Le Bal Des Celibataires

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 Pierre ourdieu  e al des céli t ires Crise de l soci été paysanne en éarn  ditions du Seuil

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Pierre Bourdieu - Le Bal Des Celibataires

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  • Pierre Bourdieu

    LeBaldes clibataires

    Crise de la socit paysanneen Barn

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    Editions du Seuil

  • ISBN 2-02-052570-4

    ditions du Seuil. mars 2002

    Le e~ de la proprit imellecrucllc interdit les copies cu rcproducti?O-~ destio

  • 8 Le Sal des clibataires

    femmes. les uns pour boire un coup avec les amis, lesautres pour pier, cancanee el faire des conjectures surles mariages possibles. .Dans des bals comme celui de la Nol ou du Premier del'an ils n 'ont rien afaire. Ce sont des bals faits "pour lesjeu~es", e'est--dir ceux qui ne sont pas ma~~~s; ilsn'ont plus l'ge, mais ils sont et se savent rmma-riables". Ce sont des bals o l'on vient pour danser ; orils ne danseront paso De temps en temps, comme pourdissimuler leur gene. ils changent quelques plaisante-ries ou chahutent un peu.Une marche: une jeune filie s'avance vers le coin desclibataires, et appelle I'un d'eux adanser av:c elle ".Hrslste, gn et ravi. 11 fait un tour, accentuant a dessemsa maladresse et sa lourdeur, un peu comme font lesvieux quand ils dansent le jour du comice, et adresse .descIins d 'ceil ases copains. La danse finie, il va s'asseoir etne dansera plus. "Celui-l, me dit-on, c'est le bis An ...(un gros propritaire) ; la filie qui est venue le chercherest une voisine. Elle lui a fait faire un tour de danse pourlui faire plaisir." Tout rentre daos l'ordre. lis resteront l~,jusqu' minuit, parlant apeine, dans la lumiere.et.le ?rultdu bal, le regard sur les filIes inaeeessibles. PUlS ils rrontdans la salle de I'auberge et boiront face aface. lIs chan-teront a tue-tte de vieux airs bamais, prolongeant aperte de voix des accords dissonants, cependant qu'cot l'orehestre joue twists et cha-cha-cha. Et, par de~xou par trois, ils s' loigneront lentement, ala fin de la nurt,vers leurs fermes reeules.

    PIERRE BOURDIEU

    Introduction

    Les articles que j'ai rassembls ici reviennent a troisreprises Sur le mme problerne, mais chaque fois avec unquipemenr thorique plus pussant, paree que plus gn-ral, et pourtant plus proche de l'exprience". Et, ace titre,ils peuvent intresser ceux qui voudraient suivre unerecherche dans la logique de son dveloppement et leurfaire prouver la conviction, qu m 'a toujours anim, queplus l'analyse thorique s'approfondit, el plus elle s'ap-proche des donnes de J'observation. le crois en effet que,lorsqu'il s'agit de sciences sociales, le trajet heuristique atoujours quelque chose d'un parcours initiatique. Et peut-tre n'est-il pas tout it fait absurde ni tout fait dplac devoir une sorte de Bildungsroman intellectuel dans l'histoirede cette recherche qui, prenant pour objet les souffrances etles drames lis aux relations entre les sexes - c'est apeupres le titre que j'avais donn, bien avant l' mergence desgender studies, al'article des Temps modernes consacr ace problerne -, a t l'occasion ou l'oprateur d'une vri-table conversion. Le mot de conversion n'est sans doutepas trop fort pour dsigner la transformation ala fois intel-

    * Cf. Reproduction interdite. La dimension symbo.liqu~ d~ ~adomination conomique , in Etudes rurales, 113-114, janvier-jum1989. p. 9.

    * Pierre Bourdieu, Clibat et condition paysanne ~>, in tudesrurales, 5-6, avril-septembre 1962, p. 32-135 ; Les stratgies matri-moniales dans le systerne de reproduction , in Annates, 4-5, juillet-oetobre 1972, p. llO5-1127 ; Reproduction interdite. La dimensionsymbolique de la domination conomique , op. cit., p. 15-36.

  • la Le Bal des clibataires Introduction 11lectuelle el affeetive qui m' a conduit de la phnomnologiede la vie affective (issue peut-tre aussi des affections eldes afflictions de la vie, qu'il s'agissait de dnier savam-ment), aune visin du monde social et de la pratique a lafois plus distance el plus raliste, cela grce aun vritabledispositif exprimental destin a favoriser la transforma-tion de ]' Erlebnis en Erfahrung, Cette mue intellectuelletait lourde d'implications sociales puisqu'elle s'aCCOID-plissait atravers le passage de la philosophie a1'ethnologieou ala sociologie el, al'intrieur de celle-ci, ala sociologieruraIe, situe au plus bas daos la hirarchie sociale des dis-ciplines, el que le renoncement lectif qu 'impliquait cedplacement ngatif daos l' espace universitaire avait pourcontrepartie le rve confus d'une rintgration dans lemonde natal.

    Dans le premier texte, crit au dbut des annes 1960, aun moment OU l' ethnographie des socits europennesexiste a peine et o la sociologie rurale reste a distance res-pectueuse du terrain ,j'entreprends, dans un article cha-leureusement accueilli dans tudes rurales par Isaac Chiva(donnerait-on aujourd'hui pres de la moiti d'un numro derevue a un jeune chercheur inconnu ?), de rsoudre cettenigme sociale que constitue le clibat des ains dans unesocit connue pour son attachement forcen au droit da-nesse. Encore tres proche de la vis ion naive, dont j'entendspourtant me dissocier, je me jette dans une sorte de des-cription totale, un peu effrne, d'un monde social que jeconnais sans le connaitre comme il en va de tous les universfamiliers. Rien n' chappe a la frnsie scientiste de celuiqui dcouvre avec une sorte d'merveillement le plaisird' objectiver tel que l 'enseigne le Guide pratique d' tudedirecte des comportements culturels, de Marcel Maget, for-midable antidote hyperempiriste a la fascination qu'cxcr-cent alors les constructions structuralistes de Claude Lvi-Strauss (et dont tmoigne assez mon article sur la maisonkabyle, que j'cris apeu pres au rnme moment). Signe le

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    plus visible de la conversion du regard qu 'implique l' adop-tion de la posture de I'observateur, I'usage intensif que jefais alors de la photographie, de la carte, du plan et de la sta-tistique: tout y passe, telle porte sculpte devant laquellej'tais pass mille fois ou les jeux de la fte du village, I'geet la marque des automobiles et la pyramide des ges, et jeIivre au lecteur le plan anonyme d'une maison familiere oj'ai jou pendant toute mon enfance. L'immense travailinfiniment ingrat que demande la construction statistiquede tres nombreux tableaux adouble ou a triple entre surdes populations relativement importantes sans le secours dela calculatrice ou de l'ordinateur participe, comme les tresnombreux entretiens associs a des observations approfon-dies que je mene alors, d'une ascese d'allure initiatique.

    Atravers I'irnmersion totale s'accomplit une rconcilia-tion avec des choses et des gens dont I'entre dans une autrevie m'avait insensiblement loign et que la posture ethno-graphique impose tout naturellement de respecter. Le retouraux origines s' accompagne d 'un retour, mais control, durefoul. De tout cela, le texte ne porte gure la trace. Siquelques notations finales, vagues et dissertatives, surl'cart entre la vision premiere et la vision savante peuventlaisser entrevoir l'intention de rflexivit qui tait au prin-cipe de toute l'entreprise (iI s'agissait pour moi de faire unTristes Tropiques al'envers ), rien, sinon peut-tre la ten-dresse con tenue de la description du bal, ne vient voquerl'atmosphere motionnelle dans laquelle s'est droule monenqute. le repense par exemple a ce qui a t al'origine deI'enqute, la photo de (ma) classe qu'un de mes condis-ciples, petit employ ala ville voisine, commente en sean-dant impitoyablement immariable apropos de pres de lamoiti des prsents ; je pense atous les entretiens, souventtres douloureux, que j'ai mens avec de vieux clibatairesde la gnration de mon pece, qui m 'accompagnait souventet qui ro 'aidait, par sa prsence et ses interventions dis-crtes, asusciter la confiance et la confidence ; je pense ace

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    vieux copain d' cole, que j'aimais beaucoup pour sa finesseel sa dlicatesse quasi fminines, el qui, retir avec sa meredaos une maison magnifiquement tenue, avait inscrit sur laporte de son table les dates OU lui taient nes des gnisseset les prnoms de jeunes filles qu' illeur avait donns. Et laretenue objectiviste de mon propos tient saos doute poorune par! au fait que j'prouve le sentiment de commettrequelque chose comme une trahison - ce qui m'a conduit arefuser jusqu'a ce jour toute rdition de textes que la publi-cation daos des revues savantes afaible diffusion protgeaitcontre les lectures malintentionnes OU voyeuristes.

    le n 'ai pas a dire grand-chose sur les articles ultrieursqui n 'y soit pas dja dit. Sans doute paree que les progresqu'ils rnarquent se situent dans l'ordre de la rflexivit com-prise cornrne objectivation scientifique du sujet de l'objec-tivation et que la conscience des changements de point devue thorique dont ils sont le produit s'y exprime demaniere assez claire. Le deuxieme, qui marque assez nette-ment la rupture avec le paradigme structuraliste, a travers lepassage de la regle a la stratgie, de la structure al'habituset du systeme a 1'agent socialis, lui-rnme habit ou hantpar la structure des rapports sociaux dont il est le produit,est paru dan s une revue d'histoire, Les Annales, commepour mieux marquer la distance al'gard du synchronismestructuraliste ; prpar par le long post-scriprum historique,crit en collaboration avec Marie-Claire Bourdieu, du pre-mier article, iI contribue fortement a une comprhensionjuste, cest-a-dire historicise, d'un monde qui se dfait. Ledemier texte, qui accede au modele le plus gnral, est aussiceIui qui perrnet de comprendre le plus directement ce quise livrait et se dissimulait a la fois dans la scene initiale : lepetit bal que j'avais observ et dcrit et qui, avec la nces-sit impitoyable du mot immariable , m'avait donn1'intuition d'avoir affaire a un fait social hautement signifi-catif, tait bien une ralisation concrete et sensible du mar-ch des bien s symboliques qui, en s'unifiant a I'chelle

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    nationale (comme aujourd'hui, avec des effets homologues,al'chelle mondiale), avait vou a une brusque et brutaledvaluation ceux qui avaient partie lie avec le march pro-tg des anciens changes matrimoniaux contrls par lesfamilles. Tout, en un sens, tait done prsent d'emble, dansla description premiere, rnais sous une forme telle que,cornme diraient les philosophes, la vrit ne s'y dvoilaitqu'en se voilant.

    On perdrait beaucoup a sauter purement et simplementl'appendice au premier articIe, que j'ai pu raliser avec lacollaboration de Claude Seibel et grce aux ressources de1'INSEE : hriss de courbes et de chiffres, i1 propose unevrification et une gnralisation purement empiriste aI' ensemble des dpartements bretons des rsultats obtenusa l'chelle d'une commune bamaise (et dja vrifis auniveau du canton, a la demande simplement routiniere etnaivernent castratrice d'un maitre sorbonagre que j'avaisd consulter). Sorte d'impasse impeccable, i1 enferme larecherche dans un constat positiviste, qui aurait pu trefacilement couronn par une mise en forme et en formulemathmatqus, L'effort d'enqute thorique el empiriqueaurait sans doute pu sarrter la, a la satisfaction gnrale :nai-je pas dcouvert, au hasard de lectures destines aprparer un voyage au Japon, que les paysans japonaisconnaissaient une forme de clibat tres semblable aceluides paysans barnais ? En ralit, seule la construction d 'unmodele gnral des changes symboliques (dont j'ai puprouver maintes fois la robustesse, sur des terrains aussidivers que la domination masculine et l'conomie de lamaison ou la magie de l'tat) permet de rendre cornpte alafois des rgularits observes dans les pratiques et del' exprience partielle et dforme qu'en font ceux qui lessubissent er qui les vivent.

