparfois derrière moi le mot qui meservait de tremplin et que je m’envolaisdans je ne sais quel azur, vers d’autrescieux.

Donc on a voulu me ramener à terre,au sol. Je traduis ça comme ça : on neveut pas que je m'amuse ; mais je doisaussi constater que j'ai une envieirrépressible de m’amuser, dans cecours, cette année.

Et donc, je commence par ça, parune sorte de divertissement à la suitede ce que j'ai dit la dernière fois, c’estcomme ça ! Et en même temps, jen'oublie pas le temps, je ne perd pas detemps pour parler du temps.

Et parlant du laps et du coït, je nepensait qu'à ça, au laps. Et je me dis :comme le temps insiste ! Comme letemps domine les affaires de l'amour !

Il y a d'abord le laps qu'il faut pourfaire l’amour et parfois le travail, dit-on,le souci, la vie quotidienne, réduit lelaps de l'amour à la portion congrue. Il ya le laps que les amants furtifs dérobentà la vie au grand jour.

Il y a le laps qu'il faut à l’homme etcelui qu'il faut à la femme, pour jouir. Ily a l'acte qui tourne court, l’éjaculationdite précoce, indication d’analyse, engénéral et, moins repéré, l’acte qu'il fautlong, à telle femme à l'orgasme tardif.On parle toujours de l'éjaculationprécoce parlons aussi de l’orgasmetardif.

Il y a le temps écoulé, levieillissement, qui affecte l’élan etl'accomplissement de l'acte et aussi quiaffecte parfois la flamme de la passionamoureuse. Bref (rires), bref, l'amour etle temps font un beau t’aime, « t »apostrophe.

Remarquons qu’il n’est pointquestion de l'amour dans La secte duPhénix, le conte de Borges que j'ai eula satisfaction d'entendre qu'on était alléle lire ou le relire avec des yeux neufs.Pas un mot de l'amour dans La sectedu Phénix. C'est la perspective choisiequi veut ça, la perspective selonlaquelle le coït est rite, action prescritepar une tradition et que l'on accomplitsans le savoir, sans le savoir de cequ'on accomplit exactement, tel uninstinct. C'est-à-dire, dit Lacan, c’est ladéfinition qu'il donne quelque part dansTélévision, de l'instinct, le savoirqu'implique la survie de l'animal, ici lasurvie de l'espèce. Dans cette

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perspective, l'amour est mis entreparenthèses. Les parenthèses…

Non, je n’oublie pas du tout le temps.J'ai rêvé cette semaine à l'expressionsur ces entrefaites. Curieuseexpression, le mot d'entrefaites nes’emploie, dans la langue que nousparlons aujourd'hui, que dans cesyntagme : sur ces entrefaites qui veutdire à ce moment, alors.

Mais on disait jadis, au singulier, enfrançais, l'entrefaire, pour désigner lelaps où survient quelque chose, le lapsde l'événement.

En musardant dans les dictionnaires,je me suis pris à regretter que l'on aitperdu le mot d'ancien français,entrefaire, qui veut dire exactement« faire dans l'intervalle ». Il serait biencommode d’en disposer à nouveau, dece verbe, car il y a bien des chosesqu'on fait par excellence dansl’intervalle.

D'ailleurs on passe sa vie elle-mêmedans un intervalle. On dirait parexemple : j’ai entrefait l’amour, j'aientrefait ma séance analytique. Çamettrait en valeur, précisément, l’aspectintervallaire, l’aspect entre lesparenthèses du temps, de ces laps.

Ce dont il s'agit dans le conte deBorges est la référence voilée, secrète,et ce qu'il y a de plus cru, le coït,l’opération phallique mais élevée aurang où le mettait l'initiation d’Eleusis,élevée au rang de signifiant comme ledésigne assez le terme de secret,secret de tous ceux qui parlent, lesecret des parlêtres. Mais enfin j’euenvie de ça, de ne pas laisser cela sansdire un mot, l'amour, qui n'est pas lecoït et je ne dirais qu’un mot là-dessus,venu à ma portée cette semaine.

De l'amour, c'est le titre d'un ouvragefameux auquel j'ai eu l'occasion déjà deme référer, de Stendhal, qui commencepar ces lignes fameuses : « Je chercheà me rendre compte de cette passiondont tous les développements sincèresont un caractère de beauté. Il y a quatreamours différents : premièrementl’amour passion, deuxièmementl’amour ? ? ?, troisièmement l’amourphysique, quatrièmement l'amour devanité. De vanité.

C'est déjà une grande drôleriepuisqu’il procède à une analyse,proprement idéologique, au sensde Destipe de Tracy ? ? , à une analysede l'amour, à une décomposition enparties, en types, et à une classification.

Il se trouve qu'il est passé par mesmains cette semaine le catalogue d’unevente de livres qui a eu lieu à Londresau mois d'octobre dernier. On y a venduaux enchères l’exemplaire personnel deStendhal, pour la somme d'ailleurs de43.000 livres sterling, je n'ai pas eu letemps de vérifier le cours de la livre, çadoit faire quelque chose comme500.000 francs.

On y trouve, c'est émouvant pour lesstendhaliens, la photographie de lapremière annotation de Stendhal sur celivre, écrite en février 1833 à Rome,alors que le livre est paru en 1822.Voilà ce qu’on lit sur cettephotographie : commencements, entreparenthèses (supprimer à l'impressioncomme trop prétentieux), donc il sesouvient de ça onze ans après.Chapitre un, ça n'est pas du tout lemême début, le début publié parle de labeauté des manifestations sincères del'amour, là il dit autre chose :j'entreprend de tracer avec uneprécision et si je puis dire une véritémathématique, l'histoire de la maladieappelée amour. Presque tout le mondela connaît, tout le monde en parle dumoins et la plupart du temps - làStendhal écrit encore tems t-e-m-s -d'une manière emphatique. Il mesemble qu’il y a quatre amoursdifférents, etc.

À lire ces lignes qui ne font pasréférence à la beauté ou à l’esthétiquede l’amour, mais bien à lamathématique de l'amour, j'ai penséque Stendhal aurait été enchanté del'algorithme du transfert, tracé parLacan, qui donne avec, en effet, uneprécision toute mathématique, laformule de la maladie appelée amour.

Cette formule, dite du sujet-supposé-savoir, comporte que chacun aime enfonction de ce qu’il suppose que l’autresait de ce qu’il ignore de lui-même etqu’il déchiffre au cours du temps et jeme disais, pour voir si ça tient le coup,

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si ça se vérifie, dans la suite de cecours, que l'on n’aime qu'à la mesurede ce qu’on reste un mystère pour soi-même, d’où la question ouverte del'amour des analysés.

Je trouve en plus que le De l'amourde Stendhal fait couple avec Le contedu Phénix, au coït-rite répond l'amour-maladie. L'un que l'on tait ou que l'ontaisait, l'autre dont tout le monde parlede façon emphatique et il faut bien direque l'idéal de sobriété est le même,chez Stendhal, chez Borges et chezLacan.

J'ai terminé la dernière fois sur le lit,enfin il faut dire la phrase toute entière,j’ai terminé la dernière fois sur le litqu’est le divan, l’analysant s’y couche,disais-je, il serait évidemment plusprécis de dire qu'il s'y étend, parfoisprécautionneusement, en fonction desfantasmes qui éveillent pour lui cetteposition et parfois il ne s’y étend pas dutout.

Pourquoi ai-je dit couché ? J'ai ditcouché parce que je pensais en fait,sans le dire, à un autre texte quianticipe la psychanalyse, un texte quiest de l’orée même de la psychanalyse,un texte de la fin du siècle dernier qui,du point de vue littéraire, apparaîtautrement intéressant que la fin dunotre, peut-être est-ce une illusion aucontemporain, mais j’en doute.

C'est un texte qui, pour moi aumoins, par une étonnante divinationannonce et repousse à la fois lapsychanalyse. J'ai nommé La soiréeavec monsieur Teste, de Paul Valéry.Curieuse soirée ! - je m’amuse, j'ai ditque je m'amusais ! - curieuse soirée,curieuse séance, où Valéry se branchesur une image idéale de lui-même, sonidéal du moi pourrait-on dire, où lestraits de Stéphane Mallarmé et aussi deDegas, à qui il voulait dédier la soirée –Degas refusa – se superposent avecles traits de Valéry, à son ambition,l'ambition de quelqu'un qui cessad’écrire avant de s’y remettre commeun forçat, comme un forçat de la III°République. J’ajoute, parce que çafoisonne, que Paul Valéry ne fut pas dutout indifférent à Borges, sinon PierreMénard l'auteur du Quichotte au

XXeme siècle ne serait pas poète etfrançais et qui plus est du sud.

D'ailleurs, Lacan, le jeune Lacan, leLacan de 30 ans ne parlait que deValéry, il n'avait que Valéry à la bouche.Nous avons là-dessus le témoignaged'une argentine, qui fut d'ailleurs lementor, la protectrice de Borges,madame Ocampo, qui d'ailleurs pêchaà Paris Roger Caillois, et l’importapendant la guerre sur les bords du Riode la Plata.

Madame Ocampo témoigne dansune lettre qui a été publiée que le jeuneLacan n'avait que Valéry à la bouche,Valéry Valéry Valéry ! ! jusqu'au milieude la nuit, dit-elle.

Vous voyez que tout se tisse et sinous faisons de l'histoire littéraire, cequ'il y aurait à se régaler. La mêmeannée, en plus, la même année oùparut La soirée avec monsieur Teste,Valéry s’en fut à la premièrereprésentation d’Ubu Roi et jeconsidère que monsieur Teste fait lapaire avec Ubu Roi, ce sont les deuxextrêmes, monsieur Teste et monsieurTripe, mais je vous épargne lesdéveloppements là-dessus qui nouséloigneraient de notre sujet !

Monsieur teste est aussi un canular,le canular qui présente celui qui seraitmaître de sa pensée, idée qu’énonceValéry et qu'il dénonce comme uneabsurdité sentimentale. Ce serait celui,dit-il - quelque part, je n'ai pas retrouvéla citation – qui aurait tué en lui lamarionnette, la marionnette humaine.

La soirée avec monsieur Teste, c’estaussi une réédition à la fin du XIX°siècle des Lettres persanes, c'est lemême esprit et d'ailleurs Valéry aconsacré aux Lettres persanes unepréface qui est pour moi, puisque jesuis dans les joyaux, le joyau de sonœuvre. La soirée avec monsieur Teste,c'est le comment être persan étendu àl’humanité, comment peut-on êtrehomme ? Il se promène, monsieurTeste, dépris de tout ce qui enchaîneles autres, des préjugés, des passions,des sentiments, dont il voit ou cherche,suppute le mécanisme.

C'est une de ces grandes figures decélibataires qui hantent la littérature

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française de la fin du siècle et du débutdu XX° siècle et qu’on retrouve chezGide dans Paludes et qui esquissentquelque chose de l’étrange personnageque monsieur Freud est en train demettre au point dans son cabinetviennois.

Alors ce soir-là, le soir de la Soirée,monsieur Teste est à l'Opéra et l’opéradevient la métaphore de ce qu'estl'humanité, je vous lis le passage :« Chacun était à sa place, libre d’unpetit mouvement - un peu comme iciquoi ! - je goûtais le système declassification – ça ici c'est dans ledésordre - je goûtais le système declassification, la simplicité presquethéorique de l'assemblée, l’ordre social.J’avais la sensation délicieuse que toutce qui respirait dans ce cube allaitsuivre ses lois, flambée de rires pargrand cercle, s’émouvoir par plaques,ressentir par masses les chosesintimes, uniques, des reniementssecrets s’élever à l’inavouable. J’erraissur ces étages d’hommes, de ligne enligne, par orbite avec la fantaisie dejoindre idéalement entre eux tous ceuxayant la même maladie, ou la mêmethéorie, ou le même vice. ».

Les remarques que lâche monsieurTeste, de façon énigmatique, sontextraordinairement suggestives. Quedit-il ? ils sont mangés par les autres,Que dit-il encore de ces humains bienrangés qui jouissent et obéissent ? Etencore, à la sortie, à celui quil’accompagne, le narrateur, il dit :« vous connaissez, pourtant vousconnaissez en moi, vous connaissez unhomme sachant qu'il ne sait ce qu’ildit. » C'est ça, le savoir de monsieurTeste, c'est un savoir très lacanien, ilsait que l'humanité est sous le joug etque sous ce joug est la jouissance et ilsait aussi, même si à l’énoncer çaprend figure de paradoxe, que l'hommene sait pas ce qu'il dit, voilà ce qu’il dit,ce qui caractérise M. Teste.

Cet homme là, en effet, a unepassion qui est celle de n'être pasmangé par les autres. C'est safaiblesse, ça été visiblement ce qui aamené Valéry dans sa retraite, deplusieurs années, dix ans, quinze ans,

jusqu'à ce qu'en effet il réapparaisse,au milieu de la première Guerremondiale, en tenant à la main la JeuneParque et que ce soit aussitôt untonnerre d’applaudissements etqu’ensuite en effet il y a pas d'écrivainqui ait été plus mangé par les autresque Valéry, il en témoigne lui-même,passant sa vie à écrire des discours, decommémorations, de présentations,d'élévations, jusqu'à ces conneries,soigneusement élaborées pour être aufronton d'un grand monument parisien,le Trocadéro, faut vraiment être tombébas ! faut vraiment être mangé par lesautres jusqu’à l’os pour pondre destrucs pareils ! ! destinés à être mis là !

Donc, l'histoire d'être mangé par lesautres, et lui-même a témoigné de ladouleur d’être mangé par les autres, ilne s’en sauvait qu’en se levant à quatreheures du matin et en griffonnant pourlui-même ses cahiers et en fumantcigarette sur cigarette.

Sa passion était en effet celle d'êtretout à soi, et qu’est-ce qui le montremieux que cette scène étrange, restéepresque indéchiffrable, la scène quiachève ce tout petit conte, la scène oùil s’endort, sortit de l'Opéra avec lenarrateur il lui dit : restez encore,« restez encore, dit-il, vous ne vousennuyez pas, je vais me mettre au lit,dans peu d’instant je dormirai. »

La fin du texte décritl’évanouissement de la confiance siexigeante et si éveillée de monsieurTeste et montre comme il parvient àêtre soi jusqu'au bout et on rappellequ’il savait que son lieu propre, c’étaitd’être en soi, aussi bien au café quedans son lit, enfin il se saisit avant toutcomme être dans sa pensée, d’où sonnom de monsieur Teste, de monsieurTeste, pas monsieur Jambe.

Être soi jusqu'au bout, être en soi etse voir voyant, ce qui nous donneravers 1917, en effet, la Jeune Parque,qui est aussi sortie de cette tête deValéry.

On y trouve aussi à la fin cettephrase, qui aurait plut à Stendhal, quidit presque la même chose, Valéry ditcette phrase de monsieur Teste : « celuiqui me parle, s'il ne me prouve pas

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c’est un ennemi ». Valéry était, commeStendhal, comme Lacan, de la sectedes amis de la logique, on pourraitl’appeler la secte de la conséquence,car ce qui les réunit tous les trois,mettons là Borges un peu à part, bienqu'il se soit posé la question, ce qui lesréunit là tous les trois, Stendhal, Valéry,et Lacan, c'est la référence auxmathématiques et il faut bien dire leculte des mathématiques, pour sortir cequ’a d’emphatique, d’empesé, deconfus et pour tout dire de nulle, laparole, moyennant quoi, pour penser çajusqu'au bout il faut être un rhétoricien.

La séance avec monsieur Teste, telleque je l'appelle, s’arrête au seuil de laTraumdeutung. Elle s'arrête là oùcommence ce que nous ne connaîtronspas, les pensées du rêve de monsieurTeste et il faut reconnaître que Valérysur le rêve et sur Freud, dans sescahiers, a dit des bêtises, enfin il a ditdes vérités mais qui sont des bêtises.

Voilà mon divertissement, pour mefaire plaisir à moi, pour commencer.

Mais nous voilà sur le seuil del'œuvre de Freud, entrons-y, entrons denouveau, comme il nous y invite dansson Introduction à la psychanalyse. Ony entre de nouveau par cette remarqueque j'ai faite, de cet écart du lieu oùFreud introduit dans ces conférencesl’inconscient et du lieu où il introduit letransfert. Chapitre dix huit, pourl'inconscient, amené à partir de lafixation et du trauma, chapitre vingtsept, avant-dernier pour le transfert et ily a beaucoup à saisir, à réfléchir sur cetécart, sur cette séparation del'inconscient et du transfert.

Freud, quand il présente au publicsupposé peu averti, supposé idiot, à ladifférence de Lacan, Freud, enfin telque Lacan l’exprime dans Télévision,Freud avait l’idée qu'il fallait parler auxidiots. Quand il a à présenter, à lesamener à la pratique, à concevoir cequ’est la pratique de la psychanalyse, àla justifier, il leur présente l'inconscientsaisi hors de la séance analytique, horsde ce que peut introduire la séanceanalytique de relatif par rapport à ce àquoi lui est attaché, à savoir dedémontrer le réel de l'inconscient.

Et donc son recours et par là même,c’est sans doute cet aspect del'inconscient, qu’il a cru plus accessible,qui, pour lui, accréditait le concept et leréel de l'inconscient, il le saisit et il leprésente, l'inconscient, je l’ai ditrapidement, en ouverture, de ce cours,comme le principe de l’actioncompulsive, de la Zwangeingung (àvérifier), et puisque j'étais à vous citerdes écrivains, des conteurs, c'est unessai mais enfin c’est un recueild'anecdotes, Freud ne s'inscrit pas maldans cette lignée, il y a dans lesConférences d’Introduction à lapsychanalyse, un, deux, trois petitscontes, des contes qui sont… Il y en aun, on ne peut pas l'appeler autrementque ça, une histoire d'amour, unehistoire d'amour pathologique, maisenfin, histoire d'amour, que Stendhalaurait peut-être classé comme amour-passion.

C'est l'histoire fameuse de la damequi à répétition convoque la femme dechambre, pour l’amener près d'unetable, mais enfin il faut le lire comme ilfaut, et qui répète ça plusieurs fois parjour : elle courait de sa chambre dansune autre attenante, et là elle seplantait à un endroit déterminé, près dela table qui se trouve au milieu, sonnaitsa femme de chambre, lui donnait unordre indifférent, ou la congédiait aussibien sans lui en donner et ensuite ellerevenait au point de départ, plusieursfois par jour. Et arrive le monsieurTeste, si je puis dire, qui l’atteste :chaque fois que j'avais demandé à lamalade : pourquoi faites-vous cela, quelsens cela a-t-il, elle avait répondu : jene le sais pas.

Voilà, la scission claire, de l'actionqui a lieu, répétitive, et par ailleurs lenon-savoir, la non-connaissance.« Mais un jour après j’eus réussi à venirà bout chez elle d’une grande réticencede principe, elle devint tout à coupsavante et raconta ce qui allait avecl'action compulsionnelle. Il y avait plusde dix ans, elle a épousé un hommebien plus âgé qui, lors de la nuit denoces s’était avéré impuissant – c’est lascène du phénix, enfin, une variante -un nombre incalculable il avait cette nuit

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là courut de sa chambre dans la sienne– il faut se représenter ça – pourrenouveler sa tentative, et chaque foissans succès. Le matin il dit avecirritation – on le comprend, lemalheureux – comment ne pas avoirhonte devant la femme de chambre,quand elle fera le lit. Il saisit un flacond’encre rouge qui se trouvait par hasarddans la chambre (rires) et versa soncontenu sur le drap, mais pasprécisément à un endroit qui se seraitprêter à une telle tache (rires).

Je ne compris d'abord pas ce que cesouvenir pouvait avoir affaire avecl'action compulsionnelle - il se faitquand même un peu tirer l’oreille - enquestion ne trouvant en effet uneconcordance que dans le fait de courirà plusieurs reprises d’une chambredans une autre et encore par exempledans l’apparition de la femme dechambre. Alors la patiente me conduisità la table dans la deuxième chambre –Freud est chez elle, ça n’est pasl’analyse qu’on fait dans son cabinet, onse déplace chez le malade pour voircomment se dispose l’appartement,pratique qui est tombée en désuétude(rires) - alors la patiente me conduisit àla table dans la deuxième chambre etme fit découvrir sur son napperon unegrande tache. Elle expliqua aussiqu'elle se plantait près de la table detelle sorte que la fille qu’elle avaitappelé ne put manquer de voir la tache.Désormais, il était plus possible dedouter du rapport intime entre la scènequi avait succédée à la nuit de noces etson action compulsionnelle actuelle.

Alors de tout ce que Freud en tire,premièrement qu’elle s’identifie au mari,identification, deuxièmementsubstitution, elle remplace le lit et ledrap par la table et le napperon,troisièmement n’oublions pas le noyaude l'action, la femme de chambre, sousles yeux de laquelle elle étale la tache,la femme de chambre dont l’humbleprofession ne doit pas cacher qu'ellereprésente, dans cette scène, unesanction essentielle, elle est le surmoide l'affaire. Et nous constatons qu'ellen'a pas simplement répété la scènemais qu'elle la poursuivit et que, ce

faisan,t elle corrige aussi l’autre chosequi avait été si gênante cette nuit-là,l’impuissance du mari.

Et, ça, dit Freud, ça s’articule commeun rêve. Eh puis ça s’étend, oncomprend, à partir de là, toute la vie dela patiente, on comprend ce que Freudlui-même appelle le secret de sa vie.Cette femme vit depuis des annéesséparée de son mari et elle lutte avecl'intention de faire casser son mariagepar la voie judiciaire, un procès. Maispas question qu'elle en soit quitte, elleest contrainte de lui rester fidèle, elle seretire du monde de toutes les manièrespour ne pas entrer en tentation, elleexcuse et grandit sa manière d’êtredans son imagination. Le secret le plusprofond de sa maladie, de sa maladied'amour, le secret le plus profond, ditFreud, est que, par sa maladie, elle metson mari à l'abri des ragots, justifie saséparation de lui dans l'espace et luipermet de mener une vie à part,confortable.

Voilà le sacrifice de la patiente, quiest malade pour sauver aux yeux detoutes les femmes de chambre dumonde, la réputation de virilité de sonépoux.

Enfin, c'est un conte, je ne dis pasque c’est un conte à dormir debout,encore que Freud lui-même indique laparenté de cette action avec le rêve,c'est un conte, et c'est une pièceessentielle pour Freud à apporter pourassurer, asseoir le réel de l'inconscient.L'inconscient c'est ce qui fait faire desactions comme ça.

Nous ne sommes pas là pour laséance analytique, nous sommes là surla scène où on se déplace de chambreen chambre et où on va regarder l’étatde propreté des napperons. Voilà oùFreud assure sa conviction, c'est dansl’action sans pourquoi.

L'analyse, en amenant l'inconscient,en faisant surgir ces autres événementset les connexions qui vont avec rétablitla liaison avec le trauma Initial de la nuitde noces piteusement ratée.

Et l'analyste fait admettre, dans ceque Freud nous en explique, l’intentionqui préside à l'action, fait admettre aupatient l’intention inconsciente qui

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préside à l'action, le motif qui constituela force motrice de l'action Freudemploie le mot de Kraft, la force et pourlui, l'inconscient tel qu’il l’attrape, dansl'action compulsive, c'est une force, uneforce motrice, une force énergétique.

Eh ainsi, pour lui, l’inconscient est cequi est capable de produire des effets,c'est ainsi d'ailleurs qu'il le qualifie de laTraumdeutung Wirkunst Stellin? ? ? endehors de la connaissance du sujet.

C’est là que, pour lui, s’impose lestatut de l'inconscient comme réel ausens de la science, à quoi lui estattaché, à le fonder ainsi comme réel,comme quelque chose, Etwas real,quelque chose de réel au sens de lascience.

Et c'est un inconscient, qui est là, uninconscient qui est déjà là, qui estinscrit, qui agit, qui est cause, sansdoute cause sémantique mais aussibien cause effective, disons matérielle,qui se fait connaître par des effets etces effets sont disruptifs du train-trainde l'existence, sont intrusifs, viennentd'ailleurs. Ce qu'il appelle, enempruntant l’expression de Fechner,l'autre scène. Et en effet, de la scène àla séance, il y a quelque chose àarticuler.

Le fait que Freud, ainsi, ait pourréférence, s'agissant de l'inconscient, leréel au sens de la science, ça nel’empêche pas du tout de faire lalittérature, ça ne l'empêche pas, dans lamême veine, d'exprimer une véritablepoésie de la clinique, quand il évoqueces symptômes de la névroseobsessionnelle, ces idées, cesimpulsions qui viennent d’on ne sais où,et dont il dit, phrase très borgésiennesde Freud : « ces idées, ces impulsionsobsessionnelles, qui donnent auxmalades eux-mêmes l’impression d’êtredes autres surpuissants, venus d’unmonde étranger, des immortels qui sesont mêlés, au tohu-bohu desmortels. »

Hein ! bon, il faut y mettre le tonquand on lit les conférences de Freud !

L'inconscient, Freud en fait, on lesait, une mémoire, le terme est bienchoisi puisque nous nous avons lesprogrammes qui se déroulent sans que

le sujet le connaisse et c'estexactement ce que Lacan appelle unsavoir, qui n'est pas une connaissance,mais bien une articulation signifiante. Etc’est ce que montrerait aussi bienl'autre exemple capital qu’amèneFreud, à son public, celui, fameuxaussi, du cérémonial du petit coussin etde l'oreiller, cérémonial, rite, là encore,un rite qui est une organisationsignifiante de l'espace et le sujet exigeque, exige pourquoi ? pour s'endormir,c'est une scène d'endormissement,qu’on gagnerait à comparer à la scèned'endormissement de monsieur Teste,où, pour que le sujet puisses'abandonner au rêve, il faut quel'environnement soit totalementcontrôlé, fixer chaque chose à sa place,fonction capitale qu'un Lévi-Straus,nous y viendrons tout à l'heure, a bienmis en valeur, après Lacan.

Simplement cet inconscient deFreud, cet inconscient qui est quelquechose de réel, à partir des effets, quieux sont perceptibles, qui font du dégât,qui introduisent des bizarreries, quiconduisent cette femme au pathétismele plus complet, ce quelque chose deréel que nous ne connaissons que parses effets, l'inconscient, par là même,est supposé. C'est un réel mais inféré àpartir de ses effets.

Cette inférence est un déchiffrementet ça veut dire - c’est là la question qu'ilamène - qu’est-que ça veut dire ?L'opération analytique, en cela, c'est dedonner du sens à ce qui se présentecomme dépourvu de sens.

Pour Freud, ceci est un ordre dechose, une dimension, la dimensionsémantique et puis il y en a une autre,et il faut huit, neuf chapitres pourl’élaborer, une autre qui est un autreordre, celui de la satisfaction libidinale.

Ce qui se maintient, entre ces deuxpoints, là, et ce qui se maintient entreson abord de l’inconscient et son aborddu transfert, c'est sa doctrine dusymptôme, à savoir, dans un ordre dechose, dans la dimension sémantiquecomme dans la dimension libidinale, lesymptôme est un Ersatz, c'est-à-dire unsubstitut.

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Simplement d'un côté, il y a lasubstitution dans l'ordre du sens, del'autre côté il y a la substitution dansl'ordre de la satisfaction. C'est là queFreud parle de ersatz Befriedigung (àvérifier), une satisfaction substitution.

Il y a deux opérations quicorrespondent à ces deux substitutions,premièrement le refoulement, quand ils'agit du sens, quand il s’agit del'inconscient, la régression quand ils’agit de la libido.

En même temps, ces deuxdimensions se nouent et c’est à cepropos là que Freud amène le terme detransfert. La libido, dit-il, transfère,Uberträgt, c'est le mot Ubertragung (àvérifier) est là. La libido transfère sonénergie sur les représentations sousforme d'investissement. Comme on nesait plus ce que c’est représentation,pensez signifiant. La libido transfèreson énergie sur des représentationssous formes d’investissement, cesreprésentations font partie du systèmede l'inconscient et sont soumises à lacondensation et au déplacement.

Et par là même la libido, qui atransféré son énergie à cesreprésentations soumises à lacondensation et au déplacement, elle-même aussi est soumise à lacondensation et au déplacement par cebiais.

C'est-à-dire qu’il y a bien sur unparallélisme, chez Freud, de ces deuxdimensions, mais le modèle langagier,la structure de langage, évidemmentprévaut, c’est sensible dans la phraseque je viens de vous lire. Elle prévautd'autant plus qu’il faut remarquer que ladimension libidinale est toujours parFreud associée au terme deBedeutung, au terme de signification.

Ainsi il peut parler de signification desatisfaction. Et c'est bien ce quiconduira Lacan à conceptualiser, à unmoment de son chemin, le désir commeun signifié de la chaîne signifianteinconsciente. C'est dans la mesuremême où Freud fait de la libido unesignification, il fait de la befridigung unesignification de satisfaction, il fait de lasatisfaction libidinale une significationde satisfaction, c'est sur cette voie là,

que Lacan conceptualise la libidocomme désir et qu'il fait du désir unsignifié de la chaîne signifiante.

Alors le réel de l'inconscient, quandon suit Freud, en quoi consiste-t-il ? Ilconsiste dans ces représentations,investies par une libido transférée.Mais, pour donner la réponse en court-circuit, l’annoncer, pour Freud le réel del'inconscient consiste dans le fantasme,qui est par excellence le signifiantinvesti, le signifiant refoulé considérécomme investi.

À quoi en effet, comme nous laprésente Freud, à quoi conduitl’analyse, l'analyse du symptôme ? Telleque Freud, à cette date, en recomposele chemin, l’analyse part dessymptômes et elle conduit à laconnaissance des expériences vécues,où la libido est fixée et dont lessymptômes sont faits. Le chemin del'analyse, c’est du symptôme aufantasme, pour reprendre un titre souslequel j'avais commencé ce cours jadis.

Du symptôme au fantasme, et on ena un exemple déjà, à partir de l'actioncompulsive où Freud nous ramène autrauma de la nuit de noces, où est fixéela libido de la patiente, voilà l’exempled'une expérience vécue, qui a cettefonction de fixer la libido. Il dit Erlebnis(à vérifier) l’expérience vécue, Freud vachercher l'expérience vécue au-delà dela nuit de noces du sujet, il va lachercher jusqu’à l'expérience vécueinfantile.

Évidemment, dans le cas de lapatiente, il n’y aura pas d’expériencevécue infantile, du bébé qui aurait étéconçu à l’aide de ce va-et-vientincessant pendant la nuit d’une pièce àl’autre, puisque justement le monsieurest impuissant. Il n’y aura pas là un fruitde cette union, qui pourrait dire,tel Tristram Shandy, décrire le coïtinitial, c’est par là quecommence Tristram Shandy, ladescription du coït auquel il doit sapropre existence.

Des expériences infantiles : c'est,pour Freud, là que se rassemble le réelde l'inconscient, des expériencesinfantiles vécues, investies, dont lareprésentation est refoulée.

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Là, nous ne sommes pas encore aufantasme. Nous sommes au fantasmequand Freud note, remarque, ce qui aété contesté, encore récemment, queces expériences vécues ne sont pasvraies, qu'il se retrouve en effet à dire àla fois qu'il s’agit là du réel del'inconscient et que ce réel del'inconscient comporte quelque chosequi n'est pas vrai, ce que Lacanreprend en parlant d’un réel qui ne peutque mentir.

Alors c'est le fantasme, c’est ça oùs’ancre le concept du fantasme dontFreud note, en effet, que le bon sensvaudrait qu'on l’oppose à réalité, qui estd’un côté ce qui est inventé, ce qui estde l’ordre de la fiction, de l'Erfindung, etde l'autre côté ce qui est de l'ordre de laWirklichkeit, de la réalité effective, de laréalité matérielle.

Et donc on pourrait penser de là, quel'inconscient n'est rien de réel, quel'inconscient est de fiction. Et c'est làque Freud amène ce qui est essentielpour asseoir son concept del'inconscient, à savoir qu'il y a uneréalité d'un ordre particulier, la réalitépsychique et que les fantasmes sontquelque chose de réel, non pas dans laréalité de tout le monde, dans la réalitéqui est une, comme disait Héraclite :« les hommes quand ils rêvent ontchacun leur réalité et quand ils sontéveillés ils partagent la même. », ce quiest à voir, mais les fantasmes sontquelque chose de réel, dans lepsychisme. C'est-à-dire que Freud,s’agissant de l’inconscient, accouched’un nouveau réel, le réelfantasmatique.

Les grands fantasmes sont épuréspar Freud, l'observation du coïtparental, auquel Borges a fait commeune allusion, enfin il ne dit pas qu'il l’aobservé, on le lui a communiquécomment ça se passait. Il en a conçu,visiblement un dégoût qui lui a duré.

La séduction, par un adulte, est lamenace de castration. Je ne commentepas le détail, je dis qu'il s'agit là dedégager à ce propos, chez Freud, unedoctrine de l'événement car cesfantasmes, tels qu'il les énumère :l'observation du coït, la séduction, la

menace de castration, ce sont, pour lui,ce sont autant d'événements, dechoses qui se passent, d'événementssimplement qui sont étrangementtypiques et dans les névrosesétrangement nécessaires.

C'est là déjà, à ce niveau là, qu'uneconnexion s'établit et qu'une réflexion às'inscrire sur le fantasme etl'événement. Quand il s’exprime il y ades événements qui reviennent toujoursdans l'histoire de la genèse desnévrosés. Ce qui est étrange et ce dontil y a lieu de rendre compte, c'est cemariage, cette union de la contingenceet de la nécessité.

Évidemment, ça ne se ressemblepas d'une famille à l’autre, d’unehistoire à l'autre, mais il y en a toujoursun pour, il y a là une curieuse alliancede la contingence et de la nécessité. Çaressemble à la foule que décrit Valery àl’Opéra où, par grandes masses,chacun en même temps que tous lesautres éprouve les mêmes chosesintimes et uniques.

Sentiment de Freud : on al’impression que ces événements sontnécessairement requis et font partie dufond permanent de la névrose, quedans la contingence de l'événementmême, on peut lire la nécessité de lastructure, c'est ça que ça veutdire, Wirklichkeit, chez Freud.

Et précisément parce que lacontingence même de l'événement estprescrite, dans sa nécessité, par lastructure, eh bien ils se produisenttoujours ces événements contingents.Ou bien ils se produisent dans la réalitéet quand ils ne se produisent pas dansla réalité, dit Freud, on les fabrique àpartir d’amorces qu’offre la réalité et onles complète par le fantasme.

Le concept que Freud a de cettenécessité, c’est de les attribuer à cequ'il appelle le patrimoinephylogénétique de l'humanité. EtLacan, lui, il dit plus simplement qu'ilssont de structure, qu'ils appartiennentau plus près à la structure du langageet qu'ils sont comme une mise enscène mythique de ce qu’impose lastructure du langage, à savoirl’effacement de la libido et le caractère

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inexistant du rapport sexuel qui est misen scène sous les espèces de lacuriosité du coït parental et de laséduction de l’adulte. Autrement ditLacan nous amène au bord de formulerqu’il y a des événements de structure.

J’ai reçu cette semaine, alors que jesuis en train de vous sortir ce que, lasemaine dernière, je n’ai pas eu letemps, étant donné les vagabondagesoù je vous ai amenés, j’ai reçu cettesemaine, par Internet - il ne m’arrivepas seulement les annonceshabituelles, les dates, plus lescorrespondances, qui valent ce qu’ellesvalent - il m'est arrivé par Internet unpetit texte d’une page d’un de noscollègues, de Barcelone, VicentePalomera, pour le nommer, vieil ami,qui a fait une petite note pour unbulletin électronique, qui m’a fait l’amitiéde me l'envoyer en primeur et qui adéchiffré de façon sensationnelle le titrede la Rencontre internationale, de laséance analytique, enfin plusexactement son sous-titre : Leslogiques de la cure et l'événementimprévu. On a mis « événementimprévu » surtout parce qu'en espagnolil semble que accocimiento (à vérifier)n’a pas la même valeur que« événement » en français et qu’ilfallait, en espagnol, le préciser parimprévu et du coup on a rapatriéimprevisto en français.

Alors il déchiffre ce sous-titre, oùplus exactement il sait y reconnaîtrel'ingrédient que j’y avais mis, à savoirl'opposition de la structure et del'événement.

Et, il a l'idée, parfaitementjudicieuse, d’aller voir dans La penséesauvage de Lévi-Strauss, auchapitre un, qui s'appelle « La sciencedu concret » et j'imagine qu'il y a peut-être été conduit par un certain nombrede considérations qui figurent dans unvolume collectif intitulé La conversationd'Arcachon.

En effet, l'opposition et l’articulationde la structure et de l’événement estabsolument nodale dans la perspectiveproprement structuraliste. Lévi-Strausparle, en effet, du rite, du cérémonial,qui est l'exemple même que, pour lui,

l’exigence d’ordre est à la base de toutepensée.

C'est ce qui enchante d’ailleursValery à l’opéra : tout le monde bien àsa place, comme il dit l'ordre social. Ilne dit pas ça parce qu’il estconservateur, il dit ça parce qu’il estréaliste et qu’il constate comment toutle monde se tient bien, sauf dans lesmoments où il y a de la révolte, il y amême de la révolution qui consiste à ceque les uns viennent à la place desautres, mais les places, elles, lesplaces restent bien en places.

Et c'est comme ça que les coupeursde tête, c'est comme ça que les sans-culottes, comme ils s’appelaientfièrement, deviennent, dix ans après,des comtes, des barons et des marquis,on a vu ça en France, c’est l’Histoirefrançaise, ça.

Donc, l'ordre, les places, chaquechose sacrée doit être à sa place, çan’est pas Lévi-Straus qui dit ça, c'est cequ'il appelle lui-même un penseurindigène, de la tribut des Pauwnies (àvérifier), de l’Amérique du Nord. Cepenseur indigène dit la même choseque Lacan - autre penseur indigène, dechez nous. Et notons en passant laplace, prévalente en effet, de l'espace,dans la perspective structuraliste, parceque toutes ces affaires de placetraduisent la prévalence du shèmespatial. Pour qu'il y ait des substitutionsà la même place, des permutations etdes déplacements, si véloces qu'on lesimagine, eh bien, il faut qu’il y ait unrepérage spatial.

Lévi-Straus souligne l’éminentefonction du rituel, d'assigner à chaqueêtre, à chaque objet, à chaque aspectmême, une place au sein d'une classe.

Et ça lui suffit d'ailleurs à fonder laparenté entre les rites, les croyancesmagiques et la science. Il va mêmejusqu'à voir dans les rites et la magiel'expression, dit-il, d'un acte de foi enune science encore à naître. Il y voitquelque chose comme le même sujet-supposé-savoir, la même suppositionde savoir, et dans l’art aussi bien.

C'est dans cette foulée - là je glosepour amener à structure l’événement -c'est dans cette foulée que Lévi-Straus

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compare le mythe et le bricolagecomme on sait, qui repose sur quoi ?Sur d'un côté l’accumulation d'uncertain nombre de matériaux,hétéroclites, un ensemble fini dematériaux hétéroclites réunis selon lesévénements, selon la contingence etselon le régime du « à tout hasard çapeut servir ». C'est ça qu’ils font, lesbricoleurs. Ça n'est pas d'avoir uneidée préconçue de ce dont ils ontbesoin, c'est d’accumuler en fonctionde ce que ça pourra servir un jour.

Et d'ailleurs c'est comme ça que jeprépare mes cours. J'accumule uncertain nombre de choses dont je saisque ça peut me servir à m’y retrouverdans les us du laps. Et puis il y a unmoment qui, évidemment, comporteune certaine hâte, où je pioche dansmon trésor pour que ça prenne uneforme de conférence. Puis, avec letemps, j’ai appris qu’il ne fallait pas trops'occuper de savoir si toutimmédiatement est absolument ajusté,que ça finira bien par servir aussi unpeu plus tard et que l'on pourra lereprendre avec un petit temps.

C'est ça qui est essentiel, du pointde vue de Lévi-Straus, c’est qu’il y aitd'un côté le trésor, la réserve,synchronique, qui n'est pas du toutorganisée par le projet qui viendra peut-être, le projet particulier que ça serve àquelque chose et puis qu'à un moment,en effet, le projet vienne, s’empare dumatériau et puis le monte.

C'est comme ça, il a fait ça de façontrès élémentaire Duchamp. Il a dû avoirchez lui un jour un urinoir et puis après,il ne l’a pas tellement bricolé, il l'a missur un piédestal, ça a fait une œuvred’art, dès lors qu'il était un artiste, toutela question est là : être reconnu commeun artiste. Pour l'interprétation, c'est lamême chose, vous dites une connerie,c’est une interprétation si vous êtes unanalyste (rires), ça peut être unemauvaise interprétation, bien sûr.

Vraiment, Palomera, là je glose surce qu'il a amené, mais enfin c'est labonne référence, en effet. Lévi-Strausdit : « chaque élément représente unensemble de relations à la fois

concrètes et virtuelles, ce sont desopérateurs mais utilisables en vued'opérations quelconques au sein d'untype. C'est de la même façon que leséléments de la réflexion mythique,etc… »

Ça nous donne le concept assezprécis d'une liberté, la liberté du projet,mais d’une liberté précontrainte par laréserve sur laquelle elle s’appuie etdont elle mobilise les événements. Lévi-Straus dit très précisément que lerésultat, le résultat du coït entre letrésor et le projet, sera toujours uncompromis et la réalisation du projet,comme il s'exprime, la réalisation, c'estun terme, chez Lacan, fort important, laréalisation du projet sera toujoursdécalée par rapport à l'intention initiale.Il note en passant que c’est là un effetproprement surréaliste, celui que lessurréalistes ont baptisé du nom de« hasard objectif ».

Voilà une piste que je ne manqueraispas de suivre jusqu'à l'amour-fou,version de l'amour qui ne figure pas autableau des quatre formes décrites parStendhal.

C'est ainsi que, de la même façon,explique Lévi-Straus, s’accomplitl'intégration de l'événement à lastructure, la sorte de métamorphosemerveilleuse que l’art accompli à safaçon, de la contingence à la nécessité.

Là, nous trouvons le passage qui estcité très justement par Palomera : lepropre de la pensée mythique commedu bricolage, sur le plan pratique, estd'élaborer des ensembles structurés,en utilisant des résidus et des débrisd'événements. Modes and ends ? ? ?dirait l’anglais, c'est ça le passage quecite Palomera, parce qu’il adorel’anglais, il truffe son espagnol de motsanglais, il est allé tout droit là, où enfrançais des bribes et des morceauxd'événements, témoins fossiles del'histoire d'un individu ou d'une société,page 32.

Et, lisant ce passage, Palomeras’étonne - si je l’ai bien lu - que Lévi-Straus ne cite pas Freud, parce quec'est là, en effet, un point de vuefreudien sur le rapport de l'événementet de la structure. Palomera là, de façon

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sensationnelle, retrouve ce qu'il appellela première intuition du fantasme chezFreud, dans une lettre à Fliess du 2 mai1897, un an après la Soirée deMonsieur Teste, et après lareprésentation d’Ubu roi, enfin ? ? ?pas tout, où Freud dit exactement, àpropos de la construction du fantasme :les fantaisies, les fantasmes,proviennent de quelques chosed'entendu qui a été compris à côté, àsavoir des fragments de souvenirs etc..

Palomera dit : c’est bien ce dont ils'agit dans les restes fossiles d'undiscours ancien et que la logiquefreudienne du rapport de l’événement àla structure, c’est celle qu’a habillée ànouveau frais Lévi-Strauss, avecl'exemple topique du bricolage.

Freud pense le transfert, qui est unévénement de structure, à partir dusymptôme et à partir de son incidencesur les symptômes. C'est-à-dire qu'illeur soustrait leur significationoriginaire, leur Bedeutung originaire et ilse réorganise autour d'un nouveausens, eine Neue Sinn qui consiste enleur relation au transfert.

Pour Freud, c’est deux choses biendistinctes, l'inconscient comme systèmede représentations refoulées, investies,certes, et qui produit des effets et ceseffets sont tout à fait sensibles dans laréalité par la disruption qu'ilsintroduisent, qui fait qu'on peut amenerla petite dame, la folle amoureuse -voilà l'amour-fou - la folle amoureusede son mari, qui se fabrique unemaladie sensationnelle pour qu’il n'aitpas honte devant les femmes dechambre et puis, d'un autre côté, il y ale transfert, qui témoigne d'uneincidence libidinale produisant laréorganisation sémantique dessymptômes.

Qu'est-ce que fait Lacan quand ilamène le sujet-supposé-savoir ? Lesujet-supposé-savoir, c'est une façonde dire l'inconscient et Lacan l'utiliseplus d'une fois comme équivalent, maisça dit que ce qui est premier, c'est lephénomène sémantique, ce qui estpremier, c'est l'événement sémantique,que ce qui compte d'abord, c'est queles symptômes prennent du sens sous

transfert et que, dès lors qu’on vientconter son symptôme à quelqu’un dansla position de l'analyse, il y a uneprésupposition de sens, le symptômeparlé comporte une présupposition desens que le médecin, quand il n'est pasanalyste, doit écraser, piétiner, et lesujet-supposé-savoir comporte quel’effet de sens transférentiel, primaire,est ce qui – selon les termes de Lacan -tient la place du référent encore latent.

Ici, c’est le Sinn, qui tient la place dela Bedeutung à venir et qui va serévéler, tient la place de la satisfaction,du principe de la satisfaction, il tient laplace de la signification de satisfaction,encore latente, qui finira par se révéleret que Lacan à épinglée de l’objet petita.

Et c'est pourquoi, pour Lacan, lechemin va, comme le dit le titre d'un deses Séminaires, qui, jadis, était malimprimé sur la couverture desSéminaires, D'un Autre à l'autre, lepremier, c'est majuscule et ça, çaindique la voie du sujet-supposé-savoir,c'est-à-dire la primarité du transfertcomme événement sémantique surl'apparition de la référence libidinale dupetit a, qui vient ensuite.

u n A u t r e à l ' a u t r e

C’est dire que le transfert se faitd'abord à l'Autre qui n'existe pas, il sefait d'abord à un Autre en général, il sefait d'abord à un quelconque, et c'est ceun Autre qui se retrouve dans lemathème, l'algorithme du transfert sousle nom de signifiant quelconque, c'estun Autre, n'importe qui, qui incarne lafonction sémantique de l'Autre qui dit« qu'est-ce que ça veut dire ? » Ça,c'est le niveau borgésien du transfert,au sens où Borges ne cesse de répéteret de varier la proposition selon laquelletoute l’humanité est en un homme, quetoute la bibliothèque universelle estdans un livre et que le passé et le futurde l'humanité sont là au présent, si onsait les considérer dans la bonneposition, en se promenant en voituredécouverte du côté de la Recoletta, lemonde et son mystère sont là déjà

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auprès de nous, et toute l'histoire etl'absolu.

Ne soyons pas emphatique, il reste,ça c’est le niveau de un Autre, c'est leniveau où il y a n'importe qui avant queça ne se particularise et c'est aussil'écart qu'il y a entre la Secte du Phénix,où l'amour est absent, où il n’y a quedes « n'importe qui », où il y a l'actedans sa crudité et aussi dans sonraffinement de secrets et puis cequ’examine Stendhal, à savoir pourquoicelui-là, pourquoi celle-là, pourquoijusqu'à l'autre avec l'article ausingulier ?

Alors ça comporte, ce trajetlacanien : d'un Autre à l'autre, le trajetdu Sinn à la Bedeutung, le trajet dusens à l'objet, comme le trajet dusymptôme au fantasme, chez Freud.Évidemment, c'est une trajectoireorientée et qui comporte et qui inscrit etqui nécessite le facteur temps.

Mais enfin, c'est la même chose, ceque Lacan présente commel'algorithme du transfert, avec le tempsqui est inscrit dans le fait que le référentencore latent finira par se révéler, il y ala présentation synchronique de cetalgorithme, qui correspond dans lesquatre discours de Lacan, c’est petit asur le savoir-supposé en place devérité.

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Là, nous avons le facteur libidinal,l'élément libidinal, là nous avons lasupposition de savoir et Lacan, danscette articulation, nous donne laprésentation synchronique de ces deuxdimensions adjointées, la référence del'objet et la supposition sémantique, iciprésentée dans la synchronie d'un seultemps.

Le sujet-supposé-savoir, c’estl'inconscient sans doute, mais c'estl'inconscient qui n'est pas abordécomme le fait Freud dans sonIntroduction à la psychanalyse, c'estl'inconscient qui n'est pas abordé

comme savoir préalable, inscrit déjà làproducteur d’effets.

Le sujet-supposé-savoir, c’estl'inconscient en tant qu'on lui donne sonstatut dans l'expérience analytique, ausens propre, c'est-à-dire dans laséance, en tant qu'on lui donne sonstatut proprement phénoménologique,et c'est par là que Lacan a commencé,qu'il est entré dans l'expérienceanalytique, dans la théorie. Il acommencé par une tentative dedescription phénoménologique del'expérience psychanalytique, qu’il m'estarrivé de commenter, j’ai toutcommenté presque de Lacan, sauf lebout.

Ça se trouve dans « Au-delà duprincipe de réalité », Écrits page 81,un texte du jeune Lacan, du Lacan quiétait encore passionné de Valéry et decette fiction partout qui est la thèse deValéry.

Eh bien le sujet-supposé-savoir estde ce registre là, il s'agit du statut del'inconscient dans la séance analytique.

Alors, ça c'est un inconscient, çan'est pas l'inconscient de la dame à latache, de l'amoureuse à la tache, c’estl'inconscient définit comme sujet et nonpas comme savoir déjà là.

L'inconscient définit comme sujet seprésente, puisqu’il est bien question làde présentation, d’une façon fortdifférente de l'inconscient commesavoir, l’inconscient comme savoir seprésente comme obéissant à des lois, ilse présente comme un automaton,c'est ça l'action compulsive et on peutsavoir combien de fois par jour la dameappellera la femme de chambre pourqu’elle vienne ou ne vienne pas près dunapperon, jusqu'à ce que la femme dechambre s'en aille parce qu'elle en amarre (rires).

Et donc on pourra savoir à quelleheure elle vient faire ça, comme Kantquand il faisait sa promenade, tout lemonde réglait sa montre sur son pas.

Voilà l'inconscient comme savoir, onsait que ça se produit à heure dite, àheure fixe, une petite action compulsiveet puis encore une autre : c'est l’heure !(rires), l'inconscient comme sujet, biensûr que c'est tout à fait autre chose ! Il

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n'a pas d’heure ! Comme l'esprit, ilsouffle où il veut, il ne répond pas à deslois, il a une cause et une cause c'esttoujours légèrement décalé, juste assezdécalé pour qu'on puisse la séparer del'effet, sans ça il n’y aurait pas decause, il n’y a des causes que parcequ'il y a un petit ajointement qui ne sefait pas et il y a des lois, enfin, c’est deslois quand tout marche, quand toutbaigne, donc on dégage une loi, etd’ailleurs on néglige que ça nes’emboîte jamais tout à fait exactement.Mais on parle de cause et d’effet quandça trébuche entre la cause et l'effetjuste assez pour qu'on puisse lesindividuer et qu’on ne soit pas dans lapure et simple continuité.

L'inconscient comme sujet, en effet,n'est pas automaton mais tuché, selonl’opposition qu'exploite Lacand’Aristote, dans le Séminaire XX. Il seprésente comme lacune, commediscontinuité et non pas comme ce quicomble la discontinuité. Et c'estpourtant comme çà que Freud adorereprésenter l'inconscient, c'est ce qu'oninfère à partir d’effets bizarres et, dèsqu'on amène l’inconscient, oncomprend tout, c’est lisse, c'est continu,c’est scientifique. Mais ce que privilégieLacan au contraire comme inconscient,ça n'est pas ce qui comble la lacune,c'est la lacune, ça n'est pas ce quirevient à heure fixe, c'est ce quiapparaît quand ça veut et puis ça va secoucher, ça se ferme et puis voilà queça revient.

Donc, ça, c’est l'inconscient commephénomène, c'est l'inconscient tel qu'ilapparaît dans la séance analytique eten plus, c'est un sacré phénomène !

À la semaine prochaine.

Applaudissements.

Fin du Cours 3 de Jacques-Alain Millerdu 01 décembre 1999

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LES US DU LAPS

Jacques-Alain Miller

Quatrième séance du Cours

(mercredi 8 décembre 1999)

IV

Si je vous disais ce qui m'a retenu,ce qui m'a fait arriver en retard, vous neme croyiez pas, à vrai dire rien d'autreque l'habituel, etc. Je crois que je n'ysuis pas encore.

Je vous signale que j'ai autorisé ceprojecteur, ce petit appareil, qui a cettedame pour servante. Le Conservatoiredes Arts et Métiers souhaiteapparemment photographier un certainnombre de ses salles, occupées,remplies, et j’ai pensé que, pardéférence pour l’administration duConservatoire qui veut bien louer cettesalle au Département de psychanalysede l’Université de Paris VIII, nouspouvions supporter l'inconvénientmineur de cet éclairage.

Cette année, je m'aperçois que j'aidécidé, sans le savoir, d’accueillir pluslibéralement que je ne le faisaitd'habitude, le hasard, ce que m’apportela fortune, parce que sans doute, si ona la structure, si on a la logique, onpeut accueillir l’imprévu et le loger à saplace, et donc puisqu'il entre dans lacomposition de ce Cours, la visée derépondre à l'invitation du titre de cetteRencontre internationale qui aura lieuau mois de juillet, sur La séanceanalytique, sous-titre « Les logiques dela cure et l'événement imprévu », sansdoute m'a-t-il semblé que, donnerl'exemple de cet accueil, de l'imprévudans le Cours même qui en traite,convenait.

Donc je continue dans ce style dedivertissement, que j'ai inauguré. Je necherche pas, et je vais commencerpeut-être, je ne cherche pas le mot de

laps, mais il faut croire que ce mot metrouve. Enfin, j'invite à ce qu'oncommence à le chercher avec moi,puisque c'est un mot d’usage, etl’usage est de nature à nousrenseigner.

Alors ce mot, sans que je le cherche,jusqu'à présent, m'a trouvé cettesemaine et il s'est manifesté dans unus, un usage, qui m'a rempli decontentement, et ce contentement, jem'empresse de vous le faire partager.

Voilà, je m'étais promis de lire, ou aumoins de parcourir à la premièreoccasion, le volume paru à cetterentrée, des Écrits critiques d'AndréGide, paru dans la Pléiade. J'avais lude ces essais de critique dispersés enplusieurs recueils et même j'avais faitl’emplette de tirés-à-part de certainesdes conférences de Gide, qu'on trouvechez les bouquinistes, qu’on trouvaitchez les bouquinistes, dont l'une,d'ailleurs reprise dans ce volume sur« L'influence en littérature », m’avaitlaissé un souvenir qui m'avait retenu.

Mais enfin j'attendais quelque chosede plus de ce rassemblement de cesarticles, une vision panoramique et puisj’en attendais du plaisir, le plaisirlittéraire, le plaisir de suivre dans sesméandres un éminent connaisseur dela langue, ce qu'on peut appeler unmaître de l'usage moderne de la languefrançaise. C'est une expression un peudésuète. Qu'est-ce qu'il faut pour êtrereconnu comme un maître, de l'usagede la langue française ?

Il faut d'abord sans doute uneconnaissance de l'ancien l'usage etmême des usages anciens de la languedans leur mouvance, leur diversité,leurs transformations. Et puis il faut enplus un je ne sait quoi, il faut, commeon aurait dit, du temps de Gide, unesensibilité à la langue, il faut que cemaître de la langue, on le sente et soiten accord, en résonance, avec l'espritde la langue, chose très mystérieuse.Puisqu’il me semble qu’on ne reconnaîtvraiment un de ces maîtres de l’usagemoderne de la langue, pour autant qu’ilen ait existé après Gide, c’est unequestion, à ce qu'il procède,

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insensiblement, à l’aggiornamento de lalangue.

Et il me semble qu'il faut encorequelque chose de plus, il faut que lesujet en question ait précisément uneinfluence sur les esprits, une influencesur les locuteurs, de la langue, sur lesparlêtres de cette langue-là et qu'il aitune influence par les idées et par lessentiments, par les affects, commenous disons, les sentiments.

Et de telle sorte qu’il soit vrai qu'ilagisse sur l’usage de la langue par sescontemporains. Ce qui fait que pourêtre un maître de l'usage moderne de lalangue, de l'usage contemporain de lalangue, à toutes les époques, il ne suffitpas d'être un bon grammairien, il fautrespecter les bons grammairiens, il fautles lire, mais enfin, maître de la languec’est Molière, ou c'est Corneille, ouc’est Racine, ou c’est La Fontaine,beaucoup de maîtres de la langue, ence temps là ; ça n'est pas Vaugelas,malgré le sens exquis de la langue donttémoignent ses remarques.

Eh bien André Gide a certainementété de ceux-là, de ces maîtres ; en toutcas il a été maintenant que, enfin, endécembre 1999 nous pouvonscommencer à faire quelquespropositions générales sur le XX°siècle. Il est peu probable qu’unévénement imprévu se produise entrele 8 décembre et le 31 qui nous oblige àréviser fondamentalement notre visiondu siècle. Mais enfin touchons du bois,on ne sait pas encore ce qui peut seproduire dans ce laps de temps, peut-être qu’on nous réserve in extremis dessurprises, des mauvaises surprises,avec tous ces missiles nucléaires qui sepromènent, un peu incontrôlés, du côtéde l'est de l'Europe, on ne sait pas cequi peut arriver.

Gide n’a pas été le plus grandromancier du siècle, loin de là. Il a écritles Caves du Vatican, et puis un certainnombre de contes, mais ça n'a pas étéle plus grand penseur, ça n'a pas éténon plus le plus grand critique etcertainement pas le plus grand poète,mais il a été ça, un maître de la langueet de la sensibilité française, j’adore ces

expressions désuètes, pas sianciennes.

C'est pourquoi ses écritsautobiographiques et son Journal,surnagent au premier plan de sapostérité. Il a été, pour sescontemporains et personne ne l’aautant été que lui au XX° siècle, lanorme vivante de la langue française,en même temps que déviant, commevous le savez, au niveau de l'us sexuel.Déviant, entre guillemets, mais enfin çan'est pas la norme, sa pratique,sexuelle et, à côté de ça, pour ce quiest de la langue, au contraire, il l’aincarnée.

Ce que je touche là, en acceptant lacontingence de ce qui m'arrive entre lesmains, c'est un thème qui doit nousretenir, le thème de la langue et letemps. C'est bien de çà qu'il s'agit, quela langue bouge, que la langue change,que la langue connaît le temps et que,sans doute, on ne peut nullement ladéfinir, la langue, sans faire entrer enligne de compte le facteur temps.

Ne prenons que ça, cette définitionextraite de l’Etourdit, qu'il m’est déjàarrivé, jadis, de commenter - Unelangue entre autre – nous dit Lacan -n’est rien de plus que l'intégral deséquivoques que son histoire y a laissépersister.

Il évoque la langue comme ce qui sedépose du réel « qu'il n'y a pas derapport sexuel », ce qui se dépose aucours des âges. Là c’est bien laquestion, qu'il y ait une incidence ducours des âges sur la vie. Il y a pasd’exemple où ce soit plus exactementrepéré, où ça ait donné lieu à plus dedébat et de passion que la languefrançaise, précisément parce que lemaître y a incarné la norme de lalangue, a délégué un corps spécialisépour veiller à la norme de la langue.Que ce corps soit incapable de la fairevaloir, je veux dire l’Académie,n'empêche pas qu'il y a été préposé.

C'est tout à fait unique dans cettefonction et pour le comprendre, ça nousramènerait à l'extraordinaire opérationpolitique du discours du maître qui s'estproduite au siècle classique, entreLouis XIII et Louis XIV et qui a donné

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une forme extrêmement durable à l’êtredans le monde français.

Les manifestations de l'inconscientdans la langue française continuent deporter cette marque. Lorsque noustraiterons de ce qui s'offre à nous, ici,du thème de la langue et du temps,nous aurons à reconsidérer ce qu’on aappelé, inconsidérément, précisément,la vie du langage, ses modifications, lestransformations qui ne sont pas àproprement parler au niveau dulangage, qui sont au niveau de lalangue et où il ne s'agit pas de la vie, ils'agit d'autre chose qu'il faut cerner etça n'est pas la biologie, là, qui est enquestion, avec ce mot de vie là, quin’est pas approprié, et d'ailleurs, ilfaudra considérer, si on veut s'occuperdu temps et de la vie, autre thème là, ilfaudra considérer, rectifier, le termed'évolution par exemple, qui essaye denommer ça, le temps de la nature, letemps de la vie et qui n'apparaît pas, aumoins dans notre perspective, tout à faitapproprié, même si le discoursanalytique a pu s’appuyer sur ceconcept.

Revenons à ce que j'ai trouvé delaps, ce que j’ai trouvé ! !, ce qui m'atrouvé, le laps, dans ma lecture,comment j’ai procédé pour qu'on metrouve, j’ai simplement commencé à lirela préface de l'éditeur, préface un peulongue, ça a duré un peu longtemps etpuis je me suis arrêté au moment où ilévoquait à quel point Baudelaire étaitencore, en 1920, sévèrement critiqué etmême piétiné par les voix critiques lesplus autorisées de l'époque.

Ce sont des noms, je ne sais pass’ils vous disent quelque chose, moi ilsme disent surtout quelque chose parceque c'étaient des citations qu'on trouvaità la fin des textes classiques, dans lespetites éditions scolaire des années 50,où quelques propos étaient relevés,Brunetière, Faguet, j’avais même eu lacuriosité d'aller acheter, toujours chezles bouquinistes, parce que ça ne serééditait déjà plus, les Essais critiquesde Faguet, monsieur Faguet, etBrunetière, qui a vraiment dominél'examen critique des œuvres à la fin duXIX° siècle, ça vous dit quelque

chose ! ? (s’adressant à l’auditoire), çadépend ! eh bien comptant quandmême là-dessus, je suis allé lire l'articlede Gide « Baudelaire et monsieurFaguet », article de 1910 - il faut bienque les dimanches servent à quelquechose ! - et alors Gide répond à unarticle de Faguet, je n'ai eu pas letemps de me le procurer, paru lepremier septembre de la même annéeoù, d'après des citations qu’a faitesGide, Faguet expliquait qu’il était uncontemporain de Baudelaire, pas siloin, il dit : « J'ai commencé à lire lespoètes nouveaux quand les Fleurs dumal n'avaient que 5 ans d’existence »,un contemporain.

Il témoigne libéralement, monsieurFaguet, en 1920, qu’il est vraimentstupéfait que Baudelaire n'ait passombré, puisque dans sa lecture,adolescente des Fleurs du mal, il s’étaitdit ça ne tiendra pas et puis ça a tenu letemps de cette génération et puis de lasuivante, on est déjà à la troisièmegénération, Baudelaire est toujours là.

Pour essayer vraiment de saborderBaudelaire, là ce maître de la critiqueexplique - comment il ne serait pas sûrde lui puisque Brunetière a déjà dit àpeu près la même chose - Baudelairen'a pas d’idée et surtout il est trèssouvent un très mauvais écrivain, trèsmauvais écrivain - c’est une citation, etsa langue abonde en impropriétés, engaucheries, en lourdeur, et en platitude.

J’aimerai vraiment lire l’article deFaguet intégralement, je trouve çarafraîchissant (rires), je veux direBaudelaire c'est une étoile au ciel de lalittérature française, pas tellement detemps après, c'est un intouchable etest-ce qu'on publie aujourd'hui uneseule ligne qui dirait quoi que ce soitd'approchant de monsieur Faguet ! ? Jedis que c’est rafraîchissant parce qu'ons'aperçoit que ça n'est pas au ciel desidées, au ciel de la littérature française,depuis toujours, pas du tout, depuisfinalement assez peu de temps.

Ce qui paraît là, omnitemporelle,pour toujours et peut-être depuistoujours, qu’il y aurait eu quelqu'un quisavait que le petit Baudelaire finirait pardevenir un des plus grand écrivains

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français, mais pas du tout, pas du tout,c'est une opération qui s'est passée làparce que les gens n’ont pas cruaveuglément monsieur Brunetière etmonsieur Faguet et que les étoiles, cegenre d'étoiles, durant leur vie et mêmependant un petit bout de temps après,reçoivent surtout de la boue, mais que,heureusement, il y en a assez qui fontconfiance à leur goût, si c'est ça, pourque ça ne réussisse pas à effacerl’événement Baudelaire.

En tout cas, Faguet avait perduclairement dans les années 50, si je merapporte à ce qui se véhiculait au lycéede l'époque, c'était joué déjà. Et jesuppose, en effet, que l'opérateur qui aconsacré Baudelaire, ce doit être cesdeux comparses qui s'appellentLagarde et Michard (rires),d'importance tout à fait marquée dansle domaine des études littéraire et quiavaient pris le parti de Gide surBaudelaire.

C'est pourquoi il faut lire, c’est trèsintéressant, les manuels de littérature,d'ailleurs un esprit fin que Lacan avaitconnu quand cet esprit fin était encoretout jeune et qu’il mentionne, je crois,dans les Écrits, et qui est toujourschroniqueur aujourd'hui, Bernard Frank,est le seul chroniqueur littéraire à fairedes tartines sur les manuels delittérature dont il a bien repérél'importance dans la formation du goût.

Tous ceux qui ont fait le lycée, là,dans ce dernier tiers, ce dernier quartde siècle, je suppose que la plupartd’entre vous, ici même, sont desproduits de Lagarde et Michard.

C'est là que Gide objecte, il objectesur le terrain des idées, il objecte sur leterrain de la langue proprement dite.Quant aux idées, il développe le thèmesuivant, à partir de cette phrase que jeprélève - en art, dit-il, où l'expressionseule importe, les idées ne paraissentjeunes que quinze jours.

C’est joli, ça, le point de vue que del’idée, fait une rose, le point de vue qui,sur l'idée, loin de célébrer sa durée,célèbre du point de vue littéraire safragilité, son obsolescence. Cettephrase même est inspirée d’uneesthétique, d’une esthétique temporelle,

qui est la même, de ce point de vue là,que celle de Valéry, à savoir que ce quiest durable en art c'est la forme, tandisque l'idée est périssable. Et donc lanotion, fort importante dans toutes lesaffaires de critiques, non seulementlittéraires mais artistiques, que le tempsdiscrimine.

C’est une occasion aussi desouligner pour nous, pour savoir luidonner sa place, la notion de la fonctiondiscriminatrice du temps dont noususons sans y faire très attention, endonnant au durable une valeurspéciale. C'est ce qui inspire, parexemple, les deux pages si amusantes,si canularesques, de Valéry surBossuet, où il explique qu’on se foutcomplètement de la thématique deBossuet, que sa problématique estabsolument désuète, qu’on ne sait plusdu tout ce que ça veut dire, on ne leretrouvera jamais, tout ça est passé,mais que ce qui reste, c’estl’expression, la grande forme rhétoriquede Bossuet, et que oui, il faut voircomment ça a été accueilli à l'époque,ce point de vue là, à l'époque où le particatholique en France avait uneprésence et une hauteur de ton qu'il a,malheureusement !, perdu.

Ça n'a pas été bien accueilli et cetarticle, ce canular de Valéry, se terminepar cette phrase, sujet verbe : l’archedemeure, demeure l'arche, l’archesignifiante de Bossuet, l’arche vide, oùil n’y a plus le Dieu, Dieu n'était qu'unsignifié, ça, ça s’évacue.

Et il reste l'arche vide du signifiant,mais c'est celle-ci qui traverse le tempsqui demeure. C'est pas les jourspassent et je demeure, c’est les jourspassent et le signifiant demeure. C'estun texte, si on veut apprendre ladifférence du signifiant et du signifié, ilfaut lire les deux pages de Valéry surBossuet.

Ça dit par connotation, par collusion,ça dit seul le signifiant finalement estsain, seul le signifiant est sacré et dansson arche, c'est un vide, c’est passimplement que le tombeau du Christétait vide, c’est que le tombeaumagnifique, le tombeau signifiantmagnifique, ne recouvre que vacuité.

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Et donc, dans cette esthétique, onpeut dire que la vérité esthétique est ducôté du durable. Finalement, cettevaleur accordée au durable, c'estquand même une valeur platonicienne,c'est quand même toujours fondé sur, làil ne s'agit pas des petites idées commeça, mais enfin, l’Idée avec un « I »majuscule, l'idée est là, l’esthétique, parexemple, est là opposée à ce qui estpar ailleurs la sainte écume du jour.

Idée // Écume

C'est une esthétique platonicienne, àcet égard, et on retrouvera tout àl'heure, d’ailleurs, l’écume des jours.C’est une façon d’introduire déjà à cethème majeur des rapports de la véritéet du temps, à la notion que la véritéserait ce qui dure, éternelle ou, pour lesplus prudents, omnitemporelle, tandisque le mensonge, lui, serait soumis àdes variations, serait de l'ordre del'écume.

C'est vrai, de lier la vérité audurable, c'est obligatoire, quand on acomment référence un peu élémentaire,la vérité mathématique, mais enfin dustyle deux plus deux égal quatre ; ça,en effet, on peut le dire, c’est vrai pourtoujours et ça a été vrai toujours.

Jugement qui est tout de même sansdoute à qualifier, et puis il y a desvérités quand même mathématiquesd'un ordre plus élevé qui connaissentun certain nombre de transformationsau cours du temps. Le temps est tout àfait une fonction présente dans lesmathématiques, ne serait-ce que letemps qu'il faut pour démontrer unthéorème bien choisi, le démontrer et leredémontrer quand on a oublié quelquechose d’important, comme on a vurécemment concernant le théorème deFermat.

Donc quand on a une idée simple dela vérité mathématique, oui la vérité etle temps, ça fait deux. On pourraits'imaginer que la vérité ne connaît pasle temps, peut-être est-ce lui aussi qui ainspiré à Freud l’idée que l’inconscientnon plus ne connaissait pas le temps.

Mais, évidemment, il y a une vérité, ily a un autre aspect des choses. Il y al'aspect de la vérité variable, la véritétemporelle ou temporalisée qui n'estpas le mensonge.

On peut dire, bien sûr quand DonJuan va dire à Marion Je t’aime, un peuplus tard, il va dire à Marinette C'est toique j’aime. On peut dire ce sont desmensonges, d'ailleurs, ça se discute, çase discute parce qu’il reste le même, ilveut faire plaisir à Marion, et puis il veutfaire plaisir à Marinette et en cela ilreste constant, pas plus constant queDon Juan. Mais bon, admettons,laissons cet exemple là, qui susciteraitdes controverses.

La vérité variable, ce n'est pas lemensonge. Ça été d'abord approché auniveau de l'espace quand Pascal, déjà,notait que la vérité n'était pas la même,en deçà ou au-delà des Pyrénées.C'est pas la propriété des Pyrénées,qu’il mettait là en valeur, encore que, çatient sans doute au rapport spécialétablit à l'époque entre la monarchiefrançaise et la monarchie espagnole,qui avait un certain type de conflit, c’estpour ça qu’il n’a pas dit, au lieu de direles Pyrénées il aurait pu parler de laManche, il n'a pas dit au-delà de laManche, en deçà de la Manche.

Il a parlé des Pyrénées parce que il yavait un rapport spécialement imbriqué,complexe entre la France et l’Espagneà cette date et un certain type dedispute autour d'objets précieux commeéminemment la Catalogne. Il a fallu leChamp freudien pour que vraiment laCatalogne entre dans le mêmeensemble que nous-mêmes et d'autrescontrées, mais enfin, le pays de lapsychanalyse, c’est quand même trèsrécent, très fragile.

Donc il a parlé conceptu-ellement, conceptuellement, c’est pasles Pyrénées qui comptent, c'est demettre en valeur le caractère variablede la vérité selon l'espace, et, par làmême, cette phrase de Pascal, qui aquel but ? déjà tout est là, tout Pascalest dans cette phrase, puisque là nousavons la vérité variable, mise enévidence, ridiculisée, qu'il suffit depasser une frontière, qu’il suffit de

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franchir une montagne et puis déjà lavérité est changée, donc qu'est-ce quec'est que ces vérités-là, c’est de lagnognotte, c'est ça que dit Pascal, çaque veut dire Pascal, c’est de lagnognotte, alors que, suivez monregard, la vérité qui elle, que ce soit au-delà, en-deçà, il y a une vérité là-haut,beaucoup plus haute que les Pyrénées(désignant « le ciel »), - c'est pour çaqu’il choisit une montagne – parce queça apprend à regarder en l’air,beaucoup plus haut encore que lesPyrénées, là, il y a une vérité, qui nebouge pas, qui traverse le temps.

On pourrait discuter, parcequ’évidemment, c'est une véritééternelle mais enfin qui intègrel'événement, qui intègre l'événementpar excellence. Quel est l’événementpar excellence ? L’événement parexcellence qui est l’événement Christ,depuis son Immaculée conception.

Je ferais remarquer que je dis ça le8 décembre. Je ne sais pas si tout lemonde a pris note du fait que le8 décembre est le jour de l’Immaculéeconception. (s’adressant à l’auditoire)Qui savait ça ? Ah ! quelques unsquand même, pas beaucoup ! ! EnItalie, ils le savent tous ! (rires), ils lesavent tous parce que ce jour est unjour fériée. C’est il jornio delimmacolata (à vérifier), le jour del’Immaculée.

(coupure de bande) Faguet, il voulait des personnages,

du monde, il voulait du grand spectacle,il voulait - je suppose - il voulait letechnicolor hugolien, il voulait le poèmehistorique, à grand spectacle, avecécran trois dimensions, quatredimensions, enfin, Hugo, Hugo quisavait aussi, bien sûr, peindre l’intimité,et rendre épique la vache.

Mais, par rapport à ça, Baudelaireavec la passante, Baudelaire avec lagéante, Baudelaire avec des odeurs,avec des chats, pour monsieur Faguetc’était absence d’idée, Baudelaire chat.

C’est réfuté par Gide et puis on vientà l’expression. Et la question est desavoir si monsieur Baudelaire s’exprimebien en français ou s’il s’exprime mal.Donc il y a, en procès contre

Baudelaire, le reproche d’impropriété,et Gide cite Brunetière qui écrivait déjà,avant Faguet, ils s’y sont mis, ils ontvraiment essayer de le démolir,Baudelaire. Des critiques de grandmérite, à qui Gide est redevable, il ledit, qui sont des héritiers de Sainte-Beuve ; qui n’atteignent pas la grandeurde Sainte-Beuve révéré par Gide. Gidequi dit, justement quelque part, je crois,l’émotion qui le saisissait quand il allaitvisiter la petite maison où Sainte-Beuvetoutes les semaines grattaitinvariablement son article de critiquespour le Constitutionnel. Elle est toujourslà, cette maison, avec une plaque, ruedu Montparnasse, je passefréquemment devant et j’ai toujours unepensée pour les Nouveaux lundis etbien sûr la suite.

Alors, Brunetière donc, pas n’importequi, écrivait : Baudelaire, cet hommeest doué du génie même, de lafaiblesse et de l’impropriété del’expression, Baudelaire ! Et alors Giderépond dans les termes suivants : « ilest certain que la poésie de Baudelaire,et c’est là précisément ce qui fait sapuissance, c’est de quêter du lecteurune sorte de connivence, qu’elle l’inviteà la collaboration. »

Très joli ça, cette notion de, le poèteétablissant une connivence avec lelecteur et l’entraînant dans unecollaboration, parce que ça désigne,sans le vocabulaire technique que noususons et qui nous use, un moded’absorption du sujet par le texte, çadésigne les capacités qu’ont certainstextes d’instrumentaliser le sujet, de lefaire travailler, de le mettre àcontribution et c’est de cette façondélicate que Gide amène ce que noustraduirions dans les termes : lesignifiant instrumente le sujet.

Eh bien nous, nous préférons direcomme ça, parce qu’avec ça nous nousy retrouvons, c’est tellement plus joli dedire : c’est quêter du lecteur une sortede connivence, elle l’invite à lacollaboration. C’est 1910, là, c’est pasles articles de 1940 de Gide - c’est lemot collaboration qui m’y fait penser.

Si vous faites attention, cette notionlà, c’est exactement celle que l’on

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retrouve au début des Écrits de Lacan,qui lui inspire la dernière phrase de sonouverture : par ces Écrits, dit Lacan -dans cette toute dernière phrase del’ouverture, j’ai passé du temps aurassemblement de tous ces papelards,de tous ces petits tirés à part pour fairele volume des Écrits, etc., l’index, à lafin des fins, l’éditeur lui a demandé deprésenter ce ramassis de textes, etdonc Lacan, qui avait autre chose àfaire aussi, il avait à faire en particulierson Séminaire, il avait à assurer sapratique, etc., a traîné un peu, de tellesorte que l’éditeur a mis ça àl’impression en laissant un recto verso.Il a du se dire que Lacan mettrait troislignes et puis c’est tout. Alors il a écritquelque chose d’un peu plus long, maisil ne restait quand même qu’un rectoverso, donc c’est pour ça que dans lesÉcrits, c’est imprimé en plus petit, c’estplus serré. Il y avait aussi l’idée que cequi serait de présentation de l’éditionserait imprimé en corps plus serré.

Donc il a donné ça et, avec ce petittexte de Lacan, on a vraimentconnaissance de son état d’esprit,connaissance de ce qu’il voulaitcommuniquer au moment même où sefermaient les Écrits, où ça se bouclait etça allait paraître peu de temps après etc’était quand même de l’ordre d’unebouteille à la mer, il fallait toute lasensibilité de l’éditeur de l’époque,auquel je tiens à rendre hommage,François Wahl, pour avoir saisi que cepavé, dont on pouvait se dire qu’il étaitillisible, ferait un succès.

Comme Lacan le note ça n’a pas faitun succès de lecture, mais enfin ças’est acheté, ça a été lancé au bonmoment, à cet égard.

Et donc Lacan termine cette petiteouverture, vraiment in the jaws of thepress, au moment où la pressed’imprimerie, du moment où on l’écrit ças’imprime aussitôt, il termine en disantque par ces Écrits il entend - je le cite -amener le lecteur à une conséquenceoù il lui faille mettre du sien.

C’est-à-dire que précisément, il estobligé de le dire, et puis il ne se gênepas, il n’est pas timide, il quête laconnivence, il invite le lecteur à la

collaboration et puis un petit peu au-delà, il l’invite à y mettre du sien, àpayer de sa personne.

Il y aurait beaucoup de choses à direen comparant là à ce que Gide formule,et puis Lacan. Remarquez que Lacan,quand il sort un livre en librairie, il saitque c’est un livre, il s’adresse aulecteur, comme Gide dit : quêter dulecteur. Là c’est pas la peine de laramener avec « seuls lespsychanalystes », non ! c’est un livre,un livre a des lecteurs ou il n’y n’en apas, en tout cas le partenaire du livrec’est le lecteur et c’est l’adresse deLacan, explicite.

On peut dire que là, la conséquence,ce qu’il appelle d’action, ce n’est pastout à fait la connivence émotionnellede Gide et puis on pourrait dire aussi,tout de même, là ça c’est Gide qui dit : ilfaut que le lecteur collabore, c’est pasBaudelaire. Tandis que Lacan dit :j’entends que le lecteur collabore ! !, ilforce un petit peu, il pourrait le faireentendre, peut-être, plutôt que del’énoncer comme ça, mais ça c’estLacan, il ne laisse pas gambader,comme il disait la liberté je ne sais pasce que c’est !

On peut dire que quand on est unpeu trop précautionneux avec la libertéde l’autre, eh bien c’est qu’on se fout delui, c’est : je te laisse ta liberté, qu’est-ce que ça veut dire en français ? hein !Je te laisse ta liberté ça veut dire : tufais ce que tu veux. En revanche,quand on tient à quelqu’un, on ne lelaisse pas forcément faire ce qu’il veut.Avec les analysants si on respectaitleur liberté, où est-ce qu’on irait ? (rires)Ils sont tout le temps à vous dire quepour telle raison ou non vous leur avezdéplu, vous leur avez dit une chosedésagréable. L’interprétation n’est pasfaite pour les complaire, alors c’est : ehbien je ne reviendrai plus ! et vous allezrépondre : vous avez toute votreliberté ? (rires) Vous pouvez répondreça, si vous pensez que, justement, çales fait revenir. Mais enfin, dans laposition de l’analyste, en effet, il y a cequ’on sent à travers cette phrase deLacan, c’est que il s’agit de faire çasérieusement mon petit ! Ne croyez pas

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que avec ce livre vous allez, ce livren’est pas fait pour qu’on le parcoure, ilest fait pour qu’on le lise.

Et en même temps c’est un grandtopos, dans cette phrase là, c’est à lafois par son accent très spécifique dudiscours analytique et en même tempsc’est un topos, littéraire.

Donc, enfin ça donnerai lieu à descommentaires infinis, à amener lelecteur à une conséquence où il lui faillemettre du sien, parce qu’en effet, mêmel’énoncé de la règle analytique, etc.,c’est effectivement ce genre deproposition, d’enchaînement designifiant qui oblige à mettre du sien.

Alors c’est là que Gide continue,c’est là que le laps va apparaître :l’apparente impropriété des termes quiirritera tant certains critiques, cettesavante imprécision dont Racine déjàusait en maître - moi je suis sensible àcette alliance là, entre l’usage et lamaîtrise et précisément la figure desmaîtres de l’usage que j’ai évoqués encommençant, ceux qui, précisémentl’usage, c’est de l’ordre de l’application,ça n’est pas de l’ordre de la théorie,l’usage et il y a quelque chose del’usage, justement, qui ne s’apprendqu’au contact d’un maître, de quelqu’unqui sait y faire et qui ne se transmet pascomme se transmet le savoir théorique.

Il y a quelque chose de ça dans lapsychanalyse, on parle du contrôle,quel mot ! On a l’impression que là,l’autre vient pour serrer les boulons :montrez-moi ce que vous avez fait, non,c’est pas comme ça, hop ! pas du tout,ce qu’on appelle le contrôle, c’est qu’onse réfère à quelqu’un qui devrait êtremaître de l’usage, mais enfin,évidemment, s’agissant del’inconscient, est-ce qu’il faut dire aubon moment ou pas, les maîtres…

Mais enfin, maître ici veut dire : quisait y faire avec le kairos, qui sait y faireavec l’imprévu et comment est-ce qu’onapprend à savoir y faire avec l’imprévuc’est-à-dire avec ce dont on ne peutpas donner, à propos de quoi on nepeut pas donner une règle préalable.Chaque fois qu’il dira ça vous direz ça !et ça se passera très bien ! C’est pascomme ça, on doit se glisser dans le

moment, après on va se glisser dans lemoment, se tenir prêt, il faut se musclercomme ça, être prêt vraiment, lemoment venu, ce sera toujoursimprévisible, à attraper la bête, la proie.

Ça justement, ça essaye de capturerce qui n’a pas de règle, en matièred’art, c’est bien isolé d’ailleurs par Kant,cette fonction de : savoir y faire et fairebien quand il n’y a pas de règles.

Je continue : - cette savanteimprécision dont Racine déjà usait enmaître. Là, enfin, il faudrait encore, il ya un boulevard qui s’ouvre devant nous,la savante imprécision de Racine, lafaçon dont Racine choisit entre sesmots justement les plus vagues, qui faitun effet d’assourdissement. Il y a telcritique qui a écrit un très joli article surle vocabulaire de Racine et son effetd’assourdissement.

— « Cette savante imprécision dontRacine déjà usait en maître et dontVerlaine fera une des conditions de lapoésie. » Gide se réfère à un poètecélèbre de l’art poétique – « Surtout neva pas choisir tes mots sans quelqueméprise. »

C’est un mot lacanien, la méprise. Leseul article de Lacan où figure le mot desujet-supposé-savoir, c’est dans le titre« La méprise du sujet-supposé-savoir »et ça nous enseigne beaucoup ici parceque, justement, Verlaine explique que lepoète, là, veut une certaine méprise.

Ce n’est pas la méprise du lapsusqui vous tombe dessus, qui voussurprend, non, c’est la méprise vouluedu signifiant, la méprise organisée. Etc’est bien par là que l’écrivain peutgagner à la main l’inconscient, commes’exprime Lacan à propos du motd’esprit, à la fin de Télévision. C’est toutl’écart entre la méprise subie, laméprise pathologique, le pathème de laméprise et puis, là, cette méprisecalculée de Verlaine.

« L’apparente impropriété destermes, cette savante imprécision dontRacine etc. et dont Verlaine fera, lui, lesconditions de sa poésie, cetespacement, ce laps, bravo ! cetespacement, ce laps entre l’image etl’idée, entre le mot et la chose estprécisément le lieu que l’émotion

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poétique va pouvoir venir habiter. »Très bien ! Regardez où Gide, maîtrede l’usage moderne de la langue, oùest-ce qu’il utilise laps et avec quellevaleur. Il l’utilise juxtaposé àespacement, c’est-à-dire qu’il déplacele mot de laps qui, dans la langue, estnormalement soudé au temps - on ditun laps de temps - eh bien il prend lapset il l’introduit dans les connotations del’espace.

Il y a des abîmes, là, parce qu’unpeu plus tard, il dit que quand il était, jecrois, à l’école, le professeur disait :« Monsieur Gide, vous ignorez que,dans la langue, il y a des mots qui vontensemble et vous les utilisez séparésles uns des autres. » Et il dit : eh bienjustement c’était... Et bien là, on se dit :ça doit être calculé d’avoir pris laps, quiest normalement dans l’usage réglé dela langue, dans l’usage propre de lalangue il y a le temps, et puis d’avoirdéplacé laps du côté de l’espace, çadoit être calculé.

Mais, en même temps, ça mérite derester, cet usage généralisé de laps,valable non seulement pour le tempsmais pour l’espace et qui qualifie ici unécart entre l’image et l’idée, entre lemot et la chose.

C’est le glissement qui est dans laps,mais en quelque sorte saisi, fixé, et parlà même spatialisé. Je vais faire desefforts pour que cet usage gidien dumot laps, cet usage généralisé du motlaps, ça serait formidable qu’on arrive àtoucher un tout petit peu à la languefrançaise en redonnant vigueur à celaps.

Enfin quand on veut faire ça c’esttoujours raté. Lacan avait voulu, commeil était fâché contre le directeur del’École Normale, il lui avait fait unemauvaise manière, il avait proposé quele nom de ce directeur prenne le sens,dans la langue française, de laserpillière. Il l’avait proposé à l’ÉcoleNormale même, ce qui n’avait pas paru,emprunt de courtoisie, bon.

Mais il a raté son coup, ça n’est paspassé, moi, je me souviens du nom dece directeur, je me garderais bien de leprononcer ici, il serait devenu immortelévidemment ce directeur si ça avait

réussi comme monsieur Poubelle, maisça n’a pas réussi, donc, peut-être quelaps ça va rater aussi !

Enfin là, ça n’est pas une injure, onne dit pas Petite tête de laps ! (rires).Alors, là, ce que Gide vise, c’estexactement, il le dit, il dit bien : poursaisir l’effet poétique. Le laps – oh ! lala ! (rires), c’était mon introduction, ça,pour vous amuser (rires), bon - pourqualifier et saisir l’effet poétique, il lesitue, ce laps, entre les mot et leschoses. Ce sont les mots et les chosesqui font par, une certaine contingence,le titre du livre célèbre de MichelFoucault. Il voulait appeler çaautrement, il voulait l’appeler L’ordredes choses. C’était déjà un titre qui étaitpris, il s’était rabattu sur Les mots et leschoses.

Ici il s’agit des mots et des choses,et le laps. C’est peut-être ce qu’il fautglisser là. Donc Gide vise l’usage nonréférentiel du langage, l’usage dulangage qui permet pas de trouver lachose, alors que dans l’usageréférentiel, la valeur essentielle c’estd’arriver à trouver la chose et ça peutêtre compliqué comme je vous ai donnél’exemple quand on indique le chemin,où il s’agit de trouver les choses, là onne peut pas avoir une savanteimprécision, sauf si vous voulez perdrele gars à qui vous indiquez le chemin,ce qui est fréquemment le cas, même sivous ne le savez pas.

Mais enfin dans l’usage référentiel,on essaye au contraire de réduire lelaps entre le mot et la chose,évidemment ça fait des boursoufluresterribles au langage quand on essayede faire ça. C’est beaucoup plus naturelfinalement pour le langage de laissertranquillement le laps s’installer. Il fautvraiment tordre le langage, alors à cemoment là ça se voit, c’est un corsetqu’on lui met, afin de forcer le langageà être référentiel. Là où l’on est obligé,semble-t-il, c’est dans l’ordre dudiscours juridique. Alors là, il faut mettredes étiquettes aux objets et on dit : lapièce à conviction numéro tant. Onmontre la pièce… Parfois ça arrive, ilsse sont trompés d’étiquette etc. et donc

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au lieu de montrer l’arme du crime, onmontre un sucre d’orge etc.

Dans le discours juridique on essayejustement d’empêcher l’effet poétique,on laisse l’effet poétique à la grandeplaidoirie, à la grande rhétorique qui vasavoir toucher les juges aux tripes pourque le triple assassin sorte avec lesfélicitations du jury. On a vu récemmentle double assassin, que je ne nommeraipas, enfin, sortir d’un tribunal américain,avec les félicitations du jury. Vousvoulez que je le nomme ? O.J.Simpson, bon, voilà. Ici personne, çane vous a pas marqué, mais aux Etats-Unis, pendant plusieurs mois, tout lemonde était collé à la télévision pourvoir si un monsieur soupçonné d’uncrime allait réussir à s’en tirer grâce audiscours de ses avocats, grâce ausignifiant.

C’était un triomphe du signifiantcontre un triomphe de la vérité, d’unevérité spéciale, sans doute, mais de lavérité contre les habitudes. Personnene doutait de l’effectivité de la chosemais, enfin, un certain type desolidarité, en-deça des Pyrénées,ajouté à la maîtrise signifiante ontproduit, devant une nation, il faut direquand même ébahie d’admiration, à lafois pour l’audace de ce crime, il fautbien dire, parce que c'est quand mêmequelque chose qu'on pratique assezsouvent dans ce pays et là vraiment il yen avait un, sa femme ne fait pas cequ'il veut (rires), sa femme, dont il estséparé, par ailleurs, sa femme n'est pasdans la fides, on la retrouve lardée decoups de poignard et le gars s’en tire,vous pensez bien, au niveaufantasmatique, c'était une chose, ça aravit absolument la population. Il finirontpar lui élevé des statues.

Alors, là, justement, on voyait tout cequ'il fallait faire pour l'usage référentieldu langage, la désignation exacte pourqu’on tombe sur celui-là et pas unautre, c'est essentiel, vous tombez surle faux coupable, comme dit Hitchcock.

Et il s’agit donc, dans cet usage,avant tout de pouvoir reconnaîtrel'objet, ça peut être quelqu'un, ça peutêtre un sujet, reconnaître l'objet, laréférence du discours sans équivoques,

sans imprécisions et d’une façoninfaillible.

Donc un usage du langage pour larécognition, pour qu’on puisse dire c'estbien celui-là. Et voilà, on peut dire quedans tout usage non référentiel dulangage, déjà se loge l'effet poétique.Là vraiment les deux bouts c'est lapoésie et le droit moyennant quoi, biensûr, il y a une poésie propre du droit.

Et puis il y a un sans doute aussi undroit dans la poésie puisqu'il y a descanons, des formes à respecter, etqu’on se bat, on se battait à un momentpour savoir qui dit le droit dans lapoésie, on avait trouvé quelqu'un deformidable pour incarner la puissanceordonnatrice, le signifiant maître dans lelangage, dans la poésie on avait trouvéMalerbes, enfin Malerbes vint, on nepeut pas mieux dire, et il met de l'ordredans tout ce fatras qu’on traînait depuisle moyen-âge, où encore la languefrançaise était tout gluante de samembrane native et n'avait pas encorecoupé ce cordon ombilical avec le baslatin, le bas latin ! avec ce qu’il y avaitde plus trivial et le langage destavernes, le français c’est quand mêmeavant tout les équivoques du latin, c'estvraiment quand il y avait des gens pascultivés qui comprenaient le latin detravers, ça a donné le français (rires) etil a fallu, vous pensez un peu tout cequ'il a fallu comme musculature dufrançais, comme mise en ordresignifiant maître et tout ça pour qu'onait, enfin naisse la langue française,bardée de ses normes et puis qu’onpuisse parler français au Roi, à la Cour,tout ça, sans considérer qu’on luiparlait, enfin, qu'on s'adressait à luidans un charabia enfin absolumentdégoûtant.

Et alors on a pu couper le cordon,oublier ces origines médiocres, et puis,à la fin, l’astiquer, le beautifier, luimettre quarante types autour pourveiller sur sa constitution, sa bonnesanté, etc.

Alors, la poésie, le droit c'est doncopposé, en même temps c'est amusantde voir comment ça se lie, comment çase trame. Gide, là, il nous montre oùinstalle la poésie, ils nous cerne le laps

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poétique, qui est le lieu du poétique, lamaison de la poésie.

Il donne un exemple de cetteimpropriété des termes – là, c'est vrai,je n’ai pas tellement parlé du tempschez Lacan, chez Freud, tout ça çavient après (rires), mais j’ai déjàbeaucoup donné, avant. Comme le seullaps qui me reste, c’est huit minutes, jevais rester dans mon fil - il cite unpoème de Baudelaire pour montrerl’impropriété de… et il cite justement lepassage : « Le vert paradis des amoursenfantines ». Je vais le lire, pour leplaisir : - Le vert paradis des amoursenfantines, les courses, les chansons,les baisers, les bouquets, les violonsvibrant derrière les collines, après lesbrocs de vin, le soir dans les bosquets.Mais le vert paradis des amoursenfantines, l’innocent paradis plein deplaisirs furtifs est-il déjà plus loin quel’Inde et que la Chine ? Peut-on lerappeler avec des cris plaintifs et lalumière encore d’une voix argentine,l’innocent paradis, plein de plaisirsfurtifs.

Monsieur Brunetière s’était attaqué àça, en disant - Vraiment ! ah ! vraimentc’est pas fort (rires) et alors critique deFaguet, formidable ! - remarquez il lesimpute peut-être à Faguet, il faut que jelise l’article - : Pourquoi ces brocs devin ? (rires), pourquoi furtifs ?demandera-t-il, prêté à Faguet,pourquoi furtif, demandera-t-il, « etnous ne serons quoi lui répondre, » ditGide. Ah ! Ah ! puis il dira : « il fallait« animer avec une voix », puisque icil’animer d’une voix - vous voyezBaudelaire était lacanien, il emploie latournure lacanienne, enfin c’est peut-être le contraire (rires) - « avec lesbrocs de vin est une cheville, il fallait« les brocs de vin », pour continuerl’énumération, » parce qu’en effet, on ales courses, les chansons, les baisers,les bouquets, les violons avec les brocsde vin. Donc le Faguet supposé il dit –« et pourquoi avec les brocs de vin, etpas les courses, les chansons, lesviolons, les brocs de vin ! (rires), avecles brocs de vin est une cheville, il fallaitles brocs de vin pour continuerl’énumération ; Chine est mis là pour la

rime, une, deux, trois, quatre, cinqfautes (rires). »

Évidemment, on a envie decommenter aussi à son tour, parce qued'abord, ce que je trouve irrésistible là,c'est que, c’est Gide qui l’invente, c’estpas Faguet qui l’invente. Il dit :« Pourquoi furtif » nous ne saurons quoilui répondre. Gide dit ça (rires), alorsque pour ce qui était des plaisirs furtifs(rires) c’est sûr qu’en 1910 il n’avait pasencore vendu la mèche, mais commeon a lu quand même le Gide d’après,on se dit il ne choisit pas ce petitexemple pour rien (rires).

Alors les brocs de vin, pourquoi est-ce qu’on ne saurait pas répondre surles brocs de vin ? Si on prend le vers,ça n'est pas du tout sur le même planles brocs de vin que les courses, leschansons, les baisers, les bouquets, lesviolons, pas du tout. L’énumération nedoit pas continuer avec ça, ça se lieavec le vers précédent : les violonsvibrant derrière les collines, avec desbrocs de vin le soir dans les bosquets.

On entend bien que, d'un côté, on ales violons vibrants, les collines, et puison a les brocs, on a les bosq, lesbosquets et justement on a avec, avecconsonne avec brocs et avec bosq, direet ça traduit d’une façon merveilleuse,avec une précision bouleversantejustement, qu’il y a les vibrations desviolions, et comment il y a desviolions ? des violons dans les collinesc’est parce qu’il y a un petit bal, parcequ’on fait un peu la fête ! et la musiquevibrante des violions est interrompuepar le choc des brocs, des bosq, et del'avec.

Et là avec a justement le sens de enmême temps, le choc des brocsaccompagne la plainte des violons,donc il n’est pas justifié de dire qu’on nesaura pas quoi répondre sur brocs,animé d’une voix ; Lacan le dit,Baudelaire peut le dire aussi. Et puis il ya - on ne rappelle pas le paradis. Si, onrappelle le paradis, ce n’est pas du toutla même chose de « se rappeler leparadis » auquel cas le paradis reste àsa place, et rappeler le paradis auquelcas le paradis revient, répond à votreappel et se fait présent à nouveau.

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Sur la Chine je n’ai pas encore eu letemps d’y penser (rires), mais ça meviendra certainement.

J’ai juste assez le temps de vous lirela dernière phrase de ce paragraphe,de Gide, qui m'a retenu, même qui m'aretenu beaucoup aujourd'hui, maisenfin, on a quand même levé pas malde thèmes à venir et il dit : « Et si rienn’est plus compromettant que cettepermission de ne plus parler net, c'estbien précisément parce que seul le vraipoète y réussit. »

Beaucoup de choses n'est-ce pasdans cette permission de ne plus parlernet. Il entend la permission quefinalement le langage donne au poète,de disjoindre, de faire valoir le lapspoétique entre le mot et la chose, lelecteur concède cette autorisation aupoète.

Et vous savez bien que l'usagepoétique du langage est quand mêmeun usage déviant, et cette dévianceappelle une autorisation implicite. Il fautquand même que le lecteur se laissefaire, il faut que le lecteur consente etles textes se jugent aussi à ce à quoi ilsvous font consentir.

Ça n’est pas autre chose dansl'analyse, dans l'analyse aussi il y a unusage déviant du langage, dansl'analyse aussi il y a un certain laps, quin'est pas le laps poétique, qui est lelaps psychanalytique, le laps freudien.

Et c'est une déviance de l'usagenormal du langage, et cette déviancedoit être autorisée et c’est cetteautorisation donnée par l'analyste queLacan appelle l’acte psychanalytique,c'est aussi la permission de ne pasparler net, c'est la permission de parlerle fantasme, c'est la permission de diren'importe quoi et les conneries et lereste. C'est la permission aussi, peut-être l'obligation, de ne pas faire de l’art.

Mais c'est une permission donnée àune défiance de l’us de la langue, letemps de la séance. Et c’est dans celaps de temps de la séance analytique,que autorisation est donnée au lapspsychanalytique du langage, qui n'estpas sans affinités avec le laps poétiqueque nous situe Gide, mais qui n'est pasle même, qui n'est pas entre le mot et la

chose, qui est entre le mot et l'idée, quiest entre le signifiant et le signifié, lelaps qui est entre le signifiant et lesignifiant.

Et c'est ce laps que vient habiter nonpas l'émotion poétique mais plussobrement et parfois plus férocement,l’interprétation psychanalytique.

La fois prochaine Lacan, Freud ettout le bataclan.

Applaudissements.

Fin du Cours de Jacques-Alain Millerdu 8 décembre 99, quatrième séance.

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LES US DU LAPS

Jacques-Alain Miller

Cinquième séance du Cours

(mercredi 15 décembre 1999)

V

J'ai pris une bonne résolution pourl'année 2000, j'essaye d'arriver toujoursà l’heure, c'est-à-dire à deux heuresmoins le quart (rires), quoiqu'il arrive.Je pense que je pourrais faire un effortpour le nouveau siècle.

J'ai donc promis la dernière foisFreud, Lacan et tout le bataclan, doncje serais bref pour le divertissementd'introduction.

Dans les heures qui ont suivi mondernier cours - la vitesse, là, a vraimenttout son prix - disons trois heuresaprès, on m’a apporté l'article deFaguet sur Baudelaire, dont parle Gide.Il a fallu aller chercher cet article dansles caves de Sainte-Geneviève. Jeremercie Rose-Marie Bognard d'avoireu et le temps et l'inspiration de fairecette recherche. J’ai pu m'apercevoirque Gide le citait fort exactement et, eneffet, les passages les plusinvraisemblables.

Dans le même temps, par fax, j’aireçu de Catherine Lazarus-Matet unemention de l'entrée qu'il y a dans leTrésor de la langue française, où setrouvent mentionnés deux exemples del'usage rare du mot laps sans le mottemps, ce qui ne figure pas dans leRobert.

C'est un exemple qui vient de Balzacet un autre où - je reviendrais surl’exemple de Balzac - et l'autre de laCorrespondance de Flaubert oùFlaubert dit laps au lieu de laps detemps.

Un peu plus tard je crois, Pierre-Gilles Gueguen m’a informé d'uneoccurrence du mot laps dans l’Être et lenéant de Jean-Paul Sartre, au chapitredu futur. Et enfin, hier, par la Poste, j’aieu une lettre de Danielle Marie sur laChine qui était restée énigmatiqueselon Gide, dans le poème deBaudelaire « Le vert paradis desamours enfantine ».

Je les remercie tous de cettecollaboration. Il y aurait mille choses àdire sur chacun de ces exemples, étantdonné l'engagement que j'ai pris ladernière fois, je reporte ça au prochainmillénaire, c'est-à-dire dans paslongtemps.

Je ferais quand même un sort pourle caractère hautement instructif de lacitation, à l'exemple de Balzacréférencé dans Le trésor de la languefrançaise.

Il y a beaucoup de chose que jereporte à plus tard, j'ai parlé sans doutetrop vite et pas bien de l’Immaculéeconception, la dernière fois. J'ai étérepris par quelqu'un que j'écoute et quime parle avec une certaine liberté étantdonné qu'il est là pour ça, et qui doncdéplorait, je crois que je rapporteexactement ses propos, que quelqu'unde mon niveau ! (rires) tombe aussibas, pour faire des plaisanteries decarabin sur l’Immaculée conception, eten plus inexactes.

J'accepte la correction, fraternelle, etje me suis aussitôt précipité à la librairiede la Procure (rires) où j'ai accumuléune certaine documentation sur ledogme de l’Immaculée conception etj'espère avoir l'occasion, au cours del’année 2000 – ça tombe quand mêmepas mal - d’y faire référence.

Enfin je fais mon profit de ce qu'onme dit de gentil, de ce qu'on me dit demoins gentil. Voilà. C'est-à-direquelqu'un qui m’a aussi conseillé dechanger de veste (rires). Ce matin j'aihésité (rires) mais, pour ne par être enretard, pas trop, et pour ne pas êtresaisi d’une hésitation de dernièreminute, j'ai au contraire l'habitude pourmon Cours de m’habiller toujours de lamême façon, à peu près. Et donc je n'aipas dérogé à ça mais, à partir du

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moment où je serais à l'heure, jepourrais peut-être aussi suivre ceconseil.

Alors, l’exemple de Balzac vient deLa Cousine Bette. On pourrait d'ailleurs,on ne peut que le deviner, si on lit cettephrase : pendant ce laps de vertu, lebaron était allé trois fois rue du dauphinet il n’y avait jamais eu 70 ans. LaCousine ! C'est sans doute la phrasequi résume le mieux, qui condense lemilieu l'essence de ce roman auqueljadis, dans des temps antédiluviens,quand j'enseignais encore dans leslocaux du Centre universitaireexpérimental de Vincennes, si je mesouviens bien, j’avais pris le baronHulot pour illustrer la force du désir,chez Lacan.

Le baron Hulot, dans La CousineBette est un clone, une projection,concernant son goût des femmes, denotre écrivain national, Victor Hugo,dont vous savez, ce qu'on peut appeler,dans notre contexte, l’attirancecompulsive pour la femme. Nonseulement Victor Hugo est resté dansvos esprits pour les éminentescontributions qu’il a faites à notre trésorpoétique, pour l'infini diversité de sonexpression et la régularité, aussi bien,puisque, à Guernesey, tous les matins,il s'appuyait ses six heures de verssans barguigner, il est resté pour çamais il a été fameux, en son temps,comme un amant extraordinaire.

Et jusque que dans son plus vieilâge, il a poursuivi les dames, les jeunesfilles, les baronnes, les servantes, toutce qui passait à sa portée, sansdiscrimination, c’est pour ça que je disLa femme, on a le sentiment que pourlui La femme existait, qu’elle étaitprésente en chacune, et jusqu'à sonplus vieil âge - que n'a pas connuBalzac – et quand ses moyens avaienttout de même déclinés, avec quelquespièces il obtenait - excusez-moi, mais ilobtenait que les dames à sa portéelèvent leur jupe et qu'il puissecontempler l’origine du monde.

Donc le baron Hulot de La CousineBette, c’est une projection de VictorHugo et donc on démontre ici le généralde Napoléon ruinant toute sa famille,

renonçant et sacrifiant sa femmesublime Adeline pour courir le guilledouet tomber cet ordre d'idée de plus enplus bas, jusqu'à son dernier souffle,enfin jusqu'au dernier souffle de safemme et jusqu'au sien, choseadmirable et dépassant en effet toutesles limites, enfin on dirait toutes leslimites de la vraisemblance, justementsi on ne savait pas de Hugo ce qu’onsait.

Alors, la rue du Dauphin qui est danscette phrase, c'est la demeure deValérie Marneffe qui est vraiment la pirequ'on puisse trouver dans toute l'œuvrede Balzac où pourtant il n’en manquepas. Installée par le baron Hulot dansses meubles, le faisant souffrir avec unautre vieillard, rival, et tous les deuxleur démontrant qu’elle en a untroisième. Il y a des scènes vraimentqui annoncent Feydeau lorsqu'on voit àla fois le baron Hulot, Crevel et lebrésilien, le brésilien qui est le petitchéri, se promener dans la rue duDauphin, elle en fait attendre un en bas,elle en met un dans le placard, l’autreremonte, on a des scènes de comédie,voilà ce qui se passe rue du Dauphin.

En l'occurrence donc, le baron Hulot,pendant un temps, a promis des'abstenir de ces rendez-vous, c'est lelaps de vertu, pendant ce laps de vertuil va quand même trois fois rue duDauphin et il n’a jamais soixante-dix ans quand il est rue du Dauphinparce que Valérie Marneffe, comme ledétaille Balzac, sait y faire pour que lesvieillards oublient leur âge. Et donc il yva d'autant plus et le quatrième rendez-vous s’approche lorsqueBalzac mentionne celui-ci.

Alors, étudions d'abord, je vais allervite, parce que c’est Freud et Lacan quinous occupent, mais étudionssimplement l'expression

Je n'ai pas fini de faire ma religionsur cette expression où on voit Balzacne pas être un maître de la languefrançaise, personne n’a imputé ça àBalzac, ça n'est pas de lui que la norme

L a p s d e v e r t u

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est venue, ce n'est pas lui qui l’incarneet au contraire, même ses admirateurscritiquent, observent ce qu'ils pensentêtre l’impropriété, la lourdeur, lagaucherie de son style, c'est-à-direqu'on continue à Balzac de faire lescritiques que Faguet faisait àBaudelaire, et encore aujourd’hui.

Alors que Balzac est peut-êtrebeaucoup plus qu'un maître de l'usage,de la norme, c'est un créateur, unrecréateur de la langue et on le perçoitici.

Comment analyser laps de vertu ?On peut en faire une métaphore, deconsidérer que vertu s'inscrit à la placede temps. Et il y a certainement, dansl'expression un effet métaphorique desens. Mais on peut aussi considérer,l’expression du point de vuemétonymique c'est-à-dire se fixer sur cequi serait la scène complète, laps detemps de vertu, on croirait un nom denoble, je m’appelle Laps de temps devertu (rires) et, que dans cette chaîne,finalement, le signifiant de temps, soitélidé dans la continuité de la chose.

La troisième hypothèse est deconsidérer, c’est apparemment celledes lexicographes du Trésor de lalangue française, que Balzac fait unemploi absolu du mot laps, tout seul, ilemploie laps tout seul, comme on letrouve dans Gide, on le trouve dansFlaubert, on le trouve ailleurs, on letrouve dans notre titre de cette année,et qu’il qualifie ce laps en lui imposantde vertu.

Toujours est-il que la troisièmepossibilité, enfin les trois ne sont pasexclusives, est quand même la moinsintéressante, en tout cas elle ne rendpas compte de la particularité d'effet desens de l’expression dans ce laps devertu.

De toute façon, ce qui est référencéde façon latente dans cette expression,c’est le terme du temps, rendu d'autantplus présent et insistant qu'il n'est pasexplicite et c'est de ce fait qu’on saisit laliaison délicieuse, émouvante, entre celaps et puis le vieux baron qui ne sentplus le temps passer quand il est avecsa maîtresse.

Il ne sent plus le temps passer, etpuis il ne sent plus le temps qui apassé, il ne sent plus son âge. Il n'yavait jamais eu soixante-dix ans. C’estaffreux en effet, il faut dire que ça n’estpas très euphonique à prononcer, c’estmême bizarre, il n’y avait jamais eusoixante-dix ans, il faut comprendre ley, il n’avait jamais eu soixante-dix ansrue du Dauphin quand il y était allé.

Il n'y a pas de phrase qui fait plussentir l'instance du temps dans samodalité du vieillissement et c’estrappelé dans le passage, plusieurs foisdans le roman il va avoir bientôtsoixante-dix ans, il a eu, il y a peusoixante-dix ans, qui met d’autant plusen relief ce qui fait le prix de cet amourclandestin, qui finit par être connu à lafin, de tout le monde, pas seulementdes lecteurs, c'est précisément que letemps biologique est là suspendu, letemps biologique, l’âge qu'il a, son âged’état civil est comme suspendu dansles moments qu’il passe rue duDauphin et donc il n’y a rien qui metteplus en valeur l'opposition, le contraste,entre le temps biologique, et en mêmetemps social « - Mon vieux vous avezsoixante-dix ans il est temps de vousretirez, vous n’êtes plus dans lacourse » et puis le temps de l'amour.Et au fond ça dit : il n'y a pas d’âgepour les choses de l'amour, quand onest doué pour ça bien sûr (rires), quandon est, comme dit Balzac, un libertin. Lepassage est vraiment saisissant.

C'est la baronne qui parle auxenfants, la baronne Adeline : « Votrepère a soixante-dix ans bientôt,répondit la baronne, il pense encore àMadame Marneffe, je m'en suis aperçu,mais bientôt il n’y pensera plus, lapassion des femmes n'est pas commele jeu, comme la spéculation, commel’avarice, on y voit un terme ».

1 - v e r t u t e m p s

2 - l a p s ( d e t e m p s ) d e v e r t u

3 - l a p s - d e v e r t u

{

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C'est ce qu'elle croit, Adeline, « labelle Adeline, car cette femme étaittoujours belle, en dépit de sescinquante ans et de ses chagrins, labelle Adeline se trompait dans ceci : leslibertins, ces gens que la nature a douéde la faculté précieuse d’aimer au-delàdes limites qu’elle fixe à l'amour » toutest là, il y a quelque chose dans l'êtreparlant qui outrepasse les bornesnaturelles, ou supposées telles, « leslibertins n'ont presque jamais leur âge.Pendant ce laps de vertu, le baron étaitallé trois fois rue du Dauphin, et il n’yavait jamais eu soixante-dix ans », voilàle contexte.

Balzac ne fait pas tout à faitconfiance à son lecteur, il explique : « lapassion ranimée le rajeunissait et il eûtlivré son honneur à Valérie, sa famille,tout, sans un regret. » C’est d’ailleursce qu’il fait dans la suite de cetextraordinaire roman.

Alors voyons comment ça seconstruit maintenant, ce que Balzacnous fait passer dans cette phrase.

Il y a d'abord de laps de vertu quiattire l'attention puisqu’il est au débutde la phrase. Ce laps de vertu, oncomprend bien à quoi il se réfère, il seréfère à l'ensemble de la vie, à l'horizonil y a l’ensemble de la vie du baron, sonlaps de vie et puis, à l'intérieur de celaps de vie, il y a le laps de vertu, je lefais beaucoup plus grand qu’il n’est enréalité, il y a son laps de vertu, c'est làqu'il se situe.

( . . . ( . ( . . ) . ) . . . . . )

v i c e v e r t u v i c e

Mais l'ironie de la phrase, c’est quependant ce laps de vertu, il y a quandmême un beau petit laps de vice, il y amême trois beaux petits laps de vice. Àquoi répond le schéma que nous faitpasser la phrase, c’est qu’évidemmentil y à, je vais dire une vie de vice, un

petit laps de vertu, et à l’intérieur dupetit laps de vertu, de nouveau le vice.

C'est-à-dire un schéma qu’onpourrait représenter sous cette forme :voilà l’espace, si nous représentons làle temps par l’espace, l’espace vicieux,extérieur ; la deuxième zone, c’estl’espace de vertu, mais de nouveau àl’intérieur de l’espace de vertu, onretrouve l’espace du vice. C'est-à-direque nous avons, pour tout dire, unenveloppement topologique qui estprescrit dans cette phrase et qui faitbien comprendre le caractèrestrictement infini, le caractère sansterme, contrairement à ce que croitAdeline, le caractère sans terme de lapassion des femmes du baron Hulot,qui, en effet, fait des promesses qu'onappelle d’ivrogne, mais qui est àrépétition laps et relaps dans saconduite, qui incarne doncmerveilleusement ce que Lacan appellel’écetera du symptôme.

Je me limite volontairement puisque,de cette phrase, on tirerait sans effortstoute la toile du roman, donc c'estvraiment l’agalma, c'est l’aleph duroman, au sens de Borges.

J’aurais pu passer ces deux heuresen commentant, je vous donne cepassage encore qui est plein d’échopour nous, il évoque les messieurs quiveulent avoir une maîtresse à côté deleur femme légitime. « Beaucoupd’hommes veulent avoir ces deuxéditions du même ouvrage » (rires). Çan’est pas un délicat bien sûr, ça n'estpas Gide qui écrirait ça, pour beaucoupde raisons, encore que Gide, non, c’estça , j’improvise pour une part, Gide,bien sûr oui…

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« Beaucoup d’hommes veulent avoirces deux éditions du mêmeouvrage quoique ce soit une immensepreuve d’intériorité chez un homme,que de ne pas savoir faire - c'estformidable - que de ne pas savoir fairede sa femme sa maîtresse. La variétédans ce genre est un signed'impuissance, la constance seratoujours le génie, le génie de l'amour,l’indice d’une force immense, celle quiconstitue le poète. On doit avoir toutesles femmes dans la sienne, comme lespoètes crottés du XVII° siècle faisaientde leur Manon des Iris et des Chloé ».

Bon, étant donné les engagementsque j'ai pris envers vous, je laisse toutce qu’il y aurait à dire sur ceci, Freud,Lacan, non pas Iris et Chloé et donc lethème de l'inconscient et du temps, lanouvelle alliance conceptuelle del'inconscient et du temps, alors queFreud avait rompu les liens,apparemment, en énonçant, comme onle répète, sans trop aller regarder lecontexte, l'inconscient ne connaît pastemps.

Ça n’est même pas : arrièremonsieur, je ne saurais vous voir ! C'estune ignorance pure et simple, une autredimension, la dimension del'inconscient serait d'un autre ordre, uneautre dimension que celle du temps.

Et c'est pendant que nous, nousnous échinons dans l'écume des jours,l'inconscient se prélasse si je puis dire,nous laisse passer et lui demeure, avecson automatisme de répétition, inutilede lui dire qu'il a déjà fait ça beaucoupbeaucoup, il ne veut rien savoir.

Alors que chez Lacan l'inconscient aune affinité essentielle avec le temps,qu'on ne peut pas s'en débrouiller, del'inconscient, sans y mettre le paquet etle temps et que ça n'est pas làcontingence, c'est d’une affinitéessentielle qu'il s'agit. Alors, j’ajoutetout de suite qu’il faut faire attentionpour s’y retrouver, que chez Lacan çaqualifie précisément l'inconscientphénomène, l'inconscient tiretévénement, l'inconscient en tant qu'ils'inscrit comme événement dans latrame du temps.

Mais enfin il y a bien une opposition,parce que pour Freud, Freud parled'hypothèse de l'inconscient, et Lacande la supposition du sujet, et, à vraidire, le terme de supposition est latraduction latine du terme hypothèse,grec. C’est le même mot. Et donc, eneffet, ça s'emboîte. Seulement, Freudparle d'hypothèse en tant quel'inconscient est déduit, qu’il est inféré àpartir d'un certain nombre d'effetsbizarres, détonants dont on ne peutrendre compte qu’en inférant l'existencede processus inconscients puisque lesujet lui-même s’avoue incapable d’enrendre compte par sa cogitationconsciente, par son argumentation etc.donc Freud dit hypothèse del'inconscient en tant que l'inconscientest inféré comme étant déjà là etportant des effets.

Freud ne dit hypothèse del'inconscient que pour dire : ça n'est pasparce que l'inconscient ne paraît jamaisen personne, mais seulement à partirdes inférences que nous faisons, çan'est pas pour autant qu'il n'est pasquelque chose de réel au sens de lascience.

Pour Freud, il s'agit de sauver lecaractère real de l'inconscient, en dépitdu fait qu’il ne se présente pas enpersonne mais seulement à travers unedéduction qui n’en est pas moins pourFreud certaine et indubitable.

Le transfert, pour Freud, est d'unautre ordre, le transfert, pour Freud,c'est ce qui permet d'avoir accès à cetinconscient déjà là et qui permetd’introduire des transformations dansce quelque chose de réel qu'estl’inconscient. Il introduit cestransformations de deux façons, parceque la personne de l'analyste attire àelle la libido investie dans lessymptômes, et deuxièmement sefaisant, dans le transfert les symptômesprennent un nouveau sens, neue Sinn,je l’ai cité déjà.

Lacan, évidemment, son sujet-supposé-savoir, ça procède de ce queFreud appelle répétitivementl'hypothèse de l'inconscient et c’estpourtant une supposition, d’une touteautre sorte. Et d'abord parce qu'il s’agit

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d’une définition de l'inconscient à partirdu transfert. Il s'agit de la perspectiveque donne le transfert sur l'inconscient,et, plus loin, qui entre dans la définitiondu statut de l'inconscient. C'est unedéfinition de l'inconscient à partir dumoyen de sa découverte.

Ça n'est pas si apparent dans lacomposition même du séminaire desQuatre concerts fondamentaux oùs’introduit, d’une façon un peu plusétendue, le sujet-supposé-savoir vers lafin du Séminaire, et qui avait déjàpointé son nez dans un Séminaireantérieur.

Dans le Séminaire XI, précisément,on note l’écart maintenu par Lacanentre l'inconscient et le transfert,puisqu'il en fait deux concepts distincts,et que dans la suite de quatre conceptsqu'il distribue, l'inconscient vient d'abordet on passe par la répétition avantd'introduire le transfert, pour terminersur la pulsion.

Donc on note, dans la compositionmême de ce Séminaire, l’écart freudienmaintenu entre inconscient et transfert,dans les Conférences d’introduction àla psychanalyse.

Et, évidemment, cet ouvrage deFreud, Conférences d’introduction à lapsychanalyse, ne pouvait pas être loinde l’intention de Lacan, précisément aumoment où, après une rupture,définitive avec l’AssociationInternationale de psychanalyse, il setrouvait changer de lieu et de public,passer de Sainte-Anne, l'amphithéâtrede Sainte-Anne à la salle Dusanne àl'École Normale Supérieure et trouver làun vaste public intellectuel, où d’ailleursla faction des analystes se développait,si je me souviens bien, au départ,spécialement cette année là, comme unpetit noyau occupant de droit lespremiers rangs, ce qui nous obligeait,nous, les élèves de l'École Normale àaller derrière.

Lacan dit bien d'ailleurs qu’il a trouvédans ce Séminaire, moins l'occasiond’une introduction que de repenser lesfondements de la psychanalyse, il dit çadans le texte qui a été placé au versode l'ouvrage : « L'hospitalité reçue del’Ecole normale supérieur, un auditoire

très accru indiquaient un changementde fond de notre discours. Nous avonsmis au point un organon à leur usage -à l'usage de ce nouveau public - enl’émettant selon une propédeutique quin’en avançait aucun étage avant qu’ilsaient pu mesurer le bien-fondé duprécédent. »

C’est, mutatis-mutandis, quelquechose qui n'est pas éloigné de latentative de Freud dans sesConférences d’introduction à lapsychanalyse. Lacan maintient l'écartinconscient transfert. L'inconscient estprésenté, introduit à partir de l'ordresymbolique, tandis que dans le transfertest avant tout mis en évidence soncaractère libidinal, conformément àl'orientation de Freud dans cet ouvrage.

C'est la réalité sexuelle, c'est lalibido, qui semble donner le centre duconcept du transfert dans le SéminaireXI. La formule qui avait retenu àl'époque, précisément, certain de sesauditeurs, moi-même, qui avions,comme Lacan le rapporte, il s’estaperçu que cette formule avait retenu, ilétait venu nous la commenter, il étaitvenu faire le cinquième dans un petitcartel, ça ne s’appelait pas comme çaencore, les quatre que nous étions, laformule : le transfert est la mise enacte de la réalité sexuelle del'inconscient. Il faut bien dire, elle nousavait surtout frappé, parce que nousétions ignorant de Freud, avouons-le,parce que c’est une formule qui pourraitêtre extraite du chapitre du transfertdans les Conférences de l’introductionà la psychanalyse.

Et, en effet, il peut sembler que cetteformule même n'est pas trop en avancesur le schéma fondamental que Lacanavait introduit au début de sonenseignement et que j'ai plusieurs fois,un nombre innombrable de fois, écrit autableau, ces deux axes en opposition,du symbolique et de l'imaginaire, etclairement il y a l'appui du Séminaireici, et de placer l’inconscient sur l’axesymbolique, tandis que le transfert,quand on parle de lui comme inscrit,comme étant de sa substance, est laréalité sexuelle de l'inconscient,apparaît au contraire de l'ordre

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imaginaire, avec le rapport d’obturationdu transfert par rapport auxémergences de l'inconscient.

I C S t r a n s f e r t

Ça reste d'ailleurs, dans le schémaque Lacan élabore cette année, del'aliénation et de la séparation, j'aidémontré ailleurs que ce schémad'aliénation séparation est unetransformation de celui-ci, ici ça seprésente sous forme d'opposition, ici çase présente sous forme d’articulation.

Dans le premier schéma on peutdire, ah ! s'il n'y avait pas l'imaginaire,tout se déroulerait bien dans lesymbolique, Lacan d'ailleurs, dans lapremière page des Écrits, du séminairede « La Lettre volée » dit finalementl’imaginaire ça ne compte pas parrapport à la dialectique symbolique,aliénation séparation, ça dit autrechose, ça dit que l'émergenceimaginaire, l'émergence libidinale,l’émergence de l'objet, est strictementdéterminée par le processussymbolique de l’aliénation.

Ça répond très bien à l'oppositionfreudienne de Sinn et Bedeutung, leSinn d'ordre symbolique, la Bedeutung

étant la référence libidinale, donctoujours employé par Freud dans cesens.

Simplement, c'est beaucoup pluscomplexe que ça dans le Séminaire XIparce que l'inconscient s’y trouve définitcomme sujet et que définir l'inconscientcomme sujet, c'est à l’opposé de ledéfinir comme savoir.

Le définir comme savoir, c’est ladifférence, c’est les petits plus et lesmoins du schéma des alpha, gamma,delta de Lacan, définir l’inconscientcomme un savoir, c’est le prendre par lebout où il est un automaton, et c'estpourquoi Freud, lui, met tellementl'accent sur la Zwanshandlung, l’actioncompulsive.

C’est ça, la définition de l’inconscientcomme savoir, tandis que le définircomme sujet, c'est mettre au contrairel'accent sur non pas l’automaton maisla tuché, sur la rencontre au hasard, surl’imprévu et même, au delà, surl'imprévisible.

Prendre l'inconscient comme sujet,

ça n'est pas du tout le prendre commeétant déjà là et portant des effets, c’estle prendre au niveau de l’effet, commequelque chose qui se produit et qui semanifeste de façon aléatoire et, en cesens, le sujet est un événement. C’estdans les formations de l'inconscient,l’événement de l'inconscient, et c'estbien par cette sorte d'événements, enajoutant ces événements, que Freudest entré dans la compréhensionpopulaire. Il a ajouté au registre uncertain nombre d'événements. Quandle président de séance dit, au momentd'ouvrir : « la séance est close », c'estun événement freudien. Et, là, noussaisissons l'inconscient comme sujetdisruptif. Tandis que si le président deséance dit quand ça s’ouvre, « la

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séance est ouverte », quand elle ferme,enfin il la ferme quand il le dit, c’estperformatif, « la séance est close »,aussitôt la séance est close, s’il est bienà sa place. Et puis il fait ça tous lesjours. Et puis après, même quand il està la retraite, après 70 ans, s’il continuele matin et le soir à dire : « la séanceest ouverte », avant de se quitter la« séance est close », on dira : c'est uneaction compulsive et tous les jours desa vie, il continuera comme ça. On a euquelque chose de cet ordre, là, dit-onavec Salazar qui, à la fin de sa vie, secroyait toujours diriger le Portugal ettout s’organiser autour de lui pour qu’ilpuisse le penser. « La séance estouverte, la séance est close, ouimonsieur le président ». Autrement dit,grande opposition entre l’inconscientsujet et l'inconscient savoir.

Le même contraste d'ailleurs, si on ypense, se répercute entre la séanceanalytique et les événements del'inconscient. La séance analytique,prétend Lacan, se caractérise par sarégularité : quel est votre jour, quelssont vos jours, quelles sont vosheures ? quasi bureaucratique, ditLacan, c'est-à-dire en effet, la séanceest ouverte, la séance est fermée. C'estquand même l’essentiel de l’acte del'analyste (rires), aller de son cabinet àla salle d'attente, inviter le sujet suivantà l'accompagner, en le précédent ou enle suivant. Donald Meltzer disait : il fauttoujours passer devant, il faut toujoursque le patient passe devant parce quesinon, s’il est derrière, c'est trèsinquiétant pour l'analyste (rires). C'étaittrès inquiétant pour lui, et je nedéveloppe pas parce que, là noussommes au bord, il faut bien dire, de lafolie d'un grand analyste. Et puis,ensuite, le trajet inverse. Quand moi-même j'étais en analyse, je me disaisque vraiment, pour être analyste, il fautêtre sacrément obsessionnel, pourrefaire ça à longueur de temps.

Donc d'un côté, la séance, prisedans l’automaton, et nous aurons peut-être le temps aujourd’hui d'aller jusqu'àl'extrême de cette automaton. Et puistout ça, cet ordre supposé invariable,cette constance, admirable, pour que,

imprévisible, à son heure, commel'esprit, qui souffle où il veut, on cueilleune manifestation symptomatique del'inconscient, un petit mot d’esprit, unpetit lapsus.

Autrement dit, un contraste évident,au niveau du phénomène, entre l'ordrede la séance et l'ordre de l'inconscientcomme sujet. Et c'est le paradoxe de laséance analytique, lieu prévu pour ques’y produise l'imprévisible. Évidemment,l'imprévisible a une petite tendance àse produire à côté du lieu où onl'attend. Mais ce n’est pas grave parcequ'à ce moment-là, on le raconte dansla séance. Mais évidemment plus laséance est régulière et plus le quantumd’imprévisible a tendance à semanifester ailleurs.

Alors on voit bien quelle est ladifférence de la séance lacanienne. Çan'est pas qu'elle renie l’automaton de laséance, mais elle démontre unecertaine pente à se structurer commel'inconscient sujet et que la séanceanalytique d’orientation lacanienneglisse à se structurer commel’inconscient sujet et qu’à l'intérieur dela régularité quasi bureaucratique queLacan évoque, se logent précisément,au moins des indices et des marquesd'imprévisible, jamais une foisexactement comme l'autre, ce qui est,en effet, à l’opposé ce à quoi cettelogique nous ferait tendre.

Chaque séance exactementpareille ! et vous savez, nos analystesNew-Yorkais des années 50 avaientporté ça jusqu'à, comme moi à monCours, mais moi c’est deux heures parsemaine, toujours la même veste(rires), toujours la même cravate, nepas bouger une seule chose, dans lecabinet analytique. Ça a été décrit, jel’ai souvent rappelé, c'est un documentinoubliable, par Janet Malcom, uneessayiste connue aujourd'hui, dans lepremier ouvrage qu’elle ait produit.

Ça atteint des sommets, et d'abord ilfaut bien, s’ils portent ça toute lajournée, qu’on nettoie ça quelquetemps. Donc il faut qu’ils en aientplusieurs la même (rires) et puis après,il y avait même une tendance dit-elle, àce qu'ils se fournissent, tous, les

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différents analystes, chez le mêmetailleur, pour ne pas être trop différentsles uns des autres. C’est vraiment laréduction de l'analyste à la puredifférence numérique.

Alors, l'inconscient sujet, c’est ça letour de Lacan, l’inconscient sujet, c’estl’inconscient phénomène, c'est-à-direcelui qui apparaît dans la séance ou, sic'est hors de la séance, celui dont onrapporte dans la séance précisémentl'émergence disruptive. C'est le sensqu'il faut donner à la phrase que Lacanprononce dans son Séminaire et qui estreportée au chapitre II : « la formeessentielle où nous apparaît d'abordl'inconscient comme phénomène, c’estla discontinuité ». Ce qui compte c’estles termes apparaître et phénomène,parce que ça désigne un aspect précisde l'inconscient.

Et alors dire que la forme essentielleoù nous apparaît l’inconscient commephénomène, c'est la discontinuité, c'estbien dire qu'il ne s'agit pas del'inconscient freudien comme inféré, çan'est pas l'inconscient de l'hypothèsefreudienne parce que l’inconscient del’hypothèse freudienne qui vaut commequelque chose de réel dans l'ordre dela science, c'est l'inconscient du tableaunoir, c'est l'inconscient où on dit : il y aceci…. eh puis bon, etc. conclusion…c’est l'inconscient conclu etl’inconscient conclu à partir de quoi ? Àpartir de discontinuités.

L'inconscient freudien, c’est celui quirétablit la continuité, comme je l’aisouligné et qui est à fleur de texte dansle chapitre de Freud qui s’intitule« Justification du concept del'inconscient » qui est au début de sontexte sur l'inconscient dans laMétapsychologie.

Lacan le prend par l’autre côté,l’inconscient, la forme essentielle du

phénomène c’est la discontinuité. Et çase confirme de ce que Lacan dit plus

tard : l’inconscient se manifestetoujours comme ce qui vacille dans une

coupure du sujet. Ça désignel'inconscient sujet comme phénomène,

c'est-à-dire ça désigne l'inconscient

sujet qu'on peut noter S barré et il s’agit

Sici de la manifestation de l'inconscientet c’est de là que se justifie de posercomme une thèse qu'il y a unetemporalité de l'inconscient, latemporalité de l'éclair, perceptible dansle lapsus, de ce qui apparaît peutdisparaître aussitôt, de ce qui s’ouvrepour se fermer, de telle sorte qu’on peutposer que l'inconscient en tant quesujet-supposé-savoir, ça n'est pas dutout l'inconscient comme savoir,l'inconscient comme sujet-supposé-savoir est au niveau du phénomène, ilest au niveau de l’écume.

À propos de l’écume, je ne crois pasavoir eu le temps de vous lire ladernière fois la citation de Valéry quiétait rapportée par Gide, à ce propos,qui est fort belle, qui désigne très bienla position de Valéry : « Lesévénements m’ennuient, disait-il. Lesévénements sont l'écume des choses.C’est la mer qui m'intéresse, c’est dansla mer que l'on pêche et sur elle quel'on navigue, c'est en elle que l'onplonge ». C'est très beau parce que çadésigne bien la position platoniciennede Valéry, ce qui l’intéresse, c’est lemilieu marin, ça n’est pas l’événement,ce sont les conditions de possibilités del'événement. Et c’est pourquoi, toujoursValéry dépasse, écarte l'événementcomme un voile, pour aller en directionde la structure qui rend possible cetévénement et beaucoup d’autres.

C’est pourquoi il avait cet égart pourle beau vers, ce qui l’intéressait c’estpas le beau vers, c’est comment, dequelle matrice on peut faire venir sansarrêt de beaux vers. Et donc aussil’écart pour la réalisation, bien plusbeau la matrice virtuelle de ce qu'onpourrait réaliser, quinze ans de silence.Ça n'était pas joué chez lui, c'est là qu’ily a vraiment le cœur palpitant, si je puisdire, de son être.

Mais évidemment les productions quisont issues de cette vision structurale etmécanique, les productions n’ont-ellesplus le même éclat aujourd’hui,précisément parce qu'elles sont

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calculées avec cette distance. Il abeaucoup perfectionné le vers, il l’atellement perfectionné que ce versnéoclassique s'est tout de mêmeeffondré. Mais enfin si je rentre là-dedans, je ne sors pas.

Voilà, Valéry c'était l’homme que lesévénements ennuient. C'était aussid'ailleurs, j'ai trouvé dans Gide, il y avaitjustement la confirmation de ce que jevous avais dit de façon précédente, quefinalement monsieur Teste, il ne veutpas, il regarde le public et il dit : ils sontmangés par les autres ; et j’ai dit Valérypar excellence, il a fini mangé par lesautres, eh bien je l'avais trouvéconfirmé dans ce qu'écrivait Gide, queje ne connaissais pas à ce moment-là,parce que j’ai lu ça entre, Gide rapporteune conversation avec Valéry : « - Tousces gens trop charmants me tueront,disait-il, savez-vous l’épitaphe qu’ilfaudra graver sur ma tombe : ci-gît PaulValéry, tué par les autres ! » (rires)

Donc ça m’a frappé la convergencede vue - oui il y avait encore ça parceque j’y suis - il y avait encore ça de trèsamusant, c’est dans un passage deGide sur Proust. Il dit c’est vraiment unparadoxe que - vous savez qu’il s’estfichu le doigt dans l’œil au départ, il afait perdre ça à son éditeur, en trouvantque vraiment, Proust avait écrit quelquechose sur les vertèbres du front detante Léonie, Gide trouvait que lesvertèbres du front, quand même, on nepouvait pas laisser passer ça, donc, ilavait fait repousser l'ouvrage et là il serattrape en faisant l’éloge, et il soulignele paradoxe que la Recherche dutemps perdu paraisse, la Recherche dutemps perdu dont il souligne que c’estun livre qui se déroule avec uneextrême lenteur, avec un maniementtout à fait spécial du temps de lire, et ildit que ça se développe, que çaparaisse en un temps, qu'il définit ainsi,Gide : à une heure où l'événementtriomphe partout de l'idée.

J’ai trouvé ça très juste, puisque, en1921, il peut écrire « l'événementtriomphe partout de l'idée » parce qu'ilassiste à ça, il est certainqu'aujourd'hui, on ne pourrait mêmeplus le formuler parce que l'événement

a triomphé et que nous allons toutesvoiles dehors vers le 21° siècle, cequ'on appelle l'information, les moyensd'information, c'est exactement ça, letriomphe de l’événement sur l'idée. Etc'est pourquoi, avec l’opportunisme quinous caractérise, nous sommes sur cesaffaires de temps et d’événements, iln’est que temps ! ! et que d’ailleursnous mettons l'inconscient lui-même,supposé être la mer, où l'on plonge etoù l’on navigue, nous mettonsl'inconscient lui-même à l’heure del'événement, c'est ce que fait Lacan.

Alors quelle est la conséquence dedistinguer l'inconscient sujet etl’inconscient savoir et, quand même, dedonner le pas à l'inconscient sujet surl’inconscient savoir, parce que notrepetit inconscient savoir, celui que nousinférons, d'où vient-il ? Ah ! il faitl'inconscient savoir, avec ses alpha, sesbêta, il ne connaît plus personne, etvoilà et je continue et je vous embête.Mais d'où vient-il ?

Il est d'humble extract, il vient de cespetits accrocs, imprévisibles, il est nédans la fange, cet inconscient savoir. Etoui, et Lacan lui répète : tu n’es fait quede ça, tu n’es fait que de cesmanifestations contingentes, tu n’es faitque de ces petites interruptions, cespetites discontinuités, ces petitsglissements, c’est quand le pied temanque, c’est de là que va s’élever legolem de l’inconscient, apparemmentimmuable.

Et, alors c’est quoi ça ? C’est lerappel, c'est là ce qui donne son sens,je mets un peu de couleurs pourréveiller ce que moi-même j'ai serinépendant des années, je l'ai rédigé, etpuis je l’ai fait lire, et puis c’estcommenté partout, donc il fautm’excuser, je demande à mon critiquesévère de m'excuser, je mets un peude couleurs pour réveiller ça.

C'est dans ce contexte là que prendsa valeur de dire l’inconscient n'est pasun être, l'inconscient, et c'est vrai que leprendre par le biais du phénomène,désubstantialise l’inconscient, ledésontologise. Voilà un titre de thèse :La désontologisation de l'inconscientchez Jacques Lacan, de tant à tant. Et

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comment mieux le dire, qu’en repérantl'inconscient à partir du manque-à-être,ah !

C'est dans ce contexte là, que Lacana pu dire : le statut de l'inconscient n'estpas ontique mais éthique. C'est ladifférence entre les étants, au niveauontique et l’être, au niveau ontologique.Je laisse ça de côté.

Qu’est-ce que veut dire, pourquois’introduit ici éthique ? Ça a plu ça, lemoment où j’ai pris le mot éthique et jel’ai mis sur l'édifice du champ freudienen lettres lumineuses qui devraientapparaître et disparaître : éthique !éthique ! éthique. Ça eu beaucoup desuccès. Mais cette éthique là, ce qu’ilfaut voir d'abord, c’est qu’elle s’inscritdans le manque au niveau ontique, quec'est vraiment l’éthique à la place del'ontologie.

é t h i q u eo n t o l o g i e

Lacan a prononcé une éthique de lapsychanalyse, il n'a pas prononcé uneontologie de la psychanalyse, et mêmepour des raisons tout à fait essentielles.On peut écrire ce manque S de grand Abarré pour dire que c'est précisémentdans ce manque là, ce manqueontique, que devient nécessaire ladécision, l'acte, la création comme exnihilo, l'invention du savoir, parce queça n'est pas l'acte et que dans cemanque, un engagement estnécessaire. Mais, bien sûr que Lacanappartient là, dans ce registre, à lafilière des penseurs décisionistes, c'est-à-dire qu'il met en valeur le caractère« dans le vide » de la vraie décision, quiva ensuite créer l'espace même où elleva s'inscrire.

Alors, en effet, du coup, on a parléd’éthique, on parle d’éthique et oncomprend l’éthique de l'analyste et, eneffet, il faut que l'analyste soutiennel'inconscient de son désir. D'où, c'estprécisément la désontologisation del'inconscient qui valorise le désir del'analyste, et les analystes adorent ça,maintenant, le désir de l'analyste.

Ils ont adoré ça, c'est que tout ça sepasse parce que nous avons le désir del'analyste. Et la question clinique est : ya-t-il là naissance ou non du désir del'analyste ? C'est-à-dire de soutenir, eneffet, ce qu'il faut de fiction pour quel'inconscient se manifeste de la bonnefaçon. Mais enfin ça, c'est juste, maisça prend souvent la tournure de : enfin,tout ce monde repose sur mon désir !

Il faut l’éthique de l'analysant, il fautqu'il consente, qu’il vienne à son heure,qu’il respecte ce que nous n’appelonspas un contrat mais qui est tout demême une forme de pacte, il faut quevraiment il en veuille, comment vérifierque vraiment il en veut sans qu’il enbave ?

Deuxième registre, l’éthique del'analysant. Mais le plus important c’estle troisième. C’est comme ça queLacan traduisait le manque-à-être enanglais. Je l'a déjà rappelé ici, que letraducteur - si ! si ! - (rires) que letraducteur avait proposé lake of beeing,qui est exact, mais qui est statique etque Lacan avait exigé, je lui avaistransmis un certain nombre despropositions du traducteur comme detraduire super ego en super I, aille,aille, aille ! et Lacan avait refusé le lake of beeing pour exiger la traductionthe want to be qui désigne,« l’inconscient n'est pas, mais il veutêtre quelque chose », comme le peupleselon Sieyès, il veut être quelquechose, c'est-à-dire que l’éthique la plusimportante, c’est l’éthique del'inconscient, c'est le désir del'inconscient d'être, à distinguer du désirinconscient.

Ah ! ça fait une surprise, l’éthique del'inconscient, ça traduit ce qui, entermes freudiens, se parle sous laforme du refoulé et du retour du refoulé.On présente ça à partir de la résistanceet du refoulement comme desoppositions de deux forcesmécaniques, mais c'est une affaire dedésir, c'est que l'inconscient veut être,c’est qu'il est à l'état d'intentioninconsciente et c'est pourquoi vousn'arrivez pas vraiment à le situer ici,vous faite une bipartition concernant

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l’être, oui, non, répondez, cochez lacase ! s'agissant de l'inconscient.

ê t r e

o u i n o n

On vous demande tout le temps ça,on passe des frontières hors del'Europe, hop, tac, tac, masculin,féminin, etc., l'inconscient ;l’inconscient, précisément, ne trouvepas à se loger dans une distributionstatique, l'inconscient, comme Lacan lemet en valeur dans le Séminaire XI,c'est un vouloir être, c'est-à-dire qu'il estpris essentiellement dans unedynamique, il est pris essentiellementdans le passage du virtuel au réel, pourdire ça en termes philosophiques.

Et c'est pourquoi l'inconscient atoujours été finalement saisi par Lacan,parce que c'est un réaliste, et dans cetordre d’idée les vrais réalistes sont lesphénoménistes, ceux qui regardent cequi se passe d'abord, uneproblématique de réalisation.

Et c'est pourquoi Lacan peut dire :l'inconscient c'est foncièrement du non-réalisé qui veut se réaliser, et d’où cetteinversion fondamentale, alors que pourFreud la référence fondamentale del’inconscient, c’est le passé, laréférence de l'inconscient pour Lacan,c’est le futur.

Et c'est là chez Lacan dès le début,c’est là dès le premier chapitre de« Fonction et champ de la parole et dulangage », où il y a l'expression dans letitre de cette première partie « Laréalisation psychanalytique du sujet ».Et c'est d'ailleurs dans ce chapitre que,pour la première fois, il explique larétroaction temporelle.

Alors bien sûr, ça décoiffe ça, çadécoiffe parce que est-ce que laréalisation de l'inconscient comme« virtuel », entre guillemets, est-ce quesa réalisation est unique, est-ce qu’elleest nécessairement unique, ou est-cequ’il y a une marge où l’inconscientpeut se réaliser comme ci ou comme

ça, mais bien sûr qu’on prend, auniveau de la pratique, tout le temps çacomme ça, puisque qu’on se demandecomment on dirige la cure, par ici, parlà, c'est bien qu’on pense qu’à la dirigerpar ici ou par là, on va induire, inciterl'inconscient à se réaliser comme ci oucomme ça à réaliser son intentionencore virtuelle sous cette forme ouune autre, c’est pour ça qu’à l'occasion,c’est le sujet que nos collègues deMadrid veulent prendre pour uncolloque prochain, à l'occasion, ils ontmis Volver a s’analysas (à vérifier),revenir à s’analyser.

Ce qui inspire c'est que, peut-être,avec un autre, ça va se réaliser d’uneautre façon ; donc ce n'est pas lesspéculations, qu’on introduit là sur lavirtualité, là, nous serrons quelquechose avec quoi nous sommes auxprises tous les jours.

Et là, l'image que j'avais introduite àpartir de l'induction que m’en avaitdonnée Palomera sur le bricoleur, c'estbien ça, le bricoleur accumule uncertain trésor et puis il est disponiblepour telle ou telle réalisation où cetrésor va être mis à telle ou telle fin.C'est comme avec le lego, une fois quevous avez fait une réalisation avec lelego vous redéfaite le lego, vous lerangez dans sa boîte et puis après,avec les mêmes éléments, vous allezles monter autrement.

C'est donc pensable au moins, je nedit pas que c’est le comble de laspéculation conceptuelle, l’exemple dulego mais enfin oui, c’est ça lesbricoleurs, le bricolage à la dispositionde tous. Et là, on voit la marge qu'il y aentre le non-réalisé et puis laréalisation.

On peut dire que c'est dans cettedynamique là que finalementl'inconscient se réalise, et que c’est paraprès qu'il est reprojeté comme ayantété déjà là par ce que Bergson appelaitun mouvement rétroactif, rétrograde duvrai, dont j’ai parlé aussi jadis.

On peut dire que c'est par cette voieque se réalise le savoir inconscient, etdonnons lui sa formule : là où c'était lesujet, le S du sujet, advient le savoir.

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Il faut S barré, donnons au S lavaleur de sujet, comme il est arrivé àLacan de la faire, soll ich werden,donnons au ich sa valeur de savoir. Ah !non ! là vous exagérez, me rétorquecelui qui me dérange ; mais pas dutout ! allez voir au chapitre IV, page 45du Séminaire XI, Lacan ditexplicitement que le ich, c'est le lieu duréseau des signifiants, ah ! c'est-à-direque dans le Séminaire XI, il donne cettevaleur au ich, précisément, d'être leréseau constitué du signifiant, c'est-à-dire que l'opération analytique, c’est depasser de l'inconscient comme sujet àl'inconscient comme savoir, à un savoirqui est fait à partir du sujet et desévénements de sujet, un savoir, commedit Lacan, qui se manifeste dans laméprise du sujet. Chaque fois que vousvous gourez, ça fait un savoir, c’estchaque fois que vous vous gourez quevous avez dix sur dix en analyse, qu’onvous félicite chaudement !

Eh bien, c'est là le paradoxe, et c'estça sur quoi Lacan met l’accent, et c’estau plus proche de ce qui a lieu, il fautvraiment qu’on ait des piles de thèsessur les yeux pour se les appliquer, pourqu'on ne saisisse pas à quel point çadécrit ce qui a lieu, ce que nousfaisons.

Alors dans ce texte, on saisit ce quec'est que le statut éthique del'inconscient, ça veut dire en effet quel'inconscient est relatif, il est relatif audésir de l'analyste, qu'il est relatif audésir de l'analysant et il est relatif dansla mesure où il peut se réaliser commesavoir plutôt comme ci ou plutôt commeça ; tant qu’il n’est pas réalisé, il est ensuspension, il est indéterminé, mais ilest aussi sujet à un désir de se réaliser.

Objection ! objection ! l’objectionfreudienne. Mais qu'est-ce que c'estque cette histoire là ? L'actioncompulsive, démontre qu'il y a descontraintes qui sont inscrites etprogrammées, qu’on n’en fait pas à satête, qu'il y a les lapsus et tous ça, quec'est l'écume des jours, comme dit PaulValéry, mais que ce qu'il y a de dur etqui ne peut pas changer, c'est ceprogramme inscrit.

Ouh ! ! Ne montez pas sur vosgrands chevaux, c’est précisémentpourquoi Lacan, après nous avoirprésenté l'inconscient comme sujet,nous amène le concept de répétition,c’est pourquoi en deux il traite duconcept de répétition.

Freud, avec son histoired'hypothèse nous dit : la constatationde la répétition - au fond toujourssignifiante - qu’on force à poserl'inconscient comme quelque choseréel, etwas Real, mais Lacan ne pensepas qu’il n’y a jamais d’effet, desdonnées, un ensemble de signifiants,qui obligent à inférer cela. L'inférence,la conclusion, c’est toujours une affairede désir, moi je m’épuise avec certainsde nos collègues italien à leur faireadmettre que deux plus deux ça faitquatre et que quand quelqu'un écrit cequ'elle écrit, eh bien ça veut dire ça, ehbine non, on peut accumuler toutes lesdémonstrations ; - pas du tout, - maisenfin vous l’avez écrit quand même ! -Ah, non ! ?, je vous adore.

C'est comme la tortue de LéwisCarol, la tortue qui demande toujoursune règle supplémentaire pour pouvoiradmettre la déduction, c'est imbattableparce qu’il y a S de grand A barré. Çase dit en bon français : on ne fait pasboire l’âne qui ne veut pas boire. Çaveut dire quoi ça ? C’est-à-dire que leprofesseur Freud, quand il nous dit :voilà la liste des faits qui font qu’oninfère ceci, non Professeur ! enfin, non !même pour dire deux plus deux égalquatre, il y a un hiatus. Il faut uneextrême bonne volonté pour admettreque deux plus deux fasse quatre et,comme l’a bien démontré le cardinalNewman qui, lui, avait saisi qu'il fallaitcontinuer de faire exister Dieu au tempsde la logique mathématique et desordinateurs, etc., il y a un hiatus àsauter, il y a S de grand A barré et sonabîme avant d’inférer.

C'est pourquoi Lacan parle d'éthiquelà, l’éthique, c’est ce qui permet mêmede conclure le moindre raisonnement etc'est pourquoi Lacan souligne dans leSéminaire XI que Freud ne met pas enévidence - justement parce qu'il estscientiste - son propre courage éthique

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à poser l'inconscient, page 35 duSéminaire : « Si je formule ici, ditLacan, que le statut de l’inconscient estéthique, non point ontique, c'estprécisément parce que Freud, lui, nemet pas cela en avant quand il donneson statut à l'inconscient. » Et bien sûrqu’il ne met pas cela en avant, il met enavant la déduction logique au sensscientiste qui ne permettrait pas qu'ondise autre chose. Tandis que Lacan :« Et ce que j'ai dit de la soif de la véritéqui l’anime est une simple indication surla trace des approches qui nouspermettront de nous demander où fut lapassion de Freud. »

Ça, ça introduit précisément la placede l'éthique dans le vide de S de grandA barré et ça se confirme de ce queLacan dit page 40 : « C'est à partir de laréduction à de purs signifiants que peutapparaître, dit Freud, un moment deconclure », et Lacan, là, réintroduitdans le moment de conclure, même ilréintroduit la place de l’éthique, qu’il n’ya pas de moment de conclure sanscette exigence éthique, la fin del'analyse, ça n’arrive pas à un moment,hop ! on a le ticket de sortie, il faut levouloir de la bonne façon, il faut que ledésir y soit et c'est ce que souligneLacan : « un moment de conclure : unmoment où il se sent le courage dejuger et de conclure. » C’est là ce quifait partie de ce que j’ai appelé sontémoignage éthique et ça c’est lacontestation de la justification duconcept de l'inconscient au sens deFreud, où ce serait purement objectif.Lacan rappelle que ça s’inscrit au lieude S de grand A barré, qu'il y a là unabîme, qui sollicite la décision.

Alors Freud, justement, il a lecourage de conclure, qu’est-ce quec’est là, conclure, c’est élaborer, deconclure qu’il y a « l'inconscient estquelque chose de réel », au sens de lascience, ça veut dire qu'il élabore larépétition comme le répondant ontiquedu phénomène de l'inconscient.

C'est-à-dire qu'on passe del'inconscient c’est l'évasif, c'est lefugace, c'est l'imprévisible, on passe austatut de l'inconscient comme quelquechose qui se répète, que met en

évidence, en effet, l'action compulsive,ce qui nous fait apercevoir que larépétition, c'est une élaboration desavoir à partir du phénomèneinconscient et qu'en effet, ça seprésente sous deux faces, l’inconscient,ça se présente sous sa face surmoi, surla face surmoi l'inconscient est désignéen tant que des formules inscrites etprogrammant le sujet. Eh puis il y a laface sujet-supposé-savoir, et c’en estune autre. Simplement la face larépétition, la face savoir, la face surmoi,s'élaborent pratiquement à partir de laface sujet-supposé-savoir.

Ah ! mais c’est pas penserl'inconscient sujet en même temps quela répétition, c'est coton, c'est cotonparce que d’un côté l'inconscient astatut seulement de supposition, et quela question se pose de savoir sil'inconscient ne serait pas du semblant,hors discours éphémère.

Et, d'ailleurs, veuillez noter que dans« La proposition de 1967 », tête deréférence, Lacan dit : « Le sujet-supposé-savoir n'est pas réel. » Et, eneffet, il lui donne le statut d'un effet desens, à partir du moment où on raconteses symptômes à l'analyste, on sedemande ce que ça veut dire. Et par làmême, il y a un effet de significationspécial, un effet de signification quequelque part ça se saurait.

Mais cet effet-là, Lacan dit : ça n'estpas réel. En même temps d'ailleurs,vous remarquerez que du transfert ildit : c’est la mise en acte de la réalitéde l'inconscient. Donc d’un côté laquestion se pose, si le sujet-supposé-savoir n'est pas réel est-ce que ça neserait pas du semblant ? Et d'ailleurs,les effets de vérité sont toujours parentsde la tromperie, sont toujoursmomentanés, l'inconscient peuts’exercer dans le sens de la tromperie.Eh c’est à ça d'ailleurs que s’arrêtent,en croyant avoir fait ce qu'il fallait, lespostmodernes ; eh oui quel'interprétation est toujours arbitraire ! ettout ça est affaire de convention ! voirede convention appuyée sur despouvoirs et sur des intérêts !

Mais, deuxièmement, l'inconscientn'a pas statut de semblant.

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L'inconscient en tant que lié à larépétition qu'on en élabore est affairede réel, vise un noyau de réel, nonassimilable, dont le modèle est letrauma, de telle sorte que la répétitionest conceptualisable comme larépétition de l’évitement d’un noyau deréel.

Et, au fond, c’est le schémafondamental qu'avance Lacan dans leSéminaire XI et qui se retrouveexactement semblable s’agissant de lapulsion.

Alors, la répétition d’un évitementc’est-à-dire c’est la réalité psychique quiest là en souffrance et qui attend. Si onpense l’inconscient avec la répétition,alors le transfert c'est, en effet, la miseen acte d'une réalité, ça n'est pas lamise en acte d'une illusion.

Et la pulsion, qui est un automatonlibidinal, où dont le battement du sujeten ouverture et fermeture reproduit lastructure, la pulsion obéit aussi à cettestructure que j’ai écrite au tableau, àsavoir elle ne se satisfait d'aucun autreobjet que de suivre sa trajectoire.

Alors, l'inconscient comme sujetnous oblige à penser une temporalitéqui est certainement fort différente de latemporalité de la répétition.

La temporalité de la répétition, c'estune temporalité toujours de la premièrefois. Quand on met l’accent sur larépétition, c'est précisément sur le faitque le fait que ça se répète ne modifiepas ce qui se répète. Ce n'est pas del'ordre vous l’avez déjà fait, vous l’avezdéjà dit alors passez à autre chose. Larépétition, précisément, ne cumule pasles unités qui se répètent, on est àchaque fois comme à la première fois etaucune n’est modifiée par la série quil’a précédée, il n'y a pas de liaisonentre ce qui se répète.

Et donc, on pourrait dire l'inconscientsujet, eh bien il apparaît il disparaît,

c'est une temporalité de répétition, çan'est que d'apparence. C'est qu'aucontraire, le propre de l'opérationanalytique est de faire que les effets desujet qui apparaissent et disparaissent,en même temps s’accumulent sousforme de savoir. Et c'est la valeur de laformule que Lacan propose du sujet-supposé-savoir sous la barre, lasignification de sujet et dans laparenthèse, les signifiants supposésdéjà là.

s ( S , S . . . S ) 1 2 n

s { )

C'est à saisir sous cette forme, quece qui apparaît comme effet de sujet sedépose et s’accumule comme savoir. Etc'est précisément ce qui ne se produitpas dans la répétition où on est commeà chaque fois la première fois et, encela, la répétition c'est justementl'annulation du temps, c’est par le sujet-supposé-savoir que s’introduit lafonction temps dans l'inconscient. Cetinconscient qu’on pense d’ordinairepassé comme une mémoire, un passécertes actif dans le présent et dans letransfert on considère que c'est lepassé présentifié qui est mis en acte.Tandis que dans la perspective dusujet-supposé-savoir, il saisit d'abord dufutur. Il s'agit de la dynamique de laréalisation d'un inconscient soutenu parun désir et tendu vers un moment deconclure qui ne sera jamaisautomatique et que Lacan appelle lapasse.

L’inconscient sujet, l'inconscient àdéterminer, l'inconscient virtuel, ne seréalise pas, il ne peut pas se réaliser, sije puis dire, d'un seul coup, il se réaliseun par un sous forme signifiante, et leréseau s'étend, et pour ça il faut letemps.

Et c'est là que s'inscrit la séanceanalytique. Lacan, dans une note desÉcrits, de 1966, page 328 de l'éditionfrançaise, indique bien que le transfert,c'est l’immixtion du temps de savoir.

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Il parle de l’immixtion ; précisément,l'inconscient de la répétition, c'est uninconscient intemporel, ouomnitemporel, tandis que le transferttraduit l’immixtion du temps dans lesavoir et l'introduction d’un quelquechose qui s'appellera, chez Lacan,temps logique, qui est le temps logiquede la cure, qui est le temps d’unedémonstration de réel.

Cette démonstration de réel, elleoblige évidemment à réviser le statut deréel. On s’imagine que le réel estseulement en connexion avec lenécessaire, avec la modalité dunécessaire, c'est-à-dire avec lapermanence des lois auxquelles on nepeut pas ne pas obéir, type surmoi.

Lacan nous a montré la connexiondu réel et de l'impossible, de ce qui estprécisément impossible à symboliser.Mais, aussi bien, à ne pas reculerdevant la connexion du réel et de lacontingence. Et c'est précisément ceque comporte la doctrine du sujet-supposé-savoir, c'est que l'expérienceanalytique, si elle donne accès à unréel, ne le fait que par la voie de lacontingence. C'est la contingence dutransfert, aussi bien que la contingencedes manifestations symptomatiques del'inconscient et c'est aussi lacontingence de l’élucubration de savoir.

Le désir lacanien dans lapsychanalyse, parce que l’orientationlacanienne, on pourrait s'imaginer quec’est là, c’est sur une carte, est-cequ’on passe par ci ou par ce côté,l'orientation lacanienne ; c'est le résultatd'un désir lacanien, dans lapsychanalyse. Et le désir lacanien, c’estque l’expérience analytique soitconclusive, démonstrative, qu'elledémontre un réel, c'est-à-dire de fairesortir de la contingence même, qui estla condition de l'expérience analytique,en faire sortir la démonstration d’unréel. Eh bien si c’est pas soutenu parun désir, ça, de sortir de la contingenceune démonstration de réel, ça ne seproduit pas. La contingence, c’est que,précisément par le sujet-supposé-savoir, l'inconscient cesse de ne pass’écrire, c'est que le refoulement estlevé, ça cesse d’être refoulé, dans la

psychanalyse, on gagne sur lerefoulement, on gagne sur ce qui nes'écrit pas, en arrive à écrire.

C'est justement ce qui permet demettre en évidence ce qui ne cesse pasde ne pas s’écrire, justement parcequ'on arrive à gagner contre lerefoulement, il devient patent qu'il y aquelque chose qui ne cesse pas de nepas s’écrire et qu'on n’arrive pas à lefaire revenir et c’est que Lacan aappelé le rapport sexuel.

C'est justement, dans l’expérienceanalytique, où on arrive à lever lerefoulement, que là on tombe surquelque chose qui ne revient jamais, às’écrire. Et ça c’est le réel, c’est del'impossible.

Alors, le déchiffrage, la lecture del'inconscient est de l'ordre ducontingent. Par le discours analytique,l’inconscient est fait exister comme réel,tandis que le réel dont l'inconscientatteste, c’est un impossible qui necesse pas de ne pas s’écrire.

Il reste le possible, qui est toujours lepauvre du lot, le possible, celui quicesse de s'écrire. Ce qui cesse des’écrire, c'est ce qui est refoulé. Etprécisément, ce qui hante lespsychanalystes à propos du discoursanalytique lui-même, c'est qu'il cessede s'écrire.

D'où l'importance, pour le siècleprochain, dont nous saluons par avancel'arrivée parmi nous, ou notre arrivéeparmi lui, pour le siècle prochain, ildépend d’un désir lacanien, que lediscours analytique ne cesse pas des'écrire. Voilà, au siècle prochain !

Applaudissements.

Fin du Cours de Jacques-Alain Millerdu 15 décembre 1999

Cours n° 5

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LES US DU LAPS

Jacques-Alain Miller

Sixième séance du Cours

(mercredi 12 janvier 2000)

VI

Étant donné l’heure où j’arrive, jen’admettrais aucun ricanement. Je suisresté bloqué dans l'ascenseur (rires),non ce n’est pas vrai (rires). Je suisresté bloqué, comme d'habitude, dansl'ascenseur à idées. Plus ça change,plus c’est la même chose.

Le temps passe, il faut avancer, plusune seconde à perdre. C'est lasignification majeure qui s’attache pourmoi au franchissement de la coupuresignifiante, la coupure symbolique, quia fait qu’une nuit, que tous ceux quisont ici ont vécu, qui a fait qu’une nuit aabrité le passage de l'humanité,l'humanité mondialisée, la partie del'humanité qui est mondialisée, d'unmillénaire à l'autre.

Et nous voici pour la première fois àparler en hommes du 21° siècle. Ahc’est tout à fait différent ! Et puis ça al’air d'une plaisanterie : être un hommedu 21° siècle. Car ça fait très longtempsque le 21° siècle, c’est l'avenir, ça faitdeux mille ans et davantage que c’estl'avenir alors que ça n’est le présentque depuis une petite quinzaine, mêmepas. On ne s'est pas encore fait à êtredes hommes et des femmes du 21°siècle.

Le 21° siècle a toujours été, jusqu'àprésent, le temps de la science-fiction,importante branche de la littérature quis'est épanouie jadis, au XX° siècle.

Alors la plaisanterie, c'est aussi qu'àla place de la catastrophetechnologique annoncée, et qui a causétant de dépenses, nous avons eu ici enFrance, en France entre toutes les

nations, une bonne vieille catastrophenaturelle. Nous n'avons pas eu le bug,nous avons eu la tempête, le cyclone,l’ouragan, qui a dévasté comme jamaisla douce France.

Et on se demande d’ailleurs,puisqu’on s'inquiète de la disparition dela France dans la mondialisation, si laFrance ne risque pas tout simplementde disparaître par l'effet decatastrophes naturelles. Pour être àl’abri, il faudrait aller en Amériquecentrale ! Bref, ce ne sont pas lesordinateurs qui se sont arrêtés, ce sontles arbres qui sont tombés. Pour unesurprise ça été une surprise. On a faitça à l'ancienne.

En même temps, elle n'était pas sinaturelle que ça, cette catastrophe, à yregarder de plus près et on peutsoupçonner que les changements duclimat sont trop prononcés pour qu'onne pense pas qu’il y ait là-dessous leréchauffement de la banquise,conséquence de nos excès qui ontproduit l'effet de serre.

Et donc, peut-être que nouscommençons, hommes du 21° siècle, atoucher les dividendes du discours dela science et de la quantité incroyablede machines, d'appareils, de gadgets,que le discours de la science a permisde déverser sur le monde.

Alors, ayons une petit pensée pourl’impudence de Descartes d’avoir voulumaître et possesseurs de la nature,c'est-à-dire d'avoir d'emblée prescritque le discours de la science serve auxfinalités du discours du maître, d'avoird'emblée programmé que le résultat, leproduit du discours de la science, lesavoir scientifique, soit mis au travail auservice du discours du maître.

Et comme on pouvait le savoir enlisant, en déchiffrant, les mathèmes deLacan, ça produit quelque chose debizarre, qui s'appelle petit a, petit a quiest l’objet gadget mais qui est aussil'objet catastrophe et qui est aussil'événement imprévu. Nous avons étéau spectacle de ce qui est l’événementimprévu.

D'ailleurs nous avons tout eu, nousavons eu l'événement prévu etl'événement imprévu, nous avons eu

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l'événement sage et nous avons eul'événement sauvage. Nous avons eu lefranchissement du millénaire, qui s'estproduit, je ne sais pas si vous avezremarqué, exactement à l’heure dite(rires), exactement quand il étaitattendu, bon ! la Tour Eiffel s'est éteinte,le compte à rebours, ça n'a pasempêché que le millénaire a progresséjusqu'à sa fin ultime, pas une seconden’a manqué et le nouveau aussitôt apris la suite, il y a eu un passage derelais d'un millénaire à l'autre qui estabsolument fascinant par sa perfection.

C'est très compliqué de passer d'unmillénaire à l'autre, et puis nous avonseu l'événement imprévu, cetteformidable tempête qui a été déchaînéespécialement sur la France, quepersonne n'attendait et qui ne s'estannoncée que quelques heures avantde se produire. Et on a pu me faire lerécit terrifiant, fascinant, d'arbrestombant sur le côté d'une voiture, avecles feuilles effleurant le visage de laconductrice assez valide pour leraconter et à deux doigts elle y passait.En effet, c'est saisissant commeimprévu.

