Laurent Marty - Cantique des Cantiques en Musique

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1 LE CANTIQUE DES CANTIQUES EN MUSIQUE Laurent Marty Le Cantique des cantiques, ou Cantiques de Salomon, est très certainement l’un des textes de l’Ancien Testament qui ont le plus inspiré les musiciens de toutes les époques et toutes les cultures. Innombrables sont, en effet, ceux qui furent conquis par la beauté de ces poèmes, leur dimension mystique ou la puissance de leur évocation érotique. Au-delà de leur valeur musicale, ces oeuvres sont également remarquables en ce qu’elles posent avec acuité à la fois le problème de l’évolution de la musique sacrée à travers les siècles, le rapport individuel qu’entretiennent les compositeurs avec leur propre foi, et notre perception contemporaine du caractère religieux dans l’art. Un article aussi court ne permettra, au mieux, que de donner un bref aperçu des principaux courants qui ont traversé l’histoire du texte. Cependant, nous nous attacherons à détailler plus particulièrement quelques compositions emblématiques, de la Renaissance au XXI e siècle. Des origines au Moyen-Âge La tradition hébraïque semble suggérer que le Cantique des cantiques ait pu être un recueil de chants de mariage dont la tradition semble aujourd'hui perdue. Rien ne subsiste des musiques originales malgré les essais de reconstitution très discutés de Suzanne Haïk-Ventoura (1912- 2000). Les premières traces écrites d’adaptation musicale remontent donc à l’ère chrétienne, dix-huit textes du Cantique des cantiques dans l’Antiphonaire dit « de Compiègne » daté du IXe siècle, parmi les plus anciens antiphonaires romains conservés. Les grands réformateurs s’y intéressent de très près : Guillaume de Volpiano (962-1031) compose au moins une douzaine d'antiennes sur des textes issus du Cantique et Saint Bernard de Clairvaux (1090-1153) en introduit dans l’office cistercien. Les réformes successives du plain-chant de Clairvaux accentuent cette présence et, sur ce modèle, la plupart des communautés lient ainsi le Cantique aux célébrations mariales, de plus en plus populaires à partir du XII e siècle. Si le corpus varie sensiblement d’une communauté à l’autre, on remarque une forte récurrence de certains passages : « Quam pulchra es » (4,1) ; « Ibo mihi ad montem mirre » (4,6) ; « Tota pulchra es » (4,7) ; « Descendi in ortum meum » (5,1); « Anima mea liquefacta est » (5,6). Du IX e au XII e siècles, de Bamberg à Silos, de Worcester à Monza, la plupart des antiphonaires contiennent ainsi des antiennes sur des textes du Cantique des cantiques, chantées lors de cérémonies en l'honneur de Marie. Au XIV e siècle, les compositeurs de l’Ars Nova trouvent dans ces textes un ferment propice à leurs nouvelles conceptions esthétiques, dans une atmosphère musicale de tendresse et sensualité mêlées. La toute fin du Moyen-Âge, et le début de la Renaissance, voient une floraison particulièrement riche d’oeuvres musicales. D’abord présent chez les polyphonistes anglais, comme en témoignent le Quam pulchra es de John Dunstable (c. 1390-1453), considéré comme son chef-d’oeuvre, et celui de John Piamor (1418-1426), ce courant gagne les compositeurs continentaux à l’aube de la Renaissance : Guillaume Dufay (c. 1400-1474), Josquin des Prés (c. 1440-1521), Pierre de La Rue (v. 1460-1518), Antoine Brumel (c. 1460- c. 1520), Nicolas Gombert (vers 1495-1556), Thomas Créquillon (c. 1505-c.1557) et bien d’autres. Ces chants sont le plus souvent exécutés à l’intérieur d’un office liturgique lié au culte de Marie – par exemple durant les Vêpres de la Vierge. Mais la Renaissance voit également fleurir un nouveau genre, des motets isolés destinés à la piété privée, très prisés dans le cadre de la réforme catholique. La dilection des compositeurs va à certains passages plus

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Musical history of the Song of songs

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    LE CANTIQUE DES CANTIQUES EN MUSIQUE Laurent Marty

    Le Cantique des cantiques, ou Cantiques de Salomon, est trs certainement lun des textes de lAncien Testament qui ont le plus inspir les musiciens de toutes les poques et toutes les cultures. Innombrables sont, en effet, ceux qui furent conquis par la beaut de ces pomes, leur dimension mystique ou la puissance de leur vocation rotique. Au-del de leur valeur musicale, ces uvres sont galement remarquables en ce quelles posent avec acuit la fois le problme de lvolution de la musique sacre travers les sicles, le rapport individuel quentretiennent les compositeurs avec leur propre foi, et notre perception contemporaine du caractre religieux dans lart. Un article aussi court ne permettra, au mieux, que de donner un bref aperu des principaux courants qui ont travers lhistoire du texte. Cependant, nous nous attacherons dtailler plus particulirement quelques compositions emblmatiques, de la Renaissance au XXIe sicle.

