L'audit financier€: historique, définition, objectif

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  • Le comportement au travail des collaborateurs de cabinets daudit

    financier : une approche par le contrat psychologique

    Olivier HERRBACH Thse de doctorat en Sciences de Gestion

    LIRHE Universit des Sciences SocialesToulouse 1

    Laboratoire Interdisciplinaire de recherche sur les Ressources Humaines et lEmploi

  • UNIVERSITE DES SCIENCES SOCIALES TOULOUSE I

    Laboratoire Interdisciplinaire de recherche sur les Ressources Humaines et lEmploi

    Le comportement au travail des collaborateurs de

    cabinets daudit financier : une approche par le contrat

    psychologique

    Thse de doctorat en Sciences de gestion

    prsente et soutenue

    le 8 dcembre 2000

    par Olivier HERRBACH

    Jury :

    M. Alain BURLAUD, Professeur au CNAM Paris

    M. Joseph CARLES, Matre de Confrences lUniversit Toulouse I

    M. Michel MAGNAN, Professeur Concordia University, rapporteur

    M. Simon PARIENTE, Professeur lUniversit Toulouse I

    M. Jacques ROJOT, Professeur lUniversit Paris I, rapporteur

    M. Bruno SIRE, Professeur lUniversit Toulouse I, directeur de recherche

  • Rsum

    La qualit de la certification rendue par les cabinets daudit financier est un lment

    important de leur survie long terme et, plus largement, de la transparence des activits

    conomiques. Cependant, cette qualit prsente un caractre ambigu et non dmontrable

    qui la rend particulirement sensible au comportement des individus qui excutent

    concrtement les missions daudit : les collaborateurs daudit, dont le statut de salaris les

    oppose aux associs copropritaires du capital des cabinets.

    La divergence dintrts entre ces deux catgories dintervenants peut avoir des

    consquences sur la dtermination au travail des collaborateurs. Soumis une contrainte

    budgtaire et technique forte, les collaborateurs daudit doivent maintenir une performance

    consciencieuse malgr lexistence de marges de libert importantes laisses par les

    systmes de contrle dans les cabinets.

    La prsente thse tudie la pertinence du concept de contrat psychologique pour dcrire la

    relation entre les auditeurs et leurs cabinets. Articulant une phase quantitative base sur un

    questionnaire de recherche (170 rpondants) et une phase qualitative (12 entretiens semi-

    directifs), elle met en vidence certains dterminants des comportements de conscience et

    de ngligence professionnelle des collaborateurs daudit.

    Mots-cls : audit comptable et financier comportement des auditeurs cabinets daudit

    contrat psychologique

  • 1

    INTRODUCTION

  • Introduction

    2

    En tant qu'organisation poursuivant des objectifs dans un environnement conomique, lentreprise est le lieu de rencontre de toute une srie d'intervenants intresss par sa performance. Il s'agit notamment des dirigeants, des actionnaires et des tiers (institutions de crdit, autorits publiques, clients et fournisseurs, salaris, etc.). Comme les dbats actuels sur la notion de gouvernement dentreprise le soulignent particulirement, les intrts des intervenants, s'ils sont dans une large mesure convergents, sont galement contradictoires. Dun point de vue thorique, la diffrence de position entre les diffrents intervenants peut sanalyser en tant que relation dagence . En effet, selon lapproche classique de la thorie de lagence, une relation dagence est dfinie comme un contrat par lequel une ou plusieurs personnes (le principal) engage une autre personne (lagent) pour accomplir une action en son nom, ce qui implique la dlgation lagent dun certain pouvoir dcisionnel (Coriat & Weinstein 1995). Ici, en loccurrence, les actionnaires confient aux dirigeants la gestion de lactivit de lentreprise.

    D'une certaine manire, la notion de relation d'agence pourrait recouvrir pratiquement toute relation contractuelle entre individus ou organisations. Elle ne prsente cependant un intrt que parce que le contrat y prsente certaines caractristiques quant la nature et la rpartition de l'information entre les parties. En effet, le contrat se caractrise par l'hypothse de l'information imparfaite relativement l'tat de la nature et aux comportements des agents et par la prsence d'asymtrie d'information entre le principal et l'agent (l'agent en sait normalement davantage que le principal sur lactivit). La consquence de ces problmes d'information est d'une part que le contrat qui lie les parties est ncessairement incomplet et d'autre part que le principal n'a pas les moyens de contrler parfaitement l'action de l'agent (Coriat & Weinstein 1995).

