«L'avenir de l'argent
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ISBN 92-64-29672-703 2002 01 2 P
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Lavenir de largent
Lavenir de largentLargent a vocation devenir numrique. Au fil du temps, les objets, les pices et les billets qui ont constitu les diffrentes formes matrielles de la monnaie ontpeu peu cd la place des moyens de paiement plus abstraits comme leslettres de change, les chques et les cartes de crdit. Dans les annes venir,cette marche vers la monnaie virtuelle se poursuivra inluctablement. A mesureque progresseront les technologies de linformation et des communications et la biomtrie, mesure que les actifs incorporels deviendront la principalesource de valeur ajoute dans une conomie du savoir en pleine expansion, et mesure que le public dans son ensemble se rendra compte des avantagesofferts par les transactions numriques, les formes de paiement virtuellessimposeront. Combien de temps faudra-t-il pour que ce phnomne segnralise, et largent liquide disparatra-t-il dfinitivement ? Quel en sera limpactsur notre vie quotidienne ? Faut-il craindre une aggravation des clivages quimarquent dj nos socits ? La monnaie virtuelle risque-t-elle de compromettrele contrle de la masse montaire, et par consquent de faire resurgir le spectrede linflation ? Que vont devenir les banques centrales ? Cet ouvrage apporte des rponses toutes ces questions et bien dautres encore, tout aussiessentielles, clairant ainsi de faon opportune les raisons et les modalits du passage de largent lre du numrique.
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Lavenir de largent
ORGANISATION DE COOPRATION ET DE DVELOPPEMENT CONOMIQUES
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ORGANISATION DE COOPRATION ET DE DVELOPPEMENT CONOMIQUES
En vertu de larticle 1er de la Convention signe le 14 dcembre 1960, Paris,et entre en vigueur le 30 septembre 1961, lOrganisation de Coopration et deDveloppement conomiques (OCDE) a pour objectif de promouvoir des politiquesvisant :
raliser la plus forte expansion de lconomie et de lemploi et uneprogression du niveau de vie dans les pays Membres, tout en maintenantla stabilit financire, et contribuer ainsi au dveloppement de lconomiemondiale ;
contribuer une saine expansion conomique dans les pays Membres,ainsi que les pays non membres, en voie de dveloppement conomique ;
contribuer lexpansion du commerce mondial sur une base multilatraleet non discriminatoire conformment aux obligations internationales.
Les pays Membres originaires de lOCDE sont : lAllemagne, lAutriche, laBelgique, le Canada, le Danemark, lEspagne, les tats-Unis, la France, la Grce,lIrlande, lIslande, lItalie, le Luxembourg, la Norvge, les Pays-Bas, le Portugal,le Royaume-Uni, la Sude, la Suisse et la Turquie. Les pays suivants sontultrieurement devenus Membres par adhsion aux dates indiques ci-aprs : leJapon (28 avril 1964), la Finlande (28 janvier 1969), lAustralie (7 juin 1971), laNouvelle-Zlande (29 mai 1973), le Mexique (18 mai 1994), la Rpublique tchque(21 dcembre 1995), la Hongrie (7 mai 1996), la Pologne (22 novembre 1996), laCore (12 dcembre 1996) et la Rpublique slovaque (14 dcembre 2000). LaCommission des Communauts europennes participe aux travaux de lOCDE(article 13 de la Convention de lOCDE).
Also available in English under the title:
The Future of Money
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Avant-propos
Au cours des prochaines dcennies, les progrs technologiques conjugus des volutions conomiques et sociales significatives pourraient bien crer lesconditions propres lmergence de nouvelles formes virtuelles dargent et decrdit. Laspect positif de cette volution, cest que largent, sous ses formesnumriques, pourrait contribuer crer des conomies et des socits plus effi-cientes et plus mondialises. Laspect ngatif tient au fait que ces nouvelles for-mes dargent pourraient faciliter ladoption de comportements anticoncurrentiels,exacerber lexclusion et lingalit, rendre lconomie plus instable, faciliter les agis-sements criminels, voire mme saper lefficacit des politiques macroconomiques.
Afin dexaminer ces questions et de faire progresser le dialogue parmi leshauts fonctionnaires gouvernementaux, les personnalits du monde de lentre-prise et les universitaires, une confrence du Forum de lOCDE sur lavenir sesttenue Luxembourg en juillet 2001. La confrence avait deux objectifs majeurs :dabord explorer les interrelations entre les nouvelles formes dargent et le chan-gement technologique, conomique et social ; ensuite considrer les implicationspour les mesures prendre dans les secteurs public et priv.
La confrence tait organise en trois sessions. La premire session a donnle ton, dabord en retraant les volutions historiques puis, regardant vers lavenir,en examinant les technologies susceptibles dinfluencer les formes que pourraitprendre largent dans le futur. Au cours de la deuxime session, les participantsont tudi comment, au cours des dcennies venir, les interactions entre lesnouvelles formes dargent et les changements conomiques et sociaux pourraientdonner naissance un large ventail de potentialits nouvelles, mais aussi de ris-ques nouveaux. Enfin, la troisime session a t consacre ltude des moyensgrce auxquels les dcideurs, dans le secteur public comme dans le secteur priv,pourraient dvelopper des synergies entre les nouvelles formes dargent et ledynamisme technologique, conomique et social.
Le 11 juillet lHmicycle europen du Centre de confrences du Kirchberg,Mme Lydie Polfer, Vice-Premier Ministre et Ministre des Affaires trangres et duCommerce extrieur du Luxembourg a ouvert la confrence. M. Donald J. Johnston,Secrtaire gnral de lOCDE et M. Luc Frieden, le Ministre du Trsor et du Budget
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du Luxembourg ont pour leur part prsent les thmes de la confrence. Lestrois discours prononcs cette occasion sont reproduits dans ce volume.
Plusieurs centaines de personnes de tous horizons fonctionnaires gouver-nementaux, banquiers, autres experts financiers, conomistes, consultants, cher-cheurs, professeurs duniversit, chefs dentreprise, journalistes, et biendautres du monde entier ont assist cette crmonie douverture.
La confrence a bnfici tout particulirement du parrainage du Gouverne-ment luxembourgeois, de lAssociation des banques et banquiers, Luxembourg(ABBL) et de la Fdration des professionnels du secteur financier, Luxembourg(PROFIL). Un soutien financier supplmentaire a t fourni par de nombreux par-tenaires du Forum de lOCDE sur lavenir dAsie, dEurope et dAmrique du Nord.
Cet ouvrage runit lensemble des contributions prsentes lors de la conf-rence ainsi quune contribution prpare par le secrtariat. Comme pour toutes lespublications prcdentes du Forum de lOCDE sur lavenir, cette introductionsefforce non seulement de cerner les points essentiels qui ont t abords maisgalement de reflter la richesse et la vivacit du dbat qui a eu lieu ; elle chercheaussi faire avancer les ides sur le sujet en question, inspire par les discussionsfructueuses de la runion. Ce livre est publi sous la responsabilit du Secrtairegnral de lOCDE.
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Table des matires
Rsum ................................................................................................................................... 7
Chapitre 1. Lavenir de largentpar Riel Miller, Wolfgang Michalski et Barrie Stevens .................................................. 11
Chapitre 2. Les trajectoires de la monnaiepar Michel Aglietta .................................................................................................... 35
Chapitre 3. Les futures techniques de paiementpar Zachary Tumin ................................................................................................... 81
Chapitre 4. conomie incorporelle et monnaie lectroniquepar Charles Goldfinger ............................................................................................... 97
Chapitre 5. De nouveaux espaces montaires ?par Geoffrey Ingham .................................................................................................. 139
Chapitre 6. Une proposition de concept le systme de monnaie lectronique lgale Singapour (SELT)par Low Siang Kok .................................................................................................... 165
Discours de : Madame Lydie Polfer ............................................................................................ 179M. Donald J. Johnston ............................................................................................ 183M. Luc Frieden ....................................................................................................... 189
Annexe : Liste des participants............................................................................................ 197
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Rsum
En bref, et pour employer un vocabulaire contemporain, le destin de largentest de devenir numrique. Cest cette conclusion gnrale quaboutit lexamende la longue histoire de la monnaie, mais aussi de ses rapports attendus avec lesvolutions socio-conomiques venir. Historiquement, au fil des sicles, largenta progressivement pris une forme plus abstraite, jusqu ntre quune reprsen-tation symbolique dissocie de toute figure matrielle dtermine. Mais consi-drer lavenir, il nest malheureusement pas si facile de prdire quel rythmedisparatront les dernires traces physiques de la monnaie et mme, aux yeux decertains, si elles sont effectivement appeles disparatre. Les avis divergentgalement sur limportance conomique et sociale de cette dernire tape, ainsique sur ses ventuelles consquences. Dun ct, Singapour par exemple, leConseil des Commissaires la Monnaie sest dores et dj engag dans une op-ration de grande envergure pour remplacer dici 2008 largent mis matrielle-ment, par un systme numrique quivalent et beaucoup plus efficace. De lautre,de nombreuses banques centrales et gouvernements continuent de tenir despositions plus conservatrices, ce qui explique en partie les succs trs relatifs desefforts rcemment mis en uvre en faveur dune large diffusion de la monnaienumrique.
Il est intressant de poser la question de la signification la fois conomiqueet sociale dune numrisation beaucoup plus pousse de la monnaie, ainsi quedes moyens dy parvenir. Sous langle conomique, on peut ainsi penser que lescots, publics et privs, demeurent levs en raison de la lenteur avec laquellesont introduits, dans lensemble de lconomie, les nouveaux systmes de paie-ment capables de gnraliser lusage de la monnaie lectronique. Il sagit nonseulement ici des cots directs traditionnels, consquences des importantesdpenses requises par le traitement, la compensation et la scurisation des esp-ces, mais galement de cots moins mesurables, lis aux difficults de passer une nouvelle conomie virtuelle . Du point de vue stratgique que reprsentele cot dopportunit , la mise en uvre de systmes de paiements lectroni-ques instantans applicables toute lconomie est considre comme un l-ment indispensable, mais insuffisamment dvelopp, de cette infrastructurencessaire lessor de cette future conomie mondiale du savoir, o le commerce
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lectronique, sous toutes ses formes, devrait apparatre comme lun des facteurscls de la performance conomique.