Eh bien là-dessus après cesréflexions de divertissement, neperdons pas une seconde pour fixernotre cap sur la séance analytique.

Donc j'ai écrit la séance analytique,mais il s'est produit quelque chosed’imprévu, c’est-à-dire quand je suisarrivé à la fin de ma première page denotes, je me suis lancé dans unexcursus, que je vous livrerai aussibien, qui se rattache au sujet.

Alors la séance analytique. Nousl'abordons, si vous voulez bien voussouvenir ce que j’ai pu dire l'autresiècle, (hein c'est drôle finalement, c'estla première fois qu’on a l’occasion dedire ça), nous l’abordons à partir de lanotion d'un inconscient désontologiséc'est-à-dire, en bon français, uninconscient, ne disons pas qu’il n’estpas un étant - en français, en françaisqu'on parle, un étant ça s’écrit avec un« g » à la fin, ça évoquerait la mare auxcanards - un inconscient qui n'est pas

un être, qui est du non-réalisé et doncqui a à se réaliser.

C'est ce que devrait dire le non-analysé : j'ai un inconscient qui n'estpas réalisé, ou vais-je réaliser moninconscient ? Avec qui ? Qui m’aidera àréaliser mon inconscient ? Etl'analysant : je suis en train de réalisermon inconscient, je suis à la tâche deréaliser mon inconscient.

Cette définition, ce biais pourintroduire l’inconscient, qui est le biaisde Lacan, avec son sujet-supposé-savoir, fait, si nous choisissons ce biaispour aborder la séance analytique, dontil importe que ce ne soit pas un biaisentre autres, dont j’ai le sentiment quec'est le bon biais, pour nous, ce biaisfait donc qu'il s'agit moins, dans laséance analytique et dans leur série, -ah ! impossible d’échapper au thème etau mot de série, quand on parle de laséance analytique. Évidemment onpourrait dire la séance analytique, uneseule, ma séance analytique, j'en ai euune, je suis parti aussitôt pour ne plusjamais revenir. Ça peut s'imaginer,d'ailleurs on offert des thérapies, on ainventé une forme de thérapie dont jene connais pas le destin, dont on parlaitil y a quelques années, la thérapie àséance unique, bien préparée et puisse déroulant sur une journée, réglantl'essentiel, les réglages qu’on peutopérer dans cette durée, il aurait étéintéressant d’en avoir des compte-rendus, mais enfin, hormis ce cas, lethème de la séance analytique introduitcelui de la série et donc, dans la sériedes séances analytique si on prend lebiais que j'ai dit, il s'agit moins depasser du passé et de la remémoration,que du futur et que de la réalisation.Freud a eu le passé et la remémoration,Lacan a eu le futur et la réalisation.

Et dire Freud peint la séanceanalytique telle qu’elle devrait être etLacan telle qu’elle est. C'est du dit dequelqu'un qui est dans siècle déjà plusreculé maintenant qu’avant, le XVII°, àsavoir La Bruyère.

Il s'agit que l'inconscient se réalisecomme savoir, c'est ce que j’ai dis jadis,

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et il ne se réalise pas comme savoird'un seul coup, c'est-à-dire qu'il tombesous le coup du « faut le temps ». Etc'est là que vous donnez non pasadvantis, mais essentiel et qui ruine leconcept même de l'analyse à la séanceunique.

Et c'est à partir de là que s’inscrit lesujet-supposé, de Lacan, pour autantqu’avant que d'être savoir réalisé,l'inconscient est savoir supposé. Quandon distribue les éléments en jeu de tellesorte qu’on est amené à parler de laréalisation de l'inconscient, et au fondLacan parle de réalisation d'emblée,dès « Fonction et champ de la parole etdu langage », c'est un terme essentiel,dès qu'on parle de réalisation il fautbien donner un statut à ce qu'il y avaitavant, et c'est à quoi répond le conceptde savoir supposé.

Alors, évidemment, par un autrebiais, bien entendu on peut dire il est là,il opère, il gouverne la vie en effet,l'inconscient, comme maître,l'inconscient qui programme, il est déjàlà, mais l'inconscient en tant qu'il sedéchiffre et qu'il a à se réaliser commesavoir déchiffré, au départ il n'est paslà, au départ, il n’est que supposé.

Et c'est à partir de là que nouspouvons désigner la trajectoire d’uneanalyse, pour aller pas à pas, c’est àpartir de là que nous pouvons faire del'analyse une trajectoire, c'est-à-dire unchemin qui va d'un point à un autre, etpuis désigner cette trajectoire commeallant de la supposition à la réalisation,avec la question afférente, à quelmoment la supposition bascule dans laréalisation et se trouve en quelquesorte aspirée dans la réalisation et dansle réalisé, quelles compétitions dansl'analyse entre supposition et réalisationetc.

Je peux redire ce que j'ai dit ladernière fois, puisque l'autre siècle c'estaussi la dernière fois, que ce qu'onappelle le dispositif analytique, c’est cequi permet de mettre au travail leseffets de sujet, les trébuchements, leslacunes, les discontinuités que, depuisFreud nous avons appris à isoler, et

que depuis Lacan nous avons à appelerdes effets de sujet.

Alors, bien entendu, les effets desujet, existent hors de l'analyse. Laquestion est du dispositif qui permet deles mettre au travail, parce que nullepart ailleurs les effets de sujet ne sontau travail.

Les effets de sujet paraissent, avecles deux orthographes, ne sont pas entant que tels produits par l'analyse, çan’est pas les artefacts, bien sûr ils sontd’une espèce spéciale quand ilsapparaissent dans l'espace et le tempsde l'analyse, dans le laps de l'analyse,mais ils existent en dehors et ilsexistent même en dehors avec unevaleur de vérité, à l'occasion et même,bien plus avec une valeur de vérité quedans l'analyse. C'est spécialement lecas si on suit Lacan, quand les effetsde sujet se manifestent dans le cadredu discours du maître. Dans le cas dudiscours du maître, les effets de sujetapparaissent à la place de la vérité. Etc’est d'ailleurs à ce registre que Freudemprunte son exemple fameux dulapsus du président, qui ferme laséance au lieu de l'ouvrir et tout lemonde, depuis Freud, mais sans douteavant, de s’esclaffer que le présidentvient de révéler de révéler son vœu, àsavoir de quitter en vitesse cetteséance etc. pour se retrouverconfortable chez lui.

Cette place, ces effets de sujet enplace de vérité, on les avait en untemps où on avait le sens des places,précisément, on les avait assignés à unpersonnage tout à fait essentiel au lieumême où le pouvoir se personnifie,indispensable d'avoir son fou à côté,son bouffon, préposé, en effet, àexpliciter les effets de sujet et à direleurs quatre vérités à tous lespersonnages peuplant les sphèresélevées de la maîtrise.

Lacan signale le rôle distingué dubouffon pour situer un rapport classiqueà la vérité, et qui devient d'autant plusmanifeste qu’on s'approche plus prèsdu signifiant maître, que plus le S1

rayonne dans sa gloire et plus pousse

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par en dessous, et autant lui donner saplace, la vérité qui se moque et c'estpourquoi quand les choses tenaientbien leur place, on disposait un tempsdonné à un moment pour le carnaval,où, enfin, les choses pouvaient être,pendant un laps de temps, sans dessusdessous. On n’a plus le sens ducarnaval parce que, pour nous, tout estsans dessus dessous tout le temps.

Donc, pendant un petit moment, onlaisse quelques étudiants ahurisenvoyer de la farine sur les passants,voilà ce qui nous reste, voilà le résiduque nous avons d’une fonctionéminente qui a été celle du carnaval etqui a inspiré profondément les artistes,parce que c'était, en effet, l'expressiond'une dimension qu'on peut direordinairement refoulée par l'ordrehiérarchique. Cet ordre hiérarchique fortheureusement, par un autre côté, setrouvait subverti jusqu'à cette splendideégalité du marché dans laquelle noussommes appelés à nous déployer aucours du siècle qui est maintenant lenôtre.

Laissons le discours du maître et leseffets de sujet qui y ont leur place.Dans le discours de l’hystérique, c’estça qui m'a amené à un petit excursus,les effets de sujet sont là, bien sûr, etmême ça va loin. Les effets de sujet, sion suit Lacan, commandent, sont à laplace du signifiant maître.

C’est ça, l’hystérique qui fait lemaître ! mais enfin il y a plus à dire là-dessus et c’est ce qu'exprimaitd'ailleurs pas plus tard qu’hier, un sujetobsessionnel sous une forme qui m'aparu, dans sa simplicité, empreinte d'unspécial bien dire. Il désignait lespartenaires féminins qui lui étaientéchus au cours de son existence, il lescaractérisait de la façon suivante : desfemmes folles et qui veulent, quiveulent, qui veulent !

J'ai trouvé ça très éclairant. Il y a euune petite retombée après, parce qu'il aajouté : qui veulent, qui veulent - moij'étais déjà transporté – et il a ajouté :elles ne savent pas quoi ! Ça, ça m'aparu moins bien (rires), et c'est là

dessus que je me suis un petit peu tropétendu sans doute, mais enfin… C'estune retombée, premièrement, là je nevais pas développer, je vous dirai maconviction, parce que c'est d'abord lui-même qui ne sait pas ce qu'ellesveulent, c'est trop commode de direelles savent pas quoi, lui ne sait pasquoi ! ne sait pas quoi elles veulent.

Cette forme immédiatementagressive et misogyne, c’est uneprojection. Alors deuxièmement, ellesaussi elles ne savent pas, on a touteraison de le supposer, mais d'abord il ya quelque chose qu'elles savent quandmême très bien, dans ce non-savoir là,ce qu’elles savent très bien, et tous lestémoignages de ce sujet convergent,elles savent très bien qu'elles veulent lefaire tourner en bourrique, en voulantvoulant voulant !

Et c'est ce qui fait que cellesauxquelles il se trouve qu'il arégulièrement affaire sont, je dirais,savamment incohérentes.

D'ailleurs, au cours de ces soi-disantvacances d’hiver, j'ai repris un certainnombre de documents aujourd'huihistoriques, pour les ranger, concernantles malaises et les crises qui ont agitéce conglomérat bizarre qui s'appellel'Association Mondiale dePsychanalyse. Ce qui m'a surtoutfrappé, c’est comment moi-même et uncertain nombre d'autres, nous étionséperdus devant les incohérences qu'onnous présentait. On voit d'un côté unebelle logique imparable, qu'on pourraitmême dire inflexible, mais éperdueparce que confrontée à une splendideincohérence.

Je me moque pas de ce patient sansétendre cette moquerie à laconfrontation générale des espritslogiques avec ce que suscite,évidemment, la confrontation avec, nonpas le n’importe quoi, maisl’incohérence.

Troisièmement, en fait, il croit savoirce qu’elles veulent, il croit savoirqu’elles veulent qu’il leur fasse,comment dire, le rite du Phénix. Mais ilest désorienté que ce ne soit pas ça,

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alors que c'est ça, mais le phallus dontil s'agit n'est précisément pas celui qu'ilcroit, alors on dira : bien sûr ce n’estpas l'organe qui marche ou pas, etd'ailleurs chez ce monsieur il marcheplutôt bien, on dira : c’est le phallussymbolique, non, non ! car le phallussymbolique est le sceptre, à savoir unvulgaire signifiant maître, l’insigne de lamaîtrise, celui qui fait tourner leschoses, c'est le bâton blanc de M.l'agent.

Et d'ailleurs Lacan met le signifiantmaître à la place de l'agent, à la placedu flic. Je précise à toutes fins utilesque flic n'est pas une injure, c'est unedésignation argotique. J’ai aussi eul'occasion de me pencher pendant cesvacances sur le Dalloz concernantl’injure, la diffamation, etc., subtilitéextrême, eh bien la jurisprudenceindique que si vous appelez - je nevous conseille pas de le faire - si vousappelez un agent de police flic sansajouter aucun autre qualificatifdésobligeant à côté, pas mort aux flics,etc, non, mais si vous dites flic toutsimplement, il ne doit pas considérer çacomme une injure. Il y a unejurisprudence de la Cour de Cassationqui le confirme. On est content desavoir ça.

Donc le signifiant maître est à laplace du flic. Et ce n'est quand mêmepas celui-la, le phallus qui intéresse lesujet hystérique, où c’est précisémentchez celui-la, qui a le bâton blanc, cequi l’intéresse, ce n’est pas le phallusbâton blanc, c'est le phallus qui est aucontraire le signe de la non maîtrise del'Autre. Ce qui intéresse le sujet, je dishystérique, mais enfin tout sujet esthystérique par sa phase la plusprofonde selon Lacan, c'est le signe dela non maîtrise de l’Autre, c’est-à-direl’irrépressible, c'est-à-dire l'imprévu,c'est-à-dire ce qui est supplémentaire,et précisément qui dérange l'ordre, quidérange les dispositifs, donc c'est lephallus comme effet de sujet.

Et donc, si c’est ça, elles veulent cequi ne peut pas se demander ou qui ne

peut se demander qu’en l’appelant,avec beaucoup d'équivoques : l'amour.

Alors qu'est-ce qu'on appelleamour ? Depuis Lacan, on appelleamour ce qui n'est pas du registre del'avoir, alors on peut dire alors c'est duregistre de l’être.

Mais est-ce que c’est là exact ? Moije dirais c’est l'amour réel, celui qui visedans l'Autre ce qu'il est comme objetpetit a. Alors est-ce que c’est son êtreça, Lacan a pu employer l’expression,mais c'est plutôt son réel, c'est-à-direce qui est bien fait en l'Autre plutôt poursusciter le dégoût, ou pour susciterl'horreur, ou pour susciter la haine. Etce qui fait le miracle - dans cette affaired’amour, on évoque le miracle, c'est leterme même de Lacan à ce propos - cequi fait le miracle de l’événement-amour, car l'amour est un événement,c'est ce que veut dire de l’inscrire auregistre de la contingence, ce qui fait lemiracle de l'événement-amour c'est quece réel là, de l'Autre, au lieu de susciterle dégoût, l’horreur, la haine suscitel'amour.

Évidemment c'est un autre amourque l'amour sur l’axe symbolique, c'estun autre amour que l'amour imaginaireou narcissique, c'est cette troisièmeforme singulière de l'amour que Lacana été conduit à approcher, cerner, dansson Séminaire Encore et la suite.

Et c'est ainsi, pour ma part, quej'approche l’expression singulière, trèssingulière, qui était venu à un analystede l'école, comme on les appelle, pourne pas le nommer Virginio Baio quiparlait de l'amour du réel.

Et c'est une expression si singulièrequ'elle m'avait d'emblée retenu et quedans un premier temps j'avais laissé àsa singularité, à lui Virginio Baio,j’avais trouvé ça formidable et j’avaisdis c’est Baio qui dit ça, pour lui c'estcomme ça.

Mais il me semble, maintenant, quece dit de Baio, surgit de la fin de sonanalyse, authentifiée autant qu'elle peutl’être dans les formes, éclaire ce qu'ilen est de l'amour, que si l’amour n’estpas l'amour du réel de l'Autre, du réel

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dans l’Autre, et bien c'est l'amournarcissique, c’est l'amour symbolique,l'amour du symbole qui protége, et çan'est pas le comble aux confins oùl'amour voisine avec l'horreur et lahaine.

Et il me semble que c'estprécisément pourquoi Lacan peut diredans son Séminaire Encore à la fin duchapitre de la « Lettre d'Amour », page82, c'est précisément pourquoi il peutdire que : « plus l’homme se confondavec Dieu moins il aime » ; exactementil dit : plus il peut prêter à la femme laconfusion avec Dieu moins il hait (jetranscrit h-a-i-t), moins il est (e-s-t) etmoins il aime. »

Ça s'éclaire, cette parole après toutmystérieuse, si on fait surgir le termequi s’oppose, si l’on dit plus il prête àconfusion avec l'objet petit a commeréel, et plus il aime, et plus il hait (h-a-i-t) et plus il est (e-s-t) pousse l’êtrejusqu'au réel, et on peut même ajouterplus il est aimé, et plus il est haï, pasforcément par les mêmes personnes.

Ça permettrait de dire quelque chosede l'universel de ce qu’elles veulent,quelque chose de ce que, pour toutes,ça permettrait de dire que l'universel dece qu'elles veulent, c'est ce dont il n’y apas d’idée générale, l'universel de cequ'elles veulent, c'est ce qui ne secommande pas. Et ce qui, aussi bien,ne se demande pas sinon sous la formeéquivoque de la demande d’amour.

Et il me semble que précisémentparce que ce qu'elles veulent, c'est cequi ne se commande pas, c’estpourquoi elles veulent, elles veulent,elles veulent.

Et là, nous touchons peut-être ungrand mystère avec lequel nouspouvons avoir quelques petites lueurs,quelques petites lumières, les affinitésde la féminité et de la volonté.

Si on formule ça comme ça, qu'il y aune affinité entre la féminité et lavolonté, on aura peut-être quelquesaperçus comme celui là, que quandelles aiment commander, c'estprécisément pour pouvoir cerner ce quine se commande pas.

Et, même, c’est une vue ? ?, on voitici pourquoi la volonté a constituédepuis toujours un si grand mystèrepour la pensée, elle a été un grandmystère pour la philosophie la volonté,comme la femme. Et d'ailleurs, par làmême on réveille ce que tous iciconnaissent sans doute, que Freud,dans sa question sur la féminité, safameuse grande question sur laféminité, après tout n’implique riend'autre que la volonté.

Que veut la femme ? Voilà ce qu'ilinterroge. Et c'est sans doute du côtéfemme que la volonté est portée à l'étatde mystère, du plus grand mystère. Etlà, sur cette voie qui conduit à érotiserla volonté, là, dans cette voie, onrencontre par exemple les stoïciens,avec leur sagesse qui était avant toutun apprentissage, un dressage, uneculture de la volonté et même visantune identification du sujet à sa volonté,ce qui laisse même soupçonner chezeux une jouissance de la volonté.

Et sur ce chemin d'ailleurs onéclaire, au moins on rencontreSchopenhauer, fameux misogyne, celuiqui a mis la misogynie à la mode. C'estquand on a commencé, quand on aintroduit Schopenhauer, il était déjàvieux, il a écrit son grand traité dans satrentaine. On l’a découvert, il en avait60 et on ne l’a découvert, justement,que pour les extrêmes, les extrémitésde sa misogynie, et de sondiagnostique catastrophique sur l’étatde la civilisation.

Schopenhauer, précisément, situaitla volonté au lieu même de la chose ensoi. Schopenhauer, ce qu'il a fait c’estde lire Kant, de simplifier Kant etfinalement de donner le vrai nom denom de la chose en soi kantienne endisant : c'est la volonté. Et donc, il a faitun grand traité, d'un côté lareprésentation, deuxième partie lavolonté.

Il a conçu la volonté comme la choseen soi par excellence. Alorsévidemment, là il y aurait des choses àdire des rapports de la volonté et dudésir puisque Lacan a choisi pour

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introduire la question du désir le Chevoï ? que Cazotte avait formulé lui-même en italien. Pourquoispécialement en italien ? Est ce seraitpour indiquer que les italiens ne saventpas ce qu'ils veulent ? Il faut dire queles italiens eux mêmes s'en sont plaintpendant très longtemps et queMachiavel n’a déployé ses trésorsd'astuces que parce qu’il avait affaire, ils’en plaignait, à des sujets qui nesavaient pas ce qu'ils voulaient, etd'ailleurs ce Le prince, le traité duprince est un grand Che voï ? adresséà l'Italie. Je laisse ça de côté.

Alors la volonté, c’est une espèce dedésir, mais le désir comme nous ledéfinissons, c’est quelque chose defuyant, c'est quelque chose qui est toutmêlé de défense. Lacan disait même onne pouvait pas distinguer - dans lanévrose en tout cas - le désir de ladéfense, ce qui est précisément ce quidifférencie le désir et la volonté. Lavolonté, c'est le désir qui s'estdébarrassé de la défense, passimplement déranger la défense,comme j'ai pu le dire en soulignant unterme de Lacan, pas simplement ladéranger, pas simplement lacontourner, mais triompher de ladéfense.

Alors comment ça se passe que ledésir tout mêlé de défense, toutembarrassé, à l'occasion comme ditLacan instable dans sa problématique,marécageux, spongieux, splach,splach ! comment le désir acquiert-il lerayonnement de la volonté, l'entièretéde la volonté ?

J'avais même mis la constance de lavolonté, non ! la constance n’a pas rienà faire avec la volonté, mais ce n’estpas ça le trait distinctif de la volonté parrapport au désir. Le désir toutemberlificoté que je le présente, enmême temps, il a sa constancefreudienne.

Donc c'est pas la constance qui faitla différence là. Ce qui est bien plutôtc’est : comment le désir peut-il sous lesespèces de la volonté devenirpéremptoire ? Comment le désir peut-il

devenir impératif ? Et pas simplement :je ne suis que le désir de l'Autre etc..mais s'affirmer, dans son entièreté.

On pourrait dire comment le désirdevient-il désir décidé, comme Lacanen emploie l'expression ? C'est-à-dire,ce qui est distinctif là, c'est le désir quipasse à l'acte, désir qui veut, désir quidevient volonté.

En effet, la constance de la volonté,c'est vraiment autre chose que lamanifestation de la volonté et d'ailleurson est tellement pas sûr que quand unevolonté se manifeste elle va durer que,il y a des tas de procédures qui fontqu’une fois que vous avez manifestévotre volonté, on l’entoure et il estentendu qu'au moins vous ne pourrezpas, même si vous changez d'avis,vous avez signé et votre volonté vadurer en dépit de vous même. Donc il ytout un dispositif signifiant pour, une foisqu’une volonté s'est manifestée, hop !on la met en cage et on vous empêchede changer de volonté, ce qui prouveque la volonté n’est pas essentiellementsa constance. La volonté c’est aussibien son inconstance et même peut-être beaucoup plus.

Je suis content parce que jusqu'àprésent, j'avais tendance justement àlier imaginairement la volonté et laconstance, pas du tout. C’est confondrela volonté avec la cage et alors çaouvre des perspectives, ça, de bien voirque ce qui est distinctif de la volonté,c'est le passage à l'acte, parce qu’ons'aperçoit que le caprice illustre trèsbien ce qu'est la volonté, et passimplement le dit du guignol qui tient lesignifiant maître et qui prend unedécision pour tous et pour tous lestemps, croit-il. Ce n'est pas ça lemodèle de la volonté. Le caprice, bienplus, nous fait saisir ce qu’il en est là.

Le caprice, c'est un terme essentiel,c'est un terme essentiel de Lacan. C'estun terme qu'il a fait rentrer dans saconstruction de la fameuse métaphorepaternelle. Et le caprice est justementce qu'il assigne à la femme en tant quemère alors que ce qui est assigné àl'homme en tant que père, c’est la loi,

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ce qui est assigné au nom du père quedepuis longtemps on a fait laplaisanterie de dire nom n-o-n du père.

Le caprice, mais c'est ce qui incarnele mieux ce qu’est la volonté, parce queprécisément c’est une volonté sans loi.La volonté qui se confond avec une loi,la volonté qui fait la loi pour tous lestemps, pour tous les lieux, on ne voitplus que la loi, on ne voit plus que laforce anonyme de la loi, le sujet enquelque sorte disparaît là dedans alorsque, dans le caprice comme volontésans loi, dans le caprice comme volontéimprévisible, sans principe, on saisitbeaucoup plus ce qu’il en est del'essence de la volonté. Et là onretrouve positivée cette assignation ducaprice à la femme comme mère, c'estque ça désigne les affinités de laféminité et de la volonté.

Pas du côté de l'homme commepère, on a le côté fini de rire.Nécessaire, nécessaire, et d'ailleurs,dans le Séminaire I de Lacan, il s’esttrouvé que les premières leçons ont étéperdues, que Lacan n'a pas pu mefournir les sténographies des premièresleçons, à part un petit morceau qui aété préservé par miracle sur le zen,quelque pages que j’ai mis commeouverture, iIl se passe un trimestre onse demande ce qui s'est passé là, etpuis ça recommence après : fini derire : dit Lacan en janvier, si monsouvenir est bon. Je l’ai mis bien envaleur au début, d’ailleurs. Sans doutec’est très important que quelqu'un à unmoment dise : finis de rire !

Fini de rire, on va enfin s'y retrouver,chaque chose à sa place, ici le réel, làle symbolique, là l'imaginaire, et puis,là, enfin, on va vouloir toujours la mêmechose.

Le caprice, c’est vouloir très fort unechose et puis c’est vouloir très fort uneautre chose, et c’est beaucoup plusamusant comme ça. Je trouve ça plusamusant parce que le marché, quiforme la société où nous nousdéplaçons, c'est une culture du caprice.On nous incite à vouloir très fort unechose, et puis une autre et puis une

autre. Évidemment, la promotion ducaprice, - c’est le marketing - s’accompagne du déclin du devoir ;c'est-à-dire que ce qui devrait être à saplace de métaphore loi sur caprice loi etdevoir, et bien, évidemment c'estaujourd'hui sérieusement subverti, cettemétaphore paternelle du milieu du XX°siècle.

Alors, ça permet d'ailleurs un petitregard de côté sur celui qui, jadis, aexalté le devoir, philosophe qui a portéle concept du devoir jusqu'à sonrayonnement sublime. J'ai nomméEmmanuel Kant.

Là, je suis désolé pour ceux à qui jevais faire perdre des illusions sur Kant,je ne sais pas s'il en avait d'autres quemoi, qui en avaient, mais j’ai trouvéquelque chose, vraiment, tellementsingulier, tellement incroyable, tellementlacanien, sur Kant, qu’il faut que je vousl'amène à ce propos.

Kant, quand même a marqué lesesprits qui comptent en produisant uneformule du devoir, une formule unique,une formule universelle, une formulelogiquement déduite, au moins deforme logique, du devoir. Jusqu’à lui, onfaisait la liste des devoirs, même, Dieuquand il entrepris d’écrire les tables, lescommandements, il nous a donné uncatalogue, c’est pas la Redoute maisenfin, c’est redoutable (rires), il a fait uncatalogue et puis encore un et puisalors après on les récite, on en oublietoujours un, on en rajoute un, il n’estpas à sa place... Vous avez tous vu çadans le film de Cecil B de Mille, c’estimpressionnant, on voit, ça s’écritcomme ça. Et Kant est arrivé, il a prissa gomme, il a effacé, il a dit : c’est ducinéma. C’est vrai parce que vousconstatez, la bible c’était du cinéma,rétrospectivement on s’aperçoit quec’était du cinéma, alors que jusqu’àprésent on a quand même jamais faitun film avec La critique de la raison

L o i ( d e v o i r )C a p r i c e

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pure. C’est la supériorité de La critiquede la raison pure sur la bible.

Donc il efface, il donne un grandcoup de chiffon sur cette liste en disantrefaites-moi votre copie, et puis il donnelui, plus fort, il donne une seule formule.Et il n’y avait pas simplement latradition dite judéo-chrétienne ducatalogue des dix. Il y avait, chez lespaïens, tout un raffinement de… alorsest-ce que c’était des devoirs ?,effectivement, il y avait ? ? etc, listesdes devoirs à l’égard de la famille, de laCité, des dieux, enfin on a, descatalogues sont encore beaucoup plusamples. Et puis il y a un point où lecatalogue des devoirs vire aux conseilshygiéniques.

Chez les Grecs, etc. les devoirsc’était aussi comment se tenir en bonnesanté. La différence n’était pas faite sion suit Kant.

On dit enfin Malesherbes vint pourmettre en ordre la langue française et ladébarrasser de ses impuretés, enfinKant vint pour mettre de l'ordre dans lapensée et ça reste. Je ne sais pasencore comment ça sera au 21° siècle,mais enfin, il faut bien dire que le 19° etle 20°, il y a un socle théorique trèssolide qui est constitué par le fait quetous ceux qui pensent ont lu Kant, ontmédité et que ça s’est construit quandmême là dessus, même pour faire despieds de nez comme tout de suite ilsont commencé et tout.

Alors, il est arrivé avec une formuleunique, s'imposant pour tout X, sanss’arrêter à la diversité qui avaittellement enchanté le 18° siècle, àl'exotisme, une formule qu'il serait làinscrite en chacun, dès lors qu'il arapport avec la raison pure, dès lorsque - on va pas anthropologiser çamais enfin c’est une grande question,qui appartient à l'essence même de laraison pure, pour lui.

Et donc, il ne dit pas ça n’est valableque si on a bien compris monraisonnement, il dit c’est un fait, il met lemot factum, le fait, le fait unique de laraison pure dans son usage pratique. Sivous ne la connaissez pas, je vous le

donne cette formule pour en faire leplus grand profit : « agit de telle sorteque la maxime de ta volonté - c'est-à-dire le principe selon lequel tu dictes tavolonté - puisse en même tempstoujours valoir comme principe d'unelégislation universelle. », que principeselon lequel tu gouvernes ta proprevolonté puisse aussi si, par unexperimentum mentis, on l’étend à tousles autres, eh bien chacun puisse aussifaire de ce principe la maxime de savolonté, et que ça tienne ensemble.

Je ne vais pas entrer dans le détaildu paradoxe éventuellement logique decette formule. Alors le devoir, un devoirmais enfin qui en prescrit aussi uneinfinité, puisque c'est une simple forme,comme s’exprime Kant, c'est unematrice, pour vérifier si le principe selonlequel on se dirige, pourrait être valablepour tout le monde, et pour une sociétéoù il y aurait tout le monde.

Donc ça, ça déniche tout ce qui estintérêt personnel, je le fais en catimini,pas vu, pas pris, tout ça pouf ! exclu.Alors, Kant donne à cet énoncéprécisément la forme d'un impératif,qu'il appelle catégorique pour dire que,c'est inconditionnel et que ça vaut pourtous et il n'y a pas de si qui tienne. Il n’ya pas de petites excuses qui tiennent,c’est pas si ça me convient, c’est pas sion me regarde, c’est pas sinon je risquegros, c'est sans condition. Et ça prendla forme d'un impératif, faites attention,c’est-à-dire de l'expression d'unevolonté. Ça ne prend pas la forme d'unthéorème qui serait si alors. C'est paspericoloso sporgersi (à vérifier) c’est unimpératif, c'est-à-dire une forme verbalebien spécifique qui traduit l'expressionde la volonté.

Alors tout le monde s'est bien aperçuque c'était quand même assez bizarre.Qui dit ça ? Qui dit ça agit, et on a biensenti qu'il y avait là une scission dusujet qui était impliquée plus au moinspar ce devoir unique et que ça avaitune petite tête de surmoi.

Et d'ailleurs Freud lui-même, qui nedevait pas avoir tellement compulséKant, mais enfin, comme tout homme

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cultivé de sa génération, en avait uneidée, Freud lui-même dit : il doit y avoirdes rapports entre mon surmoi et Kant.Il dit ça d'ailleurs - si mon souvenir estbon - dans « Le problème économiquedu masochisme », qu’il m'est arrivé decommenter. Et d'ailleurs c'est dans cemême texte de Freud que vous avezaussi une référence à Sade, à proposde la pulsion, et on s'aperçoit que c'estpas simplement à partir des livres dephilosophie et de littérature dudeuxième rayon, que Lacan a construitson « Kant avec Sade », il l’a construità partir du « Problème économique dumasochisme » de Freud.

Kant à perçu lui aussi qu'il y avaitune bizarre scission en jeu, dans sonimpératif unique et universel du devoir.On trouve ça, c'est beaucoup plus clairdans les notes qu'on a publié sous lenom de l'Opus postumum, œuvreposthume. De Kant on a ramassé tousles papiers qui traînaient, et puis on apublié ça comme on a pu, avec tous lesproblèmes de classement qu’il y a,comme il y a eu pour Pascal, mais Kantécrivait quand même beaucoup moinsbien, et il en avait en plus laissé biendavantage, donc c'est vraimentseulement maintenant que quelquechose, à ma connaissance, quequelque chose en émerge.

Et on trouve dans les notes del’Opus postumum de Kant, à propos del’impératif catégorique, cette notation,précieuse. Il dit, à propos de ce agis detelle sorte : « il y a un être en moi,distinct de moi, qui a pouvoir sur moi,qui me dirige intérieurement. Et moi,l'homme, je suis moi-même cet être.Cette disposition intérieure inexplicable,dit-il, se découvre par un fait, l'impératifcatégorique du devoir. »

Ce n'est pas du tout une formulationdéfinitive de Kant qui était alors vieux,malade et qui écrivait, préparaitl’œuvre, qui n’avait pas abouti, et doncil se reprenait souvent, mais, enfin, çareste très suggestif de la façon dont ilavait approché quelque chose de ladifférence entre énoncé et l’énonciation.

Et, aussi, on voit qu'il met bienl'accent, pour lui c'est très important lanotion que le devoir ce n'est pas du toutquelque chose qui est déduit, même siça a une forme logique, puisque il ditbien qu'il le découpe comme un fait,c'est là, on pourrait dire, comme un réelde la raison. Ce serait la traduction laplus proche que nous pourrions donnerdans notre jargon de ce qu’il veut direavec factum.

Et donc il met beaucoup l'accentjustement sur le fait que ça n'est pasdéduit et que en définitive c’est lié defaçon intrinsèque à l'expression d'unevolonté, on va dire de quelqu'un. C'estpour ça qu'il dit impératif, c'est toute lavaleur du terme impératif et on trouvedans l’Opus postumum une note quidit : l'impératif catégorique ducommandement du devoir a, aufondement, l’idée d'un impérans,

impérans

c'est-à-dire de quelqu'un quicommande. C'est comme empereurimperator, d’un impérans. Pour dire, jene crois pas que je force les choses enmettant l'accent sur cette instance de lavolonté au fondement de cet énoncé.

Sans doute il fait le rapport avec lafaçon dont l’Autre, qui n'était pasphilosophe, pas aussi précis, aprésenté son catalogue de Dix, endisant : tous mes devoirs peuvent êtreconsidérés comme descommandements divins, pour ainsi dire.Donc devoir est derrière lecommandement, c’est-à-dire lamanifestation d'une volonté.

Lui-même, dans ses notes, on voits'attache à qui est ce sujet de l'impératifcatégorique. D'ailleurs lui-mêmeemploie le terme : Qu'est-ce que c'estle sujet de l'impératif catégorique ?C’est superbe ça. Il dit, il y a une notequi dit ça : le sujet de l'impératifcatégorique en moi est un objet, quimérite obéissance, un objet d’adoration.Ce qui est encore plus beau c’est qu'il aécrit adoration en français, et il dit :

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Est Deus in nobis

c’est dieu en nous.Et donc, on le voit partagé entre

ceci : que d'un côté c'est moi-mêmedans mon autonomie de sujet qui medonne à moi-même cette loi, la raisonest là, c'est là qu’elle est vraimentautonome et législatrice, dansl'impératif catégorique c’est par làmême que je peux connaître que je suisun être libre mais, d'un autre côté, c'estexactement pareil que si c’était un dieuqui voulait ça, et dieu comme sujet quiest hors de moi et qui m’oblige.

Autrement dit, autour de l'impératifcatégorique, on peut dire que ce qui luifait défaut, c'est le concept d'extimité, àsavoir de quelque chose qui serait àl'intérieur, tout en étant comme uneenclave externe. C'est, en quelque,sorte une approche extime.

Et même à la limite, il peut direl’impératif catégorique c’est l’équivalentde l’idée de dieu. Alors maintenant, onpasse au comique, de l'affaire.Maintenant que vous avez bien saisi etque déjà il y a des prémices de lascission de l'énoncé et de l’énonciation,que l'exaltation extraordinaire que l'onpeut prendre de ce devoir unique quis'impose à tous etc. en même temps del'équivoque de cette voix, qui est celledu sujet lui-même et qui lui revientquand même comme celle d'un autre,alors, dans le passage de la Critique dela raison pratique, où Kant amène, c'estun événement çà, c’est l’événementKant dans l’histoire de la pensée,amène l’impératif catégorique, leparagraphe se termine sur : la loi est lefait de la raison pure, qui se proclamepar là même comme originairementlégislatrice.

Ça a provoqué un délire d’exaltationdans toutes les universités allemandes,et on date même de ce moment-làvraiment l'accession de la subjectivité àson statut d’autonomie dans le domainepratique et c'est ça que Fichte, queHegel ont tenté d’étendre partout, àsavoir le sujet législateur ? ?.

Alors, il y a après ça, dans uneparenthèse, il y a quatre petits mots, enlatin :

Sic volo, sic jubeo

ainsi je le veux, ainsi je l’ordonne, entreparenthèses la fin du passage sublimeoù Kant amène ce devoir, dans saformule unique et universelle. Et je mesouviens d’avoir lu ça, en françaisd'ailleurs, la Critique de la raisonpratique, dans mes années d’étudiant,donc, d’être frappé par cette formulelatine, parce que ça sortait un peu dutexte et puis une affinité émotionnellespéciale avec le latin, des rêvesimportants en latin, avec beaucoup debarbarismes et de solipsismes, biensûr, donc, j’étais retenu par cetteformule, pas la moindre idée d’où çavenait, supposant que ça venait d'untraité de droit, d'un juge qui ordonne,etc. et comme ? ? ? divin etc.? Quandmême, là c'est pas le Che Vuoï ? duchameau, Biondetta transformée enchameau qui pose la question du désir,c'est le Sic volo sic jubeo, de la voix dudevoir. Qui peut avoir dit ça ? Est-ceune formule juridique ?

D’où ça vient ? Il y a eu d'autreséditions qui permettent de le savoir, eten particulier dans l’Opus postumum,Kant lui-même donne la réponse. Voussavez qui profère la voix du devoir ? Etbien ça vient, à la surprise générale,enfin la mienne quand j’ai prisconnaissance de ça, ça vient deJuvénal.

Juvénal, satiriste de la Rome antiquedont le fiel, la moquerie ont hanté lessiècles et le modèle de tous lessatiristes. Je ne vais pas entrer,j’entrerai une autre fois dans Juvénal, jevais droit au but. La phrase complèteoù Kant a prélevé ces quatre mots quilui ont permis de voir que vraiment ça,c’était la formule complète, il acommencé là. C’est hoc volo, hocjubeo, cela je le veux, cela je l’ordonne !c’est hoc et non sic, il faut savoir si ladéfinition est différente, stet pro rationevolontas (à vérifier), c'est-à-dire que la

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volonté tienne lieu de raison. Volontas,la volonté, stet c’est de stare être, ausens de star en espagnol, pro ratione àla place de la raison, c'est-à-dire unevolonté qui se moque de la raison et quise ? ?.

Donc une disjonction de la volonté etde la raison et je suppose que c'est ça,le motif conscient du choix de Kant.Alors qui dit ça ? Où est-ce que c'est ditdans Juvénal ? C'est dit dans la« Satire VI » de Juvénal, qui ne vous ditpeut-être rien, qui est la satire, je crois,la plus longue de Juvénal et qui restedans les annales parce que c'est letexte le plus misogyne qui ait jamaissans doute été écrit. Ça commence parune invocation de la pudeur, et puis lagrande question, enfin ça s’ouvre sur lepauvre Postumus qui a l'idéesaugrenue de prendre femme. C'est-à-dire la grande question qui va roulerdans la littérature et qui s'étend dansRabelais, puisque Panurge entraînetout le monde à sa suite avec laquestion : dois-je prendre femme ounon, va savoir.

Et c'est déjà, c’est là, chez Juvénal,et il faut voir comment, c’est celui quej'ai apporté aujourd'hui, et il faut voircomment Juvénal introduit ça. J'étaiscontent de voir qu’il y avait une touterécente traduction de Juvénal, un peuplus loin du texte, mais qui rend trèsbien le ton.

Alors il dit : « C’est depuis la plushaute antiquité, Postumus, qu'on piratele lit du voisin, qu’on se fiche de lasainte alcôve et de son génieprotecteur. La génération de l’âge de ferà pu produire tous les autres crimes etle siècle d'argent a inauguré lecocufiage. Et te voilà pourtant, àl'époque moderne, en train d'organiserles fiançailles et le rendez-vous designatures. Tu n’es quand même pasfou ! Tu prends femme Postumus ? Dis-moi quelle la Tisiphone qui te harcèlede ses couleuvres ! Tu arriverais àsupporter une patronne avec à tadisposition tant de robustes cordes, defenêtres béantes sur de ténébreuxprécipices ? Ou si tu n’agrées aucune

de ces solutions, ne crois-tu pas qu’ilvaudrait pas mieux un petit garçon,pour coucher avec ? C’est mignon, çane fait pas de scène la nuit, ça s'allongecôté de toi sans réclamer son petitcadeau, ça ne se plaint pas que tuménages tes poumons et que tu net'essouffles pas comme il faut aucommandement ! » C'est le début ça,c'est pour se mettre en voix. Donc ilfaut imaginer ça, Kant lit ça, Kant, quiest resté célibataire, d'ailleurs, peut-êtrepour avoir lu çà, mais enfin Kant lit çaet, à un moment, il doit rencontrer unpassage où il se dit : c’est tout à fait ça,la voie du devoir.

Et bien, quel est le passage ? Doncon décrit, on passe en revue desdames et des dames qui setiennent plus mal les unes que lesautres, et on arrive à ça : « Quand lestenanciers de bordel, quand les lanistesont le droit de tester comme ils veulent,quand les gladiateurs en font autant,toi, on va te dicter tes dernièresvolontés et te faire choisir tes rivauxcomme légataires ; et là, petit dialogue,la femme dit : « Fais crucifier cetesclave ! ! ; le monsieur répond ? ? :mais pour quel crime ! ? pourquoi lacroix, y a-t-il un témoin, un plaignant ?faisons une enquête ! on ne prendjamais trop de temps pour décider de lamort d'un homme. » Et la dame dit :« Oh le fou ! ! comme ça un esclave estun homme ? il n'a rien fait ? et alors, j'aidit, j’ordonne, je veux, et que mavolonté soit la raison ! ! » Et c'est là,dans ce passage-là, que Kant areconnu la voie du devoir ! Autrementdit – l’effet comique s’est produitautrement dit Kant illustre, la formule dudevoir inconditionnel de la raison pure,par l'impératif du caprice le plusdéraisonnable qu'exprime Juvénal danssa Satire numéro VI. C'est-à-dire, ilchoisi précisément, les mots qu’ilprélève viennent d’un discours dumaître devenu fou.

Parce que, il faut bien dire, tuerl’esclave si l’autre dit : non ! non !attention il faut regarder de près, c’estque l'esclave est un bien, le crucifier

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c'est une perte sèche au niveau dupatrimoine familial.

Et là nous sommes, par excellence,dans le discours du maître. Et doncvoilà le moment entre tout, dans lalittérature universelle, où Kant avraiment entendu la voix pure, de laraison, et il l’a entendu justement dansl'expression du caprice, dansl'expression de la volonté portée par lafemme dont, en conséquence, autantqu'on sache, il ne s’est jamaisapproché. Et il s’est voué à ce quiquand même pour lui était détaché dece lieu, à savoir la formulation etl’expression de l'impératif catégorique.

Il ne faut jamais manquer une de sesséances sinon on la paie, c'est notreversion à nous de l'impératifcatégorique et nous nousrapprocherons de la séance analytique,dans une semaine.

Fin du Cours de Jacques-Alain Millerdu 12 janvier 2000.

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LES US DU LAPS

Jacques-Alain Miller

Septième séance du Cours

(mercredi 19 janvier 2000)

VII

Ouais ! je vois ce qu'il en est : vousvous foutez de moi, parce que j'arriveen retard. Eh bien je vais vous direquelque chose, je le fait exprès. Je lefait exprès parce que si j'arrivais àl’heure, il y a la moitié de la salle neserait pas là. Et puis, il y a encore uneautre raison, un retard d'un quartd'heure c'est le retard académique,universitaire. Eh bien je suis pas ununiversitaire ! justement, malgré lesapparences, et je pratique le retardanalytique, moi.

Ah il fait beau voir que vous vousfichez de ma gueule alors que si j'arriveen retard, c'est votre faute : si j’arrivaisici en retard sous les huées que jemérite, j'arriverais à l’heure. Mais je nevois que des faces souriantes quiattendent en plus de s’en payer unebonne tranche parce que je les amuse ilparaît. Eh bien, de ce fait vousm’encouragez à arriver en retard.

Bon, c’est jouer, c’est jouer pourvous donner un petit frisson du type desavon qu'on vous passe quand on est àla place de l'analyste où vous êtes, duseul fait que je m'adresse à vous sur lebord de l'ignorance et en plus enpayant de ma personne et même demon symptôme temporel.

Quand on assume la responsabilitéd'écouter des choses pareilles, eh bienon suscite chez le sujet patient,précisément ce genre de reprocheséperdus dont je viens de vous donnerune petite bouchée.

Continuons, reprenons. J'ai fait ladernière fois un petit excursus, dontl'occasion m’avait été donnée parl'examen de l'effet de sujet dans lesdifférents discours distingués parLacan, examen, revue, auxquels jeprocédait, aux fins de mettre en valeur,ce qu'il en est de cet effet de sujet,dans le discours analytique et de cequ'il permet, précisément, detransmutation de cet effet de sujet ensavoir qui se dépose. J’ai dit dans lediscours analytique, syntagme quenous devons à Lacan. Ce que je viseprécisément, je tourne autour, c'est laséance analytique, le laps de temps dela séance analytique.

C'est maintenant l'occasion de nousdemander comment penser, commentformuler le rapport du discoursanalytique et de la séance analytique.

Oh, je ne vais pas régler çaaujourd'hui ! Oh je vais encoreexcursiver, excursionner. Mais, pourvous donner un petit repère sur cettequestion du discours et de la séance,discours qui est pour nous assis sur unmathème de Lacan, la séance qui estnotre pain quotidien, pour donner unpetit repère, disons que la séanceanalytique est l’événement régulier, etqu'on ne m’objecte pas tout de suiteque tous les événements sont réguliers,ce n'est pas exact, c'est l’événementrégulier, ce n'est pas l'événementimprévu, bien sûr, c'est l'événementrégulier que le discours analytiqueinstitue.

Voilà au moins une définition simplecomme bonjour, encore faut-ill'exprimer et l'exprimer par ce biais faitvoir que chaque discours institue,détermine, prescrit, dispose, desévénements. Alors examinons un peunos discours de cette perspective là.

Dans le discours du maître, dans lediscours de l'université, les événementsde discours sont même ritualisés,réglementés, ils prennent la formecérémonielle, volontiers, ils sont desévénements conventionnels. Lesévénements de discours chez le maîtreet chez l'université sont enrégimentés

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par des obligations précises, desprescriptions à observer et souventsous peine de nullité de l’acte.

Prenons le discours du maître, soussa forme à la fois la plus patente, laplus épatante et la plus sotte, la plusparodique, le vrai de vrai du discours dumaître, s'il y en a un.

Prenons la figure qui se représentevolontiers dans cette fonctionimminente, au cours des rêves. C’estau courant des rêves, ces petits récitsimagés, qui passent dans la tête, quandon ne fait pas attention, qu’on pratiquece curieux exercice qui consiste àdormir, à ce moment-là on rêve, et ilarrive qu'on se souvienne de ses rêves,tout le monde a fait cette expérience.

Dans ces rêves, souvent, l'autorité,le support humain du signifiant maîtreapparaît sous les espèces, changeantau cours du temps, de celui qui porte lenom de « Président de la République »,en France. On rêve du président de laRépublique, eh oui, pas tout le temps,on ne rêve pas de l’être, sauf exception,mais on rêve du président de laRépublique, de sa figure, qui est unmotif pour nous suffisant pour nous yintéresser.

Alors prenons ce rêve qu'on appellel’actualité politique. C'est le rêve quenous faisons tous ensemble au coursde cette prière du matin ou du soir,qu’est la lecture du journal, pour ceuxqui ont la télévision, devant l’appareil.

Le souvenir le plus immédiat, cetteextraordinairement spirituelledissolution de la Chambre qui a eu lieuil y a quelques années et qui abouleversé toute la situation politiqueen France. Ça, vraiment, ça a un côtésoulever une pierre pour se la laisserretomber sur les pieds, un lapsus, unmauvais calcul ayant desconséquences d’une certaine étenduedans le gouvernement du pays ; çan’aurait pas empêché la tempête, jevous rassure tout de suite mais enfin…

Eh bien si mon souvenir est bon, leprésident de la République ne peutdissoudre la Chambre que s'il apréalablement consulté le président de

l'Assemblée nationale et le président duSénat. Je suis étonné de savoir ça, çam'est venu, je n'ai pas vérifié, il y apeut-être un détail ou deux qui n'estpas exact mais je vois qu'onm’approuve, que les esprits politiquesn'approuvent dans l'assistance.

Alors, il faut les consulter. C'est-à-dire qu’il faut que le monsieur qui a letitre de président l'Assemblée nationalese déplace, parce que - enfin il faut qu’ilse déplace, ce n’est pas dans les textes- supposons qu’il soit à l'hôpital, c'estcertainement le président de laRépublique qui se déplace à cemoment-là, ça c’est un détail, quand ilest en bonne santé, il se déplace aupalais de l'Élysée et puis il ressort, il aété consulté. Même chose pour leprésident du Sénat.

Qu'est-ce qu'ils se sont dit au coursde cette consultation ? c'est trèspossible que le président del'Assemblée nationale ait dit auprésident de la République : c'est uneconnerie ! ! Et que le président duSénat ait dit au président de laRépublique : vous êtes timbré monvieux ! !

Peu importe, le président a consulté,il a fait ce qu'il avait à faire selon laprescription constitutionnelle. Et doncensuite sa dissolution de la Chambrepeut être une connerie, du point de vuede ses partisans, je ne prends pas partilà-dessus, mais, c’est une connerieconforme à la règle, c'est une connerierégulière, c'est dans les formes.

Et à ce moment-là, quand leprésident de la République dissout laChambre des députés, ça n'est pas uncoup d'Etat, ça n'est pas un coup deforce, c'est constitutionnel et tout lemonde se dissout et se tourne vers lepeuple de France pour lui demander demanifester son opinion, en glissant unpetit papier régulier, dans des formesrégulières, dans une boîte régulière,d'où émerge, superbe, un nouveaupouvoir.

Voilà ce qu'est un événement dediscours et c’est même toute unechaîne d'événements de discours.

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Quand vous glissez le papelard dans laboite, après quelques griffonnages, etquelques : prononcez, monsieur untel avoté etc. vous accomplissez unévénement de discours, dans lesformes, même si, dans votre enveloppevous avez glissé un papier, il y a toutessortes de papier. .

Cette conception de l'événement dediscours s’étend au delà même de cequi est explicitement prévu par lestextes fondamentaux, de la vierépublicaine, ça s’étend à deshabitudes, ça s’étend à des us.

Par exemple l'arbre de Noël àl'Élysée. Quel que soit le président dela République, il y a un petit peu avantNoël un petit peu après un arbre deNoël, où des enfants, des petits enfantssont conviés, reçoivent les cadeaux dela République. Je me souviens avoirappris ça dans ma petite enfance etm’être dit : qu’il est bon ce président dela République de combler ainsi lespetits enfants de France et quelledéception de voir que tous les ansc’était pareil, et quel que soit leprésident de la République. Il étaittoujours aussi bon ! et que, en vérité, ils'agissait d'un événement ritualisé, quin'avait rien à faire avec la bonté duprésident de la République, qui étaitune obligation coutumière, de sacharge et qu'il fallait pas confondre lesévénements de discours et lesévénements qui viennent du cœur.

Ah ! Dans le discours de l'université,ah ! avec moins de décorum,aujourd'hui, une soutenance de thèse,la délivrance du titre de docteur,éventuellement et d'habitude avec lesfélicitations du jury, voilà un événementde discours qui, pour être valable, doitêtre accompli suivant certainesformalités.

Oh ! ce n’est pas l'impératifcatégorique, c'est tout de même lesimpératifs pour que cet événement dediscours délivre valablement ce qu'onen attendait. Il faut qu’il y ait le nombrede professeurs prescrit, il faut que lecandidat soit là, il faut qu’il y ait despages à considérer, qui aient été visées

préalablement par l'autorité habilitée àle faire, il faut encore un certain nombrede prescriptions dont s'occupe engénéral une secrétaire générale, j’aisurtout eu affaire à des dames qui làsavaient incarner la volonté du discourset qui te faisait défiler ces professeurs,etc. conformément au règlement.

Alors, une fois qu’il y a ce qu’il fautdans la salle, que les dits professeurs,aient lu la thèse ou ne l’aie pas lue,qu’à ce propos ils disent des conneriesou des merveilles, qu'ils se mettent àparler de leur maladie, de leurbibliothèque, de leur chat, aucuneimportance, ça n’invalide pasl'événement de discours, superbe, quis'accomplit sous vos yeux et dontéventuellement vous êtes partieprenante.

Un événement de discours, c'estaussi de faire cours, c’est unévénement avec moins de décorum,moins réglementé, on ne dit pas qu’ilfaut pas arriver en retard, un coursreste valable même si le professeurarrive en retard, peut-être même restevalable même s'il arrive après l’heure,on ne sait pas mais, normalement, ilfaut qu’il soit là, à peu près à heure diteet puis qu'il y ait des textes, qu’ill’ouvre, qu’il le fasse ouvrir à d'autres,pour se reposer, et si lui aussi, il répète,comme je le fais, tout le temps, Lacan,Freud, etc., même s'il se répète, tousles ans la même chose, c’est une heured'enseignement qu'est-ce que vousvoulez. Et puis quand c'est vraimentbien fait, pas comme ici, les étudiantssignent leur présence, après, s'ilssignent la présence au début, ilspeuvent se tailler ensuite, ils ont signé,si d'ailleurs ils doivent signer à la fin ilsarrivent à la fin, ils ont signé ; ils ont lesheures de présence. Voilà ce qui est del'ordre de la cérémonie.

Je dis tout ça en pensant à laséance analytique bien sûr. Enfin, jevais en mettre encore une petite dose,sur la cérémonie, parce que le discoursdu droit, qui est quand même unélément essentiel qui entre dans lacomposition du discours de maître, qui

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est son support, ou son diverticule,selon la perspective qu'on veutprendre., le discours du droit. Ah ! Pasplus tard que hier soir, dans Le Monde,il y avait une page, qui contait unehistoire, il faut dire, désopilante, unépisode clinico-juridique,extraordinairement enseignant.1Quelques-uns d'entre vous ont dûconsacrer quelques minutes à cetarticle hier.

C'est l'histoire, enfin c'est pasBalzac, ce serait plutôt Courteline, c'estl'histoire de deux restaurateurs ruinéspar un jugement erroné. L'histoire estassez sombre, locataires, le local enquestion tombait en ruines, ils ontrequis les propriétaires de faire lestravaux nécessaires, qui leurincombaient et qui étaient sans douteinterdits aux locataires, les propriétairesvoulaient rien savoir, les restaurateursfont un procès, première instance c’esteux qui ont tort. Seconde instanced'appel, c’est encore qui ont tort. Et,dans la suite des choses, les voilàruinés, ces restaurateurs prospères, etles voilà depuis quinze ans tentantd'obtenir de la justice qu'ellereconnaisse le caractère erroné dujugement qui a été rendu,photographies à l’appui. Jusque-là, riend'étonnant.

Le plus drôle, c'est que les deuxrestaurateurs, monsieur et madame,ayant une sthénie fantastique, dans larevendication, dans le sens de lajustice, une telle sthénie qu'elle pourraitêtre cliniquement inquiétante, mais çan'enlève rien à leur bon droit, retrouventle président du tribunal d'appel, qui à cemoment-là se trouve faire autre chose,diriger l'école de la magistrature. Et cebrave homme, au vu des documentsqu'on lui montre, reconnaît qu’il s’estmis le doigt dans l'œil, reconnaît qu'il arendu un jugement erroné.

Et donc les deux restaurateurs là,pensant être restaurés dans leur droit,que justice va leur être rendue, font étatde l'opinion du juge lui-même, qui arendu le verdict. Que croyez-vous qu'il

1 Voir en fin de Cours

arriva ? On punit le juge, on punit lejuge qui n'a pas à dire des chosescomme ça. On punit le juge pour mettreen question l'autorité de la chose jugée,c'est quand même pas un juge qui doitfaire ça, sinon où allons-nous, et on lepunit pour s'être prononcé sur uneaffaire qu'il avait jugée en tant que jugedans les formes, et se prononcer surcette affaire lorsqu'il n'est plus le jugede cette affaire, du genre qui êtes-vousmonsieur, pour dire ça ? Le juge s’estprononcé, mais le juge c'était moi, nousne voulons pas le savoir ! Jadis vousfûtes dans les formes, juge, premierjuge, Président de la cour d'appel, à cemoment-là vous parliez d'or, chacunede vos conneries valaient chose jugée,et maintenant vous êtes un quidam, ceque vous dites ne vaut un pet de lapin.

Et donc il a été puni, il n’a pas étépuni, il n’a pas été jugé, mais enfin onnote qu’il n’y a eu aucune poursuitedisciplinaire contre ce juge rebelle,mais, que, depuis 1986, c’est pas hierquand même, quatorze ans, depuisquatorze ans, sa carrière est bloquée.Voilà !

Alors là, il y a eu des ministres de lajustice, de droite, il y a eu des ministresde la justice de gauche, le ministère dela justice n'a pas varié dans sa position.Le jugement, grand événement dediscours qui porte des conséquences,le jugement a été rendu, nul, même pasceux qui transitoirement ont été levéhicule, du discours du droit, nulmême parmi eux ne peut s’élevercontre cette chose jugée. Tout au plus,c'est ce qui arrivera, quand il y a eu unarticle de presse et que quand mêmetout le monde rigole, on leur donneraquand même une compensationexceptionnelle, sur les fonds quitraînent au fond des tiroirs, enregrettant d'ailleurs de ne pas l'avoirdonné avant, pour qu’ils la bouclent,pour qu'on ne voit pas, comme hier soir,le semblant juridique dénudé. Voilà ceque Lacan appelle le semblant nu.

Ah ça serait un beau titre ça « Lesemblant nu ». Ca fait penser au titrede William Burroughs Le Festin nu.

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C’est ça, c’est pas le banquet desanalystes, c’est le festin nu de lajustice.

Pourquoi je m'emporte comme ça ?C'est parce que, tout ça qui a l’air trèsloin, c'est ce qui nous tient. C'est quandmême cette vermine là qu'on a sur ledos.

Le juge n'avait pas à le dire, et c’estl’État qui le lui dit. Ça se dit même enlatin, c’est reproduit dans Le Monde etpuisque j’ai parlé de latin la dernièrefois et bien continuons : res judicata proveritate habetur. Res judicata, la chosejugée, la chose ayant été jugée, proveritate habetur, est tenue pour lavérité, pro veritate. Pro veritate ne veutpas dire : pour la vérité, je donne mavie, non, ça veut dire : à la place de lavérité. Le jugement même faux jusqu’àla moelle, le jugement, l’énoncé dujugement vaut pour un énoncé vrai.

Et c’est donc, quand dans undiscours ce qui règne par excellencec’est la forme, évidemment on s'étonneque le juge soit encore en liberté !

Ca dit évidemment quelque chosedu statut de la vérité dans le prétoire.Ca dit évidemment quelque chose de lajustice. La justice n'est pas l'équité, quiest une qualité de l’âme, la justice estune propriété d'un discours.

Ça dit aussi quelque chose de lavérité. La vérité n'est pas ce qui est enquestion dans cette affaire. La vérité estreprésentée dans cette affaire parmonsieur et madame, Chose, quipromènent leur malheur depuis quinzeans, rien à faire de ce couple depékins !

La vérité n'est autorisée à paraîtredans le prétoire que si on y met lesformes. Et, la vérité dans les formes,c’est la vérité dehors. Vous avez cetexemple, mais, c'est ce que le Code,notre Code, qui porte le nom, qui portaitle nom de Napoléon qui avaitprofondément pénétré les rouages dudiscours du maître, qui avait une flopéede Portalis et autres pour rédigercomme il fallait le Code, il dit en touteslettres que la vérité n'a rien à voir, qu’il

n’y a rien de plus dangereux que lavérité.

Monsieur Untel est un repris dejustice, comme ce juge peut-être,bientôt. Monsieur Untel est un repris dejustice. Vous dites Monsieur Untel estun repris de justice ! Vous l'imprimez.Oh ! par besoin de l’imprimer dans LeMonde, vous l'imprimez à quinzeexemplaires, à vingt exemplaires, pourvos amis croyez-vous. Diffamation !Mais monsieur le juge, c'est un reprisde justice ! Vous n'aviez pas à le direMonsieur. Ca s'appelle la diffamation.La diffamation, c’est pas du tout de diredes choses fausses. La diffamation estd'autant plus grave que vous dites deschoses vraies, parce que la diffamation,c’est exactement par les mots que vousutilisez, par, comment on dit ça,comment l'Autre dit ça, par la fonctionde la parole et du champ du langage,vous attentez à la réputation dequelqu'un. C'est tout. C'est ça ladiffamation. Et vous y attentez d'autantplus que vous dites une vérité sur lui,désagréable. Et donc n’en remettezpas, n’apportez nous pas les preuves. Ilest entré à la Santé à telle date, il enest sorti à telle date. Ouh ! ouh ! plusc’est vrai plus c’est pire, si je puis dire.

Et, ce qui est encore plus beaud'ailleurs, ce qui dit quelque chose dece qu'on appelle l'ordre social, c’est quesi on vous traîne devant les tribunauxpour diffamation, vous êtes présumé demauvaise foi, c’est le seul cas, c'est-à-dire on se dit : oh ! oh ! ce monsieur làa des affinités avec la vérité, mauvaissigne !

Et donc vous avez à vous évertuer àprouver votre bonne foi, qui ne veut pasdu tout dire que c'est exact, mais que,en disant que Monsieur untel est unrepris de justice, vous pensiezabsolument à tout à fait autre chose,que vous poursuiviez des buts élevéconcernant la santé publique, le bonfonctionnement des services etc.. Donclà, peut-être qu’on reconnaîtra votrebonne foi, ce qui veut dire que vousavez pu vous mettre le doigt dans l’œil

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mais que c’était avec de bonnesintentions.

Donc la vérité, dans cette forme dediscours, cette structure de discours, etdans les événements de discours quien procède, la vérité ne doit surtout pascomparaître, alors c'est là aussi ça sedit en latin, il y a quand même desexceptions, mais il faut que le tribunalprenne la décision dans les formes que,par exception, la vérité sera considéréedans ce cas de diffamation commeabsolutoire, et pour bien marquer qu’ilne faut pas en abuser on le dit en latin,c’est l’exceptio veritatis, l’exception devérité. Par exception la vérité seraautorisée à comparaître au tribunal.

Voilà ce que c'est que l'ordre desdiscours, l’ordre des cérémonies, ladisposition de ces cérémonies parrapport à la vérité et qu’il faut rappelerpour saisir ce qu’est le scandale de laséance analytique.

Enfin, je ne voudrais pas qu'on croie,en plus ça pourrait être dangereux, queje diffame la justice et les juges qui ladistribuent, au nom du peuple français,sous l'autorité du président de laRépublique, lui-même immune, de ceque, quand il était un autre, il aurait pufaire, c'est le même principe.

Loin de moi l'idée d’attenter orescoreferens (à vérifier), à la majesté et à lanécessitée de la justice. Je ne rigolepas là, je ne suis pas ironique, c’est uneprofonde sagesse. Il est certain que lamanifestation de la vérité, qui a unesingulière manière de confiner à l’injure,d'ailleurs plus on dit la vérité plus çaconfine à l'injure, c'est ce que dit bienl'expression dire ses quatre vérités àquelqu'un, on n’emploie pasl'expression pour dire qu’on en faitl’éloge. Quand on multiplie la vérité parquatre, ça veut dire que le gars ne s’enrelève pas, de la charge d'insultes etd'injures qu'on déverse sur lui. Le codedistingue précisément la diffamation etl’injure. C’est raffiné, mais je vousépargnerai les détails.

Eh bien c'est d’une profondesagesse, c’est que l'ordre civil, l'ordresocial, ne tiendrait pas une seconde si

on pouvait dire la vérité et encore moinsses quatre vérités à l'autre. Ça tientparce qu'on est bâillonné tous les jours.On dit ça, un monsieur je crois interrogépar le Monde ou dans un traité je nesais plus où, justifie l’iniquité de lasituation de monsieur et madameChose en disant : Ah ! Il y a l’autorité dela chose jugée, il faut bien que lesprocès finissent. C'est vrai que, commeil n’y a pas de métalangage, il n’y auraitaucune raison qu'on ne continue pas àfaire appel jusqu'à la fin des temps, ilfaut un moment que se manifeste unarbitraire formel pour dire ça suffit !

Quand il y avait des grèves, encore,c'est une chose du passé, il fallait unquidam qui s'avance pour dire : il fautsavoir terminer une grève, MauriceThorez, le fils du peuple. Mais c'estd’une autre nécessitée sociale queprocède le : il faut que les procèsfinissent. C’est codifié, la fin desprocès. Et d'ailleurs c'est la mêmechose, il faut que les procès finissentcomme il faut que les grèves finissentparce que il faut, il faut que ça marche,il faut que ça tourne, et on en est touslà, à le vouloir.

Donc le discours du maître consisteen effet à ce qu’on trouve les signifiantsqu'il faut, en position de semblants bienarticulés, pour refouler le sujet de lavérité. C'est écrit, par Lacan, de lafaçon la plus simple qui soit : S1 sur Sbarré et toutes ces petites histoires,toutes ces anecdotes répondentparfaitement à ce mathème.

S 1S

À ce propos, je me disais quefinalement, sauf erreur de ma part, je n'aipas vérifié, on n'a jamais révisé le procèsDreyfus, là aussi l'autorité de la chose jugées'appliquait, il a bénéficié de la grâce duprésident de la République. Tant mieuxpour lui comme dirait l'autre, mais Dreyfus,c’est exactement la même chose que lesépoux monsieur et madame chose, saufqu’ils n'ont pas encore été déportés.

Enfin le résultat quand même c’estqu’Alfred Dreyfus a à Paris une petitestatue. Quand on vous fait une grosse

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injustice, on vous fait une petite statue.Peut-être que demain les époux Choseauront aussi une petite statue et setiendront par la main avec le jugeMachin.

On a fait pour Dreyfus une petitestatue que j'aime bien, qui est près dechez moi d'ailleurs, on voulait la mettreau départ un peu plus bas dans leboulevard Raspail, en face de l'ancienemplacement de la prison du ChercheMidi, où il y a maintenant la maison desSciences de l’Homme, c'est vraiment !Enfin j'y ai suivi des cours intéressants,que je ne renie pas, alors aussitôt, lesautorités se sont récriées que quandmême on ne pouvait pas faire ça, etdonc on la mise un peu plus haut, dansle boulevard Raspail, parce quequelque chose encore continue des'exercer. Quelqu'un qui a été uneoccasion de scandale, qui a nuit, qui anuit au prestige et à la considération,dues aux autorités. Encore heureuxqu’on ne l’ait pas poursuivi endiffamation !

Enfin il n'est pas trop loin de la ruedu Cherche Midi et avec ce genred’argument, c'est nous qui cherchonsmidi à 14 heures. Il faut toujourschercher midi à 14 h parce que c'est làque se trouve midi !

Dans le discours analytique, il y ades événements prescrits, il y a unévénement prescrit par excellence, quiest la séance. Donc ça rapproche dudiscours analytique, de ce côté-là, dudiscours du maître, du discours del’université où il y a aussi desévénements prescrits, se supported’événements prescrits.

Alors me direz-vous, et le discoursest hystérique, ah ! ah ! où sont lesévénements prescrits dans le discourshystérique ? Puisque justement,l'hystérie, plutôt, a une affinité, oui aune affinité avec les événements, uneaffinité avec le scandale, une affinitéavec la difficulté, mais, précisément,par excellence ce sont des événementsnon ritualisés, qui ne sont pas régléspar des conventions préalables et, si onréfléchit dans cette direction là, on

pourrait dire s’il y a une règle dediscours hystérique concernantl'événement, c’est plutôt le contraire.

Formulons la règle qui serait celle del'événement du discours hystérique :produire toujours des événements sansrègle, des événements dérégulés, desévénements aconventionnels. Ahévidemment, c'est un paradoxe, la règlede produire des événements sansrègle. On pourrait dire c'est la règleexceptionnelle, qui régit le discourshystérique. D'ailleurs on pourrait direque c’est l'inspiration même que CarlSchmitt a essayé de faire entrer dans lediscours du droit. J'avais consacré unCours, jadis qui avait fait scandaleauprès de certains parce que, en effet,Carl Schmitt fut un personnage peurecommandable, mais quand mêmetrès grand juriste, ça arrive, commepour Céline, dans un autre ordre d’idée.

Alors Carl Schmitt avait voulu faireentrer dans le discours du droit lanotion d'une instance qui intervient,quand les règles, les conventions, lesconstitutions, tous les us, nefonctionnent plus.

Et il pensait qu’une constitution bienfaite doit prévoir le cas exceptionnel oùtout le reste ne fonctionne plus, où toutle semblant est foutu en l'air, qu'est-cequ'on fait ? Eh bien il pensait qu'il fallaitmettre dans la constitution une règlesupplémentaire, précisant que quandtous les semblants, non seulement ontvacillé, mais sont par terre, il y aquelqu’un qui a le droit de faire quelquechose dans cette situation.

Il a dit ça dans des circonstances oùc’était simplement une mise en formesignifiante de la pratique NationaleSocialiste, ce qui fait que sa doctrinedécisionniste depuis lors sent le souffre,à juste raison.

Bon, mais enfin, nous vivons ici,nous vivons heureux dans uneRépublique, qui est organisée, fondée,sur la constitution dite de laVe République, de 1958, à laquelle on atouché un petit peu, on essaye detemps en temps, mais on n'a pas dutout touché à un énoncé très précis qui

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s'appelle l’article 16 de cetteConstitution, qui y a été introduitexpressément par le fondateur de notreRépublique, à savoir Charles de Gaulle.On peut aller loin mais enfin on ne peutpas le taxer de sympathie pour les amisde Carl Schmitt et ce Général, qui avaiteu l'expérience de la chute de la IIIeRépublique et de comment AlbertLebrun s'était promené comme ça,impuissant, assistant à la débâcle etfinalement n’avait eu d'autres recoursque de s’en remettre au Maréchal avecl'approbation de la majorité écrasantede la chambre des députés , leGénéral, qui avait été l’élève duMaréchal, en avait conclu qu'il y avaitbesoin, en effet, d'un article spécifiant,que en cas d’interruption dufonctionnement régulier des Pouvoirspublics, eh bien le président de laRépublique était autorisé à faire uncertain nombre de choses que, entemps normal, il n'avait pas le droit defaire.

Ça a d'ailleurs suscité un pamphletmémorable, de quelqu’un qui estdevenu ensuite président de laRépublique, monsieur FrançoisMitterrand, un pamphlet admirable,meilleure chose qu’il ait écrite et onregrette beaucoup qu’il en ait interdit laréédition, parce que quand il estdevenu président de la République, il afait beaucoup de chose mais il n’asurtout pas touché à cette pièce dediscours, ce qui, a mon avis, était tout àfait raisonnable.

En effet, pourquoi FrançoisMitterrand président de la Républiqueaurait à payer les dettes de FrançoisMitterrand pamphlétaire ? C'est par lemême, bien entendu. On ne cesse pasde voir des gens qui sont pas lesmêmes à partir du moment où leurposition d’énonciation dans un réseausignifiants de semblants, change.

Ah !, en effet, la substancecorporelle est la même, le germen, lecorps, ce qu’on veut, c’est la mêmechose mais, du point de vue signifiantça n'a rien à voir, nous ne cessons pasde traverser ce genre de clivages.

Évidemment, dans la psychanalyse, onn’arrive pas à jouer sur ces clivages là,sur le côté, sur cette hétérogénéité deslieux d’énonciation, parce que dans lapsychanalyse justement, c'est lesemblant comme tel qui est mis enquestion, ce qu’on se sent quand onvient de recevoir du discours untel letitre chose. Dans la psychanalysejustement, ce genre d'événements dediscours qui tient tout entier auxsemblants, eh bien on invite le quidamà devenir sujet, à aller un peu endessous de ce qu'il est quand il a étéaffecté par un signifiant maître et ons'intéresse, lui-même s’intéresse, onespère, à ce qu'il est par en dessous.

Donc, dans la constitution danslaquelle nous vivons, il y a quelquechose de cette règle d’exceptionnalitéqu'avait formulée, évidemment cejuriste infâme, mais qui a inspiré unecertaine réflexion et qui n’a pas étéindifférent à ce grand germanistequ’était le général De Gaulle, et qui,finalement, depuis bientôt un demi-siècle, est là à sa place dans laconstitution au cas où il y aurait besoin.

On verra si quand il y aura un retourdes choses et reviendra à cette placeencore un élément issu desreprésentants du mouvement ou desclasses laborieuses – non, je date, duXXe siècle - des classes moyennessalariées, etc. nous verrons si ontouche à ce semblant de discours là.

Au fond, c'est la même chose que larègle paradoxale de l'hystérique, que jedisais tout à l'heure. Enfin, c’est lamême chose ! ? Pas tout à fait. Si ondevait formuler l’impératif catégoriquedu discours hystérique, qu’est-ce qu’ondirai ? : tu tenteras, non !, agis toujoursen sorte - comme Kant - agis toujours,agis toujours en sorte que tu interrompele fonctionnement régulier des pouvoirs,tant privés que publics, pourdéconcerter - soyons précis - pourdéconcerter le ou les connards qui sontvenus à incarner le signifiant maître.

Je ne sais pas si je suis complet. Ilfaudrait réunir une assembléehystérique, susceptible d’adopter ou de

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se reconnaître… un concile hystérique !susceptible de valider cette formulation.

Donc, évidemment ça, c'est lecontraire de l'événement régulier, oualors on peut dire l'événement régulierdu discours hystérique c'est le court-circuit, c'est le dysfonctionnement,conduisant à l'implosion du signifiantmaître.

C'est bien ce trait dans l'événementrégulier qui permet à l’effet hystériquede sujet de prendre la main, de dirigerles opérations. J'ai déjà mentionné cetexemple saisissant qui m'avait étéapporté dans un Colloque du Champfreudien au Japon, la seule fois où j’ysuis allé, où un collègue de l’I.P.A - làbas, quand il y a une occasion de parlerensemble tout le monde est là - ncollègue de l’I.P.A, beau garçon, ancienchanteur de charme et notoire auJapon, qui était allé se former enAngleterre - il contait, dans ce colloque,un cas de sa pratique. Eh alors çaconsistait en ceci : le cas qu'il contaitavec une grande satisfaction ! que lafille, qu'il analysait avait réussi às’installer dans le fauteuil et lui avaitterminé sur le divan. Je le jure ! Il y acertains ici qui croient que j'exagère,que j’enjolive. C’est juré craché, c'étaitça le cas.

On voit bien, c'est parfaitementcrédible que si on laisse libre carrière àl'événement de discours hystérique, onva là tout droit. Je dirais même plus,très souvent c'est comme ça, même sion garde des autres positions, parceque les meubles ! quelle importance !Donc vous pouvez très bien continuerd’être assis sur votre fauteuil et engarder votre contentement et le patientou la patiente être allongé mais enréalité c'est exactement comme le casdu chanteur de charme, analysé enAngleterre et japonais.

D'ailleurs il y a des personnes quiétaient présentes qui peuventtémoigner de l'exactitude à la lettre dece que je rappelle ! ? [Merci]. Alors çaveut dire des tas de choses mais çaveut dire que l'hystérie foncièrementtend au carnaval, c'est-à-dire au sens

dessus dessous. Évidemment le sensdessus dessous, ça à un sens trèsprécis, ça s’écrit de deux façons,l’orthographe est double, mais ça a unsens très précis parce que si le dessusreste dessus et le dessous restedessous c'est pas sens dessusdessous, c’est pas sens dessusdessous, donc sens dessus dessous,fond ça se réfère exactement à lasituation où le dessous est dessus et ledessus dessous, d'accord.

Le carnaval, justement quand lessemblants tenaient bien en place dansla société comme je l'évoquais ladernière fois, on avait le sens ducarnaval, on ne faisait pas des parodiesde carnaval comme aujourd'hui. Parcequ'il y avait bien un dessus, undessous, un à côté etc. On était bienencadré dans un réseau de signifiant,ça n’était pas encore quand même unpeu dissous par le marché, par ladémocratie, par le christianisme, etc. etdonc on pouvait vraiment avoir lecarnaval.

Alors, du coup, l'événement régulierquand même, qu’on rencontre dans lediscours hystérique, comment l’appeler,on le rencontre dans l'analyse,comment l’appeler ? On pourraitl'appeler tout simplement la scène deménage, la dispute avec unreprésentant ou un exemplaire del'autre sexe. C'est quand mêmequelque chose qui est régulièrementnarré sinon la dispute, la difficulté.

Voilà un événement régulier. Alorsévidemment, ça se modèle, ças’incarne, ça se réalise de façonsdifférentes. Par exemple on me parlaitd'un jeune garçon, vraisemblablementhystérique, pour qui en effet toujours lemême événement qui se répète. Joligarçon, gentil, séducteur, même DonJuan, mais vraisemblablementhystérique, c'est-à-dire quand mêmehabité par - c’est toujours plusinquiétant chez l’homme, pour le sujetc’est toujours plus inquiétant chezl’homme que chez une femme -l’hystérie ça inquiète beaucoup plus lesujet mâle qui se sent aux prises,

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habité par quelque chose dedifficilement situable, à l'occasion chezles jeunes, l’adolescent, le jeunehomme, ça lui fait penser qu'il pourraitêtre homosexuel, par exemple.

Alors ici, on doit supposer finalementque le sujet hystérique mâle enquestion a finalement le sens de sapersonne sous les espèces de moinsphi. Les femmes l’adorent, elles luicourent après, veulent l’épouser, maisce qu'elles adorent en lui, c'est ce qu'ondoit reconstruire, ce qu'elles adorent enlui c'est plutôt phi : le beau gars, lebeau parleur, qui est gentil, qui laramène pas avec elles, qui faitévidemment tout ce qu’il faut pour lesséduire. Et précisément parce qu’ellesdoivent aimer en lui quelque chose quiest tout à fait à distance et même quiest l'inverse de son sentiment de sapersonne, eh bien il est toujoursconvaincu qu'il y a erreur sur lapersonne. Et donc le moment où la fille,vraiment lui donne tout et le reste, ehbien il la laisse, il dit non, c’est pas ça,pourquoi, qu'est-ce qui se passe et puisil recommence avec une autre et il faitça depuis un bon moment, ce quifinalement l’inquiète assez pour qu'ilaille demander une analyse en sedemandant s’il ne serait pashomosexuel, lui qui passe de fille enfille. Il a cette inquiétudetranscendantale sur son identité.

Plus charmantes elles sont, làvraiment, quand il a laissé tomber le topmodel riche à millions qui voulaitabsolument l’épouser, tout le monde luia dit mais pourquoi fais-tu ça, Il s’estquand même dit il doit y avoir quelquechose qui ne tourne pas rond avec moi.

Plus charmante et plus opportuneselles peuvent paraître pour lui, pluselles se trompent sur sa personne.

Alors ce genre d'erreur, ce genred'événement de discours, qui est chezlui donc régulier, symptomatique, ducôté femme de l'hystérie, ce qui estplus fréquent c'est de le rencontrersous l’espèce : le gars s'annoncecomme phi et puis l’événement c'estfinalement de le réduire à moins phi ou

de découvrir finalement que la vérité del'affaire, c’est le moins phi qu’il cachaitsoigneusement. C’est le principe d'ungrand nombre de scènes de ménage. Ilsuffit d'avoir lu Courteline, La paix chezsoi.

Vous savez, Courteline qui a eu jel’ai rappelé jadis, sur moi une influenceformatrice. Je cite de mémoire la pièceoù monsieur et madame rentrent depromenade et monsieur dit : - « t-es-tuconduite comme une gourgandine, elledit - Moi ? - Oui je t’ai vue dit-il, etquand untel a glissé sa main, etc.,Alors il insiste etc. il fait le dur - maisvraiment si je le tenais, qu'est-ce que jelui passerai, etc ! Alors la dame dit -bon et bien c’est vrai il m’a fait ça etmême j'ai plutôt aimé ça ! etc. - Ah là là,qu’est-ce que je lui passerais si j’avaisson adresse ! ; alors elle dit : - Il m'adonné sa carte, la voilà !

Alors il lui dit : - Comment ? Unecarte de ce monsieur, tu me donnes ça,je n’en ai rien à faire ! et il la déchire. Età ce moment-là elle lui dit : - Je laconnais par cœur : 13, rue de laGrange Batelière ; vous voyez je m'ensouviens encore. Alors il dit : - Oh ! làlà, il a beau être un officier de cavalerie,vraiment il me ferait pas peur ! ; et ellelui répète : - 13, rue de la GrangeBatelière ! Et alors ça se termine,j’abrège, je l’ai pas relu, il dit : - Quoi !13, rue de la grange batelière, j’en airien à faire de la Grange Batelière et ildonne des coups à sa femme.

Il la bat - ça se termine là dessus,c'est un petit acte - il la bat parce qu'iln'en peut plus. Il n’en peut plus parceque là, c'est elle qui est au poste decommandement et qui exerce sonpouvoir de sujet sur le support dusignifiant maître et qui le montre à la findans l’impuissance totale ; tout ce quilui reste à faire, c’est de sortir le bâtonet de lui mettre sur la figure, moyennantquoi c'est le triomphe du sujethystérique. Elle vous a fais sortir votrebâton. C’est que vous ne pouviez pasde lui fermer, si je puis dire, la boucheavec autre chose.

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C'est le secret de cette scène, qui aquand même été extrêmementprégnante et fascinante et qui continuede l’être cette scène où l'homme bat lafemme. Freud a commenté « on bat unenfant », d’accord, on connaît ça parcœur maintenant. Mais il y a la scène« l'homme bat la femme », ça, çaparcourt toute l’histoire et c'est même siprégnant que aujourd'hui, trèslégitimement, les femmes, étantfemmes battues, s’associent pourrevendiquer le droit de ne pas l’être.C'est dire à quel point cette pratiqueest quand même ancrée dans les us.

Ça c'est pas les us du laps, c’est lesus du bâton, de la gifle, du coup. C'estquelque chose de très prégnant, etdonc aujourd'hui on judiciarise enessayant de capter là ce qui est aussiune réalité clinique, on pourraitl’aborder comme telle.

Le grand exemple, l’exemple majeur,on vous donne ça quand vous entrezau lycée. On commence, on vouséduque en France, d’abord, enfin onvous éduquait dans les années 50,d’abord en vous présentant la scène de« le monsieur bat la femme » et lafemme le roule dans la farine. On vousfaisait lire Le Médecin malgré lui deMolière.

Là, c'est au début déjà, qu’il lui ficheune raclée, Sganarelle et elle dit « là tume le payeras ! »

Molière, là, je l’ai relu, j’ai eu letemps de le relire. Molière évoque lecoup Lysistrata – vous connaissez laméthode, plus rien au lit. Il l’évoquedans une phrase discrète, madameSganarelle dit : « - Je sais bien qu’unefemme a toujours dans les mains dequoi se venger d'un mari, mais c'estune punition trop délicate pour monpendard. »

Et donc c'est une autre vengeancequ’elle exerce, vous savez laquelle,c'est qu’elle réussit à le faire passerpour le médecin miracle, celui qui vadonner la medecene dit lacampagnarde appelée sur la scène, quiva donner la medecene, qui va guérir lafille de monsieur Géronte. Et donc elle

confie à ceux qui passent que c'est pasdu tout un bûcheron, que c'est un grandmédecin et que il faut le forcer à coupsde bâton à devenir médecin, à faire lemédecin. Et donc ils y vont avec desbâtons et pan pan pan ! Grâce à laparole mensongère de la femme, voilàSganarelle transformé en médecinmalgré lui.

C'est-à-dire, ça suit absolument lepetit schéma, elle prend le poste decommandement

S S 1

et elle l’oblige à produire un savoir.

S S 1

S 2

Un savoir faux mais un savoir, unsavoir de médecin de Molière qui vasurtout régner par son bien dire et il vadire en latin, comme moi, un latin decuisine mais enfin le mien ne vaut pastellement plus d'ailleurs.

Ce qui est amusant, c’est que lafemme revient sur la scène, c’est plusla femme de Sganarelle, la femmerevient sous les espèces de la fillemuette, Lucinde, qui se tait, elle neparle pas.

Alors là, j'aurai pas dû le relire parceque quand je relis ça, ça me plaîttellement que j'ai envie de le lire. Mais,c'est là qu’on voit, on pose la question :eh bien monsieur le médecin est-cevous pouvez guérir ma fille qui estmuette ?

Oui, certainement, n’en doutons pas.Mais alors pourquoi est-elle muette ?On voit la question de la causalitérésolue par le bien dire, c'est commechez nous, dans la psychanalyse.

Alors, Il prend le pouls de Lucinde :« - Voilà un pouls qui marque que votrefille est muette ». Donc qu'est-ce qu'il aajouté au fait que tout le monde saitqu’elle est muette, il a simplementajouté l'opération de prendre le pouls,

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qui tout de suite fait que son énoncéc’est un énoncé de médecin et pas d'unvulgaire péquenot qui dit simplementelle ne parle pas.

Elle est muette et précisément prisedans le dispositif médical. Géronte lepère – « Eh oui, Monsieur, c’est là sonmal ; vous l’avez trouvé tout du premiercoup. - Ah, ah ! » dit Sganarelle ;Jacqueline qui fait la domestique ; « -Voyez comme il a deviné samaladie ! » Sganarelle qui n’est pastrès fin, comme l’a signalé sa femme :-« Nous autres grands médecins, nousconnaissons d'abord les choses. Unignorant aurait été embarrassé et vouseût été dire : « C’est ceci, c’est cela » ;mais moi, je touche au but du premiercoup et je vous apprends que votre filleest muette. » Géronte : - Oui ; mais jevoudrais bien que vous me puissiezdire d’où cela vient. » Sganarelle : « - Iln’est rien de plus aisé : cela vient de cequ'elle a perdu la parole. » Géronte :« - Fort bien ; mais la cause, s’il vousplaît – la cause freudienne – mais lacause s’il vous plait qui fait qu'elle aperdu la parole ? » Sganarelle : « -Tousnos meilleurs auteurs vous diront quec’est l’empêchement de l'action de salangue - Mais encore, vos sentimentssur cet empêchement de l'action de salangue ? - Aristote – on croirait Lacan– Aristote, là-dessus, a dit… de fortbelles choses - Je le crois. - Ah !c'était un grand homme ! - Sans doute -Grand homme tout à fait : un hommequi était plus grand que moi de tout cela- toujours la révérence auprédécesseur - pour revenir donc ànotre raisonnement, je tiens que cetempêchement de l'action de sa langueest causé par de certaines humeurs,qu'entre nous autres savants nousappelons humeur peccantes ;peccantes, c'est-à-dire… humeurspeccantes ; d'autant que les vapeursformées par les exhalaisons desinfluences qui s’élèvent dans la régiondes maladies, venant… pour ainsidire… à… Entendez-vous le latin ? - Enaucune façon - Vous n'entendez pointle latin ? Non. Cabricia arci

thuram, catalamus, singulariter,nominativo, haec Musa, « la Muse »,bonus, bona, bonum, Deus sanctusestne oratio latinas ? Géronte : - Ah !que n’ai-je étudié ? Jacqueline : -L’habile homme que velà ! Lucas : -Oui, ça est si biau que je n’y entendsgoutte. Sganarelle :- Or ces vapeursdont je vous parle venant à passer ducôté gauche, où est le foie, au côtédroit, où est le cœur, il se trouve que lepoumon, que nous appelons en latinarmyan, ayant communication avec lecerveau, que nous nommons en grecnasmus, par le moyen de la veine cave,que nous appelons en hébreu cubile,rencontre en son chemin lesditesvapeurs qui remplissent les ventriculesde l’omoplate ; et parce que lesditesvapeurs… - comprenez bien ceraisonnement, je vous prie - parce quelesdites vapeurs ont une certainemalignité … écoutez bien ceci, je vousen conjure. - Oui. - […] la concavité dudiaphragme, il arrive que ces vapeurs…Ossabandus, nequeis, nequer,potarinum, quipsa milus. Voilàjustement ce qui fait que votre fille estmuette. - Ah ! que ça est bian dit, notrehomme ! - Que n’ai-je la langue aussibian pendue ? etc. »

Voilà le contexte du…, et voilàpourquoi votre fille est muette.

Il est clair que la psychanalyse, lepsychanalyste aient quelque chose, estquelque part héritier du médecin deMolière. Quand nous sommes là autemps de Molière, au XVII° siècle, noussommes juste avant la capture dudiscours médical par le discours de lascience et que à partir de là, en effet,les eaux ont commencées à se sépareret que la médecine s’est trouvée quandmême foncièrement déterminée parcette absorption scientifique et mêmesa dissolution dans la science et dansce qui en procède et que s’en est isoléede plus en plus, ce que ce que ça meten valeur, à savoir, la puissance de larhétorique, le bien dire, et aujourd'huinous avons ça sous les espèces d'uncôté le distributeur de médicaments, del'autre le distributeur de bonnes

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paroles. Le producteur d'oreilles est ledistributeur de bonnes paroles.Aujourd'hui, le partage des eaux s’estfait et de la façon la plus précise ici,nous avons ici mis en jeu Aristote, c'est-à-dire l'argument d'autorité et surtout lesavoir présenté et sous ses espèces del'incompréhensible.

Jamais un savoir ne se fait autantrévérer que lorsqu'il paraît là sur lascène, sous les espèces del’incompréhensible, savez-vous lelatin ? Je ne le sais pas ! Il commence àparler en latin, tout le monde est KO.

Après, évidemment, on peutapprendre un petit peu de latin. Maisenfin, Lacan a fait ça avec son auditoirependant des années, savez-vous latopologie, non ? paf, paf, paf ! !Évidemment, au bout d’un certaintemps, les gens se mettaient à latopologie, alors il en passait à uneautre, ça soutien l'intérêt.

Évidemment il savait la topologie, àla différence de Sganarelle, qui nesavait pas le latin, bien sûr. C'est lemême principe.

On voit d'ailleurs à la fin du Médecinmalgré lui qu’il commence, qu’il a envied'éduquer tout le monde, c'est-à-dire onvient le voir et on lui demande tout.C'est-à-dire on voit petit à petitSganarelle annoncer Knock de JulesRomain qui prend là sa naissance et àla fin d'ailleurs tout le monde s’accordesur le fait que c'est un grand médecin etla pièce se termine là-dessus, il va sevouer à la médecine et comme safemme le lui dit : - c’est à moi que tu ledois (rires) et en effet, c'est elle qui lui adonné le signifiant maître du médecin,grâce à quoi il produit à tire-larigot unfaux savoir qui est destiné à l’enrichir.

Voilà une scène, voilà un événementdu discours hystérique parfaitementcadrable, parfaitement structuré,parfaitement régulier, quand on voit cequi se produit on peut dire c'est unévénement du discours hystérique.

Ce n'est pas une cérémonie, maisc'est un événement du discourshystérique. Bon je suis passé parMolière pour le plaisir, mais enfin on

peut prendre une scène de la viequotidienne : le gars téléphone, a autéléphone, régulièrement ses copines, àlui, les bonnes femmes qu'il a connuavant, on ne sait pas qui c’est, est-cequ’elles sont vieilles, est-ce qu’ellessont jeunes, est-ce qu’elles sontséduisantes, enfin, régulièrement,devant ladite, il pia-piate au téléphoneavec ses copines.

Et c’est assez insupportable pourqu’on le confie à son psychanalyste :c’est vraiment intolérable, quel goujat !quel, bon, et vient la parole, purecomme l’eau : « moi je n’existe pas !pendant qu’il cause comme ça, moi, jen’existe pas ! » C’est pur comme l’eauparce que c’est une phrase qui sert trèsbien cette position d’inexistence qui estcelle du sujet hystérique. Ce n’est passimplement qu’il ne fait pas attention àelle, pendant qu’il est là, c’est un autrependard, pendu au téléphone. Ce n’estpas simplement qu’il ne fait pasattention à elle, c’est que ça lui réveilleson inexistence subjective et c’est çal’effet de sujet dans le discourshystérique, c’est l’inexistence. Ah biensûr on peut dire c’est l’exhibition, c’esttout… ces voiles, le décorum, etc. oui,oui, oui ! d’accord.

Il y a tout le falbalas. Il y a tous lessemblants, mais au cœur, au cœur deces semblants et ça peut être lessemblants de l’autorité impitoyable,comme celle de la secrétaireacadémique qui fait respecter par tousles professeurs, les met en rangs, ilsn’y en a pas un qui bouge, maisderrière, au cœur de ça qu’est-ce quipalpite ? qu’est-ce ce dont il fautentendre, là, le petit mouvement, c’estle mouvement de l’inexistence.

Si je fais autant de bruit, si jem’habille de façon si superbe, si jegouverne mon service, mon pays,Margaret Thatcher, l’univers, si jepourchasse les criminels jusqu’au fondde leur tanière, c’est qu’ il faut tout çapour habiller, pour cacher ma misère,pour habiller mon vide que je ne sauraismontrer.

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On voit bien aussi que le gars quipasse son temps au téléphone, il nesait pas qu’il est essentiel, nécessairepour que la petite inexistante sesoutienne dans l’être, que pour existerun petit peu, il lui faut ce signifiantmaître. Et donc, ah oui, il faut que cesignifiant maître reste à sa place, parces’il bouge j’inexiste.

Et donc toi le signifiant maître, tu nebouges pas d’où tu est ! c’est lesignifiant maître à sa place, si je puisdire, et même remettre à sa place. Çaveut dire qu’au moment même où çapleure, ou ça déplore, ou ça vienttrouver son analyste pour dire commentl’autre est méchant, inconsidéré avecses copines douteuses, mais la petiteinexistante, hein comme la petitemarchande d’allumettes, la petiteinexistante tient le manche à chaqueseconde. Il faut que le gars qui al’insigne ne se prenne pas pour lemaître pour autant. C’est la contraire deres judicata pro veritate habetur.

Le crétin qui a l’insigne n’est pas prispour la maître, il faut qu’il se tienne à saplace. C’est pourquoi elle lui fait desscènes. Elle passe son temps à lui fairedes scènes, c’est-à-dire à l’allumer et àfoutre le feu avec ses petites allumettesde marchandes d’allumettes.

Ce qui fait qu’en fait, ce qui seprésente comme une rébellion, commeune perturbation, c’est en fait unévénement conservateur de la structuredu discours, l’événement de discourshystérique, c’est un événement quiconcrétise, manifeste la structure dudiscours qui le maintient. On s’assouplitun peu les méninges sur la rapport dudiscours et de l’événement, ou pourarriver au discours analytique et sonévénement la séance analytique.

Entre parenthèse ça indique ce qu’ilfaut donner - je ne sais pas pourquoi….ça a l’air d’être un conseil - àl’hystérique pour que le sujet hystériquereste en place, il faut lui donner à la foisphi et moins phi. C’est le double cadeaudonné à l’hystérique, d’un côté lesignifiant de la maîtrise, c’est une règlede bonne conduite dans la cure, pour

l’analyste, mais ça vaut aussi bien pourle partenaire vital. Il faut lui donner à lafois le signifiant de la maîtrise et lesigne exquis de la non maîtrise. Il fautlui faire cadeau de sa castration.

Ça, bien sûr, c’est difficile pour lesnévrosés, quoique pour pouvoiranalyser des sujets hystériques, vautmieux être analysé ou alors êtrehystérique soi-même parce que lejaponais, finalement, je ne sais pas s’ilanalysait mais il avait la façade du garssûr de lui, il s’est laissé mener par lebout du nez jusqu’au divan, il a donnétout ce qu’il fallait comme signe de lanon maîtrise, mais enfin c’était là peut-être un peu trop ; il donnait le signe dela non maîtrise, ça ne veut pas dire qu’ilfaut cesser de diriger la chose etl’orienter.

Et d’ailleurs on peut dire que ce qu’ily a toujours d’inquiétant dans le DonJuan, dans le personnage, dans lescaractères donjuanesques, c’est qu’engénéral, ils sont constitués ou toutentier sur le versant moins phi, ou toutentier sur le versant phi et c’est cecaractère unilatéral qui les lance dansla série infernale où ils sont pris. Bon, jene vais pas donner de conseils tropprécis.

Alors le discours universitaire quis’épuise dans ces cérémonies, Lacandit, pour les meilleures raisons dumonde, que ce qu’il peut produire demieux, c’est le mot d’esprit qui lui faithorreur. Et, en effet, l’effet de sujet dansle discours universitaire, c’est ce qui estproduit et c’est une division du sujet quiest capable ; elle est produite à partirdu savoir comme signifiant maître.C’est à dire que ce que le savoiruniversitaire peut produire de mieux,c’est la dérision du savoir, c’est à direque ce que le savoir universitaire meten valeur, c’est le caractère desemblant du savoir, mais il n’en profitemême pas. Il n’en profite même passauf Lewis Carroll par exemple…

Et je dois dire que c’est dans lamesure même, ou par la position quej’occupe dans les formes que j’occupe,les formes réglementaires, je l’occupe ?

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enfin je suis tout de même là dans uneposition régulée par le discoursuniversitaire, c’est dans cette mesurelà, qu’en effet je me livre au Witz. J’aidécouvert qu’il fallait pour êtreconforme à cette position pour que jeme livre au Witz avec l’abandon quevous pouvez constater cette année.

Le problème pour le discourspsychanalytique, c'est que ce seraitcelui qui toucherait au réel et ques’agissant de la cause, évidement ilredit, il fait redire comme Sganarelle, ilfait redire le fait, mais il redit et il biendit le fait, le discours analytique, de tellefaçon qu’il le modifie. Évidemment là,ce n’est pas le médecin thérapeute quile dit, c’est le patient. Le problème,c’est pour ça que c’est ce symptôme là,ce symptôme de semblant que Molièrea fait venir dans cette pièce, il a faitvenir le mutisme de Lucinde commesymptôme, ça suppose que les patientsparlent, c’est avec ça qu’on les attrapedans le discours analytique.

Pour faire le joint avec la femme deJuvénal, c’est le même type delittérature, Molière et Juvénal là dessus,c’est toujours la question avec qui on semarie ? Et là Lucinde veut se marier, etc’est pour ça qu’elle est mutique. Etpour faire le bien, si elle est mutique, sielle embête son père, tout le monde,toute sa famille, en la bouclant, c’estparce qu’elle veut, c’est parce qu’elleveut qu’on fasse ce qu’elle veut. Etquand elle rouvre la bouche, c’est pourrépéter et même pour hurler dit presqueMolière qui signale qu’elle parle d’unefaçon étourdissante, c’est pour dire « jeveux ».

Voilà ce qui boucle plus ou moinsmon bavardage d’aujourd’hui que jepoursuivrais la semaine prochaine.

Fin du Cours 7 de Jacques-AlainMiller du 19 janvier 2000

Le parcours du combattant desépoux Esnault dans le labyrinthe

des tribunaux

" La décision a étérendue sous l'emprised'un encombrement

intolérable "

Nous publions des extraits du courrier adressé,le  21   septembre  1995,  par  Alain  Le  Caignec,président   de   chambre   de   la   cour   d'appel   deRennes   aux  époux  Esnault,   dans   lequel   lemagistrat   reconnaît   avoir   commis   une   erreurdans l'analyse de leur dossier : " Comme vous lesavez   lorsque   j'ai   pris   la   présidence   de   la   4°chambre   civile,   le   1er   juillet   1986,   cettechambre était  littéralement noyée sous près decinq ans de retard d'audiencement. J'ai reçu dupremier   président   de   l'époque   la   missionimpérative de résorber coûte que coûte ce retardinadmissible. 

Cela m'a conduit à doubler lenombre des affaires enrôlées, cenombre passant de six à douzeaffaires par audience, et à prendred'autres mesures d'administrationpénibles, sur lesquelles je n'ai pasà m'expliquer. " Les conséquencesde cette énorme surcharge detravail ont été : - d'une part,l'impossibilité pour mesconseillers et moi-même deprendre un seul jour de vacancesentre septembre 1986 et Noël1988. Mes collaboratrices vous leconfirmeraient ; - d'autre part, defaire vite, très vite, au risque defaire trop vite. Le réexamen despièces du dossier de l'affaire vousopposant aux consorts X... m'alaissé, et cet aveu me coûte, outrequ'il est tout à fait inusité pour unmagistrat, une impressiondésagréable d'arrêt plus ou moinsloupé.

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Après une analyse juridique dudossier, le magistrat poursuit : "J'atteste donc, ayant conscienced'accomplir un douloureux devoir,que la décision dont il s'agit a étérendue sous l'emprise d'unencombrement intolérable, et desmesures qu'il a fallu pour résorbercet encombrement. Ces mesures témoignent, pour lapériode considérée, de difficultésde travail extrêmes, difficultés quiont été de nature à entraîner undysfonctionnement dansl'administration de la justice. " Cedysfonctionnement n'a pas étésans incidence, au moins probable,sur la décision qui vous a étédéfavorable. Vous n'êtes donc, àmes yeux, et en conscience, pasdépourvus de motifs de vousplaindre des conséquences trèsgraves que leditdysfonctionnement a pu avoir survotre fortune. "

SOCIETE Le parcours du combattant des

époux Esnault dans le labyrinthedes tribunaux

Quatorze ansd'imbroglio judiciaire

AVANT   de   demander   une   indemnisation   auministère de la justice, Jacques et Nelly Esnaultse   sont   confrontés   dix   années   durant   àl'institution  judiciaire.  Ce qui  n'était  au  départqu'un banal litige opposant des locataires à leursbailleurs est  devenu, au fil  des procédures,  unvéritable imbroglio judiciaire.  Une quarantainede   procès   n'ont   pas   suffi   à   leur   permettre   desortir de l'impasse juridique dans laquelle ils sesont   retrouvés.   Une   situation   qu'ils   attribuentlargement à l'arrêt contesté de la cour d'appel de

Rennes   du   6   novembre   1986,   rendu   sous   laprésidence d'Alain Le Caignec. A la suite de cette décision, qui les déboute deleur   demande   de   travaux   auprès   de   leurspropriétaires, et qualifie de " ruine " leur hôtel­restaurant,   les  Esnault  examinent   la  possibilitéde   former   un  pourvoi.  Consultés,   des   avocatsspécialisés   le   leur  déconseillent   :   l'arrêt   de   lacour  d'appel,  qui peut  être  erroné   sur   le   fond,n'en est pas moins inattaquable sur la forme. Onleur fait donc valoir que la Cour de cassation nemanquera   pas,   à   juste   titre,   de   rejeter   leurpourvoi puisqu'elle examine la validité formelledes arrêts.  Le couple se  fait  une raison  :  bienque   les   propriétaires   n'aient   plus   l'obligationjuridique d'effectuer  les  travaux de remise auxnormes, ils continuent à exploiter le restaurant.Quelques mois après, ils obtiennent même sonclassement une étoile par la préfecture d'Ille­et­Vilaine. 

IRONIE DU SORT 

Mais le sort s'acharne. L'ouragan qui secoue la Bretagne en octobre 1987 endommage considérablement la toiture, et provoque des infiltrations d'eau. Nouvelle demande aux propriétaires d'effectuer les travaux, nouveau refus. Le couple saisit alors la justice, qui leur donne cette fois raison. Cette décision sera même confirmée parla cour d'appel de Rennes, le 5 mars 1991, dans une formation présidée, ironie du sort, par Alain Le Caignec, le magistrat qui leur avait donné tort, cinq ans auparavant. Mais   la   justice   ne   s'en   tient   pas   là.   Lespropriétaires   forment   un   pourvoi   contre   cettedécision   :   au   grand   désespoir   des  Esnault,   laCour   de   cassation   leur   donne   raison,   le   23novembre  1993,  et  casse   l'arrêt  qui  ouvrait   lavoie aux travaux. Le raisonnement de la Cour est imparable : en vertu du principe de l'autorité de la chose jugée, le premier arrêt de la cour d'appel de 1986, qui déclarait l'immeuble en " ruine ", ne peut être contredit. La juridiction suprême confirme cette décision par un second arrêt, le 13 mai 1997, qui

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met définitivement un terme aux espoirs des époux Esnault. Dans un récapitulatif  de l'affaire,   le  médiateurde   la   République   résume   l'impasse   juridiquedans laquelle les époux Esnault se sont trouvés."   L'arrêt   de   la   cour   d'appel   de   Rennes   du   6novembre  1986  a   créé   une   situation   juridiqueayant pour effet  d'empêcher les  époux  Esnaultde voir prospérer  utilement leurs demandes deréparation   alors   qu'ils   continuaient   à   payerrégulièrement   leurs   loyers   et   que   nul   necontestait sérieusement que l'immeuble n'était nipartiellement détruit, ni en ruine. Cette situationparadoxale   les  a  conduits   finalement   à   fermerleur hôtel puis leur restaurant, et à se retrouveraujourd'hui logés dans un HLM en n'ayant quele RMI pour seule ressource. "

CECILE PRIEUR

LE MONDE / 19 Janvier 2000 / Page 9

SOCIETE Le parcours du combattant desépoux Esnault dans le labyrinthedes tribunaux

Le principe de l'autoritéde la chose jugéeL'AFFAIRE   des  époux  Esnault  pose   leproblème   de   l'autorité   de   la   chose   jugée,   quiporte   sur   le   contenu   des   décisions  de   justice.Elles sont, pour la plupart, susceptibles d'appelet peuvent faire l'objet d'un pourvoi en cassationmais une fois prononcées, elles bénéficient de ceprincipe de l'autorité de la chose jugée. 

Res judicata pro veritate habetur :ce qui a été jugé est tenu pour êtrela vérité et ne peut plus être remisen cause. " La décision adésormais force de vérité légale,écrit Roger Perrot dans son livresur les institutions judiciaires(éditions Montchrestien). C'est làune particularité essentielle dujugement, ce par quoi il sedistingue de l'acte administratif.Sans cette règle, les procès nefiniraient jamais. "

M.   Perrot   souligne   que   ce   principe   a   deuxconséquences. D'une part, le jugement constitueun   véritable   titre   dont   on   peut   toujours   seprévaloir. D'autre part, toute nouvelle demandequi tendrait à remettre en cause ce qui a déjà étéjugé se heurterait à une fin de non­ recevoir : onne peut recommencer deux fois le même procès.En matière pénale, il existe une commission derévision auprès de la Cour de cassation mais enmatière civile ­ c'est le cas des époux Esnault ­,cette procédure n'est pas possible. La   chancellerie,   qui   admet   le   caractère   "dramatique " du dossier des époux Esnault, meten avant les décisions de la Cour de cassationqui,   par   deux   fois,   ont   entériné   l'arrêtcontroversé du 6 novembre 1986. " Le ministèrene peut remettre en cause cette  décision qui aacquis l'autorité de la chose jugée, explique­t­onplace   Vendôme.   La   situation   serait   identiqueaprès   le   projet   sur   la   responsabilité   desmagistrats contenu dans la réforme de la justicepuisque   ce   texte   ne   concerne   pas   les   actesjuridictionnels   rendus  par   les  magistrats.   "  Lemédiateur   de   la   République   estime   cependantque   la   chancellerie   aurait   pu   indemniser   lesépoux  Esnault,   à   titre   exceptionnel,   en   sefondant  sur  la reconnaissance  de la  faute faitepar le magistrat.

LE MONDE / 19 Janvier 2000 / Page 9 SOCIETE JUSTICE

Le parcours ducombattant des époux

Esnault dans lelabyrinthe des tribunauxUn magistrat dont la décisionavait provoqué la ruine de deuxrestaurateurs a reconnu avoircommis une erreur dans sonarrêt. Les demandes deréparation n'ont cependant pasabouti car il faudrait remettre encause le principe fondamental del'autorité de la chose jugéeJUSTICE L'affaire des épouxEsnault, un couple derestaurateurs ruiné après unedécision de justice manifestementerronée, pose le problème del'autorité de la chose jugée. Envertu de ce principe, les époux

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Esnault n'ont pas pu obtenirréparation. DANS UNE LETTREREDIGEE EN 1995, le juge avaitpourtant reconnu son erreur,expliquant qu'en raison d'unretard de près de cinq ansd'audiencement, il avait fallu" faire vite, très vite au risque defaire trop vite ". " Le réexamendes pièces du dossier de l'affairevous opposant aux consorts X m'alaissé, et cet aveu me coûte,outre qu'il est tout à fait inusitépour un magistrat, uneimpression désagréable d'arrêtplus ou moins loupé ". Pour éviterque les procès se poursuiventéternellement et que les décisionssoient constamment remises encause, le principe de l'autorité dela chose jugée prévoit que lesdécisions du juge ne peuvent êtrecontestées.

C'EST UNE HISTOIRE exemplaire, qui opposedepuis   plusieurs   années   un   homme   et   unefemme à   l'institution   judiciaire.  Anciennementgérants  d'un  hôtel­restaurant  prospère,   Jacqueset Nelly Esnault ont été conduits à la faillite à lasuite   d'une   décision   de   justice   manifestementerronée. Depuis plusieurs années, ils se battentavec la chancellerie pour que l'Etat reconnaissesa faute et les indemnise. Les gardes des sceauxsuccessifs,   Jacques   Toubon   puis   ElisabethGuigou,   ont   refusé   de   reconnaître   laresponsabilité  de la  justice dans ce dossier.  Etce,  bien que  les  époux  Esnault  disposent  d'untémoignage   inédit   :   la   reconnaissance,   par   lemagistrat qui les avait jugés, de son erreur dansl'appréciation de leur dossier. En 1978, les époux Esnault reprennent le fondsde commerce d'un hôtel­restaurant de Fougères(Ille­et­Vilaine),   Le   Saint­Pierre,   qui   acquiertrapidement   une   certaine   renomméegastronomique.  Mais   l'immeuble  n'est  pas  auxnormes  de   sécurité   et   le  couple  demande  auxpropriétaires   d'effectuer   quelques   travaux   derénovation. Devant le refus des bailleurs, il fontappel   à   la   justice,   mais   sont   déboutés   par   letribunal de Fougères, au motif que " les grossesréparations   invoqués   par   les   locatairesconstituent   en   réalité   des   travaux   dereconstruction de l'immeuble ". La cour d'appelde   Rennes   confirme   cette   décision,   le   6novembre 1986, en estimant que " la ruine dubâtiment   n'est   pas   due   à   une   faute   "   despropriétaires.   Les   juges   estiment   que   les

propriétaires   n'ont   pas   à   effectuer   de   travauxpuisque le bâtiment est devenu une " ruine " encours de bail. La réalité est tout autre : les photos de l'époqueet   les   pièces   communiquées   aux   magistratsdémentent   formellement   l'état   de   ruine   deslocaux.   Indignés   par   la   décision,   M.   et   MmeEsnault  se   lancent  dans   une   bataille   juridiquedont ils sortiront épuisés, leur affaire liquidée etleurs   biens   vendus   aux   enchères   (lire   ci­dessous).   De   guerre   lasse,   ils   décident   deprendre contact avec la cour d'appel de Rennes,en 1995, pour obtenir la reconnaissance de leurpréjudice : sans le savoir, ils entament alors unenouvelle   épreuve   de   force   avec   l'institutionjudiciaire, dont l'épilogue n'est pas encore écrit. A force  d'insistance,   ils  sont reçus,   le 31 août1995, par Claude Hanoteau, actuel directeur del'Ecole   nationale   de   la   magistrature,   alorspremier   président   de   la   cour   d'appel.   Cespremiers contacts sont relatés par M. Hanoteaului­même dans une lettre qu'il a adressée, le 26février   1996,   à   la   chancellerie.   Face   à   "l'insistance envahissante et non maîtrisable desépoux  Esnault  ",  Claude Hanoteau  les  renvoiesur   le   président   de   chambre   qui   les   a   jugés,Alain Le Caignec. Celui­ci les reçoit, et troublé,reconnaît qu'il s'est manifestement trompé, neufans   auparavant,   quand   il   a   jugé   cette   affaire.Non sans courage,   il  accepte,  chose  rarissime,de consigner par écrit cet " aveu qui [lui] coûte "(lire ci­dessous). Croyant avoir obtenu le plus difficile, les épouxEsnault  sont   confiants.   Ils   iront   pourtant   dedéconvenue en déconvenue.  Dans son courrierdu   26   février   1996   à   la   chancellerie,   ClaudeHanoteau affirme ainsi : " Recevant cette lettreet découvrant avec stupéfaction son contenu, j'aitéléphoné  à  M. Le Caignec à  son domicile.  Ilm'a   confirmé   qu'il   en   était   bien   le   rédacteur,mais n'a pas paru comprendre mon émotion, melaissant entendre qu'il  avait  agi  suivant ce quelui   indiquait   sa   conscience.   Le   rencontrant   àmon   cabinet,   M.   Le   Caignec   a   persisté   danscette   attitude,   et   m'a   indiqué   qu'il   n'avait   niconsulté   ses   collègues   de   la   collégialité   niestimé nécessaire de m'en parler. " Les  époux  Esnault,   qui   envisagent   d'assignerl'Etat pour " faute lourde " du service public dela justice en sont alors dissuadés par le ministèrede la justice. Une indemnisation à l'amiable estenvisagée,   on   leur   demande   de   chiffrer   leurpréjudice   et,   le   8   février  1996,   ils   sont   reçusplace   Vendôme   par   deux   magistrats.   Lachancellerie diligente rapidement une inspectiondes services judiciaires, qui est conduite par son

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J.-A. MILLER, LES US DU LAPS - Cours n°6 12/01/99 et 7 19/01/2000 -100

directeur   de   l'époque,   Jean   Géronimi.   Le   4octobre 1996, ils reçoivent un courrier signé deJacques Toubon, qui leur indique qu' " aucunesuite   favorable   ne   peut­être   réservée   "   à   leurdemande d'indemnisation. " Après examen desdocuments   joints   à  votre   courrier  et   au   termed'investigations menées par l'inspection généraledes   services   judiciaires,  aucun   fonctionnementdéfectueux [du service de la justice] n'a pu êtreétabli,   affirme   l'ancien   garde   des   sceaux.   Laréalité   des   allégations   de   M.   Le   Caignecrelatives   aux   conditions   dans   lesquelles   a   étépris   l'arrêt   du   6   novembre   1986   n'a   pas   étéconfirmée. Je souligne que M. Le Caignec s'estexprimé  à   titre personnel  car   il  n'avait  aucunequalité   pour   prendre   position   à   titreprofessionnel sur cette question. " COLLEGIALITE L'alternance   politique   leur   redonne   cependantespoir.   Quelques   semaines   après   l'installationd'Elisabeth   Guigou   place   Vendôme,   ilsobtiennent de ses services, à titre exceptionnel,copie   du   rapport   d'inspection   rédigé   par   JeanGéromini.   Ils  découvrent  alors   l'analyse  qui   aprévalu jusqu'à alors à la chancellerie : lors del'inspection, les deux magistrates assesseurs deM. Le Caignec se sont désolidarisées de lui etont affirmé  que  la  collégialité  qu'ils   formaienten   1986   n'avait   pas   fait   d'erreur   dans   leuraffaire.   L'inspection   a   ainsi   estimé   que   "   leséléments recueillis n'apportent pas la preuve quel'arrêt de 1986 relève un dysfonctionnement " etque " le lien de causalité entre l'arrêt litigieux etle préjudice allégué par les  époux Esnault n'estpas clairement démontré ". Pourtant,   la   même   inspection   affirme   enconclusion,   que   la   lettre   de   M.   Le   Caignecconstitue pour le couple " un moyen fondé sur lecaractère   fautif   du   fonctionnement   "   de   lajustice,   si   ceux­ci   décidaient   d'assigner   l'Etatpour   faute   lourde.  Mais   les  époux  Esnault  neveulent pas se résigner à une nouvelle procédureen   justice,   longue   et   onéreuse,   et   demandentdonc   un   ultime   examen   de   leur   dossier   parl'équipe de Mme Guigou. Nouvelle déception :le 12 novembre 1998, le directeur de cabinet dela   ministre,   Christian   Vigouroux,   leur   répondqu'il a " le regret de [leur] faire connaître qu'à lasuite   cet   examen   aucun   élément   nouveau   n'apermis   d'établir   l'existence   d'undysfonctionnement du service de la justice ". Les   portes   se   fermant   une   à   une,   les  épouxEsnault  ne  sont  pas   loin de   jeter   l'éponge.   Ilssaisissent   cependant   le   médiateur   de   laRépublique. Bernard Stasi prend le dossier très àcoeur   et   est   persuadé   de   la   nécessité

d'indemniser   les  époux  Esnault.   Il   s'en   ouvredans un entretien privé avec Elisabeth Guigou,en avril 1999, afin d'attirer son attention sur sesdimensions   à   la   fois   juridiques   et   humaines.Mais l'autorité de la médiature n'y fera rien. Sebasant   sur   les   conclusions   du   rapportd'inspection   diligenté   par   Jacques   Toubon,Elisabeth Guigou informe Bernard Stasi,  le 10août   1999,   qu'elle   ne   donnera   pas   de   suitefavorable à la demande des époux Esnault. 

De fait, la chancellerie n'a jamaisadmis qu'un magistrat, fût-ilstatutairement indépendant,reconnaisse, seul et en conscience,avoir commis une faute dansl'exercice de ses fonctions.Estimant à demi-mot qu'Alain LeCaignec a outrepassé son devoirde réserve, les services duministère invoquent ce principe,refusant d'admettre le préjudicequi a pu découler de l'arrêtcontesté. Si aucune poursuitedisciplinaire n'a été engagéecontre le magistrat rennais, son" aveu " lui a coûté cher : depuis1986, sa carrière est bloquée et iln'a pas quitté ses fonctions deprésident de chambre à la courd'appel. Quant à M. et Mme Esnault, désillusionnés surle   fonctionnement   de   la   justice,   ils   se   sontrésolus à assigner l'Etat pour " faute lourde " duservice   public   de   la   justice,   le   4   août   1999,devant le tribunal de grande instance de Rennes.Ruinés,   vivant   d'allocations,   ils   demandent5,455 millions de francs à l'Etat en réparation deleur préjudice. Mais après plus de quatorze ansde bataille incessante, ils n'y croient plus.

CECILE PRIEURLE MONDE / 19 Janvier 2000 / Page 1

L'erreur d'un jugeRuiné   à   la   suite   d'une   décision   de   justiceerronée, un couple de restaurateurs tente depuisquatorze   ans   d'obtenir   réparation.   Expliquantque   la   juridiction   était   alors   "   littéralementnoyée   sous   près   de   cinq   ans   de   retardd'audiencement  ",   le   juge a   reconnu,  neuf  ans

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plus tard,  s'être   trompé.  "  Vous n'êtes  donc,  àmes yeux, et  en conscience,  pas dépourvus demotifs  de vous plaindre des conséquences trèsgraves que ledit  dysfonctionnement  a pu avoirsur votre fortune ", écrivait­il.  Mais les  épouxEsnault  ne peuvent pas obtenir d'indemnisationcar ils se heurtent au principe de l'autorité de lachose   jugée.  Cette   affaire   illustre   le   débat   encours sur la responsabilité des magistrats.

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LES US DU LAPS

Jacques-Alain Miller

Septième séance du Cours

(mercredi 19 janvier 2000)

VII

Ouais ! je vois ce qu'il en est : vous vous foutez de moi, parce que j'arrive en retard. Ehbien je vais vous dire quelque chose, je le fait exprès. Je le fait exprès parce que si j'arrivaisà l’heure, il y a la moitié de la salle ne serait pas là. Et puis, il y a encore une autre raison, unretard d'un quart d'heure c'est le retard académique, universitaire. Eh bien je suis pas ununiversitaire ! justement, malgré les apparences, et je pratique le retard analytique, moi.

Ah il fait beau voir que vous vous fichez de ma gueule alors que si j'arrive en retard, c'estvotre faute : si j’arrivais ici en retard sous les huées que je mérite, j'arriverais à l’heure. Maisje ne vois que des faces souriantes qui attendent en plus de s’en payer une bonne trancheparce que je les amuse il paraît. Eh bien, de ce fait vous m’encouragez à arriver en retard.

Bon, c’est jouer, c’est jouer pour vous donner un petit frisson du type de savon qu'on vouspasse quand on est à la place de l'analyste où vous êtes, du seul fait que je m'adresse àvous sur le bord de l'ignorance et en plus en payant de ma personne et même de monsymptôme temporel.

Quand on assume la responsabilité d'écouter des choses pareilles, eh bien on suscitechez le sujet patient, précisément ce genre de reproches éperdus dont je viens de vousdonner une petite bouchée.

Continuons, reprenons. J'ai fait la dernière fois un petit excursus, dont l'occasion m’avaitété donnée par l'examen de l'effet de sujet dans les différents discours distingués par Lacan,examen, revue, auxquels je procédait, aux fins de mettre en valeur, ce qu'il en est de ceteffet de sujet, dans le discours analytique et de ce qu'il permet, précisément, detransmutation de cet effet de sujet en savoir qui se dépose. J’ai dit dans le discoursanalytique, syntagme que nous devons à Lacan. Ce que je vise précisément, je tourneautour, c'est la séance analytique, le laps de temps de la séance analytique.

C'est maintenant l'occasion de nous demander comment penser, comment formuler lerapport du discours analytique et de la séance analytique.

Oh, je ne vais pas régler ça aujourd'hui ! Oh je vais encore excursiver, excursionner. Mais,pour vous donner un petit repère sur cette question du discours et de la séance, discours quiest pour nous assis sur un mathème de Lacan, la séance qui est notre pain quotidien, pourdonner un petit repère, disons que la séance analytique est l’événement régulier, et qu'on nem’objecte pas tout de suite que tous les événements sont réguliers, ce n'est pas exact, c'estl’événement régulier, ce n'est pas l'événement imprévu, bien sûr, c'est l'événement régulierque le discours analytique institue.

Voilà au moins une définition simple comme bonjour, encore faut-il l'exprimer et l'exprimerpar ce biais fait voir que chaque discours institue, détermine, prescrit, dispose, desévénements. Alors examinons un peu nos discours de cette perspective là.

Dans le discours du maître, dans le discours de l'université, les événements de discourssont même ritualisés, réglementés, ils prennent la forme cérémonielle, volontiers, ils sont desévénements conventionnels. Les événements de discours chez le maître et chez l'universitésont enrégimentés par des obligations précises, des prescriptions à observer et souventsous peine de nullité de l’acte.

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Prenons le discours du maître, sous sa forme à la fois la plus patente, la plus épatante etla plus sotte, la plus parodique, le vrai de vrai du discours du maître, s'il y en a un.

Prenons la figure qui se représente volontiers dans cette fonction imminente, au coursdes rêves. C’est au courant des rêves, ces petits récits imagés, qui passent dans la tête,quand on ne fait pas attention, qu’on pratique ce curieux exercice qui consiste à dormir, à cemoment-là on rêve, et il arrive qu'on se souvienne de ses rêves, tout le monde a fait cetteexpérience.

Dans ces rêves, souvent, l'autorité, le support humain du signifiant maître apparaît sousles espèces, changeant au cours du temps, de celui qui porte le nom de « Président de laRépublique », en France. On rêve du président de la République, eh oui, pas tout le temps,on ne rêve pas de l’être, sauf exception, mais on rêve du président de la République, de safigure, qui est un motif pour nous suffisant pour nous y intéresser.

Alors prenons ce rêve qu'on appelle l’actualité politique. C'est le rêve que nous faisonstous ensemble au cours de cette prière du matin ou du soir, qu’est la lecture du journal, pourceux qui ont la télévision, devant l’appareil.

Le souvenir le plus immédiat, cette extraordinairement spirituelle dissolution de laChambre qui a eu lieu il y a quelques années et qui a bouleversé toute la situation politiqueen France. Ça, vraiment, ça a un côté soulever une pierre pour se la laisser retomber sur lespieds, un lapsus, un mauvais calcul ayant des conséquences d’une certaine étendue dans legouvernement du pays ; ça n’aurait pas empêché la tempête, je vous rassure tout de suitemais enfin…

Eh bien si mon souvenir est bon, le président de la République ne peut dissoudre laChambre que s'il a préalablement consulté le président de l'Assemblée nationale et leprésident du Sénat. Je suis étonné de savoir ça, ça m'est venu, je n'ai pas vérifié, il y a peut-être un détail ou deux qui n'est pas exact mais je vois qu'on m’approuve, que les espritspolitiques n'approuvent dans l'assistance.

Alors, il faut les consulter. C'est-à-dire qu’il faut que le monsieur qui a le titre de présidentl'Assemblée nationale se déplace, parce que - enfin il faut qu’il se déplace, ce n’est pas dansles textes - supposons qu’il soit à l'hôpital, c'est certainement le président de la Républiquequi se déplace à ce moment-là, ça c’est un détail, quand il est en bonne santé, il se déplaceau palais de l'Élysée et puis il ressort, il a été consulté. Même chose pour le président duSénat.

Qu'est-ce qu'ils se sont dit au cours de cette consultation ? c'est très possible que leprésident de l'Assemblée nationale ait dit au président de la République : c'est uneconnerie ! ! Et que le président du Sénat ait dit au président de la République : vous êtestimbré mon vieux ! !

Peu importe, le président a consulté, il a fait ce qu'il avait à faire selon la prescriptionconstitutionnelle. Et donc ensuite sa dissolution de la Chambre peut être une connerie, dupoint de vue de ses partisans, je ne prends pas parti là-dessus, mais, c’est une connerieconforme à la règle, c'est une connerie régulière, c'est dans les formes.

Et à ce moment-là, quand le président de la République dissout la Chambre des députés,ça n'est pas un coup d'Etat, ça n'est pas un coup de force, c'est constitutionnel et tout lemonde se dissout et se tourne vers le peuple de France pour lui demander de manifesterson opinion, en glissant un petit papier régulier, dans des formes régulières, dans une boîterégulière, d'où émerge, superbe, un nouveau pouvoir.

Voilà ce qu'est un événement de discours et c’est même toute une chaîne d'événementsde discours. Quand vous glissez le papelard dans la boite, après quelques griffonnages, etquelques : prononcez, monsieur untel a voté etc. vous accomplissez un événement dediscours, dans les formes, même si, dans votre enveloppe vous avez glissé un papier, il y atoutes sortes de papier. .

Cette conception de l'événement de discours s’étend au delà même de ce qui estexplicitement prévu par les textes fondamentaux, de la vie républicaine, ça s’étend à deshabitudes, ça s’étend à des us.

Par exemple l'arbre de Noël à l'Élysée. Quel que soit le président de la République, il y aun petit peu avant Noël un petit peu après un arbre de Noël, où des enfants, des petits

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enfants sont conviés, reçoivent les cadeaux de la République. Je me souviens avoir apprisça dans ma petite enfance et m’être dit : qu’il est bon ce président de la République decombler ainsi les petits enfants de France et quelle déception de voir que tous les ans c’étaitpareil, et quel que soit le président de la République. Il était toujours aussi bon ! et que, envérité, il s'agissait d'un événement ritualisé, qui n'avait rien à faire avec la bonté du présidentde la République, qui était une obligation coutumière, de sa charge et qu'il fallait pasconfondre les événements de discours et les événements qui viennent du cœur.

Ah ! Dans le discours de l'université, ah ! avec moins de décorum, aujourd'hui, unesoutenance de thèse, la délivrance du titre de docteur, éventuellement et d'habitude avec lesfélicitations du jury, voilà un événement de discours qui, pour être valable, doit être accomplisuivant certaines formalités.

Oh ! ce n’est pas l'impératif catégorique, c'est tout de même les impératifs pour que cetévénement de discours délivre valablement ce qu'on en attendait. Il faut qu’il y ait le nombrede professeurs prescrit, il faut que le candidat soit là, il faut qu’il y ait des pages à considérer,qui aient été visées préalablement par l'autorité habilitée à le faire, il faut encore un certainnombre de prescriptions dont s'occupe en général une secrétaire générale, j’ai surtout euaffaire à des dames qui là savaient incarner la volonté du discours et qui te faisait défiler cesprofesseurs, etc. conformément au règlement.

Alors, une fois qu’il y a ce qu’il faut dans la salle, que les dits professeurs, aient lu la thèseou ne l’aie pas lue, qu’à ce propos ils disent des conneries ou des merveilles, qu'ils semettent à parler de leur maladie, de leur bibliothèque, de leur chat, aucune importance, çan’invalide pas l'événement de discours, superbe, qui s'accomplit sous vos yeux et dontéventuellement vous êtes partie prenante.

Un événement de discours, c'est aussi de faire cours, c’est un événement avec moins dedécorum, moins réglementé, on ne dit pas qu’il faut pas arriver en retard, un cours restevalable même si le professeur arrive en retard, peut-être même reste valable même s'il arriveaprès l’heure, on ne sait pas mais, normalement, il faut qu’il soit là, à peu près à heure dite etpuis qu'il y ait des textes, qu’il l’ouvre, qu’il le fasse ouvrir à d'autres, pour se reposer, et si luiaussi, il répète, comme je le fais, tout le temps, Lacan, Freud, etc., même s'il se répète, tousles ans la même chose, c’est une heure d'enseignement qu'est-ce que vous voulez. Et puisquand c'est vraiment bien fait, pas comme ici, les étudiants signent leur présence, après, s'ilssignent la présence au début, ils peuvent se tailler ensuite, ils ont signé, si d'ailleurs ilsdoivent signer à la fin ils arrivent à la fin, ils ont signé ; ils ont les heures de présence. Voilàce qui est de l'ordre de la cérémonie.

Je dis tout ça en pensant à la séance analytique bien sûr. Enfin, je vais en mettre encoreune petite dose, sur la cérémonie, parce que le discours du droit, qui est quand même unélément essentiel qui entre dans la composition du discours de maître, qui est son support,ou son diverticule, selon la perspective qu'on veut prendre., le discours du droit. Ah ! Pasplus tard que hier soir, dans Le Monde, il y avait une page, qui contait une histoire, il fautdire, désopilante, un épisode clinico-juridique, extraordinairement enseignant. 2Quelques-unsd'entre vous ont dû consacrer quelques minutes à cet article hier.

C'est l'histoire, enfin c'est pas Balzac, ce serait plutôt Courteline, c'est l'histoire de deuxrestaurateurs ruinés par un jugement erroné. L'histoire est assez sombre, locataires, le localen question tombait en ruines, ils ont requis les propriétaires de faire les travauxnécessaires, qui leur incombaient et qui étaient sans doute interdits aux locataires, lespropriétaires voulaient rien savoir, les restaurateurs font un procès, première instance c’esteux qui ont tort. Seconde instance d'appel, c’est encore qui ont tort. Et, dans la suite deschoses, les voilà ruinés, ces restaurateurs prospères, et les voilà depuis quinze ans tentantd'obtenir de la justice qu'elle reconnaisse le caractère erroné du jugement qui a été rendu,photographies à l’appui. Jusque-là, rien d'étonnant.

Le plus drôle, c'est que les deux restaurateurs, monsieur et madame, ayant une sthéniefantastique, dans la revendication, dans le sens de la justice, une telle sthénie qu'ellepourrait être cliniquement inquiétante, mais ça n'enlève rien à leur bon droit, retrouvent le

2 Voir en fin de Cours

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président du tribunal d'appel, qui à ce moment-là se trouve faire autre chose, diriger l'écolede la magistrature. Et ce brave homme, au vu des documents qu'on lui montre, reconnaîtqu’il s’est mis le doigt dans l'œil, reconnaît qu'il a rendu un jugement erroné.

Et donc les deux restaurateurs là, pensant être restaurés dans leur droit, que justice valeur être rendue, font état de l'opinion du juge lui-même, qui a rendu le verdict. Que croyez-vous qu'il arriva ? On punit le juge, on punit le juge qui n'a pas à dire des choses comme ça.On punit le juge pour mettre en question l'autorité de la chose jugée, c'est quand même pasun juge qui doit faire ça, sinon où allons-nous, et on le punit pour s'être prononcé sur uneaffaire qu'il avait jugée en tant que juge dans les formes, et se prononcer sur cette affairelorsqu'il n'est plus le juge de cette affaire, du genre qui êtes-vous monsieur, pour dire ça ? Lejuge s’est prononcé, mais le juge c'était moi, nous ne voulons pas le savoir ! Jadis vous fûtesdans les formes, juge, premier juge, Président de la cour d'appel, à ce moment-là vousparliez d'or, chacune de vos conneries valaient chose jugée, et maintenant vous êtes unquidam, ce que vous dites ne vaut un pet de lapin.

Et donc il a été puni, il n’a pas été puni, il n’a pas été jugé, mais enfin on note qu’il n’y aeu aucune poursuite disciplinaire contre ce juge rebelle, mais, que, depuis 1986, c’est pashier quand même, quatorze ans, depuis quatorze ans, sa carrière est bloquée. Voilà !

Alors là, il y a eu des ministres de la justice, de droite, il y a eu des ministres de la justicede gauche, le ministère de la justice n'a pas varié dans sa position. Le jugement, grandévénement de discours qui porte des conséquences, le jugement a été rendu, nul, mêmepas ceux qui transitoirement ont été le véhicule, du discours du droit, nul même parmi eux nepeut s’élever contre cette chose jugée. Tout au plus, c'est ce qui arrivera, quand il y a eu unarticle de presse et que quand même tout le monde rigole, on leur donnera quand même unecompensation exceptionnelle, sur les fonds qui traînent au fond des tiroirs, en regrettantd'ailleurs de ne pas l'avoir donné avant, pour qu’ils la bouclent, pour qu'on ne voit pas,comme hier soir, le semblant juridique dénudé. Voilà ce que Lacan appelle le semblant nu.

Ah ça serait un beau titre ça « Le semblant nu ». Ca fait penser au titre de WilliamBurroughs Le Festin nu. C’est ça, c’est pas le banquet des analystes, c’est le festin nu de lajustice.

Pourquoi je m'emporte comme ça ?C'est parce que, tout ça qui a l’air très loin, c'est ce qui nous tient. C'est quand même cettevermine là qu'on a sur le dos.

Le juge n'avait pas à le dire, et c’est l’État qui le lui dit. Ça se dit même en latin, c’estreproduit dans Le Monde et puisque j’ai parlé de latin la dernière fois et bien continuons : resjudicata pro veritate habetur. Res judicata, la chose jugée, la chose ayant été jugée, proveritate habetur, est tenue pour la vérité, pro veritate. Pro veritate ne veut pas dire : pour lavérité, je donne ma vie, non, ça veut dire : à la place de la vérité. Le jugement même fauxjusqu’à la moelle, le jugement, l’énoncé du jugement vaut pour un énoncé vrai.

Et c’est donc, quand dans un discours ce qui règne par excellence c’est la forme,évidemment on s'étonne que le juge soit encore en liberté !

Ca dit évidemment quelque chose du statut de la vérité dans le prétoire. Ca ditévidemment quelque chose de la justice. La justice n'est pas l'équité, qui est une qualité del’âme, la justice est une propriété d'un discours.

Ça dit aussi quelque chose de la vérité. La vérité n'est pas ce qui est en question danscette affaire. La vérité est représentée dans cette affaire par monsieur et madame, Chose,qui promènent leur malheur depuis quinze ans, rien à faire de ce couple de pékins !

La vérité n'est autorisée à paraître dans le prétoire que si on y met les formes. Et, la véritédans les formes, c’est la vérité dehors. Vous avez cet exemple, mais, c'est ce que le Code,notre Code, qui porte le nom, qui portait le nom de Napoléon qui avait profondément pénétréles rouages du discours du maître, qui avait une flopée de Portalis et autres pour rédigercomme il fallait le Code, il dit en toutes lettres que la vérité n'a rien à voir, qu’il n’y a rien deplus dangereux que la vérité.

Monsieur Untel est un repris de justice, comme ce juge peut-être, bientôt. Monsieur Untelest un repris de justice. Vous dites Monsieur Untel est un repris de justice ! Vous l'imprimez.Oh ! par besoin de l’imprimer dans Le Monde, vous l'imprimez à quinze exemplaires, à vingt

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exemplaires, pour vos amis croyez-vous. Diffamation ! Mais monsieur le juge, c'est un reprisde justice ! Vous n'aviez pas à le dire Monsieur. Ca s'appelle la diffamation. La diffamation,c’est pas du tout de dire des choses fausses. La diffamation est d'autant plus grave que vousdites des choses vraies, parce que la diffamation, c’est exactement par les mots que vousutilisez, par, comment on dit ça, comment l'Autre dit ça, par la fonction de la parole et duchamp du langage, vous attentez à la réputation de quelqu'un. C'est tout. C'est ça ladiffamation. Et vous y attentez d'autant plus que vous dites une vérité sur lui, désagréable. Etdonc n’en remettez pas, n’apportez nous pas les preuves. Il est entré à la Santé à telle date,il en est sorti à telle date. Ouh ! ouh ! plus c’est vrai plus c’est pire, si je puis dire.

Et, ce qui est encore plus beau d'ailleurs, ce qui dit quelque chose de ce qu'on appellel'ordre social, c’est que si on vous traîne devant les tribunaux pour diffamation, vous êtesprésumé de mauvaise foi, c’est le seul cas, c'est-à-dire on se dit : oh ! oh ! ce monsieur là ades affinités avec la vérité, mauvais signe !

Et donc vous avez à vous évertuer à prouver votre bonne foi, qui ne veut pas du tout direque c'est exact, mais que, en disant que Monsieur untel est un repris de justice, vouspensiez absolument à tout à fait autre chose, que vous poursuiviez des buts élevéconcernant la santé publique, le bon fonctionnement des services etc.. Donc là, peut-êtrequ’on reconnaîtra votre bonne foi, ce qui veut dire que vous avez pu vous mettre le doigtdans l’œil mais que c’était avec de bonnes intentions.

Donc la vérité, dans cette forme de discours, cette structure de discours, et dans lesévénements de discours qui en procède, la vérité ne doit surtout pas comparaître, alors c'estlà aussi ça se dit en latin, il y a quand même des exceptions, mais il faut que le tribunalprenne la décision dans les formes que, par exception, la vérité sera considérée dans ce casde diffamation comme absolutoire, et pour bien marquer qu’il ne faut pas en abuser on le diten latin, c’est l’exceptio veritatis, l’exception de vérité. Par exception la vérité sera autoriséeà comparaître au tribunal.

Voilà ce que c'est que l'ordre des discours, l’ordre des cérémonies, la disposition de cescérémonies par rapport à la vérité et qu’il faut rappeler pour saisir ce qu’est le scandale de laséance analytique.

Enfin, je ne voudrais pas qu'on croie, en plus ça pourrait être dangereux, que je diffame lajustice et les juges qui la distribuent, au nom du peuple français, sous l'autorité du présidentde la République, lui-même immune, de ce que, quand il était un autre, il aurait pu faire, c'estle même principe.

Loin de moi l'idée d’attenter oresco referens (à vérifier), à la majesté et à la nécessitée dela justice. Je ne rigole pas là, je ne suis pas ironique, c’est une profonde sagesse. Il estcertain que la manifestation de la vérité, qui a une singulière manière de confiner à l’injure,d'ailleurs plus on dit la vérité plus ça confine à l'injure, c'est ce que dit bien l'expression direses quatre vérités à quelqu'un, on n’emploie pas l'expression pour dire qu’on en fait l’éloge.Quand on multiplie la vérité par quatre, ça veut dire que le gars ne s’en relève pas, de lacharge d'insultes et d'injures qu'on déverse sur lui. Le code distingue précisément ladiffamation et l’injure. C’est raffiné, mais je vous épargnerai les détails.

Eh bien c'est d’une profonde sagesse, c’est que l'ordre civil, l'ordre social, ne tiendrait pasune seconde si on pouvait dire la vérité et encore moins ses quatre vérités à l'autre. Ça tientparce qu'on est bâillonné tous les jours. On dit ça, un monsieur je crois interrogé par leMonde ou dans un traité je ne sais plus où, justifie l’iniquité de la situation de monsieur etmadame Chose en disant : Ah ! Il y a l’autorité de la chose jugée, il faut bien que les procèsfinissent. C'est vrai que, comme il n’y a pas de métalangage, il n’y aurait aucune raison qu'onne continue pas à faire appel jusqu'à la fin des temps, il faut un moment que se manifeste unarbitraire formel pour dire ça suffit !

Quand il y avait des grèves, encore, c'est une chose du passé, il fallait un quidam quis'avance pour dire : il faut savoir terminer une grève, Maurice Thorez, le fils du peuple. Maisc'est d’une autre nécessitée sociale que procède le : il faut que les procès finissent. C’estcodifié, la fin des procès. Et d'ailleurs c'est la même chose, il faut que les procès finissentcomme il faut que les grèves finissent parce que il faut, il faut que ça marche, il faut que çatourne, et on en est tous là, à le vouloir.

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Donc le discours du maître consiste en effet à ce qu’on trouve les signifiants qu'il faut, enposition de semblants bien articulés, pour refouler le sujet de la vérité. C'est écrit, par Lacan,de la façon la plus simple qui soit : S1 sur S barré et toutes ces petites histoires, toutes cesanecdotes répondent parfaitement à ce mathème.

S 1S

À ce propos, je me disais que finalement, sauf erreur de ma part, je n'ai pas vérifié, on n'a jamaisrévisé le procès Dreyfus, là aussi l'autorité de la chose jugée s'appliquait, il a bénéficié de la grâce duprésident de la République. Tant mieux pour lui comme dirait l'autre, mais Dreyfus, c’est exactementla même chose que les époux monsieur et madame chose, sauf qu’ils n'ont pas encore été déportés.

Enfin le résultat quand même c’est qu’Alfred Dreyfus a à Paris une petite statue. Quandon vous fait une grosse injustice, on vous fait une petite statue. Peut-être que demain lesépoux Chose auront aussi une petite statue et se tiendront par la main avec le juge Machin.

On a fait pour Dreyfus une petite statue que j'aime bien, qui est près de chez moid'ailleurs, on voulait la mettre au départ un peu plus bas dans le boulevard Raspail, en facede l'ancien emplacement de la prison du Cherche Midi, où il y a maintenant la maison desSciences de l’Homme, c'est vraiment ! Enfin j'y ai suivi des cours intéressants, que je nerenie pas, alors aussitôt, les autorités se sont récriées que quand même on ne pouvait pasfaire ça, et donc on la mise un peu plus haut, dans le boulevard Raspail, parce que quelquechose encore continue de s'exercer. Quelqu'un qui a été une occasion de scandale, qui anuit, qui a nuit au prestige et à la considération, dues aux autorités. Encore heureux qu’on nel’ait pas poursuivi en diffamation !

Enfin il n'est pas trop loin de la rue du Cherche Midi et avec ce genre d’argument, c'estnous qui cherchons midi à 14 heures. Il faut toujours chercher midi à 14 h parce que c'est làque se trouve midi !

Dans le discours analytique, il y a des événements prescrits, il y a un événement prescritpar excellence, qui est la séance. Donc ça rapproche du discours analytique, de ce côté-là,du discours du maître, du discours de l’université où il y a aussi des événements prescrits,se supporte d’événements prescrits.

Alors me direz-vous, et le discours est hystérique, ah ! ah ! où sont les événementsprescrits dans le discours hystérique ? Puisque justement, l'hystérie, plutôt, a une affinité, ouia une affinité avec les événements, une affinité avec le scandale, une affinité avec ladifficulté, mais, précisément, par excellence ce sont des événements non ritualisés, qui nesont pas réglés par des conventions préalables et, si on réfléchit dans cette direction là, onpourrait dire s’il y a une règle de discours hystérique concernant l'événement, c’est plutôt lecontraire.

Formulons la règle qui serait celle de l'événement du discours hystérique : produiretoujours des événements sans règle, des événements dérégulés, des événementsaconventionnels. Ah évidemment, c'est un paradoxe, la règle de produire des événementssans règle. On pourrait dire c'est la règle exceptionnelle, qui régit le discours hystérique.D'ailleurs on pourrait dire que c’est l'inspiration même que Carl Schmitt a essayé de faireentrer dans le discours du droit. J'avais consacré un Cours, jadis qui avait fait scandaleauprès de certains parce que, en effet, Carl Schmitt fut un personnage peu recommandable,mais quand même très grand juriste, ça arrive, comme pour Céline, dans un autre ordred’idée.

Alors Carl Schmitt avait voulu faire entrer dans le discours du droit la notion d'uneinstance qui intervient, quand les règles, les conventions, les constitutions, tous les us, nefonctionnent plus.

Et il pensait qu’une constitution bien faite doit prévoir le cas exceptionnel où tout le restene fonctionne plus, où tout le semblant est foutu en l'air, qu'est-ce qu'on fait ? Eh bien ilpensait qu'il fallait mettre dans la constitution une règle supplémentaire, précisant que quandtous les semblants, non seulement ont vacillé, mais sont par terre, il y a quelqu’un qui a ledroit de faire quelque chose dans cette situation.

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Il a dit ça dans des circonstances où c’était simplement une mise en forme signifiante dela pratique Nationale Socialiste, ce qui fait que sa doctrine décisionniste depuis lors sent lesouffre, à juste raison.

Bon, mais enfin, nous vivons ici, nous vivons heureux dans une République, qui estorganisée, fondée, sur la constitution dite de la Ve République, de 1958, à laquelle on atouché un petit peu, on essaye de temps en temps, mais on n'a pas du tout touché à unénoncé très précis qui s'appelle l’article 16 de cette Constitution, qui y a été introduitexpressément par le fondateur de notre République, à savoir Charles de Gaulle. On peutaller loin mais enfin on ne peut pas le taxer de sympathie pour les amis de Carl Schmitt et ceGénéral, qui avait eu l'expérience de la chute de la IIIe République et de comment AlbertLebrun s'était promené comme ça, impuissant, assistant à la débâcle et finalement n’avait eud'autres recours que de s’en remettre au Maréchal avec l'approbation de la majoritéécrasante de la chambre des députés , le Général, qui avait été l’élève du Maréchal, en avaitconclu qu'il y avait besoin, en effet, d'un article spécifiant, que en cas d’interruption dufonctionnement régulier des Pouvoirs publics, eh bien le président de la République étaitautorisé à faire un certain nombre de choses que, en temps normal, il n'avait pas le droit defaire.

Ça a d'ailleurs suscité un pamphlet mémorable, de quelqu’un qui est devenu ensuiteprésident de la République, monsieur François Mitterrand, un pamphlet admirable, meilleurechose qu’il ait écrite et on regrette beaucoup qu’il en ait interdit la réédition, parce que quandil est devenu président de la République, il a fait beaucoup de chose mais il n’a surtout pastouché à cette pièce de discours, ce qui, a mon avis, était tout à fait raisonnable.

En effet, pourquoi François Mitterrand président de la République aurait à payer les dettesde François Mitterrand pamphlétaire ? C'est par le même, bien entendu. On ne cesse pas devoir des gens qui sont pas les mêmes à partir du moment où leur position d’énonciation dansun réseau signifiants de semblants, change.

Ah !, en effet, la substance corporelle est la même, le germen, le corps, ce qu’on veut,c’est la même chose mais, du point de vue signifiant ça n'a rien à voir, nous ne cessons pasde traverser ce genre de clivages. Évidemment, dans la psychanalyse, on n’arrive pas àjouer sur ces clivages là, sur le côté, sur cette hétérogénéité des lieux d’énonciation, parceque dans la psychanalyse justement, c'est le semblant comme tel qui est mis en question, cequ’on se sent quand on vient de recevoir du discours untel le titre chose. Dans lapsychanalyse justement, ce genre d'événements de discours qui tient tout entier auxsemblants, eh bien on invite le quidam à devenir sujet, à aller un peu en dessous de ce qu'ilest quand il a été affecté par un signifiant maître et on s'intéresse, lui-même s’intéresse, onespère, à ce qu'il est par en dessous.

Donc, dans la constitution dans laquelle nous vivons, il y a quelque chose de cette règled’exceptionnalité qu'avait formulée, évidemment ce juriste infâme, mais qui a inspiré unecertaine réflexion et qui n’a pas été indifférent à ce grand germaniste qu’était le général DeGaulle, et qui, finalement, depuis bientôt un demi-siècle, est là à sa place dans la constitutionau cas où il y aurait besoin.

On verra si quand il y aura un retour des choses et reviendra à cette place encore unélément issu des représentants du mouvement ou des classes laborieuses – non, je date, duXXe siècle - des classes moyennes salariées, etc. nous verrons si on touche à ce semblantde discours là.

Au fond, c'est la même chose que la règle paradoxale de l'hystérique, que je disais tout àl'heure. Enfin, c’est la même chose ! ? Pas tout à fait. Si on devait formuler l’impératifcatégorique du discours hystérique, qu’est-ce qu’on dirai ? : tu tenteras, non !, agis toujoursen sorte - comme Kant - agis toujours, agis toujours en sorte que tu interrompe lefonctionnement régulier des pouvoirs, tant privés que publics, pour déconcerter - soyonsprécis - pour déconcerter le ou les connards qui sont venus à incarner le signifiant maître.

Je ne sais pas si je suis complet. Il faudrait réunir une assemblée hystérique, susceptibled’adopter ou de se reconnaître… un concile hystérique ! susceptible de valider cetteformulation.

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Donc, évidemment ça, c'est le contraire de l'événement régulier, ou alors on peut direl'événement régulier du discours hystérique c'est le court-circuit, c'est le dysfonctionnement,conduisant à l'implosion du signifiant maître.

C'est bien ce trait dans l'événement régulier qui permet à l’effet hystérique de sujet deprendre la main, de diriger les opérations. J'ai déjà mentionné cet exemple saisissant quim'avait été apporté dans un Colloque du Champ freudien au Japon, la seule fois où j’y suisallé, où un collègue de l’I.P.A - là bas, quand il y a une occasion de parler ensemble tout lemonde est là - n collègue de l’I.P.A, beau garçon, ancien chanteur de charme et notoire auJapon, qui était allé se former en Angleterre - il contait, dans ce colloque, un cas de sapratique. Eh alors ça consistait en ceci : le cas qu'il contait avec une grande satisfaction !que la fille, qu'il analysait avait réussi à s’installer dans le fauteuil et lui avait terminé sur ledivan. Je le jure ! Il y a certains ici qui croient que j'exagère, que j’enjolive. C’est juré craché,c'était ça le cas.

On voit bien, c'est parfaitement crédible que si on laisse libre carrière à l'événement dediscours hystérique, on va là tout droit. Je dirais même plus, très souvent c'est comme ça,même si on garde des autres positions, parce que les meubles ! quelle importance ! Doncvous pouvez très bien continuer d’être assis sur votre fauteuil et en garder votrecontentement et le patient ou la patiente être allongé mais en réalité c'est exactementcomme le cas du chanteur de charme, analysé en Angleterre et japonais.

D'ailleurs il y a des personnes qui étaient présentes qui peuvent témoigner de l'exactitudeà la lettre de ce que je rappelle ! ? [Merci]. Alors ça veut dire des tas de choses mais ça veutdire que l'hystérie foncièrement tend au carnaval, c'est-à-dire au sens dessus dessous.Évidemment le sens dessus dessous, ça à un sens très précis, ça s’écrit de deux façons,l’orthographe est double, mais ça a un sens très précis parce que si le dessus reste dessuset le dessous reste dessous c'est pas sens dessus dessous, c’est pas sens dessus dessous,donc sens dessus dessous, fond ça se réfère exactement à la situation où le dessous estdessus et le dessus dessous, d'accord.

Le carnaval, justement quand les semblants tenaient bien en place dans la sociétécomme je l'évoquais la dernière fois, on avait le sens du carnaval, on ne faisait pas desparodies de carnaval comme aujourd'hui. Parce qu'il y avait bien un dessus, un dessous, unà côté etc. On était bien encadré dans un réseau de signifiant, ça n’était pas encore quandmême un peu dissous par le marché, par la démocratie, par le christianisme, etc. et donc onpouvait vraiment avoir le carnaval.

Alors, du coup, l'événement régulier quand même, qu’on rencontre dans le discourshystérique, comment l’appeler, on le rencontre dans l'analyse, comment l’appeler ? Onpourrait l'appeler tout simplement la scène de ménage, la dispute avec un représentant ouun exemplaire de l'autre sexe. C'est quand même quelque chose qui est régulièrement narrésinon la dispute, la difficulté.

Voilà un événement régulier. Alors évidemment, ça se modèle, ça s’incarne, ça se réalisede façons différentes. Par exemple on me parlait d'un jeune garçon, vraisemblablementhystérique, pour qui en effet toujours le même événement qui se répète. Joli garçon, gentil,séducteur, même Don Juan, mais vraisemblablement hystérique, c'est-à-dire quand mêmehabité par - c’est toujours plus inquiétant chez l’homme, pour le sujet c’est toujours plusinquiétant chez l’homme que chez une femme - l’hystérie ça inquiète beaucoup plus le sujetmâle qui se sent aux prises, habité par quelque chose de difficilement situable, à l'occasionchez les jeunes, l’adolescent, le jeune homme, ça lui fait penser qu'il pourrait êtrehomosexuel, par exemple.

Alors ici, on doit supposer finalement que le sujet hystérique mâle en question afinalement le sens de sa personne sous les espèces de moins phi. Les femmes l’adorent,elles lui courent après, veulent l’épouser, mais ce qu'elles adorent en lui, c'est ce qu'on doitreconstruire, ce qu'elles adorent en lui c'est plutôt phi : le beau gars, le beau parleur, qui estgentil, qui la ramène pas avec elles, qui fait évidemment tout ce qu’il faut pour les séduire. Etprécisément parce qu’elles doivent aimer en lui quelque chose qui est tout à fait à distance etmême qui est l'inverse de son sentiment de sa personne, eh bien il est toujours convaincuqu'il y a erreur sur la personne. Et donc le moment où la fille, vraiment lui donne tout et le

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reste, eh bien il la laisse, il dit non, c’est pas ça, pourquoi, qu'est-ce qui se passe et puis ilrecommence avec une autre et il fait ça depuis un bon moment, ce qui finalement l’inquièteassez pour qu'il aille demander une analyse en se demandant s’il ne serait pas homosexuel,lui qui passe de fille en fille. Il a cette inquiétude transcendantale sur son identité.

Plus charmantes elles sont, là vraiment, quand il a laissé tomber le top model riche àmillions qui voulait absolument l’épouser, tout le monde lui a dit mais pourquoi fais-tu ça, Ils’est quand même dit il doit y avoir quelque chose qui ne tourne pas rond avec moi.

Plus charmante et plus opportunes elles peuvent paraître pour lui, plus elles se trompentsur sa personne.

Alors ce genre d'erreur, ce genre d'événement de discours, qui est chez lui donc régulier,symptomatique, du côté femme de l'hystérie, ce qui est plus fréquent c'est de le rencontrersous l’espèce : le gars s'annonce comme phi et puis l’événement c'est finalement de leréduire à moins phi ou de découvrir finalement que la vérité de l'affaire, c’est le moins phiqu’il cachait soigneusement. C’est le principe d'un grand nombre de scènes de ménage. Ilsuffit d'avoir lu Courteline, La paix chez soi.

Vous savez, Courteline qui a eu je l’ai rappelé jadis, sur moi une influence formatrice. Jecite de mémoire la pièce où monsieur et madame rentrent de promenade et monsieur dit : -« t-es-tu conduite comme une gourgandine, elle dit - Moi ? - Oui je t’ai vue dit-il, et quanduntel a glissé sa main, etc., Alors il insiste etc. il fait le dur - mais vraiment si je le tenais,qu'est-ce que je lui passerai, etc ! Alors la dame dit - bon et bien c’est vrai il m’a fait ça etmême j'ai plutôt aimé ça ! etc. - Ah là là, qu’est-ce que je lui passerais si j’avais sonadresse ! ; alors elle dit : - Il m'a donné sa carte, la voilà !

Alors il lui dit : - Comment ? Une carte de ce monsieur, tu me donnes ça, je n’en ai rien àfaire ! et il la déchire. Et à ce moment-là elle lui dit : - Je la connais par cœur : 13, rue de laGrange Batelière ; vous voyez je m'en souviens encore. Alors il dit : - Oh ! là là, il a beau êtreun officier de cavalerie, vraiment il me ferait pas peur ! ; et elle lui répète : - 13, rue de laGrange Batelière ! Et alors ça se termine, j’abrège, je l’ai pas relu, il dit : - Quoi ! 13, rue de lagrange batelière, j’en ai rien à faire de la Grange Batelière et il donne des coups à sa femme.

Il la bat - ça se termine là dessus, c'est un petit acte - il la bat parce qu'il n'en peut plus. Iln’en peut plus parce que là, c'est elle qui est au poste de commandement et qui exerce sonpouvoir de sujet sur le support du signifiant maître et qui le montre à la fin dansl’impuissance totale ; tout ce qui lui reste à faire, c’est de sortir le bâton et de lui mettre sur lafigure, moyennant quoi c'est le triomphe du sujet hystérique. Elle vous a fais sortir votrebâton. C’est que vous ne pouviez pas de lui fermer, si je puis dire, la bouche avec autrechose.

C'est le secret de cette scène, qui a quand même été extrêmement prégnante etfascinante et qui continue de l’être cette scène où l'homme bat la femme. Freud a commenté« on bat un enfant », d’accord, on connaît ça par cœur maintenant. Mais il y a la scène« l'homme bat la femme », ça, ça parcourt toute l’histoire et c'est même si prégnant queaujourd'hui, très légitimement, les femmes, étant femmes battues, s’associent pourrevendiquer le droit de ne pas l’être. C'est dire à quel point cette pratique est quand mêmeancrée dans les us.

Ça c'est pas les us du laps, c’est les us du bâton, de la gifle, du coup. C'est quelquechose de très prégnant, et donc aujourd'hui on judiciarise en essayant de capter là ce qui estaussi une réalité clinique, on pourrait l’aborder comme telle.

Le grand exemple, l’exemple majeur, on vous donne ça quand vous entrez au lycée. Oncommence, on vous éduque en France, d’abord, enfin on vous éduquait dans les années 50,d’abord en vous présentant la scène de « le monsieur bat la femme » et la femme le rouledans la farine. On vous faisait lire Le Médecin malgré lui de Molière.

Là, c'est au début déjà, qu’il lui fiche une raclée, Sganarelle et elle dit « là tu me lepayeras ! »

Molière, là, je l’ai relu, j’ai eu le temps de le relire. Molière évoque le coup Lysistrata –vous connaissez la méthode, plus rien au lit. Il l’évoque dans une phrase discrète, madameSganarelle dit : « - Je sais bien qu’une femme a toujours dans les mains de quoi se vengerd'un mari, mais c'est une punition trop délicate pour mon pendard. »

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Et donc c'est une autre vengeance qu’elle exerce, vous savez laquelle, c'est qu’elleréussit à le faire passer pour le médecin miracle, celui qui va donner la medecene dit lacampagnarde appelée sur la scène, qui va donner la medecene, qui va guérir la fille demonsieur Géronte. Et donc elle confie à ceux qui passent que c'est pas du tout un bûcheron,que c'est un grand médecin et que il faut le forcer à coups de bâton à devenir médecin, àfaire le médecin. Et donc ils y vont avec des bâtons et pan pan pan ! Grâce à la parolemensongère de la femme, voilà Sganarelle transformé en médecin malgré lui.

C'est-à-dire, ça suit absolument le petit schéma, elle prend le poste de commandement

S S 1

et elle l’oblige à produire un savoir.

S S 1

S 2

Un savoir faux mais un savoir, un savoir de médecin de Molière qui va surtout régner parson bien dire et il va dire en latin, comme moi, un latin de cuisine mais enfin le mien ne vautpas tellement plus d'ailleurs.

Ce qui est amusant, c’est que la femme revient sur la scène, c’est plus la femme deSganarelle, la femme revient sous les espèces de la fille muette, Lucinde, qui se tait, elle neparle pas.

Alors là, j'aurai pas dû le relire parce que quand je relis ça, ça me plaît tellement que j'aienvie de le lire. Mais, c'est là qu’on voit, on pose la question : eh bien monsieur le médecinest-ce vous pouvez guérir ma fille qui est muette ?

Oui, certainement, n’en doutons pas. Mais alors pourquoi est-elle muette ? On voit laquestion de la causalité résolue par le bien dire, c'est comme chez nous, dans lapsychanalyse.

Alors, Il prend le pouls de Lucinde : « - Voilà un pouls qui marque que votre fille estmuette ». Donc qu'est-ce qu'il a ajouté au fait que tout le monde sait qu’elle est muette, il asimplement ajouté l'opération de prendre le pouls, qui tout de suite fait que son énoncé c’estun énoncé de médecin et pas d'un vulgaire péquenot qui dit simplement elle ne parle pas.

Elle est muette et précisément prise dans le dispositif médical. Géronte le père – « Eh oui,Monsieur, c’est là son mal ; vous l’avez trouvé tout du premier coup. - Ah, ah ! » ditSganarelle ; Jacqueline qui fait la domestique ; « -Voyez comme il a deviné sa maladie ! »Sganarelle qui n’est pas très fin, comme l’a signalé sa femme : -« Nous autres grandsmédecins, nous connaissons d'abord les choses. Un ignorant aurait été embarrassé et vouseût été dire : « C’est ceci, c’est cela » ; mais moi, je touche au but du premier coup et je vousapprends que votre fille est muette. » Géronte : - Oui ; mais je voudrais bien que vous mepuissiez dire d’où cela vient. » Sganarelle : « - Il n’est rien de plus aisé : cela vient de cequ'elle a perdu la parole. » Géronte : « - Fort bien ; mais la cause, s’il vous plaît – la causefreudienne – mais la cause s’il vous plait qui fait qu'elle a perdu la parole ? » Sganarelle : « -Tous nos meilleurs auteurs vous diront que c’est l’empêchement de l'action de sa langue -Mais encore, vos sentiments sur cet empêchement de l'action de sa langue ? - Aristote – oncroirait Lacan – Aristote, là-dessus, a dit… de fort belles choses - Je le crois. - Ah ! c'étaitun grand homme ! - Sans doute - Grand homme tout à fait : un homme qui était plus grandque moi de tout cela - toujours la révérence au prédécesseur - pour revenir donc à notreraisonnement, je tiens que cet empêchement de l'action de sa langue est causé par decertaines humeurs, qu'entre nous autres savants nous appelons humeur peccantes ;peccantes, c'est-à-dire… humeurs peccantes ; d'autant que les vapeurs formées par lesexhalaisons des influences qui s’élèvent dans la région des maladies, venant… pour ainsidire… à… Entendez-vous le latin ? - En aucune façon - Vous n'entendez point le latin ?

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Non. Cabricia arci thuram, catalamus, singulariter, nominativo, haec Musa, « la Muse »,bonus, bona, bonum, Deus sanctus estne oratio latinas ? Géronte : - Ah ! que n’ai-je étudié ?Jacqueline : - L’habile homme que velà ! Lucas : - Oui, ça est si biau que je n’y entendsgoutte. Sganarelle :- Or ces vapeurs dont je vous parle venant à passer du côté gauche, oùest le foie, au côté droit, où est le cœur, il se trouve que le poumon, que nous appelons enlatin armyan, ayant communication avec le cerveau, que nous nommons en grec nasmus,par le moyen de la veine cave, que nous appelons en hébreu cubile, rencontre en sonchemin lesdites vapeurs qui remplissent les ventricules de l’omoplate ; et parce que lesditesvapeurs… - comprenez bien ce raisonnement, je vous prie - parce que lesdites vapeurs ontune certaine malignité … écoutez bien ceci, je vous en conjure. - Oui. - […] la concavité dudiaphragme, il arrive que ces vapeurs… Ossabandus, nequeis, nequer, potarinum, quipsamilus. Voilà justement ce qui fait que votre fille est muette. - Ah ! que ça est bian dit, notrehomme ! - Que n’ai-je la langue aussi bian pendue ? etc. »

Voilà le contexte du…, et voilà pourquoi votre fille est muette.Il est clair que la psychanalyse, le psychanalyste aient quelque chose, est quelque part

héritier du médecin de Molière. Quand nous sommes là au temps de Molière, au XVII°siècle, nous sommes juste avant la capture du discours médical par le discours de la scienceet que à partir de là, en effet, les eaux ont commencées à se séparer et que la médecines’est trouvée quand même foncièrement déterminée par cette absorption scientifique etmême sa dissolution dans la science et dans ce qui en procède et que s’en est isolée deplus en plus, ce que ce que ça met en valeur, à savoir, la puissance de la rhétorique, le biendire, et aujourd'hui nous avons ça sous les espèces d'un côté le distributeur demédicaments, de l'autre le distributeur de bonnes paroles. Le producteur d'oreilles est ledistributeur de bonnes paroles. Aujourd'hui, le partage des eaux s’est fait et de la façon laplus précise ici, nous avons ici mis en jeu Aristote, c'est-à-dire l'argument d'autorité et surtoutle savoir présenté et sous ses espèces de l'incompréhensible.

