Le Blé en herbe -...

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XX e SIÈCLE Un roman COLETTE Le Blé en herbe (257 – 3,20 ) I. Pourquoi étudier Le Blé en herbe en Troisième ? Le Blé en herbe (1923) est un des romans les plus célèbres de Colette avec la série des Claudine , Chéri , La Maison de Claudine , Sido et Gigi . Il figure dans les documents d’accompagnement de la classe de Troi- sième, mais ne bénéficiait pas jusqu’à présent d’une édition à destina- tion d’un public scolaire. L’étude du roman pourra être menée dans le cadre d’une liaison Troisième-Seconde. Elle est en relation avec l’objet d’étude « Un roman ou un recueil de nouvelles du XIX e ou du XX e siècle » en Troisième et « le récit » en Seconde. Le roman de Colette permet d’approfondir l’étude du récit par celle d’un topos romanesque : la scène de rencontre amoureuse. Les exigences de langue sont élevées dans les textes de Colette. Elles sont liées à l’emploi d’un vocabulaire complexe et spécialisé et d’un style recherché. L’importance du dialogue dans Le Blé en herbe permet aux élèves de se repérer dans le texte et de dépasser ces difficultés. Ces exigences de langue permettent aisément le décloisonnement en classe de Troisième. La séquence que nous proposons contient des études sur les formes du discours rapporté et l’emploi des temps. Enfin, les thèmes de l’adolescence, de la découverte des sentiments amoureux et de la sensualité abordés avec beaucoup de nuances par Colette sont à même d’intéresser des élèves qui ont le même âge que les héros du récit (quinze et seize ans). Toutefois, on ne saurait réduire le roman à une littérature pour adolescents. Comme l’indique l’auteur à propos de son texte : « Je voulais signifier […] que l’amour passion n’a pas d’âge et que l’amour n’a pas deux espèces de langage… »

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XX

e

SIÈCLE

Un roman

COLETTE

Le Blé en herbe

(257 – 3,20

)

I. Pourquoi étudier

Le Blé en herbe

en Troisième ?

Le Blé en herbe

(1923) est un des romans les plus célèbres de Coletteavec la série des

Claudine

,

Chéri

,

La Maison de Claudine

,

Sido

et

Gigi

. Ilfigure dans les documents d’accompagnement de la classe de Troi-sième, mais ne bénéficiait pas jusqu’à présent d’une édition à destina-tion d’un public scolaire. L’étude du roman pourra être menée dans lecadre d’une liaison Troisième-Seconde. Elle est en relation avec l’objetd’étude « Un roman ou un recueil de nouvelles du

XIX

e

ou du

XX

e

siècle »en Troisième et « le récit » en Seconde. Le roman de Colette permetd’approfondir l’étude du récit par celle d’un topos romanesque : lascène de rencontre amoureuse.

Les exigences de langue sont élevées dans les textes de Colette. Ellessont liées à l’emploi d’un vocabulaire complexe et spécialisé et d’unstyle recherché. L’importance du dialogue dans

Le Blé en herbe

permetaux élèves de se repérer dans le texte et de dépasser ces difficultés. Cesexigences de langue permettent aisément le décloisonnement en classede Troisième. La séquence que nous proposons contient des études surles formes du discours rapporté et l’emploi des temps.

Enfin, les thèmes de l’adolescence, de la découverte des sentimentsamoureux et de la sensualité abordés avec beaucoup de nuances parColette sont à même d’intéresser des élèves qui ont le même âge que leshéros du récit (quinze et seize ans). Toutefois, on ne saurait réduire leroman à une littérature pour adolescents. Comme l’indique l’auteur àpropos de son texte : « Je voulais signifier […] que l’amour passion n’apas d’âge et que l’amour n’a pas deux espèces de langage… »

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LE

BLÉ

EN

HERBE

133

II. Tableau synoptique de la séquence

III. Déroulement de la séquence

Séance n° 1 : le texte en herbe…

Objectif

Étudier la composition du texte.Support

L’ensemble du texte.

Cette séance vise à faire comprendre aux élèves que les conditionsd’écriture et de publication d’une œuvre sont intimement liées. Lesactivités qui suivent ont pour but de familiariser les élèves avec letexte.

Séances Supports Objectifs

1

L’ensemble du texte Étudier la composition dutexte

2

Incipit

, de « Tu vas à la pêche, Vinca ? » à « s’arme detout ce qui le gêne » (chapitre

I

)Étudier un

incipit

3

Rencontre avec la Dame en blanc. De « Hep ! Petit ! » à« quand Vinca accourut » (chapitre

IV

)Étudier un topos roma-nesque : la scène de ren-contre amoureuse

4

– Extrait précédent du

Blé en herbe

et Stendhal,

Le Rougeet le Noir

, chapitre

VI

, de « Avec la vivacité » à « avec unjeune homme si près de lui ». – Extrait du

Blé en herbe

, de « Vinca ! Voyons, Vinca ! » à« faisait comprendre sans détour » (chapitre

XVI

)