Dun point de vue social, on sinquite de savoir comment les cots de cessystmes de paiement seront rpartis et comment chacun pourra y avoir accs.Aujourdhui, les cots du numraire (et des instruments qui sy apparentent,comme les chques et les cartes de crdit) sont largement inconnus des consom-mateurs. Ainsi, on nvoque gure le caractre participatif de la subvention croi-se, (impose par les socits de cartes bancaires qui interdisent auxcommerants les remises contre paiement en espces), de la part de ceux quipaient comptant (en particulier ceux qui ne sont pas clients dune banque et quinont pas dautres solutions) vers ceux qui rglent par carte. De mme, de nom-breux systmes de compensation et de rglement sont loccasion dimportantescommissions mais aussi davances trs lucratives qui ont de graves rpercussionssociales, par exemple sur les versements queffectuent les travailleurs trangersdans leur pays dorigine, sur les services financiers quon peut fournir aux victimesde lexclusion ou sur laide la cration de micro-entreprises. Lventualit devoir se dvelopper lavenir une vraie fracture sociale, lorsque laccs la mon-naie numrique deviendra la principale faon de bnficier de cots de transac-tion moins levs et lorsque se multiplieront les cyber-marchs, apparataujourdhui tout aussi proccupante.
Toutes ces inquitudes sociales et conomiques constituent un bon argu-ment en faveur dune mise en uvre rapide de politiques capables dacclrer ladiffusion de la monnaie numrique, au point de rendre marginale lutilisation delargent liquide. Mais ce nest pas la conclusion laquelle aboutissent la plupartdes autres dbats sur le futur de largent qui, de faon trs comprhensible, ontgnralement insist sur les nouvelles et enthousiasmantes technologies qui per-mettront de remplacer largent sous sa forme physique par de largent numrique,et qui se sont intresses aux consquences de ces technologies pour les ban-ques centrales. Ces discussions ont propos des conclusions rassurantes concer-nant les effets des nouvelles technologies sur la conduite des politiquesmacroconomiques. Nanmoins, une telle approche, principalement fonde surdes considrations dordre technologique, a tendance laisser dans lombre desdynamiques qui pourraient elles aussi peser sur le futur de largent, ainsi quedimportantes questions concernant llaboration des politiques publiques et leurmise en uvre. En effet, comme cette confrence la mis en vidence, les respon-sables politiques ont de bonnes raisons dacclrer non seulement le rythme dediffusion de la monnaie numrique lensemble de lconomie, mais aussi dedplacer laccent mis sur la technologie montaire (sous son aspect matriel) versles accords et les normes montaires (et donc virtuels) qui sont lorigine dessystmes de compensation et de rglement exploitables par tous ceux qui utili-sent de largent dans leurs transactions.
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Deux prcdents permettent de bien comprendre pourquoi il est si impor-tant de concentrer ses efforts sur les aspects non matriels de la monnaie. Toutdabord, lInternet, comme rseau des rseaux, dmontre que des normes unifor-mes (TCP/PI et HTML, toutes deux trouvant leur origine dans le secteur public)peuvent tre neutres tout en sappliquant des technologies particulires (mat-rielle et numrique) qui exploitent un tel systme. Cest ici un lment dcisif carcela cre, du ct des connexions, un march largement ouvert o la concurrence,les avances techniques et une trs grande diversit dutilisations peuvent alorsavoir cours. Ensuite, seconde illustration, les systmes de compensation interban-caire au niveau national et les marchs des changes au niveau international ontpar le pass fourni plusieurs exemples de la faon dont les autorits peuventcontribuer mettre en place des rgles et des institutions capables de faire fonc-tionner des systmes de rglement relativement complexes avec un degr assezlev de fiabilit et defficacit. Prendre ce genre dinitiatives politiques contri-buerait dans une trs large mesure faire de ce potentiel technologique une ra-lit conomique, pratique et efficace.
Enfin, les attentats terroristes du 11 septembre 2001 ont accru lutilit etlurgence de systmes de rglement et compensation plus rpandus et mieuxpartags, fonds sur des rgles consensuelles, afin dassurer la transparence detoutes les oprations financires. La mise en place de standards communs, analo-gues ceux dInternet, afin de crer des systmes de paiement exploitables dansle monde entier (sous rserve quils intgrent dans leur logiciel de base les prin-cipes internationaux de respect de la vie prive et de responsabilits civiques),constituerait une occasion dcisive de marginaliser tout type de transaction ill-gale. En premier lieu, cela permettrait de rduire de faon significative limpor-tance des espces et deuximement, cela placerait tous les agents conomiquessur un pied dgalit en ce qui concerne la transparence des oprations financi-res. Plusieurs lments de ces systmes sont dores et dj en place ou en coursde dveloppement. Ds prsent, puisque nous sommes tous convaincus delinterdpendance du monde dans lequel nous vivons, nous devons saisir locca-sion qui nous est offerte de faire de la mise en place dun calendrier ambitieux etnovateur pour le futur de largent lune de nos priorits.
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Chapitre 1
Lavenir de largent
par
Riel Miller, Wolfgang Michalski et Barrie StevensSecrtariat de lOCDE, Unit consultative auprs du Secrtaire gnral
Introduction
Au cours des dernires annes, la question de lavenir de largent a consid-rablement retenu lattention. Cela a suscit de nombreuses interrogations et denombreuses rponses. Les rflexions exposes tout au long de ce chapitre pro-longent les efforts prcdemment mens pour apporter une lumire nouvelle surquelques points essentiels, mais en explorant notamment une dimensionjusquici largement ignore : dans quelle mesure dimportantes avances cono-miques et sociales, probables dici deux trois dcennies, dpendront-elles delutilisation de monnaie numrique dans la majorit, voire la totalit, destransactions ? Et dans quelle mesure elles-mmes contribueront-elles favoriserun tel phnomne ? Lanalyse de cette question est en droite ligne avec la mis-sion assigne au Programme international de lOCDE sur lavenir long terme etavec les prcdentes confrences auxquelles elle a donn lieu. En particulier, elleest le rsultat direct des conclusions des plus rcentes confrences sur les transi-tions au xxie sicle, selon lesquelles sannonceraient, sur les plans technologique,conomique, social, comme en matire de gouvernance, des transformationsaussi radicales que celles caractrisant le passage de la socit agricole lasocit industrielle. Ce chapitre dintroduction prsente une synthse de cesprincipales conclusions, organise en quatre points.
1. Dfinition des problmes
Il arrive assez souvent que les dbats sur lavenir de largent scartent deleur sujet cause de la confusion entourant la dfinition mme de ce questlargent : ses diffrentes fonctions, les diverses formes quil est susceptible derevtir ou la foule de mcanismes sur lesquels se fondent les transactions. Sansprsenter une analyse exhaustive des nombreux courants de pense et des diff-rentes nuances de vocabulaire, il convient de prsenter trois lments-cls qui,
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ensemble, fournissent un cadre analytique assez solide pour aborder un tel sujet.Premirement, pour la plupart des conomistes, largent remplit habituellementtrois fonctions : il constitue une unit de compte, un moyen de paiement et unerserve de valeur. A lavenir, il nest dailleurs gure probable de voir ces troiscaractristiques fondamentales tre modifies. Deuximement, la monnaie peutrevtir un large ventail de formes, qui toutes ne rpondent pas ces trois carac-tristiques de base. Or, il y a de fortes probabilits pour quaux formes tradition-nelles de la monnaie viennent sen ajouter dautres, mme sil est encore difficilede dterminer si elles seront ou non largement acceptes. Et troisimement, il nya aucun doute que nous assisterons au cours des prochaines dcennies une pro-lifration des moyens de paiement et des mthodes de transaction, que ce soitsous forme matrielle ou sous forme numrique.
Ce sont des claircissements utiles pour mieux comprendre les questions quiretiennent notre attention. Deux concepts supplmentaires permettent dvaluerplus facilement encore les nombreuses trajectoires que les formes de monnaie etles moyens de paiement sont susceptibles demprunter au cours des dcennies venir. Lun dentre eux est celui d espace montaire , cest--dire un domaine(au sens matriel de territoire donn comme au sens virtuel de marchspcifique ) au sein duquel une monnaie particulire assume une, deux oulensemble des trois fonctions traditionnellement attribues la monnaie. Ainsi, leterritoire du Japon reprsente un espace montaire o on utilise le yen, alors que lemarch du ptrole reprsente un espace montaire virtuel o le dollar des tats-Unis a cours. Le deuxime concept qui peut sembler utile est celui de hirarchiemontaire au sein dun mme espace montaire. Cette notion permet de distin-guer diffrentes formes de monnaie, et les relations qui existent entre elles.
Au sommet de la hirarchie, on trouve la forme de monnaie inspirant le plushaut degr de confiance, et donc en mesure de rpondre lensemble des fonc-tions fondamentales de la monnaie. Il convient de rappeler que la monnaie estune forme de crdit, qui exprime une crance sur ltat sous la forme de la mon-naie mise et qui prsente donc gnralement le niveau de crdibilit le pluslev lorsque la probabilit de son remboursement ultrieur est forte. Une auto-rit politique associant stabilit et lgitimit bnficie par consquent de deuxatouts importants pour garantir que sa monnaie constitue le dnominateurcommun dune hirarchie montaire. Premirement, ltat peut stipuler que lepaiement de limpt seffectuera dans une monnaie donne. Deuximement,dans la mesure o ltat maintient ses soldes budgtaires dans des limites raison-nables, sil respecte les rgles en vigueur en matire de lgitimit politique etsemble capable de conserver sa souverainet territoriale, alors on peut sattendre ce que sa monnaie soit lavenir largement accepte en tant quunit decompte et comme moyen de paiement (cette acceptation constitue dailleurs engnral une obligation lgale au sein dun espace montaire au sens territorial).
