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Rev. dr. unif. 2009 181 Le bail commercial à l’aune du droit OHADA des entreprises en difficulté Jean-Claude Ngnintedem * Le droit des procédures collectives d’apurement du passif de l’OHADA est singulièrement caractérisé par sa modernité. Il est aussi marqué par le souci non d’empêcher la défaillance de l’entreprise qui est d’ailleurs “inhérente à la vie des activités économiques” 1 mais de donner, tant que cela est encore possible, prioritairement une chance de redressement à l’entreprise qui connaît des difficultés économiques, de nature à engendrer sa mort tout en préservant les droits de ses créanciers. Dès les articles 1 et 2 de l’Acte Uniforme portant sur les Procédures Collectives d’Apurement du Passif (AUPCAP), le législateur marque le ton en définissant les objectifs de la nouvelle réglementation, à savoir le règlement préventif et à défaut le redressement judiciaire dont la finalité est la sauvegarde de l’entreprise. On est ainsi passé d’une procédure collective axée sur le paiement des créanciers qui avait cours dans les Etats, à une procédure orientée vers le redressement de l’entreprise 2 . Dans cette optique, le législateur OHADA s’est attaché à rechercher des solutions efficaces et adaptées en fonction de la gravité des difficultés ayant pour priorité un traitement plus précoce des difficultés de l’entreprise à travers la prévention. Aussi, a-t-il été prévu une procédure préventive de cessation des paiements destinée à éviter la cessation d’activité de l’entreprise et à permettre l’apurement de son passif au moyen d’un concordat et deux procédures applicables en cas de cessation des paiements: d’une part, le redressement judiciaire destiné à la sauvegarde de l’entreprise si * Docteur NR en droit privé; Chargé de cours, FSJP – Département de droit privé, Université de Ngaoundéré (Cameroun). 1 P-G. POUGOUE / Y. KALIEU, L’organisation des procédures collectives d’apurement du passif OHADA, Coll. Droit uniforme, PUA (1999), 3. A ce propos d’ailleurs, F. PEROCHON / R. BONHOMME font remarquer que “comme un organisme vivant, l’entreprise naît, vit, et peut être le siège de désordres divers, dont les plus graves sont susceptibles de provoquer sa disparition, par arrêt du crédit et des flux financiers”, in: Entreprises en difficulté – Instrument de crédit et de paiement, 5 ème éd., LGDJ, Paris (2001), n°1 (p.) 1. 2 P.-M. LE CORRE / E. LE CORRE-BROLY, Droit du commerce et des affaires: droit des entreprises en difficulté, 2 ème éd., Sirey, Paris (2006), 4 ; A. LIENHARD, Sauvegarde des entreprises en difficulté – le nouveau droit des entreprises en difficulté, 1 ère éd., Delmas, Paris (2006), n° 401.

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Le bail commercial à l’aune du droit OHADA des entreprises en difficulté

Jean-Claude Ngnintedem *

Le droit des procédures collectives d’apurement du passif de l’OHADA est singulièrement caractérisé par sa modernité. Il est aussi marqué par le souci non d’empêcher la défaillance de l’entreprise qui est d’ailleurs “inhérente à la vie des activités économiques” 1 mais de donner, tant que cela est encore possible, prioritairement une chance de redressement à l’entreprise qui connaît des difficultés économiques, de nature à engendrer sa mort tout en préservant les droits de ses créanciers. Dès les articles 1 et 2 de l’Acte Uniforme portant sur les Procédures Collectives d’Apurement du Passif (AUPCAP), le législateur marque le ton en définissant les objectifs de la nouvelle réglementation, à savoir le règlement préventif et à défaut le redressement judiciaire dont la finalité est la sauvegarde de l’entreprise. On est ainsi passé d’une procédure collective axée sur le paiement des créanciers qui avait cours dans les Etats, à une procédure orientée vers le redressement de l’entreprise 2. Dans cette optique, le législateur OHADA s’est attaché à rechercher des solutions efficaces et adaptées en fonction de la gravité des difficultés ayant pour priorité un traitement plus précoce des difficultés de l’entreprise à travers la prévention. Aussi, a-t-il été prévu une procédure préventive de cessation des paiements destinée à éviter la cessation d’activité de l’entreprise et à permettre l’apurement de son passif au moyen d’un concordat et deux procédures applicables en cas de cessation des paiements: d’une part, le redressement judiciaire destiné à la sauvegarde de l’entreprise si

* Docteur NR en droit privé; Chargé de cours, FSJP – Département de droit privé, Université de Ngaoundéré (Cameroun).

1 P-G. POUGOUE / Y. KALIEU, L’organisation des procédures collectives d’apurement du passif OHADA, Coll. Droit uniforme, PUA (1999), 3. A ce propos d’ailleurs, F. PEROCHON / R. BONHOMME font remarquer que “comme un organisme vivant, l’entreprise naît, vit, et peut être le siège de désordres divers, dont les plus graves sont susceptibles de provoquer sa disparition, par arrêt du crédit et des flux financiers”, in: Entreprises en difficulté – Instrument de crédit et de paiement, 5ème éd., LGDJ, Paris (2001), n°1 (p.) 1.

2 P.-M. LE CORRE / E. LE CORRE-BROLY, Droit du commerce et des affaires: droit des entreprises en difficulté, 2ème éd., Sirey, Paris (2006), 4 ; A. LIENHARD, Sauvegarde des entreprises en difficulté – le nouveau droit des entreprises en difficulté, 1ère éd., Delmas, Paris (2006), n° 401.

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sa situation le permet encore et à l’apurement de son passif au moyen d’un concordat de redressement et, d’autre part, la liquidation des biens ayant pour objet la réalisation de l’actif du débiteur dont la situation ne permet plus d’espérer un redressement. L’ensemble de ces procédures est organisé autour d’un droit dont la particularité tient au fait qu’il s’agit d’un “droit dérogatoire et perturbateur qui altère et déforme les principes généraux” du droit des contrats 3, résultat d’une entrée remarquée des concepts économiques en droit des obligations commandé par le resserrement entre la notion de contrat et celle d’entreprise. La manipulation des contrats à l’intérieur d’un tel droit est délicate 4. En effet, le législateur OHADA a marqué sa faveur pour les contrats dont le maintien permettra de sauver l’entreprise en difficulté, notamment le bail commercial, dont l’une des particularités tient à ce qu’il ne s’agit pas d’un contrat comme les autres 5.

Cette vision abstraite créée par le droit des entreprises en difficulté va faire subir au bail commercial une mutation qui le fera passer d’un simple lien juridique à un bien susceptible d’être utilisé dans un effort de redressement. Et comme bien de l’entreprise, le bail commercial va faire l’objet d’un maintien forcé, à défaut duquel aucun redressement n’est envisageable. Aussi, il ne saurait être affecté par la survenance de la procédure et toute stipulation qui aura pour résultat de le rompre est dépourvue d’effet, de même que toute action en résolution est paralysée. C’est ce que traduit l’article 97, alinéa 1, AUPCAP, qui énonce en des termes impératifs que “le redressement et la liquidation des biens n’entraînent pas, de plein droit, la résiliation du bail des immeubles affectés à l’industrie, au commerce ou à l’artisanat du débiteur, y compris les locaux dépendant de ces immeubles et servant à son habitation ou à celle de sa famille. Toute stipulation contraire est réputée non écrite”. On comprend dès lors qu’en réglementant la situation du bail en cas de difficulté économique du preneur, le législateur OHADA prescrit son maintien même forcé dans les lieux loués pour l’exercice de son activité commerciale et va même au-delà pour étendre ladite protection au local servant de lieu d’habitation du commerçant en difficulté, à condition que celui-ci soit dépendant de l’immeuble objet du bail commercial. Aussi, le législateur a-t-il

3 C. SAINT-HALARY-HOUIN, “Préface”, in : M.-H. Monserie, Les contrats dans le

redressement et la liquidation judiciaire des entreprises, Litec, Paris (1994). 4 F. KENDERIAN, Le sort du bail commercial dans les procédures collectives, Litec, Paris

(2008), n° 1. 5 F. AUQUE, “Le bail commercial n’est pas un contrat comme les autres”, Revue des

procédures collectives (1997), 131 et s.

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créé un critère de dépendance pour rendre indivisibles les deux baux 6. Quoiqu’il en soit, le résultat est le même, privilégier l’intérêt de l’entreprise au détriment de celui du bailleur, qui doit se plier et se conformer aux exigences des règles du redressement ou de liquidation judiciaire.

Il faut d'emblée reconnaître qu’au-delà des règles particulières inhérentes aux entreprises en difficulté, les prescriptions de l’article 97 suscité tirent leur fondement du régime dérogatoire des baux commerciaux. En effet, le droit sur le bail commercial est marqué par son caractère dérogatoire aux règles de droit commun sur le contrat de louage. Cette dérogation découle du fait qu’une analyse empirique des éléments du fonds de commerce fait du droit au bail commercial un de ses éléments essentiels 7 et justifie un statut parti-culier dont l’objectif serait, en situation normale, de pérenniser l’exploitation commerciale en conférant au preneur un véritable droit au maintien dans les lieux et, à défaut de son renouvellement 8, un droit à une indemnité d’éviction 9. En réalité, “conçu à l’origine pour garantir la valeur économique du fonds de commerce, le statut est devenu un instrument de protection du droit au bail envisagé comme une valeur patrimoniale autonome: la propriété commerciale” 10. L’emplacement ne constitue-t-il pas le principal moyen permettant d’attirer la clientèle et par conséquent d’assurer la stabilité du fonds de commerce 11? Pour cette raison, la perte du droit au bail commercial pourrait avoir pour le commerçant en difficulté des conséquences gravement préjudiciables pour son éventuel redressement.

6 Ce qui semble pour le moins paradoxal car, de manière analogue, la même extension n’est pas prescrite en cas de cession du fonds de commerce. Pourquoi n’avoir pas soumis le prolongement d’une telle protection non au critère de leur dépendance à l’immeuble commercial, mais à la condition qu’il soit nécessaire à la poursuite des activités et que leur privation soit de nature à compromettre la procédure de redressement engagée. Il nous paraît utile que pour une bonne compréhension de l’article 97 suscité, le syndic, afin de ne point alourdir inutilement le passif, se conforme aux impératifs de la procédure collective et évite de poursuivre l’exécution des baux n’ayant pas une importance vitale pour l’entreprise.

7 Au même titre que la clientèle. 8 Pour les conditions d’un tel renouvellement, cf. J. LOHOUES-OBLE, “Les innovations

dans le droit commercial général”, in : L’organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires, Association Henri Capitant, Les petites affiches (13 octobre 2004), n° 205, spécial, 16.

9 CCJA, arrêt n° 030/2007 du 22 novembre 2007: affaire SCI Golfe de Guinée c/ Marina Atalantic SARL, Recueil de jurisprudence de la CCJA, n° 10 (juillet – décembre 2007), (p.) 44; CCJA, arrêt n°032/2008 du 3 juillet 2008, affaire Société METALUX SARL c/ Cheik Basse (inédit).

10 J. DERRUPPE, “L’avenir du fonds de commerce et de la propriété commerciale”, in : Mélanges en hommages à François Terré, PUF, Paris (1999), 578.

11 B. SAINTOURENS, “Le bail commercial des non-commerçants”, in : Les activités et les biens de l’entreprise, Mélanges offerts à Jean Derruppé, Litec, Paris (1991), 95.

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En fin de compte, ne sommes-nous pas en présence de deux droits dérogatoires dont la singularité réside dans l’inclusion de l’un dans l’autre? Le bail commercial gouverné par des règles dérogatoires n’est-il pas un élément concourant au redressement de l’entreprise en difficulté dominé par des règles particulières? Quel est donc son sort en cas de difficulté de l’entreprise ? Le problème est d’autant d’un grand intérêt que très souvent le bail peut constituer l’activité principale du bailleur qui n’acceptera pas toujours de se conformer au détriment de sa propre activité et par ricochet, va se créer un abondant contentieux gouverné par un conflit entre le droit des procédures collectives et le droit des baux commerciaux. Ce contentieux ne peut se résoudre que si l’on choisit soit de privilégier l’application du droit des procé-dures collectives, soit celui des baux commerciaux. Le législateur OHADA semble avoir opté pour la première solution, restreignant ainsi gravement les droits du bailleur au point de faire de ce dernier le “paria des faillites” 12. Mais cette situation varie selon qu’on est en situation de redressement judiciaire gouverné par la recherche des moyens pour sauver l’entreprise (I), et selon qu’on est dans l’hypothèse de liquidation judiciaire dominée par une impossible survie de l’entreprise(II).

