Le bestiaire enseveli

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S e représenter son futur est mainte- nant le souci d’une société de plus en plus attentive à la qualité de son environnement et à l’héritage qu’elle léguera aux générations suivantes. La prise de conscience générale d’un changement climatique à venir porte à s’interroger sur ses causes et ses conséquences. C’est ainsi que la compréhension du passé peut nous aider à ima- giner l’avenir. La Terre est naturellement chan- geante et les alternances de périodes glaciaires et interglaciaires qui caractérisent le climat du Quaternaire devraient inexorablement se pour- suivre dans le futur. La dernière glaciation est un extrême climatique qui a affecté nos régions et modelé nos paysages. De la Charente à la Hollande s’étendait une vaste steppe peuplée d’une riche faune de mammifères et de nom- breux vestiges osseux sont là pour témoigner de cette diversité. Mammouth, Rhinocéros lai- neux et Cerf géant, sont des espèces qui ont été découvertes dans des grottes du Sud-Ouest de la France ou pêchées au fond de la Mer du Nord. Tel le Déluge biblique, la fonte des glaces pro- voquée par le réchauffement post-glaciaire, il y a 10 000 ans, engloutira une partie de ce terri- toire par une spectaculaire remontée du niveau des mers. C’est ainsi qu’est né l’envi- ronnement qui est le nôtre actuellement, et qui conserve encore dans son sol les traces d’un monde disparu. Jean-François TOURNEPICHE conservateur au Musée d’Angoulême En attendant le déluge Il ne se passe guère une année sans qu’une découverte paléontologique ne soit faite en Charente et c’est au plus profond des grottes qu’il faut aller chercher ce patrimoine exceptionnel. A l’intérieur de ces cavités sont conservés les vestiges osseux qui témoignent de l’intense vie animale régnant dans cette région il y a plus de 10.000 ans, accumulations d’ossements qui nous révèlent des environnements disparus. De la découverte fortuite à la fouille systématique, les scientifiques analysent tous les éléments de ce passé lointain. Page 7 supplément spécial - samedi 11 avril 2009 Le bestiaire enseveli Le crâne d’un Mammouth retrouvé en Mer du Nord: l’une des pièces maîtresses de l’exposition présentée au Musée d’Angoulême du 11 avril au 6 septembre 2009 • photo Majid Bouzzit S e représenter son futur est mainte- nant le souci d’une société de plus en plus attentive à la qualité de son environnement et à l’héritage qu’elle léguera aux générations suivantes. La prise de conscience générale d’un changement climatique à venir porte à s’interroger sur ses causes et ses conséquences. C’est ainsi que la compréhension du passé peut nous aider à ima- giner l’avenir. La Terre est naturellement chan- geante et les alternances de périodes glaciaires et interglaciaires qui caractérisent le climat du Quaternaire devraient inexorablement se pour- suivre dans le futur. La dernière glaciation est un extrême climatique qui a affecté nos régions et modelé nos paysages. De la Charente à la Hollande s’étendait une vaste steppe peuplée d’une riche faune de mammifères et de nom- breux vestiges osseux sont là pour témoigner de cette diversité. Mammouth, Rhinocéros lai- neux et Cerf géant, sont des espèces qui ont été découvertes dans des grottes du Sud-Ouest de la France ou pêchées au fond de la Mer du Nord. Tel le Déluge biblique, la fonte des glaces pro- voquée par le réchauffement post-glaciaire, il y a 10 000 ans, engloutira une partie de ce terri- toire par une spectaculaire remontée du niveau des mers. C’est ainsi qu’est né l’envi- ronnement qui est le nôtre actuellement, et qui conserve encore dans son sol les traces d’un monde disparu. Jean-François TOURNEPICHE conservateur au Musée d’Angoulême En attendant le déluge Il ne se passe guère une année sans qu’une découverte paléontologique ne soit faite en Charente et c’est au plus profond des grottes qu’il faut aller chercher ce patrimoine exceptionnel. A l’intérieur de ces cavités sont conservés les vestiges osseux qui témoignent de l’intense vie animale régnant dans cette région il y a plus de 10.000 ans, accumulations d’ossements qui nous révèlent des environnements disparus. De la découverte fortuite à la fouille systématique, les scientifiques analysent tous les éléments de ce passé lointain. Page 7 supplément spécial - samedi 11 avril 2009 Le bestiaire enseveli Le crâne d’un Mammouth retrouvé en Mer du Nord: l’une des pièces maîtresses de l’exposition présentée au Musée d’Angoulême du 11 avril au 6 septembre 2009 • photo Majid Bouzzit

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Il ne se passe guère une année sans qu’une découverte paléontologique ne soit faite en Charente et c’est au plus profond des grottes qu’il faut aller chercher ce patrimoine exceptionnel. A l’intérieur de ces cavités sont conservés les vestiges osseux qui témoignent de l’intense vie animale régnant dans cette région il y a plus de 10.000 ans, accumulations d’ossements qui nous révèlent des environnements disparus. De la découverte fortuite à la fouille systématique, les scientifiques analysent tous les éléments de ce passé lointain.

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Page 1: Le bestiaire enseveli

Se représenter son futur est mainte-

nant le souci d’une société de plus

en plus attentive à la qualité de son

environnement et à l’héritage

qu’elle léguera aux générations suivantes. La

prise de conscience générale d’un changement

climatique à venir porte à s’interroger sur ses

causes et ses conséquences. C’est ainsi que la

compréhension du passé peut nous aider à ima-

giner l’avenir. La Terre est naturellement chan-

geante et les alternances de périodes glaciaires

et interglaciaires qui caractérisent le climat du

Quaternaire devraient inexorablement se pour-

suivre dans le futur. La dernière glaciation est

un extrême climatique qui a affecté nos régions

et modelé nos paysages. De la Charente à la

Hollande s’étendait une vaste steppe peuplée

d’une riche faune de mammifères et de nom-

breux vestiges osseux sont là pour témoigner

de cette diversité. Mammouth, Rhinocéros lai-

neux et Cerf géant, sont des espèces qui ont été

découvertes dans des grottes du Sud-Ouest de

la France ou pêchées au fond de la Mer du Nord.

Tel le Déluge biblique, la fonte des glaces pro-

voquée par le réchauffement post-glaciaire, il y

a 10 000 ans, engloutira une partie de ce terri-

toire par une spectaculaire remontée du

niveau des mers. C’est ainsi qu’est né l’envi-

ronnement qui est le nôtre actuellement, et qui

conserve encore dans son sol les traces d’un

monde disparu.

Jean-François TOURNEPICHE conservateur au Musée d’Angoulême

En attendant le déluge

Il ne se passe guère une année sans qu’une découverte paléontologique ne soit faite en Charente et c’est au plus profond des grottes qu’il faut aller chercher ce patrimoine exceptionnel. A l’intérieur de ces cavités sont conservés les vestiges osseux qui témoignent de l’intense vie animale régnant dans cette région il y a plus de 10.000 ans, accumulations d’ossements qui nous révèlent des environnements disparus. De la découverte fortuite à la fouille systématique, les scientifiques analysent tous les éléments de ce passé lointain. Page 7

s u p p l é m e n t s p é c i a l - s a m e d i 1 1 a v r i l 2 0 0 9

Le bestiaire enseveli

Le crâne d’un Mammouth

retrouvé en Mer du Nord:

l’une des pièces maîtresses

de l’exposition présentée

au Musée d’Angoulême

du 11 avril au 6 septembre 2009

• photo Majid Bouzzit

Se représenter son futur est mainte-

nant le souci d’une société de plus

en plus attentive à la qualité de son

environnement et à l’héritage

qu’elle léguera aux générations suivantes. La

prise de conscience générale d’un changement

climatique à venir porte à s’interroger sur ses

causes et ses conséquences. C’est ainsi que la

compréhension du passé peut nous aider à ima-

giner l’avenir. La Terre est naturellement chan-

geante et les alternances de périodes glaciaires

et interglaciaires qui caractérisent le climat du

Quaternaire devraient inexorablement se pour-

suivre dans le futur. La dernière glaciation est

un extrême climatique qui a affecté nos régions

et modelé nos paysages. De la Charente à la

Hollande s’étendait une vaste steppe peuplée

d’une riche faune de mammifères et de nom-

breux vestiges osseux sont là pour témoigner

de cette diversité. Mammouth, Rhinocéros lai-

neux et Cerf géant, sont des espèces qui ont été

découvertes dans des grottes du Sud-Ouest de

la France ou pêchées au fond de la Mer du Nord.

Tel le Déluge biblique, la fonte des glaces pro-

voquée par le réchauffement post-glaciaire, il y

a 10 000 ans, engloutira une partie de ce terri-

toire par une spectaculaire remontée du

niveau des mers. C’est ainsi qu’est né l’envi-

ronnement qui est le nôtre actuellement, et qui

conserve encore dans son sol les traces d’un

monde disparu.

Jean-François TOURNEPICHE conservateur au Musée d’Angoulême

En attendant le déluge

Il ne se passe guère une année sans qu’une découverte paléontologique ne soit faite en Charente et c’est au plus profond des grottes qu’il faut aller chercher ce patrimoine exceptionnel. A l’intérieur de ces cavités sont conservés les vestiges osseux qui témoignent de l’intense vie animale régnant dans cette région il y a plus de 10.000 ans, accumulations d’ossements qui nous révèlent des environnements disparus. De la découverte fortuite à la fouille systématique, les scientifiques analysent tous les éléments de ce passé lointain. Page 7

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Le bestiaire enseveli

Le crâne d’un Mammouth

retrouvé en Mer du Nord:

l’une des pièces maîtresses

de l’exposition présentée

au Musée d’Angoulême

du 11 avril au 6 septembre 2009

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2 sa med i 1 1 avr i l 2009 • c ha ren t e l i b re

Comment se fait-il qu’on puisse trouver des coquillages marins dans les sédiments des montagnes, si loin de la mer ? La réponse se trouve inscrite dans la Genèse : il s’agit de coquilles transportées par les eaux du Déluge et déposées après leur retrait. La paléontologie naissante décrit-elle des animaux inconnus et effrayants sans équivalents actuels ? L’explication est évidente, ce sont les vestiges d’un monde

disparu, éliminés et engloutis par le Déluge, phénomène catastrophique. Par ailleurs, la découverte de fossiles d’animaux de pays froids (rennes) ou chauds (éléphants) incite les premiers paléontologues à envisager l’hypothèse de changements climatiques. Durant des siècles, le Déluge permit d’interpréter les découvertes des premiers naturalistes qui trouvaient là une certaine cohérence entre les observations paléontologiques et l’explication biblique du passé. La retentissante découverte d’un fossile à Oeningen, près du lac de Constance, illustre la théorie du

catastrophisme. En 1726, Jacob Scheuchzer y voit les restes d’un humain, témoin du Déluge et noyé par ses eaux, qu’il baptise Homo diluvii testis. « C’est une des reliques les plus rares que nous ayons de cette race maudite qui fut ensevelie sous les eaux », écrit-il dans un ouvrage retentissant sur les fossiles. Le squelette d’Oeningen, toujours conservé dans un musée hollandais, devint une référence souvent invoquée pour prouver la véracité du Déluge biblique. Georges Cuvier démontra au début du XI Xe siècle qu’il s’agissait en fait d’une salamandre géante fossile !