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Dautres formes de monnaie peuvent occuper une place moins leve dansla hirarchie en raison soit dune moindre crdibilit, soit dune incapacit rem-plir lune ou lautre des fonctions communment reconnues la monnaie. Pourlessentiel, la place dune forme particulire de monnaie dans la hirarchie mon-taire est dtermine par deux attributs : sa liquidit (cest--dire la facilit aveclaquelle elle peut tre rembourse dans la monnaie dominante) et sa capacit remplir les diffrentes fonctions de la monnaie. Par exemple, le crdit stock surles cartes puce utilises par certaines compagnies tlphoniques ne fonctionnepas du tout comme une unit de compte usage gnralis (aucun prix ntantaffect ces units) et prsente un caractre limit comme rserve de valeur(dans la mesure o les cartes viennent expiration) et comme moyen de paie-ment (personne dautre ne les accepte). De plus, ce crdit nest pas du toutliquide, puisquil ne peut pas tre rembours dans la monnaie dorigine. Les miles gratuits offerts par exemple par les compagnies ariennes aux voyageursqui utilisent frquemment leurs lignes, ou les autres dispositifs de fidlisationsimilaires, sont des illustrations dautres formes de monnaie dont la fonctionnalitest relativement rduite. Cependant, en dpit de leurs limites, ces units de cr-dit prives constituent bien une vraie forme de monnaie, alors quune carte decrdit ou tout autre mcanisme servant des transactions, telle quune carte depaiement dbit immdiat, se contentent de faciliter les changes en utilisant,dans la plupart des cas, la forme de monnaie dominante.
Lorsquon raisonne en termes despaces et de hirarchies montaires, ildevient clair que la plupart des rcents dbats sur la monnaie lectronique concernent non pas de nouvelles formes de monnaie, mais de nouveaux moyensdexcuter des transactions grce des formes de monnaie dj existantes. Lesvritables nouvelles monnaies napparaissent quau moment o un particulier ouune institution propose de crer de toutes pices une unit symbolique, ensengageant la rembourser ultrieurement une valeur donne. Gnralement,cette nouvelle unit symbolique commence trs bas dans la hirarchie montaire.En revanche, de nouveaux outils technologiques, capables deffectuer et denre-gistrer des transactions, tentent souvent de surmonter les principaux obstaclesqui empchent leur diffusion auprs dun large public en utilisant la monnaiedominante la plus familire au public. Ainsi, au moment de lapparition des cartesde paiement, obtenir la confiance du public tait dj assez compliqu sansquon rende les choses plus difficiles par lintroduction, paralllement, dune nou-velle forme de monnaie prive. Les cartes de paiement constituent donc seule-ment un moyen plus simple dutiliser la monnaie place au sommet de lahirarchie montaire.
La figure 1 ci-dessous utilise ces concepts pour illustrer les ventuelles direc-tions que largent serait susceptible de prendre lavenir. La partie situe en bas gauche du graphique reprsente des situations pour lesquelles on utilise la
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monnaie dominante de la hirarchie montaire, au sein dun territoire gographi-que donn et en ayant recours un support matriel, pour la plupart des transac-tions. Historiquement, la plupart des socits ont fonctionn sur ce schma etaujourdhui encore, la mme sphre prvaut concernant la majorit des transac-tions impliquant des particuliers, des dtaillants et de petites entreprises. Nan-moins, avec le temps, en termes de valeur, le poids des transactions sest dplacvers le scnario reprsent en bas droite du graphique. Sur des marchs spcifi-ques comme celui du ptrole, des changes et, plus gnralement, sur les marchsde capitaux, les transactions ne se limitent plus un territoire gographiquedonn, mais ont pris un caractre plus virtuel, mme si, pour lessentiel, les prin-cipales monnaies de la hirarchie montaire continuent doccuper une placedominante.
A lavenir, comme le montre trs clairement la figure 1, la question pose estde savoir si les transactions se porteront vers dautres parties du graphique,notamment la situation expose en haut droite, qui correspond au schma leplus loign des conditions actuellement dominantes. Deux rponses distinctes,qui dailleurs se renforcent mutuellement, seront ainsi traites dans les sections
Figure 1. Lavenir de largent : profils dvolution possibles
Source : Riel Miller.
Hirarchiemontaire
Formes secondairesde monnaie (prive)
Espacemontaire
Marchs etmonnaie virtuelle
Forme dominantede monnaie (tat)
Monnaie territorialeet physique
volutionde largent
dans le temps ?
Nouvelles formesde monnaie
Nouveauxsystmes
de transactions
Hirarchiemontaire
Formes secondairesde monnaie (prive)
Espacemontaire
Marchs etmonnaie virtuelle
Forme dominantede monnaie (tat)
Monnaie territorialeet physique
volutionde largent
dans le temps ?
Nouvelles formesde monnaie
Nouveauxsystmes
de transactions
Hirarchiemontaire
Formes secondairesde monnaie (prive)
Espacemontaire
Marchs etmonnaie virtuelle
Forme dominantede monnaie (tat)
Monnaie territorialeet physique
volutionde largent
dans le temps ?
Nouvelles formesde monnaie
Nouveauxsystmes
de transactions
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suivantes : lune concerne les tendances long terme des volutions montaires ;lautre sera une valuation des consquences sur la monnaie des transformationsconomiques et sociales venir.
2. Implications des tendances historiques long terme
Il est possible de dterminer, en partie, la trajectoire qu lavenir largentpourrait suivre en examinant trois tendances, non linaires mais nanmoins per-sistantes, dcrites en dtail par Michel Aglietta dans le chapitre 2 et qui ont mar-qu sa longue histoire. Tout dabord, on assiste sa dmatrialisationprogressive, cest--dire ladoption dune forme plus abstraite, qui passe dunsupport matriel un signe presque totalement dnu de matrialit ou mme une simple donne numrique. Plutarque dcrit ainsi comment la rforme mon-taire du VIe sicle avant J.-C., destine allger le poids de la dette des paysanspauvres vis--vis des propritaires fonciers, sest traduite par une rduction de30 % du poids de la drachme. Une autre tape majeure fut lintroduction, lpo-que de la Renaissance italienne, de lettres de change qui dmatrialisaientlargent au profit dcritures comptables inscrites sur les livres des crancierset de leurs dbiteurs. Au fil du temps, on a pu constater une tendance rgu-lire au dplacement vers la partie infrieure droite de la figure 1, traduisantla transformation progressive de largent vers des formes numriques et plusabstraites.
La seconde tendance historique long terme concerne lefficacit avec laquelleles relations entre cranciers et dbiteurs se sont organises, en particulier dans ledomaine financier, dont le rle est dcisif concernant la confiance accorde unehirarchie et un espace montaire donn. A cet gard, lamlioration continuedes accords et des normes garantissant le dnouement rgulier et mutuellementacceptable des obligations interbancaires quotidiennes constitue une volutionmajeure. Cette tendance prsente deux caractristiques : lune concerne la cen-tralisation accrue de la gestion de la compensation au niveau du systme, etlautre une capacit accrue accepter et grer des formes de monnaie et dessystmes de paiement complexes et dcentraliss. La premire est manifestedans les systmes de paiement nationaux en rseau tels quils existent actuelle-ment, dans lesquels les banques centrales et des autorits de tutelle spcialisesassurent gnralement la fois le rle de surveillance et de garant. Le secondaspect (rendu possible par le niveau lev dintgrit des systmes de paiementcentraux du secteur financier) se manifeste dans de nombreux pays de lOCDE parla prolifration de nouveaux instruments financiers (comme les obligations hypo-thcaires et les fonds spculatifs) et par les progrs constants des technologies depaiement (comme les cartes puce ou les nouveaux systmes de paiements enligne entre particuliers, lexemple de Paypal).
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Dans la perspective de la figure 1, cette double volution, conjuguant centra-lisation et dcentralisation, ne permet pas denvisager de trajectoire particulireconcernant lavenir de largent. Nanmoins, lamlioration continue de la capacit garantir lintgrit dun secteur financier diversifi et en constante volutionconstitue pour beaucoup un facteur dcisif capable de favoriser le passage dunschma un autre, comme lillustre les diffrentes parties du graphique. Le suc-cs de lintroduction parallle de nouvelles formes de monnaie et de nouveauxmoyens de paiement dpend, dans une large mesure, de la facilit avec laquelleun metteur dun moyen de paiement peut sinsrer dans un systme financiercrdible et efficient. Si cette condition nest pas remplie, ou lorsque la rglemen-tation du systme rend difficile laccs de nouveaux entrants et pnalise linnova-tion, il nexiste alors quune faible marge de manuvre pour passer dun schma lautre comme dans la figure 1. Cest pourquoi, comme on lvoquera en conclu-sion, les rgles et les normes des systmes de paiement (y compris la faon dontils sont rgis) joueront un rle crucial pour dterminer le rythme et lampleur dumouvement en direction de la partie suprieure droite de la figure 1.
La troisime tendance caractristique des volutions historiques de largentconfirme limportance de lenvironnement rglementaire. On parle bien sr ici desamliorations concernant les principes de gouvernance, non seulement dans ledomaine plutt troit de la compensation interbancaire et de lintgrit du sec-teur financier, mais aussi, plus globalement, en termes dinteractions entre mon-naie et secteur financier dune part, et le reste de lconomie et de la socit,dautre part. Les espaces et les hirarchies montaires daujourdhui reposent surdes systmes de gouvernance qui ont la capacit de faire face des problmes la fois conomiques et montaires, comme la matrise de linflation, la gestion desdfaillances bancaires et la rsolution de conflits dintrts entre diffrents grou-pes (ex : importateurs contre exportateurs, dbiteurs contre cranciers). Ainsi,dans la plupart des pays de lOCDE, la crdibilit des rgles et des institutionsqui fondent un espace et une hirarchie montaires donns est assure par lapublication rgulire de statistiques conomiques fiables (ex : indice des prix laconsommation), ltablissement de principes clairs en matire de responsabilitet de transparence (ex : dans le budget de ltat, sur les marchs boursiers etpour les banques centrales), et lexistence de processus ouverts de rsolution desconflits entre intrts concurrents (dbat lgislatif et recours judiciaires). Dans cesystme, ltat est le prteur de dernier ressort, il garantit lacceptation en tantque moyen de paiement de la monnaie nationale son cours lgal , il veille lintgrit du secteur financier et devient le gardien de la stabilit macroconomi-que. Fort de sa lgitimit politique, ltat peut prendre des dcisions dont lesconsquences seront dcisives pour ceux que la socit favorise ou dessert, ycompris dans le domaine montaire en favorisant par exemple les cranciers parrapport aux dbiteurs, les actionnaires des banques par rapport aux contribuables,
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les exportateurs par rapport aux importateurs, et mme les propritaires par rap-port aux crateurs concernant la proprit intellectuelle (en refusant par exempledintroduire des conditions dgalit de concurrence pour les micro-paiements).