Jamais un savoir ne se fait autant révérer que lorsqu'il paraît là sur la scène, sous lesespèces de l’incompréhensible, savez-vous le latin ? Je ne le sais pas ! Il commence à parleren latin, tout le monde est KO.

Après, évidemment, on peut apprendre un petit peu de latin. Mais enfin, Lacan a fait çaavec son auditoire pendant des années, savez-vous la topologie, non ? paf, paf, paf ! !Évidemment, au bout d’un certain temps, les gens se mettaient à la topologie, alors il enpassait à une autre, ça soutien l'intérêt.

Évidemment il savait la topologie, à la différence de Sganarelle, qui ne savait pas le latin,bien sûr. C'est le même principe.

On voit d'ailleurs à la fin du Médecin malgré lui qu’il commence, qu’il a envie d'éduquertout le monde, c'est-à-dire on vient le voir et on lui demande tout. C'est-à-dire on voit petit àpetit Sganarelle annoncer Knock de Jules Romain qui prend là sa naissance et à la find'ailleurs tout le monde s’accorde sur le fait que c'est un grand médecin et la pièce setermine là-dessus, il va se vouer à la médecine et comme sa femme le lui dit : - c’est à moique tu le dois (rires) et en effet, c'est elle qui lui a donné le signifiant maître du médecin,grâce à quoi il produit à tire-larigot un faux savoir qui est destiné à l’enrichir.

Voilà une scène, voilà un événement du discours hystérique parfaitement cadrable,parfaitement structuré, parfaitement régulier, quand on voit ce qui se produit on peut direc'est un événement du discours hystérique.

Ce n'est pas une cérémonie, mais c'est un événement du discours hystérique. Bon je suispassé par Molière pour le plaisir, mais enfin on peut prendre une scène de la viequotidienne : le gars téléphone, a au téléphone, régulièrement ses copines, à lui, les bonnesfemmes qu'il a connu avant, on ne sait pas qui c’est, est-ce qu’elles sont vieilles, est-cequ’elles sont jeunes, est-ce qu’elles sont séduisantes, enfin, régulièrement, devant ladite, ilpia-piate au téléphone avec ses copines.

Et c’est assez insupportable pour qu’on le confie à son psychanalyste : c’est vraimentintolérable, quel goujat ! quel, bon, et vient la parole, pure comme l’eau : « moi je n’existepas ! pendant qu’il cause comme ça, moi, je n’existe pas ! » C’est pur comme l’eau parceque c’est une phrase qui sert très bien cette position d’inexistence qui est celle du sujet

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hystérique. Ce n’est pas simplement qu’il ne fait pas attention à elle, pendant qu’il est là,c’est un autre pendard, pendu au téléphone. Ce n’est pas simplement qu’il ne fait pasattention à elle, c’est que ça lui réveille son inexistence subjective et c’est ça l’effet de sujetdans le discours hystérique, c’est l’inexistence. Ah bien sûr on peut dire c’est l’exhibition,c’est tout… ces voiles, le décorum, etc. oui, oui, oui ! d’accord.

Il y a tout le falbalas. Il y a tous les semblants, mais au cœur, au cœur de ces semblantset ça peut être les semblants de l’autorité impitoyable, comme celle de la secrétaireacadémique qui fait respecter par tous les professeurs, les met en rangs, ils n’y en a pas unqui bouge, mais derrière, au cœur de ça qu’est-ce qui palpite ? qu’est-ce ce dont il fautentendre, là, le petit mouvement, c’est le mouvement de l’inexistence.

Si je fais autant de bruit, si je m’habille de façon si superbe, si je gouverne mon service,mon pays, Margaret Thatcher, l’univers, si je pourchasse les criminels jusqu’au fond de leurtanière, c’est qu’ il faut tout ça pour habiller, pour cacher ma misère, pour habiller mon videque je ne saurais montrer.

On voit bien aussi que le gars qui passe son temps au téléphone, il ne sait pas qu’il estessentiel, nécessaire pour que la petite inexistante se soutienne dans l’être, que pour existerun petit peu, il lui faut ce signifiant maître. Et donc, ah oui, il faut que ce signifiant maîtrereste à sa place, parce s’il bouge j’inexiste.

Et donc toi le signifiant maître, tu ne bouges pas d’où tu est ! c’est le signifiant maître à saplace, si je puis dire, et même remettre à sa place. Ça veut dire qu’au moment même où çapleure, ou ça déplore, ou ça vient trouver son analyste pour dire comment l’autre estméchant, inconsidéré avec ses copines douteuses, mais la petite inexistante, hein comme lapetite marchande d’allumettes, la petite inexistante tient le manche à chaque seconde. Il fautque le gars qui a l’insigne ne se prenne pas pour le maître pour autant. C’est la contraire deres judicata pro veritate habetur.

Le crétin qui a l’insigne n’est pas pris pour la maître, il faut qu’il se tienne à sa place. C’estpourquoi elle lui fait des scènes. Elle passe son temps à lui faire des scènes, c’est-à-dire àl’allumer et à foutre le feu avec ses petites allumettes de marchandes d’allumettes.

Ce qui fait qu’en fait, ce qui se présente comme une rébellion, comme une perturbation,c’est en fait un événement conservateur de la structure du discours, l’événement de discourshystérique, c’est un événement qui concrétise, manifeste la structure du discours qui lemaintient. On s’assouplit un peu les méninges sur la rapport du discours et de l’événement,ou pour arriver au discours analytique et son événement la séance analytique.

Entre parenthèse ça indique ce qu’il faut donner - je ne sais pas pourquoi…. ça a l’aird’être un conseil - à l’hystérique pour que le sujet hystérique reste en place, il faut lui donnerà la fois phi et moins phi. C’est le double cadeau donné à l’hystérique, d’un côté le signifiantde la maîtrise, c’est une règle de bonne conduite dans la cure, pour l’analyste, mais ça vautaussi bien pour le partenaire vital. Il faut lui donner à la fois le signifiant de la maîtrise et lesigne exquis de la non maîtrise. Il faut lui faire cadeau de sa castration.

Ça, bien sûr, c’est difficile pour les névrosés, quoique pour pouvoir analyser des sujetshystériques, vaut mieux être analysé ou alors être hystérique soi-même parce que lejaponais, finalement, je ne sais pas s’il analysait mais il avait la façade du gars sûr de lui, ils’est laissé mener par le bout du nez jusqu’au divan, il a donné tout ce qu’il fallait commesigne de la non maîtrise, mais enfin c’était là peut-être un peu trop ; il donnait le signe de lanon maîtrise, ça ne veut pas dire qu’il faut cesser de diriger la chose et l’orienter.

Et d’ailleurs on peut dire que ce qu’il y a toujours d’inquiétant dans le Don Juan, dans lepersonnage, dans les caractères donjuanesques, c’est qu’en général, ils sont constitués outout entier sur le versant moins phi, ou tout entier sur le versant phi et c’est ce caractèreunilatéral qui les lance dans la série infernale où ils sont pris. Bon, je ne vais pas donner deconseils trop précis.

Alors le discours universitaire qui s’épuise dans ces cérémonies, Lacan dit, pour lesmeilleures raisons du monde, que ce qu’il peut produire de mieux, c’est le mot d’esprit qui luifait horreur. Et, en effet, l’effet de sujet dans le discours universitaire, c’est ce qui est produitet c’est une division du sujet qui est capable ; elle est produite à partir du savoir commesignifiant maître. C’est à dire que ce que le savoir universitaire peut produire de mieux, c’est

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la dérision du savoir, c’est à dire que ce que le savoir universitaire met en valeur, c’est lecaractère de semblant du savoir, mais il n’en profite même pas. Il n’en profite même pas saufLewis Carroll par exemple…

Et je dois dire que c’est dans la mesure même, ou par la position que j’occupe dans lesformes que j’occupe, les formes réglementaires, je l’occupe ? enfin je suis tout de même làdans une position régulée par le discours universitaire, c’est dans cette mesure là, qu’eneffet je me livre au Witz. J’ai découvert qu’il fallait pour être conforme à cette position pourque je me livre au Witz avec l’abandon que vous pouvez constater cette année.

Le problème pour le discours psychanalytique, c'est que ce serait celui qui toucherait auréel et que s’agissant de la cause, évidement il redit, il fait redire comme Sganarelle, il faitredire le fait, mais il redit et il bien dit le fait, le discours analytique, de telle façon qu’il lemodifie. Évidemment là, ce n’est pas le médecin thérapeute qui le dit, c’est le patient. Leproblème, c’est pour ça que c’est ce symptôme là, ce symptôme de semblant que Molière afait venir dans cette pièce, il a fait venir le mutisme de Lucinde comme symptôme, çasuppose que les patients parlent, c’est avec ça qu’on les attrape dans le discours analytique.

Pour faire le joint avec la femme de Juvénal, c’est le même type de littérature, Molière etJuvénal là dessus, c’est toujours la question avec qui on se marie ? Et là Lucinde veut semarier, et c’est pour ça qu’elle est mutique. Et pour faire le bien, si elle est mutique, si elleembête son père, tout le monde, toute sa famille, en la bouclant, c’est parce qu’elle veut,c’est parce qu’elle veut qu’on fasse ce qu’elle veut. Et quand elle rouvre la bouche, c’estpour répéter et même pour hurler dit presque Molière qui signale qu’elle parle d’une façonétourdissante, c’est pour dire « je veux ».

Voilà ce qui boucle plus ou moins mon bavardage d’aujourd’hui que je poursuivrais lasemaine prochaine.

Fin du Cours 7 de Jacques-Alain Miller du 19 janvier 2000

Le parcours du combattant des époux Esnault dans le labyrinthe des tribunaux

" La décision a été rendue sous l'emprise d'unencombrement intolérable "

Nous publions  des  extraits  du  courrier  adressé,   le  21 septembre  1995,  par  Alain Le Caignec,  président  dechambre de la cour d'appel de Rennes aux époux Esnault, dans lequel le magistrat reconnaît avoir commis uneerreur dans l'analyse de leur dossier : " Comme vous le savez lorsque j'ai pris la présidence de la 4° chambrecivile, le 1er juillet 1986, cette chambre était littéralement noyée sous près de cinq ans de retard d'audiencement.J'ai   reçu   du   premier   président   de   l'époque   la   mission   impérative   de   résorber   coûte   que   coûte   ce   retardinadmissible. 

Cela m'a conduit à doubler le nombre des affaires enrôlées, ce nombre passantde six à douze affaires par audience, et à prendre d'autres mesuresd'administration pénibles, sur lesquelles je n'ai pas à m'expliquer. " Lesconséquences de cette énorme surcharge de travail ont été : - d'une part,l'impossibilité pour mes conseillers et moi-même de prendre un seul jour devacances entre septembre 1986 et Noël 1988. Mes collaboratrices vous leconfirmeraient ; - d'autre part, de faire vite, très vite, au risque de faire trop vite.Le réexamen des pièces du dossier de l'affaire vous opposant aux consorts X...m'a laissé, et cet aveu me coûte, outre qu'il est tout à fait inusité pour unmagistrat, une impression désagréable d'arrêt plus ou moins loupé. Après une analyse juridique du dossier, le magistrat poursuit : " J'atteste donc,ayant conscience d'accomplir un douloureux devoir, que la décision dont il s'agit

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a été rendue sous l'emprise d'un encombrement intolérable, et des mesures qu'il afallu pour résorber cet encombrement. Ces mesures témoignent, pour la période considérée, de difficultés de travailextrêmes, difficultés qui ont été de nature à entraîner un dysfonctionnement dansl'administration de la justice. " Ce dysfonctionnement n'a pas été sans incidence,au moins probable, sur la décision qui vous a été défavorable. Vous n'êtes donc,à mes yeux, et en conscience, pas dépourvus de motifs de vous plaindre desconséquences très graves que ledit dysfonctionnement a pu avoir sur votrefortune. "

SOCIETE Le parcours du combattant des époux Esnault dans le labyrinthe des tribunaux

Quatorze ans d'imbroglio judiciaireAVANT de demander une indemnisation au ministère de la justice, Jacques et Nelly Esnault se sont confrontésdix années durant à l'institution judiciaire. Ce qui n'était au départ qu'un banal litige opposant des locataires àleurs bailleurs est devenu, au fil des procédures, un véritable imbroglio judiciaire. Une quarantaine de procèsn'ont pas suffi à leur permettre de sortir de l'impasse juridique dans laquelle ils se sont retrouvés. Une situationqu'ils attribuent largement à l'arrêt  contesté de la cour d'appel de Rennes du 6 novembre 1986, rendu sous laprésidence d'Alain Le Caignec. A la suite de cette décision, qui les déboute de leur demande de travaux auprès de leurs propriétaires, et qualifiede " ruine "  leur  hôtel­restaurant,   les  Esnault  examinent   la possibilité  de former un pourvoi.  Consultés,  desavocats spécialisés le leur déconseillent : l'arrêt de la cour d'appel, qui peut être erroné sur le fond, n'en est pasmoins inattaquable sur la forme. On leur fait donc valoir que la Cour de cassation ne manquera pas, à juste titre,de rejeter leur pourvoi puisqu'elle examine la validité formelle des arrêts. Le couple se fait une raison : bien queles propriétaires n'aient plus l'obligation juridique d'effectuer les travaux de remise aux normes, ils continuent àexploiter le restaurant. Quelques mois après, ils obtiennent même son classement une étoile par la préfectured'Ille­et­Vilaine. 

IRONIE DU SORT 

Mais le sort s'acharne. L'ouragan qui secoue la Bretagne en octobre 1987 endommage considérablement la toiture, et provoque des infiltrations d'eau. Nouvelle demande aux propriétaires d'effectuer les travaux, nouveau refus. Le couple saisit alors la justice, qui leur donne cette fois raison. Cette décision sera même confirmée par la cour d'appel de Rennes, le 5 mars 1991, dans une formation présidée, ironie du sort, par Alain Le Caignec, le magistrat qui leur avait donné tort, cinq ans auparavant. Mais   la   justice  ne  s'en   tient  pas   là.  Les  propriétaires   forment  un  pourvoi  contre  cette  décision   :  au  granddésespoir des Esnault, la Cour de cassation leur donne raison, le 23 novembre 1993, et casse l'arrêt qui ouvrait lavoie aux travaux. Le raisonnement de la Cour est imparable : en vertu du principe de l'autorité de la chose jugée, le premier arrêt de la cour d'appel de 1986, qui déclarait l'immeuble en " ruine ", ne peut être contredit. La juridiction suprême confirme cette décision par un second arrêt, le 13 mai 1997, qui met définitivement un terme aux espoirs des époux Esnault. Dans un récapitulatif  de l'affaire, le médiateur de la République résume l'impasse juridique dans laquelle lesépoux Esnault se sont trouvés. " L'arrêt de la cour d'appel de Rennes du 6 novembre 1986 a créé une situationjuridique   ayant   pour   effet   d'empêcher   les  époux  Esnault  de   voir   prospérer   utilement   leurs   demandes   deréparation alors qu'ils continuaient à payer régulièrement leurs loyers et que nul ne contestait sérieusement quel'immeuble n'était ni partiellement détruit, ni en ruine. Cette situation paradoxale les a conduits finalement àfermer leur hôtel puis leur restaurant, et à se retrouver aujourd'hui logés dans un HLM en n'ayant que le RMIpour seule ressource. "

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CECILE PRIEUR

LE MONDE / 19 Janvier 2000 / Page 9

SOCIETE Le parcours du combattant des époux Esnault dans le labyrinthe des tribunaux

Le principe de l'autorité de la chose jugéeL'AFFAIRE des  époux Esnault  pose le problème de l'autorité de la chose jugée, qui porte sur le contenu desdécisions de justice.  Elles sont, pour la plupart, susceptibles d'appel et peuvent faire l'objet d'un pourvoi encassation mais une fois prononcées, elles bénéficient de ce principe de l'autorité de la chose jugée. 

Res judicata pro veritate habetur : ce qui a été jugé est tenu pour être la vérité etne peut plus être remis en cause. " La décision a désormais force de véritélégale, écrit Roger Perrot dans son livre sur les institutions judiciaires (éditionsMontchrestien). C'est là une particularité essentielle du jugement, ce par quoi ilse distingue de l'acte administratif. Sans cette règle, les procès ne finiraientjamais. " M. Perrot souligne que ce principe a deux conséquences. D'une part, le jugement constitue un véritable titre donton peut toujours se prévaloir. D'autre part, toute nouvelle demande qui tendrait à remettre en cause ce qui a déjàété jugé se heurterait à une fin de non­ recevoir : on ne peut recommencer deux fois le même procès. En matièrepénale, il existe une commission de révision auprès de la Cour de cassation mais en matière civile ­ c'est le casdes époux Esnault ­, cette procédure n'est pas possible. La chancellerie, qui admet le caractère " dramatique " du dossier des époux Esnault, met en avant les décisionsde la Cour de cassation qui, par deux fois, ont entériné l'arrêt controversé du 6 novembre 1986. " Le ministère nepeut remettre en cause cette décision qui a acquis l'autorité de la chose jugée, explique­t­on place Vendôme. Lasituation serait identique après le projet sur la responsabilité des magistrats contenu dans la réforme de la justicepuisque ce   texte  ne   concerne  pas   les   actes   juridictionnels   rendus  par   les  magistrats.   "  Le  médiateur  de   laRépublique estime cependant que la chancellerie aurait pu indemniser les époux Esnault, à titre exceptionnel, ense fondant sur la reconnaissance de la faute faite par le magistrat.

LE MONDE / 19 Janvier 2000 / Page 9 SOCIETE JUSTICE

Le parcours du combattant des époux Esnault dans lelabyrinthe des tribunaux

Un magistrat dont la décision avait provoqué la ruine de deux restaurateurs areconnu avoir commis une erreur dans son arrêt. Les demandes de réparationn'ont cependant pas abouti car il faudrait remettre en cause le principefondamental de l'autorité de la chose jugéeJUSTICE L'affaire des époux Esnault, un couple de restaurateurs ruiné après unedécision de justice manifestement erronée, pose le problème de l'autorité de lachose jugée. En vertu de ce principe, les époux Esnault n'ont pas pu obtenirréparation. DANS UNE LETTRE REDIGEE EN 1995, le juge avait pourtant reconnuson erreur, expliquant qu'en raison d'un retard de près de cinq ansd'audiencement, il avait fallu " faire vite, très vite au risque de faire trop vite "." Le réexamen des pièces du dossier de l'affaire vous opposant aux consorts Xm'a laissé, et cet aveu me coûte, outre qu'il est tout à fait inusité pour unmagistrat, une impression désagréable d'arrêt plus ou moins loupé ". Pouréviter que les procès se poursuivent éternellement et que les décisions soient

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constamment remises en cause, le principe de l'autorité de la chose jugéeprévoit que les décisions du juge ne peuvent être contestées.

C'EST UNE HISTOIRE exemplaire, qui oppose depuis plusieurs années un homme et une femme à l'institutionjudiciaire. Anciennement gérants d'un hôtel­restaurant prospère, Jacques et Nelly Esnault ont été conduits à lafaillite à la suite d'une décision de justice manifestement erronée. Depuis plusieurs années, ils se battent avec lachancellerie pour que l'Etat reconnaisse sa faute et les indemnise. Les gardes des sceaux successifs,  JacquesToubon puis Elisabeth Guigou, ont refusé de reconnaître la responsabilité de la justice dans ce dossier. Et ce,bien que les  époux Esnault disposent d'un témoignage inédit : la reconnaissance, par le magistrat qui les avaitjugés, de son erreur dans l'appréciation de leur dossier. En 1978, les époux Esnault reprennent le fonds de commerce d'un hôtel­restaurant de Fougères (Ille­et­Vilaine),Le Saint­Pierre, qui acquiert rapidement une certaine renommée gastronomique. Mais l'immeuble n'est pas auxnormes de sécurité et le couple demande aux propriétaires d'effectuer quelques travaux de rénovation. Devant lerefus des bailleurs, il font appel à la justice, mais sont déboutés par le tribunal de Fougères, au motif que " lesgrosses réparations invoqués par les locataires constituent en réalité des travaux de reconstruction de l'immeuble". La cour d'appel de Rennes confirme cette décision, le 6 novembre 1986, en estimant que " la ruine du bâtimentn'est pas due à une faute " des propriétaires. Les juges estiment que les propriétaires n'ont pas à effectuer detravaux puisque le bâtiment est devenu une " ruine " en cours de bail. La   réalité   est   tout   autre   :   les   photos   de   l'époque   et   les   pièces   communiquées   aux   magistrats   démententformellement l'état de ruine des locaux. Indignés par la décision, M. et Mme Esnault se lancent dans une bataillejuridique dont ils sortiront épuisés, leur affaire liquidée et leurs biens vendus aux enchères (lire ci­dessous). Deguerre   lasse,   ils   décident   de   prendre   contact   avec   la   cour   d'appel   de   Rennes,   en   1995,   pour   obtenir   lareconnaissance   de   leur   préjudice   :   sans   le   savoir,   ils   entament   alors   une   nouvelle   épreuve   de   force   avecl'institution judiciaire, dont l'épilogue n'est pas encore écrit. A force d'insistance, ils sont reçus, le 31 août 1995, par Claude Hanoteau, actuel directeur de l'Ecole nationale dela magistrature, alors premier président de la cour d'appel. Ces premiers contacts sont relatés par M. Hanoteaului­même dans une lettre qu'il a adressée, le 26 février 1996, à la chancellerie. Face à " l'insistance envahissanteet non maîtrisable des époux Esnault ", Claude Hanoteau les renvoie sur le président de chambre qui les a jugés,Alain Le Caignec. Celui­ci les reçoit, et troublé, reconnaît qu'il s'est manifestement trompé, neuf ans auparavant,quand il a jugé cette affaire. Non sans courage, il accepte, chose rarissime, de consigner par écrit cet " aveu qui[lui] coûte " (lire ci­dessous). Croyant avoir obtenu le plus difficile,  les  époux  Esnault  sont confiants. Ils iront pourtant de déconvenue endéconvenue. Dans son courrier du 26 février 1996 à la chancellerie, Claude Hanoteau affirme ainsi : " Recevantcette lettre et découvrant avec stupéfaction son contenu, j'ai téléphoné à M. Le Caignec à son domicile. Il m'aconfirmé qu'il en était bien le rédacteur, mais n'a pas paru comprendre mon émotion, me laissant entendre qu'ilavait agi suivant ce que lui indiquait sa conscience. Le rencontrant à mon cabinet, M. Le Caignec a persisté danscette attitude, et m'a indiqué qu'il n'avait ni consulté ses collègues de la collégialité ni estimé nécessaire de m'enparler. " Les époux Esnault, qui envisagent d'assigner l'Etat pour " faute lourde " du service public de la justice en sontalors dissuadés par le ministère de la justice. Une indemnisation à l'amiable est envisagée, on leur demande dechiffrer leur préjudice et, le 8 février 1996, ils sont reçus place Vendôme par deux magistrats. La chancelleriediligente rapidement une inspection des services judiciaires, qui est conduite par son directeur de l'époque, JeanGéronimi. Le 4 octobre 1996, ils reçoivent un courrier signé de Jacques Toubon, qui leur indique qu' " aucunesuite favorable ne peut­être réservée " à leur demande d'indemnisation. " Après examen des documents joints àvotre   courrier   et   au   terme  d'investigations  menées  par   l'inspection  générale  des   services   judiciaires,   aucunfonctionnement défectueux [du service de la justice] n'a pu être établi, affirme l'ancien garde des sceaux. Laréalité des allégations de M. Le Caignec relatives aux conditions dans lesquelles a été pris l'arrêt du 6 novembre1986 n'a pas été confirmée. Je souligne que M. Le Caignec s'est exprimé à titre personnel car il n'avait aucunequalité pour prendre position à titre professionnel sur cette question. " COLLEGIALITE L'alternance politique leur redonne cependant espoir. Quelques semaines après l'installation d'Elisabeth Guigouplace Vendôme, ils obtiennent de ses services, à titre exceptionnel, copie du rapport d'inspection rédigé par JeanGéromini. Ils découvrent alors l'analyse qui a prévalu jusqu'à alors à la chancellerie : lors de l'inspection, lesdeux magistrates assesseurs de M. Le Caignec se sont désolidarisées de lui et ont affirmé que la collégialité qu'ilsformaient  en 1986 n'avait  pas  fait  d'erreur  dans  leur  affaire.  L'inspection a ainsi  estimé  que "  les élémentsrecueillis n'apportent pas la preuve que l'arrêt de 1986 relève un dysfonctionnement " et que " le lien de causalitéentre l'arrêt litigieux et le préjudice allégué par les époux Esnault n'est pas clairement démontré ". 

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Pourtant, la même inspection affirme en conclusion, que la lettre de M. Le Caignec constitue pour le couple " unmoyen fondé sur le caractère fautif du fonctionnement " de la justice, si ceux­ci décidaient d'assigner l'Etat pourfaute lourde. Mais les  époux Esnault ne veulent pas se résigner à une nouvelle procédure en justice, longue etonéreuse, et demandent donc un ultime examen de leur dossier par l'équipe de Mme Guigou. Nouvelle déception: le 12 novembre 1998, le directeur de cabinet de la ministre, Christian Vigouroux, leur répond qu'il a " le regretde [leur] faire connaître qu'à la suite cet examen aucun élément nouveau n'a permis d'établir l'existence d'undysfonctionnement du service de la justice ". Les portes se fermant une à une, les époux Esnault ne sont pas loin de jeter l'éponge. Ils saisissent cependant lemédiateur   de   la   République.   Bernard   Stasi   prend   le   dossier   très   à   coeur   et   est   persuadé   de   la   nécessitéd'indemniser les époux Esnault. Il s'en ouvre dans un entretien privé avec Elisabeth Guigou, en avril 1999, afind'attirer son attention sur ses dimensions à la fois juridiques et humaines. Mais l'autorité de la médiature n'y ferarien.  Se basant  sur   les  conclusions du rapport  d'inspection diligenté  par  Jacques  Toubon, Elisabeth Guigouinforme Bernard Stasi,   le  10 août  1999, qu'elle ne donnera pas de suite  favorable à   la demande des  épouxEsnault. 

De fait, la chancellerie n'a jamais admis qu'un magistrat, fût-il statutairementindépendant, reconnaisse, seul et en conscience, avoir commis une faute dansl'exercice de ses fonctions. Estimant à demi-mot qu'Alain Le Caignec aoutrepassé son devoir de réserve, les services du ministère invoquent ceprincipe, refusant d'admettre le préjudice qui a pu découler de l'arrêt contesté. Siaucune poursuite disciplinaire n'a été engagée contre le magistrat rennais, son" aveu " lui a coûté cher : depuis 1986, sa carrière est bloquée et il n'a pas quittéses fonctions de président de chambre à la cour d'appel. Quant à M. et Mme Esnault, désillusionnés sur le fonctionnement de la justice, ils se sont résolus à assigner l'Etatpour " faute lourde " du service public de la justice, le 4 août 1999, devant le tribunal de grande instance deRennes.  Ruinés,  vivant  d'allocations,   ils  demandent  5,455 millions  de   francs   à   l'Etat  en   réparation  de   leurpréjudice. Mais après plus de quatorze ans de bataille incessante, ils n'y croient plus.

CECILE PRIEURLE MONDE / 19 Janvier 2000 / Page 1

L'erreur d'un jugeRuiné à la suite d'une décision de justice erronée, un couple de restaurateurs tente depuis quatorze ans d'obtenirréparation.   Expliquant   que   la   juridiction   était   alors   "   littéralement   noyée   sous   près   de   cinq   ans   de   retardd'audiencement ", le juge a reconnu, neuf ans plus tard, s'être trompé. " Vous n'êtes donc, à mes yeux, et enconscience, pas dépourvus de motifs de vous plaindre des conséquences très graves que ledit dysfonctionnementa pu avoir sur votre fortune ", écrivait­il. Mais les époux Esnault ne peuvent pas obtenir d'indemnisation car ilsse heurtent au principe de l'autorité de la chose jugée. Cette affaire illustre le débat en cours sur la responsabilitédes magistrats.

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LES US DU LAPS

Jacques-Alain Miller

Huitième séance du Cours

(mercredi 26 janvier 2000)

VIII

Je vous ai dit la dernière fois quedes forces très puissantes,s’opposaient à ce que je sois à l’heureici. J’avais pourtant tout prévu cettefois-ci pour être à l’heure, c'est-à-direpour être dans le retard légal,académique, c'est-à-dire avant deuxheures moins le quart.

Emporté par mon élan, j’en ai fait laconfidence à la personne qui meconduit ici et l'effet, je suppose, de cetteconfidence est que, pour la premièrefois, la voiture n'était pas là et c’est cequi fait que je suis encore une foisarrivé un peu plus tard que moins lequart.

C'est d'autant plus intéressant etd'autant plus idoine - il m'est arrivé dele mentionner une fois, au sujet desembarras de la circulation - que lapersonne qui me conduit ici est unefemme et que j'avais l'intention decommencer ce Cours en disant quenous commencions à avoir la réponseau fameux « Que veut la femme ? »,celle de Freud, et que veut la femme deFreud et la femme des autres aussi.Réponse que je me proposaisd’apporter, de proposer et qui ne va paschercher loin son énoncé, c’est : elleveut, elle veut vouloir.

Parce que vouloir, si on considère çade près, de notre biais, vouloir l’acte,une volonté, c'est une jouissance. Et ilme semble que ça éclaire la questionqu’on peut prendre par ce biais, c’estune jouissance spécialement détachée

dans la féminité, qu'il s'agisse de sonpropre vouloir ou qu'il s'agisse duvouloir de l'Autre, auquel cas le sujet semanifeste sous les espèces de lasoumission, ce qui est encore, si on faitbien attention, une affaire de volonté, lasoumission, d’un rapport à la volontéchez l'Autre.

J'ai dit qu’il y avait des affinités de laféminité et de la volonté et que c’est ducôté femme que la volonté se détacheavec un caractère absolu, infini,inconditionné et elle se manifeste aumieux dans le caprice - après tout, c'estquelqu'un qui vient d'en être la victime,qui se trouve le dire, et qui l’avait penséencore innocemment - le caprice, quifigure dans ce qu'on répète del'enseignement au chapitre du désir dela mère sous-posé par le nom du pèredans la métaphore paternelle.

Là où le père a la loi, la mère a lecaprice. Et conformément, en effet, à lalogique freudienne que, alors, Lacan nefait que répercuter, que formaliser, seserait un progrès, un progrès même decivilisation, que d'être passé du capriceà la loi.

Je dis un progrès de civilisationparce qu’avant qu'arrive le Décalogue,lourd Décalogue, même Moïse laisseglisser à un moment la Table de la loi,et la rattrape, c’est lourd, çà. Avant, onavait bien l'idée de la divinité, mais,justement, de divinités capricieuses.Zeus, Jupiter pour les latins, passe savie à avoir des caprices, pour unetelle,pour unetelle. L'expression est devenueun peu désuète, elle signifie, dans lalangue classique, être saisi du désirsoudain d’une amourette passagère.

Il n'y a pas de héros dans lalittérature universelle qui l’incarnemieux que la capricieuse divinitépaternelle des grecs qui vole de capriceen caprice, qui sème des descendantsqui peuplent les cieux et la terre, et lesbois et les forets. Un dieu du caprice, etpuis les copains, les enfants attablés aubanquet sont tous des capricieux. Doncgrand progrès que s'installe dans lemonde la religion de la loi et puis cellequi vient l’accomplir et où c'est « fini derire » - assonance.

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C'est ce que redit la métaphorepaternelle et, bien sûr, Lacan est alléau-delà et il nous faut retrouver le sensdu caprice, le caprice des dieuxd'ailleurs c'est un fromage !

Le caprice, c'est une volonté hors laloi. La loi est là, avec ses gros sabots,avec le fouet, avec ses engagements,voilà les liens les plus vrais, lesengagements de discours, la loi est làpour brider la volonté. Enfin je ne vaispas vous étaler ma science linguistiquedu caprice, j'ai consulté et photocopiédes articles caprice des dictionnairesque j'avais sous la main. Littré distinguetrois sens, vous savez c'est toujoursapproximatif, c'est surtout fait pourqu'on voie la parenté de ces sens. Ildistingue le caprice comme volontésubite qui vient sans aucune raison ;premier sens, et c’est fort bien dit, çamet en valeur le caractère imprévu ducaprice, c'est la volonté commeévénement imprévu et aussi irraisonné.

C'est-à-dire que quand noussommes dans l’univers du caprice,merveilleusement, nous sommesdénoués de ce qu'on appelle, dans lelangage de la psychanalyse, larationalisation.

Un caprice ne donne pas sesraisons, « - parce que, et puispremièrement, deuxièmementtroisièmement, en tenant compte de, vuque… » Non ! Et sur ça, par ce qu'onappelle les motivations d'un jugementoù, pour vous faire des mauvais coups,on donne toutes les bonnes de bonnesraisons du monde : le caprice s'allègede ce cortège. Ça rime encore.

Deuxièmement, c'est un emploi quime paraît un peu vieilli là, le capricedésigne, dans la langue plus classiqueque celle que nous parlons, la saillie del'esprit et de l'imagination en bonne oumauvaise part. Il y a les auteurs qui fontdes plans, qui se préparent et puis il y aceux qui écrivent de caprice.

Et puis, troisième sens, je laisse decôté le quatrième qui concerne lahouille, le charbon, il y a le sens decaprice où ça désigne les veines dehouille qui ne sont pas régulières.

Le troisième, c'est le caprice commeinconstance, comme irrégularité,

comme mobilité et puis les référencessont multiples et, sans doute, ongagnerait beaucoup à aller regarderchacune.

L'étymologie alors est rigolote,l'étymologie est italienne. Dans le Littréon s'en tient à capra, la chèvre ; lecapriccio, c’est le saut de chèvre, chosespécialement inattendue, si vousconnaissez les chèvres et donc lecapriccio, le saut de chèvre c'est, parexcellence, l’événement imprévu. LeRobert historique est plus savant, plusdrôle, parce que lui fait dériver capriceet capriccio de capo, la tête, une tête dechèvre, quelque chose comme ça. Latête. C'est-à-dire la même chose qui seretrouve dans l'expression espagnolesous laquelle j'ai parlé, je l’airappelé « Al fin y al cabo ». Et alors leRobert historique passe, avant d'arriverà capriccio, par caporiccio qui serait latête hérissée,

Caporiccio

frisée, et qui a signifié au XII° sièclefrisson d'horreur. Et je crois avoir faitallusion au frisson qui serait devenu auXVI° siècle, là il faut consulter undictionnaire étymologique italien que jen'avais pas sous la main : désir soudainet bizarre qui monte à la tête et qui esten rapport et qui a donné aussi capito.

Là, on est vraiment dans une autreatmosphère que celle de la loi du pèreet l'emploi esthétique, en effet, est celuide l'idée fantasque, tout ce qui est misà mal par l'apparition du règlement,règlement, règlement ! Tu feras pasceci, tu ne fera pas cela, tu ne ferasrien de ce que tu as envie de faire.C'est ce qu'il faut comprendre.

Le Robert historique ajoute que c'estcroisé avec cette progression que voussuivez, à partir de capo, l’influence dulatin capeare, le bouc, d'où la chèvre !

Alors on voit, si l'on reprend le motdans cette distribution ternaire, ce quifait vraiment le cœur sémantique del’affaire, c'est l'absence de loi. Et c'estpar là que ça communique avec latroisième valeur sémantique, del’inconstance et de la mobilité qui nous

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permet de parler, en français, descaprices du hasard, des caprices de lafortune, c’est précisément cettedimension d'échapper à la régularité dela loi.

Il y a là une citation de Montesquieuqui est dans le Littré, pêché dans lesLettres persanes : « Et, croyant qu'il n'ya point de lois, là où il ne voit point dejuge, il fait révérer comme des arrêts duciel les caprices du hasard et de lafortune. » Le point où on croit qu’il n'y apas de loi et donc ce qui est le simplecaprice est pris comme décisionsupérieure, par là même détaché de laloi et des bonnes raisons dont on atoujours une pleine réserve pour fairececi ou pour faire cela. La volonté, ? ?c'est ce qui pousse Corneille à faire diredans Nicomède : « Ce que peut lecaprice, osez-le par raison. » C'est cequi montre bien la disjonction ducaprice et de la raison : le caprice sepose comme irraisonné.

Voyons encore Boileau dans saSatire 8 : « l’homme a ses passionsetc., il a comme la mer ses flots et sescaprices ». On a rencontré la mer m-e-r,un peu plus haut dans ce Cours, c'étaitjustement la référence naturellequ’introduisait Valéry pour indiquer sonindifférence à l'événement imprévu,aléatoire, de la vague, du flot, qui va etqui vient pour considérer que l’étendue,la substance, la structure, est hors lesrègles. Cette manifestation subite, cetteidée bizarre, et donc le caprice, appellerégulièrement la censure duclassicisme.

Ce qui définit ce petit îlot, à vrai diretrès bizarre, qui s'appelle le classicismec'est l'idée qu'il fallait, pour produire desœuvres d'art avec d'abord le langage,obéir à des règles. Si on vous demandequ’est-ce qui définit le théâtreclassique, répondez c'est la règle detrois unités.

Le classicisme, ça se définit par latentative, combien vaine, d'exclure lecaprice de la création et de le mouler,de le brider par un ensemble vrai, et sion y songe, c'est l'idée la plus bizarrede toutes et le fonctionnement, lalittérature classique, ses valeurs qui onttellement marqué la littérature

française, spécialement et ont fait sasingularité dans les littératures, c'estcette obéissance à des règles dont ilfaut bien dire que la motivation n’estpas toujours évidente, mais qui met enévidence l'existence de la règle autemps de la monarchie qui a rêvé d'êtreabsolue et qui s’incarne de là danscette loi faite au langage.

Au contraire, le caprice ne porte pasces valeurs négative dans le baroque etpas non plus dans le romantisme. Audébut du 19° siècle, on commence àutiliser le capriccio comme une formemusicale qui nous a valu un certainnombre de chefs-d'œuvre, une formemusicale qui intègre l'allure fantasque.

Rien de plus loin, d'apparence, ducaprice que l’impératif catégorique deKant qui est l'énoncé d'une volontéuniverselle, constante, omnitemporelle,omni-subjective : agis de telle façonque ce soit toujours conforme àl'énoncé de cette loi.

Ça élimine le caprice et c'est bien cequi rend si singulier, que, pour illustrercette volonté d'apparenceimpersonnelle, cette expression d'unevolonté entièrement légale de part enpart, Kant soit aller pécher et signalel’écho qu’il lui en est venu du capricemortifère d'une femme, de la mégèrede Juvénal qui dit : je veux, j'ordonneque cet homme, cet esclave, soitcrucifié !

Là, on saisit ce que c'est que lavolonté, on le saisit d'autant mieuxqu'elle apparaît sans raison, elleapparaît pure, pur caprice de femme,avec un lien singulier à la mort d'unhomme. Les caprices des messieurs,quand ça apparaît, c’est toujoursinnocent, les caprices des messieursc’est les caprices de Zeus, c'est commemonsieur de Chevigny, dans Uncaprice de Musset. Quel est le capriceen question ? L’amie de sa femmepasse à sa portée, il lui vante sa taille etpuis il y met un petit peu la main et il sefait avoir d'ailleurs, tout de suite, pas ausens où il voulait lui l'avoir d'ailleurs, ilse fait avoir, rouler dans la farine et à lafin il dit « je raconterai tout à mafemme », c'est la dernière phrase.

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Voilà les caprices des messieurs, çane va pas loin. Le caprice féminin, c’estplus sérieux que ça, le caprice de lamégère de Juvénal, c’est meurs, tue-le ! et ça court.

Voyez par exemple Un caprice deMusset c'est le caprice du monsieur, lafemme est là, gentille comme tout, joliecomme un cœur, cousant, mois aprèsmois, une petite bourse pour la donnerà son mari et un petit peu jalouse parcequ'il en a une autre, de bourse, toutenouvelle, que lui donné une autre damequi pourrait avoir un caprice pour sonmari. C'est le caprice du monsieur, c'estun acte, un divertissement.

Les caprices de Marianne, c’estautre chose, c'est une autreatmosphère, je ne sais pas si c'estencore une pièce qu'on aime et qu'onconnaît, qui aime Les caprices deMarianne ici ? Ça n’est pas une forêt !

Je vois des dames que je connaisqui connaissent les Caprices deMarianne. Les caprices de Marianne, jele dis pour les autres, d'ailleurs quipeut-être n’aiment pas les Caprices deMarianne mais qui connaissent Lescaprices de Marianne.

Les caprices de Marianne ça racontela mort d'un homme. C’est le pauvreCoelio je sais pas, je ne suis pas tout àfait sûr comme on le prononce Coelio,Queilliot sans doute oui, qui meurt, il luifaut deux actes, pas plus, pour mourir,et dès le début, on voit qu'il n'est pas enbonne santé, il se fait du tourment pourMarianne, et la pièce se termine auxpieds de son tombeau où il y aMarianne et le copain de Coelio,Octave, qui dit : c’est moi qui suisenterré là, le tralala romantique,d'accord.

Et Marianne qui c’est ? Il était malinMusset, faut pas croire, c’est pas parcequ’il s’est fait rouler dans la farine parGeorges Sand que c'était un niais.Marianne, c’est la femme d'un juge, elleest mariée avec la loi, un vieux juge,comme elle dit, très puissant dans cetteville, comprenez un peu moins puissantailleurs. Et elle fait des caprices, qu’est-ce que vous voulez faire d'autre quandvous êtes mariée avec la loi ?

Alors elle est dure à la détente, pourfaire son caprice, le pauvre Coelio quiest là, voudrait qu'elle fasse un fauxpas en sa faveur, mais il ne sait pas ledemander ! Et il ne sait pas l’obtenir ! Ils'en ouvre à son copain, Octave, en luidisant : qu'elle est charmante, cetteMarianne, etc., mais qu'est-ce qu'elleattend donc ? Et Octave entreprend deplaider la cause de l'autre auprès deMarianne et ça ne se passe pas du toutcomme ceux qui n’ont pas lu la piècepourraient le croire, finalement c’estente Octave et Marianne que ça sepasse, pas du tout, il reste un boncopain jusqu'au bout et c’est pourquoison copain meurt.

Il reste un bon copain et donc ilplaide vraiment la cause de l’amoureuxtransit auprès de Marianne. Il la plaidesi bien que Marianne le regarde avecbeaucoup d'intérêt ! mais elle lui dit :bon, c'est vrai qu’il faut que je prenneun amant, mais je ne le choisirais pas,voilà mon écharpe ! donnez-là à quivous voudrez, celui-là qui viendra cesoir avec cette écharpe, je serais à lui,ouh, ouh ! !

Octave, embarrassé par ce cadeau,de sa personne, que lui fait Marianne -ce qui est formidable c’est qu’elles’émancipe entre le début la pièce oùelle est la femme du juge et le momentoù elle dit : je prendrais le premier venuque vous me recommanderez commeamant. C’est merveilleusement écrit etça a l’air tout naturel - et donc Octaveest embarrassé comme tout et voudraitqu'elle choisisse son ami, elle dit : non,non, non ! ! J'ai dit, j'ai dit !

Aah ! C'est un caprice de bonté ; ildit, d'ailleurs il dit une phrase - que jecite de mémoire là –que ce caprice decolère, qui la rend adorable, constitueen fait un pacte en bonne et due forme,c'est très bien dit.

Et alors, bon copain, il va donnerl’écharpe de Marianne à son copain,Coelio, qui, ravi, s’apprête à se glisserdans la maison le soir. Seulemententre-temps, le vieux juge, pastellement réglo, a convoqué un certainnombre d'assassins, pour couic, enterminer avec cette petite galanteriedont il a été averti. Marianne écrit en

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vitesse un mot à Octave : ne venez pasce soir !, mais c'est trop tard, Coelios’est déjà rendu sur place. Il entendMarianne dire dans le noir : c’est vousOctave, partez !, comment ? c’estOctave qu’elle attendait, je vais mourir.Il s'apprête à se suicider, il n'a pas àprendre cette peine : les assassins sontlà, déjà sur place et en terminent avecle copain malheureux. Et la dernièrescène, devant son tombeau, Marianneet Octave échangent quelques propos,se sentent un petit peu coupables,Octave dit : si j'avais pas été un si boncopain, il serait encore en vie (rires),c'est moi qui suis enterré là, il ne resteplus qu'à courir le monde et les jupons.Marianne lui dit : mais moi je celui-là, jeregrette beaucoup ce qui est arrivé àvotre copain mais moi je vous aimetoujours. Ça se termine sur cette parole- je raconte ça comme une comédie,c’est une tragi-comédie - Octave lui dit :ça fend le cœur, Marianne, je ne vousaime pas, c'est lui qui vous aimait, lemort. Le rideau tombe là-dessus.

Je ne comptais pas vous racontertous ça dans le détail, je me laisseemporter, mais je le mets en rapportavec le « je veux, j'ordonne que cethomme soit mis à mort », de la mégèrede Juvénal. C'est-à-dire que le capricemasculin, c’est la comédie, à l'occasionle caprice féminin est mortifère.

C'est très drôle, de penser ça, quel'exaltation de la volonté dansl'idéalisme allemand trouve ses racinesdans le caprice de la mégère deJuvénal. Parce que, pourquoi ça les aexaltés, la volonté ? C’est parce que ledomaine de la Raison pratique, c’est ledomaine où l’homme n'est pas assujettià l'enchaînement implacable descauses et des effets. C'est que lavolonté, et même la volonté du caprice,et c’est là même que c’est le plus envaleur, introduit une coupure, unerupture avec l’enchaînement causal. Uncaprice, c’est un miracle et on devraitd'abord, avant de se poser la questiondu pourquoi, du comment, d’y répondrepar : pas maintenant, sûrement pas,c'est trop cher, je ne peux pas, trop detravail, etc., il faudrait d'abord se mettregenoux devant cette manifestation de la

Raison pratique, sous les espèces ducaprice.

J'adore en toi la Raison pratique ! Jene sais pas ce que ça va faire ! S’il y aainsi une exaltation qui parcours cestraités volumineux avec leurvocabulaire technique, etc., mais,comme Lacan disait par ailleurs de laCritique de Raison pratique de Kantque c’était un livre érotique, tous cesgros traités, en fait, sont animés de laflamme de la volonté, ils montrent quele « je veux » est supérieur au « jepense », qui est toujours un « je mereprésente », c'est-à-dire : je suissoumis à la représentation. Et c’estpourquoi ce qui donne la clef de ça, jel’ai dit, c’est Schopenhauer, c’est celivre qui double le monde commevolonté et comme représentation.Premièrement je me représente, je suislà, le monde est là, se représente enmoi, et puis deuxième partie, je veux. Etça, c'est le grand mystère de la volontéet c'est ce qui se répercutera plus tarddans Nietzsche et puis conduira, audébut du siècle dernier, le vingtième, àcette folie de volonté qui fait de cesiècle le plus sanglant, le plusdestructeur de l'Histoire.

Là, ça n’est pas un type qui meurt etqu'on met en scène au théâtre, c'estdes millions et des millions, sous toutesles latitudes et de toutes les façons, etc’est lié à l'exaltation de la volonté.

C’est ce qui se présente volontierssous les espèces sympathiques que, ilfaut maintenant changer le monde,parce que, quand même, le monde neva pas si bien que ça. Marx, où, àl'aboutissement historique de cesystème de pensée, la belle parole,mais irresponsable, de Mao Tse Tung,au début de la Révolution culturelle, dela révocule, changer l'homme dans cequ'il a de plus profond. Voilà la paroleoù se réalise et s’exténue l'exaltation dela volonté. Eh bien tout ça a ses racinesdans le caprice de la mégère « tuesm’en un !, parce que je veux ! ».

Alors qu'est-ce qu'il y a de communentre le caprice et l'impératifcatégorique, qui fait que Kant, pas moi,n'a pas trouvé d’autres mots pourincarner la voie de l'impératif

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catégorique que celle qu'il est alléchercher dans la satire de Juvénal, cequ'il y a de commun, bien quel'impératif catégorique c'est personne,c'est la loi qui veut ça, c'est la loi qui estinscrite dans chacun, c'est pourtoujours, pour tout le monde, je neconnais pas les différences !, ce qu'il ya de commun, c’est précisémentl'absoluité du « je veux ». Un vraicaprice, ça ne se discute pas, pas plusque l'impératif catégorique. Gardez vosbonnes raisons.

Dans un cas comme dans l'autre, cequ'exploite le caprice comme l’impératifcatégorique, c'est la discontinuitéintroduite par le sujet barré etqu'incarne le sujet barré, et dans cettediscontinuité, justement desenchaînement de causes et d’effets etde bonnes raisons qui produisent desconséquences, il y a un trou et dans cetrou surgit, apparaît, se manifestecomme sans raison, un objet, unénoncé qui est un objet, détaché, et quimérite d'être appelé petit a, qui devientcause de ce qu'il y a à faire.

Ici, la formule qui en répondrait estmoins celle du fantasme que celle de lapulsion, c'est-à-dire d'une volonté,proprement et naturellement acéphale,où le sujet disparaît en tant qu'il y estagit.

S a a a a

Ce qui est beau dans le caprice,c’est que dans le caprice, le sujetassume comme sa volonté la volontéqui l’agit. Et ce qui est divin dans lecaprice - on l'attribuait par excellenceaux dieux - c’est que c’est un « je veux- non pas la loi, pour tous, c'est - jeveux ce qui me pulsionne ». J'exprimecomme un « je veux », comme un jeveux absolu, ce qui m’actionne commepulsion, ce qui me pulsionne. J'ai unepetite pulsion agressive à l'égard del'esclave, je veux qu'il soit crucifié.

Dans l’impératif catégorique, il y aquelque chose comme ça, l’impératifcatégorique, comme le note Lacan, seformule sous les espèces de « agis de

telle sorte que », c'est-à-dire il seformule à partir de la volonté de l'Autreet donc le sujet a à dire ok, que tavolonté soit faite ; avec le problèmechez Kant que les deux sont le sujet. Etque donc, dans ses dernières notes,comme je l'ai indiqué, Kant esttourmenté par cette division du sujet,qui fait que cette loi s’impose à moicomme de l'extérieur, comme si c'étaitun commandement, alors que c'estmoi-même que me la donne. Eh bien çale tourmente, la différence entre le sujetde l’énonciation et le sujet de l'énoncéet ça le tourmente même tellement qu'ilva jusqu'à dire c'est comme un objet quiest en moi, un objet qui méritel’adoration, je l'ai indiqué, en français,adoration.

Et donc l’impératif catégorique, ilvous introduit à, quand même que tavolonté soit faite, avec ceci que tavolonté c’est la mienne, mais qu'elles'impose à moi quand même commeune contrainte, parce que je n'ai pas dutout envie de faire ce que me ditl’impératif catégorique et Kant note bienque si on a envie de faire, si on fait parplaisir ce que la loi vous impose defaire, on ne le fait pas pour la loi et doncc’est suspect, c'est douteux !

Donc, ça introduit quand même àune acceptation, à une résignation, çaintroduit à fiat volonta sua. Et, c'estaussi l'esprit dans lequel les sagessesnous invitent à accepter les coups dusort. Tandis que le caprice, biensupérieur, quand se manifeste cettevolonté qui pousse au cul, ça arrive, lecaprice dit : je le veux, moi je le veux !

Le caprice est au principe des plusgrande choses, le caprice, prenez lamystérieuse doctrine soit disant del'éternel retour chez Nietzsche, ças’éclaire à partir de là. C'est le capricegénéralisé, l'éternel retour ça dit quetransformer, enfin c’est l'énoncé que jesubstitue, transformer la destinée,transformer les coups du sort,transformer ce dont vous pâtissez, dansvotre caprice, sachez dire : je le veux ;ce qui m’échoie, et dites-le même de cequi vous écrase, je le veux. C'est bienla sagesse supérieure, la sagesseterrible et destructrice sans doute, de

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l'éternel retour. Sachez vouloir commesi c'était votre caprice, les caprices dela fortune.

On peut là-dessus se référer aussibien, qui est par là, le schéma queLacan propose, de la position de Sade,dans son « Kant avec Sade ».

.

..V

S

S

( a )

S u j e t A u t r e

On retrouve la disposition dequaternaire, classique chez Lacan, le« V » ici est dans la position qui seracelle du signifiant maître, c'est là qu’estle « je veux ». Comme dit Lacan : lavolonté qui semble dominer toutel’affaire, de Kant comme de Sade.Parce que chez Sade le « crucifiez-le »de la mégère de Juvénal, on le dit etpas seulement une fois, et précisémentsans autre raison que son caprice qu'ontrouve très souvent chez Sade : cettefille m’échauffe la tête, qu’on la crucifie,c'est le caprice.

Alors, cette volonté, son principe estbien indiqué par Lacan, c’est petit a,derrière le « je veux », la vérité du « jeveux », c'est l'objet petit a et la volontéa pour effet - c’est la lecture qu’ilpropose - de diviser, chez l'Autre, icic'est le sujet, ici l’Autre, ça a pour effetde diviser en l'Autre, le sujet, c'est-à-dire d'extraire un sujet barré, du bonpetit sujet que Lacan appelle brut duplaisir, c'est le sujet naturel et la volontéen produit chez l'Autre, en extrait unsujet barré.

Cette volonté diviseuse, Lacan la faitstrictement équivaloir à la volonté de la

pulsion, à la pulsion comme volonté,comme volonté de jouir.

C'est cet effet de division qui peut sereprésenter sous les espèces de lamise à mort, là c’est un sujet barré,rayé des cadres comme on dit, de lamort, de la mortification par la sagesseet par la loi. C'est aussi ce que lamégère de Juvénal elle veut tuerl'esclave mais c'est son mari qu'elleveut diviser, parce qu’elle veut lui fairesacrifier son bien le plus précieux, àsavoir un de ses esclaves, elle veut luifaire sacrifier ça pour son caprice à elle,et il lui dit : non, non ! il faut examinerça de plus près, surtout c'est pas parceque - je l’ai dit - c'est pas parce quec'est un humaniste, c'est parce quel’esclave est un bien et justement cedont il s'agit, c’est de lui faire sacrifierson avoir, peut-être pour pouvoir mettreson avoir dans la petite bourse, de Uncaprice d'Alfred de Musset, que Juvénaln'avait pas lu, d’accord, c’est un détail !

Ça éclaire quelque chose sur unvieux problème que nous nous posions,il y a deux ans, ce schéma. Siprécisément on ose mettre la femme ici,la représenter par un « V », il y ad'ailleurs beaucoup de représentationsde la femme qui mettent en jeu le « V »,l'ouverture du « V », d'autresreprésentations érotiques de la femmequi l’associent au « V ». Le chef-d'œuvre de Duchamp, précisément, arapport avec ce « V ».

Alors, puisque je parlais des affinitésde la féminité et de la volonté,n'hésitons pas à mettre là, au lieu de lavolonté, la femme. 3 Que veut-elle cettevolonté-femme ? Eh bien elle veut leséparer, elle veut extraire le sujet barré,elle veut le séparer de ses raisons, deses bonnes raisons, elle veut le séparerde son avoir, elle veut le séparer de sesraisons, l’entraîner dans une équipéeaventureuse, le séparer de son avoir, leruiner, le séparer de ses proches, leséparer de ses amis, le séparer de sesidéaux. Ça, c’est le côté ravage dupartenaire, c’est le côté Médée de la

3 Jacques-Alain Miller désigne le V du schéma

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féminité. C'est là que Lacan mettaitd'ailleurs la vérité.

J'avais essayé ça à un moment, lerépartitoire des qualités entre hommeset femmes et on voyait à quel pointc’était instable, ça s’enroulait sur soi-même, on avait des sortes de bandesde moebius, d'un côté comme del'autre, et spécialement du côté femmeoù un certain nombre de qualificatifs quiétaient attribués aux femmes par lesmeilleurs auteurs psychanalytiques,voire le plus distingué d'entre eux, quis'est vraiment occupé du sujet, c’estpas devant des jolies femmes commecela, La femme, je veux dire JacquesLacan, meilleurs des auteurs là-dessus,on voyait que les qualificatifs avaientune tendance à s'inverser, qu'on étaittantôt devant celle qui n’a peur de rienet qui ravage, comme un Attila, lespâturages, les greniers, etc., laravageuse, et puis, la bourgeoise etc.On pouvait s’en tirer en distinguant lavraie femme et les fausses. C'estl'erreur à ne pas commettre et Lacans’en tirait en disant eh bien justement lepropre de La femme, c’est qu'on peuten dire n'importe quoi et qu’on a passéson temps à en dire importe quoi, maison était resté un peu dans cetteproblématique là, à l'époque.

Là, je pense faire une petite liaisondialectique. D’un côté, ça se présentesous la face je sépare, j'extrais le sujetbarré je le sépare de tout ce quil’encombre, pour rester seule àl'encombrer (rires), je le sépare de tout,je le fâche avec ses amis, je mets dusel sur les plaies, je l'entraîne hors detout bon sens, je macule ses idéaux,comment tu peux suivre un type pareilc’est pas possible et puis…

Il y a une patiente qui est partie dechez moi parce que il y avait la photode Lacan. Elle m’a dit : quand vousallez enlever ce type là d’ici et elle afinit, elle n’est pas partie absolumentpas là-dessus, elle est partie sur unechose très précise, elle est partie quandj'ai écrit un texte qui mettait en scènede théâtre mon dialogue avec unefemme - imaginaire. Elle a considéréque là, la coupe était pleine. Mais elleest partie vraiment en maudissant

l'effigie qui était dans mon bureau,c'est-à-dire celui-là était de trop entrenous deux.

Donc, il y a d'un côté la face Médée.Ça aide, en effet, ça aide beaucoup. Etpuis, simplement dialectiquement, unefois qu'on a écarté tout ça, eh bien ças'accumule quelque part, l’avoir et toutça et c'est là que surgit la bourgeoise,c’est elle, la figure bourgeoise, la figure,la bourgeoise de la femme, estcomplémentaire de la figure Médée.Médée coupe l’herbe et puis labourgeoise ratisse. Alors ça se neréalise pas toujours, parfois c'est lamême qui fait ça, à savoir je t'enlèveton chéquier, je t’enlève etc. parce quetu vas le boire au bistrot, c'est moi quile garde. C'est absolument commun etj'ai eu l'expérience, dans mes annéesgauchistes j'ai vu de près commentfonctionnaient un certain nombre decouples prolétaires, le révolté, le rebellequi, à l'usine, dans la rue ne craignaitpas d'affronter le flic, le contremaître,etc., à la maison mettait des patins.

Et donc à l'occasion, la bourgeoisec'est aussi une espèce de Médée.Parfois, ça se divise, ce rôle estassumé par différentes, mais ça n'estpas simplement l’embrouillamini surlequel j'étais resté il y a deux ans. Il y aun petit progrès à faire, là, quej'aperçois.

Médée, la vraie femme, elle faitsurgir le manque-à-être, et puis labourgeoise, c'est plutôt par ici lamonnaie, c'est plutôt le recueil del’avoir. Mais, sous la Médée, cherchezla bourgeoise, et dans la bourgeoiserévélez la Médée. Ce sont, ça peut seprésenter comme deux faces de laféminité, c'est pourquoi Lacan, je mesouviens d'avoir un jour proposécomme titre Le surmoi, féminin, pourmarquer, conformément à desindications de Lacan, l'affinité de Lafemme et du surmoi.

C’est ce que vérifie la référence àJuvénal, que derrière l'impératifcatégorique, il y a madame, et quemadame qui dans Le Médecin malgrélui dont on va reparler tout de suite, faitde son mari bûcheron un grandmédecin madame qui sait à l'occasion

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laisser monsieur porter les atours, c’estles messieurs qui portent ça et puis, àl'intérieur, le mari à l'occasion est unemari-onnette !

Et, c'est bien là qu'on voit, queconverge la loi, le agis de telle sorte quivous impose la loi, et puis l'impositiondu caprice, c'est tout un.

Alors on comprend, on peut diremais qu'est-ce que c’est que cettehistoire ? Il y a une histoiremultiséculaire de la soumissionféminine, c'est vrai que l'ordresymbolique est avant tout motivé, parl’exigence de brider la jouissance, ditLacan, la jouissance dans ce qu’ellepourrait avoir d'infini, et de brider lavolonté effrénée, et c'est pourquoid'ailleurs, comme quand même çavibre, c’est ça qui nous vaut toutes cessatires misogynes. Qui écrit ces satiresmisogyne ? Qui les lit ? C’est toutecette bande de tremblards, qui sedemandent si vraiment la contentiontient, qui se disent finalement dansl'ensemble ça tient. Le Consul ? ? àRome, pouh ! à Rome, rions un peu, il ya les deux consuls, ils se serrent lapince et ensuite ils permutent. Ilspermutent et ils transmettent le pouvoir.Il y a tout un ordre comme çamerveilleux, mais quand on soulève lachose, on a Juvénal. On a derrièrel’ordre sublime de la République, on ala dictature, la dictature au foyer, on a ladérision. On a ce qui est écrit par lasatire, qui est en quelque sorte, si j'osedire, l'Envers de Rome. Et l'Envers deParis, ça devrait être la satire.

Mais enfin, c'est vrai que l'ordresymbolique aujourd'hui est mangé auxmites, quand même, donc ça ne poussepas les choses. Alors il faut avoir,pourquoi je dis ça maintenant alors quese termine le mois de janvier, de l'an2000, qui ne reviendra plus jamais, cemois de janvier là (rires), c’est que nousentrons dans la grande époque de laféminisation du monde. Il y a eu ledésenchantement du monde, c'estl’expression de Max Weber, avant il yavait des nymphes, des sylphes, il yavait des dieux qui avaient des capriceset puis, quand ils n’ont plus eu decaprices, il y avait quand même des

miracles et tout ça, on s’amusaitcomme des fous.

Et puis est arrivé ledésenchantement scientifique dumonde, le désenchantementbureaucratique du monde et puis on n'apas eu besoin d’une petite mégère quidit : « crucifie-le moi ». On pouvaitvraiment prendre une décision quelquepart sur le bord de la ? ? eh puis sixmillions qui sont rayés comme ça, c’estça le désenchantement du monde.

Alors on est passé par ledésenchantement du monde, peut-êtrejusqu'à ces dernières conséquences.Enfin on y progresse encore, c’est ledésenchantement du monde, c'est lesprochains ouragans qui vont recouvrirla France, le déluge peut-être. Et puis,en même temps qu'il y a ça, oncommence, son réenchantement aumonde. C'est-à-dire que de plus enplus, ce que la civilisation a essayévraiment presque partout d’empêcher,s'accomplit, à savoir les femmescommandent. Les femmescommandent, je veux dire ellescommandent avec le signifiant maître.C’est pas la question de savoir si ellesont toujours commandé ou pas. C’estque maintenant, on leur donne lesignifiant maître, ce qu’on ne leur adonné que de façon très exceptionnelleet quand elle prenaient le signifiantmaître ça allait, curieusement, oncroyait que ça les virilisait, que çastérilisait, Elisabeth d'Angleterre.

Donc, jusqu'à présent, on évitait deleur mettre entre les mains le signifiantmaître, ou alors vraiment quand onn’avait pas pris la précaution de mettreun bon article dans le règlement, la loisalique par exemple. Et quand onn'avait pas fait cette précaution, detemps en temps en effet on leur faisaitpasser entre les mains le signifiantmaître.

Mais maintenant, c'est permisd'accéder au signifiant maître, et jetrouve qu'il faut encourager ça, parceque c'est vraiment une expérience, etqu'on va voir. On va voir des combatsde femmes, pas la rébellion contre legars qui a le signifiant maître de façontransitoire, non, non, des combats de

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femmes ayant le signifiant maître, enmain. Et d’ailleurs, alors beaucoup dechoses changent, maintenant vousavez des combats de catch avec desfemmes, des combats de boxe avecdes femmes, qu’on organise, que lesfemmes vont voir avec les hommes. Etdonc, là, un monde nouveau, quis'ouvre aussi. Alors c'est vraiment uneexpérience de civilisation. Commentvont-elles faire avec ça ? Parce quel'expérience de, occuper la place dumaître en tant que sujet barré,l'expérience historique de l'hystérie, elleest faite. Mais qu'est-ce que c'est qued'occuper cette place, avec le signifiantmaître, de l'occuper légalement ? C'estvraiment la grande question, et donc, ilfaut favoriser partout l’accession légalede femmes aux postes de commande.C'est de là seulement que peut venirquelque chose de nouveau.

Alors un petit coup sur Le Médecinmalgré lui, parce que Le Médecinmalgré lui illustre, en tous cas, lavolonté féminine. Il y a la volonté deMartine, merveilleux exempled'ascension sociale, un bûcheronméritant devient un grand médecin. Onpeut appeler ça comme ça.

Donc il y a elle, c’est pas lui, c’est unimposteur malgré lui, mais pas malgréelle. Et puis, il y a Lucinde. Lucinde quireste quand même dans nos mémoires,parce qu’elle est la fille muette dans laphrase : et c’est pourquoi votre fille estmuette.

Alors j'ai terminé là-dessus ladernière fois. Elle veut se marier malgréla loi du père, c’est ça l'histoire de lafille muette. Elle a un « je veux », un« je veux » si fort qu'elle veut se mariermalgré ce que dit le père. C’est soncaprice. Elle a un caprice pour,comment il s’appelle déjà, lui ? lui, iln'est pas très intéressant, lui. Elle a uncaprice pour, comment il s’appelle ?Elle a un caprice pour Léandre. Etdonc, c’est au nom de ce capricequ’elle résiste à papa.

C’est ça qu’on illustre dans le théâtreclassique plus d’une fois : le pèrecontrarie l’amour, la loi, la règlecontrarie l'amour. C'est-à-dire, tout ceuxqui se montrent comme incarnant la

nécessité, ? ? ?, les contrats, de l’avoir,achoppent devant la contingence dudésir qui se réalise dans le caprice. Etdonc elle a un caprice qui fait qu'elle estmuette. Pourquoi elle est muette ?C'est sa façon de résister à la loi dupère.

Et ça dit bien : au sein de cemutisme est cachée la volonté dela ? ? ?. C'est vrai qu'on a fait taire lesfemmes et que maintenant ellespeuvent dire que les papas sont aurancard, on va voir ce qu'on va voir.

Qu'est-ce qu'elle dit, alors dèsqu’elle rouvre la bouche, la fille muette,c'est son « je veux » qui apparaît. Unsplendide « je veux », une agalma de« je veux » et qu'elle cachait au dedansd’elle.

Et c'est ce que dit Molière, à la fin,Lucinde parlant d'un ton de voix àétourdire. Ça c'est pas l’étourdit, enfinc’est les autres sont étourdits, par elle,quand elle se met à parler, la muette. Etça va être ça, le 21° siècle, on va êtreétourdit de comment elles vont parler.

Alors ici c'est pour dire,brusquement, alors qu'elle est muettedepuis le début, avec quelle constance,avec quelle fermeté de caractère, on lapince elle fait pas ouille. C'est vraimentla stoïcienne. Lucinde à Léandre, parceque Léandre vient, dit, qu'est-ce qu'ilvient dire, il ne dit pas grand-chosed’ailleurs, il ne dit rien, donc je supposeque le jeu de scène ça doit être elleparle bas, à Léandre et elle lui dit : Non, je ne suis point du tout capable dechanger de sentiments. Il doit lui diremais est-ce que vous m’êtes bienfidèle, etc., bon, elle lâche ça à Léandreet tout le monde voit donc, subitement,que la muette s'est mise à parler.

Géronte, le papa Voilà ma fille quiparle ! O grande vertu du remède ! Oadmirable médecin ! Que je vous suisobligé, Monsieur, de cette guérisonmerveilleuse ! Et que puis-je faire pourvous après un tel service ?

Sganarelle, se promenant sur lethéâtre, et s’essuyant le front Ah quevoilà une maladie qui m’a donné de lapeine !

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Lucinde Oui, mon père, j’airecouvré la parole ; mais je l'airecouvrée pour vous dire que je n’auraijamais d’autre époux que Léandre, etque c’est inutilement que vous voulezme donner Horace.

Mais…, dit Géronte. Mais… Rien n’est capable d’ébranler la

résolution que j'ai prise ; dit Lucinde,c’est vraiment du Corneille, on dit queCorneille ? ? ? ?Géronte Quoi… ? Vous m’opposerez en vain de bellesraisons. Si… Tout vos discours ne serviront de rien. Je… C'est une chose où je suisdéterminée. Mais… Il n'est puissance paternelle qui mepuisse obliger à me marier malgré moi.Le médecin peut être malgré lui, maiselle elle n’est pas malgré moi.Géronte J'ai…Lucinde Vous avez beau faire tousvos efforts.Géronte Il…Lucinde Mon cœur ne saurait sesoumettre à cette tyrannie.Géronte Là… Et je me jetterai plutôt dans uncouvent que d’épouser un homme queje n'aime point.Géronte Mais…Lucinde, parlant d'un ton de voix àétourdir Non. En aucune façon. Pointd’affaire. Vous perdez le temps. Je n’enferai rien. Cela est résolu. Donc à la suite :Géronte Ah ! quelle impétuosité deparoles ! Il n’y a pas moyen d’y résister.À Sganarelle Monsieur, je vous priede la faire redevenir muette. Sganarelle C'est une chose qui m’estimpossible. Tout ce que je puis fairepour votre service est de vous rendresourd, si vous voulez. Je vous remercie… ; etc., et il lui dit Tu épouseras Horace, dès ce soir, dit lepapa.Lucinde J'épouserai plutôt la mort.

Et, ce plutôt la mort, que je vous aiinterprété de façon comique, mais c'estAntigone déjà, là, dans le Médecinmalgré lui, c’est Antigone qui choisit lamort, entrer vivante au tombeau, elleparle avant d’ailleurs du couvent,convent plus exactement, plutôt la mortque de céder sur le principe. Donc c'estAntigone déjà, eh puis, c'est laRévolution française, c'est la liberté oula mort, c'est déjà là.

On n’a pas assez examiné le rôle,enfin c’est peut-être moi qui ne suis passuffisamment informé, des femmesdans la Révolution française. Etd'ailleurs, je peux me permettre cetteconfidence, je suis ses progrès au fil dutemps, ma petite-fille. Maintenant, c'estbientôt cinq ans, l'expression favoritede sa part, elle dit, elle sait qu'elle ditquelque chose de drôle qu'elle livrec'est : pas question ! Et l'expression dela volonté est rendue d'autant plusmanifeste par cette ellipse. Où est-cequ’elle a péché ça ? il m’arrive de direpas question, mais vraiment pas aussisouvent qu'elle ? Elle le dit avec lesentiment du petit excès qu'il y a dansle « pas question ». Il est possible de cesoit un trait identificatoire au grand-père, à son « pas question », qui setrouve là croisé avec d'autresinfluences, une institutrice à la crèche,qui l’a marquée, mais enfin, bon et làc'est très frappant ce qu’on perçoit, quel’ellipse qu'il y a dans cette expression,intensifie la valeur.

Alors ce qu'on appelle d'ailleurshystérique, c'est le sujet qui fait lemaître, c’est la division qui commandeet, oui c'est très frappant d'ailleurs, ondit, pour des amants, on dit lamaîtresse, on ne dit pas le maître, si ondit le maître, on va dans une toute autredirection, il y a quelque chose, laposition, là, dans la relation, quandmême situe la maîtrise de ce côté là.

Alors la place du maître il fautencore voir de plus près, la place dumaître, au moins chez Lacan, dans lequaternaire des discours, la place dumaître qui est là en haut à gauche, lemaître est un guignol, foncièrement.

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J.-A. MILLER, LES US DU LAPS - Cours n°8 26/01/2000 - 112

X

Le maître, Lacan l’appelle l'agent dudiscours. L’agent c’est celui qui fait lachose, mais c’est pas celui qui peut seprendre pour le vrai de vrai si je puisdire. Et surtout c'est pas celui qui peutse prendre pour le réel de l’affaire. Ilfaut bien remarquer que si, dans cesquatre discours, il y a une place qui estcelle du semblant c'est celle-là. Laplace du maître, selon Lacan, est parexcellence la place du semblant. C'estlà qu’on érige les insignes, lessymboles, du pouvoir. Et il fautremarquer à quel point le pouvoirs’appareille, chaque fois qu'il y apouvoir, on voit ça dans un muséeethnologique, il y a décorum. Il faut qu'ily ait des places marquées, il faut qu'il yait des costumes, il faut qu'il y ait despeinturlures parfois, pour que l'on dise :ah ! là est le pouvoir, pouvez-vousm’indiquer où est le pouvoir ? Ça n'estpas difficile suivez les déguisés ! C'estessentiel au pouvoir.

Donc il y a une affinité essentielleentre le maître et le semblant. On peutdire c'est par commodité que c’estdisposé comme ça, mais enfin voyez,vous êtes tout serrés comme dessardines, là, et moi regardez l'espacequ’on me laisse, là tout de suite on voitqui est le maître, qui enseigne, qui sait,on voit bien qu’ici c’est moi, et c’estpour ça que vous avez besoin de moinsd’espace, moi avec toutes mesréférences, ça occupe toute la scène.

Alors c'est justement parce que laplace du maître est une place desemblant que, contrairement à ce qu'ons'imagine, elle convient parfaitement àune femme, parce qu'il y a justementdes affinités entre la femme et lesemblant, à cause de certaines petitesdifficultés d'identification, de manque-à-être, et de, autre à elle-même etc. Cespetites difficultés font une affinité de lafemme et du semblant, justement parcequ’il y a une question sur l’être.

Et, donc, la place du maître convientparfaitement à une femme. On peutdire : vous dites ça mais jusqu'àprésent, on voit surtout des messieurs,c’est eux qui profitent d’avoir du pouvoirpour se mettre des beaux habits, pourse promener, se faire admirer dans leurcostume.

Ah, j'ai une réponse : c’est quejustement le pouvoir fémininise parceque c'est une place de semblant. Moij’ai vu ça, la première fois où je me suisvraiment rendu compte de ça, c’étaitvers 1971, j'étais encore à l'époquemembre, j'appartenais, encore à ungroupe d'après 1968, un groupe asseztenace, qui en voulait, en dépit detoutes les évidences de la situation. Etmoi-même j'avais d'ailleurs recensé lesévidences de la situation. On m’avait ditrange ça, tout ça c’est des comptesd'apothicaire, arrête tout, on va fairesurgir la volonté populaire.

Moi j'arrivais plutôt comme ça, avecles livres de compte de ce qu'onpouvait, et puis j’ai eu devant moi, aufond on voit, voir, à l’intérieur aussi, ondisait : on ne s’occupe pas de ce quil’air raisonnable, on fait ce qui est bienet puis à un moment, notre volonté vaappeler la volonté de l'Autre, la volontéde la masse.

Je veux dire, ça a été, j’ai cédé, lesévidences du calcul devant…, c'esttoujours très difficile, entre la volonté etpuis le calcul, de faire la part deschoses. Le parti communiste chinois,au départ, c’était huit, dix gars autourde quelqu’un qui n’était pas la haut,c’était huit, dix gars dans une pièce quiessayaient de lire péniblement les écritsde Marx et Lénine, qui se chamaillaientcomme des perdus et puis, petit à petit,ils ont quand même déclenchéquelques événements considérablesqui se sont étendus sur quelquescentaines de millions de personnes.

Donc, quand on se met bien dans lalogique historique, il n’y a pas besoind'être très nombreux. Alors je disais ça,pour dire que, dans ce contexte là cequi m'avait frappé, donc si vous voulezdans ce groupe-là, il y avait desbalèzes, des gars qui, ça leur disait, lacastagne.

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Et la vision que je garde d’unmoment, c’est le groupe de balèzes,avec des blousons de cuir, qui revenantd’une bagarre ici, ou une bagarre là, çadéfrayait la chronique à l'époque, çafaisait les gros titres, etc. c’était nous !et puis ils étaient autour de celui quiétait, à cette date, le numéro un de cegroupe. Et c'est la vision qui reste, tousces gros balaises, et lui, qui était unpetit freluquet, absolument mince, droitcomme un I, mince et flexible. Et il leurparlait et il y avait là comme unenchantement, et, de façon absolumentclaire, lui qui avait le signifiant maître dugroupe - et à l'époque on ne discutaitpas beaucoup - eh bien lui étaitjustement là, une sorte d'essenceféminine, avec une grâce, quelqu’un quise trouvait être né en Égypte, il avaitune grâce toute orientale, roseauflexible au milieu de ces balaises quil’écoutaient, comme ça, et là j’ai vupour la première fois, j’ai saisi cetteféminisation du pouvoir, de l’affinité entous cas de la féminité et du pouvoir.

Alors le réel, le réel par rapport aumaître, on peut dire le réel n’est jamaisle maître. C'est même une fonction parexcellence qui ne peut pas occupercette place d’agent, parce que le réelc'est pas du toc, comme dirait l'autre etdonc le réel ne fait jamais le maître,c'est toujours le semblant.

Quand le réel devient le maître,c’est-à-dire quand on le voit apparaîtrecomme maître, eh bien justement, il seféminise, c'est ce qu'on appelle lescaprices de la fortune. Quand c'est leréel, qui vraiment commande, commentest-ce qu'on l’a capté ? Comment est-ce qu'on l’a représenté ? On l’areprésenté comme une puissancecapricieuse et volontiers féminine, etc'est ainsi que le hasard figure danstout notre imaginaire artistique,classique, de la renaissance classique,etc., il figure sous les espèces de lafortune. Une dame à moitié à poil, engénéral, et qui, par certains objets oupar son attitude, démontre soninconstance et son instabilité. Eh bienla fortune, c’est un des noms du réel,cette fortune qui agit sans raison, et quimanifeste, qui vous distribue ses coups

comme au hasard et sans s’occuper devos mérites.

C'est le nom du réel en tant que réelsans lois, qt qui est justement lequalificatif que Lacan lui met dans sondernier enseignement, au réel, le réelcapricieux. Quand le réel apparaîtcomme le maître, eh bien justement ilapparaît avec le caprice.

Et c'est pourquoi l'événementimprévu est un des noms du réel.L'événement imprévu, c'est ce qui vousprend au dépourvu, très jolie cetteexpression : au dépourvu, c'est-à-direqu'avant vous êtes pourvus, vous avez,c’est l'avoir. Vous avez des plans. Vousobéissez à la loi, vous êtes protégé parle règlement, tout ça, ça fait un drôle desac à dos. Vous ne vous déplacez quebien pourvu, et pourvu que rien n’arrivequi dérange ça. Et puis l'événementimprévu, c'est ce qui fait de vous undépourvu, c'est-à-dire ça vousdépouille. Ça vous dépouille de vosplans, de ce qui vous encombre, et çavous met à nu. C'est ce qui arrivequand les semblants vacillent, entreparenthèses titre des prochainesJournées de l'Ecole de la Causefreudienne au mois d’octobre de l'an2000, de cette année.

Quand les semblants vacillent, enparticulier grâce à l'événement imprévu,le réel apparaît, enfin il a une chanced’apparaître. Parce que le semblant, lesdiscours, qui sont foncièrement del’ordre du semblant et de sonappareillage et qui sont de toute façon,et qui ont comme emblème unsemblant, tout ça tourne autour du réelpour l'éviter. Ça gravite, les semblants.

Alors, c’est pourquoi Lacan pouvaitdire que l’acte analytique est un actequi ne supporte pas le semblant. Alorsbien sûr il en procède aussi, parce quec'est un discours. Donc, le discoursanalytique aussi, il a un semblant, il a

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J.-A. MILLER, LES US DU LAPS - Cours n°8 26/01/2000 - 114

l'analyste comme semblant. L'analyste,représentant l'objet petit a qui est unsemblant - on verra ça la semaineprochaine - essentiellement unsemblant.

C'est pourquoi ça m'a toujours, enfinj’ai essayé pendant des annéesd'arrêter la thèse comme quoi l'analysteferait semblant d'être l'objet petit a, enrappelant que l’objet petit a lui-mêmec'était un semblant. Mais non ! onvoulait que l'analyste fasse semblant.

Alors que précisément il s'agitd’autre chose. Que l'acte analytique nesupporte pas le semblant, dit Lacan.C'est-à-dire qu’il part du semblantcomme les autres, dans les autresdiscours, mais il ne supporte pas lesemblant. L'acte, non seulement ilsupporte le semblant, mais il y abeaucoup d’actes qui ne peuvent pass’accomplir sans le semblant.Beaucoup d’actes essentiels qui nes’accomplissent pas sans le semblant.Il y a des actes qu'on ne peut faire, quequand il y a le décorum nécessaire, quequand chacun a le titre nécessaire, etque, quand il y a des conditionsd’énonciation bien précises, quis’accomplissent alors ça marche.

Si vous prenez votre caprice, sur lePont-Neuf, et vous dites à votrecaprice : tu es ma femme, si elle vouscroit, c'est une oie. Ça ne marche quesi vous êtes ailleurs, que si vous aveztraversé la Seine, que vous êtes àNotre-Dame, tous les déguisés sont làetc., tout a été publié avant, à cemoment-là vous dites : oui, pouh ! et çavous change, c'est un acte. Et aprèsessayez de vous dédire, vous aurezdes problèmes.

Autrement dit, est-ce que là je faiscomprendre que l’acte a des affinitésessentielles avec le semblant ? Si vousdites à un copain de venir là et de jouerle maire, et il vous dit : alors, acceptez-vous de prendre, oui ! oui ! et si c'estpas un maire, si tout ça, undéguisement, il n’y a pas eu d’acte,n'est-ce pas, c'est pas valable. C'est cequi inspire Feydeau d'ailleurs, dansOccupe toi Amélie, où la maîtresseaccompagne le gars jusqu'à la salle oùil va se marier avec une autre, oh il lui

dit c’est une blague, tout ça, c'est uneplaisanterie, c'est pas un vrai, le mairec’est mon copain Jojo. Alors elle dit ahJojo, alors personne ne comprendparce que elle, elle pense que c’est uneblague.

Autrement dit, l’acte a des affinitésessentielles avec le semblant, les actesne sont possibles dans un appareil desemblant et c'est une exception, l'acteanalytique, bien sûr lui aussi, il a sonappareil de semblant, mais que quandmême, avec cet appareil de semblant ilessaye de toucher au réel.

C’est pour ça que Lacan dit qu’il y aune horreur de l'acte analytique, c'estparce que le réel qu’il s'agit de touchersuscite l'horreur. Normalement, il nesuscite pas l'amour. C'est là que jeretrouve l'amour du réel dont j’ai parlé ily a deux Cours, j’ai d’ailleurs fait uneerreur à ce propos, parce que j'aiattribué l'invention de l'expression« amour du réel » à Virginio Baio. Jel'avait entendu de sa bouche pour lapremière fois et comme en plusl’expression d'amour du réel lui allaittrès bien, je considérais qu'il en étaitl’inventeur. Virginio Baio et amour duréel sont deux mots qui vont très bienensemble.

Mais en fait, ils vont certainementtrès bien ensemble, ils vont tellementbien ensemble, ça avait dû tellement luiplaire qu'il l’avait pris à Hugo Freda.Hugo Freda qui avait produit cetteexpression, ce concept au terme d'uncertain travail et qui m'a fait remarquerque c'était lui qui avait amené cetamour du réel, je le lui rend bienvolontiers, d'autant qu’il me l’avait déjàdit, jadis, et que je l'avais oublié,pourtant il n’y a pas si longtemps queça, ce qui veut dire que l'image deVirginio Baio en parlant, a été plusprégnante que le rappel qu'avait pum'en faire Hugo Freda. Hugo Freda,c’est d’ailleurs un nom qui pourrait êtredans Musset, Hugo Freda.

Alors, il y a l’amour du réel, qui nes'obtient sans doute que après un longtravail, il y a l’horreur du réel que Lacanévoque, il y a d'autres rapports d'affectsau réel, il y a par exemple la joie, c’estl’affect spinoziste du rapport au réel,

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c’est l’affect auquel on peut atteindre,lorsque que l'on ne croit plus auxcaprices du sort et lorsque, en quelquesorte, on s'égale au sort. C'est-à-direque, on s'accorde au sort, et non pasau sort comme étant la volonté d'unAutre, supérieur, mais sur un mode quiest très proche de Nietzsche, vouloir cequi est, vouloir ce qui vous arrive etmême qui vous arrive de façonimprévue. Et c'est pourquoi Nietzscheavait pour Spinoza une granderévérence, évidemment, chezNietzsche, c’est l'exaltation de lavolonté. Voulez, y compris ce qui vousarrive à l'improviste, voulez, y comprisce qui vous fait souffrir, voulez ycompris ce qui est injuste, considérezque c'est votre volonté, que c'est votrecaprice. Spinoza, ce n'est pas lavolonté, au premier plan, c'est aucontraire l'invitation à voir la nécessitéde ce qui est, de retrouver, d'avoir foien la nécessité de ce qui est, comme sic'était la démonstration d'un théorème.

C'est-à-dire, ça n'est pas tellement lacontemplation, c'est plutôt la convictionque c’est calculable. Alors, dans lapsychanalyse, bien que, bien sûr qu'ellen'agisse qu'à partir du semblant. Enmême temps, comme dit Lacan, lesemblant est nu, dans la psychanalyse,il est nu parce que justement il n'y apas de cérémonie, qu’on n’y met pasles formes ; quand on met les formes,c'est toujours pour rester bien àdistance du réel.

Pas de convention, il n'y a pas decontrat dans la psychanalyse, vousn’allez pas devant un notaire pour dire :je prends monsieur untel pour analyste.Vous n’allez pas devant le maire pourdire je prends untel pour analysant. Etle maire dirait : je vous déclare unis parles liens du discours analytique, par lesliens du discours analytique, dutransfert, et du contre-transfert.

Et on peut pas, dans lapsychanalyse, s'excuser, sur la forme,on peut pas dire : aah ! ben tu es monanalysant, regarde le contrat que tu assigné chez le notaire, comme tu es monanalysant tu me dois la vérité, si tu medis des mensonges, c'est une rupturede contrat, tu dois arriver à l’heure, tu

dois payer rubis sur l’ongle, sinoncontrat !

Enfin, ça peut aller dans l'autre sensaussi, tu es mon analyste alors tu medois deux interprétations par mois. Et,dans le discours analytique, il n’y a riende tout ça, c'est pourquoi Lacan peutdire à la fois que le semblant estspécialement nu, parce qu'il n'est pasappareillé dans des cérémonies, etc'est pourquoi il dit : c'est terrible quandla psychanalyse se rallie au semblant,parce qu'alors, quand elle se rallie ausemblant, quand le psychanalyste serallie au semblant, il est laps et relaps,et c'est pourquoi Lacan parle dusemblant impudent, qui est celui dupsychanalyste quand il se rallie ausemblant.

Alors, c'est le semblant de larégulation quantitative des séances, ladurée, le nombre des séances, tout çac'est le semblant impudent, de nosconfrères, de nos confrères del'Association internationale, chez quic'est normal de négocier lesnominations des titulaires, de négocierles nominations de ceux qui sont endessous.

L’A.E. ça n’existe pas, là-bas, c’est letitulaire, franchement, l’A.M.E.,l’associé, on négocie ça, on le vend.Pour eux c'est normal, c’est leséchanges normaux qu'il faut pour qu'ungroupe se soutienne, où est le mal ? Etpar, ce semblant, dit Lacan, lapsychanalyse intimide tout ce qui dumonde y met les formes.

Et c'est ça, c'est un savoir importantde savoir y mettre les formes, de savoiry mettre les formes. « Y ». Dans lemonde, introduire dans le monde desformes, s'adresser à chacun comme ilconvient, à sa place, c’est l'art suprêmedu japonais, puisque là, jusqu'aux pluspetites inflexions varient selon lapersonne à qui on s'adresse.

Évidemment, chaque fois qu'il y a dela vérité, il y a manque à la courtoisie,c'est une loi et c'est là qu'il faut savoirmodérer, mettre des freins, bien sûr.

Voilà. Je continuerais la foisprochaine, puisque je suis obligé dem’arrêter en chemin.

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Fin du Cours VIII de Jacques AlainMiller du 26 janvier 2000.

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LES US DU LAPS

Jacques-Alain Miller

Huitième séance du Cours

(mercredi 26 janvier 2000)

VIII

Je vous ai dit la dernière fois quedes forces très puissantes,s’opposaient à ce que je sois à l’heureici. J’avais pourtant tout prévu cettefois-ci pour être à l’heure, c'est-à-direpour être dans le retard légal,académique, c'est-à-dire avant deuxheures moins le quart.

Emporté par mon élan, j’en ai fait laconfidence à la personne qui meconduit ici et l'effet, je suppose, de cetteconfidence est que, pour la premièrefois, la voiture n'était pas là et c’est cequi fait que je suis encore une foisarrivé un peu plus tard que moins lequart.

C'est d'autant plus intéressant etd'autant plus idoine - il m'est arrivé dele mentionner une fois, au sujet desembarras de la circulation - que lapersonne qui me conduit ici est unefemme et que j'avais l'intention decommencer ce Cours en disant quenous commencions à avoir la réponseau fameux « Que veut la femme ? »,celle de Freud, et que veut la femme deFreud et la femme des autres aussi.Réponse que je me proposaisd’apporter, de proposer et qui ne va paschercher loin son énoncé, c’est : elleveut, elle veut vouloir.

Parce que vouloir, si on considère çade près, de notre biais, vouloir l’acte,une volonté, c'est une jouissance. Et ilme semble que ça éclaire la questionqu’on peut prendre par ce biais, c’estune jouissance spécialement détachée

dans la féminité, qu'il s'agisse de sonpropre vouloir ou qu'il s'agisse duvouloir de l'Autre, auquel cas le sujet semanifeste sous les espèces de lasoumission, ce qui est encore, si on faitbien attention, une affaire de volonté, lasoumission, d’un rapport à la volontéchez l'Autre.

J'ai dit qu’il y avait des affinités de laféminité et de la volonté et que c’est ducôté femme que la volonté se détacheavec un caractère absolu, infini,inconditionné et elle se manifeste aumieux dans le caprice - après tout, c'estquelqu'un qui vient d'en être la victime,qui se trouve le dire, et qui l’avait penséencore innocemment - le caprice, quifigure dans ce qu'on répète del'enseignement au chapitre du désir dela mère sous-posé par le nom du pèredans la métaphore paternelle.

Là où le père a la loi, la mère a lecaprice. Et conformément, en effet, à lalogique freudienne que, alors, Lacan nefait que répercuter, que formaliser, seserait un progrès, un progrès même decivilisation, que d'être passé du capriceà la loi.

Je dis un progrès de civilisationparce qu’avant qu'arrive le Décalogue,lourd Décalogue, même Moïse laisseglisser à un moment la Table de la loi,et la rattrape, c’est lourd, çà. Avant, onavait bien l'idée de la divinité, mais,justement, de divinités capricieuses.Zeus, Jupiter pour les latins, passe savie à avoir des caprices, pour unetelle,pour unetelle. L'expression est devenueun peu désuète, elle signifie, dans lalangue classique, être saisi du désirsoudain d’une amourette passagère.

Il n'y a pas de héros dans lalittérature universelle qui l’incarnemieux que la capricieuse divinitépaternelle des grecs qui vole de capriceen caprice, qui sème des descendantsqui peuplent les cieux et la terre, et lesbois et les forets. Un dieu du caprice, etpuis les copains, les enfants attablés aubanquet sont tous des capricieux. Doncgrand progrès que s'installe dans lemonde la religion de la loi et puis cellequi vient l’accomplir et où c'est « fini derire » - assonance.

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J.-A. MILLER, LES US DU LAPS - Cours n°8 26/01/2000 - 102

C'est ce que redit la métaphorepaternelle et, bien sûr, Lacan est alléau-delà et il nous faut retrouver le sensdu caprice, le caprice des dieuxd'ailleurs c'est un fromage !

Le caprice, c'est une volonté hors laloi. La loi est là, avec ses gros sabots,avec le fouet, avec ses engagements,voilà les liens les plus vrais, lesengagements de discours, la loi est làpour brider la volonté. Enfin je ne vaispas vous étaler ma science linguistiquedu caprice, j'ai consulté et photocopiédes articles caprice des dictionnairesque j'avais sous la main. Littré distinguetrois sens, vous savez c'est toujoursapproximatif, c'est surtout fait pourqu'on voie la parenté de ces sens. Ildistingue le caprice comme volontésubite qui vient sans aucune raison ;premier sens, et c’est fort bien dit, çamet en valeur le caractère imprévu ducaprice, c'est la volonté commeévénement imprévu et aussi irraisonné.

C'est-à-dire que quand noussommes dans l’univers du caprice,merveilleusement, nous sommesdénoués de ce qu'on appelle, dans lelangage de la psychanalyse, larationalisation.

Un caprice ne donne pas sesraisons, « - parce que, et puispremièrement, deuxièmementtroisièmement, en tenant compte de, vuque… » Non ! Et sur ça, par ce qu'onappelle les motivations d'un jugementoù, pour vous faire des mauvais coups,on donne toutes les bonnes de bonnesraisons du monde : le caprice s'allègede ce cortège. Ça rime encore.

Deuxièmement, c'est un emploi quime paraît un peu vieilli là, le capricedésigne, dans la langue plus classiqueque celle que nous parlons, la saillie del'esprit et de l'imagination en bonne oumauvaise part. Il y a les auteurs qui fontdes plans, qui se préparent et puis il y aceux qui écrivent de caprice.

Et puis, troisième sens, je laisse decôté le quatrième qui concerne lahouille, le charbon, il y a le sens decaprice où ça désigne les veines dehouille qui ne sont pas régulières.

Le troisième, c'est le caprice commeinconstance, comme irrégularité,

comme mobilité et puis les référencessont multiples et, sans doute, ongagnerait beaucoup à aller regarderchacune.

L'étymologie alors est rigolote,l'étymologie est italienne. Dans le Littréon s'en tient à capra, la chèvre ; lecapriccio, c’est le saut de chèvre, chosespécialement inattendue, si vousconnaissez les chèvres et donc lecapriccio, le saut de chèvre c'est, parexcellence, l’événement imprévu. LeRobert historique est plus savant, plusdrôle, parce que lui fait dériver capriceet capriccio de capo, la tête, une tête dechèvre, quelque chose comme ça. Latête. C'est-à-dire la même chose qui seretrouve dans l'expression espagnolesous laquelle j'ai parlé, je l’airappelé « Al fin y al cabo ». Et alors leRobert historique passe, avant d'arriverà capriccio, par caporiccio qui serait latête hérissée,

Caporiccio

frisée, et qui a signifié au XII° sièclefrisson d'horreur. Et je crois avoir faitallusion au frisson qui serait devenu auXVI° siècle, là il faut consulter undictionnaire étymologique italien que jen'avais pas sous la main : désir soudainet bizarre qui monte à la tête et qui esten rapport et qui a donné aussi capito.

Là, on est vraiment dans une autreatmosphère que celle de la loi du pèreet l'emploi esthétique, en effet, est celuide l'idée fantasque, tout ce qui est misà mal par l'apparition du règlement,règlement, règlement ! Tu feras pasceci, tu ne fera pas cela, tu ne ferasrien de ce que tu as envie de faire.C'est ce qu'il faut comprendre.

Le Robert historique ajoute que c'estcroisé avec cette progression que voussuivez, à partir de capo, l’influence dulatin capeare, le bouc, d'où la chèvre !

Alors on voit, si l'on reprend le motdans cette distribution ternaire, ce quifait vraiment le cœur sémantique del’affaire, c'est l'absence de loi. Et c'estpar là que ça communique avec latroisième valeur sémantique, del’inconstance et de la mobilité qui nous

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permet de parler, en français, descaprices du hasard, des caprices de lafortune, c’est précisément cettedimension d'échapper à la régularité dela loi.

Il y a là une citation de Montesquieuqui est dans le Littré, pêché dans lesLettres persanes : « Et, croyant qu'il n'ya point de lois, là où il ne voit point dejuge, il fait révérer comme des arrêts duciel les caprices du hasard et de lafortune. » Le point où on croit qu’il n'y apas de loi et donc ce qui est le simplecaprice est pris comme décisionsupérieure, par là même détaché de laloi et des bonnes raisons dont on atoujours une pleine réserve pour fairececi ou pour faire cela. La volonté, ? ?c'est ce qui pousse Corneille à faire diredans Nicomède : « Ce que peut lecaprice, osez-le par raison. » C'est cequi montre bien la disjonction ducaprice et de la raison : le caprice sepose comme irraisonné.

Voyons encore Boileau dans saSatire 8 : « l’homme a ses passionsetc., il a comme la mer ses flots et sescaprices ». On a rencontré la mer m-e-r,un peu plus haut dans ce Cours, c'étaitjustement la référence naturellequ’introduisait Valéry pour indiquer sonindifférence à l'événement imprévu,aléatoire, de la vague, du flot, qui va etqui vient pour considérer que l’étendue,la substance, la structure, est hors lesrègles. Cette manifestation subite, cetteidée bizarre, et donc le caprice, appellerégulièrement la censure duclassicisme.

Ce qui définit ce petit îlot, à vrai diretrès bizarre, qui s'appelle le classicismec'est l'idée qu'il fallait, pour produire desœuvres d'art avec d'abord le langage,obéir à des règles. Si on vous demandequ’est-ce qui définit le théâtreclassique, répondez c'est la règle detrois unités.

Le classicisme, ça se définit par latentative, combien vaine, d'exclure lecaprice de la création et de le mouler,de le brider par un ensemble vrai, et sion y songe, c'est l'idée la plus bizarrede toutes et le fonctionnement, lalittérature classique, ses valeurs qui onttellement marqué la littérature

française, spécialement et ont fait sasingularité dans les littératures, c'estcette obéissance à des règles dont ilfaut bien dire que la motivation n’estpas toujours évidente, mais qui met enévidence l'existence de la règle autemps de la monarchie qui a rêvé d'êtreabsolue et qui s’incarne de là danscette loi faite au langage.

Au contraire, le caprice ne porte pasces valeurs négative dans le baroque etpas non plus dans le romantisme. Audébut du 19° siècle, on commence àutiliser le capriccio comme une formemusicale qui nous a valu un certainnombre de chefs-d'œuvre, une formemusicale qui intègre l'allure fantasque.

Rien de plus loin, d'apparence, ducaprice que l’impératif catégorique deKant qui est l'énoncé d'une volontéuniverselle, constante, omnitemporelle,omni-subjective : agis de telle façonque ce soit toujours conforme àl'énoncé de cette loi.

Ça élimine le caprice et c'est bien cequi rend si singulier, que, pour illustrercette volonté d'apparenceimpersonnelle, cette expression d'unevolonté entièrement légale de part enpart, Kant soit aller pécher et signalel’écho qu’il lui en est venu du capricemortifère d'une femme, de la mégèrede Juvénal qui dit : je veux, j'ordonneque cet homme, cet esclave, soitcrucifié !

Là, on saisit ce que c'est que lavolonté, on le saisit d'autant mieuxqu'elle apparaît sans raison, elleapparaît pure, pur caprice de femme,avec un lien singulier à la mort d'unhomme. Les caprices des messieurs,quand ça apparaît, c’est toujoursinnocent, les caprices des messieursc’est les caprices de Zeus, c'est commemonsieur de Chevigny, dans Uncaprice de Musset. Quel est le capriceen question ? L’amie de sa femmepasse à sa portée, il lui vante sa taille etpuis il y met un petit peu la main et il sefait avoir d'ailleurs, tout de suite, pas ausens où il voulait lui l'avoir d'ailleurs, ilse fait avoir, rouler dans la farine et à lafin il dit « je raconterai tout à mafemme », c'est la dernière phrase.

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Voilà les caprices des messieurs, çane va pas loin. Le caprice féminin, c’estplus sérieux que ça, le caprice de lamégère de Juvénal, c’est meurs, tue-le ! et ça court.

Voyez par exemple Un caprice deMusset c'est le caprice du monsieur, lafemme est là, gentille comme tout, joliecomme un cœur, cousant, mois aprèsmois, une petite bourse pour la donnerà son mari et un petit peu jalouse parcequ'il en a une autre, de bourse, toutenouvelle, que lui donné une autre damequi pourrait avoir un caprice pour sonmari. C'est le caprice du monsieur, c'estun acte, un divertissement.

Les caprices de Marianne, c’estautre chose, c'est une autreatmosphère, je ne sais pas si c'estencore une pièce qu'on aime et qu'onconnaît, qui aime Les caprices deMarianne ici ? Ça n’est pas une forêt !

Je vois des dames que je connaisqui connaissent les Caprices deMarianne. Les caprices de Marianne, jele dis pour les autres, d'ailleurs quipeut-être n’aiment pas les Caprices deMarianne mais qui connaissent Lescaprices de Marianne.

Les caprices de Marianne ça racontela mort d'un homme. C’est le pauvreCoelio je sais pas, je ne suis pas tout àfait sûr comme on le prononce Coelio,Queilliot sans doute oui, qui meurt, il luifaut deux actes, pas plus, pour mourir,et dès le début, on voit qu'il n'est pas enbonne santé, il se fait du tourment pourMarianne, et la pièce se termine auxpieds de son tombeau où il y aMarianne et le copain de Coelio,Octave, qui dit : c’est moi qui suisenterré là, le tralala romantique,d'accord.

Et Marianne qui c’est ? Il était malinMusset, faut pas croire, c’est pas parcequ’il s’est fait rouler dans la farine parGeorges Sand que c'était un niais.Marianne, c’est la femme d'un juge, elleest mariée avec la loi, un vieux juge,comme elle dit, très puissant dans cetteville, comprenez un peu moins puissantailleurs. Et elle fait des caprices, qu’est-ce que vous voulez faire d'autre quandvous êtes mariée avec la loi ?

Alors elle est dure à la détente, pourfaire son caprice, le pauvre Coelio quiest là, voudrait qu'elle fasse un fauxpas en sa faveur, mais il ne sait pas ledemander ! Et il ne sait pas l’obtenir ! Ils'en ouvre à son copain, Octave, en luidisant : qu'elle est charmante, cetteMarianne, etc., mais qu'est-ce qu'elleattend donc ? Et Octave entreprend deplaider la cause de l'autre auprès deMarianne et ça ne se passe pas du toutcomme ceux qui n’ont pas lu la piècepourraient le croire, finalement c’estente Octave et Marianne que ça sepasse, pas du tout, il reste un boncopain jusqu'au bout et c’est pourquoison copain meurt.

Il reste un bon copain et donc ilplaide vraiment la cause de l’amoureuxtransit auprès de Marianne. Il la plaidesi bien que Marianne le regarde avecbeaucoup d'intérêt ! mais elle lui dit :bon, c'est vrai qu’il faut que je prenneun amant, mais je ne le choisirais pas,voilà mon écharpe ! donnez-là à quivous voudrez, celui-là qui viendra cesoir avec cette écharpe, je serais à lui,ouh, ouh ! !

Octave, embarrassé par ce cadeau,de sa personne, que lui fait Marianne -ce qui est formidable c’est qu’elles’émancipe entre le début la pièce oùelle est la femme du juge et le momentoù elle dit : je prendrais le premier venuque vous me recommanderez commeamant. C’est merveilleusement écrit etça a l’air tout naturel - et donc Octaveest embarrassé comme tout et voudraitqu'elle choisisse son ami, elle dit : non,non, non ! ! J'ai dit, j'ai dit !

Aah ! C'est un caprice de bonté ; ildit, d'ailleurs il dit une phrase - que jecite de mémoire là –que ce caprice decolère, qui la rend adorable, constitueen fait un pacte en bonne et due forme,c'est très bien dit.

Et alors, bon copain, il va donnerl’écharpe de Marianne à son copain,Coelio, qui, ravi, s’apprête à se glisserdans la maison le soir. Seulemententre-temps, le vieux juge, pastellement réglo, a convoqué un certainnombre d'assassins, pour couic, enterminer avec cette petite galanteriedont il a été averti. Marianne écrit en

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vitesse un mot à Octave : ne venez pasce soir !, mais c'est trop tard, Coelios’est déjà rendu sur place. Il entendMarianne dire dans le noir : c’est vousOctave, partez !, comment ? c’estOctave qu’elle attendait, je vais mourir.Il s'apprête à se suicider, il n'a pas àprendre cette peine : les assassins sontlà, déjà sur place et en terminent avecle copain malheureux. Et la dernièrescène, devant son tombeau, Marianneet Octave échangent quelques propos,se sentent un petit peu coupables,Octave dit : si j'avais pas été un si boncopain, il serait encore en vie (rires),c'est moi qui suis enterré là, il ne resteplus qu'à courir le monde et les jupons.Marianne lui dit : mais moi je celui-là, jeregrette beaucoup ce qui est arrivé àvotre copain mais moi je vous aimetoujours. Ça se termine sur cette parole- je raconte ça comme une comédie,c’est une tragi-comédie - Octave lui dit :ça fend le cœur, Marianne, je ne vousaime pas, c'est lui qui vous aimait, lemort. Le rideau tombe là-dessus.

Je ne comptais pas vous racontertous ça dans le détail, je me laisseemporter, mais je le mets en rapportavec le « je veux, j'ordonne que cethomme soit mis à mort », de la mégèrede Juvénal. C'est-à-dire que le capricemasculin, c’est la comédie, à l'occasionle caprice féminin est mortifère.

C'est très drôle, de penser ça, quel'exaltation de la volonté dansl'idéalisme allemand trouve ses racinesdans le caprice de la mégère deJuvénal. Parce que, pourquoi ça les aexaltés, la volonté ? C’est parce que ledomaine de la Raison pratique, c’est ledomaine où l’homme n'est pas assujettià l'enchaînement implacable descauses et des effets. C'est que lavolonté, et même la volonté du caprice,et c’est là même que c’est le plus envaleur, introduit une coupure, unerupture avec l’enchaînement causal. Uncaprice, c’est un miracle et on devraitd'abord, avant de se poser la questiondu pourquoi, du comment, d’y répondrepar : pas maintenant, sûrement pas,c'est trop cher, je ne peux pas, trop detravail, etc., il faudrait d'abord se mettregenoux devant cette manifestation de la

Raison pratique, sous les espèces ducaprice.

J'adore en toi la Raison pratique ! Jene sais pas ce que ça va faire ! S’il y aainsi une exaltation qui parcours cestraités volumineux avec leurvocabulaire technique, etc., mais,comme Lacan disait par ailleurs de laCritique de Raison pratique de Kantque c’était un livre érotique, tous cesgros traités, en fait, sont animés de laflamme de la volonté, ils montrent quele « je veux » est supérieur au « jepense », qui est toujours un « je mereprésente », c'est-à-dire : je suissoumis à la représentation. Et c’estpourquoi ce qui donne la clef de ça, jel’ai dit, c’est Schopenhauer, c’est celivre qui double le monde commevolonté et comme représentation.Premièrement je me représente, je suislà, le monde est là, se représente enmoi, et puis deuxième partie, je veux. Etça, c'est le grand mystère de la volontéet c'est ce qui se répercutera plus tarddans Nietzsche et puis conduira, audébut du siècle dernier, le vingtième, àcette folie de volonté qui fait de cesiècle le plus sanglant, le plusdestructeur de l'Histoire.

Là, ça n’est pas un type qui meurt etqu'on met en scène au théâtre, c'estdes millions et des millions, sous toutesles latitudes et de toutes les façons, etc’est lié à l'exaltation de la volonté.

C’est ce qui se présente volontierssous les espèces sympathiques que, ilfaut maintenant changer le monde,parce que, quand même, le monde neva pas si bien que ça. Marx, où, àl'aboutissement historique de cesystème de pensée, la belle parole,mais irresponsable, de Mao Tse Tung,au début de la Révolution culturelle, dela révocule, changer l'homme dans cequ'il a de plus profond. Voilà la paroleoù se réalise et s’exténue l'exaltation dela volonté. Eh bien tout ça a ses racinesdans le caprice de la mégère « tuesm’en un !, parce que je veux ! ».

Alors qu'est-ce qu'il y a de communentre le caprice et l'impératifcatégorique, qui fait que Kant, pas moi,n'a pas trouvé d’autres mots pourincarner la voie de l'impératif

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catégorique que celle qu'il est alléchercher dans la satire de Juvénal, cequ'il y a de commun, bien quel'impératif catégorique c'est personne,c'est la loi qui veut ça, c'est la loi qui estinscrite dans chacun, c'est pourtoujours, pour tout le monde, je neconnais pas les différences !, ce qu'il ya de commun, c’est précisémentl'absoluité du « je veux ». Un vraicaprice, ça ne se discute pas, pas plusque l'impératif catégorique. Gardez vosbonnes raisons.

Dans un cas comme dans l'autre, cequ'exploite le caprice comme l’impératifcatégorique, c'est la discontinuitéintroduite par le sujet barré etqu'incarne le sujet barré, et dans cettediscontinuité, justement desenchaînement de causes et d’effets etde bonnes raisons qui produisent desconséquences, il y a un trou et dans cetrou surgit, apparaît, se manifestecomme sans raison, un objet, unénoncé qui est un objet, détaché, et quimérite d'être appelé petit a, qui devientcause de ce qu'il y a à faire.

Ici, la formule qui en répondrait estmoins celle du fantasme que celle de lapulsion, c'est-à-dire d'une volonté,proprement et naturellement acéphale,où le sujet disparaît en tant qu'il y estagit.

S a a a a

Ce qui est beau dans le caprice,c’est que dans le caprice, le sujetassume comme sa volonté la volontéqui l’agit. Et ce qui est divin dans lecaprice - on l'attribuait par excellenceaux dieux - c’est que c’est un « je veux- non pas la loi, pour tous, c'est - jeveux ce qui me pulsionne ». J'exprimecomme un « je veux », comme un jeveux absolu, ce qui m’actionne commepulsion, ce qui me pulsionne. J'ai unepetite pulsion agressive à l'égard del'esclave, je veux qu'il soit crucifié.

Dans l’impératif catégorique, il y aquelque chose comme ça, l’impératifcatégorique, comme le note Lacan, seformule sous les espèces de « agis de

telle sorte que », c'est-à-dire il seformule à partir de la volonté de l'Autreet donc le sujet a à dire ok, que tavolonté soit faite ; avec le problèmechez Kant que les deux sont le sujet. Etque donc, dans ses dernières notes,comme je l'ai indiqué, Kant esttourmenté par cette division du sujet,qui fait que cette loi s’impose à moicomme de l'extérieur, comme si c'étaitun commandement, alors que c'estmoi-même que me la donne. Eh bien çale tourmente, la différence entre le sujetde l’énonciation et le sujet de l'énoncéet ça le tourmente même tellement qu'ilva jusqu'à dire c'est comme un objet quiest en moi, un objet qui méritel’adoration, je l'ai indiqué, en français,adoration.

Et donc l’impératif catégorique, ilvous introduit à, quand même que tavolonté soit faite, avec ceci que tavolonté c’est la mienne, mais qu'elles'impose à moi quand même commeune contrainte, parce que je n'ai pas dutout envie de faire ce que me ditl’impératif catégorique et Kant note bienque si on a envie de faire, si on fait parplaisir ce que la loi vous impose defaire, on ne le fait pas pour la loi et doncc’est suspect, c'est douteux !

Donc, ça introduit quand même àune acceptation, à une résignation, çaintroduit à fiat volonta sua. Et, c'estaussi l'esprit dans lequel les sagessesnous invitent à accepter les coups dusort. Tandis que le caprice, biensupérieur, quand se manifeste cettevolonté qui pousse au cul, ça arrive, lecaprice dit : je le veux, moi je le veux !

Le caprice est au principe des plusgrande choses, le caprice, prenez lamystérieuse doctrine soit disant del'éternel retour chez Nietzsche, ças’éclaire à partir de là. C'est le capricegénéralisé, l'éternel retour ça dit quetransformer, enfin c’est l'énoncé que jesubstitue, transformer la destinée,transformer les coups du sort,transformer ce dont vous pâtissez, dansvotre caprice, sachez dire : je le veux ;ce qui m’échoie, et dites-le même de cequi vous écrase, je le veux. C'est bienla sagesse supérieure, la sagesseterrible et destructrice sans doute, de

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l'éternel retour. Sachez vouloir commesi c'était votre caprice, les caprices dela fortune.

On peut là-dessus se référer aussibien, qui est par là, le schéma queLacan propose, de la position de Sade,dans son « Kant avec Sade ».

.

..V

S

S

( a )

S u j e t A u t r e

On retrouve la disposition dequaternaire, classique chez Lacan, le« V » ici est dans la position qui seracelle du signifiant maître, c'est là qu’estle « je veux ». Comme dit Lacan : lavolonté qui semble dominer toutel’affaire, de Kant comme de Sade.Parce que chez Sade le « crucifiez-le »de la mégère de Juvénal, on le dit etpas seulement une fois, et précisémentsans autre raison que son caprice qu'ontrouve très souvent chez Sade : cettefille m’échauffe la tête, qu’on la crucifie,c'est le caprice.

Alors, cette volonté, son principe estbien indiqué par Lacan, c’est petit a,derrière le « je veux », la vérité du « jeveux », c'est l'objet petit a et la volontéa pour effet - c’est la lecture qu’ilpropose - de diviser, chez l'Autre, icic'est le sujet, ici l’Autre, ça a pour effetde diviser en l'Autre, le sujet, c'est-à-dire d'extraire un sujet barré, du bonpetit sujet que Lacan appelle brut duplaisir, c'est le sujet naturel et la volontéen produit chez l'Autre, en extrait unsujet barré.

Cette volonté diviseuse, Lacan la faitstrictement équivaloir à la volonté de la

pulsion, à la pulsion comme volonté,comme volonté de jouir.

C'est cet effet de division qui peut sereprésenter sous les espèces de lamise à mort, là c’est un sujet barré,rayé des cadres comme on dit, de lamort, de la mortification par la sagesseet par la loi. C'est aussi ce que lamégère de Juvénal elle veut tuerl'esclave mais c'est son mari qu'elleveut diviser, parce qu’elle veut lui fairesacrifier son bien le plus précieux, àsavoir un de ses esclaves, elle veut luifaire sacrifier ça pour son caprice à elle,et il lui dit : non, non ! il faut examinerça de plus près, surtout c'est pas parceque - je l’ai dit - c'est pas parce quec'est un humaniste, c'est parce quel’esclave est un bien et justement cedont il s'agit, c’est de lui faire sacrifierson avoir, peut-être pour pouvoir mettreson avoir dans la petite bourse, de Uncaprice d'Alfred de Musset, que Juvénaln'avait pas lu, d’accord, c’est un détail !

Ça éclaire quelque chose sur unvieux problème que nous nous posions,il y a deux ans, ce schéma. Siprécisément on ose mettre la femme ici,la représenter par un « V », il y ad'ailleurs beaucoup de représentationsde la femme qui mettent en jeu le « V »,l'ouverture du « V », d'autresreprésentations érotiques de la femmequi l’associent au « V ». Le chef-d'œuvre de Duchamp, précisément, arapport avec ce « V ».

Alors, puisque je parlais des affinitésde la féminité et de la volonté,n'hésitons pas à mettre là, au lieu de lavolonté, la femme. 4 Que veut-elle cettevolonté-femme ? Eh bien elle veut leséparer, elle veut extraire le sujet barré,elle veut le séparer de ses raisons, deses bonnes raisons, elle veut le séparerde son avoir, elle veut le séparer de sesraisons, l’entraîner dans une équipéeaventureuse, le séparer de son avoir, leruiner, le séparer de ses proches, leséparer de ses amis, le séparer de sesidéaux. Ça, c’est le côté ravage dupartenaire, c’est le côté Médée de la

4 Jacques-Alain Miller désigne le V du schéma

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féminité. C'est là que Lacan mettaitd'ailleurs la vérité.

J'avais essayé ça à un moment, lerépartitoire des qualités entre hommeset femmes et on voyait à quel pointc’était instable, ça s’enroulait sur soi-même, on avait des sortes de bandesde moebius, d'un côté comme del'autre, et spécialement du côté femmeoù un certain nombre de qualificatifs quiétaient attribués aux femmes par lesmeilleurs auteurs psychanalytiques,voire le plus distingué d'entre eux, quis'est vraiment occupé du sujet, c’estpas devant des jolies femmes commecela, La femme, je veux dire JacquesLacan, meilleurs des auteurs là-dessus,on voyait que les qualificatifs avaientune tendance à s'inverser, qu'on étaittantôt devant celle qui n’a peur de rienet qui ravage, comme un Attila, lespâturages, les greniers, etc., laravageuse, et puis, la bourgeoise etc.On pouvait s’en tirer en distinguant lavraie femme et les fausses. C'estl'erreur à ne pas commettre et Lacans’en tirait en disant eh bien justement lepropre de La femme, c’est qu'on peuten dire n'importe quoi et qu’on a passéson temps à en dire importe quoi, maison était resté un peu dans cetteproblématique là, à l'époque.

Là, je pense faire une petite liaisondialectique. D’un côté, ça se présentesous la face je sépare, j'extrais le sujetbarré je le sépare de tout ce quil’encombre, pour rester seule àl'encombrer (rires), je le sépare de tout,je le fâche avec ses amis, je mets dusel sur les plaies, je l'entraîne hors detout bon sens, je macule ses idéaux,comment tu peux suivre un type pareilc’est pas possible et puis…

Il y a une patiente qui est partie dechez moi parce que il y avait la photode Lacan. Elle m’a dit : quand vousallez enlever ce type là d’ici et elle afinit, elle n’est pas partie absolumentpas là-dessus, elle est partie sur unechose très précise, elle est partie quandj'ai écrit un texte qui mettait en scènede théâtre mon dialogue avec unefemme - imaginaire. Elle a considéréque là, la coupe était pleine. Mais elleest partie vraiment en maudissant

l'effigie qui était dans mon bureau,c'est-à-dire celui-là était de trop entrenous deux.

Donc, il y a d'un côté la face Médée.Ça aide, en effet, ça aide beaucoup. Etpuis, simplement dialectiquement, unefois qu'on a écarté tout ça, eh bien ças'accumule quelque part, l’avoir et toutça et c'est là que surgit la bourgeoise,c’est elle, la figure bourgeoise, la figure,la bourgeoise de la femme, estcomplémentaire de la figure Médée.Médée coupe l’herbe et puis labourgeoise ratisse. Alors ça se neréalise pas toujours, parfois c'est lamême qui fait ça, à savoir je t'enlèveton chéquier, je t’enlève etc. parce quetu vas le boire au bistrot, c'est moi quile garde. C'est absolument commun etj'ai eu l'expérience, dans mes annéesgauchistes j'ai vu de près commentfonctionnaient un certain nombre decouples prolétaires, le révolté, le rebellequi, à l'usine, dans la rue ne craignaitpas d'affronter le flic, le contremaître,etc., à la maison mettait des patins.

Et donc à l'occasion, la bourgeoisec'est aussi une espèce de Médée.Parfois, ça se divise, ce rôle estassumé par différentes, mais ça n'estpas simplement l’embrouillamini surlequel j'étais resté il y a deux ans. Il y aun petit progrès à faire, là, quej'aperçois.

Médée, la vraie femme, elle faitsurgir le manque-à-être, et puis labourgeoise, c'est plutôt par ici lamonnaie, c'est plutôt le recueil del’avoir. Mais, sous la Médée, cherchezla bourgeoise, et dans la bourgeoiserévélez la Médée. Ce sont, ça peut seprésenter comme deux faces de laféminité, c'est pourquoi Lacan, je mesouviens d'avoir un jour proposécomme titre Le surmoi, féminin, pourmarquer, conformément à desindications de Lacan, l'affinité de Lafemme et du surmoi.

C’est ce que vérifie la référence àJuvénal, que derrière l'impératifcatégorique, il y a madame, et quemadame qui dans Le Médecin malgrélui dont on va reparler tout de suite, faitde son mari bûcheron un grandmédecin madame qui sait à l'occasion

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laisser monsieur porter les atours, c’estles messieurs qui portent ça et puis, àl'intérieur, le mari à l'occasion est unemari-onnette !

Et, c'est bien là qu'on voit, queconverge la loi, le agis de telle sorte quivous impose la loi, et puis l'impositiondu caprice, c'est tout un.

Alors on comprend, on peut diremais qu'est-ce que c’est que cettehistoire ? Il y a une histoiremultiséculaire de la soumissionféminine, c'est vrai que l'ordresymbolique est avant tout motivé, parl’exigence de brider la jouissance, ditLacan, la jouissance dans ce qu’ellepourrait avoir d'infini, et de brider lavolonté effrénée, et c'est pourquoid'ailleurs, comme quand même çavibre, c’est ça qui nous vaut toutes cessatires misogynes. Qui écrit ces satiresmisogyne ? Qui les lit ? C’est toutecette bande de tremblards, qui sedemandent si vraiment la contentiontient, qui se disent finalement dansl'ensemble ça tient. Le Consul ? ? àRome, pouh ! à Rome, rions un peu, il ya les deux consuls, ils se serrent lapince et ensuite ils permutent. Ilspermutent et ils transmettent le pouvoir.Il y a tout un ordre comme çamerveilleux, mais quand on soulève lachose, on a Juvénal. On a derrièrel’ordre sublime de la République, on ala dictature, la dictature au foyer, on a ladérision. On a ce qui est écrit par lasatire, qui est en quelque sorte, si j'osedire, l'Envers de Rome. Et l'Envers deParis, ça devrait être la satire.

Mais enfin, c'est vrai que l'ordresymbolique aujourd'hui est mangé auxmites, quand même, donc ça ne poussepas les choses. Alors il faut avoir,pourquoi je dis ça maintenant alors quese termine le mois de janvier, de l'an2000, qui ne reviendra plus jamais, cemois de janvier là (rires), c’est que nousentrons dans la grande époque de laféminisation du monde. Il y a eu ledésenchantement du monde, c'estl’expression de Max Weber, avant il yavait des nymphes, des sylphes, il yavait des dieux qui avaient des capriceset puis, quand ils n’ont plus eu decaprices, il y avait quand même des

miracles et tout ça, on s’amusaitcomme des fous.

Et puis est arrivé ledésenchantement scientifique dumonde, le désenchantementbureaucratique du monde et puis on n'apas eu besoin d’une petite mégère quidit : « crucifie-le moi ». On pouvaitvraiment prendre une décision quelquepart sur le bord de la ? ? eh puis sixmillions qui sont rayés comme ça, c’estça le désenchantement du monde.

Alors on est passé par ledésenchantement du monde, peut-êtrejusqu'à ces dernières conséquences.Enfin on y progresse encore, c’est ledésenchantement du monde, c'est lesprochains ouragans qui vont recouvrirla France, le déluge peut-être. Et puis,en même temps qu'il y a ça, oncommence, son réenchantement aumonde. C'est-à-dire que de plus enplus, ce que la civilisation a essayévraiment presque partout d’empêcher,s'accomplit, à savoir les femmescommandent. Les femmescommandent, je veux dire ellescommandent avec le signifiant maître.C’est pas la question de savoir si ellesont toujours commandé ou pas. C’estque maintenant, on leur donne lesignifiant maître, ce qu’on ne leur adonné que de façon très exceptionnelleet quand elle prenaient le signifiantmaître ça allait, curieusement, oncroyait que ça les virilisait, que çastérilisait, Elisabeth d'Angleterre.

Donc, jusqu'à présent, on évitait deleur mettre entre les mains le signifiantmaître, ou alors vraiment quand onn’avait pas pris la précaution de mettreun bon article dans le règlement, la loisalique par exemple. Et quand onn'avait pas fait cette précaution, detemps en temps en effet on leur faisaitpasser entre les mains le signifiantmaître.

Mais maintenant, c'est permisd'accéder au signifiant maître, et jetrouve qu'il faut encourager ça, parceque c'est vraiment une expérience, etqu'on va voir. On va voir des combatsde femmes, pas la rébellion contre legars qui a le signifiant maître de façontransitoire, non, non, des combats de

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femmes ayant le signifiant maître, enmain. Et d’ailleurs, alors beaucoup dechoses changent, maintenant vousavez des combats de catch avec desfemmes, des combats de boxe avecdes femmes, qu’on organise, que lesfemmes vont voir avec les hommes. Etdonc, là, un monde nouveau, quis'ouvre aussi. Alors c'est vraiment uneexpérience de civilisation. Commentvont-elles faire avec ça ? Parce quel'expérience de, occuper la place dumaître en tant que sujet barré,l'expérience historique de l'hystérie, elleest faite. Mais qu'est-ce que c'est qued'occuper cette place, avec le signifiantmaître, de l'occuper légalement ? C'estvraiment la grande question, et donc, ilfaut favoriser partout l’accession légalede femmes aux postes de commande.C'est de là seulement que peut venirquelque chose de nouveau.

Alors un petit coup sur Le Médecinmalgré lui, parce que Le Médecinmalgré lui illustre, en tous cas, lavolonté féminine. Il y a la volonté deMartine, merveilleux exempled'ascension sociale, un bûcheronméritant devient un grand médecin. Onpeut appeler ça comme ça.

Donc il y a elle, c’est pas lui, c’est unimposteur malgré lui, mais pas malgréelle. Et puis, il y a Lucinde. Lucinde quireste quand même dans nos mémoires,parce qu’elle est la fille muette dans laphrase : et c’est pourquoi votre fille estmuette.

Alors j'ai terminé là-dessus ladernière fois. Elle veut se marier malgréla loi du père, c’est ça l'histoire de lafille muette. Elle a un « je veux », un« je veux » si fort qu'elle veut se mariermalgré ce que dit le père. C’est soncaprice. Elle a un caprice pour,comment il s’appelle déjà, lui ? lui, iln'est pas très intéressant, lui. Elle a uncaprice pour, comment il s’appelle ?Elle a un caprice pour Léandre. Etdonc, c’est au nom de ce capricequ’elle résiste à papa.

C’est ça qu’on illustre dans le théâtreclassique plus d’une fois : le pèrecontrarie l’amour, la loi, la règlecontrarie l'amour. C'est-à-dire, tout ceuxqui se montrent comme incarnant la

nécessité, ? ? ?, les contrats, de l’avoir,achoppent devant la contingence dudésir qui se réalise dans le caprice. Etdonc elle a un caprice qui fait qu'elle estmuette. Pourquoi elle est muette ?C'est sa façon de résister à la loi dupère.

Et ça dit bien : au sein de cemutisme est cachée la volonté dela ? ? ?. C'est vrai qu'on a fait taire lesfemmes et que maintenant ellespeuvent dire que les papas sont aurancard, on va voir ce qu'on va voir.

Qu'est-ce qu'elle dit, alors dèsqu’elle rouvre la bouche, la fille muette,c'est son « je veux » qui apparaît. Unsplendide « je veux », une agalma de« je veux » et qu'elle cachait au dedansd’elle.

Et c'est ce que dit Molière, à la fin,Lucinde parlant d'un ton de voix àétourdire. Ça c'est pas l’étourdit, enfinc’est les autres sont étourdits, par elle,quand elle se met à parler, la muette. Etça va être ça, le 21° siècle, on va êtreétourdit de comment elles vont parler.

Alors ici c'est pour dire,brusquement, alors qu'elle est muettedepuis le début, avec quelle constance,avec quelle fermeté de caractère, on lapince elle fait pas ouille. C'est vraimentla stoïcienne. Lucinde à Léandre, parceque Léandre vient, dit, qu'est-ce qu'ilvient dire, il ne dit pas grand-chosed’ailleurs, il ne dit rien, donc je supposeque le jeu de scène ça doit être elleparle bas, à Léandre et elle lui dit : Non, je ne suis point du tout capable dechanger de sentiments. Il doit lui diremais est-ce que vous m’êtes bienfidèle, etc., bon, elle lâche ça à Léandreet tout le monde voit donc, subitement,que la muette s'est mise à parler.

Géronte, le papa Voilà ma fille quiparle ! O grande vertu du remède ! Oadmirable médecin ! Que je vous suisobligé, Monsieur, de cette guérisonmerveilleuse ! Et que puis-je faire pourvous après un tel service ?

Sganarelle, se promenant sur lethéâtre, et s’essuyant le front Ah quevoilà une maladie qui m’a donné de lapeine !

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Lucinde Oui, mon père, j’airecouvré la parole ; mais je l'airecouvrée pour vous dire que je n’auraijamais d’autre époux que Léandre, etque c’est inutilement que vous voulezme donner Horace.

Mais…, dit Géronte. Mais… Rien n’est capable d’ébranler la

résolution que j'ai prise ; dit Lucinde,c’est vraiment du Corneille, on dit queCorneille ? ? ? ?Géronte Quoi… ? Vous m’opposerez en vain de bellesraisons. Si… Tout vos discours ne serviront de rien. Je… C'est une chose où je suisdéterminée. Mais… Il n'est puissance paternelle qui mepuisse obliger à me marier malgré moi.Le médecin peut être malgré lui, maiselle elle n’est pas malgré moi.Géronte J'ai…Lucinde Vous avez beau faire tousvos efforts.Géronte Il…Lucinde Mon cœur ne saurait sesoumettre à cette tyrannie.Géronte Là… Et je me jetterai plutôt dans uncouvent que d’épouser un homme queje n'aime point.Géronte Mais…Lucinde, parlant d'un ton de voix àétourdir Non. En aucune façon. Pointd’affaire. Vous perdez le temps. Je n’enferai rien. Cela est résolu. Donc à la suite :Géronte Ah ! quelle impétuosité deparoles ! Il n’y a pas moyen d’y résister.À Sganarelle Monsieur, je vous priede la faire redevenir muette. Sganarelle C'est une chose qui m’estimpossible. Tout ce que je puis fairepour votre service est de vous rendresourd, si vous voulez. Je vous remercie… ; etc., et il lui dit Tu épouseras Horace, dès ce soir, dit lepapa.Lucinde J'épouserai plutôt la mort.

Et, ce plutôt la mort, que je vous aiinterprété de façon comique, mais c'estAntigone déjà, là, dans le Médecinmalgré lui, c’est Antigone qui choisit lamort, entrer vivante au tombeau, elleparle avant d’ailleurs du couvent,convent plus exactement, plutôt la mortque de céder sur le principe. Donc c'estAntigone déjà, eh puis, c'est laRévolution française, c'est la liberté oula mort, c'est déjà là.

On n’a pas assez examiné le rôle,enfin c’est peut-être moi qui ne suis passuffisamment informé, des femmesdans la Révolution française. Etd'ailleurs, je peux me permettre cetteconfidence, je suis ses progrès au fil dutemps, ma petite-fille. Maintenant, c'estbientôt cinq ans, l'expression favoritede sa part, elle dit, elle sait qu'elle ditquelque chose de drôle qu'elle livrec'est : pas question ! Et l'expression dela volonté est rendue d'autant plusmanifeste par cette ellipse. Où est-cequ’elle a péché ça ? il m’arrive de direpas question, mais vraiment pas aussisouvent qu'elle ? Elle le dit avec lesentiment du petit excès qu'il y a dansle « pas question ». Il est possible de cesoit un trait identificatoire au grand-père, à son « pas question », qui setrouve là croisé avec d'autresinfluences, une institutrice à la crèche,qui l’a marquée, mais enfin, bon et làc'est très frappant ce qu’on perçoit, quel’ellipse qu'il y a dans cette expression,intensifie la valeur.

Alors ce qu'on appelle d'ailleurshystérique, c'est le sujet qui fait lemaître, c’est la division qui commandeet, oui c'est très frappant d'ailleurs, ondit, pour des amants, on dit lamaîtresse, on ne dit pas le maître, si ondit le maître, on va dans une toute autredirection, il y a quelque chose, laposition, là, dans la relation, quandmême situe la maîtrise de ce côté là.

Alors la place du maître il fautencore voir de plus près, la place dumaître, au moins chez Lacan, dans lequaternaire des discours, la place dumaître qui est là en haut à gauche, lemaître est un guignol, foncièrement.

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X

Le maître, Lacan l’appelle l'agent dudiscours. L’agent c’est celui qui fait lachose, mais c’est pas celui qui peut seprendre pour le vrai de vrai si je puisdire. Et surtout c'est pas celui qui peutse prendre pour le réel de l’affaire. Ilfaut bien remarquer que si, dans cesquatre discours, il y a une place qui estcelle du semblant c'est celle-là. Laplace du maître, selon Lacan, est parexcellence la place du semblant. C'estlà qu’on érige les insignes, lessymboles, du pouvoir. Et il fautremarquer à quel point le pouvoirs’appareille, chaque fois qu'il y apouvoir, on voit ça dans un muséeethnologique, il y a décorum. Il faut qu'ily ait des places marquées, il faut qu'il yait des costumes, il faut qu'il y ait despeinturlures parfois, pour que l'on dise :ah ! là est le pouvoir, pouvez-vousm’indiquer où est le pouvoir ? Ça n'estpas difficile suivez les déguisés ! C'estessentiel au pouvoir.

Donc il y a une affinité essentielleentre le maître et le semblant. On peutdire c'est par commodité que c’estdisposé comme ça, mais enfin voyez,vous êtes tout serrés comme dessardines, là, et moi regardez l'espacequ’on me laisse, là tout de suite on voitqui est le maître, qui enseigne, qui sait,on voit bien qu’ici c’est moi, et c’estpour ça que vous avez besoin de moinsd’espace, moi avec toutes mesréférences, ça occupe toute la scène.

Alors c'est justement parce que laplace du maître est une place desemblant que, contrairement à ce qu'ons'imagine, elle convient parfaitement àune femme, parce qu'il y a justementdes affinités entre la femme et lesemblant, à cause de certaines petitesdifficultés d'identification, de manque-à-être, et de, autre à elle-même etc. Cespetites difficultés font une affinité de lafemme et du semblant, justement parcequ’il y a une question sur l’être.

Et, donc, la place du maître convientparfaitement à une femme. On peutdire : vous dites ça mais jusqu'àprésent, on voit surtout des messieurs,c’est eux qui profitent d’avoir du pouvoirpour se mettre des beaux habits, pourse promener, se faire admirer dans leurcostume.

Ah, j'ai une réponse : c’est quejustement le pouvoir fémininise parceque c'est une place de semblant. Moij’ai vu ça, la première fois où je me suisvraiment rendu compte de ça, c’étaitvers 1971, j'étais encore à l'époquemembre, j'appartenais, encore à ungroupe d'après 1968, un groupe asseztenace, qui en voulait, en dépit detoutes les évidences de la situation. Etmoi-même j'avais d'ailleurs recensé lesévidences de la situation. On m’avait ditrange ça, tout ça c’est des comptesd'apothicaire, arrête tout, on va fairesurgir la volonté populaire.

Moi j'arrivais plutôt comme ça, avecles livres de compte de ce qu'onpouvait, et puis j’ai eu devant moi, aufond on voit, voir, à l’intérieur aussi, ondisait : on ne s’occupe pas de ce quil’air raisonnable, on fait ce qui est bienet puis à un moment, notre volonté vaappeler la volonté de l'Autre, la volontéde la masse.

Je veux dire, ça a été, j’ai cédé, lesévidences du calcul devant…, c'esttoujours très difficile, entre la volonté etpuis le calcul, de faire la part deschoses. Le parti communiste chinois,au départ, c’était huit, dix gars autourde quelqu’un qui n’était pas la haut,c’était huit, dix gars dans une pièce quiessayaient de lire péniblement les écritsde Marx et Lénine, qui se chamaillaientcomme des perdus et puis, petit à petit,ils ont quand même déclenchéquelques événements considérablesqui se sont étendus sur quelquescentaines de millions de personnes.

Donc, quand on se met bien dans lalogique historique, il n’y a pas besoind'être très nombreux. Alors je disais ça,pour dire que, dans ce contexte là cequi m'avait frappé, donc si vous voulezdans ce groupe-là, il y avait desbalèzes, des gars qui, ça leur disait, lacastagne.

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Et la vision que je garde d’unmoment, c’est le groupe de balèzes,avec des blousons de cuir, qui revenantd’une bagarre ici, ou une bagarre là, çadéfrayait la chronique à l'époque, çafaisait les gros titres, etc. c’était nous !et puis ils étaient autour de celui quiétait, à cette date, le numéro un de cegroupe. Et c'est la vision qui reste, tousces gros balaises, et lui, qui était unpetit freluquet, absolument mince, droitcomme un I, mince et flexible. Et il leurparlait et il y avait là comme unenchantement, et, de façon absolumentclaire, lui qui avait le signifiant maître dugroupe - et à l'époque on ne discutaitpas beaucoup - eh bien lui étaitjustement là, une sorte d'essenceféminine, avec une grâce, quelqu’un quise trouvait être né en Égypte, il avaitune grâce toute orientale, roseauflexible au milieu de ces balaises quil’écoutaient, comme ça, et là j’ai vupour la première fois, j’ai saisi cetteféminisation du pouvoir, de l’affinité entous cas de la féminité et du pouvoir.

Alors le réel, le réel par rapport aumaître, on peut dire le réel n’est jamaisle maître. C'est même une fonction parexcellence qui ne peut pas occupercette place d’agent, parce que le réelc'est pas du toc, comme dirait l'autre etdonc le réel ne fait jamais le maître,c'est toujours le semblant.

Quand le réel devient le maître,c’est-à-dire quand on le voit apparaîtrecomme maître, eh bien justement, il seféminise, c'est ce qu'on appelle lescaprices de la fortune. Quand c'est leréel, qui vraiment commande, commentest-ce qu'on l’a capté ? Comment est-ce qu'on l’a représenté ? On l’areprésenté comme une puissancecapricieuse et volontiers féminine, etc'est ainsi que le hasard figure danstout notre imaginaire artistique,classique, de la renaissance classique,etc., il figure sous les espèces de lafortune. Une dame à moitié à poil, engénéral, et qui, par certains objets oupar son attitude, démontre soninconstance et son instabilité. Eh bienla fortune, c’est un des noms du réel,cette fortune qui agit sans raison, et quimanifeste, qui vous distribue ses coups

comme au hasard et sans s’occuper devos mérites.

C'est le nom du réel en tant que réelsans lois, qt qui est justement lequalificatif que Lacan lui met dans sondernier enseignement, au réel, le réelcapricieux. Quand le réel apparaîtcomme le maître, eh bien justement ilapparaît avec le caprice.

Et c'est pourquoi l'événementimprévu est un des noms du réel.L'événement imprévu, c'est ce qui vousprend au dépourvu, très jolie cetteexpression : au dépourvu, c'est-à-direqu'avant vous êtes pourvus, vous avez,c’est l'avoir. Vous avez des plans. Vousobéissez à la loi, vous êtes protégé parle règlement, tout ça, ça fait un drôle desac à dos. Vous ne vous déplacez quebien pourvu, et pourvu que rien n’arrivequi dérange ça. Et puis l'événementimprévu, c'est ce qui fait de vous undépourvu, c'est-à-dire ça vousdépouille. Ça vous dépouille de vosplans, de ce qui vous encombre, et çavous met à nu. C'est ce qui arrivequand les semblants vacillent, entreparenthèses titre des prochainesJournées de l'Ecole de la Causefreudienne au mois d’octobre de l'an2000, de cette année.

Quand les semblants vacillent, enparticulier grâce à l'événement imprévu,le réel apparaît, enfin il a une chanced’apparaître. Parce que le semblant, lesdiscours, qui sont foncièrement del’ordre du semblant et de sonappareillage et qui sont de toute façon,et qui ont comme emblème unsemblant, tout ça tourne autour du réelpour l'éviter. Ça gravite, les semblants.

Alors, c’est pourquoi Lacan pouvaitdire que l’acte analytique est un actequi ne supporte pas le semblant. Alorsbien sûr il en procède aussi, parce quec'est un discours. Donc, le discoursanalytique aussi, il a un semblant, il a

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l'analyste comme semblant. L'analyste,représentant l'objet petit a qui est unsemblant - on verra ça la semaineprochaine - essentiellement unsemblant.

C'est pourquoi ça m'a toujours, enfinj’ai essayé pendant des annéesd'arrêter la thèse comme quoi l'analysteferait semblant d'être l'objet petit a, enrappelant que l’objet petit a lui-mêmec'était un semblant. Mais non ! onvoulait que l'analyste fasse semblant.

Alors que précisément il s'agitd’autre chose. Que l'acte analytique nesupporte pas le semblant, dit Lacan.C'est-à-dire qu’il part du semblantcomme les autres, dans les autresdiscours, mais il ne supporte pas lesemblant. L'acte, non seulement ilsupporte le semblant, mais il y abeaucoup d’actes qui ne peuvent pass’accomplir sans le semblant.Beaucoup d’actes essentiels qui nes’accomplissent pas sans le semblant.Il y a des actes qu'on ne peut faire, quequand il y a le décorum nécessaire, quequand chacun a le titre nécessaire, etque, quand il y a des conditionsd’énonciation bien précises, quis’accomplissent alors ça marche.

Si vous prenez votre caprice, sur lePont-Neuf, et vous dites à votrecaprice : tu es ma femme, si elle vouscroit, c'est une oie. Ça ne marche quesi vous êtes ailleurs, que si vous aveztraversé la Seine, que vous êtes àNotre-Dame, tous les déguisés sont làetc., tout a été publié avant, à cemoment-là vous dites : oui, pouh ! et çavous change, c'est un acte. Et aprèsessayez de vous dédire, vous aurezdes problèmes.

Autrement dit, est-ce que là je faiscomprendre que l’acte a des affinitésessentielles avec le semblant ? Si vousdites à un copain de venir là et de jouerle maire, et il vous dit : alors, acceptez-vous de prendre, oui ! oui ! et si c'estpas un maire, si tout ça, undéguisement, il n’y a pas eu d’acte,n'est-ce pas, c'est pas valable. C'est cequi inspire Feydeau d'ailleurs, dansOccupe toi Amélie, où la maîtresseaccompagne le gars jusqu'à la salle oùil va se marier avec une autre, oh il lui

dit c’est une blague, tout ça, c'est uneplaisanterie, c'est pas un vrai, le mairec’est mon copain Jojo. Alors elle dit ahJojo, alors personne ne comprendparce que elle, elle pense que c’est uneblague.

Autrement dit, l’acte a des affinitésessentielles avec le semblant, les actesne sont possibles dans un appareil desemblant et c'est une exception, l'acteanalytique, bien sûr lui aussi, il a sonappareil de semblant, mais que quandmême, avec cet appareil de semblant ilessaye de toucher au réel.

C’est pour ça que Lacan dit qu’il y aune horreur de l'acte analytique, c'estparce que le réel qu’il s'agit de touchersuscite l'horreur. Normalement, il nesuscite pas l'amour. C'est là que jeretrouve l'amour du réel dont j’ai parlé ily a deux Cours, j’ai d’ailleurs fait uneerreur à ce propos, parce que j'aiattribué l'invention de l'expression« amour du réel » à Virginio Baio. Jel'avait entendu de sa bouche pour lapremière fois et comme en plusl’expression d'amour du réel lui allaittrès bien, je considérais qu'il en étaitl’inventeur. Virginio Baio et amour duréel sont deux mots qui vont très bienensemble.

Mais en fait, ils vont certainementtrès bien ensemble, ils vont tellementbien ensemble, ça avait dû tellement luiplaire qu'il l’avait pris à Hugo Freda.Hugo Freda qui avait produit cetteexpression, ce concept au terme d'uncertain travail et qui m'a fait remarquerque c'était lui qui avait amené cetamour du réel, je le lui rend bienvolontiers, d'autant qu’il me l’avait déjàdit, jadis, et que je l'avais oublié,pourtant il n’y a pas si longtemps queça, ce qui veut dire que l'image deVirginio Baio en parlant, a été plusprégnante que le rappel qu'avait pum'en faire Hugo Freda. Hugo Freda,c’est d’ailleurs un nom qui pourrait êtredans Musset, Hugo Freda.

Alors, il y a l’amour du réel, qui nes'obtient sans doute que après un longtravail, il y a l’horreur du réel que Lacanévoque, il y a d'autres rapports d'affectsau réel, il y a par exemple la joie, c’estl’affect spinoziste du rapport au réel,

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c’est l’affect auquel on peut atteindre,lorsque que l'on ne croit plus auxcaprices du sort et lorsque, en quelquesorte, on s'égale au sort. C'est-à-direque, on s'accorde au sort, et non pasau sort comme étant la volonté d'unAutre, supérieur, mais sur un mode quiest très proche de Nietzsche, vouloir cequi est, vouloir ce qui vous arrive etmême qui vous arrive de façonimprévue. Et c'est pourquoi Nietzscheavait pour Spinoza une granderévérence, évidemment, chezNietzsche, c’est l'exaltation de lavolonté. Voulez, y compris ce qui vousarrive à l'improviste, voulez, y comprisce qui vous fait souffrir, voulez ycompris ce qui est injuste, considérezque c'est votre volonté, que c'est votrecaprice. Spinoza, ce n'est pas lavolonté, au premier plan, c'est aucontraire l'invitation à voir la nécessitéde ce qui est, de retrouver, d'avoir foien la nécessité de ce qui est, comme sic'était la démonstration d'un théorème.

C'est-à-dire, ça n'est pas tellement lacontemplation, c'est plutôt la convictionque c’est calculable. Alors, dans lapsychanalyse, bien que, bien sûr qu'ellen'agisse qu'à partir du semblant. Enmême temps, comme dit Lacan, lesemblant est nu, dans la psychanalyse,il est nu parce que justement il n'y apas de cérémonie, qu’on n’y met pasles formes ; quand on met les formes,c'est toujours pour rester bien àdistance du réel.

Pas de convention, il n'y a pas decontrat dans la psychanalyse, vousn’allez pas devant un notaire pour dire :je prends monsieur untel pour analyste.Vous n’allez pas devant le maire pourdire je prends untel pour analysant. Etle maire dirait : je vous déclare unis parles liens du discours analytique, par lesliens du discours analytique, dutransfert, et du contre-transfert.

Et on peut pas, dans lapsychanalyse, s'excuser, sur la forme,on peut pas dire : aah ! ben tu es monanalysant, regarde le contrat que tu assigné chez le notaire, comme tu es monanalysant tu me dois la vérité, si tu medis des mensonges, c'est une rupturede contrat, tu dois arriver à l’heure, tu

dois payer rubis sur l’ongle, sinoncontrat !

Enfin, ça peut aller dans l'autre sensaussi, tu es mon analyste alors tu medois deux interprétations par mois. Et,dans le discours analytique, il n’y a riende tout ça, c'est pourquoi Lacan peutdire à la fois que le semblant estspécialement nu, parce qu'il n'est pasappareillé dans des cérémonies, etc'est pourquoi il dit : c'est terrible quandla psychanalyse se rallie au semblant,parce qu'alors, quand elle se rallie ausemblant, quand le psychanalyste serallie au semblant, il est laps et relaps,et c'est pourquoi Lacan parle dusemblant impudent, qui est celui dupsychanalyste quand il se rallie ausemblant.

Alors, c'est le semblant de larégulation quantitative des séances, ladurée, le nombre des séances, tout çac'est le semblant impudent, de nosconfrères, de nos confrères del'Association internationale, chez quic'est normal de négocier lesnominations des titulaires, de négocierles nominations de ceux qui sont endessous.

L’A.E. ça n’existe pas, là-bas, c’est letitulaire, franchement, l’A.M.E.,l’associé, on négocie ça, on le vend.Pour eux c'est normal, c’est leséchanges normaux qu'il faut pour qu'ungroupe se soutienne, où est le mal ? Etpar, ce semblant, dit Lacan, lapsychanalyse intimide tout ce qui dumonde y met les formes.

Et c'est ça, c'est un savoir importantde savoir y mettre les formes, de savoiry mettre les formes. « Y ». Dans lemonde, introduire dans le monde desformes, s'adresser à chacun comme ilconvient, à sa place, c’est l'art suprêmedu japonais, puisque là, jusqu'aux pluspetites inflexions varient selon lapersonne à qui on s'adresse.

Évidemment, chaque fois qu'il y a dela vérité, il y a manque à la courtoisie,c'est une loi et c'est là qu'il faut savoirmodérer, mettre des freins, bien sûr.

Voilà. Je continuerais la foisprochaine, puisque je suis obligé dem’arrêter en chemin.

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Fin du Cours VIII de Jacques AlainMiller du 26 janvier 2000.

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LES US DU LAPS

Jacques-Alain Miller

Neuvième séance du Cours

(mercredi 2 février 2000)

IX

Quatre-vingt-douze bis Boulevard duMontparnasse. Je n'ai pas l'habitude devous convier le mercredi soir à assisterà un séminaire que je fais de temps entemps et qui, cette année, est dirigé parEric Laurent et moi-même, mais je faisune exception parce que ce séminaireaura ce soir un invité et je me suisinquiété de la faible diffusion que nousavons pensé à donner à cette invitation,alors que ceux qui viendront prendrontcertainement un grand intérêt dans cequi est pour nous un divertissement, unde plus.

Nous aurons ce soir un exposé surle tableau du Titien La Vénus d’Urbin,Venus d’Urbino, qui se trouve auxOffices de Florence où j'aurais danspeu de temps l'occasion de le voir enchair et en os, si je puis dire.

Il est annoncé - j’espère que çafonctionnera - des projectionsnombreuses de diapositives et ce seraquelqu'un de tout à fait remarquable,Daniel Arasse, qui n'est pas du Champfreudien, qui est un historien de l’art, quiva nous initier à ce qu'il a à dire de LaVénus d’Urbin. C’est quelqu’un dont lenom m’avait retenu il y a longtemps,parce que, en particulier, il avait écrit unouvrage d’iconologie sous le titre Dudétail et comme j'avais fait un sort, peude temps auparavant, au détail, sonlivre n'était pas paru, je n'avais pas puen bénéficier, je l’avais lu.

Et puis je me suis aperçu quebeaucoup de thèmes qu'il abordait dansses ouvrages avaient pour moi unerésonance spéciale. Par exemple, au

cours des voyages en Italie qui sontpour moi une pratique fréquente,comme pour d'autres, je faisaiscollection d'annonciations, cartespostales d’annonciations... J’avaisd'ailleurs entraîné, dans cettecollection, ma fille. Je trouvais toujourstrès amusant de voir ce qu'il y avaitentre Marie et l’ange pour représenterla communication, la parole et doncc'était un jeu que de voir qu'est-ce quivenait se loger à cette place et aussi lesattitudes des deux personnages et j'aiété ravi de pouvoir acheter le livre deDaniel Arasse paru récemment etconsacré à l'annonciation.

Autre exemple, ça, ça se trouve enLivre de poche, il a consacré unouvrage à la guillotine révolutionnaire,objet qui m'avait toujours frappé dans lecours de ma scolarité sur la Révolutionfrançaise et un certain nombre de sespersonnages. Eh bien il a fait un livrelà-dessus.

Autrement dit, de loin, je me suis ditce Daniel Arasse, qui doit avoir à peuprès mon âge, je sentais une curieuserésonance, une étrange résonance.Alors je ne l'ai jamais rencontré, je nelui ai jamais parlé, ça n’est même pasmoi qui l’ai invité là, mais j'attends çaavec un certain sentiment d’étrangeté.Comment se fait-il que ce Monsieurécrit des livres d'art, sur des sujets quisont vraiment intimes pour moi, et sansque je puisse là mettre en causequelque pompage que ce soit. Donc,j'ai un petit sentiment de Unheimlich, dedouble, de double évidemment trèssupérieur, puisque lui, il met ça autravail.

Donc ça m’est d'autant plusagréable, donc au nom d’Eric Laurentet de moi-même, de vous convier cesoir à 21h15 au 92 bis boulevard duMontparnasse, pour voir monsieurArasse et pour l'écouter et pour suivreses projections de diapositives et sescommentaires. C'est une exception.

C'est notre dernière réunion de cecycle, avant de nous retrouver lapremière semaine de mars et pour cettefois, j'ai renoncé à lutter avec monsymptôme. Je suis arrivé tranquillementen retard.

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Je vais faire raisonner ici, un dit, qui,pas plus tard qu’hier, ma frappé.Amuse-toi bien ! Ah ! « Amuse-toibien », c’est une parole qui a été dite àune personne qui vient me parler.

Et des personnes qui viennent parlerà un analyste, on peut remarquerqu'elles viennent spécialement lui parlerdes paroles qui leurs ont été dites, etaussi d'ailleurs des paroles qui ne leuront pas été dites quand elles lesattendaient, quand elles auraient vouluque ce soit dit. L'expérience analytiqueest très occupée de ça, des paroles quivous ont été dites, ou pas dites quandelles auraient du.

Eh bien là, à quelqu'un on a dit :« amuse-toi bien » et c’est quelquechose comme il arrive et comme on dit,qui l'a marqué. Et dans lapsychanalyse, on cherche cesmarques, ces marques-là, ces marquesde paroles. On les retrouve, quand onles a oubliées ou quand on s’en esttoujours souvenu, ça arrive aussi bien,eh bien dans l'expérience analytique,on trouve l'occasion de les expliciter, deles communiquer, d’en voir lesconséquences à longue portée et, aumoins pour ceux qui viennent enanalyse, il n’y a pas d’exception. Etmême là, si on faisait un sondage, jesuis sûr que pour chacun d'entre vous,ce que je dis évoque quelque chose, çafait même une cacophonieépouvantable, dans le silence. Dansl'expérience analytique, on a l’occasionde prendre ses distances avec cesmarques là, c'est-à-dire de gagner unemarge, au moins, par rapport à cesmarques.

C'est ce que Lacan a mis en forme,de la façon la plus simple : dans lediscours du maître, une marquedistinguée a la faculté d'absorber lesujet.

D M

S 1

S

Ce discours là, est l'envers de lapsychanalyse, pour autant que dans lediscours analytique, le sujet al'occasion de recracher la marque qu'ilavait absorbée.

D M D A

S 1

SSS 1

Entre les deux il y a, disons, unrapport d’envers. Quand le sujet estabsorbé par sa marque, il ne s'endistingue pas, on ne voit que samarque. Simplement, il faut arriver àpercevoir et même à élargir la place dece sujet qui n’est rien, à côté de samarque. Vous avez la marque, vous nevoyez qu'elle,

S 1

sauf que, qu'est-ce qui se passe si onl’efface ici sur le tableau ?

Il reste quelque chose dont il s'agitde savoir ce que c'est. Je dois dire quec'est possible, que dès lors qu’il n’y aplus cette marque, que là j'ai dessinéesous la forme d'un cercle, n'a pas lieud'être, ça n'est pas non plus. Et quandon résonnait sur les classes logiques, iln’y a matière à former une classe ques'il y a quelque chose dedans, sans çaon vous dit : il n’y en a pas, il n’y a pas,il y a rien. Vous ouvrez la porte, oh ! iln’y a personne ici, bon, et vousrefermez. Ou alors vous entrez vous-même et vous êtes ce qu'il y a dedans.

Et puis on s'en va si on referme laporte, et on s'en va. Ce qui a bougédans cette conception avec la théoriedes ensembles, c'est que même s’il n’ya personne ici, il reste le ici, il reste le

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lieu où vous constatez qu’il y a rien. Çaveut dire que dans la théorie desensembles, le vide est placé, le videexiste aussi, l'ensemble vide est unecatégorie opératoire.

C'est ce dont Lacan a pris faveurpour qu’on apprenne à distinguer lamarque de cette marge qu’estintrinsèquement le sujet.

Et c'est opératoire dans la théoriedes ensembles, puisque l'ensemblevide compte comme partie de toutensemble, mais pas comme élément,mais comme partie de tout ensemble,

S 1

de telle sorte que, disons-le comme çapour le manifester, à côté de l’élémentmarque, vous avez toujours le fantômede l'ensemble vide qu'on peut fairesurgir à partir du moment où onconsidère les parties de l'ensemble.

C'est ce qui au moins nous aide àsaisir que la petite lettre que nousattribuons au sujet, peut être approchéau moins, situé à partir de cet appareillogique, que nous n'avons pas besoinlà d'avoir recours à la métaphysique, àla mystique, à la théologie, il suffit de cerecours logique pour donner aumanque un aspect non seulementpensable mais opératoire.

C'est, en effet, faire surgir, faireapparaître, nommer, manier, ce quijusqu'alors était comme inconnu,invisible, oublié. Il n'y a pas simplementdes personnes, il n'y a pas simplementdes éléments, il n'y a pas simplementdes inscriptions, il y a encore le lieu oùça s'inscrit et qu'il faut bien aussiconceptualiser et nommer et marquer lelieu, quelque chose de l'espace, de lamême façon que nous approchonsquand même du moment où nousallons essayer de faire une opérationcomparable avec le temps qui, lui aussi,a un statut, difficile, oublié, à l'occasioninvisible.

Cette petite mise en place a unintérêt accru, si on peut bien sesouvenir de l'équivalence que Lacanétablit entre le discours du maître et lediscours de l'inconscient.

D M D I

Dans l’un comme dans l'autre, c’estle même : S1 est cette marque, quicommande et qui peut à un momentvous surgir sous la forme de cetteparole : amuse-toi bien !

C'est très profond que de faire del'inconscient un discours parce qu’onpourrait avoir tendance à penser quel'inconscient est de l'un tout seul, qu’ilest à vous, qu’il est la propriété del'unique, puisque ça semblerait être cequi est du plus intime.

En effet, on se rend chez l'analystepour l'opération analytique dont jedisais la dernière fois qu'elle n’est pasune cérémonie, on s’y rend tout seul !On fait une distinction sévère dans lapsychanalyse entre la thérapie familialeet puis la psychanalyse.

Si vous dites : bon, je vous parletellement de ma femme, je vais vousl’amener. Non ! non ! Si vous l’amenez,elle viendra toute seule de son coté.

Quand il y a des sujets qui ne saventpas traverser la rue, qu’il est dangereuxde laisser traverser la rue, comme àdes petits, il faut qu'ils soientaccompagnés, ça fait déjà unedifficulté : qu'est-ce qu'on va faire del’accompagnant ? Est-ce qu'on le faitentrer, pour être poli, est-ce qu'on lelaisse dans la salle d'attente, est-cequ'on lui dit : allez faire un tour et puisrevenez. Il y a vraiment une exigence,là, de solitude formelle.

Parfois il y a des sujets qui neveulent pas être tout seul chezl'analyste, donc ils envoient toute leurfamille, et puis ça finit par créer desproblèmes j'en ai des échos assezlointains : il y a la maman, il y a sesdeux filles, il y a le gendre. À force, legars il croule là-dessous, il faut lecomprendre. Et puis quand le papasurveille tout ça, qu’il est lui-même

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analyste, je ne peux pas vous dire ceque ça donne.

Alors maintenant, comme en plus, çase passe très loin d'ici, mais comme il ya une sorte de folie qui a pris le milieuanalytique lacanien – folie à laquelle j'ysuis pour quelque chose - de s'unifier,de se vouloir un - rien que ce motmontre que c'est une folie - ça fait queça produit une globalisation des ennuis.Et, pour l'instant je n'ai pas encoreréussi à me défiler, après avoir larguéça, eh bien j’hérite d'un certain nombrede ces ennuis.

Donc, la solitude de l'analysant,faisant couple avec l'analyste,partenariat, ferait penser quel'inconscient est de l'un tout seul. Incon-scient, un con qui en plus sait deschoses. C'est assez comme ça qu'onpourrait traduire le Unbewust de Freud.

Eh bien précisément le point de vueselon lequel l'inconscient est undiscours nous oblige à réviser cetteconception spontanée. Il dit : d'abordl’inconscient, c’est une combinatoire,parce qu’un discours est unecombinatoire de terme et de place et entant qu’il est un discours, comme toutdiscours, il est gouverné par unsemblant : l'inconscient.

Il est gouverné par un signifiantmaître, ou par un ensemble designifiants maîtres, puisque S1 peutaussi bien être le nom, la lettre,qualifiant, se référant à un ensemble designifiants, un S1 écrit comme Lacanl’évoquait une fois e-2s-a-i-n, un essaimde l’inconscient, qui sont dessemblants. C'est là qu'il faut donnertoute sa valeur à l'équivalence de cesdeux discours.

S 1

SL'équivalence, c’est le même, c’est

deux noms pour la même structure dediscours, pour le même discours et çamet en valeur que l’identification, leconcept freudien qui est mathèmisé parLacan sous cette forme, quel'identification, dans le discours dumaître comme dans le discours del'inconscient, cette identification est la

même, c'est-à-dire que le sujet esttoujours identifié dans le discours dumaître, il est toujours identifié dansl'Autre (avec un grand A) et ça peuts’étendre jusqu'au discours universel.

C’est de là qu'il pêche, ou qu'il estpêché, croché, par un signifiant maître.Ce qu'il croche, c'est ce qui est dit, cequi se dit; ce qui se dit dans la famille,ce petit morceau de particulier, dèsqu’on dit la famille, il y a la société, il y aéventuellement l’état, il y a un ordre oùcette famille a sa place, ou un désordre.

Et, par là, le S1 ici, qui joue cettefonction éminente dans l'inconscient,sous la forme de ces paroles qui vousmarquent, ce S1, il est en même tempsvéhiculé et charrié dans le discoursuniversel.

C'est un ambosepteur ce S1, qui estd'un côté branché sur votre intimité etqui la dérange, on se demande ce qu'ilvient faire là, il lui est justement plutôtextime, et puis de l'autre côté il estbranché sur tout ce qui se raconte etqui fait rumeur. Le bataclan où la Vénusd’Urbin voisine avec la théorie desensembles et donne la main à laphilosophie, aux mathématiques, à lasecte, enfin tout y est. C’est la réserveoù tout entre, comme celle du bricoleuret quand vous êtes là, dans votresolitude obligée, tout ce remue-ménageentre avec vous, dans le cabinet del'analyste.

C’est l'identification langagière, etipso facto sociale, entre guillemets,parce que c'est justement dansl'expérience analytique qu’on peut avoirun petit aperçu sur le social etprécisément sur le fait que pour qu'il yait groupe social et même nation,classe sociale, il faut que se trouveopérée, pour un certain nombre desujets, l’identification au mêmesignifiant maître. Il y a d’autressignifiants maîtres qui sont différentsbien sûr, mais il faut, pour qu'il y ait lesocial, qu'il y ait l'identification à aumoins un signifiant maître valant pourtout ceux de l'ensemble.

Cette identification langagière est lacondition condition pour que travaillecet ensemble de signifiants marqué S2

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et qu'il s’en produise ce que, depuisLacan, nous indiquons comme petit a.

S 1

S

S 2

( a )

Commentons ce schéma bien connusur le versant discours de l'inconscient.Alors où est l'inconscient dans lediscours de l'inconscient ? Eh bien il estpartout. Ici, c'est l'inconscient-sujet,celui qu'on connaît sous les espèces dela vérité, la vérité qui trahit votreintention. Inscrivons là le lapsus. Lavérité qui fuse, en dépit que vous enayez et qui affecte spécialement ceuxpour qui l'identification sociale estspécialement prégnante. Le lapsus atout son éclat dans la mesure où celuiqui est le siège de ce lapsus est enfonction sociale. On prend l’exemple duprésident qui révèle la vérité dedessous alors qu'il est en fonction, chezFreud même. Chez d’autres, si çan'était pas le président mais si c'est lebouffon, on appelle ça un mot d’esprit.

Donc l'inconscient-sujet. Mais en S1,il y a l'inconscient-maître, l'inconscientsaisi comme ce qui vous commande.C'est ce qui opère quand on repère,précisément ce que peut avoir decompulsif un comportement.

L'inconscient-maître, c’est ce quemet en évidence spécialement, il a falluque Freud crée un concept pour ça,celui du surmoi. Et quand il veutdémontrer que l'inconscient, c'est dusolide, que ça n'est pas le rêve deFreud, quand il veut donner àl'inconscient un caractère de réel,soutenable au regard du discours de lascience, il n’a même pas le lapsus. Ildira, bon, c'était une référence, c’est uncourt-circuit, à peine apparu çadisparaît, c’est une coïncidence, uneétincelle, c'est un neurone qui saute, çane compte pas, c'est la même choseque quand on fait une expérience dechimie, on la rate, c'est parce que lepapier tournesol n'était pas à la bonnetempérature, la cornue était fêlée : cesont des petits accidents sur quoi onn’établit pas du réel ; non !

Non : quand Freud veut accréditerdans le public la notion quel'inconscient c'est du réel, il a recours àl'inconscient-maître, il met en évidencedes actions compulsives, répétitives, oùle sujet apparaît évidemment commecommandé par plus fort lui, comme moiquand j'arrive en retard, à ce Cours.

Là, à la fin de ce cycle, je dis : que tavolonté soit faite ! D'ailleurs, ça pourraitêtre un gain énorme, vous pourriezavoir double ration, c'est-à-dire, à partirdu moment où j’accepterais ça, si jel'acceptais vraiment, est-ce que jel’accepte vraiment ? je me suis quandmême promis, au cycle suivant d'être àl’heure, mais si je l'acceptais vraiment,c'est très simple, je demanderais à uncollègue d’être là, lui, à 13h30 et puisde faire le lever de rideau, de parler de13h30 à 14h, comme ça j'arriverais àl’heure et même en avance.