    Le parcours dont les trois articles ici runis marquent destapes me parait de nature adonner une ide assezjuste dela logique spcifique de la recherche en sciences sociales.

    LukaHighlight

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    ra en effet le sentiment, qui s'enracine peut-tre dans lesparticularits d'un habitus, mais que l'exprience de tantd'annes de recherche n'a pas ces s de valider, que seulel'attention aux donnes les plus triviales, que d'autressciences sociales, qui parlent aussi de march, se sentent fon-des a ignorer, au nom d'un droit al'abstraction qui seraiteonstitutif de la dmarche scientifique, peut conduire a laconstruction de modeles empiriquement valids el suscep-tibles d'tre formaliss. Cela notamment paree que, quandil s' agit des choses humaines, les progres dans la connais-sanee de l'objet sont insparablement des progres daos laconnaissance du sujet de la connaissance qui passent, qu'00le veuil1e ou non, qu'on le sache ou non, par 1'ensemble destravaux hum bles el obscurs a travers lesquels le sujetconnaissant se dprend de son pass impens et s' impregnedes logiques immanentes al'objet connaissable. Si le socio-logue qui crit le troisieme article n' a pas grand-chose encommun avec celui qui crivait le premier, c'est peut-treavant tout paree qu'il sest construit atravers un travail derecherche qui lui a permis de se rapproprier intellectuelle-ment el affectivement la part sans doute la plus obscure etla plus archaique de lui-mme. C'est aussi que, grce a cetravail d'objectivation anamnestique, iI a pu rinvestir dansun retour sur l'objet initial de sa recherche les ressourcesirremplacables qu'il a acquises dans une recherche prenantpour objet, au moins indirectement, le sujet de la recherche,et dans tous les travaux ultrieurs que la rconciliation ini-tiale avec un pass encombrant avait facilits.

    Paris, juillet 2001

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    PREMIRE PARTIE

    Clibat et condition paysanne

  • Par que1 paradoxe le clibat des hommes peut-il appa-raitre aux clibataires eux-mmes el a leur entouragecomme le syrnptme le plus clatant de la erise d'unesocit qui, par tradition, condamnait ses cadets al'migra-tion ou au clibat? Il n'est personne en effet qui ninsistesur la qualit el la gravit exceptionnelles du phnomene,Ici, dit l'un, je vais des ains de 45 ans el aucun nestmari. le suis all daos les Hautes-Pyrnes el cest larnme chose. Des quartiers entiers ne sont pas maris. (J.-P. A., 85 ans) Et un autre : "Tu as tout un tas de types de25 a35 ans qui sont "immariables", Ils auront beau faire - elils ne font pas grand-chose, les pauvres ! -, ils ne se marie-ront pas'; (P. e., 32 ans)

    Pourtant 1'examen des statistiques suffit aconvaincre quela situation prsente, si grave soit-elle, n' est pas sans pr-cdent : entre 1870 et 1959, c'est-a-dire pour 90 annes, oncompte a l'tat civil 1022 mariages, soit une moyenne de10,75 mariages par ano Entre 1870 et 1914, en 45 ans, il y aeu 592 mariages, soit une moyenne de 13,15 mariagesannue1s. Entre 1915 et 1939, en 25 ans, on dnombre307 mariages, soit 12,80 en moyenne. Enfin, entre 1940

    1. Cette tude est le rsultat de recherches menes en 1959 et 1960dans le village que nous appellerons Lesquire et qui est situ en Bam.au cceur du pays de coteaux. entre les deux Gaves.

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    volution du nombre de mariages el du taux de nuptialit

    1Anne Poputasion Nombre Taux de nuptialitde recensement gtobale de marages (2MIP x I 000)

    1881 2468 11 8,92 %1891 2073 11 lO,60%1896 2039 15 14,60%1901 1978 11 11,66 %1906 1952 18 18,44 %1911 1894 16 16.88 %1921 1667 15 17,98 %1931 1633 7 8,56%1936 1621 7 8,62%1946 1580 15 18.98 %1954 1351 10 14,80%

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    et 1959, en 20 annes, 173 mariages oot t enregistrs, soit8,54 en moyenne. Cependant, du fait que la population glo-bale diminue paralllement, la dcroissance du taux de nup-tialit reste relativement faible, comme le montre le tableauci-dessus 2.

    Ala lecture de ces chiffres, 00 serait tent de conclure quetous les informateurs succombent alillusion ou al'incon-squence. Le mrne qui dclarait, ici, je vais des ains etaucun n'est mari , najoute-t-il pas: Il y avait autrefoisde vieux eadets et il y en a maintenant. .. 11 Yen avait beau-eoup qui n'taient pas maris. Comment expliquer, dansees conditions, que le elibat des hommes soit veu eommeexceptionnellement dramatique et totalement insolite?

    2. Le taux de nuptialit (entendu comme le nombre de nouveauxmaris en une anne pour 1 000 habitants) avoisine chaque anne15%0 en france. Certaines corrections doivent tre apportes aux tauxprsents ici. C'est ainsi qu 'en 1946 et 1954, le nombre de mariagesa t anonnalement lev. Pour 1960, le taux de nuptialit fut de 2,94seulement.

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    Le systme des changesmatrimoniaux

    dans la socit d' autrefois

    A ceux qui prferent rester au foyer pater-nel, [ce rgime successoral] donne la qui-tude du clibat avec les joies de la famille.

    FRDRIC LE PLAY, L' Organisation

    de la famille, p. 36.

    Avant 1914, le mariage tait rgi par des regles tresstrictes. Paree qu 'il engageait tout l' avenir de l' exploitationfamiliale, paree qu'il tait l' oeeasion d 'une transaction eo-nomique de la plus haute importanee, paree qu 'il contri-buait a raffirmer la hirarehie sociale et la position de lafarnille dans cette hirarchie, il tait l' affaire de tout legroupe plus que de l'individu. C'est la farnille qui mariait etI' on se mariait avee une famille.

    L'enqute pralable alaquelIe on se livre au moment dumariage porte sur la famille tout entiere, Paree qu'ils ont lemme nom, les eousins loigns habitant dans des villagesdes environs n'y ehappent pas: Ba, est tres grand, maisdans sa famiIle, du ct d'Au. [vilIage voisin], e'est trespetit, La eonnaissance approfondie des autres qu'exige lecaractere permanent de la eoexistenee repose sur l' observa-tion des faits et gestes d'autrui - on plaisante sur eesfemmes du bourg qui passent leurs joumes, caehes der-

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    s.

    riere leurs volcts entrebills. aobserver la rue -, sur laconfrontation constante des jugements concernant les autres- e' es! la une des fonctions des ragots -, sur la mmoiredes biographies et des gnalogies. Au moment d' oprer unchoix aussi grave que celui d'une pouse pour le fils oud'un poux pour la fille, iI est normal que 1'on mobiliseI'ensemble de ces instruments el techniques de connais-sanee qu sont utiliss de far;on moins systmatique daos lecaUIS de la vie quotidienne', C'est dans ce contexte qu'ilfaut comprendre la coutume, en vigueur jusqu'en 1955, debriller les pantalons du jeune hornme qui, ayant fr-quent une jeune fille, se marie avec une autre.

    Le mariage a pour fonction prerniere d'assurer la conti-nuit du lignage sans compromettre I'intgrit du patri-moine. En effet, la famille est d'abord un norn. indice de lasituation de l' individu dans la hirarchie sociale et, 3 cetitre, foyer de son rayonnement ou rappel de sa basse condi-tion : On peut dire que chaque personne a, 3 la campagne,une aurole qui vient de sa famille, de ses titres de proprit,de son ducation. De la grandeur et du rayonnement de cetteaurole, dpend tout son avenir. Mme des crtins de bonnefamille, de familles cotes, se marient facilement. CA. B.)Mais le lignage est surtout un ensemble de droits sur lepatrimoine. Panni toutes les menaces qui pesent sur celui-ciet que la coutume tend 3 carter, la plus grave est sans nuldoute celle que fait surgir le mariage. Aussi comprend-onque l'accord entre les deux familles prenne la forme d'unetransaction soumise aux regles les plus rigoureuses.

    A l'ilge de 26 ans [1901], j'ai frquent une jeune filienomme M.-F. Lou., roa voisine, ge de 21 ans. Mon pere

    3. Cf. Maree! Maget, Remarques sur le village comme eadre derecherehes anthropologiques , Bulletin de psychologie du groupedes tudiants de psychologie de l'universit de Paris VIl!, n 7-8,avri11955, p. 375-382.

    tait dcd,j'en ai fait part ama mere. Il fallait demander1'autonsarion patemelle et matemelle et jUSqU'3 21 ans, il fal-lait ourrur un "acre de respect" qui tait prsent au maire.De rume pour la filie. En cas d' opposition, il fallait trois"actes". Comme j'tais le cadet, mon frere ain tait maria la rnaison. Ma fiance tait hritiere, Nonnalement, jedevais m' installer dans cette proprit. J' avais 4 000 francsde dot en especes, Bien entendu, il tait d 'usage que l' on medonnait du linge qui ne figurait pas eomme dot. Ca faisaitouvrir une porte (que hes urbi ue porte)! Ma fiance avaitune sc-or. Dans ce eas, I'aine obtient le tiers de tous lesbiens avec l'accord des parents. Selon l'usage, ma dot de4000 j ralles devait tre reconnue par contrat de mariage. Ensupposant que la proprit soit mise en vente deux ans apresle mariage pour une somme totale de 16000 francs, la rpar-tition aurait t celle-ci, une fois faite la restitution de ladot (tourne-dot) : aine, 1/3 + 1/3 = 8 000 franes; cadette,1/4 =4 000 francs. Le contrat de mariage prvoit que le par-tage dfinitif ne se fera qu"au moment du dces des parents.L 'arrangement est conclu entre le futur beau-pre et moi. Ilaccordera le tiers 3 sa filIe aine par contrat de mariage. Huitjours apres, au moment de passer le contrat devant lenotaire, il se ddit. Il consent au mariage mais refuse d'ae-corder le tiers tout en "reconnaissanr" la dot. Dans ce cas, lemari a les pouvoirs limits. Moyennant le remboursementde la dot, on peut 1'amener 3 partir. C'tait un cas plutt rare,les avantages sont donns une fois pour toutes par contrat demariage. Le pere de ma fiance a subi la mauvaise infiueneed 'une tierce personne familiere de la maison; elle pensaitque ma prsence dan s la maison diminuerait l'influencedans la famille de son "ami". " La terre est basse, lui va cou-rir, il se prornenera par les chemins et vous, vous serez sondomestique." Le refus au demier moment de nous accorderle tiers par contrat nous a piqus au vif ma fiance et moi.Elle dit : "Nous allons attendre ... Nous alIons nous chercherune maison (ue case). Nous n'allans pas nous faire fermiers

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    ni domestiques ... 1'ai deux oncles aParis, les freres de roamere, ils me trouveront un emploi [en barnais]". Moi je luidis: "Nous sommes d'accord. Nous ne pouvons pas accep-ter ce refus. D'ailleurs nous en souffririons tout le temps."Elle: "Moi je pars aParis. On s'crira." Elle a t trouver lemaire et le cur et elle est partie. J'ai continu mOTI appren-tissage de hongreur aB. [village voisin].

    le cherchais ame casero Cadet de la maison, n'ayant pume marier, il me fallait trouver un emploi, un petit com-merce. 1'ai t dans les Landes et les dpartements voisins.J'ai trouv la maison de la veuve Ha. que je voulais ache-ter. lis taient prs de faire les papiers (passa paps) avecquelqu'un d'autre. J'ai tabli un petit commerce, un caf, elj'ai continu mon mtier de hongreur el aussitt je me suismari avec roa fiance qui es! rentre de Paris. MOTIbeau-pere venait chaque dimanehe a la maison. Les"pieces" que sa filIe refusait, il les donnait aux enfants. Ason dces ma femme a eu sa part d 'hritage sans avantagelgal. Elle n' avait eu ni le trousseau ni la dot. Elle avaitquitt la maison et s' tait libre de l' autorit patemelle. Sasoeur plus docile et plus jeune de cinq ans avait obtenu letiers, en pousant un domestique de la contre. "Celui-Iaest habitu atre command", a dit mon beau-pere, Et il setrompait paree qu'il a t oblig de louer la proprit asongendre, en abandonnant la ferme. (J.-P. A.)

