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L'ENGAGEMENT UNILATÉRAL Adina BUCIUMAN * Cluj Bar Résumé: L’étude se propose l’analyse du potentiel créateur d’obligations juridiques de l’engagement unilatéral. Variante de l’acte de formation unilatérale, l’engagement unilatéral est défini comme la manifestation unilatérale de volonté faite en vue de la création d’une obligation juridique contre son auteur. Même si la définition est rapportée à celle du contrat, acte de formation bilatérale, elle ne permet pas la visualisation de l’engagement unilatéral par une simple réduction à l’unité des règles qui gouvernent la matière contractuelle. L'une des questions les plus épineuses du droit des obligations, la reconnaissance du potentiel générateur d'obligations de l'engagement unilatéral, se construit à l'ombre de la plus vaste problématique des valences juridiques de la volonté. À une époque qui établit comme desideratum l'unification des modèles ou, du moins, de l'identification de la meilleure solution, dans une législation moderne, ouverte même à l'abandon de traditions de siècles, il s'impose d'étudier le problème au niveau de ses fondements. L’ouvrage présente les prémisses historico-philosophiques des deux orientations opposées, qui caractérisent les deux grands systèmes juridiques continentaux, français et allemand, quant au rôle de la volonté dans la production des effets de droit. Le degré d’importance reconnue à la volonté interne, réelle, respectivement à la volonté déclarée, extériorisée, conduit aux visions différentes sur l’admissibilité de l’engagement unilatéral comme source d’obligations : réticence ou même hostilité dans le droit français, respectif faveur de principe dans le droit allemand. L’analyse comparatiste conclu que, au niveau des solutions pratiques, les deux systèmes ne sont en réalité si différents. Le Code civil roumain de 2009 suggère un grand saut vers la modernité, car il paraît admettre avec valeur de principe la force obligatoire de l’engagement unilatéral. L’auteur critique sans hésitation une telle solution, en soutenant que la seule interprétation admissible en vue d’assurer la cohérence du système juridique est celle conformément à laquelle le texte de l’art. 1327 du Code civil 2009 ne fait qu’énoncer la possibilité que, dans les cas prévus par la loi, la volonté unilatérale puisse participer à la création des obligations contre son émetteur. La naissance d’une obligation reste cependant toujours tributaire à l’existence d’une norme juridique. Elle peut être soit une norme de droit positif, qui détermine les conditions dans lesquelles l’auteur de la manifestation unilatérale de volonté peut être obligé à effectuer une prestation, soit une norme de droit naturel, l’obligation naturelle, que l’engagement unilatéral transpose dans l’ordre du droit positif, en lui donnant ainsi caractère obligatoire. La solution proposée est soutenue aussi avec des arguments de technique juridique. L’ouvrage fait l’analyse des mécanismes juridique véhiculés pour illustrer la transformation de l’obligation * Avocat au Barreau Cluj. Law Review vol. I, issue 1, January-June 2016, p. 15-71

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    L'ENGAGEMENT UNILATÉRAL

    Adina BUCIUMAN* Cluj Bar

    Résumé: L’étude se propose l’analyse du potentiel créateur d’obligations juridiques de l’engagement

    unilatéral. Variante de l’acte de formation unilatérale, l’engagement unilatéral est défini comme la manifestation unilatérale de volonté faite en vue de la création d’une obligation juridique contre son auteur. Même si la définition est rapportée à celle du contrat, acte de formation bilatérale, elle ne permet pas la visualisation de l’engagement unilatéral par une simple réduction à l’unité des règles qui gouvernent la matière contractuelle.

    L'une des questions les plus épineuses du droit des obligations, la reconnaissance du potentiel générateur d'obligations de l'engagement unilatéral, se construit à l'ombre de la plus vaste problématique des valences juridiques de la volonté. À une époque qui établit comme desideratum l'unification des modèles ou, du moins, de l'identification de la meilleure solution, dans une législation moderne, ouverte même à l'abandon de traditions de siècles, il s'impose d'étudier le problème au niveau de ses fondements. L’ouvrage présente les prémisses historico-philosophiques des deux orientations opposées, qui caractérisent les deux grands systèmes juridiques continentaux, français et allemand, quant au rôle de la volonté dans la production des effets de droit. Le degré d’importance reconnue à la volonté interne, réelle, respectivement à la volonté déclarée, extériorisée, conduit aux visions différentes sur l’admissibilité de l’engagement unilatéral comme source d’obligations : réticence ou même hostilité dans le droit français, respectif faveur de principe dans le droit allemand. L’analyse comparatiste conclu que, au niveau des solutions pratiques, les deux systèmes ne sont en réalité si différents.

    Le Code civil roumain de 2009 suggère un grand saut vers la modernité, car il paraît admettre avec valeur de principe la force obligatoire de l’engagement unilatéral. L’auteur critique sans hésitation une telle solution, en soutenant que la seule interprétation admissible en vue d’assurer la cohérence du système juridique est celle conformément à laquelle le texte de l’art. 1327 du Code civil 2009 ne fait qu’énoncer la possibilité que, dans les cas prévus par la loi, la volonté unilatérale puisse participer à la création des obligations contre son émetteur. La naissance d’une obligation reste cependant toujours tributaire à l’existence d’une norme juridique. Elle peut être soit une norme de droit positif, qui détermine les conditions dans lesquelles l’auteur de la manifestation unilatérale de volonté peut être obligé à effectuer une prestation, soit une norme de droit naturel, l’obligation naturelle, que l’engagement unilatéral transpose dans l’ordre du droit positif, en lui donnant ainsi caractère obligatoire.

    La solution proposée est soutenue aussi avec des arguments de technique juridique. L’ouvrage fait l’analyse des mécanismes juridique véhiculés pour illustrer la transformation de l’obligation

    * Avocat au Barreau Cluj.

    Law Review vol. I, issue 1, January-June 2016, p. 15-71

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    naturelle en obligation civile, pour conclure que l’engagement unilatéral est le seul adéquat en ce sens. La juridicité de l’obligation naturelle préexistante fait que l’engagement unilatéral se limite ici aussi à un rôle attributif d’efficacité juridique, ce qui l’exclut de la catégorie des sources créatrices d’obligations juridiques.

    Mots-clés : acte unilatéral, engagement unilatéral, volonté juridique, le système de la volonté

    interne, le système de la volonté déclarée, la règle pacta sunt servanda, consensualisme juridique, volontarisme juridique, reliance-based theory of contract, source d’obligations, acte – fait juridique, transformation d’une obligation naturelle en obligation civile, norme de droit naturel, norme de droit positif.

    Variante de l'acte de formation unilatérale, l'engagement unilatéral pourrait

    être défini comme la manifestation de volonté en vue de créer une obligation juridique à la charge de son auteur. Avant de démarrer une analyse de celui-ci, quelques remarques s'imposent. Tout d'abord, l'engagement unilatéral concerne seulement la situation où son auteur devient débiteur, étant inconcevable que de par sa volonté soient créées des obligations à la charge d'un tiers1.

    Ensuite, est exclue de l'analyse la manifestation de volonté dans le but de produire des effets juridiques par sa rencontre avec la volonté de son destinataire. Dans ce cas, on est en présence d'une offre de contracter, et l'obligation assumée par l'auteur de l'acte sera l'effet du contrat et non pas de la manifestation unilatérale de volonté. En même temps, la reconnaissance de la qualité de source d'obligations de l'acte juridique unilatéral suppose que celui-ci engendre un droit subjectif en faveur du créditeur, indépendamment de sa volonté, le fait de déceler une acceptation, même tacite, faisant basculer l'acte dans la sphère des contrats. Ainsi, bien que le rapport obligationnel visé ait un débiteur et un créditeur déterminés ou du moins déterminables, les deux n'ont pas la qualité de parties de l'acte unilatéral, celui-ci ayant un (seul) auteur.

    Il ne faut donc pas confondre l'engament unilatéral avec le contrat unilatéral, lequel support un accord des volontés, étant unilatéral seulement dans ses effets, parce qu'il engendre des obligations à la charge d'une seule partie, mais en gardant

    1 La solution est valable tant qu'on se situe dans le cadre des rapports de droit privé, caractérisés, d'après la formule classique, par la position d'égalité de ses parties. Tel n'est pas le cas dans le domaine du droit publique, où l'exercice du pouvoir publique ne rencontre aucun obstacle théorique lorsqu'il s'agit d'établir les obligations à la charge du destinataire de l'acte et indépendamment du consentement de celui-ci. Pour des détails, v. G. Dupuis, Définition de l’acte unilatéral, în Recueil d’études en hommage à Charles Eisenmann, Cujas, Paris, 1975, p. 205, lequel, en considérant que l'acte unilatéral est l'expression juridique d'un pouvoir, apprécie que, normalement, il devrait disparaître de partout, à mesure que "l'ascendant de l'homme sur l'homme" tend à se volatiliser, ce qui est le cas tant dans les rapports familiaux que dans le cadre des entreprises et ce qui caractérise premièrement l'évolution de l'Etat de l'autocratie à la démocratie.

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    sa qualité d'acte de formation bilatérale. Enfin, en principe, les mêmes exigences de validité qui conditionnent le contrat devront être vérifiées aussi dans le cas de l'engagement unilatéral. L'observation n'exclut pas l'adaptation de ces conditions au spécifique de l'acte déduit de l'unilatéralité de la volonté créatrice de droit2 et, en tout cas, elle reste debout aussi longtemps que la loi ne soumet pas les obligations issues d'un tel engagement à des règles dérogatoires des obligations contractuelles

    Tout ce qu'on vient de montrer représente de banales réductions à une unité de volonté de la construction contractuelle. Dans la même direction s'inscrit le Nouveau Code Civil qui, dans l'art. 1324, définit l'acte unilatéral comme étant "l'acte juridique qui suppose uniquement la manifestation de volonté de son auteur". Est-ce suffisant pour pouvoir dire que l'acte de formation unilatérale est capable de générer des obligations civiles? Peut-on étendre purement et simplement le principe pacta sunt servanda de la matière des contrats, pour conférer la même force obligatoire à la volonté unilatérale?

    Nous nous proposons, dans le cadre de cette étude, de tracer des éléments qui assurent les fondements de la réponse au problème de l'admissibilité de l'acte unilatéral comme source d'obligations (1), suivi de l'illustration de son application dans la détermination de la signification juridique de l'engagement d'exécuter une obligation naturelle (2).