– Comparer deux textes– Étudier un topos roma-nesque

5

De « Il entra » à « qui ôtait à Philippe tout son sang-froid » (chapitre

VIII

)Cerner une des spécificitésdu style de Colette : uneécriture de la sensation

6

et

7

– Documentaire,

Un siècle d’écrivains

consacré à Colette(1995), réal. J. Trefouel, scénario et texte G. Bonal–

Le Blé en herbe

,

passim

– Découvrir la biographie deColette– Découvrir les sources bio-graphiques du

Blé en herbe

– Exploiter la prise de notes

8

De « Je te dis de te taire » à « je me marierai » (cha-pitre

III

) et de « Vinca ! Voyons, Vinca ! » à « faisait com-prendre sans détour » (chapitre

XVI

)

– Comparer deux textes– Étudier le dialogue dansun récit

9

Le Blé en herbe

,

passim

Étudier le temps dans

Le Bléen herbe

10

Excipit

, de « Il dormit peu » à « Je ne lui aurai donné quecela… que cela… »

Étudier un

excipit

roma-nesque

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UN

ROMAN

DU

XX

e

SIÈCLE

Combien de pages compte chaque chapitre ? Que constatez-vous ?

Les quinze premiers chapitres sont de taille réduite et comportent àpeu près le même nombre de pages. Comparativement, le chapitre

XVI

,beaucoup plus long, paraît très disproportionné.

En vous reportant aux informations fournies par l’introduction de cette édi-tion, expliquez cette composition.

Le texte a d’abord paru dans le quotidien

Le Matin

du 29 juillet 1922au 31 mars 1923 en quinze livraisons, qui correspondent aux quinze pre-miers chapitres. Depuis 1911, Colette écrit pour le quotidien de nom-breux articles et des textes courts dans la rubrique des « Contes desmille et un matins », qu’elle a dirigée et où elle sélectionne pour les lec-teurs des nouvelles contemporaines. Femme de lettres, habituée auxexigences de la presse, Colette calibre son texte de façon à respecter lescontraintes éditoriales. Il s’agit pour un journaliste de fournir de façonrégulière un nombre précis de feuillets, qui correspondent à un nombrede lignes fixé par avance en fonction de la maquette du journal, c’est-à-dire de la mise en pages. Au bout de la quinzième livraison, la rédactiondu journal décide d’interrompre la publication. Le chapitre

XVI

paraîten volume chez Flammarion l’année suivante. Il a donc un statut diffé-rent. Il est en majeure partie écrit d’une seule traite sans contraintesextérieures.

Qu’est-ce qui dans les chapitres

XIV

et

XV

pourrait expliquer que la direction dujournal

Le Matin

ait souhaité interrompre la publication ?

Le dernier paragraphe du chapitre

XIV

est particulièrement explicitesur la relation charnelle unissant Phil et Mme Dalleray. En 1922, larédaction peut craindre que les lecteurs du

Matin

, plutôt conservateurs,soient offusqués par des descriptions plus explicites encore. La fin duchapitre

XV

laisse d’ailleurs présager une relation physique entre Phil etVinca.

Les quinze premiers chapitres avaient paru dans

Le Matin

avec un titre. Envous appuyant sur votre lecture du texte, rendez à chaque chapitre son titreoriginal : L’Antre, La Quémandeuse, La Crevette, Sérénité, Les Ombres, Vinca,En attendant, La Comparaison, Pardon, Faiblesse, Nocturne, Les Chardons,Drames, La Soumission, Daphnis.

Le choix de titres hétéroclites et la fragmentation des chapitres bri-sent la linéarité du récit. On pouvait s’attendre à ce qu’un roman publiéen feuilletons ménage des effets de suspense et de retournement créantdes liens et des effets d’attente entre les différents chapitres. Cette tech-nique, bien connue des feuilletonistes dès le

XIX

e

siècle, permet de main-tenir l’intérêt du lecteur. Colette semble s’éloigner de cette stratégie tra-ditionnelle. Sans doute est-ce là un effet de la méfiance affichée parl’écrivain pour les romans construits selon un plan préétabli. Elle dit

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LE

BLÉ

EN

HERBE

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écrire sans trame initiale. La composition du

Blé en herbe

nous porte à lacroire.

Malgré la fragmentation apparente du roman, qu’est-ce qui permet de main-tenir une linéarité du récit ?

On insistera sur le retour des personnages, leur nombre restreint et lechoix d’un cadre spatial et temporel unique.

Séance n° 2 : l

’incipit

Objectif

Étudier un

incipit

.Support

De « Tu vas à la pêche, Vinca ? » à « s’arme de toutce qui le gêne » (chapitre

I

).

Le terme

incipit

vient du verbe latin «

incipere

» signifiant « com-mencer ». Il désigne initialement les premières lignes d’un texte et, parextension, le début d’un texte narratif. L’

incipit

est un moment impor-tant du récit. Ses fonctions sont bien définies. Il a pour but de fournirau lecteur les informations nécessaires à la compréhension du récit(fonction informative), de lui donner envie de poursuivre sa lecture(fonction incitative) et d’inscrire l’ouvrage à venir dans un genre, unregistre et un style correspondants aux attentes du lecteur (fonctiongénérique). Nous mettrons en valeur ces différentes fonctions dansl’étude du début du

Blé en herbe

. Pour étudier cet

incipit

, nous suivronsles différentes fonctions.

• La fonction informative

Quelles informations donnent les premiers paragraphes du texte sur les person-nages et le cadre spatio-temporel ?