    Ce seul cas pose les principaux problernes. En premierlieu, le droit d 'ainesse intgral, pouvant favoriser aussi bienla fille que le garcon, ne peut se comprendre qu'en rfrenceal'impratif fondarnental, asavoir la sauvegarde du patri-moine, indissociable de la continuit de la ligne : le systemebilatral de succession et d'hritage conduit aconfondre lelignage et la maison comme ensemble des personnespourvues de droits permanents sur le patrimoine, bien quela responsabilit et la direction du domaine incombent auneseule personne achaque gnration, lou meste, le maitre ou

    la daune, la maitresse de maison. Que le droit d'ainesse etle statut d'hritiere (heretre) puissent choir aune fille celane signifie aucunement que la coutume successorala estdomin~ p.ar le prncipe de l'galit entre les sexes, ce quicontredirait les valeurs fondamentales d'une socit quiaccorde le primat aux membres majes. Dans la ralitI'~ritiern'est pas le premier-n, garcon ou filIe, mais le pre~rruer garcon, mme s 'iI vient au septieme rango C'est seu le-ment lorsqu'il n'y a que des filles, au grand dsespoir desparents, ou bien lorsque le garcon est parti, que I'on nstitueune filIe comme hritiere. Si l' on prfere que 1'hritier soitun garcon e'est paree que la continuation du nom se trouveainsi assure et qu'un homme est mieux fait pour diriaerl' exploitation agricole. La continuit du lignage, valeur desvaleurs, peut tre assure indiffremment par un homme oupar une fernme, le mariage entre un cadet et une hritiereremplissant cette fonction aussi bien que le mariaze entre un

    , , eame et une cadette. Dans les deux cas en effet, les regles quiprsident aux changes matrirnoniaux accomplissent leurfonction premiere, asavoir de garantir que le patrimoine soitmaintenu et transmis dans son intgrit. On en trouvera unepreuve supplmentaire dan s le fait que lorsque Fhritier ou1'hritiere quittent la maison et la terre, ils perdenr leur droitd' ainesse paree que celui-ci est insparabIe de son exercice,c'est--dire de la direction effective du domaine. 11 apparattdone que ce droit est attach non point aune personne par-ticulire, hornrne ou femme, premier ou second n, mais aune fonction socialement dfinie; le droit d'ainesse estmoins un droit de proprit que le droit, ou mieux, le devoird'agir en propritaire.

    11 fallait aussi que I'ain ft capable non seulementd'exercer son droit mais d'en assurer la transmisson.S'agirait-il d'une fabIe, iI est significatif que I'on puisseraconter aujourd'hui que parfois, dans le cas o lannavait pas d'enfant ou venait amourir sans descendance00 demandair aun vieux cadet, demeur elibataire, de se

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    marier afio d'assurer la continuit de la ligne (J.-P. A.).Saos qu'il s'agisse d'une vritable institution sanctionnepar la coutume, le mariage du cadet avec la veuve de l'aindont il hrite, tait relativement frquent. Apres la guerre de1914-1918, les mariages de ce type ont t assez nom-breux : 00 arrangeait les choses. En gnral, les parentspoussaient en ce sens, daos 1'intrt de la famille, acausedes enfants. Et les jeunes acceptaient. On ne faisait pas desentiments. (A. B.)

    La regle voulait que le titre d'hritier revlnt automatique-ment al'ain des enfants; cependant, le chef de famille pou-vait sacrifier la coutume a1'intrt de la maison : tel tait lecas lorsque l'ain n'tait pas digne de son rang ou qu'il yavait un avantage rel ace que 1'un des autres enfants hri-tt. Bien que le droit ne lui appartint pas de modifier l' ordrede succession, le chef de famille dtenait une autoritmorale si grande et si fortement approuve par tout legroupe, que I'hritier selon la coutume ne pouvait que sesoumettre a une dcision dicte par le souci d'assurer lacontinuit de la maison et de lui donner la meilleure direc-tion possible.

    A la fois lignage et patrimoine, la maison (la maysou),aemeure, tandis que passent les gnrations qui la person-nifient ; elle porte un nom alors que ceux qui 1'incarnent nese distinguent souvent que par un prnom : il n'est pas rareque 1'0n appelle Yan dou Tinou , cest-a-dire lean dechez Tinou, de la maison Tinou, un homme dont le nomd'tat civil est, par exemple, lean Cazenave; il arrive mmeque le nom demeure attach ala maison, lors mrne qu'ellea cess d'etre habite et qu'il soit donn aux nouveauxoccupants. En tant qu'il est l'incarnation de la maison, lecapmaysou, le chef de maison, est le dpositaire du norn,du renom et des intrts du groupe. Ainsi, tout concourait afavoriser I'ain (1'aynat, ou l' hrt ou lou capmaysoue).Cependant, les cadets avaient aussi des droits sur le patri-moine. Virtuels, ces droits ne devenaient rels, la plupart du

    temps, qu'a l'occasion du mariage qui faisait toujoursl'objet d'un contrat: Les riches passaient toujours uncontrat, les pauvres aussi, apartir de 500 francs, histoire de"placer" la dot (coulouca tadot}: (J.-P. A.) Par suite,l' adot dsignait ala fois la part de 1'hritage revenant acha-cun des enfants, garcon ou fille, et la donation faite aumoment du mariage, le plus souvent en especes, afin d'vi-ter l'miettement du patrimoine, et exeeptionnellement enterres. Dans ce cas, la terre ri'tait qu'un mort-gage que lechef de famille pouvait dgager moyennant une sornrnefixe a l'avance. Lorsque la famille ne comptait que deuxenfants, comme dans le cas analys iei. la eoutume localevoulait que I'on accordt par contrat de rnariage un tiers dela valeur de la proprit au cadet. Lorsqu 'il y avait 11 enfants(n > 2), la part du cadet tait de (P - P/4)/n, la part de l'aintant alors de P/4 + (P - P/4)/n, P dsignant la valeur attri-bue 11 la proprit. La dot tait ealcule ainsi : on faisait uneestimation aussi prcise que possible de la proprit, parfoisavee le concours d'experts loeaux, chaque partie ayant lesien. On prenait pour base de l'valuation, le prix de vented'une proprit du quartier ou d'un village voisn. Puis onestimait atant la journe (journade) de champs, de boisou de fougeraies. Ces ealculs taient assez exacts et, de cefait, accepts par tous. Par exemple, pour la proprit TI.,l' estimation fut de 30 000 francs [vers 1900 l. Il Y avait lepere, la mere et six enfants, un garcon et cinq filies. Alain, on accorde le quart, soit 7500 franes. Restent22500 francs 11 diviser en six parts. La part des cadettes estde 3 750 franes qui peut se convertir en 3 000 franes vers sen espces et 750 francs de linge et de trousseau, draps delit, torchons, serviettes, ehemises, dredons, /ou cabinet(l'armoire) toujours apport par la marie." (J.-P. A.) Bref,le montant de la dot tait une fonction dtermine de lavaleur du patrimoine et du nombre d'enfants. Cependant,outre gu'elles paraissaient varier dans le temps et selon lesvillages, les regles coutumieres ne sappliquaient jamais

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    avec une rigueur mathmatique, d'abord paree que le chefde famille conservait toujours la possibilit d'accroitre Gilde rduire la part de 1'un ou de 1'autre, ensuite paree que lapart des clibataires demeurait virtuelle el restait attache aupatrimoine. L'observation de la ralit met en garde contrela tentation de construire des modeles trop simples.

    Le partagc se ralisait le plus souvenr al'amiable, aumornent du mariage de l'un des enfants. C'est acette occa-sien que l 'ain tait institu daos sa fonction de cap-maysou, de chef de maison et de successeur du pere.Parfois 1'institution de 1'hritier se faisait par testamentoNombre de chefs de famille firent ainsi. au moment de leurdpart ida guerre, en 1914. Apres estimation de la proprit,le chef de famille versait a celui d'enlre les cadets qui semariait une sornme d'argent quivalente a sa part de patri-moine, dfinissant du rnme coup la part des autres, partquils recevaient soit au moment de leur mariage, soit a lamort des parents. Rien ne serait plus faux que de se laisserprendre au mot de partage. En fait, tout le systeme a pourfonction de rserver la totalit du patrimoine al'ain, les parts ou les dots des cadets n'tant autre chose qu'unecompensation qui leur est accorde en change de leurrenoncement aux droits sur la terre".

    On en trouvera la preuve dans le fait que le partage effec-tif tait considr comme une calamit. La coutume suc-cessorale reposait en effet sur le prirnat de l' intrt dugroupe auquel les cadets devaient sacrifier leurs intrtspersonnels, soit en se contentant d'une dot, soit en y renon-cant tout a fait lorsqu'ils migraient a la recherche d'unemploi, soit en passant leur vie, clibataires, a travailler surla terre des anctres a cot de l'ain. Aussi, ce n'est qu'enderniere extrmit que l'on effectue rellement le partage,

    4. Que la dot ait eu autrefois le caractere d'un don gracieux, celaapparait dans le fait que le pere tait libre d'en fixer le montant selonses prfrences, aucune regle stricte ne fixant les proportions.

    ou bien lorsque, en raison de la msentente a l'intrieur dela famille, en raison aussi de l 'introduction de nouvel1esvaleurs, on vient a tenir ce qui n'est qu'une compensationpour un droit vritable sur une part de 1'hritage. C'est ainsique vers 1830, la proprit et la maison Bo. (grande maisona deux tages, a dus soulss furent partages entre les hri-tiers qui n 'avaient pu s'accorder a J'amiable : depuis lors,elle est toute croise de fosss, de haies (toute croutzadede barats y de plechs) 5. Tout le systeme tant domin par lararet de 1'argent liquide, en dpit de la possibilit fourniepar la coutume d'chelonner les paiements sur plusieursannes et parfois jusqu' la mort des parents, il arrivait quele versement de la compensation ft impossible et que 1'onft contraint au partage lors du mariage des cadets ou descadettes dont la dot tait paye sous forme de terres.Nombre de proprits ont t ainsi ananties. A la suitedes partages, deux ou trois mnages vivaient parfois dans larnme maison, chacun ayant son coin et sa part des terres.La piece avec chemine revenait toujours, en ce cas, aI'ain. C'est le cas des proprits Hi., Qu., Di. Chez An., ilya des pieces de terre qui ne sontjamais rentres. Certainesont pu tre rachetes ensuite, mais pas toutes. Le partagecrait des difficults terribles. Dans le cas de la propritQu., partage entre trois enfants, l'un des cadets devait fairele tour du quartier pour conduire ses chevaux dans unchamp loign qui lui avait t attribu. (P. L.) Parfois,afin d'en rester maitres, certains ans mettaient la propriten vente. Mais il arrivait aussi qu 'ils ne pussent racheter lamaison''. (J.-P. A.)

    5. Il existait des spcialistes appels barades (de barato foss) quivenaient des Landes et creusaient les fosss divisant les proprits.

