L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

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LA « VILLE-MUSÉE » A-T-ELLE UN AVENIR AU XXI ÈME SIÈCLE ? CUILLERAT Mickaël Directrice de mémoire : Antonella Mastrorilli ENSAL // 2013 REGARD SUR LA VILLE ITALIENNE, AVANT GARDE OU ÉCHEC D’UNE CONCILIATION ENTRE PASSÉ ET MODERNITÉ ? Mémoire de master

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La ville italienne semble fi gée dans un idéal passéiste, muséifiée pour sembler éternelle. Mais l’éternité n’est-elle pas un gage d’échec si l’on souhaite intégrer la ville dans les composantes de l’urbanité du XXIème siècle ? Venise semble être l’exemple parfait de cette mort progressive de la ville idéalement protegée. La protection du patrimoine, si complexe en Italie, n’est pourtant pas un gage de cristallisation de la ville ancienne. Cependant comment concilier modernité et patrimoine dans ces villes italiennes si atypiques ? D’autres villes italiennes comme Rome ou encore Gênes ont su adapter leur centre-ville historique aux ambitions de la ville contemporaine, tout en assurant une pérénnité au patrimoine ancien.Ce mémoire se veut être un portait de la ville ancienne au XXIème, à l’heure où le futur de celle-ci reste incertain mais pour laquelle il va falloir trouver des solutions viables pour reconstruire la ville sur elle-même.

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LA « VILLE-MUSÉE » A-T-ELLE UN AVENIR AU XXIÈME SIÈCLE ?

CUILLERAT Mickaël

Directrice de mémoire : Antonella Mastrorilli

ENSAL // 2013

REGARD SUR LA VILLE ITALIENNE, AVANT GARDE OU ÉCHEC D’UNE CONCILIATION

ENTRE PASSÉ ET MODERNITÉ ?

Mémoire de master

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« « La ville de demain va-t-elle défi nitivement reléguer

les villes du passé au musée du patrimoine historique ?

N’est-il pas possible, au contraire, d’intégrer villes, centres et

quartiers anciens dans la vie quotidienne de l’ère électronique,

de les rendre à des usages qui ne soient pas ceux de l’industrie

culturelle ?

Françoise Choay, dans la préface de L’Urbanisme face aux villes anciennes,

GIOVANNONI Gustavo, 1998, Paris, Editions du Seuil.

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Fig : Porto Antico, Genova

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INTRODUCTION

01 / HERITAGE PATRIMONIAL ET VILLE MUSEE EN ITALIE :

VERS LE TOUT-PATRIMOINE ?

A - LE PATRIMOINE EN ITALIE : CINQ SIECLES DE PROTECTION

1 / Le patrimoine italien : Diversité et identité

2 / Evolution et spécificités de la législation italienne

La Renaissance : Prise de conscience et esquisse de la

patrimonialisation

La vandalisation : Moteur de la protection du patrimoine

L’appareil législatif italien : Deux siècles de législation

3 / Du patrimoine architectural au patrimoine urbain

Emergence de la question urbaine

Diffi cile législation et la protection des centres anciens

B - VERS LA MUSEIFICATION DES VILLES ITALIENNES ?

1 / Quelques notions de la ville patrimoniale

De la ville palimpseste...

... à la ville-musée

De la protection à la valorisation du patrimoine

2 / Les enjeux économiques de la muséification

02 / LA VILLE ITALIENNE HISTORIQUE, VILLE MUSÉIFIÉE :

MYTHE OU RÉALITÉ ?

A - PROFESSIONNELS, TOURISTES ET VILLE MUSÉE :

QUELLE VISION DE LA MUSÉIFICATION ?

1 / Du coté de la profession

2 / Du côté des touristes

3 / Mythe ou réalité ?

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SOMMAIRE

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B - DU DANGER DE LA MUSÉIFICATION « PASSIVE »

DES VILLES ITALIENNES, VENISE, MANIFESTE D’UN ÉCHEC ?

1 / Venise, du port au tourisme, à la recherche d’un idéal fi gé ?

2 / Quelle avenir pour la ville historique ?

La discrétion, l’éphémère ou rien

L’avenir hors les murs

Il faut sauver... le tourisme

3 / Où est passée la vie ?

03 / LE XXIÈME SIECLE ET LA VILLE ITALIENNE :

UNE POSSIBLE ÉVOLUTION ?

A - PEUT-ON ENVISAGER UN AVENIR POUR LA VILLE-MUSEE ?

Conserver, protéger, plus qu’une volonté, une nécessité

La muséification se résume-t-elle à la surprotection du patrimoine ?

Quel futur pour la ville italienne ?

B - GÊNES : UN EXEMPLE DE MUSÉALISATION ÉQUILIBREE ?

1 / Ville atypique ou reflet des villes italiennes ?

Apogée et rayonnement

Déclin de la puissance de la ville

2 / Le renouveau de la ville : Quelles options ?

3 / Retrouver son port : Un projet initiateur

Un projet ambitieu

Un projet pas à pas

Les raisons du succès

4 / Retrouver son centre-ville : La finalité du projet

Un lieu impossible à vivre ?

Quelques projets initiateurs et une main tendue vers le port...

Un projet pour les touristes et les habitants

5 / Les grands projets et les outils mis à contribution

6 / Une ville ambitieuse

C - ROME : CONSTRUIRE, RÉNOVER, RECONVERTIR DANS LA

VILLE-MUSÉE

1 / Faire la ville sur la ville, un perpétuel défi

2 / Construire dans la ville italienne historique

De la préconisation au dialogue

Les vestiges, un problème ?

Des projets polémiques

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CONCLUSION

REMERCIEMENTS

ANNEXES

BIBLIOGRAPHIE

CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES

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INTRODUCTION

Reconstruire la ville sur la ville. Peut-

être l’enjeu architectural et urbain du XXIème

siècle. À l’heure où l’urbanisation s’étend sur

les périphéries des métropoles et participe

au mitage sans précédent de l’espace rural,

l’ensemble des acteurs de l’architecture et de

l’urbanisme contemporain se tourne vers le

centre-ville des villes.

Aujourd’hui les centres-villes anciens sont

redécouverts, parfois après des années

d’oubli, de mise à l’écart.

Certaines villes se sont pourtant tournées vers

leurs centres-villes bien avant pour une raison

bien particulière. Ils sont les berceaux de

l’évolution de leur ville, leur centre de gravité.

Ils sont aussi un trésor, un trésor patrimonial.

Pour défi nir ces villes dotées d’un patrimoine

riche, on parle fréquemment de villes-musées.

Conscientes de leur valeur patrimoniale et

historique, ces villes ont rapidement fait de leur

centre un atout économique en se tournant

vers le tourisme. De nombreuses villes de

taille moyenne basent ainsi leur économie

largement sur le tourisme. Le tourisme est une

facilité largement appréciée des villes-musées.

Chaque bâtiment est exploité, on protège un

maximum les constructions remarquables ou

atypiques pour faire preuve d’authenticité au

moment où le monde se tourne vers le XXIème

siècle synonyme de grands changements.

À trop vouloir se tourner vers le centre, et

vouloir tirer parti et surtout profi t de la richesse

patrimoniale, ne risque-t-on pas de fi ger la

ville dans un idéal d’authenticité ? Il s’agit

en effet d’une des problématiques soulevées

par la muséifi cation des villes c’est-à-dire la

transformation des villes (et en particulier de

leurs centres anciens) en véritable musée

urbain.

La question à se poser est la suivante : Peut-

on concilier dans le centre-ville les activités

touristiques dépendantes d’une qualité

historique et de la préservation du tissu urbain

et du patrimoine, avec la vie de l’habitant, les

activités économiques, culturelles, sociales... ?

En quelque sorte peut-on donner aux centres

anciens la qualité urbaine et architecturale

de la ville ancienne adaptée aux usages

contemporains ? Peut-on concilier passé et

modernité dans la ville ancienne ?

Alors que le retour au centre s’impose, que

la reconversion occupe une part toujours

plus importante dans le volume de projets

réalisés, il est bon de se poser une question

qui dépasse même le projet, pour parler de

l’échelle urbaine.

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Pour répondre à cette question qu’est l’avenir

de la ville-musée, nous nous intéresserons à un

pays en particulier, l’Italie. En effet, la péninsule

italienne est riche d’une multitude de villes au

patrimoine toujours plus impressionnant et

atypique (Florence, Naples, Gênes, Venise,

Rome, Côme...). Chacune de ces villes offrent

un visage différent compte tenu de l’histoire de

chacune.

Mais elles sont toutes confrontées au même

problème. Que va devenir leur centre-ville dans

plusieurs années s’il est muséifi é, protégé et

haut lieu du tourisme ?

Ce mémoire fait aussi suite à un rapport d’étude

réalisé en 3ème année de Licence sur l’avenir

du patrimoine militaire en France et leur rôle

dans la dynamique urbaine des villes. Ici nous

nous intéressons beaucoup moins à la qualité

de la construction, aux programmes réalisés.

Dans ce mémoire nous nous intéressons avant

tout au patrimoine pour son poids urbain et son

rôle dans la vie des habitants et des touristes,

plutôt que sur les opérations réalisées sur

celui-ci. Nous nous attacherons à étudier des

centres anciens dans leur globalité, et non pas

des projets. Le sujet de ce mémoire est plutôt

l’avenir de la ville ancienne (et par conséquent

de son patrimoine, mais aussi de l’ensemble du

bâti ancien) plus que de l’avenir du patrimoine

uniquement.

COMMENT PEUT-ON FAIRE ÉVOLUER LA

VILLE ANCIENNE ET L’INSCRIRE DANS LA

PERSPECTIVE DU XXIÈME SIÈCLE ?

Nous allons pour cela nous intéresser à la ville

italienne sur plusieurs points pour comprendre

la spécifi cité de celle-ci.

Tout d’abord, la conception du patrimoine en

Italie est primordiale pour bien comprendre le

visage de la ville musée italienne. La notion

de patrimoine a fait peu à peu son émergence

en Italie avant de se diffuser dans les autres

pays européens et la législation à suivi pour

protéger de plus en plus de constructions

patrimoniales. Dès lors la pris en compte

du patrimoine s’étend alors à la question du

patrimoine urbain mais la protection de la ville

se trouve beaucoup plus complexe à défi nir

ce que nous verrons au début de ce mémoire.

La complexité de la question législative de la

protection patrimoniale fait de l’Italie un pays

singulier, doté d’un patrimoine exceptionnel

mais dans lequel il est relativement complexe

de savoir quoi faire, comment faire et pourquoi

faire. Encore plus lorsqu’il s’agit de faire

évoluer la ville.

Après s’être penché sur la question de la

muséifi cation et de ses aspects économiques,

nous nous tournerons vers la vision qu’ont

les usagers (professionnels ou touristes de

la ville-musée), que nous confronterons à

une analyse de la ville-musée italienne par

excellence, à savoir Venise.

Venise est très particulière. Son centre

ancien isolé sur une île au large du rivage

est d’une qualité patrimoniale exceptionnelle.

Cependant depuis des années, la municipalité

semble avoir du mal à expliquer le problème de

Venise : plus personne ne s’y installe ? Quelles

sont alors les pathologies de la ville-musée.

Qu’entraîne une muséifi cation excessive et

une surprotection patrimoniale ? Venise nous

permettra de prendre vraiment conscience

des maux qu’entraîne la muséifi cation d’un

site patrimonial surtout sur le long terme.

Venise est parfois dépeinte comme un parc

d’attraction patrimonial et nous verrons quels

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en sont les aspects.

Cependant le but de ce mémoire n’est pas

de condamner toutes les opérations de

sauvegarde, de protection et d’exploitation

des villes-musées italiennes, mais il faudra

comprendre comment l’on peut faire aujourd’hui

pour proposer une muséifi cation non pas

excessive et passive, mais équilibrée où tout

est concilié (passé et modernité, habitants et

touristes...).

Un avenir est-il possible pour la ville-musée

dans le siècle actuel ? Nous répondrons à

cette question par deux exemples distincts.

Gênes permettra de comprendre comment

une ville arrive aujourd’hui à concilier la vie de

ces habitants et de ses touristes, comment son

économie s’est tournée vers le tourisme tout en

développant des économies complémentaires,

comment elle a pu redécouvrir son centre

oublié... Gênes est l’exemple même qui

permettra de relativiser sur l’avenir de la ville-

musée, alors que l’avenir de la ville aurait

pu nous inquiéter. Mais la question n’est pas

vraiment « Un avenir est-il possible ? Oui ?

Non ? ». Elle vise plus à démontrer comment

une ville peut arriver à un tel résultat, quels

sont les outils mis en place...

Rome nous permettra par la suite de nous

intéresser aux contraintes de la construction en

site historique à Gênes par quelques exemples

contemporains réalisés ces dernières années.

Nous essayerons comprendre comment la

ville-musée, saturée de monuments, peut

encore accueillir en son sein l’architecture

contemporaine et à quoi elle est aujourd’hui

confrontée ?

Ce mémoire se veut un portrait itératif de

l’avenir de la ville italienne par un regard sur

plusieurs villes différentes mais partageant

un même idéal : revaloriser son centre

historique. Il n’est pas question ici de donner

un modèle unique à suivre pour assurer à la

ville-musée un avenir, mais l’idée est plus

d’approcher des points clés inévitables, et

de dresser les raisons d’un échec ou les

jalons d’une réussite.

Chaque ville est unique, mais comprendre

les raisons d’un succès permettra à chacun

de relativiser sur chacune des métropoles

italiennes pour espérer un jour voir sortir ces

illustres cités de la muséification classique.

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0101HERITAGE PATRIMONIAL

ET VILLE-MUSÉE ITALIENNE : VERS LE TOUT-PATRIMOINE ?

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Fig. 1 : La place du Capitole, Rome

Fig. 2 : Florence et Santa Maria Del Fiore

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01011 / LE PATRIMOINE ITALIEN :

DIVERSITÉ ET IDENTITÉ

Pour comprendre l’infl uence du

patrimoine sur la conception des villes

italiennes et la place qu’il occupe aujourd’hui

dans le paysage architectural et urbain italien,

il est nécessaire de comprendre son évolution

au fi l des siècles et de comprendre le poids

que représente l’histoire de l’Italie, de son

architecture au niveau national et européen.

L’Italie n’est pas choisie indépendamment

de toute prise de position quant à la notion

de patrimoine. Le pays est à l’origine de

toute une mouvance architecturale et

patrimoniale sans pareil en Europe. Que serait

le patrimoine architectural européen sans

l’apport architectural des années d’apogées

de l’Empire romain et de son architecture de

pierre et de monumentalité ? L’architecture

de la Renaissance trouve sa force et son

essence dans les constructions palladiennes

et l’engouement des familles de mécènes

italiens. L’Italie a été le berceau de la diffusion

de l’architecture, de l’art et de la construction

pour l’ensemble de l’Europe. Les principes

architecturaux des plus grands édifi ces de la

péninsule italienne séduisirent nombres de

monarques au fi l des siècles qui imitèrent et

réinterprétèrent l’architecture italienne (si l’on

peut vraiment défi nir l’architecture réalisée sur

le sol italien comme italienne car il n’existe pas

de style italien mais plus d’un savoir-faire).

Il est néanmoins sûr que la qualité architecturale

des constructions réalisées en Italie au fi l des

siècles a doté le pays (ou plutôt les Etats

italiens, car le pays n’était pas unifi é avant

1871) d’un immense patrimoine architectural

et urbain aussi varié que de qualité (fi g.1),

aussi majestueux que pittoresque (fi g.2).

Pour comprendre la spécifi cité de l’Italie vis-à-

vis de la conservation et de la reconnaissance

de son patrimoine, il sera utile d’effectuer des

aller-retours avec la France dont on connait

bien les principes de patrimonialisation.

A la grande différence de la France cette

reconnaissance du patrimoine entre très tôt

dans la conscience collective ou du moins

des élites et édiles de la société italienne

(principalement romaine). Le pays a reconnu

très tôt le rôle majeur que joue le patrimoine

dans la construction d’une identité commune.

L’ensemble de l’histoire de l’Italie et de son

rapport au patrimoine se joue en partie

grâce à la ville de Rome. La question du

patrimoine romain est source de polémique

car compte tenu de l’histoire de la ville elle

est un laboratoire à ciel ouvert de la question

du patrimoine. Rome est la ville italienne par

excellence, centre de la chrétienté, centre du

pouvoir, centre de l’art… Rome nous aidera à

comprendre pourquoi le patrimoine occupe un

poids si particulier en Italie, comme nulle part

ailleurs.

Si en France on s’intéresse au patrimoine, il

est en fait nécessaire de comprendre cette

reconnaissance patrimoniale et urbaine en

Italie car elle est certainement le pays qui a

permis à toute l’Europe d’ouvrir les yeux sur

l’ensemble du poids patrimonial accumulé au

fi l des siècles.

A - LE PATRIMOINE EN ITALIE, CINQ SIECLES DE PROTECTION

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2 / ÉVOLUTION ET SPECIFICITÉS DE

LA LEGISLATION ITALIENNE

Françoise Choay dans Le Patrimoine

en question retrace l’évolution de la notion

de patrimoine au fi l des siècles. S’il est clair

que cette notion existe naturellement comme

concept, il a fallu un temps avant que l’on

applique la notion de patrimoine à l’héritage

d’une communauté, d’une nation…

Si la protection du patrimoine fait l’unanimité

aujourd’hui, ce ne fut pas le cas en Europe et

en Italie par le passé.

On distinguera deux étapes dans le

processus de reconnaissance du patrimoine

: une première étape qui pose les jalons des

qualités du patrimoine par la redécouverte

des œuvres antiques, et une seconde étape

qui pose les bases d’une législation à venir

suite à l’indignation des intellectuels face aux

démolitions.

LA RENAISSANCE :

PRISE DE CONSIENCE ET ESQUISSE DE

LA PATRIMONIALISATION

La Renaissance italienne traduit ce

retour aux sources, et en particulier aux

concepts antiques. Cette période qui met fi n

au Haut Moyen-Age à la fi n du XIVème siècle

prend corps dans l’Italie du Nord (dans des

villes comme Siène, Florence...) et bouleverse

l’ensemble des codes artistiques, littéraires

et scientifi ques. On redécouvre les ouvrages

antiques, des pièces de l’art comme le Laocoon

(fi g.3) en 1506 qui marqueront les érudits et

artistes et remettront en cause les acquis et

croyances contemporaines. La célèbre fresque

Fig. 3 : Le Laocoon

Fig. 4 : L’Ecole d’Athènes,Raphael

Fig. 5 : Villa AdrianaTivoli

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de Raphael de l’Ecole d’Athènes (fi g.4) (située

dans les appartements de Jules II au Vatican)

représente avec une grande fi nesse ce retour

aux fondamentaux antiques ainsi qu’à leurs

protagonistes. Dès lors l’Antiquité devient une

référence que l’on va copier, décoder, diffuser,

interpréter… Il n’est alors plus possible

aux yeux des édiles de laisser cet héritage

disparaître alors que l’on découvre petit à

petit que 10 à 15 siècles auparavant, d’autres

possédaient déjà les réponses à des questions

contemporaines ainsi qu’une fi nesse artistique

jamais égalée jusqu’alors. Multiples sont

les enjeux de la Renaissance italienne qui

a infl uencé tout l’Occident, mais c’est avant

tout cet engouement pour l’antiquité qui nous

intéresse ici car au cœur de la future défi nition

du concept de patrimoine.

Les fouilles autour des édifi ces antiques

comme le Palatin, Pompéi ou encore la Villa

Adriana (fi g.5) se multiplient pour apprendre à

connaître l’époque antique.

Une grande partie du travail de cette

reconnaissance du patrimoine est dûe au

Vatican et aux différents souverains pontifes

qui se sont succédés.

Très tôt dès le XIVème siècle, sous le pontifi cat

de Martin V, on voit la création d’un bureau des

Magistri Viarum qui prévoit la conservation des

rues, ponts, murs mais aussi des bâtiments de

la ville de Rome. Il pose aussi les bases de la

restauration et de la reconversion des édifi ces.

C’est un des premiers papes à s’intéresser à

la question du devenir des constructions.

Entre 1458 et 1464, le pape Pie II, invite à la

sauvegarde des vestiges romains en cours

d’utilisation comme les ponts et églises.

Cependant, malgré des ambitions louables et

qui augurent de beaux jours à ces constructions

antiques, rien ne sera fait contre le pillage

des pierres du Colisée qui servirent à édifi er

nombres de constructions romaines comme

entre autre la basilique Saint-Pierre. Notons

de même que Jules II, qui est à l’origine du

projet de la basilique, n’a eu que très peu

d’intérêt patrimonial pour l’ancienne basilique

constantinienne érigée au IVème siècle.

Au début du XVIème siècle les enjeux de la

reconnaissance patrimoniale sont encore peu

esquissés et restent des concepts politiques.

En 1538, le pape Paul III invite par une bulle

pontifi cale à la protection des monuments

antiques. Cet écrit marque une prise de

conscience du Vatican sur la nécessité de la

conservation des monuments antiques et leur

apport culturel, théorique et artistique.

Plus d’un siècle plus tard, le cardinal Spinola

signe un édit qui assure la protection, la

conservation et la restauration des monuments.

Il faut protéger « les souvenirs et ornements

que cette cité-mère de Rome, lesquels

provoquent l’estime de sa magnifi cence et de

sa grandeur auprès des nations étrangères ».

La Renaissance marque aussi la redécouverte

des traités antiques sur l’architecture tel que

le aujourd’hui célèbre traité de Vitruve De

Architectura écrit au Ier siècle av. JC jusqu’alors

inconnu. Ce texte infl uença de nombreux

architectes de la Renaissance comme Léonard

de Vinci, Alberti ou encore Michel-Ange. Il pose

les bases d’une architecture autour de trois

fondements majeurs : la fi rmitas, l’utilitas et la

venustas (forte, utile et belle). Les architectes

italiens entre autres s’inspirent alors de ce traité

redécouvert comme une source d’écriture pour

leur propre écrit. Vitruve, par son manuscrit,

redéfi nit les fondements de l’architecture

comme un art total alliant l’ensemble des

sciences (de la géométrie à l’acoustique en

passant par l’optique).

