L’AUTORITE…DE JESUS DE NAZARETH éditorial · 1 L’AUTORITE…DE JESUS DE NAZARETH éditorial...

24
1 L’AUTORITE…DE JESUS DE NAZARETH éditorial On trouve au chapitre premier de l’évangile de Marc, un récit qui raconte comment, un jour de sabbat, Jésus est entré dans la synagogue de Capharnaüm et y enseignait. Marc nous fait part de la réaction du « public » : « Et ils étaient frappés de son enseignement, car il les enseignait comme ayant autorité, et non comme les scribes ». L’instant d’après, dans cette même synagogue, Jésus délivre un homme possédé d’un esprit impur qui criait : « Que nous veut-tu Jésus le Nazarénien ? Es-tu venu pour nous perdre ? Je sais qui tu es, le Saint de Dieu. Et Jésus le menaça en disant : Tais-toi et sors de lui . Et le secouant violemment, l’esprit impur cria d’une voix forte et sortit de lui. Et ils furent tous effrayés de sorte qu’ils se demandaient entre eux : Qu’est cela ? Un enseignement nouveau donné d’autorité. Même aux esprits impurs, il commande et ils lui obéissent »Mc,1,21 à 28 Plus loin dans le même évangile, on voit les chefs des prêtres et les scribes interroger Jésus qui a chassé les vendeurs du temple et lui demander « par quelle autorité fais-tu cela ? qui t’a donné cette autorité pour le faire ? » Mc 11,28 On dirait : qui t’a permis, qui t’a autorisé à faire ce que tu as fait ? Autoriser, c’est permettre. Quelqu’un autorise. Quelqu’un permet. Faisons un peu d’étymologie, c’est à dire poursuivons cette recherche de l’origine du mot autorité pour mieux en découvrir le sens. L’histoire du mot autorité d’après le dictionnaire historique de la langue française ROBERT est la suivante : « Autorité est un emprunt ancien au latin auctoritas, dérivé de auctor, désignant le fait d’être auctor, c’est-à-dire fondateur, instigateur, conseiller, garant, vendeur, possesseur, et aussi auteur responsable d’une œuvre. Parmi les sens du mot auctoritas, on relève « pouvoir d’imposer l’obéissance » et « crédit d’un écrivain, d’un texte », notamment en latin d’église, d’un texte révélé ». On peut donc dire que l’autorité dont fait preuve Jésus dans son enseignement et dans ses gestes de guérisons, renvoie à son identité, à ce qui le fonde.

Transcript of L’AUTORITE…DE JESUS DE NAZARETH éditorial · 1 L’AUTORITE…DE JESUS DE NAZARETH éditorial...

1

L’AUTORITE…DE JESUS DE NAZARETH éditorial

On trouve au chapitre premier de l’évangile de Marc, unrécit qui raconte comment, un jour de sabbat, Jésus est entrédans la synagogue de Capharnaüm et y enseignait.

Marc nous fait part de la réaction du « public » : « Et ilsétaient frappés de son enseignement, car il les enseignaitcomme ayant autorité, et non comme les scribes ».

L’instant d’après, dans cette même synagogue, Jésusdélivre un homme possédé d’un esprit impur qui criait : « Quenous veut-tu Jésus le Nazarénien ? Es-tu venu pour nousperdre ? Je sais qui tu es, le Saint de Dieu. Et Jésus lemenaça en disant : Tais-toi et sors de lui . Et le secouantviolemment, l’esprit impur cria d’une voix forte et sortit de lui.Et ils furent tous effrayés de sorte qu’ils se demandaient entreeux : Qu’est cela ? Un enseignement nouveau donnéd’autorité. Même aux esprits impurs, il commande et ils luiobéissent »Mc,1,21 à 28

Plus loin dans le même évangile, on voit les chefs desprêtres et les scribes interroger Jésus qui a chassé lesvendeurs du temple et lui demander « par quelle autoritéfais-tu cela ? qui t’a donné cette autorité pour le faire ? »

Mc 11,28

On dirait : qui t’a permis, qui t’a autorisé à faire ce que tu asfait ?

Autoriser, c’est permettre. Quelqu’un autorise. Quelqu’unpermet.

Faisons un peu d’étymologie, c’est à dire poursuivons cetterecherche de l’origine du mot autorité pour mieux en découvrirle sens.

L’histoire du mot autorité d’après le dictionnaire historiquede la langue française ROBERT est la suivante : « Autorité estun emprunt ancien au latin auctoritas, dérivé de auctor,désignant le fait d’être auctor, c’est-à-dire fondateur,instigateur, conseiller, garant, vendeur, possesseur, et aussiauteur responsable d’une œuvre. Parmi les sens du motauctoritas, on relève « pouvoir d’imposer l’obéissance » et« crédit d’un écrivain, d’un texte », notamment en latind’église, d’un texte révélé ».

On peut donc dire que l’autorité dont fait preuve Jésus dansson enseignement et dans ses gestes de guérisons, renvoie àson identité, à ce qui le fonde.

2

Commentant les versets 21 et 22 du chapitre premier deMarc, l’exégète Jean DELORME écrit : L’enseignement desscribes « prend place dans une structure socio-religieusedans laquelle il est crédité d’un certain poids de vérité. Jésusne bénéficie pas de cette garantie. Il n’a que sa parole etc’est par elle que peut s’attester ce qui l’autorise. C‘est eneffet du point de vue des auditeurs que cette différence avecles scribes est faite. L’autorité lui est reconnue à laréception. Il n’a pas besoin de la revendiquer. Il ne s’agitpas de forte affirmation de soi. C’est le fait d’être touché quiauthentifie la parole reçue. Le texte suppose une qualité deparole capable de s’authentifier dans un sujet d’écoute. Ilsuppose aussi que l’auditeur est capable de la reconnaître enécho en lui-même. Cela ne tient pas à la fonction et nedépend des critères communément admis (mandat,délégation de pouvoir, diplôme...). Le vrai de la parole se faitreconnaître parce qu’elle parle en ceux qui la reçoivent.Celui par qui elle passe n’en est pas la source, mais letémoin ».

L’autorité de Jésus vient de Celui qui en est la source.Ceux qui reçoivent sa parole en vérité, se rendent comptequ’elle touche en eux quelque chose de très profond, qu’elleles bouscule, qu’elle leur fait faire des déplacements intérieurs

étonnants. Leur vie en sera transformée pour leur bien.L’autorité de la parole de Jésus fait grandir.

Mais cela concerne-t-il l’autorité que nous pouvons exerceren tant que parent, éducateur, employeur, chargé d’uneresponsabilité, d’une autorité publique, religieuse, etc ?

Bien sûr. Comme Jésus , je peux dire une parole qui ferabouger, qui aidera l’interlocuteur à grandir ou au contraire, jepeux chercher surtout l’affirmation de moi-même.

L’autorité de Jésus c’est celle qui fait grandir l’autre, qui leconduit à la vie. Elle révèle ainsi le Père qui l’a envoyé pourcela.

« Je suis venu pour que les hommes aient la vie et qu’ilsl’aient en abondance » Jn 10,10

Bonne fin de carème 2003, Bonnes célébrationspascales… pour la vie .

Philippe GUIBARD, prêtre

3

L’AUTORITE dossier

• D'où ça vient ?

Le fait d'être l'auteur (même racine quele mot "autorité"), le créateur est aussice qui légitime le pouvoir d'orienter lecomportement de la créature - sansdoute y a-t-il lien avec l'image du père

Le concept d'autorité formelle ouinformelle se trouve dans beaucoup dedomaines, de la famille à l'armée, enpassant par le système éducatif et lesystème professionnel.

• Ces systèmes ne portent pastous la même légitimité :

il y a des systèmes tels la famille quisont normalement fondés sur lacréation et le développementd'humanité; à l'autre extrémité, lesystème économique est organisé pourcréer de la richesse : "les gens ont dessentiments, les entreprises ont desintérêts". Le fondement de l'autorité n'yest donc pas le même.