    6. En application du principe selon lequelles propres appartiennentmoins a I'individu qu'au Iignage, le retrait lignager donnait a toutmembre du lignage la possibilit de rentrer en possession de biens quiavaient pu tre alins. La maison mere (la maysou mayrane)conservait des droits de retour (Ious drets de retour) sur les terres

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    Ainsi, la logique des mariages est domine par une finessentielle, la sauvegarde du patrimoine ; elle s' opere dansune situation conomique particuliere, don! le trait principalest la raret de I'argent ; elle est soumise adeux principesfondamentaux, asavoir l' opposition entre l' ato et le cadetet d'autre part l'opposition entre mariage de bas en haut etmariage de haut en bas, point d'entrecroisement de lalogique du systeme conomique d'une part, qui tend aclas-ser les maisons en grandes et en petites, selon la taille desproprits, et d'autre part, de la logique des rapports entreles sexes, selon laquelle le prima! el la suprmatie appar-tiennent aux hornmes, particuliercmcnt daos la gestion desaffaires familiales. 11 suit de la que chaque mariage est fonc-tion d'une part du rang de naissanee de ehaeun des poux etde la taille de la famille et d'autre part de la position relativedes deux familles dan s la hirarehie sociale, elle-mrnefonetion de la valeur de la proprit.

    Du fait de l'quivalence entre la part de patrimoine hri-te et la dot (/' adot ; ef. adouta, doter), le montant de cettederniere se trouve dfini de facon quasi mathmatique7 et dumme coup, les prtentions du bnfieiaire; de mme, lesprtentions de la famille du futur conjoint au sujet de la dotqu'elle entend rccevoir sont strietement mesures a l'im-portance de la proprit. JIs' ensuit que les mariages tendenta se faire entre familles quivalentes au point de vue co-nomique. Sans doute, la grande proprit ne suffit pas afaire la grande famille. On n' accorde jamais leurs lettres denoblesse a des maisons qui ne doivent leur lvation ou leurrichesse qua leur apret, leur acharnement au travail ouleur manque de scrupules, et qui ne savent pas manifester les

    donnes en dot ou vendues. C'est-a-dire que quand on vendait cesterres, on savait que telles maisons avaient des droits et on allait lesleur proposer (J.-P. A.). . '

    . 7. S 'il en est ainsi aux alentours de 1900dans le village de Lesquire,le systeme ne prsentait pasodans un pass plus lointain. une telle rigi-

    ~t' la libert du chef de famille demeurant plus grande.

    vertus que 1'0n est en droit dattendrc des grands, particu-lierement la dignit du maintien et le sen s de 1'honneur, lagnrosit et 1'hospitalit. Inversement, la qualit de grandefamille peut survivre a l'appauvrissement. Si le jugementque I'on porte sur une famille dans l'existenee quotidiennene saisit la richesse que comme un aspect panni d'autres,reste que, lorsqu"il sagit de mariage, la eonsidration de lasituation eonomique simpose primordialement. La tran-saction eonomique dont le mariage est I'occasion est de tropgrande importance pour que la logique du systeme devaleurs ne le cede pas a la stricte logique de l' eonomie. Parla mdiation de la dot, la logique des changes matrimoniauxdpend troitement des bases conomiques de la socit.

    En effet, les impratifs conomiques s'imposent a I'ainavee une rigueur toute particuliere du fait qu 'il doit obtenir,al'oeeasion de son mariage, une dot suffisante pour pouvoirpayer la dot des cadets et des cadettes sans erre oblig derecourir au partage et sans amputer la proprit. Cetteneessit simpose galement a toutes les maisons ,riehes ou pauvres, du fait que la dot des cadets croit pro-portionnellement a la valeur du patrimoine, du fait aussique la richesse est avant tout fonciere et que l' argent liquideest rare. Le choix de 1'poux ou de l'pouse, de 1'hritier oude I'hritiere a une importanee capitale puisqu'il contribuea dtenniner le montant de la dot que pourront reeevoir leseadets, le mariage qu'ils pourront faire et sils pourront semarier ; en retour, le nombre de cadettes et surtout de cadetsa marier pese fortement sur ce ehoix. Ainsi, achaque gn-ration, surgit devant l'hritier la menace du partage qu 'il doiteonjurer a tout prix, soit en pousant une cadette bien dote,soit en hypothquant la terre pour se procurer de l'argent, soiten obtenant des dlais. On eomprend que, dans une tellelogique, la naissanee d'une filie ne soit pas aeeueillie avecenthousiasme : Quand une filIe nait dans une maison, ditle proverbe, il tombe une poutre maitresse (Cuan bat uehilhe hens ue maysou, que cat u pluterau). Outre que la fille

  • Clibat el condition paysanne Le systme des changes matrimoniaux 31

    constitue une menace de dshonneur, il faut la doler; de plus." elle TI' est pas un soutien , elle ne travaille pas au-dehorscomme un homme el s'en va une fois marie. Clibataire,die constitue une charge tandis que le garcon apporte uneaide tres prcieuse, vitant de recourir ades domestiques.Ainsi se soucie-t-on avant tout de la maner.

    Les analyses antrieures permettent de mesurer cambienla marge de libert est restreinte.

    T'ai Vil renoncer aun mariage pour 100 franes. Le filsvoulait se marier. "Comment vas-tu payer les cadets? Si tuveux te marier, va-t-en." Chez Tr., il y avait cinq cadettes,les parents faisaient un rgime de faveur pour l' ain. 00 luidonnait Ie ban morceau de "sal" el tout le reste. L'ain estsouvent gt par la mere jusqua ce qu'il parle de mariage ...Pour les cadettes, pas de viande, rien. Quand vint le momentde marier 1'ain, trois cadettes taient (leja maries. Le gar-con aimait une fille de La. qui ri'avait pas un sou. Le pere luidit : "Tu veux te marier? J'ai pay [pour] les cadettes, ilfaut que tu rarnenes des sous pour payer [pour] les deuxautres. La femme n' est pas faite pour tre mise au vaisse-lier" re' est--dire pour tre expose]. Elle n' a rien ; que va-t -elle apporter?" Le garcon se maria avee une fille E. etrecut une dot de 5 000 franes. Le mariage ne marcha pasbien. L"ain se mit aboire et devint derpit. 11 mourut sansenfants. Ala suite de disputes, il fallut rendre la dot entiereala veuve qui s'en retouma chez elle. Peu apres le mariagede l' ain, vers 1910, une des cadettes avait t marie aLa.,avec une dot de 2 000 francs galement. Au moment de laguerre, ils firent revenir la cadette qui tait marie chez S.[proprit voisine] pour prendre la place de l' ain. Lesautres cadettes, qui vivaient plus loin, a Sa., La., et Es.,

    8. LOIf bachr est le meuble qui se trouvait plac gnralementface ala porte d'entre. dans la piece d'apparat (Iou sa/ou) ou, plussouvent. dans la cuisine et o tait expose la plus bel1e vaisselle.

    furent tres mcontentes de ce choix. Mais le pere avaitchoisi une fille marie aun voisin pour accroitre son patri-moine", (J.-P. A., 85 ans)

    L'autorit des parents, gardiens du patrimoine qu'il fautsauvegarder et augmenter, s' exerce de acon absolue chaquefois qu'il sagit d'imposer le sacrifice du sentiment al'int-rt. Et il n' est pas rare que les parents fassent ehouer lesprojets de mariage. lis pouvaient exhrder (deshereta)I'ain qui aurait voulu se marier contre leur volont. Eugne Ba. devait se marier avec une fille, jolie maispauvre. La mere lui dit : "Si tu te maries avec celle-l, il y adeux portes; elle entrera par celle-ci, je sortirai par celle-I,ou bien toi." La fille vint a le savoir; elle ne voulut pasattendre qu'illa Iaisst et partit pour I'Amrique. Eugenevint chez nous, il pleurait. Ma femme lui dit : "Si tu coutesmaman ... - le me marierai malgr tour". Mais la filIe taitpartie sans lui dire 10. (J.-P. A.) La mere jouait un rlecapital dans le choix de l'pouse. Et cela se comprend tantdonn qu'elle es! la daune, la matresse de I'intrieur et quela femme de son fils devra se plier ason autorit. 00 avaitcoutume de dire d'une femme autoritare : Elle ne veutpas abandonner la louche (nou boou pas decha la gahe),symbole de l 'autorit sur le mnage l.

    9. La proprit Tr. est la plus grande de Lesquire (76 ha). Plusieursmaisons autrefois habites (Ho., Ha., Ca., Si., Si-c),ont t progressi-vement rassembles entre les mains des Tr.

    10. Le me me informateur rapporte une foule de cas semblablesparmi lesquels on retiendra encore celui-ci ; B. avait une bonne amiedans son quartier. 11 ne parlait pas beaucoup. Sa mere lui dit : "Tu temaries avec celle-l ? Qu'esr-ce qu 'elle apporte? Si elle entre par cetteporte je sortirai par celle-I. avec ma filie [la sceur cadettel." 11 vint medire: "Perdiou (Pardieu}! Toi tu t'es mari ; je veux me marier. OUfaut-il que j'aille ?" La filie partir pour I'Amrique. Elle est revenueavec de "belles tenues" et se fout pas mal de B., tiens ... ,

    11. Le maniement de la louche est I'apanage de la maitresse de mai-son. Au moment de passer atable, pendant que le pot bout, la mal-tresse de maison met les soupes de pain dans la soupiere. Elle y

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    Que le mariage ft l'affaire des familles plus que des indi-vidus, cela se voit encare daos le fait que la do! tait versenormalement au pere OU ala mere du conjoint el, par excep-tion seulernent, cest-a-dire au cas ou il navait plus sesparents, al'hritier lui-rnme. Ccrtains contrats de mariageprvoient qu'en cas de sparation le beau-pere peut secontenter de payer les intrts de la dot ; la maison demeureel le gendre peut esprer y rentrer apres rconciliation.Toute dot tait greve d'un droit de retour (tournedot) dansle cas ou s'teindrait la descendance du rnariage en vueduquel elle avait t constitue, el ceci pendant plusieursgnrations. En regle gnrale, si l' ain meurt saos enfants,sa femme peut rester et garder la proprit de la dot; ellepeut aussi rclamer la do! et repartir. Si la fernme meurtsans enfants, il faut aussi rendre la dot. Le tournedot faisaitpeser une lourde menace sur les familles, particulierementcelles qui avaient recu une dot tres leve. C'tait la uneraison supplmentaire d'viter les mariages trop ingaux: Supposons un homme qui se marie avec une fille degrande famille. Elle lui apporte une dot de 20 000 franes.Ses parents lui disent : "Tu prends 20 000 franes, tu croisfaire une bonne affaire. En fait, tu te mets dehors. Tu asrecu cette dot par contrat. Tu vas en dpenser une partie. Ilva t'arriver un accident. Comment vas-tu rendre si tu dois lefaire? Tu ne pourras pas." C'est que le mariage cote cher,il faut assurer les dpenses de la fte, faire arranger la rnai-son. etc. (P. L.) Tout un luxe de protections coutumierestend aassurer l'inalinabilit, l'imprescriptibilit et l'insai-sissubilit de la dot : la coutume autorisait le pere aexigerune caution pour la sauvegarde de la doto la plupart des

    verse le potage ct les lgumcs: quand tout le monde est assis. elleapporte la soupiere sur la tablc, elle donne un tour avec la louche P?urbien tremper la soupe, puis tourne la louche vers le chef de famille(ateul, pere ou oncle) qui se sert le premier. Pendant ce temps. labelle-fille est occupe ailleurs. Pour rappeler la belle-fille ason rang,la mere lui dit : le ne donne pas encore la louche.

    contrats prvoyaient la collocation de la somme totaledans des conditions telles qu'elle ft en scurit et conser-vt sa valeur. En tout eas, la nouvelle famille ne touehait pasa la dot de crainte que l'un ou l' autre des poux ne vint amourir avant que des enfants ne fussent ns. La femme res-tait propritaire de sa dot, le mari n'en ayant que la jouis-sanee. En fait, le droit de jouissanee sur les biens meubles,I'argent par exemple, revenait aun droit de proprit, lemari tant tenu seulement de rendre l' quivalent en quantitet en valeur. C' est ainsi qu' un aln pouvait en user pourdoter ses cadets. 'Pour les biens immobiIiers, la terre sur-tout, le mari ri'en avait que lajouissance et la gestiono Lafemme avait sur les biens dotaux apports par son mari desdroits dentiques a ceux d'un homme sur la dot de safemme. Plus exactement, ee sont ses parents qui, tant qu'ilstaient vivants, jouissaient des revenus des biens apportspar leur gendre et en exercaient I'administration.