    1. Le rôle de l'engagement unilatéral dans la création des obligations L'une des questions les plus épineuses du droit des obligations, la

    reconnaissance du potentiel générateur d'obligations de l'engagement unilatéral, se construit à l'ombre de la plus vaste problématique des valences juridiques de la volonté.

    Etrangère aux préoccupations des jurisconsultes romains, l'idée de la volonté génératrice d'obligations apparaît, comme nous l'avons déjà vu3, dans le contexte de l'imprégnation du droit des valeurs chrétiennes du succès de l'individualisme promu par le jusnaturalisme moderne. Cependant, alors que dans le système allemand, les effets obligatoires de l'acte sont liés à la volonté extériorisée, le système français valorise plutôt ses ressorts intérieurs. Cette différence de vision ne

    2 Un exemple pourrait être identifié dans l'exigence, imposée par la jurisprudence française,

    que la volonté exprimée soit suffisamment précise pour permettre de déterminer le contenu et l'étendue de l'obligation dont on désire la réception dans l'ordre du droit, par voie d'engagement unilatéral. A remarquer cependant que la précision de la volonté juridique est exigée aussi dans le cas du contrat, sans cependant lui accorder trop d'importance. Le fait de souligner la nécessité de cette précision afin de reconnaître la force obligatoire de l'engagement unilatéral a le rôle de pallier à l'incertitude quant à la volonté juridique unilatérale, laquelle, dans le cas du contrat, est plus facile à dissiper par la prise en considération de l'intérêt de l'autre, de la tension entre les volontés individuelles des parties, tension qui devient garantie d'équilibre et de stabilité.

    3 A. Buciuman¸ Obligaţia naturală şi obligaţia civilă. O abordare structurală, Revista Română de Drept Privat, nr. 6/2015, surtout p. 33-59.

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    reste pas sans conséquences sur le plan de l'admission d l'acte unilatéral obligationnel: si le premier système mentionné a, en principe, une attitude favorable à son égard, le système français se caractérise par une réticence accentuée, voire de l'hostilité à son égard.

    La présentation des prémisses historico-philosophiques des deux visions nous conduira à leur analyse, illustrée par un regard comparatiste sur les principaux systèmes juridiques européens (1). A une époque qui établit comme desideratum l'unification des modèles ou, du moins, de l'identification de la meilleure solution, dans une législation moderne, ouverte même à l'abandon de traditions de siècles, il s'impose d'étudier le problème au niveau de ses fondements, en faisant abstraction de la solution du droit positif (2). Enfin, la solution établie au niveau des principes qui gouvernent le système juridique doit être transposée de façon adéquate dans des mécanismes de technique juridique (3).

    1.1. Les prémisses du droit objectif La discussion concernant le pouvoir créateur d'obligations de la volonté

    unilatérale dans le droit civil part de prémisses communes aux deux conceptions. L'impact énorme des travaux des fondateurs du jusnaturalisme moderne ne suppose pas automatiquement l'existence d'une interprétation unitaire de ceux-ci (A). Au contraire, son influence a généré deux modèles "rivaux", français et allemand, qui se retrouvent aussi dans les codes civils plus récents (B).

    A. Le jusnaturalisme du XVIIe siècle - un testament difficile à interpréter La distance conceptuelle4 et surtout les divergences concernant la valeur de la

    déclaration de volonté entre le système allemand et le système français ressortissent des différences d'interprétation et de réception du jusnaturalisme moderne et surtout des travaux de Hugo Grotius et Pufendorf. En effet, la doctrine du jusnatualisme établie le lien entre l'obligation juridique et la volonté, lien qui restera à la base des systèmes juridiques modernes.

    Dans son ouvrage, Du droit de la guerre et de la paix, Hugo Grotius distingue entre promesses, contrats et serments, en insistant toujours sur le devoir naturelle de respecter la parole donnée. Apparemment, la définition qu'il donne au contrat a une nuance utilitariste, en soulignant surtout ses effets, les avantages que, à l’exception du contrat gratuit, il procure aux parties. La faible attention accordée au consentement, aux manifestations concordantes de volonté des deux parties

    4 Le terme est choisi avec attention et doit être compris strictement dans son sens propre. Cela parce que les différences entre le système allemand et le système français sont inconciliables seulement sur le plan conceptuel. Au niveau des solutions pratiques cependant, à travers des mécanismes différents, les deux parviennent à des résultats souvent similaires. Pour une démonstration en ce sens, voir par exemple Tr. Ionaşcu, De la volonté dans la formation des contrats, in Recueil d’études sur les sources du droit en l’honneur de François Gény, Thone, Liège, Sirey, Paris, 1934, p. 368 et suiv.

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    s'explique justement par le fait que l'élément volitif est traité dans un registre plus large, qui dépasse le cadre contractuel, plus exactement celui des promesses, auxquelles il consacre un chapitre spécial placé devant celui réservé aux contrats. La théorie des promesses est fondée presque entièrement sur la volonté individuelle.

    Il distingue trois aspects différents de la promesse, interprétés comme étant les trois degrés du processus de formation de celle-ci5. Le premier consiste à ce qu'on pourrait assimiler aujourd'hui à la déclaration ou la manifestation de volonté: "La première, ou celle qui donne le moindre dégrée d’espérance, consiste à déclarer simplement le dessein que l’on a pour l’heure de faire un jour telle ou telle chose6 (ns. soulignons, A.B.). Le second se réfère à la policitation ou promesse non suivie d'acceptation, par laquelle l'obligation est définie, dans son principe et dans son étendue, par le sujet de droit, mais qui ne confère pas à l'autre partie un droit propre et donc n'est pas susceptible de contraindre l'auteur: "La seconde manière de faire espérer une chose à quelqu’un c’est lors que la volonté se détermine, pour l’avenir, avec une déclaration suffisante de la nécessité qu’elle s’impose de persévérer dans les sentiments où l’on a témoigné que l’on étoit en faveur de quelqu’un. C’est ce qu’on appelle une promesse imparfaite…7." Le dernier élément est l'intention de conférer à un autre le droit d'obtenir le respect de l'obligation assumée, condition d'une promesse "parfaite": "La troisième et dernière manière de s’expliquer ou celle qui renferme le plus haut degré d’espérance est rencontrée lorsqu'à la détermination, dont je viens de parler, on ajoute une déclaration suffisante de la volonté, qu’on a de donner à celui en faveur de qui on s’engage un véritable effet d’exiger l’effet de notre parole. C'est la promesse parfaite... elle est ou un acheminement à l’aliénation de quelque partie de nos bines ou une espèce d’aliénation de quelconque partie de notre liberté"8. On peut facilement observer que, dans la conception de Grotius, tous les éléments nécessaires à la constitution de l'acte juridique obligatoire sont le produit de la volonté. Cependant, toute manifestation de volonté ne peut pas générer un rapport obligationnel. Sous cet aspect, le texte de Grotius peut générer des interprétations divergentes. D'un côté, en établissant les conditions d'une promesse parfaite, capable de produire des effets juridiques, il parle de l'affirmation de l'intention, la détermination suffisante des effets visés et la manifestation de la volonté juridique à travers un signe extérieur, "car les gens ne peuvent connaître un acte qu'à ses signes extérieurs9, de

    5 Dans la traduction roumaine de l'ouvrage de Grotius (trad. George Dumitriu) on parle de trois "modalités" de la promesse, ce qui peut créer l'impression qu'on est en présence d'un classement dans le cadre du même concept général. La traduction en français du texte latin utilise le terme de "dégrés" de la promesse, en suggérant une succession d'étapes dans la formation de l'acte juridique obligatoire, lesquelles peuvent être tout autant de conditions de celui-ci.

    6 H. Grotius, Despre dreptul războiului şi al păcii¸ op. cit., livre II, chap. XI, par. II, p. 363. 7 Ibidem, livre II, chap. XI, par. III, p. 363. 8 Ibidem, livre II, chap. XI, par. IV, p. 363. 9 Ibidem, livre II, chap. IV, par. III, p. 265. La manifestation extérieure de la volonté est

    nécessaire pour produire des effets juridiques, le simple acte intentionnel, l'acte tout à fait intérieur

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    sorte que le texte peut donner l'impression que l'acceptation n'est pas nécessaire à la naissance du droit promis. Cependant, les trois éléments de la promesse nommée par Grotius "parfaite", présentés dans des paragraphes successifs, ne font que distinguer la volonté restée au stade d'intention, intérieur de la volonté extériorisée, la seule en mesure de générer l'obligation, mais ne s'occupe pas de la procédure de formation de l'acte juridique. C'est une analyse de la volonté juridique du point de vue qualitatif, destinée à combattre le maintien du formalisme du droit romain, soutenue par une partie des auteurs de l'époque10, sans offrir d'indices d'ordre quantitatif sur la volonté ou les volontés nécessaires à la création d'un droit. D'autre part, en parlant du mécanisme de constitution de l'obligation, l'auteur montre, quelques paragraphes plus loin, que "pour que la promesse confère un droit à celui en faveur duquel elle est faite, on exige l'acceptation de la part de celui-ci..." 11.

    Pufendorf développe sa vision dans la même direction, en accentuant l'idée, qui a beaucoup de succès aujourd'hui encore, conformément à laquelle l'obligation volontaire opère une aliénation de la liberté individuelle12. La force obligation du contrat extrait sa sève de la conjugaison de ce transfert d'une partie de la liberté du prometteur en faveur du bénéficiaire qui l'accepte. Selon son avis, la formation du contrat repose sur la croyance et sur la confiance, lesquelles, à leur tour, supposent l'extériorisation de la volonté et la clarté de son expression. Pour être prise en considération par l'ordre juridique, la volonté intérieure doit se manifester, sortir d'elle-même pour rencontrer la volonté d'autrui. De même que chez Grotius, la mise en lumière du consentement implique l'utilisation de certains "signes" ou "indices" (mots, gestes, écrits etc.), qui ne conditionnent la validité de celui-ci. L'insistance de Pufendorf sur ces signes extérieurs de la volonté juridique est justifiée par l'importance que l'auteur accorde à la théorie du langage dans l'élaboration d'une construction rationnelle concernant le consentement et son interprétation13. En partant de l'idée que la langue ne représente qu'une convention sur le sens des mots, Pufendorf souligne la nécessité que chacun emploie les termes au sens commun, car il sera considéré qu'il veut sur le plan juridique ce que le sens ordinaire des signes

    n'etant pas soumis aux lois humaines. Même si les signes extérieurs des actes intentionnels n'offrent qu'une probabilité et non pas une certitude mathématique sur la volonté réelle, la nature de la société humaine ne permet pas que les actes sufisamment extériorisés restent sans effet, de sorte que ceux-ci sont considérés comme concodants avec la volonté réelle.