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LA VANDALISATION :

MOTEUR DE LA PROTECTION DU

PATRIMOINE

« Tant que le Colisée sera debout,

Rome sera debout.

Quand le Colisée s’écroulera, Rome

s’écroulera.

Quand Rome s’écroulera, le monde

entier s’écroulera. »

Bède le Vénérable, (673-735 ap. J.-C.), moine

bénédictin

C’est aussi et avant tout les destructions

des monuments qui vont provoquer une vive

réaction des pouvoirs en place vis-à-vis des

vandales.

Déjà au XVème siècle on voit naître une

farouche opposition entre les humanistes,

soucieux de conserver les vestiges antiques

source d’inspiration et de questionnement, et

les vandales qui à Rome détruisent œuvres

d’art et monuments à la gloire des faux-dieux.

L’un des éléments principaux à cette

reconnaissance et protection du patrimoine

reste la lettre de Raphael au pape Léon X. Le

cardinal Giovanni di Lorenzo de Medici, futur

Léon X succède en 1514 à Jules II. Tous deux

sont des grands mécènes de la Renaissance

et s’intéressent particulièrement aux arts et

en particulier à l’Architecture car ils comptent

donner à Rome la possibilité de rayonner par

sa grandeur passée et actuelle.

Cependant malgré leurs intérêts pour

l’antiquité, les papes les uns après les autres,

tiennent des discours ambigus.

Ainsi, Eugène IV déclare en 1436 vouloir

protéger le Colisée du pillage des tailleurs

de pierre, mais autorise la récupération des

pierres pour la restauration de l’abside de

St-Jean de Latran et permet d’utilisation des

marbres de la Curie et du Forum Julium pour

construire le palais apostolique.

En 1471, pour édifi er la librairie du Vatican,

Sixte IV autorise les architectes à se livrer à

des excavations pour s’approvisionner en

matériaux, cependant en 1474, il menace

d’excommunication tous ceux qui prélèveront

des pierres des églises et basiliques anciennes.

Dans ce contexte et pour préserver l’ensemble

des constructions antiques, Raphaël est

nommé en 1515 commissaire des Antiquité

des Rome par le Vatican par Léon X. C’est le

Vatican qui est à l’origine de la reconnaissance

de l’apport théorique, artistique et scientifi que

dont est chargé le « patrimoine antique ».

Cependant le pape déclare qu’il est possible

de récupérer les pierres sur des vestiges

antiques du moment où celui-ci n’est pas

considéré comme un « monumenta ». (fi g.5)

La lettre de Raphael à Léon X va dans le sens

opposé et fait l’éloge de la Rome antique et

de ses vestiges essentiel à la société actuelle.

Dans sa lettre écrite en 1519, Raphael fait

apparaître d’une part la grandeur de la Rome

antique, Mère du monde et d’autre part

l’ambition démesurée des papes pour une

Rome nouvelle et prospère. Cependant ils

opposent ces deux visions que les souverains

pontifes n’arrivent pas à allier.

« Oui, j’ose affi rmer: toute cette Rome nouvelle,

si grande puisse-t-elle être, si belle, si riche en

palais, églises et autres monuments, visibles

aujourd’hui, est toute entière bâtie avec de la

chaux fabriquée à partir des marbres antiques.

» [1]

[1] Georg GERMANN , Traduction de la Lettre à Léon X de Raphael. Vitruve et le vitruvianisme. Introduction à

l’histoire de la théorie architecturale, Lausanne, 1991, p. 91

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Les successeurs de Saint-Pierre n’ont pas

su conserver et construire dans Rome. L’un

impliquait nécessairement l’abandon de l’autre

et c’est cette conception manichéenne que les

différents papes ont suivi un par un.

Raphael trouve dans les modèles antiques

l’ensemble des éléments architecturaux qui

serviront de références pour la production

architecturale de la Renaissance : architraves,

frises, chapiteaux ouvragés et bases

proportionnées. A ce titre, supprimer un vestige

antique revient à supprimer une référence

notoire.

Si la lettre de Raphael reste un élément

qui aura peu d’impact dans le monde de la

reconnaissance du patrimoine, elle est un

élément qui expose très tôt les qualités du

patrimoine (au-delà d’un esthétisme pittoresque

ou romantique) et la prise de conscience de

celles-ci par d’une part les érudits (ou artistes)

puis d’autres parts la population toute entière.

Entre 1585 et 1590, le pape Sixte Quint décida

de réaliser un grand projet d’extension et de «

mise en valeur » des terrains de la partie Nord

de la ville de Rome, et décida par la même

occasion de tracer des grandes artères à

travers la ville et il se vit rapidement confronté

au Colisée sur ces tracés.

Mais pour assurer une évolution à la ville, il

fut décidé que le Colisée serait amputé pour

permettre le passage d’une grande avenue.

Grâce à la persévérance et la pugnacité du

Cardinal de Santa Severina et au ralliement

d’autres cardinaux, le Colisée fut sauvé in

extrémis.

Cet exemple, parmi d’autres, montre que par

le passé, le patrimoine n’a pas toujours fait

l’unanimité aux yeux de la population même la

plus érudite qui soit.

Fig. 5 : L’Intérieur du Colisée,Abraham-Louis-Rodolphe Ducros, vers 1790

Page 22: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

22

Tant qu’aucune législation précise ne

fut spécifi ée autour de la protection des

monuments, le débat entre les conservateurs

et les novateurs (si l’on peut classifi er le

débat autour du patrimoine en deux castes

radicalement contradictoires) fut stérile et

déboucha sur des débats aussi étrange puisse-

t-il sembler aujourd’hui que la destruction ou

non du Colisée.

Le pillage des sites antiques pour la construction

de nouveaux édifi ces a aussi bouleversé les

populations ce qui remis au goût du jour la

nécessité d’une législation patrimoniale pour

protéger concrètement ces édifi ces menacés.

Plus d’un siècle après le projet ambitionné par

Sixte Quint, le cardinal Spinola signe en 1704,

un édit qui assure la protection, la conservation

et la restauration des monuments. Il faut

protéger « les souvenirs et ornements de

cette cité-mère de Rome, lesquels provoquent

l’estime de sa magnifi cence et de sa grandeur

auprès des nations étrangères ». [2]

Cet édit est renforcé en 1733, par celui

du cardinal Albani qui condamne toutes

dégradations et propose des réprimandes

envers ceux qui voudraient porter atteinte aux

monuments antiques.

En 1802, Pie VII met en place une législation

pour protéger le patrimoine, comme l’héritage

du passé, d’une nation. La protection ne se

résume plus uniquement à la protection des

monuments antiques.

Autre exemple plus de deux siècles après

le projet de Sixte Quint, en 1811, Napoléon

1er ambitionne de prolonger le Corso vers le

Capitole et donc de détruire le petit palais de

Venise.

La proposition provoque une vive réaction des

romains, et de nombreux artistes signèrent une

pétition recensant de nombreux arguments

artistiques, juridiques et fi nanciers. Suite à

l’indignation des romains face à ce projet,

l’empereur français retire sa proposition et le

petit palais échappa à la destruction… jusqu’à

ce que le monument à Victor-Emmanuel ne

soit érigé et provoque la destruction de tout

un quartier médiéval attenant à la colline du

Capitole.

Les différentes atteintes au patrimoine qu’elles

soient concrètes ou ambitionnées ont imposé

aux autorités, essentiellement pontifi cales de

légiférer sur la question de la protection du

patrimoine.

On s’aperçoit donc que la notion de patrimoine,

de protection de celui-ci ou au minimum de

reconnaissance de ces qualités interviennent

très tôt en Italie au XVème-XVIème siècle

alors que dans les autres pays européen,

et entre autres la France, il faut attendre la

fi n du XVIIIème siècle pour voir apparaître

les premières consignes de protection du

patrimoine.

L’APPAREIL JURIDIQUE ITALIEN :

DEUX SIÈCLES DE LÉGISLATION

Si l’Italie était hier en avance sur ses

pays voisins quant à la reconnaissance du

patrimoine, sa législation n’en reste pas moins

complexe par rapport aux autres législations

européennes. En effet, si la prise en compte

du patrimoine est une composante inhérente

et fondamentale pour l’Etat Italien, la récente

unifi cation des Etats Italiens au cours du

XIXème siècle n’a pas simplifi é la législation

globale qui se veut être une synthèse des [2] Carlo CESCHI, Teoria e Storia del Restauro, Roma, 1970, page 31

Page 23: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

23

réglementations des différents Etats.

Comme expliqué dans la partie précédente,

pour lutter contre le pillage des sites

archéologiques et pour conserver ses sites

patrimoniaux intacts, les Etats italiens encore

indépendants ont pris des mesures par

décrets, en 1745 en Lombardie, en 1760 à

Parme, en 1854 en Toscane ou encore en

1857 à Modène.

Pour comprendre le regard italien sur le

patrimoine, il convient d’être informé des

différents courants de penser européen. Il ne

s’agit pas ici d’exposer les différents visions

de chaque nation européenne, mais de

comprendre pourquoi l’Italie s‘est tournée vers

un certain mode de patrimonialisation.

A la fi n du XIXème siècle, Ruskin publie un

ouvrage majeur en architecture : Sept Lampes

de l’Architecture. Dans cet ouvrage, il invite les

architectes, et autres acteurs du patrimoine

à la plus grande prudence avec les édifi ces

anciens.

« Prenez soin de vos monuments et vous

n’aurez nul besoin de les restaurer. Quelques

feuilles de plomb placées en temps voulu sur

la toiture, le balayage opportun de quelques

feuilles mortes et de brindilles de bois

obstruant un conduit sauveront de la ruine à la

fois murailles et toiture. Veillez avec vigilance

sur un vieil édifi ce, gardez-le de votre mieux

et par tous les moyens de toute cause de

délabrement. Comptez-en les pierres comme

vous le feriez pour les joyaux d’une couronne,

mettez-y des gardes comme vous en placeriez

aux portes d’une ville assiégée ; liez-le par

le fer quand il se désagrège ; soutenez-le à

l’aide de poutres quand il s’affaisse ; ne vous

préoccupez pas de la laideur du secours que

vous lui apportez, mieux vaut une béquille

que la perte d’un membre ; faites-le avec

tendresse, avec respect, avec une vigilance

incessante, et encore plus d’une génération

naîtra et disparaîtra à l’ombre de ses murs.

Sa dernière heure enfi n sonnera ; mais

qu’elle sonne ouvertement et franchement,

et qu’aucune substitution déshonorante et

mensongère ne le vienne priver des devoirs

funèbres du souvenir. » [3]

Cette leçon sera très largement entendue en

Italie qui veillera avec grand soin à l’entretien

de ses bâtiments, à la différence d’autres pays

européen comme en particulier la France.

Il s’oppose radicalement à Eugène Emmanuel

Viollet-Le-Duc, qui en France prône une

intervention de restauration des monuments

pour lui redonner une nouvelle vie. Cependant

l’architecte français tente de retrouver une

nouvelle identité perdue, ou peut-être jamais

possédée. Il efface les traces du temps alors

que Ruskin assume l’héritage du temps et

des siècles de constructions successives.

Ces deux visions françaises et anglaises sont

radicalement opposées : l’une fait l’éloge de la

restauration stylistique, alors que l’autre prône

une conservation romantique.

L’Italie n’a pas fait le choix de la restauration

styliste et s’est beaucoup plus rapprochée de

la vision de John Ruskin, par des théoriciens

et architectes comme Camillo Boito. En effet,

si Ruskin considère la conservation comme

unique voie de protection du patrimoine qui

ne nuit pas à sa qualité, il tombe rapidement

dans l’extrémisme de la conservation c’est-

à-dire le fantasme du ruinisme. Les Italiens

Boito et son élève Giovannoni, ouvrent alors

les portes d’une troisième voie « italienne »,

plus équilibrée, tout en offrant des pistes de

conservation et de restauration modérées.

[3] John RUSKIN, Sept Lampes de l’Architecture, Paris, 1980

Page 24: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

24

Dans Conserver ou Restaurer, Boito expose

l’extrémisme de Viollet-Le-Duc et de Ruskin

afi n de démontrer l’incompatibilité de leur

position tant elles sont radicalement différentes.

Cet écrit, et la position de Boito, infl uencera

beaucoup le processus de patrimonialisation

italien. Les textes de loi qui seront alors rédigés

pendant les décennies suivantes seront donc

très modérés.

Nombres de textes se sont succédés au

début du XXème siècle, en 1904, 1909,

1913 ou encore 1923 sans déboucher sur

une législation complète, et ce n’est qu’en

1939 qu’est mise en place une loi qui régit la

protection du patrimoine.

L’article 1er défi nit la protection patrimoniale

de la manière suivante :

« Les objets d’intérêt artistique, historique

et ethnographique, y compris : les objets

relatifs à la paléontologie, la préhistoire et les

premières civilisations ; les objets d’intérêts

numismatiques ; les manuscrits, autographes,

correspondances, documents remarquables,

incunables, ainsi que les livres, imprimés et

estampes ayant un caractère de rareté ou

de prix » seront à protéger. Cette loi protège

aujourd’hui encore l’ensemble des objets

patrimoniaux, témoins de l’histoire du pays.

Si l’on avait avant tout un langage esthétique

lors de la rédaction de cette loi en 1939,

le décret de 1974, a redéfi nit la notion de

patrimoine autour du « bien culturel ».

La loi de 1939 est l’équivalent italien de notre

loi de 1913 sur les monuments historiques

qui prévoit le classement de l’ensemble des «

immeubles dont la conservation présente au

point de vue de l’Histoire et de l’Art un intérêt

public ».

La Constitution Italienne promulguée en

1947 considère la protection du patrimoine

comme une composante nécessaire au bon

fonctionnement de la république Italienne.

L’article 9 exprime la place principale qu’occupe

le patrimoine : La République promeut le

développement de la culture et la recherche

scientifi que et technique. Elle protège les

sites et sauvegarde le patrimoine historique et

artistique de la Nation.

Dès la mise en place de ces décrets de

protection du patrimoine architectural riche et

varié dont dispose l’Italie, se pose la question de

la classifi cation des ouvrages architecturaux.

Ainsi le Cardinal Pacca propose en 1820 un

édit pour la protection des monuments en

c’est Fernand 1er de Bourbon à Naples qui

prévoit le premier un catalogue qui recenserait

l’ensemble des œuvres d’arts et des œuvres

antiques.

Il faudra attendre les premiers textes de

1909 pour voir naître l’équivalent de notre

classement des Monuments Historiques

français. Cependant la législation italienne

rend complexe cette classifi cation (la «

notifi cazione »). Si en France n’importe quel

monument, peu importe sa nature, peut être

inscrit sur la liste des monuments historiques,

Italie cela reste assez différent. En effet,

comme la Constitution considère qu’il est du

devoir de la nation italienne que de conserver

le patrimoine, cette « notifi cazione » ne

s’applique qu’aux édifi ces qui sont la propriété

de personnes privées. Ces édifi ces, qui sont

propriété d’une personne, sont ajoutés à cette

liste et deviennent sous la surveillance du

ministère chargé des Biens culturels après le

dépôt et l’acceptation du dossier de protection.

Le particulier, propriétaire du bien reconnu par

la « notifi cazione », a l’obligation vis-à-vis de

l’Etat d’assurer la pérennité de l’édifi ce.

Page 25: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

25

Contrairement à la France, il n’existe dans

cette loi de protection et de classement du

patrimoine, d’obligation de l’Etat vis-à-vis

du propriétaire de participer fi nancièrement

aux travaux de restauration, rénovation,

solidifi cation… Cependant, le propriétaire ne

peut entreprendre ces travaux que sous la

validation de l’autorité décentralisée régionale

: la Surintendance. Cette spécifi cité italienne

qui implique donc avant tout un engagement

du propriétaire vis-à-vis de l’Etat explique la

non-existence du corps des Architectes des

Monuments Historiques comme en France,

qui suivent les travaux et veille à la qualité de

l’intervention. La Surintendance, représentation

régionale du ministre a la possibilité d’imposer

des travaux (et y participer si elle le souhaite)

et d’imposer une ouverture d’un édifi ce au

public.

La décentralisation facilite l’intervention la

gestion des dossiers concernant le patrimoine.

L’aboutissement international et législatif

autour du patrimoine reste tout de même la

charte de Venise ratifi ée en 1964 qui permet

de défi nir un cadre réglementaire autour

de la question du patrimoine. Elle aborde

globalement la notion de patrimoine autour des

thèmes de la restauration, la conservation...

Si la prise de conscience fut relativement

précoce en Italie par rapport aux autres pays

européens, la législation à mis très longtemps

à s’installer dans le pays pour proposer une

reconnaissance et une gestion convenable du

patrimoine.

Page 26: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

26

Fig. 7 : Piazza del Campo,Sienne

Fig. 6 : Maquette du Plan Voisin pour ParisLe Corbusier, 1925

Page 27: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

27

3 / DU PATRIMOINE ARCHITECTURAL

AU PATRIMOINE URBAIN

Jusqu’au XXème siècle, la protection

et la sauvegarde des monuments historiques

ne s’intéresse qu’à l’édifi ce comme un objet

architectural isolé. Et cette conception est

commune à l’ensemble de l’Europe. Le

patrimoine comme objet solitaire n’est pas

envisagé comme ayant de la valeur grâce et

à cause de son environnement urbain. Par

exemple, entre 1922 et 1925, Le Corbusier

propose même pour Paris, le célèbre plan Voisin

dans lequel il propose un nouvel urbanisme. La

ville conserve cependant ses édifi ces majeurs,

le Louvre, l’Arc de Triomphe, la Tour Eiffel, le

Sacré Cœur… (fi g.6). Ces éléments font «

l’esprit de Paris » pour Le Corbusier.

Les autres propositions de Le Corbusier à la

même époque en Italie pour le nord de Rome

et la ville de Pontinia, montrent de même peu

d’intérêt pour le patrimoine urbain.

Cette conception de l’objet patrimoniale hors

de son contexte va perdurer pendant quelques

années encore jusqu’au milieu du XXème

siècle.

Il faudra donc attendre le milieu du XXème

siècle pour qu’émerge la notion de patrimoine

urbain. En effet ce sont des auteurs comme

Gustavo Giovannoni avec des ouvrages tels

que L’urbanisme face aux villes anciennes.

Dès lors on prend conscience que le

patrimoine n’existe pas comme un objet seul

mais qu’il doit beaucoup au contexte urbain

dans lequel il est édifi é. Naît alors la notion de

« centre historique ». La Chartes d’Athènes

de 1931, va dans ce sens et « recommande

de respecter, dans la construction des édifi ces

le caractère et la physionomie des villes,

surtout dans le voisinage des monuments

anciens dont l’entourage doit être l’objet de

soins particuliers. Même certains ensembles,

certaines perspectives particulièrement

pittoresques, doivent être préservés. » [4]

En effet, que serait la ville de Sienne sans ses

étroites et hautes ruelles qui débouchent sur

la grande Piazza del Campo (fi g.7). Peut-on

imaginer le même espace sans ses rues, ses

constructions du quotidien ?

EMERGENCE DE LA QUESTION URBAINE

Le milieu du XXème siècle marque

alors ce basculement en Italie de la question

patrimoniale. L’environnement bâti, historique

et urbain gagne alors en importance pour la

défi nition de la ville contemporaine.

Alors qu’en France la question des centres

historiques s’est trouvée renforcée par la

protection des 500 m via la loi de 1913, l’Italie

tarde à protéger ses centres historiques.

En 1942, la loi fondamentale d’urbanisme

propose une première approche de la question

des centres historique : dans un premier temps,

il est jugé nécessaire d’intégrer la question des

centres historiques dans les plans d’urbanisme

et de requalifi cation urbaine des villes, et dans

un second temps, la nécessité de mettre en

place des mesures de protection de ces centres

anciens par la préservation entre autres de leur

densité bâtie, de leur gabarit de construction…

Cette loi s’attarde donc à l’impact urbain des

constructions des centres anciens plus que

sur leur aspect patrimonial. La ville historique, [4] Extrait de la Charte d’Athènes, 1931

Page 28: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

28

le centre ancien est ainsi fait de constructions

exceptionnelles, mais aussi de constructions

du quotidien. Cette loi autorise des opérations

de consolidation, de restauration (dans

l’optique de la pensée de Boito) sans toutefois

dénaturer l’aspect initial de la construction et

de l’environnement urbain. Il est important de

constater que cette loi, porteuse d’une ambition

de protection de la qualité urbaine, historique

et patrimoniale de ces centres anciens

propose une ébauche de protection des vides

(places, parcelles non bâties...) qui jalonnent

la ville historique. Le patrimoine trouve sa

défi nition au-delà du simple monument, il est

aussi espace public, rue, pont... (à l’exemple

du Ponte Vecchio de Florence (fi g.8)). On voit

dès lors que la ville historique n’existe pas

uniquement par ces monuments mais par

l’ensemble des constructions et des vides qui,

mis en rapport, composent l’espace urbain

de la ville ancienne et en assurent la qualité

esthétique et historique.

LA DIFFICILE LEGISLATION ET LA

PROTECTION DES CENTRES ANCIENS

Jusqu’alors les législateurs italiens (et

européens par la même occasion), n’avaient

pas pris en compte les centres historiques

pour leur caractère patrimonial mais avant tout

pour leur potentiel urbain dans la redéfi nition

de l’urbanisme moderne.

En 1960 est rédigé une charte affi rmant la

nécessité de classifi er, reconnaître et protéger

les « lieux historiques » en tant que zones à

remettre en état. Ce document, la charte de

Gubbio, met en exergue un besoin impératif

de considérer les opérations de protection

des centres historiques comme une étape

nécessaire à la composition de la ville de

demain. Centres historiques et nouveaux

centres doivent trouver un équilibre dans

la composition de la ville contemporaine.