I. – LE SORT DU BAIL COMMERCIAL EN CAS DE REDRESSEMENT JUDICIAIRE DU PRENEUR

La nécessité d’assurer la continuation de l’activité du preneur du bail a conduit le législateur OHADA dans sa réforme du droit des procédures collectives à paralyser la clause contractuelle de résolution ou de résiliation du contrat de bail des locaux affectés à son activité fondée uniquement sur l’ouverture de la procédure collective (A). En effet, le droit des procédures collectives OHADA frappe d’inefficacité les clauses résolutoires pour défaut de paiement des loyers échus au moment de l’ouverture de la procédure de redressement. L’inefficacité de telles clauses doit cependant être tempérée par le droit du bailleur de forcer l’administrateur à opter pour la résiliation ou la continuation du bail en cours (B), à défaut d’avoir renforcé les garanties rattachées à son privilège (C).

12 C. SAINT-HALARY-HOUIN, “La résiliation du bail commercial”, Les petites affiches (juillet

1996), n° 82, 22.

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A. Paralysie de la rupture du contrat de bail des locaux affectés à l’activité soumise à la procédure de redressement

Le contrat de bail est caractérisé par la réciprocité des obligations qu’il impose au contractant. Aussi, il est classé dans la catégorie des contrats synallag-matiques. Cette caractéristique justifie la conséquence fondamentale qui découle de son inexécution, à savoir que le bailleur peut rompre le bail par application de l’article 1184 du Code civil en invoquant le non paiement des loyers, des charges, la dégradation des lieux loués et, de manière générale, la faute du locataire 13. Il ne s’agira, en réalité, que de l’application de la clause résolutoire régulièrement insérée dans le contrat de bail 14, dont l’avantage tient à ce que le juge 15 pour sa mise en œuvre se bornera juste à constater que les conditions de la résolution sont réunies et ont été respectées par le créancier 16. On comprend dès lors que l’insertion d’une telle clause vise en réalité non seulement à assurer au bailleur une anticipation sur l’inexécution future liée aux difficultés rencontrées par le preneur, mais aussi à soustraire le bailleur aux rigueurs du régime d’une procédure collective. Or, cette

13 Ibid., 22. 14 Cf. F. DEKEUWER-DEFOSSEZ / E. BLARY-CLEMENT, Droit commercial, 8ème éd.,

Montchrestien, Paris (2004), n° 379 et s. Même si les parties n’ont pas inséré une telle clause dans leur contrat de bail commercial, le bailleur dispose de la faculté de demander une telle résiliation en justice (art. 101(2) AUDCG). En pareille hypothèse le juge au regard de la jurisprudence doit apprécier si le non paiement des loyers, par son importance et du retard accumulé légitime ou non une telle sanction. V. Cass. Com. 16 juin 1987, Bulletin civil (1987), IV, n° 145.

15 Dans l’espace OHADA, la détermination de la juridiction compétente pour connaître des contestations nées du bail commercial soulève encore des difficultés tout au moins en pratique. S’il est acquis que sur le plan territorial, la juridiction compétente est celle du lieu de la situation de l’immeuble, rien n’est certain sur le plan matériel. En effet, l’article 100 AUDCG renvoie tout simplement au juge compétent. La question prend plus d’intérêt lorsque le bail est assorti d’une clause résolutoire. Pour certaines juridictions, le juge compétent serait le juge de référé territorialement compétent, car du fait de la clause résolutoire ce dernier se bornera à constater cette résiliation qui s’est opérée en dehors de lui. V. CS. Côte d’Ivoire, arrêt n° 136 du 15 mars 2001, Ecodroit n°5 (2001), 25 ; CA du centre-Yaoundé, arrêt n°208/CIV du 10 mars 2000, Revue camerounaise du droit des affaires (2000) 54. Pour d’autres, les articles 100 et 101 AUDCG renvoient à un tribunal, car en précisant à l’article 101(5) : “le jugement prononçant la résiliation”, le législateur ne fait référence qu’aux décisions émanant des tribunaux. V. CS Côte d’Ivoire, arrêt n° 209 du 6 avril 2000, Ecodroit n°5 (2001), 24 ; CA du Littoral-Douala, arrêt n° 27, ref. du 29 décembre 1999 et arrêt n° 90, ref. du 19 juillet 1999, Revue camerounaise du droit des affaires, (2000), 41-49.

16 J. BORRICAND, “La clause résolutoire expresse dans les contrats”, Revue trimestrielle de droit civil (1957), n° 23; M-H. MONSERIE, Les contrats dans le redressement et la liquidation judiciaire des entreprises, Litec, Paris (1994), n° 82, (p.) 68 ; Cass. Com., 7 nov. 2006, n° 03-21.200, Juris-Data n° 2006-035862.

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démarche se concilie mal avec les impératifs de maintien de l’activité du preneur soumis à une procédure de redressement dont la survie des activités implique qu’il soit pourvu à la préservation des contrats qui conditionnent sa marche, déférant ainsi aux principes civilistes qui gouvernent les contrats et notamment la force obligatoire de l’article 1134 du Code civil. La force obli-gatoire de la convention est ainsi occultée par les exigences d’une survie menacée 17, malmenant ainsi la liberté contractuelle. En réalité, l’ouverture d’une procédure de redressement à l’encontre du preneur n’est pas, au regard du nouveau droit des procédures collectives, une cause de résiliation automatique du contrat de bail ou, plus exactement, une cause de résiliation “de plein droit” du contrat de bail. Et la loi répute non écrite toute clause contraire contenue dans le contrat de bail (article 97 AUPCAP). Ce qui aboutit à refuser à une telle clause le droit d’avoir existé 18. De la sorte, en réputant non écrite la clause qui favoriserait la résiliation du contrat de bail commercial en cas d’ouverture d’une procédure collective, le législateur confirme sa volonté de faire respecter l’interdiction d’une résiliation de plein droit du contrat de bail face à une procédure collective du fait de son incompatibilité avec le redressement judiciaire 19. On en déduit que face à la volonté de sauver l’activité commerciale, le législateur intervient plus ou moins positive-ment par une limitation de la liberté des parties en influant sensiblement sur le contenu du contrat de bail commercial dans un but d’intérêt général 20. En réalité, sans pour autant interdire totalement la résiliation du contrat de bail en cas d’ouverture d’une procédure de redressement à l’égard du preneur, le législateur a entendu encadrer dans le temps les effets d’une clause résolutoire contenue dans ledit contrat. En effet, l’article 97 AUPCAP ne prive pas

17 J-F. MONTREDON, “La théorie générale du contrat à l’épreuve du nouveau droit des

procédures collectives”, Semaine juridique, E, n° 14-15, (1988) (p.) 271. 18 DURRY, “Inexistence et annulabilité des actes juridiques”, Travaux Association H.

Capitant (1961-1962), 618. 19 A vrai dire, pour respecter les objectifs d’une procédure collective, le législateur a

ainsi, par une règle d’ordre public, entendu assurer l’effacement d’un élément du contrat de bail qu’il considère indésirable: la résiliation de plein droit. Mais comme le précise J. GHESTIN, “la formule réputée non écrite ne limite l’exigence de l’annulation qu’à la clause visée” conservant ainsi le reste des éléments du contrat.

20 V. COTTERAU, “La clause réputée non écrite”, Semaine juridique, éd. G (1993), Doct., 315. Si la validité d’une telle clause était admise, il y aurait un risque qu’elle devienne une clause de style parce qu’elle présente l’avantage de procurer au cocontractant une solution rapide et simple et le place dans une position de force lui permettant de rompre en sa faveur la règle de l’égalité tirée de la suspension des poursuites individuelles. Cf. Ph. DELEBECQUE / M. GERMAIN, Traité de droit commercial, t. 2, 18ème éd. (2004), n° 3048, 1029.

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d’efficacité les clauses résolutoires expresses dont le fonctionnement dépend de l’inexécution du contrat, et qui auraient produit leur effet avant l’ouverture de la procédure. On parle dans ce cas des créances antérieures au jugement d’ouverture de la procédure de redressement (1). La solution n’est cependant pas la même pour les créances qui sont postérieures (2).

1. L’exclusion de la résiliation pour les créances antérieures

De l’article 97, alinéa 1, AUPCAP, il ressort que “l’ouverture de la procédure collective n’entraîne pas, de plein droit, la résiliation du bail des immeubles affectés à l’activité professionnelle du débiteur” et l’alinéa 5 du même article ajoute que “le bailleur qui entend demander ou faire constater la résiliation pour causes antérieures à la décision d’ouverture, doit, s’il ne l’a déjà fait, introduire sa demande dans le mois suivant la deuxième insertion au journal d’annonces légales”. De l’examen de cette disposition, on peut observer que le bailleur ne pourra agir en résiliation pour défaut de paiement des loyers échus avant le jugement d’ouverture de la procédure collective que s’il a, préalablement à cette procédure, obtenu une décision prononçant ou consta-tant la résiliation du bail, laquelle décision est passée en force de chose jugée ou, sur le fondement de l’article 1244 du Code civil, un délai de grâce ou encore ayant demandé et obtenu un tel délai, il n’a pas réglé en tout ou partie la somme due au bailleur. Cette analyse tire son fondement de la théorie des droits acquis, la décision de justice passée en force de chose jugée ayant définitivement fait entrer dans le patrimoine du bailleur un droit (les loyers) qu’on ne peut plus anéantir 21 en vertu de la règle “res judicata pro veritate habetur” 22. En réalité, justement, la théorie des droits acquis s’attache au respect du passé et ne permet à la règle nouvelle (décision d’ouverture de la procédure de redressement) que de régir les situations qui ne heurtent pas ce passé 23. A ce propos, J.M. NYAMA remarque que “la résiliation définitive antérieure au jugement d’ouverture ne peut, en effet, être remise en cause et la procédure d’expulsion peut être menée à son terme malgré le déclenche-

21 B. STARCK / H. ROLAND / L. BOYER, Introduction au droit, Litec, Paris (1988), n°553,

223. 22 La chose jugée est tenue pour vérité. Cf. H.A. BITSAMANA, Dictionnaire de droit

OHADA, ohadata D-O5-33. 23 J-M. TCHAKOUA, “Introduction générale au droit camerounais”, PUCAC, Yaoundé

(2008), n°103, 121.

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ment de la procédure” 24, la décision d’ouverture de la procédure collective ayant sur ce point “apuré le passé” 25.

A l’inverse, si le jugement d’ouverture de la procédure collective a été rendu, alors qu’aucune décision passée en force de chose jugée n’a constaté ou prononcé la résiliation du bail, la résiliation n’est pas acquise pour trois raisons.

Tout d’abord, l’article 9, alinéa 1, AUPCAP interdit toutes les poursuites individuelles tendant à obtenir le paiement des créances désignées par le débiteur et nées antérieurement à ladite décision, conférant ainsi au débiteur “une véritable immunité d’exécution” 26. Ce qui n’ouvre droit au profit du créancier qu’à une déclaration au passif justifiée par la nécessité de connaître l’étendue du passif de l’entreprise. Dès lors, les loyers échus avant le commencement de la procédure, parce que participant du passif, doivent, sous peine de forclusion, être produits au syndic représentant la masse dans un délai de 30 jours (si le bailleur est domicilié dans le territoire national où la procédure collective a été ouverte) ou de 60 jours (s’il réside en dehors) suivant la deuxième insertion au journal d’annonces légales (article 78 AUPCAP).