    10 Cet aspect résulte avec clarté de tout le chapitre dédié aux promesses, Grotius critiquant les opinions favorables au formalisme, soutenues à l'époque par François de Connan.

    11 H. Grotius, op. cit., livre II, chap. XI, par. XIV, p. 369. 12 „Toute promesse est ou un cheminement à l’aliénation de notre bien ou une espèce

    d’aliénation de quelque petite partie de notre liberté puisque ce que l’on pouvait auparavant faire ou ne pas faire, et faire en qui on voulait, n’est désormais en notre pouvoir que de la manière dont qu’on s’est prescrit soi-même par la promesse”. S. von Pufendorf, Le droit de la nature et des gens, t. 1, (trad. din latină J. Barbeyrac), Henry Schelte, Amsterdam, 1706, cartea a III-a, chap. V, §7, p. 333.

    13 Voir en ce sens D. Deroussin, Histoire du droit des obligations, Economica, Paris, 2007, p. 172.

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    utilisés signifie. Comme la parole fait que l'homme soit destiné à la vie sociale, son emploi - ou celui d'autres signes destinés à exprimer la volonté - pour induire en erreur autrui représente la violation d'une maxime de droit naturel.

    Dans les conditions de l’immense succès connu par l'Ecole du droit naturel et surtout par les travaux des deux auteurs mentionnés, sur deux côtés du Rhin, la distance conceptuelle en ce qui concerne le contrat et l'acte unilatéral entre le système français et celui allemand est surprenante. Ce qui explique les directions si différentes dans lesquelles a évolué le droit des obligations dans les deux pays est l'interprétation différente des thèses des fondateurs du jusnaturalisme moderne. Les jusnaturalistes allemands ont développé les classifications proposées par Grotius, afin de systématiser les rapports que la promesse entretient avec le contrat. Parmi les aspects de la promesse décrits par celui-ci, ils ont considéré comme primordiale la valeur objective de la volonté exprimée, ce qui a eu d'importantes conséquences théoriques sur les multiples formes d'engagements obligatoires décrits par Grotius. Au contraire, la doctrine française tend à simplifier les divisions compliquées opérées par Grotius, en manifestant une plus grande affinité avec les classements des typologies romaines comprises dans Corpus iuris civile. Contrats, conventions, pactes, traités, tous sont englobés dans un concept unique - la convention14 - dont les ressorts seront identifiés et analysés de façon unitaire. Dans la vision française, la promesse ne reste qu'un élément de la convention. Domat, par exemple, dont l'ouvrage a canalisé les opinions des juristes français à l'époque antérieure à la codification, proposait la définition suivante: les conventions sont des engagements qui se forment par le consentement mutuel des deux ou plusieurs personnes qui créent entre elles une loi qui impose l'exécution de ce qui a été promis15. L'analyse de la convention est dominée par le primat de la volonté interne sur sa manifestation extérieure. Ainsi, à l'aube du Code civil français, lorsque les universités n'existaient plus, l'enseignement juridique se déroulant dans des établissements privés, la formation d’orientation jusnaturaliste des juristes français insistait sur les rapports entre l'obligation civile et la volonté interne, alors que de l'autre côté du Rhin, Friedrich Carl von Savigny élaborait la

    14 Le terme de convention acquiert ainsi une signification générale. Sa différence par rapport au contrat est utilisée parfois justement pour insister sur ce caractère de généralité. Dans les ouvrages de Domat et Pothier, convention a une signification plus large que contrat, la première désignant le genre, le second l'espèce. La convention est un accord de volonté destiné à engendrer la naissance, la modification ou la cessation d'un engagement. Ainsi, les conditions, les tâches, les clauses résolutoires sont qualifiées comme conventions. Le contrat est l'espèce de convention qui a pour objet la naissance d'un engagement. D'autres auteurs (Bouchel) réduisent le contrat à un acte bilatéral à titre onéreux, en considérant que la conclusion des contrats a le but de compenser l'état d'inégalité qui existe entre les gens, qui consiste dans le fait que l'un possède quelque chose qui fait défaut à l'autre et un droit dont le dernier a besoin. Voir D. Deroussin, Histoire du droit des obligations, op. cit., p. 164-165.

    15 J. Domat, Les lois civiles dans leur ordre naturel, 2e éd., Auboüin, Emery et Clouzier, Paris, 1697, livre 1, titre1, section 1, §1.

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    théorie de la déclaration de volonté, initiée au départ par Wolff16, Siegel et Kunze, à partir d'une image du contrat formé par l'échange de promesses et de l'importance accordée à la théorie des vices du consentement17.

    B. L'état du droit positif Le droit français. L'insuffisance de la volonté unilatérale Organisé autour de la propriété, Le Code de Napoléon de 1804 règlemente le

    contrat comme l'une des modalités d'acquisition de celle-ci. Les obligations volontaires apparaissent uniquement comme effets variés d'un concept unique - le contrat ou la convention - étant dépourvues d'un système propre. Cette lacune est ressentie de manière de plus en plus aiguë dans la doctrine moderne, en produisant un effet inversé: comme nous l'avons déjà montré, l'omniprésence de l'obligation et le besoin de lui conférer une source mène à la déformation de la notion de contrat, par extension excessive ou par la création de sources-satellites, lesquelles, loin de gagner leur autonomie conceptuelle, contribue encore plus à l'obscurcissement de l'image que l'on se fait du contrat18.

    La définition que le code civil français en vigueur donne du contrat19, à l'article 1101, se contente de reproduire les définitions élaborées dans le droit romain (Les Institutions de Justinien, III, 13, respectivement dans Digeste, Paulus, 44, 7,3), à la différence que ces dernières concernaient l'obligation, indifféremment de sa nature contractuelle ou délictuelle. Par cette voie, selon le modèle de Pothier qui leur attribuait le même objet, le code français actuel trahit sa tendance d'assimiler le

    16 Il ne faut pas exagérer le rapprochement de Savigny et de Christian Wolff, face auquel,

    d'ailleurs, le premier occupait des positions contraires sous de multiple aspects. Il semble cependant que la valeur objective de la déclaration de volonté était reconnue par la majorité de la doctrine allemande.

    17 V. Forray, Le consensualisme dans la théorie générale du contrat, L.G.D.J., Paris, 2007, §774, p. 551.

    18 Pour une tentative audacieuse de réorganisation des sources volontaires d'obligations sous forme d'engagements et quasi-engagements, voir C. Grimaldi, Quasi-engagement et engagement en droit privé. Recherches sur les sources de l’obligation, op. cit., passim. En partant de la difficulté de la doctrine de qualifier la source de l'obligation dans le cas des loteries publicitaires trompeuses, en étendant ensuite l'analyse à certains engagements inexistants, nuls ou inopposables qui ont fondé la croyance légitime du bénéficiaire dans l'existence et l'impératif de l'obligation, l'auteur révèle le quasi-engagement comme source d'obligations qui combine l'équité, l'apparence et l'idée de sanction. Le quasi-engagement engendre une obligation si l'on peut déceler une faute à la charge de celui qui l'émet, si cette faute a généré la croyance légitime du destinataire dans son accomplissement et s'il existe un intérêt spécial pour le maintien de l'engagement. L'engagement est, selon C. Grimaldi, l'acte juridique même et pas seulement une source complémentaire d'obligations. En ce sens, le contrat est vu comme une somme d'engagements unilatéraux interdépendants, la volonté exprimée de façon unilatérale en vue de produire des effets juridiques étant génératrice d'obligations.

    19 L'article 1101 du Code civil français prévoit: "Le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s'engagent envers une ou plusieurs autres à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose."

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    contrat à l'obligation, la source à l'effet. Pratiquement, la définition légale traite d'un "contrat-obligation"20 ou obligation conventionnelle, en ignorant non seulement les conventions qui produisent d'autres effets que la génération d'obligations, mais aussi leur potentiel, point négligeable, de donner naissance à des obligations réciproques.

    Pourtant, le fait de considérer exclusivement le contrat comme source d'obligations volontaires est redevable moins à la tradition romaine qu'au fondement subjectiviste de l'obligation juridique, déduit de la théorie des promesses élaborée par les représentants de l'Ecole du droit naturel21. L'obligation découle de la volonté de l'auteur de la promesse conjuguée avec celle de la personne en faveur de laquelle se constitue le droit corrélatif. Ainsi, Pothier souligne la nécessité du concours de volontés pour la création des obligations juridiques: "je ne peux par ma promesse, accorder à quelqu'un un droit contre ma personne, jusqu'à ce que sa volonté concoure à l'acquérir, par l’acceptation qu’elle fera de ma promesse"22. La formule du code acquiesce tacitement à cette idée et la doctrine postérieure à son adoption la reprend telle quelle23.

    Par conséquent, le droit français actuel ne consacre pas l'engagement unilatéral comme source d'obligations. L'acte unilatéral lui-même est peu représenté dans le Code civil français et, en tout cas, les situations tout à fait disparates où l'on reconnaît la capacité de la volonté unilatérale de produire des effets juridiques y sont complètement non systématisées. En faisant abstraction de toute une série d'auteurs24 qui, au XIXe siècle et au début du XXe, ont été séduits par la théorie de la déclaration de volonté, en vogue parmi les juristes allemands, la doctrine

    20 L'expression est utilisée par J. Carbonnier, Droit civil, t. 4, Les obligations, P.U.F., Paris, 1995, §64, p. 119.

    21 Voir en ce sens V. Forray, Le consensualisme…, op. cit., §481, p. 347. 22 R.-J. Pothier, Traité des obligations, éd. Siffrein, Paris, 1821, t. 1, §4, p. 5. 23 Duranton (Cours de droit civil français suivant le Code civil, 4eéd., t. 10, Thorel – Guilbert, Paris,

    1844, §52, p. 32-33) ne peut concevoir de conventions sans le concours des volontés de plusieurs, dont un promet, consent, s’engage ou s’oblige, et l’autre accepte la promesse. C. Demolombe (Cours de Code Napoléon, t. 24, Traité des contrats ou des obligations conventionnelles en général, t. I, Paris, 1868, §62) montre que le moment de la formation du consentement est celui où les deux volontés existent simultanément, le résultat de leur jonction étant un nœud, qui forme le contrat. V. L. J. Larombière, (Théorie et pratique des obligations, t. 1, Pedone, Paris, 1885, §9, p. 6-7) affirme catégoriquement que la suppression de l’un des deux termes du contrat, l’offre ou l’acceptation ne laissent rien subsister, l’offre non acceptée étant un acte stérile, incapable de transférer quelque droit, alors que l’acceptation sans offre préalable est tout à fait absurde.