• L'attitude des porteurs del'autorité contribue àl'établissement de sa légitimité :

Vécue comme un service, portant lesvaleurs, cherchant à comprendre lesgens qui lui sont confiés dans le cadrede leur mandat, tirant parti despossibilités de décision que le hasardamène pour faire grandir les gens, ledétenteur de l'autorité a un rôle clédans la légitimité de tout le systèmequ'il représente.

D'où peut-être la blessure ressentiequand notre hiérarchie catholiqueaméricaine semblait tergiverser sur lareconnaissance d'actes inacceptablescommis par son clergé.

• Le jeu de l'autorité s'exercesous trois modes :

- des règles : elles indiquent l'action oule comportement à observer en telle ou

telle circonstance.Depuis le "ne mets pas tes doigts dansla prise de courant" jusque "vouscommunierez en commençant par lesallées latérales". La règle n'est engénéral pas trop compliquée ; elle rendles choses prédictibles, mais elles dé-responsabilisent. Si ça ne marche pas,c'est l'auteur de la règle qui estresponsable, et non l’exécutant.

- des objectifs : ils créent un espace deliberté et permettent de déléguer lesmodalités d’exécution. Le fait dedonner des objectifs dit implicitementque le détenteur de l'autorité vérifieraleur atteinte. Ils permettent aussi àl'autorité d'opérer une délégation réellesur les modalités des actions (peut-êtredans le cas de règles garde-fou - laLoi, par exemple).

- des valeurs, une éducation: c'est cequ'on fait quand on s'adresse à desêtre libres qui nous survivront (ex : nosenfants). Ils se choisiront leurs propresobjectifs, mais nous essayons de leur

4

donner ce qui nous parait le plusessentiel, ce qui fait le sens, et surlequel ils construiront leurs propresobjectifs et comportements.

Je pense que la relation d'autorité dansla durée est toujours un mélange deces trois modes, et que c'est dans lechoix judicieux de ce mélange enfonction des circonstances et desacteurs qu'on peut à la fois fairemarcher le système et faire grandir lesgens.

En conclusion, Norbert Segard, qui futministre des PTT dans les an-nées 70avait écrit cette prière d'un ministre :

Eric PIAT

Seigneur, faites que je voie les choses à fairesans oublier les personnes à aimer,que je voie les personnes à aimersans oublier les choses à faire.

Faites que je voie les vrais besoins des autres ;C'est si difficilede ne pas vouloir à la place des autres,de ne pas répondre à la place des autres,de ne pas décider à la place des autres.C'est si difficile, Seigneur,De ne pas prendre ses désirsPour les désirs des autres,De comprendre les désirs des autresQuand ils sont si différents des nôtres.

Seigneur, faites que je voieCe que vous attendez de moi parmi les autres.Enracinez au plus profond de mon être cettecertitude :"On ne fait pas le bonheur des autres sans eux"

Seigneur, apprenez-moi à faire les choses enaimant les personnes,Apprenez-moi à aimer les personnes pour netrouver ma joieQu'en faisant les choses pour elles,Et pour qu'un jour elles sachentQue vous seul, Seigneur, êtes l'Amour

5

L’AUTORITE, OU GAGNER LES CŒURS dossier

Après des décennies de « laisser-dire, laisser-faire », « avoir la paix »,voire « il est interdit d’interdire ! », voilàque sécurité et autorité reviennent àl’actualité.

D’un côté les parents et lesenseignants, de l’autre les enfants etles adolescents… les jeunes !

Faut-il rappeler que ces jeunes, nosjeunes ! sont en période de croissance,de maturation, à la fois physique etpsychologique. Ils n’ont pour seulsrepères (ou exemples ?) que ce qu’ilsvoient et entendent au sein de leurfamille, à l’école, les copains, à latélévision… etc…

Enfants, et c’est normal, ilscherchent à imiter et même à aller plusloin, à tester par leurs demandes, leursexigences, ou simplement par leurcomportement, la résistance desparents et des enseignants. Malheur àceux qui « plient » pour êtretranquilles… jusqu’à la prochaine fois !

Adolescents, ils vivent une périodedifficile pour eux-mêmes et pour leurentourage, en cherchant, ce qui estégalement normal, à s’autonomiser vis-à-vis de la famille : il faut bien deveniradulte, c’est-à-dire responsable !

Comment alors accompagner cesjeunes lors de ces différentes étapes ?Fénelon n’écrivait-il pas dans « LesAventures (sic) de Télémaque » :« L’autorité seule ne fait jamais bien ;la soumission des inférieurs ne suffitpas : il faut gagner les cœurs » etVoltaire dans le « Dictionnairephilosophique » : « ne cherchez jamaisà employer l’autorité là où il ne s’agitque de raison… »

Notre responsabilité de parents,d’éducateurs, d’enseignant, n’est pasaisée : fixer des limites, des barrièressans imposer mais plutôt eninfluençant, en s’aidant de notre proprevécu.

Vaste programme ! Nous savonsbien qu’il n’existe pas de recette

infaillible, sinon celle-ci serait connuedepuis longtemps !Peut-on suggérerquelques réflexions (de bon sens…) ?

• A LA MAISON, tout d’abord.

Il faut que les parents soient tous deuxd’accord sur l’attitude à avoir etrécusent les expressions : « Tu vasvoir ce soir ton père ! » « d’accord, jete laisse faire ceci mais ne le dis pas àton père.. ou à ta mère… ! »

Une autre nécessité est de trouverle moment opportun. Faisons à cepropos une suggestion. Ne peut-onpas profiter du dîner, le soir, pourdébattre en famille de tel ou telproblème ? Il arrive malheureusementque ce repas ne soit pas pris encommun ; chacun se sert comme ilpeut en regardant la télévision et on nese parle plus ! Le repas ne doit-il pasêtre l’occasion d’un partage,d’échanges, voire même une fête ?

C’est ainsi que l’on reçoit de lafamille, des amis. Chrétiens, nousavons en mémoire la Cène et nous

6

partageons l’Eucharistie. L’enfant abeaucoup à dire sur ce qui constituel’essentiel de sa journée, l’école, lesmaîtres, les copains etc… Encore faut-il qu’il ressente l’intérêt des parents etdes frères et sœurs. Et si télévision il ya, avant ou après le dîner, unediscussion sur ce que l’on a entendu,ce que l’on a vu, permet de proposerdes lignes de conduite (Dieu sait si lesoccasions ne manquent pas !)

Les problèmes de l’adolescent sontplus particuliers. celui-ci ne se confiepas à n’importe qui ; il ne veut surtoutpas d’un « Tribunal parental ». Unentretien « seul à seul » estcertainement préférable, plus aisé si ledialogue existe depuis le plus jeuneâge.

• A L’ECOLE Bien desincompréhensions existent quant à samission : simple lieu de transmissiondes connaissances ? Ou relaiséducatif ? Certains enseignants ontune autorité « naturelle », d’autresmoins…

L’erreur serait, à la maison, dedénigrer les enseignants devantl'enfant. Le dialogue, le respect mutueldoivent être à la base des relationsentre enseignants et parents. Relisonsce qu'écrivait Georges Duhamel dans« Récits de temps de guerre » : « Il n’ya d’autorité vraie que basée surl’amour et le respect, le seul respectprofond, le respect intérieur Dialoguer !Ecouter l’autre ! Le respecter !Réapprendre aux jeunes, mais aussiaux adultes, qu’ils ont des droits maisaussi des devoirs ! Qu’ils devront, quenous devons tous vivre en société !

Pour terminer, une anecdote : lesparents de l’un de nous deux, excédésun jour par leur progéniture, ont faitl’acquisition d’un martinet (était-ce labonne solution ?). Inutile de dire quecet instrument a été le soir mêmeenterré dans la cour par l’un de leurssept enfants… Il paraît que l’on envend encore !

Michel et Monique ODIEVRE

7

LE MARCHE ET L’AUTORITE dossier(L’autorité dans le monde économique)

Depuis les années 90, lecapitalisme s’impose comme lemode d’organisation dominant deséconomies : son efficacitéproductive lui a valu cettereconnaissance quasi universellecomme norme d’organisation.Certains y ont perçu la fin del’histoire : l’affrontement de deuxsystèmes antagonistes s’achevaitdans la victoire éclatante del’économie de marché.