Cependant, il est possible qu lavenir les capacits de gouvernance doiventtre sensiblement renforces. Les principaux dfis devraient surgir de la nces-sit de ngocier de nouvelles rgles, et de rformer, ou tout simplement, de met-tre en place des institutions capables ddicter des normes et de surveiller lefonctionnement dune monnaie numrique universellement accepte. De nom-breux problmes devront trouver une solution, que ce soit la meilleure faondinstaurer des systmes universels de vrification didentit et un accs facile des comptes libells en cette monnaie numrique, ou la ncessit de garantirlinteroprabilit des donnes logicielles et matrielles du rseau montaire. Cesdfis exigeront des efforts concerts de la part des autorits. Au niveau national,ou pour lEurope, au niveau rgional, lessentiel des capacits de gouvernanceconcernant la production des normes, le renforcement des institutions ou la rso-lution des conflits sont dj en place, mme si lexprience du systme se bornelargement traiter les questions affrentes au schma reprsent par la partieinfrieure gauche de la figure 1, autrement dit la sphre despaces montairesfonds sur une dfinition territoriale, associs des hirarchies montaires domi-nes par ltat. Au niveau mondial, les mcanismes requis sont encore peu nom-breux. valuer ltendue du problme dpendra en fait (comme on le verra dansles sections suivantes) de la nature des changements et des objectifs qui simpo-seront dans les annes venir.
3. Impratifs des volutions conomiques et sociales
Si sur le long terme, les tendances de la monnaie indiquent quil est toujourspossible de voir des modifications fondamentales intervenir sur les espaces et leshirarchies montaires, le lien particulirement troit entre ces transformations etdes changements dordre socio-conomique constitue nanmoins le moyen leplus sr dvaluer le caractre probable, et mme souhaitable, dune telle volu-tion au cours des prochaines dcennies. Il existe une interdpendance trs netteentre une situation socio-conomique spcifique et le succs de certaines formesde monnaie ou de mcanismes de paiement. Ainsi, lpoque de la Renaissance,les changes commerciaux entre cits italiennes ont contribu la fois la cra-tion et la promotion des lettres de change. Plus rcemment, on a observ un netrenforcement, mutuel et rciproque, entre lutilisation des cartes de crdit commemodes de paiement et la dfinition de profils de consommation caractristiquespour certains groupes sociaux. Lutilisation du dollar amricain dans certainesrgions du monde o ltat ne dispose pas dune crdibilit suffisante (Argentine),ou encore o lconomie lgale est faible (Russie), dmontre son tour
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ltroite connexion qui existe entre systmes socio-conomiques et montairesspcifiques.
A lavenir, trois axes de dveloppement semblent devoir tre troitementlis lmergence de nouveaux systmes de paiement et, ventuellement, denouvelles formes de monnaie : a) les avances technologiques qui ouvrent denouvelles possibilits de mcanismes de paiement et de rglement ; b) le pas-sage une conomie mondiale du savoir ; c) lexigence dun accs quitable ausein de socits plus diversifies.
a) Possibilits technologiques
Le rcent intrt pour de nouvelles formes dargent dcoule tout naturelle-ment de lexplosion conomique lie, au moins dans lesprit du public, aux pro-grs des technologies de linformation et de lInternet. Dun point de vuepurement technologique, ce nouveau contexte est particulirement excitant, aussibien au niveau de loffre, o les innovations sont dsormais capables dassurer laplupart sinon la totalit des fonctions de base dune monnaie, quau niveau sansdoute plus important encore de la demande, o lutilisation de ce potentieltechnologique exigera vraisemblablement lintroduction de formes nouvellesdargent. Sans oublier que les progrs technologiques sont largement condi-tionns par de profonds changements sur les plans conomique, social comme enmatire de gouvernance, il semble utile dexaminer ce que seront demain peut-tre les nouveaux instruments et les techniques de paiement.
Du ct de loffre, il faut rappeler, pour tre clair, que la dmatrialisation delargent nest pas une chose nouvelle, pas plus dailleurs que le passage laforme lectronique. Les systmes de rglements interbancaires ont dores et djouvert la voie une forme lectronique dargent, compltement dmatrialis,grce lintroduction du tlgraphe. En fait, lactuelle hirarchie de largent estdj domine par largent lectronique1. Pour les banques centrales et les ban-ques commerciales, la plupart des transactions se font en effet par voie lectroni-que. Pour les nombreuses entreprises et les personnes aujourdhui connectesdirectement aux banques par le biais de lInternet, lessentiel des transactions, entermes de valeur, seffectuent sous forme numrique, mme si dans bien des casla simplicit de ce systme et son faible cot ne stendent pas jusquaux proc-dures de comptabilisation et de compensation post-march. Cest au niveau duconsommateur ou du particulier, o les espces, les chques et les cartes de cr-dit restent toujours les moyens de paiement dominants, que lon peut sattendre voir les innovations lies aux technologies numriques gagner le plus de terrain.La concurrence est ici svre et les consommateurs, hsitants face au changementmais trs sensibles aux avantages et aux inconvnients en termes de commoditet de scurit, se sont fortement opposs aux nouveaux systmes de paiement.
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On peut distinguer deux catgories de produits. La premire concerne uni-quement des innovations portant sur les mcanismes de transmission le sup-port ou la mthode de communication des informations. La seconde concernelintroduction de nouveaux instruments, mais qui ne sont pas ni de la monnaielgale, mise par ltat, ni des certificats de dpt mis par le secteur priv, oulune des quelconques autres nombreuses formes dargent actuellement en circu-lation. Les innovations de la premire catgorie sont le rsultat des progrs tech-nologiques favorisant un traitement beaucoup plus efficace de linformation. Dansla seconde catgorie, on ne peut pas prtendre quil y ait eu une vritable innova-tion au niveau thorique, car les instruments privs et locaux utiliss comme mon-naie existent depuis longtemps. Dans cette catgorie, les nouveaux produitscorrespondent uniquement ceux que de nouveaux metteurs tentent de faireaccepter, titre dinstrument priv, dans la hirarchie globale de largent. Maisque ce soit souvent les mmes compagnies qui tentent dintroduire de nouveauxsupports et de nouveaux instruments peut tre source de confusion.
Si lon considre la premire catgorie de nouveaux supports, les perspecti-ves savrent relativement prometteuses. Malgr la lenteur avec laquelle ils sontaccepts, on a de bonnes raisons de penser qu long terme, la tendance ladmatrialisation se poursuivra. Comme le signale Zachary Tumin dans lechapitre 3, les porte-monnaie lectroniques, autrement dit de la mmoire numri-que stocke dans une carte en plastique puce incorpore, un ordinateur porta-ble ou tout ordinateur connect lInternet, sont des moyens extrmementpratiques pour enregistrer des oprations de crdit et de dbit. Nanmoins, leffi-cacit de cette approche de stockage dinformations sur les mouvements dargent,quels quen soient lmetteur ou la dnomination spcifiques, est encore loin decontrebalancer les problmes que posent le manque de confiance, labsencedconomies dchelle en rseau (absence dune masse critique de participants),le respect de la vie prive et de lanonymat. Malgr ces proccupations grandis-santes, et sans entrer trop dans le dtail concernant certaines technologies parti-culires biomtrique, intelligence artificielle, etc. il ne fait gure de doutequaux yeux des consommateurs un systme complet de paiements numriquesest techniquement envisageable.
A quoi pourront ressembler ces nouveaux systmes ? Il nest pas impossibleque pendant la deuxime dcennie du XXIe sicle, dans de nombreux endroits dumonde, lordinateur tel que nous le connaissons sera relgu au fin fond descaves, des placards et des entrepts dentreprises, et que les utilisateurs naurontaffaire qu des interfaces vido, audio ou par cran tactile, situes un peu par-tout, l image des commutateurs et des prises de courant lectriquesdaujourdhui, ou encore intgres dans leur vtement ou leur montre. Lutilisa-tion de systmes didentification biomtrique vrifiant la voix, le visage ou lesempreintes digitales au cours des ngociations daffaires parfaitement rgulires
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permettront lacheteur et au vendeur de donner en toute confiance des instruc-tions leur agent intelligent pour valuer toutes les variables qui entrent dans latransaction montaire : solvabilit, niveaux de satisfaction du consommateur, prixrcents, autres fournisseurs possibles, conditions de la demande, prfrence surla forme de paiement, etc. Sur la base des choix exprims au fil du temps, lesagents intelligents pourront utiliser des profils individualiss pour indiquer lesconditions de transaction les plus souhaitables, et aprs vrification et approba-tion de lidentit des intervenants, les fonds pourront tre directement transfrsdu compte de lacheteur (dans une banque ou auprs dune autre source de fondsdigne de confiance) sur celui du vendeur, la compensation et le rglement se fai-sant alors instantanment.