Dès la Renaissance, les premiers naturalistes trouvent dans les fossiles les preuves de l’existence du Déluge biblique.

les changements climatiques en attendant le déluge

L’année où Noé eut six cents ans, les eaux souterraines jailli-rent impétueusement de toutes

les sources, et les vannes du ciel s’ouvrirent en grand. Il se mit à pleu-voir sur la Terre ; la pluie allait durer quarante jours et quarante nuits. Le Seigneur balaya ainsi de la Terre tout ce qui vivait, depuis les êtres hu-mains jusqu’aux grands animaux, aux petites bêtes et aux oiseaux. Ils furent éliminés de la Terre. Seul Noé survécut et, avec lui, ceux qui étaient dans l’arche. » Le mythe du déluge, est-il une pure invention ou la relation d’un événe-ment réel inscrit dans la mémoire en-fouie des civilisations ? Durant la dernière période glaciaire, il y a plus de 12 000 ans, se tenait un lac à l’emplacement de l’actuelle Mer Noire dont le niveau était situé à 140 m en dessous du seuil du Bosphore. Il ne communiquait pas avec la Méditerranée dont le niveau était très bas également. Avec la re-montée générale du niveau marin due au réchauffement post-gla-ciaire, la Méditerranée atteignit, il y à 7 500 ans le seuil du Bosphore et déversa brusquement ses eaux sa-lées, en une grande cataracte, dans

le lac en contrebas et sur les rives duquel vivaient des populations du Néolithique. En deux ans, le lac, de-venu une mer, aurait vu son niveau monter de 140 m et inonder plus de 100 000 km2 de terre, entraînant un déplacement rapide des popula-tions. On estime que la ligne de ri-vage reculait en moyenne à peu près à la vitesse d’un homme en marche. Cet exode est peut-être, selon cer-tains archéologues, à l’origine de l’arrivée de populations en Europe occidentale par le couloir de la val-lée du Danube et au Proche-Orient, au Sud. Les conséquences de cette catastrophe ont pu donner nais-sance aux mythes du Déluge qui se retrouvent dans les récits mésopo-tamiens, puis ensuite dans la Ge-nèse biblique. Est-ce un hasard si la bible situe au nord de la Turquie, sur le mont Ararat, le lieu où repose l’arche de Noé ?

Le Déluge, du mythe à la réalité

En étudiant les couches géologiques du fond de la Mer Noire, les géologues ont peut-être trouvé l’origine du mythe du Déluge.

Ala fin du XVIIIe siècle, les mi-lieux scientifiques font en-core référence au Déluge

mais y substituent une vision plus na-turaliste que dogmatique. En 1812, Georges Cuvier, le grand anatomiste fondateur de la paléontologie mo-derne, pensait qu’une suite de mon-des disparus s’échelonnait dans le temps. Des catastrophes environne-mentales, assimilables au Déluge, provoquèrent la disparition brutale de ces faunes étranges. Il employait le terme de «révolutions du globe» pour exprimer ce phénomène. Cette vi-sion catastrophique de l’histoire de la planète s’opposera à une conception évolutionniste dans laquelle les fau-nes se transforment graduellement d’une période à l’autre. L’ouvrage fondateur de la préhistoire, rédigé par Boucher de Perthes en 1849, et qui est intitulé «Antiquités celtiques et antédiluviennes», ex-prime encore toute l’ambiguïté qui ré-gnait à cette époque sur l’origine du monde. Les géologues de l’époque employaient toujours le terme de di-luvium pour définir les alluvions des

fleuves, en référence aux torrents d’eau qui les avaient transportés. Les ossements découverts dans ces sé-diments et associés à des silex taillés par l’Homme appartenaient non seu-lement à des espèces disparues, comme le Mammouth, mais aussi à des animaux vivant actuellement

sous des climats différents comme le Renne. Conjointement, la découverte de mo-raines fossiles, vestiges de grands glaciers disparus finit par imposer une évidence: les climats et les envi-ronnements du passé étaient diffé-rents. La paléoclimatologie était née.

Catastrophe ou changement graduel ?

Au XIXe siècle, les découvertes préhistoriques faites dans les alluvions anciennes

de la Charente vont contribuer à abandonner la théorie du Déluge.

La préhistoire naissante découvre les changements climatiques et combat l’idée du catastrophisme biblique.

Une scène du Déluge (détail)

par A. Castaigne (1887).

Une représentation conventionnelle

dramatique du Déluge par un peintre

d’histoire originaire d’Angoulême.

Histoire de la formation de la Mer Noire

Un témoin du DélugeUn témoin du Déluge

2 sa med i 1 1 avr i l 2009 • c ha ren t e l i b re

Comment se fait-il qu’on puisse trouver des coquillages marins dans les sédiments des montagnes, si loin de la mer ? La réponse se trouve inscrite dans la Genèse : il s’agit de coquilles transportées par les eaux du Déluge et déposées après leur retrait. La paléontologie naissante décrit-elle des animaux inconnus et effrayants sans équivalents actuels ? L’explication est évidente, ce sont les vestiges d’un monde

disparu, éliminés et engloutis par le Déluge, phénomène catastrophique. Par ailleurs, la découverte de fossiles d’animaux de pays froids (rennes) ou chauds (éléphants) incite les premiers paléontologues à envisager l’hypothèse de changements climatiques. Durant des siècles, le Déluge permit d’interpréter les découvertes des premiers naturalistes qui trouvaient là une certaine cohérence entre les observations paléontologiques et l’explication biblique du passé. La retentissante découverte d’un fossile à Oeningen, près du lac de Constance, illustre la théorie du

catastrophisme. En 1726, Jacob Scheuchzer y voit les restes d’un humain, témoin du Déluge et noyé par ses eaux, qu’il baptise Homo diluvii testis. « C’est une des reliques les plus rares que nous ayons de cette race maudite qui fut ensevelie sous les eaux », écrit-il dans un ouvrage retentissant sur les fossiles. Le squelette d’Oeningen, toujours conservé dans un musée hollandais, devint une référence souvent invoquée pour prouver la véracité du Déluge biblique. Georges Cuvier démontra au début du XI Xe siècle qu’il s’agissait en fait d’une salamandre géante fossile !

Dès la Renaissance, les premiers naturalistes trouvent dans les fossiles les preuves de l’existence du Déluge biblique.

les changements climatiques en attendant le déluge

L’année où Noé eut six cents ans, les eaux souterraines jailli-rent impétueusement de toutes

les sources, et les vannes du ciel s’ouvrirent en grand. Il se mit à pleu-voir sur la Terre ; la pluie allait durer quarante jours et quarante nuits. Le Seigneur balaya ainsi de la Terre tout ce qui vivait, depuis les êtres hu-mains jusqu’aux grands animaux, aux petites bêtes et aux oiseaux. Ils furent éliminés de la Terre. Seul Noé survécut et, avec lui, ceux qui étaient dans l’arche. » Le mythe du déluge, est-il une pure invention ou la relation d’un événe-ment réel inscrit dans la mémoire en-fouie des civilisations ? Durant la dernière période glaciaire, il y a plus de 12 000 ans, se tenait un lac à l’emplacement de l’actuelle Mer Noire dont le niveau était situé à 140 m en dessous du seuil du Bosphore. Il ne communiquait pas avec la Méditerranée dont le niveau était très bas également. Avec la re-montée générale du niveau marin due au réchauffement post-gla-ciaire, la Méditerranée atteignit, il y à 7 500 ans le seuil du Bosphore et déversa brusquement ses eaux sa-lées, en une grande cataracte, dans

le lac en contrebas et sur les rives duquel vivaient des populations du Néolithique. En deux ans, le lac, de-venu une mer, aurait vu son niveau monter de 140 m et inonder plus de 100 000 km2 de terre, entraînant un déplacement rapide des popula-tions. On estime que la ligne de ri-vage reculait en moyenne à peu près à la vitesse d’un homme en marche. Cet exode est peut-être, selon cer-tains archéologues, à l’origine de l’arrivée de populations en Europe occidentale par le couloir de la val-lée du Danube et au Proche-Orient, au Sud. Les conséquences de cette catastrophe ont pu donner nais-sance aux mythes du Déluge qui se retrouvent dans les récits mésopo-tamiens, puis ensuite dans la Ge-nèse biblique. Est-ce un hasard si la bible situe au nord de la Turquie, sur le mont Ararat, le lieu où repose l’arche de Noé ?

Le Déluge, du mythe à la réalité

En étudiant les couches géologiques du fond de la Mer Noire, les géologues ont peut-être trouvé l’origine du mythe du Déluge.

Ala fin du XVIIIe siècle, les mi-lieux scientifiques font en-core référence au Déluge

mais y substituent une vision plus na-turaliste que dogmatique. En 1812, Georges Cuvier, le grand anatomiste fondateur de la paléontologie mo-derne, pensait qu’une suite de mon-des disparus s’échelonnait dans le temps. Des catastrophes environne-mentales, assimilables au Déluge, provoquèrent la disparition brutale de ces faunes étranges. Il employait le terme de «révolutions du globe» pour exprimer ce phénomène. Cette vi-sion catastrophique de l’histoire de la planète s’opposera à une conception évolutionniste dans laquelle les fau-nes se transforment graduellement d’une période à l’autre. L’ouvrage fondateur de la préhistoire, rédigé par Boucher de Perthes en 1849, et qui est intitulé «Antiquités celtiques et antédiluviennes», ex-prime encore toute l’ambiguïté qui ré-gnait à cette époque sur l’origine du monde. Les géologues de l’époque employaient toujours le terme de di-luvium pour définir les alluvions des

fleuves, en référence aux torrents d’eau qui les avaient transportés. Les ossements découverts dans ces sé-diments et associés à des silex taillés par l’Homme appartenaient non seu-lement à des espèces disparues, comme le Mammouth, mais aussi à des animaux vivant actuellement

sous des climats différents comme le Renne. Conjointement, la découverte de mo-raines fossiles, vestiges de grands glaciers disparus finit par imposer une évidence: les climats et les envi-ronnements du passé étaient diffé-rents. La paléoclimatologie était née.

Catastrophe ou changement graduel ?

Au XIXe siècle, les découvertes préhistoriques faites dans les alluvions anciennes

de la Charente vont contribuer à abandonner la théorie du Déluge.

La préhistoire naissante découvre les changements climatiques et combat l’idée du catastrophisme biblique.

Une scène du Déluge (détail)

par A. Castaigne (1887).

Une représentation conventionnelle

dramatique du Déluge par un peintre

d’histoire originaire d’Angoulême.