Ensuite, le preneur du bail en cessation des paiements, étant financière-ment exsangue, a besoin de répit pour redresser sa situation financière. Aussi, le bailleur dont la créance de loyers est née avant l’ouverture de la procédure n’échappe pas à la règle de l’article 68, alinéa 4, AUPCAP qui interdit des paiements en période suspecte, le jeu de la clause résolutoire stipulée dans le contrat de bail étant suspendu en application de l’article 34 AUPCAP à compter de la date fixée par le juge compétent, comme date de cessation des paiements. Cette seconde justification participe du respect de la discipline collective édictée à l’article 9 AUPCAP à travers la suspension ou l’interdiction des poursuites individuelles tendant à obtenir le paiement des créances nées antérieurement à la décision de redressement.

Enfin, le contrat de bail, malgré la réglementation qui lui est consacrée, n’échappe pas aux règles de portée générale des articles 107 à 109 AUPCAP qui réglementent les contrats en cours, c'est-à-dire qui n’étaient pas rompus à

24 J-M. NYAMA, OHADA: Droit des entreprises en difficultés, Ed. CERFOD, Yaoundé

(2004), 171. 25 M. JEANTIN / P. LE CANNU, Droit commercial, Instruments de paiement et de crédit,

Entreprises en difficulté, 6e éd., Dalloz, Paris (2003). 26 S. GJIDARA, L’endettement et le droit privé, LGDJ, Paris (1999), n°482.

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la date d’ouverture de la procédure. Ce qui justifie l’application combinée 27 des dispositions fulminées par les articles 97 et 109 AUPCAP. Mais comment savoir qu’il était ou non rompu à cette date ? Il suffit de se reporter à l’article 101 de l’Acte Uniforme relatif au Droit Commercial Général (AUDCG), qui réglemente de manière stricte la résiliation du bail des locaux ou immeubles à usage commercial, industriel, artisanal ou professionnel. En effet, la clause résolutoire de plein droit ne produit d’effet qu’un mois après une mise en demeure de payer restée infructueuse. A l’issue de ce délai, le bailleur saisit la juridiction compétente pour obtenir la résiliation du bail. A cette occasion, la juridiction saisie peut, dans les conditions de l’article 1244 du Code civil, octroyer un délai de paiement. Ce n’est qu’a l’expiration de ce délai que la clause résolutoire produira son plein effet et la décision la constatant ne passera en force de chose jugée qu’après expiration des voies de recours. Cependant, si le bailleur entend se prévaloir d’une clause de résiliation de plein droit antérieure au jugement d’ouverture, il devra se garder de mettre en demeure le syndic de se prononcer en vertu de l’article 108, alinéa 3, AUPCAP sur la poursuite du contrat. Dans le cas contraire, cela pourra se traduire comme une renonciation implicite au jeu de la clause de résiliation de plein droit 28. Ces considérations excluent de l’application de l’article 101 suscité le bail renouvelé qui, à l’occasion, est considéré comme un nouveau bail 29. On peut tout simplement regretter que le législateur n’ait pas précisé les contours de la notion de contrat en cours. On pourrait cependant mettre dans la notion tous les contrats se rapportant à la poursuite des activités de l’entreprise 30, sans qu’ils soient pour autant nécessairement des contrats à exécution successive. Comme le précise A. Bac, cette notion comprend “non seulement les contrats à exécution successive, qui sont le domaine d’élection naturel de la notion, mais encore les contrats à exécution instantanée s’ils n’ont pas encore produit leur effet principal, c’est-à-dire si la prestation caractéristique reste à fournir” 31 et, plus précisément, les contrats dont

27 B. SAINTOURENS, “Le régime du bail commercial après la réforme des procédures

collectives (loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises”, Loyers et Copropriété, Etude 11, (oct. 2005), 7.

28 Cass. com. 21 janv. 1992, Les petites affiches (25 novembre 1992), n° 142, p. 12, note F. Derrida.

29 Cass. ass. plén., 7 mai 2004, Recueil Dalloz (2004), somm. comm. 2142, obs. P-M. Le Corre.

30 DELEBECQUE / GERMAIN, supra note 20, n° 3047, 1028. 31 A. BAC, “De la notion de contrat en cours dans le cadre des procédures collectives et de

ses grandes conséquences, notamment pour les cautions“, Semaine juridique, E (2000), 22, n°1-2.

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l'exécution s'inscrit dans le temps et dont la durée s'étend au-delà du jugement d'ouverture 32.

2. La résiliation de plein droit pour des créances postérieures

En pareille hypothèse, la résiliation du bail découle d’une créance dont le fait générateur, l’occupation des lieux, est postérieur au jugement d’ouverture de la procédure collective. Or, la détermination de la date de naissance qui permettrait de savoir si la créance est postérieure ou non dépend de son fait générateur. Néanmoins, une théorie classique veut que la naissance des obligations contractuelles soit concomitante à la formation du contrat 33. Cette théorie repose sur le principe du consensualisme consacré par la doctrine 34 et la jurisprudence. Elle suppose que la rencontre des consentements suffise pour que les parties soient obligées. Pour la Cour de cassation française, “les obligations contractuelles prennent naissance, sauf convention contraire, au jour de la conclusion du contrat et non au jour de son exécution” 35. Ce principe n’est en réalité qu’un postulat 36, dans la mesure où il ne repose sur aucun fondement légal, le Code civil ne faisant aucune référence à la date de naissance des obligations lorsqu’il envisage la formation du contrat 37. Comment donc expliquer qu’un contrat conclu antérieurement au jugement d’ouverture d’une procédure collective donne naissance à une créance postérieure à ce même jugement, alors que les créances contractuelles naissent, en principe, au jour de la conclusion du contrat ? La réponse ne peut être recherchée que dans la notion de fait générateur. A ce propos, J.-M. Verdier souligne que “les expressions couramment employées ne doivent pas faire illusion: les termes fixés dans un bail sont moins des conditions d’exigibilité du droit que des conditions d’existence; le prix est dû

32 C. BRUNETTI-PONS, “La spécificité du régime des contrats en cours dans les procédures

collectives”, Revue trimestrielle de droit commercial (2000), 783. 33 F. BARON, “La date de naissance des créances contractuelles à l’épreuve du droit des

procédures collectives”, Revue trimestrielle de droit commercial, (2001), 4. 34 Notamment, M. CABRILLAC / J-L. RIVES-LANGES, note sous com. 21 novembre 1972,

Revue trimestrielle de droit commercial (1973), 844. 35 Cass. civ. 1ere chambre, 16 juillet 1986, Revue trimestrielle de droit civil (1987), 748,

note J. Mestre. 36 V. S. SABATHIER, Le droit des obligations à l’épreuve des procédures collectives, thèse

dactyl. Toulouse (2000), n° 29, (p.) 28. 37 Il faut d’ailleurs remarquer avec A. REIG que le Code civil “est très pauvre en

dispositions relatives à la formation des contrats”, in : La “Punctation”, Mélanges Jauffret, Faculté de droit et des sciences politiques d’Aix-Marseille, Aix en Provence (1976), 593.

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parce que l’expiration du terme correspond à un certain temps d’usage ou d’habitation du locataire; pour répondre exactement à la jouissance fournie, les paiements devraient se faire jour par jour, à mesure que le bail s’exécute; dans l’impossibilité d’une telle solution, les parties fixent des dates de paiement qui sont des procédés de constatation de la formation de certains rapports de droit” 38. En tout cas, il s’agit, une fois encore, de l’une des spécificités du droit des procédures collectives car, comme l'explique C. LARROUMET, l’opinion selon laquelle la poursuite du contrat ferait naître les créances est “hérétique” en dehors des procédures collectives 39. La qualification de créance postérieure reste donc délicate, parce que résultant d’un contrat à exécution successive, la loi traitant à la fois des créances antérieures et des créances postérieures au jugement 40. Il ne s’agit à vrai dire que d’ ”une pure fiction admise pour des raisons d’opportunité” 41, notam-ment le redressement de l’entreprise. Comme toute fiction, la solution est nécessairement de droit étroit et ne peut donc être applicable qu’au seul droit des entreprises en difficulté. On en vient alors à fixer le fait générateur de la créance dans le droit des procédures collectives non à la conclusion du contrat mais à son exécution 42. En réalité, remarque G. ANDRÉO, “dès lors qu’elles sont un peu élaborées, les situations juridiques ne naissent pas de leur

38 J-M. VERDIER, Les droits éventuels : contribution à l’étude de la formation successive des droits, Rousseau, Paris (1955), n° 382, (p.) 307. A dire vrai, le loyer n’est pas une dette, mais a pour cause la jouissance de la chose. A ce titre, il est dû au fur et à mesure de cette jouissance; cf. Ph. MALAURIE / L. AYNES, Les sûretés/ La publicité foncière, CUJAS, Paris (1992), n° 602, 100.

39 C. LARROUMET, note sous Com. 26 avr. 2000, Dalloz affaires (5 oct. 2000), n°34, 717. 40 La clé de répartition entre les créances postérieures et les créances antérieures résulte

de la “notion de prestation” c'est-à-dire de son utilité. Si le créancier effectue une prestation après le jugement d’ouverture, la créance naît de cette prestation, même si le contrat est conclu avant. Aussi, devront être payées à leur échéance les créances qui répondent à une contrepartie fournie au débiteur en difficulté après le jugement d'ouverture, ou qui permettent le bon déroulement de la procédure, ce qui est le cas des créances de loyers; toutes les autres créances étant paralysées, sauf celles d'aliments et de salaire.

41 LARROUMET, supra note 39, 717. 42 Cette vision est, d’ailleurs, partagée par les analystes économiques pour qui, le contrat

est d’abord une opération économique, fondée sur l’exécution réciproque des prestations plutôt que sur un échange de consentements. Cf. J-M. POUGHON, Histoire doctrinale de l’échange, LGDJ, Paris (1987), n°233. Dans la même optique, J.F. OVERSTAKE précisait qu’ ”au fond, un contrat c’est généralement la transposition juridique d’une opération économique et réglementer un contrat c’est mettre sous la forme d’une équation juridique un problème économique (….). Il apparaît donc qu’un contrat peut être envisagé sous deux aspects: sous l’angle de l’opération économique qu’il permet de réaliser et sous l’angle de la technique employée pour arriver au résultat recherché”, in : Essai de classification des contrats spéciaux, LGDJ, Paris (1969), cité par BARON, supra note 33, 19.

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état définitif; plusieurs situations se succèdent dans le temps: la première prépare la seconde, etc. Il en va des situations juridiques quelques peu raffinées (…). Autrement dit la difficulté qui entoure la notion de fait géné-rateur tient à la formation successive des créances (…)“ 43. Pour que la notion de fait générateur vienne au secours pour la détermination de la date de naissance de la créance considérée comme postérieure, encore faut-il que le bail continue à la demande du syndic ou du débiteur assisté du syndic exerçant l’option de l’article 97, alinéas 2 et 3, AUPCAP.

En réalité, le bail, parce que continué, est désormais soumis aux règles de droit commun 44. Le bailleur peut donc dans cette hypothèse se prévaloir soit de l’article 101 AUDCG pour demander la résiliation du bail pour cause d’inexécution par le syndic de ses obligations, soit de la mise en œuvre de la clause résolutoire du contrat de bail. La difficulté à laquelle on pourra être confronté est celle de la détermination de la date effective de la naissance des créances considérées comme postérieures. A priori, la loi les désigne de postérieures, parce que nées après l’ouverture de la procédure. Or, la date d’ouverture de la procédure elle-même est incertaine. En effet, l’article 34, alinéa 1, AUPCAP précise que le juge qui constate la cessation des paiements “doit fixer provisoirement la date de cessation des paiements, faute de quoi celle-ci est réputée avoir lieu à la date de la décision qui la constate”. Fort de cette disposition, le tribunal compétent peut, de façon générale, déterminer expressément la date de cessation des paiements. Elle correspondra, soit à la date du jugement d’ouverture, soit à une date, par hypothèse, antérieure à celui-ci. Tout dépend alors de comment il a été informé de la cessation des paiements. Si l’ouverture intervient à la suite d’une déclaration de cessation des paiements, la date sera celle du dépôt au greffe de cette déclaration. Il appartient donc au bailleur qui a connaissance de cet état de saisir le juge par voie d’assignation en indiquant le montant de sa créance ainsi que le titre sur lequel elle repose (article 28 AUPCAP). Ceci aura l’avantage d’éviter que le débiteur qui refuse de déclarer son état de cessation des paiements ne puisse la retarder par son silence. Cependant, le bailleur doit se garder d’une assignation téméraire car elle pourrait même exceptionnellement faire engager sa responsabilité 45.

