Laurent (2013) parenté chez le MOssi terminologie Omaha L'Homme 2013

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Antropologia del parentesco

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  • SYSTME DE MARIAGES ET TERMINOLOGIE DE PARENT CHEZLES MOSSI (BURKINA FASO)Contribution l'approche de la terminologie omahaPierre-Joseph Laurent

    Editions de l'E.H.E.S.S. | L'Homme

    2013/2 - n206pages 59 87

    ISSN 0439-4216

    Article disponible en ligne l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    http://www.cairn.info/revue-l-homme-2013-2-page-59.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Laurent Pierre-Joseph, Systme de mariages et terminologie de parent chez les Mossi (Burkina Faso) Contribution l'approche de la terminologie omaha, L'Homme, 2013/2 n206, p. 59-87. --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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  • QUICONQUE A PARTAG lexistence de villageois mossi comprend la perplexit de lethnologue face la complexit des relations de parentquil dcouvre. On reste, en effet, toujours en de de la vrit lorsquonvoque le temps, la patience et limagination ncessaires pour apprhenderles principes de la terminologie qui caractrisent leur systme de parent.Globalement, partir dun individu de rfrence, cette terminologie esteffective sur quatre gnrations et sur au moins trois lignages, ce quiimplique une mmoire stendant sur prs dun sicle et la ncessit deretenir lexacte manire de sadresser des centaines de personnes.

    Pour une meilleure approche, notre raisonnement partira de lhypothseselon laquelle les relations entre parents consanguins et allis se fondentsur celle entre le neveu maternel et son oncle : un neveu maternel repr-sente, pour son oncle, le remplacement de sa mre, puis, la mort decelle-ci, il demande cet oncle de la remplacer en lui cdant une de sesfilles, quil appellera maman ! Cette formule premire vue nigma-tique circonscrit toutefois bien le problme, car elle fournit des pistes dinterprtation tout en maintenant distance, dans un premier temps,dautres caractristiques de la terminologie qui risqueraient de nous garer.Nous verrons quelle permet notamment de montrer comment les relations dautorit, hirarchiques et de comptition propres au patri-lignage sont tempres par les relations avunculaires reposant sur la colla-boration et la confiance. Ou comment, en dfinitive, les conduites socialesinduites par lunivers avunculaire, lgitimes par la terminologie mossi, se superposent, en la temprant, lidologie du patrilignage.

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    Systme de mariages et terminologie de parent chez les Mossi (Burkina Faso)

    Contribution lapproche de la terminologie omaha

    Pierre-Joseph Laurent

    Je remercie les membres du sminaire du Laboratoire danthropologie prospective de mavoir donn lopportunit, lors de la sance du 7 octobre 2011, de dbattre des principauxarguments de ce texte.

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  • tat de la questionIl sagit donc de tenter de comprendre pourquoi, pour Ego (masculin

    dans le raisonnement), la fille du frre de la mre la cousine croisematrilatrale est une mre pour lui, alors que le fils de la sur du pre le cousin crois patrilatral est un neveu, sachant que la terminologieest classificatoire, quelle regroupe sous le mme vocable un ensemble de personnes (par exemple, la mre, la fille de loncle maternel et la fille de la fille de loncle maternel sont des mamans pour Ego). Ce mcanisme,maintes fois dcrit, veut quautour dEgo les cousins croiss basculentdune ou de plusieurs gnrations ; Floyd G. Lounsbury (1964) lui adonn le nom de skewing principle, cest--dire de fusion oblique.

    1 Terminologie omaha : la fusion oblique (skewing principle)

    La terminologie omaha et, plus largement, les systmes crow et omahasont connus des anthropologues depuis la fin du XIXe sicle, surtout partir des travaux que leur ont consacrs Alfred L. Kroeber (1909), RobertH. Lowie (1928 : 267) Alfred R. Radcliffe-Brown (1952). Floyd G.Lounsbury, dans son analyse formelle des terminologies de parent crow etomaha (1964), exposait trois grands traits pour les caractriser, dont largle de projection oblique. Dans un style incisif, Rodney Needham, quialla jusqu remettre en question la catgorie mme de terminologieomaha 1, prcisait, propos de larticle de Lounsbury, que ces analyses :

    1. Ainsi, les Iatmul, les Miwok, les Nyoro, les Thado, pour ne citer queux, ont tous t assimilssur la base de leurs terminologies Omaha, alors quun simple coup dil suffit montrer que leursformes de classification sociale [] sont systmatiquement diffrentes (Needham 1977 : 114-115).

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  • 2. Cf. galement Francis Zimmermann (1993 : 116-129).

    3. ce propos, il est instructif de situer cet ouvrage dans le prolongement de larticle Structuresrticulaires de la pratique matrimoniale de Michael Houseman et Douglas R. White (1996), o les auteurs prcisent que lanalyse dun systme dalliance ne demande pas une mise lcartdes terminologies de parent, des rgles de prohibition ou de prfrence, etc., mais plutt leurrvaluation en fonction dune prise en compte systmatique des comportements rels . Et deprciser plus loin : Autrement dit, ce nest que lorsque les registres classificatoires, normatifs etcomportementaux du fonctionnement matrimonial sont envisags comme ncessairement maisindirectement relis les uns aux autres quune interrogation la fois plus approfondie et plus ralistede leur interrelation devient possible (Ibid. : 79).

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    quoiquelles se donnent toutes les apparences de la rigueur algbrique et lexactitude scientifique, elles nen demeurent pas moins trs simplesquant au fond []. [L]analyse complique des terminologies de typeCrow Omaha de Lounsbury napporte rien celle de Tax, qui lui estmme suprieure (Needham 1977 : 29). Franoise Hritier (1981) 2

    a trait de cette question pour la socit samo, voisine des Mossi ; elleexpliquait que : Naturellement, la comprhension de larmature logiquedu systme et des quivalences telles quelles sont restitues par lapplica-tion de ces trois rgles [nonces par Lounsbury] ne dit rien de limp-rieuse ncessit qui fait que le systme existe . Et de poursuivre : Il restecependant que si lon comprend bien comment un individu fait lappren-tissage de ce systme et lutilise dans sa vie quotidienne, la gense mmeet la raison dtre du systme demeurent insaisissables (Hritier 1996 :63-64). Elle avanait galement, pour rendre compte de la fusion oblique,que le systme omaha serait lexpression la plus accomplie de la dominationdes femmes par les hommes (Ibid. : 66-67) ; une explication qui, nous leverrons, ne nous semble pas tre la meilleure porte dentre pour rendrecompte de la terminologie de parent mossi. Concernant la fusionoblique, Maurice Godelier indiquait, quant lui : malgr les efforts denombreux thoriciens de la parent recourant diffrentes approchesformelles, linguistiques ou mathmatiques, personne na encore fournidexplication satisfaisante de la raison dtre de ce principe (2004 : 217).

    Fort de ces mises en garde, nous nous garderons de proposer notretour notre solution au problme. Nous montrerons plutt que les pistesouvertes par Michael Houseman et Carlo Severi, propos des Iatmul,nous semblent fcondes si on les compare au cas mossi (soulignant, par cette comparaison, quil existe bien des correspondances dordre structurel), notamment lorsquils expliquent :

    Le systme de mariage iatmul [] ne rside donc ni en lhypothse dune structuresociale idale, ni en loccurrence frquente de tel ou tel type de mariage lapplicationmthodique dune rgle ou dune recette , mais en une articulation la plus syst-matique possible, variable selon les circonstances, de deux principes dalliancecontraire (Houseman & Severi 2009 : 113)3.

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  • Suivant cette proposition, nous postulons que pour dmler la termino-logie de parent mossi, sans sgarer face tant de complexit, il fautlaborder en se laissant guider par la socit elle-mme. Cela permet decomprendre que, pour les Mossi, la terminologie ne se rapporte pas strictement aux indications relatives au mariage, mais plutt la manirede mettre en scne les comportements rituels qui rglent avec minutie lesrelations des uns avec les autres. Car ce sont ces relations, aux conduitesainsi rglementes par la terminologie, qui orienteront les projets dalliancesmatrimoniales. De sorte que, en plus de limportance accorde aux thories des informateurs 4, on se doit de prendre en considration lecontexte ethnographique au sens large : la perception de la personnehumaine, lensemble des types dalliance en uvre chez les Mossi, lesrituels lis aux tapes de la vie, ainsi que la nature de chacune des relationssociales valorises au sein de la famille et entre les lignages. Nous voudrionsdmontrer que ces dimensions dordre contextuel peuvent rendre effecti-vement compte du fonctionnement dune forme de terminologieregroupe sous la vaste catgorie omaha. Mais, pour cela, posons demblequil convient de porter un double regard sur la socit, en dcrivantdabord la famille mossi de lintrieur, sans toutefois sy laisser enfermer,afin de pouvoir, dans le mme lan, relater les relations entre les lignages,et entre ceux-ci et les pouvoirs politiques locaux. Dautres mthodesconduiraient rapidement des dbats striles, des aberrations, des suppu-tations et, le plus souvent, des impasses, l o les villageois, la diffrencedes ethnologues (et des enfants mossi), sy retrouvent pourtant aisment.