Nous connaissons les prénoms des deux héros. Nous avons même lesurnom de la jeune fille (« la pervenche ») qui est une traduction de sonprénom qui en latin désigne cette fleur. Nous connaissons égalementl’âge précis des deux protagonistes : Vinca a quinze ans et demi et Philseize ans et demi. Nous avons aussi des détails physiques, principale-ment sur le personnage de Vinca. Elle apparaît comme blonde à che-veux courts, le teint hâlé, avec un corps mince et juvénile. Elle a les yeuxgris. La métaphore du deuxième paragraphe permet de comprendrequ’elle a les yeux bleu-gris (« aux yeux couleur de pluie printanière »).Sa tenue vestimentaire est également décrite de façon détaillée. La des-cription du jeune homme est plus succincte. On sait seulement qu’il aune fossette au menton. Le cadre spatial n’est pas précisément défini

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UN

ROMAN

DU

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e

SIÈCLE

par un nom de lieu. On ne trouve aucune indication toponymique, maisle bord de mer est nettement identifiable à travers un champ lexical bienreprésenté et composé des mots : « pêche », « espadrille », « crevettes etcrabes », « havenets », « rochers », « hâle », « eau », « dune », etc. Enfin,le cadre temporel reste flou même si l’évocation des « dernièresvacances » dans le troisième paragraphe ou de « l’an passé » dans le qua-trième paragraphe permet de situer le récit dans le temps.

• La fonction incitative

Quelle est la particularité de la réplique initiale ? Quel effet produit-elle sur lelecteur ?

La réplique n’est accompagnée d’aucun verbe de parole et doncd’aucun nom ou pronom permettant d’identifier l’identité de l’énon-ciateur. Cela crée un léger effet de suspense qui ne sera levé qu’unedizaine de lignes plus loin. Le lecteur découvre les personnages s’immis-çant directement dans leur dialogue et leurs activités. On parle d’undébut

in medias res

, qui capte d’emblée l’attention du lecteur.

Commentez les marques de ponctuation qui concluent chacun des trois premiersparagraphes.

Les deux premiers paragraphes s’achèvent sur des phrases interroga-tives. Le troisième paragraphe se termine par des points de suspension.La curiosité du lecteur est ainsi relancée d’un paragraphe à l’autre. Lestyle ménage des effets d’attente.

• La fonction générique

Que désigne le « on » dans la phrase : « On savait que sa jupe à carreauxbleus et verts qui datait de trois ans et laissait voir ses genoux, appartenait à lacrevette et aux crabes » ?

« On » est un pronom personnel indéfini dont l’interprétation enfrançais est délicate car il peut désigner toutes les personnes de laconjugaison, de « je » à « ils ». Il provient en effet de la contraction enlatin du mot

homo

désignant l’homme en général. Dans notre texte, plu-sieurs hypothèses sont possibles. « On » peut être remplacé par « il »renvoyant au locuteur de la première réplique, Philippe. L’emploi de« on » se justifie par le fait que ce locuteur comme nous l’avons indiquéprécédemment n’est pas encore nommé. Ce « on » peut aussi appa-raître comme un « ils » au pluriel désignant tous les regards portés surla jeune femme par les personnages qui l’entourent (« tout lemonde »). Il s’agirait alors d’un constat de notoriété publique. Enfin, defaçon plus intéressante, « on » peut être l’équivalent d’un « nous »

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LE

BLÉ

EN

HERBE

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incluant le narrateur et au moins quelqu’un d’autre (narrateur + Phil ounarrateur + lecteur). Il y a ici une forme de complicité entre le narrateuret son lecteur ou son personnage. Nous en retrouvons la trace dansl’emploi de la phrase interrogative en fin de deuxième paragraphe.

Commentez l’emploi des temps dans le troisième paragraphe.

Le récit est mené au passé. On relève dans le début du texte les tempstraditionnels du récit (passé simple et imparfait). On retrouve ces tempsau début du troisième paragraphe, mais un passé composé surgit (« a-t-elle fini de grandir ? »), suivi d’une série de présents de l’indicatif. Onpasse des temps du récit aux temps du discours. L’emploi des temps dudiscours, associé à des marques d’oralité (phrase interrogative etphrases courtes) suggèrent que nous sommes ici dans les pensées dePhil et que nous lisons ce qu’il se dit à lui-même. Il s’agirait alors d’unmonologue intérieur. Il pourrait aussi s’agir d’une forme particulière dediscours indirect libre. L’absence de signes de ponctuation et de verbesintroductifs de parole est caractéristique de cette forme de discours rap-porté. Toutefois, le passage au discours indirect libre ne nécessitait pasle passage au présent.

Cette séance offre l’occasion d’une séance de langue sur les formesdu discours rapporté dans le récit et tout particulièrement sur le dis-cours rapporté indirect libre qui pose tant problème aux élèves. Le pro-fesseur terminera la séance en concluant que les indécisions quant austatut du narrateur ainsi que le privilège accordé au point de vue internesont caractéristiques du roman psychologique.

Séance n° 3 : première rencontre

Objectif

Étudier un topos romanesque : la scène de rencontreamoureuse.

Support

De « Hep ! petit ! » à « quand Vinca accourut » (chapitre

IV

).