43 G. ENDREO, “Fait générateur des créances et échange économique”, Revue trimestrielle

de droit commercial (1984), 223. 44 DELEBECQUE / GERMAIN, supra note 20, n° 3059, 1036. 45 V. F.-X. LUCAS, “L’assignation téméraire en redressement judiciaire”, Mélanges AEDBF-

France, t. II, La Revue Banque, Paris (1999.

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Concrètement, s’il s’avère, au jour où la juridiction compétente statue, que l’état de cessation des paiements ne fait aucun doute, mais qu’une hésitation existe quant à sa date, elle fixera une date de cessation des paie-ments qui ne pourrait être que provisoire. Cette date, précise la loi, pourra d’ailleurs être modifiée. L’article 34, alinéa 2, AUPCAP, se contente d’énoncer que “la date de cessation des paiements ne peut être antérieure de plus de dix-huit mois au prononcé de la décision d’ouverture”. Faute de précision, il apparaît que la modification peut intervenir dans les deux sens 46, c'est-à-dire en arrière, en remontant dans le temps, ainsi qu’en avant, dans une période de dix-huit mois à condition de ne pas franchir le seuil constitué par la date du jugement d’ouverture. En conséquence, les créances de loyers nées dix-huit mois après la cessation des paiements pourraient être considérées comme des créances antérieures parce que la juridiction compétente aura été, pour une raison ou pour une autre, amenée à la retarder de dix-huit mois et par contrecoup, soumise à procédure de déclaration. L’équité aurait voulu que le bail, compte tenu de son importance et sa spécificité soit exclu des règles générales de l’article 34, alinéa 2, AUPCAP afin d’assurer, au profit du bailleur, un minimum de sécurité juridique 47 en dépit des difficultés de l’entreprise. Cette exclusion n’ayant pas été faite, il appartient à la jurisprudence OHADA, à l’instar de celle française 48, de reconnaître son caractère successif au contrat de bail et considérer que les créances de loyers naissent de leur exécution. Ainsi, devront être considérés comme postérieurs les loyers dus en contrepartie de l’occupation par le preneur en difficulté des lieux loués à partir de la date de cessation des paiements des loyers, parce que les loyers font partie de ce que F. BARON appelle créances “de

46 Voir B. SOINNE, Traité des procédures collectives, 2e éd., Litec, Paris (1995), n° 431.

Pour les personnes morales il est cependant impossible de fixer cette date à une époque antérieure à leur constitution effective, matérialisée par leur inscription au RCCM. Cf. Cass. Com. 1er février 2000, Semaine juridique, E et A (2000), Jurisp. 1909, note R. Besnard-Goudet.

47 La sécurité juridique est entendue ici non seulement comme élément de stabilité du droit mais aussi comme une adaptation du droit aux réalités sociales. Cf. N. MOLFESSIS, “Combattre l’insécurité juridique ou la lutte du système juridique contre lui-même”, Rapport du Conseil d’Etat pour 2006, Sécurité juridique et complexité du droit, Etudes et documents du conseil d’Etat, EDCE, La documentation française (2006), 390; P. REIS, “Les méthodes d’interprétation, analyse formelle, analyse substantielle et sécurité juridique” in : Sécurité juridique et droit économique, Larcier, Bruxelles (2008), 192; P. MEYER, La sécurité juridique et judiciaire dans l’espace OHADA, Penant (2006), 51 et s.

48 Sur cette question cf. Cass. com. 21 nov. 1972, Revue trimestrielle de droit commercial (1973), 844, note M. Cabrillac et J-L. Rives-Langes.

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rémunération” 49. Dans le même sens d’ailleurs, la Cour de cassation française précise que si elle est à “cheval” sur une période antérieure et postérieure, elle sera scindée en deux 50. L’adoption d’une telle position obligerait le syndic à acquitter, au fur et à mesure de leur naissance, les sommes correspondantes à la jouissance matérielle des locaux s’il veut sauvegarder le bail. En tout cas ceci éviterait quelquefois de mettre le bailleur dans la même situation de laquelle on veut sortir le preneur en redressement. C’est aussi dans ce sens que le législateur a prévu la possibilité pour le bailleur d’obliger les organes du redressement à se prononcer au plus vite soit pour la continuation du bail, soit pour sa résiliation.

B. Droit du bailleur de forcer l’administrateur à opter pour la résiliation ou la continuation du bail en cours

Avec l’ouverture d’une procédure de redressement, le syndic dispose du droit de choisir ceux des contrats qui vont lui permettre de sauver si possible l’entreprise en difficulté. Cependant s’il a un droit d’option pour ou non la continuation du bail commercial (1), il peut y être contraint par le bailleur avec pour conséquence la résiliation du bail (2).

1. Le droit d’option du syndic

Le droit d’option est défini comme un droit “qui permet à son titulaire de pouvoir, par un acte unilatéral de volonté, modifier une situation juridique incertaine et cela suivant une alternative précise et prévisible” 51. Ce droit est consacré dans l’AUPCAP qui, dès son article 97 énonce que “… le débiteur assisté du syndic, en cas de redressement judiciaire, peut continuer le bail ou ...” et si “… le débiteur assisté du syndic en cas de redressement judiciaire, décide de ne pas poursuivre le bail …”. Ce qui traduit déjà la liberté dont dispose le débiteur en difficulté assisté du syndic. Cette alternative est renfor-cée à l’article 108 AUPCAP qui précise que “le syndic peut être mis en demeure, par lettre recommandée, ou par tout moyen laissant trace écrite,

49 BARON, supra note 33, 7. L’auteur précisant la spécificité du bail commercial renvoie à

un arrêt de la Cour de cassation française dans lequel la haute juridiction considère que les créances de rémunération naissent après le jugement d’ouverture de la procédure collective (Cass. Com. 27 oct. 1998, D. affaires 7 janv. 1999, (p.) 33, notes A. Lienhard).

50 Cass. Com., 28 mai 2000, Semaine juridique, E (2003), chron. 231, (p.) 269, n°10, obs. Ph. Pétel.

51 NAJJAR, Le droit d’option, contribution à l’étude du droit potestatif et l’acte unilatéral, LGDJ, Paris (1967), n° 31.

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d’exercer son option ou de fournir la prestation promise, dans un délai de trente jours, sous peine de résolution, de plein droit, du contrat”. Cette disposition se trouve à la section 9 de l’AUPCAP consacrée aux contrats en cours. Or, le bail commercial qui normalement devrait faire partie des contrats en cours fait l’objet d’une réglementation spéciale contenue à la section 5 de l’AUPCAP intitulée: “droit de résiliation et privilège du bailleur”. Il en découle une question, somme toute évidente, celle de savoir si le bail commercial, objet d’une réglementation spéciale, est soumis aux dispositions générales de la section 9, le législateur n’ayant pas fait pour l’application de l’article 98 un renvoi à l’article 108 AUPCAP. Le doute ne semble pas permis car, à notre sens, l’intention du législateur a été d’opter pour la combinaison des articles 98 et 108 AUPCAP de sorte que les mécanismes de la résiliation de plein droit, 30 jours après une mise en demeure restée infructueuse, soient appli-cables au bail commercial. Ainsi que le souligne B. SAINTOURENS, “on ne saurait en effet imaginer que le bailleur soit privé de son droit de mettre en demeure l’administrateur de se prononcer sur le bail en cours … le bailleur doit pouvoir adresser une mise en demeure à l’administrateur de prendre parti quant à l’éventuelle continuation du bail” 52. Il apparaît donc possible de l’avis du même auteur “d’articuler l’application combinée de ces dispositions, non seulement en respectant les particularismes voulus par le législateur à propos du sort du contrat de bail d’immeuble, mais aussi, en laissant le bailleur invoquer les droits conférés à tout cocontractant du débiteur afin de préserver ses légitimes intérêts”. Cette lecture nous semble pragmatique et mérite d’être consacrée par les juges du droit OHADA tout à l’exemple de la chambre commerciale de la Cour de cassation française, qui dans un arrêt du 16 mai 2006 53, en application de la loi du 26 juillet 2005, a marqué sa faveur pour une lecture combinée des dispositions spécifiques au bail commercial et celles générales sur les contrats en cours. Ainsi, les règles relatives au contrat en général se combineront avec celles spécifiques au bail commercial pour contraindre le bailleur à se mettre au service du redressement, le maintien de l’environnement contractuel de l’entreprise en difficulté étant une condition nécessaire à la recherche de son redressement dans les conditions optimales 54.

52 B. SAINTOURENS, “Le régime du bail commercial après la réforme des procédures

collectives (lois du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises)”, Juris Classeur-Loyers et Copropriété (oct. 2005), 8.

53 Cass. Com., 16 mai 2006, Revue des procédures collectives (2006), p. 266, n°3, obs. Ph. Roussel Galle.

54 A. PIZON, “Bail commercial et procédures collectives: les vertus contrastées du silence”, Semaine juridique, E (2004), 1856.

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Au demeurant, cette lecture combinée pour pertinente quelle soit ne fait pas l’unanimité. En effet, pour une partie de la doctrine française 55, si le législateur a mis en place un dispositif particulier et autonome sur le sort du bail commercial en cours au moment de l’ouverture de la procédure collec-tive, c’est qu’il a entendu le soustraire du régime général des contrats en cours. Suivant cette analyse, le mécanisme de droit commun de l’option n’est plus applicable au bail commercial et, partant, le bailleur perd la faculté de mettre en demeure le syndic d’opter pour ou contre la continuation du bail en cours 56. En réalité, cette analyse s’accorde assez bien avec l’esprit de la loi qui est de faire tout ce qui est possible pour tenter de sauver l’entreprise en difficulté. Il serait donc difficile, de l’avis de J. MONÉGER, de concevoir qu’un tel objectif puisse être atteint si le contrat de bail, d’importance vitale, n’est pas sous le contrôle des administrateurs (syndic) nommés à cet effet 57. Le législateur français, reformant sa loi de 2005 suscitée, a consacré cette seconde opinion, excluant du régime général des contrats en cours le bail commercial. En effet, l’article 27 de l’ordonnance française du 18 décembre 2008 portant réforme du droit des entreprises en difficulté 58 qui réécrit l’article L. 622-13 du Code de commerce, dissipe toute ambiguïté et rend d’application exclusive le texte spécifique relatif au sort du bail en sauvegarde et redressement judiciaire 59. Le bail n’est donc plus véritablement, tout au

55 A. CERATI-GAUTHIER, “Bail des locaux affectés à l’entreprise et option de l’administrateur

judiciaire depuis la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005”, Annuaire des Loyers (2006), 1337; S. BECQUE-ICKOWICZ, obs. C. Com., art. L. 622-14, in : La loi de sauvegarde des entre-prises article par article, 1er partie, sd. F-X. Lucas / H. Lécuyer, Les petites affiches, n° spécial (8 février 2006), 49.

56 KENDERIAN, supra note 4, n° 60. 57 J. MONEGER obs. sous Ord. Roubaix, 22 décembre 2006, Semaine juridique, N (2007),

1192, n° 46 et 47. 58 Cette ordonnance parue dans le Journal Officiel de la République française du 19

décembre 2008 entrera en vigueur le 15 février 2009. Intervenant à la suite de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie française, elle tend à améliorer le dispositif mis en place par la loi du 26 juillet 2005, ses objectifs étant de faciliter le recours à la procédure de sauvegarde en assouplissant ses critères d’accès, afin qu’un plus grand nombre d’entreprises en difficulté en bénéficient; d’améliorer les conditions de réorganisation de l’entreprise et la conclusion d’accords de conciliation entre l’entreprise et ses créanciers; d’accélérer le déroulement des opérations de la liquidation judiciaire, en particulier pour les plus petites entreprises, afin d’éviter la dépréciation des actifs et de faciliter le rebond de l’entrepreneur; de permettre le crédit aux entreprises grâce à une efficacité accrue de certaines garanties en cas de liquidation judiciaire.