    Approche contextuelle des relations de parent et dallianceLes lments de contexte prendre en considration pour envisager

    dapprhender la terminologie de parent mossi sont, surtout, la personnehumaine telle quelle est perue, les types dalliance dans leur ensemble,les rituels lis aux tapes de la vie, ainsi que les relations sociales valorisesau sein de la famille et entre les lignages.

    La construction de la personne humaine

    Le premier lment contextuel que nous considrerons est celui quiconcerne la construction de la personne humaine et sa perception chez les Mossi. Ce sujet tant particulirement vaste et complexe 5, il ne sagira

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    4. Dans le sens donn par Viveiros de Castro lorsquil suggre que la pense indigne doit treprise si on veut la prendre srieusement comme une pratique de sens : comme dispositif auto-rfrentiel de production de concepts (2009 : 168).

    5. Sur ce sujet, cf. par exemple : tienne Poulet (1970) ; Amad Badini (1979) ; Doris Bonnet(1988).

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  • ici que dattirer lattention sur les lments offrant quelques cls pourcomprendre le fonctionnement de la terminologie mobilise par les Mossi.Par exemple, la faon dont ils conoivent la personne humaine permet decomprendre pourquoi la cousine croise matrilatrale nest pas seulementet simplement perue comme une maman, mais est bien une maman.Or, la terminologie requise dans cet exemple ma (la mre dEgo) et ma bila (sa cousine croise matrilatrale) exprime le cur de lidentitcoutumire mossi, savoir la permanence de ltre, selon laquelle il ny apas dtres neufs mais toujours les mmes qui reviennent 6 : ma et ma bilasont semblables, en ce sens quelles peuvent tre le vecteur du retour dumme anctre.

    En effet, chez les Mossi, une composante de la personne, linstancednomme siiga ( force vitale ), reprsente gnralement, lissue deplusieurs transformations (siiga, tuul, kiima ), un anctre (kiima, pl. :kiimse). Autrement dit, le siiga, vritable double de la personne humaine,correspond non seulement lessence mme de la vie, mais aussi laprsence de nen-lebende, le regard retourn, le monde invisible. La rf-rence aux anctres voque la loi du groupe, matrise par les ans, celle des pres morts . La naissance comme la mort quivalent des rituels depassages, o globalement ce sont les mmes tres qui, changeant de statut,reviennent parmi les vivants ou partent vers la cour des anctres (kiim-kulugo). La collectivit apparat ds lors immuable, fige, tablie pour unelongue dure et, la faveur dune suprme ruse, le groupe des vivants seperptue comme identique lui-mme : le rituel des funrailles symboliselaccouchement 7 et lon dit dune femme qui accouche quelle a sontombeau ouvert . Tout se passe donc comme sil ny avait pas vraimentdtres neufs chez les Mossi, mais danciens tres qui, lissue dun sjourdans la cour des anctres, reviennent prendre leur place parmi les vivants.

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    6. Le baga (le devin ) est lexemple parfait de cette immuable permanence . Lors de son intronisation, la socit clbre ses funrailles, cest--dire la mort (le dpart) des instances de sapersonne hrites de ses ascendants afin de librer le chemin pour quil puisse devenir le rceptacledu tibo, cest--dire lesprit mme de la divination. Il faut savoir que cet esprit, la suite dpreuvesquil a fait subir aux humains, a choisi cette personne pour figurer parmi les vivants. Le bagaincarne la permanence de ltre puisque, au-del des gnrations, il est lesprit intemporel du tibo.Dans la socit mossi, le devin (baga) possde, entre autres fonctions, celle de temprer les ardeurssorcires. Situ en dehors de la mle des sentiments humains, rput inattaquable par les sorcierscar dessence surnaturelle, le baga ne connat ni dsir, ni peur, ni jalousie. Ds lors, fort de sa capacit gouverner linvisible, peru comme un ultime recours, le baga constitue un contre-pouvoir face aux forces destructrices de la collectivit que sont censs figurer les envieux, les jaloux,les intrigants. Lorsque les autres possibilits ne suffisent plus maintenir la paix, le baga, par laviolence symbolique quil matrise pouvant aller jusqu induire la mort , simpose alors touslentente (wuum taaba), cest--dire par-del le conflit, lidologie du silence qui est aussi la paixfonde sur le consensus.

    7. Le tombeau lui-mme symbolise le corps de la femme qui accouche.

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  • Cela caractrise la transsubstantiation partielle , car cest plus exacte-ment dune parcelle danctre, le segre, quil est ici question (cf. Lallemand1978), et conduit concevoir la stabilit du segment de lignage (buudu)au-del de la succession des gnrations et de la sparation inhrente lamort. Ajoutons enfin que lanctre revient chez un de ses descendantsen ligne agnatique et quil peut revenir chez plusieurs personnes simulta-nment (Bonnet 1988 : 88).

    Une socit guerrire

    Les Mossi constituent historiquement une socit guerrire o laviolence tant institutionnelle8 que physique tait quotidienne. Ce fait nestpeut-tre pas sans rapport avec une terminologie de type omaha, dans lamesure o un trait de la terminologie consiste, chez les Mossi, imposerune forme de paix (avunculaire) transversale aux units de rsidence,qualifie de zemes taaba ( ajuster ensemble ).

    Membres dune socit tat hirarchise et centralise , expan-sionniste, les Mossi terrorisrent, par la supriorit de leur art guerrier, les populations paysannes voisines organises en socits lignagres (dsignes par eux comme tant les autochtones). Il leur fut ainsi ais desimposer et de constituer leur territoire : le Moogo. Lorsque les cavaliersmossi envahirent le plateau central, ils possdaient dj Wende, divinitguerrire. Ce Dieu cavalier accorda aux descendants du prince fondateurOuedraogo le principe de commandement, le naam : les Mossi doriginenoble (nakoms) naissent avec le dsir et le pouvoir de commander lesautres, de devenir un jour le naaba (le chef ) dune unit territoriale.

    Un systme dalliance semi-complexe : principes gnraux

    Suivant, comme nous lavons vu, la terminologie de parent appele omaha , le systme dalliance mossi est semi-complexe, cest--dire quilrepose sur un ensemble de rgles qui dterminent les groupes de personnesinterdites au mariage 9 : le mariage est fond sur un principe dinterditsconsanguins. La socit mossi est ds lors strictement exogamique, lexogamie tant en principe recherche sur trois gnrations entre lespersonnes ayant un lien de parent, quels que soient les intermdiaires quiles relient ; huit lignages sont donc gnralement prohibs : ceux de F, M,FM, MM, FFM, FMM, MFM ; MMM10. La polygynie est autorise.

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    Pierre-Joseph Laurent

    8. Celle produite par les royauts mossi (cf. Michel Izard 1992).

    9. Cf., par exemple : Franoise Hritier (1981) ; Virginie Vinel (2005) ; Francis Zimmerman(1993).

    10. ct de cette rgle gnrale, il en existe dautres (re)tudies dernirement par Virginie Vinel : En outre, un homme ne peut prendre comme co-pouse la sur de mmes pre et /

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  • Dans lOubritenga, o jai men lessentiel de cette enqute, comme lamontr Suzanne Lallemand, labsence dintermariages des Mossi pursavec le groupe des Peuls et celui, cast, des forgerons, accentue encore latendance lexogamie (1977 : 156-157). Toutefois, si la rgle dexogamiefavorise lextension permanente des rseaux dalliance, elle nimplique pasncessairement que laire des relations matrimoniales soit trs tendue.Ainsi, en 1971, Jean-Marie Kohler montrait, quant lui, que : Les milletrois cents femmes maries Pilimpikou sont originaires de prs de quatre-vingt-dix localits, situes en majorit moins de 25 km de Pilimpikou (1971 : 181) ; ces observations corrobores par dautres, plusrcentes, mettent en vidence une assez nette endogamie gographique11.Il convient nanmoins de prciser que, le plus souvent, lhomme trouveson ou ses pouses en dehors de son propre village. Ajoutons, enfin, que la descendance est patrilinaire ( la naissance lenfant appartient aux hommes, ici au lignage du mari ; si la femme quitte la rsidence de son mari, elle doit laisser ses enfants) et que la rsidence est patrilocale (le couple mari sinstalle dans le lieu de rsidence de lpoux), avec une certaine propension avunculocale.