Histoire de la formation de la Mer Noire

Un témoin du DélugeUn témoin du Déluge

Page 3: Le bestiaire enseveli

3sa med i 1 1 avr i l 2009 • c ha ren t e l i b re

Le Quaternaire se caractérise par une instabilité climatique qui se traduit par une alternance de

phases glaciaires et interglaciaires d’une durée de plusieurs milliers d’an-nées au cours desquelles les calottes glaciaires croissent et décroissent. Les causes de ces grandes variations sont à rechercher dans la quantité de chaleur que la Terre reçoit du soleil et le taux d’insolation d’un hémisphère dépend de la position de notre planète dans l’espace. Le mouvement de la

Terre est complexe et son orbite varie de façon cyclique en fonction de plu-sieurs paramètres tels que l’inclinai-son de son axe ou l’excentricité de son orbite. De puissants ordinateurs ont pu calculer les positions de la Terre dans le passé et les périodes de refroidisse-ment ou de réchauffement.

Pourquoi les climats changentC’est une évidence scientifique, les grands changements climatiques se succèdent depuis des millions d’années et c’est du côté du soleil qu’il faut en chercher la cause.

les changements climatiques en attendant le déluge

Du fait d’une certaine configura-tion astrale, il peut se produire une faible insolation durant la

saison d’été. La différence de tempé-rature moyenne est d’environ un de-gré. Cela suffit à ralentir la fonte des neiges d’hiver sur les glaciers. La cou-che de glace va donc augmenter d’an-née en année et les glaciers vont ac-croître leur volume et leur surface. Le phénomène dure longtemps et va en accélérant, la masse froide des gla-ciers et leur pouvoir de réflexion des rayons lumineux augmentent le refroi-dissement. Avec le temps, cette variation minime du climat, des étés frais, va conduire à une glaciation dont les conséquences environnementales, géographiques sont considérables. Le retour d’étés chauds permit à la glace de fondre. Ce fut un processus lent, freiné par l’énorme masse froide de la glace accumulée. Cette théorie astronomique des chan-gements climatiques a été vérifiée par les scientifiques étudiant le Quaternaire. Des phases climatiques ont été

déterminées et datées. Elles correspondent aux varia-tions calculées par les astronomes pour les périodes pas-sées. On peut donc accorder foi aux prévisions astrales et constater que des glaciations sont annoncées dans un avenir plus ou moins lointain.

Petite variation, grands effetsComment une glaciation peut-elle s’installer ?

En 1816, les chroniques rapportent que la Nouvelle-Angleterre ne connut pas d’été. Non seulement les récoltes ne parvinrent pas à maturité mais il neigea en plein mois d’août, ce qui ne s’était jamais vu. L’Europe n’échappa pas à ces dérèglements climatiques. L’origine de cet événement est à rechercher au printemps de l’année précédente dans l’île de Lombock, en Indonésie. A cette époque un énorme volcan, le Tambora, entra en éruption, projetant 100 milliards de tonnes de cendres dans l’atmosphère. Un voile opaque constitué de fines poussières gagna la stratosphère et enveloppa toute la planète. En absorbant la chaleur solaire, il provoqua un refroidissement général durant plusieurs années. Les études climatiques réalisées sur les temps historiques montrent une certaine corrélation entre les recrudescences de l’activité volcanique et les périodes de refroidissement. Il existe aussi peut-être d’autres phénomènes aux brusques variations climatiques, tel que les variations de l’activité solaire. Si la dernière glaciation s’est achevée il y a 10 000 ans, cela ne signifie pas que le climat interglaciaire se soit stabilisé pour autant. Ainsi, à l’échelle des siècles, l’Holocène, la dernière période tempérée, la nôtre, montre un grand nombre de variations qui ne sont pas régulières et cycliques. Tantôt plus chaud ou tantôt plus froid qu’à l’heure actuelle, le climat provoque des variations du niveau marin et des avancées ou reculées des glaciers de montagne.

Les crises climatiques

Des glaciations cycliques touchent

la planète. Elles ne provoquent pas

de catastrophes écologiques,

mais seulement un changement

adaptatif du monde vivant.

Si les très grandes variations climatiques sont programmées par la position astrale de la Terre, des événements imprévisibles créent des crises climatiques à l’échelle de la décennie ou du siècle.

Groenland signifie « Terre verte ». « Terre blanche » eût mieux convenu à ce

pays couvert de neiges. Il n’a pu être ainsi baptisé que par une agréable ironie de son parrain, un certain Erik le Rouge, qui probablement n’était pas plus rouge que le Groenland n’est vert. Visionnaire et homme de science, Jules Verne, pour une fois, s’est trompé. Lorsque les Vikings abordè-rent en 982 les côtes du Groenland, elles étaient effectivement vertes et ils purent établir des fermes qui per-durèrent moins de deux siècles. Cette époque heureuse s’acheva avec l’établissement d’un climat ri-goureux qui chassa les agriculteurs et rendit ce territoire aux seules po-pulations capables d’y vivre, les Inuits chasseurs de phoques.

Cet exemple illustre un changement climatique survenu durant les temps historiques et ses conséquences sur les sociétés humaines. La question du développement où de la disparition de grandes civilisations se pose. Permettant ou non la circula-tion, empêchant ou favorisant la cul-ture, modifiant les territoires, l’in-fluence du climat sur les civilisations semble un facteur des plus importants. Les fluctuations climatiques obser-vées depuis deux mille ans mon-trent des variations qui ne sont pas négligeables.

Lors de la période romaine, le climat était plus chaud que de nos jours. La côte charentaise, avec la remon-tée de 2 mètres du niveau de l’océan, avait une autre physiono-mie. L’expansion du monde romain a-t-elle été facilitée par cet optimum climatique, empire dont la chute coïncide avec un refroidissement généralisé contemporain des inva-sions barbares ? A partir de 1850, les températures re-montent. Le retrait des glaciers s’ac-célère et s’installe un réchauffement qui pour l’instant n’a pas atteint celui de la période romaine. Dans le système complexe qui régit l’évolution climatique un élément nouveau vient s’ajouter de la fin du XIXe siècle, l’impact des activités hu-maines. Ce facteur sera-t-il plus con-trôlable que l’activité solaire ou vol-canique ?

Le vert GroenlandDurant les périodes historiques, le climat montre de grandes variations séculaires.

Une période froide baptisée « Petit Age glaciaire » s’installa de 1450 à 1850. Bien que cette période corresponde concrètement à un léger refroidissement de l’ordre d’un degré, elle a eu, en Europe et en Amérique du Nord, un réel impact réel sur l’environnement, sur l’histoire des populations humaines. Les témoignages de ces fluctuations climatiques sont nombreux et peuvent être suivis d’année en année, ce qu’a fait le célèbre historien Emmanuel Le Roy Ladurie. Dès le début du XIVe siècle, s’installent une période météorologique mouvementée et une extension des glaciers et de la banquise. La Tamise gèle fréquemment à partir de 1607 et le port de New York est pris dans les glaces en 1780. De grands froids vont toucher la France. En 1693 et 1694, sous le règne de Louis XIV, ils provoquent une famine et près de deux millions de personnes vont en mourir. En 1794, le général Pichegru prend d’assaut la flotte hollandaise prise dans les glaces : la marine vaincue par la cavalerie !

Que leurs conséquences soient anecdotiques ou de grande portée sociale, les grands froids marquent toute cette période. Les arts n’échappent pas à ce phénomène et, entre 1565 et 1665, va se développer une représentation de ces hivers rigoureux. Les Bruegel, ancien et jeune, et leurs tableaux de patineurs sur les rivières gelées, donnent un exemple fameux des effets du froid sur les paysages et la vie quotidienne.

Le Petit Age Glaciaire

Il y a 2 000 ans,

la côte charentaise

était noyée par l’océan

dont le niveau s’élevait

de deux mètres.

En sera-t-il de même

dans l’avenir ?

3sa med i 1 1 avr i l 2009 • c ha ren t e l i b re

Le Quaternaire se caractérise par une instabilité climatique qui se traduit par une alternance de

phases glaciaires et interglaciaires d’une durée de plusieurs milliers d’an-nées au cours desquelles les calottes glaciaires croissent et décroissent. Les causes de ces grandes variations sont à rechercher dans la quantité de chaleur que la Terre reçoit du soleil et le taux d’insolation d’un hémisphère dépend de la position de notre planète dans l’espace. Le mouvement de la

Terre est complexe et son orbite varie de façon cyclique en fonction de plu-sieurs paramètres tels que l’inclinai-son de son axe ou l’excentricité de son orbite. De puissants ordinateurs ont pu calculer les positions de la Terre dans le passé et les périodes de refroidisse-ment ou de réchauffement.

Pourquoi les climats changentC’est une évidence scientifique, les grands changements climatiques se succèdent depuis des millions d’années et c’est du côté du soleil qu’il faut en chercher la cause.

les changements climatiques en attendant le déluge

Du fait d’une certaine configura-tion astrale, il peut se produire une faible insolation durant la

saison d’été. La différence de tempé-rature moyenne est d’environ un de-gré. Cela suffit à ralentir la fonte des neiges d’hiver sur les glaciers. La cou-che de glace va donc augmenter d’an-née en année et les glaciers vont ac-croître leur volume et leur surface. Le phénomène dure longtemps et va en accélérant, la masse froide des gla-ciers et leur pouvoir de réflexion des rayons lumineux augmentent le refroi-dissement. Avec le temps, cette variation minime du climat, des étés frais, va conduire à une glaciation dont les conséquences environnementales, géographiques sont considérables. Le retour d’étés chauds permit à la glace de fondre. Ce fut un processus lent, freiné par l’énorme masse froide de la glace accumulée. Cette théorie astronomique des chan-gements climatiques a été vérifiée par les scientifiques étudiant le Quaternaire. Des phases climatiques ont été

déterminées et datées. Elles correspondent aux varia-tions calculées par les astronomes pour les périodes pas-sées. On peut donc accorder foi aux prévisions astrales et constater que des glaciations sont annoncées dans un avenir plus ou moins lointain.

Petite variation, grands effetsComment une glaciation peut-elle s’installer ?

En 1816, les chroniques rapportent que la Nouvelle-Angleterre ne connut pas d’été. Non seulement les récoltes ne parvinrent pas à maturité mais il neigea en plein mois d’août, ce qui ne s’était jamais vu. L’Europe n’échappa pas à ces dérèglements climatiques. L’origine de cet événement est à rechercher au printemps de l’année précédente dans l’île de Lombock, en Indonésie. A cette époque un énorme volcan, le Tambora, entra en éruption, projetant 100 milliards de tonnes de cendres dans l’atmosphère. Un voile opaque constitué de fines poussières gagna la stratosphère et enveloppa toute la planète. En absorbant la chaleur solaire, il provoqua un refroidissement général durant plusieurs années. Les études climatiques réalisées sur les temps historiques montrent une certaine corrélation entre les recrudescences de l’activité volcanique et les périodes de refroidissement. Il existe aussi peut-être d’autres phénomènes aux brusques variations climatiques, tel que les variations de l’activité solaire. Si la dernière glaciation s’est achevée il y a 10 000 ans, cela ne signifie pas que le climat interglaciaire se soit stabilisé pour autant. Ainsi, à l’échelle des siècles, l’Holocène, la dernière période tempérée, la nôtre, montre un grand nombre de variations qui ne sont pas régulières et cycliques. Tantôt plus chaud ou tantôt plus froid qu’à l’heure actuelle, le climat provoque des variations du niveau marin et des avancées ou reculées des glaciers de montagne.