On fait ça au théâtre d'ailleurs, onfait des levers de rideau, parfoisinoubliables. Moi, la première pièce quej'ai vue à la Comédie Française quandj'étais petit, c'était justement UnCaprice d’Alfred de Musset, eh bien desannées plus tard, ça m'a rendu service,la semaine dernière.

Donc si j’acceptais vraiment « que tavolonté soit faite » à ce S1 diaboliqueavec lequel je lutte pied à pied, jepourrais rendre utile cette demi-heure,enfin elle est utile de toute façon, çapermet de bavarder.

Alors, ensuite, bien entendu, il y al’inconscient en S2, l’inconscient à laplace de l’esclave, ça, c’estl’inconscient qui travaille dont, à unmoment Lacan fait même le caractèreessentiel de l’inconscient der Arbeiter,en prenant, non sans dérision, le titred’un ouvrage pas forcémentrecommandable, de Ernst Junger, Letravailleur et, en effet, on sait à quelpoint Freud a mis l’accent sur le travaildu rêve, qui a d’ailleurs inspiré ladernière grande compagniecinématographique de Hollywood où ilsont du tous passer sur le divan à unmoment où l’autre, Dream works, c’estsous ce titre, freudien évidemment, quese sont produits un certain nombre deschefs-d’œuvres du cinéma américain

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qui inondent la planète et y compris ledernier petit carré de résistants à laAstérix que représente la nationfrançaise, au milieu de cette dominationdu dream work, des dream works.

C’est l’inconscient que nous aimonscelui-là, l’inconscient qui commande, engénérale c’est dur, ça donne desexemples, on se demande comment yéchapper, l’inconscient qui travaille, quitricote, l’inconscient qui interprète, quicomprend de travers qui, avec un mot,arrive à faire naître une flopée designifications, on se dit mais comment ilarrive à faire ça ? Ah ! quel artiste !Récemment j’écoutais quelqu’un qui faitson analyse dans une autre langue,que j’arrive à peu près à comprendre, etdonc il avait la notion d’une petitemouche dans un contenant de verretransparent et qu’il avait tout près del’oreille. Et comme c’était dans lalangue anglaise, c’était a fly. Avec cestrois lettres qu'est-ce qu'on ne trouvepas. On trouve voler, l’avion qu’il a desdifficultés à prendre, on trouve, parmétonymie, la petite abeille qu'on adans la tête, comme nous nous disonsune araignée dans le plafond. Et puis ilavait la pensée que c'était plutôt ici quedans sa tête, donc on voyait,précisément il pouvait commencer àprendre un peu de distance, une petitemarge, avec son signifiant maître.

Et puis fly, c'est aussi un argot pourla braguette. Et donc le fameuxsignifiant maître du phallus avait réussiaussi à se glisser dans fly. Et puis leverbe même to fly, depuis Erika Jung,Jones, a en effet aussi des valeursérotiques, voilà. Il a fallu arrêter, trois-quarts n’y suffisaient pas.

Donc là, quand vous avez ça, si onétait pas analyste on se mettrait àgenoux devant la merveille de cetteconstruction. Quel travail d'artistecomme on dit devant les petitsnapperons, c’est artisanal sans doute,plutôt que du grand art mais, etmalheureusement, en effet, ça ne sortpas vraiment du cabinet de l'analystesinon sous la forme de petits récits quecomme ça été et que fera l'analysant oul’analyste un jour. Ça c’est du travail, onpeut dire.

Donc l’inconscient-vérité,l'inconscient-maître, l'inconscient-travail, qui sont une mise en forme parLacan de ce que Freud a trouvé au fildu temps et pourquoi il a du inventeravec les moyens du bord les conceptsqu’il nous a proposés et puis lequatrième de l'affaire.

Le quatrième de l'affaire, c'est lafinalité du système, c'est ce que Freuda amené tout de suite et que Lacan n'arécupéré qu'un peu plus tard tout demême, après le début de sonenseignement, à savoir que tout ça,l'articulation de l’inconscient vérité, del'inconscient-maître et de l'inconscient-savoir, c’était fait pour jouir, c’était faitpour obtenir le Lustgewinn, un gain deplaisir.

L'inconscient freudien ne pense qu'àça, ne travaille autant que pour délivrerce gain de plaisir et essayer de le faireau moindre coût, question d’économie.

Donc tout cet attirail de signifiants,toute cette mécanique, maintenant onne les voit plus vraiment travailler, lesmachines dont on se sert, l'ordinateur,parfois on entend un petit ronflement,on ne voit plus.

Donc pensez plutôt à la machine deVaucanson, les machines à vapeur, lespistons etc. donc tout ça quis’enclenche pour sortir quelque chose,précisément, qui n'est pas de l'ordre dusignifiant, au moins c’est ce que dit petita.

Ça n'est pas de l'ordre de S1, de S2

même de S barré qui est le manque designifiant où peut s'en inscrire un, c’estquelque chose d'autre, quelque chosed'autre qui s’est d’ailleurs fait prendrepour le réel. On s’est dit voilà, tout ça,tout ce bataclan signifiant, pour ça : çac’est le réel de l’affaire.

Justement, c'est ce qui est enquestion, parce que petit a, petit a maisil suffit de le regarder d’ailleurs, ce petita mignon comme tout, là bien logé danssa parenthèse, c’est une petitejouissance, petit a, c'est, comme Lacanle dit une fois, une lichette dejouissance et qui reste bien à sa place,regardez comme c’est…, là lessignifiants sont à leur place, bienforcés, mais petit a, c’est la jouissance

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bien à sa place qui arrive à pointnommé, puis comme il faut voir çaaussi dans le discours du maître, ehbien c'est la production : on note lesquantités produites, on en fait descaisses, on les envoie, c'est aussi bienle produit marchand, ce petit a qu’onempile, qu’on numérote, et puis qu'onproduit éventuellement en flux tendu, etpuis qu’on commandera demain grâceà l’appareillage électronique et aussitôton le fabriquera pour vous et onl’amènera chez vous. On a trouvémême le moyen de produire en grandesquantités des produits de luxe, le luxeest devenu une industrie énorme et desgens qui savent y faire ont réussi àgarder le trait du luxe en produisant celuxe autant que le produit de grandeconsommation. Ils ont fait du luxe unproduit de grande consommation en luigardant la signification du luxe. Cetteopération qui s’est réalisée durant cesvingt dernières années est une desopérations de marketing les plusintelligentes qu'il soit donné de voir.

Alors des petits morceaux dejouissance qui se promènent, et rien àvoir avec la jouissance infinie, petit a,c’est de la bonne petite jouissancenumérable et d’ailleurs qui a quelquechose évidemment de commun avec lesignifiant, sinon on ne pourrait pasinscrire ça sur ce schéma.

Ce que ça a de commun avec lesignifiant, c’est précisément que çapeut se compter, que ça s'accumule etque tout en n’étant pas signifiant, ehbien on peut dire que ça au moins çade commun avec le signifiant, c'est quec'est cerné du trait du semblant.

Ce qui veut dire que, ici, dans cediscours, mais dans les autres aussi, cequi s'inscrit là, c'est un faux réel,évidemment substantiel, tout est là, sion prend les termes qui sont endessous, les deux barres, ici on a sansdoute un terme insubstantiel, le termevide du sujet.

S 1

S

S 2

( a )

Et le mot même de sujet portel’indication de cet en dessous, c’estl’upokemeinon, comme s’y réfèreLacan, upo c’est dessous.

Et par rapport à ce termeinsubstantiel et vide, sans doute celui-ciest vide substantiel. Non pasupokemeinon mais oussia, ce qu’on aattrapé dans le latin par substancia etqui nous est arrivé comme notresubstance.

S 1

S

S 2

( a )

Ce qui fait que, à la question « jesuis », en effet il y a trois réponsesqu’on donne à partir de ce schéma. Lapremière réponse à « que suis-je ? »,c'est la réponse de l’identification, c'estla réponse par le S1, ça peut aller de« je suis fils de » jusqu'à « je suisprofesseur », « je suis adjudant », « jesuis employé à la poste », etc. Desidentifications où je suis celui qui a reçula parole « Amuse-toi bien ! », laréponse par le signifiant identificatoire.

Ensuite il y a la réponse par S barré,c'est la réponse « je ne suis rien de toutça », je suis seulement la possibilité eton accède à ça tout de suite parl'expérience analytique, je suis celui quia la possibilité de nier ce qu’il vient dedire.

Ah, ça n'est pas donné quand c’estenserré dans certaines cérémonies,vous ne pouvez pas dire le contraire,une fois que vous avez dit : - Voulez-vous pour époux monsieur, Oui. - Alorsje vous déclare unis par les liens dumariage, - Minute papillon ! J'ai changéd'avis. Alors là, il faut entrer dans touteune histoire forte longue, là vous n’avezpas la possibilité de changer d'avis

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dans la minute, - Mais je me suisaperçu juste, - Ah ! non monsieur, nonmadame.

Donc, tandis que dans l'expérienceanalytique vous dites quelque chose deterrible, et ouh ! non… tout comptefait... Donc vous êtes déjà le sujet quipeut dire le contraire dans la seconde.Vous ne réveillez pas votre analystepour autant et ça donne uneextraordinaire liberté par rapport auxidentifications, rien que ça.

Ensuite vous êtes aussi celui quipeut toujours en dire davantage, suffitde revenir à la prochaine séance. Vousêtes donc une sorte de plus-un. Eh puisil vous est aussi permis de vous taire,d’être une sorte de moins-un. Donc çac'est la définition de votre « je suis »comme sujet barré. Et puis il y a votredéfinition par petit a, quelque chosequ'on pourrait formuler comme « je suisce que je jouis », par exemple.

Mais, on pourrait d'ailleurs, pourquoipas, ajouter la quatrième, la réponsepar S2. Je suis ce que je sais, pourquoipas ? Je suis ce qu’on sait de moi,pourquoi pas ? Mais, toutes cesréponses, ça ne nous donne pas pourautant le réel du discours.

D M D AS 1

S

SS 1

S 2

( a )

Dans le discours analytique, à lasuite de Freud, Freud a commencé,comment est-ce qu’il a commencé ? Il aquand même commencé plutôt parapercevoir l'inconscient-vérité etl'inconscient-travail et puis, dans saseconde topique, il a mis en valeurl'inconscient-maître, il a produit leconcept du surmoi principe de toninconscient, ressort de tes symptômes,agent du discours de l'inconscient.

Et Freud l’a fait valoir d'ailleurscomme l’emblème du discours del'inconscient, comme son insigne. C’estla leçon qui est commune au discoursdu maître et au discours de

l'inconscient : on gouverne l’homme parl’identification.

Alors, évidemment, la question sepose de qu'est-ce qui se passe sivraiment à la fin du discours analytiqueon arrive à produire S1, on arrive à sortirle sujet de son absorption dans S1, àproduire S1, à le séparer. Ça a donnéen effet l’idée aux analystes qu’à la find’une analyse, on se retrouvait un sujetnon identifié.

Lacan, quand on lui a proposé cettelecture l’a réfutée aussitôt en disant lessujets non identifiés, on ne s'en occupepas dans l'analyse. Et ça dit trèsprécisément les sujets non identifiés, ilsn’ont pas d'inconscient, ils ne sont pasdans le discours de l'inconscient. Pourêtre dans le discours de l'inconscient, ilfaut avoir été happé par le discoursuniversel et que de ce discoursuniversel soit venu sur vous vousbaptiser, vous transsubstantifier, unsignifiant maître. Si c’est pas le cas, s’ily a quelque chose qui a raté dans cettecapture initiale, si le signifiant maître aété mal accroché, mal épinglé, detravers, pas du tout, désolé, vous n’êtespas dans le discours de l'inconscient,vous ne pouvez pas entrer dans lediscours analytique. C'est la condition, ilfaut être entré dans le discours del'inconscient pour être dans le discoursanalytique.

Il y a des conditions pour le baptêmeaussi, très larges d'ailleurs, c'estformidable, ils disent au début oh ! ilfaut vraiment que les gens soient prêts,qu'ils soient biens, etc., et puis pouh !on comprend que c'est finalement :laissez venir à moi les petits enfants.

C’est déjà chez Tertullien, en Livrede Poche. Je n'ai pas cherché ça aufond des bibliothèques. Mais dans lediscours analytique, c'est plus sévère,et à la fin de l'analyse vous n’avez pasdu tout un sujet non identifié, faisonsune différence ici avec le désidentifié.Le désidentifié veut dire que le sujet estpassé par l’identification et puis qu'ils'en est séparé sous un mode à voir deprès.

Ça, il s'en est séparé parce qu’il afait l’expérience dans l’analyse, il faitl’expérience de lui-même comme S

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barré. Il a fait l'expérience de sonmanque-à-être, c'est-à-dire de sapossibilité de mettre en question toutesles identifications et qu’il y estfinalement conduit nécessairement ; onpeut dire que c'est l’effet ironique del'association libre. C'est le socratismeanalytique spontané. C’est que quandvous n’avez pas quelqu'un pour vousvisser les identifications, pour vousreconnaître comme l'employé despostes, le fils de untel, etc. quand cequelqu'un là vous est soustrait, qu'ilopère autrement qu’en vous disant bienentendu monsieur Untel, bien entendumadame, et que il bouge un petit peu,qu'il n'est pas à la place où il devraitêtre, à savoir d'acquiescer à votreidentification, eh bien vous-même enretour, votre identification tremble, votresemblant identificatoire vacille, il nereste plus tout à fait en place.

L'expérience analytique elle-mêmeest socratique, Socrate se promenait endisant : ah, et tu dis ça et tu croisvraiment, tu dis que tu es ça, etvraiment tu est ça, oh ! oh ! commec'est intéressant, etc. Il gâchait la vie detout le monde.

Là, c'est le processus analytique lui-même qui, à un point ou un autre,attaque cette confusion où vous êtesavec votre identification.

Du coup, dans le discours analytiquec'est S1 ce qu'on produit, qui fait figurede réel. Et c'est bien pourquoi Freud,quand il veut accréditer l'inconscient auregard du discours de la science, cequ'il amène c’est ça, c’est des faits desurmoi, où le sujet ne comprendabsolument pas par quelle force il estagit.

Freud amène les actionscompulsives. Donc, dans le discoursanalytique, ce qui fait figure de réel,c'est le signifiant maître, les signifiantsmaîtres. Mais gardons bien enmémoire : tout à l'heure j'ai dit c’estquand même un faux réel.

Il y aura, après la coupure desgrandes vacances, une journée del'Ecole de la cause freudienne sur cetteaffaire là, sous le titre de Quandvacillent les semblants – Incidences duréel dans la clinique analytique et je

peux peut-être dire déjà comment ça vaêtre illustré, puisqu’on m’en a fait laconfidence, Catherine Boningue iciprésente va enjoliver ces journées d'untableau de Rembrandt qui,précisément, met en scène le momentfameux où, sur la paroi, s'inscrit lefatidique : « Mene, mene, thekel,oupharsin » auquel Lacan se réfère. Età partir du moment où ces motshébreux apparaissent sur la paroi,l'empereur sait que ses jours sontcomptés, qu'il y en a plus pourlongtemps, que c'est terminé cettehistoire, et que, tout est appelé àdisparaître, comme on dit dans lesgrands magasins…

Comme Lacan l’évoque : « si çaapparaît sur le mur pour que tout lemonde le lise, ça vous fout un empirepar terre.

On pourrait se dire, c'est là un fait designifiant, mais précisément, ça illustrele retour du S1 qui fait fonction de réelet qui l’emporte sur tous les semblantsdu pouvoir, puisque là on a représentésur la toile exactement ces semblantsdu pouvoir qui défaillent au moment oùapparaît la parole fatidique, écrite, etqui vaut comme réel par rapport à cessemblants.

Amuse-toi bien ! Il y a quelqu'un quia vu en quelque sorte paraître ça sur laparoi et dans une circonstance bienfaite pour se graver puisque c’était uneparole de la mère dite sur son lit demort et même la dernière parole de lamère.

Amuse-toi bien. C’est la parole qu'ondit à l'occasion aux enfants, pour lessoustraire aux devoirs, pour leurs direque là c'est la récréation, on autorisel’enfant à s’amuser, c’est le contraire defini de rire, ça veut dire permis de jouir,amuse-toi bien.

Évidemment, quand ça vous est ditdans cette circonstance, cette paroleaimable et permissive prend un tourplus grinçant. C'est un peu amuse-toibien avec ce que je te laisse. Résultat :le sujet ne rigole pas.

Amuse-toi bien avant de mourir :c’est une parole qui révèle sa face deterreur, d'horreur, à l'occasion, qui est laparole même du surmoi puisque ça

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n'est pas autre chose que : jouis ! quiainsi résonne. Et ce jouis !, cettevolonté de jouissance qui est làproposée est justement parente de lapulsion de mort.

Se faire dire amuse-toi bien par lamère sur son lit de mort et dont ce serala dernière parole, je peux dire je ne lesouhaite à personne.

D'ailleurs c’est peut-être seulementau terme d'une analyse qu'on peutsupporter la parole amuse-toi bien, quipeut être une bonne parole, et d'ailleurspeut-être que si ce dit m'a frappécomme ça, c'est que cette année j'aidécidé de bien amuser, y compris ici,surtout ici où depuis quelque temps jene m’amusais pas tellement bien etspécialement l'année dernière où j’ai eule sentiment, au moins pendant lapremière moitié de l'année, de souleverl'expérience du réel, d'un poids énorme.

Ce que fait saisir les considérationsque j’amène, c’est que l'essence dusignifiant maître, le signifiant maître quivient tout seul, lui, qui est prélevé surun ensemble, et même s'il forme un S1,c’est quand même un S1 dépareillé,d'où les conflits de devoirs dont l’âmeelle-même est agitée. Si tout ça setenait, il n'y aurait pas ces conflits etc'est ce que Kant a essayé de résoudreavec son critère universel.

L’essence du signifiant maître, c’estquand même ce qu'on peut appeler sonarbitraire : pourquoi celui-là plutôt qu'unautre. On dit arbitraire d'abord pourfaire valoir qu’on n’en aperçoit pas lanécessité même si, ensuite, il endécoule une chaîne nécessaire que meten évidence l'action compulsive commele symptôme et c'est bien ce qui faitque cette essence du signifiant maîtreest excellemment mise en valeur par lecaprice.

À propos du caprice, j'ai été comblécette semaine, j'ai reçu un cadeau,grâce à ce que j’avais dit la semainedernière, si ça avait toujours ces effetslà, pourquoi pas, on m’a fait cadeaud'un livre pour enfants, en merecommandant d'ailleurs de le lire à lapersonne à qui j'avais emprunté le« pas question », et dans ce livre pourenfants on m'a signalé la page où figure

en latin, le sic jubeo hoc volo deJuvénal, attribué à une mégèrereprésentée de façon très vivante,comme on le fait pour les enfants.

Il faut dire que ce livre n'est pas den'importe qui, il est du dessinateurscandinave Tomi Ungerer, dont j'avaisjadis acheté, je crois, le premier volumesorti pour les enfants, j'avais perdu devue sa production et sans plus deréférence ce lecteur, sans doute plus deJuvénal que de Kant, glisse dans celivre pour enfants cette parole latine etdonc je remercie Marie-Hélène Broussede ce cadeau et de cette surprisequ'elle m'a faite.

Autre, alors autre cadeau, plusintellectuel, enfin non matériel, uneréférence que m’a donnée Gregorio deVito à une chanson - j'ai perdu son petitpapier qui est arrivé par la poste – àune chanson argentine, je crois, où ilest question du caprice. En revanchej'ai gardé un papier que m'a remisFrancesca Biagi-Chai, d’une comptineitalienne qui éclaire bien des choses etqui est la suivante :

Sotto ogni riccio ci stà un capriccio.La Donna à riccio non la voglio no

Alors ça veut dire sous toute boucleil y a un caprice – riccio c'est la boucle– donc ça qualifie la tête bouclée - soustoute boucle il y a un caprice. La dameboucle, madame Boucle, la dona àricchio non la voglio - je ne la veux pasou je ne veux pas - ça n'est pas la têtehérissée que mentionne le dictionnairehistorique Robert, ça n'est pas la têtehérissée du frisson, ici, c’est la têtebouclée qui est liée au caprice.

C’est plein d’esprit que la tête, onvoit bien pourquoi ça se concentre surla tête cette affaire là, de signifiantmaître. Tout de suite on va vers la têteet quand on veut vous faire comprendreque vous n’êtes pas dans l'axe dusignifiant maître, ce qu'on vous coupe,c'est spécialement la tête, en tout casdans la tradition française. C'est çaqu'on supprime.

Et sur la tête, on va chercher pourreprésenter le caprice justement lecheveu capricieux, le cheveu qui n'enfait qu'à sa tête à lui, et tout ças’incarnant dans madame Boucle, Mme

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Boucle et sous chacune de ses bouclesun caprice, sotto ogni riccio ci stà uncapriccio.

Je passe sur ce que ça pourraitévoquer la référence que Lacan prenddans l'ouverture de ses Écrits, The rapeof the lock, de Pope, the lock c’estriccio, c’est la boucle et là c’est à labelle Belinda qu’un impudent vientcouper une boucle. Et alors on se batautour de la boucle volée à Belinda etPope mobilise tous les dieux del’Olympe qui prennent parti pour oucontre Belinda et son voleur. Comme ledit Lacan, Pope met en valeur l’enjeude dérision de toute épopée, à savoirqu’on se bat pour des riens. C'estvraiment sérieux quand on se bat pourdes riens, c'est ce que montrent lesguerres de religion. Les guerres dereligion qui, quand elles existaient -elles existent encore dans quelquescoins - ont le mérite de faire existerdieu.

Il y a aussi des guerrespsychanalytiques qui ont peut-être eu lemérite de faire exister la psychanalyse,pour un certain nombre d'entre nous.

Mais enfin où est le réel dans toutça : même là, ce sont des riens.

Le réel, il n’est pas là, noche, il n'estpas là no che, il n'est pas là ?no ai :rien, rien du tout. Tout ça, si on regardede près, et même si cette place est parexcellence celle du semblant et celle-làa l’air d’être place du réel, tout ça sesont des semblants et un discours estun appareil de semblants. Si on veutloger le réel quelque part, il faut fairecomme Lacan en indique la voie, c'estpas là, c'est pas là, c’est pas là, il fautconsidérer que tout cet appareil et lecircuit qu'on peut faire, celui-ci, on peuten faire d'autres, que tout ça est faitpour enchâsser et pour éviter un réelqui ne se trouve gentiment logé àaucune de ces places.

V

Qu'est-ce que ce serait un réel quiaccepterait de faire la ronde : il faut êtresemblant comme des signifiants oucomme l'objet petit a pour accepter defaire la ronde.

Et en effet ils font la ronde autour dela chose, elle, qui ne fait pas la ronde,même si je l'a fait ronde ici, j’ai tort.

Faisons ça plutôt informe comme ça,plutôt quelque chose d'un peu baveux,là, le baveux ayant beaucoup servi àreprésenter le réel. Mais c'est encoreune image.

V

À cet égard, le petit a, qu'on voudraitpromouvoir à être le réel, il ne veut pas.D’ailleurs le petit a, c'est une défensecontre l'infini de la jouissance, parceque la volonté de jouir, si on lui laisselibre carrière, elle révèle qu'elle n'estque pulsion de mort.

C'est ça que je trouve plutôt vache,le coup de la mère mourante à sa fille,lui avoir dit amuse-toi bien avant demourir comme sous-entendu : avant demourir comme moi. Elle a vraimentjoué, la mère, un tour de cochon, parceque après, on ne peut pas la rattraperpour lui faire des reproches. C'est ledernier ravage, et après il faut ramasserles morceaux, la mère a joué à l'invitéde pierre.

Le bon dieu est plus honnête, aumoins il dit : ton temps est compté, tues fini mon bon, et si le bon dieu n’étaitpas honnête il aurait dit : Amuse-toibien !

Alors les discours, il faut lesconcevoir comme essayant d'entourer

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la chose informe qui pourrait nousreprésenter le réel.

À vrai dire, on peut considérer quec'est bien pour cette raison que Lacansignale que, dans son imagerie aussibien, ça ne se boucle pas, qu’il y a iciune discontinuité qui fait qu’on ne peutpas faire la ronde.

Et le réel de chaque discours, si on aà le situer, il est plutôt dans cetintervalle.

S'il faut donner une image du maître,et du maître et de son caprice, qui estaussi l’essence du signifiant maître, quiest là on ne sait pas pourquoi, pourquoic'est cette parole là qui vous a chopécomme ça, le maître - le maître quiconnaît le secret du maître - je leprésenterais plutôt sous la figuresouriante, souriante pour nous, lui iln’est pas souriant du tout, de Humpty-Dumpty dans Alice au pays desmerveilles, non, de l'autre côté du miroirjustement, Humpty-Dumpty qui est lemaître, d'ailleurs on ne peut pas s’ytromper, il est en haut du mur, dans unéquilibre qu’on pourrait croire instable,mais enfin il tient, quand Alice lerencontre. C'est le capriceincarné, Humpty-Dumpty ça fait bienvoir d'ailleurs qu’Alice, justement, n'estpas le moins du monde capricieuse etc'est justement parce qu’elle est si peucapricieuse qu’elle fait voir le capricedes autres. C'est sur le fond d’Alicequ’on voit la folie du chapelier,l’inconduite du loir, la hâte immotivée, lahâte pathologique du lapin, ah d'ailleursqui arrive toujours en retard. Ah bienvoilà ! voilà, mais voilà, peut-être que jeme suis identifié au lapin d'Alice, jevous assure que j’y pense à l’instant.Ah !

C'est parce qu'elle est vraiment unesorte de sujet barré qu'elle fait voir lescaprices des autres et comment ils sontfixés sur leur jouissance à eux. Elle estmême par excellence le sujet barrépuisqu'elle incarne, comme le noteLacan, moins phi, qui était l'objet deLewis Carroll, la petite fille et c'est surfond qu’on a ce monde bariolé,baroque, où on voit chacun suivant savolupté.

C'est un puissant effet de dérisionqu’introduit Humpty-Dumpty de façonimmortelle. Il met vraiment en valeur cepouvoir régalien du signifiant dont parleLacan dans les Écrits, la possibilité del'anéantissement instantané de toutl’ordre symbolique, pour peu qu'onsache manier le Witz, que dit Humpty-Dumpty : - Lorsque moi j’emploie unmot, répliqua Humpty-Dumpty, d'un tonde voix quelque peu dédaigneux – onpeut pas rendre ça en français il fautl’anglais, le ton de voix dédaigneux –lorsque moi j'emploie un mot il signifieexactement ce qu'il me plaît qu'ilsignifie, ni plus ni moins : exquiseprécision autour du caprice. Alice :« - La question, dit Alice, est de savoirsi vous avez le pouvoir de faire que lesmots signifient autre chose que ce qu'ilsveulent dire. - La question,riposta Humpty-Dumpty, la question estde savoir qui sera le maître, un pointc'est tout. »

Voilà le dialogue, prodigieux, quidémontre en effet à quel point lesignifiant est là dominé par le signifiantmaître, que l'ordre signifiant est dominépar le signifiant maître, par ce qui estl’essence du signifiant maître, soncaprice.

Le discours universitaire, je vais direun petit mot, je n’arriverais pas encoreaujourd'hui où je voulais vous emmenerdepuis longtemps déjà, le discoursuniversitaire a cette propriété qu’il mettout l'ordre du savoir en position desemblant et c'est à ce propos queLacan dit que le mieux que puisse fairece discours universitaire, c’est le motd'esprit qui lui fait horreur.

Ça veut dire quoi ? C’est que,précisément, quand on fait passer lesavoir tout entier en position de

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semblant, en position maîtresse dusemblant, ça a pour vérité S1,

S 2S 1

c'est-à-dire, précisément, l’arbitraire, lecaprice et que ce avec quoi devrait sefamiliariser le discours universitaire,c'est précisément de laisser paraîtrequelque chose de sa vérité. C'est-à-direde, sous le savoir, faire voir le Witz.

De la même façon que sousl’impératif catégorique, qui est vraimentl'incarnation par excellence de ce S2,sous l’impératif catégorique de Kant,faire voir sa vérité dans Juvénal,comme après tout Kant ne l’ignoraitpas.

s a v o i rW i t z

K a n tJ u v é n a l

Faire voir sous l’impératif, logiqueuniverselle, faire voir le capriceparticulier et donc sous S2, laisser voirle S1 en position de vérité.

Il est frappant que dans le discoursde la science, dont on croirait qu’il nousdonne accès au réel dont il s'agit, dansle discours de la science aussi lesemblant domine et on s'en aperçoitpuisque que pour que ça marche, il fautque dieu soit un gars sérieux, il faut queDieu tienne parole, Dieu ou ce qui entient lieu. Il faut que Dieu ne soitpas humpt qui vend la mèche. Avecun humpt qui dit : c’est comme ça parceque ça me plait, on a du mal à faire lediscours de la science.

Alors c'est vrai, le Dieu de Descartesaussi, les vérités éternelles c'estcomme ça parce que ça lui a plu, c’estcomme ça. Seulement, et Descartes lelaisse, allez-y mon bon ! Simplement,une fois qu’il a choisi les véritéséternelles, il n’a plus le droit de changerd’avis. C'est ce que Descartes vientexpliquer, il explique au Bon Dieu : non,non, une fois que vous avez choisi vosvérités éternelles, vous ne pouvez pluschanger d'avis, parce que changerd'avis est moins bien que continuerdans le même sens, ça vous donneraitmoins d'être, Bon Dieu.

Et donc, Descartes passe lesmenottes au Bon Dieu, il le laisse faireun truc et après il ne peut plus changer.Dieu aurait pu faire que deux et deuxégale cinq, parfaitement possible, maisune fois qu’il a choisi que deux et deuxégale quatre, interdit de changer d'avis.

Donc, il faut que Dieu soit un garssérieux. Et on sait comment Lacan amis en valeur que pour Einstein, dont, àtrès juste titre, la revue Timesmagazine a fait l’homme du siècle,Einstein - je craignais qu'il ne metteFranklin Roosevelt, à qui nous devonsbeaucoup certainement, mais enfin il aune station de métro, ça va, Einsteinn'a pas de station de métro mais, eneffet, c'est par le discours de la sciencequ’on nomme les siècles, enfin depuisque ça a émergé - et Lacan a soulignéque, pour Einstein, il fallait à toute forceque Dieu soit fiable, soit de bonne foi,c'est-à-dire que ça ne se fasse pas auhasard ou par caprice.

Alors formidable, avec sa relativité ila fichu par terre tout un monde desemblants, ça a été extraordinaire,vraiment, c'est tout à fait intéressantd’être là au début du XXI° siècle, maisle début du XX° siècle, il fallaits’accrocher, avec Freud qui larguait lapsychanalyse dans le monde et puis larelativité qui a fait tanguer desévidences assises depuis desmillénaires. Et c'est cet homme là, cesubversif là, qui pensait que pour queça tienne, il faut que le réel obéisse à laloi, à une loi, qu’il fallait que le réel soitlawlike, comme on dit en anglais.

lawlike

Et, de ce point de vue, la mécaniquequantique a menacé - et devant quoiEinstein avait toutes les réticences dugenre je ne mangerais pas de ce painlà - la mécanique quantique menaçaitbien davantage la notion du réel, dèslors qu'elle introduisait une fonctiond’incalculable, d’aléatoire et que, eneffet, la mécanique quantique acommencé à habituer à la notion d'unréel sans loi. On ne peut même pas liresur le mur la formule, qui a fait voir au

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moins qu’il se pourrait que la loi à quoile réel obéirait ne soit qu’un semblant.Et c’est ça qui est capital, c'est lascission du réel et de la loi qui est toutce qui anime le dernier enseignementde Lacan, que le réel, précisément, çan'obéit pas. Alors qu’ici, tout le mondeobéit à tout le monde, dans le discours,ici le sujet s'identifie au signifiantmaître, lequel commande au savoir,lequel travaille comme un dingue pourproduire petit a.

Le seul problème, c'est quand mêmeici, où ça se rompt, il y a quand mêmeici la vérité, qui est quand même ce quin’obéit à personne ; dans chacun desdiscours, ce qui est à la place de lavérité, ici on a le faux et ici on a quandmême ce qui n'obéit à personne.

V

Alors c'est un dysfonctionnement, sil'on veut. Et on peut dire - je n'auraispas le temps de le développeraujourd'hui - que c’est là, dans cetteintervalle qu’on peut avoir une petiteentrevision de ce réel.

Je terminerai par ça, ce que j'aiaperçu concernant l'enseignement, etspécialement l'enseignement de lapsychanalyse, c'est quel'enseignement, ça consiste à recouvrirS1 par S2, c'est-à-dire ça recouvrel'arbitraire par la cohérence, par laconsistance, ça montre que ça se tient ;comme disait Alphonse Allais, ça setient où ? Ça se tient. Ça ne se tient,d'ailleurs, qu'à une seule chose, ça setient à un désir, ça se tient à unefantaisie, ça se tient à un plus-de-jouir,ça se tient…

Alors l'enseignement de lapsychanalyse, bien sûr, ça n'échappepas à promouvoir S2 en position desemblant, mais il me semble que pourenseigner valablement ce qui touche à

la psychanalyse, il faut l’enseigner surle bord, entre S2 et S1, sur le bord où onfait communiquer le semblant maître, etla vérité du discours. Et même plus, il ya de la psychanalyse dans chaquediscours, lorsqu’on connecte lesemblant maître et la vérité du discours.

Je vous donne rendez-vous au moisde mars.

Alors en attendant, comme je n’aipas eu le temps d'en parler, je vousrecommande, je compte faire ça à nospremières retrouvailles, je vousconseille l'achat de Tertullien, Lebaptême, premier traité chrétien, vousverrez que Tertullien est un fier lascar,je vous recommande la préface, qui estdue au père – ça ne s’invente pas - lepère Refoulé et c’est aux éditions Foivivante. En effet cette référence mepermettra d'introduire la séanceanalytique.

Fin du Cours IX de Jacques AlainMiller du 2 février 2000

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LES US DU LAPS

Jacques-Alain Miller

Dixième séance du Cours

(mercredi 3 mars 2000)

X

Qu'est-ce que la séance analytique ?C'est d'abord une question, cettequestion : qu'est-ce que la séanceanalytique peut nous poser ?

Cette question n'est pas unequestion secondaire, périphérique,accessoire si, du moins, on est réaliste.Réaliste s’entend dans des sens divers,pour simplifier je dirais : si on estréaliste au sens d’Éric Laurent.

Le sens d’Éric Laurent, comment lepréciser, être réaliste au sens d’ÉricLaurent - c’est une définition que jepropose à mes risques et périls -consiste à ne pas traiter ce qui estempirique comme accessoire, ce quiest empirique, c’est-à-dire ce qui serencontre dans l'expérience, dans lefait. Être réaliste au sens d’Éric Laurent,je me réfère à une petite note que celui-ci a écrite jadis, c’est toujours rapporterl’expérience à la structure, c'est-à-direne pas se satisfaire de considérer quel'expérience est toujours à distance dela structure sous prétexte de ce que çane se passe jamais comme c’étaitprévu. Mais c'est vrai, ça ne se passejamais comme c’était prévu.

On en pourrait en faire une loi ou unprincipe. Mais le reconnaître,reconnaître que ça ne se passe jamaiscomme c’était prévu, ça n’est quereconnaître la contingence.

Alors est-ce que ça veut dire quel'imprévisible échappe à la structure ?Pas nécessairement. C’est qu’il n'estpas impensable de construire,

d’inventer, une structure qui inclue lacontingence.

C'est ce que mettent en valeur lesdeux statuts différents de l'inconscient,ce que Lacan appelait le discours dumaître et le discours analytique.L'inconscient est structuré, l'inconscientest structure. Mais il n'est pas inclut dutout de la même façon dans le discoursdu maître et dans le discoursanalytique.

Dans le discours analytique,l'inconscient se présente sous lesespèces de l’aléatoire, qui est un desnoms de la contingence. Dans lediscours analytique, de l'inconscient onne sait rien à l'avance. C'est ce quecomporte le conseil freudien de toujoursaborder un cas en suspendant le savoirsu, le savoir acquis.

Ce principe, qui fixe la position del'analyste, position de non-savoir, c'est-à-dire de savoir suspendu, pas pourautant annulé, bien entendu, serépercute dans chaque séance où laposition analytique, comme la positionanalysante, comporte la disponibilité àla surprise.

On peut dire même que c'est là quegît le réel propre au discoursanalytique, c'est-à-dire son impossiblepropre si on le cerne par le mathème

S 2 / / S 1

( )

S2 double barre S1, la double barre icivoulant dire que cette flèche estimpossible, celle qui verrait un signifiantse faire le maître du savoir. Et dans lediscours analytique, l'inconscient estsitué comme un savoir sans maître.

C'est très différent dans le discoursdu maître. Dans le discours du maîtreau contraire - lorsque Lacan le construitsous ce nom - il est légitime d’écrire S1

flèche S2.

S 1 S 2Il y a un signifiant qui commande le

savoir. Et là, ce qui est mis en valeur aucontraire, c'est la détermination dusavoir. C'est le propre de ce que Freudalléguait pour fonder le réel del'inconscient comme un réel pouvantse soutenir au regard du discours de lascience, c'est le principe de l'action

131

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compulsive. L'action compulsive, çaveut dire qu'on sait à l'avance que ça vase produire. Par exemple vous savez àl'avance que je vais arriver en retard.

À cet égard, c'est avant tout entemps que répétition que l'inconscientfigure dans le discours du maître.

S 1 S 2

Et la répétition est agrégée,mathémisée par cette écriture et l’actioncompulsive nous présente l'inconscientcomme maître. Tandis que dans lediscours analytique l'inconscient, c'estavant tout l'inconscient-vérité, le savoirinconscient à la place de la vérité, avanttout un inconscient qu’on déchiffre et onpeut dire que le terme qui, là, domine,quand on insère l’inconscient dans lediscours analytique et, pour êtreconcret, dans la séance analytique, cequi domine c’est l’interprétation.

i n t e r p r é t a t i o n

S 2 / / S 1

( )

Voilà ce que je désigne comme deuxstatuts différent de l'inconscient.

S 1 S 2

r é p é t i t i o ni n t e r p r é t a t i o n

21

S 2 / / S 1

( )

Ça suppose un statut du sujet qui estdistinct de S1, ça suppose qu’on décèle,à côté de S1, invisible, fantomatique,l'ensemble vide du sujet, c'est-à-direqu’on pose que le sujet comme tel estdistinct de ses identifications.

Dans la séance analytique, on prenden effet le sujet comme tel, distinct deses identifications et de ce fait même,on peut dire que l'inconscient migre deson statut de répétition à son statutd’interprétation.

S 1 S 2

r é p é t i t i o ni n t e r p r é t a t i o n

21

S 2 / / S 1

( )

Quand l'inconscient opère commerépétition, se met en valeur la causalité,tandis que dans le registre del'interprétation, il y a toujours unerupture de causalité.

Le discours analytique produit desS1 dont nous dirons ici que ce sont desinterprétations dont l'effet de vérité, quise produit de ce côté-ci, à gauche, esttoujours aléatoire, indéductible.

i n t e r p r é t a t i o n

1

S 2 / / S 1

( )

C’est pourquoi on peut dire,conformément à ce schéma, que Lacanformule qu’une interprétation dont oncomprend les effets n'est pas uneinterprétation analytique.

L'interprétation analytique qui a deseffets, c'est un impensable, elle franchitcette double barre d'une façon qui restetoujours insaisissable. C’est vraimentopposé, c’est l’inverse de l’automatismede répétition : ici défaillent lesautomatismes. Et j’oppose donc deuxregistres, la répétition, l'interprétation.

Alors si on se pose, de là, laquestion de la séance analytique, dequel côté est-ce qu'elle s'inscrit ? Elles'inscrit d’abord du côté de la répétitionet Lacan affecte à l'expérienceanalytique une régularité quasibureaucratique, comme il s'exprime.

La séance analytique reproduit,parodie, essaye de s’égaler à, larépétition. Et d’ailleurs l'analyste, àl'occasion, est là pour s'inscrire commeS1, celui qui commande que la séance

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analytique soit de l'ordre de la répétitionet même de l'automatisme, avec uncertain : je n’en veut rien savoir. Il y aeu des inondations, un arbre est tombésur ma voiture, il y a la grève, pouh !tout ça allégation, rationalisation, fauxprétexte, excuse, au regard de cetteexigence.

Et donc, connerie nécessaire del'analyste, il manie, maître aveugle,mais aussi la séance analytique, assisesur la répétition, il faut bien direspéculant sur la répétition inconsciente,est aussi le lieu, ah le lieu merveilleux !où s'accomplit l’inversion du statut del’inconscient, cette inversion de larépétition à l’interprétation, l'inversionde la nécessité à la contingence. C’est-à-dire qu’elle est ce lieu où se produitl’événement de l'interprétation, on ne sepressera pas, d'ailleurs, d’affecter àl'analyste, l’événement !

Cette bipartition que je présente, quej’essaye, constitue le fondement de ladéfinition que j'ai avancée le 19 janvier,dans la septième séance de ce Cours,en disant que la séance analytique estl’événement régulier institué par lediscours analytique.

Il y a des événements réguliers, il y ades événements irréguliers. Larégularité, qui dérange certains - il y ades patients qui détestent a régularitérépétitive de l'analyse et qui ne peuvents'analyser qu’en déboulant chez vousun autre jour, à une autre heure. Est-cequ’il faut les mettre à la porte ? C’estselon, ce sont ceux qui éprouvent d’unefaçon spécialement vive l’antinomieentre l'interprétation et la répétition, quifont de la séance elle-même unévénement irrégulier, imprévisible.

Évidemment, ça doit rester plutôtl'exception, en tout cas, normalement,l'analyste s'inscrit, je dis ça parce que jene voudrais pas déclencher unmouvement « je viens quand je veux,comme je veux », mais enfin ça trouveà se situer dans cette tension-là.Normalement l'analyste, en effet,s'inscrit comme le maître de larépétition analytique.

Et c'est bien pourquoi, d'ailleurs, onest conduit à parler de l'analyse entermes de règle, on dit communément

la règle de l'association libre, la règlede l'abstinence, autant de référencesqui sont, là, faites au discours dumaître.

Et il arrive que cette répétition de laséance soit perçue par le sujet lui-même comme une compulsion. Et c’estprécieux, le moment où le sujet peutformuler quelque chose comme « je nesais pas pourquoi je viens ! » La facepositive de cet énoncé c'est « fais làl'expérience dans l'analyse même de larépétition, fondement de la pratique. »

Si on est réaliste, au sens d’ÉricLaurent, on doit se poser la question desavoir pourquoi une analyse se réalise,s'accomplit sous la forme de séances,d’une série finie de séances. De toutefaçon elle est toujours finie, ne serait-ceque par la mort des combattants.

On peut sans doute préciser qu’uneanalyse ne se réduit pas à la série desséances. Thème à développer,l'analyse se poursuivant hors séance ,la présence de l'analyste continuant, seperpétuant au-delà de la rencontre,dans l'anticipation de la rencontre àvenir, par là même il y a adage, commel’évoque Lacan, du comportement del'analysant au-delà de ce qu'il peut ensavoir du fait que ce qui lui arrive, ou cequ'il va faire est destiné à être rapportédans le cadre de la séance analytique.

Ici une analyse ne se réduit pas à lasérie des séances, il n’en demeure pasmoins qu'elle s'en supporte et que cettesérie des séances est bien unecondition, me semble-t-il, sine quanone, de l'existence d'une analyse.

La séance est un événementrégulier, sauf les cas où le sujets’efforce d'en faire un événementirrégulier. Un événement régulier, c'estun événement attendu et donc il fautfaire sa place à l’attente. Ça se règlecouramment dans l’expérienceanalytique de la façon la plusinaperçue, simplement quandl’analyste dit : « je vous attends. » Ce« je vous attends » est de beaucoup deconséquences, parce que l’attente estla condition même de la surprise.

Évidemment, on peut dire mais c’esttout le contraire, la définition de lasurprise, c’est ce qu’on n’attend pas. Si

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c’est ce qu’on n’attend pas, c’est parcequ’on attend autre chose ou,éventuellement, parce qu’on n’attendrien, ce qui est encore une attente quiprend sa forme douloureuse dansl’ennui. Ah, l’ennui est un affectextrêmement complexe et qui n'estentré, d'ailleurs, dans la littérature qu'àun moment très précis que là, enimprovisant, je situerai à Sénancourt.Avant Oberman de Sénancourt, je necrois pas qu'on ait fait une littérature del’ennui. Sénancourt, ce sont lespodromes de l’explosion romantique.

Éventuellement, on peut attendre jene sais quoi, mais il n'y a pas desurprise sans attente et le paradoxe dela séance analytique, c'est qu'on attendet même qu'on espère la surprise, onattend l’imprévisible et quand un patientvient et dit : « aujourd'hui je n'ai rien àdire » ouh ! il faut faire très attention !ça semble au contraire annoncer,promettre, des merveilles, en tout casça met tellement l'accent sur entreguillemets la résistance, qu’on se ditqu’il y a quelque chose qui se cherche.

L’anticipation du rien à dire, à cetégard, vaut beaucoup mieux, aprèstout, que le jaspinage sur lesévénements indifférents de l'existence.

Donc il y a un nouage spécial entrela répétition et la surprise, dansl'expérience analytique. La répétitionqui est la condition sine qua non pourque cette expérience ait lieu mais cettecontrainte est imposée pour que, on nesait quoi d’imprévu se manifeste. Etdonc il y a là, dans ce rendez-vous,présentes les deux faces del'événement, l'événement prévu etl'événement imprévu, qui tous deuxsupposent l’attente.

L’attente est toujours liée à unestructure, elle est toujours dépendante,allons jusque-là, d'un écrit, d’unsignifiant qui a valeur d’écrit, c'est-à-dire valeur de se perpétuer au-delà descirconstances qui ont amené àl'énoncer.

Il y a une très belle analyse de latemporalité par Heidegger dans un descours qui a suivi Zeit und Zeit qui, surdes pages et des pages, commente,essaye de cerner l’essence de l’attente.

Puis on attend, on attend qu’il donne laclef d’une analyse qui se fait attendred’ailleurs. L’exemple qu’il prend c’est :je suis sur un quai de gare et j’attend letrain qui doit arriver. Enfin pourquoi ilattend le train comme ça Heidegger ? Ilattend le train parce qu’il aconnaissance de l'annuaire deschemins de fer et qu’ayant lu que letrain de 8 h 45 doit se présenter, onsuppose, il est là un petit peu enavance et peut-être que le train est unpetit peu en retard sur son heure et ilest là à pouvoir faire la phénoménologiede l’attente.

Peut-être que cet exemple trivial estsuffisant pour dire que l’événement esttoujours lié à un discours, précisémentau discours qui dispose et qui disposel’attente. C'est ce que formule Lacan, jecite : « Il n’y a - c’est dit d’une façon unpeu archaïque, respectons l'énoncé - iln’y a événement, dit Lacan, qu’il ne seplace d'un discours ». Et il faut toujours- je glose, un discours préalable, poursituer un événement, que cetévénement soit régulier et réponde àl’attente, ou que cet événement semanifeste comme irrégulier et imprévu,qualificatifs qui ne peuvent lui venir quede l’attente induite, supposée par undiscours.

Ce que Lacan dit là de l'événement,il l’a dit de l'acte. Et il y a évidemmentun rapport entre l'événement et l’acte.Un acte, c'est un événement dont onpense que quelqu'un en est l’agent.Évidemment, la catégorie del'événement déborde celle de l’actepuisqu’il y a aussi bien l’impersonnel del'événement : ça arrive, il arrive que.

Un discours ne peut pas se passerd’événements. Un discours se traduitdans ce qui arrive, un discours prescritce qui arrive, ça paraît bizarre d’ailleursce « arriver ». Ce mot français vient dulatin vulgaire, comme beaucoup demots les plus distingués, il faut le lirepour s'y faire, ça vient de ad, a, d, et deripa, la rive, le bord.

ad : àripa : rive

En latin vulgaire on disait aripare,pour toucher au port, toucher à la rive.

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Ce serait même le sens propre de cefameux arriver qui doit être dans vosoreilles, celui du Cid « Nous nousvîmes trois mille en arrivant au port, j’encache les deux tiers aussitôt qu’arrivésdans le fond des vaisseaux qui lors futtrouvé. » Eh bien ce « arrivés » c'est aumoins la thèse de Robert, feraitentendre le vieux « toucher à la rive »,« toucher au port ». Quand on arrive,on arrive au port.

Évidemment il faut ajouter que nonseulement le discours ne peut pas sepasser d’événements mais qu’undiscours est institué par un événement.Et c’est pourquoi, en tout casconcernant le discours analytique,Lacan évoque l’événement-Freudcomme instituant le discours analytique.

Si on le prend au sérieux, le thèmel’événement de discours n'est pas deplacer, de procéder ici à unecomparaison, induite par Lacan, entrele discours analytique et le discours dela religion.

Lacan y procède dans leSéminaire XI et il situe la comparaisonau niveau de l'événement etprécisément au niveau de cetévénement spécial, codé, qui s’appelleun sacrement. Un sacrement, c'est uneopération prescrite par le discours de lareligion et dont Lacan dit même qu'elley est, cette opération, volontiersoubliée. Page deux cent trente neuf :« Dans toute religion qui mérite cettequalification, il y a une dimensionessentielle à réserver quelque chosed’opératoire, qui s'appelle unsacrement ». Cette dimensionessentielle et opératoire, cette action,est celle que Lacan dit marquée del’oubli dans la religion et sans douteparce que, de façon peut-être rapide, illa qualifie de magique, il évoque lefondement magique de la religion.

Sans doute avez-vous une meilleureidée de ce que c’est qu’un sacrement sivous vous êtes plongés dans le petittraité du baptême de Tertullien, premiertraité chrétien sacramentaire, comme ildit.

Qu'est-ce qu'un sacrement ? Ce quinous intéresse, c’est la différence entrele sacrement et la séance analytique.

Un sacrement, c'est une pratique, c’estune sorte de séance religieuse dont onattends un effet mutatif sur le sujet, onne serait pas le même après qu'avant.

Et c'est ainsi qu'on peut l’évoquer.On peut évoquer en particulierl'événement qui conclut l’existence, enparticulier l’évènement de la mort, onpeut entendre un prêtre, ça m’est arrivéhier, partageant l'assistance entre lesbaptisés et les non-baptisés, en invitantbien sûr les uns comme les autres à serecueillir, c'est moderne. Mais enfin,avoir été baptisé, c’est une distinctiondu sujet qui se réfère à un événementantérieur, qui est supposé mettre dansune posture, conférer une qualitédistincte au cours de son existence etjusqu'à son état de dépouille.

Cet effet mutatif est quand mêmetoujours, il me semble que je ne forcepas, là, le point de vue elliptique deLacan, de l’ordre d'unetranssubstantiation, on change quelquechose à la substance de l’être.

On a commencé ça dans l’églisesous une forme sauvage, spontanée. Ila fallu attendre le XII° siècle, siècleéminent, là, dans le millénaire antérieur,c'est là aussi que le discours del'Université émerge, c’est éminent pource qui est de la formalisation despratiques. Il a fallu attendre le XII°siècle pour que la pratiquesacramentaire soit mise en forme, pourqu’on énumère les sacrements et qu’onexplique bien comment il fallait s’yprendre et finalement ça remonte, sousdes formes non codifiées, aux originesmême de l’église.

Le discours de la religion dispose eneffet des actes concrets, matériels, quise trouvent investis d’une significationessentielle, mystérieuse. D’ailleurs,avant qu’on n’emploie le nom desacrement, on disait le mystère. C’estau XII° siècle qu’on est allé chercher lemot sacramentum dans le discoursjuridique où ça qualifiait un geste sacrélié à un engagement. On est allé, lorsde ce grand mouvement de mise enforme du XII° siècle qui s’est étendu àde très nombreuses pratiques, on estallé chercher le discours juridique,puisque le mystère paraissait

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équivoque, obscur, on est allé chercherle sacramentum juridique, ce qui n'apas empêché d’ailleurs qu’on continuede chercher des étymologies, d’ailleursc'était un mot qu’Isidore de Sévilleconsidérait comme lié au secret,sacramentum.

Alors le fait d’investir un acte concretmatériel, d'une significationsurpuissante transforme cet acte lui-même en événement signifiant. Et c'estce qui permet de dire du sacrement quecelui qui l’accomplit, par un ministère,d'un homme, d’un homme ! Tertulliendit : « quand même les femmes ne vontne vont pas avoir le culot de vouloirbaptiser, qu’en définitive c’est Dieu quiaccomplit l'événement du sacrement. »,Le sacrement est un acte divinaccomplit par le biais, par le relais del’église.

Et c’est spécialement un événementqui concerne le corps, qui est fait d’uneparole et d’un geste dirigé vers le corpset qui sont investis d’une valeurspéciale qu’on ne peut mieux qualifierqu’en disant qu’elle est sacramentaire.

Je dirais que c'est une définition à laSganarelle, exactement,l’investissement d’un certain événementprescrit par un plus de signification.

Alors évidemment, on peut en faireune description cynique, empirique, endisant : on prend de l’eau, on faitquelques gestes, et puis on aspergeetc. Il n’empêche qu’aujourd’hui encore,on vous rappellera que cette eau,comme fait Tertullien, c’est aussi l’eauoriginelle, c’est aussi l’eau du Jourdainet voilà que cette eau, même si c’estl’eau du robinet, commevraisemblablement, est en même tempsmystérieusement en communicationavec une signification de l'eau dontLacan laisse entendre que ça n'est pasautre chose qu’une croyance magique.Le cynisme de Lacan va jusque-là.

C’est simplement dire que lesacrement est un événement quimobilise des éléments matériels,visibles, tangibles et qui conduisent àl’invisible, qui actualisent le mystère.

Alors le sacrement commeévénement de discours a une structure,ça n'est pas dans tous les cas que l’eau

du robinet prend cette valeur, il fautsans doute le signifiant matériel, etd’ailleurs au XII° siècle déjà, on qualified’elementum, l’élément, et puis il faut,deuxièmement, le ministère, le ministre,qui accomplit le sacrement, qui présideet qui se trouve mystérieusementl’analogon du Christ et puis il fautl'assemblée des fidèles qui assistent etqui témoignent.

L'arrière-plan, il y a un arrière-planqui justement projette dans l'au-delàl’elementum, l’eau du robinet bêtecomme chou, l'arrière-plan qui projettedans l’au-delà, c’est que lessacrements répètent l'histoire du Christ,ce qu'il a accomplit, les événements deson histoire, de telle sorte quel’événement qui peut être par unedescription cynique réduit à presquerien, cet l'événement-sacrementcommémore l'événement-Christ. C’estce que dit Saint-Augustin : « Il y asacrement dans une célébration quandmémoire est faite d’un événement ».

Finalement, donc, c’est codé et puisça a dû être fondé. Quand on litTertullien, on voit la polémique qui a éténécessaire pour accréditer la notionqu’avec ces quelques manigances, cesquelques manipulations, en effet, onobtient un contact avec l'esprit.

Il dit très joliment, il avait beaucoupde verve Tertullien comme vous avezpu lire, il en avait même tellement qu’ila fini par retourner cette verve contrel’église : « Tout se passe avec la plusgrande simplicité », dit-il, « sans miseen scène, sans apparat extraordinaire,bref sans autre luxe, l’homme descenddans l’eau, il y est plongé, tandis qu'onprononce de brèves paroles ».

Voilà ce qui nous donne leséléments qui entrent dans lacomposition du sacrement, une actionmatérielle et même corporelle, comme ildira, et puis on y ajoute de la parole.

« Il en ressort à peine plus propre oupas du tout, aussi trouve-t-onincroyable qu'il puisse, par là, acquérirl’éternité. Mais ma parole, c’est surl’éclat extérieur, l’apparat, le luxe, queles sollanités, les mystérieux, les idolesfondent leur autorité et la foi qu'on leurprête, oh ! misérable incrédulité, toi qui

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refuse à Dieu ce qui lui revient aupropre, la simplicité et la puissance.Quoi donc ? N'est-ce pas étonnantqu’un bain puisse dissoudre la mort,parce que c'est étonnant est-ce uneraison pour ne pas croire ? Aucontraire, c'est une raison pour croireencore plus. »

Nous avons ensuite les argumentsles plus échevelés pour fonder ici laqualité de l’eau, la présence de l’eau,on la fonde aussi bien par le fait que lespaïens eux-mêmes reconnaissent quel’eau a des propriétés singulières. Pagequatre vingt deux : « …chez lesAnciens, celui qui s'était renducoupable d’un homicide devait recourirà une eau de purification. Si donc ilsrévèrent la nature de l’eau, combienplus réellement les eaux procureront-elles ce bienfait par l’autorité de Dieude qui elles tiennent toute leur nature. »

0n trouve une preuve même dans lefait que le diable, volontiers, se servede l’eau « … les esprit impurs necouvrent-ils pas les eaux, contrefaisantl'Esprit divin porté sur elles auxpremiers jours du monde ? Les sourcesombragées et les ruisseaux sauvagesen savent quelque chose, et cespiscines thermales et ces aqueducs,ces citernes ou ces puits qui, dans lesmaisons ont la réputation d'ensorceler :ils le font précisément par la puissanced’un esprit mauvais. » À quoi bonrappeler tout cela ? Sinon queprécisément l’eau se perpétue dans lechristianisme et cette fois-ci ce sont« les eaux du Saint Ange de Dieu envue de notre salut » etc.

On y ajoute l'antique discipline del'huile, c'est-à-dire qu’on montre biencomment les éléments qui entrent dansle sacrement sont repris de pratiquesanciennes, volontiers païennes maisqu’elles sont, là, dotées d’unesignification toute nouvelle : [page 87]« Ensuite, à la sortie du bain, nousrecevons une onction d’huile bénite,conformément à la discipline antique.Selon celle-ci, on avait coutumed’élever au sacerdoce par une onctiond’huile répandue de la corne (…) Pournous aussi l’onction coule sur le corpsmais nous profite spirituellement,

comme le rite lui-même du baptême estune action corporelle puisque noussommes immergés dans l’eau et queson effet est spirituel. » Tout est là, c’esttrès bien dit. « Il s'agit d'une actioncorporelle ayant des effets spirituels ».

On peut dire c’est ça la définitionminimale du sacrement et je n’ajoutepour la distraction la polémique finalede Tertullien qui explique à qui revientde procéder au sacrement : « … àl’évêque, s’il est là ; après lui au prêtreet au diacre, mais jamais sansl’autorisation de l’évêque (…) En plus,les laïcs en ont aussi le pouvoir. (…)Comme la Parole, (…) ainsi le baptêmelui aussi vient de Dieu, tous peuvent leconférer. (…) Tout est permis, a ditl’apôtre très Saint, mais tout n'est pasopportun. Il suffit donc d’user de cettefacilité lorsque c’est nécessaire. »

L’évêque, le prêtre et puis, si on nepeut pas faire autrement, le laïc, maispas les femmes… « Mais l’effronteriede la femme qui a déjà usurpé le droitd’enseigner » - ça a déjà commencé -« n’ira pas jusqu'à s’arroger celui debaptiser, à moins que ne surgissentquelques nouvelles bêtes semblables àla première. (…) est-il vraisemblableque l’apôtre donne à la femme lepouvoir d'enseigner et de baptiser, luiqui ne donna aux épouses qu’avecrestriction la permission de s'instruire ?Qu'elles se taisent, dit-il, et qu’ellesquestionnent chez elles leurs maris ».C'est une facilité là, c'est pour vousinviter à la lecture de ces ouvrages despères de l'église.

Lacan, remarquons-le, c'est à çaqu'il se réfère, il qualifie tout de mêmecette opération là, c’est l’événement dediscours prescrit par le discours de lareligion, par l'oubli où cela tomberaitdans la religion et il l’oppose à lapsychanalyse, qui, elle, n’aurait rien àoublier. Il explique ce terme d’oubli, quiévidemment peut surprendre puisque lesacrement, loin d'être oublié, fait l’objetd’un discours tout à fait précis. Ce qu'ilentend par là c'est que la psychanalysen'a rien à oublier, dit-il, car ellen'implique nulle reconnaissanced'aucune substance sur quoi elleprétende d’opérer, même celle de la

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sexualité. Et on voit bien pourquoiLacan dans une page, quelquesparagraphes, introduit cettecomparaison, c’est pour mettre envaleur que la psychanalyse, elle, n’a defondement que de paroles alors que lesacrement suppose une actioncorporelle, « plus - comme le noteTertullien - les brèves paroles quis’ajoutent. »

Alors que dans la psychanalyse aufond, impute Lacan, il n’y a que laparole. On ne prétend pas opérer surune substance qui se trouverait làtransformée, on n’opère que sur le sujetbarré. Et là la barre du S veut dire : ici iln'y a pas de substance ; c'est le pureffet de la parole.

L'opération psychanalytique etl'événement qu'elle détermine, à savoirla séance analytique, serait uneopération de pure parole sanssubstance. Et c'est seulement quandelle l'oublie, laisse entendre Lacan,qu’elle vire à la cérémonie.

À ça d'ailleurs, on peut tout demême faire une objection : c’est quel'opération analytique ne porte passeulement sur le sujet barré, qu'elleporte aussi du même coup sur lajouissance où sur le plus-de-jouir et,comme Lacan sera amené à le direplus tard dans le Séminaire XX, lajouissance n'est pas sans substance.

Il le dit dans le Séminaire XXpuisqu’il y amène la substancejouissante, que précisément l'opérationanalytique ne se suffit pas de ne seréférer qu'au sujet barré, ne se suffitpas de se référer qu’au sujet de laparole.

Et, de fait, si on considère lapsychanalyse par le biais de la séance,il apparaît qu’il faut au moins ça, lerendez-vous des corps, la séanceanalytique est un rendez-vous descorps, des corps en présence. Mais quemalgré, enfin les folies qui ont pu venirici et là à certains, on ne fait pas depsychanalyse par correspondance, eton ne fait pas non plus même partéléphone. Il y a un rendez-vous descorps qui, en effet, prête d'autant plus àce virage à la cérémonie.

Même si la psychanalyse n'accomplitaucune transsubstantiation de lajouissance, mais plutôt ce qu'onpourrait appeler unetranssubjectivation, pour qualifier lamutation subjective.

On peut ajouter, dans le chapitre desracines judéo-chrétienne de lapsychanalyse, qu’on a pu dire quec'était le propre du judéo-christianisme,que d'avoir introduit une temporalitéd’événement. Et en particulier lechristianisme - ça a fait partie de sonscandale initial, ça a fait partie de sasubversion initiale - le christianisme aintroduit des événements essentielsdans un monde hellénique à qui cettecatégorie était tout à fait étrangère, auniveau du divin.

Le christianisme a introduitl’événement, la décision et la crise. Il aintroduit la notion d’événement sacré.La création du monde, la chute del'homme, l'alliance avec Dieu,l'émergence des prophètes,l'incarnation du fils de Dieu,l’événement de la croix et du tombeauvide et de la Pentecôte, voilà autant denotions, une histoire scandée par desévénements inoubliables et répétés àtravers des siècles et des siècles et ilfaut bien dire que nous sommes, ycompris dans la psychanalyse,dépendants de cette histoireévénementielle et qui là était misedavantage en valeur par l’effort savant,universitaire, de séparer l'histoireévénementielle des histoires de lalongue durée.

Voilà un peu de quoi - loin de moil’idée de transformer la séanceanalytique en événement sacré - mais,évidemment, de cette comparaison, ilretombe quelque chose pour lapsychanalyse sur la séance analytique.

Au fond ça nous aide, la référenceau sacrement, à l’opération dusacrement, nous aide peut-être à érigerla séance analytique comme unévénement essentiel du discoursanalytique et tenter de lui donner lestatut qu'elle mérite.

Alors faisons maintenant retour auxeffets de sujet qui, dans le discoursanalytique et dans sa réalisation sous

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forme de séance, sont mis au travail,dans les faits, l'opération quis'accomplit dans la séance analytique.

On peut dire qu’il s’accomplit dans laséance analytique une connexionsaisissante avec les puissancesinvisibles de l'inconscient. Ça, ce seraitla vision sacramentaire de la séanceanalytique.

On pourrait essayer ça, dans laséance analytique, il s’opère unemutation de l'inconscient sous la formesuivante : les effets de sujet sont mis autravail, c'est-à-dire invités às’accumuler , à se constituer ensavoirs. Alors que, à l'état sauvage, lesformations de l'inconscient, lesmanifestations de l'inconscient, seprésentent sous forme de surprise,d’événements erratiques et passagers,ou alors sous forme d'actionscompulsives, prévisibles, dans laséance analytique, les effets del'inconscient-sujet changent de statut,ils s'accumulent, se constituent ensavoirs et on peut dire ça demande dutemps. Et en particulier la temporalité,là, se modifie.

Cette introduction du savoir et dutemps, c'est à partir comme de làmême que Lacan a songé de définir letransfert, puisqu’en 1966 - vous letrouvez en note dans les Écrits - ildéfinit le transfert comme l’immixtion dutemps de savoir. C'est précisémentdans la connexion du transfert et dutemps que Lacan a cherché la définitiondu transfert, au point même de le faireéquivaloir une fois au concept chezHegel, un concept qui demande dutemps pour se développer, du temps etpas seulement de la durée, si onentend par durée un temps continu.

La durée, c’est le temps dudéveloppement, comme continu. Lesavoir demande du temps, et nonseulement de la durée, parce qu’ildemande des scansions. Desscansions : une scansion ça n’est passimplement un arrêt, ça n'est passimplement une pause, comme on estfatigué à gravir une pente on s'arrête,on casse la croûte… La scansion, çacomporte l'acquisition d'un résultat

partiel, mais qui, comme tel, accomplitune mutation du problème initial.

Alors ça n'est pas un hasard si lesÉcrits de Lacan sont composés commeils le sont, avec leur fondement, lefondement de la composition, c'est lachronologie et donc ce qui s'inscritcomme une infraction à cettechronologie, évidemment, tire l’œil.

Il y a une infraction patente, signaléepar Lacan, qui est celle qui amène leSéminaire de « la Lettre volée » en têtedes Écrits. Comme dit Lacan, c'est unefaçon de s’introduire à sonenseignement par un texte qui donnede son premier enseignement unenotion facilement accessible à partir del’apologue littéraire. C'est la premièrepartie des Écrits.

La seconde renoue avec l'ordrechronologique. Lacan a qualifié cettepartie de ses Écrits « De nosantécédents », mettant en valeur qu’ilsitue lui-même le début de sonenseignement à « Fonction et champde la parole et du langage » qui fait laquatrième partie des Écrits. Et il y adonc quelque chose qui s'inscrit,décalé, entre ces antécédents et puis lecommencement de son enseignementproprement dit. Il y a une troisièmepartie, qui est là en sandwich, et il vautla peine de s'apercevoir de quoi elle estcomposée, cette troisième partie.

Elle est composée de deux articlesqui sont l'article « Le temps logique »,1944 et l'« Intervention sur letransfert », en 1951. Et, là, ça échappetout à fait à la prescriptionchronologique, ça répond à ce queLacan évoque d’un rassemblement quise motive d’une nécessité plus intimeque celle de la chronologie.

Ces deux textes, qui sont comme lescariatides posées à l’entrée del'enseignement de Lacan, « Le tempslogique » et l'« Intervention sur letransfert », et qui marquent l'entréedans la voie majeure de sonenseignement, on peut dire que sousdeux aspects différents, ils portent surle même objet, à savoir le temps desavoir, sous l'aspect du temps logiqueet sous les aspects du transfert.

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Le temps logique. Le temps logiquenous présente un parcours scandé,pour arriver à une conclusion qui estd'ailleurs une action et ce qui reste ensuspend tout au long de cette histoire,c'est à quel moment l'action va pouvoirs'accomplir, à quel moment la logiquedont il est question, l'argumentation, ladémonstration, la déduction, à quelmoment elle va pouvoir prendre laforme d’une action ?

Ce parcours met en valeur lanécessité de conclusions intermédiairesauxquelles il faut préalablement arriver,conclusions intermédiaires qui modifientle problème initial.

Et, comme vous le savez, ceparcours est fait pour mettre en valeur,la dépendance du sujet à l'égardd'autrui, à l’égard des autres qui, danscette histoire, sont des autresstrictement équivalents au sujet lui-même, au point que le mot même desujet d’ailleurs est absent, ce sont desautres, une population de raisonneurs,en l’occurrence de trois raisonneursstrictement équivalents, dont ladifférence est seulement numérique,c'est-à-dire qu'ils n’ont aucune propriétéqui les individualise, sinon le nombrequ'ils sont. A, B, C. Ils n’ont aucuneautre qualité qui les distingue que le faitd'être trois. Le raisonnement, d’ailleurs,vaut pour un nombre plus important eton peut soutenir que c'est dans ce« tous pareil » et donc dansl'équivalence quantitative de la duréedu raisonnement que repose lecaractère de sophisme del'argumentation.

Il faudra revenir sur le mot desophisme, le sophisme, ce n'est passimplement une erreur, ce n'est passimplement un raisonnement faux, lesophisme ça a toujours été, depuisl'Antiquité, une discipline. Le sophisme,c'est un stratagème, un stratagèmesophistique qui a pour but, précisément,de mettre en valeur une défaillance dela logique. Le sophisme s'inscritexactement en grand S de A barré.

C'est le point où l'ordre du discoursest mis à l’épreuve, est mis en défautpar une articulation signifiante elle-même qu'il n’arrive pas à normaliser.

L'invention de sophismes, laprésentation de sophismes, l'effort pourrésoudre des sophismes est, depuis laplus haute Antiquité, un exercice qui aété valorisé comme tel pour réfléchirsur le logos.

À l'article du « Temps logique »,Lacan lui-même fait répondre sonintervention sur le transfert et son« Intervention sur le transfert » metaussi en valeur un temps logique,investi dans la cure analytique.

Là, Lacan dit sujet, terme quimanque dans l'article du « Tempslogique ». On peut dire que c’est unprogrès, on peut dire qu'il nousprésente là la notion qui va, en effet,parcourir tout son enseignement, êtreun fil de son enseignement, la notiond'une cure analytique comme curelogique, comme cure démonstrative,débouchant sur une conclusion. Etquand, des années plus tard, Lacanreviendra avec la passe, quand ilnommera la fin de l'analyse la passe,ça se fera au titre de démonstrationaccomplie dans une cure, dans unecure logique. Donc une invitation àattraper l'expérience analytique à partird’une formalisation susceptible d’unedémonstration. C'est une orientationnon sacramentaire de la cureanalytique.

La cure ne repose pas sur la mise enrapport avec des puissances invisibles,la cure est un processus logique,aboutissant à une démonstration. Cettelogique, dans ce texte, s’appelledialectique. C'est la première formesous laquelle Lacan a approché lalogique, il ne l'a pas approchéetellement sous la forme de la logiquemathématique, il s’est soutenu, au fond,de la Phénoménologie de l'esprit deHegel.

Et donc il nous narre la cure, unecure de Freud, celle de Dora, sous laforme d'une série de développementsde la vérité et de renversementdialectique, c'est-à-dire sous la formed'une série de transmutations logiquesde la vérité où on voit la position dusujet successivement changer, ce quilui permet de prétendre avoir défini letransfert en termes de pure dialectique.

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Je relève d'ailleurs que page 225 desÉcrits, il souligne que « le transfert n'estrien de réel dans le sujet » - de lamême façon que dans sa « Propositionde 1967 », où il introduit la passe, il dira« le sujet-supposé-savoir n'est pas réelen effet. »

Seulement, disons que ce texte del' « Intervention sur le transfert », quinous promet une définition dialectiqueet donc logique du transfert, tournecourt sur la définition du transfert et onle voit, comme ça, se bloquer là-dessus, il choisit de définir le transferten termes dialectiques mais comme cequi constitue un point mort de ladialectique.

« Le transfert, dit-il, correspond à unpoint mort de la dialectique, quandapparaissent dans un moment destagnation de la dialectique les modespermanents de la constitution de sesobjets par le sujet. »

Autrement dit, on peut dire que cetexte, évidemment, est orienté par ceque Lacan finalement écrira sous laforme de ces vecteurs croisés, il met envaleur une dialectique logique,symbolique, qui progresse et il situe letransfert en termes dialectiques commeun point mort de cette dialectiquedépendant de l'imaginaire.

S y m b .I m a g .

a - a '

Et c'est pourquoi il peut dire cetteénormité au regard de sonenseignement suivant, le transfert estune entité toute relative au contre-transfert. Et il donne cette formulation,parce qu'il pense le transfert à partir dea-a prime (a-a’), à partir de l'imaginaire,auquel cas il dit le transfert c'estl’envers du contre-transfert.

Et donc il réserve, il exclut dutransfert tout ce qui est la logique deces développements et de cesrenversements de la vérité.

On peut dire que, au contraire, ladoctrine du transfert chez Lacan, unefois son enseignement commencé,consiste à rapatrier le transfert sur l'axesymbolique.

S y m b .I m a g .

a - a '

T r a n s f e r t

C'est-à-dire, et c'est ça que veut direle sujet-supposé-savoir, que le transfertest un phénomène de pure logique, quele sujet-supposé-savoir est un effetsignifiant de signification et que laséance analytique comme telleparticipe d'une mise en formesignifiante du réel.

Eh bien je ne vais pas m'engagertout de suite dans le commentaire plusprécis de ce temps logique, vousattendrez la semaine prochaine, etj'espère jouir de l’appui de quelqu’unpour aborder cette face de la question.

À la semaine prochaine.

Fin du Cours X de Jacques-AlainMiller du 01 mars 2000.

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LES US DU LAPS

Jacques-Alain Miller

Dixième séance du Cours

(mercredi 3 mars 2000)

X

Qu'est-ce que la séance analytique ?C'est d'abord une question, cettequestion : qu'est-ce que la séanceanalytique peut nous poser ?

Cette question n'est pas unequestion secondaire, périphérique,accessoire si, du moins, on est réaliste.Réaliste s’entend dans des sens divers,pour simplifier je dirais : si on estréaliste au sens d’Éric Laurent.

Le sens d’Éric Laurent, comment lepréciser, être réaliste au sens d’ÉricLaurent - c’est une définition que jepropose à mes risques et périls -consiste à ne pas traiter ce qui estempirique comme accessoire, ce quiest empirique, c’est-à-dire ce qui serencontre dans l'expérience, dans lefait. Être réaliste au sens d’Éric Laurent,je me réfère à une petite note que celui-ci a écrite jadis, c’est toujours rapporterl’expérience à la structure, c'est-à-direne pas se satisfaire de considérer quel'expérience est toujours à distance dela structure sous prétexte de ce que çane se passe jamais comme c’étaitprévu. Mais c'est vrai, ça ne se passejamais comme c’était prévu.

On en pourrait en faire une loi ou unprincipe. Mais le reconnaître,reconnaître que ça ne se passe jamaiscomme c’était prévu, ça n’est quereconnaître la contingence.

Alors est-ce que ça veut dire quel'imprévisible échappe à la structure ?Pas nécessairement. C’est qu’il n'estpas impensable de construire,

d’inventer, une structure qui inclue lacontingence.

C'est ce que mettent en valeur lesdeux statuts différents de l'inconscient,ce que Lacan appelait le discours dumaître et le discours analytique.L'inconscient est structuré, l'inconscientest structure. Mais il n'est pas inclut dutout de la même façon dans le discoursdu maître et dans le discoursanalytique.

Dans le discours analytique,l'inconscient se présente sous lesespèces de l’aléatoire, qui est un desnoms de la contingence. Dans lediscours analytique, de l'inconscient onne sait rien à l'avance. C'est ce quecomporte le conseil freudien de toujoursaborder un cas en suspendant le savoirsu, le savoir acquis.

Ce principe, qui fixe la position del'analyste, position de non-savoir, c'est-à-dire de savoir suspendu, pas pourautant annulé, bien entendu, serépercute dans chaque séance où laposition analytique, comme la positionanalysante, comporte la disponibilité àla surprise.

On peut dire même que c'est là quegît le réel propre au discoursanalytique, c'est-à-dire son impossiblepropre si on le cerne par le mathème

S 2 / / S 1

( )

S2 double barre S1, la double barre icivoulant dire que cette flèche estimpossible, celle qui verrait un signifiantse faire le maître du savoir. Et dans lediscours analytique, l'inconscient estsitué comme un savoir sans maître.

C'est très différent dans le discoursdu maître. Dans le discours du maîtreau contraire - lorsque Lacan le construitsous ce nom - il est légitime d’écrire S1

flèche S2.

S 1 S 2Il y a un signifiant qui commande le

savoir. Et là, ce qui est mis en valeur aucontraire, c'est la détermination dusavoir. C'est le propre de ce que Freudalléguait pour fonder le réel del'inconscient comme un réel pouvantse soutenir au regard du discours de lascience, c'est le principe de l'action

131

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compulsive. L'action compulsive, çaveut dire qu'on sait à l'avance que ça vase produire. Par exemple vous savez àl'avance que je vais arriver en retard.

À cet égard, c'est avant tout entemps que répétition que l'inconscientfigure dans le discours du maître.

S 1 S 2

Et la répétition est agrégée,mathémisée par cette écriture et l’actioncompulsive nous présente l'inconscientcomme maître. Tandis que dans lediscours analytique l'inconscient, c'estavant tout l'inconscient-vérité, le savoirinconscient à la place de la vérité, avanttout un inconscient qu’on déchiffre et onpeut dire que le terme qui, là, domine,quand on insère l’inconscient dans lediscours analytique et, pour êtreconcret, dans la séance analytique, cequi domine c’est l’interprétation.

i n t e r p r é t a t i o n

S 2 / / S 1

( )

Voilà ce que je désigne comme deuxstatuts différent de l'inconscient.

S 1 S 2

r é p é t i t i o ni n t e r p r é t a t i o n

21

S 2 / / S 1

( )

Ça suppose un statut du sujet qui estdistinct de S1, ça suppose qu’on décèle,à côté de S1, invisible, fantomatique,l'ensemble vide du sujet, c'est-à-direqu’on pose que le sujet comme tel estdistinct de ses identifications.

Dans la séance analytique, on prenden effet le sujet comme tel, distinct deses identifications et de ce fait même,on peut dire que l'inconscient migre deson statut de répétition à son statutd’interprétation.

S 1 S 2

r é p é t i t i o ni n t e r p r é t a t i o n

21

S 2 / / S 1

( )

Quand l'inconscient opère commerépétition, se met en valeur la causalité,tandis que dans le registre del'interprétation, il y a toujours unerupture de causalité.

Le discours analytique produit desS1 dont nous dirons ici que ce sont desinterprétations dont l'effet de vérité, quise produit de ce côté-ci, à gauche, esttoujours aléatoire, indéductible.

i n t e r p r é t a t i o n

1

S 2 / / S 1

( )

C’est pourquoi on peut dire,conformément à ce schéma, que Lacanformule qu’une interprétation dont oncomprend les effets n'est pas uneinterprétation analytique.

L'interprétation analytique qui a deseffets, c'est un impensable, elle franchitcette double barre d'une façon qui restetoujours insaisissable. C’est vraimentopposé, c’est l’inverse de l’automatismede répétition : ici défaillent lesautomatismes. Et j’oppose donc deuxregistres, la répétition, l'interprétation.

Alors si on se pose, de là, laquestion de la séance analytique, dequel côté est-ce qu'elle s'inscrit ? Elles'inscrit d’abord du côté de la répétitionet Lacan affecte à l'expérienceanalytique une régularité quasibureaucratique, comme il s'exprime.

La séance analytique reproduit,parodie, essaye de s’égaler à, larépétition. Et d’ailleurs l'analyste, àl'occasion, est là pour s'inscrire commeS1, celui qui commande que la séance

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analytique soit de l'ordre de la répétitionet même de l'automatisme, avec uncertain : je n’en veut rien savoir. Il y aeu des inondations, un arbre est tombésur ma voiture, il y a la grève, pouh !tout ça allégation, rationalisation, fauxprétexte, excuse, au regard de cetteexigence.

Et donc, connerie nécessaire del'analyste, il manie, maître aveugle,mais aussi la séance analytique, assisesur la répétition, il faut bien direspéculant sur la répétition inconsciente,est aussi le lieu, ah le lieu merveilleux !où s'accomplit l’inversion du statut del’inconscient, cette inversion de larépétition à l’interprétation, l'inversionde la nécessité à la contingence. C’est-à-dire qu’elle est ce lieu où se produitl’événement de l'interprétation, on ne sepressera pas, d'ailleurs, d’affecter àl'analyste, l’événement !

Cette bipartition que je présente, quej’essaye, constitue le fondement de ladéfinition que j'ai avancée le 19 janvier,dans la septième séance de ce Cours,en disant que la séance analytique estl’événement régulier institué par lediscours analytique.

Il y a des événements réguliers, il y ades événements irréguliers. Larégularité, qui dérange certains - il y ades patients qui détestent a régularitérépétitive de l'analyse et qui ne peuvents'analyser qu’en déboulant chez vousun autre jour, à une autre heure. Est-cequ’il faut les mettre à la porte ? C’estselon, ce sont ceux qui éprouvent d’unefaçon spécialement vive l’antinomieentre l'interprétation et la répétition, quifont de la séance elle-même unévénement irrégulier, imprévisible.

Évidemment, ça doit rester plutôtl'exception, en tout cas, normalement,l'analyste s'inscrit, je dis ça parce que jene voudrais pas déclencher unmouvement « je viens quand je veux,comme je veux », mais enfin ça trouveà se situer dans cette tension-là.Normalement l'analyste, en effet,s'inscrit comme le maître de larépétition analytique.

Et c'est bien pourquoi, d'ailleurs, onest conduit à parler de l'analyse entermes de règle, on dit communément

la règle de l'association libre, la règlede l'abstinence, autant de référencesqui sont, là, faites au discours dumaître.

Et il arrive que cette répétition de laséance soit perçue par le sujet lui-même comme une compulsion. Et c’estprécieux, le moment où le sujet peutformuler quelque chose comme « je nesais pas pourquoi je viens ! » La facepositive de cet énoncé c'est « fais làl'expérience dans l'analyse même de larépétition, fondement de la pratique. »

Si on est réaliste, au sens d’ÉricLaurent, on doit se poser la question desavoir pourquoi une analyse se réalise,s'accomplit sous la forme de séances,d’une série finie de séances. De toutefaçon elle est toujours finie, ne serait-ceque par la mort des combattants.

On peut sans doute préciser qu’uneanalyse ne se réduit pas à la série desséances. Thème à développer,l'analyse se poursuivant hors séance ,la présence de l'analyste continuant, seperpétuant au-delà de la rencontre,dans l'anticipation de la rencontre àvenir, par là même il y a adage, commel’évoque Lacan, du comportement del'analysant au-delà de ce qu'il peut ensavoir du fait que ce qui lui arrive, ou cequ'il va faire est destiné à être rapportédans le cadre de la séance analytique.

Ici une analyse ne se réduit pas à lasérie des séances, il n’en demeure pasmoins qu'elle s'en supporte et que cettesérie des séances est bien unecondition, me semble-t-il, sine quanone, de l'existence d'une analyse.

La séance est un événementrégulier, sauf les cas où le sujets’efforce d'en faire un événementirrégulier. Un événement régulier, c'estun événement attendu et donc il fautfaire sa place à l’attente. Ça se règlecouramment dans l’expérienceanalytique de la façon la plusinaperçue, simplement quandl’analyste dit : « je vous attends. » Ce« je vous attends » est de beaucoup deconséquences, parce que l’attente estla condition même de la surprise.

Évidemment, on peut dire mais c’esttout le contraire, la définition de lasurprise, c’est ce qu’on n’attend pas. Si

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c’est ce qu’on n’attend pas, c’est parcequ’on attend autre chose ou,éventuellement, parce qu’on n’attendrien, ce qui est encore une attente quiprend sa forme douloureuse dansl’ennui. Ah, l’ennui est un affectextrêmement complexe et qui n'estentré, d'ailleurs, dans la littérature qu'àun moment très précis que là, enimprovisant, je situerai à Sénancourt.Avant Oberman de Sénancourt, je necrois pas qu'on ait fait une littérature del’ennui. Sénancourt, ce sont lespodromes de l’explosion romantique.

Éventuellement, on peut attendre jene sais quoi, mais il n'y a pas desurprise sans attente et le paradoxe dela séance analytique, c'est qu'on attendet même qu'on espère la surprise, onattend l’imprévisible et quand un patientvient et dit : « aujourd'hui je n'ai rien àdire » ouh ! il faut faire très attention !ça semble au contraire annoncer,promettre, des merveilles, en tout casça met tellement l'accent sur entreguillemets la résistance, qu’on se ditqu’il y a quelque chose qui se cherche.

L’anticipation du rien à dire, à cetégard, vaut beaucoup mieux, aprèstout, que le jaspinage sur lesévénements indifférents de l'existence.

Donc il y a un nouage spécial entrela répétition et la surprise, dansl'expérience analytique. La répétitionqui est la condition sine qua non pourque cette expérience ait lieu mais cettecontrainte est imposée pour que, on nesait quoi d’imprévu se manifeste. Etdonc il y a là, dans ce rendez-vous,présentes les deux faces del'événement, l'événement prévu etl'événement imprévu, qui tous deuxsupposent l’attente.

L’attente est toujours liée à unestructure, elle est toujours dépendante,allons jusque-là, d'un écrit, d’unsignifiant qui a valeur d’écrit, c'est-à-dire valeur de se perpétuer au-delà descirconstances qui ont amené àl'énoncer.

Il y a une très belle analyse de latemporalité par Heidegger dans un descours qui a suivi Zeit und Zeit qui, surdes pages et des pages, commente,essaye de cerner l’essence de l’attente.

Puis on attend, on attend qu’il donne laclef d’une analyse qui se fait attendred’ailleurs. L’exemple qu’il prend c’est :je suis sur un quai de gare et j’attend letrain qui doit arriver. Enfin pourquoi ilattend le train comme ça Heidegger ? Ilattend le train parce qu’il aconnaissance de l'annuaire deschemins de fer et qu’ayant lu que letrain de 8 h 45 doit se présenter, onsuppose, il est là un petit peu enavance et peut-être que le train est unpetit peu en retard sur son heure et ilest là à pouvoir faire la phénoménologiede l’attente.

Peut-être que cet exemple trivial estsuffisant pour dire que l’événement esttoujours lié à un discours, précisémentau discours qui dispose et qui disposel’attente. C'est ce que formule Lacan, jecite : « Il n’y a - c’est dit d’une façon unpeu archaïque, respectons l'énoncé - iln’y a événement, dit Lacan, qu’il ne seplace d'un discours ». Et il faut toujours- je glose, un discours préalable, poursituer un événement, que cetévénement soit régulier et réponde àl’attente, ou que cet événement semanifeste comme irrégulier et imprévu,qualificatifs qui ne peuvent lui venir quede l’attente induite, supposée par undiscours.

Ce que Lacan dit là de l'événement,il l’a dit de l'acte. Et il y a évidemmentun rapport entre l'événement et l’acte.Un acte, c'est un événement dont onpense que quelqu'un en est l’agent.Évidemment, la catégorie del'événement déborde celle de l’actepuisqu’il y a aussi bien l’impersonnel del'événement : ça arrive, il arrive que.

Un discours ne peut pas se passerd’événements. Un discours se traduitdans ce qui arrive, un discours prescritce qui arrive, ça paraît bizarre d’ailleursce « arriver ». Ce mot français vient dulatin vulgaire, comme beaucoup demots les plus distingués, il faut le lirepour s'y faire, ça vient de ad, a, d, et deripa, la rive, le bord.

ad : àripa : rive

En latin vulgaire on disait aripare,pour toucher au port, toucher à la rive.

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Ce serait même le sens propre de cefameux arriver qui doit être dans vosoreilles, celui du Cid « Nous nousvîmes trois mille en arrivant au port, j’encache les deux tiers aussitôt qu’arrivésdans le fond des vaisseaux qui lors futtrouvé. » Eh bien ce « arrivés » c'est aumoins la thèse de Robert, feraitentendre le vieux « toucher à la rive »,« toucher au port ». Quand on arrive,on arrive au port.

Évidemment il faut ajouter que nonseulement le discours ne peut pas sepasser d’événements mais qu’undiscours est institué par un événement.Et c’est pourquoi, en tout casconcernant le discours analytique,Lacan évoque l’événement-Freudcomme instituant le discours analytique.

Si on le prend au sérieux, le thèmel’événement de discours n'est pas deplacer, de procéder ici à unecomparaison, induite par Lacan, entrele discours analytique et le discours dela religion.

Lacan y procède dans leSéminaire XI et il situe la comparaisonau niveau de l'événement etprécisément au niveau de cetévénement spécial, codé, qui s’appelleun sacrement. Un sacrement, c'est uneopération prescrite par le discours de lareligion et dont Lacan dit même qu'elley est, cette opération, volontiersoubliée. Page deux cent trente neuf :« Dans toute religion qui mérite cettequalification, il y a une dimensionessentielle à réserver quelque chosed’opératoire, qui s'appelle unsacrement ». Cette dimensionessentielle et opératoire, cette action,est celle que Lacan dit marquée del’oubli dans la religion et sans douteparce que, de façon peut-être rapide, illa qualifie de magique, il évoque lefondement magique de la religion.

Sans doute avez-vous une meilleureidée de ce que c’est qu’un sacrement sivous vous êtes plongés dans le petittraité du baptême de Tertullien, premiertraité chrétien sacramentaire, comme ildit.

Qu'est-ce qu'un sacrement ? Ce quinous intéresse, c’est la différence entrele sacrement et la séance analytique.

Un sacrement, c'est une pratique, c’estune sorte de séance religieuse dont onattends un effet mutatif sur le sujet, onne serait pas le même après qu'avant.

Et c'est ainsi qu'on peut l’évoquer.On peut évoquer en particulierl'événement qui conclut l’existence, enparticulier l’évènement de la mort, onpeut entendre un prêtre, ça m’est arrivéhier, partageant l'assistance entre lesbaptisés et les non-baptisés, en invitantbien sûr les uns comme les autres à serecueillir, c'est moderne. Mais enfin,avoir été baptisé, c’est une distinctiondu sujet qui se réfère à un événementantérieur, qui est supposé mettre dansune posture, conférer une qualitédistincte au cours de son existence etjusqu'à son état de dépouille.

Cet effet mutatif est quand mêmetoujours, il me semble que je ne forcepas, là, le point de vue elliptique deLacan, de l’ordre d'unetranssubstantiation, on change quelquechose à la substance de l’être.

On a commencé ça dans l’églisesous une forme sauvage, spontanée. Ila fallu attendre le XII° siècle, siècleéminent, là, dans le millénaire antérieur,c'est là aussi que le discours del'Université émerge, c’est éminent pource qui est de la formalisation despratiques. Il a fallu attendre le XII°siècle pour que la pratiquesacramentaire soit mise en forme, pourqu’on énumère les sacrements et qu’onexplique bien comment il fallait s’yprendre et finalement ça remonte, sousdes formes non codifiées, aux originesmême de l’église.

Le discours de la religion dispose eneffet des actes concrets, matériels, quise trouvent investis d’une significationessentielle, mystérieuse. D’ailleurs,avant qu’on n’emploie le nom desacrement, on disait le mystère. C’estau XII° siècle qu’on est allé chercher lemot sacramentum dans le discoursjuridique où ça qualifiait un geste sacrélié à un engagement. On est allé, lorsde ce grand mouvement de mise enforme du XII° siècle qui s’est étendu àde très nombreuses pratiques, on estallé chercher le discours juridique,puisque le mystère paraissait

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équivoque, obscur, on est allé chercherle sacramentum juridique, ce qui n'apas empêché d’ailleurs qu’on continuede chercher des étymologies, d’ailleursc'était un mot qu’Isidore de Sévilleconsidérait comme lié au secret,sacramentum.

Alors le fait d’investir un acte concretmatériel, d'une significationsurpuissante transforme cet acte lui-même en événement signifiant. Et c'estce qui permet de dire du sacrement quecelui qui l’accomplit, par un ministère,d'un homme, d’un homme ! Tertulliendit : « quand même les femmes ne vontne vont pas avoir le culot de vouloirbaptiser, qu’en définitive c’est Dieu quiaccomplit l'événement du sacrement. »,Le sacrement est un acte divinaccomplit par le biais, par le relais del’église.

Et c’est spécialement un événementqui concerne le corps, qui est fait d’uneparole et d’un geste dirigé vers le corpset qui sont investis d’une valeurspéciale qu’on ne peut mieux qualifierqu’en disant qu’elle est sacramentaire.

Je dirais que c'est une définition à laSganarelle, exactement,l’investissement d’un certain événementprescrit par un plus de signification.

Alors évidemment, on peut en faireune description cynique, empirique, endisant : on prend de l’eau, on faitquelques gestes, et puis on aspergeetc. Il n’empêche qu’aujourd’hui encore,on vous rappellera que cette eau,comme fait Tertullien, c’est aussi l’eauoriginelle, c’est aussi l’eau du Jourdainet voilà que cette eau, même si c’estl’eau du robinet, commevraisemblablement, est en même tempsmystérieusement en communicationavec une signification de l'eau dontLacan laisse entendre que ça n'est pasautre chose qu’une croyance magique.Le cynisme de Lacan va jusque-là.

C’est simplement dire que lesacrement est un événement quimobilise des éléments matériels,visibles, tangibles et qui conduisent àl’invisible, qui actualisent le mystère.

Alors le sacrement commeévénement de discours a une structure,ça n'est pas dans tous les cas que l’eau

du robinet prend cette valeur, il fautsans doute le signifiant matériel, etd’ailleurs au XII° siècle déjà, on qualified’elementum, l’élément, et puis il faut,deuxièmement, le ministère, le ministre,qui accomplit le sacrement, qui présideet qui se trouve mystérieusementl’analogon du Christ et puis il fautl'assemblée des fidèles qui assistent etqui témoignent.

L'arrière-plan, il y a un arrière-planqui justement projette dans l'au-delàl’elementum, l’eau du robinet bêtecomme chou, l'arrière-plan qui projettedans l’au-delà, c’est que lessacrements répètent l'histoire du Christ,ce qu'il a accomplit, les événements deson histoire, de telle sorte quel’événement qui peut être par unedescription cynique réduit à presquerien, cet l'événement-sacrementcommémore l'événement-Christ. C’estce que dit Saint-Augustin : « Il y asacrement dans une célébration quandmémoire est faite d’un événement ».

Finalement, donc, c’est codé et puisça a dû être fondé. Quand on litTertullien, on voit la polémique qui a éténécessaire pour accréditer la notionqu’avec ces quelques manigances, cesquelques manipulations, en effet, onobtient un contact avec l'esprit.

Il dit très joliment, il avait beaucoupde verve Tertullien comme vous avezpu lire, il en avait même tellement qu’ila fini par retourner cette verve contrel’église : « Tout se passe avec la plusgrande simplicité », dit-il, « sans miseen scène, sans apparat extraordinaire,bref sans autre luxe, l’homme descenddans l’eau, il y est plongé, tandis qu'onprononce de brèves paroles ».

Voilà ce qui nous donne leséléments qui entrent dans lacomposition du sacrement, une actionmatérielle et même corporelle, comme ildira, et puis on y ajoute de la parole.

« Il en ressort à peine plus propre oupas du tout, aussi trouve-t-onincroyable qu'il puisse, par là, acquérirl’éternité. Mais ma parole, c’est surl’éclat extérieur, l’apparat, le luxe, queles sollanités, les mystérieux, les idolesfondent leur autorité et la foi qu'on leurprête, oh ! misérable incrédulité, toi qui

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refuse à Dieu ce qui lui revient aupropre, la simplicité et la puissance.Quoi donc ? N'est-ce pas étonnantqu’un bain puisse dissoudre la mort,parce que c'est étonnant est-ce uneraison pour ne pas croire ? Aucontraire, c'est une raison pour croireencore plus. »

Nous avons ensuite les argumentsles plus échevelés pour fonder ici laqualité de l’eau, la présence de l’eau,on la fonde aussi bien par le fait que lespaïens eux-mêmes reconnaissent quel’eau a des propriétés singulières. Pagequatre vingt deux : « …chez lesAnciens, celui qui s'était renducoupable d’un homicide devait recourirà une eau de purification. Si donc ilsrévèrent la nature de l’eau, combienplus réellement les eaux procureront-elles ce bienfait par l’autorité de Dieude qui elles tiennent toute leur nature. »

0n trouve une preuve même dans lefait que le diable, volontiers, se servede l’eau « … les esprit impurs necouvrent-ils pas les eaux, contrefaisantl'Esprit divin porté sur elles auxpremiers jours du monde ? Les sourcesombragées et les ruisseaux sauvagesen savent quelque chose, et cespiscines thermales et ces aqueducs,ces citernes ou ces puits qui, dans lesmaisons ont la réputation d'ensorceler :ils le font précisément par la puissanced’un esprit mauvais. » À quoi bonrappeler tout cela ? Sinon queprécisément l’eau se perpétue dans lechristianisme et cette fois-ci ce sont« les eaux du Saint Ange de Dieu envue de notre salut » etc.

On y ajoute l'antique discipline del'huile, c'est-à-dire qu’on montre biencomment les éléments qui entrent dansle sacrement sont repris de pratiquesanciennes, volontiers païennes maisqu’elles sont, là, dotées d’unesignification toute nouvelle : [page 87]« Ensuite, à la sortie du bain, nousrecevons une onction d’huile bénite,conformément à la discipline antique.Selon celle-ci, on avait coutumed’élever au sacerdoce par une onctiond’huile répandue de la corne (…) Pournous aussi l’onction coule sur le corpsmais nous profite spirituellement,

comme le rite lui-même du baptême estune action corporelle puisque noussommes immergés dans l’eau et queson effet est spirituel. » Tout est là, c’esttrès bien dit. « Il s'agit d'une actioncorporelle ayant des effets spirituels ».

On peut dire c’est ça la définitionminimale du sacrement et je n’ajoutepour la distraction la polémique finalede Tertullien qui explique à qui revientde procéder au sacrement : « … àl’évêque, s’il est là ; après lui au prêtreet au diacre, mais jamais sansl’autorisation de l’évêque (…) En plus,les laïcs en ont aussi le pouvoir. (…)Comme la Parole, (…) ainsi le baptêmelui aussi vient de Dieu, tous peuvent leconférer. (…) Tout est permis, a ditl’apôtre très Saint, mais tout n'est pasopportun. Il suffit donc d’user de cettefacilité lorsque c’est nécessaire. »

L’évêque, le prêtre et puis, si on nepeut pas faire autrement, le laïc, maispas les femmes… « Mais l’effronteriede la femme qui a déjà usurpé le droitd’enseigner » - ça a déjà commencé -« n’ira pas jusqu'à s’arroger celui debaptiser, à moins que ne surgissentquelques nouvelles bêtes semblables àla première. (…) est-il vraisemblableque l’apôtre donne à la femme lepouvoir d'enseigner et de baptiser, luiqui ne donna aux épouses qu’avecrestriction la permission de s'instruire ?Qu'elles se taisent, dit-il, et qu’ellesquestionnent chez elles leurs maris ».C'est une facilité là, c'est pour vousinviter à la lecture de ces ouvrages despères de l'église.

Lacan, remarquons-le, c'est à çaqu'il se réfère, il qualifie tout de mêmecette opération là, c’est l’événement dediscours prescrit par le discours de lareligion, par l'oubli où cela tomberaitdans la religion et il l’oppose à lapsychanalyse, qui, elle, n’aurait rien àoublier. Il explique ce terme d’oubli, quiévidemment peut surprendre puisque lesacrement, loin d'être oublié, fait l’objetd’un discours tout à fait précis. Ce qu'ilentend par là c'est que la psychanalysen'a rien à oublier, dit-il, car ellen'implique nulle reconnaissanced'aucune substance sur quoi elleprétende d’opérer, même celle de la

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sexualité. Et on voit bien pourquoiLacan dans une page, quelquesparagraphes, introduit cettecomparaison, c’est pour mettre envaleur que la psychanalyse, elle, n’a defondement que de paroles alors que lesacrement suppose une actioncorporelle, « plus - comme le noteTertullien - les brèves paroles quis’ajoutent. »

Alors que dans la psychanalyse aufond, impute Lacan, il n’y a que laparole. On ne prétend pas opérer surune substance qui se trouverait làtransformée, on n’opère que sur le sujetbarré. Et là la barre du S veut dire : ici iln'y a pas de substance ; c'est le pureffet de la parole.

L'opération psychanalytique etl'événement qu'elle détermine, à savoirla séance analytique, serait uneopération de pure parole sanssubstance. Et c'est seulement quandelle l'oublie, laisse entendre Lacan,qu’elle vire à la cérémonie.

À ça d'ailleurs, on peut tout demême faire une objection : c’est quel'opération analytique ne porte passeulement sur le sujet barré, qu'elleporte aussi du même coup sur lajouissance où sur le plus-de-jouir et,comme Lacan sera amené à le direplus tard dans le Séminaire XX, lajouissance n'est pas sans substance.

Il le dit dans le Séminaire XXpuisqu’il y amène la substancejouissante, que précisément l'opérationanalytique ne se suffit pas de ne seréférer qu'au sujet barré, ne se suffitpas de se référer qu’au sujet de laparole.

Et, de fait, si on considère lapsychanalyse par le biais de la séance,il apparaît qu’il faut au moins ça, lerendez-vous des corps, la séanceanalytique est un rendez-vous descorps, des corps en présence. Mais quemalgré, enfin les folies qui ont pu venirici et là à certains, on ne fait pas depsychanalyse par correspondance, eton ne fait pas non plus même partéléphone. Il y a un rendez-vous descorps qui, en effet, prête d'autant plus àce virage à la cérémonie.

Même si la psychanalyse n'accomplitaucune transsubstantiation de lajouissance, mais plutôt ce qu'onpourrait appeler unetranssubjectivation, pour qualifier lamutation subjective.

On peut ajouter, dans le chapitre desracines judéo-chrétienne de lapsychanalyse, qu’on a pu dire quec'était le propre du judéo-christianisme,que d'avoir introduit une temporalitéd’événement. Et en particulier lechristianisme - ça a fait partie de sonscandale initial, ça a fait partie de sasubversion initiale - le christianisme aintroduit des événements essentielsdans un monde hellénique à qui cettecatégorie était tout à fait étrangère, auniveau du divin.

Le christianisme a introduitl’événement, la décision et la crise. Il aintroduit la notion d’événement sacré.La création du monde, la chute del'homme, l'alliance avec Dieu,l'émergence des prophètes,l'incarnation du fils de Dieu,l’événement de la croix et du tombeauvide et de la Pentecôte, voilà autant denotions, une histoire scandée par desévénements inoubliables et répétés àtravers des siècles et des siècles et ilfaut bien dire que nous sommes, ycompris dans la psychanalyse,dépendants de cette histoireévénementielle et qui là était misedavantage en valeur par l’effort savant,universitaire, de séparer l'histoireévénementielle des histoires de lalongue durée.

Voilà un peu de quoi - loin de moil’idée de transformer la séanceanalytique en événement sacré - mais,évidemment, de cette comparaison, ilretombe quelque chose pour lapsychanalyse sur la séance analytique.

Au fond ça nous aide, la référenceau sacrement, à l’opération dusacrement, nous aide peut-être à érigerla séance analytique comme unévénement essentiel du discoursanalytique et tenter de lui donner lestatut qu'elle mérite.

Alors faisons maintenant retour auxeffets de sujet qui, dans le discoursanalytique et dans sa réalisation sous

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forme de séance, sont mis au travail,dans les faits, l'opération quis'accomplit dans la séance analytique.

On peut dire qu’il s’accomplit dans laséance analytique une connexionsaisissante avec les puissancesinvisibles de l'inconscient. Ça, ce seraitla vision sacramentaire de la séanceanalytique.

On pourrait essayer ça, dans laséance analytique, il s’opère unemutation de l'inconscient sous la formesuivante : les effets de sujet sont mis autravail, c'est-à-dire invités às’accumuler , à se constituer ensavoirs. Alors que, à l'état sauvage, lesformations de l'inconscient, lesmanifestations de l'inconscient, seprésentent sous forme de surprise,d’événements erratiques et passagers,ou alors sous forme d'actionscompulsives, prévisibles, dans laséance analytique, les effets del'inconscient-sujet changent de statut,ils s'accumulent, se constituent ensavoirs et on peut dire ça demande dutemps. Et en particulier la temporalité,là, se modifie.

Cette introduction du savoir et dutemps, c'est à partir comme de làmême que Lacan a songé de définir letransfert, puisqu’en 1966 - vous letrouvez en note dans les Écrits - ildéfinit le transfert comme l’immixtion dutemps de savoir. C'est précisémentdans la connexion du transfert et dutemps que Lacan a cherché la définitiondu transfert, au point même de le faireéquivaloir une fois au concept chezHegel, un concept qui demande dutemps pour se développer, du temps etpas seulement de la durée, si onentend par durée un temps continu.

La durée, c’est le temps dudéveloppement, comme continu. Lesavoir demande du temps, et nonseulement de la durée, parce qu’ildemande des scansions. Desscansions : une scansion ça n’est passimplement un arrêt, ça n'est passimplement une pause, comme on estfatigué à gravir une pente on s'arrête,on casse la croûte… La scansion, çacomporte l'acquisition d'un résultat

partiel, mais qui, comme tel, accomplitune mutation du problème initial.

Alors ça n'est pas un hasard si lesÉcrits de Lacan sont composés commeils le sont, avec leur fondement, lefondement de la composition, c'est lachronologie et donc ce qui s'inscritcomme une infraction à cettechronologie, évidemment, tire l’œil.

Il y a une infraction patente, signaléepar Lacan, qui est celle qui amène leSéminaire de « la Lettre volée » en têtedes Écrits. Comme dit Lacan, c'est unefaçon de s’introduire à sonenseignement par un texte qui donnede son premier enseignement unenotion facilement accessible à partir del’apologue littéraire. C'est la premièrepartie des Écrits.

La seconde renoue avec l'ordrechronologique. Lacan a qualifié cettepartie de ses Écrits « De nosantécédents », mettant en valeur qu’ilsitue lui-même le début de sonenseignement à « Fonction et champde la parole et du langage » qui fait laquatrième partie des Écrits. Et il y adonc quelque chose qui s'inscrit,décalé, entre ces antécédents et puis lecommencement de son enseignementproprement dit. Il y a une troisièmepartie, qui est là en sandwich, et il vautla peine de s'apercevoir de quoi elle estcomposée, cette troisième partie.

Elle est composée de deux articlesqui sont l'article « Le temps logique »,1944 et l'« Intervention sur letransfert », en 1951. Et, là, ça échappetout à fait à la prescriptionchronologique, ça répond à ce queLacan évoque d’un rassemblement quise motive d’une nécessité plus intimeque celle de la chronologie.

Ces deux textes, qui sont comme lescariatides posées à l’entrée del'enseignement de Lacan, « Le tempslogique » et l'« Intervention sur letransfert », et qui marquent l'entréedans la voie majeure de sonenseignement, on peut dire que sousdeux aspects différents, ils portent surle même objet, à savoir le temps desavoir, sous l'aspect du temps logiqueet sous les aspects du transfert.

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Le temps logique. Le temps logiquenous présente un parcours scandé,pour arriver à une conclusion qui estd'ailleurs une action et ce qui reste ensuspend tout au long de cette histoire,c'est à quel moment l'action va pouvoirs'accomplir, à quel moment la logiquedont il est question, l'argumentation, ladémonstration, la déduction, à quelmoment elle va pouvoir prendre laforme d’une action ?

Ce parcours met en valeur lanécessité de conclusions intermédiairesauxquelles il faut préalablement arriver,conclusions intermédiaires qui modifientle problème initial.

Et, comme vous le savez, ceparcours est fait pour mettre en valeur,la dépendance du sujet à l'égardd'autrui, à l’égard des autres qui, danscette histoire, sont des autresstrictement équivalents au sujet lui-même, au point que le mot même desujet d’ailleurs est absent, ce sont desautres, une population de raisonneurs,en l’occurrence de trois raisonneursstrictement équivalents, dont ladifférence est seulement numérique,c'est-à-dire qu'ils n’ont aucune propriétéqui les individualise, sinon le nombrequ'ils sont. A, B, C. Ils n’ont aucuneautre qualité qui les distingue que le faitd'être trois. Le raisonnement, d’ailleurs,vaut pour un nombre plus important eton peut soutenir que c'est dans ce« tous pareil » et donc dansl'équivalence quantitative de la duréedu raisonnement que repose lecaractère de sophisme del'argumentation.

Il faudra revenir sur le mot desophisme, le sophisme, ce n'est passimplement une erreur, ce n'est passimplement un raisonnement faux, lesophisme ça a toujours été, depuisl'Antiquité, une discipline. Le sophisme,c'est un stratagème, un stratagèmesophistique qui a pour but, précisément,de mettre en valeur une défaillance dela logique. Le sophisme s'inscritexactement en grand S de A barré.

C'est le point où l'ordre du discoursest mis à l’épreuve, est mis en défautpar une articulation signifiante elle-même qu'il n’arrive pas à normaliser.

L'invention de sophismes, laprésentation de sophismes, l'effort pourrésoudre des sophismes est, depuis laplus haute Antiquité, un exercice qui aété valorisé comme tel pour réfléchirsur le logos.

À l'article du « Temps logique »,Lacan lui-même fait répondre sonintervention sur le transfert et son« Intervention sur le transfert » metaussi en valeur un temps logique,investi dans la cure analytique.

Là, Lacan dit sujet, terme quimanque dans l'article du « Tempslogique ». On peut dire que c’est unprogrès, on peut dire qu'il nousprésente là la notion qui va, en effet,parcourir tout son enseignement, êtreun fil de son enseignement, la notiond'une cure analytique comme curelogique, comme cure démonstrative,débouchant sur une conclusion. Etquand, des années plus tard, Lacanreviendra avec la passe, quand ilnommera la fin de l'analyse la passe,ça se fera au titre de démonstrationaccomplie dans une cure, dans unecure logique. Donc une invitation àattraper l'expérience analytique à partird’une formalisation susceptible d’unedémonstration. C'est une orientationnon sacramentaire de la cureanalytique.

La cure ne repose pas sur la mise enrapport avec des puissances invisibles,la cure est un processus logique,aboutissant à une démonstration. Cettelogique, dans ce texte, s’appelledialectique. C'est la première formesous laquelle Lacan a approché lalogique, il ne l'a pas approchéetellement sous la forme de la logiquemathématique, il s’est soutenu, au fond,de la Phénoménologie de l'esprit deHegel.

Et donc il nous narre la cure, unecure de Freud, celle de Dora, sous laforme d'une série de développementsde la vérité et de renversementdialectique, c'est-à-dire sous la formed'une série de transmutations logiquesde la vérité où on voit la position dusujet successivement changer, ce quilui permet de prétendre avoir défini letransfert en termes de pure dialectique.

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Je relève d'ailleurs que page 225 desÉcrits, il souligne que « le transfert n'estrien de réel dans le sujet » - de lamême façon que dans sa « Propositionde 1967 », où il introduit la passe, il dira« le sujet-supposé-savoir n'est pas réelen effet. »

Seulement, disons que ce texte del' « Intervention sur le transfert », quinous promet une définition dialectiqueet donc logique du transfert, tournecourt sur la définition du transfert et onle voit, comme ça, se bloquer là-dessus, il choisit de définir le transferten termes dialectiques mais comme cequi constitue un point mort de ladialectique.

« Le transfert, dit-il, correspond à unpoint mort de la dialectique, quandapparaissent dans un moment destagnation de la dialectique les modespermanents de la constitution de sesobjets par le sujet. »

Autrement dit, on peut dire que cetexte, évidemment, est orienté par ceque Lacan finalement écrira sous laforme de ces vecteurs croisés, il met envaleur une dialectique logique,symbolique, qui progresse et il situe letransfert en termes dialectiques commeun point mort de cette dialectiquedépendant de l'imaginaire.

S y m b .I m a g .

a - a '

Et c'est pourquoi il peut dire cetteénormité au regard de sonenseignement suivant, le transfert estune entité toute relative au contre-transfert. Et il donne cette formulation,parce qu'il pense le transfert à partir dea-a prime (a-a’), à partir de l'imaginaire,auquel cas il dit le transfert c'estl’envers du contre-transfert.

Et donc il réserve, il exclut dutransfert tout ce qui est la logique deces développements et de cesrenversements de la vérité.

On peut dire que, au contraire, ladoctrine du transfert chez Lacan, unefois son enseignement commencé,consiste à rapatrier le transfert sur l'axesymbolique.

S y m b .I m a g .

a - a '

T r a n s f e r t

C'est-à-dire, et c'est ça que veut direle sujet-supposé-savoir, que le transfertest un phénomène de pure logique, quele sujet-supposé-savoir est un effetsignifiant de signification et que laséance analytique comme telleparticipe d'une mise en formesignifiante du réel.

Eh bien je ne vais pas m'engagertout de suite dans le commentaire plusprécis de ce temps logique, vousattendrez la semaine prochaine, etj'espère jouir de l’appui de quelqu’unpour aborder cette face de la question.

À la semaine prochaine.

Fin du Cours X de Jacques-AlainMiller du 01 mars 2000.

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LES US DU LAPS

Jacques-Alain Miller

Onzième séance du Cours

(mercredi 8 mars 2000)

XI

Donc la séance analytique n'est pasune cérémonie. J'ai passé un certaintemps à tenter de vous démontrer qu’ilest important de le montrer dans lamesure où, par de nombreux traits, laséance analytique ressemble à unecérémonie.

Elle ressemble à une cérémonieparce qu'elle est déterminée,conditionnée, par un appareil desemblants et c’est au sein même decette définition qu'il importe de ladifférencier de la cérémonie c'est-à-direde souligner ce que, au sein même soncérémonial, la séance analytique visecomme ce que nous pouvons qualifierde réel.

J'ai opposé la dernière fois deuxdimensions de l’inconscient qui sontl'inconscient-répétition et l’inconscient-interprétation et ce répartitoire estopérant sur la littérature analytique,comme sur l'enseignement de Lacan,qui appartient à cette littérature.

L'inconscient-répétition, c'estl'inconscient en tant qu'il se manifestecomme la répétition du même, celui quise manifeste sous les espèces de« encore une fois », qui obéit à larécurrence du même, à la récurrencedu plus-un.

Et c'est de ce côté-là, du côté del'inconscient-répétition, que peut sedéployait une ontologie de l'inconscient,de ce côté-là qu'on peut mettre envaleur ce qui, de l'inconscient, est réelet c'est de ce côté-là que Freud vachercher les arguments qui, à son gré,méritent à la psychanalyse d’être

inscrite sous le chef du discours de lascience.

L’inconscient-interprétation est toutautre chose. Là, l'inconscient semanifeste comme ce qui est à réaliser,dans la cure analytique. Et dès sontexte fondateur, « Fonction et champ dela parole et du langage », Lacan lesouligne par son titre du sujet del'inconscient qui a à se réaliser ce quiveut dire : qui n'est pas déjà réel et quin’a, en tant que tel, que le statut duvirtuel, un virtuel qui se trouve actualisédans la séance, dans la série desséances.

D’autres oppositions s’ensuivent. Ducôté de l'inconscient-répétition, ce quise fait valoir c'est le poids du passé.C’'est ce passé qui fait être ou étant. Etc'est ainsi qu’on a saisi et que s’estrépandu : la découverte freudienne, lepoids du passé, qui se trouve, pour lesujet, être déterminant.

De l'autre côté, du côté del'inconscient-interprétation, c'est lecontraire, et je pourrais l’appeler, enparodiant le titre de Milan Kundera,« La légèreté de l’être » et non pas sonpoids.

Du côté de l’inconscient-interprétation, l’inconscient apparaîtcomme seulement éventuel et tenduvers le futur. Quand l’inconscient estabordé selon la perspective del'interprétation, ce qui est mis enévidence, c'est bien plutôt que ladétermination, c’est l’indétermination,qui commande.

Cette opposition, c’est aussi biencelle de l'existence de l'Autre et de soninexistence. L’existence de l'Autre areçu dans l’élaboration freudienne sonnom, l'Autre qui existe, c'est ce queFreud appelle le surmoi, principe de larépétition. Et à mesure que Freudpromeut l'inconscient comme répétition,à mesure qu’il promeut l'instance dusurmoi comme déterminant, il minore,logiquement, l'inconscient. Ce qu’ilappelle surmoi, c’est un savoir déjà là,inscrit, constitué et qui se trouve, pourla conduite ou le comportement dusujet, déterminant.

L'inconscient-interprétation, aucontraire, n’est pensable qu’à partir de

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l’inexistence de l'Autre. C'est-à-dire, ilne s'agit pas d’un l'inconscientcristallisé comme surmoi, il s'agit d'uninconscient-sujet. Et l'inconscient-sujet,l'inconscient à la place du sujet, trouveà s’écrire :

SS barré. Mais enfin, quand nousl'écrivons ainsi, déjà nous incluons letemps. C’est le tour inaperçu de cettegraphie, c'est que dans un premiertemps, nous écrivons cette lettre S et,

S dans un second, nous la rayons, nousécrivons sa rature et ce symbole, en lui-même, on peut dire qu’il compense unetemporalité scriptuaire.

S

Ça n'est pas équivalent à ne rienécrire du tout, ce qui pourrait passerpour être le résultat de l'opération.Cette opération est intrinsèquementtemporelle : d'abord écrire la lettre etensuite la rayer. Et cette écriture, enelle-même, inclut le temps.

Et lorsque nous sommes là à laconsidérer, à la contempler, à l’adorer,nous oublions qu’il nous a fallu le tempspour la produire. C’est à ce niveau-là,que je disais être celui de l’inexistencede l'Autre, qu’est valable la formule deLacan à propos de sa propreentreprise, quand il formule que ce qu’ilest à construire, c'est une théorie quiinclut un manque qui se retrouve à tousles niveaux et qui doit s'inscrire, dit-il,ici, en indétermination, là en certitude,et former le nœud de l’ininterprétable.

Voilà les trois termes qui répartissentla dimension de l'Autre qui n'existe pas,l'indétermination, la certitude, etl’ininterprétable.

i n d é t e r m i n a t i o nc e r t i t u d ei n i n t e r p r é t a b l e{

L'indétermination, c'est ce quis’oppose à la détermination surmoïquede la répétition, c'est ce qui inscrit cetterupture de la causalité où nousreconnaissons le sujet. Et je l’ai écrit Abarré.

i n d é t e r m i n a t i o nc e r t i t u d ei n i n t e r p r é t a b l e{ A

C’est ce qui fait la place àl’imprévisible, à l’événementimprévisible, parce que l’événementimprévisible veut dire qu’aucun calculne le délivre et que, sans doute, il y a lecadre de l'expérience, le discoursanalytique et que le discours analytiqueest précisément fait de telle sorte qu'iladmet l’événement imprévisible, c'est-à-dire la défaillance du calcul.

La certitude est corellée àl’indétermination, la certitude ne démentpas l’indétermination, la certitude est aucontraire un autre mode du manque quise détermine comme indétermination.

Ce que Lacan appelle la certitude enl'occurrence, ça n’est pas la conclusionmathématique, cette conclusion quiparaît sans rupture s’ensuivre desprémices et donc s’inscrire dans lecadre de grand A comme on s’imaginequ’est le quatre par rapport à deux plusdeux. On s’imagine que le quatre s’enconclut automatiquement, sans rupture.Ce que Lacan appelle ici la certitude,qui est un autre mode du manque quel’indétermination, mais qui n'en est pasmoins un mode du manque, la certitudesuppose un franchissement de A barré.

Il y a quelque chose dans lacertitude qui est de l'ordre de l'arbitraireou de l'aléatoire, ou de l’acte, ellesuppose franchit un saut. Et c’est enquoi elle fait série avec l’indéterminationet c'est ce qui lui vaut de figurer au titremême du temps logique, dont le titrecomplet, je vous le rappelle, est « Letemps logique et l'assertion de certitudeanticipée ». Ça veut dire qu'on a lacertitude avant que d'avoir ladémonstration, qu'on n’a ladémonstration que d’avoirpréalablement la certitude. C’est ce qui

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est d’ailleurs d’évidence, ladémonstration, ça n’est pasl’investigation, la démonstration s’ensuitde la certitude, qui vient avant. Lacertitude est préalable aux efforts, autravail de la produire commeconclusion.

Et c’est bien ce qui hante la réflexiondes mathématiciens sur l’intuition, quiveut dire simplement qu'ils ont lacertitude avant que d’avoir ladémonstration et qu’ils ne sont motivésà s’évertuer à démontrer qu’à la suited’avoir la certitude. La certitude n’estpas une conséquence, elle est uneanticipation et que cette série de troisn’a de sens que dans la dimension del'inconscient-interprétation. ChezLacan, c'est ce dont je vois letémoignage dans le troisième terme del’ininterprétable qui est le résidu de laconnexion de l’indétermination et de lacertitude.

Alors je vous le présente ici commeune opposition statique, stagnante,l'inconscient-répétition et l’inconscient-interprétation, mais elle est, en fait,dynamique, c’est que la cureanalytique, répartie dans la série desséances, consiste à plonger, si je puisdire, l'inconscient-répétition dansl'interprétation, à insérer le réel del'inconscient-répétition dans la cure.

De ce fait, le savoir surmoïque,comme Freud l’a appelé, devient sujet,et sujet supposé, devient vérité, c'est-à-dire qu’il s’agit de l'interpréter. De ceseul fait, le dispositif psychanalytiqueaffecte le savoir inconscientd’indétermination.

À l'état natif, le savoir inconscient estconstitué dans son être dedétermination. C'est comme ça queFreud le raconte, il raconte ladétermination de l'action compulsivemais, du seul fait qu'on plonge cesavoir-là dans le dispositif analytique,on l’affecte d’indétermination, on le faitpasser à l'état de sujet, on le faitdevenir vérité et donc on desserre - aucontraire de serrer - la détermination. Etc'est par là même qu'on peut isoler lespoints de certitude du sujet qui sonttoujours aberrants, qui sont toujoursmarqués d’étrangeté.

C’est ainsi que Lacan percevait lelapin blanc, celui qu’Alice croise pour sasurprise, le lapin blanc qui file vers safinalité mystérieuse. Lacan disait : ça,c’est l’expérience de l’absolue altéritédu passant. Ça veut dire que l’Autre estvraiment Autre. C’est ce qu’on apprenddans la psychanalyse, quand on exercecomme analyste, comme tout ce quiaffecte un sujet, ce qui le passionne, cequi l’ordonne, ce qui fait son problèmeet son malheur, lui appartient en propre,n’est susceptible d’aucune généralité,que c'est vraiment à lui comme tel, quece qui est simple pour l’un estcompliqué pour l'autre, que ce qui va desoi pour l’un est l’extrême difficulté del'autre, que pour l’un, parler aux autresest ce qu'il y a de plus facile et quepour l'autre, le public l’étouffe,l’asphyxie, le rend muet, que pour l’un,la femme est sa passion et que pourl'autre, son horreur et que de l’un àl'autre, il n’y a aucune communemesure sur ce plan : L’absolue altéritéde l’un par rapport à l'autre.

Les points de certitude de chacunsont vraiment ce qui est son propre eton peut toujours construire le conceptde l'humanité comme telle, mais ce quece concept n'efface pas, c’est cettedivergence, cet isolement, cetenfermement dans son monde. C’estpourquoi on a inventé le concept dufantasme. Et c’est lorsque ces points decertitude sont isolés - écrivons les S1 -c’est alors, cerné devant un sujet,l’ininterprétable.

S 2 S 1

L’ininterprétable, c’est la doublebarre qui sépare S2 de S1.L’ininterprétable, c’est l'impossible de larelation de ces deux termes, c’est cequi, de S1, résiste à être interprété, c'estce qui est mis à nu dans la psychose.On peut voir le sujet occupé d’uneexpérience inoubliable, d'uneexpérience invariable échappant àl’interprétation. J'ai rencontré ça enpublic, dans un cas de présentation qui

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sera publié, on voit le sujet attachétoute sa vie à l'expérience unique qu'il aconnue et qui a résisté - c’est ce qui estbeau dans ce cas - à dix ans d’analyse,dix ans qu’il a mis à en parler, à en fairesens et l'expérience, son expériencemystique, son expériencemégalomaniaque, son expérience decontact avec la divinité, est restéeinchangée, intouchée. Elle a échappé,cette expérience qui le centre, qui lefixe, qui est la référence de sonexistence, cette expérience maîtresse,elle a échappé à toute variabilité de lavérité, elle a échappé à ce que Lacanappelait la varité, condensant dans cemot la variabilité intrinsèque à la vérité.

L'analyse, qui a ses effets princepschez le névrosé, consiste à soumettrece qui commande, dans l'inconscient-répétition, à la variabilité de ? ?. c'est àdire à transformer la répétition, lanécessité de la répétition, dans lacontingence de l'interprétation, c'est-à-dire à transformer l'inconscient-répétition en sujet-supposé-savoir et,par là même, à introduire la fonctiontemps dans l'inconscient.

Pour Freud, qui se réglait surl'inconscient-répétition, l'inconscient neconnaît pas le temps : ça veut direl'inconscient répète toujours le même,quel que soit le temps passé. Faisonsattention que, pour Freud,singulièrement, l'inconscient connaîtl'espace et c'est pourquoi Freud n'a pascessé de dresser la cartographie deslieux psychiques. C'est pour ça queFreud nous a écrit des systèmes où onvoit se disposer des instances, c'estpour ça qu'il a fait des topiques, commeon les appelle, c'est-à-dire qu'il aessayé de distribuer dans l'espacel'inconscient.

Lacan n'a pas fait de topique, il a faitdes graphes, c’est-à-dire qu'il a essayédifficultueusement d’inscrire desparcours temporels.

Mais Freud nous a fait la premièretopique : l'inconscient, le préconscient,le conscient, de façon à nous montrer lerefoulé comme un terme qui veutpasser d'un lieu à un autre et qui s'entrouve empêché.

Chez Freud, le refoulé, c'est unterme qui veut circuler et c'est d'ailleursce qui, si on regarde de près, impliquetout de même le temps, et c'est ce queLacan met en valeur quand iltransforme le refoulé en non-réalisé,c'est-à-dire qu'il transforme le refouléen want to be, demande d'êtreconscient.

Alors chez Freud ça se commentespatialement, c’est de là que vient lefameux problème de la doubleinscription. On se demande si le mêmeterme peut être simultanément inscriten deux lieux différents. Ce sont desproblèmes d'espace. Freud nous aformés à aborder l'inconscient entermes d'espace.

La deuxième topique de Freud, celledu surmoi du ça et du moi, est aussiune spatialisation psychique qu’il nousa livrée sous la forme hideuse de l'œufet qui devient, chez Lacan, graphe,avec des vecteurs, avec des points dedépart et des points d’arrivée ce qui,sous une forme spatiale, met en valeurle temporel.

Évidemment, les rapports du savoiret du temps sont des rapports difficiles.Selon ce que l'on pourrait appeler leconcept vulgaire du savoir, le savoiréchappe au temps. Deux plus deuxégale quatre nous communique lasplendeur d'une vérité qui seraitéternelle ou au moins omnitemporelle.Représentons le temps par sa flèche etinscrivons ici, au-dessus, surplombantcette succession, des vérités qui ne semodifient pas au cours du temps etdisons que ces vérités qui ne semodifient pas au cours du temps, c’estce que nous appelons le savoir.

Définissons le savoir par sadifférence et son opposition avec letemps et si le terme d’éternité faitreculer, parlons, comme font leslogiciens, d’omnitemporalité. Ça restevrai pour tous les temps, pour tout

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temps. En quelque moment qu'on seplace sur la flèche du temps, la formulereste valide et le concept vulgaire dusavoir comporte cette échappée horsdu temps.

C'est ce qui permet de comparerl'inconscient à un livre qu'on feuillette,où tout est déjà écrit. Il s'agit, selon sesmoyens, de lire. La lecture netransforme pas le livre, le livre neconnaît pas le temps, commel'inconscient.

C’est peut-être le principe de labibliophilie, de vérifier ce qu'il y ad'intangible dans l'inscription et de laretrouver, de la quérir, à son origine.C'est ce qu'on pourrait, de l'anecdoteque Lacan était bibliophile, comme ça afinit par se savoir, faire théorie, enfin lui-même m’en a fait la confidence, quedepuis toujours il achetait les éditionsoriginales. Il a d'ailleurs été assez bienorienté pour acheter des éditionsoriginales de textes scientifiques, ce quin'était pas à la mode dans les annéescinquante, c’était très bon marché etpuis, au fur et à mesure du temps, c'estdevenu précieux et, en effet, il a faitcollection des éditions originalesd'ouvrages scientifiques qui ont marquéle progrès du savoir.

Mais c'est très discutable, ça peutêtre discuté qu'un livre ne connaît pasle temps, qu'un livre est indifférent à salecture. Est-ce qu'on ne peut pasimaginer un livre qui serait modifié parsa lecture ? Et d'ailleurs c'est ce qui sepasse, un livre, une fois qu'on aurait lule chapitre un, le chapitre deux ne seraitplus le même. Après tout, c’est vrai detous les livres, au moins si on considèreque le sujet qui a lu le chapitre un n’estplus le même que celui qui ne l'avaitpas lu et que, s’il lit alors le chapitredeux, il est modifié par le chapitre un.

Ça devient vraiment probant quandle chapitre un est arbitraire et quand onpeut commencer n’importe où, c’est cequ’a essayé un écrivain argentin quis’appelle Cortázar, d’écrire un livrequ’on pourrait commencer par n’importequel endroit et donc tracer un parcoursspécial. C'est un roman qui s'appelleRegulas, qui est écrit dans cet esprit.

Notre Balzac a fait quelque chose dece genre avec sa Comédie humaine, ila laissé finalement chacun y inventerson parcours et selon la façon dontvous vous y prenez, vous connaissezdéjà Vautrin, vous ne le connaissezpas, et là, votre lecture a une incidencesur ce qui est écrit.

J'ai trouvé ça tout à fait affolantd'ailleurs, quand je m'y suis mis. Moi,j'ai trouvé la solution de lire la Comédie,de suivre, après avoir lu le Père Goriot,Eugénie Grandet, comme tout lemonde, j'ai trouvé la solution de lire laComédie humaine dans l’ordre queBalzac avait ordonné lui-même sonouvrage. Enfin ça n'était qu'un reculdevant l’indétermination où la Comédiehumaine met son lecteur.

Évidemment, on ne lit pas ça de lamême façon selon le moment où onentre dans le circuit.

Alors le concept vulgaire du savoir, sije peux employer cette expression, quiest décalquée d’ene l’expressioncélèbre, dans certains milieux aumoins, celle de Heidegger, qui parledans Zeit und Zeit (à vérifier) duconcept vulgaire du temps. Il a écrit desouvrages entiers sur ce qu’il pouvaitentendre par le concept vulgaire dutemps. Il est plus simple de commencerpar le concept vulgaire du savoir. Leconcept vulgaire du savoir lie endéfinitive le savoir à la forme. C’est çaqui nous empêche de comprendre letransfert. Lier le savoir à la forme, c'estdire que le savoir échappe àl'événement, que le savoir n'est pasaffecté par ce qui se passe. Et c'est ceque j’ai grossièrement porté au tableau,dans ce schéma binaire qui traduit cetteindépendance du savoir par rapport autemps, par rapport à l'événement,l'autonomie de la forme de savoir parrapport à l'événement. Alors, si le savoirest indépendant de l'événement, il nereste qu’à le contempler dans saprésence, dans sa contemporanéité àlui-même.

Oh je fais de la philosophie !j’entends prendre à partie la philosophiedu temps. Alors, à la notion que c'est lacontemplation qui est articulée ausavoir, c'est à cela que s’oppose le

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concept du temps logique chez Lacan,le concept d'un temps qui serait lié aulogos, et à l’episteme, un tempsépistémologique.

Le temps épistémologique de Lacan,celui dont on fait l'expérience dans lacure analytique, n'est pas un tempspsychologique. C'est ça la valeur de ceterme de Lacan, le temps logique, c’ests’opposer à l'appréhension du temps àpartir de la psychologie, c'est-à-dire dutemps vécu, du temps ressenti. Bienentendu que les affects modifient letemps, on sait ça depuis toujours etc'est parce que Lacan vise un tempslogique distinct du temps psychologiquequ’il fait référence à la dialectique dansson intervention sur le transfert, parceque c’est sous le nom de dialectiquequ’a été tout de même pensé dans laphilosophie le rapport intrinsèque dusavoir et du temps.

C'est ce que Platon explique dansLa République, à propos de ladialectique : « la méthode dialectique »,dit-il, livre VII, 533, C, D, pour ceux quivoudront aller voir la référence, « laméthode dialectique est la seule qui,rejetant successivement leshypothèses, s’élève jusqu'au principesmêmes, pour assurer solidement sesconclusions ».

C'est que pour arriver au principe, àla thèse absolue, il faut néanmoins enpasser par une succession et qu'il fautformuler des hypothèses pour pouvoirles rejeter et qu’à défaut de formulerces hypothèses transitoires, on neprogresse pas et que cette successionest la condition pour parvenir à ce surquoi on s'arrête.

Là déjà, on peut dire que c'est çaque Platon appelle la dialectique, c'estune succession qui est proprementd’ordre épistémologique et nonpsychologique.

Qu'est-ce que c'est que le tempspsychologique ? Quand est-ce qu'on a -ça se traduit comme ça pour nous -quand est-ce qu'on a conscience dutemps ? C'est la question que se sontposé les philosophes injustementméprisés qu'on appelle les empiristes,qu'est-ce qui donne le sentiment dutemps, de la durée, eh bien la réponse

qu’ils ont donnée depuis toujours, ça acommencé avec Aristote, ça seretrouve chez les empiristes anglais, cequi donne le sentiment du temps, c'estla sensation de la succession, c'est laperception que l'un vient après l'autre.

À cet égard, la succession supposed'abord la différence de l'un et l'autre, sion dit l’un vient après l’autre, il faut qu’ily ait un minimum de différence quipermette d’individualiser l'un et l'autre,donc il faut la différence et il faut mêmeprécisément un intervalle entre l'un etl'autre.

C'est ce que s’est trouvé résumé parle terme du changement. Il y a un traitédu temps d'Aristote qui détermine notreconception de la conscience du temps,jusqu’à Husserl, jusqu'à ses Leçons surla conscience du temps et le traité dutemps d'Aristote se trouve dans saPhysique au Livre IV, que j’ai eul’occasion de pratiquer pour l’agrégationde philosophie puisque c’était un destextes grecs qui alors était auprogramme. Dit Aristote : il n’y a pas detemps sans changement.

Ça veut dire que lorsque nousn’éprouvons aucun changement, quenous n'avons pas conscience duchangement, il ne nous semble pas, ditAristote, qu’est passé aucun temps.Lorsque nous ne distinguons aucunchangement, que notre âme éprouveen permanence un seul et même étatdifférencié, nous perdons consciencedu temps.

Autrement dit, ça dit précisément cequi sera commenté à travers lessiècles, que la perception duchangement détermine le sentiment dutemps. Et les empiristes anglais, aufond, ne diront pas autre chose. Lock :« dès que les idées cessent de sesuccéder, cesse aussi la sensation quenous avions de la durée ». Hume, dansle traité de la nature humaine, « Unhomme, profondément endormi oupuissamment occupé d’une pensée » -là il ne fait pas la différence entrel’obsessionnel et le penseur - « n'a pasconscience du temps, toutes les foisque nous n’avons pas de perceptionssuccessives nous n'avons pas denotion du temps ».

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Si on se règle ainsi sur la consciencedu temps, la définition de l’instants’ensuit, l’instant c’est seulement unedurée où nous n'avons conscienced'aucune succession et c'est cequ'indique Aristote quand il dit que nousne prenons conscience du temps quelorsque nous distinguons ce quiprécède de ce qui suit, nousdistinguons un mouvement. Nousn'avons conscience du temps quequand nous avons la différence,l’intervalle et le mouvement de l’un àl’autre.

De ce fait, plus divers sont leschangements et plus long peutapparaître le temps. Autrement dit, ladurée est relative à la sensation duchangement.

Cette doctrine empiriste de laconscience du temps se retrouverachez les romantiques, c'est ce qui faitque Jean-Jacques Rousseau peut diredans ses Confessions que l'homme quia le plus vécu n'est pas celui qui acompté le plus grand nombre d’années,mais celui qui a le plus senti la vie.

Alors, en court-circuit, je peux vousintroduire ce grand partage desphilosophes entre les empiristes et lesautres : les empiristes définissentessentiellement le temps par lasensation de la succession, ilsdéfinissent le temps par ce qui sepasse successivement sur cette flèchedu temps. Les autres, les idéalistes, lestranscendaux, c'est ceux qui fonddépendre l'expérience de la successionet du changement d’une conscienceoriginaire de la temporalité.

C'est-à-dire qu'ils disent : au fond onne pourrait pas avoir l'expérience de lasuccession si on n'avait paspréalablement une conscienceoriginaire du temps.

Et c'est ce qui conduit Kant aélaborer un concept du temps quiprécède toute expérience de ce qui sepasse, qui considère que l'événementest conditionné par l’a priori du temps.

Il y a encore une troisième voie quiest de considérer que le temps est uneillusion, que le temps n'est qu'unauxiliaire de l'imagination, c'est ce que

fait Spinoza qui place le temps, commele nombre, au rang des imaginaires.

Voilà qui nous introduit de biais à ladialectique du temps et de l'événement.L'événement, c'est ce qui arrive, c'estce qui se passe. Est-ce qu’il faut direque l'événement, c'est ce qui se passedans le temps ? Et c'est vrai que letemps apparaît comme le grandcontenant, il n'est rien qui ne soit dansle temps. À ce moment-là, l'événements’enlève toujours sur le fond du temps,comme une force. Et il y a desphilosophies du temps dont on peut direque la structure est prescrite par laGestalt-théorie, par la théorie de laforme. De la même façon que toutefigure se détache sur un fond, on peutdire que l'événement, c'est une formequi se détache sur le fond du temps etque le temps lui-même, est en-deça detout événement possible qui se produitdans le temps.

Dire les choses comme ça nousramène à l'objection que Lacan faisait àla théorie de la forme, à partir d'unexemple, à partir de la contemplationdu tableau d'Edward Munch quis'appelle le Cri et où Lacan a porté cecommentaire que là le cri, la bouchebéante qui crie, ne s’inscrit pasvraiment dans l'espace, c'est-à-diren'est pas comme une forme quis'enlève sur le fond de l'espace, maisqu'au contraire elle crée l'espace oùelle s’inscrit.

Et, mutatis mutandis, c'est aussi bience que nous pouvons transposers'agissant de l'événement : sil'événement a un statut qui lui estpropre, c'est en tant qu'il crée le temps.Voilà un autre répartitoire, est-ce quel'événement s'inscrit dans le temps ouest-ce que l’événement crée le temps ?

Remarquez que le grand graphe deLacan comporte un schéma temporelqu'on peut dire être centré surl’événement. C'est un schéma quiinscrit la flèche du temps mais qui luisurimpose un vecteur rétrograde àcontre-courant de l'unidimensionnalitédu temps.

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Chez Lacan, et pour nous, la flèchedu temps a retrouvé une actualitésingulière à partir de la parole quisemble impliquer un caractèreunidimensionnel du temps, comme laphrase se développe successivementsur un axe unique, tendu vers l'avenir.

Je parle de quatorze heure à quinzeheure et il y a là une durée qu’épousele mouvement même de la parole.Saussure lui-même a inscrit la paroledans le temps, on peut même dire laparole, c’est le temps et là, on ne peutpas commencer où on veut, ce qui faittemporellement la différence essentiellede la parole et de l'écriture. L'écriture,vous commencez où vous voulez, endéfinitive, ça vous est livré dans sacoprésence, alors que la parole estimpérative toujours, puisqu'il faut lasuivre, comme on dit.

Et donc là, le structuralistelinguistique a renforcé cetteunidimentionnalité du temps. Pensé àpartir de la parole, le temps a unedirection, sauf que Lacan y a ajouté unedirection rétrograde, la directionrétrograde de l'effet de significationmais qui est propre à inscrire aussi bienl’effet de sens et l'effet de vérité et quicomporte que l'événement estsusceptible de tout changer au niveausémantique.

C'est un schéma de l’événement, àpartir de ce qui a lieu, ici, au premierpoint de recroisement, où se situel'événement, tout change, au niveausémantique.

é v é n e m e n t

Ce schéma comporte quel'événement atteint la totalité, c'est-à-dire que l'événement a une capacité dereconfiguration de tout ce quiauparavant était virtuel. L’événement seproduit dans un contexte mais, enmême temps, il le transcande et ilproduit un sens irréductible à cecontexte et c'est là qu'il faut choisir cequi est réel.

Qu'est-ce qui est réel ? Est-ce quece qui est réel, c'est ce qui est hors dutemps ? Est-ce que c'est la forme,l’eidos grec, platonicien ? Est-ce quec'est la forme liée à la contemplation,est-ce que c'est ce qui ne change pas,ou est-ce que le réel est à penser dansla direction de l'événement ?

Eh bien disons que dans lapsychanalyse, dans la psychanalysecomme pratique, le réel est défini àpartir de ce qui a lieu, c'est-à-dire àpartir de l'événement.

Le binaire de la forme et del'événement a donné lieu à un essaid'un érudit italien qui a été traduit enfrançais, qui s'appelle Carlo Diano5 etqui oppose le culte grec de la forme àce qui a émergé au temps hellénistiquede la valeur propre de l'événement.

L'événement, c'est notre mot à nous,le mot grec, c’est tuche, la tucheapparaît chez les grecs d'abord chezHésiope. C'est la manifestation sublimede l'action divine et ensuite, ons’aperçoit chez Euripide que la tuche,c'est-à-dire l'événement dans soncaractère imprévisible, a la puissancede mettre en cause le pouvoir desdieux, c'est-à-dire que dans un premiersens la tuche, c'est la manifestation du

5 Diano, Carlo, Forme etévénement : principes pour uneinterprétation du monde grec,Eclat, col. Polemos, 1994.

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grand Autre et puis il faut attendre le V°siècle pour qu’on s'aperçoive que latuche s'inscrit dans grand A barré. C'estce que dit Euripide : « Si la tucheexiste, que sont désormais les dieux ?Et si se sont les dieux qui ont lapuissance, la tuche n'est plus rien. »

Pour nous, ça se traduit dansl’opposition entre l'événementimprévisible et le calcul de l'Autre, çan'est rien de plus que l'introduction, lescandale du hasard, c'est-à-dire de cequi peut arriver sans être déterminé parles dieux, ce qui n'a pas d'autre causeque soi-même.

Pour le dire en termes latin, la tucheest l'événement imprévisible, c’est laprésence de la causa sui, ce qu'on nepeut pas rapporter à un autre pour ledéduire, pour le démontrer, pour ledéterminer.

On a fini par en faire une déesse, ladéesse fortune, la déesse même del’illogisme, jusqu’à finir par ladomestiquer lorsqu'on l'a transforméeen destin. L’événement scandaleux afinit par s'éteindre dans le destin, latuche, la déesse tuche a finit par êtrebridée par la déesse Moïra, la nécessitépersonnifiée.

On a, c'est la thèse de Diano en toutcas, on a de ce binaire le résultat dansla philosophie, l'événement, le binairede l'événement, c'est-à-direl'événement est-il séparé, est-ilvraiment contingent, est-il l'avènementdu tout autre, ou bien l'événement est-iltoujours l'avènement, le moment d'unprocessus ? Il y a d'un côté pour lescyniques, le fait immédiat, l'événementbrut, c’est le réel, tandis que pour lesstoïciens, pensent-ils, l’événementrépond toujours à une providence et parlà même se trouve enchaîné dans lanécessité.

C’est là, c’est dans ce contexteprestigieux que s'inscrit de façonsingulière le temps logique de Lacan.Ce temps logique, c’est le contraire dutemps psychologique. Ce n'est pas lamodification qui affecte un sujet dansson rapport au temps, ça laisse de côtéle temps de l’attente, le temps del'urgence, le temps de l'ennui, en tantque ce seraient des modalités

affectives du sujet. Non pas que cesmodalités affectives soient indifférentes,mais ça n'est pas ce qui est visé par letemps logique. Et ça ne peut pas êtrece qui est visé par le temps logique,parce que Lacan entend que le sujetse constitue au cours de ce temps. Etdonc il n'y a pas un sujet préalable,susceptible d'être affecté, il y a un sujeten voie de réalisation.

Lorsqu'il approche ce temps logique,Lacan se trouve se faire l’écho, lesachant ou ne le sachant pas, de ladéfinition vulgaire du temps, parce qu’ille définit comme un mouvement, voustrouvez ça dans la seconde page deson intervention sur le transfert, maisun mouvement, dit-il, idéal.

Il l’appelle idéal parce que ce seraitun mouvement que le discours introduitdans la réalité et c’est la valeur proprequ’il faut donner à ce terme d'idéal, unmouvement idéal, un mouvementdialectique comme mouvement idéal.

La valeur propre, c’est que le tempsest l’effet du signifiant et que le sujet setrouve à devoir passer nécessairementpar des énoncés destinés à êtredémentis. Et donc il se perpétue bien,dans ce concept, la notion desuccession, mais il s'agit de successionde positions, de succession de thèsesqui doivent être formulées pour êtredémenties, comme la lettre S doit êtreécrite pour être rayée.

Bon, eh bien je vais m'arrêter là-dessus, parce que c'est l’heure, et jevous éclaircirais ça la semaineprochaine.

Fin du Cours XI de Jacques-AlainMiller du 8 mars 2000

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LES US DU LAPS

Jacques-Alain Miller

Douzième séance du Cours

(mercredi 15 mars 2000)

XII

La séance analytique se présentecomme un rendez-vous et vous mepermettrez de m’amuser à considérer laséance analytique de l'extérieur. C'estun rendez-vous, c'est-à-dire qu'il s'agitque deux corps occupent le mêmeespace durant un laps de temps, qu'ilsvoisinent dans l'espace durant unecertaine durée. On pourrait dire, parapproximation, que lorsque l'un faitdéfaut au rendez-vous, il n’y a passéance analytique. C'est parapproximation puisque lorsque celui quifait défaut, c'est l'analysant, onconsidère suffisamment qu'il y a séanceanalytique puisqu'il la paye.

Ce rendez-vous concerne deuxmobiles dans la mesure où l'analyste,lui aussi, peut se déplacer, peut aller etvenir, n'être pas là. Donc lui aussi esttenu par le rendez-vous. Seulement lesdeux mobiles ne sont pas animés d'unmouvement réciproque. Unedissymétrie semble être nécessairedans ce rendez-vous puisque c'esttoujours l’un qui se rend auprès del’autre et par là cet autre, l'analyste,prend figure de moteur immobile, c'est-à-dire qu'il anime l'autre à se mouvoir età venir.

Il y a un impératif à l'œuvre, qui estpréalable à tout autre, c'est l'impératifViens ! Et, lorsqu'on ne vient pas,lorsqu'on s'excuse de ne pas être venu,le blabla de l'analyste se réduit toujoursà Viens ! Quand est-ce que tu viens ?

Et donc, il vaut mieux réduire le blabla àça, puisque c’en est la clé.

L'essentiel, cet impératif Viens ! estpréalable à Parles ! Dis-moi tout ! Dis-moi tout ce qui te passe par la tête, dis-moi ce que tu veux, dis-moi la vérité etle reste ! Tous ces impératifs n’ont desens que sur le fond qu’on a répondu àl’impératif Viens ! Viens auprès de moi.

De telle sorte que si on voulait fairela généalogie de ce qu'on appelle laposition analytique, il faudrait lachercher du côté de l'arbre ou de lapierre, du lieu sacré qui motive unecérémonie qui doit se dérouler là, pasailleurs, auprès de l’arbre, auprès de lapierre, dans ce périmètre.

Il arrive sans doute que l'analyste sedéplace auprès de l'analysant.L'analysant est malade, il souffre dansson corps, il est aux mains desmédecins, il ne peut pas se déplacer, ilpeut arriver que l'analyste démontreque lui aussi est un mobile et qu’il serende auprès de l’autre. Cedéplacement est exceptionnel, il estévidemment chargé d'une significationde compassion dont il faut mesurerl’incidence dans la cure, la compassionpeut virer à la persécution, comme onsait.

Dans la règle, l'analyste s’immobiliseau même lieu, de la séance analytique.C'est dans cette veine qu’on a inventéun certain nombre de prohibitions, quele standard, ce qu'on a appelé ainsidans la psychanalyse, fait peser sur lesdéplacements de l'analyste. On n’a paspu formuler la prohibition : l'analysantne devra jamais te voir hors de toncabinet ! Ce serait un obstacle à lapoursuite de la cure que de croiserl'analyste hors de son lieu, de vérifierqu'il est un mobile qui a ses intérêts, quis’anime hors du lieu où il fait l'arbre etla pierre.

C’est dans cette veine qu’on a pudévelopper pour l'analyste un idéald’immobilité qui s'est étendu à sapersonne, aux traits de son visagemême, comme s’il s'agissait de façonessentielle de soustraire l'analyste aumouvement.

On en a fait, dans cette même veine,un être impassible. C'est le modèle

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végétal de l'analyste et ça peut mêmealler jusqu'à sa minéralisation, dont leprogrès, parfois, est sensible dans sapersonne.

La séance analytique est susceptibled'une description physique. Que dirait-on ? Que l'analyste a une puissanced’attraction, qu'il fait graviter des corpsvers lui. Il n'y a qu'un pas jusqu'à direque l'analyste est une attraction, c’estce qui avait, je suppose, conduit Lacanà accepter de se produire sous le titredu Phénomène lacanien. Lephénomène lacanien, c'était unphénomène d'attraction.

On venait le voir et l'écouter commece qu’on appelle dans le show businessune attraction. Quelqu'un est uneattraction dans la mesure où il a attiredans son périmètre un grand nombrede corps.

C’est surtout ce qui consacre deschanteurs. On accourt par milliers, dit-on, pour assister à leur être-dans-le-monde, bien au-delà de ce quel'Université peut propulser auprès dequelqu'un.

Et si l'on fait de la séance analytiqueune description toute extérieure, onconstate que le cours de la vie dequelqu'un est rompu périodiquementpar ce déplacement auprès de. Et quece déplacement implique par lui-mêmele renoncement à d'autres activités,induit une gêne dans la vie courante et,par-là même, attribue une valeur à cetterencontre.

Si l’on représente le temps par unvecteur, on peut y situer des laps detemps successifs qui sont consacrés àce rendez-vous.

Essayons maintenant unedescription plus intérieure de la séance.Je dirais que les deux qui sont là enprésence ne répondent pas au mêmetemps, que la séance est le siège d’undédoublement temporel.

L'analysant est livré à un tempssubjectif, un temps tout à fait subjectifqui est son temps singulier, tandis que

l'analyste, cela va de soi dans cettedéfinition, est hors de ce temps là.

L'analyste reste dans le tempsobjectif, dans le temps commun et c’estce que lui prescrit le standard. Lestandard comporte que l'analyste soitcelui qui peut dire le temps est passé,celui qui dit quand les 55 minutes, les50 minutes, les 45, les 35 sontpassées, votre temps est échu. Il n’estpas captif du temps subjectif del’analysant. Il est, en quelque sorte, lavoie de la montre et que donc lui, c'estce qui n'est simplement que souligné,que l'analyste ne vit pas du temps del'analysant, que lui est coordonné autemps commun, auquel l’analysant, lui,est soustrait, durant le laps de laséance.

Winnicott disait cela, avec le salubrecynisme de l'empiriste : pourquoi est-cequ'on interrompt une séance ? Et ilrépondait : pour introduire le patientsuivant. Réponse impeccable et quel'on peut gloser à l’aide de lamétapsychologie qui nous permettraitde distinguer le temps qui obéit auprincipe du plaisir et celui qui répond auprincipe de réalité.

Il va de soi que nous ne pouvonspas nous satisfaire de cette différencesommaire entre le subjectif et l'objectif,mais que nous en faisons néanmoinsusage pour introduire, à peu de frais, lanotion que le temps n'est pas chosesimple et qu’il est susceptible de sedédoubler. Mais là, nous l’apprenonsd’une description élémentaire, si nousne l'avons pas déjà appris desimpasses et des paradoxes de laphilosophie concernant le temps.

Considérons maintenant de plusprès de quoi il s’agit dans ce que nousavons appelé sommairement le tempssubjectif de l'analysant.

La séance analytique est organiséepour découper dans le continuumtemporel une durée tout à fait spécialeménagée à l'analysant. C'est une duréespéciale en ce que rien ne se passe,c'est un laps sans événement extérieur.

Il s'en produit toujours, il y a unesirène qui se fait entendre, le téléphonequi sonne, mais ces événementsextérieurs sont, en quelque sorte, mis

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entre parenthèses : à proprementparler, le temps de la séance, du côtéde l'analysant, c'est un temps où rienne doit se passer. Le sujet estnormalement affairé, un sujet vaque àses affaires, c'est un mobile et comme ilest mobile, il doit se diriger, se conduiredans la réalité commune, être sur sesgardes, ne pas se faire écraser entraversant la rue.

Et donc, dans cette veine descriptivequi est aujourd'hui la mienne, parlonsde son champ de conscience. Dans sonchamp de conscience pénètrentnormalement un certain nombred’inputs perceptifs qui déterminent desa part, en outputs, des mouvements,des actions.

Si on prend ce point de vuedrastique sur la réalité psychique, laséance est organisée pour produire uneréduction de tous ces inputs, estorganisée pour assurer uneneutralisation du champ perceptif.

Je dis neutralisation pour ne pas direannulation du champ perceptif.L’annulation du champ perceptif, c’estce qui se produit si vous mettez lecorps du sujet dans un caisson obscuret puis vous le laissez là mariner en lesoustrayant à de très nombreusesdonnées perceptives, pas au poids deson corps, mais ce pourrait être uncaisson obscur où le sujet serait en étatd’apesanteur. Jusqu'à présent, on nepratique pas la psychanalyse ainsi,jusqu'à présent !

Là, dans une telle situation, on peutparler d'annulation du champ perceptif.Le sujet serait soumis ainsi à unedéprivation sensorielle totale, aussitotale que possible. Mais lorsqu'ons'approche de ce genre d'état, qu’onpeut organiser, on effectue un telbouleversement de la phénoménologiede la perception que le résultat est uneintensification de toutes les sensationscorporelles et puis une variationimportante de ces sensations et unsentiment d’étrangeté concernant lerapport au corps. Ce n’est pas du toutce qu'on peut obtenir dans la séanceanalytique. Donc on n’utilise pas cegenre de caisson dans la psychanalyse.On utilise les divans, objet qui nous

vient du XIX° siècle, mais qu’oncontinue allégrement d’utiliser dans leXX° parce que dont il s’agit n’est pasd’annuler le champ perceptif, c’est de leneutraliser au sens de le banaliser, cequi est évidemment plus équivoque, çan'est pas de l'ordre du total. Lebanaliser veut dire qu’il n'y ait rien quiattire l'attention.

L’attention est une fonction icipsychologique tout à fait essentielle. Ils'agit d’obtenir une réduction de l’inputperceptif et donc, pour ça, il ne faut pastrop en faire non plus. Le standard, là,va dans ce sens, quand le standardportait les analystes à respecter unemêmeté absolue de l'environnement etde leurs personnes, de la personne del'analyste. C'est excessif d’exiger lamêmeté absolue parce qu'à cemoment-là, l'analysant est justementsur ses gardes de vérifier s’il n’y auraitpas un petit quelque chose qui auraitchangé.

Donc évidemment dans cettedimension, tout est question de mesure,de tact, il s'agit d'obtenir un effet debanal. Évidemment, ça n'empêcherajamais le sujet hystérique d’être alerté àce que vous auriez laissé traîner, quin'était pas là l’autre fois, ah ah ! ! Vousavez… ah ah ! ! Ça, évidemment, c'estce qui porte précisément le sujethystérique, éventuellement, à démentirla banalisation du monde et à chercherles signes du désir, même infimes, quitraînent toujours ici et là.

Donc la séance analytique réduit cetinput perceptif et elle, la séance, faitobstacle à l’issue motrice de l’input.

Elle met le sujet foncièrement enposition qu’Aristote disait - Aristote n'apas parlé de la psychanalyse… -akinétique. Aristote n’a pas parlé de lapsychanalyse mais il a parlé dusommeil, c'est là que j'emprunte cequalificatif d'akinétique.

Et donc, de façon ordinaire, lemobile analysant est réduit àl'immobilité du décubitus dorsal. Enfin,

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que vous l’ayez en face de vous, assissur un fauteuil ne change pasfoncièrement cette akinésie.

Et donc, la séance analytique, si onla considère et on la décrit sur ce modepsychologique, est une opération sur lechamp perceptif, sur le champ deconscience et précisément, c'est uneopération sur l'attention.

On s'arrange, dans la séanceanalytique, pour que le champ deconscience du sujet ne soit pas sollicitépar le monde extérieur, pour qu'il setrouve plongé dans un monde nonévénementiel de telle sorte quel'attention se trouve reportée toutnaturellement sur le monde intérieur.

Tout ce qu'on articule sur le cadreanalytique, en définitive se réduit auxmoyens qu'on met en œuvre pourobtenir de l'attention qu’elle se reportedu monde extérieur au monde intérieur.

Et alors il se dégage, un faitétonnant, sauf qu’on a cessé depuislongtemps de s’en surprendre, à savoirqu'il existe, des événements depensées et qu'une fois qu'on a réduit,minoré les inputs perceptifs, on voitapparaître automatiquement, un autretype d’inputs qui passent inaperçusd'habitude et qui sont des pensées quine sont pas provoquées par le mondeextérieur, où il ne se passe rien, rien quivaille l'attention, des pensées qui semanifestent au sujet et c'est disons,cette conception qui est celle quiorganise la façon dont Freud nousprésente la séance analytique, quelleest le lieu où la réalité psychique peutenfin se manifester comme telle et parles pensées qui alors entrent dans lechamp de conscience.

La règle analytique, pour Freud, çan’était pas autre chose que derecommander au sujet de laisser venirses pensées et de les convertir aussitôten énoncés à l'adresse de sonanalyste, de les convertir en message.

Alors ces pensées qui alorsadviennent ou qui tombent, commedisait Freud dans sa langue, sont sansdoute intimes puisqu'elles ne viennentpas de la réalité extérieure, ellesviennent de l’intérieur, mais en mêmetemps avec un caractère de saugrenu

qui laisse voir qu'elles sont motivéespar autre chose.

Et c'est ainsi que dans ce que laséance analytique dispose, lespensées, ces inputs différents de ceque le sujet reçoit dans son activité,apparaissent comme des messagesreçus de l'intérieur, comme si le sujetétait habité par un émetteur depensées-messages.

Si on voulait donner une descriptionphénoménologique de l'expérience del'analysant, on arriverait à formuler ceque Lacan énonce à un tournant de sonInstance de la lettre, qu'il y al'expérience d’un autre qui m’agite ausein le plus assenti de mon identité àmoi-même.

Je suis là, rien de ce que je perçoisn’est de nature à me retenir, il n’y a làque moi et pourtant voilà que despensées m’arrivent dont je suis lesiège, le transmetteur et qui ne sontmotivées que cette réalité psychiqueelle-même.

Et donc, la séance analytique, à laconsidérer de cette façon rasante, à rasdes pâquerettes, induit une expériencede l’extimité, à savoir qu’au sein mêmede ce qui m’est le plus intérieurapparaissent des éléments dont je nepeux pas répondre et qui sont là,éventuellement qui s'enchaînent, quime manquent ou qui au contraireaffluent et qui me dépossèdent, là, demon initiative.

C'est cette expérience en quelquesorte primaire de l'extimité, quiconduisait Freud à avoir recours à lamétaphore de Fechner « une autrescène » où Lacan a vu les prémices deson grand Autre. C'est aussi bien ce quiinduit la position de l'inconscient etaussi bien celle du surmoi. Le surmoi,c'est l'inconscient considéré sous saface impérative : il me fait faire ça, il mefait dire. Cette face impérative peut seprésenter sous sa face de prohibition,ne pas, qu’on a, on se demandepourquoi, spécialement valorisée, saface pericoloso sporgersi, ou sa facepositive injonctive : fais ceci !

On s’est demandé comment cetteface impérative s’articulait avecl’impératif pulsionnel et, en définitive,

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jusqu’à poser qu’entre le surmoi et lapulsion, il y avait précisément uneaffinité évidente que mettait en valeur lecaractère de contrainte de l'action,empêchement, comme propulsion àagir. Et c'est en cela que la séanceanalytique induit une expérience quirépète celle du sommeil. Aristote acommit un traité sur la veille et lesommeil. D'une façon très suggestivepour nous, c’est déjà tout à faitremarquable d’avoir consacré un traitéau sommeil, parce qu’il y a beaucoupde philosophes qu’on peut lire, si on neconnaissait la condition humaine quepar leurs ouvrages, on ne devineraitpas qu'on dort.

Il qualifie le sommeil de desmos

desmos

que Heidegger traduit très bien commeun lieu d'assujettissement. Je regretteque Heidegger, après avoir fait cetteremarque notable au sujet d’ailleurs,de ce qu’il dit : il y en a certains quiparlent d’inconscient, il dit ça dans lesannées 20, c'est un des très rarespassages où il prend en compte, defaçon voilée, la psychanalyse. Jeregrette que Heidegger ait renoncé àune phénoménologie du sommeil.

Quoiqu’il en soit, la séanceanalytique est aussi un desmos, un lieud’assujettissement et on a privilégiéprécisément, dans la psychanalyse, lelien du desmos de l’analyse, de laséance analytique, avec le desmos dusommeil, c’est-à-dire qu’on a donné audépart une valeur éminente au rêve. Onlui a donné la valeur de message del’extime. Ce qu’on a appelél’interprétation des rêves, ça a été uneexploration de cette extimité, laméthode pour s’y retrouver dans cetteextimité, la faire sienne, se laréapproprier comme un moded’expression et faire en sorte que le Ichadvienne dans le domaine de l’Es, que,dans ce lieu d'assujettissement le Ichpuisse néanmoins vivre.

Si la séance analytique est undesmos, si c’est le lieu où l’on retranchela réalité extérieure autant qu’on peut

pour que la réalité psychique puisse semanifester, on comprend que la séanceanalytique a nécessairement une duréelimitée et pas simplement limitée par lapression du patient suivant. C’est qu’onne peut pas vivre en état de séanceanalytique. Je ne sais pas si vous avezjamais rêvé de ça, une séanceanalytique qui durerait toujours, uneséance analytique qui durerait toujoursconduirait à la mort.

Autrement dit, la durée limitée de laséance, voilà une façon de déjàl'approcher comme une duréenécessairement limitée, la séanceanalytique est nécessairementsporadique et la fin de la séance, onpourrait la formuler sous forme d’unimpératif : refoules ! Remets-toi àrefouler pour pouvoir vaquer à tesoccupations.

Parfois, des sujets ont de la peine àquitter la réalité psychique pour laréalité extérieure. C'est pourquoi onleur dit faites bien attention, quand onrepère une certaine lenteur à émergerde ce qui a été installé par la séanceanalytique où un certain nombre, dephénomènes de l’équilibre semanifestent dans le moment de sortirde la réalité psychique, vertiges, uneadhérence continuée à l’espace de laséance. Et donc la fin de la séance, çaconsiste pour l’analyste à reconduire lesujet à la réalité commune.

Donc la séance analytique, c'estessentiellement une mise en contacttransitoire du sujet avec ce que Freudappelaient la réalité psychique.

La séance analytique permet deconstater, c’est pourquoi il y a chez lesanalystes souvent une fatigue devantles objections faites à l'inconscient ou àla pratique de la psychanalyse. C’est dugenre : commencez par vous y mettreet vous en parlerez après ! On peutpasser pour obscurantiste, mais enfinqui vient de l'évidence induite par laséance analytique, que cet émetteurextime a une réalité et qui se mesure,qui s'apprécie, à l'aune de saconstance, de sa permanence, de lapermanence de ses messages.

C’est ce que Lacan appelait ledisque, le discourcourant. Évidemment

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un disque, ça s'écoute, ça s’écoutedans le temps, et donc il y faut lasuccession du temps. Mais en mêmetemps dans le disque, tout est là, toutest inscrit et donc le disque apparaîtcomme hors le temps.

Et c’est un phénomène donttémoignent les sujets, d’une séance àl’autre, que c’est comme si le tempsécoulé entre les séances n’existait pas.Et on s’émerveille, à l’occasion, qu’onreprenne à la séance suivanteexactement au point où on avait arrêtéla séance antérieure.