Cette charte, indique qu’auparavant l’objet

architectural était considéré comme un

élément autiste de son contexte alors qu’il

Fig. 8 : Ponte Vecchio sur l’Arno,Florence

Page 29: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

29

est nécessaire de considérer un ensemble

architectural unique comme un tout avec son

contexte d’origine.

En 1964, sous la présidence de Franceschini

est créée la Commission d’enquête pour la

protection et la valorisation du patrimoine

historique, archéologique, artistique et

paysager. Elle met en application les grands

principes de la charte de Gubbio, et prévoit

en plus des opérations de protection du

patrimoine, des opérations de maintien et

de protection des alentours pour assurer

une meilleure habitabilité (consolidation,

assainissement…). De même des opérations

de réglementation de circulation protègent

ces centres anciens afi n qu’ils ne deviennent

pas des voies de circulations primaires.

Cependant la commission est dissoute en

1967, et peu de ses préconisations sont mises

en place. En effet on considère à l’époque, et

cela est toujours vrai aujourd’hui, qu’il n’existe

pas une seule solution pour l’ensemble des

modèles urbains qui jalonnent l’Italie, et que

chacun des centres historique possèdent ses

propres problèmes (dégradations, pollution,

insalubrité, criminalité...) .

L’Italie ratifi e la Convention du Patrimoine

Mondiale en 1976. Ainsi 35 biens patrimoniaux

sont classés, dont 12 villes ou centres anciens

tels que Florence, Venise, Sienne, Naples… et

Rome. Cette ratifi cation marque un grand pas

vers la reconnaissance mondiale de ces centres

historiques et de leur qualité patrimoniale et

urbaine.

La loi de 1978 de « reprise des bâtiments

anciens » propose une nouvelle vie à ces

constructions anciennes dans la ville ancienne

qui vie au rythme du XXème siècle.

Entre 1997 et 1998, l’ancien ministre des

biens culturels Walter Veltroni, propose

un projet de loi pour protéger les centres

anciens et encadrer les interventions. L’intérêt

général de la proposition de loi réside dans

la protection, la restauration et l’amélioration

les centres historiques italiens. Ce projet de

loi s’étend au-delà des centres historiques et

s’intéressent aux villes historiques considérant

qu’il est nécessaire de protéger les abords de

ces villes. Elle encadrait en quelque sorte la

protection de ces « quartiers historiques » afi n

d’en assurer l’intégrité et la conservation dans

un but patrimonial mais aussi économique et

touristique car cette composante est une source

de revenu majeur pour l’Italie. Cependant de

nombreuses personnes se sont opposées à ce

projet qui cristalliserait totalement les centres

anciens et remettaient en cause le fait que rien

ne puisse être fait sans une autorisation d’une

administration supérieure. L’institut national de

planifi cation urbaine a remis en cause ce projet

de loi qui isolerait la protection des centres

anciens de la planifi cation urbaine et limiterait

le pouvoir des communes à décider pour leurs

propres centres anciens.

L’ensemble des propositions faites autour de

la protection des centres anciens peuvent

être d’une part ambitieuse et d’autre part un

obstacle à l’évolution de la ville. C’est pourquoi

ces propositions de lois, ces décrets sont

aujourd’hui encore vivement critiqués car s’ils

résolvent un problème, ils peuvent soulever

des interrogations sur la pérennité des centres

anciens.

Page 30: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

30

Fig. 11 : PalimpsesteFig. 10 : Via Della Conciliazione avant travaux, Rome

Fig. 9 : Teatro Di Marcello,Rome

Page 31: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

31

0101B - VERS LA MUSEIFICATION DES VILLES ITALIENNES ?

1 / QUELQUES NOTIONS DE LA VILLE

PATRIMONIALE

La ville italienne comme d’autres

villes européennes est forte d’un patrimoine

spectaculaire, dense et varié. C’est ce qui

en fait la force de ces villes de la péninsule

italienne. C’est ce qui donne ce charme à ces

villes. Mais pourquoi aujourd’hui peut-on parler

de villes palimpseste, de villes-musée ? Ces

deux notions ne sont-elles pas paradoxales ?

DE LA VILLE PALIMPSESTE…

A l’heure actuelle on se rend bien

compte que les constructions ne peuvent

plus s’étendre sans fi n sur le territoire. Il nous

faut faire face au mitage du paysage et des

zones rurales. Il nous faut limiter l’urbanisation

croissante des zones rurales. La ville ne peut

plus se construire hors de ses murs. L’avenir

de la ville contemporain se trouve dans la ville

d’hier.

Si l’affi rmation précédente semble iconique

d’une pensée contemporaine qui trouverait

dans la ville d’hier les fondations de la ville

de demain, elle a toujours été inhérente à

l’évolution urbaine de ces villes. La question

est beaucoup moins contemporaine qu’elle ne

semble être. Celle-ci ne s’est pas uniquement

construite à côté de celle déjà présente. Mais

souvent sur celle-ci.

La sédimentation de Rome le montre très

bien : sur les constructions romaines ont été

édifi ées diverses constructions du Moyen-Age

puis d’autres constructions Renaissance…

C’est le cas des constructions comme le Teatro

Di Marcello (fi g.9), ancien théâtre romain,

transformé au Moyen-Age en habitation,

auxquelles des boutiques sont venues

s’ajouter…On retrouve encore aujourd’hui les

arcs du théâtre d’origine noyées dans la masse

bâtie. C’est un des célèbres exemples romains

en matière de destruction, recomposition

urbaine, traces bâties… La ville a su et du

effacer une partie de son patrimoine bâti pour

recomposer la ville, l’adapter aux composantes

contemporaines… au prix de sacrifi ces parfois

diffi ciles comme lors de l’édifi cation de la via

della Conciliazione (fi g.10). Les travaux ont

imposé la destruction de nombreux d’îlots

de logements pour créer cette percée qui

aujourd’hui relie la Place Saint-Pierre au

Château Saint-Ange et au Tibre. Rome, comme

d’autres villes italiennes, a toujours du évoluer

pour s’adapter au prix de démolitions et de

reconstructions. « Ceci tuera cela », célèbre

maxime de Victor Hugo est plutôt adaptée à

l’histoire urbaine et architecturale italienne.

Pour imager ce concept de ville qui se

régénère constamment, on parle de ville

palimpseste. Le palimpseste, au Moyen-Age,

est un parchemin utilisé sur lequel on réécrit

après avoir fait disparaître les inscriptions, tout

en conservant les anciennes traces écrites en

fi ligrane (fi g.11). Le papier coûtant très cher au

Moyen-Age, il était nécessaire d’écrire sur du

papier déjà utilisé. Dans La condition urbaine

: La ville à l’heure de la mondialisation, Olivier

Mongin parle de la « ville palimpseste ». Ce

terme, fréquemment utilisé en architecture et

en urbanisme, défi nit une ville qui se reconstruit

Page 32: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

32

sur elle-même en effaçant une partie de son

héritage bâti, afi n de toujours occuper le

centre-ville et en profi tant de parcelles bien

placées, et très convoitées.

L’homme a compris très vite que l’avenir de la

ville se trouvait dans la ville. La ville italienne est

très particulière, car elle est la représentation

parfaite de cette sédimentation architecturale

et de cette pluralité patrimoniale conservée.

Elle permet encore aujourd’hui de comprendre

cette cohabitation entre des constructions

aussi diverses réalisées au fi l des siècles.

Aujourd’hui la ville devra se reconstruire sur

elle-même, composer avec son existant,

composer avec une architecture qui n’est plus

adaptée au monde contemporain mais qui est

empreint d’un langage tout particulier. L’homme

devra se poser la question du patrimoine.

La ville qui s’est reconstruite sur elle-même

s’est posée la question de conserver ou non,

et les reconstructions successives de la ville

ont donné naissance à une multitude de

constructions toutes aussi intéressantes les

unes que les autres.

…A LA VILLE MUSEE

L’avenir de la ville se trouve donc dans

la ville. Peut-on alors appliquer la politique

de la tabula rasa pour reconstruire celle-ci ?

Il semble évident que non. Aloïs Riegl, dans

Le culte moderne des monuments, oppose

souvent l’ambition fantasmagorique des

novateurs qui veulent détruire coûte que coûte

pour mieux reconstruire, à l’immobilisme des

conservateurs prêts à tout pour conserver un

brin d’histoire dans la ville contemporaine.

Quelle a cependant été l’histoire de la ville au

fi l des siècles ?

La ville palimpseste a dû se séparer d’une

partie de ses constructions pour en accueillir

de nouvelles. Par essence, ces nouvelles

constructions ont remplacé d’anciennes dont le

caractère patrimonial n’était pas remarquable.

Par chance la nouvelle construction aura pu

faire l’onjet d’une reconnaissance patrimoniale

dans les siècles à venir, et sera épargnée

des prochaines destructions opérées dans

la ville palimpseste. Cependant en suivant

ce schème, n’arrive-t-on pas à créer une

collection de constructions remarquables ?

Aussi paradoxal qu’il puisse paraître, l’avenir

de la ville palimpseste réside peut-être dans

la ville-musée, cette ville qui abrite un nombre

important de constructions remarquables.

Au-delà du caractère patrimonial de ces

constructions, c’est tout un imaginaire urbain

qui a su se créér autour de ces espaces et

vestiges d’un passé qui raconte l’histoire

de la ville. Détruire le patrimoine c’est en

quelque sorte effacer l’histoire de la cité. La

sauvegarde du patrimoine peut « contribuer

à la mise en perspective du temps, à la

fourniture de repères historiques et territoriaux

et au renforcement d’une relation affective de

la population avec son patrimoine. » [5]

Dans l’Urbanisme face aux villes anciennes,

Gustavo Giovannoni ne remet pas en cause

la préservation du patrimoine, au contraire

c’est pour lui une façon de comprendre la ville

et son histoire, nous ne pouvons vivre dans

une ville privée de ses repères spatiaux et

historiques. « Nous avons en effet une tradition

artistique, un patrimoine d’histoire et de beauté

monumentale que nous voulons et que nous

[5] Pierre NORA, 1997. « L’ère de la commémoration », dans Les lieux de mémoire (tome 3), Paris, Gallimard, pp. 4687-4719

Page 33: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

33

devons conserver, car le sentiment de notre

peuple doit se refl éter dans une organisation

et un style qui nous soient propres. »

Si cette défense a amené les politiques

comme les citoyens à défi nir ce concept, on

voit aujourd’hui que de plus en plus de constru-

ctions entrent dans le champ patrimonial,

non pas parce qu’ils sont esthétiquement

comparables à des monuments mais

parce que par leur morphologie, typologie,

programme, histoire... il traduise une partie

de notre héritage architectural, historique,

national (patrimoine militaire, industriel...). On

voit une généralisation de la patrimonialisation

des constructions du XXème siècle, souvent

qualifi ée de patrimoine sans qualité (qui ne

ruine pas, qui n’est pas fait de pierre taillée...)

mais qui pourtant est le témoin érigé de notre

culture et de notre histoire. Cette tendance au

«tout-patrimoine» s’est généralisée depuis le

milieu du XXème siècle.

«Tout devient aujourd’hui digne de

conservation : non seulement les églises, les

châteaux et les quartiers anciens, mais aussi

les bateaux […], les usines abandonnées, les

lavoirs, les fours à pains […], les constructions

de fer, de terre ou de béton. » [6] Si quelques

édifi ces font débat, les populations sont assez

heureuses de pouvoir conserver au minimum

des fragments de leur histoire.

La ville se voit donc dotée de constructions

extrêmement différentes (immeubles, hôtels

particuliers, monuments, usines...) qui

trouvent leur reconnaissance patrimonial dans

des critères radicalement variés mais qui font

partie au même titre du paysage architectural

et patrimonial de la ville du XXIème siècle.

DE LA PROTECTION À LA VALORISATION

DU PATRIMOINE

Si hier le patrimoine était le combat

des édiles de l’architecture et de la société, il

est aujourd’hui un « phénomène populaire »

comme le défi ni Régis NEYRET. « Aujourd’hui

il semble que le patrimoine reste le dernier

élément de permanence et de référence

dont les hommes disposent encore dans ce

monde qui leur échappe en bougeant tout le

temps. […] le goût et le désir de patrimoine

sont devenus des phénomènes populaires

incontournables marqués à la fois par la peur

du changement et par le désir de valorisation

d’un héritage » [7]

Il n’est presque plus d’actualité que de débattre

sur l’intérêt patrimonial d’un édifi ce. On voit

même que des édifi ces tout récemment

construits trouvent un intérêt patrimonial car

ils traduisent une façon de voir la société à

un moment précis. Si la protection législative

du patrimoine a fait débat pendant longtemps

en Europe (faut-il protéger, à quel degré,

qu’est ce qui est ou n’est pas patrimoine ?…)

aujourd’hui le patrimoine tend plus à être

valorisé que reconnu. Car s’il est nécessaire

de patrimonialiser à minima pour assurer une

reconnaissance minimale des constructions

dignes de reconnaissance des institutions…

les questions se posent d’avantages sur

l’usage de ce patrimoine. Car un patrimoine

« mort » n’est plus d’aucune utilité autre que

celle esthétique s’il est privé de toute fonction

[6] NEYRET Régis, 1992. Le patrimoine atout du développement, Collection Transversales II, Presses Universitaires de Lyon. pp 10

[7] NEYRET Régis, 1992. Le patrimoine atout du développement, Collection Transversales II, Presses Universitaires de Lyon. pp 12

Page 34: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

34

utilitaire. Ce qu’Aloïs Riegl défi nissait par la

valeur d’utilité. Un monument ne peut exister

s’il n’est pas utilisé. Il est nécessaire de

préserver les activités du monument et de le

réparer à cet effet. Un monument (patrimoine

au sens de Riegl) a du sens par son utilisation

Il est cependant nécessaire de rester prudent

sur la vision de Riegl quand à l’utilité du

patrimoine. Il considère que le patrimoine

doit conserver sa fonction d’origine. Pour ce

dernier le patrimoine trouve sa force dans la

fonction qui lui est attribuée. Cependant un

palais vénitien édifi é à la Renaissance ne

saura plus jamais trouver sa fonction originelle

au XXIème siècle tout comme un ancien fort

intégré dans la ville contemporain ne saurait

trouver une fonction de défense dans un pays

où les confl its ne viennent plus de la ville

voisine.

Il convient donc de prendre acte de cette

nécessité d’utilité pour proposer une vie

contemporaine au patrimoine d’hier. (comme

les exemples ci-contre)

Si la patrimonialisation et sa législation fut

le premier acte de la reconnaissance et

de la protection de celui-ci, le second acte

fut certainement la reconnaissance par les

populations. Aujourd’hui le patrimoine semble

entrer (et cela depuis plusieurs années) dans

son troisième âge, celui de la valorisation. Va-t-

on aller vers ce que Régis Neyret défi nit, dans

un texte intitulé Le patrimoine valeur ajoutée,

comme « le marketing de la nostalgie » ?

Fig. 13 : Palazzo Rosso,Musée de la ville,

Architecte : Franco Albini,Gênes

Fig. 14 : Marché des fruits et légumes,Village Olympique,

Architecte : AIA,Turin

Fig. 12 : Ancien Arsenal,Hôtel, centre des congrès et de conférences,

espaces d’expositions,Architecte : Stefano Boeri,

La Maddalena

Page 35: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

35

2 / LES ENJEUX ÉCONOMIQUES DE

LA MUSEIFICATION

« Le patrimoine sans la vie n’est qu’une

coquille vide de Bernard-l’ermite agréable à

l’œil mais tout juste bonne à décorer un coin

d’étagère. Avec la vie, sa valeur d’identité lui

donne tout naturellement sa place dans le

monde du XXème siècle. » [8]

Le patrimoine ne se suffi t pas dans la

ville par sa fonction de décor urbain. Il trouve

réellement une valeur ajoutée lorsqu’il est «

exploité » et valorisé. Ce que les autorités des

communes italiennes ou européennes ont très

vite compris.

Le patrimoine devient très rapidement un

atout majeur des villes qui en possèdent une

collection impressionnante par leur valeur,

leur nombre, leur variété… Ainsi se met en

place une « course à la patrimonialisation »

véritable marathon vers la protection et la

valorisation du patrimoine. Ainsi se met en

place un processus de muséifi cation qui tend à

protéger de tout son possible une quelconque

construction digne d’un intérêt patrimonial.

La ville italienne, s’est naturellement tournée

vers l’exploitation de cette ressource

patrimoniale riche et variée. Quelle meilleure

idée que de muséifi er la ville, de proposer un

tourisme autour de la mise en valeur et de

l’exploitation du patrimoine bâti ? Cet intérêt

pour le patrimoine donne naissance aux

concepts de ville-musée ou de muséifi cation

de la ville. Celle-ci vise à se transformer en

véritable musée urbain dans lequel l’œuvre

d’art serait le patrimoine et le musée, la ville

elle-même.

Valoriser le patrimoine, sauvegarder le

patrimoine. Oui mais à quel prix ? Et qu’en

retire les communes qui se lancent dans une

protection de leur patrimoine qui parfois peut

aller jusqu’à la patrimonialisation de quartiers

entiers voir de la ville entière.

La muséifi cation induit nécessairement une

dimension économique qui régit la ville par

la suite. Car le patrimoine, s’il est entré

dans les consciences collectives comme un

élément essentiel de la culture commune, est

devenu une source de tourisme et donc de

revenus économiques pour les communes.

Le patrimoine a profi té de la publicité faite par

les organismes nationaux ou internationaux

comme l’UNESCO. Nombreux sont les pays,

dont l’Italie, qui misent sur le tourisme culturel

et leur patrimoine pour attirer les touristes du

monde entier. L’Italie représente la cinquième

destination touristique mondiale, la troisième

en Europe derrière l’Espagne et la France avec

des recettes, dues au tourisme, supérieures

à 43 000 millions d’euros pour l’année 2011

(source INSEE). Pour certaines villes, le

tourisme culturel est une des seules ressources

économiques. Il est donc nécessaire pour

elles de développer au maximum cette fi lière

économique.

Le XXème siècle, siècle de la mondialisation

et de la culture de masse, a vu le tourisme

s’imposer comme composante populaire.

Les vacances se sont démocratisées, en

particulier en Europe, la ville a délaissé ses

activités de travail (production) situées en

centre-ville. La ville insalubre, délabrée, du

travail a laissé place à un visage pittoresque,

de contemplation...

[8] NEYRET Régis, 1992. Le patrimoine atout du développement, Collection Transversales II, Presses Universitaires de Lyon. pp 13

Page 36: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

36

0202

Page 37: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

37

0202LA VILLE ITALIENNE HISTORIQUE, VILLE-MUSÉIFIÉE : MYTHE OU RÉALITÉ ?

02

Page 38: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

38

Page 39: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

39

0202A - PROFESSIONNELS, TOURISTES ET VILLE MUSÉE : QUELLE VISION DE LA MUSÉIFICATION ?

La ville musée est un concept

cependant assez vague. A quoi ressemble-t-

elle ? Quels en sont les aspects ? Il est alors

nécessaire de prendre du recul sur la question

de la ville-musée en général qui accueille

chaque année un nombre de touristes toujours

plus nombreux. Cependant comment peut-

on défi nir cette ville ? Et qu’en pensent les

touristes ?

1 / DU COTÉ DE LA PROFESSION

On voit très bien aujourd’hui qu’il existe

un consensus dans le milieu architectural,

touristique et urbanistique autour des

problématiques de ces villes dotées d’un

patrimoine architectural impressionnant et

tournées vers le tourisme culturel.

En effet on peut pour cela s’appuyer sur

plusieurs enquêtes menées par des chercheurs

mais aussi par des étudiants. Dans ce cas là,

nous allons tirer profi t d’une enquête menée

par Amélie MARTIN, une étudiante de Paris 1

– Panthéon Sorbonne en Master professionnel

Tourisme. Elle a effectué un sondage en 60

étudiants, chercheurs et professionnels issus

du monde du tourisme sur la question de la

ville muséifi ée.

Il est nécessaire de s’intéresser à ses

résultats. Elle arrive à classifi er les réponses

des personnes suivant quatre critères :

fonctionnels, esthétiques, historiques, et

aménagement et réglementation.

Chaque critère donne un nombre de réponses

variables et nuancées mais pour comprendre

globalement le regard de ces personnes sur le

sujet, une simplifi cation a été opérée.

On note alors ces réponses possibles :

> Critères esthétique :

Cohérence spatiale / Caractère fi gé

> Critères historique :

Historicité / Manque d’authenticité

> Critère réglementaire et d’aménagement :

Mise en valeur spatiale / Contraintes

réglementaires

> Critères fonctionnel :

Manque de vitalité / Monofonctionnalité

touristique / Dynamique touristique

Ces réponses ont été dénombrées et classifi ées

pour donner le graphique de répartition suivant

de ces critères et leur redondance :

Fig : Répartition des critères de muséifi cation

Page 40: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

40

On note alors que pour les personnes de la

profession (étudiants, chercheurs ou encore

professionnels) les principaux critères restent

la mise en valeur spatiale, la dynamique

touristique et la qualité historique du site, avant

d’autres critères comme le caractère fi gé ou

encore le manque de vitalité.

On note alors que les personnes soulèvent

avant tout les qualités apportées aux espaces

muséifi és avant les défauts possibles. En

effet, en tant que principaux usagers de ces

sites touristiques nous avons tendance à nous

pencher sur le caractère « apparents » de ces

espaces et non sur la vie au quotidien que l’on

peut retrouver. Mais à force de se préoccuper

des qualités de ces espaces, nous avons

tendances à en oublier que ces espaces ne

sont pas des simples musées, mais le lieu de

vie de nombreuses personnes.

Le défi de ce siècle sera de concilier notre

attente vis-à-vis de la ville-musée en temps

que touriste et celles des habitants de ces

dernières.