La séance n° 3 permet de faire comprendre aux élèves les enjeux dela lecture méthodique à travers l’étude d’une scène type de la litté-rature : la rencontre amoureuse.

• Le surgissement d’un personnage dans le récit

Montrez comment l’arrivée de la Dame en blanc est marquée par un effet desurprise.

Comme dans l’

incipit

, notre extrait commence par une réplique depersonnage sans verbe de parole et sans nom ou pronom indiquant

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UN

ROMAN

DU

XX

e

SIÈCLE

l’identité du locuteur. Le personnage reste anonyme et semble surgir denulle part. Il est désigné par un déterminant indéfini (« une dame »).La perception qu’en a le personnage de Phil est indirecte puisqu’il estobligé de se retourner pour lui faire face. La Dame en blanc est dési-gnée d’abord par la métonymie « la voix ». Le verbe « l’éveilla » montrequ’elle surprend Phil en pénétrant directement dans son univers. Lesphrases exclamatives et le choix de phrases nominales dans la premièreréplique participent à la brutalité de cette entrée en matière.

Dans une scène de rencontre amoureuse, le lecteur s’attend à trouver la descrip-tion de l’objet du désir. Que savons-nous de la femme qui surgit devant Phil ?

La description est très limitée. Le personnage est surtout caractérisépar ses vêtements associés systématiquement à la couleur blanche. Elleest dès lors désignée par les périphrases « la Dame en blanc » ou « laDame blanche ». Cela donne au personnage un aspect fantomatique etlui confère presque le statut d’une apparition étrange. Le personnageconserve donc un certain mystère.

• Un personnage incongru et une rencontre improbable

Montrez que le personnage apparaît comme décalé par rapport au contextespatial.

Le personnage est perdu et demande son chemin. Sa tenue vestimen-taire semble peu appropriée au lieu puisqu’elle porte des talons pourmarcher dans les dunes. De plus, elle ne semble pas être une habituéedu lieu puisqu’elle ne maîtrise pas le vocabulaire local, ignorant cequ’est le goémon.

Montrez que les portraits de Phil et de la Dame en blanc se construisent enopposition.

Les deux personnages apparaissent comme très différents, leur ren-contre paraît donc improbable. La désignation de Phil par le terme« petit » indique sa jeunesse, ironiquement corrigée par le terme trèsinapproprié de « monsieur ». Le ton autoritaire de la Dame en blanc etle fait que Philippe rougit imposent des rapports de domination entreles deux personnages. La Dame en blanc apparaît « virile » (« manièrevirile » et ambiguïté de « comme un homme ») alors que Phil réagitcomme une jeune fille (« paralysé par une de ses crises de féminité »).Les rapports homme-femme sont inversés. L’âge et l’expérience, toutsemble opposer les personnages.

Comment se termine le dialogue ?

L’arrivée de Vinca vient interrompre la rencontre entre Phil et laDame blanche. Elle était déjà présente dans le dialogue puisque Phil y

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LE

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fait maladroitement référence. La Dame en blanc interroge plus habile-ment Phil au sujet de cette rivale potentielle et non sans une certaineironie. Cette scène de rencontre crée ainsi un triangle amoureux et unedouble opposition, et relance l’intrigue. Le triangle amoureux avait déjàété au cœur du roman Chéri (1920) où le couple Léa et Chéri était misen danger par l’arrivée de la jeune Edmée. Ce thème demeurera uneconstante de l’œuvre de Colette avec des variations intéressantes,notamment dans La Chatte (1933) où le rôle de la rivale est assumé parun animal domestique.

Séance n° 4 : intertextes

Objectifs → Comparer deux textes.→ Étudier un topos romanesque.

Supports → Extrait étudié lors de la séance n° 3.→ Stendhal, Le Rouge et le Noir, chapitre VI, de « Avec

la vivacité » à « si près de lui ».→ Le Blé en herbe, de « Vinca !, Voyons Vinca ! » à « faisait

comprendre sans détour » (chapitre XVI).

Nous proposons une quatrième séance sur une étude comparée entrele texte de Colette et la rencontre de Julien Sorel et de Mme de Rénaldans Le Rouge et le Noir de Stendhal. Les deux scènes sont assez proches.On pourra demander aux élèves de relever les points communs lorsd’un travail collectif en module. Il s’agira d’attirer leur attention sur lesmotifs traditionnels de la rencontre amoureuse, l’importance desregards, la rougeur et l’embarras. Les deux scènes se ressemblent égale-ment par la situation particulière des personnages puisque dans leroman de Stendhal, Mme de Rénal prend Julien pour une jeune fille ettombe sur lui par hasard. Enfin, la situation d’une femme d’âge mûr etd’un tout jeune homme se retrouve dans les deux romans. La questiondes registres se posera alors, tandis que Stendhal reste dans un registresentimental, romantique et pathétique, Colette use volontiers del’ironie lucide et parfois même perfide mettant en avant les stratégiesdu désir de la Dame en blanc (« livrée à une pensée cachée »).

L’image de la femme amoureuse chez Colette se démarque profondé-ment de celle imposée dans la tradition romanesque avant elle,incarnée chez Stendhal par une Mme de Rénal idéalisée et passive.Colette est non seulement le premier écrivain à porter un authentiqueregard de femme sur les hommes, mais aussi, et plus encore, sur lesfemmes elles-mêmes. Dans la même perspective, on pourra lire un

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140 UN ROMAN DU XXe SIÈCLE

autre passage du Blé en herbe, celui qui sera étudié lors de laséance n° 8, de « Vinca ! Voyons, Vinca ! à « faisait comprendre sansdétour », chapitre XVI.