    Alliances principales et secondaires

    Avant de rendre compte de faon plus dtaille des trois types dalliancerencontrs chez les Mossi, soulignons que les anthropologues diffrencientsouvent les mariages principaux des mariages secondaires. Or, selon notrepoint de vue, cest sans distinction lensemble des alliances quunepersonne a connues dans son existence qui doit tre analys : lallianceprincipale et ses rgles trs officielles npuisent pas la question lorsquonsait que les autres alliances, dites secondaires, ne le sont pas particulire-ment pour les personnes qui les contractent ou qui doivent sy soumettre.

    Chez les Mossi, les formes prises par les alliances coutumires permettent tout adulte, quel que soit son ge, dobtenir, tt ou tard, un conjoint(plusieurs dans le cas dhommes polygynes) et de rester mari toute sa vie.La plupart des femmes, si elles sont gnralement contraintes un premiermariage coutumier, officiel (souvent voulu par les ans, voire par lesanes), connaissent pourtant une vritable carrire matrimoniale en se

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    [Suite de la note 10] mre que sa femme, mais il peut pouser une demi-sur agnatique ou unesur classificatoire de celle-ci. Un fils peut se marier une agnate dune femme de son pre et deuxfrres rels peuvent sunir des femmes du mme lignage []. Une femme, quant elle, ne peutse marier, ni avoir de rapports sexuels avec un agnat de son poux [sauf lvirat] (2000 : 207).

    11. Virginie Vinel explique que : Dans ce quartier sikoomse, lendogamie locale est patente. En effet, sur les 182 alliances recenses [] 155 (85 %) [ont t contractes avec une personnersidant] dans un rayon de dix kilomtres (2000 : 209). Cf. aussi Franoise Imbs (1987 : 96-103).

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  • remariant plusieurs fois, en fonction des alas de la vie mais aussi de leurs propres choix, ruptures, fuites et enlvements tant frquents. Quantaux hommes, lorsquils sont polygames, ils peuvent se retrouver marisavec un groupe de femmes qui, pour les raisons que lon vient dvoquer,varie fortement avec le temps. De ce fait, chaque membre du groupe sassure une place dans la socit, mme lorsquil ne sera plus productif et devra alors tre pris en charge par la nouvelle gnration. Autrementdit, pour la socit coutumire mossi, il ny a pas de place viable longterme pour un clibataire : tout adulte se doit dtre mari, quil soit jeuneou vieux, beau ou laid, fort ou faible, fcond ou strile Cela constituele seul statut acceptable et la seule possibilit, donne des momentsparticuliers de la vie de chacun, dassurer sa survie12.

    Du point de vue des personnes, ce sont les ans qui recourent au typedalliance dite principale (laquelle peut appartenir indistinctement auxtrois groupes dcrits dans le point suivant), selon des critres stratgiques,et en fonction des opportunits et possibilits qui se prsentent, pour marier les jeunes qui doivent sy soumettre dans lintrt des lignages.Par la suite, si ces personnes contractent dautres alliances, secondaires,elles pourront le faire de leur propre volont (sentiments amoureux et/oude stratgies de survie, par exemple) et non plus uniquement en fonctiondes lignages.

    Ce sont donc le contexte et la trajectoire matrimoniale de chacun quiqualifient les alliances de principales ou de secondaires, et non un classe-ment dordre hirarchique. Ce qui importe davantage est que ces alliancesrevtent diffrentes formes, rparties en trois groupes, chacune rpondant un type de relation prcis avec un lignage alli ou en voie de le devenir.Les chefs de lignage (buudukasma) et/ou les jeunes garons sauront utiliser sa juste valeur chaque forme dalliance dans la qute dune pouse. De leur ct, les femmes maries renforceront leur autorit et leur pouvoirdans la cour de leurs maris par la conclusion dalliances impliquant des jeunes filles de leurs propres lignages (filles de frres).

    Le systme de mariage mossi : trois groupes dalliances forment un tout cohrent

    Aprs avoir montr quil ny a pas lieu dtablir de distinction entrealliances principales et secondaires, nous nous proposons denvisager lensemble des formes dalliances mossi en un systme cohrent, partirdes quelque neuf exemples observs sur notre terrain, dans le village de

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    12. Pour une discussion dtaille de cet argument, cf. Pierre-Joseph Laurent (2010).

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  • Kulkinka. Mais, pour ne pas tre rductrice, cette dmarche doit parvenir considrer ces alliances globalement et non sparment, selon unechelle de valeurs, par exemple 13. On sait que des alliances trs spcifiquestelles que le pog siuur 14 ont parfois servi de rfrence pour penser lensemble du systme mossi, tout comme certaines tudes ne se sont attaches qu des aspects particuliers inhrents ces types alliance 15. Or, mon sens, ces approches ne font ressortir larticulation globale de ce systme que partiellement (Vinel 2000, 2005).

    Selon notre hypothse, une logique densemble se dgage du systme de mariage mossi, historiquement fonde sur la ncessit doptimiser les chances dobtenir des pouses pour les hommes du lignage, et repo-sant, en mme temps, sur deux principes apparemment contradictoires :lun, douverture vers de nouveaux allis et lautre, de repli sur soi-mmeen reproduisant danciennes alliances. Cette manire denvisager lalliancemossi se rapproche une fois encore des analyses de Michael Houseman et Carlo Severi sur les Iatmuls : Le systme de mariage iatmul [] nerside ni en lhypothse dune structure sociale idale [], mais en unearticulation la plus systmatique possible, variable selon les circonstances,de deux principes dalliances contraires (2009 : 113)16.

    Cette logique ambivalente permet ainsi didentifier deux types dalliance, diffrents mais complmentaires : les alliances du premier type(pog belongo, pog kuuni ), qui portent essentiellement sur la recherche de nouveaux allis, afin dlargir le rseau des lignages donateurs avec lobjectif de trouver des pouses pour les fils de son propre lignage ; les alliances du deuxime type (yir paga et ma bila), qui consistent essen-tiellement remplacer des pouses ges et donc reproduire une parentdj initie par un belongo (une alliance de premier type). Ces alliances du deuxime groupe sont gnralement les plus nombreuses. Le belongo,pour sa part, ouvre de nouvelles perspectives lorsque les autres possibilitsde mariages au plus proche (yir paga et ma bila ) samenuisent ( lasuite, par exemple, de diffrends, assez frquents, avec les lignages allis).

    Tout se passe donc comme si, pour trouver des pouses aux fils dunmme segment de lignage, il fallait la fois ouvrir de nouveaux cheminsde parent, en concluant des pactes indits dalliances avec les lignages

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    13. Dans son ouvrage, Jean-Marie Kohler (1971) reste plutt discret sur ce point dans son chapitreconsacr aux alliances chez les Mossi.

    14. Une alliance plutt valorise au sein des lignages naam (noblesse moaga), cf. Marc-ric Grunais (1985).

    15. Cf. la question des r-enchanements des alliances, o les allis sont aussi des parents.

    16. Voir notamment les prcisions apportes par la note 19 de la mme page.

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  • jusqualors inconnus mais qui deviendront ensuite des allis, et mettre tout en uvre pour reproduire, gnration aprs gnration, les accordsdalliance conclus pralablement avec les lignages traditionnellementdonneurs dpouses.

    ct de ces deux premiers types dalliance troitement associs, sentrouve un troisime. Par la diversit des formes dalliance quil regroupe(sukiri, pokokr, pog siuur, teke teke, baga tibo ), il offre la possibilit des hommes et des femmes de rsoudre un problme dalliance (difficult trouver une pouse pour un groupe particulier, strilit, fuite dunepouse, dcs dun conjoint), sachant que chez les Mossi, comme nouslavons vu, il ny a pas de place pour les clibataires 17. Il convient de garderen mmoire que seule lalliance permet chacun, des moments particuliersde la vie, dassurer sa survie. Son rle consiste aussi assurer la scuritsociale et conomique des catgories de personnes considres, dura-blement ou provisoirement, comme les plus faibles pour un groupe (les plus vieux, notamment). Cette recherche de scurit repose sur troisprincipes : la solidarit transgnrationnelle, les alliances secondaires (lhritage par des cadets des pouses plus ges dun pre ou dun frrean dcd) et certains aspects des trajectoires matrimoniales 18.