Et qu’en pensent les touristes ?

2 / DU COTÉ DES USAGERS

Chaque année le nombre de touristes

augmente en Italie comme de partout en

Europe. Fort de leur patrimoine et de leur

reconnaissance internationale, les villes

italiennes attirent des touristes à la recherche

de l’authenticité patrimoniale des villes

italiennes. Afi n de comprendre le point de vue

des touristes sur le sujet, un sondage à été

mené auprès de touristes de ces villes. Il a

été repris la même trame que celle adoptée

pour les critères tiré du questionnaire présenté

précédemment. En effet, les personnes ont

été soumises à 4 questions sur chacun des

sujets (fonctionnalité, esthétique, historique

et réglementation et aménagement) à laquelle

il ne pouvait répondre des réponses précises

pré-défi nies indiquant qualités et défauts de la

muséifi cation . Ces personnes ont été choisies

dans des agences de voyages, offi ces de

tourisme principalement et dans l’entourage.

Le questionnaire a été simplifi é car l’initial

était assez complexe et long à remplir pour

des personnes n’étant pas quotidiennement

confronté au milieu architectural.

Le but était de voir de quels critères ils

étaient conscients quant à la muséifi cation

en se basant sur les 4 critères de bases cités

précédemment.

On a donc obtenu les résultats suivants :

Fig : Répartition des critères de muséifi cation,selon des touristes

Page 41: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

41

Ce questionnaire a donc permis de

comprendre que malgré les conséquences

et les problèmes assez complexes que peut

apporter la muséifi cation, les touristes sont

demandeurs d’authenticité, de patrimoine et

de sa mise en valeur. Mais s’ils valident le fait

que la ville-musée est fi gée, ils reconnaissent

la cohérence que peut avoir cet espace. Il ne

perçoivent que très peu le manque de vitalité

de ces espaces et l’impact qu’a le processus

de muséifi cation sur la vie en place :

gentrifi cation, disparition des commerces, des

artisans... Et c’est sur ce point précis qu’il est

essentiel de travailler. Comment maintenir la

vie au sein de la ville-musée sans toutefois

compromettre l’exploitation du patrimoine à

des fi ns touristiques et pour doper l’économie

de la ville ?

Cette enquête nous montre aussi que dans

l’idéal des touristes, la ville-musée italienne est

avant tout une ville qui fonctionne, authentique

et dynamique. Est-ce un a priori ? Ou le

résultat de politiques qui fonctionne ? Où ce

qu’ils recherchent ?

A nous de comprendre la recette qu’elles ont

pu mettre en œuvre.

Une enquête n’a pas été menée auprès des

habitants car trop complexe à mettre en œuvre

si l’on veut un maximum de personnes de

villes italiennes différentes. Mais la suite de ce

mémoire permettra de mettre en lumière les

problèmes possibles afi n de la confronter aux

attentes des touristes

3 / MYTHE OU RÉALITÉ ?

Le questionnaire a donc permis de

distinguer deux regards. Celui-ci soulève de

possibles problèmes pour la ville-musée dûs

à son exploitation touristique, sa protection...

et une vision plus relative des touristes qui

semble assez confi ante dans l’avenir de ces

ville-musées.

Pour cela nous allons nous intéresser à

plusieurs villes pour voir s’il est judicieux de

se reposer sur notre confi ance dans l’évolution

et le futur de ces villes ou s’il faut au contraire

surveiller ces sites devenus touristiques.

En effet, pourquoi se retourner vers le centre-

ville s’il est impossible d’y vivre ? Ce qui était

important de comprendre c’était de voir ce que

recherchait le touriste, ce qui l’intéresse et ce

dont il prend conscience en visitant une ville-

musée (réglementation stricte, disparition de

commerces de proximité, embourgeoisement

des populations, rigidité de l’urbanisme...)

Pour voir qu’elle différence il peut y avoir

entre visiter et vivre avec le patrimoine. Nous

essayerons d’analyser les actions qu’ont pu

avoir les municipalités au XXIème siècle pour

assurer l’avenir du tourisme et de la vie dans

la ville-musée.

Si certaines villes ont joué le périlleux jeu

du tout-tourisme, de l’immobilisme, du tout-

patrimoine, qu’en est-il aujourd’hui ?

Page 42: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

42

Fig. 15 : Place Saint Marc Venise

Page 43: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

43

0202B - DU DANGER DE LA MUSÉIFICATION « PASSIVE » DES VILLES ITALIENNES, VENISE, MANIFESTE D’UN ÉCHEC ?

Les atouts de la muséifi cation semblent

être évidents et nécessaires à certaines villes

italiennes qui à l’heure de la mondialisation se

vident de leurs industries, de leur artisanat...

au profi t d’un tourisme tourné autour d’une

ressource patrimoniale inépuisable.

Si cependant la tentation d’une course

à la patrimonialisation et d’une politique

patrimoniale du « tout-préservé » se met en

place sans prise de conscience collective des

conséquences sur l’urbanité d’un site, d’un

quartier ou d’une ville, les résultats peuvent

parfois être plus destructeurs pour la ville.

Les mots choisis sont assez forts mais il faut

bien être conscient de ce que la muséifi cation

entraîne obligatoirement dans son sillage.

L’enjeu de ce mémoire ne réside pas dans

le blâme de la politique de muséifi cation

entreprises par les villes car celle-ci est une

voie patrimoniale aux enjeux économiques

souvent nécessaire au maintien de la

population en place, mais il s’agit de pointer

les aspects négatifs de la muséifi cation pour

attirer l’attention sur les erreurs à ne pas

commettre.

Toutes les villes d’Italie n’ont pas connues le

même destin, riches d’un patrimoine et d’une

activité touristique et économique variée. Il

n’est donc pas possible de classifi er ces villes

selon leurs réponses à la valorisation de leur

patrimoine. Cependant on peut trouver des

éléments de réponses à la muséifi cation dans

l’analyse de certaines villes.

Venise, la ville insulaire, la légendaire cité

des Doges, semble être l’exemple adéquat

pour surligner les points qui peuvent poser

question dans la ville ancienne, et qui par

conséquent est soumise au tourisme culturel

et patrimonial. Cette ville qui fait le bonheur

des agences de tourisme du monde entier

et des touristes, et la fi erté des italiens nous

permettra de comprendre les limites du modèle

de protection et de valorisation du patrimoine

architectural et urbain.

La ville vénitienne présente de nombreuses

caractéristiques qui refl ètent les points critiques

de la muséifi cation que nous aborderons dans

une étude de cas assez succincte. L’enjeu

de cette partie est avant tout de surligner

le paradoxe qu’entretient la ville entre une

renaissance touristique et un délaissé des

questions urbaines. On critique essentiellement

la ville-musée, sur ses conséquences au

niveau de la population autochtone, sur sa

rigidité, sur sa surprotection… Est-ce vraiment

cela ? Peut-on tout imputer à la muséifi cation ?

De même qu’apporte réellement le processus

de muséifi cation à la ville ? Pour et contre

seront mis face à face pour proposer un portrait

critique de la ville muséifi ée.

L’analyse d’anecdotes sur la ville insulaire et les

points critiques mis en avant par les spécialistes

de la muséifi cation nous permettront d’élaborer

un portrait des pathologies engendrées.

Page 44: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

44

Fig. 17 : Le Pont Rialto depuis la Riva del VinVenise

Michele Marieschi

Fig. 16 : Venise,La cité insulaire, la lagune et le continent

1 / VENISE, DU PORT AU TOURISME,

A LA RECHERCHE D’UN IDÉAL FIGÉ ?

« Venezia che muore, Venezia appoggiata

sul mare, la dolce ossessione degli ultimi suoi

giorni tristi, Venezia, la vende ai turisti »

[ « Venise qui se meurt, Venise appuyée à la

mer, la douce obsession de ses derniers jours

tristes, Venise la vend aux touristes » ]

Francesco Guccini, Venezia.

L’histoire de Venise n’est un secret

pour personne. Il est cependant nécessaire

de la rappeler, afi n de comprendre quel fut le

visage de la ville auparavant et pourquoi il est

celui que l’on connaît aujourd’hui.

Edifi ée au Vème siècle elle devient rapidement

une ville très infl uente de l’Italie du Nord

avec Gênes. La puissance de Venise résidait

dans deux points précis : sa fl otte navale

ainsi que son commerce (fi g.17). Elle restera

pendant plusieurs siècles un port marchand

très infl uent en Méditerranée. Sa renommée

fut aussi forgée grâce à une infl uence en

matière d’art, d’architecture, de littérature, de

poésie qui faisait de Venise une des seules

villes capables de rivaliser avec Florence

sur de nombreux domaines artistiques. La

grandeur de la ville insulaire se trouvait donc

renforcée par une renommée artistique mais

aussi économique et politique. Ce n’est qu’au

XIXème siècle que Venise s’est trouvée obligée

de se séparer de ses activités portuaires face

à l’industrialisation des ports et l’importance

des ports de Méditerranée comme Gênes. Elle

s’est donc tournée vers le tourisme orienté

autour de son patrimoine exceptionnel sur l’île.

Aujourd’hui l’ensemble de l’économie de la ville

est tournée vers le tourisme et les services. En

effet, en 2011, la ville de Venise a accueilli plus

Page 45: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

45

Fig. 18 : Ecole d’architecture de Venise, un travail de couture urbaine,

Carlo Scarpa

de 23 millions de touristes, générant ainsi plus

d’un milliard et demi de chiffre d’affaire.

Aujourd’hui la ville a tout misé sur le tourisme,

devenu un tourisme de masse. Ces derniers

sont en quête de « la ville romantique ».

Et c’est avant tout ce que recherchent les

touristes : une ville comme sur les cartes

postales. Ils espèrent pouvoir repartir avec la

photo de Saint-Marc, du campanile, faire un

tour de gondole sur le Grand Canal en passant

sous les multiples ponts de la Cité des Doges.

C’est un idéal qu’ils recherchent car ils sont

friands de l’authentique, c’est-à-dire du comme

avant. Alors pourquoi changer quelque chose

lorsque l’on peut profi ter d’un patrimoine

impressionnant qui se suffi t à lui même ?

La ville de Venise se transforme peu à peu

en une île isolée du monde et qui tend à être

dépendante du continent. La ville portuaire

qui savait vivre de son commerce et de son

artisanat perd aujourd’hui cette qualité qui lui

était reconnue par tous au profi t d’une industrie

touristique qui semble plutôt bien fonctionner.

Cependant la ville semble fi gée dans un idéal

esthétique et urbain qu’il semble aujourd’hui

diffi cile de combattre. Le tissu urbain n’est

plus du tout adapté aux ambitions du XXIème

siècle et le centre-ville (qui représente en

fait l’ensemble de la cité) est classé pour

son patrimoine architectural et urbain. Alors

que faire lorsque sur une si petite zone (800

hectares) lorsque rien ne peut être modifi é et

tout doit être repensé pour attirer encore plus

de touristes.

Venise s’est laissée piéger dans un idéal

qu’elle a su préserver des modifi cations mais

qu’elle souhaiterait volontiers adapter au

nouveau siècle qui vient de débuter.

Alors que peut Venise face à son ambition

touristique?

2 / QUELLE AVENIR POUR LA VILLE

HISTORIQUE ?

La ville a depuis plusieurs décennies

essayé de sortir de cet idéal de la vieille pierre

dans son « contexte adéquat ». Plusieurs

architectes s’y sont confrontés. Venise est

assez hostile par nature à toute intervention

moderne.

LA DISCRÉTION, L’ÉPHÉMÈRE OU RIEN

En particulier Carlo Scarpa. L’architecte

d’origine vénitienne à réussi à intégrer son

architecture à la rigidité patrimoniale de

Venise. Intégrer est un mot assez fort, il a

plutôt réussi à tisser avec le contexte pour

créer une architecture qui vient se glisser dans

la ville. L’école d’architecture par sa sobriété

se glisse dans le tissu urbain. (fi g.18)

Page 46: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

46

« Paradoxalement, j’ai envie de dire que

Venise pourrait accepter les choses les

plus modernes » confi e l’architecte lors d’un

entretien en 1979. Cependant il s’agit ici plus

d’un art de la couture urbaine plus que de

la planifi cation, de la rénovation ou encore

de l’adaptation urbaine. Scarpa propose

de mettre en scène la ville et le patrimoine

au lieu de venir jouer avec le contemporain

comme une affi rmation de l’ère actuelle. Ces

interventions de Scarpa affi rment certainement

le fait qu’il est aujourd’hui diffi cile de produire

du contemporaine dans la ville de Venise. Car

elle ne peut l’accepter en son sein.

D’autres architectes ont tenté l’aventure

vénitienne comme Tadao Ando en 2011 avec

la reconversion de la douane de mer en

centre d’art contemporain (fi g.19) qui vient

comme une intervention sous-marine se

loger dans un bâtiment existant, ou encore

Santiago Calatrava en 2008 avec le Ponte

della Costituzione (fi g.20). Si l’intervention

du premier fut peu critiquée, la posture

contemporaine radicalement affi rmée de

Calatrava associant acier et béton fut vivement

remise en question. Le pont fut rapidement

tagué (Qui é morta la cultura [Ici est morte

la culture]) et l’inauguration retardée par des

contestations nombreuses.

Continuons notre survol des interventions

architecturales dans la ville de Venise, ou

plutôt de ces non-interventions, projets

architecturaux avortés. L’un d’entre eux est

un projet de Frank Lloyd Wright en 1952

pour Paolo Masieri qui souhaite édifi er un

palazzino à la mémoire de son défunt fi ls.

Dès lors l’architecte propose sur une parcelle

triangulaire, en lieu et place d’une ancienne

construction appartenant à la famille Masieri,

Fig. 19 : Centre d’art contemporain, Douane maritime,

Tadao Ando,Venise

Fig : Ponte delle Costituzione,Santiago Calatrava,

Venise

Page 47: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

47

Fig. 21 : Memorial Masieri, FL Wright, 1953,Modélisation par Dionisio Gonzalez, 2011,

Venise

Fig. 22 : Hopital de Venise, Le Corbusier, 1965,Modélisation par Dionisio Gonzalez, 2011,

Venise

Fig. 23 : Hopital de Venise, Le Corbusier, 1965

Venise

une construction répondant à l’ensemble

des principes de l’architecture organique si

chère à ses yeux. Le projet est d’une fi nesse

époustoufl ante (fi g.21). Il vient se glisser dans

le tissu urbain avec aisance. Les gabarits

proposés par l’architecte assurent une relation

équilibrée avec la ville vénitienne. Si sur le

papier, l’aventure vénitienne de Wright semble

être un succès, il en est pas de même sur le

plan politique et de l’opinion publique.

La ville de Venise est une des rares cités

où l’ensemble de l’espace urbain est

scénographié et existe par et presque

uniquement grâce à l’architecture. Modifi er

une façade (ou un bâtiment) revient à modifi er

un espace urbain. On présente alors Wright

par un caractère fi ctif de novateur méprisant la

culture et le classicisme. On fait de son origine

(les Etats-Unis dont l’histoire est récente) un

motif de mépris de l’architecture historique et

du patrimoine. Alors qu’il se veut en dialogue

d’une grande fi nesse avec l’existant, l’opinion

publique s’oppose farouchement à l’architecte.

Et pourtant l’architecte s’adapte mais au fait

qu’il construit une partie du « mur » du Grand

Canal. Mais rien n’y fait et le projet sera

fi nalement abandonné devant l’opposition de

l’opinion publique.

A cet exemple s’ajoute d’autre projet comme

celui de Le Corbusier pour l’hôpital de Venise

(fi g.22 & fi g.23) qui contrairement au projet

de Wright assume totalement sa modernité

(pilotis, béton brut, volumes simples…).

Mais rien n’est à faire, Venise a décidé de

rester dans un idéal classique et conservateur.

Cependant si à certains siècles la ville a su

ouvrir ses bras à des architectes qui ont donné

à Venise un air de nouveauté et d’inscription

dans son siècle avec des projets comme le

Palais des Doges, la Place Saint-Marc et sa

Page 48: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

48

Cathédrale… elle semblent aujourd’hui dans

une inertie conservatoire dont elle semble ne

pas pouvoir se débarasser.

La ville trouve aussi son attraction touristique

dans les différents festivals organisés chaque

année et en particulier la désormais célèbre

Biennale d’architecture.

Des interventions contemporaines ont su

se glisser dans la ville de Venise lors cette

manifestation. Ces réalisations ponctuelles

ne reçoivent qu’une très faible opposition

des vénitiens qui comprennent leur caractère

éphémère et qu’ils perçoivent plus comme

de l’art urbain que comme une intervention

architecturale ou urbaine.

Les frères Aires Mateus ont réalisé une

sculpture en acier corten sur les quais de

Venise en 2012 (fi g.24), Inter National Design

propose une mosquée fl ottante faite de ballon

pour la biennale 2010 de Venise fl ottant dans

la lagune (fi g.25).

Globalement les vénitiens sont plutôt hostiles à

toute intervention contemporaine dans la ville

historique de peur de confronter les « styles ».

Va-t-on alors arriver à ce que certains

décrivent comme un Disneyland architectural

et urbain où toute évolution ne serait qu’une

oeuvre d’art et où la fonctionnalité de l’espace

serait avant tout une composante secondaire.

« Venice is the fi rst urban theme park. Like any

other theme park, it is full of attractions. » [9]

La ville de Venise est-elle en train de devenir

un véritable musée urbain ? Y a-t-il une vie en

dehors du tourisme ?

L’AVENIR HORS LES MURS

Dans une exposition organisée par

Moleskine et Julien de Smedt Architects,

Détour Mapping Contemporary Venice,

Fig. 25 : Mosquée fl ottante en ballon, Biennale 2010,Inter National Design,

Venise

Fig. 24 : Radix, Biennale de 2012Aires Mateus,

Venise

[9] KAY John, 2008, “Welcome to Venice, the theme

park”, in The Times, 01/03/2008, Londres.

Page 49: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

49

l’architecte propose un projet pour inscrire la

ville dans l’ensemble des villes et métropoles

contemporaines rayonnantes. La proposition

semble être une non-solution pour la ville

historique. Les constructions contemporaines

ne viennent pas se greffer à la ville ancienne

mais créer une ceinture sur la mer (fi g.26). Les

nouveaux bâtiments ne sont pas soumis à la

contrainte urbaine.

Est-ce une façon de faire passer un message

à la ville ? L’hyper densité patrimoniale est

par ailleurs un frein à toute intervention

architecturale contemporaine ou à toute

modifi cation urbaine car le moindre projet

remet en question la présence d’un édifi ce

digne d’être conservé.

De même les projets d’envergure pour Venise

ne se trouvent plus sur la mer mais bien sur le

littoral. Pierre Cardin souhaite réaliser une tour

haute de 245 mètres à quelques kilomètres

seulement du centre historique. Ce « Palais

lumière » (fi g.27) accueillera un complexe

composé de logements, de bureaux mais

aussi de commerces et de centres de congrès.

Ce projet a immédiatement fait débat alors

qu’il ne touche même pas le centre historique

de Venise.

L’avenir de Venise se trouve-t-il encore entre

ses propres murs ou faut-il penser à réfl échir

la ville extra-muros, sur la lagune elle-même ?

IL FAUT SAUVER... LE TOURISME

Aujourd’hui le patrimoine est largement

conservé mais ce qui semble en péril c’est

avant tout le tourisme.

Chaque année la ville connaît des

phénomènes d’inondations, les Acqua Alta. Et

ces inondations conséquentes paralysent une

Fig. 26 : Exposition DétourMapping Contemporary Venice

Julien de Smedt

Fig. 27 : Palais Lumière,une tour de 245 mètre de haut,

Venise

Page 50: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

50

Fig. 30 : Les pigeons, patrimoine de Venise, aujourd’hui renié

Fig. 29 : Projet MOSE

Fig. 28 : Touristes sur des circulations survélevésVenise

partie de la ville. Tout est alors mis en place

pour assurer les déplacements des touristes

avec des circulations sur pilotis (fi g.28).

Le projet Mose (fi g.29), mis en place pour

limiter ces phénomènes, ne trouve que très peu

d’intérêt dans la protection des édifi ces mais

avant tout dans la possibilité d’accueillir des

touristes sur l’île même pendant les épisodes

de montées des eaux. Venise veut-elle

protéger son patrimoine ou juste s’assurer que

les touristes, friands d’un idéal architectural et

urbain que tout le monde vante, trouve la ville

de Venise comme on leur présente.

« Je connais un pays étrange où les lions volent

et marchent les pigeons » Jean COCTEAU

Anecdote ou simple point appuyant la théorie

selon laquelle le tourisme est l’ultime joker

de Venise : il y a encore 20 ans les touristes

se ruaient sur la place Saint-Marc pour

photographier les pigeons, partiellement

apprivoisés par les touristes et les grainetiers

de la ville, qui occupaient une place majeure

dans le paysage de Venise (fi g.30). Face aux

dégâts occasionnés par ces derniers sur les

édifi ces patrimoniaux, l’autorité municipale

prend la décision d’interdire de nourrir ces

volatiles en 1997, sauf pour la place Saint-

Marc souhaitant garder cette tradition avant

d’étendre ce décret à la place reine de la ville

en 2008.

Après les hommes ce sont les pigeons,

tradition pittoresque vénitienne, qui, sous le

désir de la culture patrimoniale et touristique

de masse, subissent le joug du tout-patrimoine

car la protection n’est autre que la seule arme

dont dispose Venise pour un jour peut être

sortir de l’endormissement.

Page 51: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

51

3 / OÙ EST PASSÉE LA VIE ?

La ville de Venise tend à devenir

un véritable musée, accueillant une

collection impressionnante de constructions

patrimoniales et atypiques. Mais par

défi nition un musée est un lieu qui accueille

temporairement du public, un lieu qui ouvre

ses portes le matin, accueille les visiteurs en

journée et se vide le soir. Et c’est à peu près

ce qu’il se passe à Venise.