    Des origines au Moyen-ge La tradition hbraque semble suggrer que le Cantique des cantiques ait pu tre un recueil de chants de mariage dont la tradition semble aujourd'hui perdue. Rien ne subsiste des musiques originales malgr les essais de reconstitution trs discuts de Suzanne Hak-Ventoura (1912-2000). Les premires traces crites dadaptation musicale remontent donc lre chrtienne, dix-huit textes du Cantique des cantiques dans lAntiphonaire dit de Compigne dat du IXe sicle, parmi les plus anciens antiphonaires romains conservs. Les grands rformateurs sy intressent de trs prs : Guillaume de Volpiano (962-1031) compose au moins une douzaine d'antiennes sur des textes issus du Cantique et Saint Bernard de Clairvaux (1090-1153) en introduit dans loffice cistercien. Les rformes successives du plain-chant de Clairvaux accentuent cette prsence et, sur ce modle, la plupart des communauts lient ainsi le Cantique aux clbrations mariales, de plus en plus populaires partir du XIIe sicle. Si le corpus varie sensiblement dune communaut lautre, on remarque une forte rcurrence de certains passages : Quam pulchra es (4,1) ; Ibo mihi ad montem mirre (4,6) ; Tota pulchra es (4,7) ; Descendi in ortum meum (5,1); Anima mea liquefacta est (5,6). Du IXe au XIIe sicles, de Bamberg Silos, de Worcester Monza, la plupart des antiphonaires contiennent ainsi des antiennes sur des textes du Cantique des cantiques, chantes lors de crmonies en l'honneur de Marie.

    Au XIVe sicle, les compositeurs de lArs Nova trouvent dans ces textes un ferment propice leurs nouvelles conceptions esthtiques, dans une atmosphre musicale de tendresse et sensualit mles. La toute fin du Moyen-ge, et le dbut de la Renaissance, voient une floraison particulirement riche duvres musicales. Dabord prsent chez les polyphonistes anglais, comme en tmoignent le Quam pulchra es de John Dunstable (c. 1390-1453), considr comme son chef-duvre, et celui de John Piamor (1418-1426), ce courant gagne les compositeurs continentaux laube de la Renaissance : Guillaume Dufay (c. 1400-1474), Josquin des Prs (c. 1440-1521), Pierre de La Rue (v. 1460-1518), Antoine Brumel (c. 1460- c. 1520), Nicolas Gombert (vers 1495-1556), Thomas Crquillon (c. 1505-c.1557) et bien dautres. Ces chants sont le plus souvent excuts lintrieur dun office liturgique li au culte de Marie par exemple durant les Vpres de la Vierge. Mais la Renaissance voit galement fleurir un nouveau genre, des motets isols destins la pit prive, trs priss dans le cadre de la rforme catholique. La dilection des compositeurs va certains passages plus

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    frquemment utiliss : les Quam pulchra es et Nigra sum abondent jusquau XVIIe sicle.

    Renaissance Un compositeur aujourdhui bien oubli, Gioseffo Zarlino (1517-1590), sessaie dans les annes 1540 mettre en musique lintgralit des textes du Cantique directement depuis lAncien Testament, utilisant pour chaque chapitre un mode diffrent. Cependant, il ne va pas plus loin que le chapitre 3, part un motet isol Ego veni in hortum meum . Lorsquil dite enfin son uvre, en 1549, Zarlino arrange lordre de ses motets, les dissminant dans trois volumes diffrents et leur faisant ainsi perdre toute unit.

    Cet essai ouvre nanmoins la voie Giovanni Perluigi da Palestrina (1525-1594) qui, le premier, met en musique lintgralit du Canticum canticorum dans son Quatrime livre des Motets 5 voix paru en 1584. Palestrina se distingue dans cette uvre par un style dune grande austrit, o la grande complexit du contrepoint n'empche pas l'extrme clart de la conduite des voix. Lcriture palestrienne va devenir trs vite un idal de puret, le modle de toute polyphonie religieuse ds le tout dbut du XVIIe sicle et pour longtemps. On remarque qu' l'imitation des affects, trs prsente chez Zarlino, Palestrina prfre la sobrit dentres en canon rgulires et par mouvements conjoints. Les phrases plus longues suivent dans leur dcoupe la respiration du texte, ce qui en assure une parfaite comprhension, sans rptitions inutiles. Le ton recueilli de lensemble, aux phrases plus dnudes, se montre davantage sensible la comprhension immdiate du texte qu l'illustration de son mouvement passionnel.