    24 Par exemple, R. Worms, De la volonté unilatérale considérée comme source d’obligations, thèse¸ Paris, A. Giard, 1891 (qui défend la généralisation du domaine de l'engagement unilatéral, en appuyant sa théorie sur l'idée de la "nécessité sociale"), F. Gény, Méthodes d’interpretation et sources en droit privé positif, t. 2, L.G.D.J., 1954, §172 bis, p. 164. (qui propose une notion restrictive de l'engagement unilatéral, réduite aux cas "qui apparaissent comme indispensables pour obtenir un résultat désirable du point de vue social et impossible à obtenir du point de vue pratique par une autre voie".

  • 24 ADINA BUCIUMAN

    française est réticente quant au potentiel créateur d'obligations de l'engagement unilatéral25.

    Cependant, une idée audacieuse vient troubler les eaux calmes des sources volontaires d'obligations dans le droit français. Suggérée par Jacques Flour26 et développée ensuite par Michelle Gobert27, celle-ci affirme que la manifestation unilatérale de volonté par laquelle son auteur s’oblige à l'exécution d'une obligation naturelle a un caractère contraignant à l'adresse de celui-ci et représente un acte unilatéral générateur d'obligations. En d'autres mots, l'obligation naturelle sert de cause à l'engagement unilatéral d'exécuter une prestation28, en facilitant, malgré les réticences du droit français des obligations à ce sujet, l'admission de l'acte unilatéral comme source d'obligations. Presque 50 ans plus tard, la jurisprudence consacre la même solution, en statuant que la transformation - improprement qualifiée comme novation - d'une obligation naturelle en obligation civile, basée sur un engagement unilatéral d'exécuter une obligation naturelle, n'impose pas qu'une obligation civile ait préexisté à celle-ci29. Le problème de l'engagement unilatéral - source autonome d'obligations cesse d'être un tabou, la décision mentionnée et celles qui ont repris son modèle incitant l'appétit pour son analyse et son fondement conceptuel.

    La modification du Code civil français par l'Ordonnance no. 2106-131 du 10 février 2016, destinée à entrer en vigueur à partir du 1er octobre 2016, déplace le centre gravitationnel de la réglementation, l'accent étant mis maintenant sur les obligations civiles, auxquelles on consacre des textes de loi organisés dans la présentation des sources, du régime général et de leur preuve. La définition du contrat rend à celui-ci le potentiel de produire des effets modificateurs ou extinctifs, non seulement générateurs d'obligations30. De même, il faut signaler l'inclusion du contrat dans la catégorie des actes juridiques, ces derniers étant énumérés à côté de faits juridiques et de la loi, comme sources d'obligations civiles.

    25 Pour une analyse détaillée, voir, par exemple, J. Martin de la Moutte, L’acte juridique

    unilatéral. Essai sur sa notion et sa technique en droit civil, thèse, Toulouse, 1949, Sirey, Paris, 1951, passim.

    26 J. Flour, La notion d’obligation naturelle et son rôle en droit civil, Trav. Assoc. Henri Capitant, t. 7, 1952, p. 813 et suiv., surtout p. 825-826.

    27 M. Gobert, Essai sur le rôle de l’obligation naturelle, Sirey, Paris, 1957, p. 151-192. 28 Voir, pour des détails, M.-L. Izorche, L’avènement de l’engagement par volonté unilatérale en

    droit privé contemporain, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, Aix-en-Provence, 1995, passim. 29 Cass. civ. 1re, 10 oct. 1995 – Frata c/d’Onofrio. La décision a suscité d'amples commentaires.

    Voir, par exemple,Recueil Dalloz, 1996, Sommaires commentés, p. 120, obs. R. Libchaber; Recueil Dalloz, 1997, Jurisprudence, p. 155-157, note G. Pignarre; S. Hoquet-Berg, La transformation d’une obligation naturelle de reconnaissance en obligation civile(Cass. civ. 1re, 10 oct. 1995), PetitesAffiches, 23 août 1996, p. 9-17; N. Molfessis, L’obligation naturelle devant la Cour de cassation: remarques sur un arrêt rendu par la première Chambre civile, le 10 octobre 1995, Recueil Dalloz, 1997.I. Chronique, p. 85-91.

    30 Dans sa nouvelle formule, l'article 1101 établit que: „Le contrat est un accord de volonté entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, à modifier, à transmettre ou à éteindre des obligations.”.

  • L’engagement unilatéral 25

    Mais, bien que la nouvelle réglementation n'ignore plus l'acte unilatéral, elle ne lui confère pas non plus explicitement ou au moins implicitement le pouvoir de générer des obligations juridiques civiles à la charge de l'auteur. Le problème du pouvoir nomothète de la volonté unilatérale est ressenti encore comme un terrain miné, le législateur choisissant la voie d'une prudence extrême: bien que l'alinéa 1 de l'article 1101 montre que les obligations peuvent résulter d'actes juridiques, de faits juridiques ou seulement de la loi, la réglementation détaillée ultérieure des sources volontaires d'obligations concerne seulement le contrat, passant sous silence l'acte unilatéral. Cependant, le second alinéa nouvellement inséré dans l'article 1101 affirme, en accord avec la jurisprudence récente, mais non sans un évident embarras conceptuel31, que les obligations "peuvent naître de l'exécution volontaire ou de la promesse d'exécuter un devoir de conscience vis-à-vis d'autrui."

    Le droit allemand. La théorie de la déclaration de volonté - entre essor

    doctrinaire et prudence législative Nous sommes tentés de croire que la théorie de la déclaration de volonté,

    élaborée dans l'espace juridique allemand et achevée dans la seconde moitié du XIXe siècle, est le résultat d'une lecture tronquée de l'ouvrage de Grotius, facilitée, c'est vrai, aussi d'une certaine ambiguïté du texte en question. En partant des assertions du promoteur du jusnaturalisme moderne en raison desquelles une promesse devient parfaite si elle est suffisamment déterminée et extériorisée à travers des signes ou des indices qui permettent sa connaissance par des tiers, une bonne partie des auteurs allemands affirment, avant l'adoption du Code civil allemand, que par l'émission d'une promesse parfaite, la volonté juridique se détache de sa source, acquiert une vie propre et produit ses propres effets juridiques. Par conséquent, la théorie de la déclaration de volonté repose sur la distinction fondamentale entre la volonté intérieure et la volonté extériorisée, la seconde étant celle qui doit être privilégiée dans le processus de formation des droits et obligations, étant sans relevance si l'image que celle-ci crée corresponde encore à la volonté réelle de son auteur.

    Dans ces circonstances, le contrat n'est plus l'instrument par lequel la volonté intérieure s'accomplit, mais une des formes de manifestation de la volonté déclarée, détachée de l'élément volitif intérieur. La légitimité de l'institution du contrat ne se retrouve pas dans la volonté commune réelle des parties, comme le seul élément de référence que l'ordre juridique cherche à protéger, mais dans la nécessité de sécuriser les espérances et les attentes des autres, provoquées par la manifestation de volonté, ou les droits que celle-ci a générés. Les règles de droit ne se préoccupent pas tant d'assurer que l’acte produise les effets souhaités par l'auteur de la volonté, que de l'aménagement de la responsabilité de ce dernier vis-à-vis des autres.

    31 Parce qu'il évite tant le terme d'obligation naturelle que la qualification d'acte unilatéral de la promesse d'exécution.

  • 26 ADINA BUCIUMAN

    Conformément à cette conception, l'acte juridique de formation unilatérale n'a rien de plus à démontrer pour qu'on reconnaisse sa capacité de produire des effets obligationnels; l'unilatéralité de la volonté ne dérange pas la théorie, parce que la promesse peut être parfaite, indépendamment de sa rencontre avec une autre convergente. L'affirmation de Grotius concernant la nécessité de l'accord pour la naissance du droit en faveur du destinataire de la promesse est interprétée seulement dans le sens que la promesse ne peut imposer à autrui un droit, la naissance de la créance étant conditionnée par le consentement de celui-ci, mais l'obligation est définitivement formée par l'émission de la déclaration de volonté. Le rapport de droit existe, seul le droit subjectif étant lié à la volonté du titulaire.

    L'explication d'un tel état des choses est donnée par une nouvelle décomposition de la volonté, cette fois-ci sous l'aspect des effets obligationnels visés. Dans un ouvrage sur la promesse comme source d'obligations, Siegel32 affirme que la manifestation de volonté dans le sens de s'obliger juridiquement tend en réalité à créer un double rapport obligatoire: le premier, en raison duquel le prometteur s'oblige vis-à-vis de lui-même à tenir sa parole, ce qui implique automatiquement l'obligation négative de s'abstenir de tout comportement qui puisse compromettre ce résultat et le second, par lequel il s'oblige vis-à-vis du tiers à tenir sa promesse. La distinction répond aussi à une exigence technique de l'obligation, la nécessité de l'existence d'un créancier, élément qui manque au moins dans le cas de certains des engagements unilatéraux admis dans cette conception. Ainsi, l'obligation de tenir sa promesse peut être conçue aussi en faveur d'un bénéficiaire indéterminé, alors que l'obligation d'accomplir sa prestation n'existe que vis-à-vis d'une personne pour le moins déterminable. L'obligation de tenir sa promesse est indépendante de celle d'exécuter la prestation assumée. Son existence et son efficacité juridique sont imposées par des nécessités pratiques de la vie des affaires, le circuit civil étant bouleversé si chacun pouvait retirer à son gré les promesses juridiques qu’il a faites. La conséquence en est que l'acceptation du créancier, quoique nécessaire pour donner de la consistance concrète à l'obligation de tenir sa promesse, n'est pas indispensable à cette obligation. Le rôle de l'acceptation se réduit ainsi à une sorte de "ratification" du rapport d’obligation.

    Par conséquent, vis-à-vis de son auteur, la déclaration de volonté est parfaite dès son émission, en vertu de l'autonomie de la volonté. Sa force obligatoire s'explique par le fait que, d'un côté, cette déclaration concentre toute la volonté de l'émetteur, et, de l'autre côté, l'extériorisation qu'elle suppose enlève le pouvoir de l'auteur ou d'événements liés à sa personne sur la volonté déjà exprimée. En ce sens, la mort de l'auteur ou la survenance de son incapacité n'ont pas d'influence sur la déclaration de volonté.