    Ainsi, la dot avait une triple fonction, Confie ala famillede I'hritier ou de l 'hritiere qui en assurerait la gestion, elledevait s'intgrer au patrimoine de la famille issue dumariage ; en cas de dissolution de l'union, ala suite de la spa-ration des conjoints, chose rare, ou de la mort de 1'un d'eux,selon qu'il y avait des enfants ou non, elle passait entre lesmains de ceux-ci, le conjoint survivant en conservant I'usu-fruit, ou bien elle revenait dans la famille de eelui qui l'avaitapporte, En seeond lieu, par la dot qu 'elle versait, la famillegarantissait les droits de l'un des siens au sein de la nouvellemaison; plus la dot est leve en effet, plus la position duconjoint adventice s'en trouve renforce. Celui ou celle quiapporte une grosse dot entre [en] "maitre" ou [en] "mal-tresse" (daune) dans la nouvelle mason", Par la s'expliquela rpugnance aaccepter une dot trop leve. Enfin, s 'H est

    12. Le montant de la dot revt une importance particuliere lorsqu 'ils'agit d'un homme, d'un cadet qui entre dans la maison d'une hritierepar exemple.

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    vrai, comme 00 I'a dit plus haut, que le mariage est chose tropsrieuse pour que la considration de l' conomie puisse treabsente ou seulement relgue au second plan, il faut aussique des intrts conomiques importants soient engagspour que le mariage soit chose vrairnent scrieuse. Aumoment o I'on cre une nouvelle maison , la transactionconomique scelle par contrat joue ala fois le role de gageel de symbole du caractere sacr des relations humaines quise trouvent instaures par le mariage.

    De tout ce qui prcede, il rsulte que l'ato ne pouvait semarier ni trap haut , de crainte d'avoir arestituer un jourla do! el de perdre toute autorit sur la maison, ni tropbas de peur de se dshonorer par la msalliance et de semettre dans 1"impossibilit de doter les eadets et lescadettes. Mais si, lorsque l'on parle de mariage de bas enhaut (maridadje de bach ta haut) ou de mariage de hauten bas (de haut ta bach), on prend toujours le point devue de l'hornme (cornrne le montre le choix des exemples),cest que eette opposition n'a pas le mrne sens selon qu'ils'agit d'un homme ou d'une femme. Du fait que le systernede valeurs confere la prminence la plus absolue auxmembres males, tant dans la vie sociale que dans la gestiondes affaires domestiques, il sensuit que le mariage d'unhomme avec une femme de condition plus leve est for-tement dsapprouv, alors que le mariage inverse esteonfonne aux valeurs profondes de la socit. Tandis que laseule logique de l' eonomie tend, par la mdiation de ladot, a favoriser le mariage entre familles de richesse sensi-blement quivalente, les mariages approuvs se situantentre deux seuils, l'application du principe qui vient d'tredfini introduit une dissymtrie dans le systeme, selon qu'ils'agit d'hommes ou de femmes. Pour un garcon, la distancequi spare sa condition de celle de son pouse peut tre rela-tivement grande lorsqu'elle est en sa faveur, mais doit res-ter tres faible lorsqu'elle est en sa dfaveur. Pour une fille,le sehrna est syrntrique et inverse.

    Il s'ensuit que I'britier doit viter avant tout de prendreune femme d'une condition suprieure a la sienne; d'abord,comme on I'a dit, paree que l'importance de la dot rccueeonstitue une menaee pour la proprit, rnais aussi pareeque tout l'quilibre des relations domestiques s'en trouvemenac. Il n 'est pas rare que la farnille et, tout particulie-rement, la mere, premiere intresse, s"oppose a un telmariage. Les raisons sont videntes : une femme de basseextraetion se soumet mieux al' autorit de la bello-mere. Onne manque pas, si besoin est, de lui rappeler son origine:Avec ce que tu as port ... (Dap ~'o qui as pourtat.. .).C'est seulement quand sa bellc-rnere rnourra que I'onpourra dire d'elle, comme on fait, maintenant lajeune estdaune . La fille de grande famille au contraire est daunedes son entre dans la maison grce asa dot (qu' ey entradedaune), elle est respecte (P. L.). Du mrne coup, I'auto-rit de son mari se trouve menace et 1'0n sait qu'il n'estrien de pire, aux yeux d'un paysan, qu'une exploitation diri-ge par une femme.

    Le respeet de ce principe revt une importance dcisivelorsqu'il sagit du mariage entre un eadet et une hritiere,Dans le cas d'Eugene Ba., prcdemment analys (p. 30,lamere devait son autorit absolue au fait qu'elle tait l'hri-riere de la maison et que son mari tait d'une origine inf-rieure. "Elle tait la daune. Elle tait I'hritiere. Elle taittout dans cette maison. Lorsqu'un petit cadet vient sinstal-ler chez une grande hritiere, c'est elle qui reste lapatronne. (J.-P. A.) Le eas limite, c'est celui de I'hommede basse extraetion, le domestique par exemple, qui pouseune hritiere, Ainsi, une filie de grande famille pousa unde ses domestiques. Elle jouail du piano, elle tenait l'har-monium al'glise. Sa mere avait beaueoup de relations etreeevait des gens de la ville. Apres diffrentes tentatives demariage, elle se rabat sur son domestique, Pa. Cet hommeest toujours rest de ehez Pa. 00 lui disait : "Tu aurais dprendre une bonne petite paysanne; elle aurait t d'une

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    autre aide pour toi." JIvivait daos le malaisc ; il tait consi-dr cornme la cinquieme roue de la charreue. Il ne pouvaitfrquenter les anciennes relations de sa emme. Il n'taitpas du mme monde. C'est lui qui travailla.t. ctait elle quidirigeait et qui se payait du bon temps. 11 latl toujours gnet aussi gnant pour la famille. Il n'avait 111 -uie pas assezd'autorit pour imposer la fidlit asa fernrnc 13, (J.-P. A.)De eelui qui se marie avec une femme d'un rang plus lev,on dit qu'il se place cornme domestique suns salaire (baylet chens soutade).

    Si, s'agissant d'une femme, le mariage de haut en bas estdsapprouv, e'est seulement au norn de la morale maseu-line, morale du point d'honneur, qui interdit a l'hommed' pouser une femme de condition suprieure. De mme,mis a part les obstacles conomiques, rien ne soppose ace qu 'une aine de petite famille pouse un cadet degrande famille, alors qu'un ain de petite famille ne peutpouser une cadette de grande famille. 11 apparait doneque si les impratifs conomiques s'imposent avec lamme rigueur qu'il s'agisse d'hommes ou de femmes, lalogique des changes matrimoniaux n 'est pas exactementidentique pour les hommes et pour les femmes et possedeune autonomie relative du fait qu'elle appara't cornmel' entrecroisement de la ncessit conomique et d 'impra-tifs trangers al' ordre de l'conomie, a savoir ceux quidcoulent du primat confr aux hommes par le systemede valeurs. Les diffrences conomiques dterminent desimpossibilits de fait; les impratifs culturels des incom-patibilits de droit.

    Ainsi, le mariage entre hritiers tant pratiquement excludu fait surtout qu'il entrainait la disparition d'un norn et

    13. P. L. rapporte un autre cas : o: H., domestique dans une maison,tait passionn de sa terreo 11 souffrait (pasabe mau) quand la pluien'arrivait pas. Et la grle ! et tout le reste! 11 finit par se marier avec lapatronne. Tous ces types qui font des "mariages du bas vers le haut"sont marqus pour toute leur vie. lis sont gens.

    d 'un lignage 14 et aussi, pour des raisons conomiques, lemariage entre cadets, l'ensemble du systeme tendait afavo-riser deux types de mariages, a savoir le mariage entre I'ainet la cadette et le mariage entre le cadet et l' aine, Daos cesdeux cas, le mcanisme des chauges matrimoniaux fonc-tionne avec le maximum de rig reur et de simplicit : lesparents de I'hritier (ou de I'hritiere) instituent celui-ci (oucelle-la) comme tel, les parents du cadet (ou de la cadette)lui constituent une dot. Le mariage entre l 'ain et la cadettes'accorde parfaitement aux impratifs fondamentaux, tantconomiques que culturels; par lui, la famille conserveI'intgrit de son patrimoine et perptue son nomo Pour voirque le mariage entre 1'hritiere et le cadet, au contraire,risque toujours de contredire les impratifs culturels, il suf-[ira d'analyser la situation familiale qui en rsulte. Toutd'abord, ce mariage dtermine une rupture dfinitive ettranche dans le domaine des intrts conomiques, entre lecadet et sa famille d'origine; moyennant une compensationverse sous forme de dot, le cadet abandonne tous ses droitssur le patrimoine. La farnille de l'hritiere, elle, s'enrichit detout ce que I'autre famille a perdu. Le gendre se dpouilleen effet de tout ce qu'il apporte au profit de son beau-perequi, a titre de garantie, peut lui consentir une hypothequesur tous ses biens. S'il a apport une grosse dot et si! s'estimpos par son travail et sa personnalit, il est honor ettrait comme le vritable maitre, sinon il doit sacrifier sadot, son travail et parfois son nom ala nouvelle maison surlaquelle les deux beaux-parents entendent rnaintenir leurautorit. Il n'est pas rare en effet que le gendre perde en faitson nom pour n'tre plus dsign que par le nom de la

    14. Mis apart peut-tre le cas o les deux hritiers son! fils uniqueset ou les deux proprits sont voisines, ce mariage est considrcomme mauvais. C'est le cas de Tr. qui a pous la fille Da. 11 fait lanavene d'une proprit aI'autre. 11 est toujours en chemin, il est par-tout, jamais chez lui. 11 faut que le maitre soit Ia. (P. L.)

  • 38 Clibat et condition paysanne Le systeme des changes matrimoniaux 39

    mort jeune

    morten 1918

    maison 15. De plus, cornme 00 l'a Vil, pourpeu qu'il ft issud 'une famille infrieure acelle de sa femme, pour peu qu 'iIct une personnalit efface, le cadet se trouvait rduit aunrole subordonn daos une maison qui n'tait jamais vrai-ment la sienne. Pour ceux d'entre les cadets qui ne par-venaient pas a pouser une hritire grce a la dot parfoisaugmente d'un petit pcule (lou cahau) laborieusementamass, il ne restait d' autre issue que d' aller chercherailleurs un mtier et un tablissement, a la ville ou enAmrique 16 Il tait extrmement rare en effet qu'ils nereculent pas devant les alas d'un mariage avec une cadette,rnariage de la faim avec la soif; certains se placaentavec leur femme cornme domestiques apension (bayletsel pensiou) soit dans des fennes soit ala ville, rsolvant ainsile problme le plus difficile, celui de trouver une maison (uecase) et un emploi. Pour les autres, et surtout les pluspauvres, qu'Ils fussent domestiques ou ouvriers chez lesautres ou dans leur propre farnille, il ne restait que le cli-

    15. Ainsi dans la famille Jasses (nom fictif), les gendres successifsont toujours t appels jusqu' ce jour par leur prnom suivi du nomde l'anctre, chef de famille de grand rayonnement : Quoi que ce ftun honnte homme, le nom de Jan de Jasses, venu d' Ar., peu liant,n'tait jamais cit (mentabut). Du gendre actuel, on en parle un peuplus, mais on dit Luden de Jasses.. (J.-P. A.)