    Il n'est qu' comparer le motet Pulchra es de Palestrina celui de son contemporain, et prdcesseur comme matre de chapelle Saint-Jean de Latran, Roland de Lassus (1532-1594) pour comprendre les diffrences de conception qui peuvent cohabiter la mme poque chez deux artistes pourtant trs proches, utilisant des moyens musicaux identiques. Le motet Pulchra es de Lassus tmoigne en effet dune libert de style trs loigne de la rigueur palestrinienne. Au sein dune polyphonie particulirement complexe, des phrases courtes sentremlent avec une abondance de mlismes dune grande sensualit. Ici, lintelligibilit du texte compte moins que la souplesse de la ligne de chant, la qualit presque charnelle de lentrelacement des voix et dune harmonie au trouble expressif. Le premier biographe du compositeur, Samuel Quickelberg, qualifie ce style si particulier de musica reservata, une musique qui a su accommoder les notes aux choses et aux mots, exprimer les divers sentiments, placer en quelque sorte la ralit sous les yeux. Style, donc qui exprimerait avec force les symboles du texte illustr, musique destine un public restreint de connaisseurs, seuls capables den apprcier le symbolisme subtil.

    Que sest-il pass entre les deux uvres qui en explique les diffrences ? A la suite du concile de Trente (1545-1563), qui avait pur la liturgie en proscrivant l'usage de chansons profanes comme cantus firmus et l'abondance des lments purement dcoratifs, le pape Grgoire XIII avait charg en 1577 Palestrina et Annibale Zoilo (1537-1592) de rviser les missels et brviaires pour les purger de tous les barbarismes, obscurits, contradictions et superfluits. Palestrina, dautre part, stait montr sensible lexemple de Saint Philippe Neri (1515-1594), fondateur en 1563 de la congrgation de l'Oratoire. Les Laudi spirituali exercices religieux faits de prires, de prdication et de chants - les madrigali spirituali - avaient vite rencontr un grand succs populaire.

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    Sur ce modle, le compositeur fonde en 1584 la Compagnia dei Musici di Roma, ddie Sainte Ccile et il est fort probable que cette mise en musique du Cantique des cantiques ait t destine son inauguration. Luvre, ddie au pape Grgoire XIII, connat une grande popularit comme en attestent pas moins de onze ditions conscutives.

    Palestrina, conscient de la teneur rotique du texte et du caractre profane souvent donn sa mise en musique, dbute ainsi sa prface ldition de 1584 : Il y a trop de pomes qui ne chantent que des amours trangers la profession et au nom mme de chrtien. A ces pomes, uvres d'hommes visiblement gars, un grand nombre de musiciens ont consacr tout leur talent et tous leurs artifices. Ainsi, bien qu'ils aient recueilli la gloire due leur gnie, ils ont, par le vice de pareils sujets, offens les hommes honntes et graves. D'avoir t moi-mme au nombre de ces musiciens, je rougis et je m'afflige aujourd'hui. Mais, puisque le pass ne peut tre chang, et que ce qui est fait ne saurait pas n'tre pas fait, j'ai chang de dessein. C'est pourquoi je me suis consacr aux pomes crits sur les louanges de Notre Seigneur Jsus-Christ, et de sa trs Sainte mre, la Vierge Marie, et j'ai choisi ceux qui renferment l'amour divin du Christ et de l'pouse de son me, le cantique de Salomon. J'ai employ un genre un peu plus gai que celui dont j'ai l'habitude dans les chants Ecclsiastiques car j'ai compris que le sujet lui-mme l'exigeait.

    Epoque baroque

    Palestrina ouvre la voie des uvres plus longues et plus ambitieuses. La premire moiti du XVIIe sicle nous offre au moins quatre uvres majeures entirement consacres au Cantique des cantiques : Leonhard Lechner (1553-1606) publie en 1606 ses quatre motets Das erst und ander Kapitel des Hohenliedes Salomonis ; deux ans plus tard Melchior Franck (1579-1639) compose ses Geistliche Gesng und melodyen deren der mehere theil auss dem Hohenleid Salomonis (1608), vingt-quatre chants sur l'adaptation allemande de Luther ; il est suivi en 1657 par Johann Schop qui publie Salomons, des Ebreischen Kniges, Geistliche Wohl-Lust, vingt-quatre motets inspirs de la mme version. Enfin, en 1685, Marc Antoine Charpentier (1643-1704) crit ses Quatuor anni tempestates, quatre motets voquant les quatre saisons au travers de textes tirs du Cantique. Parmi les autres compositeurs de ces gnrations on distingue tout particulirement Gregorio Allegri (1582-1652) pour son attachement au Cantique des cantiques. Mais dautres grands compositeurs s'illustrent galement : Toms Luis de Victoria (1548-1611) ; Melchior Franck (1579-1639) ; Orlando Gibbons (1583-1625) ; Alessandro Grandi (1586-1630) ; Guillaume Bouzignac (c. 1592-c. 1641).

    Par ailleurs, l'ge baroque voit se multiplier les Vpres de la Vierge. Les plus clbres sont sans conteste celles composes par Claudio Monteverdi (1567-1643) en 1610, alors quil tait matre de chapelle de la cour de Mantoue. On y trouve deux motets tirs du Cantique des cantiques : un Nigra sum pour tnor et chur et un Pulchra es sous forme de duo de sopranos. On ne sait avec prcision si ces motets font rellement partie des Vpres ; certains musicologues pensent quil pourrait sagir dlments extrieurs la liturgie, des concerti vocali destins lusage priv. Le concerto vocale, forme typique des dbuts du baroque, peut tre aussi bien sacr que profane ; il donnera naissance la cantate au sicle suivant. A peine trente ans ont pass depuis Palestrina et, pourtant, le style musical a radicalement chang. La renaissance florentine impose le stile nuovo, la polyphonie laisse peu peu la place la monodie - une ou plusieurs voix solistes accompagnes par lorchestre.