De nombreux obstacles sopposent aux paiements numriques de particulier particulier sur la base de ce type de systme en rseau, transparent, facile uti-liser et dune grande scurit. Largument le plus souvent avanc est que les tran-sact ions en rseau ne prsenteront jamais les avantages danonymat,daccessibilit et de scurit que prsente largent liquide. Dautres volutions,voques plus en dtail dans la suite de cette section, laissent toutefois entrevoirdes solutions susceptibles de voir le jour quand apparatront des lois, des institu-tions, des attitudes culturelles et des solutions techniques permettant la mon-naie numrique dtre sur un pied dgalit avec largent liquide. Il est undomaine o lon peut attnuer les diffrences : cest celui de la traabilit desoprations. La difficult que prsente actuellement lenregistrement des numrosdordre de tous les billets pour pouvoir retrouver, le cas chant, la squence detoutes transactions disparatra progressivement dans le monde numrique, mesure que le chiffrement, les garanties juridiques et les protocoles relatifs lasuppression de lidentit gagneront en couverture et en efficacit2. On peutsattendre une convergence similaire dans dautres domaines tout aussi sensi-bles, comme les mthodes pour dpister les activits criminelles, qui exploitentdj largement les atouts de largent liquide pour toute transaction au noir. En finde compte, lorsque la quasi-totalit des inconvnients actuels de la monnaienumrique auront disparu, une part prdominante des moyens de paiement duconsommateur basculera dans le monde du numrique.
Si lon sintresse la deuxime catgorie de nouveaux produits montaires,les perspectives semblent beaucoup moins nettes. Certes, il existe de bonneschances pour que certaines sources dmissions dargent priv (comme Microsoftou mme Bill Gates) continuent dtre plus riches et plus stables que de nom-breuses autres instances souveraines dmission, mais il ny a gure dargumentspour voir les softs ou les Bills offrir un vritable avantage concurrentiel parrapport au dollar, leuro ou au yen. A moins videmment que la monnaie de laBanque centrale ne soit supprime. Dans ce cas toutefois, comme le fait valoir defaon convaincante Geoffrey Ingham dans le chapitre 5, sans monnaie de la Banque
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centrale on ne peut gure compter sur la stabilit montaire ou la lgitimit poli-tique pour oprer des choix dans la gestion du systme montaire. Ce qui ne veutpas dire que les nouvelles technologies ne contribueront pas faciliter lmissiondinstruments de paiement privs (ou, dailleurs, une nouvelle forme lectroniquede monnaie lgale). Mais alors, les monnaies prives ou communautaires seronttroitement lies la hirarchie globale de largent, et le facteur cl de leur viabi-lit comme de leur diffusion continuera dtre la solidit de leur relation avec laprincipale unit de paiement mise (ou un tant soit peu taye) par la Banquecentrale.
La monnaie numrique ne pourra possder les mmes attributs que la mon-naie sous forme matrielle qu la condition de raliser de vraies avancesconcernant la facilit, le cot et la fiabilit de la gestion des transactions par voienumrique. Des progrs considrables seront en particulier ncessaires dans lesdomaines suivants : vrification, confidentialit, facilit dutilisation, interoprabi-lit et fiabilit et ce, tout le long de la chane. Nombre de ces avances impli-queront des amliorations des cadres rglementaires et des instrumentsconcerns. Ainsi, les dispositions visant assurer la protection de la vie privepeuvent jouer un rle essentiel pour garantir le respect du niveau de confi-dentialit requis pour diffrentes transactions. La mise en uvre de normes descurit obligatoires, notamment en matire de cryptographie, dassurance etde surveillance, semblables celles qui sappliquent beaucoup dautres pro-duits, comme les produits alimentaires et les automobiles, pourraient largementcontribuer crer lindispensable confiance que requiert la monnaie numrique.La dimension scientifique a aussi son importance, car les progrs techniques dansdes domaines comme la biomtrie ou linformatique propre aux protocoles derseau et autres interfaces intuitives, devraient favoriser linvention de nou-veaux systmes de paiement et de nouvelles formes de monnaie, tout en am-liorant les chances de voir ces innovations communment acceptes. Au boutdu compte, toutefois, les perspectives de diffusion de toutes ces technologiesdpendront dune longue srie de mutations aux niveaux conomique, social etrglementaire.
b) Passage une conomie mondiale du savoir
Lorsquon analyse les ventuelles trajectoires des Transitions du XXIe sicle,tout le monde, quasiment sans exception, souligne lampleur que devrait prendrele rle des ides et dautres facteurs intangibles sur lconomie. Trois volutionsdistinctes paraissent favoriser lintroduction de nouveaux systmes de transac-tions qui rendront bientt largent numrique aussi facilement accessible et utili-sable que largent liquide, et contribuer la multiplication des formes demonnaie prive. Premirement, la transformation des caractristiques des intrants extrants de toutes sortes de marchs, dont lindustrie du spectacle, les services
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publics, les transports, voire les biens de consommation matriels. Deuxime-ment, la ncessit de repenser lorganisation, les mthodes et mme les objectifsde lentreprise. Troisimement, les changements susceptibles de se produire auniveau macroconomique et au niveau international, mesure que se poursuivrale phnomne dintgration mondiale. La faon la plus efficace dillustrer lesconnexions entre ces transformations conomiques et lavenir de largent consistesans doute donner plusieurs exemples de la faon dont les choses fonctionne-ront probablement ds la deuxime ou la troisime dcennie de ce sicle.
Marchs
Lun des marchs o le besoin de nouveaux moyens de paiement est le plusfort et o les possibilits dun ventail plus large de formes prives dargent sontdores et dj manifestes est celui de la musique. La capacit crer et diffuserde la musique en utilisant des technologies numriques a compltement boule-vers la faon dont ce march fut, un temps, organis. A lheure actuelle, si lesproducteurs veulent vendre leur musique, ils rencontrent un rel problme pourfixer un prix et obtenir les paiements correspondants. Les mcanismes donnantdroit la proprit prive, fournissant des informations aux consommateurs,ngociant les prix (droits dauteur, abonnements, contrats de leasing, etc.), ver-sant des redevances (de faon fiable et automatique), tout cela niveau mondial,font gravement dfaut. Pour rsoudre ces problmes, de nombreuses initiativesdevront tre prises. Mais il est vident quune des avances les plus profitablesserait le paiement des redevances directement par les consommateurs parlintermdiaire du rseau. Ce type de systme de paiements entre particuliers,qui permettrait lenvoi automatique de redevances chaque fois que quelquuninterprte une chanson, contribuerait certainement la cration des courants derevenus dcentraliss lvidence souhaits par de nombreux crateurs demusique, et pourrait alors accrotre la viabilit des nouveaux modles conomi-ques de lInternet.
Les problmes observs sur le march de la musique, le plus touch desmarchs du secteur du divertissement, montrent comment des progrs concer-nant les moyens et les formes de paiements sont susceptibles de sensiblementcontribuer tablir, pour lavenir, des modles de transactions commerciales via-bles. Ce march nanmoins nest pas le seul o doivent aller de pair volutionsconomiques et volutions montaires. Les achats deau et dlectricit, parexemple, pourraient suivre un modle continu de fixation des prix, dans lequelles consommateurs donneraient instruction leur gestionnaire domestique (unordinateur intelligence artificielle) dacheter (ou de vendre, le cas chant,llectricit produite localement), lorsque le prix est le plus bas (ou le plus leven cas de cognration) et rpond leur profil de demande. La mise en place sur lemarch de lnergie dun systme de compensation et de rglement permettant
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des paiements entre particuliers mme pour de trs petits montants et sous uneforme montaire ngociable, comme par exemple des crdits ou des dbits lis un rgime de fidlit favoriserait certainement ces innovations. Toujours dans lamme optique, on pourrait envisager de relier les systmes de paiement desautoroutes intelligentes, communiquant avec des voitures intelligentes, o lacoordination du trafic assure par le GPS permettrait au dispositif de pilotage duvhicule (un autre ordinateur intelligence artificielle) de choisir les itinrairesselon des prfrences spcifiques de cots et de temps, par lintermdiaire desmicro-paiements effectus directement sur le rseau avec une forme dargentconvenue davance.
Une autre innovation aux consquences conomiques profondes exigera elleaussi dabord un bond en avant concernant ltendue et lefficacit des rseauxde monnaie numrique : il sagit de limprimante reprsentation tridimension-nelle, imprimant des objets tridimensionnels labors partir dinstructionsmanant dun ordinateur. Des versions commerciales de ces machines existentdj (mme si leur degr dlaboration est comparable celui des premiresautomobiles) grce auxquelles un objet matriel est construit en superposant descouches dun compos du carbone, selon une technique rappelant la mthodeemploye par une imprimante matricielle pour imprimer des lettres bidimension-nelles en posant des points le long dune ligne horizontale. Grce aux progrs dela science des matriaux, de linformatique et du dessin, il sera ainsi bientt pos-sible de dcentraliser vers ce type dimprimantes tridimensionnelles (fonction-nant domicile ou dans la boutique spcialise du coin la rue) la fabricationdobjets actuellement produits dans de grands centres de fabrication. Toutefois,pour voir se diffuser ce type de fabrication distribue, il faut quil existe un moyensr et efficace deffectuer des micro-paiements automatiques, rapides et transpa-rents pour les dessins tlchargs par les clients des fins dimpression locale(ainsi que pour les petites modifications au got du client ngocies sur le Net).Ce type dvolution prsente dimmenses ramifications (pour le transport debiens changs commercialement, pour le secteur manufacturier, etc.) mais leplus important, du point de vue de largent, concerne le problme du paiementnumrique, aujourdhui rduit au domaine plutt limit de lindustrie du divertis-sement, qui pourrait devenir un obstacle fondamental au fonctionnement denombreuses sphres de lconomie du march. La mise en place de systmes decompensation et de rglement entre particuliers est aujourdhui essentielle carelle est tout simplement la mieux mme de rpondre aux besoins des marchsde demain.
Entreprises
Il est un second domaine o les transformations conomiques du XXIe sicleexigeront peut-tre de nouveaux systmes de paiements et de nouvelles formes
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dargent : lentreprise commerciale et son fonctionnement venir. Les volutionspotentielles concernant le fonctionnement habituel dune entreprise de ce typene se limitent pas la sous-traitance (fabriquer ou acheter) ou la dsintermdia-tion (supprimer lintermdiaire). Est ici en jeu une volution fondamentale danssa logique mme, fruit de la non-exclusivit et donc de la possibilit de repro-duire pratiquement sans cots les incorporels qui sans doute domineront lco-nomie de demain. Par leur trs large porte, les systmes de transactions et lesmonnaies numriques pourraient offrir aux entreprises de vastes possibilitspour exprimenter de nouveaux modes de fonctionnement concernant, parexemple, la fixation des prix, la collaboration avec les fournisseurs, la dfinitiondes marchs, lamlioration de lefficience et lexploitation commerciale desproduits incorporels.