    32 Siegel, Das VersprechenalsVerpflichtungsgrund in heutigen Recht, apud J. Martin de la Moutte¸ L’acte juridique unilatéral…, op. cit., §277, p. 259 et suiv.

  • L’engagement unilatéral 27

    L'efficacité de la déclaration de volonté vis-à-vis de son bénéficiaire est expliquée par la confiance légitime dans l'avantage promis, qu'a générée la déclaration. Ainsi, vis-à-vis du destinataire, la déclaration de volonté devient efficace et donc irrévocable, du moment où celui-ci l'a reçue, car cette fois-ci son comportement et ses décisions peuvent être influencés par ses attentes dérivées de la prise en compte de la volonté extériorisée de l'autre.

    Soutenue soit par le principe de l'autonomie de volonté, soit par celui de la sécurité des transactions, la théorie a été reçue favorablement non seulement dans l'Allemagne d'avant la codification33, où elle a eu un succès considérable, mais aussi en Italie, ayant des échos aussi en France, où des auteurs comme Saleilles, Gény, Demogue, Josserand, Worms, Colin et Capitant ou Savatier se sont prononcés pour l'admission de l'engagement unilatéral comme source d'obligations.

    En fin de compte, les rédacteurs du Code civil allemand n'ont pas repris la théorie de l'engagement unilatéral comme source générale d'obligations telle que soutenait la doctrine du XIXe siècle. Quoique à la suite de vifs débats34, le principe retenu, déduit du texte de l'ancien article 305, l'actuel article 311 al. 1 du BGB35, soit

    33 Nous rappelons le fait qu'en Allemagne, le Code civil (BürgerlichesGesetzbuch) est entré en vigueur à peine en 1900, presque un siècle plus tard après la parution du Code de Napoléon de 1804.

    34 Dans les discussions portées à l'occasion de l'adoption du BGB, de nombreuses voix dans le cadre des commissions constituées dans ce but ont sollicité la suppression du paragraphe 305 (l'actuel 311 al. 1), pour laisser à la doctrine de juger la question de l'engagement unilatéral, ce qui aurait permis à la jurisprudence, tout en gardant le principe, d'être plus flexible dans l'acceptation de dérogations au celui-ci. Voir en ce sens C. Bufnoir, J. Challamel, J. Drioux, F. Gény, P. Hamel, H. Lévy-Ullmann, R. Saleilles, Code civil allemand, traduit et annoté, Imprimerie nationale, Paris, 1904, Art. 305, p. 429.

    Encore que l'opinion n'ait pas obtenu l'adhésion de la majorité, les aspects montrés livrent un indice important quant à l'attitude des juristes allemands vis-à-vis du rôle qui devrait être accordé à l'engagement unilatéral parmi les sources d'obligations; en tout cas, cela montre que, à l'encontre de la situation de la France de la même époque, où les opinions en faveur de l'engagement unilatéral sont restées isolées, en Allemagne elles étaient pour le moins suffisantes pour générer une réelle dispute. D'ailleurs, en raison des mêmes discussions, on y a ajouté, comme une solution de compromis, la mention concernant les exceptions prévues par la loi, pour établir clairement que, lorsque la loi permet la naissance d'une obligation par une simple déclaration unilatérale de volonté, nous sommes en présence d'une dérogation du principe énoncé par le paragraphe 305 du BGB, respectivement d'une application de la théorie de l'engagement unilatéral (pour des détails, ibidem, loc. cit. supra).

    Dans ces circonstances, l'image créée aux yeux des juristes français du système allemand comme favorable à l'engagement unilatéral, n'apparaît plus comme surprenante ni tout à fait erronée. Pour dénoncer cette discordance entre la situation de lege lata du droit allemand et la réflexion de la pensée juridique allemande dans les approches des privatistes français, voir C. Witz, Droit privé allemand, vol. 1, Actes juridiques, droits subjectifs. BGB, Partie générale. Loi sur les conditions générales d’affaires, Litec, Paris, 1992, §117, p. 116 et s.

    35 Le texte de l'actuel par. 311 al. 1 BGB prévoit: "Pour fonder une obligation en vertu d’un acte juridique ainsi que pour modifier le contenu d'une obligation, un contrat conclu entre les parties est nécessaire, pour autant que la loi n’en dispose pas autrement" (trad. R. Legeais, M. Pédamon (coord.), Code civil allemand, traduction commentée du texte en vigueur au 31 octobre 2009, Dalloz, 2010).

  • 28 ADINA BUCIUMAN

    celui de la nécessité d'un accord de volonté pour la naissance de l'obligation. L'engagement unilatéral n'est source d'obligations que dans les cas exceptionnels prévus par la loi: la promesse de récompense (Auslobung§657 et suiv. BGB), la constitution du fondement (Stiftungsgeschäft§80 et suiv.. BGB), la souscription d'un effet de commerce (Inhaberschuldverschreibung§793 et suiv. BGB). La réforme du droit des obligations, par la loi du 26 novembre 2001, bien qu'elle consacre une série de solutions prétoriennes, y compris en ce qui concerne la protection des parties dans la période précontractuelle (voir, par exemple, al. 2 du par. 311 du BGB), conserve le principe conformément auquel la naissance d'une obligation par un acte juridique suppose l'existence d'un contrat.

    Reproductions des originaux. La réglementation de l'engagement unilatéral

    dans d'autres systèmes de droit continentaux Les autres réglementations des pays européens, et non seulement, modèlent

    leur attitude vis-à-vis de l'engagement unilatéral en fonction de leur principale source d'inspiration - le code français ou le code allemand. Le Code civil du Québec, ainsi que le Code civil roumain de 1864, reprend le modèle contractualiste français et ne consacre aucun texte à l'engagement unilatéral. Selon le modèle allemand, le Code suisse des obligations de 1911 (art. 8), le Code civil hollandais de 1992 (art. 6: 219) et le Code civil italien de 1942 (art. 1987) établissent la force obligatoire de la promesse de récompense, respectivement de la promesse adressée au public. Toujours sur la filière allemande, la Loi bulgare concernant les contrats et les obligations de 1950 placent expressément l'engagement unilatéral parmi les sources d'obligations, en montrant dans l'art. 44 que celui-ci est soumis aux dispositions concernant le contrat là où la loi permet à la volonté unilatérale de créer, de modifier ou d'éteindre des droits et des obligations36. Une situation à part est celle de l'Estonie et de la Lithuanie. Si la première réglemente sous la désignation plus large de promesse publique de payer ce qui dans le code allemand représente la promesse de récompense, l'autre rejette expressément la possibilité de créer des obligations par une promesse unilatérale que la seconde partie n'a pas acceptée37.

    Projets de codifications En concentrant leur attention davantage sur les contrats, les projets de

    codifications européennes et les principes UNIDROIT accordent une importance relativement réduite à l'engagement unilatéral. Ainsi, en établissant que les dispositions du chapitre destiné au contrat s'appliquent, avec les adaptations

    36 Cit. d'après C. Grimaldi, Engagement et quasi-engagement…, op. cit., §904, p. 410-411. 37 Pour des détails, v. ibidem, §902 et §905, p. 410-411.

  • L’engagement unilatéral 29

    nécessaires, "à toute communication d'intentions qu'une partie adresse à l'autre", l'article 3.20 des principes UNIDROIT, bien qu'intitulé Déclarations unilatérales, reste cantonné au cadre contractuel.

    Une évidente réticence au sujet de l'engagement unilatéral retentit aussi du projet Gandolfi du Code européen des contrats. L'art. 20 restreint les effets des déclarations et des actes unilatéraux à ceux qui "dérivent de la loi, de la coutume ou de la bonne volonté", donc non pas de la volonté de l'auteur, tout en soulignant leur révocabilité. La même révocabilité est prévue par l'art. 23 du même projet pour la promesse faite au public aussi, laquelle peut être sanctionnée seulement de l'obligation à payer des dommages-intérêts en faveur de celui qui, en se basant de bonne foi sur la promesse, a effectué certaines dépenses, excepté le cas où l'auteur de la promesse prouve que le succès escompté n'a pas pu être obtenu.

    A première vue, les Principes du droit européen des contrats, élaboré par la commission Lando, semble proposer avec audace un principe général de l'obligatoire engagement unilatéral. Ainsi, au paragraphe 2:107, intitulé, dans la variante française "Promesses obligatoires sans acceptations", on dispose de façon assez tranchante: "La promesse qui se veut obligatoire du point de vue juridique sans acceptation engage son auteur". Cependant, en réalité, le texte ne concerne pas n'importe quelle promesse faite dans l'intention de produire des effets juridiques indépendamment de son acceptation de la part du bénéficiaire, mais seulement certaines promesses, éventuellement celles que la loi, la jurisprudence ou la coutume déclareraient obligatoires en l'absence de l'acceptation38. Le texte a été d’ailleurs modifié ultérieurement, ainsi que dans la nouvelle numérotation, le paragraphe 2 :107 prévoit : « Par la manifestation de sa seule intention, il est possible d’être lié en l’absence de toute acceptation. Sous réserve des adaptations appropriées, cette promesse est soumise, pour sa validité et ses effets, aux règles qui gouvernent les contrats », ce qui exclut, à notre opinion, tout valeur de principe de la force créateur d’obligation de l’acte unilatéral.

    D'ailleurs, une autre interprétation ne serait même pas possible du point de vue logique, si nous prenons en considération le fait que le même projet établit le principe de la révocabilité de l'offre39: on ne voit pas pourquoi un engagement assumé en vue de l'acceptation serait moins contraignant, si toute promesse juridique faite sans viser sa rencontre avec la volonté du bénéficiaire, engagerait son auteur, comme le laisse comprendre la formule lacunaire du texte. La conclusion est que les Principes du droit européen des contrats proposent

    38 Concrètement, il semble que le texte concerne le crédit documentaire et la promesse

    publique de donation. Voir Commission pour le droit européen du contrat, Principes du droit européen du contrat, vol. 2, par G. Rouhette, I. de Lamberterie, D. Tallon. C. Witz, Société de législation comparée, L.G.D.J., Paris, 2003, p. 25.