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    A nos oreilles modernes, le duo Pulchra es ressemble trs exactement un duo amoureux. Cest qualors Monteverdi compose ses premiers opras, o il exprimente un style plus souple, plus illustratif, plus expressif. Il nen abandonne pas pour autant le stile antico et compose la mme poque trs exactement sur le modle palestrinien sa Missa in illo tempore, publie en mme temps que les Vpres de la Vierge.

    Cette proximit nous montre clairement que la dmarcation entre profane et sacr na pas toujours t si nettement trace. Monteverdi utilise tour tour, dans ses messes ou ses opras, le mme style expressif de la seconda prattica ; ses cantates sacres partagent la mme musique que ses madrigaux sculaires. Dailleurs, le clbre Lamento de lopra Arianna, o la fille de Minos pleure son amour tromp, devient presque trente ans plus tard un Pianto della Madona, chant de Marie sur la mort de son bien-aim fils (Selva morale e spirituale, 1641). La distinction que nous faisons entre sacr et profane na sans doute aucun sens pour cet homme de la Renaissance pour qui la musique - comme tout art - est par essence sacre ; ses opras renvoient une mme vision du monde profondment imprgne de son esprit religieux.

    On trouvera un autre exemple de la porosit entre les genres dramatiques et religieux dans luvre du matre de chapelle de Saint-Apollinaire Rome, Giacomo Carissimi (1605-1674). Considr comme lun des premiers grands matres de loratorio - sa Jepht est reste fameuse il est galement lauteur de plus de cent trente cantates profanes au ton souvent humoristique. Professeur rput, il et parmi ses lves Marc-Antoine Charpentier et Alessandro Scarlatti. Carissimi, bien quavant tout compositeur de musique religieuse, emploie dans son trs beau motet Quam pulchra es tout le vocabulaire de lopra : les vocalises nettement expressives et la construction de la pice sous forme dun rcitatif accompagn suivi dune aria da capo renvoient directement au modle lyrique. Le ton gnral fortement contrast et presque pathtique est dailleurs dune grande thtralit. Comme chez Monteverdi, le choix dun style plus libre peut sans doute sexpliquer par la volont de rendre le texte directement accessible et comprhensible aux oreilles contemporaines. Lart religieux, tmoin de son temps, suit donc pour ces auteurs lvolution normale des attentes des auditeurs - alors que dautres musiciens de talent moindre nosent sortir, la mme poque, des canons palestriniens.

    D'innombrables compositeurs des XVIIe et XVIIIe sicles s'inspirent du Cantique des cantiques, comme Alessandro Grandi (1586-1630) collgue et rival de Monteverdi Venise dont les motets O quam tu pulchra es (1610) et Vulnerasti cor meum sont considrs comme un sommet de son uvre et qui et une profonde influence sur le grand compositeur allemand Heinrich Schtz (1585-1672), galement auteur de nombreuses uvres sur ces textes. Le Franais Andr Campra (1660-1744) publie en 1695 un trs beau motet pour deux sopranos et basse continue sur le Tota pulchra tandis que Domenico Mazzocchi renoue en 1640 avec l'origine lointaine du Cantique des cantiques comme chant nuptial, avec son Dialogo della cantica crit pour clbrer lunion de Paolo Borghese et dOlimpia Aldobrandini.

    En cette poque des grands voyageurs, les missions parcourent le monde et font connatre le Cantique dans les plus lointains continents. Juan Gutirrez de Padilla (1590-1664), matre de chapelle Puebla, dans ce que l'on appelle alors la Nouvelle Espagne et aujourd'hui le

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    Mexique, compose une messe parodie Ego Flos Campi sur un modle aujourd'hui inconnu. Aprs lui, le mexicain Ignacio de Jerusalem y Stella, (1707-1769) incorpore le Quae est ista, quae ascendit ses Maitines a Nuestra Seora de Guadalupe (1764).

    A la suite des diverses rformes des rites catholiques, la fin de la priode baroque voit labandon progressif du Cantique des cantiques dans les uvres musicales. Ainsi, partir du XVIIIe sicle, le Pulchra es est le plus souvent remplac dans les uvres mariales par le Tota pulchra es, Maria , prire pour lImmacule Conception dont le texte sinspire largement du Cantique. Le texte ne disparait pas totalement, affleure par allusions. Ainsi, les rfrences sont frquentes dans les cantates de Dietrich Buxtehude George Philipp Telemann, Johann Sebastian Bach qui reprennent maintes images potiques tires du Cantique. On peut citer en exemple les textes de Christian Friedrich Henrici (1700-1764), dit Picander, pour les cantates de Bach Ich geh und suche mit Verlangen BWV 49, Wachet auf, ruft uns die Stimme BWV 140, Erschallet, ihr lieder BWV 172 et mme certaines tournures potiques de la Passion selon Saint Matthieu BWV 244.