    2 Systme de mariages mossi

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    17. Les hommes accdent tardivement au mariage, parfois bien au-del de vingt ans, alors que les femmes sont gnralement maries dix-sept ans.

    18. Pour un dveloppement de cette argumentation, cf. Pierre-Joseph Laurent (2010).

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  • Le dcor ainsi pos, il est prsent possible dexaminer de faon plusdtaille le fonctionnement de ces alliances.

    Alliances du premier groupe : ouvrir la parentPartons du fait que, dans la socit mossi, le belongo (litt. : chercher

    les faveurs de ) consiste, pour un pre ou un grand-pre (dans le sens de buudu kasma : chef de segment de lignage ), ngocier auprs dun homme dun autre lignage lobtention dune pouse pour lui, ses collatraux ou ses descendants. Dtenant ainsi lautorit en matiredalliance, les ans, le plus souvent des hommes (mais pas uniquement,nous le verrons), dterminent, selon les rgles, mais aussi en fonction deleurs intrts (personnels ou politiques), les fiances autorises. Le choixtant fix, il sensuit de longues tapes.

    Lalliance pog belongo est hasardeuse : elle peut se solder, aprs des annesde ngociation, par un chec. Cette ngociation, longue et difficile,dpend essentiellement de la volont des pres (des ans) qui viventsouvent une relation conflictuelle avec leur premier fils et qui rechignent,dans ce cas, leur trouver rapidement une pouse. Lorsque laccord estfinalement conclu, devant tmoins et devant les anctres, il quivaut un pacte transmissible de gnration en gnration.

    La conclusion dune alliance par belongo est donc particulirementexigeante et alatoire, si bien que les protagonistes ny recourent que par ncessit. Elle repose sur de nouveaux rapports de confiance entre les lignages (basm-yam), les gnrations et les sexes 19, qui ne stablissentque progressivement, aprs de longues prestations (reemdo) inhrentes aux obligations du fianc :

    LAZARE (55 ans, quartier de Bissiga, Kulkinka) : Il fallait de dix vingt ans pourgagner une femme par belongo. Cest partir du moment o la fille a 7 ans que tu commences aider sa famille .

    Parmi lensemble dobligations et de rituels requis pour un mariage parbelongo, trois tapes viennent plus particulirement ponctuer cette longueapproche : le sakre teedo, le pog-puusem et le gam peogo. Le sakre teedo( donner du matriel la fille ) est la premire obligation du fianc, par laquelle il offre des prsents la jeune fille quil convoite. Cette tape constitue lannonce officielle de la perspective dune alliance 20.

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    19. Jai dcrit ailleurs en dtail les tapes de ce type dalliance. Compte tenu de la complexit destapes et des rituels mobiliss, il ne peut en tre question ici (cf. Laurent 2009).

    20. Durant toute cette phase, il est frquent quun ou plusieurs membres du lignage demandeurviennent rendre des services dans les champs du lignage donneur.

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  • Le pog-puusem (salutations du lignage preneur au lignage donateur) estune autre tape dcisive, demandant plusieurs semaines de prparation. Le dplacement des reprsentants du lignage demandeur dans le villagedonneur, en vue de concrtiser les relations de confiance (basm-yam), en reprsente lpisode crucial. Aprs de longues ngociations, concernantla rpartition au plus juste des prsents apports par les visiteurs et la manire de sadresser aux anctres convoqus pour loccasion, la dl-gation salue chaque membre du patrilignage donneur dpouse. Le projetdalliance est longuement dtaill. Les anctres sont consults pour sassurer quil respecte les interdictions ; avant que laccord ne soit dfini-tivement scell, des sacrifices sont effectus pour obtenir leur aval. Uneissue favorable du pog-puusem mne la dernire tape : la prparation,par les agnats de la jeune fille, du gam peogo ( panier entour dunfilet )21, qui rassemble les ustensiles de cuisine indispensables la jeunepouse lorsquelle aura rejoint la cour de son mari. Finalement, le mariagese droule une date convenue par les parties. Un cortge, compos des agnats du fianc et de ses amis, simule lenlvement de la jeune pouse(pog peegre), en demandant son buudu kasma ( chef du lignage ) lautorisation de lemmener et de la conduire dans le village de son mari.Ce jour du mariage (sibri daar) est plutt un jour triste, qui se passe sansgrandes rjouissances pour la jeune fille et dans la crainte, pour la famillede son mari, quelle ne senfuie du domicile conjugal.

    Lautre alliance du premier groupe, lalliance par pog kuuni ( don dunefemme ) diffre du belongo dans la mesure o les phases de ngociationnexistent pas : lpouse est donne un ami de son pre en guise deremerciement, pour sceller leur amiti. Les critres qui permettent de laclasser dans ce premier groupe demeurent louverture de nouveauxlignages donateurs dpouses et le fait quelle est susceptible dtre renou-vele (r-enchane) la gnration suivante.

    Face ces exigences et contraintes inhrentes aux alliances du premiergroupe, les Mossi retirent le sentiment que les femmes sont rares et lesconsidrent comme le bien le plus prcieux quun homme puisse acqurir.Il semble galement quils cherchent privilgier les alliances du deuximegroupe, qui reproduisent des accords dj conclus et sont donc beaucoupplus simples mettre en uvre.

    Alliances du deuxime groupe : reproduire les accords prexistantsLes alliances du deuxime groupe revtent deux formes. La premire

    consiste remplacer une pouse ge par une jeune femme (yir paga :

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    21. galement dsign par le terme pag teedo ( matriel de la femme ).

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  • femme de la cour de la femme ), le plus souvent ngocie par cettemme pouse ge (pubdba : sur de frre ) auprs de son patrilignage,pour lui venir en aide dans les tches quotidiennes. La seconde forme estlalliance ma bila ( petite maman ), au cours de laquelle un neveungocie auprs dun oncle maternel une de ses filles (ou une des filles deses filles) une cousine croise matrilatrale pour remplacer sa mredfunte. Les alliances de ce deuxime groupe sont donc beaucoup plusaises conclure que celles du premier : les longues tapes du belongo(sakre teedo, pog-puusem et gam peogo) nont pas lieu dtre puisquelles ontdj t effectues, une fois pour toutes, lors des alliances antrieures, cest--dire loccasion dun premier belongo. Les Mossi expliquent queces tapes sont devenues inutiles car lamiti existe dj entre les lignagesainsi allis :

    CHARLES (65 ans, quartier de Bissiga, Kulkinka) : Tu comprends, la parent grce ces alliances-l (ma bila) ne finit jamais []. Attention, le mari ne doit pas saluer ses beaux comme dans le belongo. Il ne doit pas faire de salutations (pog-puusem) [].Moi-mme, je nai rien fait [pas de salutations] pour lobtenir ma bila, comme la parent existe dj .

    En 1990, je fus tmoin Kulkinka du dcs de la mre de Charles. lpoque, prs de soixante ans, il en fut fortement affect. Quelquesannes plus tard, en novembre 1995, loccasion dune visite, il meprsenta ma bila, sa petite maman de huit ans. Il mexpliqua quelle ntaitpas venue la suite de belongo ni de pog siuur, mais que cest son onclematernel (yaseba) qui lui avait donn ma bila. Jexposerai ici quelqueslments de cette histoire, particulirement reprsentative de ces alliancesdu deuxime groupe et donc, plus largement, du systme de pense mossiet de sa conception de la parent.

    La mre de Charles, Sita, tait originaire de Tanlili, un village situ prs de quatre-vingts kilomtres de Kulkinka. Le yaseba, loncle maternelde Charles, avait donn sa sur un homme de Kulkinka (un onclepaternel de Charles). Cet homme mourut et, selon la rgle du lvirat, sa femme fut attribue un frre cadet du mari dfunt, Sotiss, le pre deCharles. Sotiss avait dj une pouse et Sita eut trois enfants. Un jour,loncle maternel (yaseba) de Charles, le frre de Sita, lui rclama une de ses filles pour la donner un ami 22. Sotiss refusa, argumentant que sa femme venait de loin et quelle navait pas de famille pour laider Kulkinka (une femme reste toujours une trangre dans le lignage de

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    22. Sur la captation denfant, ici par les grands-parents maternels, cf. Suzanne Lallemand (1977 :211-213, voir aussi 1993 : 151-152).