Ça fait déjà de l’effet quand c’est dulendemain par rapport à la veille, maisquand il s’écoule un mois, deux mois,six mois entre les séances et que c’estexactement pareil, là, la notion qu’il y aun disque et qu’il a une réalité objectivedevient très difficile à nier.

Autrement dit l'inconscient-disqueapparaît comme détemporalisé. Cequ'on appelle l'inconscient, c’est unensemble d’éléments détemporalisés,énoncés, images, situations, actionstypiques, éléments qui se trouventconditionnés dans la vie du sujet. Cesévénements sont toujours intempestifs,c'est-à-dire désaccordés. Ce que Freudnous a appris à reconnaître et queLacan a inscrit dans la rubrique desformations de l'inconscient, ce sonttoujours des événements intempestifs,quand ils se manifestent.

La séance analytique, en mêmetemps qu’elle met le sujet en contactavec cet ensemble détemporalisé,constitue une opération deretemporalisation parce que là, onécoute le disque. Il est très difficile dedonner son statut à ce que je vous aiglissé là comme hors le temps. Trèsdifficile à penser et ça nous introduit àce qui s’est commenté répétitivement,passionnément parfois, comme lesparadoxes du temps.

Le temps ? C’est un objet trèsdifficile à penser. C’est toute laquestion, est-ce un objet ? C’est unobjet de pensée qui est toujours apparuà ceux qui ont fait profession de pensercomme spécialement rebelle auconcept.

Le temps a volontiers été éprouvécomme une défaite de la pensée. Il y aen effet quelque chose dans l’être dutemps qui est insaisissable. Maiscomment vous le faire toucher du doigtsans verser dans une érudition dont iln’y a que faire ici ? Peut-être ensaisissant d’abord le temps comme lecontenant universel de l’être. Ça s’estformulé de façons diverses chez lesphilosophes, que tout ce qui est estdans le temps. Le temps a ététhématisé chez Aristote par exemple,to-n-o, c’est ce dans quoi tout ce qui estse trouve.

On peut se représenter le tempscomme le contenant de tout ce qui estet qui est contraint de s’y succéder, d’ydevenir.

Un contenant

D’où de profondes réflexions sur lefait que tous hors du temps s’annulent,qu’aucun temps n’est hors du temps.

Mais cet axiome qui fait de tout êtreun être dans le temps laisse dépourvuou embarrassé, quand il s’agit depenser le temps en tant que tel, l’êtredu temps.

On ne pouvait pas imaginer lecasse-tête en quoi consiste de réfléchirsur : le temps est-il dans le temps ?Est-ce que le temps est temporel lui-même ? Est-ce qu’il est intra-temporel ?

C’est le problème même du cadre,du cadre où s’inscrit ce qui est dans letemps. C’est ce qui a conduit danscertaines philosophies du temps, àdistinguer sévèrement d’un côté ce quiest dans le temps et le temps lui-même.

C’est ce qui a animé toute la critiquedes empiristes qu’on a fait desempiristes. On leur a reproché deconfondre le temps avec ce qui estdans le temps.

Au fond, la philosophie a fait dutemps un problème en essayant depenser le temps hors du temps, c’est-à-dire conduite à dédoubler le temps. On

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est conduit à toujours distinguer l’intra-temporel, que je marque ici T1 et puisle temps lui-même auquel je mets, pourl’ordonner, l’indice 2, T2.

T 1

T 2

On peut répartir les discoursphilosophiques selon qu’ils considèrentqu’en définitive ce T2 n’est qu’uneillusion et ce sont volontiers lesphilosophiques qui font du temps unêtre. Si tout ce qui a un être est dans letemps, si le temps est un être, il doitêtre lui-même dans le temps. Alors queT2 est toujours susceptible, soupçonné,d’être un non-être, de n’être qu’unnéant. Autrement dit les discoursphilosophiques se laissent répartirselon qu’ils posent une auto-inclusiondu temps ou qu’ils essaient d’élaborerun mode d’être spécial pour le tempsen tant que tel.

Il y a un certain nombre dephilosophes qui n’ont pas du tout reculéà considérer que T2, c’était un non-être.Pour Parménide ou pour Spinoza, letemps comme tel n’existe pas. Kant atrouvé une autre solution, il a dédoubléle temps éminemment. Il a pensé T2comme la condition de possibilité desphénomènes, comme la condition depossibilité de l’intra-temporel,spécialement dans sa polémique avecles empiristes, que l'idée du temps nevient pas de ce qui est dans le temps,mais qu'on peut avoir la perception dutemps que parce qu'on l’a a priori, c'est-à-dire comme fondement de toutes lesintuitions temporelles. Et donc le horsdu temps de T2, il l’a conceptualisécomme une condition de possibilité, dudéroulement temporel, comme uneforme pure des phénomènes.Évidemment ça a été susceptible, dansles deux siècles qui se sont écoulésdepuis cette élaboration, de deuxlectures, cette notion d’une forme purea priori du temps. C'est qu'on a pu fairedu temps ou bien une pure règle apriori, c'est-à-dire comme un savoir

qu’on a déjà avant toute perception,que tout ce qui se présentera seratemporel, comme le savoir anticipantque tout phénomène se présenterasous forme temporelle. Ou bien on acherché à inventer une conscienceoriginaire de la temporalité.

Autrement dit, on a pu donner à Kantsur le temps comme sur toutes sesélaborations ou bien une lecture detype logicienne, de type logique, àsavoir : c'est une règle a priori, c'estune anticipation fondamentale, on sait,avant tout phénomène particulier, qu'ilse déroulera dans le temps, ou bienune lecture de type phénoménologique,à savoir : il y a une conscienceoriginaire de la temporalité avant quoique ce soit qui se présente commeétant dans le temps.

C'est façon dont nous, le logicismede cette approche, ce qu'elle peut avoirde logicien. Platon avait rencontré lephénomène du paradoxe du temps déjàdans le Parménide, le paradoxe que letemps comme tel n'est pas temporel.Aristote, dans son traité du temps, lelivre IV de La physique, que j'ai eud’ailleurs jadis à m’appuyer pourl'agrégation de philosophie, Aristotecentre tous les paradoxes du temps surl'équivoque du maintenant.

Il découvre que le maintenant, le purprésent instantané, c'est à la foistoujours le même et il est en mêmetemps toujours autre, identique etdifférent et que donc il a un traitsingulier de mode d'être.

La singularité de l’être du temps,chez Aristote, il le pense à partir duparadoxe du maintenant, c'est-à-dire leparadoxe du schifteur maintenant,comme il disait auparavant.

Il recule à en faire unhypokéimenon, il recule à en faire unsubstrat physique. Il recule à en faire unsujet logique, pour lui le maintenantc’est un pseudo-être.

Je passe là-dessus parce que je nepeux pas défalquer le fait que ça n'estpas une littérature que la majorité demes auditeurs ici ait pratiquée ou desproblèmes qui les aient fait palpiter.

Donc je ne vous donne que desarticulations essentielles de la question,

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et même le moyen de vous extraire devos émois, tout à fait éventuels, sur laquestion. Le temps, ce qui sedégagerait d’une enquête un peuapprofondie sur les tourments de lapensée à propos du temps, pourraittrouver à se pacifier en considérant quele temps a une structure russellienne.Que le temps est équivalent a lastructure d'un ensemble de Russel,c'est-à-dire qu’il n’est ni en lui-même, nihors de lui-même et qu’il est à la foisles deux et qu'il n'y a pas de philosophequi n'ait été conduit à la fois à vouloirréunifier le temps et à le stratifier. Il y ades philosophies qui le stratifient, qui ledédoublent, il y a des philosophies quiessayent de le penser, ils le dédoublentmais ça demande d’élaborer un moded’être tout à fait singulier, pour T2, oubien ils unifient ces deux temps et alorsils engendrent un être paradoxal dontils ne parlent qu’en termescontradictoires, y compris Heidegger.Heidegger, quand il est vraiment sur lapiste du temps, il dit à la fois dans unlangage kantien le temps est unecondition de possibilité pour qu’il y aitquelque chose comme de l’être et puisil dit en même temps, ce qui n'est pasdu tout la même chose, qui estcontradictoire, le temps est proprementle Dasein lui-même.

Autrement dit ou bien on dédouble,ou bien on crée un être en lui-mêmecontradictoire. Reste que, rien nedémontre qu’on ait jamais pensé letemps effectif, Wirklich autrement quecomme succession et c'est un fait qu'iln’y a pas de repère supérieur pour lasuccession qui soit supérieur à celui dela chaîne signifiante elle-même.

C'est ailleurs ce qui avait conduit lephilosophe Derrida dans sa lecture dulivre IV de La physique à constater quefinalement Aristote, à partir du paradoxedu maintenant, il ne faisait pas autrechose que décrire la chaîne signifianteet le paradoxe intrinsèque au signifiant.Analyse à quoi Derrida a été conduit, çaparaît évident, par son approche deLacan. Donc il avait mis en valeur dansla théorie aristotélicienne du temps, enfait l'instance de la lettre, opérante.

Et c'est un fait, en tout cas c'est par-là que nous nous procédons, que letemps est toujours articulé au signifiantet c'est pourquoi on peut ordonner lesphilosophies à un paradoxe commecelui de Russel. Les paradoxes dutemps se prêtent à être ordonnés parun paradoxe purement signifiant et parune disposition purement signifiantecomme celle qui engendre le paradoxede Russel.

C’est ainsi qu'on doit compléter ladémonstration de Lacan qui concernel'espace en la transposant sur le temps.Qu'est-ce que démontre Lacan ? Ildémontre que parler génère le grandAutre et le génère comme un lieu. C'estque parler suppose une position de laparole, parler se pose toujours en véritéet de se poser en vérité, la parole sedéporte d’elle-même vers un autre lieu,vers le lieu de l'Autre qui est à la fois lelieu de son adresse et le lieu de soninscription.

Le concept même du grand Autre,chez Lacan, suppose un dédoublementde l'espace, suppose la position d'unautre lieu. Si on voulait le dire entermes philosophiques, c'est un effetpur de la chaîne signifiante en tantqu’articulée dans la parole. Le chaînesignifiante, selon Lacan, dans sadémonstration, pose une extériorité,pose un ailleurs, elle fait exister l'Autre,elle le fait exister comme lieu de laparole. Je ne fais que vous restituer ceque nous annonons tous à partir de« Fonction et champ de la parole et dulangage », c'est que la fonction de laparole s'enlève sur le champ dulangage et ce champ a valeur de lieu del'Autre. C'est ailleurs un lieu qui setrouve matérialisé par l'écriture en tantqu'elle demande une surfaced'inscription, tandis qu’inversement,dans l'écriture s’évanouit l’adresse de laparole, d'où la délocalisation del'adresse qui s'ensuit.

Eh bien, concernant le temps, ellepeut prendre le même départ que celuique nous indique Lacan concernantl'espace. De la même façon qu'il y a lelien du grand Autre, il y a le temps dugrand Autre.

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C'est ce qu'on a approché déjà dansle standard, quand on a mis l'accent surle fait que le temps de la séanceanalytique était le temps de l'Autre etl'indépendance de la durée de laséance par rapport à votre tempscomme sujet a mis l'accent sur l’altérité,l’altérité du temps et donc on asouligné, en particulier, la régularitéaveugle du temps, absolu, du typeTuring. Là, ce qui opère, se serait lasuccession des séances qui pourraitêtre présentée comme une bande deTuring, pas de Moebius, de Turing, oùl'unité centrale serait contrainte d'allertoujours de l’avant et de marquer plusun.

Il y a une perspective, en effet,qu'une analyse se déroule sur unebande de Turing et c'est ce qui justifiequ’une séance manquée soitconsidérée comme une séance faite. Leplus souvent c'est vrai, parce que letemps de la séance que vous manquez,le plus souvent, comme par miracle,vous le consacrez à un moment ou à unautre à penser à cette réalité psychiqueà quoi vous auriez été voué pendant,auprès de l'analyste.

Mais si une séance manquée estconsidérée comme une séance faite,c'est parce qu'on dédouble le temps,c'est parce qu'on distingue tout à fait letemps empirique où on vient ou on nevient pas et le temps comme tel del'analyse où la petite case inscrite sur labande de Turing reste là, que vous yayez inscrit des signifiants ou que vousne les ayez pas inscrits. La bande ason objectivité propre et l'analyseconsiste à installer cette bande deTuring.

Il arrive qu'un patient attende, etpuis il se fait impatient, ce qui est contresa définition, et il s'en va. Mais, à cemoment-là, il laisse son vide, il laisseson vide comme le cambrioleur laissesa trace après être passé. Finalement ily a des sujets qui adorent se faire voiret puis disparaître. C’est tout à faitindicatif de leur mode d'être dansl'analyse.

Ce dédoublement du temps qui estle débat philosophique sur le temps,toute la théorie de Bergson consiste à

dédoubler le temps, à montrer qu'il y aun temps qui est modelé sur l'espace etpuis qu'il y a un temps pur.

Le dédoublement du temps est uneopération philosophique constante aucours des siècles, ce dédoublement dutemps nous le rencontrons aussi bienchez Lacan et il a introduit un mode dutemps qui lui est propre, qu'il a appeléle temps logique et qui se distingue dutemps empirique, c'est la versionlacanienne de T2, Lacan aussi astratifié le temps.

Évidemment, ça peut paraître êtreune psychologisation du temps, dans lamesure où on peut penser qu’attendre,se dépêcher, ce sont des valeurs qui netrouvent à s'inscrire que par rapport autemps objectif et qui inscriventl’affectivité du sujet par rapport autemps objectif.

Or, Lacan prétend que le sujet qu'ilmet en scène est un sujet de purelogique, et donc que cette logiqueintègre le temps. Il est clair que lalogique n’intègre le temps qu'àcondition d’intégrer l’Autre.

Par là même, il introduit un nouveautype de conclusion logique qui n'est pasune conclusion logique intemporelle,atemporelle, qui n'est pas articulée à lavision simultanée des éléments, commeil évoque pour caractériser ce qu'ilappelle la logique classique, mais uneconclusion intrinsèquement temporelle,liée à un acte.

C'est déjà faire apercevoir que dansce que nous appelons la logiqueclassique, il opère comme unesuspension du temps et que l’attraitpropre de la logique vient de ce qu’endéfinitive, on l’a toujours située hors dutemps, on a fait des mathématiquescomme la façon de faire l’expérience dela vérité hors du temps.

C’est ce qui est, singulièrement parLacan et pour l’expérience analytique,démenti et qui obéit déjà, même si çan’est pas apparent, à la singulièretemporalité que comporte le schémarétroactif de Lacan qui est àdevoir guider toute lecture du Tempslogique, si on admet de repérer ici surle vecteur qui se présente ici commeune ligne droite, la flèche du temps.

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1 2. .

Il est clair que ce schéma de larétroaction comporte une réélection desrapports de l’antérieur et du postérieur,c’est-à-dire qu’en lui-même ce schémas’inscrit en faux contre la nominationunivoque de la succession. Ce quiparaît comme antérieur et postérieursur le premier vecteur trouve un ordreinverse sur le second vecteur.

Si ici ce point, celui qui est rentré enpremier sur ce vecteur et ce secondpoint en second, sur l'autre vecteur ilsinversent leur rapport de succession. Etpar là même, on trouve la même chosesous le titre de Lacan « La topologie etle temps. » La topologie, c'est ce quipermet de penser en effet cet échangeentre le dessus et le dessous, l’intérieuret l’extérieur et, appliqué au tempsl’antérieur et le postérieur. Donc déjàsur ce schéma, nous avons unetopologisation du temps qui suppose des'écarter de ce qui a été véhiculépendant des siècles comme l'évidencepsychologique pour introduire une miseen forme signifiante du réel qui nous faitvaloir des relations qui démententl’évidence simple de la succession.

La fois prochaine, je rentrerais plusdécidément dans ce Temps logique etje serais très content d'avoir l’aide dePierre-Gilles Guéguen qui m’a apportéun commentaire sur le temps, et je luidemanderais de bien vouloir le partageravec nous au début du cours prochain.

Fin du cours XII de Jacques-AlainMiller du 15 mars 2000.

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LES US DU LAPS

Jacques-Alain Miller

Treizième séance du Cours

(mercredi 22 mars 2000)

XIII

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Comme je vous l’ai annoncé ladernière fois, nous commenceronscette séance par la contribution dePierre-Gilles Guéguen, qui s’intitule Letemps de Freud et celui de Lacan.

Je ne vous laisse pas le temps,d’habitude, de me poser des questions,il faudra que je sache exactementpourquoi, mais je n’ai aucunerésistance à offrir Pierre-GillesGuéguen à vos questions et auxmiennes.

Donc nous allons l’écouter, nouspourrons débattre de ce qu’il apporte etje pense avoir le temps, à la suite, aumoins de commencer à mettre lesjalons nécessaires pour progresser surle concept de temps logique à partir dutexte de Lacan. J’ai essayé d’en tirerautre chose que ce que l’on en tired’habitude et je pense pouvoircommencer à l’apporter à la fin de cetteséance. Je donne la parole à Pierre-Gilles Guéguen.

Pierre-Gilles Guéguen : Il est de l'expérience la plus

commune que l'analyse est un procédélié au temps, à la durée. Durée descures qui se sont allongées déjà duvivant de Freud, mais aussi durée desséances, au point que Lacan refusa, auprix de son exclusion de l’IPA, de céder

6

sur la pratique de la séance à duréevariable qu’il avait instaurée contre latechnique de ritualisation du temps desséances qui prévalait alors.

La scansion inattendue accélérait laséance, donnait un prix à chacunecomme promesse d’une rencontrelongtemps retardée et souventpréparée, faisait de chaque séance,non un espace de jouissance corrélé audroit du patient à occuper le temps del’analyste mais plutôt l’occasion d’unerencontre avec l’Inconscient et lavérité1.

Le déroulement d'une analyses'éprouve en effet aussi bien pourl’analysant que pour l’analyste, commeune série de séances, de scansions,d’accélérations, de ralentissements,phases prises dans une durée nonhomogène, rythmée par des momentsmarquants (des « tensionstemporelles », des « moments desuspens », des « moments deconclure » pour reprendre des termesutilisés par Lacan). Si nousconsidérons, avec le Lacan de « Lachose freudienne » que l'analysetouche au « joint à la vérité2 » alorsnous acceptons également qu'elle suitun progrès temporel. Ceci veut direque, dans la durée, l'analyseaccompagne et permet le progrès dudévoilement de la vérité. Une curepsychanalytique est en effet uneenquête sur la vérité de la position dejouissance du sujet même si ce n’estpas la seule définition qu’on puisse endonner. Il en résulte, dans la règle, quel'analyse commence, se déploie puisaboutit à une fin qui, quelle que soit sanature, laisse l'analysant avec quelquesannées de plus qu'au moment de sademande initiale. À cet égard, qu'il y aiteu ou non de l'analyse, le temps s'estécoulé. Une temporalité linéaire,chronologique et biologique s'estdéployée. Pour autant, il n’est pas ditque la temporalité logique de la cure aitabouti. Freud soutenait quel’Inconscient ne connaît pas le temps,et se heurtait à l’impasse de l’analyseinterminable, Lacan donne une autreversion de la temporalité et conclut àl’analyse avec fin. Freud et Lacan sur la

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question de la temporalité nes’opposent pas mais Lacan, enprolongeant Freud forge son propreabord du concept de temps et en fait unusage à sa main.

La position de Freud ne variera pas :l'Inconscient, travailleur infatigable, neconnaît pas le temps. Durant toute savie, envers et contre tous, Freudsoutient ce point de vue contre ceux quiveulent faire de la psychanalyse uneherméneutique. S’il tient tant à cetaxiome c’est qu’il est pour lui essentieldans l’édifice de la psychanalyse pourla distinguer des psychothérapies, pourmaintenir à sa manière que lapsychanalyse porte en elle unequestion sur l’être. Freud en effet,comme Lacan, s’est aventuré au-delàdes limites thérapeutiques del’expérience. Alors même que le sujetsouffrant qui apporte sa plainte croit audébut pouvoir résoudre par la guérisonle problème qu’il vient poser àl’analyste, l’analyse le déporte au-delàen posant la question de son être dejouissance.

Le temps joue sa partie dansl’analyse, et Freud en fait très tôtl’expérience : il constate (et d’abord àses dépens), que c’est seulement dansson rapport à l’Inconscient que le tempsdu sujet se brouille. Il le découvre avecla psychopathologie de la viequotidienne. Le Président, pressé d’enfinir, déclare la séance levée alorsmême qu’elle devait commencer :éblouissant ratage du devoir maisréussite de la jouissance.

Freud d’ailleurs témoigne avoir euaffaire lui-même à cet effet selon lequel« le temps fait symptôme », selon letrès beau titre choisi pour les journéesde l’ECF en 1993, et ceci dansplusieurs pages de la Science desrêves. Le rêve dit « du conseilmunicipal » qu’il qualifie de rêve depère mort, en offre un exemple tout àfait bienvenu3. Freud en effet rêve qu’onlui réclame le paiement d’une noted’hôpital pour son père qui a eu uneattaque. Or, dans le songe, on est en1851 et Freud pense qu’à ce momentson père était déjà mort. Il le trouvecependant couché dans la chambre

adjacente : non seulement son pèren’est pas mort, mais il lui dit qu’il s’estmarié en 1851. Freud pense alors dansle rêve qu’en effet, il est né un an aprèsce mariage, soit en 1856, passant ainsipar-dessus une période de 5 ans qu’ilnéglige... Nous retiendrons de l’analyseque Freud en apporte, qu’il associe àce laps de temps un reproche à sonégard, émanant d’un confrère, etportant sur la trop longue durée d’unecure qui avait commencé cinq ansauparavant4.

Déjà il était manifeste quel’Inconscient ne veut rien savoir de lahâte de l’homme pressé. Il officie à sonheure.

Chronos et Logos

Les premiers temps de lapsychanalyse sont d’abord marqués parl’effort de Freud pour ordonner lessouvenirs de ses patients et les sienspropres dans une temporalitéchronologique, dans une linéaritédiscursive, dans une histoire.

Tout au long des « Etudes surl’hystérie par exemple », il recherchel’événement source, l’événementtraumatique dont la réalité pour lui nefait d’abord pas de doute. En 1897,année où il met sur pied sa théorie dufantasme puis en 1899, l’année où ilécrit sur « Les souvenirs-écrans », il luifaut cependant remanier sensiblementsa théorie et supposer que l’événementen question, soit n’a pas eu lieu, soit aété refoulé dès l’origine. Cette nouvelleconception de l’analyse donne touteson ampleur à la théorie de latemporalité d’après-coup, exposée parFreud à Fliess dès l’année 1896. Ildéclare en effet dans la lettre 525 qu’ilfaut toujours supposer à la défensepathologique (qu’il oppose à la défensenormale contre le déplaisir) d’avoir étémise en œuvre après-coup lors qu’unévénement, second dans le temps, arappelé l’inscription originelle d’unesatisfaction inacceptable par laconscience. L’événement source étaittoujours de nature sexuelle, il aura étéoriginairement refoulé et produira, lorsd’un rappel ultérieur, soit une

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compulsion - c’est-à-dire unsymptôme - (s’il est traduit avec plaisirdans l’Inconscient puis le CS) soit, s’ilest traduit avec déplaisir, unrefoulement, forme de défensepathologique. Dans cette lettre6 Freudse livre également à des essais depériodisation et de datation de l’originedes différentes névroses. Il tente àl’époque de tenir compte desélucubrations théoriques de Fliess dontil se dégagera plus tard. Néanmoins ladatation de périodes de formationpossible des névroses ou despsychoses sera pendant longtemps l’unde ses soucis (On en trouve la traceparticulièrement dans les « Trois essaissur la sexualité infantile » où la questiondu développement est importantenotamment pour tenir compte de laphase de latence observable chez lesenfants à la période qui précède lapuberté.)

Lacan a porté une attention préciseà cette lettre 52 et souligné le fait qu’àpartir de la théorie de la doubleinscription, elle donnait à la cureanalytique une dimension complexe,celle d’un temps fonctionnant dans unechronologie à deux sens, progrédientmais aussi rétroactif (temporalité deNachträglich7) puisqu’il faut supposerqu’une inscription première s’esteffacée définitivement mais qu’uneseconde la rappelle à la mémoire sousla forme d’un fantasme dont le contenusexuel est déterminant dans laformation de la névrose du sujet. Ilfaudra selon Freud, l’interprétation etdonc le placement dans une temporalitéchronologique de ce moment oubliépour que par l’analyse, les souffrancesnévrotiques acceptent de se dissiper.Ce point est particulièrement notabledans l’analyse de l’Homme aux loupsoù Freud traque le fantasme de scèneprimitive jusqu’à « exiger uneobjectivation totale de la preuve.8 »Lacan reprendra et prolongera enl’infléchissant, ce rapport de Freud à latemporalité. C’est le cas par exempledans « Fonction et champ de la paroleet du langage » lors qu’il déclare : « Ilne s’agit pour Freud d’aucune mémoirebiologique, ni de sa mystification

intuitionniste, ni de la paramnésie dusymptôme, mais de remémoration, c’està dire d’histoire, faisant reposer sur leseul couteau des certitudes de date labalance où les conjectures sur le passéfont osciller les promesses du futur9 »ou encore quand il considère que« l’Inconscient est ce chapitre de monhistoire marqué par un blanc ou occupépar un mensonge.10 »

Pour Freud, la période de sonélaboration qui se situe entre 1905 et1915 pose à nouveau la question de latemporalité de manière aiguë. Il s’agitde ne pas perdre de vue l’originesexuelle des névroses et de s’opposerau point de vue de Jung, qui voudraitfaire prévaloir une origine archétypiquedes névroses et des psychoses etcorrélativement effacer leur rapport à lajouissance sexuelle.

Freud refuse de céder sur sonétiopathologie sexuelle et il s’en tiendratoujours à cette position : c’est affirmerque l’être humain recherche toujours sasatisfaction, et, plus précisément, sasatisfaction dans le mystère du sexe.La théorie des stades (oral anal puisgénital) lui permet de garder à la foisune théorie du désir indestructible entant que recherche de satisfaction etd’admettre en même temps la perteprogressive d’une jouissance infantilesupposée perverse polymorphe. Que lepassage du temps permette en principed’observer que chaque être humainconnaît ces stades, ne dit cependantrien de la causalité des fixations ni dupassage d’un stade à un autre. Alorsque les kleiniens insisteront à la suited’Abraham sur la valeur de cettepériodisation, Lacan la conteste ensignalant que jamais la sexualitén’atteint à l’idéal génital. Il s’agittoujours d’une satisfaction de bordd’organe (même dans ses formes lesplus abouties) soit d’une satisfaction decorps11.

Le point de vue de Freud sur leproblème du temps dans l’analyse danscette période de son élaboration estparticulièrement bien développé lors dedeux séances du mercredi à Vienne enoctobre 1910. Le 18 octobre a lieu uneréunion où sont assemblés entre

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autres, Tausk, Stekel, Federn, Sachs etSabina Speilrein autour de Freud.Tausk se livre à l’analyse d’un rêve quine nous est pas rapporté mais quisoulève la question du temps. Oncomprend à demi-mot que lasatisfaction du rêveur, qui sempleaboutir à une pollution nocturneconcerne des objets du passé12. Tausksignale que dans le rêve, s’il s’agit biend’une réalisation de désir, la pulsioncherche à se satisfaireindépendamment du temps. Tauskremarque justement que « Nousobservons cette exclusion de l’élémenttemporel à l’endroit où l’affect qui a agidans le rêve fait son apparition. L’affectse rapporte à la représentation àlaquelle il appartient comme à un objetactuel du monde extérieur ; il ne tientpas compte du fait que l’objet réel desdésirs du rêveur appartient au passé. »Tausk signale par ailleurs que cetaspect des choses a déjà été traité parFreud dans sa théorie de la régression.

Freud intervient dans la discussionpour donner les indications suivantes :

« Nous avons été amenés à voir quel’Inconscient est intemporel. Le rêve nel’est pas entièrement parce qu’il est unprocessus qui se situe entrel’Inconscient et le Conscient… . Ladimension du temps est liée aux actesde conscience. » Manière freudiennede dire que : dans la réalité « que lesujet doit composer selon la gammebien tempérée de ses objets, le réel, entant que retranché de la symbolisationprimordiale, y est déjà. » (Écrits, p. 389,« Réponse au commentaire de JeanHyppolite »)

Deux semaines plus tard, la réuniondu mercredi est consacrée à la« prétendue intemporalité del’Inconscient. » C’est Steckel qui prendle premier la parole pour signaler que,dans la réalité, le névrosé tend àannuler la valeur du temps et à resterfixé à des objets d’amour infantiles. Ilsignale aussi que le névrosé ne donnepas au temps sa vraie valeur (qu’ilarrive par exemple en avance ou enretard à sa séance) ; Il interprète latendance cette tendance à annuler letemps par le fait qu’ils ne veulent rien

en savoir à cause de l’Inconscient qui,lui, veut l’ignorer. Ainsi la discussion estlégèrement déplacée de l’analyse desformations de l’Inconscient à l’examende la pantomime du névrosé. Sur cepoint Lacan reprendra à plusieursmoments de son enseignement cesaspects symptomatiques de l’usage dutemps par le névrosé.

Federn ramène la discussion à sonpoint d’entrée du 18 octobre, en posantque dans ses couches les moinsprofondes « préconscientes » dont lerêve est un exemple, la temporalitéconsciente n’est pas ignorée puisquenous déchiffrons les rêves à partir duconscient tandis que dans ses couchesles plus profondes elle l’est.

Sachs introduit là, en citantSchopenhauer, le fait que le désir, entant que volonté est indestructible, etcomme tel, intemporel, immortel,éternel, tandis que dans le conscient il ya la marque du temps à ceci prèstoutefois que « le conceptd’intemporalité ne peut totalement êtrerejeté : l’Inconscient prive pour ainsidire les représentations de leur valeurtemporelle. » (Minutes, vol III, p. 297).Freud donne son accord à cesremarques et conclut la réunion endonnant son point de vue. Il insiste surle fait que la thèse selon laquellel’Inconscient ignore le temps n’est pasune thèse empirique. Elle relèveindique-t-il de la métapsychologie c’est-à-dire qu’elle est obtenue par déductionà partir d’une série de constatationsconvergentes : (fausse orientation desrêves dans le temps, fait que lacondensation est possible, absence deseffets du passage du temps pour lenévrosé, attachement aux objets,tendance des névrosés à se fixer.)

Ainsi en 1910 Freud présente-t-ill’essentiel de sa conception desrelations entre l’Inconscient et le tempsdans la droite ligne de ce qu’il avaitdégagé dans l’Esquisse d’unepsychologie scientifique, dans laScience des rêves, ou encore dans« Les fantasmes hystériques dans leurrelation à la bisexualité. » En dépit desvariations concernant la nature et la

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datation de l’événement source, il s’agittoujours comme Freud l’a découvertavec les premières hystériques de leverdans la cure l’amnésie qui frappe lespensées Inconscientes refoulées et quidu fait du refoulement contraint le sujetà une répétition de la fixation infantilede jouissance. Lever le refoulement,c’est introduire le sujet à la chronologie,lui redonner une prise dans sonhistoire. C’est ainsi en effet que Freuden traite dans les cas qu’il a publiés.L’Inconscient ne connaît pas le tempsparce qu’il s’agit pour Freud quel’Inconscient soit toujours rapporté aumême référent, à la question del’origine de l’Urverdrängt. C’est ce qu’ilcherchera à transmettre à travers lemythe de l’Urvater de « Totem etTabou » ou encore dans sa recherche àla limite de l’angoisse, du père primitifdans « Moïse et le monothéisme »13.***

En 1915 dans la« Métapsychologie », l’argument deFreud concernant le temps se fait pluscomplexe : dans l’article intitulé« Complément métapsychologique à lathéorie du rêve » en particulier, ildistingue deux régressionstemporelles : l’une est libidinale etfavorise le retour à la satisfactionhallucinatoire, l’autre est ditenarcissique et concerne le moi. Enprenant appui sur l’introduction dunarcissisme, il s’agit pour Freud desouligner le fait que le rêve est uneproduction de jouissance destinée àsatisfaire l’égoïsme du moi tout autantqu’une réalisation du désir Inconscientqui aboutit à la satisfaction proprementsexuelle. La régression libidinale estdite temporelle parce qu’elle renvoie àdes désirs primordiaux et, finalement, àla satisfaction hallucinatoire par laretrouvaille avec l’objet de toujoursperdu, soit à cette zone où l’Inconscientplonge dans le temps indéterminé.C’est le sens que Freud donne ausouvenir-écran et à l’analyse fameusedu rêve de la monographie botaniquequand il la reprend en 1915 dans« Considérations actuelles sur la guerreet sur la mort. »

Dans « Fugitivité », ainsi que dansles « Considérations actuelles sur la

guerre et sur la mort » qui précèdent depeu les textes de la« Métapsychologie », Freud avait déjàindiqué que ce que l’Inconscient refusedans le temps c’est surtout sa finitude,que ce qui est insupportable etd’ailleurs inenvisageable pour chacun,c’est sa propre mort, la représentationde la mort propre étant toujours du côtédu narcissisme du moi et non pas ducôté de la coupure qu’instaure la mortdans la vie. « Fugitivité » reprend cethème : « la libido se cramponne à sesobjets et ne veut pas renoncer à ceuxqu’elle a perdus, lorsque le substitut setrouve disponible. C’est bien là ledeuil.14 »

Ainsi le sujet ne veut-il rien perdred’une satisfaction primordiale au départhallucinée. C’est le thème que Freud atoujours plus ou moins présenté enmontrant que la vie, et donc lacastration qu’elle impose en exigeantdu sujet une satisfaction obtenue del’Autre et non plus narcissique étaittoujours une perte de jouissance. Lesujet névrosé, au départ perverspolymorphe, mais aussi narcisse, serefuse à y souscrire, même si cetteperte doit lui donner l’accès à une autreforme de satisfaction. Il y a donc unrefus général, mais d’autant plusimportant que le sujet est névrosé, àaccepter les expériences de perte,d’accepter la réalité de la mort pour luiet pour les êtres qu’il aime. Mais ce quemontre aussi « Fugitivité » c’est quetout en refusant l’être pour la mort, lesujet refuse aussi la jouissance duprésent : le poète de fugitivité et sabelle compagne ne jouissent pas de labeauté du paysage sous le prétextequ’il est condamné à disparaître. Dansce texte, la nostalgie prédomine, à lafois refus du passage du temps et refusde jouir de l’instant présent. Ainsi latemporalité se conjugue t-elle pourFreud avec la castration. Cetteintrication est d’ailleurs paradoxale, carce qui est refusé du réel de l’expériencedu sujet comme mortel, lui revient dansla vie comme angoisse de mort. C’estdans « Subversion du sujet etdialectique du désir » que Lacan peutrendre compte de ce qui chez Freud

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reste un peu ambigu concernant lacastration et son assomption.15 (Écrits,p. 827) C’est ainsi qu’il montre que lacastration n’est pas privation dejouissance mais transformation de lajouissance : « La castration veut direque la jouissance soit refusée pourqu’elle puisse être atteinte sur l’échellerenversée de la Loi du désir. »

L’« Au-delà du principe de plaisir »écrit en 1920 pour tenir compte de lapulsion de mort donne l’occasion àFreud de réaffirmer son point de vue :

« Certaines données recueillies parla psychanalyse nous permettentd’engager la discussion sur laproposition kantienne selon laquelle letemps et l’espace sont des formesnécessaires de notre pensée.L’expérience nous a appris que lesprocessus psychiques Inconscientssont en soi « intemporels. » Celasignifie d’abord qu’ils ne sont pasordonnés temporellement, que le tempsne les modifie en rien et que lareprésentation du temps ne peut leurêtre appliquée16 » Et, de nouveau,Freud attribue à la conscience et aupréconscient le jugement concernant letemps et signale que l’Inconscientn’entre nullement dans la course de cepoint de vue.

Toutefois la préoccupationdominante de Freud dans les dernièresannées de sa vie sera encore unepréoccupation temporelle : celle quiconcerne la butée des analyses sur larépétition, la réaction thérapeutiquenégative et surtout l’impossibilité demener les analyses à leur terme.

Temps logique et tempschronologique

« Le temps logique et l’assertion decertitude anticipée » a une valeur tout àfait centrale dans l’enseignement deLacan. Ce n’est pas seulement parceque c’est le seul texte des Écritsconsacré au temps, c’est aussi parcequ’il a une portée essentielle etdéterminante sur la suite de ce queLacan élaborera. Il s’agit d’une reprisede la thématique freudienne du temps,une reprise qui est aussi un

remaniement : à le lire dans l’après-coup, on peut y voir le tour de force queLacan accomplit pour ressaisir dansune inventivité nouvelle, la formuleselon laquelle « l’Inconscient ne connaîtpas le temps. » (Lacan lui-même nousinvite à cette lecture quand il signaledans « Fonction et champ » enreprenant les termes du temps logique,que Freud lui-même « annulait lestemps pour comprendre au profit desmoments de conclure qui précipitent lamédiation du sujet vers le sens àdécider de l’événement originel.17 »

Le texte du temps logique setermine sur l'idée que « l'assertionsubjective anticipante est une formefondamentale d'une logiquecollective. » Le terme de logiquecollective a là tout son prix car, commeLacan l’indique, ce travail devaitparaître dans la revue « Les Cahiersd’art » en 1945, qui avait interrompu sapublication pendant la période 1940-44pour des raisons « signifiantes pourbeaucoup de gens. »

Par ailleurs le texte, appuyé sur unparadoxe logique, est écrit dans uneperspective qui tranche par rapport aux« Propos sur la causalité psychique »qui le précède immédiatement dans lesÉcrits. Il forme, et c’est le choix deLacan, avec l’Intervention sur letransfert, la troisième partie des Écrits.Ces deux textes en effet font appel à lalogique et, tirent parti de la dialectiquehégélienne. Sans qu’encore le conceptde sujet soit mis en question par Lacan,il s’agit pourtant pour lui d’une entréedans la « technique » psychanalytique.L’ère de Lacan psychiatre,sympathisant de l’Evolutionpsychiatrique est close ; Les « Propossur la causalité psychique » marquentle détachement de Lacan par rapport àla phénoménologie.

Le temps logique situe Lacan dansson époque : Il ne pouvait pas ignorerl’ouvrage de E. Minkowski18, mais iln’en fait pas état car celui qui est soninterlocuteur caché mais aussi sonadversaire désigné c’est Sartre dont lathèse « L’Etre et le Néant » était sortiechez Gallimard en 1943. Il l’évoque

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indirectement lorsqu’il déclare : « Nousne sommes pas de ces récentsphilosophes pour qui la contrainte dequatre murs n’est qu’une faveur de pluspour la fin du fin de la libertéhumaine »19. Notons enfin que le texte,discrètement certes mais de manièreindubitable fait référence à l’époque età ce qui s’y était révélé de « barbarie »pour reprendre le terme encore non uséà l’époque, par lequel se conclutl’article.

Lacan perçoit le danger de la versionpersonnaliste de la psychanalysequ’incarnera Daniel Lagache, et restefidèle dans « Le temps logique », à ungoût, (si nous donnons à ce terme unevaleur forte qui l’avait amené à écrire« Les complexes familiaux »), qui le faitpencher davantage vers la sociologied’un Durkheim que vers la psychologie,et qui lui permettra de trouver avecSaussure, Jakobson et Lévi –Strauss lemoyen de hausser la psychanalyse au-dessus de l’ornière de la psychologieoù, depuis Freud elle risquait detomber.

Sartre dans sa thèse reste limité parles bornes que lui assigne laperspective philosophique prise sur lesujet. Le type de rapport à l’Autre qu’ildécrit est déterminé par les notions de« projet » ou de « situation » ; L’acte n’yest pas mis en rapport avec un savoirqui ne se sait pas lui-même, le rapportau temps sartrien en est affecté. Lefutur est gros de toutes les possibilités,comprimé de temps où tous les projetssont concevables, le sujet décide seulface aux autres : la conscience non-thétique de soi est transparence. Toutau contraire Lacan, dans son apologuedes prisonniers, construit un Autre dontles desseins, tout déterminés qu’ilssoient (c’est la donne de deux noirs etun blanc à partir de la « situation » dedépart) ne sont déductibles que par unelogique où tous les partenaires sontdans la position de deviner le désir decet Autre qui les surplombe sansqu’aucun n’en détienne la clé. Il n’y adonc aucune conscience non thétiquede soi mais un Inconscient, désir del’Autre : Lacan donnera plus tard une

autre formulation de l’Inconscient quiconviendrait bien pour en décrire lanature dans le cadre de l’apologue destrois prisonniers : « c’est quelque chosequi se dit, sans que le sujet s’yreprésente ni qu’il s’y dise, - ni qu’ilsache ce qu’il dit20 » Le sujet de Lacancomme le sujet sartrien suppose latranscendance du je, mais du fait del’Inconscient, seul Lacan permet desaisir que le je et le moi ne sont pas dumême registre. Le je qui décide dansl’apologue des trois prisonniers n’estpas le moi. On trouve un éclairage decette distinction dans « La chosefreudienne »21 : « Que le moi soit lesiège de perceptions… Nous le voulonsbien, mais il reflète en cela l’essencedes objets qu’il perçoit et non pas lasienne en tant que la conscience seraitson privilège puisque ces perceptionsdont pour la plus grande partinconscientes. » De ce fait le rapport dusujet au futur n’est pas fait de tous lespossibles : il est le fruit d’une décisionqui dépend de chacun des autres enrapport à la donne de l’Autre : C’estainsi que Lacan évite l’écueil desphilosophes et même des meilleurs, enprivilégiant une logique collective quiréussit à prendre en compte lesparticularités, et que nous opposeronsà la collectivisation des logiquesindividuelles qui, elle, nie la différence22.

C’est pourquoi Lacan déploie lalogique de cet apologue en insistant surla façon très particulière dont chacunpeut déduire quel destin l’Inconscient luia fait. La vérité ne s’y manifeste quedans le rapport de chacun à chacundes autres. Elle répond à une formed’incomplétude puisque : « On n'estque seul si l'on n'est tous à toucher auvrai, aucun n'y touche pourtant sinonpar les autres. » La vérité n’est donc làque comme place vide seulementsusceptible de se manifester si tous ytouchent : elle ex-siste, transcendante.

C'est donc à une logique qui incluten son centre un manque, un vide, queLacan suspend le moment de conclureet sa précipitation dans l'acte. C’estdans ce mouvement vers quelquechose qui n’est pour aucun si elle n’estpour tous que se manifestent pour lui

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les tensions temporelles, la hâte àconclure qui succède aux motionssuspendues dans le procès conclusif.Ce que Freud mettait à l’origine Lacanle mettra à cette place qu’il désigneradès Subversion du Sujet par lemathème S de A barré.

C'est une logique collective nousindique-t-il, en spécifiant que cettelogique collective est appelée pourcompléter la logique classique. Lalogique classique en effet est unelogique propositionnelle toute fondéesur l’opposition du faux et du vrai alorsqu’ici il ne s’agit pas tant de déclarerd’une proposition si elle est vraie oufausse que de convoquer la vérité àpartir de la possibilité qu’elle ne soitpas. Dès lors le temps se détache, nonpas comme une suite infinie d’instantstous égaux à remplir, ou comme un« tout est possible » du projet sartrien,mais comme l’avènement d’unarrachement sur le fond d’unejouissance à abandonner pour enconquérir une autre.

Alors voilà c’est le commentairedonc que j’avais fais donc de cettedeuxième partie du Temps logique.

Jacques-Alain Miller : - Il y aencore toute une partie de l’exposé dePierre-Gilles Guéguen qui porte sur leSéminaire XI et je propose que nousfassions une pause sur le Tempslogique.

J'ai vraiment été heureux de lirevotre travail qui a apporté denombreuses références sur Freud, queje n’ai pas amenées, je n'étais pas alléregarder les Minutes… en particulier, etje trouve tout à fait passionnantes lesdiscussions que vous avez rapportées,qui avaient lieu aux séances dumercredi. On assiste à l'embarras desélèves de Freud devant son assertionconcernant dans le temps.

Et vous notez que Freud a donné,dans ce contexte au moins, son accordaux remarques de Steckel ou de Sachsqui essayent de penser le paradoxe oule scandale de l’intemporalité del'inconscient.

Et vous notez que Freud tempèreleur zèle, qui les porte à la description,en notant qu’en fait, l’intemporalité del'inconscient, ça n'est pas une thèsequ’on pose à partir de l'observation ducomportement, si intéressante soit-elle,ça n'est pas une thèse qui s’imposed'observer, comme le fait Steckel, latendance du névrosé à annuler letemps, que c'est une thèsefoncièrement métapsychologique,acquise, vous le rappelez, pardéduction.

On voit là nettement Freud mettre decôté tout ce qui est de l'ordre de lapsychologie du temps, qui est undomaine évidemment extrêmementriche, qui a été exploité par lesphilosophes. Il y a des remarques quiont toujours été faites sur la variationpsychologique du sentiment du temps :rapidité subjective de l'expérience oubien sa lenteur, le temps de l’attente, letemps de l’ennui, on peut chercher laqualité temporelle des différentesmodalités de l'expérience humaine.

Freud à la fois accueille cesobservations, qui peuvent être faites surle comportement de l'analysant dans lavie, dans la cure, pour s'installer dansune autre dimension, la dimensionmétapsychologique.

On pourrait dire en raccourcid'ailleurs, que lorsqu’on a fait laphénoménologie du temps, lesphilosophes le rapportent en définitive àl'instance de la conscience, que ladimension temporelle a pour pivot lechamp de conscience.

Et on pourrait dire en raccourci qu’àpartir du moment où on supprime lechamp de conscience, ou en tout cason examine la subsistance d’objetspsychiques hors du champ deconscience, eh bien on supprime par làmême la dimension temporelle. Doncon pourrait mettre en valeur les affinitésde la conscience et du temps et, parcourt-circuit, acquérir la thèse desaffinités de l'inconscient et de lanégation du temps, de l’intemporalité.

Mais ça fait du temps, pour lapsychanalyse même, un objet depensée tout à fait valorisé. L'annulationsupposée du temps dans l’inconscient,

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si on regarde de près, ça ne veut pasdire du tout qu’on n’a pas à s’occuperdu temps, ça met le temps au contrairecomme objet dans une position derefoulement majeur.

Et c’est là je trouve remarquable quevous ayez formulé cette conjugaison dela castration et du temps, et qui est toutà fait manifeste puisque Freud élaboreles affinités de l'angoisse de mort, c'est-à-dire de la finitude temporelle de l'êtrehumain, les affinités de l'angoisse demort avec l'angoisse de castration.C'est ce que vous avez souligné et çaélève le temps à la dignitépsychanalytique de la castration, si jepuis dire. Il y a quelque chose qui, dansle temps, non seulement est difficile àpenser, voir impensable, mais il y aquelque chose dans le temps qui esthorrible à penser.

Dans la philosophie, on peut direque le temps n'a pas cessé de délivrer,de produire, d'inciter, de susciter desobjets de pensée paradoxaux.

- Pierre-Gilles Guéguen : - Ycompris la pulsion de mort.

- JAM : - Et la pulsion de mort elle-même est un objet paradoxal, bien sûr,dans la philosophie le statut dumaintenant, chez Aristote, le statut del'instant, l’être qu'il faut reconnaître aupassé, l’être qu'il faut reconnaître aufutur, apparaissent tout à faitproblématiques, sont l’objetd’élaborations contradictoires etéventuellement chacune difficilementcohérente.

Donc à quoi reconnaît-on,finalement, de l’être ? Est-ce qu’on lereconnaît à ce qui est passé, est-cequ’on le reconnaît à ce qui est présent,est-ce qu’on le reconnaît à ce qui estfutur ?

Donc, le temps ne cesse pas dedélivrer, en effet, et pour les formes lesplus élaborées de la réflexion, laphilosophie, des objets paradoxaux etmême des objets en quelque sortesophistiques, si je puis dire.

Alors, Lacan a fait une entréesensationnelle, quand même, danscette problématique, avec « Le tempslogique », d’abord parce qu’il ne s’estpas du tout occupé, enfin pas

évidemment, du temps et del’inconscient ; et pas du tout, comme lesphilosophes, de la consciente solitaireaux prises avec le temps, ou pivot dutemps. Il a introduit, au contraire,d'abord du multiple. Ça n'est pas laconscience solitaire et son temps et sonsentiment du temps, c’est d’emblée uneréflexion, une démonstration sur letemps qui porte sur des sujetsmultiples, chose qui n’a absolument pasété amenée, je crois, jamais à proposdu temps et il l’a saisi - je ne crois pasqu’il soit l’inventeur de cet apologue,mais il en a vu la ressource.

Et puis ce sont des sujets, ce quimet en scène les prisonniers, ils nesont pas aux prises avec leur sentimentdu temps, pas du tout, il n’en est pasquestion une seconde, ils sont auxprises avec un problème à résoudre,avec la nécessité d’atteindre uneconclusion et d’atteindre une conclusionproprement logique, non pas probable.

Alors la question c’est, sur ceproblème, comment est-ce qu’on résoutce problème, ce qui est posé au départc'est : comment chaque sujet peut-ilrésoudre ce problème ? Ce que Lacanamène, c'est qu'il n'y a pas de solutionà ce problème si on intègre pas desdonnées temporelles.

Et donc là, il y a une intégration dutemps à la démonstration logique, cequi est déjà évidemment, peut êtreconsidéré comme un coup de force,bien qu’il soit, dans le texte de Lacan,amené de façon très motivée.

Et donc tout l'accent est porté sur untemps épistémique et pas du tout surun temps libidinal. Et donc il y a unegrande opposition qu’on peut faire entrele temps logique ou épistémique et letemps libidinal, mais c’est aussi ce quipermet à Lacan, dans le passage quevous avez cité dans Encore, de dire :finalement, sous le temps logiqueépistémique, ce qui est présent, c'estun temps libidinal.

Alors il ne reste pas beaucoup detemps, là, ce qui nous obligera, commeprévu, à poursuivre la prochaine fois, àla fois votre dernière partie et mesconsidérations sur cet article, mais vouspourrez déjà réfléchir sur l'accent que

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Lacan met dans le passage que vousdites sur « être objet petit a sous leregard des autres. »

L’intérêt de Lacan pour cet apologueantécède quand même Sartre, Lacan aprit de l'intérêt à cet apologue dès1933, on en a le témoignage par unepage qui a été retrouvée de Lacan etqui a figuré dans une expositionconsacrée à Lacan, on voit que c’estplus ancien que L’être et le Néant, sonintérêt pour ça et que ça a été un objetde débat familier, chez Lacan, plusieurssoirs de suite, dans des discussionsauxquelles George Bataille participait.

- Pierre-Gilles Guéguen : - C’est àlui qu’il est fait référence dans la notedu Temps logique où Lacan dit avoirsoumis ce texte à des gens qui pourtants’y connaissaient et qui n’arrivaient pasà trouver la solution ?

- JAM – Voilà. Donc il y a vraimenteu une petite société de penséeinformelle qui s’est penchée sur leproblème.

Alors en effet, le problème à partirduquel Lacan développe cette affaire,comporte qu’il y a pour le sujet unmonde, il y a ceux qui voient, lui voitquelle est l’identité colorée des deuxautres, il voit, en l’occurrence, qu’ilssont blancs, mais il y a un pointd’ignorance, un point de non-savoir delui-même, qui est sa propre identité decouleur.

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On saisit déjà que, pour lui, les deuxautres ont un savoir qu’il n’a pas, ont lesavoir de ce qu'il est et que, enrevanche, à lui-même, tout ce savoir estsoustrait. Et donc on peut dire déjà : lesdeux autres, pour lui, ils ont leursignifiant, à savoir le signifiant blanc - je

suppose que tout le monde a lu le textede Lacan, c'est déjà une deuxièmelecture - chacun lui apparaît avec sonsignifiant, tandis que lui-même estdépourvu de la connaissance de cettemarque.

Donc il y a déjà, en effet, unedissymétrie de chacun par rapport auxautres. On peut mettre l'accent,concernant la démonstration de Lacan,ou sur le fait que chacun est pareil, etc'est pourquoi Lacan peut dire : ce sontdes sujets de pure logique et celui dontil reconstitue le raisonnement est unsujet de pur logique identique auxautres, mais un deuxième point de vuemet, en effet, en valeur cettedissymétrie et en quel sens chacun estun moins-un par rapport aux deuxautres. Ça, c’est un premier abord.

Qu'est-ce que je peux amener dansle temps bref qui reste ? Peut-êtresimplement qu'il faut déjà raisonner, sion essaye d’entrer davantage dans leTemps logique, il faut raisonner commeil m’était arriver de le faire à propos, sivous vous souvenez des alpha, bêta,gamma, delta de Lacan. Vous vousrappelez peut-être du moment où lapremière fois je l’ai présenté, il m’estarrivé de le faire une deuxième fois, j’aiobtenu un certain nombre d’effets, entout cas certain nombre decompréhensions, en réduisant leséléments en jeu. Il est certain que dansl'effet de surprise que produit le graphede Lacan qui présente, dans La lettrevolée, à propos de la détermination etdes impossibilités qui surgissent, ilentre pour beaucoup une certainecomplication du matériel et qu’il y a deseffets que Lacan obtient en prenant desgroupes de trois etc. qu'on peut obtenirégalement avec des groupes de deux.C'était la démonstration que j'avais faiteet qui faisait aussitôt valoir en court-circuit des relations qui sont beaucoupplus opaques si on a plus de chiffres.

Alors ici de quoi s'agit-il, dansl'anecdote connue des trois prisonniers,où il y a le directeur, en effet, grandAutre, je l’avais souligné, il lesconfronte à un problème ? Ils sont làtous les trois et ils doivent pouvoir sortirde la pièce en disant quelle est la

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couleur du disque qu’ils ont dans ledos, sans qu’ils échangent aucun signepour s'en informer.

Alors tout repose sur le fait tout demême qu’ils sont trois, qu'il y a cinqdisques, divisés en deux catégories, il ya trois disques blancs et il y a en deuxnoirs.

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Et ces données ne sont pas facticespuisqu’elles impliquent, si on y songe,qu’il y a une seule configuration quipermettrait à l’un de sortir tout de suite.La configuration c’est si un avait devantlui deux noirs, ce qui viderait lacatégorie de disques noirs, à cemoment-là tout de suite, il supprimeraitce point d’interrogation et il aurait lesavoir, il pourrait dire : je suis blanc.

En fait, le malin directeur de prison,met chacun devant la situation où il voitles autres avec deux disques blancs.Donc, s’ils voient deux disques blancs,ce que chacun voit dans le monde estcompatible ou avec le fait qu’il soitblanc ou avec le fait qu’il soit noir.

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Deux hypothèses sont possibles et,du point de vue logique, on ne peut pasaller au-delà de ça. Avec le savoir qu’ily a trois disques blancs et deux disquesnoirs, si vous êtes celui qui a devant luides gens avec deux disques noirs, il yen a un qui fiche le camp tout de suite.On ne sait pas ce que font les autres,en tout cas il y en a un qui appelle, quitire la sonnette et qui dit : « Moi je veuxsortir. »

En revanche, cette situation estformellement compatible avec ces deuxhypothèses, on ne peut pas trancher.On le voit très bien si on réduit lestermes du problème en disant : qu'est-ce qui se passe avec deux prisonniersseulement ? Deux prisonniers, mais onobtient l’effet paradoxal de Lacan, si ona cette fois-ci deux disques blancs et unseul disque noir.

C'est encore plus simple. À cemoment-là, chacun ne voit devant luiqu’un disque. Si vous voyez que lecollègue a un disque noir, eurêka ! vouspouvez dire que vous êtes blanc etvous le dites tout de suite après.Chacun se tourne, il y en a un, voyantdu blanc, qui ne sait pas s’il est lui-même noir, tandis que celui qui voit quel’autre est noir, il s'en va tout de suite.

Seulement là, on comprendbeaucoup mieux que l'autre tientquelque chose, c’est-à-dire le momentoù il voit que l’autre déduit tout de suitealors que lui reste sur place, aussitôt ilse met à tirer la sonnette aussi endisant : « - Moi aussi je sais. » Et doncon s’aperçoit qu’il y a un sujet quiraisonne, enfin il raisonne ! comme ditLacan : immédiatement il sort.

Tandis que l’autre, il faut qu'il ait vule premier faire quelque chose pourpouvoir aussi se mouvoir etéventuellement la règle c'est : lepremier sort de Singsing et le deuxièmereste à Singsing jusqu’à la fin de sesjours, sauf à s’échapper par des

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moyens réprouvés par le directeur de laprison.

Rien qu’en simplifiant le problèmeici, on s'aperçoit qu’il y a un temps quis'introduit puisque le deuxièmeprisonnier, dans cette configuration, nepeut conclure qu’après le premier. Ledeuxième a besoin que le premier aitconclut, ce qui est vraiment absolumentélémentaire.

De quoi peut-on s'apercevoir à cetégard ? C’est là qu'on voit exactementoù se situe ce que Lacan reconnaît êtreun sophisme. Parce que, qu'est-ce c’estqu'un problème logique et découvrir sasolution ? Pour constituer le problème,vous avez un ensemble de données,D1. À partir de ces données, ça rentredans la machine de pensées, vousfaites un certain nombres d’opérations,par exemple il y a quatre couleurs, faut-il plus de quatre couleurs pour colorierune carte de géographie ? C’est trèscompliqué et, comme on ne trouvaitpas, deux gars on a mis ça dans unordinateur, ils ont étudié toutes lesconfigurations possibles, ça a pris àl'époque un temps fou à calculer, maisils ont réalisé l’exhaustion de toutes lesconfigurations et ils ont donné uneconclusion certaine.

CD 1

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D 3

Donc ce qui constitue un problèmeau sens logique, c’est réunir l'ensembledes données, la question, et puis, aprèsune élaboration, obtenir une conclusion.

Alors, ici, quel est l'ensemble desdonnées ? L'ensemble des données duproblème des prisonniers, c'est lenombre des disques blancs et desdisques noirs et la donnée perceptivede ce que vous voyez. Et de là, il fautfaire la conclusion.

Dans le cas des deux prisonniersdont un est noir, il y en a un seul quipeut arriver à une conclusion. Ledeuxième arrive aussi à une conclusionmais, comme nous disons, après. Ça

veut dire quoi ? C'est-à-dire qu’il arriveà une conclusion non pas du tout àpartir de D1. Il arrive à une conclusion àpartir de D2, d’un autre ensemble dedonnées, il arrive à cette conclusion àpartir du savoir du nombre des disqueset de leur répartition, à partir de ce qu'ila vu que l'autre était un noir, plus ladonnée supplémentaire que l'autre part.

Autrement dit, au niveau dudeuxième prisonnier, c'est un autreproblème, ça n'est plus le problèmeinitial, c'est un problème qui intègre unedonnée nouvelle, à savoir que lecompagnon a pu sortir. C'est unproblème simplifié.

Donc comment je vous invite à relirele Temps logique, et c'est à ce niveau làqu’est le sophisme, c’est que dans leTemps logique, qui est d'un cran plusélevé que celui-là - il faudrait réfléchirsur le un prisonnier, mais enfin là, ça sebloque - mais sur le problème d’un cransupérieur que Lacan proposera, quiaussitôt produit une multiplication desrelations.

Mais dès que l'on passe à l'échellesupérieure, ça se multiplie, ceci dit, cequi fait le sophisme de son problème deLacan, c'est que dans le Tempslogique, vous avez en fait deuxreformulations du temps, c’est-à-direque vous avez D1, D2, et D3.

Et donc, en fait, dans le Temps

logique, vous avez trois problèmes quiont l’air de n’en faire qu’un. C’est-à-direun problème qui est en fait modifié parl'observation du milieu, c'est-à-dire lesdonnées perceptives initiales, vousavez au début la donnée perceptive,chacun voit deux blancs parce que ledirecteur a distribué trois disques, çac'est le problème D1, et le problèmeD1, tel quel, on a raison de dire qu'il estinsoluble. Si vous avez seulementcomme information : il y a trois disquesblancs, deux disques noirs, et vousvoyez deux disques blancs devantvous, vous ne pouvez pas conclure. Le

CD 1

D 2

D 3

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problème, avec l'ensemble desdonnées D1, n’est pas soluble.

Et toute l’astuce là, c’est d’introduirede nouvelles données qui font passer àun ensemble D2, qui reste encoreinsoluble, et d'arriver à l'ensemble D3qui, lui, est soluble.

Je ne sais pas si je me fais biencomprendre ? Ça a été un peu long.Ça, c'est le point de départ de l’intuitionqu’il faut avoir là-dessus, et c’est là,c’est à cet endroit là qu’est le sophisme.Parce que le sophisme, c’est qu’on croitavoir toujours affaire au mêmeproblème qu’au début, de pure logique,alors que le problème a été transformé.

Alors pourquoi on ne s’aperçoit pasqu’il a été transformé ? Quand je vousmontre cet exemple, là, tout le mondes'aperçoit que le problème esttransformé, ça n’est pas la même chosed’avoir l'autre gus en face de vous qui ason disque blanc, ça n’est pas la mêmechose d’être dans cette situation et puisaprès il a disparu et donc vous pouvezconclure tranquillement. Là vous vousapercevez de la modification desdonnées parce que le compagnon estdéjà sorti.

En revanche, vous ne vousapercevez pas de la modification desdonnées dans l’autre situation, parceque, quelle est la donnéefondamentale ? C’est que justementpersonne ne sorte. C’est le non-évènement, le fait que les gens restentet ne sont donc pas dans laconfiguration où ils voient deux noirsqui permet de progresser dans leraisonnement. Là, je m’approche de lachose, n’est-ce pas.

Ce qui voile la modification desdonnées du problème, c’est queprécisément l’événement, c’est le non-évènement, c’est que personne nesorte et à ce moment là, du fait quepersonne ne sorte, on commence à voirqu’on n’est pas soi-même un noir.

Là, la mécanique est plus complexe,elle est justement à double détente,cette mécanique et si on ne s’enaperçoit pas quand on le voit, c’estparce que là, l’événement, c’est un non-évènement. C’est comme dansSherlock Holmes, ce qui met Sherlock

Holmes sur la piste, c’est justement quele chien des Baskerville n’avait pasaboyé. C’est toujours beaucoup plusdifficile de s’apercevoir de ce qui nes’est pas produit que de ce qui seproduit. Ceci dit là, le non-évènementmodifie les données initiales duproblème pour en produire un autre.

Là, ce sont des considérations sur lalogique du problème qui sontréapplicables au processus dedéchiffrement et de découverte del’inconscient.

C’est là que je vous ai interrompupuisque vous alliez entrer là-dedans.Quand vous prenez le Séminaire XI,Lacan s’occupe de l’inconscient en tantqu’il s’agit de le déchiffrer.

Voilà, alors je vous donne ces petitesclefs pour que vous vous entraîniezpour la fois prochaine, étudiez lesophisme du Temps logique à partir decette clef, de la modification invisible duproblème qui est le sophisme lui-même.

Fin du Cours XIII de Jacques-AlainMiller du 22 mars 2000

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LES US DU LAPS

Jacques-Alain Miller

Quatorzième séance du Cours

(mercredi 29 mars 2000)

XIV

Donc il convenait, pour cette réunionoù je vais devoir expliquer ou, selon unterme employé par Lacan expolier letemps logique, que je batte mesrecords en fermant le tempschronologique.

La difficulté n'étant pas, au point oùon était arrivé, de saisir le mécanisme àdouble détente de ce sophisme, c’est-à-dire le double sophisme qu'il inclus -Lacan annonce un nouveau sophisme,dans le sous-titre de son article, vousen avez deux pour le prix d'un - ladifficulté n'était donc pas pour moi desaisir le mécanisme à double détentede ce sophisme, mais c'était de trouverla façon de l'exposer aussi clairementque j'en ai l'habitude, au moins que jem’y efforce. Donc je crois y être arrivéin extremis.

Donc le temps logique va nousretenir aujourd'hui au moins pourcommencer, et nous viendrons ensuiteà la conclusion suspendue l'exposé dePierre-Gilles Guéguen.

« Le temps logique », l'article deLacan, nous propose donc uneintégration qui paraît excessive,présomptueuse, du temps dans lalogique.

Je dis qu'elle paraît présomptueuseparce que normalement la variabletemps n'entre pas en ligne de compte,en logique, c’est-à-dire dans ladimension propre au raisonnement. La

variable temps n'entre pas dans ce quiest proprement le raisonnement de typemathématique.

Évidemment, le temps entre enphysique, on peut exposer le tempsphysique, quand on calcule la vitessede propagation de la lumière, quand onen fait une constante universelle, cettedonnée intègre le facteur temps.

Si ça paraît trop compliqué, l’eau estportée à ébullition après un temps Tnlorsqu'elle est chauffée à n degrés. Ou,pour prendre l'exemple de Bergson, lesucre met un certain temps pour sedissoudre dans le café matinal duphilosophe, et c'est de cet exemple queBergson tire des conséquences quisont restées immortelles, enfin, à peineun siècle d’expérience de cetteimmortalité mais la parole de Bergson,l'axiome qu’il faut attendre que le sucrefonde est porté au rang des axiomesfondamentaux. C'est un absolu. Onpeut croquer le morceau de sucre, ou ledonner à son chien, le philosopheattend que le sucre fonde.

Évidemment, là, ça ne se présentepas sous la forme d'un nouveausophisme, ni même d'un sophismedans le sophisme, ça se présentecomme une vérité qui peut être atteintepar chacun à condition d'attendre unpeu : attends un peu que ton sucrefonde !

Donc, s’il y a un temps, c’est lemême temps que celui qui figure dansles recettes de cuisine. Coupez votreoignon en petits morceaux, faitesrevenir à feu doux pendant dix minutes,une demi-heure. Loin de moi l'idée,d'ailleurs, de mépriser cette donnéefondamentale puisque si je ne fais pasla cuisine, c'est que je suis tropimpatient. C'est qu’on ne peut pas fairela cuisine si on ne sait pas attendre.

C'est une remarque de Lacan, celle-là privée, que tous les gens qu'iladmirait le plus savaient faire la cuisine,Jakobson, Lévi-Strauss. Donc, il n’y apas lieu de se vanter.

Alors, pour en revenir aux problèmesde type mathématiques, logiques, ça nefait pas partie de la recette pour trouverla solution que de dire faites revenir àfeu doux, allez dormir un petit peu.

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Au niveau psychologique oui, c'esttout à fait conseillé, par exemple, d'allerdormir pour au matin trouver la solution,en a des témoignages de grandsmathématiciens. Témoignages d’autres,que vous y pensez tout le temps, ehpuis c'est justement au moment oùvous cherchez à attraper l'autobus -quand les autobus avaient encore lesplates-formes - et puis que vousmanquez la marche par exemple, ethop, ça peut se trouver que ce soit lemoment de l’Euréka, ça se sont desconsidérations extrinsèques au rapportdu problème et de sa solution.

Le rapport du problème à sa solutionest un rapport qui s'établitfondamentalement dans un tempssuspendu, c’est-à-dire vous entrez lesdonnées dans la machine qui travaille, ilfaut un certain temps pour travailler ehpuis il sort CQFD.

D C Q F D

Qui peut éventuellement être que leproblème n'est pas soluble : pas tout àfait ce qu'il fallait démontrer, mais çavaut autant. C’est capital aussi bien dedémontrer l'impossibilité de résoudre.Ce qui se déroule dans la machine sedéroule dans un temps suspendu.

D C Q F D

( t )

Par exemple vous avez au XVII°siècle un toulousain, membre de lamagistrature, qui formule un problèmeet c’est à la fin du XX° siècle qu’il y a ungars pour dire Euréka j’ai trouvé !

Ça ne compte pas qu’il a d’abord ditEuréka !, qu’il s’est mis le doigt dansl’œil, comme c’est arrivé et qu’il lui afallu réparer sa démonstration pourqu’enfin elle soit universellementadmise, c’est-à-dire par une vingtaine,

une cinquantaine d'autres gars aumaximum, qui ont refait ladémonstration. Et l’humanité entière,qui a délégué ses pouvoirs, qui aconstitué ces vingt gus en instance dujugement mathématique, admettent quele problème a été résolu.

Oh ! bien sûr, il s’est passé des tasde choses entre Fermat et AndrewWiles, ça n’a pas chômé dans lesmathématiques, ça a connu plusieursbouleversements, plusieurs inventionsessentielles, des progrès, desdispersions, une énorme populationd'êtres mathématique nouveaux s'estprésentée pendant ce temps là, iln'empêche que c'est le problème deFermat qui a été résolu.

Ça pourrait paraître comme unesorte de communication mystique,puisque ça n'est évidemment par lemême gars qui a posé le problème etcelui qui l’a résolu, à moins de croire àla réincarnation, ça n'est pas le mêmeproblème puisqu’en plus, on n’a pu lerésoudre qu’en appendant ce problèmeà un autre, qui avait l'air au départ toutà fait différent, il a fallu démontrer querésoudre l'autre problème étaitéquivalent à résoudre celui de Fermat,donc c'est dans un champ desmathématiques tout à fait différent etinexistant au temps de Fermat qu'on aobtenu la solution du problème deFermat. C’est-à-dire que, formellement,c'est bien le même problème.

Et donc, bien qu’il soit impossibleque Fermat ait eu ces instrumentsmathématiques à sa disposition, il n’y apas de doute sur le fait que c’est bien lemême problème qui a été résolu, il n’y apas de doute sur l’identité du problèmeet le fait que la solution, même acquisepar un chemin impensable pour Fermat,est la solution qui correspond auproblème.

J'évoquais déjà la dernière fois, pourle problème des quatre couleurs, le faitque, précisément, on soit passé par unimportant temps d’ordinateur, qui seraitaujourd'hui certainement beaucoup pluscourt, ce fait, que ce soit passé parl’ordinateur pour réaliser l'exhaustiondes configurations possible, trèslégitimement a été admis comme une

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voie de démonstration parfaitementprobante par l’instance judicativemathématique, ce qui n'empêche pasqu’on peut toujours se dire est-ce qu’onne pourrait pas acquérir la solution parune autre voie que celle de l’exhaustionde la combinatoire.

Le problème, d’ailleurs, se poseaussi à propos du problème de Fermat,parce que le petit malin, grand malinavait dit : j’ai la solution mais je n'ai pasla place dans la marge pour l’écrire. Ilécrivait dans les marges de Diophanteses réflexions pour lui-même et puis il adit ça, il reste la question de : est-ceque Fermat avait lui-même vraiment lasolution de son problème, auquel cas ilfaudrait faire comme pour la musiqueancienne sur instruments anciens, ilfaudrait jouer de la mathématique avecles moyens de Fermat, donc une autrefaçon d’acquérir la solution et çan’invalide pas du tout la solutionacquise au bout de trois quatre siècles.

Cela dit, cette sensationnellesuspension du temps dans l'opérationde raisonnement mathématique, denature à faire rêver, qui ferait rêver unBorges mathématicien, lui a rêvé sur lalittérature, mais ce qui a lieu enmathématiques, de ce point de vue là,est tout de même congruent avec saméditation, son fantasme, cettesensationnelle annulation du temps queje vous mets en scène n'empêche pasqu’il y a une présence du temps bienconnue même au niveau élémentaire.Quand on raisonne, même sur lesexercices qu’on vous propose à l’école,c'est bien connu, il y a des problèmesqu'on ne peut pas résoudre d’un seulcoup, mais qu'il faut des paliersintermédiaires, et on vous dit essayesde résoudre d'abord ceci et une foisque tu auras résolu ceci, tu pourrasrésoudre cela.

Autrement dit, ça, cet ordre,méthodique, par lequel il convient deprocéder, n'est pas du tout inconnu enmathématiques, le faire de commencerpar là et puis de continuer par là-bas.

Mais, est-ce que c’est du temps ça ?Tout le monde est d'accord pour dire que ce sont des étapes duraisonnement. Eh bien qu'il y ait des

étapes du raisonnement suffit à direque c’est du temps, si on définit letemps comme une succession,succession orientée, ordonnée,premièrement, deuxièmement.

Autrement dit un problème peut êtreposé et sa solution raisonnée êtredécomposée en plusieurs étapes deraisonnement, première, seconde,troisième, la quatrième où on compte.

. . ..

.

E 1 E 3 E 4E 2

E 5

Et puis il peut aussi se faire qu’onsaisisse qu’on peut avoir un court-circuit en passant par l’étape, làmarquée E5 et ça permet de conclureaussitôt, donc de réduire les étapes E2et E3.

Il peut aussi se faire que on puissed’emblée s'attaquer à E3 pour revenir àE2, et de là aller à E4. Par exemple sic'est ça, le dernier dessin que j'ai misau tableau, le plus simple est encore des’apercevoir que c'est un graphe etque, entre les sommets E1 et E4, onpeut suivre aussi bien ce chemin-ci,que ce chemin-ci.

Alors ça, bien piger ce que c'estqu’un graphe, ça consiste às'apercevoir que c’est du tempslogique, un graphe.

Vous allez me dire que ça n'est pasdu temps, que ce ne sont que des

.

..

.

E 1

E 3

E 4

E 2

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étapes et que ce qu’on appelle le tempslogique n’est qu’un temps logicisé,c'est-à-dire le temps comme étape d’unraisonnement.

Et, en effet, ça n'est pas le tempsdont vous avez, comme vivantconscient de soi et par là même dusucre qui fond dans la tasse deBergson, enfin pas dans celle deBergson, dont vous n’avez justementpas l’expérience, celle du sucre quifond dans votre tasse, celle que vousavez ici.

Je dis que vous avez ici puisquej'avais déjà appris par unecommunication qu'à ce Cours on dort,j'ai appris par une autre communicationque dans ce Cours on mange et donc,certainement, il y en a d'autres quiboivent, donc il y avoir quelque part unetasse de thé avec un sucre dedans quifond.

Évidemment le temps logique, cen'est pas le beau temps, ce n’est pas letemps de la palpitation, sauf à l’extrêmefin du second sophisme caché dans lepremier, le temps logique c’est letemps, d’entrer ? ? dans la logique, etdonc il a une petite tête de logique, bienentendu. Bien entendu que c’est untemps naturalisé dans la logique, si jepuis dire, un temps avec une nouvelleidentité, de temps, une identité quicorrespond au passage d’un sommentà un autre d'un graphe.

Oh ! Vous allez dire ! Alors ça qu’est-ce que c’est qu’un temps comme ça, onn'en veut pas ! Alors d'accord !

Donc, pour être conciliant - jusqu'àun certain point, comme toujours -admettons qu’il y a une différencequ’impose précisément une petiteréflexion sur un graphe, il y a unedifférence entre le temps et la durée.

Je vous laisse la durée, avec lesentiment de la durée, je vous laisse lesucre, je garde le graphe. Mais je gardele mot de temps, pour le raisonnement.Ce n’est quand même pas moi qui aitmis dans la langue, pour qu’on dise aupremier temps, au second temps, dansun premier temps de la pensée, oudans un second temps de la pensée,etc.

Ça, ça n’est pas de l’ordre du sucrequi fond ou du cerveau en ébullitioncomme nous tout à l’heure. Donc letemps logique, en effet, se distingue dela durée psychologique. Ça, ça n’estpas sorcier mais ça montre ce qu’il a devicié, la nocivité du sophisme quivoudrait faire considérer le problème dela séance analytique à partir de ladurée. On a les oreilles quibourdonnent avec cette affaire de ladurée des séances !!! Et là, faire ladifférence entre le temps et la durée,est tout à fait opératoire et essentiel.

J'ai eu le plaisir qu'on m’apporte unedonnée, cette semaine, je la dois àBarbara Gorczyca qui doit être ici, peut-être, ah, oui, qui m’a confié son amitiéavec un spécialiste de RaymondQueneau et que ce spécialiste,interrogé par elle, avait reconnu dansl’auteur anonyme de la note que Lacanplace dans le Temps logique, qui lànous propose en même temps un petitschéma, c’est-à-dire la note de lapage 202, 203, Lacan fait allusion auxréunions d’un petit cénacle, d’un petitcollège intime où les esprits choisis ontété mis dans une paniqueconfusionnelle par le problème des troisprisonniers, Lacan donc dit qu’un petitbillet lui a été transmis, dont il nous faitprofiter. Le spécialiste de RaymondQueneau dit reconnaître dans cepassage le style particulier de RaymondQueneau et la pièce à l’appui, c’est unarticle dont Barbara Gorczyca m’arafraîchit le souvenir en rapportant unexemplaire, un article de RaymondQueneau publié dans le recueil intituléBords où figure un petit articleminuscule sur la cinématique des jeux.

C’est un article qui, en dépit de lachronologie, ou plutôt selon unechronologie à peu près inverse, terminele recueil, article dont il précise qu’il estparu en 1948 et qu’il l’avait écrit en1944. Rappelez-vous l’article de Lacan,son témoignage dans les Écrits quel’article lui a été demandé en 45. Et ladernière phrase de cet article, est lasuivante : - C’est ainsi que le problèmedes « trois noircis » - entre guillemets -se résout par un raisonnement en troistemps. Il n’est pas douteux que cette

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dernière phrase se réfère au problèmedes trois prisonniers et qu’il y a uneliaison possible, en tout cas qui vient àl’appui de l'évaluation de l'expertquenaldien, je ne sais pas comment ondit.

Cet article de Queneau, qui étaitmathématicien en même temps quepoète, s’intéresse – ce n’est pas unarticle fondamental du tout, mais ils’intéresse aux jeux, alors qu’il neconnaissait pas encore, il le précisedans une note postérieure, la théoriedes jeux de Von Neumann etMorgenstern qui paraissait juste en1944, je n’ai pas vérifié la date précise.Il propose d’examiner les jeux du pointde vue du temps, il y a à supposer quecette idée lui vient de ce qu’il a cueillidans les réunions du collège intime quise réunissait à ce propos.

Ces réunions avaientvraisemblablement lieu à la mêmeépoque ou le cher Georges Bataillecarburait sur ce que le cher Blanchotappelait la communauté inavouable oùils fondaient leur mutualité sur lemeurtre d’une femme. Bataille arrivait àexciter tout un petit monde avec ceprojet qui était bien fait pour flattercertaines positions subjectives. Dans lemême temps, le collège intime deLacan se réunissait sur un problème delogique temporelle.

À partir de cette idée, Queneau dittrès bien que le temps dont il s’agitdans les jeux n’est pas une durée maisun temps discontinu, un ordre desuccession, mais même ainsi dépouilléde toute qualité psychologique ouaffective, il n’en est pas moins dutemps.

Et c’est là-dessus qu’il appuie eneffet, on dirait aujourd’hui si on le faitque la théorie des graphes - il n’a pasl’usage du mot comme il le signale danssa note postérieure, ce n’était pasencore sorti pour lui - n’est paspurement et simplement géométriepuisqu’elle suppose, dit-il, un mobile quise déplace d’un somment à un autresommet qui lui est associé. Il n’appellepas ça la théorie des graphes, il appelleça une cinématique, introduisant lemouvement et en effet, à partir de la

notion de graphe, on peut démontrer unnombre très considérable de propriétés,on peut dénombrer les cheminspossibles sur un graphe, c’est-à-dire leschemins que décrit un mobile et cettedescription par le vide est soumise à uncertain nombre de contraintes et c’estdans l’ordre de ces réflexions qu’on aintégré des problèmes qui étaient déjàprésents dans la mathématiqueamusante jusqu’à devenir desproblèmes de mathématique sérieuse.

C’est une dimension propre où onrencontre par exemple le problèmede Postumus, connu de Queneau àcette date, d’où Lacan a tiré sonarchitecture des alpha, bêta, gamma,delta et à partir de là, comme jadis jel’avais montré, était arrivé à songraphe. Le graphe du séminaire desFormations de l’inconscient procèdedirectement de la réflexion de Lacansur « La lettre volée » et - c’est ça dontil faut s’apercevoir - la première entréedans cette dimension, c’est son articlesur « Le temps logique ».

Ce qui compte pour un temps, c’estle déplacement d’un sommet à un autreet Queneau l’appelle joliment le tempsabstrait discontinu. Nous verrons tout àl’heure que si on prend très au sérieuxla discontinuité du temps, évidemment ily a quelque chose qui saute dusophisme de Lacan, qui saute dusecond sophisme et qui glisse dans lepremier.

Un temps discontinu, parce qu’onconsidère par la durée là ledéplacement d’un sommet à un autrese font, on ne s’occupe pas de savoir sid’un sommet à un autre c’est en pentealors c’est dur à gravir et qu’ensuitec’est en descente alors on peut y allerplus vite etc. ça c’est le Tour de Francecycliste, qui est un graphe. Le Tour deFrance cycliste est un graphe sur lacarte de France puisque parfois onsaute la ville qui n’a pas allongé assezde picaillons à l’organisation pourpasser à une autre, on déplace lepeloton dans un car, comme ça… maisc’est un graphe à la condition qu’on nes’occupe pas de savoir si c’est le Pic duMidi ou si c’est la Beauce.

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C’est par là que ce temps estabstrait, c’est pur ordre de successionqui est en jeu. Donc je crois que cesconsidérations, pas à pas, démontrentassez la parenté du problème du tempslogique avec la construction du graphe.

La séance analytique, pour enremettre un petit coup là-dessus, c’estla séance logique, pour Lacan, c’est-à-dire qu’au sens de Lacan, une séanceva d’un déplacement logique vers uneconclusion, un déplacement orienté parce qu’il a appelé la passe, ce qui veutdire qu’une analyse se conclut, commeun problème.

On pourrait même dire que s’il a misl’accent sur les entretiens préliminaires,c’est qu’il avait l’idée qu’il faut d’abordrassembler des données.

Alors il y en a certains qui disent oh !là là ! C’est une séance courte ! Ils y ena d’autres qui veulent se faire bien voir,qui veulent démontrer aux autres qu’ilssont bien propres sur leur personne, quidisent : mais pas du tout, ça n’est pasla séance courte c’est la séancevariable ! Ne dites pas séance courte,dites séance variable ! Je n’invente pas.Il y a une dame qui est à elle touteseule une compagnie,Roudinescompagnie, qui explique qu’ilne faut pas confondre ! Il y a les blancset les noirs, il y a les lacaniens noirs quipratiquent la séance courte et leslacaniens blancs qui pratiquent laséance variable.

Tout ça ne démontre de lacompagnie qu’à quel point elle accepteles valeurs, le langage, les conceptsdes autres. Qu’il s’agisse de courte, devariable ou de fixe, c’est ne considérerla séance que sous l’aspect de ladurée, plus ou moins longue la mêmedifférente durée. Elle considère ça sousl’aspect de la quantité et ce qui estcohérent avec ça, c’est, en effet, que sion considère la séance à partir dequantité, il faut réglementer le nombredes séances, là c’est cohérent, c’estcohérent dans la connerie mais c’estcohérent ! Est-ce qu’une conneriecohérente est supérieure à uneconnerie incohérente ? Il faudra ypenser, on peut dire que la connerieincohérente manifeste quand même

une rémanence d’intelligence, maisc’est une rémanence d’intelligence quivient de quand même avoir, en effet,ouvert Lacan. Mais pour autant, laconnerie incohérente permet dedémontrer n’importe quoi.

Alors ça n'est pas dire que la séanceest à penser, sub specier aeternitatis,mais que la séance est à penser sousson aspect de temps logique, tout à faitabstrait de la durée.

Ce n'est pas le lieu, parce que jevois que je traîne, de parler desconséquences extrêmement néfastes,voire dangereuses surtout pour lepraticien, néfastes pour le patient,dangereuses pour le praticien, de laséance longue et fixe.

En effet, ça amoindrit, ça tamponne,ça diffère l'effet logique pour le sujet,l'effet logique de la séance, ça leprécipite, pour remplir le temps, dansune expérience de la durée qui est, àce moment là décorée demanifestations narratives, d'embarraspsychologiques. C’est une expérienced'ordre psychologique et qui tamponne,qui amortit la logique du parcours et lamodulation du temps logique qui estalors mise en valeur c'est : je patauge.C'est ce que Lacan appelait macérerdans votre marais. Et la séancepsychologique est dangereuse pour lepraticien. Je voudrais arriver à leur direça aux autres parce qu’ils m’invitent,pardonnez-leur, ils ne savent pasforcément ce qu'ils font.

Je voudrais arriver à leur dire ça unjour à la fin de l'année, pour leur bien,que c'est anti-hygiénique pour lepraticien, il n'y a qu'à les voir. C'est-à-dire que eux aussi ils doivent remplir laséance, alors ils font autre chose, j'enai eu le témoignage récemment parquelqu'un qui a hanté ces milieux, qui arecueilli les confidences des uns et desautres. Il y en a un qui a un ordinateurspécialement choisi pour ne pas fairede bruit et puis pendant les cinquante-cinq minutes, il tapote sur sonordinateur. Il y en a un, célèbre, quigênait quand même un peu sesanalysants en se limant les ongles, ilparaît que tout le monde sait ça dansun certain milieu. Moi j'ai le témoignage

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de quelqu'un qui a été chez un autre,qui dormait tout simplement et qui, à ladifférence de l'ordinateur faisait du bruit.Ça ne l'a pas dérangé jusqu'à unecertaine date.

J'ajouterai à la suite ce que j'ai déjànarré ici, le récit de monsieur RonySchaeffer, au congrès de Barcelone oùj'ai été, et qui consistait à expliquer àl'analyste les méthodes pour ne pas selaisser envahir l'espace psychique parle patient. Avec, à la clef, unedescription horrible des ravagespsychiques produits chez lepsychanalyste par le patient, ce quim'avait d'ailleurs fait lui dire dans ladiscussion que ça me faisait penser àStar Wars, et le patient étant DarkWader, mais ce n'est pas uneidiosyncrasie du type, ce sont lesconséquences pathologiques de laséance longue à durée fixe, chezl'analyste. Je crois que c'est unedonnée qu'il faut prendre en comptepour comprendre la trajectoire del'institution fondée par Freud.

Alors on va entrer maintenant un peuplus décidément dans l'article deLacan, article dont je vous feraissimplement remarquer qu'il le place lui-même entre l'avant et l'après, comme ille signale. Dans les Écrits, vous avez« La Lettre volée » – en hors-d'œuvre -et puis vous avez les antécédents deLacan qui vont chronologiquement,jusqu'en 1950, vous avez « Fonction etchamp de la parole et du langage », ça,ça commence après et puis, endécrochage par rapport à lachronologie, vous avez Le tempslogique, qui est de 1945, flanqué,comme je l'avais dit, de sonIntervention sur le transfert qui elle, estde 1951.

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J'avais déjà signalé tout l'intérêt qu'ily a à ce couplage de l'article du Tempslogique avec le transfert, et, dit Lacan,cet article et sa localisation aussi dansce recueil, démontre que l'après faisaitantichambre pour que l'avant puisseprendre rang.

Qu'est-ce que ça veut dire ? Ça veutdire qu'il considère qu’une fois qu'ilavait produit Le Temps logique en1945, l'après s'est fait attendre jusqu'à1953, parce que il fallait d'abord quel'avant puisse complètement sedévelopper.

Cette position décrochée de l'articledu « Temps logique » lui sert à indiquerqu’il y a bien un temps logique dansson enseignement et qu'il faut d'abordavoir complètement développé un pointpour pouvoir en développer un autre. Ilfaut d'abord avoir, par exemple, faitl'exhaustion d'une question, l'avoirretournée dans tous les sens et laregarder sous tous les angles pourqu'on puisse passer à autre chose.

Et alors il y a quelque chose qu'on afinit par appeler ma lecture de Lacan !eh bien si c'est une lecture, ça n'est pasune lecture chronologique, même sichaque fois je vous ai appris à faireattention à quel moment Lacan a ditcela, ce n'est pas une lecturechronologique, c'est une lecture quirespecte le temps logique del'enseignement de Lacan.

Alors, un petit mot sur la question dela liaison avec le transfert. C'est pour semettre à résoudre un problème, passimplement dans la psychanalyse, passimplement son problème, passeulement ses difficultés qui ont unechance de trouver une mise en formesignifiante grâce à ce que l'on appelleles entretiens préliminaires. Lesentretiens préliminaires sont destinés àtransformer les difficultés, parfaitementlégitimes, constantes, qu'on peut avoirdans l'existence, de transformer sesdonnées en problème.

Mais ce n’est pas simplement dansla psychanalyse qu’on se met àrésoudre le problème par le transfert, àcause du transfert. C'est pour se mettreà la tâche de n'importe quel problème

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de logique et de mathématiques qu'ilfaut un fait de transfert.

C’est saisissant dans ce qu'en araconté Andrew Wiles. C'est que, bienorienté dès sa petite enfance, vers l'agede dix ans, il est allé acheter unbouquin où il y avait les grandsproblèmes de mathématiques, il a vutous les grands esprits qui s'étaientattachés à résoudre le problème deFermat, à démontrer le théorème, etpuis il a vu que ce n'était pas encorefait, il s'est dit moi Andrew Willes, dixans, comme ça, je serais celui là, etpuis, un peu blanchi sous le harnais,même au point d'avoir dépassé l'age dela médaille Phields, il a réalisé son rêvede petit garçon.

Mais laissons ces donnéesbiographiques. Pour se mettre àrésoudre un problème, il faut d'abordd’abord avoir confiance que leproblème vaut la peine, il faut avoirconfiance que le problème a unesolution, il faut avoir confiance que leproblème est valable et donc il fautquand même supposer qu'il y a unesolution, ne serait-ce que la solutionqu’il n'y en a pas, que la solution estimpossible.

Autrement dit la position même d'unproblème met à l'horizon le sujet-supposé-savoir la solution. C'est cequ'exprimait à sa façon Hilbert dans saleçon célèbre sur les problèmes futursdes mathématiques, qui a dominé ledébut du siècle en mathématique. Ilfaisait le liste des vingt trois problèmesà résoudre. Et après avoir marquél'importance essentielle de ladémonstration d'impossibilité de lasolution, « dans la mathématiquemoderne, dit-il, la question del'impossibilité de certaines solutionsjoue un rôle prépondérant, c'est à cepoint de vue que d'anciens et difficilesproblèmes tels que ceux de ladémonstration de l'axiome desparallèles, la quadrature du cercle et lade résolution par radicaux de l'équationdu 5eme degré, ont reçu une solutionparfaitement satisfaisante etrigoureuse, bien qu'en un sens toutedifférente de celle qu’on chercheprimitivement.

Le fait remarquable dont nousvenons de parler - celui-ci - et certainsraisonnements philosophiques ont faitnaître en nous la conviction quepartagera certainement toutmathématicien mais que jusqu'icipersonne n'a étayée d’aucune preuve –prudent - la conviction, dis-je, que toutproblème mathématique déterminé doitêtre forcement susceptible d'unesolution rigoureuse, que ce soit par uneréponse directe à la question posée oubien par la démonstration del'impossibilité de la résolution, c'est-à-dire la nécessité de l'insuccès de toutetentative de résolution. Cet axiome, lapossibilité de résoudre tout problème,est-ce une propriété caractéristique etdistinctive de la pensée mathématiqueou serait-ce peut-être une loi généraledu mode d’existence de notreentendement ? » Il conclut sonintroduction par cette notation pleined'écho pour nous : « Nousmathématiciens, nous entendonstoujours résonner en nous cet appel,voilà le problème, cherches-en lasolution, tu peux la trouver par le purraisonnement, jamais en effetmathématicien ne sera réduit à dire :ignoradumus », nous ignorerons.

D'où l'effet de penser qu’ils ont étéfier, tout un temps, heureux - d’où l’effetde panique confusionnelle danslaquelle les a mis le théorème deGödel. C’est parce que Hilbert avait faitapparaître ce qu'il ne fallait pas dire, àsavoir l'existence du sujet-supposé-savoir en mathématique, qui est iciexactement formulé, que ladémonstration par Gödel qu'il y a desvérités mathématiques qu'on ne peutpas démontrer, évidemment, a produitune commotion, un traumatisme qui aété aussitôt recouvert, bien sur, par :après tout ça n'est qu'unedémonstration d'impossibilité, et là, làencore, on ne peut pas négliger ladifférence des temps. Au premiertemps, ça a bien été un démenti àl’ignoradumus, ça a été fonder unignoradumus fondamental dans lesmathématiques, même jamais aussibien dégagé jusqu'alors, dans aucunediscipline.

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Alors, ici, évidemment, celui qui posele problème dans l'exemple de Lacanc'est le Directeur de prison, commec'est le prof qui vous met l'exercice,comme c'est soi-même qui se pose leproblème, on peut dire que le sujet-supposé-savoir, c'est l'effet designification qui est précisément induit àpartir du moment où on se soumet auproblème, qu'on fait le S2 esclave duproblème, qu'on élève le problème àrésoudre comme le signifiant maître,qui fait travailler, et alors, ce qui vaavec, c'est l'effet de sujet-supposé-savoir.

C'est bien pour ça si Fermat, ça aaussi intéressé, c'est qu'on pensait queFermat avait la solution. Et lui, il a ditsimplement : écoutez je ne peux pasl'écrire parce qu'il n'y a pas assez placeau lieu de l’Autre. On s'imagine toujoursque le lieu de l'Autre… Non ! il y a unecrise du logement aussi au lieu del’Autre ! Il n'y a plus de place au lieu del'Autre comme éventuellement il n'y aplus de temps assez pour, commechante Guy Béart, il n'y a plus d'après àSaint-Germain-des-Près, ça, çaconcerne une proposition fortimportante.

Venons à la détermination duproblème proprement dit. Évidemmentle fait que ce soit une prison est tout àfait emblématique puisque, en effet,quand on rentre dans le problème, onest déjà dans la prison signifiante, quevous aménagez ce problème.

Je laisse de coté les considérationssur la nature du sophisme que j'ai déjàévoquées et je reprends lasimplification que j'ai introduite ladernière fois du problème de l’après.Ce qui vous amène tout de suite troisprisonniers, cinq disques, deux motionssuspensives, je simplifie les donnéesdu problème et j'étudie le problème àpartir seulement du problème de deuxprisonniers qui permet finalement d'allerassez loin dans la démonstration deseffets de Lacan.

Deux prisonniers avec commedonnées de départ, il y a deux disquesblancs et un disque noir. Étudions leproblème du Temps logique à partir deces données. Pour chacun des deux

prisonniers la situation peut-être écriteainsi.

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Pour chaque prisonnier, j'écris ici unsigne qui veut dire voilà, voilà ce qu'ilvoit, voilà son monde, plus précisémentvoilà la configuration subjective de sonmonde. Enfin la configuration subjectivede son monde, à vrai dire, c’est toutesles positions mais là, la configurationsubjective de son monde estdéterminée par deux positions, à savoirce qu'il voit, et le voyant donc il le sait -je mets un S - il sait si l'autre est blancou noir, on suppose qu'ils ont l’amabilitéde se tourner puisqu’ils ont ça dans ledos. S’il y a un prisonnier qui dit je neme tournerais sous aucunprétexte, ? ? ? il y ait des glaces ??? etpuis, d’autre part, le disque que lui adans le dos, je le marque avec savoirsurmonté d'une barre qui veut dire lanégation.

Donc une configuration subjectivequand il y a deux prisonniers qui ontdes marques dans le dos, uneconfiguration subjective déterminée parune formule avec un symbole binaire, àsavoir le disque qu'il a dans le dos qu'ilne connaît pas, point d’interrogation, ledisque de l'autre qu'il voit.

Étant donné les données duproblème, il y a deux configurationssubjectives possibles, à savoir laconfiguration alpha, ça veut dire le sujettoujours ne sait pas ce qu'il a dans ledos, et il voit l’autre blanc ou laconfiguration bêta et il voit l'autre noir.

Dans le cas où il voit l'autre blanc,qu’est-ce qu’il doit conclure ? Il ne saitpas si lui-même est blanc ou noir, doncil dit : je ne sais pas. Au contraire, si lesujet est dans cette configuration, dansla configuration bêta, là il peut conclurequ'il est blanc. Il n'y a pas plus simple,plus simple c'est un seul gars qui a undisque dans le dos et qui ne sait lequelc’est.

Là, il y a un je sais, un je sais quid’ailleurs a comme conséquenceimmédiate un je vois. Alors ça, c'estindépassable, une fois que vous avezécris ça, vous pouvez poser votre craieet vous en aller et d'ailleurs je suispresque à la fin et je vais durer au delà,comme ça je vous verrais partir les unsaprès les autres.

Ça c'est indépassable et on sait quela seule configuration qui permet deconclure, c'est la configurationsubjective bêta, qui permet uneconclusion immédiate, à savoir : je suisblanc. Le résultat des courses dans laconfiguration bêta, s'il y a un des sujets,il ne peut y en avoir qu'un seul, qui soitdans la configuration bêta, le noir dit :moi je ne sais pas, le blanc dit : je saisque je suis blanc, et le noir qui est ici,et qui ne le sait pas, ne peut pasconclure.

Le résultat des courses, c'est qu'il ya un gagnant et un perdant. S'il y en aun qui a la configuration bêta, il y en aun qui est gagnant, il y en a un qui estperdant, c'est absolu et c'estindépassable.

Évidemment, on peut s'arrêter là.Étudions maintenant non pas lesconfigurations subjectives mais lesconfigurations objectives, partons unpeu au-delà. Les configurationsobjectives, c'est le monde où on saitquel est le disque que les deux ont,c'est le monde du directeur de la prison,c'est le monde même pas du sujet-supposé-savoir, c'est le monde du sujetqui sait, le sujet-supposé-savoir réel.

Les configurations objectives, il y ena deux seulement, M1 et M2, laconfiguration objective, c'est : ou bien ily a un blanc un noir, ou bien il y a deuxblanc. Il ne peut pas y avoir deux noirspuisqu'il n'y a qu'un seul disque noir,donc voilà les deux configurationsobjectives possibles.

Dans ce cas-ci, A, quel est le mondede A ? A ne sait pas s'il est blanc, il voitle noir, donc A est dans la configurationbêta, tandis que B ne sait pas qu'il estnoir, il voit l'autre blanc, il est dans laconfiguration alpha. C’est le cas quenous avons étudié, dans ce cas-là il yen a un qui peut conclure et il y en a unqui ne peut pas. Celui qui est blancpeut conclure à partir de laconfiguration bêta, mais l'autre ne peutpas conclure.

Dans ce cas-ci, les sujets A et B sontdans la même configuration, c'est-à-dire de voir un blanc et d'ignorer qu'ilsle sont. Ils sont tous les deux dans laconfiguration alpha. Ce qui veut dire

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qu'ici à la fin des courses, il y en a unqui a - lequel s’en va ? - il y a A qui s'enva, A conclut et s'en va et A et Brestent.

Alors, on peut dire au revoir, là on atout fait. Maintenant, ça devientintéressant si on a le droit de continuer,au-delà de ce point-là. Si on a le droitde continuer, vous pouvez dire pas dutout, voilà le problème, voilà commentça se présente, là il y a toute lacombinatoire des positions, avec lemonde objectif le monde subjectif, etcomment ça… il y a tout, donc on rendson tablier.

Mais peut-être qu'on aurait le droitde continuer. On a le droit de continuersi on introduit le temps, le tempslogique, qui est quand même unedonnée supplémentaire. On introduit untemps qui n'est pas la durée, c'estsimplement le droit de raisonner au-delà de ce point-ci. Et qu'est-ce que çaveut dire raisonner au-delà de ce point-ci ? C'est faire une étape suivante duraisonnement.

Alors dans ce cas-là, qu'est-ce quise passe dans au temps suivant, voilàla conclusion au temps t1. Si vous avezle droit de continuer, à ce moment là, Bayant vu que A partait, en conclut qu'ilest noir et à ce moment-là il s'en vaaussi. Si l'autre a pu se décider à partiret qu'il n'est pas resté comme dans lecas M2, alors c'est que moi-même jesuis noir. C'est ce que j’avais mis enscène la dernière fois.

Donc au temps t2, B peut partiraussi. De ce coté-ci, les deux restent etdonc chacun des deux peut se dire « jene suis pas noir sinon l'autre serait partiau premier temps », et donc chacundes deux peut conclure qu'il est blancet les deux sortent.

Autrement dit, si nous acceptonsd'introduire le temps logique dans leproblème, ce qui veut dire faire undeuxième temps de raisonnement, c'estqu'il y a un temps, parce que si on nel'introduit pas on reste collé là, mais cen’est pas la durée, si on introduit letemps logique, alors au deuxièmetemps de toute façon les deux sontsortis, on sait ça. Et donc on peut direqu'on a là un problème qui est soluble

pour les deux participants au tempsdeux, quand ils sont tous les deuxblancs, au temps deux, ils peuventsortir.

Et quand on est dans laconfiguration M1, au premier temps il yen a un qui sort, le blanc, et audeuxième temps il y a l’autre qui sort.Le problème de Lacan, c'est la mêmechose, simplement comme il y a troispersonnages qui sont blancs, on saitdéjà : au troisième temps les trois vontsortir.

Simplement, le fait d’avoir simplifiéles données du problème permet des'apercevoir de ce qui pourrait êtrel'essence du temps logique, au sens dupremier sophisme.

C'est la merveille puisqu’unproblème insoluble, dans laconfiguration M2, c'est un problèmeinsoluble, se convertit en problèmesoluble. Le problème dont les donnéesempêchent A et B de savoir ce qu'ilssont, c’est pour ça qu’ils restent commedes couillons, ce problème-là, parl'introduction du temps logique, devientsoluble.

C'est un miracle, ce n'est pas unmiracle du hurlement mais enfin c'est lemiracle de l’Eurêka, c’est le miracle duhurlement Eurêka j'ai trouvé !

La conversion du problème insolubleen problème soluble, constitue unesurprise. Alors où est-ce qu’est lesophisme ? Le sophisme, c'est d'avoirpermis un après de la conclusion.C'est-à-dire je conclus : « Pas si vitepapillon ! et le coup d'après qu'est-ceque tu conclus ? »

Autrement dit, c'est d'avoir permis laconclusion t2, la conclusion au tempst2. La conclusion au temps t1 c'est laconclusion : « Tais-toi », tandis que laconclusion est possible pour les deuxau temps t2.

Je vous ai déjà mis en valeur où estexactement le point sophistique del'affaire, c'est un sophisme parce quevous autorisez que la conclusion dutemps t1 se convertisse en donnéesupplémentaire du problème. Et donc leproblème que vous arrivez à résoudreau temps t2 n'est plus le même que leproblème du temps t1. Le problème que

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nous posions au temps t1 c'est : quepuis-je conclure quand il y a deuxdisques blancs, un disque noir et que jevois que l'autre a un disque blanc,réponse : rien.

Le sophisme, c'est que le deuxièmeproblème que vous arrivez à résoudre,c'est le problème suivant : que puis-jeconclure quand je vois que l'autre a undisque blanc et qu'il n'est pas sorti.C'est ça la donnée supplémentaire :qu'il n'est pas sorti. Et donc c'est ce« n'être pas sorti » que vous introduisezdans les données du problème et doncvous faites les malins parce que vousavez résolu le problème au temps t2,simplement le problème au temps t2n'est plus le même qu'au temps t1,contrairement au problème de Fermat,beaucoup plus compliqué.

Sachant qu’il y a cette configuration,et que A est parti, B peut-il savoir cequ'il est ? Oui. Sachant que lesdonnées du départ, sachant que l'autreest parti le premier peut-il savoir ce qu'ilest ? Oui, il sait qu'il est noir. Mais sil'autre n'est pas parti, on peut aussiconclure, on peut conclure que tous lesdeux sont blancs, c'est-à-dire que moi-même je suis blanc. Autrement dit, dansle premier cas, on peut conclure, àpartir du départ de l'autre, qu'on estnoir, mais à partir du non-départ del'autre, on peut conclure qu'on estblanc.

C'est beaucoup plus frappantévidemment dans le deuxième cas,puisque là c'est le non-événement, lefait qu'il ne se passe rien qui autoriseune conclusion. Mais le fait qu'il ne sepasse rien, le non-évènement est unévènement, le fait qu'il ne se passerien, eh bien par là-même, il se passequelque chose.

Alors ça suppose, et c'est de ça queLacan va faire surgir son secondsophisme à l'intérieur du premier, maispas tout de suite, pas si vite papillon,tout ça repose sur le fait que laconclusion doit se manifester commemouvement. Dans le cas M1, lemouvement de A se traduit pour B par :Ah ! Eh bien alors il sait ce qu'il est etdonc je sais ce qu'il est, je sais qu'ilsait, si je vois A partir, alors je

comprend qu'il sait ce qu'il a dans ledos. Mais si je le vois qui ne bouge pas,qu'il reste immobile, je sais alors qu'ilne sait pas, donc il est dans la mêmeposition que moi, et donc je sais que jesuis blanc.

Qu'il y ait mouvement de l'autre oupas, je peux conclure dans les deuxcas, dans le cas où l’autre s'en va, jeconclus que je suis noir, dans le cas oùil s'en va pas, je conclus que je suisblanc, comme lui.

On voit bien qu'il est essentiel, là,que je voie ce que l'autre fait.Imaginons la même histoire mais si ledirecteur de la prison avait dit : bon,quand vous aurez trouvé ce que vousêtes, vous me le direz à l'oreille. À cemoment là, ça ne marche plus, si on lelui dit qu'à l'oreille, chacun va ignorer ceque l'autre sait ou ne sait pas. Il fautque l'autre manifeste qu'il a atteint oun'a pas atteint sa conclusion par sonmouvement ou par son immobilité.

Autrement dit, si on ajoutais uneclause de confidentialité : quand voussaurez vraiment ce que vous avez dansle dos, à ce moment-là vous me le direzà l'oreille, cette clause de confidentialitéannulerait la manifestation de laconclusion en mouvement, donc endonnées de type perceptif, pouvantentrer dans le raisonnement.

J'espère que je ne suis pascompliqué parce que vraiment, on nepeut pas faire plus simple, c'est du faitque l'autre s'en va que je conclus que jesuis noir, et c'est du fait qu'il reste, queje vois qu'il reste alors que si il savait, ilsortirait, que je peux conclure que jesuis blanc. Il faut qu'il y ait unmouvement perceptif.

Alors, évidemment, ce dont il s'agitpeut être présenté sur un graphe, àsavoir, on peut sur un graphe isoler laconclusion au temps t1, et puis laconclusion au temps t2.

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Il y a dans certaines configurations, ilpeut y avoir une conclusion au tempst1, dans la configuration M1 et sinon onne peut conclure qu’au temps t2. Doncon peut faire un graphe qui représenteun temps et puis l'autre.

Alors simplement la remarque deLacan, et c'est là qu'on commence àvoir s’introduire des éléments un petitpeu différents, c'est que les deuxconclusions ne sont pas du même type.La conclusion qu'on peut avoir autemps 1, quand on voit que l'autre gusest noir, ça, c'est une conclusionimmédiate, on voit que l'autre estcomme ça, on s'en va. Tandis que laconclusion au temps 2 est évidemmentune conclusion médiate, ça n'est pasune conclusion qui s'obtient devant laseule évidence perceptive du disquenoir de l'autre. La conclusion au temps2, elle est devant l'évidence perceptiveque l'autre est blanc - au temps 2 - etl'évidence perceptive de son non-mouvement au temps 1.

Et c'est pourquoi là, il y a unedifférence structurelle entre les deuxtypes de conclusions, entre laconclusion que je peux tirer de voir quel'autre est noir, je conclus que je suisblanc je fous le camp, tandis que laseconde conclusion, elle est médiéenon seulement par une secondeévidence perceptive, à savoirl'immobilité au temps 1, mais aussi parle raisonnement que je dois construire :que si l'autre n'a pas bougé, c'est doncque je n'étais pas noir.

Là déjà, vous voyez se distinguerdeux types de conclusion, la conclusionimmédiate et la conclusion médiate, laconclusion qui se fait dans l'instant devoir et la conclusion qui demande uncertain temps pour comprendre, au plusras des pâquerettes.

Il faut déjà s'apercevoir de ça quandon sera dans le sophisme développé,c'est que ce que Lacan appelle l'instantdu regard, le temps pour comprendre etle moment de conclure, ce sont troistypes de conclusion, trois modalitésdifférentes de conclusion.

Mais simplement avec cettedifférence là, il y a déjà quelque chose

de sensationnel qui s'introduit, si on faitbien attention. Il s'introduit deuxqualités du temps qui sont différentes,deux qualités qui ne sont pas affectives,qui ne sont pas libidinales, qui ne sontpas des modifications affectant ladurée, mais qui peuvent être définiesde façon purement logiques, conclureau temps 1, ça n'est pas la mêmechose que conclure au temps 2, et laconclusion elle-même est, par structure,différente dans un cas et l’autre.

C'est ça que Lacan appelle, dans letexte, les moments de l'évidence. C'estqu'il y a une évidence au temps 1, celleque l'autre soit noir, la conclusion dutemps 1, ou la conclusion, l'évidencequ'on obtient au temps 2. Ce sont deuxmoments différents de l'évidence dontla valeur logique est intrinsèquementdifférente ou, comme il s'exprime :« l'instance du temps se présente sousun mode différent en chacun de cesmoments. »

Ça le conduit aussi à une sorte depolémique interne dans son articlecontre - et d'allure qui pourrait paraîtrebergsonienne - contre le tempsspatialisé. Parce que quand on prendcette perspective, évidemment, il y aquelque chose de trompeur à leprésenter comme une pure succession.

Bien sur qu'on peut faire un simplegraphe pour dire il y a la conclusion autemps 1 ou il y a la conclusion autemps 2. Mais si on s'occupe du typede conclusion qu'on obtient,évidemment il y a quelque chose detrompeur dans cette représentation,parce que c'est comme si on faisaitsimplement un tableau des possibilitéssynchroniques, alors qu’ici, si onspatialise et donc si on rend homogène- spatialiser c'est rendre homogène letemps 1 et le temps 2, alors que le

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temps 1 et le temps 2 sont destructures internes temporellesdifférentes. Bien sûr que c'est letemps 1 et le temps 2, c'est comme çaque je les désigne, donc quand je peuxmettre t1, t2, je les rend homogènes,mais il reste qu’intrinsèquement, entreles deux, il y a une différence destructure et Lacan va jusqu'à l'appelerune discontinuité tonale, une autretonalité temporelle, une différence demodulation du temps.

C'est très fort d'avoir réussi àintroduire ça sans introduire lapsychologie. On peut discuter du tempspour comprendre, à cet égard, maisévidemment il utilise le caractère médiade la conclusion au temps 2 pourmontrer qu'à partir du moment où il fautprendre en compte plus qu'une seuledonnée, ça introduit une complicationintrinsèque qu'on peut relever, qui doncintroduit le temps pour comprendre.

Alors autre notation que Lacanamènera plus tard à partir du schémaplus complexe qu’il introduit : ici nousavons une véritable dynamique, dit-il,parce que chacun de ces moments serésorbe dans le passage au suivant, dit-il, et seul subsiste le dernier quiabsorbe le premier. Quand il y en atrois, on se perd, quand il y en a deuxon ne peut plus se perdre.

Qu'est-ce que ça veut dire ? C'est safaçon d'exprimer que la conclusion t2,c'est une conclusion mouvementée.Qu'est-ce que ça veut dire : chacun deces moments se résorbe dans lepassage au suivant et seul subsiste ledernier. Ça veut dire que la conclusionobtenu au temps t1 devient une donnéepour conclure en t2.

C'est même l'essence du sophisme,c'est justement qu'on a intégré unedonnée subreptice, et on pourrait sedire : ah ! c’est là, que, ah, là là, c'est làque, ça ça pas le droit, allez, terminé !

Mais Lacan utilise ça au contrairepour dire que ce qui permet justementle sophisme, c'est qu’il faut d'abordavoir produit la conclusion t1, qui à cemoment là se convertit en donnéespour la conclusion du temps t2, c'est-à-dire comme résorption du tempspremier dans le second qui devient

avec la position du nouveau problèmequ'on résout en t2.

Et donc il dit : là, il y a un véritablemouvement et même il va jusqu'à parlerde succession de réel. Qu'est-ce queça veut dire la succession de réel ? Çan'est pas la succession simplementformelle du temps discontinu del'abstrait, c'est une succession réelle,c'est sa façon de traduire cetteintégration sophistique de la conclusioncomme donnée du problème suivant. Ilva jusqu'à parler de genèse, demouvement logique pour traduire qu'ilfaut faire le parcours et que ça n'estpas à penser, que ça n'est pas statique.C'est statique quand vous dites, si vouscommencez à faire comme ça,évidemment ça vous introduit ungraphe, et vous vous dites eh bien ilfaut passer par ici ou on pourrait peut-être passer par là pour atteindre cepoint-ci.

t 1 t 2

. .

12

.

Dans un graphe spatial, les lieuxsont déjà là et c'est pour ça qu'ondénombre les chemins possible entreles points du graphe. Vous avez lessommets et puis vous vous demandezquelle est la trajectoire que je vais bienpouvoir faire entre ces sommets quisont là ? mais ici ce n'est pas de cemodèle où ce serait déjà là, il faut êtreen t1 pour pouvoir passer en t2.

Autrement dit là, il y a une instabilitéqui est en fait… ce que Lacan appellela succession réelle, le mouvement, ilne fait que traduire de façon positive cequ'on pourrait présenter comme la pureet simple fallace du problème, à savoirle fait que la problème se modifie entre

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t1 et t2. Donc, d'un certain point de vue,c'est un sophisme puisqu'on continuede croire que c'est le même problèmealors que c'est un problème différent.Mais c'est précisément ce phénomèneque Lacan traduit en disant : dans cecas ci, il y a une présence réelle dutemps.

Autrement dit, il y a d'un coté, sansdoute, la combinatoire desconfigurations, qui est une combinatoireobjective et synchronique, comme onpeut la ?? à priori et ça, c'est le sujet-supposé-savoir en quelque sorte, maisil reste qu'il faut attendre que le tempst1 soit échu, de la même façon qu’il fautattendre que le sucre fonde. C'est-à-dire qu'on récupère quelque chosemême du réel du temps, là, dans leproblème, sauf que c'est sous uneforme purement logifiée et c'est ce quifait que le sujet est suspendu à voir lemouvement ou le non mouvement del'autre.

Et c'est en quoi on peut dire, phrasede Lacan dans la Proposition sur lapasse de 1967, le sujet-supposé-savoirn'est rien de réel dans le sujet, ce quiest réel dans le sujet, c'est cettetrajectoire et cette modification duproblème au fur et à mesure qu'ilparcourt la chaîne de ses positions.

Le Temps logique de Lacan, aumoins sa première partie, là vraiment,ça n'est pas compliqué avec le petitappareil que nous nous sommes forgésen simplifiant le problème.

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M 2

A

A

A ,

A :

B

B

B :

B ?

?

( O )

C

CB

C?

s i j ' é t a i s n o i r

s e r a i t p a r t i

M 1

M 3

A CB

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Le Temps logique de Lacan, c'est lepassage à une conclusion à troistemps. On a les trois disques blancs etles deux disques noirs, continuons deraisonner comme nous l'avons fait, et laconfiguration conclusive immédiate, quipermet la conclusion au temps t1, il y aune seule configuration qui permet ça,on va l'appeler M1 ici, la seuleconfiguration qui permet une conclusionimmédiate, c'est si vous voyez deuxnoirs, à ce moment là vous pouvez toutde suite conclure que vous êtes blanc.C'est exactement du même modèle quetout à l'heure avec deux, dans lasituation où vous voyiez un seul noir.Donc ça, c'est la configurationpermettant la conclusion au temps t1.

Ensuite il y a une configurationobjective, il faut un peu de hâte, alorsensuite vous avez la configuration M2,celle où il y a deux blancs et un noir, quilà donne des sujets, on va les mettreABC, alors le monde que voit A et B,c'est un monde où il y a un blanc unnoir, là c'est la configuration, nous enavons une idée, ensuite nous avons laconfiguration bêta, celle que voit C, quilui voit deux blancs. Alors là, ici onpouvait conclure au temps 1, dans cetteconfiguration il y avait, dans laconfiguration deux noirs un blanc, leblanc pouvait conclure au temps t1,dans cette configuration personne nepeut conclure au temps t1, au temps t1personne ne part, tandis qu'au tempst2, si on m'autorise un temps t2, A et Bpeuvent raisonner.

Comment raisonnent A et B, qui nesavent pas ce qu'ils sont, commentraisonne A ? A voit B et C dans cetteposition, donc au temps 2, il peut sedire : si j'étais noir, à ce moment là B,au temps précédant aurait vu deuxnoirs et il serait donc partis en t1. DoncA se dit : si j'étais noir, B serait parti, s'iln'est pas parti, c'est que je suis blanc,et donc il part à ce moment là encompagnie de B qui a fait le mêmeraisonnement. Et le pauvre C, c'est lecas de le dire, il ne peut partir qu'autemps trois, ayant vu les deux autrespartir.

Alors de là, ça n'est pas compliquéde déduire, qu'est-ce qui se passe,

dans la configuration M3, qui est celleque choisit Lacan, où les trois sontblancs ? Il faut qu'ils constate qu’aupremier temps, ils savent bien qu’onpeut pas ??, au second temps ils sedemandent si les deux autres vontpartir, et là, celui qui reste saura qu’ilest noir, et au troisième temps les troispeuvent partir. C’est exactement lemême problème qu'avec deux, saufqu'il faut un temps de plus pour leraisonnement.

Autrement dit là, on est déjà content,déjà contents parce que on a biendésambiguïé le problème, simplementça n'est pas tout, c'est même làseulement et c'est déjà un sophisme,j'ai expliqué exactement à quel point seplace le sophisme, mais ça n'est pastout, c'est que Lacan là dessus, ilcommence et il rallonge le problème, ilrallonge ce problème qui est unproblème évidemment de rallongement,il rallonge le problème, alors que déjàici on a un sophisme qui repose sur laconversion des conclusions à donner.Donc, dans le cas des trois prisonnierssur une double modification duproblème, puisqu'on ajoute deuxdonnées supplémentaires, à savoirl'immobilité au temps t1 et l'immobilitéau temps t2.

La rallonge lacanienne, véritablefiction pourrait-on croire, puisque c'estl'idée, donc là ils ont conclu, ils s'envont. C'est à ce moment là que Lacancommente : ils s'en vont, ils s'arrêtent,ils s'en vont de nouveau et ils s'arrêtent,et finalement ils s'en vont.

Et donc comment est-ce que Lacanintroduit un deuxième problème àl'intérieur du premier et qui se situeexactement à l'articulation de laconclusion et de l'acte ? Il appelle çal'acte, on peut dire une action, unmouvement.

Parce que ce qui est présent, eneffet, c'est que la conclusion logiquedoit se traduire en mouvementperceptible et c'est ça que Lacanexploite, il exploite ce qui se passeaprès, tout de même en se posant laquestion en haut de la page 202 : « Est-il justifié d'intégrer à la valeur dusophisme les deux motions

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suspendues qui sont apparuesaprès ? », j'ai pas dit encore comment illes fait apparaître. Mais il se demandetout de même si c'est justifié d'ajouter,de regarder, encore, de construire cequi se passe une fois qu'ils ont conclu.En bon français, on appellerait ça unevalse-hésitation des sujets qui, une foisqu'ils ont conclu, ne sont pas sûrs de cequ'ils ont fait et on y retrouve quelquechose, Lacan emploie le terme dedoute, mais aussi d’hésitation, on yretrouve quelque chose de ce qu'ilappellera dans la dernière page desÉcrits page 877, le pas-hésitation de lanévrose.

Alors, comment elles apparaissentces deux hésitations, ou commentapparaissent ces deux arrêtsmomentanés ? Lacan note bien que cequ'ils visent apparaît après laconclusion du procès logique, c'est-à-dire une fois qu'on est passé par laconclusion au temps t1, au temps t2, etau temps t3, eh bien on n’est pas sortid'affaire, il y a encore deux hésitations,et même deux conclusionssupplémentaires.

Pour ça, pour bien comprendre dequoi il s'agit, il faut revenir au problèmedes deux prisonniers, au problèmesimplifié où on voit simplement, dans lemonde objectif, on est tous les deuxblancs et on voit que l'autre est blanc.Donc au temps t1, personne ne bougepuisque si l'autre est blanc, je peux trèsbien être blanc moins aussi ou être noir.

C'est au temps t2 qu'on s'en va. Ah !c'est là qu'est le problème. Comment jeraisonne au temps t1 ? Je me dis l'autrene bouge pas, c'est donc qu'on estblancs tous les deux, que moi aussi jesuis blanc bien que je ne vois pas mondisque, l'autre ne bouge pas, je m'envais, merde l'autre bouge, et donc jem'arrête. C'est là que Lacan introduit lasuspension.

Mais alors là, c'est un tout nouveauproblème. J'ai conclu au temps t1, àpartir de là j'ai conclu au temps t2 àpartir du fait qu’au temps t1 l'autre nebouge pas et voilà qu'il se met àbouger. Donc je m'arrête en me disant :peut-être que ça n'a pas étésynchronisé, peut-être que j’ai conclu

trop vite. Supposons que l'autre estparaplégique, etc., il doit partir, il estplus lent que moi, il faut qu’il prenne uncertain nombre d'instruments etc. ou ilfaut que quelqu’un vienne l’aider, doncje m'arrête et donc c'est là que Lacanintroduit un élément tout à fait nouveauqui est le doute sur la conclusionlogique et comment je peux douterd'une conclusion logique de deux etdeux égal quatre, je ne doute pasmême si toute la salle s'en va, je peuxcontinuer, d'ailleurs je ne sais pas sivous êtes blancs ou si vous êtes noirs,mais ça commence à se dégarnir, maisenfin il y a encore du monde !

Donc, comment est-ce que peuts'introduire dans une conclusionlogique parfaitement impeccable cedoute ? Il s'introduit parce que, dans lesdonnées qui permettent la conclusionlogique au temps t2, j'ai introduit unedonnée perceptive du temps t1, et cettedonnée perceptive peut être douteusesi les temps ne sont pas parfaitementsynchronisés.

Alors évidemment, ça ne se produitpas - ce que ne dit pas Lacan - ça nese produit pas s'il y a quelqu'un pourdire : le premier temps est passé,premier round, si quelqu'un dit premierround, on ne peut pas douter du tempsoù on est. C'est dans la mesure où ladiscontinuité n'est pas complète qu'onpeut nous demander si on a pas conclutrop vite.

Alors ça veut dire quoi ? Ça veutdire que ça s'introduit à partir dumoment où nous avons donc vu laconclusion au temps t1, nous sommesarrivés à la conclusion féconde, pourdeux prisonniers seulement au tempst2, on ne commence à bouger ici, çasuppose déjà qu’il manque le tempsinstantané, c'est pas si vous y allezvous sautez dans ce sas et vous êtesdehors, auquel cas on ne peut pass'arrêter, c'est bien simple, c'est passimplement une image, c'est-à-dire qu'ilfaut que dans le mouvement, il soitinclus que l’on peut arrêter cemouvement, c'est-à-dire que cemouvement soit progressif et lui-mêmeprenne une certaine durée, élément surlequel Lacan passe artistement, mais à

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partir de là, vous reconsidérez ladonnée que vous avez intégrée autemps t1, là vous avez un effet rétroactifqui vous fait douter que ça ne serait pasle moment t1. Ça vous fait douter de ladonnée que vous venez d’intégrer quel'autre ne bouge pas puisque vous levoyez bouger.

t 1t 2

. . . . . . . . . .

Alors ? Eh bien on peut dire là quenous ne sortirez pas. L'autre ne bougepas j'avance, oh ! merde, il bouge aussialors je m'arrête, ah bon il s'arrête il nebouge pas, ah ! bon, et vous entrezdonc à ce temps là, vous entrez dansun cercle, c'est-à-dire que chaque foisque vous bougez, parce que l'autre nebouge pas, l'autre se met à bougervous vous arrêtez, il s'arrête aussi, bonvous repartez, il repart aussi, donc vousvous arrêtez, il y donc un tempscomplètement circulaire.

Là, vous tournez en rond, dans cetemps là. Maintenant, un pas de plusavec Lacan, encore un effort pour êtrelacanien. Le moment où vous êtesarrêté, en vous demandant si vous nevous étiez pas trompé, si l'autre avaitcontinué, là vous pouviez être sur d'êtreun noir, parce que si seulement la sortiede l'autre était fondée seulement, ça çan’est possible que dans le cas 3, étaitfondée seulement sur une évidenceperceptive, il aurait un temps d'avancesur vous. Du fait qu'il s'arrête en mêmetemps que vous, vous pouvez conclureque lui non plus ne se fonde pas surune évidence perceptive. Si, du fait qu'ils'arrête, donc là il y a deux points de

vue sur le problème, si on prend unpoint de vue seulement formel, leproblème est insoluble de nouveau,c'est-à-dire qu'il est circulaire et qu'onne peut que tourner en rond dans je nebouge pas donc je bouge, donc je nebouge pas et donc je bouge ; mais sivous tenez compte de ce qui a lieu, àsavoir que l'autre fait exactement ceque vous faites, vous pouvez conclureque vous êtes pareils.

C'est-à-dire que l'autre non plus nes'est pas basé sur une évidence d'uneconclusion immédiate mais sur uneconclusion médiate et à ce moment làvous pouvez filer, au bout d'une seulehésitation quand il y a deux prisonniers,et donc, de la même façon, quand il yen a trois, il y a deux hésitations, pourobtenir la configuration conclusive,absolument conclusive.

C'est ce qu'il faut comprendre dupassage un petit peu compliqué, parceque c'est ça que Lacan explique page200, 201, et là je le prends dans lestrois prisonniers, mais disons ladernière motion où il s’ébranle : « (…)s'il était un noir, B et C n’eussent pasdû s’arrêter absolument [ils auraient dûfiler], au point présent une seulehésitation est suffisante, à ce que del’un à l’autre, ils se démontrent quecertainement ni l’un ni l’autre ne sontdes noirs ».

Là, je n'ai plus le temps de rentrerdans le détail mais il y a évidemment unmoment qui est circulaire du point devue formel et dont on ne peut sortir, dece circulaire, qu'à condition de sortirsans s'arrêter, sans plus s'arrêter, parceque si vous vous arrêtez, çarecommence. Donc là, nous avons uneconclusion d'un troisième type quis'introduit, c'est-à-dire pas simplementl'opposition entre conclusion médiate etconclusion immédiate, il y ici uneconclusion qui constitue elle-même sapropre évidence. C'est-à-dire que là, lemouvement de partir est lui-même ladonnée indispensable pour que vousayez le droit de partir. C'est précis ceque je dis là, même si j'improvise.

Et là, ça n'est pas l'instant de voir, çan'est pas le temps pour comprendre,c'est le moment de conclure où vous

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accouchez par votre propre mouvementde la donnée qui légitime logiquementvotre mouvement.

Alors là, évidemment, on est tout àfait sorti de la logique parce que,comme le détaille Lacan, il faut sedépêcher. Si on ne se dépêche pas defaire ça, on ne pourra plus le faire. Etdonc là, le temps presse de ne pass'arrêter dans l'hésitation, donc làs'introduit l'urgence, et là, en effet, c'estcet élément là, mais il faut d'abord êtrepassé par le premier sophisme, avoirdétaillé les trois temps de la conclusion,au temps t1, au temps t2, au temps t3,au temps t4 de la première hésitation,au temps t5, la seconde hésitation et àce moment là, on a une chance depouvoir partir, à condition de ne pasregarder en arrière. Donc il y a untemps où il faut regarder, la deuxièmefois on regarde mais après, c'estterminé, il faut plus regarder en arrièreet à ce moment là, on peut conclure.

C'est ça que Lacan appelle lacertitude, il y a déjà une anticipation decertitude à la fin du procès logique, autemps t3, mais là, il y a une certitudeaccouchant des propres données qui lafonde. Et c'est là qu’on peut dire l’actefonde la certitude, c'est là qu'on peutdire : ça n'est pas une certitudecontemplative où on regarde lesdonnées qui sont déjà là et, voyant lesdonnées qui sont déjà là, on conclut ens'en allant, c'est que là on fait partie,dans son mouvement de conclusion,des données qui justifient le fait departir et si on ne part pas, eh bien cettedonnée ne va jamais s'inscrire de façonà justifier qu'on parte.

Donc si on ne part pas, on auraraison de ne pas partir, mais si on parton aura raison de partir. Et donc là, à lafin, on est en quelque sorte aspiré dansle tableau logique lui-même, vous avezlaissé, c'est bien fait pour vous, vousavez laissé gentiment la logique et lalogique, vous avez commencé paraccepter le temps du raisonnement t1,t2, on vous a mené par le bout du nezjusqu'au t3 et après vous avalez le t4 etle t5 eh bien c'est fini c'est vous quiêtes avalé par la logique, la logiquebizarroïde de Lacan, qui vous montre

précisément que là il y a une conclusionqui n'est valable qu'à condition quevous payez de votre personne et qu'ilne vous suffit pas de regarder lesdonnées, instant de voir et de réfléchiravec votre caboche, temps pourcomprendre, mais qu'il faut en plus ymettre du votre, et si vous n’y mettezpas du votre, vous ne pourrez jamaisconclure, vous ne pouvez conclure qu'àcondition d'ajouter comme une donnéede la situation votre propre action, àsavoir ce que tout le monde sait, c'est-à-dire que c'est pas du tout en étantspectateur, il y aura toujours unedonnée qui vous manquera, à savoirvotre propre action comme engendrantsa certitude.

Bon, j'arrête là à quatre heures cinq,et nous ne sommes pas au bout. Nousavons progressé jusque là, je vouslaisse le soin maintenant de suivre lesarticulations de la deuxième partie del'article de Lacan que j'espère avoir letemps de prendre à la rentrée, et onpoursuivra sur la conclusion de votrearticle également, à notre rentrée quiest le 26 avril.

Donc je vous donne rendez-vous au26 avril, vous avez tout le temps detravailler le temps logique.

fin du Cours XIV de Jacques-AlainMiller du 29 mars 2000

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LES US DU LAPS

Jacques-Alain Miller

Quinzième séance du Cours

(mercredi 26 avril 2000)

XV

Vu le laps de temps qui s’est écoulédepuis la dernière fois, je suppose quevous avez eu le loisir pour reprendrel’écrit de Lacan concernant le Tempslogique et d’y retrouver les linéamentsque j’avais pu indiquer la dernière foisque nous nous étions rencontrés. Etcomme je vous avais exposé ceslinéaments d’une façon un peuprécipitée et enthousiaste et que letemps écoulé en a peut-être effacécertaines des arrêtes, je vais lesexposer à nouveaux, très posément,pour, à chaque pas, tirer les leçons quece texte subtil, à tiroirs, nous ménage.

Comment l’élément temporels’introduit-il dans la logique ? Il nes’introduit pas, d’emblée au moins,comme la simple durée. La premièreleçon que nous avons déjà recueillie dela construction de Lacan, c’est ladistinction à faire du temps et de ladurée. C’est même l’oppositionconceptuelle qui organise cetteconstruction jusques et y comprislorsqu’elle glisse du temps à la durée,jusques et y compris lorsqu’elle introduitde la durée dans le temps logique,moment qui, du point de vue logique,est éminemment sophistique.

C’est une distinction, je l’ai souligné,qui nous importe pratiquement, dans lamesure où l’on s’est hypnotisé,concernant l’expérience analytique, surla durée de la séance au détriment dela constitution logique de la séance.

Comment donc le temps s’introduit-ildans la logique, par le biais de cesophisme raffiné ? Il s’introduitexactement parce que le problème dontil s’agit n’est pas soluble absolument,c’est-à-dire n’est pas soluble à partir deses données initiales.

L’extraordinaire tour de passe-passequi s’accomplit sous nos yeux qui n’yvoient que dalle, c’est que ce problèmeinsoluble devient soluble, comme parmiracle. Et, plus fort encore, il devientsoluble au moment précisément où ils’avère insoluble.

Pour simplifier l’abord de ceproblème, j’ai pratiqué une réductionméthodique des données initiales dontla question reste de savoir quels effetsdégagés par Lacan seraient perdusdans cette réduction. Il apparaît d’oreset déjà qu’un très grand nombre deseffets de Lacan peuvent être obtenus àpartir de données plus réduites.

La réduction en question consiste àdiminuer le nombre des prisonniers del’histoire d’une unité pour obtenir ce quiest le minimum, à savoir deuxprisonniers, et de diminuer enconséquence le nombre des disques dedeux unités convenablement réparties,à savoir disposer trois disques dontdeux blancs et un noir, A et B étant lesnoms des deux prisonniers.

J’ai introduit, pour analyser lastructure logique du sophisme, unprédicat à deux places, un prédicat queje pourrais appeler situationnel, unprédicat de perspective, que je dessinecomme on fait du symbole qui se lit Xplus petit que Y, auquel je donne uneautre valeur.

A B

Donc, voilà les deux places duprédicat, deux places connotées, uneplace antérieure et une placepostérieure. Dans la position antérieure,on situe dans tous les cas le sujet depure logique qui est mis en scène dansle sophisme et qui est à chaque foisrepéré par son ignorance quant audisque qui l’affuble. C’est-à-dire pourchaque sujet de pure logique estqualifié, dans le sophisme, par la part

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J.-A. MILLER, LES US DU LAPS - Cours n°15 26/04/2000 - 200

de non-savoir qui l’affecte et qui fait quel’on a toujours à gauche du symbole lepoint d’interrogation qui indique que,pour le sujet, il ignore de quel disque ilest affublé, c’est-à-dire qu’il ignore lacouleur de son disque.

À droite du symbole, j’indique ce quifait son monde, la configuration de sonmonde, la donnée perceptive à laquelleil a accès.

X Y

?Cette disposition permet, dans le cas

présent, avec la donnée de départ quiest celle-ci, le nombre de disques, lenombre de prisonniers, permet derepérer que deux configurations sontpossibles, à savoir cette configuration-ciou celle-là, la configuration alpha ou laconfiguration bêta.

X Y

? ?

?

{ :

:

Lorsqu’on a écrit au tableau cesdeux formules, on a la combinatoire detoutes les configurations possibles surla base des données de départ. À vraidire, les données initiales du problèmesophistique sont constituées en deuxparts. Il y a les données que l’on peutdire de structure, celles que j’ai poséesd’abord au tableau : nombre dedisques, couleur des disques, nombrede prisonniers, à quoi s’ajoute unedonnée d’expérience qui est apportéepar la donnée perceptive qui vient à laconnaissance du sujet lorsqu’il regardece que ses compagnons, dans ce casson compagnon unique, a dans le dos.

A B

X Y

? ?

?

{ :

:

+ E x p é r i e n c e

L’ensemble des données initiales estconstitué de deux sortes de données, ladonnée de structure à partir de laquellenous pouvons déjà établir notrecombinatoire des configurationspossibles que le sujet de pure logiquepeut rencontrer, à quoi s’ajoute ladonnée d’expérience qui conduit àsélectionner dans le fait une de cesdeux configurations, à savoir leprisonnier voit si son compagnon porteun disque noir ou un disque blanc.

Dans l’histoire, l’explication quedonne le directeur de la prison porte surles données de structure, on leurexplique de quel matériel on dispose etpuis, il s’ajoute ce que chaqueprisonnier constate de la couleur dudisque que porte son compagnon ouses compagnons. C’est à ce moment-làseulement, lorsque la donnéed’expérience est ajoutée que vraimenton dit : let’s go, on y va, et commencece que Lacan appelle le procès logique,qui doit délivrer une conclusion.

Si nous supposons effective pour leprisonnier A la configuration alpha, voilàdonc A dans l’ignorance de sa proprecouleur, en face il a un monde où ilconstate que l’autre a un disque noir.Lorsqu’un des deux prisonniers, qu’onappelle ici A, est dans cetteconfiguration, elle lui permet uneconclusion immédiate quant à sa proprecouleur. Puisqu’il n’y a qu’un seuldisque noir disponible, si c’est l’autrequi l’a, donc lui est blanc.

A B

X Y

? ?

?

{ :

:

+ E x p é r i e n c e A

?

A

?i n s o l u b l e

A e s t b l a n c

Là, en revanche, s’il est dans laconfiguration bêta, c'est-à-dire si l’autrea un disque blanc, en fonction desdonnées de départ, il ne peut passavoir s’il a un disque blanc ou undisque noir. Dans ce cas-là, leproblème pour lui est insoluble.Lorsqu’on a dit ça, on a tout dit. Il y a,étant donné les données de structureque nous avons au départ, deuxconfigurations possibles, pas une de

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plus, et, de ces deux configurations, il yen a une seule qui permet à un desdeux prisonniers de conclure, et laconfiguration bêta ne permet à aucundes deux prisonniers de conclure.

Et après ça, on peut chasser lesmouches que Lacan essaye de nousapporter, l’essaim d’abeilles à nousfaire tourner en bourrique, il n’y a riende plus, il n’y a pas de chausse-trappe,il n’y a pas de double-fond, là, c’est fini.

C’est fini si l’on considère qu’unproblème de logique, comme Lacan ale toupet d’intituler sa première partie, sil’on admet qu’un problème de logiquedoit être résolu à partir de ses donnéesinitiales, comme tout un chacunl’entend. Lorsqu’on a à passer desexamens, qu’on vous fourni unproblème de logique de mathématiquespures, on vous donne les donnéesinitiales, et puis, on vous laisse marineravec ces données initiales, à voir sivous trouvez la réponse.

En particulier, on ne s’occupe pas dece que fait le voisin. Si on copie sur levoisin, ça n’est pas de jeu, en tout casça n’est pas de pure mathématique,c’est de la combine. Il peut se faire quele professeur, voyant mariner lesélèves, ajoute une indicationsupplémentaire sur la façon dont il fauts’y prendre. Cela ne fait pas partie de laconfiguration logique par excellence, àsavoir : vous avez des données, il s’agitque, de ces données, vous trouviez unesolution. Et, dans ce cadre de pensée,là, tout est dit. Ce cadre de pensée est,on va dire, la conception vulgaire de lalogique que l’on peut entretenir.

De ceci, Lacan tire la leçon pournous qui figure page 202 des Écrits, àsavoir que les formes de la logiqueclassique, comme il s’exprime,n’apportent jamais rien qui ne puissedéjà être vu d’un seul coup.

On considère, en effet, commedonnées les données initiales et riend’autre, elles sont supposées, sinonsimultanées, du moins elles nous sontdonnées dans leur synchronie, et ceque Lacan fait apercevoir, justementpar tout ce que le sophisme va ajouter,va modifier de ce cadre, c’est que çaconstitue en effet une limitation

temporelle. On se limite à ce qui estdonné d’un seul coup au départ, ici ilest sensible que ce départ est déjàconstitué de deux parties distinctes, àsavoir de structure et d’expérience, etc’est cet ensemble qui constitue lesdonnées initiales.

Lacan indique d’ailleurs à ce proposqu’il y a une corrélation entre lalimitation temporelle à laquelle ons’oblige, de ne prendre en compte queles données initiales, et ce qu’il appellele prestige éternel de ces formeslogiques, la projection dans l’éternité oul’omni-temporalité, qu’il sera toujoursvrai que, dans l’arithmétique, deux plusdeux égal quatre, ça ne varie pas, et ilnous fait valoir que cet imaginaired’éternité est strictement déterminé parla limitation à laquelle on s’oblige queles données soient d’un seul coupfournies dans leur synchronie au sujet.

Si vous voulez bien, quand onréfléchit sur les trois prisonniers, c’estpareil, à savoir on peut également, àpartir des données de structure,déterminer la combinatoire despossibles.

Quand il y a trois prisonniers, troisdisques blancs, deux disques noirs, onsait, de ce seul fait, que l’on a unecombinatoire de trois configurationspossibles, alpha, où le sujet voit deuxnoirs, bêta où le sujet voit un blanc unnoir, et gamma où le sujet voit deuxblancs. Cette configuration est si l’onveut a priori par rapport à laconfiguration effectivement réalisée.

?

?

:

:

?:

T r o i s P r i s o n n i e r s

A e s t b l a n c

On sait d’ailleurs davantage, audépart aussi, c’est que, dans cettecombinatoire, il y a une seuleconfiguration permettant une conclusionimmédiate, c’est la configuration alpha.Lorsqu’un sujet, les trois prisonniers seretrouvent dans cette configuration, làen effet, comme dans le sophisme

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réduit que je faisais, là aussi il peutconclure qu’il est ? ?, alors que lesdeux autres configurations, bêta etgamma, sont insolubles lorsqu’on esten face de ce monde. On peut dire quec’est très généralement la propriété dece type de distribution qu’il y ait àchaque fois une seule configurationimmédiatement conclusive.

Il est certain, par exemple, que sicette famille de problèmes necomportait pas chaque fois dans sacombinatoire une configurationimmédiatement conclusive, même letype de considération sophistiquequ’ajoute Lacan ne serait pas opérant.Il faut qu’il y ait toujours, dans lacombinatoire des configurationspossibles, une configuration permettantla conclusion immédiate. On peut direque le sophisme est toujours adossé àce qui sert de référence, à savoir laconfiguration de conclusion immédiate.

Et d’ailleurs, le fonctionnementmême du sophisme suppose toujoursque, par un processus réglé, on réduisetoutes les configurations possibles à laconfiguration immédiate ou àl’équivalent de la configurationimmédiate.

C’est simplement pour vous faireremarquer que l’on peut en effet réduireles données de structure, mais il fautles réduire de la bonne façon, c'est-à-dire en préservant l’existence de cetteconfiguration de conclusion immédiate.

La seule question maintenant surquoi on se centre, en revenant à nosdeux prisonniers, c’est : comment peut-on faire que la configuration insoluble, àsavoir la configuration bêta, deviennesoluble ?

Encore une fois, elle est absolumentinsoluble dans le cadre de penséeantérieure. Avec les données destructure plus la donnée d’expérienceformant l’ensemble des donnéesinitiales, cette configuration estinsoluble. Elle ne devient soluble que sij’apprends que la configuration del’autre est soluble ou insoluble pour cetautre, et si je raisonne en tenantcompte de ce fait nouveau. Donc, eneffet, on sort tout à fait de l’épure, là,c'est-à-dire qu’il est question

d’introduire un fait totalement nouveau,qui est le suivant : si A, dans cetteconfiguration insoluble, apprend que Ba pu conclure, lui, A, en déduit que Bétait dans la configuration alpha. Si Avoit que B conclut, si A apprend que Bconclut, c’est donc que B était dans laconfiguration qui permettait deconclure.

Et dès lors, tout en restant quinaud,A en déduit que lui-même est noir. Enrevanche, si A apprend que B n’a paspu conclure, pas plus que lui-même,alors A en déduit qu’il est blanc lui-même.

Je vais être encore plus simple. A estdans cette configuration, il ne peut pasconclure, maintenant s’il apprend queB, lui, a pu conclure - donc, là, c’estinsoluble -, mais s’il apprend que B a puconclure, alors il peut conclure qu’il estnoir. En revanche, s’il apprend que Bn’a pas pu conclure, il sait qu’il estblanc.

A

?i n s o l u b l e

B n ' a p a s p u c o n c l u r e

B a p u c o n c l u r e

A e s t b l a n c

A e s t n o i r

De bien se centrer sur ce temps,cela permet de saisir à quelle conditionse produit le miracle qui change unproblème insoluble en un problèmesoluble. Le problème insoluble devientsoluble si le sujet est autorisé à faireentrer dans les données du problème lasolubilité ou l’insolubilité du problèmepour l’autre.

Qu’est-ce que ça demande commemodification du cadre de pensée ? Çademande qu’on aille au-delà de ce quiest vu du premier coup, ça demandeque s’enregistre le résultat, c'est-à-direla conclusion ou la non-conclusion desdonnées initiales chez l’un ou chezl’autre, ce qui, après tout, est introduiredans le problème de logique unélément qui est couramment pratiquédans la partie de cartes. Dans la partiede cartes, vous pouvez savoir quellescartes ont déjà été jouées dans leslevées précédentes, pas forcément

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toutes, mais vous pouvez connaître uncertain nombre des cartes qui ont déjàété jouées, et qui sont donc devenuesindisponibles pour l’autre, depuis ladernière distribution de cartes, et avantla prochaine distribution de cartes. Là,dans cette suite de problèmes queconstitue une partie de cartes, vousdisposez d’informations sur les coupsqui ont été joués précédemment, aumoins certaines informations sur cescoups.

Donc, ici, la transformationmiraculeuse du problème insoluble enproblème soluble suppose que vousayez connaissance du fait que l’autre apu jouer la carte de la conclusion ou n’apas pu jouer la carte de la conclusion.

Et il est notable que la carte de laconclusion, selon qu’elle a été jouée oun’a pas été jouée, est susceptible, dansces données initiales, de se traduireaussitôt en termes de couleur, vousdonner la couleur que vous neconnaissiez pas et qui était la vôtre.C'est-à-dire ici le fait que l’autre conclutou non se démontre strictementéquivalent à vous indiquer laquelle desdeux couleurs alternatives est la vôtre.

Donc, il est sensible, là, que cettematrice permet en un point, et si l’onautorise à prendre en compte ce faitnouveau, cette matrice permet en cepoint, à deux faits d’ordre tout à faitdifférents, de devenir équivalant. Lacouleur que vous avez, vous l’avez unefois pour toute dans cette histoire. Ehbien, il se trouve que cette matrice faitque quelque chose qui se passe chezl’autre se traduit immédiatement pourvous en termes de quelle couleur vousêtes. Si l’autre conclut, vous savez quevous êtes noir, et s’il ne conclut pas,vous savez que vous êtes blanc.

Cela fait une différence, parce que,dans le premier cas où l’autre a conclu,vous pouvez conclure que vous êtesnoir, mais après lui, tandis que s’il neconclut pas, vous pouvez conclure quevous êtes blanc, et vous le faites enmême temps que lui qui est blancaussi.

Vous voyez déjà qu’avec très peud’éléments, on a beaucoup deréflexions à se faire sur ce qui opère le

miracle du sophisme. C’est ce qui nouspermet de remettre à sa placefonctionnelle l’énoncé du problème.L’énoncé du problème nous indiqueprécisément comment chaque sujetapprend si le problème est soluble ounon pour l’autre. Il est convenu, ditl’énoncé du problème, que, dès que l’und’entre vous sera prêt à formuler uneconclusion logique, pas une conclusionde hasard, etc., il franchira cette porte.Donc, là, l’indication « le problème estsoluble pour moi ou n’est pas soluble »est donnée par chacun aux autres, ou àl’autre, par une action, dont on ne peutpas voir qu’elle est profondémentéquivoque, mais par une actionphysique, le franchissement d’uneporte, et qui a en effet une valeur decommunication. Lacan, dans le texte,essaye d’amincir cette évidence qu’ilfaut restituer. En effet, ce n’est pasdans sa tête que chacun conclut, ou onne dit pas : le jeu est fini, dites-moimaintenant ce que vous avez conclu,auquel cas on resterait en effet bloquédans le cadre initial, mais la conclusionelle-même est mise en scènepuisqu’elle demande une action, et donton va voir que Lacan l’a fait complexe,cette action de franchir une porte, latraversée de la porte.

Donc, comme c’est à chacun qu’ilest formulé que, dès qu’il aura laconclusion logique, il aura à franchir laporte, il franchira la porte, celacomporte précisément que si l’autre nefranchit pas la porte, il n’est pas enmesure de conclure d’une façonlogique, à savoir que la configurationdans laquelle il est insoluble. Et donc,c’est pas ce biais, très précisément dufranchissement de la porte ou non, quechacun apprend ce qu’il en est de lasolubilité logique du problème pourl’autre. C’est à cette place, donc, queça s’inscrit. Ça rend manifeste pour lesautres si le sujet est devant uneconfiguration soluble ou insoluble, dansle cas de deux.

C’est évidemment obscurci dansl’énoncé du problème, on est piégé parcet énoncé qui précise, tel que Lacan lerestitue : il ne vous est pas permis devous communiquer l’un à l’autre le

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résultat de votre inspection. C'est-à-direA ne peut pas dire à B : je te trouveblanc, et toi comment tu me trouves ?

En effet, on ne communique pas lerésultat de l’inspection des couleurs,c'est-à-dire il est interdit à chacun dedire quelle est la configuration, qu’est-ce qu’il rencontre à la droite du signe, àla droite du symbole prédicatif. Mais ilest permis et il est même obligé àchacun de montrer si le problème estsoluble ou insoluble pour lui.

Donc, certes, la couleur ne peut pascommuniquer la couleur aux autres,mais ce qui peut communiquer, c’est lasolubilité ou l’insolubilité du problème.Et, comme on voit dans le problèmeréduit, il y a un moment oùcommuniquer le caractère soluble ouinsoluble du problème est strictementéquivalent à communiquer à l’autre sacouleur.

C'est-à-dire communiquer à l’autre :je ne peux pas conclure, c’est luirévéler dans quelle configuration on estsoi-même, c'est-à-dire c’est lui révélerquelle est sa couleur. Il y a un point oùça se conjoint absolument et, on le voitimmédiatement dans l’exemple dedeux.

On voit que dans le cas de deux, leseul fait de manifester que le problèmeest soluble pour moi, c’est lui dire : tues noir. Le seul fait de lui manifesterque le problème est insoluble pour moi,c’est lui dire : tu es blanc.

Autrement dit, nous avons un pointoù - comment le dire ? - l’indication desolubilité est équivalente à l’indicationperceptive, à l’indication de couleur. Il ya donc un point, c’est celui-ci, où sevérifie l’équivalence entre l’indication desolubilité, IS, équivalente à indicationperceptive, IP.

IS IP

Cela constitue, en effet, comme untransport logique où l’action oul’inaction de l’autre - action ou inactionfait partie de l’action possible del’autre - où l’action de l’autre estimmédiatement équivalente à uneindication perceptive. Et, quelle que soit

la complication du problème par ajoutdu disque et des prisonniers, toutrepose sur la réduction possible àl’équivalence entre l’indication desolubilité et l’indication perceptive. Il y aun point où ces deux ordres dedonnées communiquent, et donc, il y aun point qui permet, par l’observationde l’autre, de l’action de l’autre, derésoudre quelque chose qui permet derésoudre le non-savoir essentiel dusujet.

Vous voyez qu’il est utile de réduireles données du problème pour atteindreces vérités élémentaires qui sontvoilées, devant lesquelles on estobnubilé par la complexité plus grandequi est aussitôt introduite par troisprisonniers.

Ça nous permet de repérer,d’énumérer, d’essayer d’énumérer defaçon exhaustive les élémentssupplémentaires qui sont apportés etqui modifient à la fois les donnéesinitiales et le cadre de pensée danslequel on résout, ou on pensaitrésoudre le problème.

D’abord, premièrement, il y a unélément proprement sophistique.L’élément sophistique - je l’ai déjàindiqué la dernière fois -, c’est quel’ensemble des données initiales estélargi subrepticement à une donnéesupplémentaire. Ce que j’exprimais encourt-circuit en disant : le problèmequ’on se trouve en mesure de résoudren’est pas le problème qui a été poséinitialement. C’est un deuxièmeproblème qui, lui, est soluble parce qu'ilintègre une donnée supplémentairesans laquelle le problème resteraitinsoluble, à savoir l’action de l’autre quise trouve, quand il y a deux prisonniers,immédiatement traductible en indicationperceptive.

Évidemment, cette donnéesupplémentaire, dans la configurationbêta où le prisonnier a devant lui unblanc, passe d’autant plus inaperçuequ’il s’agit d’une absence demouvement, une absence defranchissement de la porte. Mais cetteabsence a une traduction positive, àsavoir le problème n’est pas solublepour moi, et la transmission, la

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communication de ce fait que leproblème n’est pas soluble pour B estjustement la donnée supplémentaire quipermet à A de résoudre le problème quiétait avant, pour lui, insoluble.

Le non-mouvement permet uneconclusion sur le fait qu’il n’a pas puconclure et, par là même, m’indiqueque ma couleur est blanche.Deuxièmement – et c’est bien par làque cet exercice a retenu Lacan -, il y aun élément intersubjectif, très pur, trèsélémentaire, puisque ma possibilité deconclure est strictement suspendue àce que fait ou ne fait pas l’autre, ce quiest, en effet, un type d’élément qui esttout à fait absent de la logiqueclassique, où c’est l’ensemble inertedes données initiales qui doit permettreou non la conclusion. Et là, voilà quel’on amène un autre type de donnéesqui dépend de la considération del’observation de ce que fait un autre. Etvoilà que je ne peux poursuivre leprocès logique qu’à intégrer commeune donnée essentielle ce que fait oune fait pas l’autre.

Et donc là, un élément intersubjectifqui permet en effet d’inscrire lesconsidérations de Lacan dans leregistre d’une logique intersubjective,c'est-à-dire une logique où laconclusion dépend de ce que fait ou nefait pas l’autre ou les autres.

On peut prendre là-dessus descontre-exemples simples. Imaginonsqu’avec ces données du problème,l’autre prisonnier, ce soit une statue.Vous pouvez tout à fait, à la statue,mettre un disque d’une couleur oud’une autre, mais, à partir du momentoù c’est une statue, qu’elle ne peut pasmanifester, la statue peut raisonner - jene vois pas pourquoi elle ne pourraitpas raisonner - mais, à partir dumoment où elle ne peut pas manifesteren se déplaçant à quelle conclusion elleest arrivée, eh bien, ça ne marche pas.Et on s’aperçoit par là même que lemonde de la logique classique, c’est unmonde où ce sont les statues qui fontde la logique, si je puis dire. C’est unelogique de statue.

Évidemment, cela devient trèsinquiétant quand les statues se mettent

à bouger. Si vous voulez en avoir unereprésentation, je vous conseille devous rendre au théâtre de l’Odéon oùse donne actuellement une fortintéressante représentation du DomJuan de Molière, mis en scène parnotre amie Brigitte Jaques, et où vousvoyez comment est résolu le problèmede la statue qui bouge, puisque c’est unélément essentiel de l’histoire de DomJuan qu’à la fin, en effet, la statuebouge. Là, en l’occurrence, c’estd’abord une statue couchée quisimplement fait un tout petit mouvementdu chef, qui est suffisant, en effet, pourque Sganarelle et les spectateurss’émeuvent aussitôt de voir cette trèssimple indication qui serait d’ailleurs,dans le cas, suffisante pour que lesstatues puissent entrer dans lesophisme des prisonniers.

Évidemment, quand les statues semettent à bouger, c’est la fin des fins,c’est vraiment au moment du Jugementdernier que cela se produit. Et puis,quand on est un peu plus loin dans ladéstructuration des choses, ce ne sontplus les statues, mais les aimablesprisonniers qui gambadent comme ilsveulent, ou presque comme ils veulent,dans le sophisme de Lacan.

D’ailleurs, ce que fait très biencomprendre cette pièce, c’est à quelpoint ce qui domine le personnage deDom Juan - et c’est pour ça que cettestatue se met à s’animer -, ce quidomine, c’est le problème de laréciprocité, et qu’en effet Dom Juan estessentiellement celui qui ne paye passes dettes. On voit, très bien montrée,accentuée – c’est une représentationde style lacanien, à cet égard -,comment Dom Juan a affaire à unesérie de créanciers qui viennent luidemander de rembourser. Il s’en vafinalement sans rembourser tout lemonde. C’est ça le pied de nez final, etqui avait été coupé par Molière trèsrapidement pour pouvoir survivre à lacensure, c’est la grande réplique deSganarelle à la fin : Mes gages ! Mesgages ! Mes gages ! Dom Juan est partisans payer ses dettes à Sganarelle.

Troisièmement, l’élément temporel.L’élément temporel est nécessaire à ce

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que je puisse prendre en compte ceque fait l’autre, confronté au mêmeproblème que moi, à savoir déduire sapropre couleur. Et donc, on peut direqu’ici le temps logique estessentiellement déterminé comme untemps intersubjectif, c’est un tempsrendu nécessaire par la prise encompte de ce que fait l’autre. Donc, lalogique dont il s’agit est essentiellementune logique intersubjective, c’est untemps de logique intersubjective.

Remarquons bien que nous avons,dans tous les cas de cette famille deproblèmes, premièrement, unecombinatoire abstraite, la combinatoiredes possibles, ensuite unecombinatoire concrète, qui est faite dela configuration qu’il y a pour moi. Lacombinatoire abstraite est celle que l’ondéduit des données de structure,ensuite il y a toujours une combinatoireconcrète qui est faite en deux parties,d’une part la configuration effective, àsavoir ce que je sais, ce que je ne saispas, par exemple, pour A, dans le casintéressant, il voit que l’autre est blanc,et il y a une deuxième partie qui sontles configurations possibles, pourl’autre, ici le sujet A voit B blanc, et fontpartie de cette combinatoire concrèteles configurations possibles du point devue de B.

B, donc, ne sait pas ce qu’il est et onsuppose qu’il voit A ou bien noir ou bienblanc. Voilà dans le cas de deux etdans le cas, pour ce qui est réalisé,c’est cette configuration effective, uneconfiguration effective déterminetoujours un certain nombre deconfigurations possibles tel que Apeut les reconstituer pour B. D’accord ?

A

? ?

c o n f i g u r a t i o n e f f e c t i v e c o n f i g u r a t i o n s p o s s i b l e s

B B A

?

?

:

:

s o l u b l e a u 1 e r t e m p s

s o l u b l e a u 2 e m e t e m p s

Et puis, troisième élément, il y a unetypologie des configurations qui permetd’ordonner la combinatoire abstraite,c'est-à-dire qu’on sait qu’il y a alpha,configuration soluble au premier tempspour le sujet, et on sait, par l’analyseprécédente que nous avons faite, quela configuration bêta est insoluble aupremier temps pour le sujet, et estsoluble au second temps, une fois qu’ila pu enregistrer ce qui s’est passé aupremier temps. Voilà ce que j’appelle latypologie des configurations en fonctionde leur solubilité au temps Tn. Il y a uneconfiguration soluble au temps un,c’est, dans le cas de deux, laconfiguration alpha, et la configurationbêta, qui est insoluble au temps un, estsoluble au temps deux.

Il suffit, maintenant qu’on est arméde cette réflexion sur un exempleréduit, de l’appliquer au cas des troisprisonniers, où nous avons déjà lacombinatoire abstraite ici, qu’il fautcompléter pour obtenir la typologie quenous cherchons.

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J.-A. MILLER, LES US DU LAPS - Cours n°15 26/04/2000 - 207

A

? ?

c o n f i g u r a t i o n e f f e c t i v e c o n f i g u r a t i o n s p o s s i b l e s

B B

?

?

:

:

s o l u b l e a u 1 e r t e m p s

s o l u b l e a u 2 e m e t e m p s

? a u 3 e t e m p s :

3 P .

CC A

C A

B c o n c l u t a u 1 e r t e m p s

B n e c o n c l u t p a s a u 1 e r t e m p s

A t 2 = N

A t 2 = B

A

?

c o n f i g u r a t i o n e f f e c t i v e c o n f i g u r a t i o n s p o s s i b l e s

B

B

?

?

:

:

s o l u b l e a u 1 e r t e m p s

s o l u b l e a u 2 ° t e m p s

? a u 3 ° t e m p s :

3 P r i s o n n i e r s

C

C

C A

1 e r t e m p s

2 ° t e m p s

/ C

C A

B

B

B s o r t

B n e s o r t p a s

A s a i t n o i r

A s a i t b l a n c

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On peut dire très simplement que,dans le cas des trois prisonniers, dansla configuration alpha c’est soluble pourle sujet au premier temps, laconfiguration bêta, je l’ai déjà posée,avant de le démontrer, qu’elle estsoluble au deuxième temps, et laconfiguration gamma est soluble autroisième temps.

Faisons cette démonstration d’abord.Je pense qu’ici la conclusion pour vous-mêmes est immédiate. S’il n’y a quedeux disques noirs, on constate queces deux disques noirs sont déjàemployés, il ne reste pour le sujet qu’undisque blanc, et donc, c’est solublepour lui dès le moment où il a fait sapetite inspection. Ça marche d’ailleursau premier temps : c’est un monde destatues. Vous obtenez la conclusion aupremier temps même si les deux autressont des statues, et d’ailleurs, ils sontdes statues puisqu’ils ne bougent pas,et qu’ils ne se ? ? ?.

Donc, dans tous les cas de ce typede problèmes, le niveau de conclusionimmédiate est un niveau quis’accommode très bien du caractère destatue éventuel de vos compagnons,puisque, quoiqu’ils fassent - et commestatue, ils ne peuvent pas faire grand-chose -, ils ne peuvent pas sortir etc’est vous qui sortez. Conclusion aupremier temps.

Maintenant, démontrons en quoi laconfiguration bêta est soluble audeuxième temps pour le sujet.Incarnons ça. Voilà le sujet A, qui adevant lui un monde où il y a B blanc, etC noir.

Comment raisonne le sujet A pourtrouver ce qu’il est ? Il raisonne - çac’est la configuration effective -, ilraisonne sur les configurationspossibles de B, c'est-à-dire du blanc. B,il ne connaît pas sa propre couleur, setrouve dans tous les cas dans unmonde où il y a un noir, puisque C estnoir, il le voit aussi. Il peut se trouverdevant la configuration telle que A estnoir, et ? ? celui-là, il ne connaît pas sapropre couleur, ou il peut se trouverdevant un monde où A est blanc. Si Bse trouve devant cette configuration-ci,

A est de la configuration alpha, et à cemoment-là B conclut au premier temps.

En revanche, si B se trouve devantcette configuration, B ne conclut pas aupremier temps. Alors, si B conclut aupremier temps, au deuxième temps Asait qu’il est noir, si B a conclu aupremier temps, c’est qu’il s’est trouvédevant deux noirs. A ce moment-là, Aconclut au temps suivant, en T2, etd’ailleurs, C conclut qu’il est noir de lamême façon. Donc, si B conclut en T1,A peut conclure en T2, et il conclut qu’ilest noir. Si B ne conclut pas au premiertemps, A peut conclure au temps deuxqu’il est blanc.

Autrement dit dans les deux cas, autemps T2, c’est soluble. Dans les deuxcas, le sujet A s’est trouvé devant cettesituation, au temps deux il sait ce qu’ilest, selon ce qu’a fait B, selon ce qu’afait le blanc. Si le blanc est sorti aupremier temps, au second, B sait qu’ilest noir, et si B n’est pas sorti, A saitqu’il est blanc.

Autrement dit, la configuration bêtaest soluble au deuxième temps. Quandvous êtes devant cette configuration, enobservant ce que fait ou ne fait pas leblanc, vous savez ce que vous êtes.Autrement dit là, le blanc vous indique,par son action ou non, ce que vousêtes.

Il reste ensuite la conclusion autemps trois, où cette fois-ci laconfiguration effective, c’est B et C sontblancs et le sujet le sait.

Alors qu’est-ce qui se passe dans cecas-là ? Là, les deux sujets sontstrictement équivalents, donc c’est B ouC, ça revient au même. B ou C qui sontdevant un monde où il y a C blanc. Aupremier temps, de toutes façons, on nepeut pas conclure. Quand il y a aumoins un blanc, on ne peut pasconclure au premier temps quidemande qui est le noir. Donc, A saitque ni B ni C ne peuvent conclure aupremier temps, puisqu’il y a disons[déjà un blanc ? ?]. D’accord ?

Au deuxième temps, si ils sont dansla configuration où A est noir ? Là, cetteconfiguration nous la connaissons, à cemoment-là si A est noir on sort. On sort

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parce que cette configuration estsoluble au deuxième temps.

En revanche, si C est blanc, A estblanc aussi, au deuxième temps B nesort pas. Donc, selon le deuxièmetemps, si B sort, c'est-à-dire si leproblème est soluble pour lui, B sort etd’ailleurs C sort en même temps.Quand B sort, A sait qu’il est noir, onretrouve le même, il sait qu’il est noir. Etsi B ne sort pas, A sait qu’il est blanc, etdonc, au temps suivant, il sort, enfonction de ce que B a fait ou n’a pasfait au deuxième temps. Au troisièmetemps, on est dans la configuration oùon a deux blancs, au troisième temps,de toutes façons, on sait ce qu’on est.On le sait en même que les autresquand on est blanc, et on le sait avecun temps de retard, puisque les autressont sorti au temps précédent, parceque ils étaient eux dans cetteconfiguration-là. Mais, au troisièmetemps dans tous les cas on sait cequ’on est, quand on est au départ danscette configuration.

Donc, ici, nous avons le principed’un raisonnement par récurrence,c'est-à-dire, sur la base de cettematrice, on peut continuer en quelquesorte indéfiniment jusqu’à épuisementdes combattants. On remarque ici qu’onretrouve toujours, ici c’est au tempsdeux que l’indication de solubilité quiest donnée par le départ ou non de B etde C se traduit en termes d’indicationperceptive, c'est-à-dire indique, sansqu’on puisse se tromper, si on est blancou noir.

Donc, ici, dans le cas précédent,c’était l’indication de solubilité donnéeau temps un qui était équivalent àl’indication perceptive, ici l’indication desolubilité est donnée au temps deux, etdonc, c’est au temps trois que l’on peuteffectivement partir.