    JASSESI0= 6 Jacques de JASSES (nom d'tat civil; Lasserre)

    I

    6 = O Genevieve de JASSESn6 0= 6 Jan de JASSES (Lacoste)

    I

    0= 6. Lucien de JASSES (Laplume)

    16. Dans le quartier de Ho., aux alentours de 1900, il n'y avaitqu 'une maison qui ne comptt pas un migr au moins en Amrique.Il yavait aOloron des recruteurs qui encourageaient les jeunes apar-tir; il Y eut beaucoup de dparts pendant les mauvaises annes,entre 1884 et 1892.

    bat, puisqu 'il tait exclu qu'ils pussent fonder un foyer touten demeurant dans la maison matemelle 17. C'tait la un pri-vilege rserv a I'an. En ce qui conceme les cadettes, ilsemble que leur situation ait toujours t plus favorise quecelle des cadets. Du fait qu'elles constituaient surtout unecharge, on avait hre de les marier et leurs dots taient gn-ralerneut suprieures acelles des garcons, ce qui accroissaitconsidrablernent leurs chances de mariage.

    En dpit de la rigidit et de la rigueur avec laquelle ilimpose sa logique, particulierernent aux garcons, soumisaux ncessits conomiques et aux impratifs d'honneur,ce systerne ne fonctionne jamis comme un mcanisme. Ilya touiours assez de jeu pour que l'affection ou l'int-rr personnel puissent s'irnmiscer. Ainsi, et bien qu'ils fus-sent aL! demeurant les arbitres chargs de faire respecter lesregles du jeu. d 'interdire les msalliances et d'imposer, aumpris des sentiments, les unions conformes ala regle, lesparents. pour favcriser un cadet (ou une cadette) prfr luipermeuaiem de se faire un petit pcule (lou cahau); on luiaccordair, par exernple, une ou deux tetes de btail qui, don-nes en gasa/hes 18, rapportaient de bons profits ,

    Ainsi, les individus jouent dans les limites des regles, desorte que le modele que 1'on peut construire ne reprsente nice qui doit se faire ni rnrne ce qui se fait mais ce qui ten-drait ase faire ala limite, si se trouvait exclue toute inter-vention de principes extrieurs ala logique du systeme, telque le sentiment.

    Si les lments des diagonales principales de la matrice dela page suivante sont nuls, aI'exception de deux (probabi-lit 1/2), c'est que les mariages entre deux hritiers ou entre

    17: D'un~ certaine facon, les impratifs proprement culturels, asa:Olr pnncipalement l'Inrerdit du mariage de bas en haut, s'impo-saient aux cadets avec monis de rigueur,

    1~. ('().ntr~t a I'amiable par lequel on confie a un ami sur, apres enavoir esume la valeur, une ou plusieurs tetes de btail : les produitsson! partugs, ainsi que les bnfices et les pertes sur la viande.

  • 40 Clibat et condition paysanne Le systemc des changes matrimoniaux 41

    Afn Cadet An Cadct

    Grande {Atne O I O Ofamille Cadette 1 O O O

    Petite IAine O 1/2 O 1famille Cadette 1/2 O 1 O

    deux cadets sont exclus en tout cas el a[ortiori quand vients'ajouter l'ingalit de fortune et de rang social; la dissy-mtrie introduite par le mariage entre une aine de petitefamille el un cadel de grande famille, par le mariage entreune cadette de petite famille et un ain de grande familles'explique par le fait que les barrieres sociales ne s'impo-sen! pas avec la mme rigueur aux filles el aux garcons, lesfilles pouvant se marier de bas en haut.

    Si l'on adopte le principe de diffrenciation utilis parles habitants de Lesquire eux-mmes. on est conduit aappaser les grandes maisons el les petites maisons ou encare les grands paysans el les petits paysans (loas paysantots. Cette distinction correspond-elle uneopposition tranche daos le domaine conomique ? En fait,bien que la distribution de la proprit fonciere permettede distinguer trois groupes, a savoir les proprits demoins de 15 hectares, au nombre de 175, les proprits de15 30 hectares, au nombre de 96, el les proprits de plusde 30 hectares, au nombre de 31, les clivages ne sontjamais brutaux entre ces trois catgories. Mtayers et fer-miers sont tres peu nombreux; les toutes petites proprits(moins de 5 ha) et les grands domaines (plus de 30 ha)constituent une proportion tres faible de l'ensemble, soitrespectivement 12,3 % et 10,9 %. 11 s'ensuit que le critereconomique n'est pas de nature adtenniner par soi seuldes diffrenciations sensibles. Cependant, l' existence de

    Grandefamitte Peritefamille

    la hirarchie sociale est vivement ressentie et affinne. Lagrande famille est reconnaissable non seulement al' ten-due de son domaine, mais aussi a certains signes ext-rieurs, tels que l'importance de la maison : on distingueles rnaisons a deux tages (maysous de dus souls] ournaisons de mairre (maysous de meste) et les rnaisons aun seul tage, rsidence des fermiers, des mtayers et despetits paysans. La grande maison se dsigne par le por-tail monumental qui donne acces dans la cour. Les filles,dclare un clibataire, regardaient le portail (Iou pourtalplus que l'hornme. La grande famille se distingue ausspar un style de vie; entoure de l'estime coIlective ethonore par tous, elle se doit de rnanifester au plus hautpoint le respect des valeurs socialement reconnues, sinonpar respect de l'honneur, du moins par crainte de la honte(per hounte ou per aanoa). L'an de grande famille (loagran aynat) doit se montrer digne de son nom et du renomde sa maison; pour cela, il doit, plus que tout autre, incar-ner les vertus de l'hornme d'honneur (homi d'aunou) asavoir la gnrosit, 1'hospitalit et le sentiment dedignit. Les grandes familles qui ne sont pas ncessai-rement les plus riches du moment sont saisies et se saisis-sent comme formant une vritable noblesse. Par suite, lejugement social met Iongtemps areconnaitre les parve-nus quels que soient leur richesse, leur style de vie ouleur russite.

    Il suit de tout cela que les groupes de statut que laconscience commune distingue ne sont ni totalement dpen-dants ni totalement indpendants de leurs bases cono-miques. 00 le voit parfaitement a l'occasion du mariage.Sans doute dans le refus de la msalliance, la considrationde l'intrt conomique ri'est jamais absente, du fait que lemariage est I'occasion d'une transaction conomique degrande importance. Cependant, de mrne qu'une famille demoindre renom peut se saigner aux quatre veines pourmarier un de ses enfants dans une grande maison, de mme.

  • 42 Clibat et condition paysanne Le systme des changes matrimoniaux 43

    I~

    I'ain de grande maison peut repousser un parti plus avan-tageux au point de vue conomique pour se marier selonson rango

    Paree qu'elle distingue des groupes de statut plutt quedes classes strictement dtermines par l'conomie, l' op-position entre les grandes maisons el les petites se situedans l'ordre social et elle est relativement indpendante desbases conomiques de la socit. Bien qu'elles ne soientjamais pleinement indpendantes, il faut distinguer lesingalits de rang et les ingalits de richesse, pareequ'elles agissent tres diffremment sur la logique deschanges matrimoniaux. L'opposition fonde sur l'inga-lit de rang spare de la masse paysanne une aristocratieruraIe distincte non seulement par sa proprit, mais SUT-tout par la noblesse de son origine, par son style de vieet par la considration sociale dont elle est entoure; elleentrane l'impossibilit (en droit) de certains mariagestenus pour rnsalliances, au nom de raisons premierernentsociales et secondairement conomiques. Mais d 'un autrecot, les ingalits de richesse se manifestent al'occasionde chaque mariage particulier, jusqu 'a 1'intrieur du mrnegroupe de statut et en dpit de l'homognit de la rparti-tion des surfaces possdes. L' opposition entre une familleplus riche et une famille moins riche n'estjamais I'quiva-lent de I'opposition entre les grands et les petits .Cependant en raison de la rigueur avec laquelle la ncessitconomique domine les changes matrimoniaux, la margede disparit admissible reste toujours restreinte en sorteque, au-del d'un certain seuil, les diffrences cono-miques font ressurgir la barriere, empchant en fait lesalliances. Ainsi, a ct de la ligne de clivage qui sparedeux groupes de statut dots d'une certaine pennanence dufait de la stabilit relative de leurs bases conomiques, lesingalits de richesse tendent a dtenniner des pointsde segmentation particuliers, et ceci tout spcialement aI'occasion des mariages. La complexit qui rsulte de

    I' exercice de ces deux types d'opposition est redouble parle fait que les regles gnrales n'chappent jamais a lacasuistique spontane ; cela paree que le mariage ne sesitue jamais pleinement dans la logique des alliances oudans la logique des affaires.

    Ensemble des biens mobiliers et immobiliers forman! labase conomique de la farnille, patrimoine qui doit tremaintenu indivis a travers les gnrations, entit collectivea laquelle chaque membre de la famille doit subordonnerses intrts et ses sentiments, la maison est la valeur desvaleurs, par rapport a laquelle tout le systerne s'organise.Mariages tardifs contribuant alimiter la naralir, rductiondu nombre d'enfants (deux par mnage en moyenne), reglesrgissant I'hritage des biens. clibat des cadets, toutconcourt a assurer la permanence de la maison. Ignorer quec'est la aussi la fonction prerniere des changes matrimo-niaux, ce serait s' interdire d'en comprendre la structure.

    ** *

    Dans une telle logique, qui taient les clibataires ?C'taient avant tout les cadets, surtout dans les famillesnombreuses et dan s les familles pauvres. Le clibat desains. rare et exceptionneI, apparait cornme li aun fonc-tionnement trap rigide du systeme et al'application mca-nique de certains impratifs. C'est le cas par exemple desains victimes de lautorit excessive des parents.P. L.-M. (artisan du bourg, g de 86 ans) n'avait jamaisde sous pour sortir; il ne sortait jamais. D'autres se seraientdresss contre Ieur pere, auraient cherch a aller gagner unpeu d'argent au-dehors ; lui sest laiss dominer. 11 avait unesceur et une mere qui savaient tout ce gui se passait dans levillage, a tort ou a raison (a tor ou a dret), san s jamais sor-tiro Elles dominaient la maison. Quand il parla de se rnarier.elles se ligurent avec le pere, "A quoi bon une femme? Ilyen a dj deux ala maison." Il "volait" I'cole. 00 ne lui

  • disait jamais rien. 00 en riait. Tout ~a, e' est la faute del'dueation." (J.-P. A.)

    19. A la fois juridiquement et matriellement. Seule la famil1epouvait assurer le mnage gami (lou mnadje RamiO, e 'est--dirl'quipement domestique: le o: buffet ~), J'armoire; le bos de lit (1'ar-caillieyt), le sommier, ete.