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  • son mari). Une longue brouille sensuivit. Et Charles, encore enfant, ne serendit jamais Tanlili avant 1992, soit deux ans aprs le dcs de sa mre,Sita. Il nourrissait alors le dsir de connatre sa famille utrine23 :

    CHARLES : Tanlili est un grand village. Jai dcouvert de nombreux parents de mamaman. Ce jour-l jai beaucoup pleur. Je pensais aux raisons qui mavaient empchde venir ici lpoque o ma maman vivait .

    Le neveu (yagenga), qui navait jamais rencontr son yaseba, lui rendit finalement visite dans lintention de lui demander quune enfant de Tanlili vienne vivre avec lui et devienne ma bila. Il rappela loncle lesvnements qui conduisirent leur famille signorer, mais, prsent que sa mre tait morte, il le priait de rtablir les relations de parent (rgom).Charles expliqua son yaseba qu la suite de leur diffrend, il avait toblig de se prsenter devant le chef mossi (le Chef du royaume duZitenga), afin dobtenir une fille pour remplacer sa mre dfunte, tantdonn que celle-ci navait pu demander elle-mme son propre lignage,selon lusage, une yir paga pour laider dans les tches quotidiennes quelle ne pouvait plus accomplir seule. Charles expliqua encore au vieil oncle quil voulait une vraie maman qui resterait dans sa cour.Aussi prcisa-t-il : Lorsque je la verrai, ce sera comme si ma maman vivait encore . Le yaseba, touch par ses paroles, rpondit son yagenga dallervoir ses filles et de choisir, parmi leurs propres filles, laquelle remplacerait sa mre. En 1995, une dlgation de Kulkinka ramena ma bila, alors ge de huit ans, chez Charles, cest--dire chez son fils selon la termi-nologie mossi, non sans avoir t pralablement prsente sa grandefamille (buudu) :

    CHARLES : Tous les jours, lorsque je la regarde, je pense ma maman. Elle estpetite, mais cest elle qui la remplace, je lappelle ma bila : cest a le remplacement. Je lappelle ma bila, petite maman ou pog nyanga, la vieille. Elle me rappelle sans cessema maman. Pour mamuser, je lui demande de tter son sein, mais elle refuse .

    Le cas de Charles correspond donc lexemple parfait dalliance ma bila :aprs le dcs de sa mre, un fils devient demandeur dpouses auprs deses oncles maternels. Il justifie cette revendication la fois par le chagrinque lui procure la disparition de sa mre, par le fait que plus personne nese rendrait dans le village maternel si la parent sinterrompait et par la croyance que, via la transsubstantiation partielle (rincarnation partielledun anctre), il pourra retrouver sa maman. Il ne peut pas lpouser car,

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    23. Pour plus de dtails concernant ce cas qui nous plonge au cur de la parent moaga et de sonsystme de pense, cf. Pierre-Joseph Laurent (2009).

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  • dans le systme de pense mossi, bien exprim par la terminologie, cette fille quivaut sa maman : il lappelle mre et elle lappelle fils ,alors quils ont le mme ge, voire, comme dans notre exemple, deux gnrations dcart. Mais, par cet acte, lui-mme devient un donneurdpouses, soit pour un fils dune co-pouse de son pre, soit pour un filsdu frre de son pre (un cousin parallle patrilinaire) ou, plus largement,pour un membre de son patrilignage. La terminologie mossi oriente lescomportements entre les personnes et donne des indications sur les mariagespossibles, voire souhaitables, sans pour autant prescrire qui pouser.

    Dans les alliances de ce deuxime groupe, yir paga et ma bila sont doncdes cousines croises matrilatrales et portent le nom de ma ( maman )pour Ego dans la terminologie mossi. Ces alliances, selon lidologie patrilinaire mossi, nexigent plus la mobilisation dun chef de segment du lignage, mais, plus modestement, lintervention dune mre (pour layir paga) ou dun neveu maternel (dans le cas de ma bila). Elles sontfrquentes et les plus valorises ; tant quelles ne sont pas interrompues par des disputes, elles permettent de poursuivre et de reproduire, de gnration en gnration, les relations de parent, inities par les ans (les pres) la suite dun belongo, voire dun pog kuuni. Cest dans ce sensque je propose de comprendre et dintgrer ici les analyses de VirginieVinel sur le r-enchanement des alliances 24.

    Alliances du troisime groupe : rsoudre des problmes particuliersLe troisime groupe dalliances existant dans le systme de parent

    mossi (sukiri, pokokr, pog siuur, teke teke, baga tibo) 25 sapparente plutt des alliances ad hoc qui rpondent des problmes spcifiques. Il sagitsurtout de rpondre des besoins du groupe, ou encore des problmesde strilit, de fuite dune pouse ou de dcs, en permettant auxhommes et femmes qui y sont confronts de trouver, malgr tout, unconjoint que lon sait indispensable pour ladulte mossi. Une description

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    24. Les r-enchanements dalliance, la rciprocit entre lignages et la circulation des fiances dans la parent permettent la perptuation dchanges entre un nombre restreint de lignages et lemaintien de lendogamie locale (Vinel 2005 : 211). Au-del du fait quil convient de coupler cetteendogamie une ouverture, lauteure met en lumire trois types de r-enchanements dalliance :un homme peut recevoir plusieurs pouses dun mme lignage ; les frres rels ou classificatoiresobtiennent des pouses dun mme lignage ; un homme prend une pouse dans le lignage dune co-pouse de sa mre ou dans le lignage dune co-pouse de sa grand-mre. Jai dj indiqu que si ses informations sont trs prcieuses, elles restaient intgrer dans une proposition gnraledapproche du systme de mariages mossi et de la terminologie omaha. Par une autre entre, DorisBonnet a dj rendu compte de ce processus, lorsquelle traite des droits de lenfant de la donatrice(ici la pugbda : sur de pre ) sur le premier enfant de la yir paga dont elle avait permis le mariagedans le lignage o elle est elle-mme marie (1988 : 54).

    25. Pour une description dtaille de lensemble de ces alliances, cf. Pierre-Joseph Laurent (2010).

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  • dtaille de ces alliances ne peut malheureusement prendre place ici tantles questions qui les caractrisent sont techniques, parfois complexes. Cestle cas, notamment, des alliances par pog siuur 26 ( don diffr dpouse ),plutt ralises entre lignages dascendance royale (cf. Marc-ric Grunais1979 : 41-42) ; ou encore, de celles par teke teke, qui correspondent audon rciproque de femmes, en situation de dfiance par exemple.

    Distribution des alliances mossi selon les trois types

    Idologie du patrilignage et univers avunculaireOutre les alliances du troisime groupe qui, pour importantes quelles

    sont, restent part, nous avons montr que les alliances du deuximegroupe, yir paga et ma bila, gnralement les plus nombreuses, sarticulentavec celles du premier groupe, belongo et pog kuuni, quelles reproduisent.Ainsi, tant que des diffrends (tels que la rupture avec loncle maternelvoqu dans notre exemple, ci-dessus) ne viennent pas interrompre la relation, les alliances du deuxime groupe peuvent se r-enchaner gn-ration aprs gnration 27.

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    26. Pog suuir : de pog, paga ( femme ) et siubo ( donner dans lattente dun profit retirer ), cf. le Pre Gustave Alexandre (1953). Pog siuur : pratique consistant rendre le premier enfantau donateur de la mre , cf. Norbert Nikima & Jules Kinda (1997 : 712).

    27. Sachant que notre intention nest en aucun cas dlever ce type dalliance celle o la cousinecroise matrilinaire est donne par Ego un cousin parallle patrilinaire au rang de mariagecanonique chez les Mossi. Rptons-le une fois encore, chaque alliance importe et remplit son rledans ce systme, dans la mesure o elle est mobilise en fonction du contexte et des circonstances.