Le capitalisme est un système quivalorise la liberté et le marché : leséconomies capitalistes sont ainsidénommées économies libérales demarché. L’articulation de la liberté etdu marché semble laisser peu deplace à l’autorité. Et pourtant, il noussemble que la liberté comme lemarché ne peut s’exprimer sansautorité.

Il suffira pour s’en convaincrede parcourir la littérature théoriqued’inspiration néoclassique analysantle fonctionnement des marchés, desouligner les caractéristiques réellesde fonctionnement des marchés, etles appels présents à la gestion desmarchés mondialisés.

La notion économique demarché n’a que peu de chose à voiravec le marché aux fruits etlégumes hebdomadaire de laménagère accomplie. Le termedésigne le lieu virtuel où serencontrent les offreurs et lesdemandeurs d’un bien et sur lequelse forme le prix. Il a été analysé ausein des courants économiques ditsclassiques et néoclassiques,comme le mode d’organisation leplus efficace économiquement (celuiqui est en mesure de fournir le plusde biens possibles au plus grand

nombre), et celui qui peut conduireà une situation optimale. Lefonctionnement idéal du marché estcependant soumis à deuxconditions : la perfection de laconcurrence et la liberté des agentséconomiques. De complexesmodèles mathématiquesaboutissent à ce constat optimistedu meilleur des mondes possiblescompte tenu de l’inévitablecontrainte de rareté des ressources.

Mais le paradoxe éclate de façoninhérente à ces belles constructionssophistiquées : la concurrence peut-elle se maintenir sans autorité, laliberté des échanges peut-elleaboutir sans autorité .

Adam Smith, fondateur duparadigme classique, considère quele marché fonctionne comme si unemain invisible assurait l’équilibre du

8

marché. Léon Walras, figureemblématique du courantnéoclassique, ne peut expliquer laréalisation de l’équilibre sans fairel’hypothèse d’un commissaire-priseur fictif qui accorderait lesoffreurs et les demandeurs. Biensûr, la main reste invisible, et lecommissaire-priseur n’est quevirtuel : l’hypothèse de parfaiteliberté des opérateurs sur lesmarchés est maintenue. Mais sansces considérations sur cette mainimaginaire ou cet agent fictif,l’équilibre du marché est introuvableet reste un cas d’école. L’autoritéest donc un élément essentiel aufonctionnement même des marchés,même si sa valeur n’est qu’entreaperçue dans les analyseséconomiques orthodoxes fondéessur le credo libéral.

La réalité du fonctionnement desmarchés souligne cet impératifd’autorité.Le paradoxe de la concurrenceapparaît lorsque le cadre statiquedes néoclassiques est dépassé. Defaçon dynamique (c’est-à-dire enconsidérant le temps), laconcurrence porte en elle-même lesgermes de son autodestruction. En

effet, la concurrence est unesituation peu confortable pour lesfirmes (contrainte à l’efficacitémaximale pour conserver des partsde marché, à partager les éventuelsprofits du marché), si bien quechacune d’elles cherchera à sesoustraire à la contrainte qu’ellereprésente.

Ainsi, tout marché laissé à lui-mêmerisque de devenir un monopole : lesfirmes les plus offensivesélimineront les plus faibles pourdominer le marché, imposer leurprix à des consommateurs captifs.

La politique de la concurrence n’ad’autre fondement que le constat del’impossible pérennité de laconcurrence sans autoritélégislatrice.

La nécessité d’une autorité s’est faitjour de façon encore plus nette auniveau des marchés financiers. Cesmarchés qui assurent lefinancement de l’économie ou lacouverture des risques, peuventêtre le lieu d’opérations indésirablesdu fait de phénomènes d’asymétriesinformationnelles. Le contrôle desmarchés par des autorités de tutelles’est imposé comme une nécessité

pour éviter le risque de système(c’est-à-dire le risque de crisefinancière grave).

Il apparaît donc évident que lemarché, lieu par excellenced’expression du libéralisme, ne peutassurer l’épanouissement de laliberté économique sans l’encadrerpar l’autorité.

C’est cette évidence qui constitue lepoint central du débat récent sur lamondialisation. La mondialisation sedéfinit de façon objective commel’extension des échanges demarchandises, de services, defacteurs de production et decapitaux.

Elle constitue un phénomène ancien(les premiers échangesinternationaux importants datent duXVIème siècle) qui a connu uneaccélération particulièrement vive àla période récente. Elle eststigmatisée par beaucoupaujourd’hui de façon négativecomme une manifestation cruelled’une capitalisation à outrance. Etpourtant, il faut reconnaître deuxévidences : la première est que lemondialisation est une tendanceinévitable, liée à des évolutions

9

technologiques en particulier surlesquelles il n’est plus possible derevenir ; la seconde, c’est que lamondialisation est globalementprofitable à l’ensemble del’humanité. Et ce n’est pas pécherpar excès d’optimisme qued’observer les statistiqueséconomiques en la matière. Unefois admis ces deux faits, il fautaussi admettre que lamondialisation ne manifeste pasque des aspects positifs. Ce qui estglobalement satisfaisant, n’est pastoujours individuellement ouécologiquement souhaitable.

Alors, face aux maux de lamondialisation, parmi lesquels onplace souvent l’exploitation deressources humaines ou desressources naturelles, que faire ?

La question est celle de l’autorité.Elle est traduite en économie par lestermes de gouvernance desmarchés nationaux. Cettegouvernance nationale semble deplus en plus impuissante face auxnouveaux cadres de l’économie –monde. Et c’est ainsi qu’est apparuce débat récent sur la gouvernancemondiale.

Les organisations internationales sesont essayées à gérer lamondialisation : leur action estsouvent critiquée. Les Etats les pluspuissants, s’autorisent quelqueautorité mondiale, et sont alors sousle feu des anti–mondialisations(c’est l’exemple des sommets deDavos qui tentent de réfléchir auxmodalités d’une gestion saine de lamondialisation et sont si décriés).

Ainsi, la question de lamondialisation se dissout dans cellede l’autorité. Le phénomène est là, ilreste à l’encadrer dans les frontièresd’action définies par une autorité.

Mais instaurer une autorité quitranscende les frontièrestraditionnelles de l’Etat nation est undéfi presque démesuré pour unehumanité si différenteéconomiquement.

L’autorité est donc au cœur dufonctionnement des marchés,comme un principe même de leurbon fonctionnement.

Le libéralisme ne survit que sous uncertain dosage d’autorité : c’est unprincipe vital. L’économie capitaliste

s’essaye à combiner la liberté etl’autorité dans un mix toujours àretravailler dans le cadre desmodalités renouvelées du mondeéconomique.

Si l’autorité est vitale au marché,c’est parce que l’économique n’estqu’une réalité particulière del’humain, et que l’humain neconstruit probablement sa libertéque sous l’emprise d’une autorité.Mais il faut alors clore le propos del’économiste et laisser ici la paroleaux philosophes.

Anne-Marie DELAIR

10

L’AUTORITE : UN MOT QUI FAIT PEUR ? dossier

Jésus enseigne dans la synagogue enhomme « qui a autorité, et non pascomme les scribes », nous rapportel’Evangile de Marc.

Ce qui impressionnait les auditeurs deJésus, c’était l’authenticité de sonmessage, la correspondance parfaiteentre ses paroles et sa personne,personne divine certes. Alors que lesscribes, interprètes de la loi seretranchent derrière des textes : ilsreprésentent une des « Autorités » del’époque du Christ.

Nous avons là deux aspects du mot :« autorité », un mot bien mal compriset bien mal accepté aujourd’hui, peut-être justement parce qu’il recouvre desnotions qu’on a confondues.

Oui, nous vivons en société, et celasuppose un ensemble de règles qui,même si elles évoluent constamment,n’en constituent pas moins un codeadmis généralement par tous les

citoyens. Et à toute infractioncorrespond une sanction. Certains ontpour mission de faire respecter la loi etdonc d’appliquer des sanctions s’il lefaut : gendarmes, magistrats, préfets,etc… Ils représentent l’autorité. Etdans tous les domaines où l’onretrouve une structure sociale, jepense que cette autorité a sa place (àl’école comme sur un terrain de sport,en famille comme dans la rue).