    20. Le verbe escarni signifie imiter pour toumer en drision, eari-caturer .

    Rien de plus clairant que ce tmoignage d'un vieux cli-bataire (1. A.) n en 1885, artisan rsidant au bourg : F'aitravaill aussitt apres l'cole al'atelier, avec mon pere, 1'ait mobilis en 1905, au 13' ehasseurs alpins, aChambry.le garde un tres bon souvenir de mes escalades daos lesAlpes. A l'poque, il n'y avait pas de skis. On attaehait auxgodillots des planehettes arrondies, ee qui permettait degrimper jusqu'au sommet des cols. Apres deux ans de ser-vice militaire, je suis revenu ala maison. J'ai frquent unejeune fille de R. Nous avions dcid de nous marier en1909. Elle apportait une dot de 10 000 franes avee le trous-seau. C'tait un bon parti (u hou partit). Mon pere s' opposaforrnellement. Al'poque, le eonsentement du pere et de lamere tait indispensable 19. "Non, tu ne dais pas te marier."Il ne me dit pas ses raisons, mais il me les laissa entendre :"Nous TI'avons pas besoin d'une femme id." Nous TI'tionspas riehes. 11 fallait nourrir une bouehe de plus, alors que mamere et roa sceur taient la. Ma soeur n'a quitt la maison quependant six mois, apres son mariage. Une fois veuve elle estrentre et vit toujours avee moi. Bien sur, j'aurais pu partir.Mais autrefois, le fils ain qui allait s'installer avee safemme dans une maison indpendante, c'tait une honte[u escarm' 20 , cest--dire un affront quijette dans le ridiculeaussi bien l'auteur que la victime]. On aurait suppos qu"Ily avait une brouille grave. II ne faIlait pas taler devant lesgens les conflits familiaux. Bien sur, il aurait fallu partir auloin, se tirer du gupier (tiras de la haille : mot amot, se tirer

    45Le systme des changes matrimoniaux

    du brasier). Mais crait difficile. 1'ai t tres touch. 1'aieess de danser. Les jeunes filles de mon ge taient toutesmaries. Je n'avais plus de penchant pour les autres. Jen'tas plus attir vers les jeunes filles pour me marier ;j'avais pourtant beaucoup aim danser, surtout les vieillesdanses, la polka, la mazurka, la valse ... Mais la rupture demes projets de mariage avait bris quelque chose : je n' avaisplus envie de danser, ni de frquenter d'autres jeunes filies.Quand je sortais le dimanche, c'tait pour jouer aux cartes ;je donnais parfois un eoup d'reil au bal. On veillait entre gar-cons, on jouait aux cartes, puis je rentrais vers minuit. (Reeueilli en bamais.)

    Mais e'est surtout panni les capmaysous, les ains degrandes familles paysannes, a qui les impratifs cono-miques s'imposaient avec le plus de force, que l'on trouvaitdes cas de ce genre. Ceux qui voulaient se marier contre lavolont des parents navaient d'autre ressource que de par-tir, en s'exposant atre dshrits au profit d'un autre frereou sceur. Mais partir tait beaucoup moins faeile pour l"aind 'une grande maison paysanne que pour le cadet. L'ainde ehez Ba. [dont l'histoire est rapporte ci-dessus, p. 31],le plus grand de Lesquire, ne pouvait pas partir. II avait tle premier du hameau aporter la veste. C'tait un hommeimportant, un conseiller municipal. n ne pouvait pas partir.Et puis, il ri'tait pas eapable d' aller gagner sa vie. II taittrop enmoussurit ("enmonsieur" de moussu, monsieur).(J.-P. A.) Contraint d'tre a la hauteur de son rang, laintait soumis, plus que tout autre, aux impratifs sociaux eta l'autorit famiIiale. De plus, tant que les parents taientvivants, ses droits sur la proprit restaient virtuels. Lepece coulait les sous tres doucement. .. lIs ne pouvaientmme pas sortir, bien souvent. Les jeunes travaillaient et lesvieux gardaient la monnaie, Certains allaient gagner un peud'argent de poche au-dehors ; ils se placaient quelque tempseomme cocher ou joumalier. Comme ca, ils avaient un peu

    Clibat el condition paysanne44

  • 46 Clibat et condition paysanne Le systme des changes matrimoniaux 47

    d' ai gent, dont ils pouvaient disposer cornme ils voulaient.Parfois, al'occasion du depart pour le service militaire 00donuait au cadet un pcule (11 cabau) : soit un petit coin debois qu'il pouvait exploiter. soit deux moutons, soit uneva-he. ce qui Iui permettait de se faire un peu d'argent.Ainsi moi, 00 m'avait donn une vache quej'avais confiea un ami en gasalhes. Les ains, tres souvent, n'avaient rienel ne pouvaient pas sortir. "Tu auras tout" iqu' al aberastout), disaient les parents " el, en attendant, ils ne Ichaientrien, Beaucoup, autrefois. passaicnt presque toute leur viechez eux. Ils ne pouvaieni pas sortir, paree qu'ils n'avaientpas un sou aeux, pour payer aboire. Et pourtant, avec ceotsatis 00 faisait la fte ave,' trois ou quatre copains. Il yavaitdes familles comme ya o il Yavait toujours eu des cliba-taires. Les jeunes n' avaient aucune personnalit ; ils taientcrass par un pere trap dur." (J.-P. A.)

    Si certains ains de grande famille se trouvaient condam-ns au clibat du fait de l'autorit excessive des parents,reste qu'ils taient nonnalement favoriss. c Celui qui estcapmaysou a l'embarras du choix. (P. L.) Mais leschances au mariage dcroissaient parallelement au niveausocial. Sans doute, a la diffrence des ains de grandefamille, les cadets et les gens d'origine plus modeste, igno-rant le souci de la msalliance et tous les empchementssoulevs par le point d'honneur ou l'orgueil, avaient, sousce rapport, une libert de choix plus grande. Cependanten dpit du proverbe selon lequel mieux vaut gentqu'argent (que hau mey Ren qu' argen), ils devaient aussi,par ncessit plus que par orgi.eil, prendre en considrationl'importance de la dot que leur pouse leur apporterait.

    Acot du cadet qui fuit la maison familiale et part vers laville, en qute d 'un petit emploi, ou qui va chercher fortune

    21. Cette formule est souvent prononee ironiquement, pareequ' elle apparait eomme le symbole de l' arbitraire et de la tyrannie desvieux.

    en Amrique", il y a aussi le cadet qui reste aupres de son ainpar attachement au pays, au patrimoine familial, a la maison,a la terre qu'il a toujours travaille et qu 'il considere commesienne. Totalement possd, il ne songe pas au mariage. Safamille n 'est guere presse de le voir se marier et cherche sou-vent a le retenir, au moins pour un temps, au service de la mai-son; certains soumettaient la remise de la dot a la conditionque le cadet consentir a travailler aupres de 1'ain pendant uncertain nombre d'annes; d'autres se contentaient de pro-mettre une augmentation de la parto De vritables contrats detravail taient parfois passs entre le capmaysou et le cadetdont la situation tait celle d'un serviteur.

    J'tais le dernier-n d'une famille de cinq. Avant laguerre de 14 (n en 1894), j'ai t domestique chez M.,puis chez L. le garde un tres bon souvenir de cette priode.Puis j'ai fait la guerreo Amon retour, je trouve une familleamoindrie: un frere tu, l' ain, le troisierne amputd'une jambe, le quatrierne un peu abruti par la guerreoJ'apprciais la joie du retour a la maison. J'tais gt parmes freres, tous trois pensionns, grands mutils. lIs medonnaient de l'argent. Celui qui avait une maladie de poi-trine ne pouvait rester seul, je I'aidais, je l'accompagnaisaux foires et aux marchs. Apres sa mort, en 1929, je mesuis retrouv dans la famille du frere le plus g, C'estalors que je me suis rendu compte de mon isolement danscette famille, sans mon frere ni ma mere qui me gtaienttanto Par exemple, un jour o j 'avais pris la libert d'aller aPau, mon frere m'a reproch la perte de quelques chargesde foin, qui taient restes tendues sous l' orage et quiauraient t rentres si j'avais t la. J'avais laiss passerl' ge de me marier. Les jeunes fiIles de mon ge taient

    22. Caddetou, le petit eadet, est un personnage de la tradition popu-laire dans lequel les Bamais aiment a se reconnaltre. Finaud, astu-cieux, rus, il sait toujours mettre le droit de son cot et se tirerd'affaire par son ingniosit.

  • 48 Clihat el condition paysanne Le systme des changes matrimoniaux 49

    parties ou manees; j'tais souvent cafardeux a mesmoments de libert; je les passais aboire avec des copainsqui, pour la plupart, taient dans mon caso le vous assureque si je pouvais revenir en amere, je quitterais rapidementla famille pour me placer, peut-tre me marier. La vie seraitplus agrable pour moi. D'abord. j'aurais une famille ind-pendante, bien amoi. Et puis le cadet, daos une maison, TI'ajamais asse z travaill. Il doit tre toujours sur la breche. 00lu fait des reproches qu'un patron TI'oserait jamais faire ases domestiques. J'en suis rduit, pour avoir un peu detranquillit, a me rfugier daos la maison ES.23 ; daos leseul COlO habitable, j'ai install un lit de campo (Recueillien bamais)

    Par des voies opposes, le cadet qui partait gagner sa vieala ville et le cadet clibataire qui restait ala maison assu-raient la sauvegarde du patrimoine paysan i". Il y avait devieux cadets dans des maisons situes a deux heures demarche (7 a8 kilometres), chez Sa, chez Ch. au quartierLe.. qui venaient ala messe au bourg, le jour des ftes seu-lement et qui, a 70 ans, n' taient jamais alls a Pau ou aOloron. Moins ils sortent, moins ils ont envie de sortir.Bien sr, il fallait partir apied. Partir aPau apied, il faut enavoir envie. S 'ils n 'avaient rien a y faire, ils n 'y aHaientpas. Et ils n'avaient rien a y faire. C'est lain qui sortait.Ils taient les soutiens de la maison. Il y en a encorequelques-uns. (J.-P. A.)

    La situation du domestique agricole n'tait pas sansre- sembler a celle du cadet casanier. A. la diffrence delouvrier journalier qui ne trouve des joumes (jour-naus) qu'a la belle saison et demeure souvent sans travailtour l'hiver et les jours de pluie, qui est souvent oblig deprendre des travaux aforfait ( prs-hevt) pour joindre les

    23. Exemple de maison qui a conserv son ncm, bien qu'elle ait eudiffrents propritaires et qu'elle soit aujourd'hui abandonne.

    24. Le cadet avait, en principe, la jouissunce viagere de sa part. A samort, s'jl tait dcmeur clibataire, elle revcnuit aI'hritier.

    deux bouts (ta junta), qui dpense apeu pres tout ce qu'ilgagne ("un sou par jour, nourri, jusqu'en 1914") pour ache-ter du pain ou de la farine, le domestique (Iou haylet) jouitd 'une plus grande scurit 25. Engag pour l'anne, il neredoute pas 1'hiver ni les jours de pluie, il est nourri, log,blanchi. A vec son salaire il peut se payer du tabac et allerboire un coup , le dimanehe. Mais, en eontrepartie, levieux domestique devait la plupart du temps se rsigner auelibat, soit par attaehement ala maison et par dvouementases patrons, soit paree qu'il n'avait pas assez d'argent poursinstaller et se marier. Pour le domestique, le plus souventeadet de petite famille, comme pour I'ouvrier, le mariagetait tres diffieile et e'est dans ces deux eatgories socialesque I'on comptait autrefois le plus de clibataires ".

    tant le cadet, j' ai t plae tres tt, a 10 ans, eommedomestique aEs. J' ai frquent l-bas une jeune fille. Si lemariage s 'tait fait, ca aurait t, comme on dit, "le mariagede la faim avec la soif" (lou maridadje de la hami dap laset). Nous tions aussi pauvres l'un que l'autre. L'ain, biensr, avait le "mnage garni" (lou menadje garnit desparents, c'est-a-dre le eheptel, la basse-cour, la maison, lematriel agrieole, etc., ce qui facilitait le passage devant lemaire. La jeune filie que je frquentais est partie en ville ;

    25. On distinguait autrefois lous mestes ou capmaysous,c'est-a-dire les maitres grands ou petits; lous bourds-rnieytads,les mtayers; lous bourds en afferme, les fenniers; lous oubrs, lesouvriers et tous baytets, les domestiques. Un tres bon domestiquegagnait 250 a300 francs par an avant 1914. S 'iI tait tres conome, iIpouvait esprer acheterune maison avec 10 ou 12 annes de salaire etavec la dot d' une jeune filIe et un peu d'argent emprunt, acqurir unefenne et des !erres. Le joumalier, lui, n 'avait apeu pres aucun espoirde slever. A peine avaient-ils fait la premire communion, que lesenfants taient placs comme domestiques ou servantes (gouye).