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  • Lalliance ne regarde pas seulement les individus concerns, mais toutun segment de lignage ; pas une, mais plusieurs gnrations. De sorte que les alliances dpendent tout autant de lautorit des ans (hommes et femmes) du lignage que des mres et leurs fils, en fonction de leurs capacits de ngociation, de leurs rputations, mais galement du potentieldalliances hrites des gnrations prcdentes et devant tre ngocies,cest--dire ractives chaque gnration pour les rendre effectives. Lhypothse dfendue dans ce texte est que la terminologie de parentmossi concourt rendre possible cette effectivit, en forgeant et valorisantds le plus jeune ge les conduites ad hoc, celles aptes oprer ce renou-vellement des alliances conclues par les gnrations antrieures. Autre-ment dit, un pacte dalliance conclu par ces dernires na de valeur quetant quil est actualis par le tmoignage dun comportement adquat,particulirement attentif aux droits et aux devoirs de chacun, de la partde la gnration suivante. Un pacte dalliance nentrane pas dobligationsfermes, mais des potentialits actives notamment par la terminologie.Cest dans ce sens quon peut parler de structure semi-complexe de laparent, dans la mesure o elle nest pas contraignante mais indicative, l o la terminologie nindique pas vraiment avec qui se marier, maiscontribue plutt orienter les conduites afin de permettre lactualisationdes potentialits contenues dans les pactes hrits.

    3 Envoyer (1), renvoyer (2) et remplacer (3)

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  • Envoyer : la femme est paga (pouse )et pugdba (sur de pre )

    Quand une jeune pouse (paga) arrive dans la famille de son mari (sida),elle occupe une place au plus bas de lchelle hirarchique. Lors de sonmariage, quelle que soit la forme de lalliance, elle doit quitter son patrilignage et son village natal pour rejoindre la cour (unit de rsidence)de son mari, o elle restera toute sa vie une trangre [Fig. 3, point I voir supra].La socit mossi tant patrilinaire, ses enfants appartiendront au lignagede son mari ; et sil lui arrivait de rompre son mariage (ce qui tait assezfrquent dans le village o jai men mes enqutes), pour fuir par exempleavec un amant, elle partira en laissant ses enfants au lignage de sesmaris (suivant la terminologie classificatoire). La socit mossi est parailleurs trs hirarchise et les relations au sein du patrilignage sont strictement organises autour des relations ans/cadets, hommes/femmes,consanguins/allis.

    La jeune femme peut arriver en tant que premire pouse ou en tantque co-pouse (pugto), et ce nest que progressivement quelle parviendra faire sa place dans le lignage de son mari. Pour ce faire, de multiplespossibilits soffrent elle, au-del de la jeunesse et de lattrait physiquequi peuvent entraner des jalousies tenaces, lhabilit dans le travail (agriculture, levage, artisanat) et, surtout, la naissance de ses premiersenfants y contribueront car, puisquelle reste une trangre l o elle estmarie, ses enfants deviendront ses principaux allis. Par ailleurs, avec le temps, elle pourra devenir la mre ducatrice (ma wubduga) des enfantsdpouses plus jeunes, avec un droit dautorit sur eux et sur leurs gniteurs(Lallemand 1977 : 190 sqq.). Elle augmentera encore son autorit lorsque,tirant parti de son statut de sur (pugdba), elle demandera auprs de sonpatrilignage une jeune fille pour venir la remplacer auprs de son mari,qui, lui, pourra donner cette jeune fille son frre cadet (il sagit ici de yirpaga). ce niveau, il est important de relever que la premire fille issue de cette union revient lenfant de la donatrice : pugdba transforme ainsison premier enfant en donneur dpouse pour son lignage. Doris Bonnetprcise que si cet enfant de la donatrice est un garon, celui-ci pourradonner la fille en question un lignage tiers, et si cet enfant est une fille,celle-ci, soit la fille pugdba et de yir paga pourront devenir des co-pouses(pugto) dun homme appartenant un lignage tiers (Bonnet 1988 : 54).

    Pour rsumer, une pouse renforce progressivement sa position dans lelignage de son mari et confre son fils la capacit daccder des filles quilpourra son tour donner en mariage. Progressivement donc, lpouse laplus ge occupe une place de plus en plus enviable dans la cour de son mari(sida), soit en sa qualit de sur via laccs des pouses potentielles dans

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  • son patrilignage, soit en sa qualit de mre gnitrice via la place occupe parses propres enfants dans le lignage de son mari, soit en sa qualit de mreducatrice ayant un droit dautorit sur les enfants de jeunes copouses.

    Paga dans la famille de son mari, elle est pugdba pour Ego, cest--direune sur de pre qui vit au loin chez ses maris et qui revient de tempsen temps rendre visite son pre et ses frres. Lors de ces visites dans sonvillage natal, loccasion de la naissance dun enfant ou de funrailles par exemple, elle se montre imprieuse envers les pouses de ses frres et envers leurs enfants, pour lesquels elle participe de lautorit du patri-lignage : elle est gnralement crainte et ses paroles sont coutes avecrespect (mme si parfois, dans son dos, les jeunes de la cour se jouentdelle). Notamment, en tant que pugdba, elle fait savoir aux jeunes pousesde ses frres que leurs enfants lui appartiennent, en leur rappelant quellessont trangres dans cette cour et que cest elle qui dtient lautorit surleurs enfants puisque cest elle qui pourra les marier.

    Cet ascendant est manifeste dans plusieurs rituels dcrits par DorisBonnet. Ainsi, lors dun accouchement, pugdba dirigera le rituel li lenterrement du placenta, qui reprsente le double de lenfant 28, pourmontrer que le nouveau-n est dj considr comme dpendant de lautorit du lignage de son pre. Cest encore pugdba qui sparera progres-sivement la mre de lenfant loccasion du sevrage, et qui rappellera la mre que, si elle venait fuir, elle laisserait lenfant ses maris (Bonnet1988 : 45). Cest aussi gnralement pugdba qui est apte dterminerle segre (partie dun anctre) et le sondre (nom) de lanctre en ligne agnatique revenu dans la personne du nouveau-n (Ibid. : 88)29.

    La sur tient galement un rle dterminant dans lorganisation desfunrailles au sein de son patrilignage, dans lducation des enfants des pouses de ses frres, ou encore en cas de maladie. En somme, siune femme, en tant que paga ( pouse ), reste une trangre longtempssitue au bas de la hirarchie dans le lignage de son mari, elle se voit, entant que sur et tante paternelle (pugdba), accorder un crdit tout diff-rent. Les membres de son patrilignage et leurs pouses lui doivent lerespect et sont tenus de sadresser elle avec dfrence : La tante cestcomme un pre sauf que cest une femme , relve Doris Bonnet, associantainsi la sur un personnage masculin par ses pouvoirs (Ibid. : 52).

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    28. Le placenta (naaba) est le sige de segre, la part danctre appele revenir.

    29. ce propos, il est intressant de noter que la femme, par sa double appartenance lignagre pouse de son mari et sur pour son lignage paternel , peut revenir (pour reprendre la formuleutilise par les villageois) comme consanguine et allie. Notons encore que certaines personnespeuvent revenir, en mme temps, plusieurs fois, sachant quil est question chez les Mossi dunetransmission transgnrationnelle de principes vitaux.

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  • Lorsquune jeune pouse est envoye par son patrilignage chez son mari,la famille de celui-ci a ainsi contract une dette envers celle de sa femme : Ils ont perdu quelquun , disent les Mossi. Comme nous allons prsentle voir, cest prcisment ce quindique clairement la terminologie mossilorsque, pour Ego, le fils de la fille donne est dsign par le terme yagenga( neveu ), cest--dire comme un cousin crois patrilatral ainsi descendudune gnration.

    Renvoyer : le yagenga

    Suzanne Lallemand a montr que confier un enfant est une pratiquecourante dans la socit mossi (1993 : 55-56, 80-81, 93-94 et 150-152).Cet acte prend des formes multiples. lintrieur du patrilignage, uneane peut capturer lenfant dune jeune pouse et devenir son duca-trice. lextrieur, la pugdba peut, sa demande explicite, se voir confierlenfant dun frre, ou encore le lignage maternel peut rclamer au mari de la sur un de ses enfants. Signalons enfin que, dune certaine manire,la yir paga et la ma bila sont des enfants confies, dans la mesure o cesont des petites filles destines devenir des pouses dans un autre lignage.

    Parmi ces cas, celui o un neveu maternel est confi ses oncles (termi-nologie classificatoire) est frquent. Ds lintroduction, nous indiquionsquun homme, en sa qualit de neveu maternel, existe dabord en ce quilreprsente, pour son oncle, le remplacement de sa mre. Cest ce que nousallons prsent dvelopper.