Séance n° 5 : une écriture de la sensation

Objectif → Cerner une des spécificités du style de Colette.Support → De « Il entra » à « qui ôtait à Philippe tout son sang-froid »

(chapitre VIII).

Cette séance vise à mieux cerner une des caractéristiques du style deColette : une écriture de la sensation.

• Le théâtre du désir

Quel est le point de vue dominant dans le texte ? Comme souvent dans le roman, c’est le point de vue interne qui

domine ici. La scène est perçue à travers les émotions et les sensationsdu jeune homme. C’est la première fois qu’il pénètre dans la demeurede la Dame en blanc.

Montrez que le cadre spatial est propice à l’épanouissement du désir.Colette passe ici d’un espace ouvert qui est celui de Phil et Vinca à un

espace clos plus intime. La pièce est sombre « une pièce noire, ferméeaux rayons et aux mouches ».

• Sensation et sensualité

Relevez les sensations déployées dans ce texte.– La vue : les couleurs et les lumières, « les yeux habitués dis-

cernèrent », « brilla », « reflété ».– Le toucher : « la basse température », « froide », « un verre glacé

toucha sa main », « meuble mou ». – Le goût : « le goût d’orange acide », « gorgées ».– L’odorat : « l’odeur de la résine et du géranium », « le parfum ».– L’ouïe : « il entendit un petit rire démoniaque », « la voix de

Mme Dalleray », « tintant », « le bruit d’éventail ».Toutes les sensations sont convoquées et déployées dans le texte à tra-

vers de multiples notations. L’éveil à la sensualité est d’abord chez Philun éveil des sens.

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LE BLÉ EN HERBE 141

• « L’inquiétante étrangeté du désir »

Quelle atmosphère se dégage de la description de la pièce ?L’espace est marqué d’une sensualité qui inquiète le personnage (« il

faillit pleurer d’angoisse »). L’expression oxymorique « somptueuxcauchemar » qui caractérise la sensation de Phil à la fin du texte révèlel’ambiguïté d’un désir sensuel marqué par la culpabilité.

Une lecture symbolique est possible puisque le premier paragraphes’ouvre sur la chute du personnage et évoque « un rire démoniaque ».La chute physique est peut-être une chute morale révélatrice des inquié-tudes du jeune adolescent confronté à son désir. Mme Dalleray joue icile rôle de la tentatrice. Le rapt amoureux est suggéré par la dernièrephrase du passage et peut-être par le perroquet qui n’est pas sans rap-peler les romans de pirates. La Dame en blanc évoque les dieux païensde l’Antiquité assouvissant leur désir sans contrainte morale. La « fuméeverticale d’un parfum qui brûlait » donne une dimension mystique àcette scène. Philippe apparaît presque ici comme la victime. Cetteatmosphère inquiétante est peut-être liée à un sentiment de culpabilitéde l’écrivain qui entretient une liaison avec son jeune beau-fils.

Séances n°s 6 et 7 : un roman à clés ?

Objectif → Découvrir et exploiter la biographie de Colette.Supports → Jacques Trefouel et Gérard Bonal, Colette. Un siècle d’écrivains,

1995.→ Le Blé en herbe, passim.

Les séances qui suivent permettent de faire travailler aux élèves laprise de notes, d’introduire la biographie de Colette et de montrer queLe Blé en herbe est aussi un roman à clés qui pose la question de la genèsede l’œuvre.

Dans un premier temps, nous proposons de visionner avec les élèvesle documentaire Un siècle d’écrivains consacré à Colette, réalisé parJacques Trefouel et écrit par Gérard Bonal (disponible au CNDP). Laclasse aura comme consigne de prendre des notes. On donnera auxélèves en fin de séance un questionnaire destiné à exploiter leur prisede notes. Ce dernier leur permettra de vérifier la qualité de leur prise denotes.

À partir des réponses au questionnaire, on amènera les élèves à cons-tater les parallèles entre la vie de l’auteur et les éléments du récit. On

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142 UN ROMAN DU XXe SIÈCLE

complétera ces éléments puis on introduira la notion de roman à clés eton se posera la question de la genèse de l’œuvre.

Quel lieu réel a inspiré le cadre spatial du Blé en herbe ?La plupart des chapitres qui composent Le Blé en herbe ont été écrits en

Bretagne à Rozven, où Colette possédait une villa au bord de la mer. Ladescription des paysages dans le roman doit beaucoup à la connaissancequ’en avait Colette. Les quelques indications toponymiques fourniesdans le roman permettent de situer l’action entre Saint-Malo et Cancale,là même où se trouvait la villa de l’écrivain. Par ailleurs, le nom de laDame en blanc (Mme Dalleray) est inspiré du nom d’une rue à Paris(rue d’Alleray dans le XVe arrondissement) où habitait Hélène Picard,poétesse amie de Colette, qui séjournait fréquemment à Rozven et quihébergea un temps Bertrand de Jouvenel, fils du second mari de Colette,qui inspira le personnage de Phil.