Donc, dans cette matrice, il y atoujours un moment où l’indication quel’autre donne, ou que les autresdonnent dans ce cas-ci, l’indication quel’autre donne s’il peut conclure ou non,est strictement traductible en termesd’indication perceptive pour le sujet.

Normalement, ça s’arrête là. On adéjà fait tout un trajet dans le sophisme,

on a déjà ajouté l’élément intersubjectif,la liaison avec l’autre, on s’est déjàdonné le droit de continuer de raisonnerau-delà des données initiales, enintégrant le comportement des autresdans le raisonnement, et puis, on aajouté l’élément proprementsophistique, à savoir qu’on prend encompte ici une fois, deux fois, le fait queles autres ne bougent pas.

Alors, évidemment, vous voyez toutde suite que c’est compliqué de prendreen compte une fois et deux fois quelquechose qui ne se produit pas.

Ce qui se passe quand on donne ledépart : à la une, à la deux, à la trois !On ne bouge pas la première fois, onne bouge pas la deuxième, on bouge latroisième. Là, dans le continuumtemporel, une fois on ne bouge pas,deux fois on ne bouge pas, à la trois onbouge.

Beaucoup de choses reposent surcomment on compte le temps del’immobilité, comment on arrive àdiviser le temps de l’immobilité.

Normalement cela s’arrête là, etc’est déjà pas mal. Il y a une typologiedes configurations, les données sonttelles qu’il y a toujours uneconfiguration… Premièrement, danscette famille de problèmes, il doittoujours y avoir une configurationpermettant une conclusion immédiateen fonction de l’expérience. Celasuppose qu’il y ait toujours un disquenoir en moins par rapport au nombredes prisonniers.

Autrement dit, le schéma logique del’histoire, c’est soit petit n le nombre deprisonniers, le nombre des disquesblancs doit toujours être égal à n, et lenombre des disques noirs doit toujoursêtre égal à n moins un. Cela doittoujours être égal à n moins un, parceque c’est la seule condition qui permetà la configuration de conclusionimmédiate d’exister. C’est là-dessusque s’adosse le raisonnement. Ce fait-là permet, en effet, que surgisse unesituation où, pour tout prisonnier visible,le prisonnier visible est noir.

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x p v N p v .( - 1 )

Il faut un certain pour tout X, c’est çaqui définit cette configuration. C’estpour tout X, moins un, le prisonnier quin’est pas visible pour lui-même. En fait,l’existence d’un disque noir en moinsfait que, donc, si vous avez même unmillion de prisonniers qui ont tous ledisque blanc, ça permet à un deconclure que lui il a le noir. Ce pour toutX moins un est la base logique de lapossibilité même de la solubilité dusophisme.

C’est aussi ce qui permet qu’il y aittoujours un temps ou IS est équivalentà IP. Cette équivalence entre l’indicationde solubilité et l’indication perceptive seproduit toujours au temps n moins un etla conclusion au temps n, dansl’énumération qui est ici adoptée.

C’est déjà assez beau comme ça,c’est déjà assez sophistique, puisqu’ona pratiqué tout cet élargissement, quelà j’ai soigneusement détaillé pas à passans qu’on y voie rien, puisque tout çaest amené dans l’énoncé du problème,or ça continue par un deuxièmesophisme que Lacan y surajoute, et lesecond sophisme exploite ou introduitune ambiguïté temporelle. Vous enpercevez la structure si je l’énonceainsi, en prenant les deux prisonnierssimplement : au temps T1, je constateque l’autre ne sort pas, le fait quel’autre ne sorte pas m’indique que je nesuis pas noir, que je n’ai pas le seuldisque noir, c'est-à-dire le fait qu’il nesorte pas me donne l’indication desolubilité décisive qui me permet de letraduire immédiatement en termes decouleur, et donc le fait qu’il ne sorte pasme met en mesure de sortir. Très bien.

Et l’autre, qui était d’ailleurs commemoi-même, blanc, sort également. Ceque Lacan introduit alors, c’est le doute,l’hésitation, la motion suspensive, toutse fout par terre. De quelle façon ?Premièrement, ma conclusion logiqueen T2 est fondée sur la non-sortie del’autre en T1, comme il ne sort pas jesors. Deuxièmement, l’autre qui estblanc comme moi sort lui aussi en T2,

troisièmement, c’est là le momentsophistique, Lacan dit : si l’autre sortaussi, alors j’hésite, alors je m’arrêtedans mon mouvement. Et pourquoij’hésite ? Eh bien, je suis sorti parcequ’il ne sortait pas, si maintenant l’autresort, ça invalide la prémisse sur laquellej’étais sorti. Est-ce que c’est bien saisi,ça ? Lacan introduit qu’on ne tire pas lerideau au moment où chacun se décideà sortir.

On ne tire pas le rideau et, à cemoment-là, les deux sortant en mêmetemps, je constate que la prémisse surlaquelle je m’étais fondé pour conclureest incertaine puisque l’autre bouge. Çaveut dire que je me demande si je nesuis pas sorti trop vite, si, alors que moij’ai considérai que l’autre ne sortait paset donc je sors, en T2, l’autre n’est pasen train de sortir en T1, parce qu’il n’y arien dans l’histoire qui synchronise letemps logique. Il peut bien y avoir unehorloge, mais il n’y a rien qui m’assureau moment où je sors, moi, pour avoirconstaté que l’autre ne sortait pas, rienne m’assure que l’autre n’a pas mis unpeu plus de temps que moi pourparvenir à la même conclusion. Etdonc, me voyant démenti par sonmouvement, je m’arrête. C’est unefiction bien entendu, mais dont tout leTemps logique dépend, enfin c’estarticulé à tout le temps.

Troisièmement, je m’arrête, j’hésite,si j’étais sorti trop vite. Quatrièmement,je m’arrête et l’autre s’arrête aussi.Cinquièmement, alors je peux conclureen toute sécurité, dit Lacan.

En effet, je peux hésiter sur à queltemps logique est-ce que l’autre estsorti. Est-il sorti vraiment comme moien T2 ou est-il sorti comme moi en T1 ?ce qui m’empêcherait de sortir enpensant que je suis noir.

Mais si l’autre était sorti, parce qu’ilme voyait noir et se savait blanc, il nese serait pas arrêté, parce que, danstous les cas, la sortie de configurationimmédiate ne dépend pas de ce que jefais, mais dépend du monde desstatues. Et donc, si l’autre s’arrête enmême temps que moi, là je peuxredémarrer en sachant que je ne metromperai pas.

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Cela repose évidemment surl’introduction de très nombreuxéléments supplémentaires, mais qui ontle mérite de faire voir qu’il y a unedifférence profonde, temporelle, entre laconclusion acquise au niveau deconclusions immédiates et lesconclusions acquises de façonmédiates, parce que la conclusionacquise de façon immédiate ne dépendpas de ce que l’autre fait. Donc, mêmesi j’hésite – prenons ça comme ça –,même si moi j’hésite quand je voisl’autre démarrer, le seul fait qu’il hésiteaussi m’indique qu’il est aussi dans uneconclusion médiate et non pasimmédiate. Donc, une seule hésitationsuffit pour désambiguer ce qui peutflotter d’ambiguïté sur la premièresortie. Ça, c’est le second sophismequ’amène Lacan, à savoir qu’il vaénumérer non seulement les temps duraisonnement, que nous avons vus,mais qu’il va montrer qu’il se répercutedans le mouvement même de laconclusion, à savoir, quand il y a deuxprisonniers qui sont blancs, ils nepeuvent atteindre une certitudecomplète, une certitude accomplie,qu’après un temps d’hésitation.

Et quand il y a trois prisonniers, ilsne peuvent l’atteindre qu’après deuxtemps d’hésitation, et ainsi de suite,c'est-à-dire un nombre d’hésitations quiest toujours égal à un de moins que lenombre des prisonniers, et qui est égalau nombre de temps médiats, jusqu’àce que l’on revienne supposément auplus bas niveau.

Il faut essayer de défaire cesophisme.

Premièrement, il faut bien voir leprivilège de la configuration alpha. Laconfiguration alpha, celle de conclusionimmédiate, a le privilège de pasdépendre de ce que fait l’autre, elle nedépend pas de la donnéesupplémentaire introduite par sonaction, alors que toutes les autres, lesconclusions qui s’ensuivent des autresconfigurations dépendent del’interprétation qu’on donne de l’actionde l’autre. Deuxièmement, c’est uneambiguïté temporelle qui motive chez lesujet une hésitation, mais le fait même

de cette hésitation chez l’autre suffit àlever l’ambiguïté. S’il hésite, c’est quesa conclusion était bien motivée commela mienne par l’action de l’autre que jesuis pour lui.

Autrement dit, la configuration alphadonne une conclusion toujours stable,temporellement stable, qui vaut une foispour toutes. Là, le type part et neregarde plus rien. Tandis que les autresconfigurations, qui sont médiates, sonttemporellement instables.

Cela suppose, troisièmement, quece que Lacan appelle le franchissementde la porte, la sortie destinée àmanifester la conclusion n’est pasinstantanée, cela suppose qu’il y a unespace à franchir, un mouvement àfaire qui prend du temps au sens de ladurée. Et là, évidemment, ça n’estpensable qu’en termes de durée.D’ailleurs, Lacan est obligé d’introduirelà le mouvement, il introduit lemouvement sous le nom de motion, lamotion suspendue. Il introduit dumouvement, donc il introduit de ladurée et de l’espace à franchir qui peutêtre interrompu et puis on reprend lemouvement. Donc, il introduit là,vraiment, le déplacement du corpsvivant. C'est-à-dire hop ! on lève lajambe, ah ! on voit que l’autre… Ou onfait un pas, et on voit le pas de l’autre,peu importe comment on se lereprésente, brusquement il s’introduitnon pas du tout du temps logique, maisde la durée.

Quatrièmement, l’ambiguïtétemporelle même sur laquelle joueLacan, cette ambiguïté qui fait que jepeux douter que l’autre sorte au mêmetemps logique que moi, supposejustement que la différence entre letemps logique T1 et le temps logiqueT2 ne soit pas objectivée dans l’histoire.

Prenons deux contre-exemples àpropos de la sortie et de l’ambiguïtétemporelle. Pour la sortie, par exemplesi j’indiquais que j’ai conclu non pas entraversant l’espace jusqu’à la porte eten ayant le temps de suspendre monmouvement une fois, deux fois, neufcent quatre dix neuf fois, si on est unpeu plus nombreux. Si au lieud’indiquer la conclusion comme ça

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simplement comme dans les jeuxtélévisés, je poussais un petit bouton etça faisait dring, si donc c’étaitinstantané, là, l’indication de solubilitéserait immédiate, cela veut dire que lasortie serait instantanée, et donc le typed’hésitation ne se produirait pas : ou onappuie ou on n’appuie pas, ce seraitbinaire et instantané. Donc Lacan, pourcompliquer le sophisme, ajoute del’espace, de la durée et du mouvement.Il ajoute tout ça en parlant de motionssuspendues.

Deuxième contre-exemple, onpourrait tout à fait réduire l’ambiguïtétemporelle si le temps logique étaitobjectivé, c'est-à-dire marqué par unepetite clochette et on saurait que, autemps un, ou, comme je le disais ladernière fois, par des rounds, on sauraitquand est passé le temps un deconclure, quand est passé le tempsdeux de conclure. Ce sont autantd’éléments qui ne figurent pasdans cette histoire.

Si on admet les nouvelles donnéesque Lacan ajoute, pour redoubler lesophisme, on s’aperçoit quel’interprétation de l’action de l’autre esttoujours ambiguë et que ce que çaintroduit, d’une façon extrêmementfinalement subtile, c’est un décalagepossible de l’effectuation du tempslogique chez les sujets. Cela introduit lapossibilité d’un décalage, mais on nes’en aperçoit pas parce que, justement,ils ne sont pas décalés.

C'est-à-dire que les trois blancs vontfaire tout ensemble. C’est pour çaLacan peut dire : vous voyez ce sontdes sujets de pure logique, mais ilsfonctionnent comme des sujets de purelogique à ceci près qu’ils doiventsupposer qu’il puisse y avoir undécalage du temps de raisonnement dechacun. Si l’on avait des petitesmachines mobiles, si chacun était desordinateurs marchant avec des petitespattes, etc., comme on a vu,évidemment cette possibilité ne seraitpas prise en considération comme elleest ici.

Lacan insiste sur l’urgence et laprécipitation où se trouve engagéchacun des sujets, mais cette urgence,

de peur d’être en retard, a commefondement la crainte d’avoir été enavance dans son raisonnement, et c’estla crainte de s’être précipité qui ensuitele précipite dans la crainte de ne pas seprécipiter assez.

Et donc, même si le décalage dutemps logique est annulé, il n’en restepas moins qu’il a été possible.

Remarquons qu’ici nous introduisonsun nouveau type de données qui estcette fois-ci hésiter ou ne pas hésiter,ou s’arrêter ou ne pas s’arrêter, et, sil’on introduit ce nouveau type dedonnées, on entre dans le sophismedes temps d’arrêt, un temps d’arrêt estsuffisant pour ramener au cas de laconfiguration alpha, afin de l’exclure.Donc, il y a autant de temps d’arrêtsqu’il est nécessaire pour être ramené laconfiguration alpha à l’exclure.

Il faut donc s’apercevoir ici qu’on anon seulement le temps logique auniveau du raisonnement en deuxtemps, T1, T2, pour arriver à laconclusion mais les deux temps duraisonnement conclusif se reportent surl’action conclusive, c'est-à-dire sur ceque Lacan nous présente d’une façonhabile et sophistique comme laconclusion-mouvement. Les deuxtemps du raisonnement conclusifdonnent lieu à une division de laconclusion-mouvement par un arrêt. Enl’occurrence on a un schéma de cetordre

t 0 t 1 t 2 a r r ê t s o r t i e. . .. .

Donc, disons au temps zéro, laperception des données, au temps 1,aucun des deux n’est parti, au temps 2,la conclusion sur ma couleur « je suisblanc », et ensuite, un mouvementscandé par un arrêt, et, au-delà de cetarrêt, le redépart et la sortie. On a doncici le temps progrédient que l’on a suividans le raisonnement jusqu’en T2, etsuivi par un temps de vérification donton peut dire qu’il est au contrairerégrédient, et que l’on aura autantd’arrêts qu’il est nécessaire pour revenir

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à la configuration alpha et pourl’exclure.

Lacan pose la question de savoir s’ilest légitime, page 202, d’intégrer à lavaleur du sophisme les motionssuspendues qu’il fait apparaître après.

Il pose la question pour dire d’abordqu’elles n’apparaissent qu’après lapremière conclusion, une fois atteinte laconclusion, au terme de ce qu’il appelleà un moment la première phase duprocès logique, celle qui va jusqu’à T2,et il dit que c’est légitime d’aller au-delàde T2, il va jusqu’à dire que cemouvement et ces arrêts sont internesau procès logique puisqu’ellesdépendent de la conclusion qu’on aatteint logiquement.

C’est dans la mesure où on a concluen T2 qu’alors est prescrit cet arrêt, unarrêt dans le cas de deux prisonniers,deux arrêts dans le cas de trois.

Évidemment, c’est sophistique,puisque d’un côté elles sont logiques eneffet, parce que si l’on admet le cadredu problème, le nombre des arrêts eststrictement déterminé par les donnéeslogiques du problème. Ce ne sont pasles arrêts psychologiques, ce sont desarrêts qui reproduisent exactement lestemps du raisonnement, qui lesrépercute, donc. En ceci, elles sontlogiques, néanmoins, donc ellesobéissent en effet à une nécessitélogique, mais, en même temps, c’estsous réserve de l’introduction desdonnées spécifiques qui sontintroduites, à savoir du moded’expression de la conclusion.

Lacan introduit une conclusion quidure, une conclusion qui se manifestedans la durée, et qui n’est pasinstantanée. Ça, évidemment çan’appartient pas de façon intrinsèque àla première phase du procès logique.

Qu’est-ce que ça fait alorsapparaître ? Ça fait apparaître qu’enT2, je suis bien arrivé à une conclusionparfaitement légitime. N’empêche quecette conclusion parfaitement légitime anéanmoins besoin d’être vérifiée autemps d’arrêt, et que, si elle est déjàcertaine en T2, elle ne devient quandmême effective qu’au moment de lasortie, après avoir traversé un temps

d’arrêt, après avoir traversé un tempsde doute ou d’hésitation.

C’est dans cet écart, que Lacanmanifeste et met en valeur par cerallongement du problème, qu’en effetse produit le phénomène d’anticipation.

t 0 t 1 t 2 a r r ê t s o r t i e. . .. .

C’est ce qui permet à Lacan de fairesurgir cette catégorie inconnue aubataillon logique, à savoir la certitudeanticipée. En T2, je suis déjà certain,n’empêche que cette certitude doittraverser le doute et l’hésitation pourdevenir une certitude effective. C’est cequ’il met en valeur dans le titre mêmede ce texte « L’assertion de certitudeanticipée ». Évidemment, on peutdiscuter, puisqu’on pourrait dire : en T2,on a la conclusion, on n’a vraiment lacertitude qu’au moment de la sortieaprès avoir traversé ce tempsd’hésitation, mais ne chipotons pas surtoutes les formes, il faut bien dire, del’arbitraire des conditions qui sont làajoutées par Lacan. Nous avons là eneffet comme l’image d’un décalagetemporel où l’on n’atteint qu’unecertitude vérifiée qu’à condition del’avoir posée à la fin de la premièrephase du procès logique.

Et donc, on a besoin d’un secondtour inverse, on a besoin ici de revivre,dans les mouvements du corps mêmes,de revivre les temps de la conclusionlogique, et d’en faire, là, l’épreuveéventuellement souffrante dans lasuspension.

Fin du Cours XV de Jacques-AlainMiller du 26 avril 2000

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LES US DU LAPS

Jacques-Alain Miller

Seizième séance du Cours

(mercredi 03 mai 2000)

XVI

Donc, je m’acharne sur le tempslogique, à moins que ce soit lui quis’acharne sur moi et je nel’abandonnerais que quand j’en seraivenu à déplier ses paradoxes et lesconclusions que Lacan arrive à tirer deces paradoxes, lorsque j’arriverai à lefaire de la façon la plus simple, la plusélémentaire, et donc je poursuis jusqu’àce que je puisse me dire valablement àmoi-même : stop, ça suffit comme ça.

De ce fait, fait antichambre ce quej’ai pu développer pendant l’intervalledes vacances de Pâques en d’autreslieux, au Brésil où je me rendshabituellement à cette époque, surl’érotique du temps. J’espère que jepourrais commencer à entrer dans cechapitre la prochaine fois.

Je me suis donc arrêté la dernièrefois au moment où nous allionsdécouvrir à nouveau l’équivoquemajeure du temps logique, ce qui en faitun sophisme, et ce que le génie deLacan, son ingenium, son Witz,transforme en ressort d’une nouvelleaperception du temps.

J’ai abordé ce sophisme par l’enversdans la mesure où j’ai fait apparaître sanature, sa nature sophistique. Elleapparaît, et donc, du même coup elles’évanouit, si les temps du

raisonnement, ses étapes, sontobjectivées.

En effet, dans le cas des deuxprisonniers, nous avons - je l’ai dit ladernière fois - des données initiales, destructure et d’expérience : le fait qu’ilssont deux, qu’il y a trois disques, dontdeux blancs un noir, et puis, la situationqui est pour chacun, et chacun ne lesait pour lui-même, qu’il a en face de luiblanc. Voilà ce qui fait les donnéesinitiales et puis la petite histoire dudirecteur de la prison.

D 1 :

D 2 :

D 3 :

D i

{ D i , D 1 }

{ D i , D 1 , D 2 }

C o n c l u s i o n : p b e s t i n s o l u b l e

C o n c l u s i o n : p b e s t s o l u b l e" j e s u i s b l a n c "

S o l u t i o n

S e c o n d e d é d u c t i o n

Nous savons que si l’on part de cesdonnées initiales, D avec l’indice petit iet que l’on commence à calculer à partirde ces données initiales, à savoir quel’on reconstitue la combinatoire des caspossibles, que l’on défalque ce qui n’estpas la situation, que l’on préserve cequi est la situation, etc., on tombe surune conclusion qui est que, avec cesdonnées, le problème est insoluble.Cette conclusion est absolue, nevarietur, n’est pas susceptible d’appel,et, comme les deux sont dans la mêmeposition, elle est valable pour l’uncomme pour l’autre.

Voilà la déduction un. Comme je l’aiindiqué, il y a, si l’on poursuit dans letemps, une seconde déduction, en fait,dont on va dire approximativement lesdonnées initiales cette fois-cicomportent les premières, mais aussi lapremière déduction, et alors, laconclusion est que le problème estsoluble : je sais ce que je suis, je suisblanc.

Voilà en quelque sorte l’envers dusophisme pris au niveau des deuxprisonniers, à savoir qu’il y a un premierproblème, en effet insoluble, et puis,qu’il y en a un second, qui est différentet qui, lui, est soluble, et, parrécurrence, lorsqu’on est dans le cas

215

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des trois prisonniers, on peut dire : c’estseulement une troisième déduction,celle dont les données intègrent lesdonnées initiales, la première déductionet la seconde, qui se trouve constituerun problème soluble.

Comme je l’ai déjà indiqué, cetenvers du sophisme, qui n’en est pasun, cette fois-ci, suppose que chaquedéduction est parfaitementindividualisée, ce qui est ici marqué parla numération que j’affecte à chacune,et chaque déduction, chaque momentde la déduction finale est intégré, à titrede données, dans la suivante.

Cela suppose aussi uneobjectivation de chacun des temps duraisonnement. C’est ce que j’exprimaispar le contre-exemple de ce qui seproduit, dans le sophisme, si les tempssont marqués par une petite clochettecomme des rounds d’un match deboxe.

Ce contre-exemple constitue destemps objectivés du raisonnement,c'est-à-dire des temps, des scansionsde ce raisonnement, qui ne dépendentpas du rapport intersubjectif, c’est-à-dire qu’ils sont scandés par l’Autre avecun grand A.

Pouvez-vous conclure au temps un ?Non. Pouvez-vous conclure au tempsdeux ? Non. Et, à ce moment-là,pouvez-vous conclure au temps trois ?Oui. Cela suppose que le mouvementsoit objectif, c'est-à-dire qu’il soitmarqué, de façon indiscutable, non paraucun des partenaires, ni par le rapportdes partenaires, qui dans ce cas-làprécisément ne le sont pas, ils sontchacun aux prises avec leurs données,mais que ce temps soit marqué par uneinstance supérieure, comme figuredans l’histoire d’ailleurs le directeur dela prison.

A contrario, cela fait surgir lesconditions du sophisme lacanien, àsavoir que précisément la limiteobjective entre les déductions, entrechacun des temps du raisonnement,entre chacune de ces étapes, cettelimite y est effacée, c'est-à-dire quechacun temps du raisonnement n’estpas marqué à l’avance, l’étape n’estpas objectivée. Le sophisme repose sur

le fait que chaque étape estsubjectivement évaluée.

Dans le cas des deux prisonniers, jene peux pas conclure, parce que je voisque l’autre est blanc, je vois que l’autrene conclut pas non plus parce qu’il nes’en va pas. À ce moment-là, je me dis :je peux sortir. Personne n’est venu icidire : pouvez-vous conclure au premiertemps ? Non. Pouvez-vous conclure ausecond ? Oui. Tout repose surl’évaluation que l’autre n’est pas encoresorti, qu'il n’est pas sorti tout de suite.Là, évidemment, nous entrons dans unautre monde, le seul fait qu’on aitsoustrait la limite objective du premieret du second temps du raisonnementnous déplace dans une configurationtout à fait différente et nous oblige àvoir l’élément qu’il faut mettre en valeurentre D1 et D2.

La déduction un, c’est une chose,c’est le fait que moi voyant l’autre, pasles deux prisonniers, l’autre blanc, je nepeux pas conclure ce que je suis, jepeux être blanc ou noir, puisque lesdisques restent disponibles. Ça vautpour moi, ça vaut pour d’autres, parceque nous sommes, mais qui le sait,dans la même position, subjectivementça, ça ne vaut pour moi. Donc, pourpouvoir avancer vers la secondedéduction, j’introduis ici une donnée quiest que l’autre ne bouge pas, cettedonnée qui est pour moi l’indice que leproblème est pour lui aussi insoluble.

D 1 :

D 2 :

D 3 :

D i

{ D i , D 1 }

{ D i , D 1 , D 2 }

C o n c l u s i o n : p b e s t i n s o l u b l e

C o n c l u s i o n : p b e s t s o l u b l e" j e s u i s b l a n c "

S o l u t i o n

S e c o n d e d é d u c t i o n

D i s

C’est parce qu’il s’introduit ici unedonnée intersubjective - je vais écrireencore D avec « IS » -, la donnéeintersubjective, qu’alors je peuxprocéder à ma seconde déduction.Cette donnée intersubjective, c’est quel’autre ne bouge pas, ce que je traduis

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J.-A. MILLER, LES US DU LAPS - Cours n°16 03/05/2000 - 217

en disant que les données initiales luiposent comme à moi un problèmeinsoluble. C’est ça qui me permet depenser qu’il n’est pas devant un noir,que je serais, mais que lui aussi estdevant un blanc.

Autrement dit, comme il n’y apersonne pour marquer les temps, toutrepose sur l’évaluation que je fais quel’autre n’est pas devant une situationperceptive qui lui permet de conclureimmédiatement, et donc, parce qu’ilreste immobile, je bouge, et c’est alorsque je constate qu’il se met à bouger luiaussi.

Le fait qu’il se met à bouger lui aussimet en question la validité de la donnéeintersubjective sur laquelle j’avaisconclu. Il est donc essentiel ici d’isolerque le sophisme met en jeu deux sortesde données distinctes, il met en jeu ledisque, qui est une donnée inerte, surlaquelle on m’attire l’attention, en plus -il y a des disques noirs et il y a desdisques blancs -, donc, être noir ou êtreblanc, c’est une propriété, un prédicat,un attribut qu'on a une fois pour toutes.Ce serait un contre-exemple qued’introduire des disques variables, desdisques susceptibles de passer dublanc au noir, et qu’il faudrait savoirattraper au bon moment. Non. Dans lesophisme, la donnée perceptive de lacouleur est une donnée stable, inerte,mais il y a une autre sorte de donnéequi est être immobile ou être enmouvement. Et ça, c’est une donnéemobile. Il y a donc une catégorie dedonnées inertes, binaires, blanc ou noir,une fois pour toutes, et puis, il y a uneautre catégorie de données, qui sontaussi binaires, être immobiles ou êtreen mouvement, seulement ces donnéesont la propriété singulière qu’ellespeuvent changer : on peut être à unmoment immobile et, à un autremoment, en mouvement.

C’est le fait de ce second type dedonnées qui va introduire un facteur deperturbation dans l’ordonnancetemporelle. C’est une perturbationqu’on n’a pas quand les temps sontmarqués à l’avance de façon objectivepar l’Autre majuscule. À ce moment-là,à chaque temps on peut savoir si l’autre

est en mouvement ou immobile. Cettedonnée peut sans doute changer autemps suivant, mais, pour un tempsobjectif donné, on sait si vous avez lasolution ou si vous ne l’avez pas.

Autrement dit, le marquage objectifdes temps opère spécialement sur cettedonnée de type deux, parce qu’elle ladésambigüe à chaque temps objectif.Donc, la donnée de type deux est unsigne inversable, alors que le signe decouleur, lui, est fixe, déterminé. Cettedonnée dont le signe est inversabledevient invariable pour chaque tempsdonné. Si on lui met son indicetemporel, elle ne varie pas à ce temps-là.

On peut dire : au premier temps,l’autre a été immobile, donc, au secondtemps je peux sortir, quand il y a deuxprisonniers, parce que bien que cettedonnée soit mobile, la nocivité de samobilité pour la déduction logique estannulée par l’objectivité du marquagedu temps.

Quand il n’y a pas le marquageobjectif du temps, je ne peux pas éviterla question de savoir au bout decombien de temps - ce qui introduit ladurée - puis-je conclure que l’autre étaitdevant un problème insoluble. Et donc,là, par quelque bout que vous preniezla question, précisément le tempslogique qui n’est pas objectivé se trouvesous la dépendance d’une évaluationde la durée. Le jeu propre de cesophisme, c’est un jeu qui circuleprécisément entre le temps logique et ladurée et qui finit d’ailleurs par montrercomment le temps logique estsusceptible d’annuler la durée, mais aubout d’un certain parcours.

En attendant, la question « combiende temps ? » est fatale, c'est-à-direquelle est la quantité de duréetemporelle, quelle est l’étendue dedurée temporelle, quelle est l’extensiondu laps de temps, qui vous permet dedire que l’autre n’a pas pu conclure ?

Vous fixez cette durée pourconsidérer que vraiment la donnéesupplémentaire est acquise, et, à cemoment-là, comme par hypothèse,l’autre est strictement semblable à

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vous, il se met à bouger, c'est-à-direque votre donnée se trouve invalidée.

Autrement dit, dans le cas des deuxprisonniers, mon raisonnement desortie repose sur l’immobilité de l’autre,et, de ce fait même, il est invalidé parson mouvement.

Qu’est-ce qu’on peut dire surl’évaluation de cette durée indéterminéequi me permettrait de conclure que leproblème est insoluble pour l’autre ?

Cette durée, qui n’est passtrictement évaluable, peut êtrenéanmoins posée comme distincte dunôtre. En effet, si l’autre, celui que jevois, est noir, comme il y a un seuldisque noir, je sais instantanément queje suis blanc. On est ici dans un cas dedéduction instantanée. Donc, si ça dureplus qu’un instant, si l’autre, plus qu’uninstant, reste sur place, c’est qu’il nepeut pas faire une déductioninstantanée, c’est donc qu’il doitprendre en compte mon immobilité àmoi, c’est donc que le problème estpour lui insoluble directement, doncc’est que je suis blanc.

Autrement dit, la durée qu’il fautprendre en compte puisque le tempsn’est pas marqué objectivement, cettedurée peut être qualifiée de le « plusqu’un instant ». Si de la durées’introduit, si l’autre ne prend pas sesjambes à son cou, s’il est obligé d’abordde s’assurer de ma propre immobilité,alors je peux conclure. Maisévidemment, si l’on accepte de rentrerdans ce dédale, on est là sur un bord,on est là dépendant d’une évidenceextrêmement mince, qui est ladifférence entre une sortie instantanéeet une sortie qui prend un peu plus detemps que l’instant. On est làdépendant d’une évaluation, encoreune fois, qui n’a rien d’objectif, c’estquand même une évaluation subjectivequi repose sur le « plus qu’un instant ».

Nous sommes obligés de prendre encompte des termes extrêmementfuyants, qui normalement n’entrent pasen ligne de compte dans unraisonnement logique. À partir dumoment où nous poursuivons et nousprenons en compte ce que fait l’autreou ce que font les autres, aussitôt on

rentre ici dans quelque chosed’impalpable, dans lequel le génie deLacan est entré superbement, et demontrer qu’il y a une raison qui opère, ycompris là dans l’impalpable et lefugace et la fulguration, que tout ça,mais oui, s’ordonne néanmoins, et enparticulier dans le cas présent, à ladifférence minuscule, infinitésimale,entre l’instantané et le un peu plus quel’instant.

Ça fait bien voir la différence : quandvous avez en face de vous le gars quiest noir, ça vous suffit, vous n’avez rienà observer de plus, vous ne vousdemandez pas si lui sort ou non. Dansle cas où on a en face de soi un noir, onregarde l’autre, mais on ne regarde pasl’autre en tant que tel, on se contentede regarder une chose inerte, qui estson disque, ça suffit, on ne le regardepas comme un autre susceptible demouvement. Comme il n’y a qu’un seuldisque noir, il suffit de voir le disquenoir, et puis, on se tire. Donc, çamarcherait aussi bien avec une statue.Mais dans la situation où on voit unblanc, certes on regarde son disque,mais on doit regarder aussi sonmouvement, c'est-à-dire qu’il faut qu’onpuisse acquérir la donnéesupplémentaire de son immobilité.

Ça, c’est une donnéesupplémentaire qui est susceptible dechangement, parce que l’autre estsusceptible de bouger, et à ce moment-là…

L’évaluation de la durée estsubjective et elle reste foncièrementambiguë, parce que le moment oùl’autre se met en mouvement, je peuxme demander si je ne me suis pas tropdépêché moi de conclure à partir deson immobilité, puisque la donnée setrouve annulée.

Évidemment, si le temps étaitmarqué objectivement, ce n’est pas uneobjection que je me ferais, mais commele temps n’est pas marquéobjectivement, mon évaluation resteambiguë parce qu’elle est invalidée parle fait que la donnée intersubjectivechange. Je partais du fait que l’autre nebougeait pas et il bouge. C’est ce quiautoriserait alors de retrouver la

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conclusion classique, à savoir que jen’ai pas le droit de bouger puisque leproblème est insoluble pour moi, et jen’ai pas le droit de prendre en comptel’immobilité de l’autre, parce que cettedonnée est susceptible d’être modifiéeet donc les données initiales, si on lesprend en compte, sont creusées par untrou, le trou que fait la donnéechangeante.

Ce serait une façon de vérifier lebien-fondé de la conclusion classique.Ça n’est pas ce que fait Lacan puisqu’ilinvite au contraire à prendre en comptece que fait l’autre, y compris dans saportée invalidante. Très bien, vous avezconclu que l’autre restait immobile etque donc le problème était insolublepour lui, donc vous sortez. En effet, çavous fait un problème puisque aussitôtl’autre se met à bouger. Très bien :vous vous arrêtez, et puis après, ditLacan ? Est-ce que vous vous arrêtezet vous concluez que vous ne pouvezrien en tirer ? Non. Vous avez conclu,vous constatez qu’une donnéeessentielle est en train de changer, àsavoir que l’autre bouge. Très bien,vous vous arrêtez parce que vous nesavez plus. Mais maintenant voussavez quelque chose de nouveau, voussavez que l’autre s’est mis enmouvement et qu’il s’est arrêté. Et ça,c’est une donnée tout à fait essentielle.S’il s’est mis en mouvement et s’il s’estarrêté, c’est donc que son mouvementne reposait pas sur une évidenceperceptive mais prenait en comptevotre mouvement à vous.

C’est donc que l’autre était arrivé àsa conclusion non pas par l’évidenceperceptive mais en prenant en comptece que vous-même vous faisiez. Etdonc, le seul fait que l’autre ait bougé etse soit arrêté est la preuve ne varieturque vous êtes blanc et que vouspouvez sortir en lui disant.

Autrement dit là, nous avons cetterallonge, ce que j’appelais la secondephase du sophisme, voire le secondsophisme, qui procède au-delà de lapremière conclusion. Là où l’ons’arrêterait de réfléchir après lapremière conclusion, comme on faitquand les temps sont bien marqués,

Lacan invite à continuer de raisonnersur votre incertitude. C'est-à-dire qu’ilamenait l’objection, en effet, la donnéese modifie, donc vous ne savez plus,très bien, vous vous arrêtez. Mais le faitque l’autre s’arrête aussi devient lapreuve de comment il était arrivé à saconclusion et que sa conclusion étaitjustement une conclusion médiate.

Autrement dit, là, dans votreraisonnement pour arriver à la premièreconclusion, vous étiez obligé deprendre en compte ce tempssupplémentaire de réflexion, ce « plusqu’un instant », dont nécessairementvous êtes amené à douter parce quec’est une donnée subjective etambiguë.

Mais en revanche, au-delà de ça, iln’y a plus de donnée psychologique, ilsuffit qu’il y ait l’arrêt de l’autre pourque, là, vous soyez à nouveau certain.Autrement dit, au-delà de la conclusionà laquelle vous être arrivé, on ne prendplus en compte la durée, on prendseulement en compte le fait que l’autrese soit arrêté en même temps quevous, ce qui indique que votremouvement, qui est la seule donnée quia changé, a introduit chez lui uneincertitude. Et donc, dans sonraisonnement, il prenait en compte ceque vous faisiez ou ne faisiez pas. Maisdans cette constatation, il s’inscritseulement le fait que l’autre étaitconduit à s’arrêter, et là, il vous donneune information certaine, à savoir qu’ilétait arrivé à sa conclusion, pas par lesvoies de la perception directe, parceque là il aurait filé, mais, comme vous-même, par une voie indirecte. Et donc,l’arrêt désambigüe la durée del’immobilité que vous aviez prise encompte la première fois et qui vousavaient permis de conclure unepremière fois.

On atteint déjà un résultat tout à faitétonnant du seul fait d’avoir accepté deraisonner sur ce qui se passe après laconclusion, d’accepter de raisonner surdes choses aussi incertaines que ceque fait l’autre ou ce qu’il ne fait pas, etqui est ici incertitude qui est réduite aubinaire. On s’aperçoit que l’ambiguïtétemporelle, est-ce qu’on a attendu

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assez longtemps pour s’assurer que leproblème n’était pas soluble ? Ons’aperçoit que l’ambiguïté temporelleest soluble. Elle est soluble par la seuleexistence du temps d’arrêt, c'est-à-direque votre conclusion, devenuedouteuse par le mouvement de l’autre,devient certaine avec le temps d’arrêt,et donc, le noyau de ce que Lacan meten valeur et que nous atteignons ici,jusqu’à présent seulement avec lesdeux prisonniers, quand il soustraittoute scansion objective marquée parl’autre. Le noyau, c’est le paradoxe desdeux conclusions. Vous avez unepremière conclusion que l’on atteint enD2, le problème est soluble : « je suisblanc », ensuite on peut essayer del’aligner, justement, pour voir à quelmoment on n’y arrivera plus

Ensuite, la deuxième déductionrepose essentiellement sur l’existencede cette donnée intersubjective numéroun, à savoir l’autre ne bouge pas.

D 2 :

D 4

{ D i , } C o n c l u s i o n : p b e s t s o l u b l e" j e s u i s b l a n c "

D i S 1

D i s 1

{ D i , }D i sD 3

D i S 2

J e s u i s b l a n c

i n s o l u b l e

Donc, le problème est soluble, jesuis blanc, je me mets à bouger, etalors, la donnée intersubjective numéroun s’évanouit c'est-à-dire l’autre se metà bouger. Première donnée : l’autre estimmobile, je conclu que je suis blanc,voilà que l’autre se met à bouger, de cefait nouvelle déduction, D3, qui doitintégrer que l’autre ne bouge pas, etalors, de nouveau, c’est insoluble. Etensuite, donnée supplémentaire, ladonnée intersubjective deux, c’est quel’autre a bougé et s’est arrêté. Alors çaautorise une nouvelle conclusion, àsavoir que l’autre n’avait pas bougé enfonction d’une évidence perceptivemais qu’il avait bougé en fonction demon propre mouvement et à cemoment là, je redis « je suis blanc ».

Le paradoxe des deux conclusions,c’est qu’il y a une conclusion en D2,avant que je ne bouge, et puis il y a une

conclusion en D4, après que nousayons tous les deux bougé.

Le sophisme de Lacan est fait pourmanifester l’écart entre ces deuxconclusions. Cet écart intensifie laperturbation qui introduit dans leraisonnement logique la prise encompte de l’autre. La premièreconclusion est encore fragile, lapremière conclusion est à la merci,parce qu’elle repose sur cette donnéeintersubjective qui est : l’autre resteimmobile, je constate que l’autre resteimmobile. La première conclusion resteà la merci de l’autre et de ce qu’il fait,alors que la seconde conclusion, tout àfait certaine, surmonte l’incertitudequ’introduit l’action de l’autre. Laconclusion numéro deux, celle qui seproduit en D4, surmonte la vacillationintroduite par l’inversion du signe de ladonnée intersubjective.

La démonstration, c’est que l’on peutarriver à travers ce maquis, de ladonnée intersubjective vacillante,changeante, qu’on peut arrivernéanmoins à une conclusionentièrement validée. Souvent femmevarie, bien fol qui s’y fie ! Dans le casprésent, le fait que l’autre se soit mis enmouvement, à condition que ce soit unsujet de pure logique et non pas de purcaprice, le fait que l’autre ait perturbéles données se trouve entièrementréduit à la fin, et malgré l’incertitudequ’introduit le mouvement de l’autre, quin’est pas bien à sa place et invariable,comme le disque blanc et le disquenoir, etc., eh bien, malgré ça on arrive àraisonner.

Ce clivage de la conclusion, c’estcelle qui inspire à Lacan de les qualifier,de les adjectiver. Pour la conclusion enD2, il l’appelle la conclusion decertitude anticipée, et, pour la seconde,en utilisant une expression qu’il emploieà un moment dans le temps logique, onpeut parler de la certitude confirmée.

Le trait singulier, et là, le vocabulairede Lacan reste sans doutevolontairement un peu flottant dans letexte, c’est évidemment commentqualifier la validité de la premièreconclusion, puisque cette conclusion setrouve mise en cause aussitôt.

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Néanmoins, c’est seulement à acceptercette conclusion et à agir sur la base decette conclusion qui anticipe sur sapropre certitude, c’est seulement à agirsur cette base que l’on a une chanced’atteindre la conclusion en D4.

Tout repose là sur ce miraculeuxtemps d’arrêt, parce que l’existenced’un temps d’arrêt est exclue pour celuiqui verrait un noir et qui partirait surcette base-là. Si c’était un départconditionné par cette évidenceimmuable, peu importe ce que faitl’autre, je pars. Il faut aussi s’apercevoirque l’existence d’un temps d’arrêt danscette configuration met le sujet enposition équivalente à la situation deconclusion immédiate quand on voit undisque noir. Du seul fait qu’il y a letemps d’arrêt, vous savez ce qu’il enest pour vous. Autrement dit, vous vousretrouvez dans une situation que l’onpeut qualifier de désubjectivée, unesituation extérieure à l’intersubjectivité.

Quand vous prenez votre décisionsur la base que l’autre a un disque noir,vous ne vous occupez pas du fait quel’autre peut bouger ou non, vous nevous occupez que du disque noir, c’estune situation tout à fait désubjectivée,hors des paradoxes del’intersubjectivité, et finalement vousretrouvez cette même configurationaprès le temps d’arrêt.

Le temps d’arrêt vous met dans uneposition équivalente, c'est-à-dire vousregagnez cette désubjectivation, etcette fois-ci, comme dit Lacan, au plusbas, c'est-à-dire que plus rien de ceque fait l’autre ne peut vous troubler.

Autrement dit, la situationinstantanée qui vaut dans le cas dudisque noir que vous voyez chezl’autre, dans cette situation vous ne levoyez pas précisément, mais vousl’atteignez en fait du fait du tempsd’arrêt. Le temps d’arrêt vous remet enposition de conclusion instantanée.C’est clair ? À la fin, on voit commeréapparaître glorieux ce pur instant.

Le seul fait que l’autre s’arrête etmême, dit Lacan, hésite, c'est-à-diresuspend son mouvement, ce seul faitvous permet cette fois-ci de conclureavec la même immédiateté que celle

qu’aurait eu le fait de voir sur l’autre undisque noir.

En y allant bien lentement, bienposément, on a déjà acquis un certainnombre des bases solides dans cesophisme, on est bien formé à cesophisme, assez formé pour examinermaintenant le cas des trois prisonniers,dans lequel Lacan précipite d’emblée.

Les trois prisonniers, selon unecertaine perspective, c’est la mêmechose, puisque c’est un problème quel’on peut obtenir par récurrence, à partirdu problème des deux prisonniers.Simplement, on met plus un prisonnierpour en avoir trois, et il faut mettre plusde disques un blanc et un noir, et doncon aura trois blancs deux noirs.

Donc c’est la même chose, c’est lamême structure. Mais il y a en mêmetemps une différence qualitative entre leproblème des trois prisonniers et leproblème des deux prisonniers. Car,dans ce cas-là, la possibilité de laconfiguration permettant la conclusioninstantanée n’existe pas dans le fait.

: ?

: ?

: ?

A

A

A

C

C

C

B

B

?

?

{

Avec les trois prisonniers, commenous l’avons vu la dernière fois, nousavons une combinatoire subjective detrois possibilités, alpha, où on voit deuxnoirs, bêta où on voit un blanc un noiret gamma ? ? où on voit deux blancs.Dans le fait - ça c’est la combinatoireabstraite -, le sujet A, qui ne sait ce qu’ilest, voit deux blancs. Donc, il sait que Bvoit ou bien un blanc un noir quiserait lui-même A ou que B voit deuxblancs. Il reste incertain cette ? ?. Maisaucune de ces deux configurations, icic’est la configuration bêta, ça c’est laconfiguration gamma, A saitparfaitement que la configuration alphaest exclue, il sait bien qu’aucun des

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deux autres ne voient deux noirs,puisque lui-même voit deux blancs,donc il sait que B et C voit au moins unblanc dans l’affaire.

Autrement dit, dans le cas des troisprisonniers, on ne peut pas simplementévaluer si un autre s’en vaimmédiatement, A ne peut pas évaluersi un autre s’en va immédiatement oupas, il sait que, de toute façon, ils sontobligés d’y penser, donc il n’y a pasl’assise que nous avons dans leparadoxe de deux prisonniers, de lasortie instantanée. De toute façon, çava prendre un certain temps, et donc,d’emblée on est dans l’évaluationsubjective inquiétante.

Donc, en voyant deux blancs A saitdéjà que personne des deux autres neva sortir en un instant, et donc, on n’estpas exactement dans le cas des deuxprisonniers où on avait la possibilité, ouon sort en un instant ou on sort en unpeu plus qu’un instant. De toute façon,on va sortir dans un peu plus, et laquestion devient de savoir si on sortjuste dans un peu plus ou de dans unpeu plus d’un peu plus. Il faut à A letemps de voir si B et C partent ou non.Pour savoir ce qu’il est, il faut qu’il ait letemps de voir si B et C se trouvent dansla situation bêta ou dans la situationgamma.

Si B voit un blanc noir, on lui laisse letemps de raisonner. Et comment ilraisonne ? Il doit prendre en compte,lui, si A est noir, le départ ou le nondépart de C, et constatant que C nepart pas plus que lui-même, alors il parten même temps que C. C’est-à-direqu’aux yeux de A, B est dans lasituation que nous avons vue avec lesdeux prisonniers, B est dans la situationd’examiner si C part en un instant. Si Bvoit que C ne part pas en un instant, ilse dit : C n’est pas devant moi noir,donc, il le constate, et à ce moment-là ilpeut partir en même temps que l’autre,sachant qu’il est blanc. Et c’est du faitque ni B et C ne partent, que, à cemoment-là, A peut partir.

Évidemment là, comme aucun destemps du raisonnement n’est marqué,les possibilités d’embrouilles sontconsidérables. Quand ils se mettent à

partir, B peut se demander si C ne partpas au temps 1, et A peut se demandersi B et C ne sont pas en train de partirau temps 2, puisque aucune desfrontières n’est marquée.

Autrement dit, A, dans laconfiguration dite, est obligé deregarder ce que font B et C, et A saitque B regarde si C part, et que Cregarde si B part. Et si ni B ni C nepartent alors A part à ce moment-là.

Donc la différence ici, c’est que dansle cas des deux prisonniers, A aseulement B à regarder. Et là, il parttout de suite ou il ne part pas tout desuite. C’est encore simple. Tandis quedans le cas des trois prisonniers, lesujet A doit regarder B et C seregardant l’un l’autre. On suppose qu’ilsdoivent se regarder l’un l’autre un peuplus longtemps que dans le cas desdeux prisonniers pour arriver à dénouerleur raisonnement.

Donc, là la donnée intersubjectiveest extrêmement équivoque. Commeon suppose que les trois sont dessujets de pure logique, on admet qu’ilsconcluent en même temps et que,donc, ils se mettent en branle, enmouvement en même temps.

À ce moment-là, nous entrons dansla considération des temps d’arrêt qu’ilsvont connaître, puisque chacun est partien constatant que les deux autres nepartaient pas, et que donc se reproduitle phénomène qu’on avait vu sur deux,à savoir de l’invalidation de la donnéeantérieure.

Dans le cas des deux prisonniers,c’était simple, parce que le seul fait des’arrêter, toc, vous permettait de partiraussitôt. D’accord ? Je l’ai souligné.Donc là, le simple arrêt étaitparfaitement désambiguïsé, parce qu’ily avait deux possibilités : ou sortiedirecte ou sortie médiate. Mais ici l’arrêtn’a pas la même vertu, dans le cas destrois prisonniers, parce qu’il y a deuxpossibilités dont aucune ne comporte lasortie immédiate. Donc, d’accord ? ilss’arrêtent. Pourquoi ils s’arrêtent, lesautres ? Ils s’arrêtent, aux yeux de A,éventuellement si lui-même est noir, ilrepasse par cette hypothèse, s’il estnoir, B et C s’arrêtent, disons B s’arrête

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en se demandant si C n’est pas en trainde faire une sortie de type immédiat, detype instantané.

Donc, en fait, B s’arrête en sedemandant s’il ne serait pas noir,comme le serait A. Tout ça, ce sont dessuppositions de A, que B s’arrêterait,parce que A étant noir, lui l’étant aussi,C est en train de fiche son camp surcette base-là.

Là-dessus, B est rassuré parce queC s’arrête. Si C s’arrête, l’arrêt de C a lamême valeur que ce qu’on avait vupour deux prisonniers, à savoir il estrassuré sur le fait que ce n’est pas uneconclusion immédiate de C. Mais ça nerésout pas la question pour A. Et donc,A est obligé encore de voir si, après cepremier raisonnement, B et C s’en vont.C’est-à-dire ce qui prouverait que lui estnoir, et que les deux autres après letemps d'arrêt désambigüant, peuvents'en aller.

Autrement dit, l'hypothèse pour A : sije suis noir, il suffit à B et C de s'arrêterune fois pour savoir ce qu'ils sont. Etdonc, ils regardent, si B et C partentavant lui, si B et C repartent, et si B etC ne partent pas après leur temps deréflexion, alors il peut partir.

Tout ça est un peu comprimé dans letexte de Lacan, mais quelques mots deLacan indiquent que c’est ainsi que çase passe. Ça oblige à distinguer deuxéléments dans cet arrêt. Il y a le fait del’arrêt. A constate que B et C s’arrêtent.Le fait de constater, pour B, que Cs’arrête, si A était noir, ça lui permettraitde repartir tout de suite, c’est-à-dire onserait dans la situation des deuxprisonniers. Et donc, il faut encore queA constate non seulement que B et Cs’arrêtent, ce qui était le type deconstatation qu’on faisait dans le casdes deux prisonniers, il faut encore qu’ilconstate que cet arrêt dure, c’est-à-direla durée se réintroduit au niveau del’arrêt, la durée nécessaire pourconstater, pour pouvoir conclure qu’iln’est pas noir.

Autrement dit, le raisonnement quipermet à A, B et C de repartir supposeun arrêt qui se décompose en deuxparties : le fait de l’arrêt, s’arrêter, et ladurée de cet arrêt. C’est-à-dire qu’il faut

que chacun s’assure que les autres nesont pas dans le cas où un arrêt permetaussitôt la conclusion désubjectivée,mais il faut encore que l’arrêt permettede vérifier que, malgré l’arrêt, ils sontencore à s’assurer que les autres nebougent pas. Autrement dit, c’est unarrêt qui a deux parties : le fait de l’arrêtet puis la durée, l’épaisseur de cetemps d’arrêt.

C’est là l’élément nouveau qui estintroduit par les trois prisonniers. Lepremier élément nouveau, c’est d’abordque A n’a pas simplement à considérerce que fait l’autre ou ce qu’il ne fait pas,il a à considérer ce que font deuxautres, qui sont dans une situationréciproque. Et, comme a dit Lacan plustard, le plus important du Tempslogique, c’est de se rendre compte quec’est simplement avec le minimum detrois prisonniers que vraiment s’introduitle temps pour comprendre. Le tempspour comprendre étant ce dont Lacanqualifie cette considération de cettepaire d’autres qui se trouve bloquée etanimée par leurs considérationsrespectives.

Donc ça, c’est le premier élémentnouveau qu’introduit les troisprisonniers : il y a un temps quevous devez prendre en compte, larelation mutuelle et réciproque dedeux autres. Et puis, deuxièmement,dans le cas de deux prisonniers, cequi fonctionne, c'est le seul fait del’arrêt qui suffit à prouver que l’autren’est pas en situation de conclusionimmédiate, et qui donc me permetd’atteindre une conclusiondésormais indifférente à sonmouvement. Quand on est deux, jeconstate que l’autre s’arrête parceque je bouge, là je peux y allerabsolument sûr. Alors que là, le faitmême de l’arrêt ne suffit pas. Il fautencore que je constate que cet arrêtdure, que ça dure plus qu’un instant.

A ce moment là, les trois repartent.Quel est le raisonnement de Lacan à cemoment-là, page 201 ? « L’objectionlogique va se représenter avec laréitération du mouvement - le fait que

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les trois se remettent en marche aprèsl’arrêt - et va reproduire chez chacundes sujets le même doute et le mêmearrêt. »

Et Lacan approuve : « assurément,c’est ainsi. » Pourquoi est-cequ’assurément les trois de s’être remisen marche assurément s’arrêtent ànouveau ? Pourquoi ils reviennent ?Pourquoi le mouvement des autresintroduit à nouveau une ambiguïtétemporelle ? C’est parce que ledeuxième arrêt, en effet, comporte uneévaluation de durée, comme je l’aisignalé. Or l’évaluation de la durée,comme on l’a déjà vu, c’est toujourssubjectif, puisque les temps ne sont pasobjectivement marqués. C’est ça qui faitla différence entre le fait de l’arrêt et ladurée de l’arrêt. Le fait de l’arrêt - jeconstate que les autres s’arrêtent -, çac’est un fait, dans le sophisme, maispris comme objectif. On constate qu’ilss’arrêtent. Là on est dans une certituded’ordre comptable, alors que la duréede l’arrêt est un phénomène subjectif,toujours ambigu. Le fait qu’il y ait mêmecette durée reste incertain, parce queles temps ne sont pas marqués. Donc,c’est la présence du facteur durée dansle premier arrêt qui me fait douterquand je vois les autres se mettre enmarche, me fait douter qu’ils sont peut-être en train de sortir parce que je suisnoir.

Si l’on admet le sophisme, qu’est-cequi se passe au moment du secondarrêt ? S’il se passe la même chosequ’au premier arrêt, c’est indéfini, on nepourra jamais en sortir, sauf à secogner contre la porte…

La démonstration de Lacan, c’estjustement qu’au second arrêt il ne sepasse pas la même chose qu’aupremier. Au second arrêt, tout le mondes’arrête - A s’arrête, donc les autresaussi –, A s’arrête parce qu’il sedemande si B et C ne sont pas en trainde sortir au temps 2 du raisonnement,parce que lui est noir.

Mais alors il se dit : si j’étais noir, cequi aurait été probant pour eux, çan’aurait pas été toute la durée de l’arrêt,mais le seul fait de l’arrêt puisqu’il suffità désambiguer. Donc, si j’étais noir, les

deux autres seraient en situation desortie désubjectivée, de sortie nonintersubjective, de sortie immédiate etdonc, après s’être arrêtés une fois, çasuffirait pour désambiguer la situation,ils ne s’arrêteraient plus. S’ils s’arrêtentune deuxième fois c’est que, quand ilssont sortis, c’était une sortie qui tenaitcompte de mon mouvement, quand ilssont sortis du premier arrêt, ça tenaitcompte de mon mouvement, et donc,cette fois, la deuxième fois, ce qui jouec’est le seul fait de l’arrêt.

Au deuxième arrêt, A se dit que, sij’étais noir, il aurait suffit à B et C des’arrêter une fois pour être sûr qu’ilsétaient blancs et ils ne s’arrêteraientplus. Donc s’ils s’arrêtent une deuxièmefois, le seul fait de l’arrêt, cette fois-ci,suffit à conclure de façon certaine.

Autrement dit, les deux arrêts sontstructurellement différents. Le premierarrêt c’est le fait de l’arrêt plus sa duréequi me permettent de repartir. C’estl’ambiguïté de cette durée qui m’arrête,à partir du moment où les deux autresbougent, mais la deuxième fois, c’est leseul fait de l’arrêt qui me permet de filervers la sortie.

Ça n’est évidemment pasentièrement déplié dans ces termes parLacan, c’est pourtant ce que l’on vavérifier ensuite et la seule façon del’entendre, pour démontrer quel’intersubjectivité est susceptible dedélivrer une objectivité logique, et çarepose sur le fait de l’arrêt commecomptable, c’est-à-dire l’objectivationnumérique de l’arrêt en tant quedifférent de l’évaluation subjective de ladurée.

0n peut dire, si on admet cesdonnées, que le procès logique quiaboutit à la conclusion finale, à ladeuxième conclusion, passe par deuxarrêts que Lacan qualifie de scansionssuspensives, motions suspendues, quisont évidemment tout à fait différentesde l’immobilité du départ. Ce n’est pasl’immobilité, c’est la suspension dumouvement. L’arrêt suppose qu’il y aiteu un mouvement antérieur.

Dans le cas des trois prisonniers, ilest très clair que l’immobilité du départest parfaitement ambiguë et qu’elle se

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désambigue en deux temps d’arrêt. Cequi n’est pas mis en valeur par Lacan,puisqu’il les qualifie de la même façonde motion suspensive, c’est bien sûrque chaque arrêt est différent puisquele premier arrêt est nécessairement unarrêt qui dure, alors que le second estun arrêt instantané.

Il est clair qu'ici, on peut même diredans le cas des trois prisonniers quel’on a trois certitudes successives. Lapremière certitude, fragile, qui vous meten mouvement une première fois, à cemoment-là se glisse l’incertitude quevous produit le mouvement des autres,vous vous arrêtez une première fois, çadure et vous acquérez une deuxièmecertitude qui vous met en mouvement,et enfin la certitude se répète unetroisième fois après le deuxième arrêt,mais là elle se maintient comme stable.

Donc, vous avez une vérificationprogressive de la conclusion par l'acte,jusqu'à une conclusion - pourquoi laconclusion est définitive ? Elle estdéfinitive quand elle ne tient pluscompte des mouvements de l'autre,quand les mouvements et arrêts-mouvements se sont produits ennombre suffisant pour que vous n’ayezplus à considérer l’autre.

Un certain enchaînement réglé desmouvements de l’autre se termine,comme dit Lacan, par une conclusiondésubjectivée au plus bas degré. Leplus bas degré, ça veut dire que lesmouvements de l’autre n’ont plusd’importance.

On voit que la conclusion qu’onacquiert à la fin, la conclusion qui vousmet en mouvement pour la premièrefois, elle n’est pas désubjectivée auplus bas degré. Elle est désubjectivéeau degré deux, mais elle est tout desuite mise en question par lemouvement des autres. Ensuite, elleest désubjectivée au niveau un, par lepremier arrêt, et enfin elle estdésubjectivée totalement à zéro, ladésubjectivation zéro, à la conclusiondéfinitive.

Sur quoi repose ce nid d’équivoquesqu’est ce sophisme ? Il reposeessentiellement sur le mixte qui vousest présenté entre le temps logique au

sens des temps du raisonnement, desétapes du raisonnement, et la durée.

L’évaluation de la durée, je l’aisignalé, est toujours prise commesubjective et ambiguë, et puis,finalement, à la fin, elle est mêmeéclipsée. Mais en même temps cettedurée, on ne peut pas dire qu’elle estabsente du sophisme, au contraire elleest opératoire. La durée, même si lesujet la met en doute, le fait que lepremier arrêt a duré est évidemmentmis en doute par le fait que le sujets’arrête. Il n’empêche que l’évaluationde la durée est opératoire pour lemettre en mouvement. La durée estmême opératoire pour l’arrêter, le sujet,et elle est opératoire pour le fairerepartir. Il faut chaque fois constaterqu’on n’est pas dans une situationd’instantanéité, et c’est le fait de ne pasêtre dans une situation de conclusioninstantanée, pour les autres ou poursoi-même, qui permet de repartir.

La durée, même si à la fin elle estéclipsée, ou même si elle est éclipséepar le comptage des arrêts, la duréen’en reste pas moins opératoire pourles mettre en mouvement.

C’est là que les Athénienss’atteignirent, c’est-à-dire que c’estavec ça que Lacan nous donne unenouvelle aperception du temps. Onpourrait dire : ça ne tient pas debout,c’est un château de cartes, un peu pluslongtemps, un peu moins longtemps,impossible de le savoir. C’est pourtantde ça que Lacan nous tire une nouvelledistribution du temps, ce qu’il appelled’ailleurs « les instances du temps ». Lepluriel a ici toute son importance.

J’ai passé un peu de temps poursaisir la valeur exacte de ce qu’ildétaille, page 204, passage dont je mesuis servi au début à la grosse, enparlant de la discontinuité tonale dutemps, des modulations du temps. Ceque Lacan dit est beaucoup plus précis.En fait, page 204, dans le paragrapheoù figure cette expression, il distinguetrois approches possibles du temps. Lapremière, celle qui est à son comblequand on individualise les déductions etquand on objective les étapes duraisonnement, consiste à ordonner les

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étapes du raisonnement. À y confondrele temps - qui cette fois-ci n’a rien à voiravec la durée - avec les étapes d’unedéduction logique. À ce moment là, onétale sur un plan une successionchronologique, on raisonne d’abord àpartir de ces données, ensuite à partirde celles-ci, etc. Donc, Lacan dit, dansune expression un peu bergsonienne,que ça constitue une spatialisation dutemps.

Deuxièmement, dit-il, on peut mettreen valeur des modes différents dutemps. Je crois qu’ici il faut s’apercevoirqu’on donne au temps des qualitésdifférentes, mais au même temps. Il dit :« On peut mettre en valeur desdiscontinuités tonales », comme desdifférences de couleur entre ces temps.Comme il dit : « Là, on préserve lahiérarchie de ces moments du temps. »Disons, en première approximation, quel’on pourrait là distinguer le temps del’acquisition des prémisses, le temps dela conclusion, avec éventuellement laperplexité qui s’attacherait au momentoù l’on acquiert les prémisses sansavoir la conclusion et éventuellement lasatisfaction qui s’attacherait au momentoù on atteint la conclusion. Ce n’est pasle seul sens que l’on peut donner, maisdisons la psychologie, les dispositionsaffectives, donnant une tonalitéparticulière aux différents moments duraisonnement logique. Un certainnombre de psychologues, en effet, sesont attachés à ça, à mettre en valeurla satisfaction s’attachant à laconclusion, la perplexité, etc. Autrementdit, là, on préserverait l’ordonnancelogique et on donnerait des couleurspsychologiques au temps.

Troisièmement, ce que Lacanappelle les modulations du temps - etc’est ça que lui veut tirer de cesophisme -, les modulations du tempsne sont pas simplement des modes dutemps, les modulations introduisent destemps disjoints, des temps différents.Non pas des modes psychologiques dela même instance du temps, mais destemps de structure différente,intrinsèquement différente. Il mesemble alors que Lacan peut parler nonpas des modes de l’instance du temps

mais des instances du temps, aupluriel, pluraliser l’instance du temps.

C’est alors, à ce titre là que, sur labase de ce sophisme, il introduit satripartition de l’instance du regard, dutemps pour comprendre et du momentde conclure. L’instance du regard, c’estce que nous avons trouvé et qu’ilqualifie d’ailleurs de base dumouvement. C’est en effet aussi bienpour les deux prisonniers que pour lestrois la référence, à savoir lemouvement de l’autre a-t-il étéinstantané ?

Cette référence est directe dans lescas des deux prisonniers, c’est A se ? ? sur B, elle est indirecte dans le casdes trois prisonniers, c'est-à-dire Aregarde B examinant si C sort dansl’instant du regard. Mais même dans lecas des trois prisonniers, où aucunesituation ne répond à l’instant duregard, c’est quand même la référenceque A, dans son hypothèse, doitprendre, eu regard à la cogitation de B.

Cet instant que l’on pourrait prendrepour un non-temps, quand on dit « c’estimmédiat », c’est ce que Lacan isoledans la fonction de l’instance du regardcomme une modalité temporelle propre,qui n’impose pas la considération del’autre. C’est une modulation du tempsoù l’on a affaire qu’à des statues - etc’est dans ce temps-là que se déroulentmême les processus logiques - où onne prend pas compte le mouvement del’autre. Sauf si l’autre vous amène unrésultat essentiel, eh bien ça changeles données du problème et c’est unnouveau problème. Mais c’est unemodalité temporelle propre, où on nes’occupe pas du mouvement de l’autre.

Ce que Lacan appelle le temps pourcomprendre, c’est un temps où l’onprend en compte le mouvement oul’inertie d’au moins une paire desemblables. Et là, vous remarquerezque, page 205, Lacan est obligé demettre le mot « durée ». Il évite,pendant tout son texte, de mettre le motdurée, qui est pourtant opératoire. Maislà, page 205, il est obligé de dire « ladurée d’un temps de méditation desdeux blancs », un temps de méditationque l’on trouve aussi bien dans la

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première phase du mouvement logiqueque dans la deuxième phase dumouvement logique.

C’est un temps, en effet, qui n’existepas dans le cas des deux prisonniers.Dans le cas des deux prisonniers, vousvous occupez simplement de savoirl’autre bouge ou non, si l’autre fileinstantanément ou pas. C’estseulement dans le cas des troisprisonniers que vous êtes dans laposition de considérer que les deuxautres réfléchissent nécessairement, etréciproquement, puisque tous les deuxsont blancs, même s’ils ne le saventpas, puisque chacun ne sait pas quelleest sa couleur. Donc, c’est seulementdans le cas des trois prisonniers quevraiment il y a le temps pourcomprendre.

Et c’est vraiment dans le cas desdeux prisonniers que vous avez cettefonction multipliée de la durée, parceque, dans le cas de deux, vous avez ladurée équivoque en effet que vousprenez en compte pour votre premièreconclusion, cette durée est aussitôtréduite par le seul fait du premier arrêt.Donc, dans le cas des deux prisonniers,la durée ne fait qu’une apparitionvraiment minuscule, la durée ne fait sonapparition qu’entre le tempssupplémentaire où vous observez quel’autre ne bouge pas et puis ças’évanouit dès le premier arrêt, vousfilez. C’est seulement dans le cas destrois prisonniers que vous avez unedurée qui s’étend, et où le troisième està considérer ce que les deux autrespareils, les deux semblables, sont entrain de traficoter dans leur tête.

Comme dit Lacan, A objective, dansce temps, quelque chose de plus queles données de fait, et il objective, dit-il,dans son sens. Ça veut dire quoi ? Ilobjective le temps de méditation, deréflexion, des deux autres. Et le sensdu temps pour comprendre, c’est cetteméditation. C’est le sens de l’attente.

Lacan s’exprime dans ces termes :« L’objectivité de ce temps vacille avecsa limite. » D’après moi, c’est uneexpression un tout petit peu contournéepour éviter le mot durée. En effet, letemps pour comprendre est un temps -

comme il le souligne de façon ambiguë,voilée -, c’est un temps qui peut sedilater mais qui peut aussi se réduirepresque à la limite de l’instant duregard.

Le temps pour comprendre est enquelque sorte coincé entre l’instant deréférence, l’instant du regard, et puis cequ’on va voir être la modulationspéciale de la conclusion. Et donc, lesens de ce temps, qui est à la foisobjectivé mais, dire qu’il est objectivémais il vacille quant à sa limite, c’estdire : ce temps doit avoir lieu,logiquement ce temps doit avoir lieu,c’est pour ça qu’il est objectif au niveaudu raisonnement logique, il faut untemps indirect, c’est une étape propredu raisonnement, mais évidemment sadurée est incertaine, alors qu’au niveaude l’instant du regard, la durée, elle, estcertaine, puisque c’est la conclusionimmédiate. Donc ici, il y a bien uneétape du raisonnement, c’est ce queLacan veut dire en disant que ce tempsa une objectivité, il a l’objectivité d’uneétape de raisonnement logique, et enmême temps, il est d’une duréeincertaine, chacun des deux sujetsétant suspendu par une causalitémutuelle, à savoir est-ce que l’autres’en va, est-ce que je peux m’en aller ?et mon départ dépend de ce quej’observe du mouvement de l’autre oudu non mouvement.

C’est à cet égard que Lacan parled’un temps qui se dérobe. Il me sembleque sur ce temps qui se dérobe, c’esten effet l’impossibilité d’une mesureobjective de la durée qui est là enquestion.

Le troisième moment, le moment deconclure, on peut dire qu’il a aussi unsens différent du premier. Le sens dupremier c’est l’attente, alors que le sensdu moment de conclure c’est l’urgence.

En effet, il faut que A tienne comptedu fait de l'évaluation que font les deuxautres. Si les deux autres voient en luiun noir, c’est là une donnée de fait, etdonc, ils peuvent conclure avant lui, carlui a à faire à une hypothèse : si je suisnoir. Et c’est dans ce cas, comme lestemps ne sont marqués, que Lacan dit,page 206 : « Dans ce cas ils le

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devanceraient d’un battement detemps. » Autrement dit ici, s’il était noir,chacun des deux autres ne serait pasdevant deux blancs, il serait devant unblanc un noir, et ils gagneraient uneétape de raisonnement, ce qui setraduirait par le fait qu’ils iraient plusvite. S’ils ne concluent pas avant lui,c'est-à-dire s’ils ne sortent pas, alors ilpeut sortir, mais ce que Lacan ajoute,c’est que, si les autres ne sortent pas, ilfaut qu’il sorte. Il faut qu’il sorte parceque s’il ne sortait pas, les autressortiraient avant lui.

C'est-à-dire qu’ici l’urgence estintroduite par la disparition dumarquage objectif du temps. Nous nousdisons tranquillement : si les deuxautres ne sortent pas alors je sors, maisce n’est pas seulement ça. C’est si jesors pas à ce moment-là et que lesautres sortent, je ne pourrais plusconclure.

Donc, il y a un moment où le sujet nedoit pas se laisser devancer dans saconclusion, sinon il ne pourra pas fairecette conclusion. Étant donné que saconclusion repose sur une donnéetransitoire, je constate qu’il ne part pas,si à ce moment-là tu fais ta conclusion,il faut la faire, il faut la traduire, il fautl’agir. Autrement dit : la modulationpropre de ce temps de conclusion, cen’est pas la sérénité de la conclusion,ce n’est pas la satisfaction de laconclusion, ce n’est pas : refais bientous tes calculs pour être sûr que tu net’es pas trompé. Ça, c’est autant demodes psychologiques du temps quel’on pourrait introduire au momentd’avoir la solution. Quand tu as taconclusion, tu repasses bien toutes lesétapes de ton raisonnement, turecopies ça au propre, et tu rends tacopie. Non. Ici c’est une conclusion quis’obtient à cause de certaines donnéesqui vont être modifiées. Un instant plustard, les données étaient modifiées, ausens de l’imparfait mis en valeurpar Guillaume. Un instant de plus, lesautres partaient avant toi, et s’ilspartaient avant toi, c’est tonraisonnement qui s’écroule, puisqu’il n’ya pas de barrière du temps, il n’y a pasde mesure objective du temps.

Autrement dit, nous sommes làexactement dans le temps de l’urgence,parce qu’il s’agit d’une conclusion quine peut être faite qu’à un momentdonné. Et donc, le moment de conclure,il faut bien comprendre sa valeurmaintenant, il ne se situe pas dansl’objectivité du temps où vous auriezune petite case qui serait : monsieur, lemoment est venu de conclure. Il n’y apas le grand Autre vous délimitant laplace et le moment où vous êtes invitéà conclure, s’il vous plaît, et donc, il yaurait une case objective et laconclusion viendrait s’y inscrire. Aucontraire, ici, la conclusion estintrinsèquement liée au moment où elleest atteinte et si, à ce moment, ellelaisse passer l’occasion de conclure, sile sujet laisse passer l’occasion deconclure, il ne peut plus conclurevalablement.

Autrement dit, ce que Lacan essayeici d’extraire de ce sophisme, c’est uneurgence qui a un statut objectif, c'est-à-dire une urgence du procès logique lui-même. Là, le sujet n’a plus le droitd’attendre pour conclure, et donc, là, letemps presse, non pas au senspsychologique, mais parce que lesdonnées mêmes du problème obligentà ne pas prendre du retard, parce quele retard engendrait l’erreur. S’il setrouvait que les autres partaient avantlui (le sujet), il ne pourrait plus conclurevalablement qu’il est blanc, il seraitobligé de conclure qu’il est noir. De cefait, à la différence du temps précédent,on peut dire que le sujet logique est unsujet qui est en compétition avec lesdeux autres, et qui donc est isolé enface de leur réciprocité, et Lacan vamême jusqu’à y voir l’exemple de lanaissance du sujet logique hors du a-a’,du temps pour comprendre.

Nous avons ici trois temps destructure différente : le temps del’instant, qui marque le début, la basedu processus logique, l’urgence finale,et, en quelque sorte coincé entrel’instant et l’urgence, nous avons cetemps pour comprendre qui pourraitêtre indéfini - chacun se demandant sil’autre bouge, dépendant de lareconnaissance que l’autre fait de lui. Et

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J.-A. MILLER, LES US DU LAPS - Cours n°16 03/05/2000 - 229

Lacan dit à un moment : ce temps pourcomprendre est comme aspiré entrel’instant et l’urgence, et avec lemouvement de la conclusion, il éclatecomme une bulle. En effet, le tempspour comprendre, c’est comme cettebulle de temps, de réciprocité et deblocage mutuel, qui se trouve perforéepar l’urgence de conclure au bonmoment… Un peu tard.

A la semaine prochaine.

Fin du Cours XVI de Jacques-AlainMiller

3 mai 2000

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J.-A. MILLER, LES US DU LAPS - Cours n°16 03/05/2000 - 230

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LES US DU LAPS

Jacques-Alain Miller

Dix-septième séance du Cours

(mercredi 10 mai 2000)

XVII

On me demande de voustransmettre un communiqué de la partde l’administration. Il y aura unchangement d’amphi le 24 mai, ce n’estpas la semaine prochaine mais lasuivante, donc j’aurai à me présenter,vous aussi, à l’amphi T, qui se situe au292, rue saint Martin, à l’accèsnuméro 11, il compte 300 places contre460 ici. Mais enfin, il faudra que je vousle rappelle aussi la semaine prochaine.Bon nous y avons déjà été l’annéedernière, c’est de l’autre côté de la cour,c’est la même entrée.

Bien. Mes chers… mes chers quoi ?mes chers auditeurs, ou mes cherscompagnons, compagnons qui êtes trèspatients, est-ce que je viendrai cettefois-ci au bout de la bête ? Je m’y suisdéjà repris à trois fois pour essayer dela terrasser, et, comme je ne l’ai pasachevée la dernière fois, elle a repris dupoil de la bête - c’est le cas de le dire -,et donc je me suis encore acharné surelle pour essayer d’en finir, dedéboucher sur les espaces promis del’érotique du temps.

Avant, il faut terrasser cette sphingedu sophisme du Temps logique, c'est-à-dire parvenir à une clarté, une clarté quine laisse plus cette bête tapie dansl’ombre, qui ne laisse plus de sortiepossible, que ce Minotaure soit pattesen l’air, évacué de l’arène. Pour

l’instant, ce n’est pas encore tout à faitaccompli.

Je n’ai pas encore relu lesdécryptages qui ont été faits desséances précédentes, je me promet dela faire et de voir pourquoi mon proprechemin dans ce labyrinthe a pris cetemps-là, qu’est-ce qui a scandé, endéfinitive, les moments de mon tempspour comprendre.

Le nerf du sophisme, quel est-il ?Premièrement, on a, le sujet de purelogique a — c’est une expression deLacan qui qualifie, dans sa singularité,chacun de ceux qui nous sontprésentés comme des prisonniers ;chacun est un sujet de pure logique quine se distingue de l’autre que par unepure différence numérique ; on faitabstraction des qualités éventuelles deraisonnement, de stabilité émotionnelledes uns et des autres —, le sujet depure logique, donc, premièrement, a àcompter les temps du raisonnement del’autre, et les étapes de ceraisonnement, les pas que l’autre faitdans le raisonnement logique, et ce,alors que ces pas ne sont pasobjectivés, comme je l’ai amplementsouligné la dernière fois.

Deuxièmement, du fait que cestemps ne sont pas objectivés, ils sontseulement évalués, et ils sont évaluéspar la durée supposée à leuraccomplissement. Le mot de durée estsoigneusement contourné par Lacandans son texte et ne figure que de trèsrares fois.

Troisièmement, du fait que ces passont seulement évalués, leurdiscrimination les uns par rapport auxautres — c'est-à-dire la possibilité dedire premier temps du raisonnement,deuxième temps du raisonnement,troisième temps du raisonnement —,leur discrimination est ouverte toujoursà une ambiguïté. C'est-à-dire quel’évaluation temporelle, l’évaluation dela durée, est équivoque. Je dis que cesont là des données fondamentales del’expérience subjective que rapporte,que met en scène, et que développe lesophisme de Lacan.

Ce sont des données aussifondamentales que les données

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J.-A. MILLER, LES US DU LAPS - Cours n°17 10/05/2000 - 232

explicites, même dramatiques, quecomporte l’énoncé initial du sophismequi est mis dans la bouche du soi-disant directeur de prison.

J’attire votre attention sur un certainnombre de données, que j’appelais desdonnées de structure, des donnéesd’expérience, et qui comportent doncqu’il y aura des données d’expérience,mais on trouve pas explicitées, ni dansl’énoncé du directeur de prison, ni parLacan, les données que je viens derappeler, et qui sont pourtantfondamentales dans l’existence,l’insistance, le tourment, la persécution,dont nous sommes l’objet de la part dece sophisme. Je parle pour moi seul,enfin à travers moi, vous aussi.

Ce ne sont pas des donnéespourtant absentes puisqu’elles sontlatentes, elles ne pas thématisées etune étude attentive permet de lesthématiser, de les expliciter.

C’est sur la base de ces troisdonnées que j’ai rappelées que Lacanprocède à la démonstration suivante. Ilprocède essentiellement à deuxdémonstrations. Premièrement, endépit de l’équivocité de l’évaluation,néanmoins une conclusion se produit.Deuxièmement, en dépit de l’équivocitémême de cette conclusion, cetteconclusion est néanmoins objectivable.Voilà les deux démonstrations deLacan. La première consiste à montrerque les prisonniers, comme sujets depure logique, n’ont pas à rester quia,qu’ils ne sont pas là simplement à seconsidérer indéfiniment, mais qu’ilspeuvent conclure, ils doivent conclure,contre l’objection, que Lacan rappelleen note, mais qui se réduit, je l’ai dit, àRaymond Queneau, et, deuxièmement,que cette conclusion atteinte est elle-même infectée d’équivocité, mais que,néanmoins, par un second processuslogique ou par une seconde phase duprocessus logique, cette conclusionsuspecte peut néanmoins êtreobjectivée, doit être objectivée, pourdes sujets de pure logique, c'est-à-direvalable pour tous, valable sanscondition, valable définitivement.

J’ai indiqué la dernière fois que lesophisme comporte, de façon

essentielle, une division de laconclusion, et qu'il se présente d’abordune conclusion anticipée et,secondairement, une conclusionconfirmée. C’est un des apportslogiques essentiels de ce texte quecette notion, qui n’y est pas thématisée,de la conclusion divisée, de laconclusion, disons en premièreapproximation, en deux temps.

J’ai marqué la dernière fois que lapremière de ces deux conclusions estsuspendue à ce que l’autre fait ou non.Elle est essentiellement, ou mêmeexhaustivement, fondée, sur la basedes données de structure etd’expérience, sur le non-mouvement del’autre ou des autres - aussi nombreuxque soient ces autres. Qu’il y aitseulement le deuxième prisonnier, qu’ily ait B et C, qu’il y ait le nombre quevous voulez - Lacan va jusqu’à quatre -,la première conclusion est toujoursbasée sur le non-mouvement de l’autreet sur l’évaluation de la durée du non-mouvement de l’autre. Elle est baséesur l’intégration de ce non-mouvement,cette immobilité, parmi les données duproblème.

La première conclusion est toujoursde la forme logique suivante : si l’autrene bouge pas, donc. On peut mêmedire plus exactement, pour emportertous les cas : si maintenant l’autre nebouge pas, donc.

Cela dit - je l’ai souligné amplement-,cette conclusion est fragile puisqu’elleest mise en cause, et même invalidée,dès que l’autre bouge. Elle est invalidéepar l’inversion du signe de ce prédicat :être immobile, être en mouvement.

Et ici, on peut toujours penser -,toujours, dans tous les cas, construitpar récurrence -, que l’on entre dans uncercle infini, que le signe du prédicatoscillera indéfiniment entre mouvementet immobilité, et donc que la conclusionne sera jamais stabilisée, qu’à peine onobtiendra cette première conclusion ilfaudra y renoncer, et ainsi de suite.

Néanmoins, comme le montreLacan, il n’en va pas ainsi, on n’entrepas du tout dans un cercle indéfini sil’on prend au sérieux la possibilité de lapremière conclusion. Il n’en va pas ainsi

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- j’ai essayé de le montrer pas à pas ladernière fois - dans la mesure oùl’ensemble « mouvement, arrêt » - c’estune paire ordonnée, l’autre s’avancepuis s’arrête, il s’arrête lorsque laconclusion sur laquelle il est parti sedérobe en raison du mouvement desautres - dans la mesure où l’ensemble« mouvement, arrêt » de l’autre, queLacan appelle sa motion suspendue,dans la mesure donc où cet ensemblequi constitue la motion suspenduedésambigüe le sens de sonmouvement.

m o u v e m e n t , a r r ê t{

}

Cette propriété est mise en valeurdès le cas de deux prisonniers. Vousvous souvenez du raisonnement : dufait que l’autre ne sort pas tout de suite,je conclus que je ne suis pas noir doncblanc, je sors ; à ce moment-là,constatant que l’évidence sur laquelle jem’étais basée, à savoir que l’autre nebougeait pas, est invalidée parce quel’autre aussi se met en mouvement, maconclusion se dérobe, je m’arrête.Alors, constatant que l’autre s’arrêtedans son mouvement, je dois conclureque son mouvement n’était pas fondésur l’évidence perceptive de ma couleurmais sur la donnée de mon immobilité,sur la donnée de ma propre attente.Dès lors, le seul fait que l’autre se soitarrêté, le seul fait qu’il se soit produit« mouvement, arrêt » de l’autre, suffit àm’imposer la conclusion : s’il s’estarrêté, c’est parce que je suis blanccomme lui. Et dès lors, après avoirmarqué comme l’autre un tempsd’hésitation, un temps d’arrêt, jem’élance, je n’hésite plus, et je sors,bon. Et là, comme je l’ai souligné ladernière fois, j’atteins une conclusionimmune à l’action de l’autre. Mapremière conclusion se fondait sur lefait que l’autre ne bougeait pas, doncc’était à la merci qu’il se mette àbouger, ma première conclusion étaitdépendante de l’autre, alors que maseconde conclusion, après le tempsd’arrêt qui a été marqué est, immune àl’action. C’est ce qui permet de dire que

la conclusion numéro un est subjective,et même intersubjective, tandis que laconclusion numéro deux ne l’est plus,elle est objectivée.

C’est ça qui intéresse Lacan, là,dans ce sophisme du Temps logique,cette transmutation de la conclusion,son changement de statut, l’émergencede cette division de la conclusion, quin’invalide pas le fait que la premièresoit une conclusion, mais qui ménageun intervalle conclusif, où la premièreconclusion est soumise encore à unprocessus logique elle-même. Il y a unprocessus logique propre à laconclusion et qui se loge dansl’intervalle des deux conclusions.

Si l’on y songe - et combien on ysonge -, c’est un thème à considérer, àcreuser, à élargir, il y a des échos àaller chercher, c’est même un filconducteur, il y a là tout un panoramaqui se découvre pour nous à partir dece thème : la désubjectivation de laconclusion.

Je pourrais risquer là un apologue -rien de plus - qui repose sur cetteévidence – j’ai seulement mis un peude temps pour m’en apercevoir defaçon articulée -, c’est que la passen’est pas autre chose que la doubleconclusion de l’analyse. Cette structure,la structure de la double conclusion, del’intervalle conclusif nécessaire àproduire une conclusion désubjectivée,c’est le nerf même de ce que Lacan aamené sous le nom de la passe. D’unepart, la conclusion dans l’analyse, quiest évidemment de nature subjective,qui n’est pas la conclusion del’analyste, enfin dans la pure logiqueque Lacan présente de la passe. C’estpas à l’analyste de désigner pour lapasse, laissons de côté les données defait qui peuvent amener l’analyste àsuppléer une défaillance du sujet situéeen ce point. Mais il y a d’abord laconclusion subjective dans l'analyse, etpuis Lacan fait surgir l’évidence qu’elledoit être complétée d’une conclusiondans la procédure, elle, désubjectivée.La procédure de la passe est montée àla fin de l’analyse pour obtenir unedésubjectivation de la conclusion.

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Essayons de voir dans quellemesure ça marcherait de faire entrer lapasse dans le sophisme des troisprisonniers. Est-ce qu’on ne pourraitpas se représenter comme ça la chutedu sujet supposé savoir ? Le passantdit en quelque sorte à l’analyste : je saisce que maintenant tu ne sauras pas, neserait-ce que du fait que je m’en vais.Mais c’est plus que ça. Je saismaintenant quelque chose que je nepeux plus te dire.

Si l’on fait de la passe la secondephase du processus logique, on estbien obligé de structurer de façoncompatible la première phase, à savoirl’analyse elle-même. Est-ce quel’analyse répond au modèle des deuxprisonniers ? L’analyste - admettons,pourquoi pas - est supposé voir ledisque de l’analysant, alors quel’analysant lui-même ne le voit. Leproblème, c’est qu’il ne voit pas nonplus le disque de l’analyste,contrairement à ce qui a lieu quand il ya deux prisonniers. Il ne voit pas ledisque de l’analyste parce quel’analyste n’a pas de disque. L’analystece n’est pas le semblable, c’est l’Autre.Le grand autre veut dire qu’il n’a pas dedisque, qu’il est simplement celui quiest supposé savoir ma couleur, lacouleur de mon disque.

Cela introduit là un élément qui enlui-même passe entre deux prédicats,c'est-à-dire qui analyse le conceptmême du prisonnier entre ce qu’il voit etce qu’il donne à voir. Nous avons ici unpartenaire en effet qui ne donne pas àvoir son disque.

Dès lors, on peut dire en effet que cepartenaire autre se soutient simplementdu non-savoir de l’analysant, du non-savoir la couleur de son disque quidéfinit l’analysant, et que l’autre n’est,s’institue seulement de la possibilité desavoir, au terme d’un processuslogique, la possibilité pour moi de savoirà la fin la couleur de mon disque. Etcette instance du sujet supposé savoirest bien entendu présente dans lesophisme des trois prisonniers. C’est cequi soutient chacun des prisonniersdans son processus logique, dansl’expérience, il pourrait y en avoir un

disant : « Mais qu’est-ce que c’est quecette histoire-là ? Non seulement je suisprisonnier, mais il faut encore que je mecasse la tête », et qui déciderait de secroiser les bras Transfert négatif audirecteur de la prison. Alors que toutecette histoire suppose que l’on faitconfiance au directeur de la prison,chose tout à fait, pour les prisonniers…Cela répond à ce que l’on appelleaujourd’hui « le syndrome deStockholm », à savoir : on aime celuiqui vous séquestre. Donc, une desbases, peut-être fondamentale, dusophisme des trois prisonniers, c’estque y opère en effet ce syndrome deStockholm qui fait qu’ils font confianceau directeur de la prison. Ils ne sedisent pas : « On se casse la têtecomme ça, il nous dit il va nous fairesortir, peut-être pas du tout, il nouslaissera prendre l’air, et puis, hop ! ilnous ramènera en taule. »

Autrement dit, il y a bien le sujetsupposé savoir qui opère dans cettehistoire. Et il opère dans l’analyse. Ilnaît seulement de la persuasion où jesuis que, en effet, je vais pouvoir savoirla couleur de mon disque alors mêmed’ailleurs que l’autre ne me montre pasla couleur du sien.

Là, c’est le sophisme de lapsychanalyse même, puisque lapsychanalyse comporte qu’en effetj’arriverai, dans ces conditionsabracadabrantes, à savoir la couleur demon disque, et, comme l’autre qui n’estmême pas soutenu dans son être parun disque bel et bien existant, qui a unecouleur identifiable, cet Autre s’évanouitlorsque j’atteins le savoir qui me faisaitdéfaut, dans le cas présent résumer lacouleur de mon disque.

C’est évidemment très sophistique,puisque comment puis-je deviner macouleur lorsque je suis le seulprisonnier ? La psychanalyse, dans cetordre d’idée, ce serait, au-delà du caslimite - j’ai bien marqué que Lacan, enattirant l’attention sur les troisprisonniers et les cas suivants faitoublier qu’on peut raisonner aussi sur lecas des deux prisonniers, et qui est lalimite inférieure où le sophisme sedéploie -, et si l’on traverse cette limite

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inférieure vers un seul prisonnier,comment peut-il diable deviner lacouleur de son disque ?

Je ne vais pas vous raconter cequ’est une analyse, beaucoup en ontl’idée ici. Mais, par exemple, j’invented’autres prisonniers, je rêve d’autresprisonniers, je raconte comment ça sepasse, comment ça se passerait s’il yavait d’autres prisonniers, étant donnécomment ça s’est passé déjàauparavant. Et puis, surtout - il restequand même ça -, je joue ma partieavec le directeur de la prison. Même s’iln’y a qu’un seul prisonnier, il restequand même le directeur de la prison,en l’occurrence Monsieurpsychanalyste, celui qui a dit : « Tupourras sortir d’ici quand tu sauras », etqui, d’ailleurs, si tu veux sortir d’iciavant que tu saches, te retient. Celuiqui a dit en définitive : « Tu peux savoir,il est permis pour toi de savoir », celuiqui a dit « scilicet ». Et comme, en tantqu’analysant, j’ai accepté ce challenge,je le constitue en sujet supposé savoir.

C’est parce que, même quand il n’ya pas d’autres prisonniers, je peuxquand même jouer ma partie avec ledirecteur, le directeur de la cure, celuiqui dirige la cure, comme dit Lacan,c’est parce que je peux quand mêmejouer dans le désert de prisonniers oùje suis quand même ma partie avec ledirecteur que j’arrive à me faire uneidée du disque que j’ai dans le dos.

Cela suppose que le directeur medonne ce que l’on appelle desinterprétations, et qui sont des indicessur la couleur de mon disque, ce quel’on appelle en anglais, dans lesromans policiers, des clooses, desclooses destinés à permettre laconclusion. C’est du genre de ce quel’on a à cache-tampon : c’est chaud, tubrûles, là c’est froid, c’est glacial. (rires)C’est grâce à ces indices soustraits audirecteur que le prisonnier accède àune conclusion, et donc il sort de saprison. La prison qui était incarnée parle cabinet de l’analyste, si l’on veut.

J’ai vu récemment, ce dimanche, surInternet, le New York Times Magazineon line, je ne me le suis pas procuré surle papier. Semble-t-il, dans son numéro

dominical, il livrait des photos decabinets d’analyste. On dit que lapsychanalyse est en difficulté auxEtats-Unis. Il n’empêche le dimancheon offre à voir au bon peuple descabinets d’analyste, neuf photos encouleurs, qui m’ont produit un grandmalaise, je dois dire. Je me suis biendit, d’ailleurs, que je ne laisserais pasphotographier le mien. Il y en a und’ailleurs qui a fait pousser des plantespartout, de l’herbe, même sur les mursil y a de l’herbe (rires). Au contraire, il yen a un autre, c’est parfaitementaseptisé, anonyme. Et c’est commentéavec esprit par un psychanalystebritannique.

On voit, ce sont des petites cellules,comme ça. On aperçoit ici en effet cetteéquivoque que le directeur de la prisonest lui-même en prison, en quelquesorte. Cela ressemble à des petitescellules de prisonniers, avec des petiteschoses comme ça pour se soutenir lemoral, quelque chose comme ça.

Si le cabinet de l’analyste est uneprison, c’est plutôt une prison pourl’analyste, l’analysant ne fait quepasser. En fait, la prison de l’analysantc’est pour nous son fantasme, c’est decette prison-là qu’il s’agit qu’il sorte.

Le désir qui soutient l’opération, c’estqu’il y aura un moment où les murs vonts’évanouir, comme dans les histoiresbaroques, les parois vont devenir deverre, ou même le sujet va devenir unesorte de passe-muraille, ce que l’onappelle la traversée du fantasme, quiest la sortie de la prison fantasmatique.

Jusqu’à s’apercevoir que c’était sonnon-savoir qui faisait toute la substancede sa prison et du directeur de celle-ci.Donc, finalement, on voit bienl’analysant s’en va sur un certain « tun’existes pas ». Mais, c’est une phraseà la lettre imprononçable, car justementil n’y a plus de tu à qui l’adresser.Logiquement, la dernière parole, ledernier mot, qui comporte cetteannulation du sujet supposé savoir, cedernier mot, on ne peut pas le dire àl’analyste, logiquement. Dans les faits,bien sûr, on peut lui dire. On peut luidire : « Cela n’a été que ça, pas trèsfort, hein. » (rires). On peut lui dire des

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tas de choses, mais, logiquement, cedernier mot on ne peut pas le dire.

Il faut dire aussi qu’il a passé sontemps, ce sujet là, ce prisonnier-là, àchercher sa vérité, la vérité de ce qu’ilest, qui est imagée par la couleur dudisque, à chercher sa vérité à partir desautres, à partir de ce que les autres luiont dit ou lui disent, à partir de ce queles autres lui ont fait, lui font, lui feront.Donc, il n’a jamais atteint là qu’unevérité tremblante, vacillante. D’unefaçon générale, il faut dire - toujoursdans le cas de cet apologue -, que leprisonnier pensait tout du long être lenoir de l’affaire dans un monde deblancs. Il a pensé tout du long quec’était structuré sur le modèle moi toutseul et puis les autres, auxquels il aaffaire. Et, dire qu’il a pensé tout dulong avoir le disque noir, c’est dire que,éventuellement, il a été le coupable, lecoupable d’autant plus qu’il est le seulprisonnier, et que tous les autres sontdehors à se gamberger pendant cetemps là, bon. Il faudrait arriver à situerici exactement la place du Masque deFer. Vous connaissez la légende duMasque de fer ? Là, en général.. engénéral ? On ne peut pas faire decatégorie générale avec le Masque deFer, il n’y en a eu qu’un, et on n’estmême pas sûr qu’il ait vraiment existé.Mais, en général, on est Masque de fer,on vous met le Masque de fer, ça veutdire que l’autre sait très bien qui vousêtes, et c’est pour cette raison que l’onvous prive d’une part de la jouissancede votre identité. Il y a un petit côtémasque de fer virtuel dans la positionde l’analysant.

Si, dans l’expérience, le sujet,toujours, avec son disque noir - croit-il -,puisqu’il ne le voit pas, et que ça seramène en définitive à s’attribuer ledisque noir, ce qui fait que les autressont déjà sortis depuis longtemps, àpart l’analyste, quand il sort, il sort avecle disque blanc, il sort blanchi, si je puisdire, il sort lavé de son péché, il sortfoncièrement comme étant comme tousles autres. Il rejoint les autres dehors.C’est la différence, si l’on veut, entre laprison de Lacan et la caverne dePlaton. Dans la caverne de Platon, on y

est avec tous les autres, captif desapparences, et seul le philosophe arriveà se glisser hors de la caverne dePlaton. Tandis que, dans la prison deLacan, on y est seul, on y est seul avecson grand Autre, qui n’est que laprojection, l’exfoliation de son proprenon-savoir, et avec des ombres depetits autres que l’on traîne avec soi,depuis toujours. Et puis, de la prison deLacan, on en sort pour être avec tousles autres, pour être dans laWirklichkeit, l'effectivité du discoursuniversel. C’est donc d’un mouvementinverse qu’on est là animé.

Tout ça, que je viens de dire,d’essayer de vous faire passer, pour enarriver à la passe, en tant qu’elle obéit àla même logique que le sophisme.

Vous êtes arrivé à la conclusion, àvotre conclusion, plus rien à dire àcelui-là qui n’existe pas, mais il fautencore que votre conclusion soitdésubjectivée, coco. Et c’est pourquoiJacques Lacan a inventé de vousmettre avec deux autres, le premierpasseur, le second passeur. Il a inventéde vous insérer dans un ternaire, pourque vous repartiez pour un tour, dans laseconde phase logique du processusqui, si brève soit-elle par rapport à lapremière phase qui est l’analyse elle-même, est pourtant nécessaire pourobtenir la désubjectivation de votreconclusion.

Évidemment, ce n’est pas tout à faitle sophisme des trois prisonniers,puisque là il faut qu’il y en ait un quiexplique aux deux autres comment ilest arrivé à sa conclusion subjective.Cela le différencie évidemment desdeux autres. Néanmoins, il n’est pasexcessif de rapprocher cette situationde la passe - le passant, les deuxpasseurs - du sophisme des troisprisonniers dans la mesure où il estessentiel pour Lacan que les troissoient pareil, en tant qu’ils sont tous lestrois définis par le même prédicat d’êtredes analysants. Trois analysantsensemble, et il s’agit que l’un démontreà chacun des deux autres que, que unde ces analysants démontre à chacundes deux autres analysants, que lui asur lui-même le savoir que eux

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cherchent sur eux-mêmes, c'est-à-direqu'il leur démontre qu’il est bien sorti desa prison, de la prison de son fantasme.Alors que chacun d’eux est encoredans la sienne, de prison.

C’est pourquoi la passe supposel’accord des directeurs de prison, ellesuppose un certain accord dedirecteurs de prison pour que unprisonnier prélevé sur troisétablissements pénitentiaires différentsentre dans cette opération. Il faut, pourque A puisse faire la passe, que B et Csoient encore chacun dans le sienne deprison, mais sur le point de conclure,sur le point de sa conclusion subjectivede sortie. C’est qui définit le passeur.

Il s’agit donc de vérifier si les deuxautres prisonniers laisseront letroisième les devancer dans lemouvement de sortie, s’ils accepterontque cet autre-là, A, sorte avant eux desa prison, c'est-à-dire s’ils accepterontde lui céder le pas.

Et donc, c’est ça. La passe çacomporte en effet… L’analyse, c’est lapremière phase du mouvement logique,le sujet atteint une conclusion anticipée,et au cours d’une deuxième phase, lapasse, la procédure de la passe, ils’agit que l’on obtienne une conclusiondésubjectivée. Et donc, formellementsur ce point, en effet, ça se regroupeavec le sophisme des trois prisonniers.

p a s s e

C o n c l u s i o na n t i c i p é e

C o n c l u s i o nd é s u b j e c t i v é e

1

La passe c’est en ce sens uneépreuve de sortie qui ne commencequ’à la condition que le sujet ait conclupour lui-même. Et l’épreuve, çaconsiste à rencontrer des gars qui luidisent, implicitement : « Que peux-tume dire pour que je te laisse medevancer ? Et qui peuventéventuellement conclure, ces passeurs,que « tu n’es pas plus avancé quant àton savoir sur toi que moi-même ». Ou

même : « Tu es encore moins avancéque moi dans ce savoir ».

C’est pourquoi il est, pour Lacan,dans la passe, tout à fait fondamentalque le passant ait affaire à dessemblables, qu’il n’ait pas affaire audirecteur ou au directoire de la prison.

Cela nous permet de réacquérir ici lanécessité de ce qui a été l’idéal deLacan : que se soient les passeurs quidécident.

Je m’en suis allé à travers lemonde, accompagné d’un certainnombre de collègues, à expliquerfinalement assez bien la passe pourque, ailleurs, on ait désiré aussiinstituer la passe. C’est maintenant unepratique délocalisée qui inspire très loindu lieu où Lacan l’inventa, jusqu’aupoint d’ailleurs où ce qui se produitdans ce monde revient sur la France,sur Paris, en exigeant que l’on se metteau pas de ce qu’on pratique ailleurs.Belle histoire ! Il faut constater que,jusqu’à présent, nulle part - pas Lacanlui-même -, on a pu aller jusqu’à laisserles passeurs décider de la passe. Maisla logique que j’expose, évidemment,comporte que la conclusion devérification soit atteinte par lespasseurs, en laissant l’autre lesdevancer. Et c’était sans aucun doutel’idéal logique de Lacan quant à lapasse. C’est ainsi que l’on peutdéchiffrer les indications qui nousrestent sur son premier mouvementqu’il a dû ravaler devant les hauts crisdu Comité des directeurs de prison. Lamutuelle des directeurs de prison (rires)a dit : « Si on laisse les prisonnierss’entendre ensemble pour sortir, onsera au chômage. » Et donc, bienentendu, on a rajouté des fonctions, ona fait sa place à la mutuelle en disant :« Bien ! les prisonniers - ceux quirestent - devront vous raconter toutel’histoire afin que vous soyez d’accord.Toute l’histoire, essentiellement ladeuxième phase du processus logique.C'est-à-dire ils devront vous racontercomment ils ont été convaincus dansun sens ou dans un autre. Parce que,même avec le rajout de la mutuelledirectoriale, ce que Lacan entendait

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que les passeurs transmettent, c’étaitleur conclusion.

Il faut bien dire que, dans la pratique,ça c’est dégradé. C’est la même chose,si vous essayez de faire l’expériencedes trois prisonniers, il n’y a aucunechance qu’elle aboutisse si vous nemarquez pas objectivement les tempsau moins. Aucune chance. En tout cas,trois prisonniers, c’est râpé.

Évidemment, le processus logiquede la passe tel que Lacan l’a inventé, ilfaut bien dire qu’il s’est dégradé, lui-même a dû en autoriser une certainedégradation, et puis, au lieu que lespasseurs transmettent ce qu’ils ont àtransmettre, à savoir leur conclusion, ilsont eu tendance à transmettre lesdonnées, les données objectives ducas, moyennant quoi, évidemment,l’accent s’est déporté sur le jury, il a prisplus d’importance. La nature, le supportlogique même de la passe a été atteint.

Il faut bien dire que, pour que lesupport logique de la passe soit – sic’est concevable – restitué, l’essentielce sont les passeurs. Il faut despasseurs de pure logique, si je puisdire. Il faut des passeurs de purelogique qui peuvent apprécier si lepassant est aussi de pure logique. Cesont les passeurs, en effet, comme lesoulignait Lacan, qui constituentl’épreuve de la passe, pas les jurys.C’est le plongement du passant dansun ternaire où il est l’un d’un groupe detrois, où les deux autres sont despasseurs, c’est de ce plongement-là, deson articulaire avec la paire depasseurs, avec B et C, qu’il y a lapasse.

Le jury, dans cette optique –exigeante, bien sûr – devrait seulementsanctionner la conclusion des passeurs,devrait seulement la scander,l’enregistrer, l’évaluer, mais, pourpouvoir l’évaluer, il faudrait qu’on lui enprésente une. Donc, il aurait à valider lerésultat de l’épreuve, alors que, tel quec’est partout pratiqué, et sans doutedepuis toujours, c’est le résultat del’épreuve ne se constitue qu’à l’issue dupassage par le jury.

Donc, le problème qui est alors poséet qui fait, si l’on veut, de la passe de

Lacan un sophisme, le problème qui estposé est celui de la sélection despasseurs, et on peut dire que c’est lapierre d’achoppement à laquelle peut-être, au bout d’un temps suffisant depratique, on arrive et qui demanderait àêtre reconsidéré, à être étudié, cettesélection des passeurs.

C’est justement pour pallier ladélicatesse ou la défaillance de cettesélection que le jury s’est partoutavancé, mais par là même modifiant lanature de l’épreuve.

Revenons, après ce petit apologue,revenons à - ah ! si je n’y arrive pasencore aujourd’hui ! - revenons ausophisme lui-même pour essayer d’enterminer. Si l’on part des deuxprisonniers, vous savez qu’il y a uneseule des configurations qui estdécisive, pour reprendre le terme deRaymond Queneau, c’est celle où moiqui ne sait pas quelle est la couleur demon disque, je vois que l’autre a undisque noir, moyennant quoi je sais quej’ai un disque blanc.

?

?

Là, la configuration est décisiveparce que la conclusion est en quelquesorte instantanée. En revanche, si jevois un blanc, alors, pour savoir ce queje suis, si je suis blanc ou noir, il fautque je considère l’autre. Si l’autre s’enva tout de suite, alors je sais que j’étaisnoir, pour qu’il puisse s’en aller tout desuite. En revanche, s’il y a durée, sil'autre attend avant de s’en aller, ilattend de voir si je bouge, alors je peuxconclure que je suis blanc.

Evidemment, s’il attend, s’il nebouge pas je m’en vais, mais, dès qu’ilbouge, comme je l’ai souligné, maconclusion est invalidée. Je m’arrêtemais je constate qu’il s’arrête en mêmetemps, et donc, cette fois-ci, je peuxtout de suite faire ma deuxièmeconclusion, à savoir je sais que, s’il

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s’arrête que sa conclusion n’était pasdue à la configuration décisive quifaisait de moi un noir, je sais que je nesuis pas noir, et, cette fois-ci, jem’élance d’un seul coup vers la sortie.Donc, là vous avez déjà avec les deuxprisonniers, la présence de la divisionde la conclusion. La premièreconclusion qui était basée sur le faitque l’autre ne bouge pas, qui a étéinvalidée aussitôt que j’ai agi sur cettebase par le fait qu’il a bougé, mais sonarrêt, l’ensemble mouvement-arrêt del’autre, m’a permis cette fois-ci dem’élancer, et donc, une seule motionsuspendue a résolu le problème, c'est-à-dire a transformé ma conclusionpremière subjective, et qui reposait surl’appréciation de ce que faisait l’autre, atransformé ma conclusion en un autretype de conclusion, une conclusionobjective où je n’ai plus à tenir comptede ce que fait l’autre.

Cette division-là est déjàparfaitement constituée au niveau desdeux prisonniers. Évidemment, c’estplus complexe quand il y a troisprisonniers qui introduisent une étapede plus dans le raisonnement, et quiintroduisent aussi une motionsuspendue supplémentaire, parrécurrence, et c’est ça que Lacandéveloppe. Dans le cas des troisprisonniers, ce que je vois c’est que lesdeux autres sont blancs, sans savoir ceque je suis moi.

?

?

?

Donc je me dis, que ces deux autresvoient ou bien un blanc un noir, si jesuis noir, ou bien deux blancs. Ce queje sais d’emblée quand moi je vois deuxblancs, c’est qu’il n’y aura pas de sortieinstantanée. Ça, je le sais, moi, parceque je vois les deux blancs, je sais

qu’aucun ne va filer tout de suite. Laquestion est de savoir, n’est-ce pas,quand B et C, les deux autres, verrontqu’il n’y a pas de conclusioninstantanée, est-ce qu’ils sortiront ?S’ils sortent, alors c’est que je suis noir,parce qu’ils sortiront en se disant,quoi ? A est noir, si j’étais noir aussi, letroisième l’aurait su tout de suite etaurait filé, et c’est pas ce qu’il a fait.Donc, le sujet sait qu’il n’y a pas desortie instantanée, ce qu’il doit observerc’est : qu’est-ce que B et C ferontlorsqu’ils auront vu qu’il n’y a pas desortie instantanée, est-ce que là ça leurpermettra de sortir ?

Donc, si B et C ne sortent pas aprèsle « tout de suite », c'est-à-dire aprèsavoir éliminé l’hypothèse du départ dutroisième, c’est que je suis blanc.Autrement dit, comme il n’y a pas detemps objectivé, s’ils ne sortent pasavant moi, alors je sors. Déjà, laformule montre ce qu’elle a de fragile, sije puis dire. Mais cela indique bien qu’ily a trois sorties différentes. Il y a lasortie, la première, celle qui n’a pas lieudans le cas où je vois deux blancs, il ya la sortie tout de suite, appelons-la lasortie subito. Elle ne se produit pas.Ensuite, il faut voir si se produit la sortiepost-subito. Je constate qu’elle ne seproduit pas, alors je sors de la sortiepost-post-subito. Evidemment, vousvoyez sur quoi ça repose, ça repose surune certaine durée où j’évalue… Ce quia l’air plus objectif, c’est la différenceentre subito et post-subito. Ce qui estévidemment beaucoup plus complexe,c’est la différence entre post-subito etpost-post subito, parce que quelle est ladifférence objective entre post-subito etpost-post subito? Vous voyez là jecommence à trouver un langage plussimple.

Au fond, les classiques commeQueneau en l’occurrence, quis’opposent, qui disent bon « il fautlaisser cette histoire, on ne pas larésoudre parce que vous n’arriverezjamais à faire la différence entre post-subito et post-post-subito, ça çan’existe pas ». Lacan dit au fond, ça seproduira à un moment donné, ça seproduira, et ça se produira en même

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temps pour tous, puisque ce sont dessujets de pure logique. Il faut voir à quoisert à ce moment-là l’axiome « ce sontdes sujets de pure logique ». Là, j’aimis du temps à m’apercevoir de cetruc-là, parce que le fait de dire « cesont des sujets de pure logique » çaréintroduit un synchronisme obligéentre les trois, et donc ça compense lecaractère non objectif des temps duraisonnement. Dire qu’ils sont de purelogique veut dire : ils vont agir toujoursensemble. Et donc, on ne sait pascombien il leur faut de temps pourraisonner, mais ça sera le même temps.Et donc, finalement ça introduit unsynchronisme qui réobjective la durée,sans qu’on s’en aperçoive. Là, je l’aicoincée celui-là (rires).

Les hésitations sont les suivantes. Jem’arrête, donc j’ai conclu. Je m’arrêteparce qu’ils ont bougé, s’ils ont bougé,je me demande, dans mon langage,mon métalangage, là, que j’ai fini par…Est-ce les deux autres sortent en post-subito ou en post-post-subito ? C’estpour ça que je m’arrête, parce que cetteévaluation-là, elle est discutable,hautement discutable. Seulement, à cemoment-là, je constate qu’ils s’arrêtentaussi. S’ils s’arrêtent, alors à cemoment-là je me dis - je vais très viteparce que je suis un sujet de purelogique- : si c’est en post-subito qu’ilssont sortis, alors le seul fait que B sesoit arrêté démontre à C que lui-mêmen’est pas noir, c'est-à-dire qu’on seretrouve dans la situation des deuxprisonniers à ce moment-là, entre B etC, et réciproquement pour B, et donc,ils doivent repartir aussitôt, c'est-à-dires’ils sortent en post-subito parce que Aest noir, un seul arrêt suffit àdésambiguer leur sortie. Et donc, ilsdoivent repartir avant moi. En revanche,si leur arrêt dure, c’est que le seul faitde l’arrêt ne suffit pas à confirmer leurconclusion, et je démarre à nouveau.

Autrement dit, je me remets enmarche après ce premier temps d’arrêtqui a duré. Alors ils démarrent aussi lesautres, et ça ça m’oblige à m’arrêter denouveau, parce que là la question queje me pose, c’est : sortent-ils du seulfait de l’arrêt précédent ou est-ce qu’ils

sortent en raison comme moi de ladurée de l’arrêt ?

Et c’est en raison de cette incertitudeque je m’arrête, de cette incertitude quirepose sur la différence entre le fait etla durée de l’arrêt. C’est à ce moment-là que je constate qu’ils se sont arrêtéseux aussi. C’est donc que le seul fait dupremier arrêt n’a pas suffi à leverl’équivoque de l’évaluation temporelleet qu’ils s’étaient comme moi basés surla durée de l’arrêt. Et cette fois-ci jedémarre pour ne plus m’arrêter.

Je vois encore des regardsd’incompréhension qui me navrent(rires). Je crois qu’il faudra que je m’yrésolve. Comme ça fait au moins laquatrième fois que je redis ça de façondifférente en cernant les choses de plusen plus près, je ne sais pas si je peuxtrouver des catégories encore plussimples, parce que l’énoncer comme çafait surgir des termes qui ne sont pasexplicités, thématisés, chez Lacan.

Disons que l’objectivation totale de laconclusion suppose l’élimination dufacteur durée, et donc, je l’ai soumis ladernière fois, l’arrêt, un arrêt c’est deuxchoses, la motion suspendue de Lacanc’est deux choses en fait, c’est un êtreambiguë. Bien sur, c’est précédé dumouvement, mais, dans un arrêt, il y ale mouvement qui le précède, l’arrêt lui-même comme fait numérique, s’arrêterune fois, s’arrêter deux fois, et puis il ya la durée de l’arrêt, combien de tempson s’arrête. C’est-à-dire, si on s’arrêteune fois pour repartir tout de suite,c’est-à-dire s’arrêter pour faire unesortie subito c’est pas la même choseque de s’arrêter pour faire une sortiepost-subito. Et donc, la différence entresubito, post-subito et post-post-subitovous la retrouvez dans les motionssuspendues, sous les espèces redéparten subito ou redépart en post-subito, etencore, vous n’en avez pas plus que çaparce qu’il n’y a que trois prisonniers.

Mais si vous voulez, ces mêmesscansions se retrouvent dans laseconde phase, et quand vous avezquatre prisonniers, vous avez leredépart en post-post-subito. Et,comme dit Lacan, bien queformellement on puisse, ça rend très

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difficiles dès qu’il y a plus de troisprisonniers, c’est quand même trèsdifficile de penser que ce soitobjectivable. Enfin, à un moment il y aquand même : les gens vont rester làsans savoir quoi faire.

Autrement dit, la différence entre lefait de l’arrêt et la durée de l’arrêt est lasuivante, c’est que la durée dans lesophisme de Lacan -, on pourraits’arrêter là -, la durée n’est pas unedonnée numérisée. Elle serait unedonnée numérisée que si il y avait unemontre qui fonctionnait dans l’affairepour dire : le round est terminé.

Donc, la durée n’est pas une donnéenumérisée, la seule donnée numériquec’est le fait de l’arrêt, n’est-ce pas ?Donc, le temps est en quelque sortedivisé en deux. Il y a la partie nonnumérique du temps qui est la durée etla partie numérisée qui est un tempsd’arrêt.

Et c’est là que l’on compte combiende fois ils s’arrêtent. Pour les deuxprisonniers, ils s’arrêtent une fois, et çasuffit à désambiguer l’affaire, je vous l’aimontré. Dans le cas des deuxprisonniers, ils vont s’arrêter deux fois,et, avec deux, on arrive à la conclusionobjective. Donc, on compte les fois oùils s’arrêtent.

Donc, les motions suspendues sontdifférentes dans chaque cas. Dans lecas des trois prisonniers, la premièremotion suspendue dure, alors que laseconde dure, c’est-à-dire la sortie sefait en post-subito alors que de ladeuxième motion suspendue leredépart se fait en subito.

Et ça, Lacan le signale, en disantque, à la fin, on retrouve l’instance duregard, on retrouve la sortie en subito,simplement après le compte deux.

Autrement dit, là il y a unetransmutation. S’arrêter et se mettre enmouvement, c’est réversible. Mais lefait pur de s’arrêter, c’est irréversiblecomme réalité comptable.

Autrement dit, il y a un point - c’estça que Lacan introduit - où le tempsvire à la comptabilité. Le virage à lacomptabilité dont Lacan parlera dansd’autres contextes, ici on le trouve trèsprécisément, ça vire à la comptabilité.

Et c’est de là que Lacan tire sa doctrinedu temps, que le temps, bien sûr, c’estpas une simple successionchronologique, mais que le temps çan’est pas simplement une réalité qui estsusceptible de prendre différentesqualités psychologiques, bien qu’il y aitune psychologie du temps.

Sa conclusion, ce qu’il essaye dedémontrer, c’est qu’il y a des tempsdifférents qui sont des structureslogiques et subjectives distinctes. Il sesert de ce que l’on rencontre au coursde cette exploration pour montrer qu’iln’y a pas simplement, comme on saitavec la psychologie, des différencesqualitatives des temps, mais qu’il y ades différences structurelles des temps.

Si l’on prend la configuration deréférence, celle qui permet laconclusion instantanée, là, quand on dit« il y a un noir, je vois noir, je suisblanc », quel est le sujet ici en cause ?Si on se pose la question, quel sujetsuppose ce type de configuration et deconclusion ?

Ici, le sujet dont il s’agit, le sujet quiconclu « je suis blanc » à partir du faitqu’il voit le disque noir de l’autre, desdeux prisonniers, là le sujet, comme jel’ai souligné, n’a pas à tenir compte dece que font les autres. Autrement dit, sil’on veut c’est purement objectif, c’estdéjà une conclusion tout à faitdésubjectivée au départ

Et donc, Lacan dit : à ce niveau-là,nous avons un sujet impersonnel, oudisons que, dans cette configuration, ilest impersonnalisé, parce qu’ilfonctionne seulement à partir desdonnées objectives. Il résonne en tantque on, c’est-à-dire en tant quen’importe qui. N’importe qui quand ilconnaît les règles de départ et qu’il voitque l’autre est noir, sait qu’il est blanc.Ça ça vaut pour n’importe qui.

Et donc, ici ce qui est présent à cetemps du raisonnement, c’est le sujetde la logique classique, ou ce quemême Lacan appelle à un moment lesujet de la connaissance. Il ditprécisément, page 207, dernièrephrase : « Le sujet noétique », denoèse. Ce sont des termes qui sont encours à cette date justement, dans la

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phénoménologie que Husserl a mise encirculation.

Autrement dit, à ce tempscorrespond un sujet impersonnalisédans le on. Tout le monde doitraisonner de la même façon,objectivement et sans s’occuper de ceque font les autres, c’est ce qu’au fondon fait tout naturellement dans lalogique. On peut dire : qu’en est-il dutemps alors ? Logiquement ici le tempsest annulé. Il n’y a pas d’intermédiairede raisonnement, on peut se contenterde se référer aux données. Mais aufond, Lacan y introduit néanmoins uneinstance du temps qui correspond ausujet en question, parce qu’il faut quandmême aller des données à laconclusion. L’écart serait aussi mincequ’on veut, il y a quand même un statutdifférent de « je vois le disque noir del’autre » et « je suis blanc ». Et donc,c’est entre la donnée et la conclusionqu’il loge ce qu’il appelle l’instance duregard.

C’est-à-dire, il y a néanmoins ici unintervalle, qu’on peut supposer aussiinfime que l’on veut, et il y a donc –comme il s’exprime – une instance dutemps qui creuse cet intervalle. Et aufond le regard qu’il mobilise à cetteoccasion c’est au fond ce qui comblecet intervalle, ce qui à la fois le creuseet comble cet intervalle. Et donc, enquelque sorte, y compris dans cettestructure du temps, il y a comme untrou, même imperceptible, que vientcombler si je puis dire l’objet petit a duregard, où vient s’inscrire l’objet petit adu regard. Et c’est ce trou invisible quele regard porte toujours avec lui-même.Et aussi qu’il faut examiner du côtésubjectif et du côté temporel.

La seconde instance du temps quiest structurellement distincte, c’est celleque Lacan fait surgir à partir de cetteétape où A doit regarder ce que font Bet C. A sait qu’il a affaire à deux blancs,et il regarde ce que ces deuxsemblables-là - entre eux, parce que luiil ne sait pas s’il est semblable à eux.Mais il sait que les deux autres sontsemblables entre eux, ils sont tous lesdeux blancs, et qu’aucun ne sait de lui-même qu’il est blanc. Donc, il regarde

ce qu’ils font, c'est-à-dire combien detemps ils vont mettre à sortir, ilsregardent s’ils vont sortir en post-subito,ou en post-post-subito.

Autrement dit, comme s’exprimeLacan, il prend pour donnée – il nes’exprime pas comme ça, Lacan, maisc’est plus clair – autre chose que lacouleur de leur disque, il prend encompte leur comportement. Lacan nedit pas : prendre pour donnée, il dit : ilobjective. Ici, le verbe objectiver il enfait une donnée.

A considère exactement la durée deleur réflexion, à savoir sortent-ils ? Ilsne sortent pas en subito, il le savaitdéjà. Est-ce qu’ils sortent en post-subitoou en post-post-subito ? Autrement dit ilconsidère la durée de leur réflexion etc’est un des rares endroits où Lacan ditle mot durée parce que là vraiment ilarrive pas à l’éviter.

Page 205, il parle de la durée dutemps de méditation de B devant C etde C devant B. C’est ça le temps pourcomprendre. C’est ça l’objectivité mêmedu temps pour comprendre, c’est qu’il ya un temps où, sous l’œil de A, Bregarde C, et C regarde B, bouche bée.

C’est là que Lacan fait bien valoirune différence entre le sens et la limitede ce temps. Comme il dit, le sens estau fond clair, puisque A sait ce qu’ilobserve. Il y a une intention claire, ilobserve comment ils se comportent,c'est-à-dire est-ce qu’ils vont partir enpost-subito ou en post-post-subito.C’est compliqué à observer.

Et, si l’on veut, ce sens-là estobjectif, c'est-à-dire il observe leurtemps pour comprendre. Et le paradoxeest à la fois un temps dont le sens estobjectif, à savoir ils doivent attendre uncertain temps, c’est obligé, mais,comme s’exprime Lacan, la limite ellen’est pas objective, et c’est bien tout leproblème puisqu’il n’y a pasd’objectivation des scansions du temps.Et donc, comme il s’exprime, la limiteest vacillante, elle est aussi vacillanteque la différence entre post-subito etpost-post-subito.

Ça met bien en valeur que la duréeest affaire d’évaluation alors que, sivous voulez, quand on en est à compter

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les temps d’arrêt, il n’est plus questiond’évaluation, il est question de compter.Donc, on échappera tout à l’heure à ça.

Alors évidemment le synchronismequi est obtenu par l’axiome « ce sontdes sujets de pure logique », et c’est làaussi qu’il y a un élément sophistique,puisque là on va dire : ils vont sedécider, ils vont se déterminer en mêmetemps. Mais on introduit cesynchronisme à partir de l’axiome « cesont des sujets de pure logique », cequi veut dire que finalement à chaquemoment ce sont des sujetsimpersonnels, pas simplement même àl’instant du regard, ça ne vaut pas quepour le temps instant du regard lecaractère impersonnel. Puisqu’ils sontdes sujets de pure logique, au fond ilsagissent toujours en même temps. Celadit, il y a une forme subjective proprequi correspond à ce temps pourcomprendre.

C'est-à-dire que, en face de A, ilémerge deux sujets réciproques, B etC, qui se considèrent, et ce sont,comme s’exprime Lacan, des sujetsindéfinis sauf par leur réciprocité. Leurpropriété essentielle c’est que Bregarde C et C regarde B sous l’œil deA.

A B C

T P C T P C

Ça c’est une forme subjective,souligne Lacan, distincte de lapremière. C’est une forme subjectivetout à fait distincte de celle de regardersimplement la couleur du disque del’autre, et puisqu’il est noir, m’en aller.Là c’est une forme subjective distinctepuisque ce que je fais, ce que B faitdépend de ce que C fait, etréciproquement.

Autrement dit, ici on atteint la formesubjective de la réciprocité, et donc,dans le premier temps, dans l’instant duregard le Je, le sujet est annulé,ramené à zéro, impersonnalisé, devientn’importe qui, alors que dans le tempspour comprendre, le sujet estréciproque, et donc se pose comme

l’Autre de l’autre, avec un petit a. Bregarde ce que fait C et C regarde ceque fait B, sous l’oeil du troisième.

C’est là exactement que se situe legénie de Lacan, c’est vraiment dedégager dans cette succession deraisonnements une structure temporellepropre accordée à une structuresubjective propre, en pratique, en unecoupe tout à fait surprenante. C'est-à-dire, ça, vraiment, ajouter le sujet là-dedans et chercher sous quelle forme ilémerge de façon essentielle, c’est unecoupe tout à fait surprenante. C’estcomme la viande n’est pas coupée dela même façon en France et enArgentine, par exemple. Donc, lapremière fois que vous y allez, vousavez une surprise, parce qu’on vouspropose des morceaux dont vousn’avez jamais entendu parler. Ilscoupent ça autrement. Eh bien Lacancoupe les concepts d’une façonabsolument surprenante et nouvelle. Etdonc, là vous avez une coupure, unetranche de sujet, qui est là, une foisqu’on l’a coupée comme ça, mais quevous n’aviez jamais goûtée avant.

Troisième structure temporelle. Elleconcerne le fameux moment deconclure, qui concerne le sujet quiconsidère les deux autres. Le tempspour comprendre ça concerne B et Cen tant qu’ils se regardent sous leregard de A. Je dis toujours sous leregard de A parce que, bien sur, en faitcomme A est blanc B considère lesdeux autres. Mais sous le regard de Ace qui l’intéresse c’est comment ils seregardent ensemble.

Le moment de conclure concerne lesujet qui considère les deux autres etqui conclut sur lui-même : si eux nebougent pas, alors moi, il fait unraisonnement de cette forme. Si euxceci, moi cela.

Et alors, ce que souligne Lacan à cemoment-là, c’est dans cet écart-là quese situe le moment de conclure. B et Csont occupés par leur temps pourcomprendre. Mais A est lui aussiengagé dans un temps pourcomprendre par rapport à l’ensembleBC, il y a aussi un temps pourcomprendre de A.

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Et, page 206, là je fais retour sur leterme de Lacan pour vérifier que le motterme permet de désambiguer ce dont ils’agit. Ce temps, dit-il, le temps decomprendre de B et C, celui où ils sedisent : tiens, selon le raisonnement deA, où B se dit C ne part pas en subito,et où C se dit : tiens, B ne part pas ensubito, ce temps, pour que les deuxblancs comprennent la situation qui lesmet en présence d’un blanc et d’un noir– ou qui les mettrait, parce que là c’estle conditionnel -, il apparaît au sujetqu’il ne diffère pas logiquement dutemps qu’il lui a fallu pour lacomprendre lui-même, puisque cettesituation n’est autre que sa proprehypothèse.

A B C

T P C T P C

Ça, ça qualifie le rapport de cesdeux temps pour comprendre. Aconsidère le temps pour comprendredes deux autres, mais le temps pourcomprendre des deux autres, lorsqu’ildépasse la limite post-subito, à cemoment-là il comprend que c’est lemême temps, que lui aussi est blanc etqu’il faut aux deux autres le mêmetemps qu’à lui-même, qu’ils ont tous lestrois au-delà du post-subito. Si cettehypothèse est vraie… Il se dit : S’ilsétaient noirs, s’il était noir lui-même, ilsconcluraient avant lui, c'est-à-dire s’ilétait noir il conclurait en post-subito etlui au temps d’après. Si cette hypothèseest vraie, dit Lacan, « les deux blancsvoient réellement un noir, ils n’ont doncpas eu à supposer la donnée. Il enrésulte donc que, si le cas est tel, lesdeux blancs le devancent du temps debattement qu’implique à son détriment

d’avoir eu à former cette hypothèsemême. »

Lacan se place exactement sur cettelimite, qui même fait rire, entre le post-subito et le post-post-subito. Si cettehypothèse est vraie, ils partent avantmoi, il ne faut donc pas qu’ils concluentavant moi. S’ils concluent avant moi, sije reste sur le carreau en quelque sorte,alors cette hypothèse est vraie.

Autrement dit, je dois conclure à cemoment-là, et il s’agit ici d’une pressionobjective du temps. C'est-à-dire unefois que j’ai vérifié que l’on a dépassé lepost-subito, alors il faut que je conclue,la conclusion est alors prise dans unestructure temporelle objective quicomporte l’urgence. En quelque sorte,la structure du temps pour comprendreelle comporte l’attente. La structureobjective de l’instant du regard, ellecomporte : je ne m’occupe de rien, et jefile, elle comporte l’instant. La structuredu temps pour comprendre ellecomporte le temps d’attente. Alors quela structure temporelle objective de laconclusion, elle comporte l’urgence àconclure, et c’est ça que Lacan appellele moment pour conclure. Et donc, çaconcerne - je n’ai vu ça peut-être aussiclairement avant. Ce qu’il appelle lemoment de conclure, concerne laconclusion anticipée, ça concerne laconclusion numéro un. Ça ne peutconcerner que cette conclusion, parceque la deuxième conclusion elle estobjectivée, tandis que cette conclusionelle dépend de ce que font les autres,et, tandis que la dernière n’en dépendplus, la conclusion numéro deuxdépend plus de ce que font les autres.Donc, ce qu’il appelle le moment deconclure c’est une propriété de laconclusion numéro un, de la conclusionanticipée. Et c’est le point culminant dela tension temporelle, c'est-à-dire c’estle point culminant où va s’ensuivre ladétente de l’acte, à savoir se mettre àmarcher, devoir s’arrêter etc. Lemoment de conclure c’est le pointculminant de la tension temporelle, d’oùs’ensuivra la détente, et le déroulementscandé de cette détente.

Alors, au moment de conclure enmême temps, correspond une forme

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subjective propre, une émergence de lasubjectivité sous une forme distincte.

Dans le temps d’avant, dans letemps pour comprendre, la subjectivitéémerge sur l’aspect de ces deux crétinsqui regardent chacun ce que fait l’autre.

Dans le moment de conclure, lasubjectivité émerge sous la forme de : ilfaut que moi je me dépêche, c'est-à-dire là c’est un sujet isolé, logiquementisolé qui se pose et, comme dit Lacan,qui s’isole par un battement de tempslogique de la relation de réciprocité. Là,dans l’expression que Lacan met enitalique « battement de temps logique »,il y a évidemment toute l’ambiguïtéentre la durée et le temps logique.

Donc, ce qu’il appelle le moment deconclure concerne exactement lepassage entre la conclusion numéro unet le déclenchement de l’acte. C’est cequi l’autorise à écrire qu’alors l’acteanticipe sur sa certitude, c'est-à-direque l’acte se déclenche au sommet dela tension temporelle, alors que leraisonnement sur lequel il se fonden’est pas entièrement objectivé,puisqu’il comporte la référence à ce quefont les autres.

Donc, ce qui intéresse Lacan commemoment de conclure c’est le moment oùl’on conclut alors qu’on dépend encorede ce que font les autres. On estencore dans l’urgence de faire, de nepas se laisser devancer par l’autre.C’est ça même qui qualifie l’acte, c’estqu’il opère non pas à partir d’uneconclusion désubjectivée, mais à partird’une conclusion qui est encore retenuedans l’intersubjectivité. Et donc, l’acteau sens de Lacan dans ce texte sesitue entre les deux conclusions etcomporte évidemment un risque, etcomporte une urgence.

Autrement, en court-circuit, parceque j’arrive à la fin et je ne vais paspouvoir développer, on peut tout à faitici mettre en cause et situer S de grandA barré.

S ( A )Mais d’habitude on s’occupe de S de

grand A barré, disons qu’on ne faitqu’une statique de S de grand A barré.Il y a le savoir et puis il y a une zone de

non-savoir, et ce non-savoir est définitif.Eh bien, ici on a au contraire unedynamique de S de grand A barré, unedynamique temporelle de S de grand Abarré. Ce n’est pas simplement qu’onne peut pas tout savoir, c’est que,quand on arrive à la premièreconclusion, en effet on conclut sur labase d’un savoir qui n’est pasentièrement désubjectivée, on conclutsur la base d’un savoir qui n’est pasobjectif, si vous voulez, qui comportedonc une zone d’incertitude : je ne saispas ce qu’ils vont faire. Mais c’estprécisément ce « je ne sais pas cequ’ils vont faire » qui m’oblige à agirmoi. Donc là, le non-savoir dont il s’agitest au contraire un facteur deprécipitation, et c’est en quoi il y amoment de conclure, pour aller en effetvers un état où le savoir seraentièrement objectivé, où maconclusion sera objectivée comme ellel’est à la fin de ce circuit d’hésitations.Mais S de grand A barré, dans ce texte,la fonction S de grand A barré du savoirqu’on a, du savoir qui n’est pas tout àfait objectivé, de la zone nonobjectivable du savoir, à un momentdonné, entre dans un continuumtemporel, pas un continuum mais unedynamique temporelle qui conduit à lafin à la désubjectivation.

Autrement dit, ici, nous n’avons pasaffaire à un non-savoir absolu,paralysant - je ne sais pas ce que cesera, et c’est terminé. On voit commentLacan entend S de grand A barré, quiest d’ailleurs sur son grand graphe à laplace d’une scansion. Ce n’est pas unlieu, S de grand A barré, c’est unescansion, c’est lié à une fonctiontemporelle, ce n’est pas une fonctionparalysante : continuez d’apprendre etvous reviendrez à ce moment-là, ou :ça vous ne le saurez jamais, pas lapeine d’essayer de le savoir.

Ici S de grand A barré, au contraire,est le ressort même de l’acte quilaissera une chance alors à uneobjectivation.

Autrement dit, et je vois que je suispas encore arrivé à en réduire, à encomprimer toutes les données d’unefaçon entièrement satisfaisante, ce qui

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va me faire repartir encore un tour, que,ici, S de grand A barré, c’est lamotivation, la cause, le ressort quiconduit le sujet à faire l’appoint de sonacte, et que S de grand A barré ça n’estpas une barrière, ça n’a aucuncaractère définitif ici, S de grand A barréc’est au contraire ce qui le propulse,dans le mouvement même qui vavérifier l’aventure de son acte, ce queson acte avait d’aventureux, tout enétant rigoureux.

Bien, je crois que la bête a encore…une semaine devant elle. Pas plus.

Fin du Cours XVII de Jacques-AlainMiller du 10 mai 00

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LES US DU LAPS

Jacques-Alain Miller

Dix-huitième séance du Cours

(mercredi 17 mai 2000)

XVIII

Le moment de conclure. Je nevoudrais pas faire le fanfaron mais, auterme de ces multiples reprises, je croispouvoir vous apporter les dépouilles dela bête.

En tout cas, je suis maintenant àl’égard de ce sophisme dans unetranquillité d’âme, une sérénité qui meparaît de bonne augure. Il faut encoreque je voie si ça passe l’épreuve devous le présenter.

En même temps, je ne suis paspersuadé que je peux, à ce propos,compter sur vous complètement pourme dire, pour me faire voir si j’ai atteintla clarté, la splendeur de la vérité, si jepuis dire, parce que je suppose quevous en avez déjà tellement marre quevous me direz : oui, oui, oui ! c’est fini,c’est gagné, même si la bête remueencore. Or cette bête-là, on la tuecomplètement ou tout est à reprendre,c’est comme l’hydre dont les têtesrepoussent.

On sait que Jacques Lacan s’estpenché sur le problème, a même réuniun petit cénacle d’esprits distingués,dont vraisemblablement RaymondQueneau, pour étudier ce sophisme audébut des années trente, et il n’en adonné un écrit de lui qu’en 1944. Je nedis pas que pendant plus de dix ans il atravaillé ce sophisme, mais en tout casil s’est ménagé un long temps pourcomprendre, pourrait-on dire par

approximation, comme je vous lemontrerais, avant de prendre uneposition définitive.

J’ai constaté que, au cours de cetteascèse logique, en effet, il faut seménager des stations, laisser l’ouvrage,le remettre sur le métier, pour s’yretrouver. Lorsqu’on est concentré surla chose pendant sept ou huit heuresd’affilée, la cafetière commence àchauffer un peu, on n’y voit plus tout àfait clair, et il faut laisser, en effet,déposer, avant de reprendre l’affaire.

J’ai l’impression d’avoir trouvé, pasplus tard que ce matin, les formulessimples, posées, que j’ai trouvéessatisfaisantes.

Peut-être y a-t-il un rapport avec lefait que j’aie passé la plus grande partiede la nuit à rédiger tout à fait autrechose, à savoir une lettre interminablepour nos collègues du Venezuelatraversant un moment critique dans leprocessus de formation de leur école.C’est un exercice qui demandait unebonne connaissance des différentsdocuments qu’ils s’étaient adressés lesuns aux autres dans la dernièresemaine. Mais, évidemment, toutel’étude que j’avais pu faire devant vousdu Temps logique m’a été, pour cetterédaction, et pour le moment de sarédaction, qui pressait, de la plusgrande utilité. J’ai donc eu le sentimentde mettre en acte, en temps réel, lesavoir apparemment abstrait qu’icij’avais essayé d’articuler.

Donc, d’une certaine façon j’ai étédans le temps logique pendant septheures de temps sans toucher à cesujet, et puis, en définitive, il m’estvenu, pour vous parler, des formulessimples qui me paraissaient permettrede cerner exactement ce qui fait l’os dupropos de Lacan, à savoir le troisièmedes temps qu’il distingue et qui est lemoment de conclure.

J’ai indiqué la dernière fois que leplus propre, au sens du plus particulier,de ce que Lacan apportait, là où ce quej’appelais ce génie était patent,inaccessible à simplement la mise enforme que j’avais éprouvée auparavantdevant vous, le plus lacanien du Tempslogique, c’était que Lacan pratiquait des

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coupes subjectives dans le processuslogique. A savoir que, dans ceprocessus qui demande de passer parun certain nombre d’étapes duraisonnement, il situait des positionssubjectives d’un sujet, selon sonexpression, d’un sujet de pure logique.

Il faut bien prendre la mesure de ceque ceci implique et qui a unretentissement immédiat sur la théoriedu temps, le sujet du sophisme, si jepuis dire, est un sujet de pure logique.Qu’est-ce que ça veut direexactement ?

Le sophisme met en scène, disons-le ainsi, trois fois le même sujet, c'est-à-dire que l’on suppose à chacun lesmêmes capacités, capacitésintellectuelles, capacités motrices,puisqu’il s’agit de sortir, de se déplacer,on pourrait même dire les mêmescapacités émotionnelles, consistant àne pas perdre la tête. Si vous imaginezqu’il fallait prendre en compte que,quand on présente le problème, il y aen a un qui se met à pleurer (rires), ledeuxième est quadriplégique, alors quele troisième serait un athlète dupentathlon, et en plus un vainqueur desolympiades de mathématiques.Aussitôt, ça invaliderait lefonctionnement du sophisme. Donc,quand on dit sujet de pure logique, onentend qu’on ne va pas introduire cesvariables-là, on va les supposer tousles trois athlètes, si je puis dire, on valeur supposer la même stabilitéémotionnelle qui permet de ne pasmettre en valeur que justement aucunne s’énerve, aucun n’essaye de casserla figure du directeur, et qu’ilsraisonnent de façon similaire.

Ça, c’est un excursus. Il y a au fondde nombreuses histoires de trois dansl’imaginaire et la symboliqueuniverselle. Il y a par exemple les troispetits singes que l’on trouvefréquemment représentés dansles netsukes. Ils mettent en valeur lestrois propositions de la sagesse : nerien entendre, ne rien voir, et surtout nerien dire. Évidemment, si on mettait cespetits singes dans cette histoire, elle nepourrait pas fonctionner, parce quecelui qui ne peut pas voir il ne verrait

pas les disques, celui qui ne veut pasentendre il ne pourrait pas avoir lacommunication du problème, et puiscelui qui ne peut rien dire, il ne pourraitpas satisfaire à la dernière desconditions qui figure dans l’histoire, àsavoir raconter au directeur comment ilest arrivé à sa conclusion. Voilà, si onmesure la petite sculpture familière decette sagesse tripartite, le sophisme nefonctionnerait pas.

On pourrait aussi comparer, avecdes effets intéressants, l’histoire desHoraces et des Curiaces avec lesophisme des trois prisonniers. Là,c’est deux fois trois, avec les Horaceset les Curiaces. Les Curiaces sont lesplus forts, comme vous le savez,puisqu’ils étendent sur le carreau deuxdes Horaces. Reste le troisième, le plusmalin, qui se met à courir et, encourant, ce qu'il obtient, c’est unedifférenciation des Curiaces entre leplus blessé, le moins blessé, et l’autrequi est quand même fatigué d’avoircouru à la suite du troisième Horace.Là, ce ne sont en effet pas du tout dessujets de pure logique, mais ce sontplutôt des sujets de pure barbarie.

Nous, avec nos trois prisonniers, ona des Horaces dont chacun, en uncertain sens, lutte avec les deux autres,et surtout où chacun lutte avec etcontre le temps logique. Simplement,dans l’histoire de pure logique, qui estune histoire du XX° siècle… LesHoraces et les Curiaces, ça remonte àTite-Live et ça a connu une nouvelleédition au XVII° siècle, par Corneille -c’est un tout autre contexte. Dansl’histoire, qui pourrait devenir un mythe,pourquoi pas, du sophisme de Lacan,les trois triomphent ensemble. L’histoirenous raconte le triomphe logique destrois ensembles, ce qui permet deremarquer en passant ce trait del’histoire, sophistique, qu’il ne s’agit pasd’un jeu à somme nulle. Ce que l’onappelle dans la théorie des jeux le jeu àsomme nulle, c’est un jeu où ce quel’un gagne, l’autre le perd. Et donc,vous êtes en concurrence obligée avecl’autre ou les autres, avec l’adversaire.

Par exemple, le poker, c’est un jeu àsomme nulle. Vous ratissez les

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adversaires ou c’est eux qui vousratissent. En revanche ici, noussommes dans un modèle de jeu dit àsomme non nulle. Ici, chacun joueessentiellement contre l’Autremajuscule du problème lui-même et ilspeuvent très bien gagner - c’est ce quise passe dans la solution lacanienne -,ils peuvent très bien gagner tous lestrois la liberté que leur concède l‘Autre,donc ils gagnent sur l’Autre la libertéqu’il est obligé de leur concéder commeun gain de jeu.

Ce serait évidemment différent si l’onavait un autre problème - il en faudraitune autre formulation ou une autredistribution des disques -, où parexemple il serait inclus qu’un seul surles trois gagne sa liberté. C’estd’ailleurs ce qui se passerait si les deuxautres avaient un disque noir – auraientdonc été distribués tous les disquesnoirs - et qu’il y en aurait un qui aurait ledisque blanc et qui le sauraitimmédiatement à voir que les deuxautres sont noirs. Si l’on avait fait unehistoire du modèle : un seul gagnera saliberté, le deuxième aura une réductionde peine et le troisième restera en taulejusqu’à la fin de ses jours, ce serait uneautre histoire. Cela consisterait en ceque ne fait pas cette histoire du XX°siècle. Le XX° siècle est déjà uneépoque fort reculée puisque c’est déjàplus que naguère, c’est jadis, mais onvoit bien la différence de cette époqueavec le XVII° siècle, où d’autreshistoires, c'est-à-dire que, ici,précisément, on ne les fait pas se battreentre eux, même si l’on installe parl’histoire une tension intersubjectiveentre eux.

Faire se battre les prisonniers entreeux, c’est une jouissance romaine !C’est ce qu’organisaient les Romainsdans leur cirque en faisant se battre lesgladiateurs, et là soutiraient unejouissance formidable à voir lesprisonniers s’égorger entre eux.

Il en reste d’ailleurs quelque chosede cette problématique barbare dansl’histoire des Horaces et des Curiaces,puisqu'on prend bien soin de nousexpliquer les liens de famille qui sontétablis entre les uns et les autres, et le

plaisir consiste à introduire la guerredans ce petit nid d’amour.

À cet égard, évidemment, l’histoiredes Horaces et des Curiaces, c’est lecontraire de Roméo et Juliette où, audépart, nous avons la guerre entre lesCapulets et les Montaigus, et puis là, aucontraire, la pièce raconte comment onessaye d’introduire l’amour dans cecontexte martial, dans ce contexte decompétition à l’italienne, desrépubliques italiennes.

La guerre des familles dans cettehistoire est établie d’ores et déjà. C’estdans un second temps - c’est pour çaque je dis : structurellement c’estl’inverse des Horaces et des Curiaces -,c’est dans un second temps, dansRoméo et Juliette, que l’on introduitl’amour et que, finalement, le problèmeposé ne trouve de solution que dans lamort.

Pour vous faire attendre un peu ladépouille de la bête, je dois évoquer,comme je suis parti, à savoir de cefoisonnement d’histoires de trois, lethème des Trois coffrets, l’article deFreud de 1913, qui prend son départ dumarchand de Venise, où le sujet est misen demeure de choisir entre troiscoffrets, où se trouve dans l’un leportrait de sa dulcinée, il doit être assezmalin pour choisir le coffret troisième,celui qui paye le moins de mine, pourpouvoir obtenir la belle. Freud fait lerapport avec le Roi Lear et ses troisfilles, le roi Lear cette fois-ci setrompant de favoriser les deux aînées -les deux aînées brillantes, Goneril etRégane -, alors que c’est la troisième,la discrète, Cordélia, qui sera la fidèle.Et Freud de nous amener le choix deParis entre Héra, Athéna et Aphrodite,qui aura la pomme, et il y mêleCendrillon où le Prince charmant choisitla fille à la chaussure - ce n’est pas unechaussure ! -, au soulier de vair, lapauvre Cendrillon miteuse, délaissantles deux sœurs méchantes. Voilàencore des histoires de trois, d’uneautre époque, et Freud n’hésite pas àaligner, dans cet ensemble, La BelleHélène d’Offenbach, et il cite, pourmettre en valeur précisément letroisième : « La troisième, ah ! la

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troisième… La troisième ne dit rien. Elleeut le prix tout de même. »

À quoi s’ajoute encore un conte deGrimm, Les douze frères, et Freudd’interpréter la troisième, celle qu’onchoisit, comme étant fondamentalementune représentation de la mort qui peutse trouver métaphorisée par l’amour, etdonc la mort peut se trouver aussi bienincarnée par Aphrodite, métaphoriséepar Aphrodite, de la même façon qu’ilmet en valeur que le choix qui est aucentre de ces histoires - qui est-cequ’on choisit ? – vient en fait à la placede la nécessité du destin où l’on nepeut pas choisir.

Freud interprète ce corpus qu’ilrassemble au nom du trois et du choixdu ou de la troisième, il interprète cecorpus des histoires de trois à partir dedeux métaphores, la mort métaphoriséepar l’amour, le destin, la force du destin- pour parler comme Verdi -, la force dudestin métaphorisée et inversée par lathématique du choix.

En fait, on voit bien que ce queprivilégie Freud là comme étant au plusdu secret de cette mythologie, c’est leRoi Lear et c’est à ça qu’il s’abandonnepour terminer son étude de cesophisme, à savoir que c’est l’histoiredu vieil homme et des femmes, et quecette femme en définitive, c’est desfigures, des versions de la mère, lamère qui a porté l’homme, la compagneaimée qui est sur le modèle de la mèreet finalement la mort qui est le retourdans le sein de la terre nourricière.

On ne peut pas s’empêcher depenser, de rêver, quand on termine cetrès court texte, que là Freud nous ditquelque chose de lui-même. On aaussi, dans ce texte-là, un fragmentd’auto-analyse de Freud et de cerapport finalement spécial qu’il a euavec la féminité.

On peut évidemment faire rentrer lesophisme de Lacan dans le cadre deshistoires de trois, sauf qu’évidemmentici, les trois, il n’y a pas de sujetextérieur qui les juge. Là, chaque fois,nous avons le choix fait sur les trois parun autre qui surplombe la situation,pour dire : oui, non, elle se trompe enchoisissant ou dit vrai, là, c’est vraiment

une histoire, l’histoire des troisprisonniers, où le ciel est vide. Lesavoir, le choix que l’on a à faire entrenoir et blanc, personne ne l’indique,personne n’est dans la positionsuprême de l’indiquer. Ce choix doits’élaborer à travers un processusintersubjectif, dans un monde sansDieu. C’est une histoire du XX° siècle,une histoire où déjà, si je puis dire, leciel est vide.

En plus, c’est, par rapport auxautres, une histoire étonnammentségrégée. C’est une version que je n’aipas encore amenée, c’est quand mêmetrois types ces trois prisonniers, on n’apas inclus comme problèmesupplémentaire la belle prisonnière, quiferait qu’on introduirait là un autreélément du genre : si tu trouves lasolution, tu me le diras à moi, ou aucontraire les deux gars perdant leurtemps à la regarder, pendant quoi, elle,elle fait le calcul qui convient. On rit,parce que, évidemment, introduire cetélément-là dans l’histoire fait justementvoir à quel point c’est une histoire oùles éléments imaginaires, dans lesquelsnous pataugeons à plaisir sont réduits,annulés, ramenés à zéro.

Évidemment, sans doute que ça nepeut être que des prisonniers puisqu’il ya vraiment un moment de l’histoire, unedes modulations du temps, où ce quivaut, ce qui opère c’est le pour tout x,C’est un moment fondamental et qui estprélevé sur cette logique normale, de lanorme, de l’universel, qui est celle dontLacan fera plus tard celle qui est propreà la sexuation masculine.

Si nous prenons nos trois sujets depure logique, ils sont de pure logiqueparce que leur différence est seulementnumérique. C’est simplement qu’il n’yen a pas un, il y en a trois, taillés sur lemême patron et que l’on peut lescompter, les ordonner, un, deux, trois.Et, si vous ajoutez cette ordonnance,vous, en les affectant d’ordinaux ou enles affectant – ce qui revient au même –de lettres de l’alphabet dans l’ordrecanonique de l’alphabet, A, B, C, vousobtenez une différentiation relative àvotre intervention dans l’histoire, maisen eux-mêmes ils sont les mêmes.

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En même temps, faisons attentionque chacun est un centre deperspective et ce centre là - j’ai eul’occasion, dans un autre contexte, deparler de centre, ou de décentrationpost-moderne -, il reste que, l’on peutdétruire tous les centres qu’on veut, ilest tout à fait fondamental dansl’histoire que chacun est un centre deperfective. C’est ce que je traduisaispar mon petit symbole qui indiquait quelétait le spectacle du monde qui s’offraità chacun et qui fait que chacun, saitquelque chose des deux autres, ou quechacun même sait tout ce qu’il y a àsavoir des deux autres, pour ce qui estdu disque qu’ils ont, et qu’en mêmetemps il ne sait pas quelque chose surlui-même.

Donc, il sait ce qu’il voit, il y aquelque chose qu’il ne sait pas sur lui-même, qui est ce qu’il a dans le dos, etpuis, il y a qu’il sait quelque chose dece que les autres voient, maisseulement partiellement. Ça, cephénomène-là, du savoir partiel, ça nese produit que quand il y en a au moinstrois. Quand il n’y en a que deux, cetélément disparaît. Quand il n’y en a quedeux, vous savez quel est le disque del’autre, vous ne savez pas quel est levôtre. Lui, il sait quel est le vôtre, il nesait pas quel est le sien. C’est unesituation exactement réversible.

Quand il y en a trois, évidemment il ya un élément nouveau qui s’introduit,c’est que vous savez, pour chacun deces deux-là, une partie de ce qu’ilsvoient. On va leur donner des lettres,deux lettres, A et C. De B vous savezqu’il voit C blanc, et, pointd’interrogation, vous ne savez pascomment il vous voit. Et vous savezque C voit B blanc et de même vous nesavez pas comment il vous voit.

Je vous ai assez remâché lesophisme pour vous rendre compte del’importance que joue dans l’affaire cesavoir partiel. Ce savoir partiel qu’a lesujet moins un, que nous pouvonsappeler moins-un parce qu’il ne se voitpas lui-même, il a un savoir partiel surce que voit chacun des deux blancs, àsavoir que chacun voit au moins unblanc. Ça, c’est un phénomène qui nese produit pas quand il y a deuxprisonniers.

Le nerf du raisonnement que Lacanexpose, c’est que A - A c’est n’importelequel, c’est le moins un de l’affaire,celui qui ne sait pas sur lui-même -raisonne sur le raisonnement de l’autre,c’est-à-dire qu’il raisonne sur leraisonnement d’un des deux autresblancs et donc sur chacun des blancs. Ilraisonne sur le raisonnement que faitl’autre à partir des données perceptivesde l’autre que lui-même, A, ne connaîtque partiellement.

Ce qu’il sait, ce qu’il doit savoir, c’estque les deux autres vont agir ensemble.B et C ont à faire au même monde, àun monde où il y au moins un blanc etoù lui, A, figure dans ces deux mondesde configuration de perspective.

?

?

A B C

AC

B A

?

?

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Donc, le sujet sait que les deuxautres agiront de toute façon ensemble,et donc on est dans un monde où -c’est ce qui est poignant dans l’histoire-, chacun comme sujet est ce qu’onappelle en anglais the odd man out,c’est-à-dire où chacun est l’hommeimpair exclu, si on traduit mot à mot, oùchacun est l’impair qui ne rentre pasdans l’affaire.

C’est ça qui nous touche dans lesharmonies néanmoins sémantiques etdans l’imaginaire de l’histoire, c’est quec’est une affaire d’exclusion,d’exclusion entre les mêmes. C’est uneaffaire où on part d’une situation deségrégation objective, où chacun esttout seul par rapport aux autres et où lasolution du problème, c’est justementd’assumer d’être pareil. Il y a cesharmoniques, ces harmoniqueshumanistes de Lacan à la fin du Tempslogique, au moment où s’achève ladeuxième guerre mondiale. Lesharmoniques qui marquent une sorte debonheur hégélien de la réconciliationfinale, mais qui a demandé la dureascèse temporelle pour passer d’unesituation où chacun est l’exclu parrapport aux autres, jusqu’à se rendrecompte que tout le monde est pareil, etque chacun est l’exclu par rapport auxautres, et que ce qui fait unecommunauté, c’est finalement quechacun partant de sa douleur, de sasituation objective - de pure logique,pas de douleur, d’accord -, mais quechacun partant de sa situation objectived’exclu par rapport aux autres, setrouve finalement réconcilié à travers unprocessus où chacun a dû faire ce qu’ilavait à faire, et où si un s’avère ne pasêtre un sujet de pure logique, mais uncouillon, un émotif, un handicapé, ça nemarche pour personne, ça va louper, letruc va louper.

D’où les harmoniques humanistes decette fin, mais qui resteront, chezLacan, jusqu’au bout. Quand Lacannous dit dans Télévision, à la fin de sonpetit apologue de la sainteté, que ça nefait pas une solution d’être un saint toutseul, mais qu’il n’y a pas de solution siça n’est que pour quelques-uns, c’est-à-dire qu’il prend une position anti-

élitiste, si je puis dire, le fondement deça, c’est le Temps logique - c’estévidemment remanié dans le cadred’une théorie qui a laissé depuislongtemps de côté ses oripeauxhumanistes-, mais c’est bien la mêmeinspiration qui fait que cet exemple estfait pour démontrer qu'on ne se sauvepas tout seul.

Le temps logique est ici une histoired'exclu, et où chacun est l’exclu desautres, cette histoire, prise dans letemps logique, elle est d’une autreépoque, d’une autre configuration quecelle des méthodes de salut personnel.Comment moi je fais pour maîtriser mespassions ? Comment je fais pour êtretoujours d’humeur égale ? Comment jefais pour ne pas me laisser faire par lescoups du sort ? Enfin, tout ce qui atraîné de stoïcisme miteux à travers lessiècles, et repris avant tout dans ce quiest de l’ordre de comment, moi, jeprends la poudre d’escampette, pouraller me goberger dans mon tonneau-ça revient au même -, dans montonneau, dans ma thébaïde, dans monchâteau, dans ma maison decampagne, dans mon petit chez moi,dans mon cocon, avec ma télé, et lereste, que le monde ne parvienne chezmoi que sous ces espèces dereprésentatifs où il suffit de tourner lebouton pour ne plus en entendre parler.

Là, au contraire, le temps logique,c’est en effet une histoire collective,mais dont le ressort est le sujet commesujet de pure logique.

Déjà, dans les données de l’histoire,tellement élémentaire, on est misdevant l’évidence que la pure logiqueest compatible avec cette différentiationqui oppose le moins-un à tous lesautres, et que donc, en effet, la fonctionde moins-un peut être constituée, si onamène le sujet ici comme centreperspectif, déjà au niveau de la purelogique, la différentiation est constituée,le moins-un est déjà constitué auniveau de la pure logique si l’on yamène le sujet.

J’ai dit tout à l’heure : ce n’est pas lamême chose que les Horaces et lesCuriaces, parce que là, vous avez unepaire de trio, alors que, dans l’histoire,

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vous n’avez qu’un seul trio. En fait vousen avez deux. C’est comme lesHoraces et les Curiaces. Vous avez lestrois prisonniers et les trois disques.

Évidemment, tout joue sur lesrapports des trois prisonniers et les troisdisques, et un disque donc caché àchacun. Ça n’est pas le même, mais enfait dans l’histoire, c’est le même, c’estle disque blanc.

Et donc là aussi, le disque blanc estsubstantiellement le même et il estsimplement numériquement différent,parce qu’il y en a trois et il est affecté àA, B et C. Le disque représente, si l’onveut, l’identité de pure logique dechaque sujet.

C’est bien de ça qu’il s’agit. Il s’agitde venir au bout du troisième disque,celui que, vous, vous avez dans le dos.Vous voyez les deux là qui sont blancs.Celui qu’il faut arriver à trucider, c’est letroisième disque, celui que vous avezdans le dos, le troisième Horace. Saufque votre disque, il reste bientranquillement dans votre dos. Il ne semet pas à prendre la poudred’escampette, il ne prend la poudred’escampette qu’avec vous-même.

Autrement dit, dans cette histoire, il ya bien la fonction du troisième, il y a lafonction du moins-un, mais il y a bien lafonction du troisième. Il s’agit de venir àbout du mystère que représente letroisième disque, celui que vous avez,et que vous ne voyez pas. Donc, eneffet, vous comptez un disque blanc,deux disques blancs, et trois, ah ! je nesais pas s’il est blanc ou s’il est noir.

Autrement dit, c’est bien le problèmedes trois disques, comme il y a les troiscoffrets, avec : le troisième est aussiune fonction distinguée, pas seulementle moins-un. Il s’agit au fond de percerà jour ce damné troisième disque quevous avez dans le dos. C’est d’ailleursla place normale des disques - onappelle ça comme ça -, il s’agit de lepercer à jour sans le voir, c’est-à-dire ils’agit, si l’on veut, de mettre du savoir àla place du voir, de parvenir, par lesmédiations du savoir, à supplémentercette immédiateté du voir qui, dans cecas-là, ne vous est pas donnée.

C’est vraiment une métaphore, si onveut s’exprimer ainsi, où, au voir, sesubstitue le savoir. Un processusépistémique vient se substituer à ladonnée perceptive.

C’est dire que chacun desprisonniers est un coffret lui-même, uncoffret qui contient un disque qu’il neconnaît pas. Si l’on veut, les autres, ilpeut les lire à livres ouverts, il a ouvertle coffret - très important ce qu’il y adans les coffrets depuis toujours. Il yavait d’ailleurs, dans la représentationde la Vénus d’Urbin, que nous acommentée, pour certains, un soirpassé, Daniel Arasse. Il donnait la plusgrande importance au coffre que l’onouvre au fond de la pièce et il voyaitd’ailleurs l’image que l’on voit aupremier plan comme la figure qui est enfait dessinée dans le coffre ouvert aufond de la pièce.

Dans l’histoire des trois prisonniers,chacun est un coffret pour lui-même.Les autres sont des coffrets ouverts, ilsait ce qu’ils ont dans le dos, tandis quelui, il est à lui-même un coffret fermé,donc, il peut toujours se demander quelest l’enfant qu’on va lui faire dans ledos, si je puis dire.

Ce ne sont pas simplement despetites anecdotes, parce que ça veutdire que son propre disque est pour lui-même constitué comme un objet petit a.Bien sûr que le disque n’est qu’unesimple fonction signifiante binaire. Il estnoir ou il est blanc et il est pris dans lescalculs, d’accord. Mais, en tant qu’il estcaché, et que donc il ne peut entrerdans les calculs du sujet qu’en tant quenon-savoir, en tant que signifiant à lui-même caché, et qui en plus recèle lesecret de son identité, ce disque a lastructure de l’objet petit a, à savoir qu’ilest caché à l’intérieur du coffret quechacun constitue.

( a )

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Alors, bien sûr, sa substance n’estpas une substance mystérieuse, cen’est rien d’autre que du signifiant,mais, du fait d’être voilé, il bloque lescalculs, et même, s’il n’y avait pasLacan, s’il n’y avait que RaymondQueneau et les autres, eh bien, ondirait qu’on ne peut pas calculer du tout,dans ce cas-là, avec les troisprisonniers à disques blancs. C’est bience qu’on a passé son temps àdémontrer, que précisément cetélément-là, on n’arrive pas à le faireentrer dans le calcul. Et c’est pour çaqu’on laisse ça de côté.

Lacan, dans cette histoire, nousmontre comment on peut calculer avecun problème qui comporte une fonction,on va dire, similaire, équivalente, à cellede l’objet petit a, en ceci que c’est unélément qui ne peut pas entrer dans lescalculs au même titre que les autres. Ilne peut pas entrer dans un calculclassique. Il faut un calcul sur mesure.

Alors, oui, on s’imagine, là, le grandproblème classique, c’est toujoursfinalement de savoir ce que l’autre adans le ventre, ce qu’il a dans la tête.Ici, à l’époque de la psychanalyse -c’est quand même ce que nous avonsde commun avec le XX° siècle -, àl’époque de la psychanalyse, le grandproblème du sujet exclu, c’est de savoirce que lui-même il a dans le ventre.

Et ça, de savoir ce qu’on a dans leventre, on ne peut pas savoir ça toutseul. On ne peut pas savoir ça dans lasolitude bénie du sage, à la campagne,dans sa médiocrité dorée.

De toute façon Horace, là Horace lepoète, n’a jamais été tout seul dans sacampagne, c’est les professeurs deLettres, lisant Horace pour fuir leurépouse, qui ont fait ce portrait d’Horace.pas du tout. Mais, précisément, poursavoir ce qu’on a soi-même dans leventre, il faut les autres. Ça, c’estl’époque de la psychanalyse.

Il faut que j’accélère. Le sujet depure logique apparaît là, dans la zonequi est celle de l’apport le plus proprede Lacan, le plus vraiment lacanien,comme l’effet des configurationslogiques successives.

Ce qu’il faut voir, c’est ça. On peutdire le sujet de pure logique... Bon ! Lesujet émotionnel - commençons par là-, bien sur qu’il faut les autres, il fautl’autre qui le fait pleurer, qui le fait rire,qui le fait sauter de joie, là on s’en rendbien compte. On se dit : le sujet de purelogique, il se moque de tout le monde.Pas du tout !

Le sujet de Lacan, si on le prendcomme il faut, c’est un sujet qui eststrictement défini par la configurationlogique à laquelle il se rapporte. C’estacquis. Nous avons par exemple, pourprendre le plus simple, deuxprisonniers. L’un voit le noir, l’un voit leblanc.

? ?

Ce sont les deux possibilités. Si jevois un noir, aussitôt je sais que je suisun blanc. Quand il y a la configurationdes trois, si je vois deux noirs, aussitôtje sais que je suis un blanc, puisqu’il n’ya de disponible que deux disques noirs.

?

?

?

Eh bien - je l’ai dit un peu vite ladernière fois, parce que j’étais encorepris par l’histoire -, Lacan affecte cetteconfiguration d’un sujet. C’est-à-dire ildétaille ce que comporte, ce que noustraduisons par une sorte, le sujet peutsortir tout de suite, ou le sujet ne peutpas sortir tout de suite, il le détaille enmarquant qu’il y a une donnée, parexemple : il n’y a qu’un seul disque noirdans le jeu, je vois un disque noir - ladonnée perceptive : voir un disque noir,conclusion, je suis blanc. Ça, c’est uneconfiguration purement signifiante quiva vous donner une perspectivestructurée à une conclusion.

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Dans ce cas-là, cette chaînesignifiante réduite, on peut dire qu’ellereste valable à tout moment.L’enclenchement du un sur le deux, dela donnée « voir un noir » à laconclusion « je suis blanc », c’est unechaîne signifiante qui résiste à toutdans le cadre du problème.

Autrement dit, là, on peut dire quecette chaîne signifiante est valable pourtout sujet, à n’importe quel moment, detelle sorte qu’on peut même la formulerd’une façon parfaitement abstraite si,dans la configuration donnée, on voit unnoir, on sait qu’on est blanc. C’est uneforme logique pure, en effet. On peutdonc dire ici que cette configurationlogique, c’est-à-dire cette chaînesignifiante est vraiment valable pourtout x.

x

Ça, c’est le moment du pour tout x.Donc, le sujet confronté à cettestructure signifiante se trouve résorbédans le on, dans le n’importe qui, àn’importe quel moment. C’est une desracines de la jouissance que donne leraisonnement mathématique. A savoir,cela induit dans le sujet son on. Ça lui

permet d’être absorbé dans le on. Et là,cela permet de poser un principe.

Maintenant, comme je l’ai fait ladernière fois, quel est le temps qui esten rapport avec ça ? Et ça aussi, c’estla question de Lacan. Eh bien, le tempsdont il s’agit, dans cette affaire, il a lemême statut que le sujet. C’est ça quenous fait apercevoir l’histoire du Tempslogique. C’est que le temps est lui-même un effet de la structuresignifiante. Ça, ça n’a pas été dit. Letemps est un effet de la structuresignifiante. Le temps, ce n’est pas lecontenu universel. : on va débiter despetits morceaux sous l’égide du time ismoney. Le temps est un effet destructure.

Ce que Lacan là fait monter, c’est lanotion de temps subjectifs différenciés,articulés à la logique du signifiant.