    Alors que la sur (pugdba) a t envoye vivre dans lunit de rsidencede son mari, en retour, elle renvoie un fils pour aider son patrilignage.Autrement dit, pour le lignage donneur dpouse, le yagenga ( neveu )remplace, vient la place de la pugdba. Toutefois, pour quil puissepartir (ici dans le sens morr de revenir ) sans perturber lordre hirar-chique de son lignage maternel, la terminologie mossi le descend dunegnration : ce nest pas tant un cousin crois patrilinaire qui vient aiderle lignage de sa mre, mais bien un neveu pour Ego, masculin dans le raisonnement. Les cousins croiss basculent donc autour dEgo et ceprocessus indique qui doit venir en remplacement et sous quel statut [Fig. 3, pt. 2 voir supra]. Les Mossi disent ce propos : Ta maman nest pas l, mais toi son fils tu es l, chez tes oncles maternels ; Le fils vient remplacersa mre qui est partie ; En donnant une fille, on ne perd pas une forcede travail puisquelle nous renvoie un homme ; Celui qui a reu notresur est le bnficiaire de la femme, mais nous, nous sommes les oncles,alors nous sommes les bnficiaires de son fils . Dans ce cas, formellement,une femme nest pas change contre une autre femme, mais bien contreun homme !

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  • Dans cet espace ouvert de la savane arbore, il faut comprendre que,historiquement, il tait de la plus haute importance pour les villages mosside pouvoir compter sur un maximum dhommes, pour cultiver ou pour se dfendre tant des animaux sauvages que des ennemis. Cest dans ce sensquun neveu maternel est toujours bien accueilli chez ses oncles. Il est ditquil vient renforcer le village 30.

    Gnralement, le yagenga ne vit pas chez son oncle maternel (yaseba) ;il rside plutt dans son patrilignage, o il cultive les terres du lignage. Il peut toutefois rsider chez son oncle, avons-nous expliqu, en tant quenfant confi, ou alors, plus g, il peut choisir de sy installer. Dans cecas, bien quil soit tranger, il sera le bienvenu, car, pour les raisons que nous venons dvoquer, on ne refuse jamais de terres un yagenga.Cest en ce sens que je qualifie la socit mossi de socit patrilocale,certes, mais avec une tendance avunculocale.

    La relation yagenga/yaseba est donc importante. Elle inverse en quelquesorte les relations hirarchiques du patrilignage, empreintes dautorit et de respect : alors que le fils traite son pre, ainsi que les autres an(e)sde son patrilignage, avec dfrence et soumission, il trouve auprs de ses utrins une relation de respect mutuel, de confiance et dassistance. Le yagenga tient, en outre, un rle de mdiateur et de pacificateur au seindu lignage de son yaseba du fait quil ne peut tre considr comme unrival. Il est effectivement un tranger pour ses oncles puisquil appartientau lignage de son pre et, au regard de la terminologie, il se trouve dansune position dinfriorit, puisquil nest pas un cousin mais un neveupour son cousin crois matrilatral, ce qui lui permet de ne pas apparatrecomme un concurrent potentiel dans lordre hirarchique de son matri-lignage. En tant qutranger dans la cour de ses oncles tout comme samre lest dans celle de son mari , le neveu nhrite pas de son oncle, ne peut pouser ses filles qui sont des mres pour lui, ni se remarier avecles femmes de cet oncle aprs son dcs (Lallemand 1977 : 331). Enrevanche, il peut prendre ce quil veut dans la cour de ses oncles sans que cela pose problme. Cest ainsi que, de par la dualit de sa position,le yagenga peut galement tre amen jouer un rle dterminant dans le lignage de ses maternels.

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    30. Lors de mon premier sjour Kulkinka (de juillet 1988 octobre 1991), quelques semainesaprs mon arrive, je fus tmoin dun conflit dramatique, puisquil y eut un mort avec le villagevoisin de Tanghin au sujet de laccs au point deau. Alors que, la veille, la rumeur courait queKulkinka risquait dtre attaque, je dcouvris, au matin, une vritable petite arme compose engrande partie de jeunes hommes que je ne connaissais pas. Je compris quil sagissait de neveuxmaternels (yagense, pluriel de yagenga) qui avaient converg durant la nuit vers le village de leursoncles pour leur prter main-forte.

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  • Il est dit que, travers le neveu, loncle voit sa sur. Entre ces personnes,une relation de confiance peut donc stablir, qualifie de tog sida, parolejuste , de sorte que loncle na pas dautorit sur lui. Suzanne Lallemanda montr, quavec le temps, le neveu sautocensure : il cesse de prendretout ce quil dsire dans la cour de son oncle, devenant solidaire des biensde son matrilignage et un de leurs meilleurs gardiens (Ibid. : 332). Progres-sivement, il assume aussi un rle dintermdiaire : par exemple, en cas de conflit, il est suffisamment proche pour recevoir les confidences, etsuffisamment distant pour couter les diffrents points de vue et trancheren fonction de lintrt gnral du lignage. Grce sa position de filsde sur, il est le dtenteur et le matre du pardon ; il peut punir des fautifs la place du chef de la cour. Ou encore, lorsque les circonstances limposent, il peut tenir un rle central dans les rituels en y remplaantson oncle, ce qui lui donne des prrogatives suprieures celles dun fils.

    Suzanne Lallemand a en outre soulign que cette position ambivalentedu neveu lui permet dapporter la paix, lentente et le consensus au sein du lignage de son oncle maternel ; elle lui confre un statut de faiseur depaix (zemes taaba). En tant que fils de la fille du lignage, il est respect et sa parole coute, mais sur le mode de la familiarit et des relations plaisanteries (rakiya) notamment avec les pouses de ses oncles. Cetteambivalence est sans conteste la raison de son excellente intgration (Ibid. :346). Il existe donc un transfert de comptences entre loncle et le neveu,faisant coexister lidologie de patrilignage, autoritaire et trs hirarchise,avec lunivers avunculaire fait de complicit et de temprance.

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    4 Superposition de lidologiedu patrilignage et de lunivers

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  • Si un neveu veille la cohsion interne de son matrilignage, sil surveille,parfois avec vhmence, les allies de ses oncles, il peut galementprtendre lengagement matrimonial des filles du lignage maternel (mabila, voire yir paga) 31. Cest dans ce sens quil convient de comprendre quele basculement oblique autour dEgo oriente les comportements pour,finalement, dfinir qui vient en remplacement de qui dans la successiondes gnrations.

    Remplacer : yir paga ou ma bila

    5 Remplacer : yir paga ou ma bila

    Dans cette alliance que nous avons dj dcrite, dite du deuximegroupe, un autre effet important de la terminologie mossi sexprime clai-rement. propos de lalliance ma bila, rappelons quun neveu (yagenga)ngocie auprs dun oncle maternel (yasega) une de ses filles (ou une fillede ses filles) 32 pour remplacer sa mre dfunte [Fig. 5, pt. 1]. Il justifie sademande par le fait quil pourra ainsi retrouver sa mre travers cette fille[Fig. 5, pt. 2]. Ma bila peut tre confie trs jeune la famille dEgo (parfoisvers 4 ou 5 ans), qui devient, avec une de ses pouses, son ducateur (maet ba wubduga) [Fig. 5, pt. 3]. Dans sa famille daccueil, Ego et ses enfantssont des fils et filles pour ma bila 33. Ego et ses enfants ne peuvent dont paspouser ma bila, leur petite maman, et reproduire ainsi le mariage de leurs

    31. Cf., ce propos, les dveloppements particulirement intressants de Suzanne Lallemand(1977 : 157, 330 et 332).

    32. Elles sont toutes appeles ma par Ego, en raison de la terminologie classificatoire.

    33. Dans la terminologie mossi, Ego appelle mre sa cousine croise matrilatrale, et elle lappelle fils.

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  • pre et grand-pre [Fig. 5, pt. 4]. Lorsquelle aura atteint lge de pouvoir tremarie (17 ans, le plus souvent), Ego donnera ma bila en mariage un filsdune co-pouse de son pre, un cousin parallle patrilinaire, ou encore un membre plus loign de son patrilignage [Fig. 5, pt. 5]. Il est intressantde souligner que la terminologie de parent mossi renseigne sur le typedexogamie en vigueur, notamment sur le fait que les matrilignages sontgnralement prohibs (sur trois gnrations).