En revanche, dans le domainereligieux, je ne vois pas que ce typed’autorité ait sa place ; à moins deréduire la foi à un ensemble dedogmes !

Mais, à côté de cet aspect « respect dela loi », nous distinguons bien un autresens du mot autorité qui découledirectement de l’étymologie (auto : êtrel’auteur) et nous amène inévitablementà la notion de responsabilité. Ellesuppose chez celui qui l’exerce nonseulement une compétence riche mais

une parfaite cohérence entre sesparoles et ses actes. Elle estl’expression d’une expérience vraie,vécue ; d’où l’accent d’authenticitéindispensable pour être reçue. Et lesjeunes ne s’y trompent pas, on ne seretranche pas derrière des principes oudes traditions.

Et c’est pourquoi cela éveille aussi lesens de la responsabilité chez celui surqui elle s’exerce. Elle ne fait paspression mais permet à l’autre de sesentir exister, librement, sur ses pieds.

L’autorité peut-elle d’ailleurs avoir unautre but que de rendre les individusresponsables ? 1

1 A moins qu’on cherche à faire descitoyens un ensemble de crétins repusqui ne résistent plus… Pas impossible !

11

C’est évidemment le domaine del’éducation, de la formation (à tous leséchelons de la société). Et, envisagéeainsi, l’autorité y a toute sa place.

Grandir, devenir adulte, se sentirl’auteur de ses actes, de sa vie, c’estun cheminement tellement difficile,jamais achevé, où l’on a besoin deguides, de la perspicacité et del’expérience de ceux qui ont déjàparcouru un bout de chemin.

Guider, soutenir, encourager maisaussi exiger, interdire ou réprimer,sans jamais casser ou étouffer. Il y fautdu courage et pas seulement chercher« à faire plaisir ». Mais ceux qui ontcharge d’autorité ont aussi à fairedécouvrir qu’il y a un sens à cette vie,une petite étoile vers laquelle avancer,en ce sens, oui, nous connaissons bienune crise d’autorité. Notre époquemanque cruellement d’images deréférence, de grandes figureshumaines à imiter, d’exemples àsuivre. Quel idéal leur proposons-nous ? … Ça vole bien bas !

Et puis les jeunes demandent auxadultes d’oser affirmer leurs idées,leurs désaccords. Cela rassure etdésangoisse. Oui, il y a des chemins

qui mènent à la vie, il y en a d’autresqui mènent à la mort, à la haine.N’ayons pas peur de nous montrer, deparaître « démodés ». C’est cela lavraie autorité qu’ils attendent.

Solange Le CHEVALIER

12

DANS L'ENTREPRISE, LA SOUHAITABLE dossierCONVERGENCE DE L'AUTORITE …ET DU POUVOIR

Quelle bonne idée de la part du Comitéde Rédaction de Germinal de nouslancer sur le thème de l'autorité car :" A la jointure de la pensée et del'action, l'expression humaine, verbaleet plus encore écrite, est une phasedécisive.Il est impossible d'exercer uneautorité sur les hommes ou de dominerles événements si, d'abord dans lesilence de la méditation et dans l'effortsolitaire, nous ne cherchons pas àtraduire en mots notre expérience,notre vision, notre volonté."Cette citation de l'historien et hommepolitique Alexis de Tocqueville (1805-1859) m'a amené, d'abord commeresponsable en entreprise, puiscomme consultant, à réfléchir et à faireréfléchir de nombreux cadres etdirigeants sur leur pratique del'autorité.En effet, le langage commun etl'observation de ce qui se vit dans lesentreprises démontrent la confusioninstallée dans les esprits sur ce thème.Je vous livre donc le fruit d'une

réflexion personnelle puis collective,mise en forme à l'intention des lecteursde Germinal.Le langage commun, d'abord, qui parleindifféremment des "pouvoirs publics"et, pour désigner les mêmes, des"autorités de l'Etat". Le Petit Robertentretient cette confusion, puisque lapremière définition qu'il donne indiqueque l'autorité est le "droit decommander, le pouvoir (reconnu ounon) d'imposer l'obéissance".Alors, qu'en est-il exactement etcomment une clarification et uneréflexion sur la nature et les formesd'autorité peut-elle aider cadres etdirigeants à mieux diriger les hommeset les femmes dans l'entreprise et plusgénéralement dans toute organisation.La première autorité qui s'exerce dansl'entreprise est celle que confère à sesdirigeants le droit commercial et lesstatuts rédigés conformément à la loi.Au-delà des statuts ce sont desrèglements, des politiques, desdélégations, des procédures… qui vont

définir ce que nous appelleronsl'autorité statutaire. C'est l'autoritéhiérarchique*, l'autorité du chef quidonne des ordres. Le détenteur dupouvoir (de l'autorité statutaire) estacteur. Il a le droit (la capacité?) d'agir,de mettre les autres en mouvement etéventuellement de contraindre.La cohésion de l'organisation (équilibredes pouvoirs, respect descompétences, affectation des moyens,culture d'entreprise...) dépend de lavolonté de l'institution de fairerespecter les décisions de la hiérarchiedu haut jusqu'en bas : c'est la rigueurdans la gestion.On pressent donc que l'exercice dupouvoir – de l'autorité statutaire – peutgénérer de l'inquiétude. Il est pourtantà la base du fonctionnement desorganisations.En dehors des articles de la loi, iltrouvera ses limites, selon lescirconstances, dans les contre-pouvoirs (syndicats, groupes depressions,…), le contournement,

13

l'anarchie ou son contraire la grève duzèle.En second lieu, l'entreprise étantaussi le rassemblement de multiplescompétences, nous reconnaissonsl'autorité de supériorité technique.Nous préférons ces termes à ceux plussouvent employés d'autorité decompétence, tant il est vrai que nousne reconnaissons et n'acceptons - ensait plus que nous!C'est l'autorité appuyée sur le savoir,l'autorité du spécialiste, de l'expert.Nous reconnaissons sa compétence(supérieure à la nôtre!) dans undomaine particulier (la finance, larésistance des matériaux, ou lacollecte des champignons,…). Elle estdonc limitée, vulnérable, volatile. Ellene peut se maintenir que par l'effortcontinu d'une mise à jour permanentepour coller aux évolutions rapides queconnaissent les techniques et lessavoirs de tous ordres.Enfin, "last but not least", l'autoritépersonnelle. C'est l'autorité du leader,du meneur d'hommes. C'est lacapacité d'influencer. C'est unedimension personnelle qui s'appuie surl'exemple et confère un ascendantmoral sur les autres. Sa légitimité sereconnaît à ce qu'elle s'exerce dans lesouci du Bien commun.

Elle se développe dans la libertélaissée à chacun, dans une relation deconfiance, pour obtenir l'adhésion descollaborateurs aux objectifs de l'unité.Elle est au service des autres pour lesaider, les orienter, les faire grandirdans leurs fonctions et leursresponsabilités. Il faut du temps pourl'installer et en faire la base dudéveloppement des personnes aucours de leur vie professionnelle.Même si les circonstances de la vie (lemilieu social, l'éducation, lesexpériences vécues) favorisentcertains plutôt que d'autres, l'autoritépersonnelle est pratiquement sanslimite si l'on sait prendre les moyenspour l'accroître ; c'est pourquoi nouspréférons dire qu'elle n'est pas innéemais sans cesse à acquérir. C'est làque l'étymologie du mot autorité prendtout son sens : du latin auctor = auteur,c'est-à-dire celui qui est créatif, faitœuvre originale, sait construire etconduire en donnant sens ou endonnant à rêver!Pour nous chrétiens, cette formed'autorité de service ne peut nouslaisser insensibles, le Christ s'étant faitserviteur de ses disciples (cf. lelavement des pieds, etc.…).

Ces trois formes d'autorité sont lestrois cordes sur lesquelles toutepersonne ayant la responsabilitéd'autres personnes est invitée à fairedes gammes, chacune selon sescapacités propres.Toute organisation** qui sait fairereposer son management sur ces troispiliers (vous avez sûrement remarquéqu'un trépied trouve facilement sastabilité) est, plus que d'autres,assurée de son efficacité et par lamême de sa pérennité, tant il est vrai,que l'autorité, telle que nous venonsde la définir, est le fondement dupouvoir.