    Epoques classique et romantique Cette prsence indirecte prludait une priode dabandon du texte qui allait durer plus d'un sicle. Aucun des grands compositeurs religieux de la priode classique et du dbut du Romantisme, W. A. Mozart, Joseph et Michael Haydn, Franz Schubert ou Ludwig van Beethoven, ne mettront en musique de texte du Cantique des cantiques, trop loign la fois des canons religieux du temps et de leur conception de lamour, en ces temps de rationalisme des Lumires.

    Romantisme Ce n'est pas avant la fin du XIXe sicle que les compositeurs renouent avec le Cantique des cantiques, dans un style tout diffrent de leurs prdcesseurs. En Angleterre, la tradition insulaire des grands oratorios inspire plusieurs compositeurs alors fameux. Leopold Damrosch (1832-1885) compose Shulamit (1882) ; Alexander Campbell Mackenzie (1847-1935) : The rose of Sharon (1884 - rvision 1910) ; Percy Grainger (1882-1961) : Love verses from The Song of Solomon (1899). Grands oratorios dramatiques larges effectifs, crs l'occasion de festival chorals, alors trs en vogue, ils portent la trace du style du temps, mlange d'une certaine pompe trs britannique, de rfrence au style fugu des oratorios haendliens et d'un exotisme discret rappelant la vocation coloniale du Royaume-Uni. De toutes ces uvres, nous pouvons distinguer, par son ampleur, The Song of Songs, rhapsodie dramatique en cinq scnes de Granville Bantock (1868-1946). Dans ce grand drame lyrique, lauteur traite le texte biblique comme une histoire damour passionne, dans un cadre luxuriant et exotique teint dune forte dose drotisme. Lhistoire reprend le classique trio amoureux : la Sulamite (soprano), amoureuse du berger (tnor), rejette les avances du roi Salomon (baryton-basse). Au lyrisme ardent des personnages, rpond un chur massif qui ponctue luvre par la lecture des psaumes, le tout tant ponctu de danses exotiques plus lgres. Peu de caractre religieux, donc, dailleurs la partition contient de nombreuses indications de mise en scne qui prouvent qu'elle a bien t envisage comme un opra et non en tant quoratorio.

    Les autres pays ne restent pas tout fait trangers ce renouveau du Cantique des cantiques. Le Franais Ren de Boisdeffre (1838-1906) crit en 1880 un oratorio Le Cantique des

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    cantiques opus 16, bien dans la veine sulpicienne du temps ; le barcelonais Ricardo Lamote de Grignon (1889-1962) est lui lauteur dEl cntic dels cntics : epitalmi per a contralt, barton, cor mixt i orquestra, et l'italien Enrico Bossi (1961-1925) dun oratorio Canticum canticorum op. 120 (1900)

    Inutile de chercher un sens religieux trs profond dans la scne lyrique pour soprano, chur et orchestre quEmmanuel Chabrier (1841-1894) compose entre 1884 et 1892 (version rvise) sur le pome de Jean Richepin (1849-1926) La Sulamite. Richepin et Chabrier se soucient peu dun quelconque contexte liturgique, ils sinscrivent dans le courant orientaliste n au XVIIe sicle et qui parcourt alors tout le Romantisme : pictural (Ingres, Delacroix, Chassriau, Fromentin) ; littraire (Hugo : Les Orientales 1829 ; Flaubert : Salammb 1862 ; Pierre Loti surtout) ; musical, enfin. Lexotisme est alors la mode et luvre se situe dans une longue ligne, quelque part entre LAfricaine de Meyerbeer (1865), Aida de Giuseppe Verdi (1872), Lakm de Delibes daprs Pierre Loti (1883) et Salammb de Reyer daprs Flaubert (1892). Une partition absolument contemporaine, Thas de Massenet daprs Anatole France (1895) mlange de faon tout fait similaire mysticisme plutt sulpicien et volupt charnelle. Compose alors que le musicien est en train dcrire son opra historique Gwendoline sur un livret de Catulle Mends, luvre porte la trace de sa fascination pour Wagner : Chabrier veut, avec sa Sulamite, crer une sorte de liebestod, pendant franais de la mort damour dIsolde. Voici ce qucrit Richepin lui-mme dans le programme de la cration : Tout le monde connat le Cantique des Cantiques, cette merveilleuse effusion damour, la fois lyrique et passionne, o les ides du mysticisme le plus subtil sont exprimes et dveloppes dans les images de la sensualit la plus ardente. La Sulamite en est comme un abrg. Le compositeur et critique Reynaldo Hahn, livre ses impressions dans un article paru dans Les Nouvelles du jeudi le 21 janvier 1909 : Et l'hrone, d'abord mivre, si dolente, les domine maintenant, les crase ; ses formes jeunes et gracieuses ont pris peu peu de la puissance, une majest robuste, muscle, l'aspect - corporel seulement - de certaines jeunes femmes de Raphal, la Psych, la Galate, les Sibylles. Toutes les forces de l'orchestre et de la voix sont dchanes : nul souci de got, de mesure ou d'adaptation ne les commande : c'est un immense flot, un formidable torrent de volupt ; on s'abandonne, on roule, on est emport dans un gouffre incandescent. Mais au sein de ce chaos damour, au plus fort de ce tintamarre psychique, au milieu de ce bouillonnement prodigieux de sve, la main de lartiste na pas trembl, sa plume dor ne sest pas ternie. Ouvertement opratique luvre est, sans ambigut, un sommet de sensualit amoureuse. Une orchestration sans retenue, lcriture amplement lyrique de la partie soliste et, surtout, le trouble dune tonalit complexe, en perptuel changement, porte par des accords dissonants non rsolus donnent lensemble une luxuriance dune exubrante richesse. La ligne de chant trs mouvante rappelle nettement larioso wagnrien, ce que Wagner appelle la mlodie infinie . Luvre exercera une forte influence, notamment sur Debussy qui sen inspirera pour son pome lyrique La Demoiselle Elue d'aprs Dante Gabriel Rossetti.