59 La même règle est applicable en cas de liquidation judiciaire et se trouve réécrite par l’article 105 de l’ordonnance française de 2008 à l’article L 641-12 du Code de commerce.

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moins en droit français, un contrat en cours comme les autres. A moins de considérer le contrat de bail comme un contrat conclu intuitu personae, cette analyse ne saurait être transposée en droit OHADA, car l’article 107 AUPCAP qui pose le principe de la résolution des contrats en cours n’a exclut de son champ d’application que “les contrats conclus en considération de la personne du débiteur” ce qui est par exemple le cas du contrat de travail. Bien plus, il n’est nulle part fait état dans la législation OHADA des procédures collectives du caractère dérogatoire des règles particulières applicables au bail commercial après le jugement d’ouverture de la procédure. Dans ces conditions, il ne nous apparaît pas justifié d’exclure le bail commercial du régime de l’option sur la continuation des contrats en cours de l’article 108 AUPCAP. A la suite de F. KENDÉRIAN 60, nous pensons qu’il serait plus réaliste que l’article 108 AUPCAP s’applique à tout contrat en cours, y compris le bail. Ainsi, son application permettra au bailleur, comme à tout autre cocontractant du débiteur, de mettre en demeure le syndic quant au devenir du bail et de bénéficier, à défaut de réponse dans un délai de 30 jours, de la résiliation de plein droit du contrat.

Du reste, si l’administrateur peut spontanément notifier au bailleur sa décision de poursuivre le bail en vertu de l’article 108, alinéa 1, AUPCAP, il préférera très souvent s’abstenir de prendre immédiatement parti. Il doit très souvent, avant toute décision, évaluer l’utilité économique du contrat de bail en tenant compte de la viabilité de l’entreprise et de ses besoins de finance-ment. Mais, si son hésitation peut se comprendre au début de la procédure, parce qu’il ne dispose pas d’éléments suffisants pour exercer spontanément l’option, rien ne justifie en revanche que le bailleur ne reste trop longtemps dans l’incertitude. Aussi, l’article 108, alinéa 3, AUPCAP donne au bailleur la possibilité de mettre en demeure 61 le syndic de prendre une décision. Appliquée aux procédures collectives, la mise en demeure apparaît comme un mécanisme juridique permettant la résiliation rapide du contrat, ce d’autant plus qu’elle vise bien moins à obtenir une exécution devenue peu

60 KENDERIAN, supra note 4, n° 62. 61 Bien qu’aucune disposition ne la définisse, les textes en font largement usage dans le

domaine contractuel. Elle est d’ailleurs utilisée ici comme condition de mise en œuvre de la sanction des obligations. Cf. V. D. ALLIX, “Réflexion sur la mise en demeure”, Semaine juridique (1977), doctr. 2844, n°2. Il s’agit pour d’autres auteurs de l’interpellation par laquelle le créancier fait savoir au débiteur d’une obligation échue qu’il en attend le paiement. Avec beaucoup plus de raffinement, on dirait qu’elle est “une sorte de politesse contractuelle qu’une partie doit respecter lorsqu’elle entend rompre le consentement qui avait présidé à la formation du contrat”; cf. O. FRANDIN / P. MARTIN, “La mise en demeure d’opter sur le sort du bail dans le cadre d’une liquidation judiciaire”, Procédures, Etudes 7, n° 5 (2007), 7.

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probable, qu’à constater le fait désormais acquis de l’inexécution 62. Elle constituerait un préalable à la résiliation du contrat de bail sans que le bailleur n’ait à justifier sa décision car, au moyen de sa fonction quasi probatoire, la mise en demeure aurait préconstitué la preuve de l’inexécution (possible) de son obligation par le preneur. Ce préalable entraîne, d’ailleurs, une résiliation rapide du bail puisque le contrat est résilié de plein droit après une mise en demeure restée plus de trente jours sans réponse (article 108, alinéa 3, AUPCAP).

2. Le défaut d’exercice du droit d’option

A défaut de l’exercice du droit d’option après une mise en demeure restée infructueuse, le contrat de bail est résilié. Cette résiliation peut emporter une double conséquence.

D’une part, l’article 109 AUPCAP prévoit que “faute par le syndic d’user de sa faculté d’option ou de fournir la prestation promise dans le délai imparti par la mise en demeure, son inexécution peut donner lieu, outre la résolution, à des dommages-intérêts dont le montant sera produit au passif au profit de l’autre partie”. Ces dommages-intérêts peuvent aussi être accordés dans le cas où le syndic opte pour la résiliation unilatérale et sans préavis du bail. Ils soulèvent cependant quelques difficultés. En effet, la loi prévoit que ceux-ci doivent être produits au passif, c'est-à-dire à la masse. Ce qui suppose leur classification dans la catégorie des créances antérieures, alors qu’elles sont nées après le jugement d’ouverture de la procédure. Pour la doctrine 63, si ces dommages-intérêts sont nés postérieurement au jugement d’ouverture, mais antérieurement à l’exercice de l’option, ils relèvent du passif postérieur. La jurisprudence française est aussi en ce sens 64.

D’autre part, en application de l’article 83 AUDCG, devenu occupant sans titre du fait de la résiliation par le jeu de l’option ou de plein droit, le syndic doit libérer immédiatement les lieux et, au besoin, pourra être non seulement frappé d’expulsion, mais condamné au paiement d’une indemnité

62 R. LIBCHABER, “Demeure et mise en demeure en droit français”, Rapport français, in :

M. Fontaine / G. Viney, Les sanctions de l’inexécution des obligations contractuelles: étude de droit comparé, Bruylant, Bruxelles / LGDJ, Paris (2001), 129.

63 KENDERIAN, supra note 4, n° 64. 64 V. Cass. Com., 25 janv. 1994, Semaine juridique, E (1994), II, 629, note P. ROSSI; CA

Paris, 24 nov. 2000, Revue des procédures collectives (2002), 101, n° 3, obs. C. Saint-Alary-Houin.

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d’occupation 65 dont le montant sera au moins égal au montant du bail lorsqu’il était en cours. L’article 1730 du Code civil l’oblige à rendre la chose dans le même état qu’il l’aura reçue et si au moment de cette restitution, le bailleur constate des dégradations et réussit à démontrer que ces dégradations ont été commises pendant la gestion du syndic, il peut aussi engager la responsabilité de ce dernier 66. Tout retard peut, d’ailleurs, engager sa responsabilité personnelle sur le fondement de l’article 1382 du Code civil 67. Inversement, le bailleur, même en procédure collective 68, doit en application de l’article 1719, alinéa 2, du Code civil entretenir la chose louée en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée. L’article 1720, alinéa 2, du même Code ajoute qu’il doit y faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que les réparations locatives.

En revanche, si le syndic opte pour la continuation du bail, il est tenu “de fournir la prestation promise” c'est-à-dire payer les loyers à leurs échéances et, à défaut, le bailleur peut soit agir en résiliation du contrat soit en recouvre-ment de sa créance et dans ce cas il bénéficie du privilège de l’article 98 AUPCAP. Toutefois, précise l’article 98, alinéa 4, ce privilège en cas de conflit avec celui du vendeur de fonds de commerce est primé. Par ailleurs, le bailleur dispose de la possibilité d’engager la responsabilité du syndic qui poursuit l’exécution du bail sans être en mesure de payer les loyers sur la base de l’article 1134 du Code civil.

De toute manière, si l’ensemble de ces mesures contribuent à garantir au bailleur que, malgré la procédure collective, ses droits sont assurés, il aurait encore fallu les renforcer au moyen d’un certain nombre de privilèges.

C. Droit à un renforcement du privilège du bailleur

En droit OHADA, le privilège du bailleur est déterminé en règle générale par les dispositions de l’article 111 de l’AUDCG qui énonce que “le bailleur d’immeuble a un privilège sur les meubles garnissant les lieux loués” 69. Il est

65 Tribunal Régional de Kaolack, jugement du 25 juillet 2000, affaire Helou c/ Fallou Niang, ohadata J-03-219; CA de Daloa, arrêt n°72 du 27 février 2002, affaire Compagnie de Distribution – CI c/ A.T, Le Juris Ohada, n° 1 2 (2005), 32.

66 Sur la preuve de l’état des lieux, v. J. GATSI, Pratique des baux commerciaux dans l’espace OHADA, 2ème éd., Presses Universitaires Libres, Douala (2008), 196 et s.

67 Cass. com., 18 sept. 2007, Revue des procédures collectives (2008), 38, note C. Bidian. 68 Cour de cassation, Chambre com., économ. et fin., 29 avril 2002. 69 Cette disposition n’est que la reprise de l’article 2120 du Code civil beaucoup plus

explicite en ce sens qu’il soumet le bénéfice d’un tel privilège à la condition qu’il doit s’agir d’un bail authentique, à défaut sous seing privé mais avec une date certaine.

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donc titulaire d’une sûreté mobilière spéciale, mais il ne saurait se prévaloir d’un droit de rétention 70, sa sûreté reposant sur le principe de gage tacite 71. Face au silence du législateur des procédures collectives OHADA par rapport à l’assiette d’un tel privilège, il y a lieu de croire qu’il a entendu la maintenir intégralement. Cette considération se situe dans le prolongement des dispo-sitions de l’article 98, alinéa 2, ainsi libellé : “le syndic en cas de redressement judiciaire, peut continuer le bail ou le céder aux conditions éventuellement prévues au contrat avec le bailleur et avec tous les droits et obligations qui s’y attachent”. Les obligations du preneur consistant au paiement des loyers et les droits du bailleur se rapportant à la garantie du paiement desdits loyers. Dans la plupart des cas, cette assiette est considérablement agrandie dans la mesure où les meubles garnissant les lieux sont généralement constitués du matériel et des marchandises, c'est-à-dire les éléments les plus importants du fonds de commerce. Or, dans le cadre d’une procédure de redressement, un tel privi-lège ne peut plus se maintenir en totalité, car une partie de ce matériel ou des marchandises peut être cédée en vue du redressement. Cependant, une telle cession ne doit à aucun moment porter atteinte ni à l’existence du fonds de commerce, ni au maintien des garanties du bailleur 72. Bien plus, le matériel ou les marchandises pouvant aussi faire l’objet d’un gage ou d’un nantisse-ment tout en restant en la possession du débiteur (preneur), les créanciers gagistes n’auront aucun moyen de savoir que les loyers ne sont pas payés. Ceci fragilise la situation du bailleur qui entrera en concours avec eux. Et le risque est d’autant plus grand pour le bailleur, qu’en droit français par exemple, la Cour de cassation dans un arrêt de la chambre plénière du 26 octobre 1984 a autorisé les créanciers nantis à se faire attribuer le matériel objet de leur droit, sur estimation 73. L’impact d’une telle autorisation a été le bouleversement de l’ordre de ceux qui lui auraient été préférés en cas de vente dudit matériel. Le législateur OHADA fait d’ailleurs sienne cette juris-prudence lorsqu’il admet qu’en cas de conflit entre le privilège du bailleur

70 Cependant, le bailleur peut par l’intermédiaire de son concierge par exemple,

s’opposer au déménagement “à la cloche de bois” à condition que ce déménagement ne laisse pas dans les lieux suffisamment de meubles pour garantir sa créance.

71 V. DELEBECQUE / GERMAIN, supra note 20, n° 3266; MALAURIE / AYNES, supra note 38, 199.

72 M-H. MONSERIE, supra note 16, n° 96, (p.) 98. 73 Cass. ass. plén., 26 octobre 1984, Semaine juridique (1985), II, 20342, rapport Viennois,

note Corlay. Arrêt confirmatif de la solution posée en 1984. Cass. com. 6 mars 1990, Semaine juridique, E (1990), I, 15829, n° 11, obs. M. Cabrillac.

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d’immeuble et celui du vendeur du fonds de commerce sur certains éléments mobiliers 74, le privilège de ce dernier l’emporte 75.