La population résidante annuelle, qui

représentait environ 200.000 personnes

environ au XVème siècle et qui vivaient

essentiellement de l’industrie portuaire et de

l’artisanat, n’est plus que de 58.000 personnes

aujourd’hui dont la grande majorité vit du

tourisme de masse.

Le prix du foncier a augmenté à une vitesse

fulgurante pour dépasser des plafonds

jamais atteints autour de 35.000 à 40.000

euros du mètre carré dans la ville historique

pour des constructions qui sont parfois

vétustes ou en mauvais état. Les travaux de

réhabilitation peuvent parfois coûter très chers

pour des personnes dont les revenus sont

essentiellement basés sur le tourisme. La ville

se dote donc d’une collection de constructions

patrimonialement intéressantes mais qui ne

répondent pas aux ambitions du XXIème siècle

car trop vétustes, trop petites, mal éclairées et

au confort inexistant. Seules les constructions

situées dans les zones touristiques, le Grand

Canal, autour des quartiers de San Marco et

de Dorsoduro semblent encore en bon état.

C’est pourquoi les agences de locations et

les complexes hôteliers se ruent sur des

constructions de ce types car elles ont les

moyens d’investir pour accueillir les touristes

qui sont près à dépenser une fortune pour

rester quelques jours dans la ville la plus

romantique au monde.

« A tout miser sur le tourisme, on fi nira par

transformer les vénitiens en pandas à placer

sous la protection de WWF. » [10] analyse

l’ancien magistrat Felice Casson. L’habitant

vénitien devient une exception dans le fl ot

quotidien des touristes qui arpentent la

Sérénissime, une espèce qui semble en voie de

disparition. Peu à peu face au nombre toujours

croissant de visiteurs la ville voit l’artisanat

disparaître pour être remplacé par les produits

chinois qui envahissent progressivement les

commerces.

« Selon un enquête, les 20 millions de touristes

(source 2009) dépensent, en moyenne, ici, 15

euros ! C’est évident qu’ils achètent chinois ! »

[11] soulève Gianni De Cecchi directeur de

l’association pour l’artisanat Confartigianato. A

Venise le tourisme de masse a tué l’artisanat

alors qu’il aurait pu l’encourager et promouvoir

le savoir-faire vénitien dans bien de domaines.

Alors aujourd’hui, Venise est-elle le manifeste

de l’échec de la muséifi cation ?

Fig. 31 : Evolution de la population vénitienne insulaire entre le XVème siècle et 2012

[10-11] Témoignages extraits de l’article de LUKSIC Vanja, SAUBABER Delphine, 2009. « La Moribonde est immortelle », L’Express, 30 avril 2009

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52

030303

Page 53: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

53

0303LE XXIÈME SIECLE

ET LA VILLE ITALIENNE :

UNE POSSIBLE ÉVOLUTION ?

03

Page 54: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

54

Page 55: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

55

0303A - PEUT-ON ENVISAGER UN AVENIR POUR LA VILLE-MUSEE ?

L’analyse précédente nous a montré

qu’il existe une ambivalence entre la volonté

de vitaliser le tourisme par la patrimonialisation

et la muséifi cation, cependant cela peut

facilement entraîner une multitude de

problèmes (gentrifi cation, sur-protection,

destruction d’emplois...) si cette volonté n’est

pas gérée correctement dès sa mise en place.

Alors est-ce une fatalité que d’orienter la ville

vers le tourisme, d’exploiter le patrimoine et

de développer une économie tournée vers la

politique culturelle ? Il semble que Venise soit

l’archétype d’un échec annoncé dès le début et

soulevé très tôt par des architectes tels Sergio

BETTINI lors du refus populaire du projet de

Wright.

Alors quel avenir pour ce qui serait considéré

comme une échec inné ? Faut-il céder à la

volonté du touriste qui ne souhaite que voir

de « l’authentique » refl et d’une histoire,

cristallisation d’un passé resplendissant ?

Peut-on sous le dictât du tourisme oublié que

la vie se trouve aussi entre les murs de la cité ?

CONSERVER, PROTÉGER, PLUS QU’UNE

VOLONTÉ, UNE NÉCESSITÉ

Aujourd’hui il n’est pas question

de détruire le patrimoine, il est même

inenvisageable de se poser la question.

Comme évoqué dans la première partie de ce

mémoire de recherche, le patrimoine n’est plus

à protéger mais à valoriser comme certains

l’ont compris depuis bien longtemps.

Le patrimoine est vecteur d’une économie à

développer certes, mais elle est avant tout le

témoins d’une histoire, d’un héritage, véritable

sens du patrimoine, comme bien hérité du

passé et d’une personne (ici d’une ville, d’une

nation...).

La question à se poser n’est pas «comment

faire pour éviter de devenir comme Venise,

fi gée, cristallisée (à jamais?) ?», mais bien

«que peut-on faire de ce patrimoine, de cet

urbanisme hérité des générations précédentes

tout en les combinant avec les volontés

contemporaines du XXIème siècle ?».

« Nous avons en effet une tradition artistique,

un patrimoine d’histoire et de beauté

monumentale que nous voulons et que nous

devons conserver, car le sentiment de notre

peuple doit se refléter dans une organisation

et un style qui nous soient propres. » [12]

LA MUSEIFICATION SE RESUME-T-ELLE A

LA SURPROTECTION DU PATRIMOINE ?

Avant de parler de fatalité il serait

intéressant de se pencher plus en détail sur la

question de la muséifi cation, terme de plus en

plus péjoratif dans le vocabulaire urbanistique

et architectural.

Pour cela l’étude de Nicolas NAVARRO sur

la ville et le tourisme nous sera une source

majeure. Dans son article La muséalisation de

l’urbain, interprétation du patrimoine, recréation

d’une urbanité, Nicolas NAVARRO met en

exergue la différence entre muséifi cation et

muséalisation des villes historiques et en

particulier de leurs centres historiques.

[12] GIOVANNONI Gustavo, 1998, L’Urbanisme face aux villes anciennes, Paris, Editions du Seuil.

Page 56: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

56

En effet on a souvent tendance à parler de

muséifi cation des villes dites historiques, les

laisser dans un idéal fi gé dans le temps, «

des « pétrifi cations » muséales où l’urbanité

ne serait plus à même de s’exprimer ». Ce

terme de muséifi cation utilisé par bon nombre

d’urbanistes et architectes donne une vision

quelque peu négative de la ville, vue comme

endormie et qui n’est plus en phase avec son

siècle.

Ce terme fait appel à deux notions : celle du

« musée » et celle du « muséal ». Le musée

défi nit plus un côté fi gé, alors que muséal

renvoi à la notion de mise en exposition de

scénographie, d’exposition.

L’avenir se trouve-t-il autant dans l’espace

urbain, espace de scénographie, que dans le

patrimoine et le bâti ?

Si le patrimoine a pendant des années été

considéré comme le monument, sa défi nition

s’est complexifi é au fi l des années et intègre

aujourd’hui une collection de constructions qui

n’ont pas été pensées comme tels (patrimoine

urbain, industriel, militaire…).

Une quantité de réglementation a ainsi

permis au patrimoine d’exister hors d’une

reconnaissance comme tel, en particulier

en Italie qui a vu le développement de la

notion de patrimoine urbain au fi l des siècles

grâce à des architectes et urbanistes comme

Giovanonni. Le patrimoine affecte en effet

des zones alentours qui sont dépendantes

de l’image du cet élément patrimonial. Ces

reconnaissances réglementaires et théoriques

donnent au patrimoine une qualité d’existence

dans le monde contemporain.

Prenons la défi nition du musée donnée par

l’ICOFOM en 2007 : « Le musée est une

institution permanente sans but lucratif, au

service de la société et de son développement,

ouverte au public, qui acquiert, conserve,

étudie, expose et transmet le patrimoine

matériel et immatériel de l’humanité et de son

environnement à des fi ns d’études, d’éducation

et de délectation ».

Le patrimoine doit donc dialoguer avec son site,

et la population pour tenter d’exister dans l’ère

du XXIème siècle. Tout patrimoine doit trouver

une fonction. La nécessité d’interprétation de

ce patrimoine lui donne une légitimité dans la

ville d’aujourd’hui. Il ne peut être une pièce

de décor de la ville pour le bon vouloir des

touristes friands authenticité labellisée.

« La patrimonialisation et la muséalisation

conduisent à la création d’un espace singulier

au cœur de la ville. En voulant conserver

les caractéristiques anciennes de la ville, en

réintroduisant des fragments d’historicité, cet

espace semble représente un conservatoire,

un musée de l’urbanité ancienne. »

On assiste à une redéfi nition de l’espace

public : la muséalisation ne vise pas à fi ger

l’espace dans un temps donné mais à faire

évoluer cet espace pour l’adapter aux attentes

touristiques et urbaines contemporaines. Il

s’agit réellement d’un musée : la scénographie

évolue alors que les objets exposés restent les

mêmes, même s’il peuvent être restaurés et

présentés différemment.

« La muséalisation serait alors un processus

global qui touche à tous les aspects urbains

(habitations, économie, populations,

aménagement urbain…) en conduisant, non

pas à conserver tel quel un lieu patrimonial,

mais en offrant les conditions adéquates à une

bonne appréhension de la valeur patrimonial

de celui-ci. »

Il est donc essentiel de comprendre que la

muséifi cation n’est qu’un a priori de la question

Page 57: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

57

de la protection du patrimoine, car il est plus

juste de parler de muséalisation pour mieux

cerner l’attitude à avoir sur le patrimoine et

l’espace urbain : le musée est donc une image

juste, il faut savoir composer un parcours, une

nouvelle scénographie, de nouveaux usages

pour des pièces de collections qu’elles soient

aussi impressionnantes qu’un Delacroix de

2,5 m par 3 m, ou de la simplicité d’un vase

antique.

QUEL FUTUR POUR LES VILLES

ITALIENNES ?

Heureusement pour l’Italie, qui

représente un des pays les plus complexes

en matière de législation et de reconnaissance

patrimoniale et de qualité architecturale, il

semblerait que les villes et communes aient

intégré l’échec de Venise afi n de ne pas copier

un modèle trop souvent critiqué par le corps

des architectes, urbanistes mais désormais

aussi par les personnes externes à la pratique

architecturale.

Afi n de comprendre comment ces villes ont pu

s’émanciper du modèle vénitien qui semble

la référence en matière d’exploitation du

patrimoine à vocation touristique, nous allons

nous intéresser à deux villes : Gênes et Rome.

Gênes nous éclairera sur la façon dont une

ville peut faire du patrimoine une valeur de

rénovation urbaine alors que celle-ci ne l’avait

jamais exploité auparavant.

Quand à Rome, nous nous intéresseront

plus à des projets contemporains particuliers

pour comprendre qu’est ce que représente

la construction contemporaine dans la «ville-

musée».

Ces deux villes vont nous aider à prendre

conscience que la patrimonialisation et la

muséifi cation (ou muséalisation pour être plus

précis selon les termes de Olivier Navarro)

ne sont pas nécessairement synonyme

d’endormissement et de pétrifi cation

temporelle mais qu’un travail fi n de réfl exion

urbaine et architecturale peuvent amener la

ville-musée dans une perspective d’adaptation

au XXIème siècle qu’elle n’aurait su envisager

auparavant. Cela demande certes un travail et

un investissement de réfl exion plus poussés,

mais au XXIème siècle il est aujourd’hui

évident qu’une cohabitation est possible

entre l’ambition initiale de Venise de trouver

dans le tourisme une nouvelle renaissance

et les composantes sociales, économiques et

politiques du siècle actuel.

Page 58: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

58

Fig. 32 : Porto Antico, Gênes, la ville palimpsesteAu premier plan , Bigo et l’espace evenementiel de Renzo Piano

Au second plan, la Sopraelevata, le Teatro Carlo Felice d’Aldo Rossi et la Cathédrale

Fig. 33 : Plan satellite de Gênes,Entouré, le centre historique à proximité du port

Page 59: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

59

0303B - GÊNES : UN EXEMPLE DE MUSÉALISATION ÉQUILIBREE ?

1 / VILLE ATYPIQUE OU REFLET DES

VILLES ITALIENNES ?

APOGEE ET RAYONNEMENT

Il s’agit ici d’approcher la ville et sa

typologie atypique par certaines anecdotes.

Gênes est adossée au pied de montagnes et

construite sur cette frange de terre entre mer

et montagne. Elle profi te d’un golfe assez

profond ce qui l’a immédiatement tournée vers

le commerce maritime dès le XIème siècle

pour devenir une place forte du commerce

méditerranéen au Moyen-Age et fi nalement le

port le plus infl uent de l’Italie à la Renaissance.

Le visage de la ville est assez atypique. Auprès

des palais des familles génoises se trouvent

des quartiers d’habitat populaire.

Tournée essentiellement vers le commerce

portuaire, la ville a longtemps été cloisonnée

entre ses murailles dont la dernière datant du

XVIIème siècle a défi nit le visage de la ville

jusqu’au XIXème siècle. Des lors la ville a du

composer dans un centre étroit, dense (fi g.33).

La ville s’est reconstruite sur elle-même,

exemple même de la ville palimpseste (fi g.32).

On y trouve de riches palais embellis au fi l

des siècles, peu d’espaces publics... Cette

contrainte d’emprise au sol fait du centre-ville

de Gênes, le centre historique le plus dense

d’Europe.

Seulement au XXème siècle après l’annexion

des communes alentours, et de développement

de l’urbanisme hors des murs, la ville a pu

respirer et se tourner vers les collines alentours

pour s’étendre et accueillir plus d’habitants.

Des lors des travaux d’embellissement de la

ville ont pu être entrepris comme ceux de la via

XX Settembre ou sur le port avec la Ripa Maris

avec ses espaces de commerces en arcades.

L’industrie portuaire a donc fait la fortune de la

ville jusqu’au début du XXème siècle.

DECLIN DE LA PUISSANCE DE LA VILLE

Mais très vite les composantes

industrielles, économiques et sociales du

XXème siècle ont perturbé le rêve et l’idéal

génois. Au milieu du XXème siècle, la ville

a souhaité asseoir sa puissance portuaire

en développant un port et une industrie

performante. Le port industriel a été construit

modifi ant pour toujours le visage de la ville.

La Sopraelevata, autoroute urbaine passe le

long du port et sépare le vieux port du centre

historique de Gênes. Les quartiers anciens

deviennent trop étroits, mal éclairés, insalubres

et malfamés. La ville connaît ensuite dans la

deuxième moitié du XXème siècle un déclin

industriel et la ville connaît la perte de plus

de 70000 emplois et de 200000 habitants. La

population est de plus en plus vieillissante,

les friches industrielles se multiplient dans la

périphérie génoise.

Gênes semble sur le déclin, que de nombreuses

villes portuaires et industrielles connaissent au

XXème siècle en particulier en Italie.

Cependant la ville, confronté à la désindustri-

alisation, fl éau du siècle, ne pourra pas

sombrer longtemps dans la marasme qui a

façonné le visage de la ville à la fi n du XXème

siècle.

Page 60: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

60

2 / LE RENOUVEAU DE LA VILLE :

QUELLES OPTIONS ?

Pour sortir de cette impasse Gênes a

pris plusieurs décisions :

> Se tourner tout d’abord vers une richesse

gratuite : la patrimoine et l’exploiter pour que

le tourisme redynamise la ville, son centre

historique et son port.

> Assurer la mutation du port en port de

containers et en port de passagers (fi g.34).

> Remplacer les industries lourdes (sidérurgie,

raffi neries) par des industries propres.

> Accueillir des étudiants dans le centre-ville

pour retrouver la vie.

Notre analyse ne portera pas sur les

reconversions portuaires et industrielles mais

sur celle du centre-ville. Cependant il est

intéressant de noter que la ville ne s’est pas

tournée uniquement vers le centre-ville et son

patrimoine pour assurer à celle-ci un avenir

dans le siècle actuel. Elle a mis en œuvre une

multitude d’outils pour parvenir à sortir la ville

de son déclin. Les résultats ont été surprenant

cependant. L’activité du port à été multipliée

par cinq, l’industrie de haute technologie

se développe considérablement, le nombre

d’entreprises est croissant, le chômage a

baissé de plus de 5% (avant la crise de

2008)... En quelques mots Gênes a réussi sa

reconversion et son adaptation.

Le tourisme trouve donc une nouvelle place

de choix dans la redéfi nition du visage de

Gênes. Auparavant, les touristes se tournaient

vers Gênes pour son cimetière marin, dont

les impressionnants mausolées jalonnent un

parc arboré d’un qualité paysagère inégalable.

Gênes n’était qu’une étape dans les voyages

Fig. 34 : Nouveau port de Gênes,Port industriel et de passagers

Fig. 36 : Place de la CathedraleUn centre ville ancien

d’une grande qualité architetcurale

Fig. 35 : Porto AnticoPremier jalon de la reconversion de la ville

Page 61: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

61

vers le sud de l’Italie pour les touristes français,

allemands, suisses... Désormais Gênes est

une destination touristique à part entière.

Cela est dû en parti à deux opérations qui ont

donner à la ville un visage qu’elle n’avait jamais

eu et que peu de gens aurait pu déceler. Ces

deux opérations sont celles de Porto Antico

qui a permis la redécouverte du port antique

(fi g.35) en 1992 par l’opération menée par

Renzo Piano, et celle du centre historique

(fi g.36) entre 1992 et 2004 (plusieurs secteurs

successifs).

Gênes a retrouvé la vie en se tournant vers

son port et vers la mer, puis vers son centre

historique. Ci après nous allons parcourir

ces opérations qui ont remis Gênes sur les

chemins d’un avenir ambitieux et assumé.

3 / RETROUVER SON PORT :

UN PROJET INITIATEUR

UN PROJET AMBITIEUX

Il est important de noter que le projet

de Porto Antico n’est pas un projet de tourisme

pur comme pourrait l’être un projet lambda

dans une ville italienne touristique tel Venise.

Il est un projet pour les touristes et pour les

génois. Pour assurer sa métamorphose la ville

s’est d’abord tournée vers le cœur historique

de la création de la ville à savoir son port.

L’idée même de Porto Antico réside dans la

proposition de Renzo Piano. Il souhaite allier

la ville de Gênes et de Séville (exposition

universelle de 1992 dont le thème est « l’Ère

des Découvertes ») dans la célébration du

5000ème anniversaire de la découverte de

l’Amérique par Christophe Colomb, d’origine

génoise. Ce projet prend racine et devient un

véritable projet urbain pour la ville.

L’équipe d’architecte, menée par Renzo Piano,

a souhaité créer à Porto Antico un véritable

« morceau de ville », assurer une grande

porosité et une fl uidité entre la ville et la mer et

entre les espaces du port.

UN PROJET PAS À PAS

Dans un premier temps, en 1992 sont

réalisés les travaux de reconversions des

entrepôts du port. Ils accueillent alors le centre

des congrès, des restaurants, des galeries

marchandes...

Une promenade est réalisée le long du port

de plaisance et des constructions nouvelles

sont réalisées : la capitainerie, un multiplex,

la place des fêtes, et l’aquarium (un des plus

grand d’Europe) constitue la pièce maîtresse

du projet, même s’il a vivement été critiqué

à sa réalisation car trop représentatif des

activités que l’on peut trouver en bord de

mer. Certains édifi ces dont l’entrepôt du

café à largement été remanié pour accueillir

ses nouvelles fonctions, ainsi l’architecte de

l’agence RPBW n’a pas hésité à supprimer

plusieurs niveaux pour ramener l’édifi ce dans

la taille des constructions du centre de Gênes

et pour libérer la vue sur la mer depuis la ville.

Il est important de noter que les constructions

existantes ont été mises à profi t,, autant que les

nouvelles, pour assurer un usage de l’édifi ce

et une continuité avec son histoire passée.

Les espaces publiques sont peu travaillés

compte tenu de la rigueur fi nancière du projet

et le minimum est mis en œuvre pour assurer

la pérennité et la fonctionnalité de l’espace.

Le port fait parti de l’histoire de la ville et de son

Page 62: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

62

Fig. 38 : Aquarium de Gênes1992, agrandi en 1998

Fig. 37 : Centre des congrès de GênesPort de plaisance

Fig. 39 : Vue aérienne du Porto Antico, les différentes opérations réaliséesA droite, la vieille ville, séparée du port par la Sopraelevata

A - Aquarium (1992 - agrandi en 198)

B - La sphère abritant une collection de fougères

(2001)

C - Place des fêtes (1997)

D - Le Millo & Bigo (1992)

E - Musée Emanuel Luzzati (2001)

F - Piscine transformable en théatre (1998)

G - Pavillon de la Mer et de la Navigation (1996),

Multiplex (1997), Cité des enfants (1997)

Médiathèque (1999) Music Store (2000)

H - Centre des congrès (1992)

A

B

C

D

E

G

H

F

Page 63: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

63

patrimoine. Elle a réussi avec cette première

phase du chantier de Porto Antico à concilier

les activités touristiques et les activités

manquantes à la ville telle que le centre des

congrès (fi g.37), ou les activités relatives au

port de plaisance comme la capitainerie.

La deuxième partie de l’opération lancée en

1996 vient encore plus lier le Porto Antico à

la ville et à son centre. Cette seconde tranche

est essentiellement tournée vers un public

génois. Ainsi la ville ne souhaite pas rendre

la vie sur le port uniquement tournée vers les

touristes (avec par exemple l’aquarium (fi g.38)

ou encore les restaurants et commerces) mais

souhaite installer un programme original : la

Cité des Enfants qui accueille la plus grande

médiathèque pour enfants d’Italie, mais

aussi des musées d’arts et de sciences,

des équipements sportifs avec entre autre

un gymnase et une piscine... Cette nouvelle

tranche accueille des fonctions qui viennent

compléter l’offre de la ville de Gênes quant

à son attractivité pour les résidents et les

potentiels nouveaux habitants.