Les crises climatiques

Des glaciations cycliques touchent

la planète. Elles ne provoquent pas

de catastrophes écologiques,

mais seulement un changement

adaptatif du monde vivant.

Si les très grandes variations climatiques sont programmées par la position astrale de la Terre, des événements imprévisibles créent des crises climatiques à l’échelle de la décennie ou du siècle.

Groenland signifie « Terre verte ». « Terre blanche » eût mieux convenu à ce

pays couvert de neiges. Il n’a pu être ainsi baptisé que par une agréable ironie de son parrain, un certain Erik le Rouge, qui probablement n’était pas plus rouge que le Groenland n’est vert. Visionnaire et homme de science, Jules Verne, pour une fois, s’est trompé. Lorsque les Vikings abordè-rent en 982 les côtes du Groenland, elles étaient effectivement vertes et ils purent établir des fermes qui per-durèrent moins de deux siècles. Cette époque heureuse s’acheva avec l’établissement d’un climat ri-goureux qui chassa les agriculteurs et rendit ce territoire aux seules po-pulations capables d’y vivre, les Inuits chasseurs de phoques.

Cet exemple illustre un changement climatique survenu durant les temps historiques et ses conséquences sur les sociétés humaines. La question du développement où de la disparition de grandes civilisations se pose. Permettant ou non la circula-tion, empêchant ou favorisant la cul-ture, modifiant les territoires, l’in-fluence du climat sur les civilisations semble un facteur des plus importants. Les fluctuations climatiques obser-vées depuis deux mille ans mon-trent des variations qui ne sont pas négligeables.

Lors de la période romaine, le climat était plus chaud que de nos jours. La côte charentaise, avec la remon-tée de 2 mètres du niveau de l’océan, avait une autre physiono-mie. L’expansion du monde romain a-t-elle été facilitée par cet optimum climatique, empire dont la chute coïncide avec un refroidissement généralisé contemporain des inva-sions barbares ? A partir de 1850, les températures re-montent. Le retrait des glaciers s’ac-célère et s’installe un réchauffement qui pour l’instant n’a pas atteint celui de la période romaine. Dans le système complexe qui régit l’évolution climatique un élément nouveau vient s’ajouter de la fin du XIXe siècle, l’impact des activités hu-maines. Ce facteur sera-t-il plus con-trôlable que l’activité solaire ou vol-canique ?

Le vert GroenlandDurant les périodes historiques, le climat montre de grandes variations séculaires.

Une période froide baptisée « Petit Age glaciaire » s’installa de 1450 à 1850. Bien que cette période corresponde concrètement à un léger refroidissement de l’ordre d’un degré, elle a eu, en Europe et en Amérique du Nord, un réel impact réel sur l’environnement, sur l’histoire des populations humaines. Les témoignages de ces fluctuations climatiques sont nombreux et peuvent être suivis d’année en année, ce qu’a fait le célèbre historien Emmanuel Le Roy Ladurie. Dès le début du XIVe siècle, s’installent une période météorologique mouvementée et une extension des glaciers et de la banquise. La Tamise gèle fréquemment à partir de 1607 et le port de New York est pris dans les glaces en 1780. De grands froids vont toucher la France. En 1693 et 1694, sous le règne de Louis XIV, ils provoquent une famine et près de deux millions de personnes vont en mourir. En 1794, le général Pichegru prend d’assaut la flotte hollandaise prise dans les glaces : la marine vaincue par la cavalerie !

Que leurs conséquences soient anecdotiques ou de grande portée sociale, les grands froids marquent toute cette période. Les arts n’échappent pas à ce phénomène et, entre 1565 et 1665, va se développer une représentation de ces hivers rigoureux. Les Bruegel, ancien et jeune, et leurs tableaux de patineurs sur les rivières gelées, donnent un exemple fameux des effets du froid sur les paysages et la vie quotidienne.

Le Petit Age Glaciaire

Il y a 2 000 ans,

la côte charentaise

était noyée par l’océan

dont le niveau s’élevait

de deux mètres.

En sera-t-il de même

dans l’avenir ?

Page 4: Le bestiaire enseveli

4 sa med i 1 1 avr i l 2009 • c ha ren t e l i b re

interroger les sédiments

Au cœur d’une période gla-ciaire, lorsque les glaciers sont à leur taille maximale,

ils stockent une telle quantité d’eau que le niveau de la mer qui n’est que peu alimentée par les fleuves, est à 120 m au-dessous de son niveau actuel. Il s’ensuivait un contour des côtes atlantiques fort différent de celui que nous connaissons et une plus grande extension continentale. Le plateau continental atlantique était largement découvert et la Manche formait une vaste vallée où coulait la Seine et la Tamise. Le glacier scandinave, ou inlandsis, couvrait le nord de l’Europe. La grande surface glacée de l’inland-sis, très froide, créait un anticyclone permanent qui donnait naissance à des vents violents. La toundra bor-dait le grand glacier alors que, plus au sud, une végétation steppique couvrait la France.

Lors d’une période glaciaire, une grande partie de l’eau de la planète est stockée dans d’immenses calottes de glace.

Les petites vallées du sud de l’Angoumois, celles des Eaux Claires, de la Charrau, de la

Boëme ou du Voultron, sont bordées par de falaises creusées dans les calcaires du Crétacé. La rumeur avance l’idée que la mer est à l’ori-gine de la formation de ces falaises. Certes, la mer a bien déposé les cal-caires mais leur érosion n’a débuté que 90 millions d’années après qu’elle se soit retirée. Sachant qu’il y a eu des glaciations, certains avan-cent l’explication que les glaciers ont creusé les vallées, mais même du-rant les périodes les plus froides, ja-mais les glaciers ne sont descendus jusqu’en Charente.

Le processus de formation des abris sous roche résulte des alternances climatiques du Quaternaire. 1. Lors d’une première phase froide, le gel commence à desquamer les parois calcaires des vallées. Les couches les plus poreuses se creu-sent plus rapidement car elles con-tiennent plus d’eau que les autres. 2. Le creusement s’accentue, un abri sous roche se forme et les frag-ments de calcaire gélivés s’accumu-lent sur la pente. 3. Lors d’une période intergla-ciaire, la roche est soumise à l’action de l’eau de pluie qui dissout le cal-caire. Elle entraîne les résidus, ar-gile, sable et oxydes sur la pente qui

recouvre maintenant les couches précédentes 4. Le gel reprend son action avec une nouvelle période glaciaire 5. La dissolution reprend lors d’une période interglaciaire et le toit de l’abri sous roche, en porte-à-faux, s’est effondré. En avant de l’abri, les couches superposées ont enregistré, par la nature de leurs sédiments, les variations climatiques qui ont présidé au creusement de la falaise. Elles ren-ferment également des vestiges de la vie animale ou humaine.

A pierre fendre…Le gel attaque les couches calcaires et façonne les falaises en abris sous roche.

Les sédiments enregistrent les climats et pour le géologue qui sait les lire, ils sont une pré-

cieuse source documentaire. Peu d’événements transforment aussi radicalement et rapidement un paysage que l’instauration d’un climat glaciaire. En matière d’érosion, l’eau est l’agent destructeur le plus puissant qui soit. Lorsque que le climat est doux et humide, l’eau circule dans la roche, la dissout et transporte au loin les résidus qu’elle redépose sous forme de concrétions ou de cou-ches de graviers, sable et argiles.

En climat froid, elle se transforme en glace et fragmente la roche par l’action du gel. Le froid, durant les périodes glaciai-res, est si intense que, durant la pé-riode estivale, seule la couche su-perficielle dégèle alors qu’en pro-fondeur subsiste le sol gelé (pergé-lisol), dur et imperméable. En conséquence, cette partie superfi-cielle se gorge d’eau et il va se pro-duire des mouvements (cryoturba-tions) qui vont déformer les sédi-ments. Un bon exemple est visible dans l’abri préhistorique de La Chaire à Calvin à Mouthiers, en Charente. Les cailloux du sol s’arrangent par-fois progressivement en polygones jointifs, le sédiment fin restant au centre de ces structures. Au sommet des coupes de carriè-

res, en profondeur, ces sols pren-nent l’aspect de poches plus ou moins régulières. Les versants Est – Nord-Est des collines de calcaire argileux du nord de la Charente sont couverts de dé-pôts sédimentaires formés d’une al-ternance de lits de petits graviers calcaires et d’argile appelés grèzes litées. Ils ont glissé sur les versants et se sont accumulés au pied des pentes parfois sur une dizaine de mètres d’épaisseur. Ils sont datés du cœur de la période glaciaire, il y a 20 000 ans.

... et se tordre de froidLes sols, sous l’effet du froid intense se fragmentent, s’organisent et se déforment de multiples façons.

Avant le Quaternaire et ses glaciations, les vallées n’existaient pas en Charente.

Fragmentées par le gel,

les grèzes litées charentaises se sont

formées dans un paysage identique

à celui que l’on connaît en Alaska.

Les sections du sous-sol dans

une carrière, présentent des poches

de sédiments qui matérialisent

les mouvements de convection

provoqués par le froid glaciaire.

De glace et d’eauDe glace et d’eau

La France lors

de la dernière

période glaciaire,

il y a 18 000 ans.

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interroger les sédiments

Au cœur d’une période gla-ciaire, lorsque les glaciers sont à leur taille maximale,

ils stockent une telle quantité d’eau que le niveau de la mer qui n’est que peu alimentée par les fleuves, est à 120 m au-dessous de son niveau actuel. Il s’ensuivait un contour des côtes atlantiques fort différent de celui que nous connaissons et une plus grande extension continentale. Le plateau continental atlantique était largement découvert et la Manche formait une vaste vallée où coulait la Seine et la Tamise. Le glacier scandinave, ou inlandsis, couvrait le nord de l’Europe. La grande surface glacée de l’inland-sis, très froide, créait un anticyclone permanent qui donnait naissance à des vents violents. La toundra bor-dait le grand glacier alors que, plus au sud, une végétation steppique couvrait la France.

Lors d’une période glaciaire, une grande partie de l’eau de la planète est stockée dans d’immenses calottes de glace.