Jean-François VASSEUR

*De hieros = sacré et arkhein =commander. Celui qui est aucommencement (caput = la tête, doncle chef) c'est celui qui a lecommandement. On parle souvent du"chef de droit divin" ; erreur ! c'est ledevoir qui est sacré.

** En grec harmonie se dit "organon",même racine pour organisation.Organiser ce serait donc mettre del'harmonie !

14

EXIGENCE ET LIBERTE dossier

Voici déjà deux ans, le CardinalRatzinger, chef de la congrégationpour la doctrine de la foi, tapait dupoing sur la table et publiait «DominusIesus ». Sitôt lu, sitôt dit : lesimprécations s’abattirent sur ladéclaration et sur son auteur commeune volée de tomates mûres :intolérance, obscurantisme, inquisition,rejet, exclusion... Et pourtant… pas dequoi reconstituer une forteresse,grillager les accès et barrer les issues.Juste de quoi consolider les mursporteurs d’un très vieil édifice, etsurtout parer aux coups de boutoirsd’un relativisme religieuxdangereusement acrobatique : onexigerait du chrétien (du chrétienseulement) d’être à la fois investi corpset âme dans ce qu’il considère commevrai et d’observer son choix del’extérieur, comme l’un des avatarspossibles d’une vérité qui, déjà, ne luiappartiendrait plus...

Étrange tour de force et d’élasticitémentale, qui méritait bien d’être

dénoncé. Il est vrai que la controverseportait davantage sur les rapports descatholiques romains avec les autresÉglises chrétiennes. N’importe, cetacte d’autorité confisquait nosconsciences et notre liberté.

Pour paraphraser une citation faitedans l’un des éditoriaux de Germinal,je dirais que, trop souvent, « leschrétiens vivent dans un monde à eux,où tout se ramène à des débatsd’idées entre chrétiens, le monde quiles observe n’existe pas pour eux ».

Mais pour ceux qui, sortis du cercleparoissial, ont à justifier tous les jours,dans leur famille, à leur travail, cettereligion qui est la leur avec seslacunes, ses faiblesses, ses silences,ses compromis souvent siincompréhensibles au regard desautres, « Dominus Iesus » représentaitbien autre chose qu’une leçon decatéchisme : la simple affirmationd’une identité.

Une nécessité d’autant plus grandeque notre foi se trouve confrontée àd’autres religions, en particulier l’Islam,dont l’intransigeance sourcilleuse,quand ce n’est pas l’intégrisme, susciteplus souvent l’admiration et le respectque la critique. Avons-nous bienconscience, nous qui sommes acquis àdes principes de fraternité et detolérance, qu’en dépit d’un discoursofficiel complètement décalé, les vraiesfascinations de ce siècle portent sur laloi du plus fort et sur la violence ?

« Cette folle volonté de bien... », titraitun article du Figaro où l’auteur, MichelMaffesoli, commentait la faillite dessociétés qui pensent faire l’économiedes ténèbres et de la mort, et refusentde prendre en compte la « créativité dumal ».

Avec la renaissance d’un idéal néo-païen défendu par des philosophes,des historiens et des écrivains detalent, le rejet de nos racineshébraïques jugées étrangères à la

15

tradition et à la culture européenne, laremise en cause de cette morale dubien et du mal - dont le terrorismeinternational, tout comme certainsgouvernements occidentaux font un sitriste usage - c’est le christianisme toutentier qui chavire.

Si notre pensée n’a ni la force ni lacohésion qui permettent au monde dela situer et de l’appréhenderclairement, si elle ne peut lui renvoyerune image forte, si elle n’est pluscapable de se fixer les termes - et leslimites d’une appartenance, commentpourra-t-elle s’opposer aux dangerspressants de ces idéologies ?

Je ne milite pas, bien sûr, pour uneautorité qui réduirait la foi à desusages, à des formules ou à desréponses toutes faites, donc à unedémission de l’intelligence. Ni pour uneforme de pensée unique qui prétendraitnous asservir à ses clichés ou à sesmots d’ordre.« Pendant des siècles », écrivait lePère Bernard Alexandre dans leHorsain, « tout ce qui venait du haut dela chaire était sacré et ne se discutaitpas (...) Je suis émerveillé de voircombien les chrétiens des nouvelles

générations sont exigeants ; ils veulentcomprendre, questionnent, discutentce qui est dit pendant les sermons ».Plus précieuse que tout en effet, estcette liberté offerte à chacun de sereporter à l’Evangile et aux paroles duChrist comme à une source toujoursrenouvelée, sans avoir à subir le poidsdes siècles et de leurs mauvaiseshabitudes.

Dans son livre , « la peur enOccident », Jean Delumeau, auchapitre qu’il a consacré à la femme,rappelle que Jésus ne pose pas dehiérarchie entre les sexes. Et l’auteurexplique :« La peur de la femme n’estpas une invention des ascèteschrétiens (...) Mais l’égalité préconiséepar l’Evangile céda devant lesobstacles nés du contexte culturel (....)Les structures patriarcales des juifs etdes Gréco-romains, une longuetradition intellectuelle qui, dupythagorisme au stoïcisme en passantpar Platon, prônaient le détachementdes réalités terrestres, et affichait unégal mépris du travail manuel et de lachair. » Et Jean Delumeau ajoute :« tout en exaltant la virginité féminine,la théologie n’en continua pas moinsde théoriser la misogynie foncière de la

culture qu’elle avait inconsciemmentadoptée ». C’est notre liberté et notredevoir de chercher à distinguer, icicomme ailleurs, la part de l’homme etla part de Dieu.

Je saisis mal l’attachementinconditionnel de certains catholiques àdes rites, et à des usages acquis àtravers les âges, durcis comme dessédiments et figés pour les siècles dessiècles.

Je comprends mieux la Traditionquand elle reproche à notre Églised’évacuer dans son expression unepart de surnaturel, et de lui substituerl’image, le symbole ou la métaphore,plus crédible. Comme le simplebattement d’une aile de papillonentraîne, par ricochet, de grandsbouleversements à l’autre bout dumonde, ces glissements insensibles,en apparence si peu de chose,modifient profondément le contenu denotre foi.

Et ce n’est pas l’autorité d’un magistèrequ’il faut défendre, mais la cohérenced’une Parole qui nous a été confiée. Anne TAUVEL

16

L’AUTORITE ET LA BIBLE dossier

Le dimanche quand Philippe aannoncé en fin de messe le thèmeproposé pour le prochain Germinal j’aipensé que ça ne me concernait pas.Puis cette façon d’évacuer ce sujet surun mot qui a pour moi a priori uneconnotation « déplaisante » m'a faitpenser que je n’étais pas très au clairavec le concept et qu’il serait peut-êtreutile de tenter l’exercice.

Mais par quel bout commencer ? Au vudes nombreuses acceptions du mot etdes locutions familières où on letrouve, je suis un peu perdu par lefoisonnement d’idées qu’elles fontnaître. La meilleure méthode c’estencore celle qui consiste à récolter untas de mots en association avec lesujet et ensuite de trier, classer ettenter d’y voir clair ! Je vous fais grâcede l’exercice mais je le recommande. Ilen est resté essentiellement : force,ordre, morale, loi, justice, légitimité etleurs contraires évidemment.

Aucun ne s’excluant, au contraire tousse combinent en une infinité desituations dont l’histoire et la penséedes hommes fournissent uneillustration abondante.

Et là aussi un choix s’impose. Il mesemble que de tous celui qui apparaîtcomme fondateur de l’autorité c’estlégitimité, mais là encore de quoi parlet’on ?

Même si les choix sont ouverts,puisqu’il s’agit d’une réflexion poséedans un contexte chrétien, pourquoi nepas l’aborder à partir de ce qui faitautorité pour ce dernier.

Dès le commencement, c’est à dire laGenèse, la relation Dieu-Hommen’échappe pas à un principe d’autorité,sous forme d’un commandementunique, créateur d’une loi, créant unesituation d’infraction possible,nécessitant dès lors un jugement, unmaintien de l’ordre et un châtiment par

la perte d’une situation enviable pourune autre beaucoup moins favorable.