LES RAISONS DU SUCCÈS

L’élément clé qui a assurer la réussite

à long terme reste peut être le fait que la ville

a décidé, en 1995, de confi er intégralement la

gestion du port à la société Porto Antico SPA

ce qui libère la ville du poids de l’opération et

laisse à la société la liberté d’intervenir plus

librement et rapidement alors que la législation

italienne reste très complexe.

Aujourd’hui, après 20 ans d’exploitation, le

projet est un véritable succès auprès des

touristes de plus en plus nombreux et auprès

des génois qui ont intégré ce quartier dans

leur quotidien. Ci-après on peut voir un compte

rendu des chiffres que représente Porto Antico.

Ici se mêlent donc culture, loisirs, sports... La

ville a fait aussi confi ance aux entrepreneurs

pour proposer une nouvelle vie à se site. Ainsi

le projet d’avoir un immense Music store à

commencé avec l’installation d’une petite

boutique de disque qui s’est agrandie petit à

petit consciente de son succès pour obtenir la

licence Virgin. Il faut non seulement que les

pouvoirs publics contrôlent le projet mais les

entrepreneurs doivent pouvoir être force de

proposition et assumer les résultats.

Cette opération urbaine est donc le témoignage

qu’une orientation touristique n’est pas

uniquement tournée vers le touriste mais peut

amener un dynamique à tout un site.

Cet exemple est particulier certes car il

n’est pas réellement une muséalisation car

le patrimoine portuaire atypique se prête

facilement à la reconversion, mais l’agence

aurait pu jouer le jeu de la neutralité.

Si Porto Antico a initié le projet de

renouvellement urbain de Gênes, il est

initiateur principalement de la redécouverte

du centre ancien. La ville ne s’est pas reposée

sur son patrimoine pour attirer le public, elle a

su provoquer son dynamisme.

Chiffre d’affaire : 10,8 millions d’eurosInvestissement : 60,7 millions d’euros (sur 8 ans)900 emplois crées (sans transferts d’emplois

depuis le centre-ville)

3,5 millions de visiteurs (dont 1,2 millions pour

l’aquarium)

130000m² crées (dont 70000 d’espace public)

> 28% culture et science

> 21 % congrès

> 18 % loisirs et éducation

> 14% services et parkings

> 12% commerces et restauration

> 7% bureaux

Fig. 40 : Porto Antico en chiffres(source Porto Antico SPA 2003)

Page 64: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

64

4 / RETROUVER SON CENTRE-VILLE :

LA FINALITÉ DU PROJET

UN LIEU IMPOSSIBLE A VIVRE ?

« Le centre-ville [de Gênes] était la

la fois le trésor de la ville et son handicap ; il

fallait transformer le handicap en potentialités,

ouvrir la boîte à bijoux » [13]

Tel était le problème le problème de Gênes :

jouir d’un centre-ville exceptionnel, d’un

patrimoine varié et de qualité sans avoir les

moyens de le remettre à la place qui lui est

dues.

Comme expliqué auparavant Gênes n’est sorti

de ses remparts qu’au XIXème siècle. Les

rues étroites, les bâtiments très hauts de 5 à

6 étages en moyenne dans le centre-ville lui

donne un visage tout particulier mais en fait

aussi un handicap notable. Le centre ancien

se vidait alors peu à peu de ses habitants,

l’insécurité explosait, les diffi cultés d’accès

compliquait la vie dans le centre, le manque

de lumière et l’insalubrité repoussait de

nombreuses personnes à s’installer ici. Peu

à peu le centre-ville ancien a accueilli des

activités de recel de drogue, a servi de refuge

aux immigrés et SDF...

Comment pouvait-on sacrifi er un centre

exceptionnel comme celui de Gênes car il

n’était pas « compatible » naturellement avec

les activités du siècle actuel ?

Pendant des années, cette ville a laissé son

patrimoine architectural d’exception de côté

pour s’intéresser plus à l’expansion de la ville

hors les murs. Elle n’avait alors pas conscience

de la valeur de son centre ancien.[13] GABRIELLI Bruno, ancien adjoint à la qualité urbaine de la ville de Gênes dans MASBOUNGI Ariella (sous la direction de), 2001. Gênes : penser la ville par les grands évènements, Parenthèses. pp 91

Fig. 41 : Faculté d’architecture de Gênes

Fig. 42 : Teatro Carlo Felice

Page 65: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

65

En 1960, la municipalité lance une série

de réfl exion sur le centre-ville et la ville en

générale mais ces réfl exions n’aboutissent sur

aucun projet urbain ou de renouvellement du

centre.

Dès les années 80-90, la ville met en place

un projet de transformation urbain. Il est

alors question d’investir massivement pour

le centre ancien afi n de doper l’économie

et le renouvellement de l’ensemble de

l’agglomération génoise.

L’objectif est simple : Gênes sait qu’elle ne

peut pas exister que par le tourisme. Alors il lui

faut concilier la vie quotidienne des habitants

avec celle des touristes.

QUELQUES PROJETS INITIATEURS ET

UNE MAIN TENDUE VERS LE PORT...

Le projet de Porto Antico trouve son

écho dans le centre de Gênes. Alors que tout

l’ancien port est en effervescence, quelques

zones de la vieille ville tente de sortir de

l’endormissement. Ainsi dès 1972 la faculté

d’architecture (fi g.41) s’installe en plein cœur

de l’ancien quartier dans l’ancien palais de

l’Evêque, le Teatro Carlo Felice (fi g.42) se

voit reconverti par Aldo Rossi, endommagé

durant la seconde guerre mondiale et dont

les précédents projets de reconstruction avait

été avorté, il ouvre en 1991. De même de

musée Sant’Agostino, est lui aussi installé

dans les anciens cloîtres attenants à l’Église

Sant’Agostino dans les années 70. Ces

exemples ponctuels se sont trouvés assez

isolés mais peu à peu la ville a accueilli les

nouveaux étudiants de la faculté et des génois

tentés par l’expérience du renouvellement

urbain.

Par ces quelques projets et par la dynamique

apportée par le renouveau du port, des axes

de la ville sont rénovés, assainis, pavés... afi n

de redonner aux différents quartiers un visage

de ville « vivable ». Ces projets ont par la

même occasion permit le développement de

commerces de proximité, de boutiques et de

bars à cause et surtout grâce à cette nouvelle

population qui s’installe et redécouvre le

centre-ville.

Sont donc mêlées les ambitions pour les

touristes ainsi que pour les habitants.

Les projets d’espaces publics de 1992 sont

donc les premiers jalons de la reconversion et

de la redécouverte du centre-ville de Gênes

par ses habitants et ses touristes.

Cependant si les ambitions de renouveau

prennent forme à la fi n du XXème siècle dans

le centre de Gênes, Il manque une cohésion

de l’espace public pour assurer un avenir au

projet.

En 2001, la municipalité fait l’un des projets

les plus bénéfi ques pour la ville de Gênes : la

piétonisation et la requalifi cation urbaine de

via San Lorenzo qui relie le Palazzo Ducale

au Porto Antico en passant par la Cathédrale.

Dès lors la vieille ville autrefois inhospitalière

tend la main vers le projet le plus novateur du

siècle pour Gênes à savoir la requalifi cation du

port. Les façades des bâtiments sont ravalées,

les espaces publics réaménagés le plus

simplement possible. A noter qu’il s’agit avant

tout d’un projet d’espace public reliant des

monuments ensemble ou des pôles attractifs

déjà reconvertis. Le projet de la via San

Lorenzo est aussi un projet visant à assainir la

ville, polluée et mal-entretenue.

Dès lors la ville semble sortit de

Page 66: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

66

Fig. 43 : Palazzo Rosso,depuis la cour du Palazzo Bianco

Fig. 44 : Via San Lorenzo,Au second plan, la Cathédrale de Gênes

E

CD

A

B

Fig. 45 : Vue aérienne du Porto Antico et du centre ancien, Les différents projets réalisés

A - Musées de la Via Garibaldi

B - Cathédrale de Gênes

C - Palazzo Ducale

D - Teatro Carlo Felice

E - Faculté d’Architecture

Axe d’équipement à la personne

Axe alimentaire

Axe ameublement

Axe de vie nocturne et loisirs

Page 67: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

67

l’endormissement. En 2004, ce sont les palais

de la ville qui sont réhabilités en musée,

et restaurés. En particulier le long de la Via

Garibaldi avec en particulier les Palazzo

Rosso (fi g.43) et Bianco.

Les espaces publics sont à leur tour

réaménagés tout comme la Via Garibaldi ou

encore la Via Lomellini.

La force de ces projets réside dans le fait que

les habitants, les autochtones génois, ont

accepté cette redéfi nition de l’espace et les

interventions réalisés sur les bâtiments anciens.

Là où le projet de Wright fut rejeté à Venise

tout comme celui de Calatrava largement

contesté, à Gênes l’école d’architecture s’est

faite se place dans un centre ville qui n’est pas

sur-classé, auprès d’une population acceptant

l’évolution, et sans règles rigides.

UN PROJET POUR LES TOURISTES ET

LES HABITANTS

Ce qui fait la différence entre Gênes et

une ville lambda c’est cette aptitude à toujours

savoir jongler entre le touriste et l’habitant. Là

où l’un profi te d’un équipement, l’autre jouit

de la possibilité de visiter un musée. Là où un

espace public est aménagé, il est réfl échi pour

les deux usages.

Les espaces publics se sont vivifi és, les

monuments et bâtiments sont réinvestis. Il ne

restait plus qu’aux commerces à trouver une

nouvelle vie. Et ce ne fut pas le plus simple.

En effet, les commerces ont mis relativement

de temps à se mettre en place dans la ville

compte tenu de l’évolution de la population

dont personne ne pouvait assurer l’installation

permanente dans la vieille ville. De plus,

certains artisans, vendeurs avaient pris

l’habitude de ne pas ouvrir leurs commerces

habitués à ne pas les ouvrir quotidiennement.

Cependant le tourisme et ses retombés

économiques ne peuvent pas se passer de

boutiques ouvertes les week-end ou les jours

fériés. Il a donc fallu un certain temps avant de

sortir la ville et ses commerçants d’habitudes

prises pendant plusieurs années.

Cependant la municipalité s’est très vite rendue

compte de la potentialité des commerces en

centre-ville et comment concilier attentes des

habitants et des touristes. Ainsi sont mis en

place des axes commerçants regroupant les

boutiques de même typologie. Ainsi autour de la

Via San Lorenzo (fi g.44) sont mis en place des

commerces essentiellement d’équipements

de la personne et de restauration rapide ou à

emporter (fast-food, cafétéria, boulangerie...).

Ce sont les premiers commerces « nouveaux »

lancés dans le centre ancien. Dès lors et par

peur d’être oublié, d’autres commerces se

sont regroupés, rouverts ou affi rmés, et de

nouveaux axes se sont développés autour

de l’ameublement, de l’alimentaire, de la vie

nocturne, des loisirs...

Ainsi le centre-ville est ponctué de commerces

destinés aux usages de habitants et aux

attentes des touristes .

De nombreux bâtiments sont réappropriés afi n

d’y installer tous ces nouveaux commerces.

De nombreux voir tous les bâtiments

possibles. Ainsi les plus petits rez-de-

chaussées sont réappropriés, tout comme

les plus impressionnants. Une supérette de

quartier est même installée dans un ancien

bâtiment voûté, dont deux cariatides gardent

l’entrée. Certains diront qu’il est dommage de

sacrifi er de tels volumes pour un supermarché,

Page 68: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

68

d’autres diront que la ville a fait avec ce qu’elle

possédait comme constructions disponibles

dans le centre-ville. Car on ne peut pas relayer

tous les commerces volumineux hors de la ville

sous couvert de protéger des constructions.

Si l’on veut accueillir étudiants, couples ou

encore personnes âgées dans le centre, il faut

s’en donner les moyens au prix de quelques

sacrifi ces. Et Gênes a aujourd’hui intégré ces

sacrifi ces nécessaires pour savoir évoluer.

Plusieurs programmes ont même été mis en

place à Gênes pour les commerces dont les

CIV (Centre commerciaux Intégrés de Rue).

Ces programme visent à gérer l’espace urbain

et les commerces comme dans un centre

commercial. Une association de commerçants

prennent en charge l’animation de la rue,

et une partie de l’entretien de l’espace

public. Si à certains endroits de la vieille

ville ces centres ont fonctionné comme à la

Maddalena, d’autres à proximité de la Via San

Lorenzo n’ont pas trouvé de pérennité. Il faut

alors faire confi ance à tous les commerçants

pour leur investissement dans ce projet

car l’individualisme de chacun, l’entente, le

partage des tâches peuvent être diffi ciles à

gérer. Cependant il s’agit d’initiatives qui ont

permis de relancer des commerces en perte

de fréquentation ou d’en ouvrir de nouveaux.

On voit alors que compte tenu des activités

proposées, des services assurés, et même si la

vieille ville complique encore les déplacement

en véhicules, le stationnement... les habitants

prennent place dans le quartier, les étudiants

et les jeunes couples rejoignant les personnes

âgées n’ayant jamais quitté leur foyer. Il faudra

donc à l’avenir assurer aux véhicules (surtout

aux deux-roues) un stationnement à proximité

des logements possible et une circulation

possible pour ceux-ci. C’est souvent le

problème des centres-villes anciens. On

souhaite piétonniser un maximum pour le bien-

être des touristes (et à Gênes pour celui des

habitants aussi) mais a trop vouloir piétonniser

on repousse toujours plus les zones de

stationnement. Le stationnement, tout comme

les services, reste donc à surveiller pour

s’assurer que les habitants ne se compliquent

pas plus la vie en habitant le centre-ville qu’en

habitant sur les hauteurs de la ville.

Même si la mixité sociale du quartier est

inédite comparée à d’autres villes et d’autres

centres-villes historiques en Italie, les prix

de l’immobilier ont tendance ces dernières

années à s’envoler, suivant la courbe logique

de l’immobilier en centre ancien réinvesti.

Heureusement aujourd’hui de nombreux

habitants possédaient leur logement avant

le réaménagement du centre et au début du

programme. De même chaque année, la

ville réalise une part de logements sociaux

pour loger des personnes ayant des revenus

variés, afi n que le centre ancien ne devienne

pas la propriété des familles les plus aisées,

alors qu’on voit depuis plusieurs années

l’installation de cabinet d’avocat, de médecins,

d’architectes... et le développement d’activités

économiques de type bancaires toujours plus

nombreuses avec par exemple l’installation

récente de la Deutsch Bank sur la Via Garibaldi.

Aujourd’hui, les habitants, comme les touristes,

semblent satisfaits de ce travail sur la ville

ancienne qui a été réalisé. Sans pastiche,

sans travail trop poussé sur l’espace public

qui aurait pu compromettre le résultat visible

aujourd’hui.

Page 69: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

69

Fig. 46 : Les Grands évènements à Gênes,1992 : Exposition colombienne

2001 : Sommet du G82004 : Capitale Européenne de la Culture

5 / LES GRANDS PROJETS ET LES

OUTILS MIS À CONTRIBUTION

Afi n de réaliser l’ensemble de ces

projets et pour renouer avec ses ambitions la

ville de Gênes a fait appel à l’ensemble des

outils fi nanciers qui lui étaient disponibles.

Mais avant tout certains projets ont provoqué

la chance pour que Gênes profi te de tout pour

s’émanciper et se distinguer alors qu’elle se

trouvait dans une période économique trouble.

Comme expliqué auparavant, le projet de

Porto Antico n’aurait certainement pas trouvé

de poursuite si Renzo Piano n’avait pas

souhaité organiser l’exposition colombienne

pour le 500ème anniversaire de la découverte

de l’Amérique par le génois Christophe

Colomb. Dès lors l’idée de l’exposition donne

naissance au projet urbain du Vieux Port

que l’on peut voir aujourd’hui réalisé. La ville

avait alors un véritable objectif : attirer des

touristes pour l’exposition et pouvoir exploiter

le vieux port une fois réalisé comme levier de

développement du tourisme et un nouveau

morceau de ville.

L’expérience est fructueuse. Et comme

expliqué précédemment, le projet enchaîne le

renouveau de tout l’ancien centre.

Par la suite, le G8 en 2001 accueillit les hommes

politiques des différents pays à se réunir dans

le Palazzo Ducale. La via San Lorenzo reliant

le port au palais est alors réaménagée. Il s’agit

avant tout d’une évidence. Comment accueillir

dans la ville les hommes politiques les plus

éminents en ayant une voie reliant l’ensemble

des monuments majeurs de la ville au port si

polluée et congestionnée ?

Enfi n en 2004, Gênes devient capitale

européenne de la culture. Les palais de la via

Garibaldi sont reconvertis pour accueillir de

nouveaux musées. Leur classement UNESCO

est proposé.

Ces grands événements ont servi de support

de communication pour la ville de Gênes qui

a profi té aussi des retombés économiques et

médiatiques.

Gênes est aussi concernée par des aides

fi nancières en matière de reconversion. Le Plan

de Rénovation Urbaine a permis de conserver

et de protéger des activités traditionnelles

(reluire, typographie, ébénisterie...) dans le

centre ancien.

Le programme européen URBAN a aussi

permis de bénéfi cier de fi nancement européen

pour la rénovation du centre-ville.

Enfi n la région et la ville ont participé à

la rénovation des édifi ces détenus par

les particuliers à hauteur d’environ 45%

respectivement pour la via San Lorenzo et

pour la Via Garibaldi. Le Ministère des Biens

Publics a aussi participé au fi nancement de

ces rénovations ou reconversions.

Page 70: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

70

6 / UNE VILLE AMBITIEUSE

Les projets pour Gênes se suivent et

se succèdent dans le centre comme dans le

port. Il est raisonnable de se dire que l’avenir

dans le centre sera beaucoup moins riche en

rebondissement à l’avenir que pendant ces dix

dernières années. Aujourd’hui le plus gros du

projet est amorcé pour le centre ancien et si la

ville continue sur ses pas, il y a peu de risques

qu’elle échoue dans sa redécouverte du centre

ancien. Aujourd’hui des projets contemporains

comme celui d’une école située près de la

cathédrale (fi g.47) font apparition même si la

crise a freiné les projets. Certaines rues restent

à réaménager, améliorer (stationnement,

sécurité, salubrité...) mais il est évident que la

ville ne peut pas changer des années d’oubli

du centre ancien en 10 ans. Il faut à la ville le

temps de s’intégrer elle même.

Sur le port les projets sont nombreux et tous aussi

ambitieux les uns que les autres. Ponte Parodi

s’apprête a accueillir une immense structure

architecturale et paysagère, belvédère sur la

mer réalisé par UN Studio (fi g.48) accueillant

loisirs, hôtellerie/restauration, commerces...

La Darsena, quant à elle, dans l’élan de la

faculté d’architecture souhaite accueillir un

nouveau pôle étudiant.

Gênes ne manque pas de projet. Le centre-

ville aura été l’intermédiaire entre le vieux port

et les parties annexes. Le projet se veut donc

total aujourd’hui, et trouve une cohérence

globale. En espérant que les grands noms

de l’architectures choisis pour les futures

réalisations (Piano, UN Studio...) ne joueront

pas le jeu lyonnais de Confl uence pour réaliser

une collection d’objets architecturaux.

Fig. 47 : Projet d’école près de la CathédraleJorg Friedrich / Roberto Melai

Fig. 48 : Ponte Parodi,UN Studio

Page 71: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

71

Aujourd’hui Gênes peut être fi ère du pari

qu’elle s’était lancée. Arriver à retrouver son

centre-cille, qu’il devienne un centre de la

ville, pour les touristes, les habitants, et qu’il

participe au rayonnement de toute la ville.

Alors que retenir de Gênes. Peut-être ce que

Bernardo Secchi, appelle la leçon de Gênes.

Oui il est possible de contenir l’expansion de la

ville, même dans un centre-ville ancien aussi

dense que celui de Gênes. Et oui il est possible

de faire de ce qui semblait un handicap hier,

un atout pour demain.

Gênes a réussi à se transformer totalement

en moins de 30 ans. Redécouvrir son centre

ancien, le valoriser, tout en gardant une identité

profonde et une activité que certains envient

aujourd’hui. Alors quelle en fut la recette ?

Tout d’abord Gênes n’a pas eu peur de

se tourner vers son port pour amorcer le

renouveau, autour des activités culturelles,

touristiques, ludiques et même quotidiennes.

Ensuite petit à petit les projets se sont

développés dans la ville ancienne et historiques

par intentions souvent isolées. Les différents

événements ont donné une cohérence au

centre de Gênes, pour le relier au nouveau

centre, le port.

Alors là où Venise fait l’erreur de se tourner

uniquement vers sa ville historique, elle

aurait certainement meilleur compte de faire

confi ance aux projets qui pourraient se réaliser

sur la partie de la ville située sur le continent.

Le projet de Pierre Cardin est certes d’une

architecture critiquable mais il faut lui accorder

son côté novateur qui pourrait certainement

sauver Venise de l’endormissement. La ville

tient peut être une des dernières chances de

sortir de ce cercle vicieux.

Gênes prouve que rien n’est peut-être

possible tout seul. La vieille ville ne se serait

certainement pas développée si le projet du

vieux port n’avait pas été mis en place. Revient-

on vers un idéal giovanonnien ? L’architecte

italien évoquait il y a près d’un siècle l’avenir

des villes italiennes et européennes. Il

proposait de créer des centres parallèles en

dialogue étroit avec le centre ancien. Certains

l’ont vivement critiqué. Mais il avait en quelque

sorte raison. Rien n’est vraiment possible en

solitaire. Les deux projets du port et du centre

sont complémentaires au niveau touristique,

économique, culturel, commercial, et pour la

vie quotidienne en général.

Gênes a aussi très bien compris les raisons

de l’échec vénitien. La vie doit rester dans le

centre ancien. Tout a été mis en œuvre à cet

effet.

Ce que Nicolas Navarro défi nissait comme

muséalisation trouve ici un écho modéré.