Les petites vallées du sud de l’Angoumois, celles des Eaux Claires, de la Charrau, de la

Boëme ou du Voultron, sont bordées par de falaises creusées dans les calcaires du Crétacé. La rumeur avance l’idée que la mer est à l’ori-gine de la formation de ces falaises. Certes, la mer a bien déposé les cal-caires mais leur érosion n’a débuté que 90 millions d’années après qu’elle se soit retirée. Sachant qu’il y a eu des glaciations, certains avan-cent l’explication que les glaciers ont creusé les vallées, mais même du-rant les périodes les plus froides, ja-mais les glaciers ne sont descendus jusqu’en Charente.

Le processus de formation des abris sous roche résulte des alternances climatiques du Quaternaire. 1. Lors d’une première phase froide, le gel commence à desquamer les parois calcaires des vallées. Les couches les plus poreuses se creu-sent plus rapidement car elles con-tiennent plus d’eau que les autres. 2. Le creusement s’accentue, un abri sous roche se forme et les frag-ments de calcaire gélivés s’accumu-lent sur la pente. 3. Lors d’une période intergla-ciaire, la roche est soumise à l’action de l’eau de pluie qui dissout le cal-caire. Elle entraîne les résidus, ar-gile, sable et oxydes sur la pente qui

recouvre maintenant les couches précédentes 4. Le gel reprend son action avec une nouvelle période glaciaire 5. La dissolution reprend lors d’une période interglaciaire et le toit de l’abri sous roche, en porte-à-faux, s’est effondré. En avant de l’abri, les couches superposées ont enregistré, par la nature de leurs sédiments, les variations climatiques qui ont présidé au creusement de la falaise. Elles ren-ferment également des vestiges de la vie animale ou humaine.

A pierre fendre…Le gel attaque les couches calcaires et façonne les falaises en abris sous roche.

Les sédiments enregistrent les climats et pour le géologue qui sait les lire, ils sont une pré-

cieuse source documentaire. Peu d’événements transforment aussi radicalement et rapidement un paysage que l’instauration d’un climat glaciaire. En matière d’érosion, l’eau est l’agent destructeur le plus puissant qui soit. Lorsque que le climat est doux et humide, l’eau circule dans la roche, la dissout et transporte au loin les résidus qu’elle redépose sous forme de concrétions ou de cou-ches de graviers, sable et argiles.

En climat froid, elle se transforme en glace et fragmente la roche par l’action du gel. Le froid, durant les périodes glaciai-res, est si intense que, durant la pé-riode estivale, seule la couche su-perficielle dégèle alors qu’en pro-fondeur subsiste le sol gelé (pergé-lisol), dur et imperméable. En conséquence, cette partie superfi-cielle se gorge d’eau et il va se pro-duire des mouvements (cryoturba-tions) qui vont déformer les sédi-ments. Un bon exemple est visible dans l’abri préhistorique de La Chaire à Calvin à Mouthiers, en Charente. Les cailloux du sol s’arrangent par-fois progressivement en polygones jointifs, le sédiment fin restant au centre de ces structures. Au sommet des coupes de carriè-

res, en profondeur, ces sols pren-nent l’aspect de poches plus ou moins régulières. Les versants Est – Nord-Est des collines de calcaire argileux du nord de la Charente sont couverts de dé-pôts sédimentaires formés d’une al-ternance de lits de petits graviers calcaires et d’argile appelés grèzes litées. Ils ont glissé sur les versants et se sont accumulés au pied des pentes parfois sur une dizaine de mètres d’épaisseur. Ils sont datés du cœur de la période glaciaire, il y a 20 000 ans.

... et se tordre de froidLes sols, sous l’effet du froid intense se fragmentent, s’organisent et se déforment de multiples façons.

Avant le Quaternaire et ses glaciations, les vallées n’existaient pas en Charente.

Fragmentées par le gel,

les grèzes litées charentaises se sont

formées dans un paysage identique

à celui que l’on connaît en Alaska.

Les sections du sous-sol dans

une carrière, présentent des poches

de sédiments qui matérialisent

les mouvements de convection

provoqués par le froid glaciaire.

De glace et d’eauDe glace et d’eau

La France lors

de la dernière

période glaciaire,

il y a 18 000 ans.

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faire parler les os en attendant le déluge

La vie animale qui s’est développée du-rant les glaciations en Europe n’a au-cun équivalent actuel.

Les populations de grands mammifères du-rant les périodes glaciaires, sont riches et di-versifiées. Elles constituent un écosystème qui n’a pas d’équivalent actuel. De la Cha-rente à la Mer du Nord, il régnait une steppe immense où poussaient des herbacées comme les armoises et les graminées. Les vallées charentaises, plus au sud et abri-tées, ont pu voir se développer une végéta-tion arbustive de bouleaux, saules et pins. Ce biotope, baptisé « steppe à Mam-mouth », se présente comme un milieu par-ticulièrement riche et il est faux de penser qu’une période glaciaire est synonyme de désolation. Le milieu arctique actuel qui nous sert de référence est très pauvre et n’a rien de comparable. La diversité de la faune quaternaire était identique à celle des savanes africaines ac-tuelles. Herbivores de toutes tailles accom-pagnés de grands et petits carnivores for-maient une chaîne alimentaire complexe. La température glaciale ne semble pas avoir été un facteur limitatif.

Les grands herbivores grégaires pouvaient constituer de vastes troupeaux et l’image des immenses rassemblements de Bisons des plaines d’Amérique du Nord d’avant la conquête évoque ce que pouvait être l’Eu-rope du Quaternaire. Avec le grand réchauffement qui suit la gla-ciation, l’Europe va se couvrir de forêts et la grande faune des steppes laissera la place aux espèces de milieu boisé : Cerfs, Che-vreuils, Sangliers, Aurochs. Fini les grands troupeaux d’herbivores, les nouvelles espè-ces forestières se groupent en hardes iso-lées dans un environnement forestier diffi-cile à pénétrer. Mais une question reste posée : pourquoi nombre d’espèces se sont-elles définitive-ment éteintes ? Lors des réchauffements in-terglaciaires précédents, certaines, comme le Mammouth et le Rhinocéros, s’étaient re-pliées vers le Nord, alors que d’autres s’adaptaient sur place aux nouvelles condi-tions tempérées comme le Mégacéros et les grands carnivores. Avec l’Holocène, toutes ces dernières ont disparu. L’Homme, dont les populations augmentaient, en serait-il la cause ?

Les communautés de mamifères qui se sont développées durant les glaciations n’ont aucun équivalent actuel.

S’adapter au froid

Les associations d’espèces de certains mammifères révèlent les climats du passé.

Les principaux

herbivores

de la dernière

période glaciaire,

Bison, Renne,

Cheval et Saïga

reconstitués

au Musée

d’Angoulême.

La paléoclimatologie peut être analysée grâce aux vestiges de la vie animale. Les principaux facteurs climati-ques qui influent sur la répartition géographique des mammifères sont la température et l’humidité. Certaines espèces sont confinées dans un milieu et ne peuvent s’y soustraire : le Renne ne pourrait se développer en zone tempérée, et il est impossible au Daim de survivre dans la toundra. L’Anti-lope saïga ne fréquente que les steppes sèches alors que le Cas-tor est inféodé à la présence de cours d’eaux de régions boisées. Durant le Pléistocène, les asso-ciations d’espèces de mammifè-res changent en fonction de l’évo-lution climatique. Ces espèces as-sociées présentent des affinités écologiques identiques. Trois grands groupes ont été définis. La détermination du climat à partir d’une association d’espèces fos-siles se fait en calculant les pro-portions relatives de chacun des groupes, la prédominance de l’un d’entre eux désignant l’environne-ment qui lui correspond.

Le paléontologue peut déchiffrer dans la morphologie des os des mammifères l’empreinte du climat qui s’y est inscrite.

Groupe de milieu boisé

Durant les phases interglaciaires, la forêt s’implante et prolifèrent le Cerf, le Chevreuil, le Daim et le Sanglier.

Les faunes du Quaternaire

Groupe de milieu ouvert arctique

Les phases glaciaires les plus sévères sont caractérisées par la présence du Renne, du Bœuf musqué, du Renard polaire, espèces vivant dans un milieu arctique ouvert.

Groupe de milieu ouvert non arctique

Toujours durant les phases glaciaires, à la faveur d’une amélioration climatique et d’un environnement plus sec, se développe un milieu de steppes et de prairies. Il est occupé par le Bison, l’Aurochs, le Cheval, l’Antilope saïga, le Mégacéros mais aussi le Mammouth et le Rhinocéros laineux.

Le diagramme du rapport des

différents groupes écologiques

des faunes de la grotte

de Fontéchevade (Montbron),

montre une prédominance

du milieu boisé datant de

l’interglaciaire Eémien

(120 000 ans). Celui

de Combe-Grenal (Domme) est

caractéristique d’une période

glaciaire datée de 60 000 ans.

Crânes de chevaux de période

tempérée (Saint-Projet, 90.000 ans)

et de période glaciaire (Le Quéroy,

14.000 ans)

Certaines espèces de mammifères ont une vaste répartition géographique et une grande tolérance aux écarts de tempéra-

ture. Elles peuvent vivre dans des environne-ments assez différents et leur corps subit des va-riations morphologiques. Les naturalistes connaissent bien ces phénomè-nes au point qu’ils ont défini des règles ou lois écologiques, qui, bien que souffrant d’exceptions, se révèlent applicables à beaucoup de mammifè-res actuels ou fossiles. La loi de Bergmann stipule qu’au sein d’une même espèce, la taille du corps d’un mammifère augmente au fur et à mesure que la température annuelle moyenne baisse. Les carnivores obéis-sent généralement à cette règle. Ils ont souvent une vaste zone de répartition et on observe un gradient de taille qui va en augmentant des zones tempérées aux contrées arctiques. Les Hyènes des cavernes, carnivores ubiquistes, sont de pe-

tite taille durant les interglaciaires et de grande taille lors des périodes froides. Une autre règle écologique d’importance est la loi d’Allen. Elle constate que les mammifères ont tendance à réduire leurs appendices dans des conditions sévères. Le museau, les oreilles, les pattes rétrécissent. Les Rennes des îles arctiques actuels présen-tent ce type d’adaptation, leurs pattes très cour-tes leur donnant l’air de formes naines par rap-port au Renne de toundra vivant plus au sud. Les variations de taille des pattes des Rennes pléistocènes semblent suivre les fluctuations climatiques. Plus l’environnement est froid, plus les os sont petits. De même, les museaux des chevaux s’allon-gent au début de la dernière période glaciaire, phase tempérée, il y a 90.000 ans, et ils raccour-cissent alors que le froid devient plus intense, il y a 14.000 ans.

6 sa med i 1 1 avr i l 2009 • c ha ren t e l i b re

faire parler les os en attendant le déluge

La vie animale qui s’est développée du-rant les glaciations en Europe n’a au-cun équivalent actuel.