    XXe et XXIe sicles Cest sans doute en partie en raction ce paroxysme passionnel bien loign du sens originel du texte que Ralph Vaughan Williams (1872-1958) crit en 1925 son Flos Campi, pour alto solo, chur sans parole et petit orchestre.

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    Six mouvements enchans portent chacun en titre une phrase tire du Cantique des cantiques :

    1. Sicut lilium inter spinas, sic amica mea inter filias [2,2]. Fulcite me floribus, stipate me malis, quia amore langueo [2,5]. 2. Jam enim hiems transiit; imber abiit, et recessit ; Flores apparuerunt in terra nostra, Tempus putationis advenit; Vox turturis audita est in terra nostra [2,1112]. 3. Quaesivi quem diligit anima mea; quaesivi illum, et non inveni [3,1]. Adjuro vos, filiae Jerusalem, si inveneritis dilectum meum, ut nuntietis et quia amore langueo [5,8]. Quo abiit dilectus tuus, O pulcherrima mulierum? Quo declinavit dilectus tuus? et quaeremus eum tecum. [6,1] 4. En lectulum Salomonis sexaginta fortes ambiunt [3,7] omnes tenentes gladios, et ad bella doctissimi [3,8]. 5. Revertere, revertere Sulamitis! Revertere, revertere ut intueamur te. Quam pulchri sunt gressus tui in calceamentis, filia principis [7,1.2]. 6. Pone me ut signaculum super cor tuum [8,6].

    Le ton trs pastoral de luvre, parcourue dune motion frmissante et contenue, peut ne sembler entretenir quun lointain rapport avec le sentiment religieux. Pourtant, on notera sa parent avec une autre de ses pages dinspiration biblique, compose la mme poque, le ballet symphonique Job - en fait surtout inspir des illustrations de William Blake. Les rapports de Vaughan Williams la religion ont toujours t complexes. Alors que sa femme le dcrivait comme un athe ... [qui] a volu sur le tard vers un agnosticisme joyeux , il nen na pas moins compos une uvre religieuse nombreuse et a collabor plusieurs recueils officiels de chants religieux comme lEnglish Hymnal publi en 1906. Trs profondment attach la culture anglaise Vaughan Williams voit avant tout dans ces chants une expression profonde de lme musicale de son pays, la preuve de la vivacit de la pratique chorale enracine au quotidien dans la vie dun peuple, au-del de toute considration religieuse. Dans un dsir de simplicit il renonce lorchestration romantique et la musique programme. Paradoxalement, il utilise un chur sans paroles pour rendre des lments naturels (le vent, le bruit des flots) tandis que lalto, dont le compositeur jouait, trouve des inflexions proches de la voix humaine pour servir les motions du texte - intressant retournement de lorchestration que dutiliser la voix comme instrument et linstrument comme une voix. La partition, comme dautres de ses compositions dinspiration religieuse (Five Mystical Songs, 1911) semble nous parler dun amour transcendant, mais le sens nen a jamais t clairement dcrypt et elle a beaucoup drout ses premiers auditeurs lors de sa cration.

    A la suite de Vaughan Williams, un certain nombre de compositeurs vont essayer de rendre la potique si particulire du texte au travers des seuls instruments de lorchestre, comme Arthur Honegger (1892-1955) avec son ballet Le Cantique des Cantiques (1937), ou Paul Ben Ham (1897-1984) pour le second mouvement de sa suite symphonique From Israel (1972). Lapparition des instruments lectroniques a marqu un pas supplmentaire dans la voie de labstraction des interprtations musicales : Jacques Lejeune (1964-) Le Cantique des Cantiques (1989) pour acousmonium ; Barry Truax (1947-): Song of Songs (1992) ; Ivan Moody (1964-) auteur de plusieurs pices intitules Canticum Canticorum I IV (1985 2010). Ne croyons pas, cependant, que la veine de la musique chorale ou des grands oratorios se soit subitement puise. Au contraire, limmense majorit des compositions modernes restent bien

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    sr des uvres vocales mais, aprs les flamboiements romantiques, les musiciens reviennent plus de sobrit.