Qui a inspiré le personnage de Phil ?Le personnage de Phil est sans aucun doute inspiré de Bertrand de

Jouvenel, fils d’Henry de Jouvenel et, en 1922, beau-fils de Colette.Henry de Jouvenel est le second époux de Colette. Elle l’épousa en1912. Ils eurent ensemble une fille, Colette de Jouvenel (1913-1981).Bertrand de Jouvenel (1903-1987) était né d’un précédent mariage. Samère, Claire Boas, le confia à Colette et le jeune homme séjourna fré-quemment à Rozven dès l’été 1920. Colette y devint sa confidente et saconseillère. L’amour de Bertrand de Jouvenel à cette époque pour unejeune fille, Pamela Paramythioti, inspira sans doute à Colette le couplePhil et Vinca.

Quel(s) autre(s) personnage(s) peut-on considérer comme des personnages à clés ?Durant la période 1921-1922, Colette passa du rôle de confidente à

celui d’initiatrice et devient la maîtresse de son beau-fils. On peut voirdans le personnage de Mme Dalleray et sa relation avec Phil un écho dela relation que Colette entretint avec Bertrand de Jouvenel, qui avait àl’époque dix-sept ans. On ne saurait toutefois assimiler complètement laDame en blanc à l’écrivain. Le personnage est un des nombreux miroirsque l’écrivain se tend à travers la fiction, une façon de se contempler etde se construire. Le procédé est constant dans l’œuvre depuis Claudineà l’école (1900), qui évoque son enfance à Saint-Sauveur-en-Puisaye,devenu Montigny dans le roman, jusqu’au Fanal bleu (1949), où Colettenote son quotidien dans son appartement du Palais-Royal, en passantpar La Vagabonde (1910), qui s’inspire de la carrière de mime de l’écri-vain et où le thème du miroir prend un relief particulier : « Moi… Enpensant ce mot-là, j’ai regardé involontairement le miroir. C’est pour-tant bien moi qui suis là. »

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Séance n° 7 : Vinca, de la soumission à la révolte

Objectifs → Comparer deux textes.→ Étudier le dialogue dans un récit.

Support → De « Je te dis de te taire » à « je me marierai » (chapitre III)et de « Vinca ! Voyons, Vinca ! » à « ce que Vinca comprenaitet faisait comprendre sans détour » (chapitre XVI).

On proposera dans cette séance une étude comparée de deux textes,qui permettra d’éclairer l’importance du personnage de Vinca et demarquer l’évolution de ses relations avec Phil au cours du roman. Cesdeux textes offrent également l’occasion de revenir sur la technique dudialogue et sur son importance dans l’œuvre de Colette.

Quel est le point commun entre ces deux extraits ?Les deux extraits sont majoritairement des passages dialogués. Ils pré-

sentent deux scènes de dispute entre Phil et Vinca. Ces disputes sontfréquentes dans le roman et sont annoncées dès l’incipit : « L’an passédéjà ils échangeaient des répliques aigres, des horions sournois. »

Quelle est l’origine du désaccord entre les personnages dans chacun des dia-logues ?

Dans les deux textes, les personnages s’opposent violemment. Dans lepremier dialogue, Phil et Vinca développent deux visions antagonistesde l’avenir. Alors que Vinca accepte avec résignation le destin fixé parses parents, Phil se révolte avec une impatience tout adolescente. Dansle second dialogue, la jalousie est à l’origine d’une dispute violente.

Comparez les deux textes. Comment le personnage de Vinca évolue-t-il ?Alors que dans le premier texte Vinca semblait soumise et à l’autorité

de sa famille et à l’autorité de Phil, dans le second texte, elle se révolteet domine son camarade. Les rapports de force sont donc inversés. Alorsque Phil reprochait à Vinca dans le premier texte sa soumission, c’est autour de Vinca, dans le second extrait d’attaquer et de dénoncer la passi-vité de Phil. Elle insiste sur ses « pâmoisons » continuelles et le met faceà son manque de virilité. Elle le provoque dans le but de le faire réagir.Elle marque ainsi son changement de statut. Les propos enfantins(« maman a dit », « mon bachot ») du premier texte font place à despropos de femme (« Toi qui m’as trompée, […] toi qui m’as délaisséepour une autre femme », « tu n’as ni honte ni bon sens ni pitié »). Vincan’est plus la jeune fille rougissante, docile et esclave de ses parents maisune femme capable de violence. Une femme sûre d’elle, « à l’aise danssa fureur féminine ».

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Dans la seconde scène, comment s’exprime la violence dans les répliques deVinca ? Quels sont les procédés d’écriture utilisés ?

La violence chez Vinca s’exprime de deux façons. Elle est verbale etphysique. On assiste dans la scène à une montée de la violence qui seconstruit progressivement. Il y a gradation. Tout d’abord, Vinca tente dese contenir en parlant peu et en ne répondant pas à Phil. Puis elles’emporte comme le montre l’emploi récurrent de phrases exclamativeset injonctives associées à des interrogations rhétoriques. Les nom-breuses répétitions dans le passage, tout comme les interjections« hein » réitérées marquent l’emballement et l’énervement de Vinca. Laviolence culmine dans le dernier paragraphe avec le coup de poingfinal.