Les populations de grands mammifères du-rant les périodes glaciaires, sont riches et di-versifiées. Elles constituent un écosystème qui n’a pas d’équivalent actuel. De la Cha-rente à la Mer du Nord, il régnait une steppe immense où poussaient des herbacées comme les armoises et les graminées. Les vallées charentaises, plus au sud et abri-tées, ont pu voir se développer une végéta-tion arbustive de bouleaux, saules et pins. Ce biotope, baptisé « steppe à Mam-mouth », se présente comme un milieu par-ticulièrement riche et il est faux de penser qu’une période glaciaire est synonyme de désolation. Le milieu arctique actuel qui nous sert de référence est très pauvre et n’a rien de comparable. La diversité de la faune quaternaire était identique à celle des savanes africaines ac-tuelles. Herbivores de toutes tailles accom-pagnés de grands et petits carnivores for-maient une chaîne alimentaire complexe. La température glaciale ne semble pas avoir été un facteur limitatif.

Les grands herbivores grégaires pouvaient constituer de vastes troupeaux et l’image des immenses rassemblements de Bisons des plaines d’Amérique du Nord d’avant la conquête évoque ce que pouvait être l’Eu-rope du Quaternaire. Avec le grand réchauffement qui suit la gla-ciation, l’Europe va se couvrir de forêts et la grande faune des steppes laissera la place aux espèces de milieu boisé : Cerfs, Che-vreuils, Sangliers, Aurochs. Fini les grands troupeaux d’herbivores, les nouvelles espè-ces forestières se groupent en hardes iso-lées dans un environnement forestier diffi-cile à pénétrer. Mais une question reste posée : pourquoi nombre d’espèces se sont-elles définitive-ment éteintes ? Lors des réchauffements in-terglaciaires précédents, certaines, comme le Mammouth et le Rhinocéros, s’étaient re-pliées vers le Nord, alors que d’autres s’adaptaient sur place aux nouvelles condi-tions tempérées comme le Mégacéros et les grands carnivores. Avec l’Holocène, toutes ces dernières ont disparu. L’Homme, dont les populations augmentaient, en serait-il la cause ?

Les communautés de mamifères qui se sont développées durant les glaciations n’ont aucun équivalent actuel.

S’adapter au froid

Les associations d’espèces de certains mammifères révèlent les climats du passé.

Les principaux

herbivores

de la dernière

période glaciaire,

Bison, Renne,

Cheval et Saïga

reconstitués

au Musée

d’Angoulême.

La paléoclimatologie peut être analysée grâce aux vestiges de la vie animale. Les principaux facteurs climati-ques qui influent sur la répartition géographique des mammifères sont la température et l’humidité. Certaines espèces sont confinées dans un milieu et ne peuvent s’y soustraire : le Renne ne pourrait se développer en zone tempérée, et il est impossible au Daim de survivre dans la toundra. L’Anti-lope saïga ne fréquente que les steppes sèches alors que le Cas-tor est inféodé à la présence de cours d’eaux de régions boisées. Durant le Pléistocène, les asso-ciations d’espèces de mammifè-res changent en fonction de l’évo-lution climatique. Ces espèces as-sociées présentent des affinités écologiques identiques. Trois grands groupes ont été définis. La détermination du climat à partir d’une association d’espèces fos-siles se fait en calculant les pro-portions relatives de chacun des groupes, la prédominance de l’un d’entre eux désignant l’environne-ment qui lui correspond.

Le paléontologue peut déchiffrer dans la morphologie des os des mammifères l’empreinte du climat qui s’y est inscrite.

Groupe de milieu boisé

Durant les phases interglaciaires, la forêt s’implante et prolifèrent le Cerf, le Chevreuil, le Daim et le Sanglier.

Les faunes du Quaternaire

Groupe de milieu ouvert arctique

Les phases glaciaires les plus sévères sont caractérisées par la présence du Renne, du Bœuf musqué, du Renard polaire, espèces vivant dans un milieu arctique ouvert.

Groupe de milieu ouvert non arctique

Toujours durant les phases glaciaires, à la faveur d’une amélioration climatique et d’un environnement plus sec, se développe un milieu de steppes et de prairies. Il est occupé par le Bison, l’Aurochs, le Cheval, l’Antilope saïga, le Mégacéros mais aussi le Mammouth et le Rhinocéros laineux.

Le diagramme du rapport des

différents groupes écologiques

des faunes de la grotte

de Fontéchevade (Montbron),

montre une prédominance

du milieu boisé datant de

l’interglaciaire Eémien

(120 000 ans). Celui

de Combe-Grenal (Domme) est

caractéristique d’une période

glaciaire datée de 60 000 ans.

Crânes de chevaux de période

tempérée (Saint-Projet, 90.000 ans)

et de période glaciaire (Le Quéroy,

14.000 ans)

Certaines espèces de mammifères ont une vaste répartition géographique et une grande tolérance aux écarts de tempéra-

ture. Elles peuvent vivre dans des environne-ments assez différents et leur corps subit des va-riations morphologiques. Les naturalistes connaissent bien ces phénomè-nes au point qu’ils ont défini des règles ou lois écologiques, qui, bien que souffrant d’exceptions, se révèlent applicables à beaucoup de mammifè-res actuels ou fossiles. La loi de Bergmann stipule qu’au sein d’une même espèce, la taille du corps d’un mammifère augmente au fur et à mesure que la température annuelle moyenne baisse. Les carnivores obéis-sent généralement à cette règle. Ils ont souvent une vaste zone de répartition et on observe un gradient de taille qui va en augmentant des zones tempérées aux contrées arctiques. Les Hyènes des cavernes, carnivores ubiquistes, sont de pe-

tite taille durant les interglaciaires et de grande taille lors des périodes froides. Une autre règle écologique d’importance est la loi d’Allen. Elle constate que les mammifères ont tendance à réduire leurs appendices dans des conditions sévères. Le museau, les oreilles, les pattes rétrécissent. Les Rennes des îles arctiques actuels présen-tent ce type d’adaptation, leurs pattes très cour-tes leur donnant l’air de formes naines par rap-port au Renne de toundra vivant plus au sud. Les variations de taille des pattes des Rennes pléistocènes semblent suivre les fluctuations climatiques. Plus l’environnement est froid, plus les os sont petits. De même, les museaux des chevaux s’allon-gent au début de la dernière période glaciaire, phase tempérée, il y a 90.000 ans, et ils raccour-cissent alors que le froid devient plus intense, il y a 14.000 ans.

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7sa med i 1 1 avr i l 2009 • c ha ren t e l i b re

le bestiaire enseveli en attendant le déluge

Les tanières de carnivores représentent des lieux de vie pour les carnivores de toutes sortes. Leur mort naturelle dans ce milieu propice à la conservation permet une bonne conservation de leur squelette. C’est le cas des Ours, Lions, Léopards, Loups, Renards et autres petits carnivores. Les Hyènes des cavernes et les Loups dans une moindre mesure, offrent la particularité de rapporter dans leurs

tanières les carcasses de leurs proies pour nourrir leur progéniture. Même si les os rongés sont très dégradés, ils offrent une bonne image de la composition des

espèces de mammifères vivant à l’époque car la collecte opérée par les carnivores est systématique. Tous ces sites font l’objet de fouilles minutieuses, à l’instar de ce qui se pratique pour les sites préhistoriques occupés par l’Homme paléolithique. Cela permet de

recueillir de nombreuses informations sur les paléoenvironnements, la constitution et les caractéristiques des accumulations osseuses naturelles.

Généralement enfouis au plus profond des grottes, les ves-tiges peuvent être mis au jour

violemment, lors d’une exploitation des calcaires par une carrière ou lors de travaux routiers. Mais c’est sur-tout grâce à l’exploration des grottes par les spéléologues que de nom-breuses et importantes découvertes ont été faites. Les clubs spéléologiques charentais sont particulièrement actifs et leurs membres connaissent bien la con-duite à tenir en cas de découverte. La première des nécessités est une at-tention soutenue, lorsque se présen-

tent des indices lors de travaux de désobstruction de galeries souterrai-nes. Ce ne sont souvent que de pe-

tits fragments insignifiants mais qui peuvent révéler un site enfoui. La conduite la plus sage est de ne pas

continuer à creuser mais de s’adres-ser à un spécialiste pour déterminer si la découverte présente un intérêt.

Il y a quelques années, le musée fut prévenu par le propriétaire d’un pa-villon situé à Sainte-Catherine, à la sortie d’Angoulême, de la découverte de dents dans les travaux de soubas-sement d’une murette de jardin. Il s’agissait de restes de chevaux pa-léolithiques tombés dans une grotte dont l’érosion avait fait disparaître le toit et les parois. Il ne faut pas oublier que tout objet découvert appartient au propriétaire du terrain et que, par ailleurs, l’ex-cavation de restes archéologiques est soumise à autorisation. Une loi protège ce patrimoine et même les professionnels de l’archéologie doi-vent obtenir une autorisation du mi-nistère de la Culture pour entre-prendre des fouilles. Les scientifiques connaissent de nombreux sites à ossements qui dor-ment toujours au fond de cavités et c’est volontairement que tous ne sont pas fouillés. Ils sont recensés par le service de la carte archéologique et protégés. Le choix d’entreprendre un chantier, un long travail d’équipe, se fait en fonction d’une problématique scientifique et non simplement pour garnir de belles pièces les vitrines des musées.

De la découverte à la fouilleLa Charente est une région particulièrement riche en vestiges de mammifères fossiles et un simple trou creusé dans son jardin peut révéler l’existence d’un site préhistorique.

Des pics volcaniques ponctuent ce désert de pierres et présentent la particularité d’être creusés de grottes. Ces dernières sont parfois pleines d’ossements car elles ont servi de tanières aux Hyènes brunes qui étaient très fré-quentes dans la région, surtout avant la colonisation. L’oc-casion se présente d’analyser des accumulations d’osse-ments dont on connaît les auteurs, les Hyènes brunes ac-tuelles, et de les comparer avec celles des sites fossiles de Charente. Les résultats sont pleins d’enseignement et permettent une compréhension du passé grâce à l’obser-vation de phénomènes actuels similaires dans leur fonc-tionnement, bien qu’éloignés dans le temps et dans l’es-pace. Comprendre le présent pour interpréter le passé, c’est ce qu’on appelle l’actualisme.