Au demeurant, ce privilège ne garantit que les douze derniers mois de loyers échus avant le jugement d’ouverture ainsi que les douze derniers mois échus ou à échoir postérieurement, que le bail soit ou non résilié (article 98 AUPCAP). Les notions de créances postérieures et créances antérieures restent sous-jacentes à la réalisation d’un tel privilège. La nouveauté ne résultant que de ce que les douze derniers mois de loyers échus avant le jugement d’ouver-ture, considérés comme créances antérieures et les douze derniers mois des loyers échus ou à échoir, considérés comme créances postérieures, sont désormais soumis à un même privilège. Le calcul de ces douze derniers mois va se faire suivant une logique formulée par Ph. DELEBECQUE et M. GERMAIN 76. Ce calcul prendra pour point de départ, en remontant en arrière, le dernier anniversaire du début du bail avant le jugement déclaratif. Ainsi par exemple, si le bail avait commencé le 1er avril 2002 et que le preneur avait été déclaré en redressement le 10 septembre 2006, les douze derniers mois échus étaient ceux qui avaient commencé le 1er avril 2005 et qui s’étaient terminés le 1er avril 2006.

Par contre, dans le cas spécifique des loyers à échoir et selon les dispositions de l’article 98, alinéa 2, AUPCAP, le bailleur ne peut exiger leur paiement que “si les sûretés qui lui ont été données lors du contrat ont été maintenues ou celles qui lui ont été accordées depuis le jugement sont jugées insuffisantes”. Il en découle une double conséquence: tout d’abord, les créances de loyers à échoir sont soumises à la règle de paiement à l’échéance. Le bailleur est ainsi payé comme si le preneur était in bonis. Ensuite, au moment de l’option pour la continuation, le bailleur peut exiger du syndic l’extension “suffisante” de l’assiette de sa sûreté afin de garantir le paiement des loyers et si le syndic refuse les loyers à échoir seront exigibles à leur échéance, à moins que les parties aient prévu dans la convention que les loyers seront payés d’avance et non à terme échu 77. Mais il n’est fait état ici que de sûreté “suffisante”et non de sûreté “équivalente” pour qualifier la masse des meubles garnissant les lieux et constituant l’assiette de la sûreté du bailleur. Il en résulte que le bailleur ne peut se prévaloir d’une diminution des

74 Matériel et outillage. 75 Article 98 alinéa 4 AUPCAP. 76 DELEBECQUE / GERMAIN, supra note 20, n° 3267. 77 V. en ce sens J. MONEGER, “Baux commerciaux et réforme du droit des entreprises en

difficulté”, Semaine juridique, E (1995), I, 438.

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garanties pour exiger la résolution du contrat 78, encore que le syndic peut être autorisé par le juge-commissaire à faire des actes nécessaires à la sauve-garde du patrimoine, notamment vendre des objets dispendieux à conserver ou soumis à dépérissement prochain ou à dépréciation imminente (article 52 AUPCAP) 79. L’ensemble de cette lecture se conforte des dispositions de l’article 108 AUPCAP qui prévoient que le syndic conserve seul la faculté d’exiger l’exécution des contrats en cours à charge de fournir la prestation promise à l’autre partie et s’il ne s’exécutait pas le créancier peut soulever l’exception d’inexécution. Autrement dit, à défaut du paiement des loyers à l’échéance convenue, le bailleur peut non seulement agir en résiliation, mais aussi en recouvrement de sa créance. A cet effet, justement, la loi autorise le bailleur à mettre en demeure le syndic de payer les loyers dans un délai de trente jours sous peine de résolution, de plein droit, du contrat. Par ailleurs l’article 111, alinéa 4, AUPCAP garantit le bailleur de la stabilité de son privilège en lui accordant un droit de saisie aux fins de conservation de son privilège au cas où les meubles objets de son privilège viendraient à être déplacés sans son consentement, à la seule condition qu’il fasse la déclaration de revendication dans l’acte de saisie.

II. – LE SORT DU BAIL COMMERCIAL EN CAS DE LIQUIDATION JUDICIAIRE DU PRENEUR

La liquidation judiciaire est la traduction d’un impossible redressement. En effet, elle n’est ouverte qu’à l’égard d’un débiteur en état de cessation de paiements, dont le redressement est manifestement impossible 80, soit parce que le débiteur n’a pas proposé de concordat de redressement, soit parce que le concordat proposé n’est pas suivi d’homologation ou celui proposé est annulé ou résolu (articles 27 à 29 et 33 AUPCAP). La liquidation judiciaire est de ce fait définie à l’article 2, alinéa 3, AUPCAP comme “une procédure qui a pour objet la réalisation de l’actif du débiteur pour apurer son passif”. On comprend, dès lors, qu’il y a une différence de finalité entre le redressement judiciaire et la liquidation judiciaire. Pour marquer cette différence, le législateur a réglementé différemment les deux procédures. Il a, à cet effet,

78 V. MONSERIE, supra note 16, 98. 79 Dans ce cas, par principe, le privilège du bailleur devra se reporter sur le prix de vente

de ces objets à condition qu’il n’ait pas subsisté dans les lieux loués assez de meubles pour garantir le bailleur.

80 En France par exemple, 85 à 95% des procédures collectives se soldent par une liquidation judiciaire. Cf. C. SAINT-ALARY-HOUIN, Droit des entreprises en difficulté, 4ème éd., Montchrestien, Paris (2001), n° 1075, 627. Ce qui, même en l’absence de statistiques fiables, n’est pas loin d’être le cas dans les pays de l’espace OHADA.

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prévu à l’article 119 AUPCAP qu’”à défaut de proposition de concordat ou en cas de retrait de celle-ci, la juridiction compétente prononce l’ouverture de la liquidation des biens ou convertit le redressement judiciaire en liquidation des biens”. Elle est donc destinée à mettre fin à l'activité de l'entreprise ou à réaliser le patrimoine du débiteur par une cession globale ou séparée de ses droits et de ses biens. La procédure de liquidation judiciaire est en réalité orientée vers l'apurement du passif, car c'est traditionnellement une procé-dure dédiée aux intérêts des créanciers 81. Cependant, quant au fond, les dispositions concernant la liquidation judiciaire empruntent beaucoup à celles sur le redressement judiciaire, notamment l’interdiction de payer toutes créances nées antérieurement au jugement d’ouverture (article 68 AUPCAP), qui doivent d’ailleurs être déclarées au liquidateur à moins que le prononcé de la liquidation judiciaire résulte de l’échec d’une procédure de redresse-ment, auquel cas le bailleur n’a pas à renouveler la déclaration de créances qui a déjà été faite à la masse 82; la suspension des poursuites individuelles 83 (article 75 AUPCAP) et la prohibition de résiliation automatique du bail commercial (article 97 AUPCAP) sous-tendue par le droit d’option du syndic qui “confère à la liquidation une maîtrise complète du sort du bail” 84. Aussi, le législateur a prescrit la continuation provisoire de l’activité sur autorisation du juge compétent sur une durée de trois mois renouvelable plusieurs fois sans excéder une durée totale d’un an à compter du prononcé de la liquidation mais, à condition qu’elle ne mette pas en péril l’intérêt public 85 ou celui des créanciers 86 (article 113 AUPCAP). Cette autorisation aura très souvent pour objectif de “sauvegarder la valeur des actifs“ 87 et accroître ainsi leur rendement au moment de la réalisation de l’actif 88. Comme F. PÉROCHON et R. BONHOMME ont justement observé, à vrai dire, l’objectif

81 Rapp. X. DE ROUX, au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale, Doc. Ass. nat. 2005, n° 2095, (p.) 360, cité par P.-M LE CORRE, “Premiers regards sur la loi de sauvegarde des entreprises. Loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005“, Recueil Dalloz (2005), n° 55, 2297.

82 R. MARTIN, “Le sort du bail commercial dans les procédures collectives”, Annuaire des Loyers (1996), 1289.

83 Sur la portée de cette règle cf. D. LEGEAIS, Droit commercial et des affaires, 14e éd., Armand Colin, Paris (2001), n° 849, 443 et s.

84 KENDERIAN, supra note 4, n° 125. 85 L’intérêt public ici doit être compris au sens large et consister par exemple au maintien

d’une unité de production dans l’intérêt général. 86 Par exemple écouler les stocks dans les conditions les plus rentables. 87 E. LE CORRE-BROLY, “La continuation des contrats dans la liquidation“, Dalloz affaires

(1998), 1114. 88 DELEBECQUE / GERMAIN, supra note 20, n° 3226, 1205.

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quant au bail est de préserver le droit au bail qui constitue souvent “le seul bien doté de quelque valeur appartenant encore au débiteur” 89. Or, s’il y a eu liquidation, c’est parce que la situation du débiteur était irréversiblement compromise et, par conséquent, les contrats continués pour les besoins du redressement n’ont pas reçu la contrepartie ou tout au moins ne l’ont reçue qu’en partie. Ce sera très souvent le cas du bail commercial. L’activité ayant cessé, l’immeuble ayant servi de lieu d’exploitation des activités du preneur en liquidation judiciaire, continuant à servir de lieu de liquidation, devrait connaître un sort particulier, contrairement aux autres contrats en cours au moment de la liquidation. La réglementation OHADA, assimilant le bail au contrat en cours, a prévu un ensemble de mécanismes permettant de garantir les créanciers dont la continuation des contrats contribuera à la réalisation du passif du débiteur. Ce qui est pour le moins regrettable, quand on sait que le bail, au regard de l’importance qu’il revêt, risque d’être le dernier contrat à s’éteindre. A juste titre, le bailleur aurait pu bénéficier d’un déclassement de privilège, ce qui est loin d’être le cas (B). Cette situation connaît tout de même une amélioration, dès lors qu’il s’agit de la cession du bail pour laquelle l’intérêt collectif fait place au respect des clauses contractuelles (A).

A. La situation du bailleur en cas de cession du bail

Il y a cession de bail lorsque par contrat le preneur actuel (cédant) transmet ses droits à un tiers (cessionnaire) qui se trouve investi des droits que le cédant détenait à l’égard de son débiteur. Cette convention emporte simple changement de preneur, le bail primitif subsistant à l’opération de cession 90. Or, on ne peut pas transmettre ce qu’on n’a pas. En conséquence, pour qu’il y ait cession, il faut que le bail soit en cours, c’est-à-dire qu’il ne soit pas résilié par une décision de justice passée en force de chose jugée avant le jugement d’ouverture de la procédure de liquidation ou qu’il n’ait pas fait l’objet d’une résiliation pendant la phase de redressement. Mieux encore, que le syndic ait, en vertu de l’article 97, alinéa 2, AUPCAP, opté pour la continuation du bail malgré l’ouverture de la procédure de liquidation. Très souvent, il optera pour la continuation en vue de la cession compte tenu de la valeur du droit au bail commercial. On sait aussi que le bail qui n’est pas expiré à son terme se

89 PEROCHON / BONHOMME, supra note 1, n° 418, 377. En effet, même déficitaire, un fonds de commerce a toujours au moins comme valeur plancher celle du droit au bail. V. à ce sujet M.-L. SAINTURAT, “La prédominance d’un élément: la protection statutaire du local”, in : Les deuxièmes Assises de la propriété commerciale (11 oct. 2001), Le fonds de commerce: mythes et réalités, Actualité juridique droit de l’immoblier (2001), 1049.

90 GATSI, supra note 66, 141.

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poursuit par tacite reconduction en vertu des dispositions de l’article 1738 Code civil, à condition d’être un bail écrit à durée indéterminée. Et s’il s’agit d’un bail à durée déterminée, il ne sera résilié qu’ après le jeu des mécanismes du droit au renouvellement des articles 91 à 97 de l’AUDCG. Néanmoins, en optant pour la continuation du bail, le syndic restreint les droits du bailleur tout au moins pour ce qui est de son droit à la résiliation. Aussi, l’article 97, alinéa 4, AUPCAP lui donne la possibilité de demander la résiliation, mais pour des causes antérieures au jugement d’ouverture de la liquidation. Il dispose, à cet effet, d’un délai d’un mois à compter de la deuxième insertion dans un journal d’annonces légales au lieu du siège de la juridiction compétente. Il doit donc être vigilant car, passé ce délai, le bail sera purgé de tout risque de résiliation pour causes antérieures 91. Dégageant la portée d’une disposition similaire à l’article 97, alinéa 4, AUPCAP en droit français, la doctrine 92, suivie en cela par la jurisprudence 93, indique que l’application de l’article 97, alinéa 4, suscité “doit être cantonné aux actions en résiliation fondées sur l’inexécution d’une obligation non pécuniaire”, c’est-à-dire une obligation de faire ou de ne pas faire autre que le paiement des loyers. Une interprétation contraire serait de nature à faire bénéficier au bailleur d’”une protection tout à fait exorbitante comparée au sort des autres créanciers” 94. Cette lecture à vrai dire, se conforte de la règle générale de l’arrêt des poursuites individuelles.