    26. La diffrence d'ge entre les poux tait en moyenne beaucoupplus grande autrefois qu'aujourd'hui. Il n'tait pas rare que deshommes gs. mais riches et de grande famille, pousent des filIes de20 a25 ans.

  • so Clibat el condition paysanne Le systme des changes matrimoniaux 51e'est souvent comme ya, la jeune filie TI' attend paso Elle aplus de facilits pour partir, se placer en ville commebonne, attire par une copine. Moi, pendant ce temps jem'amusais a roa Iacon, avec d'autres garr;ons qui taientdaos mon caso Nous passions des nuits entieres (noueyteya,mol amo! : faire la nuit, noueyt) au caf; nous faisions desparties de cartes jusqua laube, de petits "gueuletons",Nous parlions le plus souvent sur les femmes; vidernmentnous en disions les pires choses. Et le lendemain nousdisions du mal de nos copains de ftc de la veille (N.,domestique agricole, n en 1898). (Recueilli en bamais)

    C'est daos les relations entre les sexes el al'occasion desmariages que s'affirrnait le plus vivernent la conscience dela hirarchie sociale.

    Au bal, un cadet de basse extraction (u caddet de petitegarbare) n'allait pas beaucoup trbucher la cadette de chezGu. [gros paysan]. Les autres auraient dit ausstt : "H est pr-tentieux. Il veut faire danser la grande aine." Des domes-tiques qui prsentaient bien allaient parfois faire danser leshritieres, mais c'tait rareo Il y avait un domestique debonne apparence; il avait une bonne prsentation ensocit; il causait avec une hritiere d 'Es. Et il se maria avecelle. Tout le monde "criait" (sindignait) de le voir se marierla. C'tait quelque chose d'extraordinaire. On croyait qu'ilserait l' esclave. En fait, il n' en fut rien, il prit les habitudesdes parents de sa femme qui revenaient d'Amrique etvivaient de rentes. H fit le monsieur et ne travailla plus. Ilsallaient aOloron tous les vendredis. " (J.-P. A.)

    Ainsi, la logique des changes matrimoniaux tend a sau-vegarder et aperptuer la hirarehie sociale. Mais, plus pro-fondment, le clibat de quelques-uns se trouve intgr dansla cohrenee du systerne social et, de ce fait, a une fonetionsociale minente. S'il eonstituait une sorte de rat du systeme,

    le elibat des ans lui-mme ri'tait au fond que l'effet mal-heureux d'une affirmation excessive de I'autorit desaneiens, cl de vote de la soeit. Quant aux autres, lescadets et les individus de basse extraction (de perite gar-hure), ferrniers, mtayers, ouvriers agrieoles et surtoutdomestiques, leur clibat s'inscrit dans la logique d'un sys-teme qui entoure de tout un luxe de proteetions le patri-moine, valeur des valeurs. Dans eette socit o 1'argent estrare et cher", OU l'essentiel des biens est eonstitu par la pro-prit fonciere, le droit d'ainesse qui a pour fonction degarantir la terre transmise par les aieux, est insparable de ladot, compensation aceorde aux eadets et cadettes, afinqu'ils renoncent aleurs droits sur la terre et la maison. Maisla dot, ason tour, enferme une menace : aussi s'emploie-t-ona viter a tout prix le partage qui ruinerait la famille.L'autorit des parents, la force des traditions, l'attachementa la terre, a la famille et au nom dtenninent le eadet a sesacrifier, soil qu 'il parte pour la ville ou l' Amrique, soit qu 'ilreste ala proprit, sans femme et sans salaire 28.

    Que le mariage soit I'affaire de la famille plus que delindividu et qu'il se ralise selon les modeles strictementdfinis par la tradition, il suffit, pour l'expliquer, d'invo-quer sa fonction conomique et sociale. Mais il y a aussique, dans la socit d'autrefois et eneore aujourd'hui, lasgrgation des sexes est brutale. Des l ' enfance, garcons et

    27. Tous les inforrnateurs insistent frquemment sur la raret del'argent liquide; Il n'y avait pas d'argent, mme pour les sorties dudimanche. On dpensait peu de chose. On faisait faire une omelette elune ctelette ou un poulet. (A A) 11 y a une circulation d'argentquil n'y avait pasoLes gens ne sont pas plus riches, mais l'argent cir-cule plus; celui qui pouvait vivre chez lui et faire quelques sous taitheureux mais pas celui qui devait tout acheter, l'ouvrier par exemple.Celui-l c'tat le plus malheureux de tous. (F. L.)

    28. Contrairement a d'autres rgions rurales, Lesquire ignorait lesfarces rituelles faites aux clibataires garcons ou filies. al'occasion duCarnaval par exemple. JCf. A Van Gennep, Manuel de folklore fran-cais. t. 1,1 et 2. Paris, Editions Auguste Picard, 1943-1946.)

  • 52 Clibat el condition paysanne Le systme des changes matrimoniaux 53

    filles sont spars sur les barres de l'cole, au catchisme.De mme, a1'glise, les hommes se groupent ala tribune oudans le fond de la trave centrale, pres de la porte, tandisque les femmes se disposent sur les bas-cts ou daos lanef. Le caf est le lieu rserv aux hommes et, lorsque lesfemmes veulent appeler leur mari, elles TI'y vont paselles-mmes mais envoient leur fils. Tout l'apprentissageculturel et l' ensemble du systeme de valeurs tendent 11 dve-lopper chez les membres de 1'un et l' autre sexe des attitudesd'exc1usion rciproque et acrer une distance qui ne peuttre franchie saos gne". En sorte que l'intervention desfamilles tait d'une certaine fa~on exige par la logique dusysteme, et aussi celle du marieur ou de la marieuse appel trachur (ou talam, dans la valle du Gave de Pau). 11 fallait un intenndiaire pour les amener ase rencontrer.Une fois qu'ils se sont parl, ,a va. Il y en a beaucoup quiTI'ont pas l ' occasion de rencontrer de jeunes filles ou quinosent pas y aller. Le vieux cur a fait beaucoup demariages entre grandes familles de bien-pensants. Parexemple B. ne sortait pas, il tait timide, il allait peu au bal;le vieux cur va le voir : "Il faut te marier.' La mere: "11faudrait le marier mais il ne trouve pas, cest difficile." "11ne faut pas regarder la dot, dit le cur; il Y a une fille quisera pour vous une fortune." II le marie avec une jeune fillepauvre, une fille de mtayers qu'il connaissait par une tantetres dvote. Le cur a fait aussi le mariage de L. Daos beau-coup de cas, il a fait accepter ade vieilles familles, qui nevoulaient pas droger, un mariage avec des filles de famillepauvre. Tres souvent, le colporteur (croufetayre) jouait lerole de trachur, La mere tui disait : "le veux marier monfiIs." Il en parlait ades gens qui avaient une filie aAr., Ga.,Og., et o il passait. Beaucoup de mariages se faisaient

    29. Le langage est rvlateur : les expressions ha bistes (mot amot :faire des vues),parla ue gouyate (mot amot: parler aune jeune filie),signifient courtiser .

    comme ya. D'autres fois, c'tait un parent ou un ami quijouait le rle d'intermdiaire. On en parlait aux parents dela fille, puis on disait au jeune hornme : "Viens te prorneneravec moi,je vais te prsenter." (P. L., 88 ans) La eoutumevoulait que, le rnariage conclu, on offrit au trachur uncadeau et qu'on linvitt au mariage. De celui qui avaittram le mariage, on disait : 11 a gagn une paire de bot-tines (que s' a gagnat u pa de bottiness.

    C'est dans ce eontexte qu'il faut comprendre le type demariage appel barate dans la plaine du Gave et crouhou 11Lesquire et qui unit deux enfants d'une famille (deux freresou deux sceurs ou un frere et une sceur) adeux enfants d'uneautre. Le mariage de 1'un des enfants donne aux autres1'oceasion de se voir. On profite de 1'oceasion. (P. L.) 11faut noter que, daos ce cas, sauf si 1'une des familles compteplus de deux enfants, il n'y a pas de versement de dot,

    Ainsi, la restriction de la libert de choix a son envers posi-tif. L 'intervention directe ou mdiate de la famille et surtoutde la mere dispense de la recherche de l' pouse. On peut trelourdaud, rustre, grossier, sans perdre toute chance de semarier. Le cadet de chez Ba., e jaloux. sauvage, grincheux(rougnayre), pas charmant avec les femmes, mchant ,n 'a-t-il pas t fianc avec la fille An., la plus riche et la plusjolie hritiere du pays? Et iI nest peut-tre pas exagr depenser que, par ce mcanisme, la socit assure la sauve-garde de ses valeurs fondamentales, a savoir les vertuspaysannes ? La conscience commune n 'oppose-t-elle pastraditionnellement le paysan (lou pays au rnon-sieur (!ou moussi't Sans doute, de mme qu'il sopposaitau paysan enmoussurit, enmonsieur , le bon paysansopposait au paysan empaysanit, empaysann , auhucou". a l'homme des bois, et devait savoir se montrerhornme de compagnie ; il n'en reste pas moins que

    30. Ce terrne tend adsigner actuellement le clibataire ; mot amot :chat-huant.

  • S4 Clibat er condition paysanne

    I'accent rait toujours mis sur les qualits de paysan. Surtoutlorsqu'il tait question de mariage, on attendait d'unhomme qu'il ft travailleur et qu'il st travailler, qu'il ftcapable de diriger son exploitation, tant par sa comptenceque par son autorit. 00 passait galement sur le fait qu' ilne st pas nouer des amitis (amigalha' s) avec les femmes,qu'il ft acharn ason travail au point de ngliger certainsdevoirs de socit. Le jugement collectif tait impitoyable,au contraire, pour celui qui se rnlait de taire le monsieur (moussurevay au dtriment de ses taches de paysan. Il taittrop monsieur (mouss) ; pas assez pay van. Tres joli hommepour sortir, mais pas d'autorit. (F. l., 88 ans) Toute laprime ducation prparait lajeune filIe apercevoir et jugerles prrcndants selon les nonnes admiscs de toute la com-munaut ,~I. Au ~< monsieur qui lui aurait fait la cour, elleaurait rpondu, comme la bergere de la chanson: } ouqn' vmi me.' lf bet hilh de pays (Moi j 'airne mieux un Donfils de paysa.u".

    31. De mme le garcon ne pouvait qu'admettre et adopter l'idalcollectif, selon lequel I'pouse idale est une bonne paysanne, atta-che a la terre, dure ala peine, sachant travailler au-dedans et au-dehors, sans peur d'attraper des cals aux mains et capable de manierle btail ,> (F. L.).

    32. Veux-tu belle bergere me donner ton amour.le te serai fidele jusqu 'a la fin des jours.YOII quavmi mey u bet hilh de paysa ..Pourquoi done bergere tre si cruelle?Et bous mouss ta qu' et tan amourous ?(Et vous monsieur pourquoi tes-vous si amoureux ?)le n'aime pas toutes ces demoiselles. ..E you mOllssu qu' emfouti de bous ... (et moi mons.cu. je me fous de

    vous)" (recueilli en 1959 aLesquire).Il existe une foule de chansons qui, comme celle-ci, font dialoguer

    une bergere, rus