Dans un contexte dabondance et non de pnurie, les entreprises doiventrepenser et lorganisation de la production et le modle doprations commer-ciales utilis pour fixer les prix et crer du profit. Dores et dj, lclatement de labulle point.com et lvolution dun trs grand nombre dentreprises Internetmontrent les difficults dadaptation au nouvel environnement. Comme lexpliqueen dtail Charles Goldfinger dans le chapitre 4, les intrants, les extrants et lesactifs incorporels suivent des rgles diffrentes quand il sagit de lamortissement,de lutilisation des capacits, de lvaluation des risques, de la recherche dco-nomies dchelle ou de la fixation des prix. De nouveaux moyens de paiement etde nouvelles formes dargent pourraient, en facilitant une plus grande diversitde modles de fixation de prix et de transactions notamment pour ce qui est dela proprit intellectuelle et des incorporels offrir aux entreprises dimportantespossibilits pour grer lambigut, la versatilit et la diversit dcentralise delconomie de demain.
Mme si, pour le moment, les entreprises qui nont pas su oprer cette tran-sition sont encore les plus nombreuses, les signes de fermentation restent forts.Les tudes conomiques consacres au march des valeurs mobilires, prsen-tes loccasion de confrences ou dans les mdias publics, sefforcent toujoursdans une large mesure de trouver des moyens permettant aux entreprises demieux grer la connaissance. Toutefois, si lon considre les volutions passescomme point de rfrence, les techniques, les structures organisationnelles, lessystmes incitatifs et les structures de comportement mergeront vraisemblable-ment plutt de lextrieur des cadres et des institutions existants. A mesure quechange la composition de lconomie, les nouvelles mthodes spontanmentadoptes par les intervenants extrieurs aux systmes existants prennent globa-lement une importance accrue. Progressivement, la faveur dun mouvementdascension et de diffusion, la priphrie devient le centre. On peut trouver lespremiers signes de cette transition dans les nouvelles aspirations professionnel-les des jeunes diplms, dans la modification des structures dinvestissement
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(comme par exemple lextraordinaire essor des start up ), et dans les rupturesculturelles trs perturbatrices qui apparaissent lorsque diffre considrablementlide que lon se fait de sa situation, dune gnration lautre et selon la profes-sion quon exerce. Pour que disparaisse la vieille culture dentreprise , il nesuffit pas dattendre que lancienne culture se renouvelle de lintrieur et que lanouvelle gagne du terrain ; il faut introduire les instruments qui aussi facilitentcette transition. La mise en place de systmes de monnaie numrique correspon-dant plus troitement au fractionnement des fonctions traditionnellement runiesau sein de lentreprise est lvidence lun des facteurs les plus importants pourfaciliter lmergence des socits de demain.
Intgration mondiale
Les dimensions mondiales des transitions attendues au XXIe sicle peuventavoir sur largent des consquences aussi importantes que les volutions, tu-dies prcdemment, concernant la nature et lorganisation de lactivit conomi-que. Deux types de dveloppement semblent simposer : il parat naturel desattendre voir, premirement, les changements dans le fonctionnement desmarchs et des entreprises se projeter lchelle mondiale, et deuximement,assister, la faveur du processus dintgration mondiale, un bouleversementdes fondements conomiques, sociales et politiques de largent, dans unemesure qui exigera vraisemblablement de nombreuses innovations. Un mondeplus intgr aura besoin de moyens de paiement et de formes dargent appro-pris. Toutefois, les progrs ont jusquici t trs lents, dabord parce quilsentranent des changements dcisifs dans linfrastructure financire mondiale.
Concernant premirement lamlioration du fonctionnement des marchsmondiaux, la situation actuelle est en fait la suivante : les consommateurs commela plupart des petites et moyennes entreprises continuent mener leurs opra-tions par lintermdiaire de transferts tlgraphiques, de chques postaux et decartes de crdit, moyens tous lourds et onreux. Outre les retards et les incertitu-des de ces systmes, il convient dajouter les cots et les vrais risques de conver-sion des devises. Certes, il existe de puissants systmes de compensation et derglement entirement numriques et dj oprationnels au niveau mondial,mais ils ne cherchent pas dborder du cadre troit de la monnaie interbancaire.Toutefois, si lon veut voir se concrtiser la promesse dun commerce lectroniquemondial, sans oublier non plus les transformations beaucoup plus ambitieusesconcernant les marchs et les entreprises que nous avons prcdemment exami-nes, il faudra videmment que se dveloppe un rseau mondial beaucoup plustendu et plus perfectionn de systmes de compensation. A court et moyen ter-mes, les ambitions du secteur public et du secteur priv quelques exceptionsprs comme celle de Singapour demeurent nanmoins en ce domaine assezmodestes.
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Si lon sintresse la seconde srie de dveloppements, on constate encoreque lon na gure progress concernant une meilleure mise en conformit delespace montaire global. Les premires mesures exprimentales pour crer desmarchs publics plantaires, en internalisant notamment les externalits cls dupatrimoine commun de lhumanit, demeurent trs modestes. En fait, propre-ment parler, il ny a pas despace montaire mondial. Le systme montaire mon-dial est un ensemble despaces montaires exclusivement nationaux (ou quasinationaux/rgionaux). Sans une unit de compte commune, fonde politique-ment, il est alors extrmement difficile dintroduire la transparence ncessairepour quun vritable fonctionnement du march, que ce soit dans les domainesdes autorisations de pollution ou des droits de pche, par exemple. Dans cesdeux derniers cas, des mesures destines crer un espace montaire mondialpermettraient lintroduction de marchs apportant de vraies solutions au pro-blme du rchauffement de la plante, grce lchange de droits dmissions decarbone, ou au problme de la prservation de la biodiversit, en reconnaissantdes droits de proprit intellectuelle lis au capital gntique des diffrentesparties du monde, et en en payant le prix. Si lon veut vraiment mettre en place etfaire fonctionner ce type de marchs, alors il faudra sattaquer limportantequestion de savoir quel espace montaire retenir.
En fait, il nest pas surprenant de voir que lintgration mondiale, sur le plandes marchs privs comme des marchs publics, constitue un dfi pour les syst-mes montaires. Ici encore, comme le montre nettement le cas de leuro, les chan-gements conomiques et politiques exigent des avances concernant la porte etle fonctionnement de lespace montaire, alors mme quils en dpendent. Nendplaise certains, les flux sans cesse croissants de biens, dides et de person-nes travers les limites arbitraires que reprsentent les units politiques tra-vers le monde, remettent en question la signification et lefficacit des conceptscomme des instruments de la souverainet nationale forgs au XIXe et auXXe sicles. En outre, considrer la plante dans sa globalit (en incluant latmos-phre, les ocans, les tempratures et la biodiversit) permet dattirer de plus enplus lattention sur lide de patrimoine mondial, qui par dfinition empitesur le domaine national. Les importantes dimensions sociales et politiques delargent plaident donc elles aussi en faveur de systmes universels de compen-sation et de rglement.
c) galit daccs dans une socit plus diversifie
Demain, lconomie mondiale du savoir et la socit qui lui correspondra secaractriseront vraisemblablement par un tissu social beaucoup plus fortementcontrast, en volution constante, o lintroduction de nouveaux moyens de paie-ments et de nouvelles formes dargent pourrait jouer un rle capital, pour matri-ser les ingalits et les conflits potentiel, soit au contraire pour les exacerber.
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Dun ct plutt positif, comme on la dj vu, des rgles facilitant laccs auxdivers systmes de paiement numriques de demain et qui en garantiraient unelarge distribution, seraient susceptibles de contribuer lintgration de nouveauxgroupes dans la future conomie du savoir et dans lconomie mondiale. Delautre, des rgles montaires qui privilgieraient des intrts traditionnels et quilimiteraient laccs du plus grand nombre aux nouveaux moyens de paiement etaux nouvelles formes dargent pourraient alors renforcer les ingalits et doncaccrotre les risques de voir la diversit sociale devenir source de conflits pluttque de crativit.
Concernant les aspects positifs dabord, un systme de paiements numri-ques entre particuliers, universellement accessible, pourrait contribuer largir lemarch non seulement de faon amliorer la viabilit des nouveaux modlesconomiques (comme soulign ci-dessus), mais aussi de manire intgrer desgroupes jusque-l marginaliss, voire entirement exclus. En facilitant laccs enrseau des units de comptes et des moyens de paiement de confiance, onpourrait alors amliorer laccs au march des dtenteurs de droits de propritintellectuelle ( faible valeur unitaire) comme aux producteurs et aux consom-mateurs de pays en voie de dveloppement. Concernant lactivit conomique,lintroduction de cadres rglementaires et doptions institutionnelles approprispourrait permettre une considrable amlioration des chances pour les nouveauxentrants de faire concurrence aux acteurs dominants dans le secteur financier, sur-tout si ces rgles les aident gagner la confiance du grand public (condition pra-lable indispensable tout succs dans le secteur financier). Au niveau desconsommateurs, lintroduction dune monnaie lgale sous forme numrique pour-rait permettre de diminuer le nombre de tous ceux susceptibles dtre durable-ment exclus des nouveaux marchs virtuels, puisque ce sont des intermdiairesprivs comme les socits de cartes de crdit qui rglementent laccs aux opra-tions sur Internet.