Cette analyse ne nous semble pas transposable en droit OHADA, dès lors que l’article 75 AUPCAP, en posant le principe de l’arrêt des poursuites individuelles, apporte en même temps des limites au principe. En effet, l’article 75, alinéa 3, AUPCAP indique que “la suspension des poursuites individuelles ne s’applique pas aux actions en nullité et en résolution”. Il est vrai que le législateur n’a entendu apporter cette limite qu’en ce qui concerne les actions en nullité et en résolution. On pourrait penser que le renvoi à la résolution plutôt qu’à la résiliation exclut le bail commercial de la limitation. Opter pour une telle analyse, c’est perdre de vue que le recours à la technique de résolution, est rétroactive et oblige à faire table rase de la période pendant laquelle l’obligation a été exécutée et n’emporte pas anéantissement du bail, car le locataire qui ne paie pas ses loyers a néanmoins occupé les locaux.

91 M. JEANTIN / P. LE CANNU, Droit commercial, Entreprises en difficulté, 7e éd., Dalloz, Paris, (2007), n° 738, 507.

92 DELEBECQUE / GERMAIN, supra note 20, n° 3226, 1206. 93 Cass. com., 28 mai 2002, Recueil Dalloz (2002), (p.) 1980, obs. A. Leinhard ; Cass.

Com., 30 mars 2005, Semaine juridique, N (2006), 1026, n° 5, obs. F. Kendérian. 94 A. LIENHARD, obs. sous Cass. com., 28 mai 2002, Dalloz 2002.

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Dans cette hypothèse spécifique, la résolution devient résiliation dispensant seulement de l’exécution pour le futur 95. En conséquence, la notion de “causes postérieures” devrait englober autant le défaut d’exécution d’obliga-tions pécuniaires que non pécuniaires compte tenu du fait qu’il ne s’agit plus de sauvegarder l’activité du débiteur. Il serait donc légitime que le bailleur soit admis à fonder son action en résiliation tant sur le défaut de paiement des loyers que sur l’inexécution des autres obligations afférentes à une occupation postérieure au jugement de liquidation, lorsqu’”il entend demander ou faire constater la résiliation pour des causes postérieures à la décision d’ouverture” (article 97, alinéa 5, AUPCAP) sans se voir opposer une quelconque faveur par rapport aux autres créanciers dont les sacrifices n’ont pas toujours été de même degré dans la procédure collective. Cette approche nous paraît logique pour autant qu’elle ne pervertit pas la philosophie d’équilibre des droits des créanciers dans la liquidation, dès lors que le législateur a envisagé dans des dispositions différentes l’attitude du bailleur par rapport aux causes de résiliation, sans distinguer selon qu’il s’agit d’une obligation de paiement de loyers ou d’autres obligations.

Du reste, l’article 86 AUDCG, qui pose le principe de la liberté de cession du bail commercial, soumet sa validité à la signification préalable d’une telle convention par acte extrajudiciaire ou par tout moyen écrit au bailleur. La signification apparaît donc comme une formalité substantielle. Elle n’a pas seulement pour finalité de faire connaître au bailleur l’existence de la cession. Elle a aussi pour effet “de lui révéler la qualité d’ayant cause dont est investi le cessionnaire“ 96, notamment sa qualité de commerçant au regard de l’exigence de la mention éventuelle de son numéro d’immatriculation au RCCM dans l’acte de cession, tel que prévue par l’article 86 AUDCG. Ainsi, le défaut de signification rend la cession inopposable au bailleur (article 87 AUDCG), qui pourrait ultérieurement invoquer valablement l’absence de formalités requises pour demander l’expulsion de l’occupant et refuser le renouvellement du bail sans le paiement d’une indemnité d’éviction au cessionnaire 97, à moins qu’il ait entre-temps perçu du cessionnaire les loyers et délivré en son nom des quittances sans réserve 98.

95 Boris STARK, Introduction au droit, 2e éd. par H. Rolland / L. Boyer, Litec, Paris (1988),

n° 98, 45. 96 J.F. MONTREDON, La théorie générale du contrat à l’épreuve du nouveau droit des

procédures collectives, Semaine juridique, E (1988), 15156, 274. 97 Ibid., 145. 98 Civ 3ème, 14 décembre 1994, Bulletin civil (1995), III, n° 212.

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Le contrat peut aussi comporter des clauses limitant la liberté de cession en la subordonnant à la rédaction d’un acte authentique en présence du bailleur ou à l’agrément du cessionnaire par le bailleur. Or, la réglementation sur les entreprises en difficulté précise, sans autres détails, en son article 162 que “le juge-commissaire ordonne la cession …”. On en déduit que la décision de cession relève de la compétence du seul juge-commissaire. Peut-il rattacher le droit au bail dans une cession globale sans respecter les prescriptions de l’article 86 AUDCG ainsi que les clauses du contrat de bail? Autrement dit, sort-il de ses attributions quand il passe outre l’accord du bailleur et ne respecte pas les modalités de l’article 86 AUDCG? L’article 97, alinéa 2, AUPCAP précise, à ce sujet, qu’il peut certes céder le bail mais “aux conditions éventuellement prévues au contrat conclu avec le bailleur et avec tous les droits et obligations qui s’y rattachent” restés en vigueur à la date du jugement prononçant la liquidation 99. Cette précision est protectrice des intérêts du bailleur à un double titre. Tout d’abord, elle détermine l’étendue des obligations du repreneur qui devient le nouveau preneur des locaux, en créant une obligation de respect des conditions d’un bail qu’il n’a certes pas négocié et dont la sanction pourrait être la résiliation. Ensuite, elle légitime le retour à la liberté contractuelle mise à mal par la procédure de redressement. En réalité, les objectifs de la procédure de redressement étant nettement différents de ceux de la liquidation judiciaire, rien ne justifie plus que les intérêts du bailleur soient menacés, car il ne s’agit plus de donner une chance de survie qui passe nécessairement par la poursuite de ce contrat indispensable qu’est le bail des locaux professionnels 100, mais de trouver les ressources nécessaires pour régler le passif du preneur. Comme l’explique B. SAINTOURENS, en cas de cession du bail, si l’on ne respecte pas les conditions et les modalités prévues éventuel-lement dans le contrat de bail, on “aboutirait à privilégier d’autres intérêts que ceux du bailleur, dont les droits sont déjà bien amoindris lors d’une procédure collective” 101. Fort logiquement, si le contrat prévoit que toute cession doit être soumise à l’accord préalable du bailleur, la cession autorisée par le juge-commissaire ne peut lui être opposable que si le bailleur a non seulement eu connaissance de cette cession, mais l’a également acceptée sans équivoque 102.

99 Cass. Com. du 11 mai 1999, Loyers et copropriété (1999), comm. 241, note Ph.-H.

Brault. 100 CERATI-GAUTHIER, supra note 55, 1340. 101 SAINTOURENS, supra note 27 , 2005, 9. 102 Cass., ass. plén., 14 févr. 1997, affaire Rolland de Ravel c/ Penet-Weiller ès qualities,

Gaz. Pal. 1998-1, somm. 166 n°433, note Ph.-H. Brault. Cette décision doit être rapprochée de la décision rendue par la Cour de cassation du 14 oct. 1997, arrêt n° 2000, affaire SCI Gajo

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De fait, si une clause du bail impose l’agrément préalable du cessionnaire par le bailleur, il appartient au syndic d’obtenir cet agrément et ce dernier ne saurait se prévaloir de l’ordonnance du juge-commissaire autorisant la cession pour s’en dispenser 103. Il ne s’agit en réalité que de l’application de l’article 1134 Code civil qui affirme d’ailleurs la toute puissance de la liberté contractuelle et de la volonté individuelle 104.

De manière encore plus convaincante et en restant dans la logique de la liberté contractuelle l’article 1135 Code civil exige que les conventions soient exécutées de bonne foi. Ce qui se traduit en droit commercial par l’exigence d’un motif sérieux et légitime pour justifier le refus du bailleur 105. Ainsi, si le refus du bailleur est abusif et donc illégitime, le syndic peut engager la responsabilité du bailleur pour avoir fait échouer la cession projetée. Mais, précise F. KENDÉRIAN, “les chances d’aboutissement d’une telle action ne doivent pas être surestimées“ 106, le législateur ayant laissé, sous le contrôle du juge suprême, l’appréciation du caractère abusif ou non du refus du bailleur au juge du fond. Ce fut d’ailleurs le cas dans l’affaire Rolland de Ravel où la Cour d’appel de Paris 107, infirmant la décision du Tribunal de Commerce de Paris qui avait condamné le bailleur au paiement des dommages et intérêts après un refus d’agrément motivé par le changement de destination des lieux loués, a jugé que “le mandataire liquidateur (syndic) ne peut valablement soutenir que le refus du bailleur d’autoriser la cession en cause aurait un caractère abusif justifiant l’allocation de dommages-intérêts alors que le bail subordonnait la cession du droit au bail à l’autorisation écrite du bailleur et que celui-ci, qui avait fait connaître, sans retard, le motif de son refus d’agrément, était parfaitement en droit, compte tenu de la clause de destination des lieux, d’exiger du nouveau locataire, l’exercice de l’activité complète prévue contractuellement, laquelle, sans pouvoir lui apporter une c/Guillemonat ès qualités et autres, Revue Lamy de Droit des Affaires (1998), n° 1. Dans cette autre affaire, la Cour de Cassation a cassé et annulé dans toutes ses dispositions l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 23 mai 1995 au motif que “le juge-commissaire en autorisant la prise de possession du fonds, en violation des clauses de bail, sans l’agrément du propriétaire et en l’absence d’autorisation du tribunal, a excédé ses pouvoirs”.

103 CA Paris, 16e ch. B, 26 févr.1999, Gazette du Palais (1999), 2, somm. 387, note Ph.-H. Brault.

104 F. TERRÉ, “Sociologie du contrat“, Archives de philosophie du droit (1968), 77. 105 L’article 87 AUDCG dont l’application en situation de liquidation ne fait aucun doute,

prend entre autres le non paiement de loyers comme motif sérieux et légitime pouvant justifier l’opposition du bailleur à la cession du bail.

106 KENDERIAN, supra note 4, n° 136. 107 CA. Paris, 14 févr. 1997, Gazette du Palais (1998), I, somm. p. 166, note Ph.-H. Brault.

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certitude, était cependant de nature à lui laisser espérer un chiffre d’affaires et un bénéfice plus important, et par voie de conséquence de meilleures chances d’être réglé régulièrement de ses loyers”.

B. Restriction du privilège du bailleur en cas de liquidation judiciaire

Relativement à la question du privilège du bailleur, on se doit de toujours faire la distinction entre créances antérieures et créances postérieures. Si les premières sont fonction de ce que l’activité a ou non continué, les secondes sont la preuve même de ce que l’entreprise est incapable de faire face à ses créances et mérite liquidation.