    Luvre la plus clbre de ce sicle reste sans conteste le Canticum canticorum Salomonis quod hebraice dicitur Sir hasirim du Polonais Krzysztof Penderecki (1936-). Cette partition de 1970 pour seize voix et orchestre repousse les limites du genre. Si elle a pu surprendre par son contraste avec les uvres prcdentes du compositeur et son extrme sensualit, cest avant tout son traitement tout fait nouveau de la voix qui lui donne son originalit. Penderecki cherche moins rendre le texte comprhensible qu' multiplier le pouvoir vocateur de la voix, par un mlange de chant, murmures, dclamation, sons siffls qui aboutit une musique voluant d'une texture presque hypnotique une succession de climax soutenus par l'ostinato de l'orchestre trait de faon trs percussive.

    Dans une veine semblable, nous pouvons galement citer le Canticum Sacrum (1955) dIgor Stravinsky (1882-1971), dont le Surge aquilo, et veni auster offre une relecture toute personnelle des polyphonies de la Renaissance.

    Partition oublie et pourtant remarquable, le Cantique des cantiques, pour chur de Jean-Yves Daniel-Lesur (1908-2002), illustre bien cette recherche dune grande puret dexpression dans la musique vocale. Dans cette partition pour douze voix cre en 1952, le compositeur franais illustre le texte biblique avec une pudeur qui nempche pas la sensualit. Dabord retenue, lexpression se libre peu peu jusqu la partie finale, lEpithalame, pome lyrique la louange des nouveaux poux, dune grande intensit.

    Dans lombre de ces chef-duvres, nous trouvons quantit de partitions de compositeurs connus comme Lukas Foss (1922-2009) : Song of songs, cantate pour soprano et orchestre (1946) ; Rued Langgaard (1893-1952) : Fra Hjsangen (du Cantique des cantiques) pour soprano et tnor solo, chur et orchestre, BVN 381 (1949) ; Jean Martinon (1910-1976), Le lys de Saron, ou Le Cantique des cantiques ; oratorio pour solistes, chur et orchestre sur la traduction d'Andr Chouraqui (1957), ou moins clbres comme lArgentin Mario Davidovsky (1934-) qui a servi par deux fois le texte en de vritables hymnes Eros : Scenes from Shir ha-Shirim, cantate sculaire pour soprano, deux tnors, basse et orchestre de chambre (1975) et Shulamit's dream, pour soprano et orchestre (1993), ou Sergue Slonimski (1932-) : Le Cantique des cantiques, pour soprano, tnor, chur mixte, hautbois, cor et harpe (1975), uvre orientalisante au modernisme mesur, qui semble vouloir mettre en valeur la dimension rotique de l'change amoureux. Plus rcemment, le compositeur Michael Torke (1961-) en a donn une interprtation dans Five songs of Solomon pour soprano et piano (2001), court cycle de cinq mlodies au style minimaliste. Citons, enfin, luvre du Pre Marcel Godard (1920-2007), matre de chapelle la Cathdrale Saint-Jean de Lyon Quatre dialogues tirs du Cantique des Cantiques pour chur mixte (2004), dont lcriture dune grande clart sinscrit dans la ligne des compositeurs Franais du sicle prcdent.

    Au-del de la tradition classique occidentale, nous remarquons deux tendances de grande importance musicale autant que sociologique qui semblent gagner en ampleur au fils des annes.

    Dabord, le renouveau de la culture juive, qui va donner la musique des uvres ambitieuses inspires de chants traditionnels, sous limpulsion de Lazare Saminsky (1882-1959)

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    compositeur et ethnomusicologue amricain dorigine russe, fondateur de la Gesellschaft fr Jdische Volksmusik de Saint Petersbourg. Au tout dbut du sicle, Saminsky parcourt les grandes villes de lEmpire russe pour collecter des mlodies traditionnelles quil harmonise et publie en 1914 en deux recueils First and Second Hebrew Song Cycles opp. 12 et 13. Nous y trouvons une version traditionnelle du Shir Hashirim, premiers vers du Cantique des cantiques, trs proche de la cantillation de la Torah, qui inspirera de nombreux compositeurs. Emigr aux Etats-Unis, il devient un important animateur de la vie culturelle amricaine et joue un rle de premier plan dans la reconqute de leur hritage par les compositeurs juifs. Inspir ou non de son modle, de nombreux compositeurs rompent plus ou moins avec les canons esthtiques habituels pour renouer avec leurs origines : Darius Milhaud (1892-1974) : Cantate nuptiale, pour voix et orchestre (1937) ; Mario Castelnuovo-Tedesco (1895-1968) : Songs of the Shulamite op. 163 (1953) ; Marc Lavry (1903-1967) : , Cantique des cantiques, oratorio pour solistes, churs et orchestre op. 137 (1940) ; Yehezkel Braun (1921) : Shir Hashirim pour chur 4 voix (1993) ; Yehudi Wyner (1929-) : Shir Hashirim (1993) (Prix Pulitzer 2006), qu'il dit avoir t inspir par le souvenir de sa mre chantant la mlodie de Saminsksy ; Alexander Aronovich Knaifel (1943-) : The Eighth Chapter, Canticum (1993). Ce retour aux sources hbraques du texte inspire dailleurs des compositeurs dhorizons divers comme Rudolf Wagner-Rgeny (1903-1969) : Schir Haschirim pour alto et baryton, chur de femmes et petit orchestre (1965) ; Hans Zender (1936-) : Shir Hashirim - Lied der Lieder, oratorio pour voix solistes, choeur et, orchestra (1992-1996) ; Julian Anderson (1967) : Shir Hashirim pour soprano et orchestre de chambre (2001), ddi Henri Dutilleux pour ses 85 ans. L'hbreu est utilis la fois pour ses sonorits spcifiques, exotiques mais aussi comme retour la puret originelle du texte, dbarrass de toute lecture thologique.