Ge. 2-16 Et Yahvé Dieu fit à l'hommece commandement : "Tu peux mangerde tous les arbres du jardin. 17- Maisde l'arbre de la connaissance du bienet du mal tu ne mangeras pas, car, lejour où tu en mangeras, tu deviendraspassible de mort."

On note que l’énonciation ducommandement est complète etcomporte l’énoncé du châtimentqu’implique sa transgression.

Ge. 3-4 Le serpent répliqua à la femme: "Pas du tout! Vous ne mourrez pas! 5-Mais Dieu sait que, le jour où vous enmangerez, vos yeux s'ouvriront et vousserez comme des dieux, quiconnaissent le bien et le mal." 6- Lafemme vit que l'arbre était bon àmanger et séduisant à voir, et qu'ilétait, cet arbre, désirable pour acquérirle discernement. Elle prit de son fruit et

17

mangea. Elle en donna aussi à sonmari, qui était avec elle, et il mangea.

Le problème (après quelquesrecherches sur Internet où jem’aperçois qu’il ne l’est pas que pourmoi) est que je ne comprends toujourspas en quoi la connaissance du Bien etdu Mal, pouvait être une faute pourl’Homme et un préjudice pour Dieu.Est-ce à dire que le péché m’a marquéau point de persister dans l’erreur ?

J’y vois disons un principe qui est :l’autorité qui découle de la loi n’estforte que pour autant que la loi soitclaire et puisse emporter l’adhésion,même si cela nécessite un importanteffort de raison.

Bien sûr la façon symbolique de poserle problème dans la Genèse déroute,(avant leur transgression Adam et Evesavaient ce qui est permis et ce qui nel’est pas) et elle avait surtout un but,une ambition : les faire l’égal de Dieu,les faire comme des dieux, c’est à direpas seulement capables de discernermais de dire la loi : ce qui est Bien etce qui est Mal.

Le symbolisme de ce récit de laGenèse nous confronte auxconnaissances actuelles sur l’évolutiondes espèces, des pré hominidés auxhominidés et à la naissance de laconscience qui devait conduire àl’homo sapiens-sapiens. Tant quel’ancêtre de l’Homme était un animal,la soumission aux comportements del’espèce, à ses héritages et auxinstincts, dont celui de survie, étaient laloi de la nature, sans qu’une notionmorale de Bien ou de Mal y trouve saplace. A partir du moment ou un éclairde conscience intelligente de soi, desautres, du milieu et de leurscontingences, se met à poindre dansson cerveau, l’ancêtre s’engageinexorablement sur la pente de saresponsabilité.

Après plusieurs millénaires dedéveloppement et de civilisation il esttotalement déroutant de voir notresociété se poser la question de laresponsabilité individuelle comme sielle était à l’aube de l’humanité. En cesens la référence outrancière à unecompréhension élémentaire de lapsychanalyse nous a ramené desmillénaires en arrière.

Et puisque nous en sommes à cestemps de l’aube de l’humanité, tels queles ont pressentis les récits de la Bible,regardons l’épisode de Caïn et Abel :

Ge. 4-3 …il advint que Caïn présentades produits du sol en offrande àYahvé, 4 et qu'Abel, de son côté, offritdes premiers-nés de son troupeau, etmême de leur graisse. Or Yahvé agréaAbel et son offrande. 5- Mais il n'agréapas Caïn et son offrande, et Caïn enfut très irrité et eut le visage abattu. 6-Yahvé dit à Caïn : "Pourquoi es-tu irritéet pourquoi ton visage est-il abattu? 7-Si tu es bien disposé, ne relèveras-tupas la tête? Mais si tu n'es pas biendisposé, le péché n'est-il pas à laporte, une bête tapie qui te convoite?pourras-tu la dominer?" 8- CependantCaïn dit à son frère Abel : "Allonsdehors", et, comme ils étaient en pleinecampagne, Caïn se jeta sur son frèreAbel et le tua.

On y découvre combien le sentimentd’injustice peut conduire à la révoltevoire au meurtre !Le rapport à l’autorité peut êtrefrustrant, il faut un caractère bientrempé pour en accepter les verdicts.Or il n’est pas d’autorité qui ne puisse

18

être contestée, rejetée et finalementbafouée dans un désir de revanche.

Dans le meilleur des cas, l’autoritédevrait conduire à une remise encause personnelle de sescomportements, de ses jugements.C’est une opération difficile, qui peutconduire à la frustration, à un étatpsychiquement douloureux face à soi,aux autres, à la collectivité, conduisantà une dévalorisation de soi, problèmesqu’on réduit facilement à de l’amourpropre mal placé (Pourquoi es-tu irritéet pourquoi ton visage est-il abattu?).

Il faut une grande maturité personnellepour se remettre en question (Si tu esbien disposé, ne relèveras-tu pas latête?) ou il faut pouvoir compter surune bonne aide.

C’est pourquoi j’y vois un autreprincipe. L’autorité, même légitime,lorsqu’elle conduit à une frustrationimportante, telle que la condamnation,l’emprisonnement, nécessite une priseen charge de l’effet dépressif sur l’être,au risque de le voir s’enfermerdéfinitivement dans un rejet irréductiblede ceux qui exercent l’autorité. Il doit yavoir un accompagnement, une aide à

la prise de conscience. On perçoitjusque dans le récit biblique la solitudeet le désarroi de Caïn et sa fermeturemanifeste à l’encouragement même deDieu à relever la tête.

Dans ce déroulement chronologique del’Ancien Testament qui fonde lesprincipes des relations entre Dieu etl’Homme, vu du côté de l’homme, unpassage me laisse en difficulté, c’estcelui du Déluge. De la punition qu’estle Déluge, qui va fonder et qui continuede fonder parfois l’interprétation descatastrophes de la nature commevolonté divine de punition.

Mais plus encore que cette conceptionde la toute puissance du créateur sursa création, c’est le doute de Dieuenvers sa propre autorité, je n’irai pasjusqu’à dire selon la formule actuelle :sa repentance.

Ge 8–21 Yahvé… se dit en lui-même :"Je ne maudirai plus jamais la terre àcause de l'homme, parce que lesdesseins du coeur de l'homme sontmauvais dès son enfance ; plus jamaisje ne frapperai tous les vivants commej’ ai fait…. »

Cette attitude me suggère encore unprincipe, c’est que l’autorité doits’exercer dans le respect humain !Même l’autorité doit tenir compte descirconstances…elle ne doit pas êtredespotique ! Et encore plus que la loi,l’autorité, peut se tromper, elle doitavoir une capacité d’introspectiond’elle-même, et en tirer desconséquences.

La grande période de l’AncienTestament c’est incontestablementl’Exode avec la remise descommandements à Moïse, (des tablesde la Loi), qui fonde l’alliance entreDieu et les Hébreux, qui le fonde aussicomme peuple, même s’il est alorssans terre. Cette loi, improprementappelée mosaïque et qui régit toujoursle judaïsme aujourd’hui.

Toutes les civilisations ont des lois, ycompris les civilisations antiques, etl’Egypte d’où sortent les Hébreux a deslois élaborées. Il n’y a pas decivilisation en l’absence de loi et doncd’une forme d’autorité, mais la formepeut être multiple.

Dans leurs lois sociales, qui traitentdes rapports des humains entre-eux,

19

d’autres civilisations de cette époqueconnaissaient déjà le principe durespect de la vie. Mais rien n’émeut etne place autant devant laresponsabilité personnelle que celaconique « Tu ne tueras point. ». Il secomprend comme un principe premieret définitif qui va fonder tous les autres.Tout commence par lui et sans lui il n’ya pas de relation et de constructionsociale possible, il n’y a que l’autoritéde la terreur !