    Ainsi donc, dans la continuit de ses pres qui avaient conclu unpremier pacte dalliance avec un lignage tiers, un fils peut devenir, par sa mre (soit de son vivant avec la yir paga, soit aprs son dcs avec la mabila), la fois demandeur dpouses auprs de ses oncles maternels etdonneur dpouses auprs de cousins parallles patrilinaires : lonclematernel donne une fille son neveu qui la donne son tour en mariage un cousin parallle patrilinaire.

    Dans un contexte o la recherche dune pouse pour leurs fils est parti-culirement difficile pour les ans et o les hommes accdent tardivementau mariage, la terminologie brosse les contours de ce que doivent tre lesconduites socialement acceptables, les droits et devoirs censs conduire aurespect des pactes matrimoniaux conclus entre lignages par les gnrationsprcdentes. Ce ne sont pas dobligations formelles quil sagit, mais pluttde comportements intrioriss ds le plus jeune ge, et induits soit parlidologie hirarchique du patrilignage, soit, loppos, par le climat dassistance mutuelle de lunivers avunculaire. Ce processus repose, audpart, sur un pacte tabli entre deux lignages inconnus (voir lalliance par belongo) o, pour ce faire, tous les membres de chaque lignage ainsique leurs anctres ont t pris tmoins (voir le pog-puusem ), afin dtablir le bien-fond de cette alliance et, bien au-del, afin quelle puissetre transmissible de gnration en gnration, cest--dire tant que lesditscomportements sont respects. Pour cela, ceux-ci reposent cette fois sur lebasculement oblique autour dEgo, indiquant qui vient en remplacementde qui pour maintenir, entre les lignages, les termes des accords passs : un yagenga est renvoy pour remplacer sa mre et ma bila vient remplacersa tante paternelle (pugdba) [Fig. 3, pt. 3 voir supra].

    Les alliances mossi se concluent donc dans le temps long et tendentleurs effets sur plusieurs gnrations. Parfois, plus de cinquante ans se sontcouls entre loctroi dune pouse et son remplacement, sans compter quece simple remplacement peut lui-mme tre la consquence dun rempla-cement prcdent On comprend ainsi que les gnrations se chevauchentsouvent entre les lignages preneurs et donneurs dpouses, dans la mesureo un oncle peut aisment tre plus jeune que son neveu. Peu importe,puisque la terminologie est classificatoire et que ce sont les termes

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  • dadresse utiliss pour dsigner une personne qui comptent davantage quelidentit de la personne elle-mme : cette terminologie classificatoirecombine la conception de la personne chez les Mossi (dans le sensdune forme de permanence de ltre) contribue faire en sorte que, ce niveau du grand jeu des alliances, le rle (pour ne pas dire les rles)quil doit tenir transcende lindividu. De sorte quil soit jeune ou vieux,limportant est que, pour son neveu utrin, loncle remplisse son rle danstoute la plnitude de la fonction.

    Soulignons, enfin, que le demandeur dpouse (Ego qui, ici, demandeune fille son oncle maternel) ne peut se marier avec la fille quil reoit.En consquence, linterdit induit par la terminologie (un fils ne peut paspouser sa mre) le transforme en donneur dpouse pour son proprepatrilignage. Par le basculement oblique autour dEgo, cet interdit devienten quelque sorte un interdit mobile , puisque rien nempche une autrepersonne du lignage dEgo de se marier avec la fille ainsi reue. Plusencore, puisque, grce son oncle maternel (yaseba), Ego peut se trans-former en donneur dpouses au mme titre que ses ans 34, cela nuanceet relativise le rapport ans/cadets, ces derniers occupant une place plusinfluente dans leur patrilignage.

    Dans cet article, nous nous sommes efforcs de rendre compte du

    mcanisme de fusion oblique caractristique du systme omaha, en apprhendant la terminologie de parent mossi dans des contextes donns,au plus prs des pratiques et des reprsentations.

    Lalliance chez les Mossi nest jamais une affaire prive. Elle concerneavant tout le buudu ( lignage ). Cest dans ce sens quun Mossi dira,quen dehors du systme de parent (rgom), il nest pas possible de trouverune pouse, et que sans la famille on nest rien. Plus encore, mme si le mariage concerne avant tout deux segments de lignages, pour encomprendre le fonctionnement et larticuler la terminologie de parent,il importe de porter le regard sur au moins trois lignages et trois gnrations. Dans ce systme, les pactes dalliance concernant loctroidpouses deviennent transmissibles de gnration en gnration, la gnration actuelle bnficiant des accords nous par les ans et au-del,par les anctres , quelle peut reproduire via les alliances du deuximegroupe. Or, la terminologie contribue rendre effectif ce processus, en favorisant, ds le plus jeune ge, des conduites socialement valorises,et en intervenant sur la manire de mettre en scne des comportements

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  • rituels, parfois ambivalents, rglant minutieusement les relations des unsavec les autres dans lintention dorienter les projets dalliances possibles.Notamment, le principe de basculement oblique autour dEgo indique qui vient en remplacement de qui et selon quel statut, afin de favoriser le respect des termes de ces accords passs entre les lignages.

    Ainsi, pour comprendre ce systme terminologique, a-t-il t ncessairedembrasser dun seul regard cet ensemble dalliances, de rester attentif auxperspectives transgnrationnelles et de tenir compte de divers lmentscontextuels, dont la conception de la personne, mais galement ceuxconcernant les relations dautorit au sein du patrilignage et celles, plus quilibres, de lunivers avunculaire. Enfin, cette approche de laterminologie mossi aura permis de montrer lvolution, grce leurs rles dans les alliances matrimoniales, du statut des femmes et du rapportans/cadets.

    Pour terminer, insistons sur le fait que le yagenga tient le rle de mdiateur et de pacificateur au sein du lignage de son yaseba. Il tient ce rle car il nest pas un rival et car, en raison de lambivalence de sa position, il est un faiseur de paix (zemes taaba). Outre que cette socit estde nature guerrire, un autre trait de la terminologie consiste donc imposer une forme de paix (avunculaire), transversale aux units de rsidence et qualifie de zemes taaba ( ajuster ensemble ).

    Universit catholique de LouvainLaboratoire danthropologie prospective, Louvain-la-Neuve (Belgique)

    [email protected]

    MOTS CLS/KEYWORDS : Mossi parent/kinship terminologie de parent/kinship terminology mariage/marriage systme omaha/Omaha system Burkina Faso.

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  • Pierre-Joseph Laurent, Systmes de mariages etterminologie de parent chez les Mossi : contribu-tion lapproche de la terminologie omaha. La terminologie de la parent mossi, regrou-pe sous la vaste catgorie omaha, ne portepas directement sur des indications relativesau mariage, mais sur la manire de mettre enscne des comportements rituels, parfoisambivalents, qui comme lindiquent deslments de contexte rglent avec minutieles relations des uns avec les autres. Ces rela-tions orientent alors srieusement les projetsdalliances matrimoniales lesquelles sinsrentdans un systme de mariages quil convientdembrasser dun seul regard. Le principe debasculement oblique autour dEgo indiquequi vient en remplacement de qui et selonquel statut afin de favoriser le respect destermes des accords passs entre les lignagesaux gnrations prcdentes. Par ce processus,ce sont les pactes dalliance concernant loc-troi dpouses qui deviennent transmissiblesde gnration en gnration, ds lors que lagnration actuelle, qui hrite des accords desans, met tout en uvre pour respecter lescomportements adquats.

    Pierre-Joseph Laurent, Marriage Systems andKinship Terminology among the Mossi : A Contri-bution to the Approach Using Omaha Termino-logy. Mossi kinship terminology, classifiedin the vast Omaha category, does not have to do directly with terms for marriage but,instead, with the performance of ritual beha-viour that, sometimes ambivalent, scrupu-lously regulate (as indicated by elements in the context) relations between persons.These relations seriously orient plans formatrimonial alliances as part of a marriagesystem that should be seen as a whole. Theprinciple of an oblique switch around Ego indicates both who is replacing whomand, too, the status involved, the purposebeing to enforce the agreements passed between lineages during previous gene-rations. Through this process, the pacts ofmarital alliance for bestowing women aswives can be transmitted from generation togeneration, once the current generation,which has inherited the agreements from itspredecessors, does everything necessary toenforce the appropriate behaviour.

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