Autrement dit, c’est ça que l’on peutappeler des structures temporelles.Cela signifie qu’une structure signifiantedétermine une position subjective,comme nous le savons - le sujet estl’effet du signifiant -, les structuressignifiantes déterminent également unemodulation temporelle. À cet égard, ilfaut dire : le temps est l’effet dusignifiant. Et quand on atteint ça, déjàon respire mieux. Bien entendu, il fautencore se casser la tête pour mettre çaen scène. Il faut surtout se casser latête pour savoir comment faire unmissile pour faire péter une bonne foisla connerie du standard à la mode...Qu’est-ce que je dis ? Mettre noscollègues au pas de ce dont il s’agitdans la psychanalyse.

Deuxième coupe subjective. Lesujet, en tant que moins-un, considèrece que fait le couple des deux autres.Comme je l’ai expliqué, A considère Bet C, et pour A, le sens de ce qu’il voit,c’est que B regarde si C s’en va, et Cregarde si B s’en va.

Finalement, c’est, dans laparenthèse de la perspective de A, lamême situation que celle que l’ontrouve lorsqu’on a deux prisonniers. Àsavoir, quand vous voyez que l’autreest blanc, vous attendez de voir s’ilfiche son camp tout de suite, auquelcas vous saurez que vous êtes noir. Et

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s’il ne fiche pas son camp tout de suite,vous saurez que vous êtes blanccomme lui.

Donc, là, dans la parenthèse duregard de A, ce qu’il y a c’est : Bregarde C, et C regarde A. Momentessentiel pour l’homme. C’est pour çaque vous avez beaucoup d’endroits,des endroits innombrables, parexemple les Cariatides, il y en a une làqui regarde l’autre des siècles, commeça. C’était déjà comme ça chez lesGrecs, jusqu’à ce que les Turcs fassentsauter le Parthénon (rires), sans ça onn’aurait pas réussit à les arracher.Parce que chacune regarde l’autre, etcomme ils n’ont pas lu le Tempslogique, ils ne peuvent pas bouger.Parce que sans ça les statues semettraient à se mouvoir. Le Tempslogique, c’est un truc à faire bouger lesstatues.

Donc, si C ne part pas, B doit partir,si B ne part pas, C doit partir, et alors Apourra partir après eux, sachant qu’ilest noir et que les autres sont sortis enpost-subito, et lui pourra sortir en postpost-subito, comme je disais la dernièrefois.

Donc, le jeu, ici, c’est : si l’autre nes’en va pas, je m’en vais, et l’autreaussi, et réciproquement. Alors là, quelest le sujet en question ? Qui est l’effetde la structure signifiante : regardez ceque l’autre fait ou ne fait pas pourpouvoir faire quelque chose ? Ça, c’estune structure logique, un moment duprocessus logique, qui détermine uncertain statut du sujet, à savoir le statutdu sujet dédoublé, du sujet duel, où l’onne regarde pas les disques, on regardel’autre, ou les autres, s’il y a plus demonde. On est donc là, en effet, dans lasituation duelle, que Lacan écrira plustard et simplifiera a-a’.

a àLà, c’est un autre moment du Temps

logique qu’on a mis en scène. Je vousamenais les Cariatides. D’ailleurs, est-ce qu’elles se regardent, celles quirestent ? Je ne crois pas. Ellesregardent en face. Elles évitent laGorgone de l’Autre. Elles regardent

bien en face, celles qui restent, là, dansle petit temple de l’Acropole.

C’est ce qu'exploitent, par exemple,les frères Marx. Je crois qu’il y a un desfilms, je ne sais plus lequel, où Harpose retrouve devant le miroir. Il ne sereconnaît pas. Il lève la main, et il apeur parce que l’autre fait ça. Il revient,et puis, petit à petit - j’invente, parceque j’ai complètement oublié - et puis,à un moment, il s’aperçoit que l’autrefait exactement ce qu’il fait, alors, il faitça : je suis moi. Il doit y avoir une autrechute, et ce n’est peut-être pas du toutchez les frères Marx. Si ça n’a pas ététourné, il faut le faire.

C’est donc là : on a peur de l’autredans le miroir, on est deux… Etd’ailleurs, ils sont deux, de puredifférence numérique. L’un est les piedssur terre et l’autre est dans le miroir, çafait deux. Ça, ce sont en quelque sortedes sujets de pure logique aussi. Maisenfin, avec la représentation imaginaire,on fait ce qui est de l’ordre… ça çanous représente scientifiquement : sefaire peur à soi même. Positionsubjective et d’une importance que l’onne saurait trop souligner.

Alors, ici, quel est le temps dontcette structure signifiante est affectée ?J’espère avoir fait assez le clown pourque vous voyiez que là le temps a unedétermination tout à fait précise, tout àfait différente de celle que l’onrencontre dans le premier exemple, quiest : là ce qui est fondamental de cetemps, c’est l’attente. Il faut attendre ceque fait l’autre. Et il faut attendre parceque la configuration logique comporte letemps d’attente. Vous n’attendez pasparce que vous êtes un misérableprocrastinateur. Vous n’attendez pasparce que vous attendez toujoursmieux. L’attente est strictementdéterminée par la composition dusignifiant.

Et donc, cette modulation du tempsqui s’appelle l’attente n’est pas untemps psychologique, mais un tempsstrictement déterminé par la structuresignifiante.

Donc, c’est attendre ce que l’autreva faire, grand, grand moment del’existence humaine, qui peut être réduit

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à l’instant d’un regard et qui peut durertoute une vie.

Le troisième, le moins-un de l’affaire,attend lui aussi d’ailleurs ce que vontfaire les deux autres pour savoir ce qu’ilpeut faire lui. Ça, ça a toujours étéprésent chez Lacan. Je n’ai pas vérifiéla référence à cause de mesoccupations de la nuit, mais je croisque, dans un des derniers de ses écritsépistolaires à ses élèves au moment dela dissolution, il a écrit : Je sais cequ’attendre signifie. Eh bien,maintenant nous le savons avec lui. Ilme semble que, quand Lacan a dit ça,ce attendre, c’était précisément l’attenteen tant que moment structuralementdéterminé dans le temps logique.

Cela nous éclaire aussi le tempspour comprendre. On croit que le tempspour comprendre de Lacan… Cela eudu succès la tripartition de Lacan, c’estdu temps pour comprendre ! mais bienentendu, moi il me faut beaucoup detemps pour comprendre Lacan ! C’estbien normal qu’il ait inventé le tempspour comprendre. Mais le temps pourcomprendre n’est pas le temps pourque s’accomplissent les processusmentaux, qui sont dans la bandedessinée de [Lil Abner ?] - cela ne vousdit pas grand-chose, je ne sais pas sielle se poursuit encore, on ne voit plusça -, célèbre bande dessinéeaméricaine qui se passe chez lesbouseux du Middle West, et,représentés comme tels, on fait rire laNation avec ça, et puis, quand là-bason a une idée, le dessin c’est : il y a untruc qui s’ouvre dans le crâne, unepetite fente, on voit l’idée qui rentredans le crâne, après on vousreprésente, vue par coupe, le cheminque suit l'idée dans le crâne, et hop ! ilse passe quelque chose. On voit çaaussi dans les dessins animés. Alors,on s'imagine que le temps pourcomprendre c'est ça, le temps qu’il fautque pour la petite pièce qu’on a misedans la fente finisse par produire uncertain nombre d’actions diverses, etc.

Pas du tout, pas du tout, du tout ! Letemps pour comprendre est constituéde deux moments. Petit a - ce n’est pasl’autre petit a -, petit a : le temps

d’attendre ce que l’autre va faire,premièrement. Petit b - vous notez ? -.Je rigole, mais je suis content d’arriverà cette décantation. Je peux mettremon énergie à représenter les chosesparce que la structure conceptuellesignifiante m’est enfin claire. Donc, jesuis content. Petit b : le temps deconstater que l’autre lui aussi attend ceque je vais faire. C’est ça qui fait letemps pour comprendre. Ce sont cesdeux moments-là. Et c’est ce queLacan dit, page 205, dans cette phrasebelle comme l’aube, enfin pas tout àfait !

Cette phrase belle comme l’aube,pour vous dire d’où ça vient, c’était, simon souvenir est bon, une phrased’Althusser, dans un de ses articles –un article antique -, où il célébrait undicton, apparemment assez plat, deMao Tsé Toung. Et, dans un de sesmoments d’élation, il avait écrit cettephrase : pure comme l’aube. Et donc,c’était devenu, entre les potaches quenous étions, élèves d’Althusser, laplaisanterie : oh ! ta phrase est belle, etpure comme l’aube. bon, cela m’estrevenu. Page 205 : « L’évidence de cemoment suppose la durée d’un tempsde méditation que chacun des deuxblancs doit constater chez l’autre. »C’est là que l’on voit qu’évidemment ilfaut le petit a et le petit b.

Le temps pour comprendre, ce n’estpas simplement : minute papillon, jeréfléchis ; je suis dans mon temps pourcomprendre, où ce serait justementpurement solipsiste, comme on ditquand on a lu le vocabulaire de lalangue. Ou je serai uniquement affairéde ce qui se passe dans ma cafetière,comme je l’appelai. C’est : jecomprends que l’autre attend commemoi ce que son autre - c’est-à-dire moi– va faire.

Et là, dans la phrase de Lacan,évidemment, il emploie le mot constatermais il emploiera plus tard le motcomprendre, et c’est plutôt pour desraisons stylistiques, me semble-t-il, quedans la phrase on trouve constater.Évidemment, c’est entre deux, entre ladurée et la logique, que ça se situe.

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Alors, le troisième, le moins-un quiconsidère les deux autres, lui aussiattend que s’accomplisse le temps pourcomprendre des deux autres. Lui aussiil attend. Il attend de voir s’ils vont sortiren post-subito ou pas. C’est-à-dire B etC attendent de voir si l’un ou l’autre vasortir en subito, et le petit malin demoins-un, qui sait qu’ils ne pourront passortir en subito parce qu’ils sont tousles deux blancs, donc ils ont au moinsun blanc dans le collimateur, lui, ilattend de voir s’ils vont sortir en post-subito. Et, comme dit Lacan : « Cetemps - le temps où le moins un attendles deux autres - ce temps ne diffèrepas logiquement du temps qu’il lui afallu pour comprendre lui-même lasituation. »

Autrement dit, le temps pourcomprendre, ça a simplement un crande plus chez le moins-un qui va devoirvérifier… Les autres doivent vérifier lesubito et lui il doit vérifier le post-subito.Mais ça continue d’être logiquement dutemps pour comprendre, c’est toujoursdu temps d’attente, d’une attentestructurale.

C’est pour ça que ça ne diffère paslogiquement. Cela peut différer endurée, bien sûr. Cela peut différer de ladurée du post-subito au post-post-subito, mais cela ne diffère paslogiquement parce que son temps, là, ala même modulation temporelle del’attente.

Donc, s’il est noir de fait, les deuxautres n’ont pas besoin de le supposernoir, donc ils peuvent conclure avant lui.C'est-à-dire qu’ils sortiront post-subito,et, comme il n’y a pas de divisionobjective du temps, Lacan dit : il ledevance d’un battement de temps.

C’est-à-dire, la différence n’étant pasmarquée objectivement entre les tempsdu raisonnement par la clochette ou leround, comme il n’y a pas de différenceobjective des temps du raisonnement,tout ce que l’on peut dire, c’est : ilssortent avant lui. C’est ça qu’il attend devoir s’ils vont sortir avant lui.

Donc, ici, la modulation temporelle.Le temps logique impliqué par laconfiguration signifiante, par la chaînesignifiante précise qu’il y a à ce moment

là, c’est l’attente. C’est ça que Lacanappelle le temps pour comprendre.

Troisième coupe subjective : lemoment de conclure. C’est là que lesAthéniens s’atteignirent. Le moment deconclure, c’est le moment où se produitune inversion de modulation temporelle,c’est-à-dire où l’attente s’inverse enhâte, en urgence. Et ça tient à ce que,ce que j’ai fait passer vite là, mais cesur quoi il faut s’arrêter, tranquillement,simplement sur la proposition suivante,merveilleuse, pure comme l’aube : s’ilsne sont pas sortis avant moi, alors jedois sortir. Tout est là. Il faut biencomprendre ça.

D’abord, ici, quel est le sujet, relatif àce moment de conclure en post-postsubito ? Le sujet, c’est un sujet, cettefois-ci, de la concurrence, de la rivalitéavec l’autre, comme il se passaitd’ailleurs dans la petite parenthèse.

Quand il y a des temps objectifs,c’est-à-dire quand on marque les tempsdu raisonnement par la petite clochette,le round, etc., là, il y a attente. Vousvoyez l’autre blanc, pour savoir si vousêtes noir ou blanc, vous attendez desavoir si l’autre sort ou pas. Le premiertemps, et après vous savez, s’il n'estpas sorti, c’est que vous êtes blancaussi, s’il est sorti, c’est que vous êtesnoir.

Donc, l’attente existe même quandles temps du raisonnement sontobjectivés. Quand les temps sontobjectivés, au premier temps, si vousêtes deux, l’autre est blanc, premiertemps, vous attendez, deuxième temps,vous sortez tranquillement. Vous savez.Le fait qu’il est resté au premier tempsfait que vous avez votre conclusiondans la poche, in the pocket. Et donc,vous sortez, tranquillement, en sachantce qu’il en est. Vous sortez avant que lapetite clochette retentit, mais vousn’avez pas à vous inquiéter ! Vous êtestranquille, vous avez votreraisonnement.

Quand les temps ne sont pasobjectivés, alors là, c’est une autreaffaire. Bien sûr, il y a l’attente, le tempsd’attente est toujours là, mais il y a untemps, une modulation temporellesupplémentaire qui s’introduit, que vous

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n’avez pas du tout quand les tempssont marqués objectivement.

Il s’introduit une concurrencetemporelle. L’autre sort-il avant moi ?Les deux autres sortent-ils avant moi ?J’attends de voir. Ah ! s’ils ne sont passortis avant moi, alors je dois sortir. Jedois sortir, parce que, si je ne sortaispas, ils me devanceraient, ils sortiraientavant moi. Je vais vous détailler ça.

Quelle est la prémisse duraisonnement ? Là, nous avons unraisonnement, une implication logique,si… alors, d’accord ? Quelle est laprémisse du raisonnement ? C’est : ilsne sortent pas avant moi, et laconclusion c’est : je sors. Tout le ressortdu Temps logique, qui m’échappait àcerner, qui m’échappait de bien dire,tout le ressort joue là-dessus. C'est-à-dire que le moment de conclure, ausens de Lacan, suppose uneconfiguration logique, une structuresignifiante d’implication, que l’on peutreprésenter par l’implication logique, oùla conclusion a une incidence sur laprémisse.

La prémisse, c’est : ils ne sortent pasavant moi. J’essaye de l’expliquer, c’estpour ça que je me dis que je dois y être.Je ne sais pas si, vous, vous allezsaisir, mais je dis que je pourrais mêmel’expliquer à Quine comme ça – et qu’ilne pourrait pas s’en tirer avec ses trucshabituels, et qu’il ne dirait pas : onamène des tas de saloperies dans leraisonnement logique, allez ôtez-moi çaet laissez-moi tranquille. Non ! priscomme ça, même lui - enfin, j’imagine,c’est un interlocuteur. La valeur devérité de la prémisse, à savoir ils nesortent pas avant moi, dépend del’effectuation de la conclusion, parceque, si je ne sors pas, ils seront sortisavant moi. D’accord ? C'est-à-dire lavaleur de vérité de la prémisse dépendde la valeur de vérité de la conclusion.C’est quelque chose comme ça qu’ilfaut pour représenter le moment deconclure.

V V

On se représente ici l’axechronologique, ici le moment de laprémisse : ils ne sortent pas avant moi.Admettons que ce soit vrai. Alors, aumoment de la conclusion, je sors. C’estvrai aussi, mais, si je ne sors pas, alorsils seront sortis avant moi. Autrementdit, si je ne sors pas, ça devient faux.

F VAutrement dit, dans ce cas-là,

lorsqu’on est en présence d’une bouclesignifiante de cet ordre, entre prémisseet conclusion, lorsqu’on installe unesaloperie pareille, un mécanismerétroactif entre prémisse et conclusion,à ce moment-là on ne peut pas attendrepour conclure. Quand on installe cettemachine, cet homéostat temporel, cethoméostat qui fait une boucle entreprémisse et conclusion, on ne peut pasattendre pour conclure, et donc, quandil y a cette structure signifiante-là quiest installée, il se produit un effettemporel spécial qui est un effetd’urgence.

On peut même dire ça comme ça : laprémisse « ils ne sont pas sortis avantmoi, donc etc. », qui est fondamentaledans le raisonnement, cette prémisse,sa valeur de vérité est en suspensjusqu’à ce que je sois sorti. C'est-à-direque l’on peut même dire : dans l’axetemporel au départ, la prémisse « ils nesont pas sortis avant moi », la valeur devérité, on ne la connaît pas encore, lavaleur de vérité de « ils ne sont passortis avant moi » sera donnée par lefait que je vais sortir et qu’à ce moment-là ils ne seront pas sortis avant moi.

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V V C o n c l u s i o n

La valeur de vérité est en suspensjusqu’à ce que j’aie conclu, et à cemoment-là, une fois que j’aurai conclu,la prémisse à partir de laquelle j’aiconclu deviendra vraie. Ça c’estvraiment précis : suspendre la valeur devérité, c'est-à-dire seulementpressentiment de sa valeur de vérité,une position de la valeur de vérité sousréserve que je sorte. Là, cette prémissesera vraie à condition que je sorte et àce moment-là, elle deviendra vraiedéfinitivement.

Donc, là, on a un devenir vrai qui estsur la boucle rétroactive de conclusionà prémisse. Cela veut dire qu’ici laprémisse ne devient vraie que par laconclusion que l’on tire de la prémisse.Donc, c’est : la conclusion fait la véritéde la prémisse. Voilà ! on est dans uncadre où l’on agit en fonction d’unedonnée qui ne deviendra vraie que parce que l’on fera. C’est toujours trèsexcitant pour l’esprit, et donc, c’estjustement parce que c’est excitant quel’on a du mal à le déplier complètement.

Ça veut dire que si je ne fais rien, jene peux rien faire, mais ça le ditlogiquement. Ça montre pourquoi, si jene fais, je ne peux rien faire. Ça veutdire que c’est ma conclusion qui créeles conditions de sa propre vérité.

Ça, c’est la structure même del’anticipation, c'est-à-dire de ce queLacan met en valeur dans le titre mêmedu sophisme, la conclusion anticipée.Et la question est de savoir si l’on saitfaire des conclusions anticipées ou sil’on ne sait pas. Ça veut dire aussi quej’agis, quand c’est installé, cemécanisme-là signifiant, le sujet estdéterminé à agir en fonction de

7 vv veut dire valeur de vérité

données toujours incomplètes, c'est-à-dire en anticipant sur ce qui deviendravrai du fait de son action. Toutes cesbelles formules, au moins elless’appuient sur un fonctionnementlogique élémentaire.

Autrement dit, nous avons enfonction ici - je le mets ici - un Autre quiest incomplet - c’est l’ensemble desdonnées, le savoir préalable -, qui estincomplet, et qui, en tant que tel, nepermet pas de conclure. Incomplétudede l’Autre.

VVA

Parce qu’il comporte un élémentindécidable, à savoir cetteprémisse « ils ne sortent pas avantmoi », un élément indécidable donc, ici« est-ce que c’est vrai ou est-ce quec’est faux ? », un élément indécidabledont je déciderais de la vérité par maconclusion. Et donc, voilà ce que Lacana inventé, une conclusion qui décide.Au fond, c’est la libération desconclusions. D’habitude, lesconclusions sont prisonnières, commeles trois prisonniers. Les conclusions,qu’est-ce que vous voulez, lesconclusions en ont assez. Elles onttrouvé avec Lacan le mouvement delibération des conclusions. D’habitude,les conclusions sont esclaves. On dittoujours : elles suivent, les conclusionsvont suivre, et on considère que lecomble de la conclusion, c’est laconclusion automatique, celle qui n’arien à dire. Allez, à la queue commetout le monde !

Au contraire, Lacan a montré - ah ! iln’a pas inventé comme un poète, il fautvoir comment les poètes inventent -, il ainventé la structure signifiante quicomporte la conclusion anticipée, c'est-à-dire la conclusion qui n’est pasesclave. C’est la conclusion du type quicomble le manque de l’Autre, ou disonsmême la conclusion qui se produit dans

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le manque de l’Autre, et qui vientajouter le signifiant qui faisait défaut.

C’est alors que l’on peut dire : tu aseu raison, mais tu as eu raison, non pasparce que tu as contemplé l’Autre pourdire : tac tac, voilà la conclusionautomatique de ce que je dois faire, tuas eu raison parce que ton action amême comblé l’Autre, le grand Autre, lesavoir préalable, ta conclusion s’estajoutée après coup au savoir préalablepour faire que ton action était vraie etindiquée. Attention ! il ne faut pas queles conclusions se mettent à partir danstous les sens maintenant, parce qu’onn’en sortira pas. Attendez, conclusions !Une conclusion anticipée, quand mêmebien élevée, une conclusion anticipée àla Lacan n’est pas une conclusionaventurée. Ce n’est pas n’importelaquelle, et puis on verra bien. C’estune conclusion qui dépend del’exploration de la structure de l’Autre,qui dépend de la structure signifiante del’Autre.

Une fois que j’ai exploré cettestructure, j’anticipe que mon acte seravalidé par mon acte. J’anticipe que maconclusion sera validée par maconclusion elle-même, via la prémisse.

Évidemment, dans ce cas-là, il y ace qu’on peut appeler, dans le langagede l’idéalisme transcendantal, une auto-position de la conclusion. C’est laméthode de Cyrano de Bergerac pouraller dans la lune : je me mets sur ça, jeme tire par les cheveux, et après jecontinue, et ainsi de suite.

C’est une auto-position de laconclusion. Cela veut dire - pour leprendre dans le détail - : si je neconclue pas de fait, en anticipant, je nepeux pas conclure de droit. Et donc,bien sûr, il y a un clivage ici, il faut queje conclue de façon anticipée pourpouvoir conclure de façon confirmée,c’est ce que met en valeur le sophisme.Donc, il y a bien deux statuts : conclurede fait, obtenir la validation après-coup.

La traduction temporelle de cettestructure signifiante, c’est l’urgence.C’est-à-dire je ne peux pas attendre,sinon ils seront sortis avant moi. Etdonc, cette boucle, dans le cas de cesophisme, comporte l’urgence. La

structure même du signifiant fait que laconclusion ne peut être produite quedans l’urgence, sinon elle ne peut pasl’être.

Autrement dit, ici, ce n’est pas uneurgence : je me dépêche parce que j’aipris un rendez-vous trop tôt, oul’enseignant traîne trop. Ce n’est pas dutout ça. Ici l’urgence, la hâte estprescrite par la structure signifiante elle-même. Et donc, il y a du manque dansle signifiant, en effet, et la hâte de laconclusion est ce qui vientsupplémenter le manque signifiant.C’est en quoi la hâte a le statut d’unobjet petit a.

Voilà ce qu’est le moment deconclure au sens de Lacan. Ce n’estpas qu’on a d’abord réfléchi dans sontemps pour comprendre et qu’à unmoment on se dit : il est quand mêmetemps d’en finir. C’est au contrairel’inversion subite, logiquementdéterminée, de l’attente en hâte, c'est-à-dire exactement la détente, l’inversionen détente - pas la relaxation -, endétente, qui est d’ailleurs ce que Freudvisait en disant, concernantl’interprétation, que le lion ne sautequ’une fois.

Bon. Moi, j’ai dû sauter six fois desuite, mais je pense que, quand même,cette fois-ci, le lion est abattu.

Alors, la fois prochaine ça sera pourmoi un peu de détente. Éric Laurent abien voulu accepter de venir parler dutemps logique dans un autre texte deLacan - je peux l’indiquer tout de suitepour que vous puissiez allez y voir -,dans son Hommage à MargueriteDuras, il y a des références au tempslogique, et c’est ce que nous amèneraÉric Laurent la prochaine fois, puisqu’ilest en train de travailler ce texte. Doncamphi T accès 11, au rez-de-chausséela semaine prochaine.

Fin du Cours XVIII de Jacques-AlainMiller du 17 mai 2000

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LES US DU LAPS

Jacques-Alain Miller

Dix-neuvième séance du Cours

(mercredi 24 mai 2000)

XIX

Eric Laurent va donc nous entreteniraujourd’hui du temps logique dans lepetit écrit de Lacan, qui est intitulé« Hommage fait à Marguerite Duras duRavissement de Lol V. Stein ». « Leravissement de Lol V. Stein » est le titred’un roman de Marguerite Duras, etl’écrit de Lacan a été publié, sauferreur, en décembre 1955 dans lesCahiers Renaud-Barrault, qui étaient àl’époque publiés par la compagnie dethéâtre de Jean-Louis Barrault etMadeleine Renaud. On trouve dans cetécrit diverses allusions aux travaux deMadame Michèle Montrelay qui étaitune psychanalyste de l’EcoleFreudienne de Paris, élève de Lacan, etle roman de Marguerite Duras estdisponible dans la collection de pocheFolio, numéro 810.

Dans ce petit écrit, Lacan met enévidence une structure ternaire quinous illustre une variante des troisprisonniers, si l’on veut, si Eric Laurentveut, un homme deux femmes. En effet,la structure de base est faite, si on veutla représenter sur le modèle de ce quej’avais proposé pour le sophisme souscette forme

S a

qui ici s’incarne avec despersonnages, une femme épie, fait leguet, considérant le couple d’un hommeet d’une femme. Lacan reconnaît dansle couple homme/femme considéré parla troisième, reconnaît là la structure dufantasme S barré poinçon petit a. Et àpartir de là, il définit ce qu’il appelledans cet écrit un être-à-trois, avec destraits d’union.

On y trouve une référence à ce sujetde pure logique qui est l’acteur dusophisme des trois prisonniers, uneréférence que l’on peut reconnaîtredans cette définition que Lacan inclutdans son petit écrit : « Un sujet estterme de science comme parfaitementcalculable ». Ne serait-ce que cettesimple phrase établit une relation avecla scène des trois prisonniers.

Je donne maintenant la parole à EricLaurent, qui, je crois, laissera ensuite letemps, contrairement à moi, le tempsqui nous permettra de le commenter, etsi c’est plus long, on le fera la semaineprochaine.

Éric Laurent : ce texte donc difficileà trouver dans les cahiers Renaud-Barraut et publié dans Ornicar ?, ce quifait qu’il est donc, donc ce commentairedu texte de Marguerite Duras a étésollicité ou incité par Michèle Montrelay,mais Lacan connaissait Duras et soncercle depuis longtemps, ils avaientperdu de vue depuis un moment et ça aété sans doute l’occasion deretrouvailles, donc par l’intermédiaire dutexte.

Ravissement, le docteur Lacan s’yarrête d’emblée, puisque le terme esten effet un terme qui vient de lamystique. Le terme introduit à la fin duXIIIeme siècle, en français a expriméjusqu’à l’époque classique le faitd’enlever quelqu’un de force, valenceaujourd’hui réalisé aujourd’hui dans lerapt et en mystique, dans le contextemystique, le mot désigne une formed’extase dans laquelle l’âme se sentsaisie par dieu, comme par une forcesupérieure, à laquelle il ne peut résister.Et il s’est répandu ensuite, à partir duXIII°, dans l’usage commun, avec lesens affaibli, d’état d’une personne

7

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transportée d’admiration ou de joie. Eten particulier à partir de laRenaissance.

Au fond on voit dans l’évolutionmeme du sens du mot le trajetqu’évoque Lacan, on évoque l’âme,d’abord, avec ce ravissement, maisc’est la beauté qui opère. Et il vas’affronter à cette opération de labeauté, au long du texte de différentesfaçons. Cherchant non pas à faire duravissement de l’âme, de psuke dusymbole, mais la mettre en schéma, enlogique. Une logique subjective qui vaarticuler les temps du fantasme où lestemps d’ajointement du sujet et de soncorps. On pourrait l’appeler les tempsde l’âme.

Il y a d’emblée un doublemouvement qui va définir cetteapproche. Un nœud logique, si on peutprendre cette expression, se fait où à lafois dans un double mouvement, leravissement est expulsion du sujet deson corps, en meme temps que celuiqui assiste à ce mouvement se trouve,s’en trouve lui-même contaminé.

On trouve dans ce texte une série descènes en effet qui peuvent y figurer etc’est pour cela que je voulais présenterce texte et puis une fois que Jacques-Alain Miller avait présenté les temps dutemps logique avec cette représentationschématique il me semblait possible dereprendre cela pour aborder le texte làde 1965.

D’emblée la question est de savoirdans ce texte si le sujet se compte àdeux, ou s’il se compte à trois. Lacanévoque le lecteur qui essaye des’identifier à Lol dans un rapport duelle,qui cherche à la suivre, et à cet égardd’ailleurs le texte de Michèle Montrelayqui avait présenté un topo là-dessus auCours de Lacan, commence par ça,une identification en somme. Et il notequ’à deux, à ainsi la suivre, on la perd,aussi de moins s’identifier à la perte del’héroïne au fond on perd la structure dece qui se passe. L’un de nous deux est-il passé au travers de l’autre dit-il, et quid’elle ou de nous s’est laissé traversé.C’est une figure de rhétorique queLacan utilise dans d’autres textes, parexemple dans « La jeunesse de Gide »

lorsqu’il suit Gide dans les dédales dit-ilde l’abîme, enfin, du corridor où la morts’est engouffrée pour lui, et il évoque àce moment là les pas à mesure dequels pas filait sa marche et quelleombre jamais profilée que d’uneembrasure désigne la promeneuseredoutable, à ne jamais laisser quedéserte, cette pièce d’avance qu’ellegarde. Figure de rhétorique,magnifique, où le sujet est ainsi làencore ou bien devancé ou bientraversé par celui auquel il veuts’identifier, que ça n’est pas par cettevoie là qu’il est possible de suivre lechemin dans lequel l’œuvre nousentraîne.

Donc ce sujet à deux, il faut ledélaisser pour la forme à trois, pourl’etre-à-trois, le se compter trois. Cettefaçon de se compter trois se présentedans le texte de différentes façons. Ellese présente au moins de deux,fondamentales. La première donc, cellequ’a dessiné déjà au tableau Jacques-Alain Miller, c’est le sujet ou en tout cascelle qui se nomme Lol vit uneexpérience qui est une expériencecliniquement de dépersonnalisation.Elle voit donc le ravissement de deux,en évidence sous les yeux de Loltroisième. C’est ce que Lacan appellel’événement.

Ensuite, on entre dans une phasequi est à la fois de suspend, d’arrêt, unephase où s’enchaînent ou se nouentdeux choses. D’abord le fait que ce quiest détaché c’est que dans cettepremière scène où cette jeune femmeprésentée comme telle se voit souffléson fiancé par une femme, catégoriefemme fatale, catégorie on le précisec’est une mère, mais c’est une mère quia tous les oripeaux de la femme fatale,elle arrive et donc lui souffle, lui dérobele fiancé.

L o l

S a

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À partir de là il y a d’une part uneatteinte sur le système symbolique, uneatteinte sur l’Autre. Ce que Lacandésigne un peu plus tard forme un au-delà dont elle n’a pas su trouver le mot,elle franchit donc une limite et passedans cet au-delà dont elle n’a pas sutrouver le mot.

S m o t S ( A )

R o b e

2 )

C’est, en effet, le texte là de Duras lesouligne. Elle dit page 53, de monédition : cela aurait été pour toujours,pour sa tête et pour son corps leur plusgrande douleur et leur plus grande joieconfondus, puisque dans leur définitiondevenue unique mais innommable,faute d’un mot.

Un peu plus loin pages 54,55, elledit : Si Lol est silencieuse dans la viec’est qu’elle a cru l’espace d’un éclairque ce mot pouvait exister, faute de sonexistence elle se tait. Ce mot on n'auraitpas pu le dire mais on aurait pu le fairerésonner (raisonner ?) autant de façonen somme de décrire en effet ce quiserait le signifiant d’un manque de motsde l’Autre, la rencontre avec du sujetavec la dimension du mot qui manque àjamais. Une frontière donc là sefranchit.

Et d’autre part, il y a face à cetabîme qui s’ouvre se trouve cemanque, il y a un fantasme. Lacan dit :pour qu’un fantasme où Lol s’attache letemps d’après. Le fantasme dont lesupport est une robe et en effet c’est làencore suivre, disons suivre le texte deduras, qui page 55, décrit une foisfranchit la barrière décrit si l’on veut laprison extime où se trouve enfermé lesujet. Elle dit : Il aurait fallu murer le bal,en faire ce navire de lumière avec cestrois passagers - puis commencel’énoncé du fantasme de la robe - ill’aurait dévêtue de sa robe noire aveclenteur et le temps qu’il l’eu fait unegrande étape du voyage aurait étéfranchie. Il n’est pas pensable pour Lol

qu’elle soit absente de l’endroit où cegeste a eu lieu. Ce geste n’aurait paslieu sans elle – un peu plus loin – lecorps long et maigre de l’autre femmeserait apparu peu à peu et dans uneprogression rigoureusement ? ? etinverse, Lol aurait été remplacé par elleauprès de l’homme de ? ? Remplacépar cette femme au souffle ? ?

Là, ce texte est bien l’énoncé eneffet d’un fantasme, où la robefonctionne comme support, si on veutcomme support du calcul de la place dusujet. La robe fonctionne comme unesorte de disque mais de disqueparticulier, de disque qui n’a plus detopologie de disque, un disque qu’on nepeut pas contempler en paix.

Il est support, néanmoins, étoffe,mais il introduit dans sa contemplationmeme, il aspire le sujet, d’une façonparticulière et en change son statut.

Nous allons voir, Lacan décrit cettetopologie, mais c’est bien un fantasmeavec la valeur de motion suspensive,qu’a le fantasme dans sa statique,Lacan dit tout s’arrête. Et ce touts’arrête en effet recommence à jamaisest souligné par un certain nombred’artifices rhétorique dans le texte deduras qui cherche à transmettre lavaleur en effet de statique du fantasme,de stase, de toujours recommencer,dans l’opération qui se trame. Et cetteopération donc Lacan la résume, nousla qualifie, faisait un pas de côté parrapport au fantasme – n’est-ce pasassez pour que nous reconnaissions cequi est arrivé, ? ? et qui révèle ce qu’ilen est de l’amour, soit de cette imagede soi dont l’autre vous revêt, qui voushabille, et qui vous laisse quand vousen êtes dérobé quoi être sous.

Donc on a dans avec ce fantasmede la robe, disons l’opération parlaquelle le sujet et le corps disons seremplacent l’un l’autre, se recouvrent,un corps finit par en remplacer un autreou si on veut la robe remplace le corps.

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C o r p s C o r p s

S R o b e

C’est un corps particulier, c’est uncorps qui a une surface étrangepuisque ce corps dit Lacan est uneenveloppe qui n’a plus ni dedans nidehors et quand la couture de soncentre se retourne tous les regardsdans le votre.

Ce qui est central, pour définir cettetopologie du corps c’est la place ou laplace qu’occupe ou qui occupe l’objetregard. L’opération du regard, latopologie du regard qui se met enplace, est une topologie qui ne peut secomprendre sans référence à l’objet ouau cross-cap, tel que Lacan le résume,le présente, nous le présente dansl’Etourdit. on a une opération quicommence d’abord par le fait que ellen’est le centre de rien, ensuite, ducentre des regards elle va se retrouvétransformé en un non-regard, pendantque le regard passe lui à l'extérieur,tous les regards.

a) Centre des regardsb) Non-regardc) Tous les regards

Parce qu’en effet cliniquement àpartir de là, elle est décrite par l’auteurcomme cherchant, dans une sorted’errance, à récupérer du regard alorsqu’il est passé à l’extérieur dans lesgens qu’elle croise. Et Lol est décritecomme s’isolant et puis ensuite aprèsune péripétie, au contraire, accentuantsa déambulation, sa marche récupérantle regard qu’elle prélève.

En ce point elle a franchit disons lesrapports qu’entretiennent d’habitude leregard et l’image, puisque le stade dumiroir définissait un ajointement entrel’être vu et le corps, décernait un corpsqui faisait contenant, qui faisait boite àregards. Alors que là au contraire son

corps se trouve dépossédé du regard,pour qu’elle trouve à l’extérieur.

Alors l’opération, c’est une opérationde type moebius, envers endroit, zoneen une seule surface, le tout monté sursoit un disque, soit une sphère, pourque ça fasse cross cap plutôt

la façon dont la bande de moebuisest montée sur une sphère et donneune figure, que je dessine mal, maispeu importe, une figure d’une mitre, ilfaut imaginer pour ceux qui ont vu dansles musées comme ça une mitre,

Voilà c’est cet objet là où l’ouverturea une structure de bande de moebuis etle point de croisement entre l’envers etl’endroit se trouve ici figurémaladroitement.

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C’est ce que donc dans l’Etourdit,Lacan dit ainsi – une surface déjàpiquée d’un point que j’ai dit hors ligne,de se spécifier d’une double boucle,cette surface on peut qu’elle est faite deligne sans point, par où partout la faceendroit se coud à la face envers. C’estpartout que le point supplémentaire,celui qui est là, c’est partout que lepoint supplémentaire peut être fixédans un cross cap.

Alors c’est ce qu’il rend compte dufait que avec la topologie du regard onne peut pas se tenir dans la vision depure logique, qui était celle des troisprisonniers. Une fois que le sujet nepeut plus regarder ni être regarderaprès avoir été le centre de regard etavoir tout perdu, il ne peut plus êtreregardé il lui reste la vision, il devientpas aveugle pour autant, mais cettevision néanmoins la prive du regard quirevient à ce moment là de l’extérieurpar cette opération, disons topologique.Et il y a donc dans ce deuxièmemoment, moment d’articulation du sujetau regard, à un fantasme, moment destatique, on a ce moment doncisolement puis déambulation à traversla vie. C’est un deuxième point. C’estaprès que dans un troisième temps, ona la mise en place d’une scène danslaquelle le sujet Lol va en effet observerencore deux autres, un autre couple ? ?qu’elle a vu, une amie et justement quiétait là, donc une sorte, ouvertement undouble d’elle-même, elle était là lors dela scène un, et l’amant de service de lapersonne en question, dont on nous faitcomprendre que c’est une habitudechez elle de, enfin d’avoir un amant àses côtés et donc il y a un côtéprésenté comme interchangeable, quiorganise la scène de Lol.

Alors à la fois le roman se débrouillepour nous montrer que tout est agencépar Lol, qu’elle a repéré le coupled’amants, qu’elle ensuite, qu’elle varetrouver, qu’elle a reconnu la Tatianaet qu’elle va la chercher chez elle,qu’elle va s’introduire, se mettre sous lenez d’elle meme et de l’amant de lafaçon à être connu d’eux. et c’est aprèsêtre connue qu’elle, enfin, après elle lesavoir repéré qu’elle se fait reconnaître.

Mais donc elle répète d’abord le guetpuis se fait connaître et c’est là dans,disons dans cette mise en scène queLacan se refuse à situer commerépétition. Ça a tout son intérêt puisqueça vient juste après le Séminaire XI, oùil vient de différencier transfert etrépétition. Et là il refuse de considèreque la scène deux est répétition. Il ditc’est un nœud c’est quelque chose quise referme. Ça n’est pas quelque chosequi se répète mais qui se referme, il sefait quelque chose. Plutôt non pasrépétitions signifiantes mais il seprésente un objet, il y a de lajouissance qui se localise.

On verra d’autres sens que la chose peutavoir. C’est là que dans disons cetteréédition pas répétition, cette réédition dansce nœud qui se refait, dans cetterécupération du regard, qu’on va voir, c’estlà s’introduit en dérivation un autre ternaire,puisque celui ne concerne pas Lol il y aimmixtion du temps propre, de latemporalité propre, du ternaire qui est celuidu brave garçon de l’affaire, enfin, del’homme de l’opération Hold.

L o l

S a

Il joue le rôle de l’homme, de l'hommequi passe son temps à voir et être vu maisqui n’y voit que du feu. Et d’abord il estprésenté comme, Lacan dit il occupe surtoutla place du sujet, c'est-à-dire il est la placedu lieu de l’angoisse. Puisque jusque ici cequi est frappant, c’est qu'en effet Lol seprésente hors angoisse. Il n’y a, elle est horssouffrance, hors angoisse, hors corps.L’opération de dépersonnalisation qui a eulieu à la scène un effectivement la laisseainsi.

Le temps du sujet, il y a d’abordsangoisse lorsqu’il aperçoit en face eneffet de la chambre où il va coucheravec sa maîtresse qui n’est pas encorelà, il aperçoit Lol, qui s’est présenté à luide façon à ce que il la reconnaisse. Etelle fait beaucoup d’efforts.

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Ça angoisse, parce qu’au fond il sedemande, voire même il panique, letexte de Duras, Lacan le suitparfaitement. Premier temps, angoissevoire panique. Deuxième temps, il serassure en imaginant qu’elle le voit,c’est-à-dire qu’il invente un temps deréciprocité.

Là c’est un temps de dissymétrie, etlà, c’est un temps de, il imagine cetemps de réciprocité. Au fond, il a, serestitue une image, sous le regard dece qui l’inquiétait. Il se trouve d’abordsous le regard de quelque chosecomme la mante religieuse, et ? ? ?. Làil imagine qu’elle le voit et troisièmetemps, c’est là, où donc son fantasmeopère, c’est qu’il donne à voir.

Dissymétrie

1) Angoisse

2)Réciprocité

3) Donne à voir

présente le regard

Et, on va voir, il donne à voir, soit ilprésente le regard. Il donne à voir,c’est-à-dire en se demandant au fondce qu’elle lui veut, l’interprétation qu’ildonne c’est : elle veut donc la voir elle.

Et, il montre à la fenêtre donc, ? ? ?puisque justement, dans la scène où ilss’étaient rencontrés, Lol avait donnédes indications sur la fascination qu’elleavait de la nudité ?.

Ça n’est pas du tout une opérationde type madone de Dresde (à vérifier),ça n’est pas du tout la fascination sur laféminité en tant que formeharmonieuse, en tant que forme établie.C’est précisément, c’est centré sur lanudité.

C’était un point, la nudité, d’où onpeut dire à l’envers, elle est, d’où Lol

est vue. Alors, au fond, d’un schéma oùon a la vision, qui est en jeu, il y a unebascule, une fois que il y a cetteimmixtion du fantasme proprement deLol et sa fonction. Elle est vue à partirde là, c’est le regard.

Lol, au fond, se retrouve dans laposition. Ce regard c’est si l’on veut lanudité,mais c’est aussi bien le point oùelle, est prise. Et, de ce point où elle nevoit rien, d’où elle est vue, de cetteénigme de la féminité, là au sens de cequi n’a aucune forme. Et il y a ledédoublement, entre un je pense et unje suis, selon, disons, les termes queLacan avait mis en place dans leSéminaire XI, ou dans la logique dufantasme.

Le je pense c’est, au fond, commeprothèse, comme ego, son je pensec’est Hold, qui se retrouve narrateur duroman,

H o l d T a t i a n a R e g a r dN u d i t é j e p e n s e j e s u i s

mais, dit Lacan, pris dans cet espècede je pense, de mauvais rêve qui fait lamatière du livre. Le livre en effet abeaucoup de procédés, qui sont del’ordre des procédés du rêve. L’aspectcourir, ne pas trouver, ne pas pouvoirbouger, le ralentissement, l’étrangeté,enfin, il y a là des procédés rhétoriquesqui donnent en effet à tout le livre uneatmosphère, dit Lacan, de mauvaisrêve.

Et, il y a le je pense dont se trouveaffublé le narrateur, pris dans cettetonalité de l’enfer, et sa conscienced’être, la conscience d’être ici, c’estcelle de Tatiana, qui se retrouve l’objetde cette pensée là.

Alors, c’est là si on veut le troisièmetemps, le troisième temps qui impliqueune bascule par rapport, il faudrait ledire le temps, non parce que letroisième ça serait ça. Je dirais plutôtquatre, on en est là, où c’est vu duregard, où la mise en place de cet être

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à trois avec un je pense, un objet et Lol,si on veut le corps de Lol, cet être àtrois, qui nous présente un équilibreprécaire, parce que l’équilibre précaire,va se rompre lorsque, au lieu de passerson temps à ce qu’il doit faire, c’est-à-dire lui montrer le regard, donner à voiret présenter le regard, au lieu des’occuper de l’objet, Hold se met às’occuper de Lol elle même. Et il veutessayer de la comprendre. Et il laramène donc, dans les lieux où ont eulieu la scène un, qui l’accompagnecomme une sorte d’ego de suppléance,en commentant, en faisant un discours,qui accompagne, et il pousse donc lesoin jusqu’à souhaiter lui faire l’amour,mais dans une étreinte qui est del’ordre du soin. Et effectivement, au lieude s’occuper de ce dont il doits’occuper, l’objet, il s’occupe côté sonje pense se rapproche du corps de Lol,à ce moment là déclenchement. Et on ala folie, alors que jusque là ça tenait,dans une prothèse fragile mais quitenait, on a à ce moment là la bascule,et qui est la sorite disons de la prisonextime, en laquelle jusque là sedéplaçait Lol, prison d’uneremémoration immobile, eh bien il y atraversée.

C’est, les différents temps, donc,alors je voyais effectivement desparentés avec les trois temps dusophisme des prisonniers, revu par leregard. Premier temps, là. Deuxièmetemps, le temps du fantasme et de sastatique. Troisième temps dynamiquedu fantasme, avec en trois temps, etpuis donc dernier temps, cet être à troisqui est vraiment un des plus proche dela conclusion, enfin disons c’est untroisième temps instable, puisque là ilsuffit d’une motion dans le mauvaissens, de celui qui est dans cetteposition, ambiguë du je pense, unemotion dans le mauvais sens pour quela conclusion se fasse du mauvais côté.

Alors on pourrait dire, qu’il y aencore une sorte de fantasme dans lefantasme, avec cette introduction de laparenthèse Hold qui se trouve chargerde la dynamique du fantasme quand,avant les choses sont statiques. Il y a

encore des emboîtements qui sont àdistinguer.

Il y a encore un emboîtementsupplémentaire, c’est l’emboîtementsupplémentaire du ternaire, que Lacandésigne comme le ternaire entre lelivre, l’œuvre, l’auteur, Duras, et Lacan,l’interprète. Là encore dans ce ternaireLacan prend des précautions infiniespour dire qu’il ne s’occupera pas de lapsychologie de Duras, qui est trèsméritoire, puisque quand même c’estcelle à trois, Lacan sans doute devait lesavoir par un biais ou par un autre, étaitla matière même de la vie érotique deMargueritte Duras. Et Duras, madameDuras, peut s’étendre là-dessus tant etplus, mais donc avec beaucoup de tactLacan ne touche pas à ce point, et, parcontre, définit l’opération analytique, aufond définit, c’est un texte à cet égardprogrammatique, ce que devrait êtrel’interprétation psychanalytique sur letexte, qui est précisé dans des bornesde méthodes. Premièrement introduireun sujet en tant que calculable, et là onvoit la façon dont c’est défini.Deuxièmement ne pas apporter lesdispositifs techniques qui apparaissent,ne pas les rapporter à une névrose, ouà une forme clinique d’emblée, maissans l’instruire.

Le point va plus loin, puisquel’opération que Lacan définit, estarticulé entre, disons, savoir et pensée,c’est le point, de même que c’est entresavoir et pensée.

L’artiste dit-il a un savoir, qui nes’encombre pas d’une pensée. Et queau fond d’avoir ce savoir, particulier, ilpourrait, lui, lui en restituer la pensée.C’est ce qu’il, donc, il dit restituer un jepense. Mais le problème c’est de nepas, dit, la pensée même où je luirestituerais son savoir, ne sauraitencombrer de la conscience d’être dansun objet. Donc, la pensée même où jelui restituerais son savoir, c’estexactement ce qu’il a fait, puisqu’il arestitué la pensée d’où le supposésavoir de l’artiste, puisque la manœuvreanalytique consiste à mettre l’artiste enposition de supposé savoir, ça ne veutpas dire pour autant se mettre àgenoux, que l’artiste soit supposé

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savoir n’implique nullement ensuite desévanouissements généralisés, des ilsait mieux que nous, etc. il suffitsimplement, rattrapé par la pensée, etpar ce dispositif, quelque chose de cesavoir qui était supposé.

Mais il faut procéder de telle façon, àce qu’on ? ?pas l’encombrer de laconscience d’être dans un objet. Et il ditd’ailleurs il n’y a pas à s’en faire,puisque si la sublimation est réussie ensomme, cet objet elle l’a déjà récupérépar son art.

Au fond ça met à l’abri du typed’effet ce que qu’avait produit on le saitSartre commentant Genet. Il avaittellement bien commenté Genet, que çaavait coupé le sifflet à Genet, qui avaittrouvé que c’était dégoûtant de lecommenter comme ça. Au fond qu’ill’avait enfermé dans un objet, il en avaitfait une vie sartrienne, et ensuite Genetavait beaucoup fait d’ailleurs pour bienmontrer que c’était pas du tout commeça, et que sa vie ça avait rien à voiravec ce que Sartre avait dit. Mais ils’était retrouvé enfermé dans. Lacanavait dit à cet égard que elle va pas êtreencombré dans un objet puisque cetobjet est déjà récupéré.

Et, c’est là une conception en effetde la sublimation, une théorie là queLacan amène, théorie de la sublimationen général, si l’on veut opère non pasune assertion de certitude anticipée,mais une sorte de récupérationanticipée de son objet, puisque il l’adéjà récupéré par son art, avant quecela soit vérifié par l’interprétationanalytique. Puisque au fondl’interprétation de Lacan vérifie qu’elle aen effet récupéré l’objet, puisquedémontrant la place de l’objet regard etla façon qu’il emporte.

Alors, cela, cette théorie là de lasublimation, que Lacan amène, et quifait que toute la fin disons de l’article engénéral est lié à la théorie que Lacanvient de mettre en place dans leSéminaire XI et au fond Jacques-AlainMiller dans son article sur « Lesparadigmes de la jouissance »,souligne que dans le Séminaire XI uneopération particulière a lieu, que grâceà l’aliénation séparation Lacan

récupère, remet en marche lasignificantisation de la jouissance, quiavait été celle du paradigme un.

Au fond, le fait que Lacan ramène là,d’une théorie générale de la sublimationet la façon dont l’analyste peutinterpréter dessus, ça confirme, disonsça s’inscrit dans la ligne de ceSéminaire XI. Dans lequel l’inconscient,quelque chose de l’inconscientfonctionne comme le corps et qu’aufond à mettre en place le dispositif, cedispositif quasi, enfin quais logique, quemet en place l’artiste, pour récupèrel’objet qui peut se perdre et bien il eststructuré de la même façon que lapulsion. Ce qui donne une satisfaction àl’artiste, qui lui est particulière.

Et là, Lacan embraye dans unecomparaison entre, qui en veut deuxmodes de la sublimation. Lasublimation telle qu’une homonyme deMarguerite Duras, Marguerite deNavarre, a déployé, et puis celle deDuras et là c’est en effet la poursuite dela même opération, de la mêmeopération disons que le Séminaire XIavait mis en place. Qu’est-ce donc quel’Heptaméron de Marguerite de Navarrepuisque Lacan y fait référence.

D’ailleurs Marguerite de Navarre çatombe très bien avec Duras, Duras estun pseudonyme des terres de la familleet Duras a fait partie à un moment de laNavarre. Et donc Marguerite deNavarre, Reine de France, sœur plusexactement du roi de France, et Reinede Navarre, Marguerite a écrit cetouvrage à une époque, qui d’ailleurscontemporaine en français del’introduction du terme de ravissement,puisque ravissement est daté de 1553dans ses emplois, et c’est exactementla période dans laquelle Margueriteécrit son texte. Elle s’était en effet àécrire, elle qui était mystique,passionnée par les débats autour de lareligion nouvelle, passionnée par lecercle des réformés, Lefèvre d’Etaples,etc., donc elle s’était mise à écrire, misen éveil dit Lucien Febvre, par latraduction de Boccace en français,Boccace Bocacio, n’est-ce pas,qu’achève Antoine Le Masson (àvérifier) qui est publié en 1544. Bon. Il

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a, il veut écrire un Décameron, unDécameron français mais qui sedistinguerait du Décameron italien parun trait, le Décameron est écrit deuxsiècles avant n’est-ce pas mais c’est latraduction de, qui se produit au mêmemoment.

Après que la France ait étéintéressée à l’Italie par un certainnombre d’invasions diverses. Et le traitde différence c’est qu’il ne contiendraitpas de nouvelles inventées, mais rienqui ne soit une véritable histoire. Etdonc le projet était de réunir d’abordautour de François 1er, de réunir dix descourtisans de la Cour les plus éminent,garçons et filles, enfin dames etmessieurs, que chacun en auraientchoisi dix et qu’avec tout ça s’en auraitfait cent, qui auraient donc été le projetde recueillir des histoires de couplesvraies, des histoires d’amourcontemporaines, et le projet était mêmed’en bannir les poètes et écrivains, pourêtre bien sur que ce soient des histoiresvraies, que ce soient des histoires decourtisans, au sens ça ? ?.

Ce projet bien sur, étant que lecourtisan a beaucoup de qualités maispas celle de la persévérance et dutravail, ce projet passe dans les sablesmais il est poursuivit par elle touteseule, qui se charge du projet, quidevait être celui de la Cour de France,et elle réussit pas tout à fait à enrecueillir autant mais presque, quiseront publiées après sa mort.

Et là, Lacan se sert de ce recueil quiramasse des histoires vraies et les meten série, des histoires d’impasse dansl’amour, pour interroger plus loin cequ'on appelle sublimation. Et il opposela convention technique de l’amourcourtois à ce qu’est devenu le roman.Et pour ça, il se réjouit d’un point de ceque sa conversation avec Duras avaitamener. Duras lui avait dit, dans cetteconversation de deux heures dans uncafé vers minuit, il lui avait donc queelle avait été frappé du fait que toutesles lectrices se reconnaissent dans laforme d’amour de Hold ( ?), que c’étaitune femme d’amour authentique. EtLacan s’en réjouit puisqu’au fond et dela façon suivant : je m’en réjouis

comme d’un preuve, que le sérieuxgarde encore quelques droits aprèsquatre siècles où la momerie s’estappliqué à faire vivre dans le roman laconvention technique de l’amourcourtois à un conte de fiction.

Donc il oppose, c’est une constantechez lui, l’amour courtois commetechnique érotique, pratique, qui est loinde l’escapisme si l’on veut, du roman.Le roman faisait virer à la fiction leshistoires d’amour idéales, au fond, aumoins le sérieux, puisque le sérieux çava toujours avec série, la série de centhistoires d’amour qui ne marchent pasou d’impasses diverses ou certaines quimarchent plus ou moins, cet examensérieux lui paraît évidemment l’exempleà suivre et que c’est au fond latechnique érotique de l’amour courtois,ce qu’elle avait de sérieux, c’est queceux qui écrivaient étaient pris eux-mêmes, les œuvres qu’ils écrivaientfaisaient parties de la techniqueérotique et qui une façon de présenterl’être-à-trois, puisque dans l’amourcourtois il y a la dame sans merci, cequi n’empêche pas d’avoir des relationsavec des partenaires divers et il y a lesujet. Ça se présente d’emblée dansune dimension d’être-à-trois, oùs’articulent ainsi, disons ce que Lacandit un peu plus bas : le désir en quequ’il est de l’Autre est l’objet qui lecause, comment le sujet arrive-t-il àarticuler, disons il est une place dan lefantasme du sujet en tant qu’il estarticulé à l’Autre, et de l’objet.

Alors, cette série ou cetteprésentation de la technique érotiqueLacan à ce moment là joue durapprochement qu’il vient d'effectuer ense servant comme souvent chez lui, ilprend chez Lucien Febvre quicommentait le texte de Marguerite deNavarre, il prend la nouvelle que LucienFebvre considère la plus opaque, lamoins réussie. La nouvelle numéro dix.

Qui est l’histoire d’un chevalier, quid’un côté est présenté comme ayant unamour impossible envers uneprincesse, qu’il ne peut pas épouser etqui la sert avec un calcul, le fait que çasoit impossible stimule son ingéniosité.Il épouse une femme de la cour pour

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être à côté, sa femme n’est qu’uninstrument pour être à côté de lamaîtresse, adulée mais inaccessible. Ilfait tout ça jusqu’à ce que lescirconstances font qu’il peut coincer lafemme inaccessible. Et là, il la coince, ily va. Il joue son va tout, et, trèshabilement, la femme inaccessible sedébrouille pour qu’il ne puisse pasarriver tout de même à ses fins. Mais àpartir de là il est exilé, il ne lui reste riend’autre à faire grosso modo que demourir glorieusement sur le champ debataille.

Et là, les commentateurs, que sesoient Lucien Febvre ou encore lacommentatrice plus récente, puisque del’édition Garnier Flammarion, qui estune édition de 82, considère elle aussique cette nouvelle est tout de mêmetirée par les cheveux, c’est cettenouvelle où il y a encore le plus decontamination par la chevalerie.

Eh bien Lacan dit pas du tout, pasdu tout. Cette histoire là, au fond siFebvre avait lu Margueritte Duras, ilverrait que dans ces histoires d’amourqui ne marchent pas, il ne faut passimplement inclure le calcul de l’intérêtdu sujet, de ce que ça tourne ou mêmeque ça tourne bien ou mal selon sonintérêt. Ou que, poursuivant son intérêt,il rencontre sa déroute, mais que dessujets peuvent sciemment choisir lavoix suicidaire.

Et que, évidemment, ce que choisit,si on veut, sur des registres différents,aussi bien Hold que Lol, la voixsuicidaire. Et, en ce point, dit-il,l’historien aurait pu lire le roman dutemps présent, pour saisir à la fois queces chevaliers, enfin, que ce mondedes héros de la Renaissance, est aussibien celui d’aujourd’hui.

Et en ce sens le rapprochemententre, d’un côté le monde des héros deMargueritte de Navarre et de laRenaissance et puis ce monde despersonnages communs, de Duras, oùse sont des gens, Lacan le dit, de notrecommun. Ils sont actualisés pour l’être.

Au fond, c’est le rapprochemententre d’un côté la version héroïque dela sublimation, et la version courante,toute commune, et même, Lol Stein

peut produire une littérature trèsexaltée, mais Lacan termine sesconsidérations sur la référence à unautre roman de Margueritte Duras, quis’intitule Dix heure et demie du soir enété, qui lui, n’a jamais prêté audébordement de la critique, à propos deLol Stein, parce que les personnagessont encore plus, si je puis dire,ramenés près de nous, dans uneintrigue néo-policière, une intrigue quicependant est parfaitement similaire àcelle du ravissement de Lol Stein,puisque nous avons deux femmes et unhomme et que la scène clé du romanc’est une femme qui regarde par undispositif inventé quelconque, enfinregarde sur le balcon d’en face, regardeson amie, la femme en même tempsqu’elle-même adule, se faire prendrepar l’homme qui est son mari.

Et on a la même scène avectraversant le champs, si je puis dire, unmeurtrier qui passe par là, et on voitque la femme qui est là, séparée desdeux, comme Lol qui regarde les deux,elle est là avec sa bouteille d’alcool, etse demande au fond est-ce qu’elle vacontinuer à se suicider à l’alcool, est-cequ’elle va au contraire à avoir desimpulsions meurtrières et aller liquiderl’autre ? Et le roman hésite entre, aufond, entre les différentes identificationsou solutions possibles au drame. Et toutça ramené, justement, dans lecommun.

Et c’est au fond, le trajet quedécrivait Jacques-Alain Miller dans sonparadigme trois, de, que c’est le trajetqu’opère le Séminaire XI. C’est que onpart dans le Séminaire VII, dansL’éthique de la psychanalyse, auquelLacan fait référence, là, et renvoiel’Heptaméron, on part de ces grandshéros et les grands chevaliers, grandesdames, tous plus héroïques les uns queles autres, à on passe à l’objet a, laprésentation de cet objet qui n’arrivejamais à se loger, dans l’union del’homme et de la femme, et qui, dans lefantasme, circule à différentes places,mais qui construit en tout cas un être-à-trois, qui ne se réduit pas à l’être àdeux, mais que cela c’est le sortcommun.

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Et que, au fond, Lacan poursuitainsi, enfin, ou introduit, lapsychanalyse et sa casuistique danscette série des cours d’amour, durecueil des récits, qui à une époquedonnée, sont ceux des histoiresd’amour, qui peuvent exister, quitournent bien, qui tournent mal, quitournent très mal, et qui toutesdésignent un point d’impasse.

Et que, au fond, c’est cette structurelà, où la psychanalyse, comme, si onveut, littérature érotique, ou plusexactement technique érotique, àproprement parler, prend le relais. Et setermine à ce moment là, Lacan terminecette installation de la psychanalyse,dans une perspective, une perspectiveathée, puisque, au fond, nous, nous nepouvons pas, pas plus que l’auteur,soutenir que le discord du fantasme etde l’objet, cet ajointement et ce discord,on ne peut pas nous le ramener audiscord de l’âme et du corps, de lapsukè et du corps.

Et c’est pour ça que, nous nepouvons pas, pas plus que l’auteur,sans doute Margueritte, se soutenir dumythe de l’âme personnelle.Normalement l’âme personnelle, c’estelle qui est chargée du boulot. L’âmepersonnelle, c’est elle qui, aprèsAristote et Platon, est chargéed’accorder notre corps avec l’Autre. Elles’en occupe, qu’elle soit la forme ducorps, version aristotélicienne, ouversion platonicienne.

Et c’est pour ça que Lacan terminepar les grandes vertus théologales, lesvertus théologales, la charité,l’espérance et la foi, vous le savez sivous lisez la littérature chrétienne, lesvertus théologales adaptent les facultésde l’homme, dans la participation de lanature divine. Elle le réfère directementà Dieu. C’est elle qui nous branchedirectement sur l’Autre et s’en occupe.Elle fonde, anime et caractérise l’agirmoral du chrétien, je cite des autoritéséminentes.

Bref, ces vertus théologales ce sontcelles qui chevillent l’âme au corps. Ehbien justement, nous, nous ne pouvonspas faire entrer ces petites chevilles là,dans les petits trous, mais par contre

Lacan s’en approche, ce que nousfaisons, nous occupons bien plus desnoces de la vie vide avec l’objetindescriptible.

La vie vide et l’objet indescriptible,c’est une formule merveilleuse, et aufond cette formule merveilleuse, lemathème en est celui qu’a donné doncJacques-Alain ?dans ce paradigme, lavie vide c’est le vivant, lui aussi saisisous la métaphore du vase, la vie vide.

a

Et l’objet indescriptible c’est l’objet aqui n’a pas de nom, et qu’en effet voilàpour nous les seules chevilles et lesseuls petits trous dont on va s’occuper,et qui vont nous permettre de faire tenirensemble tous ces trucs impossibles.Et en effet de lire sans trop demauverie, les histoires d’amour quenous recueillons, qui sont celles tout letemps de notre temps.

Applaudissements.

Jacques-Alain Miller : Je remercieEric Laurent pour cette lecture que,pour ma part, j’ai toujours du mal àfaire, parce que je dois avouer que -c’est une limite de ma part -, je ne suispas très sensible au style deMargueritte Duras.

Lacan disait de Etienne Gilson queson style lui était plus-de-jouir, et je nepeux vraiment pas dire ça du style deMargueritte Duras pour moi. Il n’est pasplus-de-jouir. Cela m’est très difficile, çam’est presque plus de ras–le-bol.

Je sais que c’est très apprécié, et j’aifait jadis l’effort d’essayer de lire Leravissement de Lol V. Stein, avec uneirritation que n’apaise pas non plus letexte de Lacan. Je l’ai lu pourcomprendre le texte de Lacan, jel’avoue, le texte de Lacan qui n’est pasnon plus de mes préférés. Donc, je suisvraiment heureux que tu ais frayé lavoie. Je trouve à Lacan dans ce texte,si je peux me permettre, vraiment, des

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grâces un peu pachydermiques àl’égard de Margueritte Duras. J’ai lesentiment que peut-être qu’elle n’enmérite pas tant, tout en reconnaissant,avec moi-même, la solidité, au fond, dece qu’elle présente et de ce dont Lacanreconstitue en effet la structure.

Reprenons la discussion. J’ai relu letexte de Lacan et j’ai des souvenirs deLol V Stein. Et reprenons-le avecenthousiasme (rires), que mérite laconstruction de Lacan, la constructionde ce texte, la construction de Lacanque tu as reconstituée.

Lacan dit quand même, c’est peut-être une épine quand même qu’il glissedans le bouquet qu’il offre, bien que cene soit pas un madrigal… Dans lebouquet qu’il offre d’ailleurs à qui ? Ilfaudrait en discuter.

L’épine, c’est qu’il dit tout de mêmele plus intéressant - elle ne nous le ditpas, mais elle me l’a dit, MargueritteDuras, en privé, à savoir l’héroïnedevient folle. Lacan dit : c’est ça la vraifin du roman. Donc, il rallonge le romande Margueritte Duras de ce rajout. Elledevient folle, et, au fond il dit : c’est unefin qui est quand même un peusupérieure à la fin que MargueritteDuras a écrite.

Donc, il ne se gêne pas pourformuler cette critique, qui figure dansle texte. « Lol devient folle, dont en effetl’épisode porte des signes, mais dontj’entends faire état ici que je le tiens deMargueritte Duras. C’est que ladernière phrase du roman, ramenantLol dans le champ de seigle » - d’oùelle voyait la scène – « me paraît faireune fin moins décisive que cetteremarque. »

Donc, il complète le texte de cetteremarque orale de Margueritte Duras etqui, au fond, après coup, donne enquelque sorte la clé ou le point decapiton de l’histoire.

Qu’est-ce qui rapproche, au fond,puisque c’était ton point de départ, cettehistoire, ce roman, du sophisme destrois prisonniers ?

Certainement la structure ternaire dela scène, des deux scènes, y compris latroisième, puisque Lacan distingue troisternaires.

Donc, c’est le ternaire, c’est aussi laplace qu’y joue le regard. Et on peutdire que dans les deux récits, dans lesophisme comme dans le roman, il y aune prison. Dans le premier cas c’est laprison du directeur de la prison, dans leroman de Margueritte Duras, c’est laprison où est Lol elle-même, et c’estaussi la prison où elle arrive à entraînerson amie Tatiana et l’amant de celle-ci,le fameux Jacques Hold.

Donc, on peut dire qu’il y a uneprison, il y en a deux. Mais enfin, dansle sophisme des trois prisonniers, lesprisonniers veulent la même chose, ilsveulent la liberté. On peut dire qu’ilssont le siège du même désir, et, enplus, dans une structure où chacunpeut réaliser son désir. Puisque,comme je l’avais souligné, dans lesophisme des trois prisonniers c’est unjeu à somme non nulle, à savoir quetous peuvent gagner, et non pas que ceque l’un gagne l’autre perd. C’est lapropriété du jeu des trois prisonniers.

Alors que, dans la prison de Lol V.Stein, il y a un désir qui tient le haut dupavé, c’est celui de Lol V. Stein, d’unseul des trois. Certes, ce désir est encollusion avec le désir de l’homme,comme désir de l’Autre, c’est-à-direqu’elle épie le désir de l’homme pour lafemme, le désir de l’homme pour l’autrefemme. Et puis, ce qui reste en rade, ilfaut bien dire, c’est ce qui serait le désirpropre de cette autre femme, deTatiana, qui se trouve à la fin du romanvraiment le déchet de l’opération. Àsavoir que progressivement lamaîtresse de Jacques Hold, pour le direcrûment, se rend compte que sonamant ne lui fait l’amour et ne lui dit desparoles d’amour admirables que pourLol. Elle se rend compte qu’il y a untiers, qui est présent, et que, au fond, ilne s’intéresse à elle, il ne lui fixe desrendez-vous à des heures bien précisesque parce qu’il y a en jeu le désir deLol. Il lui fixe des heures précises pourque Lol puisse les voir tous les deux. Etdonc, cette Tatiana se retrouve à la findu roman décomposée, hagarde, decomprendre que la passion érotique,authentique qu’a cet homme pour elle,est néanmoins adressée à une autre.

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Là, on n’a pas du tout lamerveilleuse symétrie, entente,harmonie, de ces trois types qui foutentle camp ensemble, et qui vont devenirtrois hommes dans un bateau, qui vontdevenir les compagnons de la bonnefortune, qui vont sortir en bande pouraller chez les filles, comme à la fin deL’éducation sentimentale, sans sedéranger les uns les autres, qui va êtrel’équipe guérilla qui va faire sauter despylônes derrière les lignes de l’ennemi.Tout ça c’est la sortie des troisprisonniers. C’est la sortie des types quivont faire la fête, ou qui vont faire laguerre, et puis qui se tiennent, ceux quichantent, comme Georges Guéthary,« Avoir un bon copain. " Voilàl’atmosphère humaniste des troisprisonniers.

Là, il faut bien dire, on est dans unehistoire glauque, c’est le moins que l’onpuisse dire, où l’on ne sait pas qui estqui, comme le dit Lacan. Il y a cette Lol,on la suit, elle se retrouve derrièrevous, on ne sait pas qui est passé àtravers qui. Ce n’est pas avec ça qu’onfait des opérations de commando. Là, ilfaut bien savoir qui est devant, qui estderrière, qui est sur le côté. Ici, cettefemme se satisfait profondément devoir l’homme jouir d’une autre femmequi ne sait pas qu’elle est là. Et il fautvraiment qu’elle reste dans cetteposition, sinon c’est le déclenchementde la folie. En effet, la première histoire,l’histoire des trois prisonniers, ce n’estpas une histoire clinique, c’est unehistoire politique. Tandis que là, noussommes jusqu’au cou dans unedimension clinique qui est aussi procheque possible, au moins si l’on passe autroisième ternaire, c'est-à-dire leternaire que dit Lacan où est MargueriteDuras, qui est aussi près de possible,sinon de la perversion, au moins de laperversité féminine. C'est le moment oùl’hystérie prend sa tournure deperversité, qui a toujours en effetoccupé Marguerite Duras, qui l’aamenée à s’intéresser à l’histoire dupetit Grégory, forcément sublime, qui l’aamenée aussi à avoir une profondesympathie pour les côtés peut-être lesplus douteux de grands personnages

de l’Histoire. Je n’ai pas lu sabiographie, étant donné mon peu desympathie pour le personnage, mais jevais le faire maintenant. Elle a eu,semble-t-il, avant de présenter commeun modèle de résistante descompromissions assez avancées avecl’occupant.

Il y a là, pour moi - c’est une limitepersonnelle -, ce n’est pas de l’irritation,finalement, c’est pas du ras-le-bol, c’estun peu de répulsion. Un peu derépulsion, mais qui n’enlève rien à toutl’intérêt qu’on peut y prendre, aucontraire. Simplement il faut surmonterça.

Il y a ici beaucoup d’admirateurs dudocteur Lacan, je m’en suis aperçu,puisqu’une simple réserve que jepouvais faire a suscité des objections. Ily a sans doute aussi beaucoupd’admirateurs de Marguerite Duras.Tout le monde a lu le roman ? Oui, toutle monde l’a lu. C’était pour savoir ces’il faut redonner de la narration duroman.

Le premier ternaire, la scèneinaugurale, c’est quand même la scèned’un traumatisme. La jeune Lol, à dix-neuf ans, aux bras de son fiancé, se lefaisait voler, dérober, par une autrefemme, la femme fatale, a dit EricLaurent, qui est une héroïne par ailleursde Marguerite Duras, Anne-MarieStretter, et je crois que c’est elle dontLacan dit qu’elle est le non-regard. Jene crois pas que ce soit Lol qui soitnon-regard, c’est la femme qui dérobeson fiancé à Lol. Je le prends de lapage 16 de mon édition où MargueriteDuras dit de Anne-Marie Stretter, cellequi capte le fiancé : « Avait-elle regardéMichael Richardson » - le fiancé enquestion – « en passant, l’avait-ellebalayé de ce non-regard qu’ellepromenait sur le bal ? »

Donc, le non-regard me paraîtconcerner Anne-marie Stretter, lavoleuse du fiancé, et celle que Lacanappelle la femme de l’événement. C’estla première scène.

Eric Laurent : Lol dit ? ? ce n’estpas Lol qui regarde, quand il commentele truc, si on veut.

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Jacques-Alain Miller : Je lis : « Lafemme de l’événement est bien facile àreconnaître de ce que Marguerite Durasla dépeint comme non-regard. Donc, àce niveau là, c’est, me semble-t-il,Anne-Marie Stretter.

La deuxième scène qui a frappé,c’est Lol, dans le champ de seigle,regardant un petit rectangle illuminé, oùparaissent successivement JacquesHold et sa maîtresse Tatiana, qui setrouve être la meilleure amie de Lol etcelle qui était auprès d’elle pendantqu’elle se faisait rapter son fiancé.

Ça, c’est la deuxième scène et Lolobtient de Jacques Hold qu’il répètecette scène, c'est-à-dire de savoir àquelle heure ils vont se retrouver pourqu’elle puisse voir ça.

Et ce qui suit, c’est le rapprochementde Jacques Hold de Lol, et c’est là queLacan dit : « C’est là qu’elle devientfolle. » Il s’est trop approché d’elle lui-même, et elle demandait à rester seuledans son ravissement. Il fallait que lui ilrègne dans le tableau, il ne fallait pasqu’il en sorte pour s’approcher d’elle, etcette approche, en plus compréhensive,pour être avec elle dans sa fascinationet sa douleur, la déclenche.

Maintenant, il y a beaucoup detemps qui s’écoule entre la scènenuméro un et la scène numéro deux. Jen’ai pas la mémoire du roman à cepoint, mais beaucoup de tempss’écoule - dix ans - entre la scènenuméro 1 où elle est traumatisée et lascène numéro 2 dans sesdifférentes éditions. Et la thèse deLacan - enfin la thèse du roman aussi,ce que présente le roman -, c’est : il y aquelque chose dans la première scènequi s’est presque accompli, qui ne s’estpas accompli. C’est là que Lacan dit : làtout s’arrête.

C’est ça qui fait qu’ensuite Lol estquelqu’un qui cherche quelque chose.Elle le cherche dans sesdéambulations, et elle distingue ceJacques Hold et elle en fait soninstrument, pour accomplir ce qui nes’est pas accompli la première fois.

C’est ça qui, semble-t-il, fait laconnexion entre la première et ladeuxième scène. Cette première scène

elle n’est pas traumatisante, comme onpourrait le penser au premier abord,parce qu’elle s’est fait voler son fiancé.Ça c’est l’apparence de la chose. Elleest traumatisante pour autre chose, etelle est inaccomplie pour autre chose.J’aime bien cette formule de Lacan :« Là tout s’arrête », parce que c’est,comme on dit, un arrêt sur image.

Cela s’arrête sur l’image de sonfiancé et la femme non-regard partant.Dans le roman même, il est dit : « Toutaurait été différent si elle était partieavec eux. » Tout aurait été différent sielle avait assisté, pour le diresimplement, avec les minutes quirestent, si elle avait assisté audéshabillage de l’autre femme. Et là,tout s’est arrêté avant qu’elle assiste àl’épiphanie, au déploiement de lasplendeur supposée du corps de l’autrefemme qui avait causé du désir del’homme.

Vous pouvez penser que je brode,mais c’est absolument ce qui est dit parle roman, page 49, et c’est cequ’imagine Jacques Hold. Il y a touteune phrase… dans mon édition depoche pages 47 à 51 ; Duras parleexplicitement de triangulation : « Le balmuré dans sa lumière nocturne lesaurait contenus tous les trois et euxseuls. Que se serait-il passé ? » – toutest au conditionnel – « il lui a manquéun mot. Faute de son existence elle setait, cela aurait été un mot absence »,que Eric Laurent a écrit au tableau et arayé – « Il n’est pas pensable pour Lolqu’elle soit absente de l’endroit où cegeste » – de dévêtir l’autre – « a eulieu. Ce geste n’aurait pas eu lieu sanselle » – et là c’est beau, elle passe auprésent –, « elle est avec lui chair àchair, forme à forme, les yeux scellés àson cadavre. Elle est née pour le voir.Le corps long et maigre de l’autrefemme serait apparu peu à peu. (…)Remplacée par cette femme, au souffleprès. Lol retient ce souffle : à mesureque le corps de la femme apparaît à cethomme, le sien s’efface, s’efface,volupté, du monde. »

C’est ça qui n’a pas été accompli.C’est d’assister à l’apparition du corpsdénudé de l’autre, et dénudé par

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l’homme. Et par-là même elle est endéficit de ce corps, et ajoutons, pouraller vite, de ce corps c’est ce qui luiaurait à elle donné un corps, qui luiaurait donné à elle un corps de désir,qu’elle aurait en quelque sorte... A cemoment-là, elle se retrouve dénudée,mais dénudée comme sujet, elle seretrouve dans sa vacuité, et c’est à cemoment-là qu’elle devient errante, encherchant l’équivalent de ce corps.

Et elle cherche l’équivalent de cecorps dans le regard des hommes, quiregardent les femmes. C’est très précisdans le roman, elle suit… Et dansl’intervalle entre la scène 1 et la scène2, ce qu’elle fait c’est qu’elle déambuledans la ville, épiant les hommes quiregardent les femmes.

Alors que, ensuite, lorsqu’elle aattrapé Jacques Hold, et qu’elle en faitson homme de paille, de façonhystérique, elle en fait son homme depaille pour capturer Tatiana, sameilleure amie, alors c’est JacquesHold qui se met à la suivre. Cetteinversion-là, elle suit, on la suit, est uneinversion qui est présente dans leroman.

Elle s’est emparée… Cela raconteaussi la façon dont une femme, lafemme soi-disant délaissée, mais cen’est pas qu’elle a été délaissée parson fiancé qui fait l’histoire, ce n’est pasl’histoire d’une femme trompée, c’estune femme en attente de capterl’instant magique où se révèle l’objet dudésir de l’homme. Et où se révélerait,non pas à son profit, si on peut dire,non pas en tant qu’elle serait cet objet,mais en tant qu’une autre serait cetobjet.

Si je peux faire un rapprochement,qui sera, je pense, parlant pour EricLaurent spécialement, il se trouve quenous avons été de conserve dimanche,dans la ville de Turin, à une exposition -nous ne sommes pas rendus dans cetteville pour cette exposition mais pourdes finalités supérieures du Champfreudien, mais il n’est pas interdit àcette occasion de partir en goguette,non pas voir les filles, mais uneexposition sur une fille magistrale del’Histoire, à savoir la comtesse de

Castiglione, celle que Cavour en touteslettres a stipendié pour séduireNapoléon III. Et, comme on apprenddans les classes, s’il y a aujourd’huil’unité italienne, c’est parce qu’elle a –c’est une des raisons au moins – fortbien fait son travail auprès del’Empereur, et qu’elle en a d’ailleurselle-même été très satisfaite,puisqu’elle a, comme le voit dansl’exposition, conservé sa robe de nuitde leur première rencontre au lit.

On dit : « La comtesse deCastiglione et son temps », parcequ'elle n’a eu qu’apparaître partout pourêtre reconnue comme la plus bellefemme de son temps. Elle a mis tout lemonde KO, les hommes, les femmes,un seul cri, c’est la plus belle. On a lalettre de l’Impératrice Eugénie évoquantles beautés du second empire, dontelle-même, et disant : il y a une quinous surpassait toutes c’était lacomtesse de Castiglione.

On voit qu’elle, en effet, a aussi unrapport avec le corps de la femme, lesien qui fait l’universelle admiration. Elleest en effet captivée par le spectacle desa beauté captivant l’homme. Mais ilfaut voir quelles modalités elle donne àça, à savoir que le S barré homme quiregarde cet objet petit a, cet objetsuperbe, pour elle c’est un sujet barré,c'est-à-dire un pas grand-chose, c'est-à-dire qu’elle, elle a attrapé son objetpetit a. Et donc, il y a une citation quiest en grand sur les murailles - en plustout ça se tient dans le palais du Comtede Cavour, où on a la citation deCavour disant : « Je vais lancer dansles pattes de Napoléon III cette beautéde chez nous, et j’en attends lesmeilleurs effets, etc. Il y a une lettresuperbe de la comtesse de Castiglione,répondant à un de ses admirateurs, etdisant : « Je doute beaucoup que vouspuissiez m’imaginer sans mes habits » -l’autre avait du être un peu audacieux –« parce qu’il est tout à fait impossibleque quiconque puisse imaginer laperfection des formes d’une Florentined’ancienne famille. » Donc, elle ditvraiment : « Bien sûr, vous m’admirezmais alors vous vous êtes un zéro, unzéro pointé, vous êtes un moins que

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rien, de sujet barré. » Elle n’ajoute pas« de sujet barré » parce qu’elle ne faitpas de théorie dans ses lettres.

On voit en effet qu’à la fin, une foisqu’elle a passé peut-être ses plusbelles années - je n’ai pas repéré ladate exactement, il faut que je lise lecatalogue -, à quoi elle passera sontemps ? A se photographier, à se fairephotographier dans toutes les poses etles tenues, en prenant des airs de lavengeresse, de la Vénus. Sasatisfaction étant là pur regard, elles’offrant pour être vue, mais en ayantfait l’impasse sur l’homme qui regarde.Vous voyez, je parlerais tout de suite dela comtesse de Castiglione avec plusd’enthousiasme que de Lol V. Stein.Encore que c’est une opération en effettrès singulière, mais on voit bien, d’unecertaine façon - faisons de la clinique -l’identification narcissique n’est pasaccomplie chez Lol V. Stein, que pourtrouver son corps, et même l’image desoi, il faut qu’elle passe par l’Autre, etmême l’image de soi, il faut qu’ellepasse par l’autre, et même, au-delà deson image de soi, pour trouver son être,il faut qu’elle passe par l’autre, alorsque la comtesse de Castiglione n’abesoin de personne. C’est comme laphrase dit : « Le célibataire fait sonchocolat lui-même », la comtesse deCastiglione fait son regard elle-même,elle n’a besoin de personne pour faireson regard.

Il y a donc en effet à comparer avecla madone de Dresde…

Il est quatre heures moins vingt, onenchaînera la fois prochaine encore surLol V. Stein, que je vais relire, et onessayera de faire une jointure avec lethème du temps, parce que le tempsnous est compté.

Fin du Cours 19 de Jacques-AlainMiller du 24 mai 00

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LES US DU LAPS

Jacques-Alain Miller

Vingtième séance du Cours

(mercredi 31 mai 2000)

XX

Il fallait que nous fussions trois, un,deux, trois, il fallait que nous finissionspar être trois. Et nous sommes. En effetj’ai reçu il y a quelques jours une notrede Guy Trobas, collègue, vieil ami, surun point du « Temps logique » que jen’avais pas été amené à commenterdevant vous, exactement concernantl’angoisse dans le « Temps logique »signalé par Lacan, et la pertinence decette note m’a fait demandé à GuyTrobas de l’étoffer pour pouvoir vousprésenter ici sa perspective et que elleentre ainsi dans notre débat. Notredébat qui en est, si vous voulez bienvous en souvenir, au moment où Lol V.Stein, puisque Eric Laurent la dernièrefois nous a apporté une constructionconcernant le temps logique dans Lol V.Stein. Comme nous n’avions pasachevé notre dialogue la dernière fois jelui ai demandé de compléter ici notreternaire, en lui signalant l’intérêt de GuyTrobas pour le terme de l’angoissedans « Le temps logique », et que ceterme figure deux fois dans le texte deLacan de l’hommage à MargueriteDuras.

Voilà qui nous permet de enrichir,compliquer notre problématique. Je vaiscommencer par apporter quelquescompléments à mon petit speech finalde la dernière fois, après quoi EricLaurent complétera ce qui lui paraîtraopportun et nous entendrons GuyTrobas pour une demi-heure environ, eton reprendra l’ensemble dans un

trilogue final et si ça n’est pas terminécette fois-ci, nous aurons la foisprochaine.

Une petite annonce, avant decommencer. J’ai eu l’occasiond’évoquer ici à divers reprises, àl’improviste parfois les rapports dudiscours psychanalytique et du droit.C’est à ce titre, scientifique, que je vouscommunique l’information suivante.Une cause sera plaidée jeudi prochain,au Palais de justice de Paris, l’adresseest boulevard du palais, le Palais dejustice étant une constructionimportante et dans un lieu voué au droitdepuis des siècles. Une cause donc quiintéresse la psychanalyse. En effet,l’Association Mondiale de psychanalysea été, a l’avantage, si je puis dire, d’êtrepoursuivie, en tant que tel, et en lapersonne de son Délégué général, quise trouve être moi-même, pour avoirpublié dans son annuaire une préface,où j’exprimais le sens d’un combat, d’uncombat que je présentais à l’occasioncomme étant le mien depuis 1964,combat qui se poursuit sous d’autresformes ici, combat contre la bêtecachée dans le texte du « Tempslogique » par exemple, depuis 1964,c'est-à-dire depuis que mon sort, monlot s’est trouvé lié à l’enseignement dejacques Lacan. Cette cause seraplaidée jeudi prochain, le 8 juin auPalais de justice donc, à 13h30. et j’yserais, là. Oh je n’y suis pas obligé ! etcomme c’est une plainte civile il n’y apas de témoin, on entends seulementles artistes du barreau, les maîtres dubarreau mobilisés par les deux parties.La salle est petite à ce qu’on m’a ditmais les audiences sont publiques,comme ce cours lui-même. Et,l’évènement a toutes raisons de vousintéresser. C’est pourquoi je vouscommunique les lieux et l’heure.

Alors la salle du Palais de justice quiverra se dérouler l’événement, est unesalle consacrée aux affaires de presse,enfin elle s’appelle salle de la premièrechambre supplémentaire. Voilà.

Alors passons maintenant à Lol V.Stein et aux trois prisonniers. Je vousrassure tout de suite, l’affaire enquestion ne peut comporter aucune

1

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incarcération de personnes (rires). Bon,on m’a recommandé de ne pas faire deplaisanterie à ce sujet, je ne vais pasplus loin.

Ça m’a simplement occupé ce matin,dans le temps que je donne d’habitudeà la préparation, exclusivement à lapréparation de ce cours, puisqu’il afallu, il a fallu, c’est un plaisir, dediscuter de l’affaire avec l’avocatchargé d’être mon porte-parole, et celuide l’Association en question. Donc, çam’a occupé.

Donc Eric Laurent nous a amené lerapport de Lol et des trois prisonniers,l’histoire de Lol et des trois prisonniers,sous une forme en effet secrète, à êtredisposée à l’aide du petit opérateurdont je me suis servi pour les troisprisonniers.

Et qui ici inscrit le rapport de l’un aucouple. Et le rapport de l’un au couplequi dans le roman s’incarne sous laforme donc Lol vissée, fascinée, par lespectacle des agissements du couplede personnages nommé jacques Hold,de sa maîtresse Tatiana, qui fut, qui estsa meilleure amie, le rapport de l’un aucouple est évidemment le rapportœdipien par excellence.

C’est ce qui au fond peut être donnécomme la structure de la scèneœdipienne qui joue dans Freud le rôlede ? ?.

Le un fasciné à la fois par ce qu’il y aet par ce qu’il n’y a pas, dans cecouple, entre ces deux là, fascinéed’abord disons par ce qu’il n’y a pas, àsavoir le rapport sexuel. Et c’est ce « iln’y a pas de rapport sexuel » qui est auprincipe meme de la fascination. Et onpourrait l’étendre à dire la fascinationde toute image. Qu’on s’abîme dans lacontemplation de ce qu’il y a, voiredans son angoisse, qu’en référence,que dans un rapport avec ce quefoncièrement, structurellement il n’y apas. Le grand incognito si je puis dire.

Et ce qui apparaît de premier plan c’estce qu’il y a à la place, et d’une certainefaçon tout ce qu’on voit est à la place.Tout ce qu’on voit est vu à la place de,ce qui ne peut pas se voir.

Et spécialement, ça affleurespécialement dans le cas de lafascination, quand le regard ne peutpas se détacher de, et ce qu’il y a à laplace c’est ce que diversement on peutappeler le phallus, la forme phallique,susceptible de toutes les métonymies etdonc grande représentation, il faut ledire la représentation sublime estempruntée au corps de la femme, dansson éclat. Mais ça peut assez dire aussiquand l’accent n’est pas mis sur laforme mais plutôt sur l’unforme de cequ’il y a à voir, ça se dit l’objet petit a.On peut meme donc instaurer unedialectique dans ce qu’il y a à voir, entrela forme qui flatte l’œil, et la choseéquivoque, indicible, la formedépourvue de contour, l’unforme quitrouble, perturbe, ou se glisse dansl’image bien formée. C’est par exemplecette dialectique que Lacan met enévidence dans le tableau fameux desAmbassadeurs où se qui est offert àvoir est sujet à être troublé par unechose bizarre et qui ne trouve elle-même sa forme que dans un autreespace, et d’une autre perspective.

Dans les trois prisonniers, où estl’incognito ? dans les trois prisonniersl’incognito c’est pour chacun lui-même,les autres ils voient leur disque, tandisque pour lui-même, à lui-même cedisque est voilé. Il est donc dans laposition d’incognito. Et, dans le cas deLol, qui est l’incognito ? on pourraitpenser que c’est elle-même aussi, etqu’elle serait là captive, à guetter, motqui est dans Duras, que reprend Lacan.Et que elle on ne la voit pas. Mais çan’est pas exact, Duras prend soin designaler que jacques Hold à la fenêtrela voit, sait qu’elle est là.

D’ailleurs, enfin, je me suis mis àaimer Lol V. Stein (rires), depuis lasemaine dernière, c’est à force d’ypenser, au fond et puis à voir que c’étaitextrêmement composé, et surtout quela structure qui était mis en évidenceétait tout à fait fondamentale. Enfin,

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laissons de côté les affects douteux quepouvaient susciter certains épisodes etl’imposture dans le mode de l’auteur,enfin je suis prêt à mettre bas les armeset à me laisser moi aussi séduire parl’art de cette construction.

En fait l’incognito est entre les deux.Et meme l’incognito est l’un des deuxpartenaires et c’est pourquoi Lacannous invite à ne pas identifier la positionde Lol à celle du voyeur. Et à ne pascroire que le regard soit à cette placelà. C’est là que son emploi du motregard, à Lacan, est un emploi tout àfait spécial, un emploi technique, dumot regard, auquel il donne unesignification qui lui est propre. Parceque dans la langue, que parle ? ? leregard est attiré par, tel spectacle, leregard est fasciné par tel spectacle. Leregard se porte sur. Je porte le regardsur, Eric Laurent et Guy Trobas, bienentendu. Le regard là c’est simplementle mouvement de vos mirettes.

Or, Lacan, n’appelle regard dans cesens, ce qui est fasciné par. Il appelleregard le fascinant et non pas le fascinéet c’es pourquoi il peut faire reconnaîtresi je puis dire l’origine du regard dans latache, dans ce qui fait tache dans lespectacle du monde. Et ce pourquoi leregard au sens commun se porteélectivement. Eventuellement dans unesprit critique, madame arrive, dans sesplus beaux atours, et le monsieur dit il ya une tache ici, bon. La dame n’est pascontente et le monsieur ne peut pass’empêcher de dire qu’il y a la tache là,pour rendre service sans doute (rires).Mais c’est que le « ne pas pouvoirs’empêcher », le « c’est plus fort quemoi » signale le fait qu’il est d’abordregardé, lui, par la tache. Moyennantquoi, d’être regardé par elle, eh bien il ales yeux dessus, si je puis dire.

Ça, c’est à ça que peut nous serviraussi, que peuvent nous servir cesexercices, c’est à être un peu pluslacanien, encore encore un effort pourêtre lacanien ! et que, l’initiative, estdans l’Autre. Le regard c’est pas voir,ça n’est pas regarder, bouger sesmirettes, le regard est d’abord dansl’Autre. c’est un principe dont il fautsuivre les conséquences, jusqu’au bout.

C'est-à-dire que le rapportfondamental c’est celui qui inscritl’Autre à la place de la détermination etle sujet barré par cette déterminationelle-même, à la place du déterminé.

Et en l’occurrence, pour Lacan,s’agissant du regard l’initiative est àl’autre su je puis dire. Et ça peut s’écrireà cet égard petit a divisant le sujet.

Moyennant quoi dans sa division lesujet l’éprouve à ne pas pouvoirs’empêcher de regarder. Mais d’abordparce que ça le regarde, expressionque Lacan met en valeur dans sontexte sur duras.

Autrement dit, la tache c’est le petita incognito diviseur et fascinant. Etc’est en quoi parmi les trois prisonnierschacun quand il est le moins un del’affaire, chacun étant le moins un del’affaire par rapport aux deux autres, aufond est celui qui pour lui-même faittache et il fait meme tache aveuglecomme on dit. Puisque il n’a pas sonpropre dos dans son champ visuel. Etc’est toujours très inquiétant, enfin pastoujours très inquiétant, dans certainescirconstances c’est très inquiétant le faitanthropologique que on a pas des yeuxdans le dos, la plupart du temps çan’est pas inquiétant. Mais il arrive quedans certaines circonstances, enfin, parexemple vous allez, vous êtes invitéspar un copain de la maffia dans un petitrestaurant de Las Vegas, et vous faitesbien attention comment vous vousasseyez, bien le dos au mur, pour queau milieu de vos papotages on nepuisse pas vous lâcher un pruneau,bon. Moyennant quoi on peut fairesauter tout le restaurant, bon. C’est une

A S( a )

A S

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autre méthode, bon, mais enfin on voit,là, que le fait de ne pas avoir des yeuxdans le dos est extrêmement inquiétant.Il y a peu ayant à faire une présentationde malades, à l’hôpital psychiatrique,on m’a signalé que le patient avaitexpressément demandé qu’il n’y aipersonne dans son dos. Ce qui avaitl’air, enfin, d’indique rune certaineinquiétude mais enfin d'ordre délirant.

Donc ce fait, au fond, ce que traduitau fond cette impossibilité de voir unepartie de soi meme qui se trouve là livréà l’autre, c’est au fond déjà, c’est déjàprésent votre statut d’objet petit a. Entant que, ça, dans les trois prisonniers,c’est déjà constitué au nom d’un non-savoir, voilà quelque chose que chaqueprisonnier comme moins un, ne saitpas. Et encore plus inquiétant que lesautres, eux, savent de moi quelquechose que j’ignore. Si je suis A, B et C,eux, savent quelque chose que j’ignore.et donc il y a déjà dans la situation destrois prisonniers, si on accentue cetélément là, il y a un pathétique qui nedemande qu’à surgir. Et que développeun des points de son exposé, quedéveloppe Guy Trobas, en relevant queLacan parlant des trois prisonniers desannées plus tard, enfin, indique d’unmot cette difficulté pathétique.

Alors une des formes, disonsl’origine du regard c’est la tache, etc’est ce qui met potentiellement chacunen position d’être sous le regard dumonde, le regard n’est pas que mapropriété, au contraire le regard estdehors et je suis cerné par un mondeomnivoyeur, comme s'exprime Lacandans le Séminaire XI et au fond en seglissant dans des analysesphénoménologiques de Merleau-Pontyqui lui était arrivé de reprendreprécisément, donc l’origine c’est latache, le regard c’est déjà unemétonymie de la tache, une variation dela tache et il y a encore si je puis direun troisième stade, qui est le stade dela beauté et alors que la tache peut êtrel’élément déguelasse du spectacle,mais par là meme celui qu »il fautreconnaître, le regard, la beauté est laforme sublime de la tache, et donc on

peut la mettre comme un troisièmestade après la tache et le regard.

Et Lol V. Stein se situe au fond, enfindisons Lol V. Stein c’est un roman de labeauté, de la captation par la beauté,par la beauté regard. Et Lacan meme, àla fin de son texte dit que Lol V. Steins’inscrit précisément dans la zone où leregard se retourne en beauté, avecréférence à l’entre-deux-morts, avecréférence à la positon d’Antigone, qu’ila élaboré dans l’Ethique de lapsychanalyse, comme étant celle del'entre-deux-morts.

Alors, Lol on peut dire est par labeauté transportée, arrachée à elle-même, comme le disait Eric Laurent ladernière fois, expulsée de son proprecorps. C’est ce que signale au fond dèsson entrée en matière, qu’Eric Laurenta cité la dernière fois, c’est la beautéqui opère. Il y a dans Lol V. Stein, dansLe ravissement de Lol V. Stein uneopération de beauté, une opérationdont la beauté est l’agent et c’est sousle fouet de la beauté sur bourreau sansmerci si je puis dire, en parodiantBaudelaire, que se déroule lepathétique de l’aventure, en memetemps que l’image de Lol nous ravit,c’est par là qu’elle est ravisseuse, ditLacan, et que derrière elle, duras pourLacan, nous ravit et la ravisseuse etnous les ravits, le ravit est d’ailleurs unpersonnage typique de Marseille enparticulier. Dans les santons deMarseille, vous avez un personnage, ilm’est arrivé de l’acheter jadis, unpersonnage qui s’appelle Lou ravi et cepersonnage représente comme çaébaudit par le spectacle... bon.

Alors qu’est-ce qui captive Lol ? cequi la captive c’est le couple, c’est cequ’il y a, ce qui a lieu dans le couple, oùLacan reconnaît les fonctions du sujetbarré et de l’objet petit a.

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Et au fond sans équivoque il situel’homme de l’affaire, l’étalon, celui quisert d’instrument à Lol, comme le sujetbarré, jacques Hold et l’objet petit a del’affaire, l’amie Tatiana. Lol est dans letroisième terme de cet ensemble, et àcet égard, disons, on a une structurequi est profondément, qui répondprofondément au désir hystérique. Asavoir une femme faisait d’un hommeson homme de paille, auprès d’uneautre, qui concentre le mystère de laféminité, et dans cette disposition inpourrait resituer à la place de Lol lepersonnage de Dora et voir icil’ineffable couple de Monsieur etMadame K.

Mais, plus précisément, et ens’appuyant de façon parfaitementexacte sur le roman de MargueriteDuras, Lacan montre que c’est Tatiana,le corps de Tatiana, qui est là, quicentre la captivation de Lol, que c’estdéjà au départ cette nudité jamais vuede la femme qui lui enlève son fiancé,qui laisse Lol inconsolable commes’exprime Duras, c’est de ne pas avoirvu le geste de l’homme dénudant lafemme qui la laisse pantelante et visséeà cette place, j’ai cité déjà la dernièrefois le passage : il aurait fallu murer lebal, en faire ce navire de lumière surlequel chaque après-midi Lols’embarque, mais qui reste là, prêt àquitter à jamais un mari et prêt à quitteravec ses trois passagers et j’ai vu Lolinconsolable, encore inconsolable, iln’est pas pensable pour Lol qu’elle soitabsente de l’endroit où ce geste a eulieu – le geste de dénuder l’autrefemme – elle est né pour le voir et etc.,bon.

Et au fond c’est cette absence devoir, cette absence d’assister à cetteépiphanie qui a fait événement, qui afait l’événement. C’est un terme qui estdans Lacan, c’est un terme que EricLaurent a souligné et il est dans Duras,tel quel, page 17, à propos de lapremière, le moment du rapt du fiancé,Lol a déjà Tatiana à ses côtés, commesa meilleurs amie, « Tatiana la trouvaelle-même changée. Elle guettaitl’événement, couvait son immensité, saprécision d’horlogerie. » Là c’est undrôle de mot, événement, et nousavons aussi le mot fascination. « Si elleavait été l’agent même non seulementde sa venue mais de son succès, Loln’aurait pas été plus fascinée. »

Et nous avons encore page 20 « Lolresta toujours là où l’événement l’avaittrouvée lorsque Anne-marie Stretter –c’est la ravisseuse du fiancé – lorsqueAnne-Marie Stretter était entrée derrièreles plantes vertes du bar. »

Voilà le mot événement qui est là,repris par Lacan, et au fond dix anss’écoulent, dix ans où il ne se passerien, Duras dit dix ans de mariage. Çafait penser d’ailleurs à telle nouvelle deBalzac où en effet, je crois que c’est Lafemme abandonnée, je crois, où à unmoment Balzac dit – c’est pas le stylede Duras – nous nous permettrons depasser sans rien dire sur un intervallede dix ans où ils vécurent parfaitementheureux. Voilà, en une phrase, dansBalzac, on saute par dessus l’intervalleoù il ne se passe rien, comme dit trèsbien Tolstoï au début d’Anna Karenine,les familles heureuses n’ont pasd’histoire, et donc, bon. Donc là uneparenthèse de dix ans et puis Lolreprend, reprend une quête, retrouveTatiana, et au fond s’accomplit, quelquechose s’accomplit de ce qui était, s’étaitavéré interrompu dans le premierépisode.

Et là Eric Laurent a signalé commentLacan, enfin ne se laisse pas prendrepar la main par nos bonnes grossesstructure à tout faire. Lacan écrit : onpensera à suivre quelques clichésqu’elle répète l’événement. Il a étéd’ailleurs pas pour rien Lacan lui-mêmedans la promotion de tel cliché, enfin en

L o l J . H o l d T a t i a n a

( S a )

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tout cas c’est devenu cliché à partir deponctuations qu’il a mis. Après quoi ons’est mis à appliquer ça à l’aveuglette,et il signale qu’ici « notre point de vuece n’est pas l’événement qui se refaitlà, dit-il c’est un nœud » et vous passezpar quelques détours, donc il faudraattendre un petit peu de temps pourcomprendre pourquoi ici il fait entendreparler de nœud qui se refait, et pas enterme de répétition. Bon, je veux dire là,vendons la mèche sans plus attendre.C’est que il faut s’apercevoir que quandon parle de répétition, quand on dit ehbien ça a eu lieu une première fois alorsça se répète une seconde et puis lasuite, il faut voir une chronologie bientranquille, pour pouvoir dire ça serépète il faut disposer de la flèche dutemps, il faut disposer d’un avant etd’un après, qui sont bien gentiment àleur place et que si on regarde d’un peuplus près, précisément, il n’est pas dutout sur que nous soyons dans untemps où l'avant et l'après ait cettetranquillité.

Et, c’est précisément ce qu’onapprend dans le temps logique, enparticulier. C’est que, pour fabriquer del’avant et de l’après il faut en mettre uncoup et que, si je puis dire, ce coupcoûte cher, précisément le coup, lafabrication de l’avant et de l’après çacoûte de l’angoisse.

Donc, Lacan met plutôt l’accent surla structure que sur la chronologie, enla matière. Une structure qu’il qualifieun être-à-trois. Et au fond il nous dit passimplement que Lol est un de ces trois,sinon que Lol est suspendue à l’être-à-trois, qu’elle ? ?

Cet être-à-trois disons c’est unedérision, c’est une très belleexpression, l’être-à-trois, c’estcertainement une structure pluscomplexe que moi et ma moitié. C’estplus complexe on peut pas dire moi etmon tiers. Moi et mes deux tiers. L’être-à-trois, enfin posons le déjà comme unedérision de la trinité. Ce qui est quandmeme, c’est quand même le best-sellerdu ternaire. Le père, le fils et le saint-Esprit. Et ici c’est Lol, le nigaud et lameilleure amie, voilà une autre trinité.Enfin on a pas, à ma connaissance on

a pas élevé de temple à la trinité de lafolle, du nigaud et de la meilleure amiemais ici nous avons, qui sait, si dansl’esprit de la secte du Phénix, deBorges, si on aurait pas pu finir parélever quelques lieux de méditationssacrée en l’honneur du ravissement deLol V. Stein. Il suffirait d’en faire un,d’ailleurs, il y en aurait d’autres, bon.

Alors, ici, alors évidemment, un vainpeuple pourrait réduire ça au terme deménage à trois. Le ménage à trois c’estle ravalement de cette formemagnifique et que ? ? a élevé jusqu’ausacré que cette entente, de cet être-à-trois.

Alors, c’est ce que vous retrouvezaussi sous d’autres formes, dans labelle bouchère, Lol est la bellebouchère et lui, là, nous avons le mari,et la meilleure amie, qui se retrouvedans l’histoire. Donc, forme éminementhystérique, bon.

Alors Hold, lui est le sujet divisé del’affaire, Lacan y reconnaît son sujetdivisé. Et il dit, ce qui est exact, c’est luila voix du récit, il est au fond lepersonnage qui écrit le roman que nouslisons, ce que nous lisons commeroman de Duras, est selon le roman cesont les mémoires, c’est le récit dejacques Hold. Mais Lacan, il faut qu’onfasse attention à ceci, que c’est pas leseul montreur de la machine, qu’il estun ressort de la machine elle-même. Làon ne peut pas s’empêcher de faire lacomparaison avec ce que nous avionsvu d’ailleurs avec Eric Laurent, àpropos du bunraku, où il y a d’un côté lepersonnage manié par plusieursmontreurs, enfin plusieurs manieurs dela marionnette, et puis à quoi s’ajoute lavoix du récitant, qui lui est off. Alorsqu’ici nous avons une voix du récit maisqui provient d’un des rouages même dela machine. C'est-à-dire nous n’avonspas le récitant du bunraku mais c’est unélément même du trio qui est là.

Alors c’est celui, en tant que sujetdivisé, c’est celui dont Lacan soulignel’angoisse et nous voilà un peuraccroché du terme que nous amène,souligne Guy Trobas. Il est angoisse, etLacan souligne que est-il sa propreangoisse ou est-il l’angoisse du récit, il

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établit là une différence que nuspouvons faire valoir, bien.

Disons que l’angoisse est parexcellence l’affect du sujet divisé. Etc’est là qu’il faut bien situer le rapportde cette angoisse avec, cette angoissedu sujet, le rapport de cette angoissedu sujet avec l’objet petit a. Au fondl’objet petit a c’est plutôt par excellencele pare angoisse, précisément en tantque cause du désir.

Le remède à l’angoisse c’est le désiret c’est bien ce qu’on observe dansl’expérience analytique meme, où sil’analyse cesse de se mettre en positionde cause, petit a, il obtient ou doitobtenir un soulagement d’angoisse à laplace du sujet. Et quand il l’obtient pasc’est une indication clinique que peutêtre, enfin qu’il a sa valeur propre à,enfin à distinguer comme telle. Ceci dit,Lacan indique que au fond ce petit a ilest angoisse à l’occasion. alors commevoir ça pour introduire le travail de GuyTrobas, on peut faire la jonction, lajonction peut être multiple avec le textesur Lol V. Stein, c’est la même que dedire que c’est le désir de l’Autre quiangoisse le sujet. Le désir de l’Autrec’est que l’Autre ait un manque, etqu’au fond que l’Autre soit animé dudésir de combler son manque. Et voilàque ce désir se tourne vers moi, tourneson radar vers moi, voilà qu’il se peutque je sois ce qui manque à l’Autre. ets’il y a une chose que je ne sais pas,c’est que je ne sais pas ce que je suisdans le désir de l’Autre, je ne sais pasen quoi je peux le satisfaire, ou en quoije peux manquer à le satisfaire. Et parlà meme l’énigme du désir de l’Autrec’est l’énigme de mon propre statut entant qu’objet petit a cause de ce désirénigmatique.

Et, disons que c’est l’élémentinquiétant qu’il y a foncièrement dans ladisposition des trois prisonniers. Je nesais pas ce que je suis pour eux, je nesais pas de quelle façon je m’inscrisdans la vision qu’ils ont de moi, est-ceque je m’inscris comme noir ou est-ceque je m’inscris comme blanc, eux lesavent et moi je ne le sais pas.

Alors, il y a une façon de résoudre laquestion, c’est en effet d’assumer dans

la joie le fait d’être ce que l’Autre désire,d’être la cause de son désir. C’est lasolution foncièrement érotomaniaque.Et c’est là que s’inscrit ce que Lacandistingue comme une des deux grandesformes de l’amour, la formeérotomaniaque de l’amour. L’amour aufond, dans cette forme, c’est ce quipermet d’assumer d’être ce que l’Autredésire, et meme quand on est lacomtesse de Castiglione, on peut sepermettre de dire : je suis ce que tousles autres désirent et ils ne m’aurontpas, tintin ! ! je me photographie, je mejouis moi-même à me photographier ! etvous n’aurez que, à travers les siècles,vous n’aurez que la petite monnaie demon image, bon. Et je fais uneexception pour napoléon III, parce quec’est l’Empereur, bon. Mais pas vous !voilà ! (rires).

Alors, il est d’ailleurs, enfin, c’estquand même, elle a gardé dans uneboite précieuse, qu’on voit à Turin, ellea gardé dans une boite précieuse sachemise de nuit de sa première nuitavec l’Empereur, une dépouille, enfin, jesuppose qu’elle était identifiée d’unecertaine façon de la présence del’Empereur dans cette chemise de nuit,ça parcoure des siècles d’ailleurs,jusqu’à des événements récents, oùalors là s’est produit, c’est examiné parle F.B.I., etc., et au fond elle a ? ? j’ai eula peau de la bête ? ? ?

Alors, en revanche, c’est là qu’oncomprend l’angoisse de Jacques Hold,qui sert à quelque chose à Lol, maisvraiment là, et parce que il devient lamarionnette de Lol et dès les premièreslignes il présente ce qu’il appellel’écrasante – ça c’est très beau commeexpression – l’écrasante actualité deLol dans ma vie. Et c’est au nom del’écrasante et actualité de Lol qu’aufond il nous livre ces lignes que nouslisons, c’est les lignes d’un écrasé,écrasé par l’actualité du désir de Lol quilui reste néanmoins opaque et qu’ilessaye dans ce roman, passionnémentde déchiffrer, étant par là meme dans lapositon du romancier classique, àsavoir celui qui, sauf qu’ici on voitl’effort. Balzac fait aucun effort, enfin,Balzac il boit des cafés, il se met à sa

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table, puis, et puis dès qu’il se met àgratter il sait tout.

Fin de la 1ere partie du cours 20 du310500

Début de la 2eme partie du cours 20

Et on est encore d’ailleurs,aujourd’hui, c’est pas qu’il est le sujet-supposé-savoir, il est le savoir, le savoirsur toutes choses qu’il y a en cemonde, y compris ce qu’il y a danschaque tête de chacun de sespersonnages. Position d’omnisavoir queJean-Paul Sartre, existentialiste,critiquera, moquera dans un articlecélèbre sur l’art du roman, au détrimentde François Mauriac et qui se terminaitpar la phrase : monsieur Mauriac, dieun’est pas un romancier et monsieurMauriac non plus. Il a bien vu, c'est-à-dire s’il y a en effet du tout-savoir, bon,sauf que Balzac oui est un romancier,enfin, il n’y a qu’un existentialiste quisoit un romancier mais manque de pot iln’est pas romancier non plus, pourd’autres raisons.

Mais, ici, si vous voulez,précisément, ce qui est beau, c’est queil est dans la position du romancieressayant de reconstituer les penséesde l’Autre et les seules pensées quil’intéresse c’est les pensées de Lol etdonc, c’est dans cet effort même ques’écrit ce qui nous est livré sous laforme d’un roman.

Et, au fond, c’est habité par laquestion, angoissée : que suis-je dansle désir de Lol ? et la réponseévidemment est : tu n’es que soninstrument pour saisir Tatiana. Ecoutez,comme j’entend bien donner la parole àGuy Trobas, je crois qu’on va voir unautre visage de l’angoisse à travers sonexposé, cette fois-ci directement lié ausophisme des trois prisonniers, et doncje lui donne la parole.

Guy Trobas : Chacun aura étésensible, je pense, à la touched’allégresse qui a marqué les propos deJacques-Alain Miller lors de son avantdernier Cours, celui du 17 mai dernier.

Pour ma part, celle-ci a eu pour effetde me transférer une certaine agitationdans les méninges, une agitationtravailleuse, au point que j’ai voulu luien transmettre les résultats, en formed’interrogation, sur un aspect subjectif,du temps logique.

Cet aspect est celui qui permet deles réintroduire, le registre de l’affect,donc du libidinal. Dans sa réponseJacques-Alain Miller m’a proposé dereprendre ce questionnement pourvous, en le développant un peu, ce dontje le remercie à nouveau vivement.

Alors, le point de départ de maréflexion m’a été donné par cettedécomposition du temps pourcomprendre que Jacques-Alain Miller amis en relief à partir du texte de Lacan.C’est une décomposition d’autant moinsévidente que la durée pendant laquelleles deux autres protagonistes, les deuxblancs, suspendent leur décision par unmoment de méditation, qui peut être,note Lacan, aussi bref que l’instant duregard, donc ces deux temps ne livrentpas dans leur obligation de différenceune hétérogénéité objectivable quiorienterait le temps pour comprendre.

Je rappelle ici ces deux moments,noté petit a, et petit b par Jacques-AlainMiller, petit a c’est le temps d’attente, ceque l’autre va faire, petit b c’est letemps de constater que l’autre lui aussiattend ce que je vais faire. Notons aupassage deux choses, la première estla précision que ces formulations,lesquelles, vous le remarquez font venirau premier plan l’attente, la précisionque ces formulations nous apporte surce que Lacan appelle la tensiontemporelle, amenant le mouvementlogique du sophisme.

Celle-ci, cette tension temporelle, estnon seulement faite de l’urgence de lasituation concluante, mais aussi de lanécessité que dans cette urgence lahâte finale soit précédée d’un tempsd’attente, en fait de deux.

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Il est facile d’imaginer que lastructure de cette tension temporellemalmènerait la subjectivité névrotiqueet je verrais bien là un motif à la ? ?sous-jacente de Lacan, quandintroduisant le problème il nous dit qu’ils’agit de trois détenus de choix.

La seconde chose que je voudraissignaler, c’est combien les deuxformulations précédentes, nouséclairent sur l’opposition que fait valoirLacan entre structure spatiale duprocès logique, du dilemme des troisprisonniers, et une structure temporelle.La première qui est manifeste dans laconjoncture où deux disques noirs et undisque blanc sont disposés et quiperdurent dans le temps du regard lesdeux autres conjonctures, est unestructure dont la logique implique nulleintersubjectivité.

Par contre, dans ces deux autresconjonctures, les moments a, petit a depetit b du temps pour comprendremettent parfaitement en relief en quoicette structure temporelle estabsolument consubstantielle du virageà l’intersubjectivité dans le procèslogique. C'est-à-dire du moment où lesujet se détache du signe porté par lesautres pour basculer vers lesreprésentations, vers les signifiants ducalcul dont ils sont animés à partir duconstat de l’absence des disques noir.

Je reviens à présent sur ladécomposition du temps pourcomprendre, spécialement sur sonmoment petit a, qui a donc stimulé macogitation.

Plus précisément c’est cette attente,n’est-ce pas, le temps d’attente de ceque l’Autre va faire, dit Jacques-AlainMiller, c’est cette attente qui m’a faitm’interroger sur ceci que peut-être nousavons là le moment où, dans le virageprécédent, dans le mouvement de cesujet dit par Lacan de pure logique,émerge cependant un affect, pasn’importe lequel, l’affect radicalementcorrélé à notre structure subjective, àsavoir l’angoisse.

Alors ce qui me semble, peut déjàinduire, éveiller une telle hypothèse,c’est qu’après Freud, qui avait déjà notéla valeur théorique à propos de

l’angoisse du symptôme nucléaire de lanévrose d’angoisse, c'est-à-dire del’attente anxieuse, Lacan a lui aussi misen valeur ce registre. Toutparticulièrement dans ses séminairessur l’identification et sur l’angoisse, ilprécise l’articulation entre cette dernièreet l’attente. C’est dans la mesure où ledésir de l’Autre met le sujet en positiond’attente, par rapport au point où cedésir l’implique, sans le reconnaître,que se trouve suscitée l’angoisse dansle dit-sujet.

C’est d’ailleurs dans le séminairel’angoisse, à la leçon du 27 février 63que Lacan mentionne justement ladimension temporelle de l’angoisse,cette mention qui va dans le sens denotre propos, n’est d’ailleurs pas lapremière, car il y en a une autre, quim’était restée opaque, jusqu’à ceséminaire sur l’angoisse, elle se trouvepage 109 des Ecrits, dans« L’agressivité en psychanalyse », textequi suit de trois ans le temps logique.Dans un passage de ce texte Lacanpropose en effet pour ce qui est dit-il denotre praxis, la catégorie de l’espace,qui est celle de l’inertie du moi et desscotomes inertes des symptômes, iloppose donc cette catégorie d’espace àla dimension temporelle dont répondl’angoisse. Donc en 1948.

S’agissant donc de l’hypothèse quej’ai avancé, dont vous voyez le ressortavec l’incidence supposée de l’attente,un argument s’en allait contre sa valeursubjective d’angoisse. En effet, ce queles autres vont faire, l’attente de ce queles autres vont faire, ce que les autresvont faire ne s’articulent pas à prioridans le registre du désir de l’Autre et deson opacité énigmatique pour le sujet.

C’est en effet ce qu’on peut objecterà mon hypothèse avec Lacan qui nousprécise bien pages 205-206 des Ecrits,que dans l’intersubjectivité dont il s’agit,dans le temps pour comprendre, lessujets, engendrés, sont des sujets je lecite : des sujets indéfinis sauf par leurréciprocité, c'est-à-dire des sujets nonparticulier. Ce sont des semblables, oucomme le dit Lacan ? ?208, l’un ne sereconnaît que dans l’Autre. en d’autrestermes chacun peut prêter à l’autre le

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meme calcul logicien et c’est pour celaque le moment B qui suit, le moment Bdu temps pour comprendre, le constatque l'autre lui aussi attend ce que jevais faire, est somme toute la simpledéduction spéculaire, transitiviste, dumoment petit a. donc cettetransparence si on peut dire du désir del’autre semble ici faire obstacle àl’émergence de l’angoisse.

La porte se referme-t-elle alors surl’hypothèse avancée ? ce n’est pas sur,quelque chose dans cet écrit de Lacanla laisse pour le moins entrebâillée,quelque chose que j'y ai retrouvé, pourl’avoir cherché dans l’après-coup demon hypothèse, à savoir qu’il introduitlui-même dans ces sujets dont lalogique ne semble répondre que deseffets du signifiant, il introduit lui-mêmeà un moment donné le registre del’angoisse.

Ce n’est pas au mouvement dutemps pour comprendre, encore moinschose à laquelle on pourrait penser, enraison du calme grave, dramatique dela situation, ce n’est pas là qu’ill’introduit, mais il l’introduit commecorrélat du mouvement logique lui-même dans son troisième temps, plusprécisément sur le versant de la hâte,du moment de conclure. Je vous lit lepassage, n’est-ce pas, page 207, quiintervient à titre d’approfondissementde l’originalité de l’assertion par le sujetqui conclut par son mouvement logique.

Donc je le cite : « Progressant surles relations propositionnelles des deuxpremiers moments, apodose ethypothèse, la conjonction ici manifestéese noue en une motivation de laconclusion, « pour qu’il n’y ait pas » -Lacan ouvre une parenthèse – (deretard qui engendre l’erreur), où sembleaffleurer la forme ontologique del’angoisse, curieusement reflétée dansl’expression grammaticale équivalente,« de peur que » (le retard n’engendrel’erreur).

Vous remarquerez que l’expression« où semble affleurer la formeontologique de l’angoisse », par sanuance n’est-ce pas entre lephénomène et l’ontologique, n’exclutpas que l’angoisse consubstantielle

donc à l’être du sujet, ici, qu’il soit purlogicien ou non, n’exclut pas quel’angoisse puisse exister ici, voireopérer, inaperçu, dans les tempslogiques précédents.

Ceci étant la question se pose de cequi peut motiver cet affleurement dansl’assertion dite conclusive. Il est clairque nous sommes là renvoyé à lamodification de la déterminationsubjective des trois acteurs dans cettemodulation temporelle nouvelle, doncdu moment de conclure.

Je ne vais pas reprendre lecommentaire qu’a fait sur ce pointJacques-Alain Miller, il y a deuxsemaines, mais simplement rappelerque dans ce troisième temps, logique,chacun des sujets se trouvemanifestement précipité dans quelquechose, qui n’est plus objectivable, et quis’appelle rivalité, concurrence. Unerivalité, une concurrence, qui joue parrapport à ceci, que chaque sujet à êtredevancé par les autres est rejeté, enfinrisque d’être rejeté dans l’erreur oul’indétermination, ne pouvoirreconnaître s’il n’est pas un noir.

Il y a là comme le note Lacan ,page 206, une urgence du mouvementlogique, une urgence de ne pasattendre plus pour conclure sa logiqueassertive. C’est aussi bien, souligne-t-il,le culmen de la tension temporelle. Unecertaine évidence peut nous pousser àconsidérer que c’est à cette apnée de ladite tension qu’est du l’affleurement del’angoisse.

Mais il me semble que l’on peut fairevaloir un autre angle d’approche quecelle-ci, ou de celui-ci, de cetaffleurement, à partir de ce que Lacanfait valoir page 208 sur le « je », j-e, surle sujet de l’assertion subjective qui estdonc l’assertion qui est en jeu dans lemoment de conclure.

Ce sujet nouveau en quelque sorte,ce « je » en tant que sujet de l’assertionconclusive, s’isole écrit Lacan, s'isolepar un battement de temps logique del’autre, c'est-à-dire d’avec la relation deréciprocité. Ce « je », ce sujet del’assertion, s’isole de la relation deréciprocité. En d’autres termes Lacanfait reposer en ce point où s’affirme la

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relation justement de rivalité, il faitreposer là-dessus la possibilité dedégagement de chaque sujet, n’est-cepas, du transitivisme spéculaireindéterminé, du temps logiqueprécédent.

Il y a là comme l’indique l’expressionjustement d’assertion subjective et nonpas objective, il y a là n’est-ce pas unevéritable émergence du sujet, tout aumoins pour Lacan, dans ce texte, unevéritable ignorance du sujet dans saparticularité cette fois-ci, qui rompt à latransparence des calculs que chacunpeut supposer dans les autres. Commel’écrit Lacan page 207 : « (…) lejugement qui conclut le sophisme nepeut être porté que par le sujet qui en aformé l’assertion sur soi, et ne peutsans réserve lui être imputé parquelque autre.

Voilà le calcul se brise. Enfin lecalcul qui aboutit à l’assertion objective.Et bien si justement il ? ?à ce niveau,que peut être introduite la considérationdu désir de l’autre. Dans ce troisièmetemps du sophisme et ceci dans lamesure meme où la dite particularité dechacun des sujets – de chacun desprotagonistes – n’en fait plus pour lesautres un semblable mais bel et bien ungrand Autre.

Sans doute pourrions nous dire quece qui désigne dans le temps logiquecet autre, ce qui lui donne consistance,et qui au-delà implique son désir, à cemoment de l’enseignement de Lacan,c’est ce que Lacan nomme rivalité,jalousie ou concurrence. En ce sens ilparaît soutenable de poser que ce n’estpas le culmen comme tel de la tensiontemporelle qu’il faut entendre commemotivant l’affleurement de l’angoisse,ce qui serait un point de vue peut-êtreun peu trop économique, du fait de ceterme de culmen, mais plutôt lecrescendo de l’urgence concurrentielle,n’est-ce pas, en tant qu’elle trouve à s’yréincarner, dans ce crescendo, le désirde l’Autre qui est sous-jacent. Près detrente ans plus tard dans son séminaireEncore, page 47, n’est-ce pas cetteperspective que Lacan met en valeur,dans, revenant sur son temps logique, ilnote que chacun n’intervient dans ce

ternaire, qu’au titre de cet objet petit aqu’il est sous le regard des autres.

Et si à présent en partant de cettesubjectivation d’une concurrence avecl’Autre dans la fonction du tempslogique, une phrase de Lacan page208, nous relevons, comme Jacques-Alain Miller l’a montré, que tout leressort du temps logique joue là-dessus, au fond ne sommes-nous pasautorisé, à déduire que non seulementle registre de l’angoisse est mis en jeuau temps pour comprendre, mais aussimanière de rectifier mon hypothèse dedépart, finalement dès l’instant duregard.

Et donc, si à présent, comme je ledisais en partant de cette subjectivationd’une concurrence avec l’Autre, dans lafonction du temps logique, nousrelevons, comme Jacques-Alain Millerl’a montré, que tout l’effort du tempslogique joue là-dessus, ne sommes-nous pas autorisé à déduire que ceregistre de l’angoisse apparaît à chacunde ces temps, logique.

Pour conclure après cetteinterrogation j’introduirais encore unquestionnement, celui-ci concerne lemoment de conclure, dans lequel il mesemble correct d’introduire aussi unecertaine décomposition. Il y a laprécipitation du mouvement logique, quiaboutit au jugement assertif,précipitation dans laquelle affleurel’angoisse au point où la tensiontemporelle trouve sa plus grandedensité intersubjective. Mais il y a aussila manifestation du jugement n’est-cepas, sous la forme de la hâte quianticipe sur sa certitude et vient,lequel ? ? nous dit Lacan, déchargecette tension. Il est logique de poserque ce moment est aussi celui quiouvre à la résolution de l’angoisse. laquestion peut alors être soulevée del’articulation, pas entre la certitude del’angoisse et l’acte qui engendre lacertitude dans le temps logique. Là-dessus, contre les réflexions, pourraitêtre relancer par ce que nous dit Lacan,n’est-ce pas, dans sa leçon du19 décembre 62, dans le Séminairel’Angoisse, à savoir que c’est justement

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peut-être de l’angoisse que l’actionemprunte sa certitude.

Un dernier mot sur l’arrière plan decette lecture que je vous ai proposé,celui-ci est simple à énoncé, mais bienplus difficile à conceptualiser dans sestenants et aboutissants, si comme l’aannoncé Jacques-Alain Miller dans uneformule frappante, en tout cas qui m’afrappé, le temps est lui même un effetde la structure signifiante, c’est bienparce que cette structure est animéepar l’objet petit a, sans doute en dernierinstance, est-ce que ce semblantontologique que nous devons fairereposer le temps logique.

C’est en tout cas la perspective quej’ai voulu donner avec cette mise enrelief de l’angoisse, qui habitait cetemps logique.

Applaudissements.

Jacques-Alain Miller : On esttoujours là vous voyez, faut pasconfondre, je crois, les incendies avecles boules puantes. Donc prenons notretemps, bon.

Je remercie beaucoup Guy Trobasde sa ponctuation qui peut en effets’appuyer sur une conception constantede Lacan, qu’on trouve déjà comme ilest allé le chercher dans son écrit surl’agressivité en psychanalyse, un deses exposés d’après-guerre, devant legroupe analytique et qui lie de façonessentielle l’angoisse et le temps. Et il ya une appartenance essentielle del’angoisse et du temps.

Et c’est lié disons, à la jonction del’angoisse et du désir de l’Autre, c’estpas une appartenance circonstancielle,c’est que l’angoisse est impensablesinon comme phénomène temporel.

Et pourquoi ? entant qu’elle est liéeau désir de l’Autre elle prend la forme sion veut lui donner une forme d’énoncé,la forme que va-t-il faire ? mais avecl’accent supplémentaire c’est pasl’attente tranquille de qu’est-ce quel’autre va faire ? est-ce qu’il va partir ou

est-ce qu’il va rester ? c’est ce qu’on adans les trois prisonniers. Evidemmentsi j’étais est-ce que l’autre va partir ouest-ce qu’il va me fendre la tête endeux, là ça commencerais à être autrechose. Au fond dans le sophisme destrois prisonniers, il est entendu quechaque prisonnier ne songe qu’àcalculer, à jouir en calculant dans satête et à prendre la poudred’escampette. On dit c’est desprisonniers donc on comprend que leurdésir est su par tout le monde c’est deprendre la poudre d’escampette. N’est-ce pas ? d’ailleurs c’est pas comme çalorsqu’on nous représente dans desscénarios, au cinéma, des prisonniersqui prennent la poudre d’escampette engénéral ils s’interfèrent parmi eux desbeaucoup d’autres désirs que celui deprendre la poudre d’escampette. ilsoublient de prendre la poudred’escampette pour prendre la femme duvoisin et à ce moment là ça met à mal,on se rend compte que leur désir n’estpas univoque. Au fond, dans ce récit,en effet, le désir est univoque chacunne pense à l’autre que comme unmoyen épistémologique de sortir, quede l’inscrire comme un élément de soncalcul logique pour sortir. Lol V. Steinelle n’inscrit pas les autres comme deséléments de calcul épistémique poursortir, elle en fait des éléments de sajouissance insituable, bon.

Fin de la 2eme partir du cours 20.

Début de la 3eme partie du cours 20

Donc, lorsque le désir de l’Autre onne sait pas lequel il est, alors on est en

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effet suspendu à ce qu’il va faire. Et,plus précisément à ce qu’il va me faire.Et dans tous les sens on peut prendrece « ce qu’il va me faire », c’est-à-direqu’est-ce qu’il va me faire à moi quipeut me faire du mal, parce que sondésir peut comporter ça, du mal pourmoi, de la brutalité, de la violence, bon.Et puis, qu’est-ce qu’il va me faire ausens de quel être son acte va-t-il meconférer ? Et donc, horreur, enfin,angoisse, est-ce que par exemple jeserai pour l’Autre qui s’approche unaliment ? Est-ce que c’est l’êtred’aliment que il va m’infliger en meconsidérant comme bon à manger. Et,brusquement, bon, et ce sont desépisodes d’ailleurs à la fois dont on faitdu rire dans les comics ou dans lesfilms, etc., brusquement l’oiseaus’aperçoit, en effet, alors ou il nes’aperçoit pas justement dans leshistoires de Fifi et Sylvestre. Fifi n’estqu’un aliment pour Sylvestre, et Fifi pasdu tout pense qu’ils sont là pour deviseretc, est absolument aveugle etabsolument pas angoissé. Fifi, il n’estpas angoissé par le désir de dévorationde l’autre qu’il ne perçoit même pas,bon.

Alors, au fond, c’est dans ce « queva-t-il me faire » que gît l’angoisse etdonc l’élément temporel de l’angoisse,à savoir c’est le moment d’après, je nele sais pas encore mais je vais lesavoir. Et tu vas voir ce qu’il va t’arriver,comme dis l’autre, bon.

Alors donc il y a quelque chose dansl’angoisse en effet qui comporte le« l’autre est sur le point de », « uninstant plus tard et ça y est », avecaussi le « être indéfiniment sur le pointde », dans le « allons, allons,marchons, partons », etc et puis on vasur place, ou les déménageurs qui sontlà, nous déménageons etc, et ils nedéménagent rien du tout, toute la piècese passe dans la déclaration desdéménageurs qui vont déménager lamaison et puis la maison reste enplace.

Alors, à cet égard, au fond il y a unélément qui est souligné, vous essayezd’introduire l’angoisse dans le tempspour comprendre, à cause du terme

d’attente et d’attente anxieuse qui est lapiste sur laquelle nous a mis Freud.

Alors, évidemment, comme c’est àfacettes il faut qu’on arrive à s’entendre,parce que. Au fond il y a un quandmême, on ne peut pas confondrel’attente des deux qui attendent quel’autre fassent quelque chose, jusqu’àse rendre compte que le binaire, enfinl’autre, est aussi en train d’attendre ceque lui-même va faire et puis letroisième. Le troisième, même s’il a luiaussi un temps pour comprendre, iln’est pas dans la même position, parcequ’au départ, dans les trois, au fond ilest en train d’attendre ce que les autresvont faire, et au fond il ne peut rein faired’autre que d’attendre. C’est-à-dire là,lui il sait qu’il ne peut pas partir, étantdonné qu’il a en face de lui deuxblancs, donc il attend de voir si lesautres, eux, peuvent partir parce que luiserait noir. Mais ça il faut qu’il attende.Là, il y a une durée, si je puis dire,incompressible, une attenteincompressible. Il faut attendre. Prenezvotre tour, prenez votre tour, il y a laqueue Monsieur, on ne peut pas, bon.Et là il y a la queue au guichet du tempslogique. Faut qu’il attende, faut que letroisième qui a en face de lui deuxblancs, il faut qu’il attende son tour. Etdonc là il se tourne les pouces. Il n’estpas, à mon avis, il n’est pas dansl’angoisse, parce que il faut qu’ilattende ce que les autres vont faire. Etsimplement, il y a un moment où cetteattente là, où il est quand même à setourner les pouces, à savoir Messieursavez vous fini votre temps pourcomprendre. Il y a un moment où ilbascule, il y a une bascule de l’attente,disons, et où il se trouve dans laposition les autres ne sont pas partisavant moi, donc il faut que je fonce etque je parte pour qu’ils ne partent pasavant moi. Ce n’est pas la mêmechose.

Donc là, c’est là qu’on a l’effet de laconclusion, du moment de conclure.Lorsque le sujet, qui avait commencé àse tourner les pouces, logiquement jeme tourne les pouces non pas parceque je suis cossard, mais en fonctiondu temps logique, à un moment le sujet,

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structuralement cossard, se trouveaspiré dans la scène, et cette fois-ci ilfaut qu’il bouge et à toute blinde.

Donc, c’est ça l’effet spectaculaireque Lacan obtient, c’est, il vous donnele sentiment de cette aspiration dans lascène du sujet. Au début lui il estdevant les deux qui comprennent, quiprennent tous leur temps pourcomprendre, c’est, si vous voulez, lafigure qui visiblement est fascinanteaussi pour Lacan, que vous avez surles Ambassadeurs. Il y a le gros, il y ale petit, ils sont là, dans leur temps pourcomprendre, avec tous les instrumentspour comprendre qu’il y a sur lesétagères. Et puis, il y a un moment,vous qui êtes là à reconfigurer, pfuit !vous êtes comme l’étoile filante quis’inscrit sous la forme anamorphique endessous.

Et donc, aspiré, vous êtes obligé,c’est pas simplement de toi aussi il estquestion, de res sagitur, mais aspirédans la salle, ça ne peut plus attendre.

Alors, évidemment, il y a quandmême, bon, il y a un temps d’attentepas du tout angoissant, du genre il fautque jeunesse se passe, donc on attendque la jeunesse finisse ses conneriespour arriver à la sagesse de l’âge mur.Tandis que là, il y a un « je dois agir »,bon. Et c’est là, alors ça c’est un acteen effet créateur de vérité, puisque,comme je l’avais décomposé, c’est unacte qui rend vrai la prémisse à partirde laquelle se fait l’acte. Je l’aidécomposé logiquement, c’est un actequi rend vrai la prémisse qui permet defaire l’acte. Et donc il y a un temps où ilfaut faire l’acte, sinon la prémisse quipermet de le faire ne sera jamais vraie.

Alors, là on voit que, évidemment, çacomplique de beaucoup l’idée qu’on a,bêtement, parce que les mots sontbêtes, foncièrement, de la dépendanceà l’égard de l’Autre. On dit dépendant,est-on trop dépendant, je dépend, bon,la dépendance à l’égard de l’Autre. Onvoit ça sur le mode de la chaîne, je suisattaché, je ne peux pas me tirer, bon.

On croit que la dépendance c’est ça,enfin c’est un des modes de ladépendance en effet. Là, c’est quandmême autre chose, c’est je dépend de

ce que l’autre va faire. Et au fond, là jedépend d’un vouloir opaque, je dépendd’un caprice qui n’a pas de loi.

Alors ceci dit, l’attente, elle n’est pasforcément anxieuse. Ce n’est pas lestatut propre de l’attente d’êtreanxieuse. Pour donner un exemple,toujours dans l’ordrecinématographique, un film que je mesuis trouvé voir d’ailleurs, et que tout lemonde va voir paraît-il Le goût desautres, c’est très occupé par ça. Il y a lepersonnage du chauffeur de maître etdu garde du corps de maître, au fondon nous les montre ils passent leurtemps à attendre. Les deux passentleur temps à attendre le troisième quiest le maître. Et le maître se goberge,va voir sa femme, va voir sa copineetc, enfin il est le maître et les deuxautres, pas anxieux pour deux sous, ilspoireautent. Les deux autres viventl’attente sur le mode nous poireautons.

Voilà, donc, c’est un mode del’attente sans angoisse. C’est l’attente,je m’emmerde, quand est-ce qu’il vaavoir fini de faire ses petits plaisirs etc ?Moyennant quoi, le moment drôle, et ceque fait l’autre et ce qui lui arrivefinalement ça ne change pas leur statutde chauffeur et de garde du corps. Etdonc évidemment, à la premièreoccasion, pendant que le garde ducorps regarde ailleurs, le patron se faitcasser la figure, complètement dans larue et le garde du corps arrive et se metà courir à toute blinde, et ça ne sert àrien, mais il reste garde du corps, ça nele touche pas dans son être.

Donc là, au fond, ils sont attachéscomme salarié chauffeur et salariégarde du corps au patron, mais ce quiarrive au patron dans ses petits plaisirs,ça leur est profondément indifférent,eux ils ont leur objet, leur femme, c’estdifférent.

Donc, là au fond, c’est l’ennui, c’estl’attente comme ennui. C’est trèsdifférent de le moment où je suis àattendre, ou ce que va faire l’autre peutme changer dans mon être, m’atteindredans mon être. Et donc là c’est liédisons à une imminence, c’est liéfoncièrement à l’imminence, c’est-à-dire, c’est tout près de se passer. Et

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donc là, en effet, on a le phénomèneanxieux mais qui est essentiellement liéà l’imminence de ce qui peut avoir lié.

Et, alors, je pense que l’angoissedans le temps logique, que Lacansignale, en effet, je ne crois pas qu’ellesoit présente dans ce qu’il dégagecomme forme pure du temps pourcomprendre. Dans le forme pure dutemps pour comprendre, c’est letroisième regardant les autres en trainde voir si l’autre va bouger et fondcondamné à attendre là, ils sontcondamnés à attendre, on est tranquillequand on est condamné à attendre,parce qu’on sait ce qu’on a à faire. A,quand il y a deux prisonniers, A il n’apas à s’angoisser, il a simplement àattendre si B s’en va. Si B s’en va avantlui. Si B s’en va avant lui il sait ce qu’ilest, il est couillonné, mais c’est commeça parce qu’il n’avait pas le bon disque.

Tandis que, donc là c’est un tempsd’attente, obligé, c’est un tempsd’attente il faut y passer. C’est trèsdifférent lorsque, alors ça c’est la formepure, logique, du temps pourcomprendre, qu’on ne peut pascomprimer. En revanche lorsqueémerge le temps pour conclure, c’esttout à fait différent. Dans le moment deconclure c’est mon acte qui rend vrai lasituation, c'est-à-dire c’est mon acte,l’autre n’étant pas parti avant moi, jepars. Mais évidemment à ce moment làil faut que je me dépêche de partir pourqu’il ne soit pas parti avant moi.

Et donc c’est là qu’il y a à la fois unje pars de peur qu’il ne parte, et lemoment de la concurrence que vousavez signalé, mais qu’il y a dans l’actela résolution de l’incertitude et donc icion voit se coller de très près, l’angoisseet puis la résolution de l’angoisse, dansla certitude.

Tandis que dans la fermeture dutemps pour comprendre au fond, il fautque j’attende, il y a un il faut quej’attende, qui lui n’est pas angoissant entant que tel, et ce qui est angoissantc’est le il faut que j’agisse très vite. Et,donc, alors il faut encore ajouter que sequi se présente comme concurrent serésout quand meme commecoopération, c'est-à-dire comme le

signale Lacan finalement je ne peuxtrouver la solution que si chacun a bienjoué son rôle.

Donc voilà, enfin une réflexion que jevoulais apporter à votre… est-ce queEric Laurent voudrait dire sur le sujet,nous sommes toujours…

Eric Laurent : Oui, trois points. Lepremier c’est que, au fond, la suite dutemps logique qui m’avait aussi retenuc’est dans Encore, le moment où, àpropos de l’évocation, si on veut del’Autre de la science, l’un du calculuniversel, il réintroduit le temps, latemporalité propre, le lien de cettesubstance particulière qu’est lapsychanalyse et du temps.

Alors, je n’avais pas compris, aufond ce passage là, qui m’était fortopaque et je ne dirai pas que je l’ai toutcompris mais en le relisant je lecomprend mieux, une fois que…

Jacques-Alain Miller : Qu’est-ceque Lacan dit précisément ?

Eric Laurent : On pourrait reprendresur la question, mais si tu veux c’estune fois que toi même, tu fais le, ayantsaisi, enfin ayant montré comment çase suspend, comment l’acte doits’accomplir pour valider les prémices,comment le savoir lui-même devienttout entier appendu à un acte, à un actequi implique, étant donné tout savoir, jedois calculer ma place par rapport à cesavoir, et est-ce que je ne serai pasl’objet qui manque au désir rangé dansce savoir, qu’il n’y a pas de désir, qu’iln’y a pas d’Autre sans un désir del’Autre.

Et, autrement dit, c’est comment,disons, la place où se dégage une sortede féminisation du temps logique.Comment la féminisation du tempslogique qui d’abord se présente en effetcomme les hommes, les hommes et surce point homogène dans leurs désirs.Et ensuite en deux étapes, disons ouaprès dans le Séminaire XVII où Lacanparle de l’effet féminisant de l’objetpetit a, et ensuite dans Encore où ilamène le temps logique au moment oùil situe, disons, la substance, la

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substance jouissante commeprofondément lié à la jouissance del’Autre, à la jouissance de la femme, àl’autre jouissance.

Alors, ces étapes-là, je medemandais au fond comment ça sefaisait, je comprend mieux maintenant,avec ce que tu disais sur l’effetféminisant de l’objet a, c’est ne suis-jepas ce qui manque à l’Autre ? effetféminisant de l’objet a, et qu’au fondl’autre de la science, qui amène là dansce chapitre dans Encore, l’autre de lascience radicalisant la coupure avec lesavoir, il radicalise la question qu’est-ceque ce savoir veut de moi ? Et est-ceque je ne suis pas ce qui lui manque, àcet être.

Et que, disons, la dématérialisation,en ce sens, la dématérialisation dudisque ou la façon dont se disjoint ledisque, le corps, et les disques et lescorps. La dématérialisation successive,je vois Lol Stein, l’histoire de Lol Steincomme une des étapes, vers laféminisation du temps logique. Dans LolStein on a son être de pur regard d’oùle corps, enfin on se demande, elle jouitde quoi, effectivement d’une positionféminine, l’organe peut très bien êtrecelui d’un homme, l’autre homme, etl’autre corps c’est celui de Tatiana, doncune sorte de cette dématérialisation desa jouissance à elle, qui s’opère, et quiest entièrement suspendue à une sorted’acte qui se réalise, au nœud qui serefait comme un nœud même temporel.

Et au fond, les étapes entre le tempslogique, Lol Stein, puis la reprise dansEncore, de cette question sont autantde chemins vers cette substance touteentière où se noue l’angoisse, le tempset la jouissance qui se retrouvesuspendue au temps, suspendue àl’acte qu’il faut. Encore faut-il conclureque, par exemple je suis, je cause ledésir de l’Autre.

Encore faut-il, disons, il faut l’acteanalytique, de se mettre en acte, àcette place là, pour que s’engendre laprémisse, par exemple de type, alors ily a un savoir qui justifie que cette placesoit occupée.

Guy Trobas : Je voudrais, enfin,simplement, de ce que Eric a dit, ceque vous avez dit vous-même, tout àl’heure…

Jacques-Alain Miller : Oh, eh biennous nous faisons tous écho !

Guy Trobas : à savoir, que, oui c’estvrai, la position de l’analyste par certaincôté soulage de l’angoisse, mais on voitbien que précisément dans l’acteanalytique le désir de l’analyste, venanten quelque sorte en x du désir del’Autre, au contraire amène une tensionangoissante, bien souvent dans lesliens analytiques, une tension dans lesujet. Là très souvent, en lui-même,angoissant d’ailleurs parfois même pourl’analyste, à mesure qu’il n’anticipepas…

Jacques-Alain Miller : Oui, je croisque, en effet, l’expression que souligneEric Laurent, la féminisation par l’objetpetit a, c’est une autre version de laforme érotomaniaque de l’amour.L’objet petit a comme tache, on l’a vu,c’est ce qui fascine mon regard. Etdonc, au fond, Lacan définie la positionféminine, par excellence comme cellelà, celle d’être le centre du regard,comme pour Lol.

Et donc, au fond, assumer la positionde l’objet petit a, c’est assumer laféminisation qui va avec, si je puis direl’exhibition. Et même, et c’est pour çaque toutes les virilités démonstratives,je roule des mécaniques, je me metsdes casquettes de cuir, des vestes decuir (rires), des pantalons de cuir etpuis j’ai une grosse moto et…

Au fond plus on rajoute les signesemphatiques de la virilité, en fait ont uneffet féminisant. C’est-à-dire l’attraperegard de la virilité emphatique, parl’effet féminisant de l’objet petit a, aufond, prennent le caractère demascarade, bon.

Alors, à cet égard, aussi on peut dired’une façon générale, au fond laquestion c’est : quelle solution trouverau désir de l’Autre ? il y a, le désir del’Autre se présente au fond, on peutdire que son effet subjectif le plus

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palpable c’est l’angoisse, à savoir queme fait, que suis-je dans ce désir ? Queme fait le désir de l’Autre, que me fait-il ?

Et, au fond, l’amour sous la formeérotomaniaque c’est la solution lameilleure, c’est-à-dire, je suis la causedu désir de l’Autre. C’est très simple jesuis la cause du désir de l’Autre, ilm’aime.

Et, au fond, c’est donc, ça se jouesur le pivot du désir entre angoisse etamour. Et, avoir la, enfin, la solutionamoureuse est certainement la plus,c’est celle qui est dans l’ordre du pareangoisse, la mieux constituée. Et onvoit ça, ce qui faudrait encore montrer,c’est pourquoi chez Lol V. Stein cettestructure qui a l’air hystérique, en faitdébouche sur tout à fait autre chose.Elle débouche sur autre chose, c’estque, ça débouche sur autre chose onpeut dire quand le nœud se refait,simplement parce que là elle a unaccès direct à la chose dont il s’agit.C’est-à-dire qu’elle nage dans sajouissance, elle a franchit la barrière quiinterdit d’obtenir la chose.

Maintenant je trouve très justel’évocation d’Eric Laurent sur le « que lesavoir me veut-il ? », on voit que c’estquelque chose comme ça qui aspire lesujet dans le discours scientifique.Andrews Wiles, celui qui a résolu lethéorème de Fermat après trois siècles.Au fond il a raconté comment ça s’estpassé pour lui. C'est-à-dire le momentoù il s’est dit – moi j’avais lu des chosescomme ça, je lis ça, je dis comme c’estintéressant, je referme le livre, je penseà autre chose, par exemple au tempslogique de Lacan, etc., bon. Mais, aufond, Andrews Wiles raconte que àl’age de dix ans il est allé lire un manuelsur les célèbres problèmes non résoludans les mathématiques, il a vu lathéorie des grands esprits qui s’étaientpenchés sur le théorème de Fermat, ense cassant le nez, et il s’est dit à dixans, c’est moi qui résoudrait ça. Et aufond, un peu après 40 et après uneépopée intellectuelle dont on a le récit,il a réussit à satisfaire son vœud’enfant. Et au fond on voit que, enfin ila vu cette théorie de mathématiciens,

ces portraits en série et au fond il s’esttrouvé aspiré, c’est comme si lesmathématiques avaient besoin de lui. Etdonc en effet c’est, que décrivait EricLaurent, là sous une forme un peuimagée, être aspiré pour devenir.

Mais au fond je m’aperçoit quand j’aicommencé là, cherchant à dire, àqualifier dans des termes, d’en trouverles termes pour qualifier ce quim’amène la semaine prochaine, moij’aurais pu plaider pour moi-mêmed’ailleurs, mais enfin je ne me fais pastout à fait confiance évidemment pour lefaire et pour, il faut savoir parler aujuge, c’est ça l’essentiel, l’avocat estpréposé au désir des juges, je ne suispas sur comment il faut parler aux jugespour leur plaire, je suis meme, je penseque je risque de ne pas leur plaire, moi.Mais, au fond c’est ça quand j’ai dit quej’ai trouvé comme formule mon lot s’esttrouvé lié à l’enseignement de Lacan,c’est quelque chose comme cela, c’estqu’à un moment il y a quand même euun petit bougé, un petit trou, dansl’affaire, dans lequel j’ai au fond étéaspiré, à un moment donné, et, au fondj’arrête pas de devoir le payer, commeça, à travers les décennies. Il y a unphénomène au fond, on peut pasvraiment s’arrêter quand on est aspiréde cette façon là. Alors il faudrait que jeretrouve, selon nos coordonnées, ilfaudrait que je retrouve le tempslogique de l’affaire, hein, ça seraitintéressant. Et est-ce que, oui vousm’encouragez à cela, à quel moment,c’est clair pour le Séminaire de Lacan,c’est clair que c’est parce que lesautres n’arrivaient pas à le faire que jeme dis… il m’a poussé, et d’autres dansle circuit avec lesquels je ne me sentaispas du tout en concurrence, je laissaisfaire, et c’est vrai que, Lacan m’apoussé là-dedans, donc, en tout casc’est intéressant… mais enfin je ne vaispas tout vous dire non plus (rires), ilcommence à me faire le coup, là, demais oui comme c’est intéressant !(rires).

Bon en tout cas je vous remerciebeaucoup, je remercie mes deuxcompères, je vous remercie en tant quetrois compères, et cet être-à-trois se

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retrouvera, si vous le voulez bien, l’être-à-trois se retrouvera la semaineprochaine pour poursuivre sesacrobaties ? ?

Applaudissements.

Fin du Cours 20 de Jacques-AlainMiller du 31 mai 00

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LES US DU LAPS

Jacques-Alain Miller

Vingt et unième séance du Cours

(mercredi 7 juin 2000)

XXI

Une dynamique s’est instaurée. EricLaurent nous a apporté une lecture deDuras avec Lacan. Eric Laurent n’estpas encore là. Quand il arrivera,veuillez lui signaler de venir s’asseoir.Guy Trobas, ici présent, a ponctué laprésence de l’angoisse dans lesophisme des trois prisonniers, ilsoulignait le rapport de l’angoisse et dutemps. Et puis, voilà que j’ai reçu uncourrier électronique intitulé « Lol et ladifférence féminine », qui m’a parupertinent et original, et qui se terminaitpar le post-scriptum suivant - c’est incauda benenum. Post-scriptum : « Onse demande jusqu’où ira votre lignéed’homosexuée sur le podium. »Trobas : « Jusqu’où ira ? ! ! ! » - « Onse demande jusqu’où ira votre lignéehomosexuée – notez Trobas - sur lepodium, ou sur scène, qui va d’unhomme à deux, et de deux hommes àtrois » – c’est très exact – « pourdiscuter justement de la différenceféminine. Sans que vous remarquiez cepoint aveugle, si bien décrit par RolandBarthes, dont il fait la remarque quechaque personne défend son propresexe dans ce qu’il écrit. » On peutdiscuter. « C’est aussi drôle que tristede voir discuter une femme par unhomme multiplié et tellement savant.Ce n’est pas mal d’être marginal,croyez-moi, on voit des choses qu’onne peut pas voir, qu’on voit, on dit deschoses qu’on ne peut pas voir ou dire,au centre. À vous, etc. ».

Il y avait dans ce post-scriptum unepointe de défi, et j’ai pensé que je nepouvais pas vous faire manquer ça, etdonc j’ai demandé à l’auteur dedévelopper son point de vue. Commevous le voyez, c’est une femme, et jeme suis dit que si elle était la seule, çaferait croire à La femme, donc, il enfallait une autre, et, pour une fois, j’aidemandé une contribution, je l’aidemandée à Catherine Lazarus-Matet,qui a bien voulu, entre dimanche soir etce matin, la préparer sur Lol V. Stein.

Je me suis même dit, qu’il fallait queje rachète les malheureux proposdépréciatifs que j’avais à un momentlâchés sur l’œuvre de MargueriteDuras, et que l’intérêt foisonnant sur laquestion justifierait qu’on improvise, oubien dans 15 jours, ou bien à la rentrée,un petit colloque Lol, qui nouspermettrait de continuer d’en disserter,et ce d’autant plus que j’avais omis devous le dire la dernière fois, à la sortiede l’exposé d’Eric Laurent, m’arrêtantsur le chemin du retour à un kiosque àjournaux, même précisément celui duSénat, où je m’arrête parce que lekiosquier est un ancien de ce Cours, etque, donc, je lui commente à la sortiece que j’ai pu dire, et puis lui-mêmeactuellement est en train de lire unCours ancien de moi.

Et il se trouve que, passant à cekiosque, j’ai croisé, ce qui ne m’étaitpas arrivé depuis vingt ans - là on se ditqu’il y a un dieu quelque part -, j’aicroisé Michèle Montrelay. Et donc, je luiai dit : « Nous venons de parler devous. » Peut-être que je pourrais laconvaincre aussi d’assister, departiciper à notre petit colloque Lol,puisque elle a joué un rôle important,décisif, pour l’intérêt que Lacan àl’époque a eu pour ce roman.

Pour être complet, je veux faire unsort à ce que j’ai reçu par un autrecourrier électronique, que jem’apprêtais à citer la dernière fois – jen’en ai pas eu le temps – que m’avaitadressé Catherine Bonningue, et quime signalait ceci. Je vais commencer,en essayant de ne pas être trop long,par une petite introduction sur lesthèmes que nous avons abordés les

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J.-A. MILLER, LES US DU LAPS - Cours n°21 7/06/2000 - 2

fois précédentes, en m’appuyant audépart sur ce que signale CatherineBonningue. Elle m’écrit, elle m’écrivait :« Vircondelet, dans sa biographie deDuras, cite Lacan, qui dirait duRavissement de Lol V. Stein qu’il révèleune connaissance originelle du troublede l’aliénation – mentale -, et relatemieux que tous les rapportspsychiatriques « un délire cliniquementparfait ». Et elle me signale, en effet,qu’à la fin du roman, il lui semble, dit-elle, qu’il y a ce que Lacan appelle dessignes de la folie de Lol, que Duras lui aconfirmés de vive voix – « La police esten bas », dit Lol - Je ne la contredispas, dit le narrateur, Jacques Hold – Onbat des gens dans l’escalier, dit Lol - Jene la contredis pas, etc. » Bien à vous.

Et en effet, quand on se reporte àces dernières pages, dans cette ligne,on s’aperçoit que, évidemment, il y a làles éléments tout à fait certains dudélire de Lol. C’est au moment où elleest avec ce Jacques Hold, l’amant deTatiana, où ils sont là tous les deux,cette fois-ci, où l’homme, dit-il, l’oblige àse déshabiller – « La voici nue, elle nebouge pas, elle me suit des yeuxcomme un inconnu lorsque je medéshabille à mon tour. - Qui est-ce ? Lacrise est là ». Et c’est alors qu’en effeton a ce dialogue – « La police est enbas. Je ne la contredis pas. – On batdes gens dans l’escalier. Je ne lacontredis pas ». Et elle-même dit, onsuppose d’elle-même – Qui c’est ? – etalors l’homme lui dit la parole qu’ildevine qu’elle voudrait entendre : « -Elle gémit, me demande de le dire. Jedis : - Tatiana Karl, par exemple. »

C'est-à-dire qu’il l’appelle du nom del’amie, et on a l’esquisse, la notation,qu’il y a un moment où, je cite : « Il n’ya plus eu de différence entre elle etTatiana Karl. La désignation qu’ellefaisait d’elle-même, les deux nomsqu’elle se donnait : Tatiana Karl et Lol V.Stein. »

C'est-à-dire qu’à la pointe, il resteaprès deux petites pages, on a l’air derentrer dans l’ordinaire, mais il y al’indication, au fond fort précise, on peutdire d’un moment nietzschéen, de LolV. Stein. Le point où Nietzsche en était

arrivé quand il signait ses lettres : lecrucifié, Dionysos, et son nom proprese multipliait dans l’histoire, et ici, on al’indication de ce moment.

Cela me paraît donc en effet uneindication tout à fait précieuse et quidonne une perspective proprementclinique à ce qui nous est présentédans le texte de Duras.

Il faut que je fasse un petit sort à laréférence qui m’est venue d’évoquerapproximativement la dernière fois,concernant le moment où Balzac sautepar-dessus les années sans avoir rien àdécrire, moment que m’avait évoqué lesdix années de bourgeoisisme tranquillede Lol V. Stein, et finalement, c’est dixans où il y a plus que je ne disais, etque développe Catherine Lazarus-Matet dans son exposé.

C’est bien dans La femmeabandonnée. Vous connaissez l’histoirede La femme abandonnée, madame deBeauséant, les deux personnages decette nouvelle, au fond brève, madamede Beauséant et Gaston de Nueil.Madame de Beauséant que l’on connaîtdu Père Goriot, elle est la cousine, si jeme souviens bien, de Rastignac, et,dans le Père Goriot, elle fait la leçon àRastignac en lui expliquant comment lasociété fonctionne et comment il faut s’yplacer.

Moyennant quoi, dans La femmeabandonnée, elle va se retirer de tout.Elle est courtisée par le jeune Gastonde Nueil, plus jeune qu’elle. Elle dit non.Elle lui envoie une lettre et elle part,dans une calèche. Et lui part après elle.Il la suit jusqu’au lac de Genève. C’estun lieu choisi sans doute par Balzacparce que c’est le symbole de là où ilne se passe rien, là où c’est pas la mer,pas la mer qui est présente dans Lol V.Stein, et que Lol V. Stein ne regardeque, sur une glace, sur le mur, qu’elleregarde indirectement, elle ne se tournepas vers la mer. Mais là, c’est la surfacetranquille du lac de Genève, et donc,fuyant les assiduités du jeune gandin, lavicomtesse prit une petite maison sur lelac.

« Quand elle y fut installée, Gastons’y présenta par une belle soirée à lanuit tombante. Jacques, valet de

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chambre essentiellement aristocratique,ne s’étonna point de voir monsieur deNueil et l’annonça en valet habitué àtout comprendre. » Voilà ce que c’estqu’un valet essentiellementaristocratique, c’est celui qui ne posepas de question et qui n’a pas de tempspour comprendre. Il n’a pas de tempspour comprendre parce que ce sont lesmaîtres qui décident.

« En entendant ce nom en voyant lejeune homme, madame de Beauséantlaissa tomber le livre qu’elle tenait - elledevait être en train de lire Lol V. Stein -,sa surprise donna le temps à Gastond’arriver à elle et de lui dire d’une voixqui lui parut délicieuse – commentprendre une voix délicieuse ? – : avecquel plaisir je prenais les chevaux quivous avaient menés ? » Il y a un pointd’interrogation. C’est difficile de savoircomment on dit cette phrase. Il y a lespetits chevaux, là, qui pour articulerplus tard, les petits chevaux qui mènentà madame de Beauséant et derrièreelle Gaston de Nueil.

Alors, nous y sommes, noussommes à pied d’œuvre, unparagraphe de Balzac pour dire qu’il neva pas nous raconter ce qu’il appelletous les petits protocoles de boudoir.D’ailleurs, à la fin de la nouvelle, letemps se précipite, on le sent bien, il ya des coupes temporelles. Donc, déjàlà s’esquisse la première coupetemporelle. Bon, ils se parlent. Commedit Balzac, pour introduire précisémentla coupe temporelle : « Une Italienne,une de ces divines créatures dont l’âmeest à l’antipode de celle desParisiennes. » Ça c’est le même clichéque Stendhal distribue à plaisir et quede ce côté des Alpes on trouveraitprofondément immorale, disait en lisantles romans français - romans françaisqui sont plein de « et je te dis, elle ditau revoir monsieur, etc. » « Je ne voispas pourquoi ces pauvres amoureux,français, passent autant de temps àarranger ce qui doit être l’affaire d’unematinée. »

Et donc, Balzac s’appuie surl’autorité de cette italienne pour réduirele temps qui passe, et donc direseulement : « Madame de Beauséant et

monsieur de Nueil demeurèrentpendant trois années, dans la villasituée sur le lac de Genève que lavicomtesse avait loué. «

L’accord là est pris dans uneparenthèse. Il n’y a rien a décrire. « Ils yrestèrent seuls sans voir personne,sans faire parler d’eux, se promenanten bateaux, se levant tard, enfinheureux comme nous rêvons tous del’être. » Le terme de bonheur fait l’objetd’une dizaine de pages de Lol V. Steinqui sont relevées par CatherineLazarus. Comme c’est Balzac, on vousdécrit la maison, on vous décrit le lac etles nuages et puis on vous ne dit rien,parce qu’il n’y a rien à dire, de cetaccord parfait. « Cette petite maisonétait simple, à persiennes vertes,entourée de larges balcons orné detentes, une véritable maison d’amants,maison à canapés blancs, àtapis muets, à tentures fraîches, où toutreluisait de joie » - les objets. « Àchaque fenêtre, le lac apparaissait sousdes aspects différents ; dans le lointain,les montagnes et leurs fantaisiesnuageuses, colorées, fugitives ; au-dessus d’eux un beau ciel ; puis devanteux, une longue nappe d’eaucapricieuse, changeante ! Les chosessemblaient rêver pour eux, et tout leursouriait. »

Voilà, ce dont j’avais gardé lesouvenir du temps suspendu oùs’inscrivait l’histoire. Et, au fond, ça serépète, ça se remet en mouvement, il ya un paragraphe de mouvement. « Lesintérêts graves les obligent au bout detrois ans à quitter ce petit paradis. » Etdonc, un paragraphe pour dire il fautvendre les terres, on en rachète, et tout.Et puis ils recommencent, la même vie,cette fois-ci en France, et c’est là qu’il ya la phrase, deuxième scansion, cettephrase extraordinaire, qui m’était restéetout de même : « Pendant neuf annéesentières ils goûtèrent un bonheur qu’ilest inutile de décrire. »

Voilà la réduction, alors que, sans çaon observe à la loupe certains momentsprivilégiés, où la relation se noue et vase dénouer. Il est là, le temps immobilede l’accord parfait, a a’, de la réciprocitédes sentiments.

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Tout ce temps suspendu est fait pourintroduire la fin soudaine. « Pendantquelques mois arrive dans la contréeune jeune héritière de vingt-deux ans.La mère de monsieur Nueil quin’apprécie pas sa liaison passionnéeavec cette femme plus âgée, le pousseà épouser cette jeune femme. Madamede Beauséant écrit une lettre, très belle,à Gaston et celui-ci se dit : « Bon, il esttemps de faire une fin ». Il épousel’héritière et, au bout de sept mois,s’ennuie à mourir avec elle, regrette,reparaît auprès de madame deBeauséant, la femme abandonnée.Madame de Beauséant lui dit : « Sivous faites un pas de plus, je me jettepar la fenêtre. » Il prend ça au sérieux,il part, rentre chez lui, prend un fusil, setue. Et la nouvelle se conclut. Il resteencore une page de méditation surl’événement, mais tout est fait pouramener la soudaineté, l’instant de lamort. Balzac, dans son dernierparagraphe, philosophe surprécisément sur les rapports que peutavoir une femme avec le couple, formépar son amant et une autre femme.

C’est Lol V. Stein au XIXème siècle.Et Lol V. Stein au XIXème siècle c’est :on n’est pas d’accord. On n’est pasd’accord pour cette histoire. Quant àmadame de Beauséant, elle ne crutsans doute pas que le désespoir de sonami alla jusqu’au suicide, après l’avoirlargement abreuvé d’amour - ça c’est lestyle de Balzac - abreuvé d’amourpendant neuf années. « Peut-êtrepensait-elle avoir seule à souffrir. Elleétait d’ailleurs bien en droit de serefuser au plus avilissant partage quiexiste, et qu’une épouse peut subir, parde hautes raisons sociales, mais qu'unemaîtresse doit avoir en elle, parce quedans la pureté de son amour, en résidetoute la justification. »

Autrement dit, une épouse peutsupporter, pour de hautes raisonssociales, de partager son homme avecune autre, mais une maîtresse qui avécu, si on compte bien, douze annéesde bonheur parfait, s’il faut ajouter lestrois ans de Genève et les neuf ans dela vallée d’Auge, douze ans de bonheurparfait avec un homme, ne peut pas

accepter de le partager. Et ça, au fond,c’est la noblesse du grand et bel amourhors des liens du mariage.

Et évidemment, en relief, encontraste, l’arrangement spécial quifascine Lol est évidemment d’une toutautre dimension, puisque là aucontraire visiblement elle perd lespédales quand elle-même est à la placede Tatiana. Elle ne se soutient quelorsque l’homme dont il s’agit, l’hommequi a retenu son attention – terme àsouligner - est avec une autre, prendune autre.

Evidemment, Lol V. Stein s’estimposée parmi nous, introduite sur lascène par Eric Laurent. Lol V. Stein adéplacé les trois prisonniers. C’est vraique Lol V. Stein, Tatiana, Jacques Hold,ont d’autres charmes que ces troissujets de pure logique, qu’on doit enplus imaginer les cheveux taillés courtspar le coiffeur de la prison et, pourquoipas, en costume de bagnard. Alors que,avec Lol V. Stein, viennent les longscheveux noirs brillants, les robes, lesbals, l’Hôtel des Bois, et d’autreschoses autrement pathétiques.