Séance n° 8 : le temps dans Le Blé en herbe

Objectif → Étudier le rythme du récit et le thème du tempsdans le roman.

Support → L’ensemble du texte.

• Le rythme du récit

Complétez le tableau ci-dessous.

Le récit ne raconte pas chaque événement. Le narrateur peut être amené àpasser sous silence certaines actions soit pour « alléger » l’écriture soit pour créerun effet particulier. Ce procédé s’appelle une ellipse narrative. À l’aide du tableauci-dessus, relevez et commentez les ellipses de la narration.

Chapitres Notations de temps Nombre de pages

III

V

IX

X

XIII

XIV

XVI

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LE BLÉ EN HERBE 145

• Le Blé en herbe ou le temps de l’adolescence

La suite de la séance se présente sous la forme d’une leçon.Le thème du temps est au cœur du récit. Le Blé en herbe est d’abord le

roman de l’adolescence, temps transitoire entre l’enfance et l’âgeadulte. Colette avait d’ailleurs initialement songé à intituler son texte LeSeuil. Le titre Le Blé en herbe provient de l’expression courante évoquantde façon métaphorique la jeunesse ou l’immaturité. Le blé en herbe esten effet le blé encore vert qui n’est pas assez mûr pour être moissonné.

LE TEMPS ENLISÉ

Le thème du temps se manifeste de différentes façons dans le texte. Ily a d’abord le temps cyclique des vacances qui reviennent chaqueannée, temps de l’enracinement dans l’habitude, et le temps des saisonslié à la nature indifférente. Ce temps répétitif s’oppose aux bouleverse-ments psychologiques et physiques qui marquent les personnages dèsl’incipit. Ces bouleversements constituent la trame du récit. Ils sont saisissur l’instant en une succession de chapitres (I-XV) qui fonctionnentcomme autant de scènes ou d’instantanés d’une vie adolescente. Lacomposition du récit rend compte des hésitations psychologiques de cetâge qui vit au jour le jour. Le moindre événement, par exemple la visited’un ami de la famille (voir chapitre II), peut prendre une dimensioninattendue et marquer profondément la perception que les jeunes gensont du monde.

ÉCHAPPER AU TEMPS

Phil semble prisonnier de l’instant, incapable de se projeter dansl’avenir à la différence de Vinca et de la Dame en blanc. L’une acceptedocilement l’avenir qu’on lui propose et l’autre s’appuie sur son expé-rience passée pour décider de sa vie. Phil au contraire s’enlise dans leprésent et tente d’échapper à ce qui l’attend en arrêtant le temps pardes évanouissements répétés et incontrôlés. Ces pertes de conscienceconstituent un temps suspendu, de véritables trous noirs. La tentationdu suicide apparaît comme un ultime moyen d’échapper au temps. Lethème de la mort traverse le texte : « Les amants de seize ans […] nefont place à la mort dans leurs desseins que s’ils la décernent commeune récompense ou l’exploitent comme un dénouement de fortune,parce qu’ils n’en ont pas trouvé d’autre » (chapitre VI).

L’IMPATIENCE

Le personnage se sent dans un entre-deux, un seuil pour reprendrele titre initial. Il angoisse à l’idée d’attendre cinq ans l’âge de sa maturitécivile. L’adolescence apparaît comme un temps d’attente insuppor-

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table entre l’insouciance de l’enfance et la liberté supposée de l’âged’homme. Phil émet parfois le souhait de retourner en arrière. Auchapitre XVI, il exprime des regrets : « Quand j’étais petit, se dit Phi-lippe, le buisson d’ajoncs ne penchait pas vers la plage. La mer a mangétout ça – un mètre au moins – pendant que je grandissais… » Lorsqu’ilne regrette pas son enfance, le personnage fait preuve d’impatience.Nous nous reporterons au texte du chapitre III que nous avons déjàétudié. On peut citer : « Je crève, entends-tu, je crève à l’idée que je n’aique seize ans ! » et un peu plus loin « je déteste ce moment de ma vie !Pourquoi est-ce que je ne peux pas tout de suite avoir vingt-cinq ans ? »(chapitre III).

Séance n° 9 : « L’amour de Phil-et-Vinca »

Objectif → Étudier un excipit.Support → De « Il dormit peu » à « Je ne lui aurai donné que cela…

que cela… »

Notre texte a un statut particulier. En effet, il a été écrit dans la conti-nuité du chapitre XVI. Il est séparé du dernier chapitre par un saut depage, dans l’édition originale, et n’est pourtant pas numéroté. Cela luiconfère presque le statut d’un épilogue. Nous nous proposons de faireétudier aux élèves les fonctions de l’excipit.

La fonction principale de l’excipit est de clore le récit de façon satisfai-sante pour le lecteur, c’est-à-dire en achevant les intrigues développéesprécédemment et en faisant le bilan de l’évolution des personnages etde l’action.

Cette fin vous paraît-elle surprenante ? Justifiez votre réponse à l’aide d’élé-ments du texte.