De la Charente à l’Afrique

Ce supplément a été réalisé en collaboration

avec le Musée d’Angoulême, qui en a fourni les textes

et les illustrations. Imprimerie Charente Libre

Directeur de la publication : Jean-Pierre Barjou

Que chercher dans le désert du Karoo, au centre de l’Afrique du Sud, lorsqu’on étudie les faunes du Quaternaire de Charente ?Crâne de Loup

(Saint-Ciers, 35.000 ans)

Les tanières de carnivores

En ramassant quelques fragments d’os à l’orée d’un terrier de blaireau, au milieu d’un bois, Claude Marteau et sa fille se doutaient-ils qu’ils venaient de découvrir un riche site préhistorique ? Peut-être un peu, puisqu’ils poussèrent la porte du musée d’Angoulême pour soumettre leur découverte pourtant assez modeste au demeurant. Les petits fragments se révélèrent appartenir à une Hyène des cavernes et à un Rhinocéros laineux. Un sondage confirma leurs espoirs: il y avait sous le bois un réseau de couloirs et grottes jonchés d’ossements fossiles. Les Hyènes ont occupé la cavité entre 40.000 ans et 30.000 ans, durant une période tempérée puis ensuite le début d’une phase glaciaire. Remarquablement conservé, ce site a été recouvert de sédiment rapidement après son abandon. Un programme de recherches s’y est déroulé de 2004 à 2006, afin d’analyser avec précision les caractéristiques d’un habitat de grand carnivore. La finalité de ce type d’étude, que l’on appelle taphonomie, est de pouvoir comprendre comment s’accumulent, se dégradent et se conservent les ossements. Ces

connaissances s’appliqueront lorsqu’il s’agira de comprendre qui est à l’origine de la présence d’ossements dans une cavité : Homme, carnivore ou agents naturels. L’Hyène des cavernes (Crocuta spelaea) s’apparente à l’Hyène tachetée africaine actuelle. Elle en diffère essentiellement par sa grande taille. Très commune durant le Quaternaire, elle semble disparaître avant le maximum glaciaire, il y a 25.000 ans. Chasseur actif mais surtout charognard, cet animal vit en clans et se sert des grottes comme tanière. Elle y entasse les os des carcasses qu’elle trouve pour nourrir les jeunes hyénons. Les ossements abandonnés ont été rongés et portent les marques de ses dents. Ces accumulations osseuses, bien que les restes soient très fragmentés, nous livrent un bon cliché des faunes de mammifères de l’environnement proche car les Hyènes ne sont pas sélectives et collectent indifféremment tout ce qui peut se ronger, même des bois de chute de cervidés ou des restes humains.

La grotte de La Chauverie Les ossements abandonnés par les Hyènes

des cavernes, il y a 36.000 ans sur le sol

de la grotte de La Chauverie (Ronsenac)

Entrée de la grotte de Saltpeterkopt,

tanière d’Hyène brune du désert

du Karoo (Afrique du Sud)

L’extraction

d’ossements

fossiles demande

beaucoup de soin

et de méthode

(Karst de

La Rochefoucauld)

7sa med i 1 1 avr i l 2009 • c ha ren t e l i b re

le bestiaire enseveli en attendant le déluge

Les tanières de carnivores représentent des lieux de vie pour les carnivores de toutes sortes. Leur mort naturelle dans ce milieu propice à la conservation permet une bonne conservation de leur squelette. C’est le cas des Ours, Lions, Léopards, Loups, Renards et autres petits carnivores. Les Hyènes des cavernes et les Loups dans une moindre mesure, offrent la particularité de rapporter dans leurs

tanières les carcasses de leurs proies pour nourrir leur progéniture. Même si les os rongés sont très dégradés, ils offrent une bonne image de la composition des

espèces de mammifères vivant à l’époque car la collecte opérée par les carnivores est systématique. Tous ces sites font l’objet de fouilles minutieuses, à l’instar de ce qui se pratique pour les sites préhistoriques occupés par l’Homme paléolithique. Cela permet de

recueillir de nombreuses informations sur les paléoenvironnements, la constitution et les caractéristiques des accumulations osseuses naturelles.

Généralement enfouis au plus profond des grottes, les ves-tiges peuvent être mis au jour

violemment, lors d’une exploitation des calcaires par une carrière ou lors de travaux routiers. Mais c’est sur-tout grâce à l’exploration des grottes par les spéléologues que de nom-breuses et importantes découvertes ont été faites. Les clubs spéléologiques charentais sont particulièrement actifs et leurs membres connaissent bien la con-duite à tenir en cas de découverte. La première des nécessités est une at-tention soutenue, lorsque se présen-

tent des indices lors de travaux de désobstruction de galeries souterrai-nes. Ce ne sont souvent que de pe-

tits fragments insignifiants mais qui peuvent révéler un site enfoui. La conduite la plus sage est de ne pas

continuer à creuser mais de s’adres-ser à un spécialiste pour déterminer si la découverte présente un intérêt.

Il y a quelques années, le musée fut prévenu par le propriétaire d’un pa-villon situé à Sainte-Catherine, à la sortie d’Angoulême, de la découverte de dents dans les travaux de soubas-sement d’une murette de jardin. Il s’agissait de restes de chevaux pa-léolithiques tombés dans une grotte dont l’érosion avait fait disparaître le toit et les parois. Il ne faut pas oublier que tout objet découvert appartient au propriétaire du terrain et que, par ailleurs, l’ex-cavation de restes archéologiques est soumise à autorisation. Une loi protège ce patrimoine et même les professionnels de l’archéologie doi-vent obtenir une autorisation du mi-nistère de la Culture pour entre-prendre des fouilles. Les scientifiques connaissent de nombreux sites à ossements qui dor-ment toujours au fond de cavités et c’est volontairement que tous ne sont pas fouillés. Ils sont recensés par le service de la carte archéologique et protégés. Le choix d’entreprendre un chantier, un long travail d’équipe, se fait en fonction d’une problématique scientifique et non simplement pour garnir de belles pièces les vitrines des musées.

De la découverte à la fouilleLa Charente est une région particulièrement riche en vestiges de mammifères fossiles et un simple trou creusé dans son jardin peut révéler l’existence d’un site préhistorique.

Des pics volcaniques ponctuent ce désert de pierres et présentent la particularité d’être creusés de grottes. Ces dernières sont parfois pleines d’ossements car elles ont servi de tanières aux Hyènes brunes qui étaient très fré-quentes dans la région, surtout avant la colonisation. L’oc-casion se présente d’analyser des accumulations d’osse-ments dont on connaît les auteurs, les Hyènes brunes ac-tuelles, et de les comparer avec celles des sites fossiles de Charente. Les résultats sont pleins d’enseignement et permettent une compréhension du passé grâce à l’obser-vation de phénomènes actuels similaires dans leur fonc-tionnement, bien qu’éloignés dans le temps et dans l’es-pace. Comprendre le présent pour interpréter le passé, c’est ce qu’on appelle l’actualisme.

De la Charente à l’Afrique

Ce supplément a été réalisé en collaboration

avec le Musée d’Angoulême, qui en a fourni les textes

et les illustrations. Imprimerie Charente Libre

Directeur de la publication : Jean-Pierre Barjou

Que chercher dans le désert du Karoo, au centre de l’Afrique du Sud, lorsqu’on étudie les faunes du Quaternaire de Charente ?Crâne de Loup

(Saint-Ciers, 35.000 ans)

Les tanières de carnivores

En ramassant quelques fragments d’os à l’orée d’un terrier de blaireau, au milieu d’un bois, Claude Marteau et sa fille se doutaient-ils qu’ils venaient de découvrir un riche site préhistorique ? Peut-être un peu, puisqu’ils poussèrent la porte du musée d’Angoulême pour soumettre leur découverte pourtant assez modeste au demeurant. Les petits fragments se révélèrent appartenir à une Hyène des cavernes et à un Rhinocéros laineux. Un sondage confirma leurs espoirs: il y avait sous le bois un réseau de couloirs et grottes jonchés d’ossements fossiles. Les Hyènes ont occupé la cavité entre 40.000 ans et 30.000 ans, durant une période tempérée puis ensuite le début d’une phase glaciaire. Remarquablement conservé, ce site a été recouvert de sédiment rapidement après son abandon. Un programme de recherches s’y est déroulé de 2004 à 2006, afin d’analyser avec précision les caractéristiques d’un habitat de grand carnivore. La finalité de ce type d’étude, que l’on appelle taphonomie, est de pouvoir comprendre comment s’accumulent, se dégradent et se conservent les ossements. Ces

connaissances s’appliqueront lorsqu’il s’agira de comprendre qui est à l’origine de la présence d’ossements dans une cavité : Homme, carnivore ou agents naturels. L’Hyène des cavernes (Crocuta spelaea) s’apparente à l’Hyène tachetée africaine actuelle. Elle en diffère essentiellement par sa grande taille. Très commune durant le Quaternaire, elle semble disparaître avant le maximum glaciaire, il y a 25.000 ans. Chasseur actif mais surtout charognard, cet animal vit en clans et se sert des grottes comme tanière. Elle y entasse les os des carcasses qu’elle trouve pour nourrir les jeunes hyénons. Les ossements abandonnés ont été rongés et portent les marques de ses dents. Ces accumulations osseuses, bien que les restes soient très fragmentés, nous livrent un bon cliché des faunes de mammifères de l’environnement proche car les Hyènes ne sont pas sélectives et collectent indifféremment tout ce qui peut se ronger, même des bois de chute de cervidés ou des restes humains.

La grotte de La Chauverie Les ossements abandonnés par les Hyènes

des cavernes, il y a 36.000 ans sur le sol

de la grotte de La Chauverie (Ronsenac)

Entrée de la grotte de Saltpeterkopt,

tanière d’Hyène brune du désert

du Karoo (Afrique du Sud)

L’extraction

d’ossements

fossiles demande

beaucoup de soin

et de méthode

(Karst de

La Rochefoucauld)

Page 7: Le bestiaire enseveli

8 sa med i 1 1 avr i l 2009 • c ha ren t e l i b re

le bestiaire enseveli en attendant le déluge

L’Antilope saïga (Saiga tatarica) est une petite antilope qui habite les régions désertiques du centre de l’Asie, du Kazakhstan à la Mongolie. Le mâle ne mesure pas plus de 80 cm au garrot. Sa tête est aisément reconnaissable avec son gros museau et ses cornes cannelées en forme de lyre (les femelles en sont dépourvues). Inféodée à un milieu continental froid et sec, elle présente des caractères anatomiques très bien adaptés à cet environnement inhospitalier. Très vascularisé, son museau réchauffe l’air respiré et filtre la poussière de ces déserts venteux. Très prolifiques, les Saïgas peuvent se rassembler en

un troupeau de centaines d’individus. A la faveur d’une phase sèche de la dernière glaciation, il y a 18 000 ans, les Saïgas ont migré jusque dans le Sud-Ouest de la France, et particulièrement en Charente et en Gironde où le relief peu accentué leur convenait parfaitement. Les grottes du Quéroy (Chazelles, Charente) ont livré les seuls crânes et squelettes complets connus à l’état fossile. Le réchauffement et surtout l’humidité accompagnant la déglaciation installèrent un environnement défavorable aux Antilopes qui disparurent d’Europe il y a 13 000 ans.

Rien à voir avec l’Afrique, l’Antilope saïga est la seule antilope eurasiatique qui habite les déserts glacés.

Sur les plateaux, se déplaçaient de grands troupeaux de Bisons des steppes, de Chevaux et de Rennes et d’Antilopes saïgas, qui s’abîmaient parfois acci-

dentellement dans des puits naturels, les avens, de petits gouffres ouverts à la surface. L’animal chutait au fond de la cavité et si son corps était protégé des intempéries par des sédiments le recouvrant rapidement, son squelette pouvait se fossiliser dans d’ex-cellentes conditions. Cela permet de retrouver des squelettes entiers, sources d’études précieuses pour le paléontologue. Mieux encore, une partie du troupeau peut être ensevelie et ce sera l’oc-casion d’analyser une population complète : adultes, jeu-nes, mâles, femelles.