Mais permettez-moi de faire un petitretour sur la question des troisprisonniers et sur la question qu’avaitsoulevée Guy Trobas, à savoir lerapport du temps à l’angoisse et, parrapport à quoi, il y a à penser sansdoute le rapport du temps à lajouissance, qui, dans le cas de Lol V.Stein, se montre, cette jouissance,ayant lieu dans un temps suspendu etmême hors temps.

L’angoisse, comme le marqueLacan, comme l’a souligné Guy Trobas,l’angoisse est voisine de la hâte. Par làmême, l’angoisse est parente de l’acte.Et, si on voulait le dire d’une façon unbrin mythologique, on dirait l’angoisseest mère de l’acte. C’est en tout cas ceque Lacan signale, pas seulement dansle texte des prisonniers, c’est un fil quicourt tout le long de son enseignement,je crois, et qui fait bien voir la différencede l’acte et de l’action.

L’acte se différencie de l’action enceci qu’il comporte toujours unfranchissement, c’est-à-dire qu’il y aacte quand a émergé un obstacle,

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l’appellerait-on obstacleépistémologique, c’est-à-dire quand aémergé une barrière, et c’est ce quidonne finalement à l’acte toujours soncaractère transgressif. Au point quej’avais pu développer jadis, enm’appuyant sur telle proposition deLacan, que le comble de l’acte, leparadigme de l’acte, c’est l’acte suicide,que tout acte comporte intrinsèquementun suicide du sujet, de celui qui en estl’agent, parce que ce que l’on peutdécorer du nom d’acte, c’est ce qui, unefois accompli, fait que le sujet ne seraplus jamais le même qu’avant. Et donc,en ce sens, l’existence temporelle dusujet, en tant que scandée par desactes - et y en a-t-il tellement ? - est unsuicide, une succession de suicides.

Il ne sera plus jamais le même aprèsparce qu’il sera celui qui aura fait ça. Etdonc, c’est là que s’inscrit à mon sensexactement l’angoisse. L’angoisses’inscrit sur le seuil de l’acte. Et c’estmême de la libido qui est là présente,dans cette angoisse, sous la formed’angoisse, qui est ce qui propulse lesujet dans ce saut mortel, dans levolcan, pour prendre l’imaged’Empédocle, que Balzac lui-mêmeutilise pour au fond nous faire voir quetoute son œuvre, c’est son suicide.C’est Balzac lui-même dans une lettre àla comtesse Hanska qui compare sontravail à l’acte d’Empédocle.

Pour structurer la chose, il faut direque l’acte est ce qui introduit aussitôtune boucle temporelle. Avant l’acte, quis’inscrirait ici, je suis à la fois retenu etaspiré par le savoir que j’aurai été à lafin des fins celui qui aura fait cet acte.

L’angoisse s’inscrit en quelque sorteà la porte de la boucle rétroactive qui iciprend la forme du futur antérieur.

J’aurai été celui là. C’est ce queLacan explique fort bien d’emblée, dansson Rapport de Rome. Si vous voulezaller voir page 301 des Ecrits, quand ilfait un sort à ce temps du verbe qu’estle futur antérieur. Dans les termes qu’il

emploie à l’époque : « Ce qui se réalisedans mon histoire » - c’est-à-dire lesujet en tant qu’il se réalise dans ce quin’est pas une chronologie ou undéveloppement, mais une histoire quisuppose ses boucles – « n’est pas lepassé défini de ce qui fut, puisqu’il n’estplus » - là il souligne, employant lui-même le temps dont il parle, que dansle ce fut, ça veut dire ça n’est plus, etdonc il s’agit d’un passé qui est déjàrévolu – « ni même le parfait de ce quia été dans ce que je suis » - et donc ildistingue du ce fut le ça a été quidonnerait l’indication d’une continuitéentre le passé et le présent -, « maisc’est le futur antérieur de ce que j’auraiété pour ce que je suis en train dedevenir. » Donc, ce n’est pas le passépur et simple, ce n’est pas le passé entant qu’il se continue dans le présent,c’est le futur en tant qu’à partir de cefutur se détermine la modificationmême dans laquelle je suis entraîné, àpartir de laquelle se détermine l’actemême que je suis en train d’accomplir.

C’est pourquoi, par ailleurs, Lacan apu dire, je crois dans son séminaire deL’éthique de la psychanalyse, et il m’estarrivé jadis aussi de le commenter, quetout acte s’accomplit dans uneperspective de Jugement dernier. Laperspective de Jugement dernier, c’estcelle qui s’inscrit au point où la bouclerétroactive se lance et vient croiservotre misérable présent. C’est-à-direqu’un acte suppose qu’on en réponde.Et donc, dans l’idée de responsabilité ily a cette réponse à apporter aujugement.

Le Jugement dernier ce n’est pas deces petits procès par lequel un vainpeuple essaye de ligoter l’acte del’autre. Mais, en effet, il présentecomme une esquisse, une ébauche dece que le sujet coupable de l’acte auraà dire quand il comparaîtra devant soncréateur, représenté - c’est ce que nousavons à notre disposition - par unechambre, par une cour.

Tout l’avantage, d’ailleurs des coursde justice, c’est qu’elles existent, alorsque le créateur, en effet, il y a uncertain nombre de doutes qu’ils’intéresse beaucoup aux raisons que

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vous pouvez avoir d’avoir fait. Pour uneraison dirimante, c’est qu’il n’est pas dutout sûr qu’il existe, et que, s’il existe, ils’intéresse à vous, comme s’intéresse àvous votre prochain.

Mais, évidemment, ça ne changerien à l’affaire. Lacan ne dit pasd’ailleurs que l’acte se fait pour enrépondre au Jugement dernier, maisdans la perspective du Jugementdernier. Et le seul fait qu’il y a le futurantérieur, et qu’il y a cette boucle, faitqu’il y a la perspective du Jugementdernier. Même si c’est devant personneque vous allez en répondre. Et que sivous êtes faraud, vous direz : « J’enréponds devant moi-même. » Quandl’Autre n’existe pas la perspective duJugement dernier n’en demeure pasmoins inscrite dans la structure de latemporalité subjective.

Et, à cet égard, en effet, c’est unezone où, vaille que vaille, on s’avanceseul, comme le souligne Lacan. Ons’avance seul dans cette zone où ils’agit pour le sujet de sa propremodification par son acte.

Evidemment, la perspective, c’est eneffet le point où le sujet ne sera plusl’agent d’aucun acte, c’est-à-dire lepoint qui est isolé par Mallarmé dansson « Tombeau d’Egard Poe », sous lesespèces du premier vers, « Tel qu’enlui-même enfin l’éternité le change ».

Cela dit bien que, tout le long dutemps, au fur et à mesure que l’onaccomplit des actes, si l’on a cemalheur ou cette chance, on peut diretel qu’en un autre le temps le change.Et puis, c’est seulement à la fin que lemême émerge, c’est-à-dire que le sujetdevient son propre signifiant, devient lesignifiant qui le représente. Mourir, àcet égard, en effet, c’est pour le sujets’éteindre dans le signifiant qui lereprésente. Comme quoi, en tant quesujet, eh bien, ça continue. C’est biend’ailleurs ce qu’explique Mallarmé.C’est que, une fois qu’il est changé enlui-même dans l’éternité, par l’éternité, ilse passe encore des tas de choses, etle poète – comment dit-il exactement ?– « suscite avec un glaive nu son siècleépouvanté ». Ça se passe. Comme çaa été signalé, Mallarmé a facilité la

lecture de ce poème, qui a été fait pourl’inauguration du monument d’EdgarPoe à Baltimore, et il en a lui-mêmedonné une traduction anglaiseparfaitement limpide, et qui est donc unmodèle de comment Mallarméconcevait ses poèmes avant de leschiffrer, si l’on veut, avant de lespoétiser. Par exemple ici, il y a une versassez mystérieux, et il dit : ça veut direqu’on continuera toujours de reprocherà Edgar Poe d’avoir écrit ses poèmesquand il était ivre mort.

Donc, le sujet se survivant sous lesespèces de son signifiant auquel il estdéfinitivement identifié, il se passeencore pas mal de choses par la suite.

Je n’aurai pas rempli tout ce que j’aiannoncé au début de l’année, bien sûr,je m’en aperçois maintenant. On voitbien la valeur que prend ce terme queje voulais commenter de la fidélité.C’est que la fidélité, c’est un effort pourse changer en signifiant avant mort, sije puis dire. C’est-à-dire d’être identifiéà un signifiant, une fois pour toutes,avant mort. Et puis, quand ça vousarrive, en effet ça vous indique unchemin, et, quand on s’en écarte,comme on voit dans l’histoire deGaston de Nueil, il n’est pas sûr qu’onpuisse y survivre soi-même.

Alors, l’angoisse à cet égard s’inscritdans le pré-acte, avant que tout letralala du futur antérieur, avec lebataclan du Jugement dernier, arrive àla rescousse, dans votre existence devers de terre.

À cet égard, l’angoisse de resterpour toujours celui qui aura fait ça, quitraduit éventuellement l’inhibitiondevant l’acte, est aussi bien la conditionde l’acte. L’angoisse à cet égard est lacondition de l’acte. Et on peut dire qu’iln’y a pas d’acte digne de ce nom qui nes’enlève sur fond d’angoisse. Et, àl’occasion, le signal d’angoisse est lesignal qui a un acte à faire. Il vautmieux faire le bon, mais l’acte qui voussoulagera de l’angoisse.

Ce fond d’angoisse, bien sûr, il estattaché à cet élément que Lacan aappelé petit a, pour dire qu’il y a làl’inscription, la présence, l’action,l’incidence, de quelque chose qui est

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hors signifiant, qui, pour un temps, vousmet devant un autre, qui de toute façonn’existe pas, même si vous enretrouvez la perspective sous lesespèces du Jugement dernier. Mais, aumoment où l’acte est à faire, c’estprécisément dans un vide de l’autrequ’il s’inscrit.

C’est ça qui fait la valeur, mais aussiles limites de la déduction. Ladéduction, quand c’est possible, c’estformidable, ça vous dit : suivez le guide.Mais ce que Lacan isole dans lesophisme des trois prisonniers, c’est aucontraire une conclusion dont la validitén’est posée que sous réserve de l’actequi la confirme. Voilà la formule qui meparaît capter, capturer ce momentétrange, exquis et difficile quej’essayais d’isoler.

C’est, en effet, dans l’intervalle entrela conclusion anticipée, dont vouspouvez poser la validité à condition defaire l’acte qui va permettre de laconfirmer.

C o n c l u s i o na n t i c i p é e

c o n f i r m é e

a c t e

Et donc l’acte est appelé ici pourremplir le signifiant qui manque àl’Autre. Et là, il faut que vous fassiez çaaussi vite que possible. C’est là quevient les formules grammaticales queLacan a distingué, que nous a lu GuyTrobas, de peur que et pour qu’il n’y aitpas ceci.

Là, dans cet intervalle, il faut que jem’y mette, c'est-à-dire je suis concerné.C’est à cette condition qu’il y a acte. Iln’y a pas d’acte collectif, c’est à moi defaire les choses. Et c’est là que s’inscriten quelque sorte cet appel, cetteaspiration par l’Autre, parce qu’il luimaque quelque chose, et que l’on peutprendre comme une vocation, c'est-à-dire un appel d’une voix, et que l’on voitaussi bien, enfin qu’on verrait au niveau

élémentaire dans une forme de lapsychologie de la forme, de la Gestalt,où il faut ajouter un trait pour quesurgisse le pattern qui étaitantérieurement incomplet.

Et à ce moment-là, en effet, d’unecertaine façon ça saute sur vous, pourvous avaler, cet autre-là avec sonmanque, la situation saute sur vous, et,corrélativement, c’est là le moment où,vous, vous avez à sauter.

Donc, il y a un élément en effet quiest présent dans le sophisme des troisprisonniers, qui est cet élément decourse de vitesse qui surgit à unmoment, après en quelque sorte lacourse de lenteur. Parce que - je nevais pas reprendre tout leraisonnement, je l’ai fait assez souvent- Guy Trobas l’a fait -, il ne faut pasqu’ils partent avant moi. Et c’est là qu’ily a acte et urgence. Si on veut séparerles pas, il y a d’abord, premier pas, laconstatation « ils ne sont pas partiavant moi », les deux autres, ils n’ontpas pu conclure avant moi. Ça, c’estune constatation.

Deuxièmement, il y a uneconclusion : « Je suis blanc commeeux ». Mais, troisièmement, alorsmaintenant, il faut que je démarre toutde suite sinon ils partiront avant moi.Voilà les trois moments.

Donc, c’est entre la conclusion et cetroisièmement, où l’acte se lance, qu’il ya la hâte, et qu’il y a aussi la peur,l’effroi. C’est ce que traduit si bienl’expression anglaise to run scared,courir effrayé.

Là, évidemment, si les temps étaientbien marqués de l’extérieur, s’il y avaitun Autre qui existait pour marquer lestemps, on pourrait prendre tout sontemps, parce qu’il y aurait d’abord laconstatation, ensuite la conclusion, et àce moment-là le temps, suivantsoigneusement marqué, on n’auraitqu’à procéder. C'est-à-dire si les tempsétaient marqués de l’extérieur, le passéserait bien distingué du futur, il y auraitun passé définitif, un « ce fut », « ce futtel qu’ils ne sont pas partis avant moi »,« après quoi ,je pars tranquillement »,c'est-à-dire le passé et le futur seraientétanches. L’introduction de temps

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objectivement marqués introduirait uneétanchéité entre le passé et le futur etdonc le temps se présenterait, si je puisdire, sous forme atomique, sous formegranulaire. Vous auriez l’élément detemps passé, conclu, et puis après lasuite. Et donc, l’avant et l’après seraientbien distincts, ça serait spatialisé, à cemoment-là vous n’auriez pas lesphénomènes que signale Lacan. Vousauriez quand l’avant se conclut etquand l’après commence. Tout est dûici au fait qu’ils ne sont pas partis avantmoi, cet avant-là ne peut pas êtreconclu avant que vous vous partiez. Etdonc là, il y a un shifter temporel, avantmoi, qui suppose votre mouvement,comme l’ici et le maintenant supposentvotre position à vous dans l’espace etdans le temps. Et donc, avec l’avantvous êtes concernés et cet avant nesera conclu que le moment où, vous,vous vous mettrez à bouger. Tant quevous ne vous êtes pas mis à bougerc’est en suspens.

Si on veut encore aller un peu plusloin dans les choses, il faut dire quetout tient ici au fait qu’il y a deuxmobiles indépendants en jeu. Il y a lemobile qui est constitué par la paire desdeux autres qui sont blancs, et quiraisonnent de la même façon et aumême rythme puisqu’ils sont des sujetsde pure logique. Donc ça c’est unmobile, là l’un est dépendant de l’autre.Et puis, le second mobile c’est vousmême, dont vous ne savez pas ce quevous êtes, et ces deux mobiles sontindépendants l’un de l’autre.

Si l’on représente ici de façonlinéaire le temps, on peut dire, autemps t1, en effet, le premier mobilen’est pas parti avant le second, maiscela ne vous donne aucune assurancesur ce qu’il va se passer en t2. Et donc,à partir du moment où c’est essentielpour notre raisonnement qu’ils nesoient pas partis avant vous, il faut quevous partiez. C'est-à-dire, à cemoment-là, il faut que vous démarriezsans perdre une seconde, et il faut quevous fonciez.

t 1 t 2C’est pourquoi - je reviens sur ce

que j’avais souligné en réponse àTrobas -, c’est qu’il y a attente etattente, il n’y a pas qu’une seuleattente. Il y a l’attente anxieuse en effet,c'est-à-dire l’angoisse d’avant lemoment qui va être là, c'est-à-direl’angoisse de l’imminence. Et puis, il y al’attente paisible. L’attente paisible,c’est quand c’est à l’autre de décider cequ’il veut. C’est celle que j’illustrais parl’attente du chauffeur et du garde ducorps dans le film Le goût des autres,ils ne sont pas marqués de la moindreangoisse. C’est le chauffeur du patron.Il va où le patron veut, c’est le garde ducorps du patron il suit le corps dupatron. D’ailleurs, le drôle c’est qu’il lesuit pas, et que le patron se fait casserla figure, moyennant quoi il reste gardedu corps. Bon, le patron s’est fait casséla figure.

Là, nous avons une illustrationparfait du rapport du maître et del’esclave. Et d’ailleurs, le maître c’est luiqui vaque à sa jouissance, et puis, lesesclaves ils ont aussi leurs petitesjouissances disjointes, qu’on nousmontre. Mais il y a quelque chose dansl’existence humaine qui s’appelle quandmême poireauter et qui est distinct del’attente anxieuse, qui n’a rien à voiravec la valeur anxieuse de l’attente.

C’est là-dessus que Lacan l’adégagé cette attente paisible, si l'onveut, ou l’attente structurale del’obsessionnel, et qui l’a inscriteprécisément dans la dialectique dumaître et de l’esclave. Il attend la mortdu maître. Bien sûr, il est incertain, il nesait pas quand cela va arriver, ilrenonce à la jouissance en attendant.C’est ce que dit Lacan dans les Ecrits,c’est parce qu’il méconnaît que, dans

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ce temps d’attente, il y a quand mêmedes tas de petits plaisirs qu’on seréserve, au point que plus tard il dira ildire : cet esclave, c’est de son côtéfinalement qu’il y a la jouissance, il n’y apas du tout renoncé, c’est plutôt lemaître en prenant des risques… Etd’ailleurs, dans le film c’est bien le cas,c’est le maître qui est raide amoureuxd’une personne inaccessible, et commeil y a quand même un happy end, lapersonne inaccessible il finit par yaccéder.

Donc, ici, cette attente-là, surquelque chose sur quoi on n’a pas deprise, c’est pas anxieux. L’anxiété ellevient quand il y a ce rapport noué quifigure sur ce schéma. C’est là que pourLacan en effet il y a un rapport foncieressentiel entre l’angoisse et le temps.Guy Trobas a bien souligné dans lepassage où dans « L’agressivité enpsychanalyse » - c’est même construitlà-dessus -, Lacan signale, enfin il dit :« Le symptôme aura l’espace etl’angoisse aura le temps », si je puisdire. Le symptôme c’est des affairesd’objets internes à l’intérieur del’espace du corps, etc., tandis quel’angoisse est essentiellement« l’angoisse si humainement abordéepar Freud », comme il dit en 1948, « sedéveloppe dans la dimensiontemporelle », et il promet d’ailleurs demettre en jeu Bergson et Kierkegaard.Bergson, on comprend pourquoi.Kierkegaard, c’est je suppose pour sadoctrine de l’instant, que je n’ai pas eucette année l’occasion de développer.Et Lacan évoque la crainte de la mort,du maître absolu selon Hegel, dans lemême contexte, et il est sûr qu’il fautajouter à l’angoisse de mort, à quoiFreud a fait un sort, l’angoisse dutemps. D’ailleurs, l’angoisse de mortpourrait être subsumée sous lacatégorie de l’angoisse du temps, et çanous permettrait de faire un sort à cetteangoisse bien contemporaine, en toutcas, bien contemporaine surtout parcequ’elle donne lieu à toute une industriequi n’en est encore qu’à ses débuts,l’industrie destinée à fournir des objetspare angoisse du vieillissement. C’estquand même un secteur qui est

seulement en train de prendre sonessor. Evidemment, le vieillissementc’est une modification du corps, maisqui, à la différence des modificationsdues à l’acte, sont des modificationssans acte.

On aime penser, on aimait penserjadis au XIXeme siècle que c’était lié àl’acte, à savoir voilà le vieux jouisseurexténué par ses excès et qui se traînecalamiteux, etc. En fait, c’est voiler qu’ils’agit là de modifications sans acte, etqui sont difficiles à subjectiver. Qui sontdifficiles pour que le sujet s’y retrouve,quand vient à faire défaut des repèresessentiels de son existence. C’est cequi nous introduirait à ce qu’il nousfaudrait traiter dans ce cadre, qu’il nousfaudra traiter dans ce cadre : l’extimitédu corps pour le sujet, le caractèreextime du corps par rapport au sujet.Évidemment, Le ravissement de Lol V.Stein nous présente les difficultés durapport du sujet avec cet extime.

Toute la conception de Lacan àpropos de l’agressivité, où il y soulignece rapport de l’angoisse et du temps –je vais vite - est orientée par la notionque ce qui est foncier chez le sujet,c’est le mécanisme paranoïaque, et il lemontre aussi bien à propos dusymptôme qu’à propos de l’angoisse.

Le mécanisme paranoïaque, disonssimplement que ça prend la formeéminente de l’Autre me veut du mal, etici ça prend la forme : les autres vontpartir avant moi, et à ce moment-là, moije vais rester, ça va me laisser tomber.

A cet égard, cet autre qui vous veutdu mal, c’est disons la figureparanoïaque du manque de l’Autre, quel’Autre vous veut quelque chose, et detoute façon, à moins de penser, decroire que c’est de l’amour qu’il a pourvous, c’est vous ne savez pas ce quevous êtes dans ce désir, et donc il y a lesoupçon nécessaire que ça ne vousveut pas du bien.

Ça a une conséquence trèsimportante. C’est qu’en effet, du côté del’espace, Lacan a donné à ça un nomqui roule encore, dans l’histoire de lapsychanalyse, le lieu de l’Autre. Le lieuc’est attraper l’Autre dans l’espace, etça parle, mais le lieu de l’Autre, ça

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pourrait faire croire que l’Autre est dansson lieu, on salut, et puis on fait sespetites affaires à côté. Ça c’est le gardedu corps et le chauffeur. L’Autre fait cequ’il veut, et puis nous… Or, le lieu del’Autre, c’est pas ça, et il n’y a pas àapprocher seulement l’Aure en termesd’espace. Il faut au contraire approcherl’Autre en termes de temps aussi bien.Et d’ailleurs, Lacan le dit en touteslettres, si vous allez voir son proprecommentaire - je l’ai déjà signalé - deson grand graphe, quand il écrit à cepoint de rebroussement le lieu del’Autre, il signale que le point qui est enface, dans son schéma, c’est unescansion. Et en disant scansion il inscritici une valeur temporelle.

A

t e m p s e s p a c e

Disons que ce que j’évoque impliquequ’il n’y a pas simplement le lieu del’Autre, il y a le temps de l’Autre. Etmême, pour compléter la formulequ’avait relevé dans ce que j’exposaisGuy Trobas, à savoir que le temps estl’effet d’une structure signifiante, jedirais : le temps est le temps de l’Autre.Elaborer le temps, c’est l’élaborercomme temps de l’Autre. L’Autre n’estpas immobile, l’Autre n’existe pas, nese pose pas seulement comme lieu,précisément parce que l’Autre n’existepas ou est marqué d’un manque.Quand nous disons : il comble unmanque, cela ça suppose qu’il se metteen mouvement. Le moment d’angoissec’est le moment où l’Autre a à se mettreen mouvement, l’Autre se met enmouvement. De telle sorte que, eneffet, les trois prisonniers on s’aperçoitqu’ils sont dans une situationparanoïaque, à savoir une situation deconcurrence, cette situation deconcurrence que tout le discoursaujourd’hui, le discours économique estpour mettre le sujet dans une tellesituation. C’est ce que disait très bien legénial Andrew Grove, celui qui a crééde rien la société Intel, qui est inside de

tous les ordinateurs, qui produitces chips, qui depuis 1972 ou 71, lepremier article que j’ai lu et que j’avaisrapporté aussitôt, que ça ferait qu’onaurait tous des ordinateurs chez soi.Oh ! quelle histoire, à l’époque c’étaientdes machines énormes. Eh bien cegars, il a fait ses mémoires sous le titreSeuls les paranoïaques survivent, et ça,c’est la situation de concurrence danslaquelle sont ces sujets qui sedemandent si c’est l’autre qui va partiravant et produire le machin, le bitoniauqui va aller plus vite que les autresbitoniaux, et ça arrive une fois tous lesans et demi, selon un principeempirique que l’on a constaté depuistrente ans et, évidemment, à la fin destrois prisonniers, sublimation, ils étaienttous les trois blancs, ils sortent tousensemble et en plus on peut bénir çaen disant : finalement, ils peuvent êtrelibres tous les trois, on ne peut pas s’entirer tout seul, on ne peut s’en tirer quesi chacun fait exactement ce qu’il doitfaire à part soi, et tout ça, belleharmonie ! C’est un texte qui est publiédans la liesse de la libération de laFrance et qui en porte les marques.

C’est pas inintéressant de regarderles trois prisonniers comme ça, parceque ça nous montre ce qu’il en est de laclinique de Lol V. Stein, à savoir quandla paranoïa se pose là. Il y a uneclinique de Lol V. Stein, à savoir elle estappendue en effet à un épisode horstemps, pas l’événement qui, lui, estbien situé dans le temps, le moment oùelle s’est fait soutirer son fiancé, çac’est fixé dans le temps, c’estévénement, mais ensuite elle estsuspendue à un épisode quiévidemment est hors temps, et il y en ades marques dans le roman. Et Lacansignale très bien, au moment où ilfélicite Janet d’avoir isolé lessentiments de persécution etd’avoir montré que ces sentiments depersécution sont des moments derelations sociales. Dans sa thèse àl’époque, c’est tout le monde estparanoïaque dans les relationssociales, à un moment ou un autre, iln’y a pas de société sans momentparanoïaque. Lacan, en même temps

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qu’il félicite Janet de ça, il signale queJanet n’a pas isolé un trait essentiel,c’est que, dans la paranoïa, il y a lastagnation d’un de ces momentsphénoménologiques. Et, dit-il, « unestagnation semblable en étrangeté à lafigure des acteurs quand s’arrête detourner le film ». L’arrêt sur image, quiest précisément là où se condense lajouissance de Lol V. Stein, et donc sousles espèces d’une fixation formelle quiintroduit, comme le signale Lacan, unerupture de plan et une délocalisation duspectacle.

Autrement dit, en effet si on veut voirça de l’œil froid, plus ou moins froid, del’œil froid du clinicien, on a un sujet quisubit ce que Lacan appelait unecaptation spectaculaire, une absorptionspectaculaire.

Ce qui amusant dans l’histoire, c’estque l’on voit bien, elle est normalementau principe d’une concurrenceagressive, et Lacan signale sous formede triade : autrui, moi et l’objet, c’est leprincipe de la rivalité et de ses formeséventuellement de jalousie, depersécution etc. Autour de l’objet, jesuis rivale de l’autre qui veut la mêmechose, avec les déplacementspossibles sur, finalement, aimer l’autrequi veut la même chose que moi, etc.

Lacan signale ça comme une triade.Dans les trois prisonniers, nous avonscette triade, mais tout à fait arasée,puisqu’ils sont pareils. Mais c’est ceque nous retrouvons sous une autreforme dans l’être-à-trois de Lol, où nousavons aussi, elle, le sujet homme, etl’objet femme.

Je pourrais reprendre pour cet être-à-trois, que Lacan signale en 1955, laformule qu’il a en 1948 : « La triade quiétoile l’espace de la communionspectaculaire. Or, cette communionspectaculaire, c’est vraiment lameilleure façon de traduire quel est lecontenu du ravissement de Lol V. Stein.

Simplement, loin que chez Lol cesoit vécu sous la forme de laconcurrence, c’est vécu sous la formedu ravissement. Et c’est au moment oùelle se retrouve seule avec l’hommequ’à ce moment-là on voit, alors dans letexte de Duras - le texte extraordinaire

de Duras -, qu’on voit en effet surgir ledélire paranoïaque dénudé.

Nous irons un peu au-delà de troisheures et demie, je vais finir ça et jevous donne la parole. Je veux en restersurtout aux trois prisonniers, aux troisprisonniers où l’angoisse se situeexactement entre le moment où tout lemonde est immobile, c'est-à-dire lemobile combiné des deux, et A qui nesait pas qui il est encore, parce qu’il n’arien fait, et puis le mouvement où il doitse précipiter à toute vitesse, pastranquillement. Personne ne peut faireça à pas comptés.

Il faut démontrer, à ce moment-là ilfaut courir comme un dératé. Mais çane vous rappelle rien, ça, cette liaisonétroite non seulement de l’angoisse etdu temps, mais de l’angoisse et dumouvement ? Mais c’est exactement àce point-là que s’inscrit l’angoisse dupetit Hans, l’angoisse majeure,paradigmatique dans l’histoire de lapsychanalyse. C’est ça que son papaarrive à isoler quand il lui dit : « Maisquand exactement tu as peur ducheval ? » Et là, petit a, petit b, petit c,petit d, Hans, retranscrit par son papa,l’explique, et Lacan lui fait un sort. C’est« le moment où le cheval va virer ». Lepetit Hans a plus peur quand le chevalva vite que quand le cheval valentement. Et à ce moment-là, Lacannous donne un commentaire formidablede la liaison de l’angoisse et dumouvement, qui nous aide en effet àcomprendre le point qui a été ponctuési exactement par Guy Trobas,page 348 du Séminaire IV. Hans a peurquand le cheval vire, umwendet. Etalors, commentaire sur le type demouvement dont il s’agit, fort précis,qu’il ne s’agit pas d’un mouvementuniforme, où, la vitesse étant fixée unefois pour toutes, on peut calculer latrajectoire du mobile, auquel cas on esttranquille. Le grand Autre est là. Enfin,on est tranquille ! Si on sait calculer,parce que, dans l’examen d’entrée ensixième - quand il y en avait un -, il yavait des problèmes comme ça :supposons un mobile, un train qui va àtelle vitesse, il fallait savoir où çaarrivait, on se perdait toujours en

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chemin. Mais, disons que ça a fait unexercice bien tranquille. Tandis qu’iciprécisément pour Lacan, ce n’est pasun mouvement uniforme, c’est unmouvement accéléré. C’est-à-dire il y aun moment où le facteur vitesse entreen ligne de compte. « Dans un langageplus moderne » - il ne s’agit pas du toutdu mouvement uniforme - « on dira qu’ily a une accélération, c’est ce que lepetit Hans nous dit, le cheval en tantqu’il traîne quelque chose après lui estredoutable quand il file, plus quand ildémarre vite que quand il démarrelentement. »

Et Lacan signale, avec une précisionadmirable, que, pour qu’il y aitaccélération, il faut qu’on sente qu’il y aune inertie vaincue par le mouvement.Et alors il ajoute : « Tout ça c’est lecheval qui est parmi tous les animauxcelui à qui on attribue unesubjectivité. » Il exagère peut-être unpeu, mais enfin il dit : « Un animaldestiné à la différence des autresanimaux à se savoir exister. » Il dit que,pour Hans en tout cas, il y a du sujetdans le cheval, c’est-à-dire qu’il y a unécart entre l’élément sujet, vide, qui luiau fond filerait comme la lumière, etpuis, il doit traîner quand même sonpropre corps, il voit traîner son corpsd’être vivant - c’est ça que veut dire sesavoir exister, qu’il y a un décalageentre son être vivant et puis ce qu’il y aen lui de sujet. Et donc, il sait qu’il doit yaller, mais il faut encore qu’il tire encoreson propre corps et puis tout ce que leshumains mettent derrière lui : madamede Beauséant, Gaston de Nueil, et toutça. Là où surgit l’angoisse, c’est danscette lutte aussi du sujet avec l’inertiequ’il traîne avec lui. Et c’est ce rapportd’inertie et d’exigence de rapidité quiest évidemment le point où l’angoisses’inscrit, c'est-à-dire : irais-je assezvite pour gagner de vitesse ? Et Lacansignale aussi bien que cette angoisseest non seulement celle d’êtreentraînée par ce mouvement, c’est celled’être laissé tomber en arrière, et celaisser tomber, en effet, le pauvre sujetil ferait choux blanc, celui des troisprisonniers, s’il n’arriverait à vaincre sapropre inertie, c'est-à-dire à supprimer

là le poids que constitue pour lui sonêtre d’être vivant.

Donc, encore les chevaux, leschevaux là qui sont quand même liés,dans la phrase délicieuse, quandGaston de Nueil vient auprès demadame de Beauséant et lui dit sur unton délicieux – on ne saura jamaislequel, évidemment, ça ne peut pas setraduire ou se transmettre par lalittérature, vous pouvez apprendre laphrase par cœur pour le redire, de toutefaçon cela ne tombera pas bien, parceque les chevaux… Vous pouvezl’apprendre par cœur, vous necapturerez jamais cet élément quimanque.

Voilà ma petite introduction. Elle apeut-être été un peu longue.Bracha Lichtenberg va aussi être unpeu longue, mais nous allonsl’entendre. Il va falloir prêter l’oreillepour entendre bien. Pour vous donnerun repère simplement sur ce qu’elle dit,pour écrire ça au tableau, elle a l’idéed’opposer deux catégories, deux statutsde la femme, ce qu’elle appelle lafemme-fille et puis il y a plusieurs nomsqui s’ajoutent, la femme-mère, Autre,Autre chose. Et alors elle construit, sion peut dire, une dialectique entre cesdeux statuts de la femme, et ellemontre que l’homme n’a pas grand-chose à voir là-dedans, c'est-à-dire…

F f / / F M / A / A C h .

Il ne faut pas prendre appui sur latriangulation œdipienne et que ce quicapte avant tout une femme, c’est sonrapport à l’autre femme mais non pascomme objet désiré par l’homme, maiscomme au fond sujet désirant et mêmesujet ravisseur. Je ne déflore pas sonexposé, puisque c’est dans les troispremiers paragraphes que vous avezça, et donc, c’est sur ce fondement eneffet qu’elle introduit un point de vue quin’est pas celui qui est - au fond je m’ensuis aperçu -, qui n’est pas celui qui estprivilégié dans ce que nous avons pudévelopper, et ça rend d’autant plusprécieux qu’elle l’apporte et qu’elleapporte à l’appui des références très

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précises de Lacan dans les Séminairescomme « Les non-dupes errent », etc.Je lui passe la parole.

[Bracha Lichtenberg Ettinger intituleson intervention « Tressage et scèneprimitive de l'être-à-trois ».]

Voici le PS du texte adressé par 'e-mail à J.A. Miller, de la part deBracha Lichtenberg Ettinger , PSqu'il a lu au début de son Cours.

>Date: Fri, 2 Jun 2000 03:13:11 +0300>To: [email protected]>From: Bracha Lichtenberg Ettinger<[email protected]>>Subject: Lol et la différence féminine>Cc: >Bcc: >X-Attachments: XXXXXXXXXX -- texte -- >PS, on se demande jusqu'où iravotre lignée homosexuée sur lepodium ou sur scène, qui va d'unhomme à deux, et de deux hommes àtrois, pour discuter justement de ladifférence féminine... sans que vousremarquiez cette point aveugle, si biendécrit par Roland Barthes quand il faitla remarque que chaque personnedéfend son propre sexe dans ce qu'ilécrit... C'est aussi drôle que triste devoir discuter une femme par un hommemultiplié et tellement savant... Ce n'estpas mal d'être marginale; crois moi. Onvoit=dit des choses qu'on ne peut pasvoire=dire au centre.>à vous etc.BLE

-----------------------------------------------------Bracha Lichtenberg Ettinger Tressage et scène primitive del'être-à-trois.

Freud avait pensé que Doraavait désiré l'homme. Il s'est trompé,comme il l'a avoué. Après, il a penséque Dora avait désiré la femme. Mais làaussi, ce qui est plus difficile à montrer,il s'est trompé encore, car là aussi il apris appui sur la triangulation

œdipienne. Je vais essayer de soutenirque Lol V. Stein de Marguerite Duras,comme Dora, ne cherche pas às'identifier au désir de l'autre homme -(un désir qui sera pour ellehomosexuel), ni au désir de l'autrefemme pour l'homme (désirhétérosexuel). Pas encore. Et elle necherche même pas à connaîtrel'énigme de la femme en tant qu'objetdésiré, ni présent ni même perdu,cause du désir de l'homme (ou du père)parce qu'il y a quelque chose qui estplus urgent encore, avant, si on veut,mais surtout, avec Lacan,structurellement à côté d'Œdipe, et quiest la question de la désirabilité-en-soi,d'une ravissance aveugle et stupéfiantede l'Autre-mère (" archaïque " --appartenant à un temps hors-tempsmais personnalisé et singulier).

Ce que Lol cherche, ce qui laravit et la ravage, c'est la désirabilitéaveugle de la ffAm (femme-fatale-Autre/mère), mais dans cela, c'estl'énigme d'une ffAm en tant que sujetravisseur - et pas objet ravissant, quiest posée. Plus que cela encore : c'estl'énigme de la ffAm en tant qu'uneravissance subjectivante non-cognizée,face à un sujet qui advient-à-être, etopérant avec, pour emprunter à J.-A.Miller cette belle expression, " lespassions de (a )", aux bords d'uneétoffe encore partagée mais pas non-différenciée.

Il faut donc différencier objetdésiré, sujet désirant et cetteravissance subjectivante, qui se trouveau sein d'une subjectivité-à-plusieurs.Je vais parler d'une ravissancesubjectivante qui traverse les relationsf/f (femme/femme) en tant que femme-fille et femme-mère, qui sont en train dese différencier. Ce qui me soutiens pourrapporter cela au " cas " de Lol, à partl'" inquiétante étrangeté " de Freud,c'est, pour commencer, la distinctionque Lacan vise, dans son séminaire del'année 66-67, entre l'Œdipe et laScène primitive, et par la suite son idéede tresse, des années 73-75.

Dans la triangulation œdipienne,trois sujets sont déjà là. Mais dans lascène primitive, on ne peut pas parler

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de trois sujets identifiés. Ici, un sujet-en-devenir et l'Autre-mère en liaisonavec son autre a elle s'ouvrent l'un versl'autre dans le processus même desubjectivation. Avec Lacan, noussavons que la jouissance et le rapportsexuel féminins de la scène primitivesont irrévocablement manquants ausujet de par la coupure d’avec uneFemme-Autre-Chose qui ne peut pasêtre appréhendée subjectivement àpartir de l'union, décrite en termesd'étoffe-symbiose et fusion, dans unescène primitive dont je suis devenu leproduit. La loi du désir et l'interdictionde l'inceste garantit cette coupure. Maisavec " la bande de Moebius, soit lamise en valeur de l’asphère dupastout, "8 Lacan établit, à côté de la loidu désir en tant que conditionné parl'Œdipe, une autre fonction,étrangement inquiétante, qui jette uneautre lumière sur la scène primitivequand celui-ci arrive à se dégager unedifférentiation à partir d'une "bulle"symbiotique. Si la schize se rapporte eneffet à la castration à la fois dans lesens oedipien (là où le regard, objetpetit a, est perdu, séparé de moi) etdans le sens d’une séparation d’avec latexture de l'étouffe (là où le regard estperdu et séparé de l’Autre), une autreloi surgit où "le sujet est suspendu à laplace de l’Autre", caractérisé parce "peu-de-réalité ”, qui est“ peut-êtreaussi toute la réalité "9 à laquelle nouspouvons accéder du côté de la mère"archaïque" et par rapport à son unionavec le père lors de la scène primitive,et dont la perte n'engage passeulement l'objet mais, me semble-il,un lien, le lien-même entre le devenir-sujet et l'Autre-mère-femme. Ainsi, lafonction de la scène primitive, si elle estséparée de la fonction oedipienne,même si elle est régulée, d'un cote, parun mécanisme similaire de coupure ets’en double toujours rétroactivement,on doit pour approfondir sa

8  Jacques Lacan, (1972). L'étourdit, Scilicet 4Paris: Seuil, 1973, p. 30.

9  J. Lacan, L’objet de la psychanalyse. 1966­67. 8 june 66.

compréhension prendre en compte "laprofonde disparité qu'il y a entre lajouissance féminine et la jouissancemasculine",10 dans ce qu'elle comportede la pulsion de mort, du rapportincestueux impossible et du "savoir" duréel.

Dans le roman de M. Duras,derrière une intersubjectivité apparenterelevant de la scène oedipienne, soujacent aux trois sujets pouvants'adresser l'un a l'autre sous la loi dudésir, une cross-subjectivité -- unesubjectivité-croisée -- a trois d'unescène primitive se cache, où le non-regard soulevé par Lacan et J. A. Millerest plutôt un lien a, pas objet a, liencomportant le point aveugle de laChose-encontre, enveloppé dans sonnon-temps et un non-lieu, qui se laisseactivement, en tant que ravissance, êtreaffecté par les "passions de (a)." Cessont les données même de la scènedécrite par Duras qui permet d'évoquerla scène primitive plutôt que l'Œdipe :une rencontre inattendue, hors temps,traumatique et traumatisant, produisantun sujet-en-devenir stupéfié horslangage vis-à-vis un non-regard d'unefemme-mère, et pas (encore) un sujetbarré vis-à-vis d'un objet manquant.

En parlant de l'étoffe autrementqu'en termes de fusion, l’incesteféminin apparaît dans cette sphèrecomme une transgression nécessaire.Nullement mesurable par -- oucomparable à -- l’inceste sexuelpervers ou génital-phallique, cetteinceste au-delà du phallus est unchamp psychique primordial detransgressions entre trauma etjouissance, phantasme et même désirentre plusieurs participants, et leurtranscription dans un assemblage --plusieurité -- hors temps, marquée parle rapport féminin en évanescence ––non par une “ union ”, ni par unesymbiose, mais dans un champ detrans- et cross-subjectivité partielle etdifférentielle. C'est seulement Lacan depresque dix ans plus tard qui permetqu'on interprète ainsi son "étoffe ":

10  J. Lacan, L’objet de la psychanalyse.  8 june 66.

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"Quand la corde se montre, c'est que letissage ne se camoufle plus dans cequ'on appelle l'étoffe. ",11 dit-il, et il ditencore: "Le lien de la castration avecl'interdit de l'inceste... c'est ce quej'appelle mon rapport sexuel,"12 et plustard il précise: "“Il n’y a pas de rapportsexuel, sauf pour les générationsvoisines, à savoir les parents d’unepart, et les enfants de l’autre. C’est àquoi pare - je parle du rapport sexuel -l’interdit de l’inceste. "13

Des traces indélébiles ducontact avec le corps de la femme sontinscrites comme sillages des traumas etdes jouissances, chez les uns et chezles autres, et se révèlent leur sens dansles phantasmes d'au-moins-deuxparticipants d'une rencontre, quipeuvent faire sens et se co-(n)naîtreseulement a plusieurs. Ici donc, lesfrontières perçues entre des sujets sedissolvent et leurs limites sontdépassées et transformées en seuils.Émergent alors des liens-limitetransgressifs contingents, ainsi qu’unespace-limite de déviation et derencontre, comme différence sexuelleféminine marquée par la perte des"rapports", et comme instance créatricede sens, qui gravent les traces del'évènement chez les uns et les autres,différemment. Dans une tellesubjectivité-comme-rencontre (que j'aiappelé "matrixielle"), là où l'Autre-mèren’est pas un Autre absolu, absolumentséparé, nous avançons dans unesphère où le "désir" est une liaison-limite, où “ l’objet du désir ” n’est pas unobjet mais un processus de perte desrapports dont le fondement est la liaisontraumatique. Et l'étoffe ne désigne pasun paradis symbiotique perdu, maisplutôt, une différenciation traumatiqueavec-d’entre des élémentssubjectivants "féminins", oùl’impossibilité du non-partage, la

11  Jacques Lacan, R.S.I. , 1974­75. 21 janvier 1975. 

12  Jacques Lacan, R.S.I. , 15 avril 1975.13  Jacques Lacan, Le moment de 

conclure. Unedited seminar version, 11 April 1978.

transgressivité, demande son prix: lerisque de fragmentation psychotique,mais aussi : engendre sa beauté ettisse son sens.

Établir une liaison-limite tout ense différenciant de l'autre, c'est enmême temps un passage vers l'Autrequi est transgression des limitesindividuelles. Pour passer d'une f-f(femme-fille) a une ffAm (femme-fatale-Autre/mère) il faut passer par ces genrede rapports-sans-relation qui se font etse fondent, qui sont à la foissubjectivantes et différentiantes, etparticiper par là à une subjectivitépartielle et partagée. Cettetransgression, on peut la décrire à partirde l'idée, et c'est la deuxième référencea Lacan que je veux souligner, l'idée dela tresse. A parler là de l'être-à-troiscomme E. Laurent et J.A. Miller l'ontfait, me semble tout à fait essentiel.Mais il ne suffit pas d'élever cette être-à-trois à la trinité sublime ou sacrée, nide la réduire à la trinité Oedipienne. Ilfaut, à-cote et derrière ces trinités,ouvrir et découvrir le travail de la scèneprimitive de par la tresse.

Dans un certain développementénigmatique et rare de la tresse, Lacan sortde l’idée des brins de R.S.I. (Réel-Symbolique-Imaginaire) comme "supportssubjectifs personnels", et il fait une allusion,par un schéma qu"il dessine au tableau, auxsupports subjectifs croisés, où on peutconcevoir que les "brins" de R.S.I. quiémergent de personnes différentes dans uneproximité voisinante se sont croisés ettressé ensemble.

Dans Les non-dupes errent(Séminaire inédit 1973-1974), Lacanpose la question " Qu'est-ce que c'estqu'une tresse ? " en relation à laquestion de la différence féminine.Dans sa dernière théorie, Lacan décrit

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tout d'abord les trois supports subjectifsRSI en tant que " personnels ".14 Cessupports subjectifs sont liés les uns auxautres par un nœud, qui parfois devientune tresse tricotée et tramée,composée de trois brins, où les brins duRéel se lient aux brins de l’Imaginaire etdu Symbolique. Dans un tel tressage,s’inscrit un certain savoir à partir duRéel “qu’il s’agit de lire en ledéchiffrant”1. Si les traces corporellesde la jouissance et du trauma (dans leRéel), leurs représentations (dansl’Imaginaire) et leurs significations(dans le symbolique), s’entrelacentautour et au-dedans de chaqueévénement psychique, le savoir du Réelne marque pas moins le Symboliquepar son sens et sa pensée, que leSymbolique ne donne sens au Réel viala signification et les concepts.Seulement, parfois, les brins semultiplient dans une tresse et on peutconcevoir d'entrecroisements des brinsvenant de plusieurs personnes. Si le 18décembre 1973 (Les non-dupes errent)Lacan dessine la tresse à trois, dansson séminaire du 13 mai 1975 (RSI) ilannonce qu’il s’arrêtera au 6 brins(deux fois RSI), même s'il pourraitcontinuer ver le 9. Quand, par la suite,un quatrième élément (le sinthome) sejoint au trois, Lacan passe de nouveaudu nœud à la tresse pour parler d’unetexture plus large encore, et il présenteau tableau (Le sinthome, 9 décembre1975) une tresse énigmatique ou sejoignent déjà deux fois les quatreéléments: une tresse à huit.15

Dans Les non-dupes errent (18novembre 1973), Lacan va du nœud ala tresse pour que quelque chose del'impossibilité du féminin puisse êtremontré : "La femme, ça n'existe pas...mais une femme, ça... ça peut seproduire, quand il y a nœud, ou plutôttresse. ... elle boucle une tresse. ..."elle

14  Jacques Lacan, Le sinthome. 1975­76. 9 décembre 1975

15  Lacan nous invite, d'ailleurs, à déchiffrer la différence entre noeud et tresse d'un côté, et entre noeud et lien del'autre côté.

arrive à réussir l'union sexuelle.Seulement cette union, c'est l'union deun avec deux, ou de chacun avecchacun, de chacun de ces trois brins.L'union sexuelle, si je puis dire, estinterne à son filage. Et c'est là qu'ellejoue son rôle, à bien montrer ce quec'est qu e, lui, réussit à être trois. C'est-à-dire à ce que l'imaginaire, leSymbolique et le Réel ne se distinguentque d'être trois, tout brut... sans queson sujet s'y retrouve, c'est à partir decette trip licité - dont une femme,parfois, fait sa réussite en la ratant,c'est-à-dire dont elle se satisfait commeréalisant "en elle-même" l'unionsexuelle, c'est à partir de là quel'homme commence à prendre d'unepetite jugeotte, l'idée qu'un nœud, çasert à quelque chose..."16 La nodalité dutressage nous donne "le Réel d'avantl'ordre"17 qui fait trois avec l'Imaginaireet le Symbolique. "Le Réel lui-mêmeest trois, à savoir la jouissance, lecorps, la mort en tant qu'ils sont noués,qu'ils sont noués seulement, bienentendu, par cette impasse invérifiabledu sexe"18. "Il y a du savoir dans le Réel,qui fonctionne sans que nous puissionssavoir comment l'articulation se faitdans ce que nous sommes habitués àvoir se réaliser"....19 Lacan parle doncd'un savoir non-conscient qui nousmène non pas au fantasme mais "au-delà : au pur réel".20

Les brins du Réel-Symbolique-Imaginaire sont entrelacés dans latresse non seulement dans une toileintra-subjective mais aussi dans unetoile cross-subjective. Si le noeud et le"lapsus du noeud" demeurent àl’intérieur des limites de l’individu, liant

16  Jacques Lacan, Les non­dupes errent, 1973­74. 15 janvier 1974. 

17  Jacques Lacan, Les non­dupes errent, 12 mars 1974.

18  Jacques Lacan, Les non­dupes errent, 19 mars 1974.

19  Jacques Lacan, Les non­dupes errent, 21 mai 1974.

20  Jacques Lacan, Les non­dupes errent, 11 june 1974.

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ou échouant à lier ses différentesdimensions subjectives, un tressage aplus-que-quatre lie les bordures d’entreplusieurs individus. Si, donc, unefemme exhibe des intersections denœuds dans une toile trans-individuelle,une femme par la tresse n’est pas unAutre radical mais un Autre-limite, quel'on ne peut pas aborder par ununiversel mais que l’on peut rencontreren suivant ses cordes dans la trame etdans le tissu de la toile. En d’autrestermes : si les nœuds rendent comptede manière énigmatique de l’échec àinscrire le désir féminin dans leparadigme toujours -- et jusqu’audernier bout -- phallique, dans letressage et par les inscriptions destraces des liaisons-limites de l'un dansl'autre, du côté du féminin, un sensserait libère/crée/inventé/révelé oudévoilé lors des prochainsentrecroisements des brins, à conditionde pouvoir lire entre les cordes d'untressage à 6 qui se cache sous un être-à-trois dans une étoffe composée de 9brins.

Dans le R.S.I noués de façonindividuelle, une coupure d'un brinamènera le détachement de deuxautres, et donc, à la psychose. Dans untressage-à- plusieurs, par contre, il peuty avoir une coupure d'un brin, et mêmed'un autre brin, sans que le tissu sedissolve. Le tressage, temporaire pardéfinition, réussi à tenir malgré safragilité extrême, là où le nœudBorromeén, structure plus solide etdurable, craque. On voit donc, avec latresse-"femme", la possibilité de tenirensemble une subjectivitétemporairement assemblée, là où avecle noeud, pour le sujet-"homme" bienséparé de ses autres "archaïques" il yaurait déjà psychose. On peut voir enLol une personne à la recherche departager temporairement une tellesubjectivité tressée, qui serait suspenduhors psychose si longuement qu'unetresse-a-plusieurs tiendrait. De cetressage, elle peut encore sortirnévrotique seulement, dans certainesconditions. On se souvient des mots sijustes de M. Duras pour décrire cettesuspension hors folie mais à ces bords.

" Lol est bonne pour l'asile mais ellen'est pas folle ".

Lors d'une rencontre avec-dansle féminin conçu comme tressage-a-plusiers, les traces de l'immémorialpeuvent être renouées et réinvesties. Si"elle" ne tisse pas seulement le Réel, leSymbolique et l’Imaginaire de sortequ’aucune frontière définitive lesséparant ne peut être établie, mais deplus, elle tisse le R. S. I. de plusieurspersonnes, alors dans le tressage,aucune identité personnelle ne peuttravailler-à-travers sa destinée seulepar rapport à la question de vivre oupas vivre en tant que corp-psyches'éveillant au réel corporel encoresubmergé dans le rapport sexuelimpossible de la scène primitive quin'est autre qu’incestueux par nature,cet inceste pas-encore prohibé parceque nécessaire pour venir à la vie et àtout moment revécu comme entre pas-encore-vie et vie. Une différencesexuelle autre s'ouvre donc là, lié à unejouissance autre d'avant césure.L'espace-de-bord matrixiel permet deconcevoir une différence qui ne seraitpas basée sur une césure.

Une différence sexuellematrixielle basée sur un tissage deliens et non sur l’essence ou sur lanégation, s'ouvre donc, d'une femme ases autres, d'une femme à une autre.Ainsi, la reconsidération de la scèneprimitive de par la tresse offrent unéclairage sur une différence sexuellecomme question que les femmes-fillesadressent non pas à un homme et pasau ’Nom du Père’, pas encore, mais àune autre femme-mère-Autre-Rencontre, à un sujet envisagé commesemblable-mais-non-même, de qui l’onse différencie-dans-l’union et à partirduquel il est possible d’ouvrir unedistance seulement dans la proximité,en plusieurité, dans un être-à-troissubdivisé et tressé.

L'être-à-plusieurs en tressagematrixiel est une possibilité qui pour moirésonne avec le "parl'être" telle que

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Lacan le présente ver la fin de sa viedans "Le malentendu".21

"Il n'y a pas d'autre traumatismede la naissance que de naître commedésiré. Désiré ou pas, c'est du pareilau même, puisque c'est le parlêtre.

Le parlêtre en question serépartit en général en deux parlants.Deux parlants qui ne parlent pas lamême langue. Deux qui ne s'entendentpas parler. Deux qui ne s’entendent pastout court. Deux qui se conjurent pourla reproduction, mais d’un malentenduaccompli, que votre corps véhiculeraavec la dite reproduction. "C'est là que Lacan nous raconte, si onveut l'interpréter de façon "matrixielle",l'histoire du lien entre une subjectivite-à-plusieurs, la scène primitive et lerapport sexuel qui sort de sonimpossibilité et devient dans ce casspécifique presque-impossibleseulement. " Le nommé Otto Rank en aapproché en parlant du traumatisme dela naissance. De traumatisme, il n’y ena pas d’autre : L’homme naîtmalentendu. " Ici, le parl'être n'est pasUn sujet mais une subjectivitécomposée de deux sujets déjà, quandun troisième sujet partiel le joint pourformer une tresse provisoire-mais-à-vieà 9dépendrait. La question de ceparl'être par rapport à la scène primitiven'est pas la question du désir sexueldu sujet triangulé avec le coupleparentale oedipien, mais la question dusujet-à-naître ou à n'être pas, laquestion de venir ou ne pas venir à lavie au bord du Réel corpo-psychiquedans l'être-à-trois au niveau partiel del'expérience non-consciente partagée etcross-subjective, inscrite et emporté parune tresse qui assemblerait desfragments ou des " brins " quicomposent un parl'être-à-plusieurs.C'est à ce niveau là, nous dit Lacan,que nous sommes au plus proche de laquestion du corps en psychanalyse.

"Puisqu’on m’interroge sur cequ’on appelle le statut du corps, j’yviens, pour souligner qu’il ne s’attrapeque de là.

21 Le Malentendu. 10 June 1980. In: Ornicar?,  22­23, 1981.

Le corps ne fait apparition dansle réel que comme malentendu.

Soyons ici radicaux : votre corpsest le fruit d’une lignée dont une bonnepart de vos malheurs tient à ce quedéjà elle nageait dans le malentendutant qu’elle pouvait.

Elle nageait pour la simpleraison qu’elle parlêtrait à qui mieux-mieux.

C’est ce qu’elle vous a transmisen vous " donnant la vie ", comme ondit. C’est de ça que vous héritez. Etc’est ce qui explique votre malaisedans votre peau, quand c’est le cas.

Le malentendu est déjà d’avant.Pour autant que dès avant ce beaulegs, vous faites partie, ou plutôt vousfaites part du bafouillage de vosascendants.

Pas besoin que vous bafouillezvous-même. Dès avant, ce qui voussoutient au titre de l’inconscient, soit dumalentendu, s’enracine là."

Pour revenir à Lol. Elle chercheà traverser-et-partager unesubjectivation à plusieurs, marquée parla ravissance activement aveuglante,avant-comme-à-coté de touteidentification soit à l'être désiré commeobjet soit à l"être désirant comme sujet.Cela se passe en participant à unesubjectivité momentanément ouverte etpartagée, dont l'objet (a) matrixiel,comme le sujet-en-devenir qui setrouve "entre centre et rien" dans unespace-de-bord matrixiel,22 fait le lienentre présence et absence et entrenon-vivante (pas-encore née) etvivante-à-peine. Par cette participations'ouvre une différence matrixiellefemme/femme, qui n'a rien à voir avecla différence Œdipienne homme/femme,mais qui l'accompagne et y est sous-jacent. Cette différence n'est nioedipienne ni anti-oedipienne ni mêmepre-oedipienne, parce que son origineest ailleurs, dans une subjectivité déjàcroisée pour commencer, et vivante latransition, où circulante dans le lienentre scène primitive et Œdipe, et

22  Voir: B. Lichtenberg Ettinger, Régard et éspace­de­bord matrixiels, Bruxelles : La Lettre Volée, 1999. 

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s'évanouissant dans la perte de ce lienet dans le dénouement de ce tressage.

Cette ravissance, ni conscienteni inconsciente mais non-consciente, necherche ni à voir, ni à se voir, ni à sefaire voir. C'est là que l'expressionprélevée chez M. Duras : le non-regardqui est cette ffAm Anne-Marie Stratter,s'est révélée décisive. Si le regard estconçu comme une mesure“ incommensurable ” de la perte"objectale" au cœur du processusd’advenir-à-l’être du sujet, le non-regard, comme son envers, sechargera, à mon sens, de la perterelative dans les liens-de-bords et del'accordement des liens-limite avec letrauma de l’Autre. Reconnaissanteseulement dans/avec et par un autredans une encontre momentanée,fantasmatique et traumatique, leravissance est pour cela le non-regardpar excellence. Aveugle et stupéfiant, lenon-regard ravissant-ravisseur opèreen ré accordant une femme-fille qui setrouve en position de sujet-en-devenirtout d'abord avec la pulsion de mort, àmoins qu'une ffAm qui est son supportsubjectif se fragilise elle-même elleaussi, en ouvrant ses bordures etentrecroiser ses brins R.S.I. pourdevenir elle aussi un sujet partiel etpour inclure la fille dans son imaginairecorporelle porteur de pulsion de vie.Quand nous passons du champ de laperte phallique par “ castration ” del’objet-Autre-mère/femme-Autre-Choseet sa trace comme objet (a), vers desrapports-sans-relation avec-dans lafemme-mère/Autre-Chose comme lien,on voit donc la difficulté de penser lesliens mêmes, et leurs échecs, endehors de leur tressage23 C'estseulement en traversant le non-regarddans une ouverture transsubjective etcross-subjective, et en participant dansune tressage qui l'inclue, qu'unassemblage-qui-reunisse-en-séparantpermet à une fille -- f-f -- de devenir

23  Lacan nous invite, d'ailleurs, à déchiffrer la différence entre nœud et tresse d'un côté, et entre nœud et lien del'autre côté.

femme -- ffAm -- à son tour. Jedifférentie donc une phase dedifférentiation sexuelle non-identificatoire liée à la scène primitive,qui se cache dans l'être-à-trois, et quela formule d'hystérie surfixée surl'Œdipe se voile, gomme et échoue.

Pour résumer: même si les troisscènes triangulaires dans laquelle Lols'implique -- ou est impliquée -- sontoedipiennes, ce n'est pas latriangulation oedipienne qui s'opère làsous l'angle du désir active de l'homme(père) à une femme (mère) vu parl'enfant (constitué sous l'angle dunarcissisme de l'enfant mâle parFreud), mais un tressage sous l'angled'une désirabilité féminine qui s'opèrecomme un pôle active et pas passive,et comme subjectivant et pasobjectivant. La ravissance du non-regard est formatrice, et elle permet depenser la différence féminine toutd'abord dans l'axe f/f (femme-femme)sou jacent et voisinant à l'axe f/h(femme-homme), et composant latrame cachée de l'être-à-trois oedipien.

Détail non sans-signification:c'est la mère de Lol qui empêche cepassage à/par une autre l'Autre-mèredans la première scène, introduisant leravage au même lieu que leravissement venet jusque de naître, enl'arrêtant de façon précoce. Car Loln'est pas perverse ; elle est un train dedevenir sujet/femme-fille dans unedifférence avec et d'une autre femme-mère, et c'est ce processus qui estcoupée de façon traumatique parl'alternative présence/absence encoreprématurée, opérée par sa propre mèredans la première scène, etdifféremment par l'homme (Hold) dansla dernière scène. Sans se passer parune rencontre avec l'Autre en tant queffAm, en persistant dans une dimensionpartielle au risque, bien sur, de lafragmentation et de la dispersion, Lolne peut pas venir-à-être à la placeréservée soi au sujet désirant soit àl'objet désiré, sans risque d'une foliedévastatrice. Dans la "deuxième"scène, elle n'est donc pas encore nifemme "normale" ni femme"hystérique", mais pas encore

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psychotique non plus. Mais, précipitée,dans la troisième scène, vers unetriangulation imaginaire plutôtŒdipienne, alors qu'elle essaie encorede renouer un évènement primairerelevant d'une scène primitive, elledeviendra folle. L'homme-père en tantque sujet identifié, support imaginairedu Nom du Père ne peut pas conclurecette affaire à la place d'une ffAm entant qu'évènement de rencontre"impossible" entre plusieurs.

La première scène " prépare "une psychose seulement comme unepotentialité. La deuxième scène metcette potentialité en suspense. Dans unnouveau tressage dans-avec le Réel,hors temps et hors lieu, ce qui a échouédans la première tentation a reçu unedeuxième chance. Lol " essaie" des'offrir une thérapie très originelle: elleessaie d'avancer, là où la premièrescène s'est arrêtée pour elle trop tôt,mais autrement. De par ces propresmoyens trop concrets elle oeuvre às'offrir sur scène une "scène primitive",à travers le scénario de Tatiana-avec-Hold, avec un nouveau tressage-à-troisqui pourrait l'inclure fantasmatiquementet traumatiquement, pour travailler-à-travers ce scénario cette différencefemme-femme recherchée encore, ettirer les brins du R. S. I. de ce nouveautressage de subjectivité-croisée enversses propres brins R.S.I. Seulementaprès la réussite d'un tel tressage elleaurait pu s'ouvrir à la différencehomme-femme pour devenir "normale".La deuxième scène est un temps hors-temps et un lieu hors-lieu, parce qu'elleest la prolongation de la scène primitivedans un tressage de plusieurité, souscouverture d'une scène oedipienne quisemble être perverse, mais qui ne l'estpas vraiment, car l'Œdipe n'est pasencore là. De la deuxième scène, ellepourrait, peut-être, s'en sortir sanspsychose, car elle n'est pas encoredevenue psychotique. Mais elledeviendra psychotique lors de latroisième scène, parce qu'elle a étéprécipitée vers l'Œdipe trop vite, sansque la sortie de la scène primitive par ladifférence f-f / ffAm s'est accomplie.

Jacques-Alain Miller : On va peut-être faire une scansion là, si vous levoulez bien, pour échanger quelquespropos. Restez là, restez au contraire.Le texte n’est pas terminé, Bracha adéveloppé beaucoup la note qu’ellem’avait envoyée, et donc ça débordepeut-être un peu nos capacités de lasuivre dans tous ses développements.

Peut-être que je peux scander lesquelques propositions de la suite. Pourelle, au fond, ce qu’elle nous exposeoffre un éclairage sur la question queselon elle les femmes-filles adressentnon pas un homme, non pas au Nom-du-Père, pas encore, donc, il fautréserver pour après, pour une structurequi s’établit, mais que les femmes-fillesadressent à une autre femme. C’est laquestion d’une femme adressée à uneautre femme, de la femme-filleadressée à l’autre femme, fatale, mère,Autre avec un grand A, rencontre, enfintout ça avec des traits d’unions, c'est-à-dire à un sujet envisagé commesemblable mais non pas même. Voilà lepartenaire, si on peut dire, que Brachafait, je ne vais pas dire invente, maisenfin au bon sens du terme, invente unpartenaire qui est pour une femme lafemme fatale, Autre, préalable, etc., Elleessaie de nous décrire au fond ce qu’ily a au-dessous de la barre, avant lamétaphore du Nom-du-Père en quelquesorte. Et en utilisant Bion, ou desréférences. Elle dit ce mot qui, disons,dans la doxa lacanienne n’a pas tout àfait sa place, le mot « d’archaïque »,elle dit le mot d’archaïque, c'est-à-direce qui introduit vraiment la chronologie,elle dit ce mot d’archaïque parce qu’elleessaye d’inventer des termes – je voustraduits si vous permettez – d’inventerdes termes pour rendre compte enquelque sorte directement de ce qu’il ya avant la métaphore du Nom-du-Père.

Et donc, après elle insiste sur le non-regard à la fois de la ravissante, maisde la femme ravisseur. C’est une belleidée, c’est une idée au fond, j’allais direc’est une idée moderne, mais c’est uneidée aussi très ancienne, c’est la Dianechasseresse. Aussi, une notationclinique à la fin, Lol n’est pas perverseet elle dit : « Elle est en train de devenir

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sujet-fille dans une différence d’avecune autre femme mère. » Donc, vouspensez qu’elle est sur le bon chemin ?

Bracha Lichtenberg Ettinger : Non jecrois qu’elle va devenir folle celle-là !parce que elle précipitait trop vite, àl’espace d’avant et d’après où danstous ces deux espaces elle estconsidérée comme soit sujet soit objetet je dis dans le dernière partie que jen’ai pas lue qu’il y a une condition pourque ça se passe autrement, c’est qu’il yaura une certaine ouverture, que cettesubjectivité au temps, on l’appelleracomme on veut, doit s’ouvrir à unecertaine sphère où ces lignes setressent, et que ça a toute sonimportance, il faut y aller et c’est là…

Jacques-Alain Miller : Ça, je voulaisvraiment vous remercier de la référenceà ce passage de Lacan qui est vraimentopportun. Evidemment, l’être-à-troisc’est aussi le nœud borroméen, etc.,c’est la récurrence du trois chez Lacan,mais en effet c’est une référence….

Bracha Lichtenberg Ettinger : et c’estlà où je dis quand vous avez relevé lenon-regard de cette femme autrechose, c’est pour rien dans mon sens,parce que c’est une instance là qui nepeut pas être sujet comme le sujetentier et identifié, elle n’est pas ni sujetni objet, donc elle est là comme l’enversd’un regard, mais quand mêmesubjectivant et qu’il faut le partager poury…

Jacques-Alain Miller : C’est ce quevous dites. Lacan pêche dans le textede Duras ce qu’elle dit, à savoir queAnne-Marie Stretter, quand elle arrive etqu’elle va entraîner le fiancé de Lol, etnon-regard, et Lacan dit : « Pas du toutelle, est la tache qui est l’origine mêmedu regard, qui est le statut initial duregard. »

Bracha Lichtenberg Ettinger : et çac’est la piste qui m’a amené vers le trucde l’étoffe où il prend soin de faire ladifférence entre tache et ? ?, etc, et

regard, etc., et regard il le met tout d’uncoup l’un vis-à-vis de l’autre.

Jacques-Alain Miller : Si vousvoulez, ce qui m’a frappé, enfin il y abeaucoup de choses qui m’ont frappédans votre texte, aussi par sonétrangeté pour moi, mais enreconnaissant, voilà, que c’est fait aussià partir de Lacan, et qu’il y a plusieursfaçons de l’attraper, c’est aussi laphrase que j’ai signalée, qui était quepour vous là il ne faut pas parler de çaen termes de sujet barré et d’objet.Cela m’a frappé, parce que, moi, j’avaisun sentiment exactement contraire. Jeme souviens, si vous voulez, avoir poséune question qui m’embêtait, quim’embêtait longtemps, à Lacanen1974, ou en 75, non, en 77. Cela aété publié dans Ornicar ? Quand il estvenu inaugurer la Section clinique, il adonc fait un petit speech, après il yavait une place pour des questions, etje lui ai dit : « Est-ce que vraiment, pourla psychose, vos catégories de sujetbarré, d’objet petit a, etc., ça sert ? Est-ce que ça capte le phénomène, est-ceque ça permet de structurer lephénomène ? » Parce que ça neparaissait pas évident à partir d’autreschoses qu’il avait pu dire. Et il m’a dit :« Tout à fait. Ça fonctionne. » Et je lui aidit : « Dites m’en un peu plus. « Et ilm’a dit : « Une autre fois. » Je crois. Ouil m’a dit : « Je vous l’expliquerai uneautre fois. » Et au fond, il ne me l’ajamais expliqué. Or, je me suis aperçulà ces jours-ci, en reprenant le texte deLacan sur l’incitation d’Eric Laurent, quefinalement le texte où Lacan montraitcomment S barré et petit a ças’applique très bien à la psychose,c’était « L’hommage à MargueriteDuras », parce que toute sa lecture estpour nous montrer que les personnages… - elle est fascinée -, qu’il y a là leséléments de son fantasme, et que lescatégories sont opératoires. Et au fond,Lacan au lieu de me laisser comme ça,devant… - c’est très bien, ça fait vingt-cinq ans que ça dure -, mais me laisserun peu en suspens là-dessus, aurait pudire : « Mais, mon cher, vous n’avezpas lu mon texte sur Duras. » Auquel

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cas, je lui aurais dit : « Je l’ai lu, maismes difficultés avec Duras font que jene suis pas vraiment entré là-dedans. »

Donc, moi j’y ai vu cet intérêt, ça m’afrappé que vous insistez sur quelquechose qui a sa validité, j’expliquepourquoi moi ça m’a intéressé que vouspreniez la chose comme ça, oui alorsmaintenant…

Bracha Lichtenberg Ettinger : alors làje faisais un petit dessin, parce que jecrois que c’est tout à fait exactementcomme il présente, comme Lol estprésentée, ici ça fonctionne, en fait Loln’est pas folle Lol, elle sera folle…

S S a

S p a r t i e l s S S S S S S S S n o n - r e g a r d

Jacques-Alain Miller : Vous pensezqu’elle n’est pas folle au moment deson expérience…

Bracha Lichtenberg Ettinger : non jepense qu’elle répète, c'est-à-dire c’estsa ? ?

Jacques-Alain Miller : Non, Lacan ditqu’elle ne répète pas…

Bracha Lichtenberg Ettinger : Nonelle ne répète pas. Marguerite Durasnous montre ce moment de subjectivitéà plusieurs, avec, pas dans le tempsqui…

Jacques-Alain Miller : Mais chezLacan, il ne s’agit pas d’une subjectivitéà plusieurs, puisque le sujet estquelque part, le sujet barré est quelquepart, c’est pas Lol. Il ne dit pas que Lolest un sujet barré. Lol, dans sapsychose, n’est pas un sujet barré. Lesujet barré est là-bas dans le spectacle,

et le petit a est là-bas dans lespectacle.

Et donc, ce n’est pas une subjectivitéà trois. Et même, à un moment, vousdites : subjectivité à plusieurs. Moi, j’aimis en regard, Lacan dit : être-à-trois.Ce n’est pas la subjectivité, puisque lesujet c’est du manque-à-être. Là, il y aun être-à-trois et, d’une certaine façon,ce qu’il met en valeur c’est que l’être deLol est dans Tatiana. Et elle ne rejointson être que là. Je suis bien d’accordque…

Bracha Lichtenberg Ettinger : C’estpour ça que j’ai dit qu’en fait on peutinterpréter Lacan mais c’est peut-êtrecontre son gré, avec ce qu’il avancedes années après, parce que quand ildit, dans cette possibilité, on est bienaprès quand il essaye de ? ? ? à partirde 65…

Jacques-Alain Miller : C’est ça. Aumoment où il lit ça en 1965, il lit ceroman, avec toutes les précautionsd’usage sur l’écrivain est toujours enavance, etc., il lit ça, en clinicien,comme un délire paranoïaque. Et ilnous montre comment ce délireparanoïaque a une face de jouissance,en quelque sorte, parfaitementstructurée, et que, discrètement, à lafin, le délire paranoïaque est là quandcet être-à-trois n’est pas constitué…

Bracha Lichtenberg Ettinger : Est-ceque je peux dire une chose qui sembletout à fait importante, et c’est uneraison pourquoi je voulais intervenir.C’est que j’essaye de dire que, danscette différence, si on les regarde sousl’angle de fille-mère et pas enfant-mère,enfant…

Jacques-Alain Miller : Là, la mèren’est pas très présente dans cettehistoire.

Bracha Lichtenberg Ettinger : Nonmais Duras a cette chose presquequ’elle dit sur Anne-Marie Stretter, quec’était une mère, non-regard et blabla etpuis plus rien…

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Jacques-Alain Miller : Oui, pour vousc’est essentiel. Pour Lol, c’est sonrapport à cette Anne-Marie Stretter.

Bracha Lichtenberg Ettinger :effectivement, quand on donne un petittwist à cette paranoïa, on dirait quec’est, ça va mieux si c’était unepersonne, c'est-à-dire qu’il y a quelquechose, non à propos de la perversitéc'est-à-dire il y a quelque chose, si onn’introduit pas la question vraiment decette petite différence dont on atellement de mal à parler, entre femme-femme, d’une complexité, j’appellearchaïque, mais je sais bien qu’on parlepas de ? ?, si on introduit pas ça on estde nouveau attiré tout de suite par descatégories des malades, quoi, toutesprêtes…

Jacques-Alain Miller : Est-ce queEric Laurent voudrait dire un mot sur laquestion ? Et Guy Trobas ? Non. On aencore une séance, heureusement,donc on pourra poursuivre. Vous voulezposer une question ? Non. Trobas ? Jene vais pas demander à CatherineLazarus-Matet de nous présenter leschoses maintenant. Elle le fera endébut de la fois prochaine. Ça luidonnera un peu plus de temps pourfignoler, ou pas, c’est comme elle veut,parce que je l’ai pressé d’apporterquelque chose.

Oui, quatre heure moins le quart, jecrois qu’on arrête là. Je pense quevraiment il faudra faire un Colloque Lol,où on pourra reprendre ces questions,et que, avec les nouvelles contributionsqui pourraient arriver, et que je vousincite à méditer sur les trois prisonnierset Lol V. Stein. C’est un couplageinattendu, que nous le devons à EricLaurent au départ, mais qui a bien dusuccès.

Bon, merci Bracha.

Suite du texte de BrachaLichtenberg Ettinger :

« Il y a du savoir dans le Réel, quifonctionne sans que nous puissionssavoir comment l'articulation se faitdans ce que nous sommes habitués à

voir se réaliser »....24 Lacan parle doncd'un savoir non-conscient qui nousmène non pas au fantasme mais « au-delà : au pur réel »25.

Les brins du Réel-Symbolique-Imaginaire sont entrelacés dans latresse non seulement dans une toileintra-subjective mais aussi dans unetoile cross-subjective. Si le nœud et le« lapsus du nœud » demeurent àl’intérieur des limites de l’individu, liantou échouant à lier ses différentesdimensions subjectifs, un tressage àplus-que-quatre lie les bordures d’entreplusieurs individus. Si, donc, unefemme exhibe des intersections denœuds dans une toile trans-individuelle,une femme par la tresse n’est pas unAutre radical mais un Autre-limite, quel'on ne peut pas aborder par ununiversel mais que l’on peut rencontreren suivant ses cordes dans la trame etdans le tissu de la toile. En d’autrestermes : si les nœuds rendent comptede manière énigmatique de l’échec àinscrire le désir féminin dans leparadigme toujours - et jusqu’au dernierbout -- phallique, dans le tressage etpar les inscriptions des traces desliaisons-limites de l'un dans l'autre, ducôté du féminin, un sens seraitlibère/crée/inventé/révelé ou dévoilélors des prochaines entrecroisementsdes brins, à condition de pouvoir lireentre les cordes d'une tressage à 6 quise cache sous un être-à-trois dans uneétoffe composée de 9 brins.

Lors d'une rencontre avec-dans leféminin conçu comme tressage-à-plusieurs, les traces de l'immémorialpeuvent être renouées et réinvesties. Sielle ne tisse pas seulement le Réel, leSymbolique et l’Imaginaire de sortequ’aucune frontière définitive lesséparant ne peut être établie, mais deplus, elle tisse le R, S. I de plusieurspersonnes, alors dans le tressage,aucune identité personnelle ne peuttravailler-à-travers sa destinée seule.Une différence sexuelle matricielle

24   Jacques  Lacan,  Les  non­dupes errent,  21 mai1974.

25   Jacques Lacan,  Les non­dupes errent,  11  juin1974.

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basée sur un tissage de liens et nonsur l’essence ou sur la négation,s'ouvre donc, d'une femme a sesautres, d'une femme a une autre. Ainsi,la reconsidération de la scène primitivede par la tresse offrent un éclairage surune différence sexuelle commequestion que les femmes-fillesadressent non pas à un homme et pasau ’Nom du Père’, pas encore, mais àune autre femme-mère-Autre-Rencontre, à un sujet envisagé commesemblable-mais-non-même, de qui l’onse différencie-dans-l’union et à partirduquel il est possible d’ouvrir unedistance seulement dans la proximité,en plusieurité, dans un être-à-troissubdivisé et tressé.

Pour revenir à Lol, elle cherche àtraverser-et-partager une subjectivationà plusieurs, marquée par la ravissanceactivement aveuglant, avant toutidentification soit à l'être désiré commeobjet soit à l'être désirant comme sujet.Cela se passe en participant à unesubjectivité momentanément ouverte etpartagée, dont l'objet (a) matrixiel,comme le sujet-en-devenir qui setrouve « entre centre et rien » dans unespace-de-bord matrixiel26, fait le lienentre présence et absence. Par cetteparticipation s'ouvre une différencematricielle femme/femme, qui n'a rien àvoire avec la différence œdipiennehomme/femme, mais qui l'accompagneet y est sous-jacent. Cette différencen'est ni œdipienne ni anti-œdipienne nimême préœdipienne, parce que sonorigine est ailleurs, dans unesubjectivité déjà croisée pourcommencer, et dans la transition, ou lelien entre scène primitive et Œdipe, etdans la perte de ce lien, et la séparationde cette tressage.

Cette ravissance, ni consciente niinconsciente mais non-consciente, necherche ni à voir, ni à se voir, ni à sefaire voir. C'est là que l'expressionprélevé chez Marguerite Duras : le non-regard qui est cette ffAm Anne-MarieStretter, s'est révélée décisive. Si le

26   Voir :   B.   Lichtenberg   Ettinger,  Regard   etespace­de­bord matrixiels, Bruxelles : La LettreVolée, 1999. 

regard est conçu comme une mesure« incommensurable » de la perte« objectale » au cœur du processusd’advenir-à-l’être du sujet, le non-regard, comme son envers, sechargera, à mon sens, de la perterelative dans les liens-de-bord et del'accordement des liens-limites avec letrauma de l’Autre. Reconnaissanteseulement dans/avec et par un autredans une encontre momentanée,fantasmatique et traumatique, leravissance est pour cela le non-regardpar excellence. Aveugle et stupéfiant, lenon-regard ravissant-ravisseur opèreen réaccordant une femme-fille qui setrouve en position de sujet-en-devenirtout d'abord avec la pulsion de mort, àmoins qu'une ffAm qui est son supportsubjectif se fragilise elle même elleaussi, en ouvrant ses bordures etentrecroiser ses brins R.S.I. pourdevenir elle aussi un sujet partielle etpour inclure la fille dans son imaginairecorporelle porteur de pulsion de vie.Quand nous passons du champ de laperte phallique par « castration » del’objet-Autre-mère/femme-Autre-Choseet sa trace comme objet (a), vers desrapports-sans-relation avec-dans lafemme-mère/Autre-Chose comme lien,on voit donc la difficulté de penser lesliens mêmes, et leurs échecs, endehors de leur tressage27. C'estseulement en traversant le non-regarddans une ouverture transsubjective etcross-subjective, et en participant dansune tressage qui l'inclue, qu'unassemblage-qui-reunisse-en-séparantpermet à une fille - f-f - de devenirfemme - ffAm - à son tour. Je différentiedonc une phase de différentiationsexuelle non-identificatoire liée à lascène primitive, qui se cache dansl'être-à-trois, et que la formuled'hystérie surfixée sur l'Œdipe se voile,gomme et échoue.

Pour résumer: même si les troisscènes triangulaires dans lesquelles Lols'implique - ou est impliquée - sont

27   Lacan   nous   invite,  d'ailleurs,  de   déchiffrer   ladifférence entre nœud et tresse d'un côté, et entrenœud et lien de l'autre côté.

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œdipiennes, ce n'est pas latriangulation œdipienne qui s'opère làsous l'angle du désire active del'homme (père) à une femme (mère) vupar l'enfant (constitué sous l'angle dunarcissisme de l'enfant mâle parFreud), mais une tressage sous l'angled'une désirabilité féminine qui s'opèrecomme une pôle active et pas passive,et comme subjectivant et pasobjectivant. La ravissance du non-regard est formatrice, et elle permet depenser la différence féminine toutd'abord dans l'axe f/f (femme-femme)sous-jacent et voisinant à l'axe f/h(femme-homme), et composant latrame cachée de l'être-à-trois œdipien.

Détail non sans signification : c'est lamère de Lol qui empêche cettepassage à/par une autre l'Autre-mèredans la première scène, introduisant leravage au même lieu que leravissement venait jusque de naître, enl'arrêtant de façon précoce. Car Loln'est pas pervers ; elle est un train dedevenir sujet/femme-fille dans unedifférence avec et d'une autre femme-mère, et c'est cette processus qui estcoupée de façon traumatique parl'alternative présence/absence encoreprématurée, opérée par sa propre mèredans la première scène, etdifféremment par l'homme (Hold) dansla dernière scène. Sans se passer parune rencontre avec l'Autre en tant queffAm, en persistant dans une dimensionpartielle au risque, bien sur, de lafragmentation et de la dispersion, Lolne peut pas venir-à-être à la placeréservée soit au sujet désirant soit àl'objet désirée, sans risque d'une foliedévastatrice. Dans la « deuxième »scène, elle n'est donc pas encore nifemme « normale » ni femme« hystérique », mais pas encorepsychotique non plus. Mais, précipitée,dans le troisième scène, vers unetriangulation imaginaire plutôtœdipienne, alors qu'elle essaie encorede renouer un événement-rencontreprimaire relevant d'une scène primitive,elle deviendra folle. L'homme-père entant que sujet identifié supportimaginaire du Nom du Père ne peut pasconclure cette affaire à la place d'une

ffAm en tant qu'événement derencontre « impossible » entreplusieurs.

La première scène « prépare » unepsychose seulement comme unepotentialité. La deuxième scène metcette potentialité en suspense. Dans unnouveau tressage dans-avec le Réel,hors temps et hors lieu, ce qui aéchouée dans la première tentation aeu une deuxième chance. Lol« essaie » de s'offrir une thérapie trèsoriginelle : elle essaie d'avancer, là oùla première scène s'est arrêtée pourelle trop tôt, mais autrement. De parces propres moyens trop concrète elleœuvre à s'offrir sur scène une « scèneprimitive », à travers le scénario deTatiana-avec-Hold, avec une nouvelletressage-à-trois qui pourrai l'inclure parphantasmiquement et traumatiquement,pour travailler-à-travers cette scénariocette différence femme-femmerecherchée encore, et tirer les brins duR. S. I. de cette nouvelle tressage desubjectivité-croisée envers ses propresbrins R.S.I. Seulement après la réussited'un tel tressage elle aurait pu s'ouvrir àla différence homme-femme pourdevenir « normale ». La deuxièmescène est un temps hors-temps et unlieu hors-lieu, parce qu'elle est laprolongation de la scène primitive dansune tressage de plusieurité, souscouverture d'une scène œdipienne quisemble être pervers, mais qui ne l'estpas vraiment, car l'Œdipe n'est pasencore là. De la deuxième scène, ellepourrait, peut-être, s'en sortir sanspsychose, car elle n'est été pas-encorepsychotique. Mais elle deviendrapsychotique lors de la troisième scène,parce qu'elle a été précipitée versl'Œdipe trop vite, sans que la sortie dela scène primitive par la différence f-f /ffAm s'est accomplie.

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LES US DU LAPS

Jacques-Alain Miller

Vingt deuxième séance du Cours

(mercredi 14 juin 2000)

XXII

Nous allons entendre aujourd’hui,pour cette dernière réunion, cettedernière séance, Catherine Lazarus-Matet sur Lol V. Stein. Comme je l’aiindiqué, ce ne sera pas forcément ladernière fois où nous parlerons de Lolpuisqu’il nous faudra faire un ColloqueLol. Il nous faudra même peut-être faireune Société Lol V. Stein, étant donné lechamp qui s’est là ouvert parl’inspiration singulière, géniale, d’EricLaurent, d’ouvrir cette perspective, cechapitre qui était resté pour nous, il fautdire, clos jusqu’alors.

Le texte que Catherine Lazarus-Matet m’a donné la semaine dernièredéjà, et une nouvelle version ce matin,a pour titre « Hors de la région dusentiment ». C’est une citation duroman, expression qui dans le roman,localise, situe, Lol.

Je ne ferai pas d’introduction. Donc,vous aurez l’occasion d’entendreCatherine Lazarus-Matet cettesemaine. Je dirais seulement deuxmots – non, ce n’est pas uneintroduction, je vois des regardsseptiques.

Je dirai seulement deux mots,vraiment deux mots de la scènejudiciaire, de l’événement dont je vousavais informé et que j’ai d’ailleurs eul’occasion de commenter avec d’autres,dans des émissions électroniques, aucours de cette semaine.

Que puis-je vous dire en deuxmots ? Après vous avoir longuemententretenu des trois prisonniers, je me

suis retrouvé devant trois juges. Là, j’aivraiment vu le doigt de Dieu. Et en plus,comme si ça n’était pas assez, ces troisjuges étaient des femmes (rires). J’aidonc pu apprécier dans le fait, ce dontje vous avais parlé, cette année même,à propos du caprice et de la loi, à savoirl’assomption croissante par desfemmes - alors que les femmes furentlongtemps vouées au caprice -l’assomption croissante par desfemmes du pouvoir légal. Cela avait étépeut-être leur assomption du signifiant-maître comme tel, avec tout son entourd’insignes et de cérémonies, gravitantautour de ce triomphe.

Qu’en dire ? Je dois dire qu’elless’en tirent très très bien. Bon, bien sûr,étant donné ce que j’avais exposé, ettout en étant un justiciable, un humblejusticiable, et même un justiciablemenacé, je dois dire que j’étais sous lecharme (rires). Mais je crois néanmoinsêtre objectif en disant qu’elles sontvraiment canon ! (rires). Je les ai vues,dans la pratique, comment madame laprésidente du tribunal a interrogé lapartie adverse, c’était de l’art ! Et, entout cas, j’ai beaucoup apprécié ledialogue qu’elle a bien voulu avoir avecmoi. J’espère qu’elle l’aura appréciéelle aussi, évidemment. Il est certainque ça aurait été très différent si le jugeavait été un homme. Cela m’a étésensible, là je l’ai éprouvé.

J’espère que je serai aussi satisfaitdu jugement (rires), qui ne sera renduque dans quelque temps, évidemmentdu jugement qui est d’un autre ordreque cette scène de théâtre, où nul nesaurait préjuger. Donc, là-dessus noussommes dans un autre ordre dechoses. Bon, à vous la parole.

Catherine Lazarus-Matet :

« Hors de la région du sentiment »

Lol - Je n'ai plus aimé mon fiancé dèsque la femme est entrée... Quand je disque je ne l'aimais plus, je veux dire quevous n'imaginez pas jusqu'où on peutaller dans l'absence d'amour. Jacques Hold. - Dites-moi un mot pourle dire.

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Lol - Je ne connais pas. J.H. - La vie de Tatiana ne compte pasplus pour moi que celle d'une inconnue,loin, dont je ne saurais même pas lenom. Lol - C'est plus que ça encore J.H.- C'est un remplacement.

En quelques mots, Lol V. Steindonne à Jacques Hold et au lecteurquelques clés hermétiques sur ce quis'est produit pour elle avec l’événementde la salle de bal du casino de T.Beach. Dans ce bref échange, elle ditbeaucoup : la disparition brutale del'amour, la profondeur de cetteabsence, le rôle instantané de la femmedans la fin de cet amour, qu'elle nedemande pas que Tatiana ne compteplus pour Jacques Hold, qu'il n'y a pasde mot pour dire qu'elle est au-delà dece qu'il tente de saisir.

Mais il réduit tout en un mot unique,pas énigmatique en lui-même, banal,ordinaire, que Lol ne conteste pas, ellequi corrige auprès de lui toutes lestentatives de compréhension, toujoursinexactes, un mot dont la significationse révélera étrange sous sa simplicité :remplacement.

Lacan reprend ce terme dans son« hommage à Marguerite Duras, duravissement de Lol V . Stein », quant ilécrit que le fil à suivre avec Lol vajusqu'à " l'indicible de cette nudité quis'insinue à remplacer son proprecorps ".

Au début du roman, Lol est unejeune fille, fiancée, à la fin elle est lamaîtresse de Jacques Hold, femmeadultère, entre-temps elle est épouse etmère, et quelques phrases dépeignentl’adolescente. Aussi me suis-je laisséinstruire, au long de ma promenadeavec Lol, par ce que Marguerite Duraslivre quant à ces différentes figuresféminines, où apparaît un nouage entretemporalité, place et féminité, nouagedifférent selon la place, précisément deLol, qui habite ou pas ces figures de lafemme.

La stratégie hystérique du désir,comme l'a énoncé Jacques-AlainMiller : une femme faisant d'un hommeson homme de paille auprès d'une

femme qui concentre les mystères de laféminité, cette stratégie semble pouvoirs'appliquer à Lol, mais la significationsingulière à Lol du phénomène deremplacement donne l'idée d'une autrestratégie chez un sujet non divisé.

Un passage du texte de Lacanrésonne avec remplacement etconcerne la place de Lol. Ce passagesuit un résumé du bal : " N'est-ce pasassez pour que nous reconnaissions cequi est arrivé à Lol et qui révèle ce qu'ilen est de l'amour, soit de cette image,image de soi dont l'autre vous revêt etqui vous habille, et qui vous laissequand vous êtes dérobée, quoi êtresous ? Qu'en dire quand c'était ce soir-là, Lol toute à votre passion de dix-neufans, votre prise de robe et que votrenudité était dessus, à lui donner sonéclat ? Ce qui reste alors, c'est ce qu'ondisait de vous quand vous étiez petite,que vous n'étiez jamais bien là. Maisqu'est-ce donc que cette vacuité ? Elleprend alors un sens : vous fûtes, oui,pour une nuit jusqu'à l'aurore oùquelque chose à cette place a lâché : lecentre des regards. "

Si ce passage contient plus d’unélément précieux, en particulier l'objeten cause, le regard, et la place spécialeici du centre des regards, qu’ÉricLaurent a déplié pour nous ici, un autrepoint est celui-ci : Lol n'était jamais bienlà. C’est à partir de ce « jamais bienlà » que je tenterais de dire ce que leroman nous apprend sur Lol et laféminité.

Et la question de sa place, nouée àcelle du regard, l'occupe tout au long duroman. Ce qui fit événement, c'estqu'elle trouva sa place dans le momentde réunion d'elle et du couple dans sadanse. Place et remplacement, l'unenglobant l'autre, sont deux termesessentiels qui accompagnent lesmouvements du regard et du temps.

Où mettre son corps ? C'est laréponse à cette question que trouveLol. Lors du bal, elle rencontre quelquechose qu'elle construira plus tard. "J'aiété longtemps à le mettre ailleurs que làoù il aurait dû être. Maintenant je merapproche de là où il serait heureux".

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Quand dit-elle cela ? Dans unmoment amoureux avec Jacques Hold,où, le regard d'évanouie, dit le texte,elle murmure le prénom de Tatiana.Son corps serait heureux là où viendraitle remplacement, la disparition de soncorps dans le mouvement inverse augeste de l'homme qui enlèverait la robede la femme, faisant apparaître sanudité, geste qui ne pourrait avoir lieusans elle.

Tatiana, la compagne de danse del'adolescence, suppose que la maladiede Lol remonte à bien avant la scènedu bal : " Au collège, dit-elle, ilmanquait déjà quelque chose à Lolpour être - elle dit : là. "

" Elle donnait l'impression d'endurerdans un ennui tranquille une personnequ'elle se devait de paraître mais dontelle perdait la mémoire à la moindreoccasion. "

" Elle était drôle, moqueuse, très fineet bien qu'une part d’elle-même eût ététoujours en allée loin de vous et del'instant. "

Tatiana pensait que c'était le cœurqui n'était pas là. " Il semblait que c'étaitcette région du sentiment, qui, de chezLol, n'était pas pareille. " D'où laquestion intriguée de Tatiana, quandelle apprit les fiançailles de Lol : quiaurait bien pu retenir son attentionentière ?

Lacan donne la voie vers laréponse : " On dit que ça vous regarde,de ce qui requiert votre attention. "

La scène du bal inscrit d'emblée unmouvement inverse entre Lol et lafemme fatale. Lol y arrive en fiancée,mais repart avec sa mère. Anne-MarieStretter y arrive en mère, accompagnéede sa fille qui fuit le bal. Reste lafemme. La mère de Lol fait écran entresa fille et le couple. Lol renverse de lamain l'écran, écrit Marguerite Duras,pour faire durer l'instant fulgurant oùson attention entière est retenue.

La captivation est interrompue par ledépart du couple. Un jour Lol dira àJacques Hold à propos de ce momentde rupture, où elle s'évanouit : "Oui, jen'étais plus à ma place. Ils m'ontemmenée, je me suis retrouvée sans

eux". "Je ne comprends pas qui est àma place".

Pendant les quelques semaines deprostration qui suivront, pendant lacrise, Lol tentera de conjurer la fuite dutemps, le retour de l'ennui, pourretrouver ce moment d'éternité de l'être-à-trois, en prononçant une phrase,toujours la même : "Il n'était pas tard,l'heure d'été était trompeuse". Sortiebrutalement du temps de suspend, elledira encore : "C'est long d'être Lol V.Stein".

Le temps de crise est interprété parl'entourage comme le résultat del'absence inexplicable de douleur lorsde l'abandon par le fiancé. Mais Lacannote qu'elle ne peut dire qu'elle souffre.Et il propose de saisir cette souffrancequi ne peut se dire de la façonsuivante : "…pour toucher, écrit Lacan,à ce que Lol cherche à partir de cemoment, ne nous vient-il pas de lui fairedire un "je me deux", à conjuguerdouloir avec Apollinaire".

Et c'est dans Le guetteurmélancolique qu'Apollinaire conjuguecet inhabituel douloir, dans un poèmede deux pages, sans autre scansionque celle de la succession des versdont voici les premiers :

Il me revient quelquefois Ce refrain moqueur Si ton cœur cherche un cœur Ton cœur est ce cœur Et je me deux D'être tout seul Etc..." Apollinaire y conjugue « se douloir »

en un "je me deux", je souffre,souffrance de Lol, à qui Lacan veutfaire dire « je me deux », parce qu’elleest seule, coupée du couple, qui là neferait plus qu’un, à savoir ce quimanque à Lol pour être trois.

Quand Lol s'apaisera, elle sortira dechez elle la nuit. La nuit parce quel'aurore c'est la fin du bal. Elle croiselors de sa première sortie celui qui seratrès vite son mari.

C'est l'entrée dans les dix ans surlesquelles on passe rapidement dans leroman. Dix ans hors ravissement, dontil est dit suffisamment pour s'y arrêter

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un peu. Lol mène une existenceconventionnelle, bourgeoise, réglée etrythmée comme du papier à musique,par un ordre glacial et rigoureux.

Lol est dans un autre cadre, celui del'apparente retrouvaille avec son corps,son identité, et la région du sentiment.Elle a quitté sa ville natale, lieu del'abandon.

Ce cadre est celui de sa maison quila sépare de celui du bal. Là, àl'intérieur, elle est épouse fidèle, mèrede trois enfants, femme d'intérieuraccomplie. Elle ne sort presque jamais.

La vie est rythmée comme unmouvement d'horlogerie. Tout n'estqu'ordre, calme, pas volupté.

Lol dira à Jacques Hold que sonmari croyait l'avoir sauvée dudésespoir. Elle ne l'avait pas démenti,pour le rassurer, parce qu'il avait peurqu'elle ne rechute. "Je ne lui ai jamaisdit qu'il s'agissait d'autre chose". Cet"autre chose" fait écho à une réponsequ'elle donne parfois quand onl'interroge sur ce qui lui est arrivé. "Ons'est trompé sur les raisons".

On comprend que Lol garde, ensecret, en elle, le bal, mais pendant dixans, dans les semblants de sa viefamiliale, elle est une épouse et unemère sinon heureuse, du moinsjoyeuse.

Mais elle n'a pas d'identité propre.Sa maison, son intérieur, est l'intérieurdes autres. Le soin qu'elle porte à ladécoration de sa maison est lareproduction stricte de ce qu'elle voitailleurs. Elle est regardée parl'uniformité ambiante. Sa vie est régléepar l'Autre, le temps de l'horloge, Autretemporel scandé par les tâchesdomestiques. Cadrée par les murs de lamaison, elle trouve un semblant deplace et peut laisser le temps passer. Etça tient dix ans. Entre d'autres mursque ceux qu'elle voulait dresser autourdu bal.

Son mariage lui a convenu. Son maril’a choisie, lui épargnant, dit-elle, d’avoireu à trahir l’abandon exemplaire dontelle avait été l’objet, et lui évitant d’avoirà choisir elle-même un remplaçantunique à qui l’avait abandonnée.

Son mari occupe une place précise,en même temps qu’indifférenciée,d’avoir été le premier venu. Elle souriaitau tout-venant lors de la première sortienocturne où il la croisa, et il se crutspécialement regardé par elle.

Après ces dix ans, le couple revientdans la ville natale de Lol. Et c’estquand elle verra depuis son jardin,derrière une haie, comme lorsqu’elleétait cachée derrière les plantes dans lasalle de bal du Casino, un homme,encore inconnu, Jacques Hold,embrasser une femme quecommencent ses déambulationsquotidiennes. Elle invente lapromenade, écrit Marguerite Duras.

En effet, c’est à ce moment précisque va commencer le travail deconstruction du fantasme, du geste del’homme enlevant la robe de la femme.Ce baiser rappelle confusémentquelque chose à Lol. Et Lol croitreconnaître la femme. Un vaguesouvenir affleure sa mémoire, sansplus. Mais qui l’entraîne à suivrel’homme, qui sera l’homme de lasituation, la femme embrassée étantl’amie d’enfance, Tatiana, dont laprésence aux côtés de Lol lors du balavait été oubliée.

Hors de la maison, Lol pense etrepense au bal ; Le cadre dessemblants de la maisonnée s’effritedoucement, au rythme où la penséeavance. Elle pense chaque jour au bal.

Jacques Hold dit : « Ce quil’intéresse, c’est la fin du bal, cemoment où l’aurore la séparedéfinitivement du couple, la laissantsans voix et sans mot, mais certaineque quelque chose aurait dû advenir ».

« À cet instant précis, celui de la findu bal, une chose, mais laquelle ? écritMarguerite Duras, aurait dû être tentéequi ne l’a pas été. » Et Lol reconstitueau fil de ses promenades l’instant de lafin du bal. Un long passage du romandécrit le détail des pensées de Lol surla fin du bal et ce que, dix ans plus tard,elle invente à la fin du bal (pages 50-57,ed. Gallimard, nrf). Ce geste qui nepouvait avoir lieu sans elle. Il est écrit :« Elle est avec lui, ce geste, chair à

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chair, forme à forme, les yeux scellés àson cadavre ».

« Le corps long et maigre de l’autrefemme serait apparu peu à peu. Etdans une progression rigoureusementparallèle et inverse Lol aurait étéremplacée par elle auprès de l’hommede T. Beach ». Je cite encore :« Remplacée par cette femme, ausouffle près. Lol retient ce souffle : àmesure que le corps de la femmeapparaît à cet homme, le sien s’efface,volupté, du monde ».

Tatiana dira : « Elle se promenaitpour mieux penser au bal ». « Elle leréchauffe, le protège, le nourrit, ilgrandit, sort de ses plis, s ‘étire, un jouril est prêt ». « Elle y entre chaquejour », « Elle ordonne sa véritabledemeure », dira Jacques Hold.

Un jour, en effet, le bal est prêt, dansla pensée de Lol, dix ans après.

Tatiana n’aura de cesse d’interrogerLol sur le bonheur dont elle parle. Ellene peut rien en dire. Sauf, à un momentoù, dans les bras de Hold, elle regardeTatiana et dit : « Mon bonheur est là ».A trois. Le bonheur ne survient qu’avecla construction du fantasme. En effet, lafin du bal l’avait laissée seule et affolée,après le premier temps de ravissement,sans voix. Mais par son travail dereconstitution de l’instant de la fin « il nereste, écrit Duras, que son temps pur,d’une blancheur d’os ». La fin du bals’est complétée d’un après. D’abord« les fenêtres fermées, scellées, le balmuré les auraient contenus tous lestrois et eux seuls ». Premier temps dubonheur, dans le suspend du temps, quila laisse agitée. L’être-à-trois ne seraaccompli, noué, qu’avec l’invention dugeste qui dénude la femme, mais ce nesera que lorsque Lol se saura vue deJacques Hold, alors qu’il s’occupecomme il convient de Tatiana, que lebonheur sera plus net, « un peu pluscalme seulement », note Lacan.

Son bonheur, Lol dit que c’est celuide son corps, elle sait où son corpsserait heureux , dans sonremplacement par la nudité de lafemme.

Pendant les dix années loin du bal,Lol était joyeuse, de plus en plus

joyeuse, apprend-on. Au calme et trèsaffairée. C’est manifestement trèsdifférent du bonheur du ravissement.Un jour Lol dit à Jacques Hold qu’elle apeur que ce qui s’est passé il y a dixans ne recommence. Que craint-elle ?« De se retrouver sans eux », dit-elle.Et si cela arrivait, ne se tromperait-onpas encore sur les raisons, la laisserait-on alors continuer ses promenades ?C’est cela qu’elle veut, qu’on la laisse àson bonheur, à son ravissement, alorsque d’avoir voulu l’en sauver et lacomprendre, note Lacan, elle estdevenue folle. Lol ne demande pas àêtre comprise.

Le mari de Lol avait une confiancetotale en elle, pensant qu’une femmequi avait ainsi aimé son fiancé nepourrait la tromper. Il la pensaitincapable d’invention, elle qui n’avaitrien inventé dans sa vie réglée par lecours des choses et du temps. Maiselle invente. Elle invente quelque chosequi lui fera décider de quitter son mari,quand elle se rapprochera de JacquesHold et de Tatiana, entrant dans unautre temps, celui du fantasme,suspendu, instant d’éternité où elle estsur le chemin d’être « réalisée », écritLacan. Duras décrit cette imbricationdes deux temporalités quand Lol se faitencore épouse et commence à fairesurgir le regard, passage des nocesd’une vie remplie avec un métronomeaux noces de la vie avec le tempsarrêté, ce temps pur.

Si le mari de Lol fait partie du tout-venant, Lacan définit la fonction deJacques Hold auprès de Lol. Il est celuiqui « se contente de donner à Lol uneconscience d’être, en dehors d’elle, enTatiana ». il est l’opérateur duremplacement. Il vient à cette place oùl’homme « chaque après-midi,commence à dévêtir une autre femmeque Lol et lorsque d’autres seinsapparaissent, blancs, sous le fourreaunoir, il en reste là, ébloui, un Dieu lassépar cette mise à nu, sa tâche unique,… »

La temporalité des déplacements duregard, comme les a détaillés etcommentés Éric Laurent,s’accompagne d’une temporalité aussi

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bien des nuances du bonheur de Lol,que des variations de sa position quantà la féminité, temporalité que Lacantisse à partir d’un fil qui s’enroule et sedéfait autour du thème de la robe, enune phrase qui va de Lol « de sonfiancé proprement dérobée », à« l’indicible de la nudité où est remplacéson corps », en passant par le geste quienlève la robe.

Lol, au temps inaugural du bal, faitexister la féminité dans la femme fatale,hors d’elle, figure qui conjoint la beauté,le désir et la mort. C’est une figureinquiétante, dans sa robe noire, sûre deson corps, sûre d’être désirée. Il estécrit qu’une femme qui est à ce point decertitude ne peut plus qu’aller vers safin. Fatalité de la beauté qui tue en uninstant l’amour pour l’homme.

Pendant dix ans, Lol se laisse choisirpar un homme, règle la question de laféminité en revêtant les atours de labourgeoise conventionnelle, mari,enfants, maison, sous le regard dequiconque.

Puis par son fantasme, elle faitconsister comme tache, sous le gested’un homme, sous le regard du monde,la femme « nue, nue sous ses cheveuxnoirs », et Lol est ravie, au double sensdu terme. Son corps disparaît, elle esten l’autre, remplacée. Elle fait exister,nouée à elle, la beauté, pur regard, ducorps de la femme.

Le temps en trop est celui où faire lafemme auprès d’un homme lui est fatal.Trop près de la femme, elle est à sontour sous le regard du monde et devientfolle. Lacan note que ce qu’il retientc’est qu’elle devient folle pour avoir ététrop comprise par Hold. Toutes lesfemmes sont folles, dit-on, dès que l’oncherche à les comprendre. C’estd’ailleurs dans la méprise que sonmariage a pu durer. Hold, lui, a cruqu’elle voulait être à la place de l’autrefemme, alors qu’elle ne peut se soutenird’un corps de femme en elle. Et qu’êtrecomprise ne lui convient pas. Uneremarque s’en déduit. Pour Lol, il n’y apas d’autre femme, au sens où elle saitoù est La femme, réduite au regard,tache fascinante qui suspend le temps.L’être-à-trois est la solution de Lol à

l’inexistence de La femme et à lasuccession des jours. Les femmes nesont-elles pas portées à faire exister Lafemme en dehors d’elles ? Ce pousse-à-la-femme ne serait-il pas ce queMarguerite Duras a su romancer dansce ravissement comme expérienceextrême de la féminité ?

Que Tatiana soit justement la femmedu fantasme, là où surgit le regard,n’est pas indifférent. Amiesinséparables de collège, Lol et elledansaient en cachette dans le préau ;« On danse, Tatiana ? », demandait Lol.Une autre salle de bal avait existé pourLol. Un souvenir de cette période seraévoqué, à l’intention de son amie, desannées après par Lol : « Ah ! tescheveux défaits le soir, tout le dortoirvenait te voir, on t’aidait ».

À cette époque, Lol n’était jamaisbien là. Tatiana ne retenait pas sonattention entière, mais Lol faisait unebelle place à cette jeune fille, avec quielle dansait, à sa chevelure quiregardait tout le dortoir, le soir.

Il a fallu un homme captivé et captif,prisonnier de la danse, pour faire deces deux le trois qui pourrait nousdonner l’envie de faire dire à Lol un« Je me trois », où douloir ne seconjuguerait pas.

Fin de l’intervention de CatherineLazarus-Matet

Applaudissements.

Jacques-Alain Miller : Oui je prendsle relais. Nous avons eu, par CatherineLazarus, une lecture extrêmementprécise et ponctuée du roman, etvraiment son ordonnancement. Jetrouvais en effet très éclairant que vouscommenciez par isoler leremplacement, qui nous donne déjàune formalisation du ravissement. Leproblème est de ne pas rester ravi parle ravissement, en adoration devant leRavissement de Lol V. Stein. Et le motde remplacement, bon, si le romans’était appelé le « Remplacement deLol V. Stein », ça n’aurait peut-être paseu le même succès, il n’aurait pas attiré

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autant. Le remplacement, il y ad’ailleurs des officines qui vous offrentde remplacer quelqu’un qui se trouveabsent par quelqu’un d’autre. Oncherche un remplacement à unefonction, on est remplaçante. Leravissement ouvre en effetapparemment sur une autre dimension,et c’est pour ça sans doute queMarguerite Duras met le mot deremplacement dans la bouche deJacques Hold. Au fond, c’est un termequi dégrade la splendeur duravissement et qui traduit très bien lavision que le malheureux arrive à avoirde cette l’histoire.

Si l’on reprend votre indication, ceremplacement, dans ce dialogueétrange, décalé, dont on ne sait pasexactement ce qu’il vise aussi. Elle, elleparle du bal, et lui on ne sait pas trèsbien. Mais en tout cas, c’est dans lamême suite de répliques. Donc, allonssupposer, prenons ce qu’il y a lieu dansl’événement du bal à partir de ce termede remplacement.

Dans la scène du bal, la premièrescène, où la charmante Lol, qui n’estpas encore la grande Lol V. Stein quijustifie des colloques et des sociétés,mais qui est encore la toute jeune, dix-neuf ans, qui vient au bal avec sonfiancé.

Le remplacement est lié ici - commeelle l’exprime, dans ce que vous avezmis en valeur - à l’absence soudained’amour qu’elle éprouve pour sonfiancé. Elle n’est pas venue, si l’on faitattention, elle n’est pas venue parconvention à ce bal. Elle est animée, àla surprise générale, de ce que Durasappelle une folle passion pour cefiancé. Ce n’est pas le cavalier d’unsoir. Et le phénomène, c’est qu’elle aéprouvé alors, dit-elle à Hold, uneabsence d’amour qui va au-delà de ceque l’on peut dire, indicible. Enfin, lestermes exacts : « Quand je dis que jene l’aimais plus, je veux dire que vousn’imaginez pas jusqu’où on peut allerdans l’absence d’amour ». C’estremarquable, on pourrait dire : jusqu’oùon peut aller dans l’extrême de l’amour,et là c’est une vision exactementinverse : « vous n’imaginez pas

jusqu’où on peut aller dans l’absenced’amour ». Donc, c’est bien autre choseque de l’indifférence. C’e n’est pas :« Qui êtes-vous monsieur ? – Mais jesuis votre fiancé. – Ah ! ». Ce n’est pasdu tout ça (rires), c’est un extrême del’absence d’amour.

Comment nous traduisons ça, nousqui sommes encore plus lourds queJacques Hold. Nous disons que nousobservons alors, selon les dires de lapatiente – ce n’est pas notre patiente !–, selon les dires du sujet, nousobservons un désinvestissementlibidinal soudain de l’objet et untransvasement de la libido vers, àl’envers - là ça reste assez mystérieux,ça ne se précise qu’après le temps deconstruction -, disons, pour êtresommaire, vers le couple que sonfiancé là va former avec cette autrefemme, ou disons même vers cetteautre femme, pour simplifier.

Autrement dit, nous observons unphénomène que l’expression deremplacement nous permet de qualifierde métaphore de l’amour, pourreprendre le terme que Lacan emploiedans le transfert. Disons que lamétaphore de l’amour, pour être simple,ici c’est Anne-Marie Stretter, la femmeplus âgée, la femme mystérieuse, lafemme qui ne regarde personne, et quepour ça on appelle non-regard, cettefemme se met à centrer l’attention deLol.

Et donc, métaphore de l’amourdisons pour simplifier, l’autre femmevient à la place du fiancé. Et, on peutdire alors, que cette structure qui estseulement ébauchée, qui n’est pasclaire, devient limpide lorsqu’après untemps d’incubation de dix ans, quevous avez décrit avec beaucoup desoin et de précision, et à travers sesavatars, lorsqu’elle revient sur place,lorsqu’elle revient dans la ville où a eulieu le bal, alors se met en place, ça seprécise, et on s’aperçoit en effet que,du couple formé par son amie Tatianaet Hold, finalement son intérêt c’estTatiana. Donc, on peut dire : voilà, nousreconnaissons le même à la place de,le même remplacement, la mêmemétaphore qu’il y a eue au départ.

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Seulement, en fait, cette métaphore,si je puis dire, en cache une autre, etqui est distincte. Il y a un second à laplace de. C’est précisément leremplacement qui fait que le corps deTatiana vient à la place du corps de Lol.Et ça, c’est pas la métaphore del’amour, c’est, appelons-la poursimplifier la métaphore du corps. Et ons’aperçoit en effet que c’est aussi ce quia été en jeu dans l’apparition d’Anne-Marie Stretter : une métaphore du corpsderrière la métaphore de l’amour.

Et on s’aperçoit - vous l’avezsouligné, vous avez donné lesréférences nécessaires, à cet égard -,c’est qu’elle était depuis toujours enattente d’une métaphore de son corps,et c’est la valeur que vous avez donnéà ce « elle n’était pas là », qui fait partiedu témoignage que Tatiana, sacamarade de collège, donne sur ellequand elle était encore avant ses dix-neuf ans où elle est parue dans lemonde au bras de son fiancé.

Elle donnait depuis toujours à ceuxqui l’entourait, à ses proches, elledonnait le sentiment de n’être pas là,c'est-à-dire le sentiment d’une absence,de son absence dans sa présence. Etquand on arrive déjà à ça, c’est pasbeaucoup, mais quand nosphilosophes, nos phénoménologuesnous parlent de la présence au monde,etc, quand on a ce type de notationderrière, on trouve toujours ça un peulourdingue, on trouve que nosphilosophes sont un peu Jacques Hold.Et encore, Jacques Hold a le mérite des’intéresser à cet objet-là, tandis queque là, il y a quelque chose, elle était làet en même temps pas tout à fait. C'est-à-dire elle n’était pas là où est soncorps.

C’est un thème, si on le résume defaçon sommaire comme je fais, qui nonseulement n’a aucune nouveauté, maisd’une nature à évoquer bien des échos,la position rêveuse de la femme dansl’existence, comme on a commenté ça,et précisément à partir du XIXèmesiècle, là où les messieurs ontdécouvert dans le ravissement, si jepuis dire, autant qu’ils puissent êtreravis, quand ils ont découvert le

discours du capitalisme, qu’ils se sontmis les uns à exploiter les autres, àmort, les autres à exploiter à mort, pasdans le contentement. Lorsque lemonde a commencé à prendre cettetournure active et productive, là,d’abord il faut dire qu’on s’est montréextrêmement réservé, rétif à accepter lecaprice féminin, avant le discours ducapitalisme on trouvait ça charmant, àl’occasion, avec le discours capitaliste,le caprice féminin on a commencé àappeler ça un dysfonctionnement. Etdonc, on a sérieusement réduit la zonepermise au caprice, en même tempsque l’on a élevé certaines figures defemmes pour être les grandescapricieuses. Alors, là oui, quelquesunes préposées à incarner le capriceféminin, mais les autres on les a quandmême vissées sur place, et ça a donnédes dames rêveuses. Là, le rêve enquelque sorte est venu à la place ducaprice et, si vous en voulez uneincarnation majeure, c’est tout le sensde ce que nous décrit Flaubert au débutde Madame Bovary.

Madame Bovary, bien à sa place, enmême temps rêve, et elle rêve d’unefaçon qui a paru si probante auxcliniciens, qu’on a créé à partir de sonrêve la catégorie clinique dite dubovarysme, à savoir le symptôme quifait que la femme rêve, qu’elle rêveéveillée au prince charmant, à deshistories fabuleuses, et qu’elle netrouve à ses côtés que le pauvre garsqui tourne le discours capitaliste entrain de s’installer partout. Unsymptôme. Et puis, lorsqu’on a vuparaître un essai d’un discours quandmême qui donnait une version distinctedu capitalisme, lorsqu’on a vu paraîtredes discours qui centraient quandmême ce discours capitaliste, que l’on avu paraître la rhétorique fasciste, ehbien cet adjectif de rêveuse on l’aétendu à toute la classe bourgeoise, etça nous a donné le roman de Drieux laRochelle Rêveuse bourgeoisie.

Madame Bovary c’est la rêveusebourgeoise, et on en est arrivé àétendre ce qualificatif de rêveuse à labourgeoisie, qui n’est pas droit dansses bottes, et c’est pourquoi Drieux la

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Rochelle rêvait de nous mettre lesbottes de l’occupant sérieusement pourque la bourgeoisie se réveille.

Donc, si l’on revient à Lol, cela vaplus loin que le bovarysme. C’est cequ’elle énonce – que vous relevez – : jene comprends pas qui est à ma place.Là, évidemment on peut isoler, qu’est-ce qu’on va dire ? un trouble dusentiment même de la vie, un troubledu rapport du sujet à son corps.Comment l’approcher ce trouble ?Kantorowicz distinguait les deux corpsdu roi dans la tradition monarchique quis’est élaborée au moyen âge, à savoir ily a le roi vivant, puisqu’il est vivant, ilmeurt, forcé, mais il y a le roi immortelqui appelle le roi vivant et qui mort secontinue à travers un autre corpsvivant. Et donc, il y a un aspectimmortel du roi et qui est parlé entermes de deux corps. On trouve çachez Shakespeare aussi. Je résume unénorme ouvrage classique, qui est à ladisposition maintenant en livre depoche. Autrement dit là, les deux corpsc’est le corps vivant périssable, et puis,on va dire, le corps symbolique, lesignifiant de la fonction royale, et cecorps symbolique, lui, est immortel. Ehbien, d’une certaine façon, Lacanenseigne qu’il y a deux corps du sujet,au moins. Il y a le corps enveloppe,forme, et puis, il y a l’objet-corps. Il y ale réel du corps et il y a ce qui est de cecorps investi libidinalement. Il y al’enveloppe du corps, mais sousl’enveloppe du corps, il y a cecondensateur de libido qu’il appellepetit a.

e n v e l o p p e

( a )C’est dans le rapport entre

l’enveloppe corporelle et ce petit a, quepeuvent se glisser, que se glissentéventuellement un certain nombre detroubles à différencier.

Pour le dire tout de suite comme ça,ici, dans le cas de Lol, je dirais que çava encore plus loin, et c’est bien ce quifait que cette métaphore du corps esttout à fait singulière, et, d’une certaine

façon, dans ce cas, le sujet n’avait pasde corps. C’est qu’à la lettre, ce quiapparaît, ce qui est révélé par la scènedu bal déjà, et orchestré dans unevéritable symphonie par son rapportavec Hold et Tatiana, c’est qu’à la lettreelle n’a jamais eu de corps et que ça luiest révélé au moment où paraît le corpssublime d’une autre. Et donc, ce n’estpas une métaphore comme les autres,ce n’est en tout cas pas une métaphorehystérique à proprement parler.

J’ai trouvé très remarquable quevous isoliez l’expression, pour qualifierl’homme dont il s’agit, le premier venu,en effet là, c’est n’importe qui, et plus ilest n’importe qui, plus il est n’importequi, et moins il s’efforce de comprendre,comme vous le signalez, et mieux ilpeut tenir sa place auprès de Lol, etmieux il peut faire tenir Lol ensemble.

Et, effectivement Jacques Hold n’estpas n’importe qui. Jacques Hold, c’estl’homme qu’elle croit voir embrasserune femme qui pourrait être son amieTatiana, elle les regarde derrière unehaie, comme vous le signalez, et çarépète ce qu’elle a vu de la scène dubal de derrière des plantes vertes, et àpartir de là s’ébauche la construction dufantasme.

Il faut relever que, en effet, cetteTatiana, c’est un résidu de l’événementdu bal. C’est l’amie de collège qui tientla main de Lol pendant que Lol voit sonfiancé vampé par la femme fatale.

Et, comme vous le signalez, c’estprécieux, déjà dans son adolescence,avant cet événement - où elle estdevenue grande - déjà dans sonadolescence, Tatiana, sa meilleureamie, lui servait de support imaginaire,c’est-à-dire que Tatiana, qui va êtremise en fonction dans le fantasmedéveloppé, d’emblée elle était avec elledans un rapport a-a’, et dans desrelations d’identification imaginaire quis’expriment comme amitié, et puis quipeuvent donner lieu à ce qu’on connaîtdans les amitiés féminines,passionnées : l’envie, la rivalité etc.

a a '

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Maintenant, nous, nous esquissonssur Lol un diagnostic clinique, nousdisons : c’est une folle, c’est unepsychotique, étant donné ce quiapparaît à la fin du roman, que signalaitCatherine Bonningue, on voit leséléments d’un délire que l’on va direparanoïaque paranoïde, cette absenceau corps qui va si loin, nous la trouvonsschizophrène, schizoïde etc. Est-ce unedementia paranoïdes à la Schreber?

On peut continuer comme çalongtemps, d’autant qu’il s’agit tout demême d’un personnage de roman,n’oublions pas. Et, le fait que ce soit unpersonnage de roman, il faut bien sûrtenir compte du fait qu’il y a quelquechose en Lol qui parle à toutes lesfemmes, si je puis dire, entreguillemets. Quelque chose en Lol quiparaît dire quelque chose de la féminitéet qui continue d’exercer son emprisesur tout le public, puisque les femmes yreconnaissent quelque chose de laféminité, et les hommes vont compulserl’ouvrage pour y comprendre quelquechose.

C’est pourquoi je pense qu’il n’estpas inutile de souligner ce qu’il y a icid’hystérie ou d’homologue à l’hystérie.Il y a quelque chose d’homologue àl’hystérie dans cet appel fait au corpsd’une autre femme. Et il y a quelquechose de l’hystérie qui parle à l’hystériedans le public dans cette descriptionsubtile, puisqu’on est sur les bords del’indicible. C’est une écriture en effet quiest soutenue, et parfois qui en remet unpeu dans le genre, soutenue par lerapport à l’indicible. Nous n’avons que,en quelque sorte, des fragments,fragments d’un voyage au bord del’indicible.

Vous savez, il y a des récits devoyageurs, c’est très à la modeaujourd’hui. Donc, en général le garss’équipe, il met ses bottes, il met saparka, etc. et puis, il va chez les lapons,et il revient : « J’ai rencontré les lapons,voilà comment ils sont. » etc.

Et puis, on remonte dans l’histoire,on nous donne les récits desvoyageurs. Tout ça avec une technicité,un côté lourdingue, etc. Là, c’est aussiun voyage, mais c’est un voyage vers

l’indicible. Cet écrit… c’est ce qu’onarrive à sauver quand on va sepromener du côté de l’indicible.

Je me l’explique comme ça ce quepeut avoir pour des butors - pasl’écrivain - ce que peut avoir d’un peugrêle, d’un peu fade, cette écriture. Il ya des hommes qui n’arrivent pas à lireLe ravissement de Lol V. Stein (rires),et il faut leur apprendre. Ils doiventpréférer lire Rabelais, ou des chosescomme ça. Mais là, c’est sur les bordsde l’indicible. Donc, on ramène ce qu’onarrive à en dire, presque essoufflé, eton doit pour chaque phrase en êtrereconnaissant que quelqu’un ait pu lefaire.

Alors, ici, pas la description, mais lestouches qui sont mises autour de « jene suis pas là », il y a l’évocation, pasla description, mais l’évocation d’unmanque-à-être son corps propre, qui eneffet parle à l’hystérie, et le sentimentd’étrangeté à son corps.

C’est tout à fait conforme à ce que leLacan le plus classique, si je puis dire,enseigne concernant l’hystérie. Je citeles Écrits dans la description classiqueque Lacan donne de l’obsessionnel etde l’hystérique dans « La psychanalyseet son enseignement », page 452 desÉcrits, je l’ai plusieurs fois commenté :« Cet autre réel, dit-il, elle - l’hystérique- ne peut le trouver que de son propresexe, parce que c’est dans cet au-delàqu’elle appelle ce qui peut lui donnercorps, ce pour n’avoir pas su prendrecorps en deçà. » Qu’est ce que Lacannous décrit là ? Le sujet hystériquesouffrant d’un défaut d’identificationnarcissique, c’est-à-dire ne pouvant pasdirectement se reconnaître dans soncorps, l’image de son corps. Disons lesujet ne pouvant pas s’incorporer, ous’incarner, appelons ça le défautd’incarnation dans l’hystérie, d’où lerecours nécessaire à une autre femmepour prendre corps, à la relation à uneautre femme pour prendre corps.

On pourrait appeler ça, après ledéfaut d’incarnation, l’incarnationdéplacée sur une autre.

Dans sa description classiqueencore, Lacan fait sa place à l’homme :« Faute de réponse de cet autre - de

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réponse directe de l’autre - elle,l’hystérique, lui signifie une contraintepar corps - la saisit au fond - en lafaisant saisir par les offices d’unhomme de paille. »

On a ici, parfaitement décrit,l’instrumentation de Jacques Hold, etmême, au début, elle en a l’expériencesoudaine dans le bal, ça, ça lui est enquelque sorte imposé sous ses yeux.Elle réfléchit longuement, comme vousnous l’avez montré, et ensuite, loin queça lui soit imposé, elle s’insinue dansun couple pour instrumenter l’homme àsaisir l’autre femme.

Et donc la pauvre Tatiana, qui sefaisait régulièrement honorée parJacques Hold, s’aperçoit qu’il y aquelque chose qui est déréglé danscette relation, à savoir il remplit toujoursson office, mais il y a quelque chose enplus qui rôde ici et la pauvre, on la voitéperdue dans le roman, essayer desaisir où est-ce que ça se passe. Ellecomprend que ça a un rapport avec Lol,elle ne sait pas très bien où, et on lavoit à tâtons essayer d’isoler qu’est-cequi est venu là se glisser dans le coupleque, elle, elle formait avec JacquesHold.

C’est quand même formidable cenom de Jacques Hold. C’est vraimentcelui qui tient, celui qui tient la femme.Et même, à la fin, quand il la comprendtrop, c’est parce qu’il fait du holding(rires). On ne peut pas s’empêcher depenser que c’est là présent. Je medisais même, en pensant à la phraseanglaise Hold me tied, « Tiens-moi bienserré ». Que vraiment avec Hold,Jacques Hold, me, Lol, tie-tiana (rires).

Là, ce qui est dégagé et ce qui parleà tout le monde, c’est une femme enespérance d’être tenue, d’être tenuepar un homme, d’être tenue par unsignifiant-maître. - Faites-vous juge !D’être tenue par une fonction qui porteremède, porte cure, traite ce manque-à-être son propre corps.

Ce qui inspire à Lacan cetteconstruction, cette expérience, c’estaussi certainement une réflexion sur lecas de Dora, où en effet il sait lire quedans l’intérêt de Dora pour Monsieur K,le véritable intérêt de Dora se porte sur

Madame K, chose que Freud amanquée et qui lui a valu le départ deDora.

Mais là, c’est en homologie formelle,l’être-à-trois de Dora, si je puis dire,entre Dora et le couple des K, estformellement homologue au rapport deLol avec le couple d’amants Hold-Tatiana.

Je crois que cette homologieformelle est importante, parce que c’estcelle-là aussi qui résonne, qui esthystériforme. Mais on voit bien que,dans le cas de Dora, que l’intérêtvéritable soit vers madame K c’estquand même un secret, c’est quandmême quelque chose qui est en attented’une interprétation. C’est quelquechose que Dora sait, mais qu’elle saitquand même à l’état inconscient,qu’elle manifeste. On voit bien que,quand on méconnaît la liaison qu’elle aavec madame K, aussitôt elle réagit,mais c’est en attente d’uneinterprétation. Tandis que, là, dans lecas de Lol, c’est quelque chose qui estdit, qui est explicité, ça n’a pas du toutle statut de secret à interpréter que ça adans le cas de Dora.

Donc, là on saisit qu’il y a unchangement de plan. Même si on a unehomologie formelle des relations, on aun changement de plan, c’est-à-direque le fantasme est ici comme réalisé,ou plutôt il est passé au réel.

Cela rend d’autant plus intéressantla thèse de Lacan à ce propos, la thèsede Lacan sur le roman, et qui montre enquoi chacun peut y être intéresser, enquoi on n’a pas un cas clinique. Le casclinique, la forme du cas clinique, c’esttoujours une façon de dire : très peupour moi. C'est-à-dire le gars y est, ilest aux prises avec ça, et puis lesthérapeutes rigolent, ils sont en dehors.

Ici, tout l’art est de vous inclure dansl’affaire, et de faire résonner en vous cequi a de commun avec le cas.

C’est là que j’inscris la thèse deLacan qui figure dans son petit écrit :« Ce qui arrivé à Lol, dit Lacan, révèlece qu’il en est de l’amour ».

En quoi cette histoire révèle ce qu’ilen est de l’amour ? Partons de la notionque l’amour est narcissique, ce qui veut

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dire que l’amant vous revêt d’une imagequi est l’image de lui-même. Cetteimage - là ma tentative est de fairepasser pas à pas ce qu’il me semble ceque Lacan explique à propos de Lol. VStein -, cette image vous habille commeune robe.

Et Lacan pose la question : Quandvous en êtes dérobée, quand on vousdérobe l’image que l’autre a mis survous, ça vous laisse quoi être sous ?Qu’est-ce que ça vous laisse être souscette robe imaginaire ?

Cela se saisit au mieux selon ceschématisme.

e n v e l o p p e : i ( a ){( a )

Ce qui vous enveloppe, c’est l’imagepetit i de petit a, qui est ici l’image, quel’autre met sur vous, dont il voushabille. C’est son image, en tant quel’image est narcissique, et c’est donc ceque vous êtes pour lui, l’image à quoivous pouvez vous identifier commeétant l’image sous laquelle il vous voit.

Réponse : quand cette image vousest dérobée, quand le fiancé cesse devous regarder, et qu’il est emballé par lafemme fatale. À ce moment-là, boum.D’accord ? C’est comme ça qu’oncomprend la chose, n’est-ce pas, etaprès, évidemment, vous vousretrouvez avec votre petit a sur lesbras, et éventuellement vous vousretrouvez l’objet petit a déchet,qu’habillait la splendeur de l’image.

C’est le rapport que Lacan évoque,par exemple, dans son « Discours àl’EFP », page 7 : « Ainsi fonctionne i dea, dont s’imagine le moi et sonnarcissisme à faire chasuble à cet objetpetit a qui, du sujet, fait la misère. » Le ide a fait chasuble, habille l’objet petit aqui, du sujet, est le déchet fondamental,le reste de sa création de sujet.

Donc, ça, ça se passe comme ça, sije puis dire. C’est pas drôle, d’accord,c’est la déception amoureuse, çadépend de l’intensité des sentimentsque vous portiez à votre fiancé, vouspouvez aussi vous dire : un de perdu

dix de retrouvés, en tout cas vouséprouvez comme une condamnationl’absence de son amour. Lol, c’est pasdu tout ça, c’est elle qui, au moment oùson fiancé s’en va, éprouve uneabsence d’amour fantastique. En mêmetemps qu’une attention passionnéetournée vers les manœuvres du couple.

Donc, chez Lol c’est pas comme çaque c’est construit. Et comment Lacannous explique-t-il que c’est construit ?En une phrase ! Mais une phrase deLacan, c’est un roman de Duras… Ohnon ! Il ne faut pas dire des chosescomme ça (rires). Il nous explique. Lebal, c’était la prise de robe de Lol. Trèsjoli. Ça évoque d’ailleurs un imaginairemonacal, qui est le même que celui dela chasuble, dont il parle deux ans plustard. La prise de robe de Lol, là elledevient au fond une galante femme,elle a l’âge, à dix-neuf ans, à sonpremier bal, de rentrer dans le tournoides relations amoureuses. C’estcomme le chevalier qu’on adoube, et latradition s’en perpétue aujourd’hui dansles meilleures familles, sous la forme dubal des débutantes, qui a lieu tous lesans, et dont on a les photographiess’étalent dans les magazines que vousne lisez pas (rires). Le bal desdébutantes, c'est-à-dire ça a un aspectd’initiation. Et Lacan, pour dire qu’elleest charmante et rayonnante, deLol :« Votre nudité était dessus votrerobe, votre nudité était dessus à luidonner son éclat ». Qu’est-ce qu’il nousfait passer là ? Il nous fait passer là quece n’est pas exactement pareil pour Lolque pour chacune. Que, pour le vainpeuple que nous sommes, il y a la robeet puis dessous il y a le corps nu. Etdonc, quand on enlève la robe il restequelque chose, fort heureusement. Çane s’évanouit pas avec la robe commedans les histoires fantastiquesjaponaises, ou dans le style fantôme,où à part le drap, rien. Normalement, ily a quelque chose. Ici, dans le cas deLol, la robe c’est le corps nu, c’estpareil, c'est-à-dire la robe est soncorps, parce qu’elle n’a pas de corps,elle n’a pas d’autre corps que ce qu’elleest, on va dire dans le regard de l’Autre,dans le désir de l’Autre. Et donc, quand

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ça lui est enlevé, cette robe, c'est-à-direquand lui est enlevée l’image d’elle-même dans l’amour de son fiancé, cequi apparaît c’est le vide du sujet,comme dit Lacan, c’est la vacuité, maisce n’est pas la vacuité du sujet barré,c’est qu’il n’y a rien. Et c’est là que l’onvoit la valeur, dans ce style si précis deLacan, de dire « l’éclat de la robe »,c'est-à-dire que le petit a agalmatique, ilétait là, dans la robe elle-même.

Autrement dit, la figure propre qui seprésente chez Lol, c’est que i de a estéquivalent à petit a, et que dessousc’est du vide.

i ( a ) ( a )

v i d e

Et c’est pourquoi le moment mêmeoù on lui enlève son i de a, c’estéquivalent à lui soustraire son être, etelle le retrouve tout de suite là où s’estdéplacé i de a, c'est-à-dire dans l’autrefemme.

Autrement dit le fiancé n’emportepas simplement avec lui l’image dont ill’habillait, il emporte son être même et ille dépose en une autre.

Et donc, c’est un ravissement del’être, à cet égard. Et en effet, commevous l’avez signalé, son être étantTatiana, et tout ce que Jacques Holdréussit à faire et qui nous vaut ceroman, c’est de bavarder autour de ça,de bavasser autour de ça, et donc delui donner, comme dit Lacan, uneconscience d’être. Conscience d’être,ça ne fait pas de bien. Son être est là,et ce crétin de Jacques Hold, avec sonholding, il le lui fait dire. Donc, ça larend folle. Si on vous fait dire que votreêtre est ailleurs, que vous êtes là, quevous ne savez plus la différenceentre… Quand elle dit : « Je suisTatiana », c’est le résultat de ce holdingde ce crétin.

Evidement, Lacan reconnaît là…c’est un texte clinique de part en part,en effet, il reconnaît là la manœuvre

des praticiens qui s’imaginent que faireparler, ça fait du bien.

Autrement dit, ici, dans le cas, onvoit que l’imaginaire a valeur de réel. Sil’imaginaire avait eu pour Lol une valeurd’imaginaire, qu’est-ce qu’on aurait vu ?Ce qu’on connaît bien, le dépit. Elle m’achipé mon homme – je ne sais pas -, jevais lui chiper le sien. Bon, elle n’en apas. Ou la jalousie, la rivalité, si c’estça, je cesserai d’être une bourgeoise etje deviendrai une fille des rues, enfindes tas de choses. Ou je deviendraiune entremetteuse.

Ici, évidemment, c’est autre chose,c’est dans la dimension du vol de l’être.Et donc, on n’a pas du tout lesvacillations imaginaires a-a’, parce quechez elle l’objet imaginaire a valeur deréel.

Cela nous révèle quelque chose eneffet de l’amour, que l’amour ça tient àun rapport entre i de a, imaginaire, etpetit a, et que, normalement, l’imageamoureuse voile petit a. Alors, une foisque l’on a voilé petit a, ça, si on n’arrêteplus, on arrive à le voiler, alors c’estchacun sa chacune, c’est la pastorale. -Phyllis es-tu là ? - Oui je suis làLéandre, etc. On a adoré au XVIIemesiècle, au XVIIIème, et ça s’est calméaprès. Cela donne cette possibilité, cetimaginaire amoureux, d’être dans unecellule isolé du monde, dans une bullecomplète, qui tient d’un côté à l’écart lasociété, le grand Autre, ne pasconnaître, on invente un langage poursoi, des néologismes à deux. Et puis,on tient en même temps à distance petita, qui, lorsqu’il s’insinue en effetperturbe les relations, et c’est ce qui sepasse entre Jacques Hold et Tatiana,quand là c’est la présence insistante deLol qui vient, et ce qu’elle fait de Tatianaet de l’autre, c’est-à-dire son instrumentet son objet, qui perturbe leur relation.

Ce qui trouble le jeu dans le cas deLol, c’est que petit a monte sur lascène, alors que normalement petit an’est que le portant du décorimaginaire. C’est ainsi que Lacan enparle, la même année où il fait ce textedans « L’objet de la psychanalyse », oul’année suivante. Il parle de l’objet petita comme de ce qui est le portant du

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décor. Ce n’est pas fait pour que l’onvoit le portant.

Tandis qu’ici petit a est sur la robe, etc’est la nudité même du corps quis’étale sur la robe, et petit a est aussi,s’agissant de Tatiana, mais c’est lamême chose, sous la robe en tantqu’elle est vue par Lol dans sa nudité,nue, nue sous ses cheveux noirs.

C’est en ça que l’on peut dire le petita, dont il s’agit pour elle, l’objet qui estlà à la fois la passionner à lapersécuter, c’est la tache. Qu’est-ceque la tache ? La tache c’est ce quiattire votre regard, comme je l’aisouligné c’est donc le regarder ou le vu,c'est-à-dire ce qui est passif. Jeregarde, je suis le spectateur, jeregarde. L’autre est regardé, la tacheest regardée. Bête comme une tache,mais précisément, cette tache n’est passi passive que ça, puisqu’elle exerceune action sur moi, puisque la tacheprécisément elle attire mon regard. Elleattire, elle m’attire, c'est-à-dire ça meforce à la regarder, cette tache. Et parlà même, ça veut quelque chose, cettetache. C'est-à-dire que la tache, il y aun désir derrière.

Et ce désir est inconnu. Et c’est là leproblème que cerne Lacan : je leregarde, mais est-ce que ça meregarde ? Sans ça, c’est l’ivresse duspectacle du monde. Le monde estmon spectacle. Et avec un petit effort jesuis solipsiste et je me demande mêmesi vous existez comme moi j’existe.« Le monde est ma représentation », Schopenhauer. « La vie est un songe »,Calderon.

Pour ce qui est des références, il y aaussi la littérature fantastique. Plusprofonde que le philosophe, lalittérature fantastique qui est justementfaite pour exploiter ça, que le regard estlà dans le monde partout. Dans cemonde que je regarde et qui a l’aird’être bien tranquille à sa place, leregard est là, et c’est ce que Lacanappelle, dans le Séminaire XI, le mondeomnivoyeur. Tout ce que je regarde etqui m’attire le regard, par là même undésir s'exerce, et il y a un regard qui estdans l’autre, dont je ne sais pascomment il me situe et ce qu’il fait de

moi. Et c’est ça qu’exploite à l’occasionla littérature fantastique quand ellemontre justement l’inanimé habité parun désir qui me happe.

Sur le registre comique, c’estl’histoire de petit Jean, que Lacanraconte dans le Séminaire XI. Il est enmer, avec petit Jean et petit Jean luimontre une boite de conserve, et il luidit : tu vois cette boite, tu la vois, ehbien, elle elle ne te vois pas. Et Lacans’en souvient des dizaines d’annéesaprès, et il donne une indication sur sapathologie, enfin sur son pathétique, àlui, Lacan. Il dit : lui il trouvait ça drôle,moi je ne trouvais pas ça si drôle queça. Et au fond il analyse, cette boite meregarde au niveau du point lumineux,au niveau où je centre mon regard surelle, c’est le point lumineux qui est lui-même à me regarder, et à ce moment-là je m’aperçois que je fais tache, queje suis le personnage ridicule dans cedécor breton. Je suis le touriste, quivient se faire balader par le prolétairequi lui gagne sa vie à la sueur de sonfront, et moi je suis le gandin qui sepromène là, et comme il ne peut pasme le dire comme ça, il me le fait direpar la boite de conserve. - Regarde lecon que tu es mon pauvre ! Et il estsaisi par le fait qu’alors qu’il est de trop.Il est de trop dans le décor, il est lesurnuméraire de l’affaire. Et c’est, aufond quand il dit : pas si drôle que ça,c’est un moment d’angoisse, appelons-le par son nom : je ne sais pas ce queje suis dans le désir de l’Autre. C'est-à-dire je ne sais pas quel est mon i de a,je ne sais pas quelle est mon imagepour l’autre, et c’est là le phénomèneque Lacan signale dans son texte surDuras : la tache me regarde sans meregarder. C'est-à-dire elle me regardecomme point lumineux, maisnéanmoins mon i de a, mon image pourelle reste insituable, pour moi.

Et c’est là que Lacan signale l’effetd’angoisse qui se produit sur JacquesHold quand il découvre Lol couchéedans le champ de seigle, et Lacan dit :c’est le registre du comique, c’est lemême registre de comique que l’histoirede petit Jean.

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Le comique, comme nous l’avons vuquand nous avons repris le texte deFreud, a toujours rapport avec l’imagede soi, et avec le patatras de l’image desoi. Et quand Lol joue à faire la tache,on ne sait pas, elle est là et on ne saitpas ce qu’elle regarde, on ne sait pasce qu’elle voit, et comme le note Lacand’après Duras : Jacques Hold serassure en se disant elle me voit.

Ça ce sont des phénomènes quel’on peut éprouver couramment, n’est-ce pas, ce sont des phénomènes qu’onrencontre dans le groupe, n’est-ce pas,quand il y a quelque chose d’inquiétantqui circule dans un groupe que vousn’arrivez pas à le situer, que vousn’arrivez pas à l’arrêter, que vousn’arrivez pas à le nommer, ça seprésente parfois que vous vousdemandez justement ce que vous êtespour eux, les autres, et c’est connoté eneffet d’une difficulté subjective.

Et puis, il arrive parfois, il arrivefinalement un point de capiton où,soudainement, vous découvrez, dansl’exaltation, vous savez enfin ce quevous êtes pour les autres du groupe,vous découvrez dans la joie que vousêtes l’homme à abattre.

Et c’est à ce moment-là où j’ai fait cequ’on appelle ma Tirade, c’était dans leravissement de découvrir ce statut quej’avais pour l’autre du groupe – enfin,une partie, fort heureusement – le statutque j’avais et que je n’arrivais pas àsaisir en mettant des emplâtres un peupartout, et puis ça continuait. Et puis, ily a un moment, eurêka !, je sais ce queje suis, je suis pour vous un symptômequ’il faut faire disparaître le plus vitepossible. Et donc, par gratitude je l’ai dità celui qui me l’avait fait comprendre, etpuis cette découverte m’a rempli d’aiseet donc je l’ai fait partager à d’autres, etpuis, comme finalement le malheureuxqui m’avait fait comprendre ça, et quiespérait bien encore que je necomprendrais pas, le malheureux qui aréussit à me transmettre ça, au fond ilest tellement marri de m’avoir vendu lamèche qu’il mobilise des appareils toutà fait déplacés pour essayer de mepunir. Et donc, en effet, pour que toutça déborde, il s’est passé quelque

chose, mais au moins j’ai la satisfactionde savoir que le malaise en effet quej’ai pu éprouver auparavant, n’est rien àcôté du malaise que je leur ai faitéprouvé à eux, après.

J’avais des commentaires à faire surle centre des retards, mais comme j’aipromis de donner la parole à EricLaurent et puis à Guy Trobas, j’appelerai Eric Laurent, s’il veut bien.On va déborder un peu comme on a faitles autres fois, Lol demande qu’ondéborde le temps. Et Guy Trobas s’ilveut bien venir également.

Eric Laurent : Alors, faisons court. letemps d’exposé de Bracha Lichtenberg,ce qui m’avait retenu sur plusieurspoints. D’abord je comprenais, étant lafaçon dont elle citait sa question, danssa recherche de différences à partir dusemblable, comme elle dit « lesemblable n’est pas même »,évidemment le roman par leremplacement du corps, par l’accentmis pour cette structure, qui est là autableau, est particulièrement propice.Au fond Bracha nous dit de la façonsuivante, dans le livre qui porte le titredu matriciel, donc la différence dusemblable n’est pas même, n’est pas ladifférence de l’opposé à rejeter, c’estune autre différence qui devientdisponible, par des voies qui ne sont nicelles du rejet, ni celle de la fusion avecla mère autre, qui ne questionne pasl’opposition avoir ou n’avoir pas, etcette différence non oppositionnelleopère par les liens bordure, et elle ditelle peut d’ailleurs être sublimée.

Alors j’avais donc deux questions. Lapremière qui était : au fond dans lastructure qui se révèle, y compris dansla tresse que nous dessiniez. Est-ceune sublimation ou est-ce unemonstration, est-ce une sublimation ouest-ce la monstration de ce que pourraitêtre la substance jouissante. S’agit-il dedonner du sens à une différencenouvelle, celle que vous cherchiez àisoler, s’agit-il de donner sens ou s’agit-il de montrer comme ça tient ?comment – dans les termes de Lacan –comment le nœud se fait, n’y a-t-il pasmonstration de ce que tienne

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effectivement l’êre-à-trois, plus loin detoute façon de se compter deux danstout ce qui peut être réciprocité,distance, disons dans toutes lesdéclinaisons imaginaires de ladifférence symbolique.

Alors, n’êtes-vous pas encoreretenue par l’opposition senssublimation et ne faudrait-il pas plutôt,dans ce que vous-même décrivez,passer à un appareillage, disons,nouage du nœud, ou poétique dunœud, fabrication, et monstration. Ledeuxième point c’était lorsque vousfaites plusieurs fois, mais ça c’est unequestion qui avait été soulevée parJacques-Alain Miller aussi, autrement ;c’est, quand vous faites référence àl’archaïque, c’est au fond, c’est central,vous le reprenez plusieurs fois, parceque en effet, est-ce cet archaïque quifait référence à un ? ?, à un avant letemps, n’est-ce pas au contraire plutôtle comble du temps et que est-ce queça ne vient pas designer que lasubstance jouissante telle qu’elle a étéau fond déployée dans le Cours cetteannée de Jacques-Alain Miller, est-cecette substance jouissante qui a créeavec l’angoisse, qui a crée avecl’anticipation qui a trait avec la prise dusignifiant sur le sujet, est-ce que cettesubstance jouissante, elle, elle n’estpas absolument inséparable du temps.

Et à ce moment là lorsque Lacanl’approche, par une série deformulations, que se soit au fond lasérie de ? ?, déployant de ces uns et dece petit a qui sous la barre est toujoursfuite, qui fait fuite du a sous la barre,disons le mathème qui est ? ?là autableau se met brutalement à filer, à sedéployer, à se répandre, par lasérie ? ? ?

Ou bien lorsqu’il est saisi par lenœud ou encore par la tresse, se posetoujours la question de comment lesignifiant va attraper cette fuite du a,cette substance jouissante qui file.Alors, dans cette, il me semble que à cemoment là, on peut reprendre laquestion et non plus sous le binôme lesens le signifié, mais à partir de ce quia été déployé, à partir donc dusophisme des prisonniers, non pas le

sens mais la certitude, non pas lesignifié mais le capiton, la hâte, latresse, l’autre m’attend, l’autre a besoinde moi pour signifier et je doism’arracher à l’illusion de l’être pourretrouver en fait la substancejouissance comme telle, qui elle ne peutpas être arrachée au temps commel’être peut le faire. Et c’est ce qui faitque maintenant je reprenais à partir decette lecture là le questionnement queLacan déployait dès le séminaire II, dèssa mise en place en effet de l’appareilsignifiant et qu’il reprenait vingt ansaprès dans des termes qui jusque làm’étaient opaques et qui après le Coursde cette année s’éclairent pour moi.

Dans le séminaire II il y a undialogue entre Hyppolite et Lacan, danslequel, qui est à propos du Ménon,donc dans ce dialogue on est surpourtant dans les maths il y a unediscontinuité temporelle, s’il y avraiment un endroit où il y a dessignifiants nouveaux c’est les maths,quand il y a la notation et quand il y apas la notation, ça au moins c’estconstatable, on ne peut pas expliquerque c’était avant. Dans les maths il y aune coupure mais pourtant c’estcomme le montre le Ménon, c’est ce quifait surgir l’idée que c’était toujours là,alors donc le dialogue entre Hyppoliteet Lacan repose, c’est ça, Hyppolite luidit : « vous montrez donc que chezPlaton toute invention une fois faites’avère comme engendrant son proprepassé, s’avère comme une découverteéternelle, en tant qu’il faut trouver etréciproquement ? ? du passé. Il dit :nous sommes pervertis par lechristianisme qui nous fait localiser desvérités éternelles, antérieures autemps. La vérité, antérieure au temps,puisqu’il a fallu, ce qui est perverti dansle christianisme c’est que la véritégrecque s’est trouvée liée à l’idée juivedu dieu qui est celui qui est, lui il n’arien à faire de la vérité, il était ce qu’ilétait, et, enfin, j’avance parce que c’esttrès compliqué à traduire, mais disonsça, et Hyppolite dit bien : le platonismesuivant davantage le mouvement qu’onpourrait appeler l’historicité, montre que

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l’invention du symbole une fois inventéest un passé éternel.

Alors à partir de là, il me semble queLacan a radicalisé cette substance là,nous l’avons vu avec le sophisme etdéployant le, Freud de 1925 de ladénégation, lorsque Freud constate quedans la psychanalyse dès qu’on inventeun symbole on invente uneinterprétation, on invente un symbolenouveau, on rajoute la chose qui n’étaitpas là, la réponse immédiate c’est ehbien ça je le savais depuis toujours,c’était déjà là et c’est le signe même del’invention puisque c’est le signe mêmedu mouvement platonicien, vousinventez le symbole alors c’est unevérité éternelle, elle était toujours déjàlà. Et qu’au fond il rejoint par là sessubstances. Et alors dans le séminaireII, il disait, enfin je le saisissais pasdans tous ses effets, il insiste sur le faitque la psychanalyse se situe justementavant le savoir puisqu’elle opère sur lesvérités à l’état naissant, sur lesopinions, sur l’opinion vraie, surl’orthodoxa et pas sur le savoir. Lapsychanalyse dit-il, elle surgit justeavant le moment où dans le savoir onva oublier, on va oublier le moment oùc’est né. On sait l’erreur, du tout savoirconstitué. Alors à partir de là, c’est pourça qu’on dit que les véritablesinterprétations, elles sont desinventions.

Alors c’est repris dans Encore page39 du chapitre IV, dans laquelled’ailleurs il repend donc le tempslogique à partir de l’objet a, et page 39et 40, il dit ceci : « Lisons ce qui s’estémis d’un temps où le discours del’amour s’avouait être celui de l’être »,là c’était l’amour lié à l’être c’était laphilosophie, ou si l’on veut le moyenage et il dit : « C’est le moment où on ainventé un truc, où ça s’est trouvécorrompu, à l’être éternel ou l’êtrernel,qui a corrompu la vérité qui était chezAristote de type tempérée.

Au fond l’arrachement du temps,l’éternel, c’est ça ce qu’a accompli lechristianisme, irréalisant ce qui encoresubsistait chez Platon, du mouvementde la découverte, ou disons du lien autemps. Et ce qui peut se développer

entre toutes les modalités grecques dutemps, petit a.

Bon, mais entre le moment 54 et lemoment 73 on voit là en 54 pasencore ? ?de vérité à l’état naissant, desavoir la vérité s’oppose au savoir, alorsqu’en 73 ça n’est plus en termes devérité mais en terme de savoirdémontrable ou indémontrable que sefait sa mise en place et que ledéveloppement de ce savoir, dans lechapitre IV accentue cette idée quedans la psychanalyse nous avonsaffaire qu’à une substance donc qui esttout le temps liée à ce temps et c’est cequ’il s’agit d’obtenir dans la séance elle-même, une que rien du signifiantn’apparaisse qui ne soit pas lié autemps, qui ne soit pas lié nonseulement au kairos du moment où ilest prononcé, mais que tout le dialogueanalytique lui-même est totalementinséparable du temps, et ne peut seconcevoir bien au-delà de ce qui dansle temps grec subsiste comme lekairos, le bon moment, ou même ceque reprend Freud comme dansl’interprétation on ne saute qu’une fois,d’accord, mais même plusprofondément tout dans le dialogue estun signifiant qui est tissé de temps. Etque le temps, l’objet, cette espèced’enveloppe du signifiant, oui le termed’enveloppe là n’est pas suffisant, c’estbien plutôt une sorte de polarisation delieux, et sous l’envers du lieu que Lacanva situer dans ce chapitre IV del’alétosphère la science, elle, elleconstruit des lieux et à l’opposé s’il y ale topos nous nous avons le temps, quiest ce lien au signifiant sur lequel nousopérons, celui qui a été exclu par lascience et par le discours de laphilosophie ou par le discours qui seconstruit sur l’être et qui se restitueainsi. Et alors c’est l’opposition ousie-parousie-gatousie, fort rigolote danslequel il y a l’ousia la substance, çac’est donc, il reprend ça ? ? la parousie,la parodie la présence féminine, et lagatousie ce qui nous reste d’objet.

Bon, voilà ce que j’aurais ? ? encondensé.

Applaudissements.

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Guy Trobas : Bon probablementêtes-vous pressés ? en tous les casmoi je le suis, donc je vais être encoreplus bref qu’Eric.

Bon j’ai lu et je suis tombé dans lepiège du ravissement, donc j’ai lu Lol V.Stein, et un certain nombre de chosesme sont venues que j’ai couché parécrit, et qui font que je me propose d’enparler au colloque Lol si jamais il a lieuet je vais vous donner là peut-être unpetit extrait de mes réflexions, c’estcomme ça que j’ai choisit à la va vite,un extrait pour faire plusparticulièrement écho à ce qui a été ditpar Catherine Lazarus-Matet etcommenté par Jacques-Alain Miller etécho dans le sens de, au fond, de lapsychose, nous sommes là dans lalecture clinique, en quelque sorte ducas Lol V. Stein.

Il y a un aspect des choses qui m’afrappé, c’est, je dirais, la différence dediscours entre Hold et Lol, ce qui estfrappant c’est que Hold quand ils’adresse à Lol, il est toujours dans lademande, je précise la demande demots, de mots pour faire sens, pourqu’il y comprenne quelque chose, pourqu’il puisse éventuellement interpréter,d’ailleurs en se trompant. Donc il luidemande des mots, il lui demande undon de paroles, alors que Lol lorsqu’elles’adresse à Hold eh bien elle n’est pasdans la demande, elle n’est pas dans lademande de mots, ni d’autre chose, elleest dans la réalisation, je préciseraispeut-être en disant autrement leschoses, n’est-ce pas, elle, elle n’est pasdans la dyschronie des mots, n’est-cepas, elle est dans la synchronie duregard, et au fond les mots qu’elle peutà l’occasion, à titre d’information,demander à Hold ne sont là que pourvérifier le cadre où son regard vapouvoir s’exercer.

Donc elle est véritablement endehors de cette demande adressée àl’Autre, et il y a là une espèce devolonté de réalisation d’une absence jedirais de demande, de bout en boutd’ailleurs dès le départ mais qui estmanifeste dans le moment de conclurede l’être-à-trois et cette absence dedemande, dont Hold lui-même a le

sentiment parce que à un momentdonné elle dit : elle ne réclame aucuneparole, et elle pourrait supporter unsilence indéfini. N’est-ce pas à la limitequand elle demande une informationc’est quelque chose qui n’engage pasl’autre, comme Autre, c’est par rapportsimplement ce qu’elle veut réaliser, voirsi tous les éléments de la réalisation deson fantasme sont là. Et il y a là aufond, on peut entendre ça comme de lapart de Lol comme une part d’exigence,voire même comme un espèce deforçage dans lequel, comme l’asouligné Jacques-Alain Miller, il y a unevéritable instrumentalisation de l’Autre.

Alors on pourrait, puisque noussommes là dans le registre clinique,évoquer ici quelque chose de perversn’est-ce pas, du fait de cette volonté deLol, qui se manifeste dans cette non-demande, mais vous remarquez qu’enfait, cette volonté ne vise pas lasubjectivité de l’Autre. Si Hold estangoissé, comme le note aussi Lacan,si Hold est angoissé ce n’est pas parceque Lol V. Stein vise son pointd’angoisse, c’est parce que, plutôt, Holds’interroge sur ce désir énigmatique etqu’il ne sait pas où bien se placer pourvenir combler quelque chose de cedésir.

Voilà, alors, je vais simplement direencore un extrait, pour bien montrern’est-ce pas dans quel registre est Lol,par rapport à la demande, voilà ce quedit Hold, qui note ça, au fond là il estassez je dirais, il écoute assez bien :elle réclamait d’être embrassé, sans ledemander ; et il note aussi que Lol luidit : je veux être avec vous maiscomme je le veux – n’est-ce pas. C’estpour ça que j’ai évoqué le registrecomme ça de la perversion, il mesemble que Jacques-Alain Miller l’aaussi évoqué, mais qu’on peut tout àfait laisser de côté.

Jacques-Alain Miller : C’est ce queLacan, dans son texte, appelle la loi deLol, il parle de la loi de Lol, elle fait eneffet la loi à Jacques Hold et elle faitfinalement la loi à travers lui aussi àTatiana.

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Guy Trobas : Alors pour terminer,puisque je ne vais pas trop prolongerles choses, je dirais que il y a làvéritablement d’une certaine manière,c’est pas Lol le sujet fragile, c’est Lol lesujet déterminé, et je dirais que dans samise en scène de l’être-à-trois, samanière de vraiment poser son désir làcomme condition absolue, envers etcontre tous, qu’on pourrait dire sanségard, sans charité ou demande dereconnaissance, sans crainte et sanspitié, cette manière de ne pas sesoumettre à la négociation de lademande, à l’échange de la demande,c'est-à-dire au fond d’être vraimentseule dans sa démarche, eh bien ça faitpenser à cette individualité absolue queLacan évoque à propos d‘Antigone, etc’est d’ailleurs à elle qu’elle fait allusiondans son article « Un hommage fait àMarguerite Duras », en situant cepersonnage de Lol comme d’autreschez Marguerite Duras sur ce seuil qu’ila défini dans son séminaire surl’éthique, ce seuil de l’entre-deux-morts.

Voilà, je ne vais pas en dire pluspour aujourd’hui.

Applaudissements.

Jacques-Alain Miller : Bon, je croisqu’on va faire donc ce colloque Lol, pasavant les grandes vacances, bien qu’onsoit lancé, mais à la rentrée, l’annéeprochaine, à voir. Je crois que, en effet,la référence par quoi Guy Trobas aterminé est importante, celle que Lacanprend à son séminaire de l’Éthique dela psychanalyse.

Au fond, je me suis demandé si Lolc’était une Antigone, et je me suis ditnon. Elle n’est pas une Antigone pour laraison très précise suivante. Antigoneelle est belle, elle, Antigone estconnotée de la beauté, de l’éclat de labeauté, et précisément Lacan danscette beauté-là a vu ce qui surgitcomme dernier rempart avant l’accès àla Chose.

Donc, Lacan, dans ce séminaire del’Ethique, attribue à la beauté unefonction de défense, la beauté vousravit, la beauté vous arrête, vous restezen arrêt devant la beauté, et par làmême elle voile, la beauté est le voile

suprême, sublime, qui empêche de voirl’horreur qu’il y a derrière. Or, ça n’estpas du tout ça avec Lol. C’est que elle,pour le dire vite, elle, elle a accès à laChose. Et elle a accès à la Chose sousles espèces de la beauté et d’unebeauté si captivante que ça vaut pluspour elle que tout le reste. Qu’est-cequ’elle épie ? Elle épie le secret de ceque Lacan dans l’Éthique de lapsychanalyse appelle la conjonctionsexuelle, elle épie le grand mystère quiapparie homme et femme.

Normalement, il y a une barrière là, ily a la barrière de la pudeur, celle quigarde, comme dit Lacan page 345 deL’éthique, l’appréhension directe de cequ’il y a au centre de la conjonctionsexuelle. Eh bien, Lol est unpersonnage qui est allé au-delà decette barrière et qui est là à épier, àguetter le rapport sexuel commeréalisé. Au fond, elle y est, et elle y estd’une certaine façon pour toujours dansun instant éternel. Ça la satisfaitpleinement, sa satisfaction est là, sasatisfaction ne fuit pas, elle n’est pasdans un désir qui serait mangé par ladéfense de désirer, ou la difficulté dedésirer. Elle sait où est la jouissance. Etau fond, elle l’obtient, ce que Schreberlui-même repousse à l’infini del’asymptote, la conjonction sacrée deDieu et de sa personne féminisée, cettehiérogamie au sens propre, ça veut diremariage sacré, au fond chez Schreberc’est reculé à l’infini. Alors que pour Lolça a lieu, si je puis dire, tous les jours,ça a lieu chaque fois que Jacques Holdprend Tatiana.

Et là, ce n’est pas elle qui est belle,cette beauté qui donne l’être comme onl’a vu, cette beauté est dans l’autre, estdans l’autre femme.

Je laisserai de côté les petitsschémas où je crois que l’on peutreplacer aussi bien la métamorphosede la tache que l’entre-deux-mortsqu’évoque Lacan.

C’est un fait que cette année je n’aiparcouru sur le temps qu’un petitchemin, en particulier je n’ai pu vousamener rien de ce que j’avaisdéveloppé au Brésil à Pâques surl’érotique du temps, et donc, je pense

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que, sous un titre ou sous un autre,c’est un second tour que nous devronsfaire l’année prochaine sur le temps, etpeut-être prendrai-je l’année prochainece titre de l’Érotique du temps puisqu’ilest jusqu’à présent resté en rade. C’estque le temps nous a manqué (rires).

À l’année prochaine.

Applaudissements.

Fin du Cours de Jacques-Alain Millernuméro 22 du 14 juin 2000 – dernier

cours.

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1 Certains analystes de l’IPA considèrent encore que la séance lacanienne aurait ainsi l’inconvénient d’empêcher larégression du patient, omettant que la régression est un fait de discours pas une pratique. cf. Revue Française dePsychanalyse, 1997 Tome LXI Le Guen, C. P 16402 Lacan, J.Ecrits, Le Seuil, Paris 1966, p436,3 Freud S., La science des rêves, PUF Paris p3714 Ainsi la plainte concernant la durée des analyses n’est pas un problème nouveau : l’Inconscient ne se laisse pasaborder à la vitesse convenant à l’analyste ou au patient, il ne peut se manifester que dans la surprise et chacun saitqu’en ce domaine les tentatives pour réduire la durée des analyses ou pour en accélérer le cours se sont montréesinfructueuses.5 Freud S., La naissance de la psychanalyse, PUF, Paris, p.6 Freud S., The complete letters of Sigmund Freud to Wilhelm Fliess, Belknap press, 1985, p. 207.7 Lacan J., Ecrits, Le Seuil, Paris, 1966, p. 256.8 Ibidem.9 Ibidem.10 Op.cit, p. 259.11 Miller J-A., La Cause freudienne N°44, Dans son cours de 1998-99, J-A Miller donne toute sa portée au conceptd’événement de corps nous y reviendrons plus loin dans cet article.12 Il se pourrait qu’il s’agisse du rêve publié en 1913 dans l’Internationale Zeitschrift fur Psychoanalyse, p. 378, où lerêveur voit une belle femme couchée dans le lit de sa mère. Il se réveille au moment d’une éjaculation.13 Cf. Lacan, Séminaire XI, p. 29, « Pour ce qui est de Freud et de sa relation au père, n’oublions pas que tout son effortne l’a mené qu’à avouer que pour lui, cette question restait entière, il l’a dit à une des ses interlocutrices –Que veut unefemme ? Question qu’il n’a jamais résolue ».14 Freud S. Résultats idées problèmes 1, Paris, PUF, « Ephémère destinée », p. 235).15 Lacan J., Ecrits, Le Seuil, Paris, 1966, p. 827.16 Freud S., Au-delà du principe de plaisir, ed. Payot, Paris, trad 1981, p. 70.17 Lacan J., Ecrits, Le Seuil, Paris, 1966, p. 257.18 Ibidem, p. 199.19 « Le temps vécu » qui se situe dans la lignée de la philosophie de Bergson et de Husserl et qui était paru en 1933.20 Lacan J., « La méprise du Sujet Supposé savoir », Scilicet 1, Le Seuil, Paris, p. 36.21 Lacan J., Ecrits, le Seuil, Paris,1966, p. 424.22 Safranski, R. Heidegger et son temps, éd. Grasset, 1996, p. 282. Rüdiger Safranski, donne de cette distinction uneformulation suggestive à propos des errances de Heidegger : Heidegger, l’inventeur de la différence ontologique, n’ajamais eu l’idée de développer une ontologie de la différence. La différence ontologique est la distinction entre l’être etl’étant. Une ontologie de la différence serait l’acceptation du défi que nous lance la diversité des hommes et desdifficultés et chances qui en résultent pour notre vie commune.Dans la tradition philosophique, cette mystification est entretenue depuis longtemps : on ne parle jamais que de l’hommealors que l’on ne rencontre que des hommes. La scène philosophique est occupée par Dieu et l’homme, le Moi et leMonde, l’« ego cogito » et la « res extensa », et à présent, chez Heidegger par l’être-là et l’être.