La fin renvoie au chapitre initial puisqu’elle présente encore un tête-à-tête entre Phil et Vinca. Cet ultime chapitre rappelle aussi par le motifdu balcon et de la fenêtre la scène où Phil au chapitre XI rentre tardive-ment de chez Mme Dalleray après avoir passé une partie de la nuit en sacompagnie. Ces phénomènes d’échos annoncent la clôture, d’autantque la scène présente le réveil des deux adolescents après leur premièrenuit d’amour. C’est donc un chapitre attendu qui fait le bilan de ce quePhil nomme lui-même « l’amour de Phil-et-Vinca ». L’intrigue senti-mentale est donc résolue. L’épisode de la Dame en blanc a servi de cata-lyseur à la relation amoureuse entre les deux adolescents. Toutefois, si lafin du récit comble les attentes du lecteur en matière d’intrigue senti-

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mentale, le personnage de Phil exprime malgré tout une forme d’insa-tisfaction.

Le texte signale « il ne s’arrêta qu’à sa déception ». À votre avis, pourquoi Philest-il déçu ?

L’apparition de Vinca à la fenêtre de sa chambre après leur nuitd’amour peut laisser présager que la jeune femme tout comme Philaura été marquée par cette expérience. Phil d’ailleurs s’attend à cechangement chez sa camarade et se prépare même à ce qu’il va lui dire.Mais contre toute attente et à la surprise du personnage, la jeune fille nemodifie en rien ses habitudes. Son image ne change pas. Elle se com-porte comme si rien ne s’était passé. La nuit d’amour ne transforme pasprofondément sa camarade : « Ni grand bien ni grand mal… la voilàindemne… » L’orgueil masculin de Phil est mis à mal. La restrictivefinale « que cela… que cela… » montre son peu d’influence sur lemonde qui l’entoure. Malgré sa double initiation, le personnagedemeure angoissé. C’est une leçon de vanité pour le personnage, quicontemple « sa propre petitesse, sa chute, sa bénignité ».

À l’issue de cette séance de clôture, on fera noter aux élèves queColette choisit d’achever son récit sur le monologue intérieur de Phil,ici très clairement identifié par des guillemets, contrairement à ce qui sepassait dans l’incipit. Il apparaît donc clairement que Phil est le person-nage principal de ce récit où Vinca et Mme Dalleray ne sont que commedes opposants ou des adjuvants du personnage masculin. Nous propo-sons donc une brève étude stylistique de ce passage en monologue inté-rieur afin d’insister sur le lyrisme qui le caractérise.

Dans l’avant-dernier paragraphe, de « Ô toi que j’appelais » à « jusqu’àaujourd’hui », à qui s’adresse Phil en pensée et pourquoi ?

Déçu par l’attitude de Vinca, Phil se retourne vers son initiatrice, laDame en blanc, pour la questionner et lui adresser des reproches. Celamontre le désarroi du personnage et donne un aspect pathétique à cettefin.

Quel registre identifiez-vous ici ? À part le registre pathétique précédemment noté, c’est le registre

lyrique qui domine ici. Il est introduit par l’interjection lyrique « ô toi ».Il est marqué par la domination de la première personne du singulier etpar l’emploi de registre de langue élevé (« l’orgueil des donateurs ») etl’emploi de questions rhétoriques.

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148 UN ROMAN DU XXe SIÈCLE

IV. Orientations bibliographiques

Textes de ColetteCOLETTE, Œuvres, éd. Claude Pichois, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade »,

4 vol., 1984-2001. [L’édition de référence ; textes richement annotés, on pourranotamment y consulter les nombreuses variantes.]

BiographiesARGONNE, Paul, Une dame, trois rois et quelques cavaliers, Belfond, 2004. [Il ne faut pas

se fier au titre de cette biographie écrite par un fin connaisseur de l’œuvre etde la vie de Colette.]

BONAL, Gérard, et RÉMY-BIETH, Michel, Colette intime, Phébus, 2005. [De très nom-breux documents reproduits en fac-similé ; une façon de découvrir à la sourcela vie et l’œuvre de Colette.]

BRUNET, Alain, et PICHOIS, Claude, Colette, Le Livre de Poche. [Prix Goncourt de labiographie ; biographie de référence.]

ÉtudesDUCREY, Guy, L’ABCdaire Colette, Flammarion, 2000. [Un ouvrage pour découvrir

Colette, sa vie et son œuvre. De nombreuses informations et une introductionparticulièrement éclairante.]

DUPONT, Jacques, Colette, Hachette, 1995. [Une très bonne introduction à l’œuvrede Colette à destination des étudiants.]

MAGET, Frédéric, Colette. Livret Pédagogique, Le Livre de Poche, 2004. [Ouvrage uni-quement disponible en bibliothèque ; introduction et séquences pédago-giques.]

[MAGET, Frédéric, éditeur], COLETTE, Dialogues de bêtes, Gallimard, coll. « Folio clas-siques du XXe siècle », 2004. [Biographie, introduction et étude à destination dusecondaire.]

RevuesCahiers Colette, n°s 1-27, PUR, 1978-2004. [Publication annuelle de la Société des

amis de Colette (Mairie de Saint-Sauveur-en-Puisaye) ; nombreux articles et iné-dits.]

Colette, Textes et documents pour la classe (TDC), CNDP-CRDP, n° 880, 15 septembre2004. [Articles d’Alain BRUNET, Martine CHARREYRE, Julia KRISTEVA, FrédéricMAGET, etc. Nombreuses propositions de séquences pédagogiques.]

Frédéric MAGET.

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