Pourtant aussi frappant soit-il ce n’estpas lui qui fait la différence essentielleentre la Loi des Hébreux et celle deleurs devanciers ou de leurscontemporains, car il n’est que le 6eme

commandement. Ce qui distingue la loihébraïque c’est le fondement de sonautorité, le 1er des commandements :

Exode 20-1.s. "Je suis Yahvé, tonDieu, qui t'a fait sortir du paysd'Egypte, de la maison de servitude. 3-Tu n'auras pas d'autres dieux devantmoi. (Voir aussi : Deutéronome 5-6 à5-21)

Ce commandement rétablit Dieu dansson autorité de Créateur tel que dansla Genèse. Les Adams certes ne sont

pas rétablis dans le Paradis, mais laparole de Dieu redevient Loi verslaquelle le peuple de l’Alliance doittendre. La toile de fond de la loi et deson autorité, n’est plus l’Homme maisune transcendance qui lui permet dediscerner le Bien du Mal, car pourl’homme qu’est ce qui fait que le Bienest supérieur au Mal ? « Vous serezcomme des dieux » avait assuré leserpent à Eve.

Les commandements seront plusnombreux, depuis Israël en dénombre613, qui couvrent tous les aspects dela vie, objets d’une étude qui doitoccuper nuit et jour et d’unecasuistique infinie.

L’autorité de la Loi que l’on finira parappeler Loi de Moïse, bien quecertainement de façon impropre, estuniverselle, elle crée « un universentièrement régi par la Loi et latradition…Rien, dans la vie du juifindividuel et du peuple juif, ne se situeen dehors de la Loi. N’importe quellesituation que l’on puisse concevoirrelève de la Loi et est réglée par elle.C’est pourquoi il est dit dans lesMaximes des Pères qu’aucun ignorantne peut être vraiment pieux, car seul

l’homme qui étudie la Loi jour et nuitpeut faire face à toutes lescirconstances. Il sait (théoriquement)toujours ce qu’il a à faire…En effet, iln’existe aucun problème qui n’ait étéprévu par la Loi. » (1)

Le corollaire à l’autorité de la Loi, c’estforcément la transgression inévitable,et cette connaissance devrait conduireà l’humilité, qui est peut être sûr derespecter sans faillir 613commandements, aussi même le Justeest-il réputé pécher plusieurs fois parjour et en fait il n’est pas de Justepossible. De cela le judaïsme était trèsconscient : Ps. 14-3 Tous ils sontdévoyés, ensemble pervertis. Non, iln'est plus d'honnête homme, non, plusun seul.

La difficulté de cette Loi, de toute loi,c’est aussi de tomber dans leritualisme, qui n’est qu’une façon de seprémunir contre la défaillance en nereproduisant que des actes codifiés,autorisés, authentifiés par l’autorité, ens’abstenant de toute nouveauté, c’est àdire de toute création. Cette forme desacralisation de l’autorité finit par lascléroser et la vider de tout sens.

20

Il n’y a pas que la loi hébraïque qui ena fait l’expérience.

Soyons conscients que ces difficultésétaient et restent certainementprésentes à l’esprit des juifs de toustemps. Il ne saurait être question denier toute validité d’une démarcheconsistant à trouver le bonheur et lajoie dans l’accomplissement de la Loi,non pas pour se trouver Juste maispour être agréable à Dieu.

La Loi et son autorité doivent donc êtrevivants et au cœur du vécu collectif etpersonnel. Jérémie traduit cetteproximité par une conceptionrenouvelée de l’Alliance : Je.31 « 31-Voici venir des jours --oracle de Yahvé--où je conclurai avec la maisond'Israël (et la maison de Juda) unealliance nouvelle.: 32- Non pas commel'alliance que j'ai conclue avec leurspères, le jour où je les pris par la mainpour les faire sortir du pays d'Egypte --mon alliance qu'eux-mêmes ontrompue bien que je fusse leur Maître,oracle de Yahvé! 33- Mais voicil'alliance que je conclurai avec lamaison d'Israël après ces jours-là,oracle de Yahvé. Je mettrai ma Loi aufond de leur être et je l'écrirai sur leur

cœur. Alors je serai leur Dieu et euxseront mon peuple. »

Le cœur à travers les temps est lesiège de l’affectif et de l’amour.

Cette Alliance nouvelle, cet Amournouveau, le chrétien, les tient de JésusChrist, celui que ses contemporainss’étonnaient d’entendre parler avecautorité ! Mat. 7-28 … les foules étaientfrappées de son enseignement 29- caril les enseignait en homme qui aautorité… (fin du discours sur lamontagne).

S’il nous reste quelque chose de Jésusà travers les Evangiles ce sont bienses rapports avec les autorités :autorité du Père, autorité du Fils del’Homme, rapports aux autorités del’époque : religieuses et civiles,rapports aux hommes… d’où ressortun enseignement à valeur universelle.

Il n’est possible ici que d’aller àl’essentiel, sans entrer dans le détail,et de l’illustrer par les références bienconnues :

Mat. 5-17 "N'allez pas croire que jesois venu abolir la Loi ou les

Prophètes, je ne suis pas venu abolir,mais accomplir. 18- Car je vous le dis,en vérité : avant que ne passent le cielet la terre, pas un i, pas un point sur l'i,ne passera de la Loi, que tout ne soitréalisé…. »

Mat. 7-12 "Ainsi, tout ce que vousvoulez que les hommes fassent pourvous, faites-le vous-mêmes pour eux :voilà la Loi et les Prophètes…. »

Et ce qui représente la forme la plusconcise de l’autorité de Jésus Christ enmatière de Loi de Dieu et de loi deshommes, autour desquelles doivent secristalliser l’ensemble de leurs rapports:Mat. 22- 36 "Maître, quel est le plusgrand commandement de la Loi?" 37Jésus lui dit : "Tu aimeras le Seigneurton Dieu de tout ton cœur, de toute tonâme et de tout ton esprit 38 voilà leplus grand et le premiercommandement. 39 Le second lui estsemblable : Tu aimeras ton prochaincomme toi-même. 40 A ces deuxcommandements se rattache toute laLoi, ainsi que les Prophètes."

On voit ici qu’il n’y a pas de différencede niveau entre le 1er commandement(loi religieuse) et le 6ème (loi sociale).

21

Jésus en réalise la synthèse dans unerévélation définitive à valeur universelledans l’espace et le temps.

L’évangéliste Jean est plus radical,pour lui il y a création nouvelle, maisson auditoire est sans doute moins aufait du judaïsme que celui de Matthieu :13- 34 « … Je vous donne uncommandement nouveau vous aimerles uns les autres; comme je vous aiaimés, aimez-vous les uns les autres.35- A ceci tous reconnaîtront que vousêtes mes disciples si vous avez del'amour les uns pour les autres. »

L’incompréhension néanmoins resteragrande avec les autorités du Temple,et les autorités de la société juivedirigeante de son temps, Mat. 21- 23…les grands prêtres et les anciens dupeuple … lui dirent : "Par quelleautorité fais-tu cela? Et qui t'a donnécette autorité?". Cette attitude, cesentiment d’être l’Autorité qui doitrester absolue et incontestable les

poussera à préparer et réclamer lacondamnation de Jésus à la Croix.

Quant à l’incompréhension avecl’autorité civile, elle est de l’ordre dupolitique, mêlée à l’intérêt personnel,au carriérisme de Pilate qui choisira,après quelques doutes, d’évacuerhabilement et spectaculairement sonopinion face à la pression d’une foulesélectionnée, manipulée par un acted’autorité démagogique.

L’Autorité finale reste, pour le croyant,celle du Père qui a rétabli son envoyédans ses droits, sans violence contrel’homme, uniquement au nom del’Amour Trinitaire.

Il est évident que cette rechercheautour du thème de l’Autorité chez lechrétien peut être sans fin et pose unquestionnement permanent pour sesituer dans sa foi et sa croyance, dansles temps d’aujourd’hui. Dans seschoix et ses jugements, car choisirc’est juger, et que par-là nous ne

cessons d’être confrontés à notrecapacité de discernement face au Bienet au Mal tel qu’à l’origine.

Je ne peux conclure, sans citer saintPaul, qui eut à se situer, sa vie durant,entre son judaïsme et sa Loi denaissance, et la révélation de Jésus leChrist, qu’il eût malgré lui sur le cheminde Damas. Paul n’innove pas, nerévèle rien, il résume dans un raccourcisaisissant l’ensemble de bien destextes, l’essentiel qu’il faut retenir :

Rom.13- 10 …l’accomplissementparfait de la Loi, c’est l’amour. (2)

Jean-Pierre CHATELARD

(1) Schalom Ben Chorin : Paul Unregard juif sur l’Apôtre des Gentils –Desclée de Brouwer(2) Textes liturgiques A.L.E.F., Paris ; les autres citations bibliques sontdans la traduction de la B.J.