    39 L'offre peut être révoquée si la révocation parvient à son destinataire avant que celui-ci ait expédié l'acceptation ou, dans le cas de l'acceptation déduite du comportement du destinataire de l'offre, avant que le contrat ait été conclu en raison des alinéas 2 ou 3 de l'art. 2:205.

  • 30 ADINA BUCIUMAN

    seulement la reconnaissance dans certains cas de l'engagement unilatéral comme source d'obligations, mais ne suggère pas l'admission d'une règle générale concernant le caractère obligatoire de l'engagement unilatéral.

    Le nouveau Code civil roumain. La modernité à tout prix Produit de sources d'inspiration éclectiques, Le Code civil roumain 200940

    s'écarte de la tradition du Code de Napoléon en matière d'acte unilatéral. Le silence, manifestation élégante d'une position de désapprobation ou, pour le moins, de suspicion est remplacée par l'affirmation, directe et désinhibée de toute inquiétude conceptuelle, d'une nouvelle source d'obligations.

    Dans un double souci, de ne rien oublier, de ne pas laisser d’aspects non réglementés, respectivement de ne rien dire sur la nature de certaines institutions41, l'art. 1165 du Code civ. énumère l'acte unilatéral comme source d'obligations juridiques civiles. Le texte représente une synthèse, avec ses propres ajouts, de l'art. 1372 du Code civ. du Québec42 et de l'article 1173 du Code civil italien43. Aucun des textes indiqués ne mentionne cependant pas l'acte unilatéral comme source d'obligations; celui-ci est inclus implicitement dans les formules "tout acte auquel la loi attribue d'autorité les effets d'une obligation", respectivement "tout acte capables de les produire [les obligations, n.ns., A.B.] en conformité avec l'ordre juridique." Notre code ne se contente même pas d'une expression similaire avec un sens très large- l'acte unilatéral étant mentionné exprès - , mais il n'y renonce pas non plus – car il ajoute "tout autre acte ... que la loi met en rapport avec la naissance d'une obligation" - comme s'il existait en dehors des contrats et actes unilatéraux, d'autres types d'actes juridiques générateurs d'obligations. Les expressions utilisées dans les codes pris pour modèle nous semblent plus heureuses, car elles surprennent plus exactement la dépendance des effets

    40 Comme l'ancien Code civil ne comprenait pas de dispositions au sujet de l'engagement unilatéral, nos renvois aux textes du code du présent chapitre vont concerner, sans qu’on précise chaque fois, seulement le Code civil 2009. Les textes d'autres lois, seront signalés avec des précisions suffisantes, si tel est le cas (soit le C. civ. 1864, soit l’ancien Code civil, soit le C.civ. fr., soit le C.civ. Québec ou C.civ. italien).

    41 Révélateur en ce sens est le fait que la gestion d'affaires, l'enrichissement sans cause et le paiement de l’indû sont inclus dans l'énumération des sources d'obligations, chacune avec sa dénomination (art. 1165 du Nouveau Code Civil), le législateur se gardant de leur attribuer une qualité générique, soit celle traditionnelle de quasi-contrats, soit celle de faits juridiques licites, laquelle, d'ailleurs, est employée dans le titre du chapitre III du Livre V, Sur les obligations, du code.

    42 L'Art. 1372 al. 1 C. civ. Québec dispose „ L'obligation naît du contrat et de tout acte ou fait auquel la loi attache d'autorité les effets d'une obligation”.

    43 Le texte de l'art. 1173 du Code civ. italien (intitulé Fonti delle obligazioni) est formulé ainsi: „Le obbligazioni derivano da contratto (Cod. Civ. 1321 e seguenti), da fatto illecito (Cod. Civ. 2043 e seguenti), o da ogni altro atto o fatto idoneo a produrle (Cod. Civ. 433 e seguenti, 651, 2028 e seguenti, 2033 e seguenti, 2041 e seguenti) in conformità dell'ordinamento giuridico”.

  • L’engagement unilatéral 31

    obligationnels de l'acte unilatéral de la prévision de la loi, solution à laquelle mène l'analyse de ces réglementations dans leur ensemble.

    Est-ce qu’on pourrait dire que notre code s’est éloigné de ses sources d’inspiration en effectuant un saut sensationnel vers la modernité ? Apparemment, la réponse devrait être affirmative, si nous prenons en compte les dispositions de l'art. 1327, intitulé La promesse unilatérale44, lequel, à l'alinéa 1, établit à titre de généralité que "la promesse unilatérale faite dans l'intention de s'engager indépendamment de l'acceptation engage seulement l'auteur", en suggérant l'option de promouvoir l'engagement unilatéral comme source d'obligations, conditionnée par la seule intention de l'auteur de s'engager juridiquement indépendamment d'une manifestation de volonté étrangère.

    Quelques remarques doivent être faites en marge de ce texte. Premièrement, la réglementation n'est pas une innovation du législateur roumain. Sans trouver de correspondant dans un code civil en vigueur, celui-ci reprend, d'une manière approximative, les dispositions de l'art. 2:107 des Principes du droit européen du contrat, présentés antérieurement. Mais, au lieu de souligner le caractère contraignant de l'engagement unilatéral, le texte du Code civil de 2009 insère l'adverbe seulement dans la formulation de celui du projet européen, ce qui a pour effet une déviation de l'attention du but effectivement hors du commun de la norme - celui de permettre la création d'obligations civiles par la manifestation unilatérale de volonté - vers l'idée que personne d'autre que l'auteur ne pourrait être tenu par l'acte. Nous trouvons que ce n'est pas la relativité des effets de l'acte qui devrait être soulignée ici, mais la précision exacte des conditions dans lesquelles un tel acte peut avoir une force obligatoire45. Ensuite, comme nous l'avons déjà montré, la signification du texte des Principes du droit européen du contrat se traduit non pas par la consécration de l'engagement unilatéral comme source d'obligations, mais par la reconnaissance de la possibilité que, dans certaines conditions, non précisées exprès dans notre projet européen non plus, l'acte unilatéral soit générateur d'obligations.

    44 Il ne faut pas confondre la promesse unilatérale prévue par l'art. 1327 du Code civ. avec la

    promesse unilatérale de contracter, laquelle entre sous l'incidence de l'art. 1279 du C. Civ, respectivement avec les promesses unilatérales de vente ou d'achat, réglementées par l'art. 1669 du C. civ. Si la première ressemble à l'acte unilatéral, les autres sont des contrats, donc des actes de formation bilatérale, l'aspect unitaire suggérant que seule une des parties assume l'obligation de conclure à l'avenir le contrat visé, l'unilatéralité étant donc une caractéristique de ses effets et non pas de la procédure de formation, comme dans le premier cas. Dans ce contexte, on a affirmé que l'acte unilatéral serait doublement unilatéral, du point de vue de ses effets, mais aussi de celui du processus de formation.

    45 Formulé de cette façon, le texte laisse l'interprète en proie à un étonnement à effet tardif: que la discussion sur la force obligatoire de l'engagement unilatéral peut concerner seulement son auteur est réconfortant, mais en même temps évident, mais qu'un tel acte oblige vraiment son auteur, à l'encontre d'une solution vieille de deux cents ans, il ne peut être accueilli facilement et donc ni ne peut-il être dit comme un (banal) fait divers.

  • 32 ADINA BUCIUMAN

    Pour pouvoir déterminer la nature de ces conditions et les effets de leur nécessité sur la qualification juridique de la source d'obligations, nous devrons analyser la question de la force de l'engagement unilatéral indépendamment de sa consécration par la loi positive. Dans cette démarche, la doctrine française, mais aussi celle roumaine antérieure au Nouveau Code civil, développées autour d'une législation qui néglige la théorisation de l'acte unilatéral et ignore l'engagement unilatéral, peuvent offrir d'importants points de repère.

    1.2. Les valences nomothètes de la volonté unilatérale Les souteneurs de l'engagement unilatéral comme source d'obligations

    justifient leur positionnement en invoquant, d'une part, la force morale de tenir sa parole (A), laquelle, incidente en égale mesure aux promesses croisées, mais aussi à celles restées isolées, attire l'applicabilité identique de la règle de la force obligatoire tant aux contrats qu'aux actes unilatéraux et, d'autre part, la nécessité d'assurer la stabilité et la sécurité du circuit civil (B), concrètement, l'interdiction de décevoir les attentes et la confiance dans l'observance de la manifestation de volonté, que l'autre partie ou le destinataire de l'acte y ont investi. 46.

    A. Pacta sunt servanda. De la règle morale à la règle juridique D'origine canonique, la règle pacta sunt servanda, comprise comme obligation

    de tenir sa parole, est mise souvent en rapport de synonymie avec le principe de la force obligatoire du contrat. Or, si la fidélité vis-à-vis de ses propres engagements impose le respect du contrat, le même impératif devrait soumettre aussi la volonté unilatérale. Tout comme elle oblige les parties, vues ici comme pluralités de sujets ayant des intéresses contraires, qui ont exprimé leur consentement en vue de produire des effets juridiques, pacta sunt servanda devrait contraindre aussi celui qui d'est engagé seul. Mais les choses ne sont pas ainsi : d'un côté, parce qu'il faut faire une distinction entre la règle morale de respecter la parole donnée et la norme juridique ayant le même contenu, et, d'autre part, parce que la différence entre la volonté contractuelle et la volonté unilatérale est une d'ordre qualitatif et non seulement quantitatif.

    a) La règle morale La règle pacta sunt servanda est issue de la conjugation de deux principes de la

    morale chrétienne. Premièrement, le manquement à la parole donnée est équivalent au mensonge et à la violation du principe de la vérité. Ainsi, la promesse est assimilée au serment, car le chrétien doit agir conformément à la vérité. Deuxièmement, les canonistes formulent le principe à partir du concept de

    46 Par exemple, M. Avram, Actul unilateral în dreptul privat, Hamangiu, Bucureşti, 2006.

  • L’engagement unilatéral 33

    la philosophie cicéronienne de fides, que signifie dans ce cas, non seulement la foi, mais aussi la fidélité aux promesses. De la combinaison de l’interdiction du faux serment et de la valorisation de la fidélité et de la foi résulte une nouvelle règle morale avec une valeur intrinsèque47. Celle-ci est analysée en détail par Saint Thomas d’Aquin, qui établit le fondement de l’obligation de respecter sa promesse dans la loi divine. Le serment est rationnellement décomposé en délibération, proposition et promesse. La réunion des trois est faite par Dieu, le créancier de celui qui a promis. Dans le cas des conventions, des promesses faites à une autre personne, le serment a le rôle de conférer de la certitude à la fidélité de l’auteur. Dieu est alors le garant universel48 du respect de la parole donnée, la convention oblige seulement parce que les parties ont invoqué le témoignage de Dieu49.