    Second mouvement notable, le rayonnement du Cantique des cantiques hors des sphres culturelles habituelles, attest par de nombreuses uvres de compositeurs du monde entier ou venu des musiques populaires, varits et rock. Ainsi, lorganiste franais dorigine libanaise Naji Hakim (1955-) a compos une suite symphonique pour orgue Le Bien-aim (2001). Son compatriote Zad Moultaka (1967), comme lui ptri dinfluences franaises, est lauteur dune belle uvre la croise de lOrient et de lOccident, Anashid, pour soliste, chur, orchestre de chambre et instruments traditionnels (2000). De Papouasie Nouvelle-Guine, nous vient The Song of Song pour mezzo-soprano et piano (2008) de Boudewijn Tarenskeen (1952-) et de Nouvelle-Zlande, deux uvres dEdwin Carr (1926-2003) : la cantate symphonique Song of Solomon (1986) et Five fragments from the Song of Solomon pour soprano et piano (2003)

    Enfin, la pop star Ofra Haza (1957-2000), aprs avoir intitul lun de ses premiers albums Shir HaShirim Besha'ashu'im (Le Cantique des Cantiques dans la joie, 1977), inclut la chanson Simeni kahotam al libecha' , sous le titre Love Song daprs 8,6-7 dans son disque le plus clbre, Shaday (1988). La chanteuse canadienne Karen Young (1951-) lui consacre les vingt chansons de son album Le Cantique des cantiques (2000), qui inspire lanne suivante un ballet au Nederlands Dans Theater. Nous pouvons galement citer les chansons The Song Of Solomon de Kate Bush (1958-) dans son album The Red Shoes (1993), et Dark I Am Yet Lovely (daprs 1:5) de Sinad O'Connor (1966-) incluse dans son disque Theology (2007). En France, le compositeur Rodolphe Burger (1957-) a crit une version musicale du Cantique des cantiques pour le mariage de son ami Alain Bashung avec la chanteuse Chlo Mons, cre lors de la crmonie et enregistre par la suite (2001), renouant ainsi avec lancienne tradition qui faisait de ces pomes des chants nuptiaux.

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    Conclusion Ces diffrentes mises en musique du Cantique des cantiques nous montrent trs clairement que, ds la Renaissance, les artistes ont t parfaitement conscients de lambigut du sens donn au texte, entre amour profane et religieux. Il en dcoule, chaque poque, un conflit entre la volont de respecter un style de composition strictement religieux, obissant un idal de puret transcendant les poques, et le dsir de moderniser le discours musical pour rendre plus accessible le message du texte. Si Chabrier et Jean Richepin ne semblent gure avoir prouv de scrupules donner une lecture franchement rotique du Cantique des cantiques, luvre trs mesure de Vaughan Williams montre que notre idal de puret en musique, lointainement inspir de Palestrina, sest sans doute construit en raction aux excs du XIXe sicle. De l son refus dutiliser des moyens orchestraux trop connots et son recours une formation indite.

    Ce que nous entendons aujourdhui comme tant de la musique pure serait alors une musique dlivre dun rapport trop troit au texte, au thtre, aux passions, autant dlments vus comme impuret musicale. Nous trouvons dj ce sentiment chez Palestrina, il lcrit lui-mme dans la prface son Canticum canticorum, mais ses successeurs ne semblent gure faire de distinction nette entre musique religieuse et profane. Lapparition dune telle diffrenciation au fil du temps peut tre le signe dun effacement progressif de la dimension spirituelle dans lart non spcifiquement religieux. Il est tonnant de voir que Vaughan Williams, alors mme quil se prtendait agnostique, a opr trs consciemment le chemin inverse, composant une musique a priori destine au concert mais porteuse dune forte dimension spirituelle. Lart remplacerait la religion comme forme de transcendance.

    Reste pourtant, au-del des sicles, une vision ternelle de lamour qui semble de plus en plus unanimement partage au-del des frontires culturelles.