A priori, l’idée de créances postérieures en cas de liquidation semble superflue, car si le juge autorise la continuation de l’activité après le jugement prononçant la liquidation, la loi prévoit que cette continuation doit être faite dans “les conditions éventuellement prévues au contrat conclu avec le bailleur avec tous les droits et obligations qui s’y attachent” (article 97, alinéa 2, AUPCAP). Or, si le législateur a laissé les modalités de paiement du loyer à l’accord de volonté, il précise à l’article 80 AUDCG que le preneur doit payer le loyer aux termes convenus. Autrement dit, avant l’autorisation de la continuation de l’activité même pour les besoins de la liquidation, le juge-commissaire doit se rassurer que le syndic a les moyens nécessaires pour payer les loyers à leur échéance. Cette hypothèse ne soulève pas de difficulté juridique particulière car la loi prévoit que, si le bail n’est pas résilié, le bailleur ne peut exiger le paiement des loyers à échoir, dès lors que les sûretés qui lui ont été consenties dans le contrat sont maintenues ou lorsque celles qui lui ont été fournies depuis le jugement d’ouverture sont jugées suffisantes (article 98, alinéa 2, AUPCAP). A l’inverse, en cas de non-continuation, il peut avoir des créances de loyers postérieures, c'est-à-dire qui sont intervenues entre la date du prononcé de la liquidation et la date de libération effective des lieux loués. A cet égard, justement, le syndic doit être extrêmement vigilant dans la remise des clefs qui doit d’ailleurs intervenir dans les délais de préavis de l’article 97, alinéa 3, AUDCG. Ce qui signifie qu’en principe les créances objet du privilège devraient être celles qui sont nées soit antérieure-ment, soit postérieurement comme sus évoqué, à moins que cette dernière catégorie soit inhérente au bail d’habitation qui à notre sens ne devrait pas bénéficier du “traitement préférentiel“ 108 du droit des procédures collectives.

108 L’expression est de P.-M. LE CORRE / E. LE CORRE-BROLY, Droit et pratique des

procédures collectives, 3e éd., Dalloz, Paris (2006), n° 22, 18.

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Du reste, pour le recouvrement des créances de loyers, l’article 111 de l’Acte Uniforme portant droit des sûretés (AUS) OHADA reconnaît au bailleur d’immeuble un privilège spécial sur les meubles garnissant les lieux loués 109. Certains auteurs le désignent de privilège du propriétaire d’immeuble 110. Aussi, en cas d’enlèvement ou de vente de meubles sur lesquels porte ce privilège sans transfert de garanties, le bailleur est fondé, en période de liquidation judiciaire, à demander la résiliation du bail qui, de ce fait, est de droit. Mais il ne peut, en application de l’article 111, alinéa 4, AUS, choisir de procéder à leur saisie pour conserver sur eux son privilège. Le droit des procédures collectives ne lui donne non plus la possibilité en cas de vente des meubles garnissant les lieux loués de reporter sa garantie sur le fruit de la vente. Bien plus, malgré son privilège spécial, le bailleur est mal classé dans l’ordre des créanciers. Il apparaît à l’article 167 AUPCAP au sixième rang après les créanciers des frais de justice, les créanciers de frais engagés pour la conservation du bien du débiteur, les créanciers de salaires super privilégiés, les créanciers garantis par un gage et les créanciers garantis par un nantisse-ment ou par un privilège soumis à publicité. Ce mauvais rang est d’autant plus défavorable que le privilège du bailleur n’est pas assorti d’un droit de rétention 111, même si certains auteurs, il est vrai, soutiennent l’idée d’un gage tacite 112. Bien plus, “en cas de conflit entre le privilège du bailleur et celui du vendeur du fonds de commerce sur certains éléments mobiliers, le privilège de ce dernier l’emporte” (article 98, alinéa 5, AUPCAP). Cette préfé-rence qui déroge au classement de l’article 149, alinéa 6, AUS trouve appui sur le fait que le bailleur a eu, en application de l’article 81 AUS 113, connais-

109 Il s’agit d’un privilège spécial parce que portant sur un bien meuble précis ou sur un

ensemble de biens meubles déterminés par le législateur pour garantir la créance de loyer, auxquels, malgré le silence de l’AUPCAP, il faut inclure outre les dommages et intérêts de l’article 98 AUPCAP, les accessoires de loyers. Tous les meubles introduits par le preneur dans les lieux loués constituent son siège à l’exception du fonds de commerce dont la nature incorporelle justifie l’exclusion. Néanmoins, les éléments matériels qui le composent en font partie. Cf. F. ANOUKAHA [et al.], Sûretés, Bruylant, Bruxelles (2002), n° 433, 165.

110 MALAURIE / AYNES, supra note 38, 199. 111 C. SAINT-ALARY-HOUIN, Rapport Colloque CRAJEFE, Les petites affiches, n° spécial (8

juillet 1996), 22. 112 M. CABRILLAC / Ph. PETEL, “Le printemps des sûretés réelles? “, Recueil Dalloz (1994),

chron., 244. 113 L’article 81 AUS précise que “Le créancier inscrit, une fois accomplies les formalités

d’inscription, doit notifier au bailleur de l’immeuble dans lequel est exploité le fonds, le bordereau d’inscription ou celui de la modification de l’inscription initiale. A défaut, le créancier nanti ne peut se prévaloir des dispositions de l’article 87” qui ajoute que “le bailleur qui entend

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sance du privilège du vendeur de fonds par notification qui lui a été faite personnellement avant que ne naisse son privilège par l’effet du jugement d’ouverture de la liquidation. Or, le “mobilier” au sens juridique du terme qui garnit les lieux loués est constitué des éléments matériels du fonds de commerce, tels les marchandises et l’outillage, qui peuvent aussi avoir été nantis au profit du vendeur du fonds de commerce. Le privilège fondé sur le nantissement venant avant le privilège du bailleur, il y a un risque qu’ils absorbent tout l’actif disponible, privant ainsi le bailleur de tout règlement même partiel de ses créances déclarées 114, rendant ainsi encore plus illusoire le recouvrement des loyers en cas de liquidation judiciaire.

Cet aperçu du privilège du bailleur d’immeuble met en évidence la fragilité dans laquelle le bailleur se trouve en cas de procédure collective ouverte contre son locataire. Il est vrai, un semblant de sécurité réapparaît à l’article 149 AUPCAP qui prévoit que “si dans un délai de trois mois suivant la décision de liquidation des biens, le syndic n’a pas retiré le gage ou le nantis-sement ou entrepris la procédure de réalisation du gage ou du nantissement, le créancier gagiste ou nanti peut exercer ou reprendre son droit de poursuite individuelle à charge d’en rendre compte au syndic”. Il en résulte donc que le bailleur, en cas d’inaction du syndic pendant trois mois à compter de l’ouverture de la procédure de liquidation, retrouve son droit de poursuite individuelle sur les biens meubles garnissant les lieux loués. Militant en faveur de cette interprétation, la jurisprudence considère qu’entreprendre la liquidation au sens de la loi ne peut se matérialiser qu’avec un début d’exécu-tion des opérations de liquidation 115. Cette situation est d’autant plus protectrice des intérêts du bailleur qu’avec la reprise des poursuites individuelles disparaîtront les dérogations inhérentes au droit des procédures collectives. Le droit commun étant retrouvé, le privilège mobilier spécial dont bénéficie le bailleur produit un double effet: tout d’abord, il lui confère un droit de suite certes limité, mais protégé de deux façons. D’une part, le preneur ou toute autre personne qui, par des manœuvres frauduleuses prive le bailleur de son privilège commet une infraction pénale. D’autre part, le bailleur pourra pratiquer une saisie sur les biens objet de son privilège afin de le conserver, à condition d’avoir fait une déclaration de revendication dans l’acte de saisie, constitutive de son gage tacite. Dès cet instant il pourra revendiquer les meubles entre les mains des tiers même de bonne foi par poursuivre la résiliation du bail de l’immeuble dans lequel est exploité un fonds de commerce grevé d’inscription doit notifier sa demande aux créanciers inscrits”.

114 KENDERIAN, supra note 4, n° 159. 115 Cass. Com., 28 mai 1991, Semaine juridique, E (1991), I, 100, n° 6, obs. M. Cabrillac.

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dérogation à l’article 2279 du Code civil 116. Ensuite, il lui confère un droit de préférence qui s’exercera conformément à l’article 149 AUS et, en cas de concurrence, le conflit se résoudra par préférence donnée au premier saisissant.

CONCLUSION

L’AUPCAP constitue une évolution incontestablement importante de la législation des pays membres de l’OHADA sur les procédures collectives contrairement aux anciennes législations sur la faillite. S’inscrivant dans une mouvance de modernisation et d’adaptation à la situation économique dominée par la mondialisation, elle fait des emprunts à des législations diverses afin de ne point être un épouvantail à créanciers, qui détournerait les potentiels partenaires économiques. Son axe principal est régenté par la recherche préalable des solutions de sauvetage de l’entreprise à défaut d’avoir pu anticiper le traitement de ses difficultés avant tout recours à la liquidation. Sur ce terrain, elle apporte des réponses nouvelles, plus conformes, dominées non seulement par la multiplication des procédures afin de trouver celle qui est la plus adaptée à la situation du débiteur, mais, et surtout, la protection des capacités de redressement de l'entreprise à travers des règles dont l'objet est de faciliter la poursuite d'activité.

Cependant, si louable qu’il soit, le désir d’organiser le sauvetage de l’entreprise a conduit à la création de règles véritablement dérogatoires du droit commun des contrats. La réglementation OHADA sur ce point organise le recul de la liberté contractuelle, maltraitant ainsi la force obligatoire des accords de volonté, notamment en autorisant le juge de tenir pour non écrites certaines stipulations contractuelles afin de favoriser le redressement de l’entreprise. Le premier des contrats victime de cette situation est le bail commercial. Ce qui semble se justifier, car non seulement le redressement d’une entreprise qui n’a plus de locaux est difficilement envisageable, mais aussi, le droit de bail attaché au contrat de bail augmente l’actif de l’entre-prise 117. Bien plus, son privilège subit du fait de la procédure collective une réduction notable par rapport au droit commun.

Aussi, le bailleur, extrêmement mal protégé par la loi sur les procédures collectives, a intérêt à agir très rapidement et dès le premier incident de paiement, afin d’obtenir le plus vite possible une décision constatant l’acquisi-

116 ANOUKAHA [et al.], supra note 109, n° 435, 166. 117 Y. GUYON, Droit des affaires, T. 2, Entreprises en difficulties, redressement-judiciaire,

faillite 5ème éd., Economica, Paris (1995), n° 1349, 399.

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tion de la clause résolutoire et de faire échapper le droit au bail au mauvais sort réservé par la loi dans le cadre des procédures collectives.

Ensuite, si la procédure en vue de résiliation du bail n’a pu être menée à son terme “en temps utile” 118, c’est-à-dire avant l’ouverture de la procédure collective, le bailleur doit tenter le plus rapidement possible de mettre en demeure immédiatement le syndic d’exercer l’option afin de contraindre ce dernier à se décider rapidement soit pour la résiliation du bail soit pour sa continuation. S’il opte pour la résiliation, la mise en demeure aura eu pour effet de permettre au bailleur de se voir remettre les clés le plus rapidement possible, cette remise de clés étant souvent la meilleure des solutions. S’il opte pour la continuation, il doit se soumettre aux conditions et obligations contractuelles.

Du reste, la législation sur le bail commercial telle qu’organisée par le législateur de 1997 semble gouvernée par une diversification dans les procédures, pour tenir compte du fait qu’il s’agit de tenter le sauvetage, même au détriment des créanciers au nom d’un intérêt économique supérieur de l’entreprise, ou de procéder à l’apurement du passif. Cela est de nature à accroître la complexité des solutions à apporter par la jurisprudence aux différentes difficultés qui pourront se présenter dans la pratique. Or cette “jurisprudence met nécessairement plusieurs années pour parachever l’œuvre législative et aboutir à une certaine sécurité juridique“ 119. Sous cet angle, justement, il conviendrait d’être suffisamment attentif aux applications que les juridictions en feront.

Quoiqu’il en soit, il appartient désormais au bailleur dont le preneur ne paye plus les loyers de déclencher au plus vite la procédure collective, car tout retard pourrait aboutir à un risque très élevé de perte pure et simple des loyers du fait de l’amoindrissement de ses privilèges, surtout si le preneur est finalement mis en liquidation judiciaire.

118 LEGEAIS, supra note 83, n° 864, 450. 119 D. VALLIOT, “La loi du 26 juillet 2005 portant réforme du droit des entreprises en

difficultés: le point de vue de l’administrateur judiciaire mandataire ad hoc et conciliateur”, Semaine juridique, E (2005), n° 1515, 1775.