    Dans le droit canonique50, la violation de l’obligation de respect de la parole donnée représente un péché. Pacta sunt servanda prête moins attention à l’exécution de la promesse et plus à la salvation de l’âme de celui qui a promis. Ce n’est pas le patrimoine du bénéficiaire qui est envisagé tant que la conscience de l’auteur de la promesse et l’obligation de payer n’est que l’effet indirect d’un repentir suivant, une condition indispensable de la rédemption. Dans ce contexte, il faut comprendre l’issue du principe selon lequel du pacte nu naît un droit d’action, ex nudo pacto oritur actio. Ce n’est pas l’existence du consentement des parties qui justifie le droit d’action, mais l’idée que le changement d’avis signifierait la violation de la règle pacta sunt servanda et, implicite, la condamnation de l’âme. La sanction a un caractère strictement personnel, n’étant pas transmissible aux successeurs.

    On peut voir ainsi que, en termes de morale chrétienne, pacta sunt servanda sanctionne à la fois les promesses contractuelles et les promesses unilatérales, le mécanisme bilatéral de formation contractuelle n’ayant aucun rôle essentiel à jouer. Néanmoins, de ce qui précède résulte la nécessité de distinguer la valeur morale de la règle pacta sunt servanda et la signification qu’elle reçoit sur le plan du droit. Le fait que le droit canonique confère de conséquences juridiques à la règle morale du respect de la parole donnée, par l’octroi d’un droit d’action devant le tribunal ecclésiastique51, n’est pas l’équivalent de l’admission au plan juridique de l’idée que la manifestation de volonté des parties est suffisante pour la naissance de son effet contraignant.

    47 Pour plus d’informations, voir V. Forray, Le consensualisme…, op. cit., §749, p. 531-532. 48 A. Supiot, Homo juridicus. Eseu despre funcţia antropologică a dreptului, Rosetti Educaţional,

    Bucureşti, 2011, trad. C.T. Burgă, D. Raţ, p. 159. 49 A. Sériaux¸ Droit des obligations, 2eéd., Paris, 1998, §9, p. 30. 50 On est en présence d’un glissage terminologique opéré par la tradition canonique, où la loi

    est nommée droit. Ainsi, le droit divin est en effet la loi divine, ce qui laisse ouverte la discussion concernant juridicité du „droit” canonique. Pour la présentation de théories élaborée sur ce problème, voir L.-M. Harosa, Drept canonic, Universul Juridic, Bucureşti, 2013, §4-9, p. 19-28.

    51 Le principe ex nudo pacto oritur actio apparaît pour la première fois dans Glossa ordinaria du Décret du Gratian de 1212 et est repris dans les Decretailles de Grégoire IX, de 1230.

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    L’idée que la volonté est créatrice de droit suppose l’existence d’une règle juridique52, non simplement d’un précepte moral, même si la règle n’est pas une norme de droit positif et même si elle avait le même contenu que la règle morale. Une telle règle doit envisager l’homme dans sa dimension sociale, mis en relation d’altérité avec ses proches et par rapport aux conséquences économiques que son comportement peut produire. La fidélité vers soi-même garde sans doute, la relevance morale, étant obligatoire pour le forum intérieur de l’individu, mais elle ne peut pas expliquer la force juridique de la promesse unilatérale. Le droit ne s’intéresse qu’à la fidélité vers autrui, ce qui explique l’altérité et la justice comme notions consubstantielles53. Vu que la règle juridique du respect de la parole donnée est ancrée dans l’existence d’autrui, son domaine d’application sera différent de celui de la règle morale au contenu identique, centrée sur l’intégrité de la conscience du soi du promettant.

    Par conséquent, si sur le plan contractuel, la référence au droit canonique pour expliquer les sources de la règle pacta sunt servanda est juste et ne réclame pas la détermination du point d’insertion de celle-ci de l’ordre strictement morale dans l’ordre juridique, ce n’est pas la même chose pour la situation des promesses unilatérales, par rapport auxquelles l’impératif moral du respect de la parole donnée n’est pas nécessairement dépendent de la considération des conséquences de l’acte vers les tiers et ne se traduit donc pas automatiquement dans une règle juridique.

    b) La règle juridique Nous devons la transformation en règle juridique de l’obligation chrétienne du

    respect de la parole donnée, au jusnaturalisme moderne, et spécialement à Hugo Grotius et Samuel von Puffendorf. Leurs œuvres sont caractérisées par l’effort de laïcisation de l’ordre normative canoniste et par le remplacement des sources théologiques par un système rationnel de règles54. Une révolution épistémologique

    52 Le besoin de distinguer la règle morale de la norme juridique du caractère contraignant du contrat est remarqué par G. Rouhette, en Contribution à l’étude critique de la notion de contrat, thèse, Paris, 1965, mais il utilise cet argument pour dénoncer les vices du „mythe” de l’autonomie de la volonté. En outre, contrairement à nos allégations, telles qu’elles seront révélées plus tard, l’auteur trouve le fondement de la force obligatoire du contrat exclusivement dans la norme positive. Il faut noter cependant, que, pour signaler l’abîme entre les volontés psychologiques de l’offrant et l’acceptant, il souligne le caractère normatif de l'issue de la réunion des deux. Des volontés individuelles distinctes résulte une norme, effet d’une volonté unique, la volonté juridique. Seulement la volonté juridique issue de cette manière est génératrice d’obligations, argument utilisé aussi pour rejeter la théorie de l’engagement unilatéral.

    53 A. Sériaux, L’engagement unilatéral en droit positif français actuel, in C. Jamin, D. Mazeaud (dir.), L’unilatéralisme et le droit des obligations, L.G.D.J., Paris, 1999, §5, p. 10-11.

    54 Il faut remarquer que nulle part dans l’œuvre de Grotius est énoncé la règle pacta sunt servanda tel quel, même si son entier système est construit autour de „l’obligation d’accomplissement des promesses”. Quelle peut être l’explication de cette omission? En aucun cas

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    se produit alors, une rupture de l’ordre morale de la théologie chrétienne: pacta sunt servanda n’est plus justifiée par la réprobation du mensonge, comme péché qui met en danger le salut de l'âme, mais elle devient une règle abstraite de droit naturel, déduite de la rationalité de l’être humain.

    Outre l’élaboration d’un schéma de la procédure de formation du contrat, par la réunion de l’offre et de l’acceptation55, on doit à Grotius la systématisation de la liaison entre la volonté individuelle et l’obligation juridique par l’idée d’aliénation d’une partie de la liberté de celui qui promet. Cette aliénation de la liberté individuelle ne fait qu’expliquer les effets de l’obligation juridique, mais elle n’est pas en soi capable de la justifier. Autrement, la règle pacta sunt servanda ou, dans sa version laïque, l’obligation de respect à la parole donnée, serait inutile; le système rationnel de Grotius n’en aurait plus eu besoin. Il semble ainsi que les promesses qu’elle vise entraînent une obligation juridique si elles respectent une procédure de formation, le rencontre de l’offre et de l’acceptation56. Le passage de la promesse, comme émanation de la volonté, au rapport d’obligation suppose ainsi un élément extérieur à la structure intime de l’engagement, et l’intégration de l’obligation dans le système normatif objectif se produit en concordance avec une norme supérieure inclue dans le même système, pacta sunt servanda, celle qui impose le respect de la parole donnée non par l'adhésion à la morale chrétienne, mais, de façon autonome, à titre de nécessité juridique.

    La norme consensualiste juridique est donc le produit de la raison et elle existe indépendamment de sa consécration légale. Elle a le même contenu que la règle morale, mais elle dispose d’un champ d’action limité aux actes susceptibles de générer des obligations juridiques57. Dans le processus de formation des dernières, la promesse départ de la volonté, considérée, d’ailleurs, légitimement versatile58, la dénégation de l’autorité des préceptes chrétiens, Grotius étant d’ailleurs un catholique fervent, aux visions profondément imprégnées par la philosophie des stoïques. Plutôt on pourrait déduire de ce fait l’ambition de construire un droit naturel laïque, un système abstract de règles, qui s’impose par la force de l’argument de type rationnel, et non par la confiance en l’autorité de la loi divine. Dans ce contexte le remplacement de la formule consacrée par les canonistes doit être interprété comme un essai d’éviter la confusion des deux règles, la règle morale (chrétienne) et la règle juridique, vu que leur contenu est pratiquement identique. Pour détails, voir V. Forray, Le consensualisme…, op. cit., §741-764, p. 526-544.

    55 Aspect qui a exercé une forte influence sur la théorie allemande de la formation du contrat. 56 „Pour que la promesse confère un droit à celui à faveur de qui elle est faite, il faut avoir

    l’acceptation de sa part …”. H. Grotius, Despre dreptul războiului şi al păcii, op. cit., Cartea a II-a, cap. XI, par. XIV.

    57 L’efficacité de la règle pacta sunt servanda ne sera donc conditionnée par le caractère obligationnel de l’acte, de la naissance effective des obligations civiles par l’effet de cet acte. Nous avons attaché le domaine de la norme au potentiel générateur d’obligations de l’acte, pour marquer la connexion que Grotius fait, à notre avis, entre la capacité de la promesse d’engendrer des droits à faveur d’autrui et la nécessité de l’acceptation de l’offre.

    58 „Parce que l’esprit humain a non seulement le pouvoir naturel, mai le droit de changer d’avis ”. H. Grotius, Despre dreptul războiului şi al păcii, op. cit., Cartea a II-a, cap. XI, par. II.

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    par l’intervention d’un élément étranger, qui, en traduction technique, représente l’acceptation de l’offre de celui qui promet.