L’espace n’est pas fi gé, l’espace urbain joue

avec le patrimoine de la ville, les constructions

atypiques, les monuments, sans rajouter du

spectaculaire au spectacle du patrimoine.

Il est simple, facilement appropriable, sans

travail exagéré. La ville doit être vécue. Le

patrimoine est suffi samment imposant pour ne

pas rajouter de la complexité. La scénographie

est alors réduite au plus simple aménagement.

Gênes est donc un exemple de muséifi cation

équilibrée, où la ville arrive à composer entre

authenticité et simplicité, entre touristes et

habitants, entre tourismes et activités diverses,

entre protection, reconversion et innovations.

Si l’on semblait inquiet pour l’avenir de

ces villes-musées, l’exemple génois peut

réellement nous faire relativiser et nous

rassurer.

Oui, pour la ville-musée, un avenir est possible.

Page 72: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

72

Fig. 50 : Musée de l’Ara Pacis,Richard Meier

Fig. 49 : Le Colisée Carré,EUR

Page 73: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

73

0303C - ROME : CONSTRUIRE, RÉNOVER, RECONVERTIR DANS LA VILLE-MUSÉE

1 / FAIRE LA VILLE SUR LA VILLE,

UN PERPÉTUEL DÉFI

Alors que Gênes a produit un

programme urbain de qualité, les rénovations,

restructurations et reconversions se sont assez

bien passées. Cependant la cité génoise est

encore novice dans toutes ces questions de

travail sur l’existant même si elle a mis en

place une politique urbaine de grande qualité.

A une autre échelle Rome est elle aussi sortie

de son endormissement à partir de la fi n du

XXème siècle.

La ville n’a que très peu évolué depuis le début

du XXème siècle et jusqu’à la première guerre

mondiale ou alors au prix de concessions

diffi ciles. Mussolini fera raser une partie

des immeubles à proximité de la Basilique

Saint-Pierre-de-Rome pour créer la Via

della Conciliazione. Dans le même temps,

il lancera le projet de l’EUR (fi g.49) en 1937

pour accueillir l’exposition universelle de 1942.

Mais le projet ne fut pas abouti car la guerre

empêchera cette exposition. Si aujourd’hui

l’EUR est un quartier vraiment particulier

par son architecture, il faut reconnaître qu’il

est un point de développement des activités

tertiaires essentielles pour le fonctionnement

et le rayonnement de Rome. On retrouve

en quelque sorte les ambitions génoises et

giovanonniennes dans ce projet de « centre

parallèle » vivant pour vivifi er l’ancien.

Après la guerre, le boom économique mis

en place pour réinstaller l’Italie à sa place

européenne impose la construction de

nombreux logements (comme en France) qui

vont peu à peu miter le territoire.

Nous ne rentrerons pas dans le détail des

projets urbains lancés tel que le plan de

régulation urbaine, dotant au centre ville d’une

protection suffi samment solide pour appuyer

de nombreux projets.

Peu à peu les grands projets (moteurs de

projets) se succèdent à Rome. Les Jeux

olympiques de 1960 permettent entre autre à

Nervi de signer le Pallazzo dello Sport.

A la fi n du XXème siècle, le maire de Rome,

Franceso Rutelli, lance le projet du Jubilé de

l’an 2000, ainsi que la candidature de Rome

pour les Jeux olympiques de 2004 qui vont

vivifi er le centre historique, attirer de nouveaux

touristes et imposer des travaux considérables.

Dès lors la ville s’est lancée dans le renouveau

de tout son centre ancien. La ville éternelle

s’inscrit alors peu à peu dans la dimension

contemporaine du XXIème siècle. Riche

de constructions antiques, moyenâgeuses,

renaissances, baroques, fascistes,

néoclassiques... la ville ne pouvait pas

aujourd’hui tourner le dos à son histoire et à son

éclectisme architectural. La ville palimpseste

et musée se doit d’être éternellement ainsi,

musée et palimpseste.

Nous nous intéresserons donc ici aux projets

qui ont redessiné le visage de la ville. A la

manière dont ces projets contemporains (ex

: Ara Pacis de Meier (fi g.50)), s’inscrivent

Page 74: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

74

dans le paysage urbain de Rome. Comment

les populations résidentes ont accepté cette

architecture radicalement novatrice ? Quel a

été le combat pour pouvoir construire dans

Rome ?

Là où Guiseppe Sacconi édifi e le monument

à Victor-Emmanuel II sans se soucier des

vestiges archéologiques, des perspectives

paysagères, des édifi ces alentours, comment

à la fi n du XXème siècle et aujourd’hui au

XXIème siècle, peut-on construire en site si

contraint ?

Aujourd’hui quelle place peut-on donner

à l’architecture contemporaine en site

historique, protégé, muséifi é (?) comme

les centres anciens italiens ? Et la capitale

italienne semble l’exemple le plus à même de

répondre à cette problématique compte tenu

de son expérience aujourd’hui confi rmée en la

matière avec la réalisation de projets tels que

le MAXXI de Zaha Hadid (fi g.51), le MACRO

de Odile Decq et Benoit Cornette (fi g.52), le

Parco Della Musica de Renzo Piano ou encore

des projets en chantier comme le centre des

congrès de Massimiliano Fuksas (fi g.53).

Nous répondrons à plusieurs de ces questions

par thématiques et utilisant plusieurs de ces

projets contemporains réalisés ces dernières

années.

Fig. 51 : Le MAXXI,Musée d’Art du XXIème siècle,

Zaha Hadid

Fig. 52 : Le MACRO,Musée d’Art Contemporain de Rome

Odile Decq et Benoit Cornette

Fig. 53 : Le Nouveau Centre des Congrès,Massimiliano Fuksas

Page 75: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

75

2 / CONSTRUIRE DANS LA VILLE

ITALIENNE HISTORIQUE

Il ne s’agit pas ici de faire un exposé des

pratiques de réhabilitations et de reconversions

en Italie, mais de comprendre ses spécifi cités,

sa complexité ou sa simplicité, de pointer

les problèmes redondants. Construire en

Italie, construire en ville historique peut

impressionner de nombreux architectes.

DE LA PRÉCONISATION AU DIALOGUE

Construire dans la ville historique et en

particulier Rome n’est pas une mince affaire.

Dans une conférence à l’ENSAL, Odile

Decq introduit le projet du MACRO par cette

phrase pour présenter Rome : « Ils sont

extrêmement sympathique, la nourriture

est bonne, il fait toujours beau, la ville est

magnifi que, la lumière est belle... y travailler

c’est une autre affaire ! » L’architecte française

pose les bases du projet qu’elle livre en 2010 à

la ville de Rome.

Et il est vrai que les contraintes imposées

par la ville sont nombreuses : installée dans

l’ancienne brasserie Perroni, la Surintendance

en charge du projet (équivalent italien de notre

commission des monuments historiques) a

demandé à ce que l’ensemble de la façade de

l’ancienne usine soit conservées sur rue et que

le projet se déroule essentiellement à l’intérieur

des murs de l’ancienne usine. Peter Baalman,

chargé du projet chez ODBC, a refusé de faire

de ce projet un simili-facadisme. Pourquoi

créer du contemporain pour le masquer

par la suite ? Dès lors l’agence a décidé de

transgresser cette directive pour évider l’angle

de la façade sur rue pour y installer l’entrée

du nouveau musée et le café de ce dernier,

nouveau contact avec la ville pour faire de

ce complexe culturel un nouvel élément de la

ville. En même temps conserver les façades

permettait de créer un nouveau monde

contemporain derrières des murs.

Ensuite cette même commission a souhaité

que le projet proposé ne dépasse pas la façade

d’origine. Cependant deux composantes

imposaient une dérogation à cette directive :

les salles d’expositions réalisées s’installent

dans des volumes entre 11 et 12 mètres de

hauteurs afi n d’accueillir des fonctions variées ;

et la toiture accueille un restaurant, souhaitant

exploiter la toiture comme sur l’ensemble

des bâtiments romains. La commission a

alors accepté cette écart pour assurer une

cohérence au projet. Le dialogue entre les

architectes et la commission des monuments

historiques a donc permis de proposer un

projet viable et équilibré. Peter Baalman défi nit

à la fois la Surintendance comme l’équivalent

italien de nos ABF (Architectes des Bâtiments

de France) et comme une alternative, car si

la législation est complexe en Italie et que le

débat législatif fait toujours débat, elle permet

un dialogue pour aboutir à un projet juste.

Certains diront que l’agence ODBC ne s’est

confrontée qu’à de minimes problématiques

mais il est intéressant de comprendre que

c’est avant tout le dialogue possible avec la

Surintendance qui a permis de créer un projet

innovant. Certes les monuments historiques

italiens font preuve d’un inertie importante pour

accepter des solutions mais un étroit dialogue

entre réglementations, recommandations et

ambitions architecturales.

Page 76: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

76

Et il en est de même avec les commissions

techniques. En particulier les pompiers

très réticents aux structures métalliques

apparentes. A force de combats, de

persévérance et de contournements des

réglementations, l’agence française a obtenu

l’accord de la commission incendie. En Italie,

tout ce négocie, du moment où l’on est près

à des concessions. Ce qu’Odile Decq défi nit

comme l’escamotage : savoir trouver la faille

dans la réglementation, ce qui aujourd’hui est

devenu très complexe en France. (Elle en fera

largement usage à Florence avec un projet de

logement (Red Lace) (fi g.54) en site historique :

les contraintes du site imposaient des fenêtres

en hauteur, elle créera des séries verticales de

fenêtres horizontales ; les toitures en pentes

sont devenues des couvertures plissées, les

arcades laissent place à des porte-à-faux, les

balcons et loggias interdits prennent place

derrière une résille contemporaine qui devient

alors façade principale...).

L’Italie permet aujourd’hui encore cette fl exibilité

des réglementations, possible il y a peut être

encore 10 ans en France mais elle s’est vite

retrouvée bloquée par les réglementations

redéfi nissant les réglementations précédentes,

etc...

LES VESTIGES, UN PROBLÈME ?

Si en France les architectes ont la

hantise de se voir confronté aux vestiges

archéologiques, en Italie et surtout à Rome,

cela fait parti intégrante de la phase de

chantier.

« La ruine fait partie de la vie quotidienne »

explique Odile Decq dans sa conférence à

propos du visage de Rome. Son collaborateur

Fig. 54 : Projet Red Lace, immeuble de logements Odile Decq

Florence

Fig. 55 : Parco Della Musica, Renzo PianoEn bas, les vestiges de la villa romaine,Au centre, l’espace muséographique,

En haut, les salles de concert

Page 77: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

77

Peter Baalman explique que, comme

habituellement en Italie, ils sont tombés sur

des vestiges antiques sur le site du projet.

Cependant il ne s’agissait pas de vestiges

ayant une valeur historique remarquable. La

découverte à donc imposé une modifi cation

légère de la structure pour éviter de détériorer

la ruine mais le choix a été fait de reboucher

ces dernières. « Si on décide de préférer les

vestiges au musée, on peut démolir le musée

et retrouver les vestiges… » déclare-t-il. Le

choix de la réversibilité est possible dans

un soucis de respect de l’antique. Ici on voit

très bien que même si des ruines antiques

sont présentent sur le terrain, elles n’ont

pas handicapé le projet et l’adaptation de se

dernier pour revitaliser le quartier.

Dans une autre mesure, pour le projet du

Parco Della Musica (fi g.55), Renzo Piano a

aussi été confronté aux ruines antiques d’une

villa romaine. « À Rome, ils sont habitués.

Chaque fois que l’on fait un trou, on trouve

des choses. » commente Paulo Colonna,

un chef de projet de l’agence Renzo Piano

Building Workshop (RPBW) en charge du

chantier. Compte tenu du volume occupé par

la villa et ne sachant pas encore l’étendu de

la zone de vestiges, le chantier a été arrêté

pendant plus de 6 mois. L’ensemble du projet

a du être remanié. Les salles de concert

ont du être déplacées, et l’ensemble du

projet recomposé. Mais ici, la villa romaine,

ancien poste frontalier, a attiré l’intérêt de la

Surintendance qui a souhaité connaître le

maximum de choses sur cet édifi ce. Alors que

l’agence RPBW aurait pu se désintéresser de

cette découverte et uniquement attendre le

feu vert de la Surintendance pour poursuivre

le projet et le chantier, les chargés du projet

ont décidé d’intégrer ce vestige comme une

composante du projet. Ainsi entre deux salles

de concert se trouve cette ruine dont une partie

des objets trouvés sont intégrés à l’Auditorium

dans un musée de taille modeste. Ainsi ce

projet d’Auditorium qui aurait pu être destiné

aux élites romains renforce son visage de

salles de concert populaire avec son théâtre à

ciel ouvert et aujourd’hui ce musée.

(De même pour le projet de Porto Antico à

Gênes, Renzo Piano a été confronté aux traces

antiques du vieux port. Il devait ainsi faire

le choix de les masquer ou de les assumer.

Aujourd’hui l’espace du vieux port est jalonné

de vestiges antiques qui deviennent des

éléments de décor urbain à part entière.)

Ainsi la ruine, le vestige est très souvent

une composante à intégrer dans les projets

contemporain romain et même italiens. Ainsi

les architectes peuvent faire le choix de

simplement respecter sans exposer, ou alors

de faire de cet élément une nouvelle donnée à

prendre en compte dans la défi nition du projet.

DES PROJETS POLÉMIQUES

Construire en centre-ville historique en

Italie, et en particulier à Rome, c’est avant tout

proposer un projet qui sera scruté, décortiqué,

analysé, le plus fi nement possible pour voir

s’il est ou non un affront à l’architecture

typique du centre, s’il est trop atypique, trop

contemporain, trop sage, trop expressif...

Construire à Rome est une expérience

enrichissante, mais c’est aussi un défi pour

un architecte. Car faire accepter son projet à

tous peut s’avérer être un challenge parfois

insurmontable.

Page 78: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

78

Fig. 56 : Ancien musée de l’Ara Pacis, construit en 1938,

démolit en 2001

Fig. 58 : Nouveau musée de l’Ara Pacis Richard Meier

Fig. 57 : Non Fatelo, «Ne le Faites Pas»Arnold Roth Art,

Originellement publié dans le New Yorker, 2005.

Richard Meier en a fait les frais pour son

projet du nouveau musée de l’Ara Pacis à

Rome. En 1995 est lancé le projet pour un

nouveau musée pour accueillir l’Autel de la

Paix de Auguste et les expositions relatives.

Ce nouveau projet vient en remplacement

de l’ancienne structure du musée réalisée

pendant la période mussolinienne en 1938

(fi g.56). Après plusieurs phases de concours

Meier remporte le concours.

Cependant, même avant la phase fi nale du

concours, le projet de Richard Meier ne fait pas

l’unanimité. Il faut bien comprendre qu’aucune

réalisation contemporaine n’avait été réalisée

dans le centre de Rome depuis les années 30.

C’était donc un exercice assez complexe et

qui s’attirait nécessairement les foudres des

médias, politiques ou simples intéressés par

l’avenir de la ville romaine.

Les journaux se sont très vite mêlés à la

polémique (fi g.57) en demandant le retrait du

projet, en caricaturant le projet contemporain

et assumé de Meier. Même le monde

professionnel de l’architecture, du patrimoine

et de l’aménagement urbain est divisé par ce

projet. « Le projet est vulgaire » juge Gorgio

Muratore sur son site en 2006, « Meier

connaît la Rome antique aussi bien que je

connais le Tibet, où je ne suis jamais allé ! »,

commente Federico Zeri dans La Stampa en

1998, « prothèse stupide » selon Massimiliano

Fuksas en 2003 dans un entretien accordé au

site Exibart.com en 2003.

Face à la polémique et suite à son accession

au pouvoir, Silvio Berlunsconi, par son délégué

aux affaires culturelles, fait cesser le chantier

du musée, déjà entamé. Meier est contraint de

proposer un projet plus léger, aérien, évoquant

Page 79: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

79

l’ancienne structure des années 30.

Offi ciellement le projet est arrêté car il touche

les vestiges de l’ancien port de Ripetta, port du

XVIIIème siècle aujourd’hui disparu.

Après modifi cations, le projet reprend en 2003,

même si les protestations ne cessent. Aucun

compromis n’est trouvé, et le projet continu à

être édifi é et inauguré en 2005 (fi g.58).

Face à la grogne, le candidat de la droite

Alleanza Nazionale aux élections municipales

de la ville de Rome, prend l’engagement que

s’il est élu, le bâtiment de Meier sera démonté

pour être installé dans la périphérie.

L’association Italia Nostra demandait par

exemple l’annulation du projet et après des

pétitions a écrit au ministre des Biens Culturels

de stopper le chantier en 2003.

Même à l’heure du XXIème, certains critiquent

encore une possible évolution des centres

anciens. D’autres s’exaspèrent. « Assez

du tabou dans les centres historiques,

construisez ! » s’indigne Jean Nouvel dans

le entretien accordé au journal Corriere della

Sera (6 mai 2003).

Le projet de Meier a réveillé les passions et

l’éternel débat : Peut-on faire du contemporain

avec l’ancien ? Modernité et passé peuvent-ils

se conjuguer ? Heureusement tous n’étaient

pas ligué contre lui. Certains ont reconnu une

véritable qualité à l’édifi ce, qualifi ant le projet

de « symbole de l’union entre l’antique et le

moderne » pour Lilli Garrone, pour le Corriere

della Sera (24 Septembre 2005).

Le débat pour l’Ara Pacis fut rude, long,

parfois engagé et violent, et surtout toujours

d’actualité. Il est un exemple radical de ce que

peut donner le débat de l’intervention en zone

historique mais soulève toutes les questions

que l’on peu se poser sur le sujet.

Cependant tous les projets contemporains en

centre historique n’ont pas eu le complexe

destin du musée de l’Ara Pacis, nombreux

sont ceux qui font consensus pour ou contre

dans les centres anciens aujourd’hui. Certains

disent que le modernité est réservée à la

banlieue, aux périphéries.

Mais à quoi bon vouloir dissocier passé et

modernité lorsque tout s’offre à nous pour

inscrire un quartier dans le XXIème siècle ?

Page 80: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

80

Page 81: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

81

CONCLUSION

CONCLUSION SUR LE MEMOIRE

Le constat et l’analyse proposés

dans ce mémoire semblent plutôt apaiser les

peurs des anti-vénitiens, criant haut et fort

que la fi n de la ville-musée est proche, que

la muséifi cation est l’arme ultime avant que

les centres anciens perdent toute chance

de s’inscrire dans l’optique contemporain du

siècle actuel.

Il y a près d’un siècle, Gustavo Giovannoni

abordait déjà ces problèmes de la ville

ancienne confrontée aux caractéristiques

de l’urbanisme moderne. Dans son ouvrage

l’Urbanisme face aux villes anciennes, il

développe longuement les caractéristiques et

les problèmes qui accompagnent les centres

anciens, et décrit précisément les attentes en

matière de ville moderne. Les deux semblent

insolubles, d’une hétérogénéité absolue.

Venise semblait avoir uniquement compris

cela. Il est impossible d’apporter la modernité

à la ville ancienne, celle-ci devra se sortir de

l’endormissement par elle-même, par ses

ressources patrimoniales, par ses habitants

(si habitants il y a encore dans ces centres

anciens) par le tourisme essentiellement à

l’heure où la politique culturelle des pays

développés essentiellement devient une

donnée économique primordiale.

Cependant Giovannoni apporte un élément

de réponse à la problématique qui guide

tout ce mémoire. La ville ancienne semble

pouvoir trouver un avenir. Tout d’abord, elle

doit se poser naturellement la question de

son centre historique car il est le cœur de la

ville chronologiquement, psychologiquement,

humainement... et la ville ne peut pas

oublier son patrimoine. Au-delà de toutes les

caractéristiques à améliorer, à modifi er ou à

amplifi er, on peut être plutôt d’accord avec

Giovannoni : un avenir peut être proposé à

la ville. Mais seule, la ville ancienne ne peut

rien ou presque, et ce qui pour lui semblait une

évidence, nous l’avons rapidement oublié à la

fi n du XXème siècle. Le centre-ville n’existe

pas seul, il existe avec, par et pour les autres

quartiers de la ville. Le centre-ville ancien ne

peut pas être une ville à part entière, il est

nécessairement un quartier comme un autre

et il faut donc penser aussi aux autres entités

de la ville pour espérer retrouver une vitalité

oubliée. Ce que Giovannoni défi nit comme la

greffe des quartiers anciens dans son ouvrage

trouve plus son écho dans la rénovation

urbain au XXIème siècle. S’il y a un siècle, on

s’intéressait plus à comment étendre la ville,

Page 82: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

82

aujourd’hui la question est comment densifi er

la ville, comment construire dans la ville. Même

si certaines problématiques diffèrents, le texte

de Giovannoni trouve tout son écho et semble

toujours d’actualité près de 100 ans plus tard.

Gênes par exemple, a intégré cette question

et aujourd’hui la vieille ville a trouvé sa voie

pour exister au côté du vieux port reconverti.

Certains à Venise diraient que rien n’est

vraiment possible lorsque tout est protégé, si

dense, si atypique, mais ce mémoire prouve

que l’évolution de la ville ancienne dans

l’ère contemporaine n’est pas le résultat de

législation, de réglementation, de protection,

ni d’impossibilités spatiales, fi nancières... Tout

est une question humaine.

A Gênes qu’est ce qui aurait été possible si

Piano n’avait pas proposé de réaliser un

programme innovant et attracteur pour attirer

les touristes pour l’exposition colombienne de

1992 ? Si l’école d’architecture n’avait pas pris

le pari de s’installer dans le quartier le plus

rejeté de la vieille ville, aurait-on aujourd’hui

la possibilité de visiter la cité génoise aussi

agréablement que cela et aurait-il été pensable

d’y acheter un logement ? L’évolution est aussi

le résultat d’ambitions humaines assumées,

le résultat de la volonté de certains de croire

en une adaptation possible et une intégration

dans la ville moderne.