Enfin, une profusion de nouveaux moyens de paiement et metteurs de mon-naie pourrait avoir une incidence ngative sur le dynamisme social, en fragmen-tant davantage certaines communauts ou rgions, pour finalement les relguerdans des espces de ghetto. Des formes dargent plus labores et mieux diff-rencies pourraient renforcer par discrimination la corrlation entre les hirar-chies de degrs de solvabilit et de conditions sociales. Dans ces circonstances,le risque de voir remettre en question la lgitimit politique et, en fin de compte,la viabilit de lespace montaire est alors bien rel. Si lon ne porte pas uneattention soutenue la gestion des nouveaux systmes de transaction, on aug-mente les risques (dj renforcs par la dislocation sociale inhrente unepriode de transition) dune raction politique contre tout changement dont onconsidre quil sape certains symboles affectifs, comme la monnaie nationale,sans leur substituer dhorizons suffisamment amples et prometteurs. Inversement,
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la monnaie de rseau pourrait trs bien tre dfinie, puis mise en uvre, selondes modalits qui la rendrait moins chre utiliser que les liquidits, tout en luipermettant de jouer un rle de cohsion sociale. Accorder lensemble desagents le droit de disposer dune identit Internet vrifiable et dun compte ordi-naire, dans le cadre dun rseau universellement accessible, jetterait ainsi lesbases dune sphre montaire ouverte, essentiellement fonde sur lusage delargent numrique. Cette voie beaucoup plus accessible est lillustration non seu-lement de ltroite connexion entre les transformations socio-conomiques et cel-les de la sphre montaire, mais aussi du rle dterminant de linnovation, tantpublique que prive, pour imprimer une direction et un rythme au changement.
* * * *
Globalement, si lon associe lanalyse des tendances long terme de largentavec une valuation des axes possibles des futures mutations de nature socio-conomique, il semble que lon soriente davantage, terme, vers une situationdu type de celle reprsente dans la partie suprieure droite de la figure 1 pluttque dans la partie infrieure gauche. Lampleur et le rythme de ce mouvement,ainsi que les ventuelles complications, dpendront largement de la vigueur etde lefficacit des stratgies adoptes par les autorits, qui sont fondamentalespour faonner les systmes montaires.
4. Le moment est-il venu de raliser de grandes avances ?
La rponse cette question dpend, pour une part, des anticipations concer-nant les progrs qui pourraient tre accomplis en acclrant la transition vers dessystmes montaires plus largement inspirs de lre numrique et, pour uneautre, des possibilits lies la mise en uvre de solutions la fois ralisables etefficaces. Sagissant des progrs ralisables, les rsultats de cette confrence lais-sent penser que les retombes positives dune transition plus rapide seraientprobablement assez importantes, tout particulirement parce quelles favorise-raient lmergence dune conomie mondiale du savoir, fonde sur lInternet. Lefait dintroduire rapidement les mesures requises peut se justifier, dans une pers-pective aussi bien long terme qu court terme. A court terme, les politiquespour acclrer la diffusion de la monnaie numrique ont pris, pour trois grandesraisons, un caractre durgence. Premirement, les mesures destines rtablir laconfiance et encourager linvestissement sont aujourdhui devenues plus impor-tantes compte tenu du ralentissement conomique mondial, et notamment deses retombes sur la nouvelle conomie . Une seconde raison, tout aussiimportante, en faveur dune approche volontariste, rside dans le fait que les gou-vernements doivent dsormais trouver des moyens de soutenir la cration de mar-chs lchelle mondiale, en facilitant linclusion et la participation. Troisimement,
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enfin, les vnements du 11 septembre ont montr combien il est important decontrler de faon plus efficace les transactions montaires. A long terme, en favo-risant des avances dcisives dans ce domaine, les autorits publiques peuventapporter une contribution fort opportune, et peut-tre mme essentielle, une meilleure adaptation des systmes montaires aux environnements socio-conomiques en mutation, et donc renforcer les chances de rduire les cots,doptimiser les avantages rsultant des profondes transformations conomiqueset sociales actuellement en cours.
Un autre lment fortement susceptible de donner, long terme, une impul-sion fondamentale la diffusion de la monnaie numrique nest autre que lapoursuite de lintrt public dans des domaines comme la rduction des cots detransaction, la lutte contre la criminalit, lamlioration de la collecte de limpt etle renforcement de la concurrence sur les marchs existants ou sur les nouveauxmarchs. Lintroduction de systmes montaires o la monnaie numrique joue-rait un rle dterminant pourrait permettre datteindre ces objectifs. Le lien leplus vident entre baisse des cots de transaction et monnaie numrique tient aupotentiel dlimination des cots significatifs impliqus par limpression, le traite-ment et la comptabilit des espces, et de leurs substituts troits comme les ch-ques. Dautres conomies substantielles pourraient tre possibles si les systmesde compensation et de rglement taient amliors en termes de rduction descots lis aux dlais, lintermdiation et la mise en application. Il existe gale-ment un lien vident entre lconomie souterraine sous toutes ses formes etlargent liquide. La marginalisation des espces pourrait rendre beaucoup plusdifficiles de nombreux types doprations illgales (y compris le financement duterrorisme). Les mthodes de collecte de limpt et de contrle fiscal faisant obs-tacle aux activits illicites pourraient aussi tre automatises, selon diversesmodalits, si la grande majorit des changes montaires intervenait sous formenumrique, notamment par le biais de rseaux de compensation et de rglementscuriss, comportant des mcanismes dauthentification et fonctionnant sur labase de linteroprabilit. Enfin, si les normes et les rglementations appropriestaient mises en place, la transition vers une utilisation dominante de la monnaienumrique faciliterait galement lentre de nouveaux concurrents dans le sec-teur financier, et favoriserait lmergence de nouveaux modles dexploitationcommerciale pour de nombreux biens incorporels (comme notamment la pro-prit intellectuelle).
Concernant la possibilit pour les autorits dacclrer vritablement la diffu-sion des nouveaux systmes de compensation et de rglement, il existe dsaujourdhui au moins trois moyens douvrir de nouvelles perspectives : premire-ment, faire du dveloppement rapide de la monnaie lectronique un objectif co-nomique clairement dfini ; deuximement, pour parvenir cet objectif le plusefficacement, travailler en troite collaboration avec le secteur priv afin de mettre
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en place les rgles et les institutions ncessaires ; troisimement, sattacher acclrer le dveloppement et la diffusion de systmes de compensation et derglement instantans fonctionnant lchelle de lensemble de lconomie,comme ceux qui se sont imposs dans le domaine des transactions interbancai-res. Les efforts des autorits dans cette direction devront consister utiliser desapproches technologiques neutres, garantissant une interoprabilit rigoureuse(comme celle de lInternet o une norme de communication unique TCP/IP permet une vaste gamme de connections et dutilisations), respecter certains cri-tres sociaux essentiels relatifs au respect de la vie prive et la garantie dunaccs universel (protection juridique des particuliers et normes techniques deprotection obligatoires), et satisfaire des critres conomiques fondamentauxconcernant les exigences de confiance et de transparence (surveillance des agr-gats montaires, collecte de limpt, activits illgales, authentification). Cecisignifie donc que les institutions laborant et approuvant les normes au seinmme des diffrents espaces montaires et entre ces espaces, ainsi que les pro-cdures quelles adoptent dans ce but, auront un rle essentiel jouer.
Au moins deux grandes proccupations ont t exprimes en ce qui concerneles risques soulevs par un passage trop rapide des systmes montaires fon-ds sur le numrique : lune est que ce mouvement sape la fois les objectifs etles outils macroconomiques ; lautre porte sur lampleur du dfi en matire degouvernance (comment prendre et mettre en uvre les dcisions ncessaires),notamment au niveau mondial.
Sagissant tout dabord des aspects macroconomiques, une distinctionessentielle doit tre faite, des fins danalyse, entre espaces montaires isols etespaces montaires permables. Dans le cas dun espace montaire relativementautonome, dot dune hirarchie montaire stable fonde sur ltat, les motifs deproccupation semblent peu nombreux. Mme si lusage de la monnaie sous saforme physique est marginalis, ou disparat purement et simplement, la plupartdes experts saccordent dire quune banque centrale adosse un tat serait enmesure de contrler les taux dintrt court terme en achetant et vendant destitres obligataires, mme perte si ncessaire. Concernant les implications dunsystme montaire domin par une forme de monnaie numrique sur lvaluationdes agrgats montaires et de la vitesse de circulation de la monnaie, on peutsoutenir que les systmes de compensation et de rglement sur lesquels repose-rait un espace montaire virtuel pourraient offrir une plus grande transparenceaux autorits publiques. Les efforts actuels en matire de collecte des donnes seheurtent des problmes non ngligeables car la circulation de largent sous saforme matrielle reste trs coteuse suivre, alors mme que lutilisation desp-ces reste dominante dans de trs nombreuses oprations quotidiennes. Le pas-sage des systmes plus complexes, fonds sur la monnaie numrique etdpendant dune possibilit daccs universel des rseaux de compensation et
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de rglement, ouvre la possibilit dune vrification en temps rel de la quasi-totalit des oprations par volume et par type, sans ncessairement renoncer laconfidentialit. Contrairement certaines prvisions, largent sous sa formenumrique pourrait largement faciliter le suivi des agrgats montaires et dslors, amliorer lefficacit des mesures prises par les autorits pour atteindreleurs objectifs macroconomiques.