Une chute fatale

Les avens-pièges, puits naturels creusés dans le calcaire, sont la cause de la mort accidentelle de nombreux herbivores grégaires.

Lorsqu’en mai 1990, Jean-Michel Né-groni, géologue de la société CMP qui ouvrait une carrière de calcaire près

de La Rochebeaucourt, présenta de gros ossements au conservateur du musée d’Angoulême, il reçut la confirmation qu’il s’agissait bien de restes appartenant à un Bison fossile. Une fouille de sauvetage fut rapidement entreprise et la cavité éventrée par la carrière se révéla être une grotte, un aven plus exactement, ayant piégé un Bi-son et des Rennes lors de la dernière pé-riode glaciaire. Malheureusement, les quelques jours écoulés entre la découverte et l’interven-

tion des paléontologues suffirent au pillage de toute la partie antérieure du squelette du Bison, car l’animal était complet. Par chance, le crâne échappa à la destruction. Il s’agissait d’un Bison des steppes mâle de grande taille, sa hauteur au garrot dé-passant les deux mètres. Au Pléistocène, le Bison des steppes (Bi-son priscus) étendait ses grands trou-peaux de l’Europe occidentale à l’Alaska. Son aspect nous est connu grâce à ses vestiges osseux, ses restes momifiés et gelés et les représentations qu’en ont fait les chasseurs paléolithiques. Contraire-ment au Bison américain, les pattes anté-

rieures n’étaient pas couvertes d’une lon-gue fourrure. Celle-ci était de couleur noire sur le ventre et l’arrière-train, alors que les flancs formaient une tache ocrée claire. Les cornes des mâles étaient grandes, jusqu’à 1,50 mètre d’envergure, et peu in-curvées. Le dimorphisme sexuel était plus pro-noncé que chez les Bisons actuels, avec des mâles beaucoup plus gros que les fe-melles, et dont le poids dépassait la tonne. Disparu il y a 10 000 ans, le Bison des steppes pourrait avoir pour descendant le Bison d’Europe, mais cette filiation n’est pas vraiment démontrée.

Un piège à Bison

Une carrière de calcaire, un coup de pelle mécanique qui éventre le remplissage d’une grotte et apparaissent des ossements de Rennes et de Bison.

Des antilopes dans le froid

Dans la nuit du jeudi, certains petits ports hollandais entrent en effervescence lorsque les

chalutiers reviennent de leur campa-gne de pêche hebdomadaire. En plus du poisson dans les cales, les marins ont entreposé à l’avant du ba-teau, sous le pont, des caisses plus ou moins pleines d’ossements fossi-les. Ils ont été recueillis dans le cha-lut parmi les poissons dragués sur le fond de la Mer du Nord. Tout un com-merce s’est développé autour de ces vestiges et de nombreuses collec-tions privées se sont constituées. Depuis le XIXe siècle, les marins puis les scientifiques ont identifié les zo-nes qui livrent ces ossements datant en majorité de la dernière période glaciaire. Les ossements reposent sur le fond de la mer, ils sont souvent entiers, ce qui révèle une mort et une décomposition naturelles. Ce sont les vestiges des mammifères qui vi-vaient dans la plaine du Nord main-tenant recouverte par la mer. Si les restes osseux sont très nombreux, souvent bien conservés, leurs condi-

tions de récolte en limitent l’intérêt scientifique car le contexte de leur découverte n’est pas connu. Les pêcheurs de ces petits ports hol-landais forment souvent des commu-nautés luthériennes très pratiquan-

tes si bien que nombre d’entre eux tiennent ces ossements pour preuve du Déluge biblique et qui ne peuvent dater de plus de 4 004 ans avant JC, année calculée par la bible pour la création du monde.

La pêche au MammouthEn Mer du Nord, les pêcheurs ramènent dans leurs filets des os de Mammouths et de Rhinocéros, mais ce n’est pas le Déluge qui les a noyés.

La collecte

des ossements

auprès

des pêcheurs

dans le port

de Stellendam

(Pays-Bas)

La carrière

de Sainte-Croix-de-Mareuil,

près de La Rochebeaucourt,

et le crâne d’un Bison

des steppes.

Ossements de chevaux fossiles sous une murette de jardin

à Sainte-Catherine (Garat).

Une dizaine d’antilopes gisaient au fond de la grotte du Quéroy (Chazelles).

Des antilopes dans le froid

8 sa med i 1 1 avr i l 2009 • c ha ren t e l i b re

le bestiaire enseveli en attendant le déluge

L’Antilope saïga (Saiga tatarica) est une petite antilope qui habite les régions désertiques du centre de l’Asie, du Kazakhstan à la Mongolie. Le mâle ne mesure pas plus de 80 cm au garrot. Sa tête est aisément reconnaissable avec son gros museau et ses cornes cannelées en forme de lyre (les femelles en sont dépourvues). Inféodée à un milieu continental froid et sec, elle présente des caractères anatomiques très bien adaptés à cet environnement inhospitalier. Très vascularisé, son museau réchauffe l’air respiré et filtre la poussière de ces déserts venteux. Très prolifiques, les Saïgas peuvent se rassembler en

un troupeau de centaines d’individus. A la faveur d’une phase sèche de la dernière glaciation, il y a 18 000 ans, les Saïgas ont migré jusque dans le Sud-Ouest de la France, et particulièrement en Charente et en Gironde où le relief peu accentué leur convenait parfaitement. Les grottes du Quéroy (Chazelles, Charente) ont livré les seuls crânes et squelettes complets connus à l’état fossile. Le réchauffement et surtout l’humidité accompagnant la déglaciation installèrent un environnement défavorable aux Antilopes qui disparurent d’Europe il y a 13 000 ans.

Rien à voir avec l’Afrique, l’Antilope saïga est la seule antilope eurasiatique qui habite les déserts glacés.

Sur les plateaux, se déplaçaient de grands troupeaux de Bisons des steppes, de Chevaux et de Rennes et d’Antilopes saïgas, qui s’abîmaient parfois acci-

dentellement dans des puits naturels, les avens, de petits gouffres ouverts à la surface. L’animal chutait au fond de la cavité et si son corps était protégé des intempéries par des sédiments le recouvrant rapidement, son squelette pouvait se fossiliser dans d’ex-cellentes conditions. Cela permet de retrouver des squelettes entiers, sources d’études précieuses pour le paléontologue. Mieux encore, une partie du troupeau peut être ensevelie et ce sera l’oc-casion d’analyser une population complète : adultes, jeu-nes, mâles, femelles.

Une chute fatale

Les avens-pièges, puits naturels creusés dans le calcaire, sont la cause de la mort accidentelle de nombreux herbivores grégaires.

Lorsqu’en mai 1990, Jean-Michel Né-groni, géologue de la société CMP qui ouvrait une carrière de calcaire près

de La Rochebeaucourt, présenta de gros ossements au conservateur du musée d’Angoulême, il reçut la confirmation qu’il s’agissait bien de restes appartenant à un Bison fossile. Une fouille de sauvetage fut rapidement entreprise et la cavité éventrée par la carrière se révéla être une grotte, un aven plus exactement, ayant piégé un Bi-son et des Rennes lors de la dernière pé-riode glaciaire. Malheureusement, les quelques jours écoulés entre la découverte et l’interven-

tion des paléontologues suffirent au pillage de toute la partie antérieure du squelette du Bison, car l’animal était complet. Par chance, le crâne échappa à la destruction. Il s’agissait d’un Bison des steppes mâle de grande taille, sa hauteur au garrot dé-passant les deux mètres. Au Pléistocène, le Bison des steppes (Bi-son priscus) étendait ses grands trou-peaux de l’Europe occidentale à l’Alaska. Son aspect nous est connu grâce à ses vestiges osseux, ses restes momifiés et gelés et les représentations qu’en ont fait les chasseurs paléolithiques. Contraire-ment au Bison américain, les pattes anté-

rieures n’étaient pas couvertes d’une lon-gue fourrure. Celle-ci était de couleur noire sur le ventre et l’arrière-train, alors que les flancs formaient une tache ocrée claire. Les cornes des mâles étaient grandes, jusqu’à 1,50 mètre d’envergure, et peu in-curvées. Le dimorphisme sexuel était plus pro-noncé que chez les Bisons actuels, avec des mâles beaucoup plus gros que les fe-melles, et dont le poids dépassait la tonne. Disparu il y a 10 000 ans, le Bison des steppes pourrait avoir pour descendant le Bison d’Europe, mais cette filiation n’est pas vraiment démontrée.

Un piège à Bison

Une carrière de calcaire, un coup de pelle mécanique qui éventre le remplissage d’une grotte et apparaissent des ossements de Rennes et de Bison.

Des antilopes dans le froid

Dans la nuit du jeudi, certains petits ports hollandais entrent en effervescence lorsque les

chalutiers reviennent de leur campa-gne de pêche hebdomadaire. En plus du poisson dans les cales, les marins ont entreposé à l’avant du ba-teau, sous le pont, des caisses plus ou moins pleines d’ossements fossi-les. Ils ont été recueillis dans le cha-lut parmi les poissons dragués sur le fond de la Mer du Nord. Tout un com-merce s’est développé autour de ces vestiges et de nombreuses collec-tions privées se sont constituées. Depuis le XIXe siècle, les marins puis les scientifiques ont identifié les zo-nes qui livrent ces ossements datant en majorité de la dernière période glaciaire. Les ossements reposent sur le fond de la mer, ils sont souvent entiers, ce qui révèle une mort et une décomposition naturelles. Ce sont les vestiges des mammifères qui vi-vaient dans la plaine du Nord main-tenant recouverte par la mer. Si les restes osseux sont très nombreux, souvent bien conservés, leurs condi-

tions de récolte en limitent l’intérêt scientifique car le contexte de leur découverte n’est pas connu. Les pêcheurs de ces petits ports hol-landais forment souvent des commu-nautés luthériennes très pratiquan-

tes si bien que nombre d’entre eux tiennent ces ossements pour preuve du Déluge biblique et qui ne peuvent dater de plus de 4 004 ans avant JC, année calculée par la bible pour la création du monde.

La pêche au MammouthEn Mer du Nord, les pêcheurs ramènent dans leurs filets des os de Mammouths et de Rhinocéros, mais ce n’est pas le Déluge qui les a noyés.

La collecte

des ossements

auprès

des pêcheurs

dans le port

de Stellendam

(Pays-Bas)

La carrière

de Sainte-Croix-de-Mareuil,

près de La Rochebeaucourt,

et le crâne d’un Bison

des steppes.

Ossements de chevaux fossiles sous une murette de jardin

à Sainte-Catherine (Garat).

Une dizaine d’antilopes gisaient au fond de la grotte du Quéroy (Chazelles).

Des antilopes dans le froid