A Rome, les projets pris en exemple démontre

que l’Italie, par sa fl exibilité, son regard sur

le patrimoine... permet de créer non pas un

projet isolé, inutile ou dégradant, mais bien des

projets conscients et justes, car comme on peut

souvent l’entendre, c’est dans la complexité

(et ici dans une complexité patrimoniale,

architecturale, urbaine... atypique) que l’on

propose les solutions les plus ambitieuses, les

solutions les plus équilibrées...

Il est alors facile de répondre que oui un avenir

est possible pour la ville italienne, souvent

dépeinte comme une ville-musée. Il est plus

exact de dire que chacune des villes italiennes

qui, à la fi n du XXIème siècle, redoutait de

voir leur centre ancien sombrer dans l’oubli,

peuvent se donner les moyens possibles pour

assurer l’avenir de leur centre historique car le

pari s’avère une franche réussite.

Mais on peut au moins avancer ces exemples

pour prouver que le visage facile de parc

d’attraction, d’immobilisme assumé, et

protectionnisme inébranlable porté par Venise

n’est pas celui de la ville italienne. Celle-ci

serait alors plus à représenter par Gênes, ville

si complexe, ville patrimoine, ville ambitieuse,

mais aussi ville consciente de ses problèmes,

de ses handicaps et de sa richesse. Gênes

a su mettre tous les outils à disposition pour

se relever des problèmes économiques et

démographiques de la fi n du XXème siècle.

L’ambition de la municipalité, des architectes

et l’acceptation des projets par les habitants

a fait de la ville un exemple équilibré de

muséifi cation, de dynamique touristique, de

renouveau urbain associé au développement

de la vie des habitants, des travailleurs qui,

ne l’oublions pas, font que la ville trouve une

véritable raison d’exister.

Aujourd’hui nous sommes aussi dans une

société qui a intégré le fait que la ville puisse

évoluer, changer de visage, accepter qu’elle

perde certains détails de son portait pour

plus tard le parfaire. Aujourd’hui un projet

contemporain comme l’Ara Pacis fait encore

polémique dans le centre de Rome, mais

partout les ambitions architecturales en

Page 83: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

83

centre historique démontrent qu’il est juste et

conseillé d’espérer une évolution équilibrée

de ces derniers. Les projets du centre-ville de

Gênes sont aujourd’hui plutôt acceptés par la

population et montrent qu’une expérience telle

que celle de proposer une nouvelle voie pour

les centre anciens peut être un succès. Chacun

participe aujourd’hui à assurer à ces centres

un avenir équilibré loin du protectionnisme

vénitien.

Il faut cependant faire bien attention de ne

pas construire pour l’acte unique de faire

de l’architecture en centre historique. Ces

interventions ne sont pas anodines et beaucoup

moins qu’une construction en périphérie de

ville. Elles portent un message, une ambition,

défi nissent une voie à suivre, sont vecteurs

de renouveau... L’avenir de la ville se trouve

aussi bien dans le détail de la construction

contemporaine et du mobilier urbain que dans

la programmation à l’échelle urbain du plan de

renouvellement.

La ville ancienne, et en particulier la ville

italienne est aujourd’hui au tournant de son

avenir et se devra de faire le choix équilibré de

sa transformation pour espérer répondre aux

problématiques du siècle actuel.

Il est possible de concilier avenir et modernité

dans la ville italienne, il faut simplement veiller

à ce que cela fonctionne comme Gênes a veillé

à cela. Demain la ville italienne sera peut être

fi ère d’être devenue modèle de renouveau

reconnu. « la leçon de Gênes « trouvera peut-

être son écho dans de nombreuses villes

d’Europe pour les années à venir.

L’ambition de ce mémoire était de montrer que

la ville-musée italienne est bien plus complexe

que le décrié modèle vénitien. Ici se trouve

donc l’ensemble des pièces pour comprendre

quel avenir la ville italienne ancienne peut

embrasser, quelles sont les raisons du succès

du renouveau de Gênes en particulier, pour

permettre au lecteur, qui peut être se serait

inquiété au fi l du mémoire, d’esquisser les

traits de la ville italienne de demain.

CONCLUSION OUVERTE

Il est essentiel de se poser la question

des limites de ce mémoire et des interrogations

qu’il soulève.

Ce mémoire concerne-t-il uniquement les villes

italiennes ? Nous nous sommes ici restreints

au cas d’étude de l’Italie par son atypisme et

sa complexité.

Peut-on généraliser à l’Europe ?

Le mémoire trouve ses limites dans la défi nition

même du domaine d’étude et permet d’avoir

un regard critique à l’avenir sur la ville musée,

sans forcement comprendre l’ensemble du

processus dans les autres villes européennes.

Mené de manière itérative, cette recherche

permet de comprendre par des exemples la

nature des problèmes possibles. A chacun

aujourd’hui d’exercer ce regard sur la ville-

musée sans nécessairement connaitre tout

des complexités patrimoniales et des travers

de la législation du pays.

Aujourd’hui toutes les villes présentent un

visage inédit, propre à son histoire, sa situation

politique, géographique, son économie... Mais

toutes les villes ne sont pas des villes musées.

Qu’adviendra-t-il des villes contemporaines,

où l’architecture s’érige aujourd’hui

sans contraintes patrimoniales, sans

Page 84: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

84

confrontation avec le passé ? Qu’adviendra-

t-il des constructions contemporaines et de

l’urbanisme moderne ? Pourra-t-on dans

quelques années, dans quelques siècles

poser un regard critique et patrimonial sur nos

constructions contemporaines ?

Il semble aujourd’hui assez diffi cile d’imaginer

l’avenir de nos villes contemporaines, de ces

nouveaux centres urbains. Mais il semblait

aussi diffi cile de se poser cette question

au XVème siècle lorque l’on édifi ait une

construction lambda. Il est impossible de

prédire l’évolution à long terme de la ville au

sens patrimonial. Ce caractère met parfois

plusieurs siècle à émerger.

Si la ville musée au XXIème siècle semble en

mesure de trouver son chemin pour l’avenir, il

est beaucoup plus diffi cile d’esquiser le visage

de cette ville-musée du XXVème siècle par

exemple.

Nombreuses sont les questions que peuvent

soulever une telle étude. La ville, son avenir,

son visage sont toujours sources de doutes,

de questions et aussi de fantasmes.

Si chacun arrive aujourd’hui à se poser la

question de la ville ancienne dans un futur

proche, alors ce mémoire aura trouvé sa

vocation : guider chacun de nous vers une

compréhension de l’urbanisme moderne

confronter à la ville ancienne.

Page 85: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

85

REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier l’ensemble des personnes

qui ont contribué à la rédaction de ce mémoire,

en particulier :

> Antonella MASTRORILLI, professeur

référant et directrice de mémoire, pour avoir

suivi l’évolution de ce mémoire depuis le

début des recherches jusqu’à sa fi nalisation

et m’avoir guidé sur les pas de l’Italie, de son

patrimoine et de ses villes

> L’ensemble des professeurs du Domaine

d’Etudes de Master Histoire et Patrimoines (en

particulier Antonella MASTRORILLI, William

HAYET et Benjamin CHAVARDES) pour

m’avoir permis de découvrir Gênes lors d’un

voyage d’étude, peut-être la raison même de

tout ce mémoire.

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86

ANNEXES

Mickael CUILLERAT Étudiant à l’ENSAL (École Nationale Supérieure d'Architecture de Lyon)

Mémoire de Master LA VILLE-MUSÉE A-T-ELLE UN AVENIR AU XXIÈME SIÈCLE ? REGARD SUR LA VILLE ITALIENNE, AVANT GARDE OU ÉCHEC DE LA CONCILIATION ENTRE PASSÉ ET MODERNITÉ

Ville-musée : [ nf ] Ville qui possède de très nombreux monuments, constructions anciennes et musées et devient un centre touristique important.

Sondage auprès des touristes de villes-musées italiennes (ex : Venise, Rome, Florence, Gênes, Naples...) Veuillez entourer les réponses qui semblent les plus représentatives des villes-musées pour vous. Si vous n'avez pas d'avis, n'hésitez pas à rayer les réponses, ou même à rajouter des commentaires.

Pour vous...

1 / La ville-musée est > Un espace mis en valeur (aménagé, rehabilité...) > Le résultat de contraintes réglementaires (de conservation, de protection...)

2 / La ville-musée est > Un espace doté d'une cohérence architecturale et urbaine (esthétisme...) > Un espace fi gé (immobilisme, décor...)

3 / La ville-musée est > Un espace en manque d’authenticité (faussement vieux, pastiche...) > Un espace doté de constructions remarquables (monuments, pittoresque...)

4 / La ville-musée est > Un espace en manque de vitalité (disparition de commerces, d’artisans, d’habitants...) > Un espace uniquement tourné vers le tourisme (ne vit que du tourisme) > Un espace mis en valeur par le tourisme (le tourisme amène d’autres activités)

Merci pour votre aide à ce mémoire, car votre avis est la source de ce travail.

Commentaires supplémentaires :

QUESTIONNAIRE TOURISTES

Page 87: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

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RÉSULTATS OBTENUS :

REMARQUES OBSERVÉES PAR LES PERSONNES AYANT RÉPONDU :

« Une ville musée incite a être visitée par la splendeur qu’elle inspire »

« Choquée par l’interdiction de manger et boire dans le centre historique des villes italiennes. La ville impose aux touristes les mêmes règles que dans un musée ! »

« Le tourisme peut tuer les commerces de proximité si les habitants partent »

« Je ne sais pas si c’est à cause du tourisme que les habitants quittent les centres historiques. Peut-être que les habitants n’arrivent pas à s’approprier des tels espaces »

« Ces villes sont parfois très différentes : on peut trouver des rues avec des commerces très typiques, et d’autres beaucoup plus touristiques »

« Comme dans tous les centres anciens on trouve toujours des commerces et surtout des restos qui se disent typiques, mais en fait ce sont des attrapes-touristes, le touriste est une veritable source de revenu à exploiter »

2 / REGLEMENTAIRE & AMÉNAGEMENT

1 / FONCTIONNEL

3 / HISTORIQUE

4 / ESTHÉTIQUE

Page 88: L'avenir des villes-musées, l'exemple italien - Mickael Cuillerat

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BIBLIOGRAPHIE

LIVRES :

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SITES INTERNET :

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CREDITS PHOTOGRAPHIQUESCOUVERTURE : Capitole, Rome - Photographie personnelle Venise - meridianes.fi les.wordpress.com/2011/06/venise.jpg?w=610 Gênes - progettazioneurbanistica.fi les.wordpress.com/2011/05/immagine111.jpg Parco Della Musica, Rome - 4.bp.blogspot.com/_Kg01lrtaqRI/S9hOrUeg5VI/AAAAAAAAABA/JxcOGmcfKHU/s1600/bachero zzi_1.jpg Ara Pacis, Rome - Photographie personnelle

PAGE 4 Porto Antico, Gênes - Photographie personnelle

PAGE 16 Le Capitole, Rome - Photographie personnelle Santa Maria Del Fiore, Florence - www.caas.by/sites/caas.by/fi les/Cathedral.jpg

PAGE 18 Le Laocoon, Musée du Vatican - images-mediawiki-sites.thefullwikiorg/05/4/0/6/00573852057432 496.jpg L’Ecole d’Athènes, Rafael, Musée du Vatican - www.potomitan.info/images/socrate.jpg La Villa Adriana, Tripoli - upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/a/a9/Th%C3%A9%C3%A2tre_maritime1.JPG

PAGE 20 Basilique Saint Pierre de Rome : Différentes constructions sur le site : le cirque de Néron, l’ancienne basilique et la nouvelle - lh6.googleusercontent.com/-AG8Rq-yORIU/UOhe3xxGBpI/AAAAAAAACN4/zkXgzry0G5k/s800/Plan_of_Circus_Neronis_and_St._Peters.gif L’Intérieur du Colisée, Abraham-Louis-Rodolphe Ducros, vers 1790 - www.old.latinistes.ch/Textes-recreations/Colisee/colisee-ducros

PAGE 26 Maquette du Plan Voisin pour Paris, Le Corbusier, 1925 - markitectsworld.fi les.wordpress.com/2012/11/plan-voisin-corb-model.jpg Piazza del Campo, Sienne - wallpapersus.com/wallpapers/2012/01/piazza-del-campo-siena-tuscany-italy-2048x2560.jpg

PAGE 28 Ponte Vecchio sur l’Arno, Florence - upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/e/e3/Arno_River_and_Ponte_Vecchio %2C_Florence.jpg

PAGE 30 Teatro Di Marcello, Rome - zefmldotcom.fi les.wordpress.com/2012/08/dsc00237-1600x1200.jpg Via Della Conciliazione avant travaux, Rome - bi.gazeta.pl/im/4/8070/z8070404Q,Projektantem-zalozen ia-byl-wspomniany-wczesniej-Marcello.jpg Palimpseste - http://3.bp.blogspot.com/-J449Wg9ECMQ/TgScyKfQb8I/AAAAAAAAAFo/Ll3SzfjxZoU/s1600/Palimpseste.jpg

PAGE 34 Arsenal, la Manddalena - www.stefanoboeriarchitetti.net/wp-content/uploads/2010/03/104-maddalena.jpg Palazzo Rosso, Gênes - media-cdn.tripadvisor.com/media/photo-s/01/a5/4e/ca/palazzo-rosso-with-excell ent.jpg Village olypique, Turin - www.a-i-a.fr/fr/archi/projet/idProjet/108?symfony=ca76102741cf25adeef8e5d9f347877a

PAGE 42 Le Campanile de la place Saint-Marc, Venise - 3.bp.blogspot.com/-xZqfAbyn1jQ/UKkhHkW1o9I/AAAAAAAAAJE/lpHE ACOQaEU/s1600/P1060162.jpg

PAGE 44 La lagune, Venise - 4.bp.blogspot.com/_oZnMPZulGZM/TNAYWZIwakI/AAAAAAAAAII/kajDCilbaCw/s16 00/satellite.jpg Le Pont Rialto depuis la Riva del Vin, Michele Marieschi - img532.imageshack.us/img532/96/marieschimicheletherial.jpg

PAGE 45 Ecole d’architecture de Venise - archiguide.free.fr/PH/ITA/Ven/VeniseIAUVSca.JPG www.lecourrierdelarchitecte.com/upload/article/article_422/02(@JPhH)_B.jpg

PAGE 46 Musée Fondation Pinault, Douane - www.veraclasse.it-old.s3.amazonaws.com/www.veraclasse.it/5224 1_big.jpg www.lemoniteur.fr/media/IMAGE/2011/02/16/625x418xIMAGE_2011_02_16_13572109-625x600.jpg.pagespeed.ic.a_zs6CfME2.jpg Ponte della Costituzione - www.archimagazine.com/apontecalatra3_max.jpg farm6.staticfl ickr.com/5203/5227281652_b97487ae02_z.jpg

PAGE 47 Memorial Masieri - www.artribune.com/wp-content/uploads/2011/12/1-Dioniso-Gonzalez-Memorial-Masieri.-F.L.-Wright.-1953..jpg

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Hopital de Venise - glocal.mx/wp-content/uploads/2012/07/Dioniso-Gonzalez-Venice-Hospital.-Le-Corbusier.-1965-2011-c-print-diasec-mounted-60-x-300-cm-ed.-of-7.jpg www.fondationlecorbusier.fr/CorbuCache/900x720_2049_1328.jpg

PAGE 48 Radix, Aires Mateus - ad009cdnb.archdaily.net/wp-content/uploads/2012/08/1346101212-bnl-aima-12-528 x352.jpg Mosquée fl ottante, Inter National Design - images.derstandard.at/2012/01/13/1326466626186.jpg

PAGE 49 Venice 2.0, Julien de Smedt - skynet.jdsa.eu/wp-content/uploads/Venice.jpg Palais Lumière - www.jetsetmagazine.net/images/galerie/gr/2012/09/69074.jpg

PAGE 50 Touristes sur des circulations surélevées pendant les Alta Acqua à Venise - cdn-lejdd.ladmedia.fr/var/lejdd/storage/images/media/images/international/europe/venise-innondations/1097623-1-fre-FR/Venise-innondations_pics_809.jpg Projet Mose - www.salve.it/wiki/images/x%20schiera.jpg Les pigeons de la Place Saint-Marc - www.mackoo.com/venise/images/IMGP5681.jpg

PAGE 58 Porto Antico, Gênes - genova.erasuperba.it/wp-content/uploads/2011/03/genova-porto-300x224.jpg Plan de Gênes - maps.google.fr

PAGE 60 Nouveau port de Gênes - photographie personelle Porto Antico, Gênes - photographie personelle Place de la Cathédrale - photographie personelle

PAGE 62 Centre des congrès, Gênes - farm5.staticfl ickr.com/4076/4789747454_f8d762dbfa_o.jpg Acquarium, Gênes - photographie personelle Plan de Porto Antico - maps.google.fr

PAGE 64 Faculté d’Architecture, Gênes - www.fl ickr.com/photos/13749049@N04/4695616416/ Teatro Carlo Felice, Gênes - www.sdo-vl.ru/editor/uploads/images/journal/02_13/57_8.jpg

PAGE 66 Palazzo Rosso, Gênes - tonkosti.ru/images/5/5b/Palazzo_Rosso,_%D0%93%D0%B5%D0%BD%D1%83%D1%8F.jpg Via San Lorenzo, Gênes - upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/1/1f/Via_San_Lorenzo_Genova.jpg/1145px-Via_San_Lorenzo_Genova.jpg Plan du centre ancien de Gênes - maps.google.fr

PAGE 69 Palazzo Rosso, Gênes - upload.wikimedia.org/wikipedia/fr/b/b4/Logo_Expo_’92_Genova.png G8 de Gênes, 2001 - www.g8.utoronto.ca/g8online/summit-logo-2001.gif Genova 2004, capitale européenne de la culture - www.studiobuffoni.it/userfi les/image/giustiniani/images.jpg

PAGE 70 Ecole, Jorg Friedrich / Roberto Melai , Gênes - www.contempoproject.eu/works/barcelona/Roberto%20Melai.pdf Ponte Parodi, UN studio, Gênes - www.unstudio.com/uploads/project/89d4d266-1267-41bf-afad-d840b616f4f3

PAGE 72 Colisée Carré, EUR, Rome - sphotos-a.xx.fbcdn.net/hphotos-ash3/545537_4636236072748_1888141393_n.jpg Ara Pacis, Richard Meier, Rome - mimoa.eu/images/1378_l.jpg

PAGE 74 MAXXI, Zaha Hadid, Rome - www.omniaconcorsi.it/public/progetti/prog254/MR01.jpg MACRO, Odile Decq, Rome - www.archinfo.it/glry/Nuova_Ala_MACRO/01.jpg Centre des congrès, Massimiliano Fuksas, Rome - www.bta.it/img/a0/03/bta00324.jpg

PAGE 76 Red Lace, Odile Decq, Florence - www.rdh.ru/images/stories/editors/elladochka/Odil-Dek/Red_Lace_2.jpg Parco Della Musica, Renzo Piano, Rome - farm5.staticfl ickr.com/4078/4768930569_9b6ca7cb90_o.jpg

PAGE 78 Ancien musée de l’Ara Pacis - rometour.org/data/ara_pacis_augustae.jpg « Non Fatelo » , Dessin du journal New Yorker - www.archipel.uqam.ca/1775/1/M10710.pdf Nouveau musée de l’Ara Pacis, Richard Meier, Rome - photographie personelle

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LA « VILLE-MUSÉE » A-T-ELLE UN AVENIR AU XXIÈME SIÈCLE ?REGARD SUR LA VILLE ITALIENNE, AVANT-GARDE OU ÉCHEC D’UNE CONCILIATION ENTRE PASSÉ ET MODERNITÉ ?

La ville italienne semble fi gée dans un idéal passéiste, muséifi ée pour sembler éternelle. Mais

l’éternité n’est-elle pas un gage d’échec si l’on souhaite intégrer la ville dans les composantes de

l’urbanité du XXIème siècle ?

Venise semble être l’exemple parfait de cette mort progressive de la ville idéalement protegée. La

protection du patrimoine, si complexe en Italie, n’est pourtant pas un gage de cristallisation de la

ville ancienne. Cependant comment concilier modernité et patrimoine dans ces villes italiennes si

atypiques ?

D’autres villes italiennes comme Rome ou encore Gênes ont su adapter leur centre-ville historique

aux ambitions de la ville contemporaine, tout en assurant une pérénnité au patrimoine ancien.

Ce mémoire se veut être un portait de la ville ancienne au XXIème, à l’heure où le futur de celle-ci

reste incertain mais pour laquelle il va falloir trouver des solutions viables pour reconstruire la ville

sur elle-même.

Mots-clés : [VILLE-MUSÉE] [PATRIMOINE] [AVENIR] [ITALIE] [URBANISME]

DO THE « CITY-MUSEUM » HAVE A FUTURE IN THE XXIST CENTURY ?A LOOK ON ITALIAN CITY, AVANT GARDE OR FAILURE OF A MEDIATIONBETWEEN PAST ET MODERNITY ?

The italian city looks like frozen in a ideal of the past, museumized in order to be eternal. But the

eternity isn’t it the garanty of a failure if we want to introduce the old city in the components of the

urbanity of the XXIst century ?

Venice might be the right example of this progressiv death that include the overprotected city.

The protection of the heritage, really intricate in Italia, isn’t a guarantee of crystallization of the old

downtown. But how is it possible to marry modernity and heritage in this so typical italian cities ?

Others cities like Rome or Genoa knew how to get used their historic downtown to the ambition of

the comtemporary town, taking care of their heritage and their durability.

This essay is a portrait of the old citiy in the XXIst century, when the future of this one is uncertain

but for which we have to fi nd sustainable solutions to building the city over her.

Key words : [CITY-MUSEUM] [HERITAGE] [FUTUR] [ITALY] [TOWN PLANNING]