Dans le cas dun espace montaire beaucoup moins isol, il existe, du moinsen thorie, une menace plus srieuse pesant sur lefficacit de certains outils degestion macroconomique. Lexprience dinterpntration despaces montairesmontre comment lutilisation de monnaie extrieure peut menacer la monnaielocale. Cela peut conduire des situations dans lesquelles lefficacit des instru-ments disposition de la banque centrale en matire de politique montaire setrouve rduite. On a eu rcemment des exemples de situations o une monnaieextrieure, en lespce le dollar amricain, a produit de fortes perturbations, enRussie et surtout en Argentine, cest--dire dans des pays o les autorits ontadopt un rgime de caisse dmission. Si lon se place dans une perspectivemondiale, lintroduction dune monnaie de rseau universellement accessible etaccepte pourrait accrotre le risque que des devises extrieures fortes se substi-tuent des monnaies locales faibles. Si lon pousse lextrme ce raisonnement,cela pourrait alors se traduire par la cration dun seul espace montaire et dunehirarchie montaire unique lchelle mondiale. Sans se prononcer sur le carac-tre souhaitable ou non dune telle volution, question longuement dbattue parles tenants et les adversaires dun talon or , il est clair quil subsiste encoredes obstacles considrables. Premirement, la cration dun systme de transac-tion mondialis totalement ouvert et parfaitement indiffrent la monnaie utili-se va fortement lencontre des perceptions dintrt national et rgional.Deuximement, la force de la monnaie dominante au sein dun espace montairerepose sur le degr de confiance quont les agents dans la capacit des politiquessuivies par les metteurs servir lintrt gnral dans le respect de la lgitimitpolitique. En dpit de lanalyse faite par certains, selon laquelle le dollar destats-Unis, se trouvant plus ou moins en concurrence avec dautres monnaiescomme leuro et le yen, pourrait servir de monnaie numrique mondiale, les fon-dements institutionnels dun espace et dune hirarchie montaires au niveaumondial restent une perspective encore trs lointaine. De mme que les premi-res hirarchies montaires ne se sont pas constitues simplement parce quelargent est plus efficace que le troc, une monnaie numrique mondiale ne pourraapparatre de faon brutale. La cration dun espace et dune hirarchie montai-res au niveau mondial, comme auparavant au niveau national, suppose lexistencedune autorit lgitime et crdible.
La gouvernance constitue le second dfi adress toutes les stratgies quivisent acclrer la diffusion de la monnaie numrique. L encore, les problmes
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au niveau national semblent plus faciles grer quau niveau mondial. Dans unespace montaire national, beaucoup des bases institutionnelles, juridiques etrglementaires requises sont dj en place. Ainsi, linitiative hardie de Singapour dcrite par Low Siang Kok au chapitre 6 introduisant une monnaie numriqueuniversellement accessible, compensable en temps rel et permettant lensem-ble des agents conomiques deffectuer des transactions de particulier particu-lier, offre une srie dorientations prcieuses concernant la conciliation desprincipaux groupes dintrts et la fixation dobjectifs techniques en termesdaccs, dinteroprabilit, etc. Dans des juridictions plus vastes et plus diversi-fies, les autorits pourraient tre confrontes dautres difficults. On peutsattendre une premire rsistance de la part des banques et des autres inter-mdiaires tirant des recettes substantielles des dlais et de commissions lis autraitement des espces et de leurs substituts, gnralement dans un contexte desystmes de compensation et de rglement assez anciens. Des systmes numri-ques peuvent se traduire par une rduction trs importante de nombreux cotsde transaction, y compris au sujet du dlai requis pour la compensation des ch-ques, les commissions prleves sur les oprations de change et les dpensesinduites par les efforts de prvention, de rpression du vol despces et de lutili-sation despces voles. Compte tenu des avantages prsents par la monnaienumrique, il y a de fortes chances pour que les champions du changement puis-sent au moins russir lancer le dbat.
Des obstacles les plus difficiles surmonter pourraient survenir ultrieure-ment, lorsque lon sappliquera introduire de faon effective les rgles et lesnormes permettant de rendre oprationnels des systmes montaires numri-ques grande chelle et universellement accessibles. De srieux conflits verrontprobablement le jour tout simplement parce que ces paramtres dterminent lesconditions de concurrence sappliquant la fois la base, pour savoir quelles ins-titutions ont le droit dmettre de la monnaie numrique et, au niveau opration-nel, pour savoir quelles entreprises fourniront la technologie (matrielinformatique, systmes de gestion, etc.). Rsoudre les conflits dans ce domaine,dune faon qui permette le maintien de la confiance dans lespace et la hirar-chie montaires, constitue le principal dfi lanc aux dcideurs politiques. Unepartie du problme provient sans doute de la situation paradoxale dans laquellesont places les banques centrales. Dun ct, ce sont des institutions qui poss-dent la crdibilit et le savoir-faire ncessaires pour prendre linitiative du chan-gement dans la sphre montaire. De lautre, les actions qui pourraientdstabiliser le systme montaire ou miner la confiance envers la banque cen-trale risquent de saper les fonctions centrales de la banque. Cela signifie que ladirection politique des rformes devra probablement choir aux pouvoirs lgisla-tif et excutif, lesquels sont, dans tous les cas, mieux arms pour faire face auxdfis de surmonter les rigidits induites par la dfense des intrts acquis, ouvrir
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de nouveaux champs la concurrence et reprsenter les intrts les plus vastesde la socit dans le processus de transformation socio-conomique. En effet, silon se rappelle les deuxime et troisime tendances long terme de la monnaie,cest--dire le dveloppement des infrastructures rglementaires, il est lgitimeque la surveillance de lintgrit et du fonctionnement du systme de compen-sation et de rglement soit du ressort de la banque centrale et/ou des institutionscharges de la surveillance. En revanche, le dfi consistant fixer les objectifs etles rgles reliant le systme montaire la socit dans son ensemble relvenaturellement des chelons moins spcialiss de ltat. En bref, les capacits degouvernance au niveau national ou, dans le cas europen, rgional, sont proba-blement la fois adquates et suffisantes pour introduire une monnaie numri-que universelle.
Si lon se place au niveau mondial, le dfi se trouve considrablementcompliqu par les capacits limites des institutions et des procdures politi-ques internationales actuelles concernant les prises de dcision et leur mise enuvre. Cette carence de la gouvernance mondiale se manifeste travers un largeventail de problmes internationaux, allant du contrle de la concurrence larforme de larchitecture financire, en passant par la protection de lenvironne-ment et la justice sociale. De fait, ce sont bien les lacunes de la gouvernance mon-diale qui font craindre que lintroduction rapide de la monnaie numrique, enlabsence des normes et codes requis, ne conduise qu faciliter les activits ill-gales comme la fraude fiscale, le blanchiment de largent et les atteintes au droit la vie prive. Une approche de nature surmonter certaines de ces craintes et lesinsuffisances de la gouvernance suppose llaboration dun cadre commun auniveau mondial, pour lintroduction des rseaux nationaux de monnaie numri-que. Construire sur ces bases communes dans les espaces montaires nationauxpourrait faciliter lunification au sein dun rseau mondial, rendant alors superflule type dautorit centrale qui constitue jusqu prsent un pralable indispensa-ble ldification dun espace et dune hirarchie montaires efficients et dura-bles. Dans ce cadre, le systme mondial de compensation fonctionnerait commeles autres rseaux, quils soient sociaux ou numriques, en utilisant des protoco-les communs pour crer les conditions de transparence et de comprhensionessentielles la libert des communications et des changes.
La confiance dans un tel rseau mondial pourrait tre consolide, en partie,par la rpartition du risque sur le grand nombre et la grande diversit des transac-tions et des participants. Cependant, fixer des rgles et surveiller des rseauxmondiaux dcentraliss, en particulier sous langle de la visibilit et de la trans-parence exiges pour maintenir la confiance dans un systme montaire, impli-quera galement des politiques allant au-del des simples intrts nationaux. Lescirconstances actuelles encouragent dj les efforts dinnovation de ce type,comme la cration de lInternet Corporation for Assigned Names and Numbers
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(ICANN), organisation charge de superviser les lments cls de linfrastructuretechnique dInternet. Bien que lexprience mette en vidence les difficults trouver des moyens de formuler de manire lgitime un point de vue mondial, ilsemble probable que les facteurs conduisant ce type dvolution institution-nelle ne diminueront pas lavenir. En attendant, tant que les capacits de gou-vernance mondiale sont en phase de maturation, le dfi pour les autoritsnationales consiste acclrer lintroduction de systmes de compensation ins-tantane de particulier particulier, universellement reconnus et accessibles tous, pour toutes les transactions dans lensemble de lconomie. Les technolo-gies de linformation rendent cet objectif ralisable, mais finalement, seules lesrglementations et les institutions appropries pourront lui donner une ralit, auniveau local comme au niveau mondial.
Notes
1. Largent lectronique est aujourdhui devenu argent numrique, la transmission lec-tronique dinformations par tlgraphe ou tlphone ayant ouvert la voie aux codesinformatiques constitus des chiffres zro et un.
2. Il est au moins aussi difficile de reconstituer les cheminements des transactions vir-tuelles, et cela exige le mme type de tmoignage humain que dans le cas des transac-tions matrielles, une fois que les fichiers sont dfinitivement dtruits. A terme, lamonnaie numrique sera peut-tre mme considre comme plus anonyme que lesespces qui doivent tre, littralement, blanchies, afin den supprimer des signesrvlateurs comme lADN ou la radioactivit, parfois utiliss pour suivre la trace de cer-tains objets matriels.
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Chapitre 2
Les trajectoires de la monnaie
par
Michel AgliettaUniversit de Paris X Mini forum et CEPII
Introduction
Dans lunivers indo-europen, la monnaie est un fait de civilisation qui a uneprofondeur de temps vertigineuse. Bien avant linvention des pices frappes audtail dans les cits grecques de la mer ge au VIIe sicle des traces crites delpoque sumrienne Ur au IIIe millnaire dsignent des actes qui font tatdargent avant notre re, frapp la tte dIshtar. Ctait la desse-mre, symbolede la fcondit ; mais aussi la desse de la mort. Ainsi lambivalence de la mon-naie marque-t-elle ds les origines lambigut du lien social : mdium de coh-sion, de pacification dans la communaut, mais aussi enjeu de pouvoir et sourcede violence.
La monnaie surplombe lconomie marchande telle que nous la connaissonsde si haut et de si loin que son ombre porte jette une suspicion sur le discoursconomique majoritaire. Dailleurs ce discours suscite un malaise au sein de laprofession. Hahn na-t-il pas affirm que laporie de la thorie de la valeur se trou-vait dans lincapacit de rendre compte de luniversalit et de la prennit duphnomne montaire ?
Les conomistes ne peuvent donc pas accueillir lhistoire de la monnaiecomme une histoire naturelle qui ferait immdiatement sens. La confrencede lOCDE invite prendre la perspective selon laquelle la monnaie est une forcemotrice du changement conomique et social. Cette hypothse est incompatibleavec la neutralit de la monnaie qui est lexpression thorique de