22

DE L'AUTORITE.... HONNIE... dossierA UN ZESTE D'AUTORITE...NECESSAIRE

Obéir était le maître mot de l'éducationautrefois ; les plus anciens sesouviennent qu'au petit écolierd'autrefois on demandait d'abord d'êtrebien obéissant... le reste étaitsecondaire, et devait sans doute endécouler naturellement (qu'ils'intéresse, comprenne, etprogresse...)

Obéir aux parents semblait si évidentque certains adultes ont eu bien du malà s'en affranchir, et que certainsparents - presque centenairesmaintenant - entendent bien tenirencore leurs descendants sous leurautorité... parfois despotique !

Obéir au curé, à l'Eglise "qui ne pouvaitni se tromper, ni nous tromper" étaittout aussi évident qu'obéir auxreprésentants de l'état, de la loi et del'armée...

Dans les années soixante, deuxévénements ont cependant marquéune évolution déjà bien engagée desmentalités, et contribué aubouleversement du vieil ordre deschoses : - le Concile Vatican II,formidable réveil d'un Eglise dont lesmembres recouvraient le droit depenser, déclenché par le pape JeanXXIII

- en France, l'aventure de Mai68, où toute autorité fut remise encause, avec le fameux slogan "il estinterdit d'interdire "...

Maintenant, nos enfants qui ont grandidans un contexte libertaire sontdevenus parents à leur tour. Certainssont exigeants et fermes, d'autress'ingénient à éviter toute attitudeautoritaire, laissant leurs enfantsdécouvrir par eux-mêmes les limites deleur liberté... on ne tranchera pas ici

entre ces deux attitudes qui s'appuientchacune sur d'excellentes raisons !

Ceux qui se sont soumis dans leurjeunesse, et ceux qui se sont rebellés,avec ou sans barricades, sont devenusà leur tour parents, enseignants, oucurés, éventuellement philosophes,militaires de carrière, formateurs detoute sorte, chef de file en politique...bref, par une ironie du sort, ils sontsouvent devenus des maîtres à leurtour, parfois des maîtres àpenser..."maître, mon père, ma sœur,que faut-il penser de..." L'insoumiseque je suis s'insurge encore à l'idéequ'on puisse demander à quelqu'un depenser à notre place !

LE PERE : ce n'est pas sans raisonque le bon sens populaire attribuait aupère l'exercice de l'autorité... Est-cevraiment démodé que le père soit celuiqui marque les limites, celui qui dit cequ’est LA LOI ? ( les populations où les

23

pères sont culturellement déphasésvoient leurs enfants grandir sans lesrepères communs à toute société, etse marginaliser...)

LA MERE, la bonne mère est-elle cellequi laisse tout faire... ou ne parvientpas à obtenir de l'enfant le moindreservice... pour éviter les conflits ? Lesmères qui élèvent seules leurs enfantssont bien conscientes de devoir joueraussi le rôle autrefois dévolu au père...Ce qui a changé, en bien, c'est qu'onexplique beaucoup plus aux enfantspourquoi on permet ou non quelquechose, LE BIEN FONDE de l'autoritéen fait.

La question qui gêne tout éducateurest de savoir s'il peut risquer decontrarier un enfant en exigeant untravail, une contribution, ou eninterdisant quelque chose...sans être àses propres yeux complètementringard !

L'autre question est de savoir si cequ'on demande à un petit enfant, sansdiscussion byzantine, (comme dedonner systématiquement la main pourtraverser la rue) est traumatisant pourlui... est-ce vraiment humiliant pour un

petit de se soumettre à quelquescontraintes ? L'expérience d'inévitablescontrariétés vite surmontées n'est-ellepas une expérience positive pour lui ?

Un adulte responsable qui n'a pas delien affectif privilégié avec un enfantobtient souvent bien plus facilementque le parent le comportement socialminimum, parce que l'enfant provoque,teste le pouvoir qu'il a sur le parent, ettente de savoir si c'est lui quicommande !

En fait l'enfant apprend très vite quelest le comportement possible avectelle personne, ou dans telle maison, ets'adapte bien à la règle du jeu établie,du moment qu'il se sait en sécurité etaimé.

Toute autorité doit être justifiée pourêtre acceptée, mieux que subie. Tôt outard vient cette question de l'enfant "qui es-tu, toi qui veux me commander,de quel droit ..." il comprend d'autantmieux que le parent qui le confiedélègue devant lui son autorité à untiers "c'est elle qui te ramènera del'école, je lui fais confiance, et tu luiobéis".

On a transposé dans le domainereligieux la notion d'autorité pater-nelle...Dieu le Père Tout Puissant adonné sa LOI à Moise; les plusanciens ont bien en mémoire qu'onleur avait présenté un Dieu plutôtredoutable ; le Dieu Père de JésusChrist est beaucoup plus proche de lacondition humaine...

L'Eglise, pour sauvegarder l'héritagedu message évangélique desdéviances, des schismes et deshérésies, s'est dotée au fil des sièclesd'une autorité sans conteste, grâce àun organisation interne inspirée del'empire romain, et une structurehiérarchique pyramidale de typemilitaire ; l'abus d'autorité s'est soldépar des déviances telles que leblocage vis à vis de la réforme, et laséparation, ou l'inquisition, et plusrécemment, la rigidité paralysante dusystème clérical, jusqu'à"l'aggiornamento" du dernier Concile.

Ensuite, l'exécution des résolutionsprises au Concile, transmise selonl'ordre hiérarchique, s'est faite plus oumoins bien, selon que les égliseslocales - et leurs pasteurs - avaientaspiré elles-mêmes aux changements,

24

ou, au contraire, n'en éprouvaient pasla nécessité !Toutes les sociétés humainess’organisent en se dotant de lois –même en démocratie- et se trouventaffrontées au problème de fairerespecter ces lois : la géopolitiquenous fournit maintes occasions denous interroger sur le bien fondé de

leurs applications, et sur l’utilité derecourir à la manière forte en dernierressort… L’adolescent délinquant, oule pays contrevenant, posent etreposent la même question « qui es tu,toi » qui prétends imposer la loi…

Et nous, au ras des pâquerettes,sommes tous amenés à poser laquestion qui dérange, et à tenter d’yrépondre, bien modestement sur leterrain.

Jeanne BODIN

PETIT BOUT DE FEMME ET GRANDE AUTORITE dossier

Vous l’avez reconnue : c’est HélèneMac Arthur. Elle est toute jeune, toutepetite, et elle a l’air de rire tout le temps(ce ne doit pas être vrai…). Etpourtant, elle dirige un équipage sur unbateau qui doit faire le tour du monde !

Quel exemple d’autorité ?

Comment est-ce possible ?

C’est que cette autorité est fondée surl’expérience (déjà !), sur unecompétence, sur un enthousiasmepartagé. Dans l’équipe, chacun a saplace pour une réussite commune. Ilen résulte une cohésion qui exclut toutrapport de « dominant » à « dominé »,

tandis que s’instaure une relation deconfiance, de respect mutuel.

Mais cessons de rêver sur ce que nousconnaissons mal, et revenons à nosmoutons terrestres, par exemple à undomaine qui intéresse beaucoupd’entre nous : celui de l’éducation.

Dans leur relation avec les jeunes,parents, enseignants, éducateurspeuvent sans doute reconnaître leurexpérience ou leurs rêves dans lesimpressions qui précèdent. Il existe àcoup sûr un bon usage de l’autorité :

une autorité fondée en raison,reconnue comme telle, orientée vers

un but gratifiant, équilibrée par lepartage des responsabilités, lacompréhension, la modestie. Nulautoritarisme, mais une volonté deservice beaucoup plus qu’une volontéde puissance.

Pas facile, certes, mais pourquoi pas ?Et, comme dit l’autre : bon vent !

J. DAMOISEAU

P.S. Elle a échoué cette fois-ci, lapetite Hélène. Mais cette épreuve neremet certainement pas en cause sonautorité.