    La conclusion qui s’impose est que la règle de la morale chrétienne du respect de la parole donnée ne peut pas justifier l’admissibilité en plan juridique de la création unilatérale de nouveaux effets juridiques, qui n’existaient auparavant. Dans ce sens, il faut une règle au caractère juridique, sans que cela signifie la nécessité de l’identifier dans une norme de droit positif. Dans notre interprétation, le système du jusnaturalisme moderne, qui a révélé la règle abstraite de l’obligatoire de la promesse, en absence de tout formalisme de principe, conditionne l’effet créateur d’obligation de celle-ci par la bilatéralité du consentement.

    c) Consensualisme et volontarisme. Une distinction nécessaire Comme nous avons vu, Grotius ne se résume pas au démêlage des

    mécanismes de l’étape précontractuelle, mais il consacre définitivement la valeur du principe général du consensualisme. Dans le système du droit naturel de Grotius, la norme consensualiste occupe la place fondamentale: „un principe du droit naturel impose que chacun respecte strictement les promesses qu’il s’est assumé ”59. Ça c’est le point de départ de la théorie de l’acte juridique civil dans les systèmes de droit européens. Toutefois, tant que la norme consensualiste, du caractère obligatoire de la parole donnée, est fondé sur la loi naturelle, déduite cette fois non de la nature des choses, mais de la nature humaine, pourtant pas plus facile à déterminer, on peut dire qu’elle est basée sur une hypothèse. L’essai de détermination de cette nature humaine, de spécification de l’hypothèse qui fonde le consensualisme, fait que la règle du caractère obligatoire des conventions énoncée par les jusnaturalistes dépasse l’intention qu’elle desservait dans le droit canonique. La postulation du consensualisme ouvre l’appétit pour la justification de la force obligatoire du contrat, suggérant sa proximité du volontarisme.

    Il ne faut pas oublier que la règle pacta sunt servanda est énoncée par les canonistes non pour offrir une justification à la force obligatoire du contrat, en tant qu’institution juridique, mais pour assurer son efficacité et pour le désembarrasser du formalisme du droit romain60, mettant ainsi les bases du consensualisme.

    59 H. Grotius, Despre dreptul războiului şi al păcii, op. cit., Prolegomene, §15, p. 86. 60 L’affirmation ne doit pas tromper: ce n’est que le formalisme romain qui est supprimé, mais

    cet effet est aussi obtenu au moyen d’une règle formaliste. Dans une ère soumise à l’anarchie et caractérisée par un affaiblissement de l'autorité des institutions laïques, le besoin d’assurer le respect des transactions a conduit au placement du pouvoir ecclésiastique dans le rôle de protecteur du circuit juridique, par la sanction du manquement à la parole donnée. Or, pour mettre le contrat dans la compétence du tribunal ecclésiastique, les parties prêtaient un serment religieux, c'est-à-dire, elles accomplissaient une procédure formaliste. Ce n’est qu'ultérieurement que la règle du respect de la parole donnée est généralisée, elle entre dans le contenu des mœurs sociales, étant sanctionnée aussi par les tribunaux laïques. Pour plus de détails, v. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Droit civil. Les obligations, 10eéd., Dalloz, Paris, 2009, §130, p. 146-148, D. Deroussin, Histoire du droit des obligations, op. cit., p. 153 et s.

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    L’identification du fondement de l’obligatoire du contrat dans la volonté des parties ne commence pas par la règle canoniste de l’interdiction de la violation de la parole donnée et ne limite non plus sa justification a celle-ci61. Bien qu’étroitement liés62, le consensualisme ne se confonde pas avec le volontarisme juridique63, entendu comme doctrine qui établit le pouvoir de la volonté d’être la source génératrice de la règle de droit. Premièrement, du point de vue historique, les doctrines volontaristes, qui, dans le domaine de la théorie générale du contrat, se présente sous la forme de la théorie de l’autonomie de volonté, apparaissent beaucoup plus tard, à la fin du XIXe siècle – le début du XXe siècle64. Deuxièmement, signifiant l’absence de la nécessité d’une certaine forme pour la validité du contrat, le consensualisme ne fournit pas directement des indices concernant l’essence de celui-ci. Il est vrai toutefois, que la règle consensualiste a favorisé le développement du volontarisme, la première représentant une étape essentielle dans l’éclosion de l’idée que la volonté justifie les droits et les obligations nés de l’acte, mais celui-ci n’est que l'une des conséquences théoriquement possibles du consensualisme, non la seule65.

    Du fait que la force obligatoire de la parole donnée (là où elle n’est pas contestée, c'est-à-dire dans le cas des contrats) pourrait être expliquée par le pouvoir créateur de droit de la volonté, ne s’ensuit pas logiquement que toute volonté de générer des effets de droit sera investie avec force obligatoire. Il est temps de se poser la question si la volonté unilatérale est aussi soutenable comme fondement de l’acte juridique obligationnel même dans le cas de l’engagement unilatéral comme dans le cas du contrat.

    61 Pour l’analyse des ressorts du principe de la force obligatoire du contrat, nous faisons référence à P. Vasilescu, Relativitatea actului juridic civil. Repere pentru o nouă teorie generală a actului de drept privat, Rosetti, Bucureşti, p. 177-192.

    62 Si étroitement liés que les deux sont souvent présentés comme des doctrines synonymes ou au moins, comme si une comprend l’autre. Par exemple, F. Terré, Ph. Simler. Y. Lequette, Droit civil. Lesobligations, op. cit., §24, p. 32, où le consensualisme est la conséquence formale de la liberté contractuelle. Pour C. Larroumet, Droit civil, t.3, Les obligations. Le contrat, 5e éd., Economica, Paris, 2003, §114, la souveraineté de la volonté est assimilée au principe du consensualisme.

    63 Pour d’amples discussions concernant la relation entre le volontarisme et le consensualisme, voir V. Forray, Le consensualisme…, op. cit., passim, en particulier §465 et s., p. 335 et s.

    64 Dans le même sens, v. J. Ghestin, Traité de droit civil. La formation du contrat, 3e éd., L.G.D.J., Paris, 1993, §368, n. 10, qui montre que, bien que le consensualisme ait reçu un plus de soutien de la part du dogme de l’autonomie de volonté, le premier lui est du point de vue historique antérieur et ne peut donc être présenté comme une conséquence de celui-ci.

    65 Ainsi, la volonté nomothète n’est qu’une des justifications théorétiques du contrat. Le solidarisme contractuel, l’utilitarisme ne sont que deux autres possibles explications de celui-ci et de ses mécanismes. Pour des détails, v. L. Pop, Încercare de sinteză a principalelor teorii referitoare la fundamentele contractului, cu privire specială asupra teoriei autonomiei de voinţă şi teoriei solidarismului contractual, Revista Română de Drept Privat, no. 5/2007, repris en L. Pop, Contribuţii la studiul obligaţiilor civile, Universul Juridic, Bucureşti, 2010, p. 290.

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    d) La volonté interne et la volonté extériorisée. L’impératif de la cohérence du système juridique

    L’établissement du consensualisme et les liaisons toujours plus étroites tissues

    entre celui-ci et le volontarisme ne restent pas sans conséquences sur la notion de consentement. Premièrement, le consensualisme produit l’accentuation des traits subjectifs du consentement qui, de cette manière, même s’il s’inscrit dans la logique contractuelle, est de plus en plus vu dans une perspective unilatérale. Sous l’influence du consensualisme, le consentement brise l’approche bilatérale du droit romain et se dirige vers l’unilatéralisme66. Ainsi, outre son sens étymologique d’accord des parties, le consentement désigne de plus en plus l’adhésion individuelle de chacun des cocontractants. Dans ce dernier sens, le consentement est lié à la personne qui le délivre, ce qui suppose une relation étroite avec sa volonté. Le consentement est perçu comme une expression ou manifestation de la volonté individuelle et, dans cette qualité, il doit être le produit libre d’une délibération accomplie en connaissance de cause. La liaison entre le consentement et la volonté individuelle est démontrée surtout par la théorie des vices de consentement. Le contrat est formé par la réunion des deux volontés intactes qui convergent d’une telle manière qu’elles réussissent à conférer une force obligatoire complète à l’accord qu’elles ont conclu.

    La vision unilatérale du consentement a le rôle de souligner et de conserver les aspects subjectifs de la volonté juridique. L’engagement juridique est le produit de la volonté et celle-ci vient de la sphère intérieure de l’individu. Sur ce terrain apparaissent les théories psychologiques sur la volonté qui soutiennent que tout acte volitif est d’une complexité considérable contenant une série d’éléments volitifs, tendance, but, désir, délibération, décision, enchaînés les uns aux autres et cordonnés entre eux par un rapport spécifique, celui de moyen au but67, ce qui laisse à la technique juridique le rôle d’adapter ces données subjectives à la vie et aux finalités ultimes du droit68. Cependant, étant donné que la complexité du processus psychologique volitif surprend fidèlement la réalité sur laquelle se base l’expression du consentement à la conclusion d’un acte juridique, la même qualité la soustrait à la connaissance extérieure et la rend difficilement pénétrable du point de vue juridique.

    Le procédé de technique juridique qui permet de gérer une telle réalité complexe est celui de la réduction, qui suppose l’élaboration d’une théorie de la volonté juridique qui accentue certains de ses éléments et qui ignore ou réduit à une importance secondaire les autres.

    66 V. Forray, Le consensualisme…, op. cit., §468, p. 337. 67 Tr. Ionaşcu, De la volonté dans la formation des contrats, op. cit., p. 369. 68 Ibidem, p. 371.

  • L’engagement unilatéral 39

    Une première variante de cette méthode est celle dans laquelle la volonté juridique est identifiée avec sa variante extériorisée, la déclaration de volonté. Purifiée ainsi de la subjectivité, celle-ci se détache de la personne de son auteur et dévient un fait social69, qui se soustrait à l’analyse des nuances de la volonté intérieure70 et aussi à ses fluctuations dans le temps. Il s’agit de la solution allemande de la déclaration de volonté dont nous avons présenté précédemment les repères. Ici, le sondage de la volonté psychologique s’arrête très près de la surface, au niveau de la décision exprimée et intégrée ainsi dans le circuit juridique, ce qui justifie la qualification du processus de formation de l’acte juridique, suivant ce modèle, comme étant un processus objectif. L’analyse de la volonté juridique se résume ici à l’analyse du contenu de la déclaration de volonté.

    Etant donné que la déclaration de volonté, en tant que élément objectif nécessaire à la formation de l’acte juridique, est la même; indifféremment de la nature unilatérale ou bilatérale de l’acte, il est possible, au niveau théorétique, l’acceptation d’une théorie générale de l’acte juridique civil, dans laquelle l’engagement unilatéral figure parmi d’autres sources d’obligations. Les réticences envers la généralisation d’une telle solution, qui ont pu influencer l’option du législateur allemand, sont de nature pragmatique; en tout cas, elles ne sont pas dérivées de la théorie de la déclaration de volonté qui, prise séparément, préfigurait une solution différente.

    Ce sont toujours des nécessités d’ordre pratique qui