    Dans le cas de l'entreprise capitaliste, la situation se caractrise par le fait que seuls les dirigeants ont un accs direct rel l'activit de l'entreprise. Ceci leur confre une libert daction et un avantage informationnel importants. Une telle situation ncessite la mise en place de moyens destins orienter leur comportement. Ces moyens prennent deux formes principales : les incitations (incentives) et le contrle (monitoring). Les incitations telles que la rmunration la performance ont pour objectif dassurer un minimum de convergence dintrts entre actionnaires et dirigeants. Le contrle passe quant lui par la mise en place de procdures de suivi de la performance des dirigeants afin de rduire lasymtrie dinformation. A cet gard, ltablissement des comptes annuels des entreprises (constitus du bilan, du compte de rsultat et de lannexe) est un moyen de contrle dont les enjeux sont importants (Pochet 1998). En effet, les tats financiers annuels constituent une synthse de lactivit de lentreprise exploitable par lextrieur. Ils servent aux diffrents acteurs dans une optique d'valuation, de prise de dcision ou de diagnostic (Raffegeau et al. 1994) :

  • Introduction

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    pour les actionnaires, les comptes annuels servent dterminer la valeur de leur participation dans l'entreprise, ventuellement par l'intermdiaire de cours boursiers, ainsi que la rmunration de cette participation par le versement de dividendes conditionns par les rsultats annuels ;

    les dirigeants voient de plus en plus leur rmunration dtermine, au moins pour partie, par les rsultats financiers de l'entreprise qu'ils dirigent ;

    l'Etat et les autres autorits publiques utilisent les informations comptables comme base de calcul pour la dtermination des impts et taxes qui leur sont dus ;

    les relations d'affaires de lentreprise (banquiers, clients, fournisseurs) analysent l'information financire afin de dterminer la solvabilit de leur partenaire.

    Si la ncessit de procder ltablissement et la diffusion des comptes annuels dans un systme conomique capitaliste apparat ainsi vidente, une telle situation pose nanmoins deux problmes majeurs :

    le premier concerne la pertinence intrinsque des donnes comptables pour reflter la performance dune entreprise. Ce problme, qui a fait lobjet de multiples recherches dans le domaine de la comptabilit (Dupuy 1999), ne sera pas considr ici ;

    le deuxime problme touche la fiabilit des comptes annuels, cest--dire la mesure dans laquelle ils sont fidles aux normes comptables de constitution et de prsentation, indpendamment de la pertinence intrinsque de ces normes. Cest ce deuxime aspect qui fera lobjet de notre recherche.

    En effet, il se trouve que les comptes annuels sont largement tablis par les personnes mme que lon cherche contrler : les dirigeants de lentreprise. La latitude dont ils disposent peut laisser planer un doute sur la sincrit de linformation quils diffusent, illustr tout particulirement par la notion de comptabilit crative (Gillet 1998). L'importance de disposer de donnes fiables sur les comptes annuels explique alors lapparition de moyens pour vrifier les tats financiers produits par les dirigeants destination de l'extrieur. Ces moyens se sont progressivement dvelopps pour prendre leur forme actuelle : l'audit financier, cest--dire un examen critique destin vrifier que lactivit de lentreprise est fidlement traduite dans les comptes annuels conformment un rfrentiel comptable identifi (Mikol 1999). Aujourdhui, laudit financier connu galement sous le nom de vrification ou de rvision comptable est une obligation lgale dans de nombreux pays pour les socits par actions, ainsi que pour certaines autres entreprises ou organisations en fonction de leur taille ou de leur statut1.

    1 En France, cest la loi du 24 juillet 1966 sur les socits commerciales qui dtermine les modalits de laudit

    lgal. Il est ralis sous la forme de mandats de commissariat aux comptes dune dure de six ans, accords

    des commissaires aux comptes individuels ou des cabinets.

  • Introduction

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    Laudit financier sinsre donc dans la relation dagence autour de lentreprise en tant que processus de contrle des comptes tablis par lentreprise pour lever lasymtrie dinformation entre les dirigeants et les autres intervenants.

    Figure 1 Le rle de laudit financier dans la relation dagence de lentreprise

    EntrepriseDirigeants

    Actionnaires

    Tiers

    Comptes annuels

    AUDIT

    Image fidle ?

    Contrle

    En tant que garant de la bonne qualit de l'information financire, l'audit apparat ainsi comme un lment essentiel du fonctionnement de la vie conomique. Cependant, l'introduction d'un acteur supplmentaire dans une relation dagence en tant que contrleur ne peut rsoudre de manire complte les problmes lis cette relation (Armstrong 1991). En effet, le contrleur nest pas une entit thre et dsintresse, mais un acteur conomique part entire avec des finalits et des intrts propres. En loccurrence, laudit est aujourdhui le plus souvent ralis par des gros cabinets de commissaires aux comptes ou cabinets daudit. Ces cabinets ont un poids conomique non ngligeable et constituent un ple dinfluence dont les intrts propres ne peuvent tre ngligs. En 1996 / 1997, les cinq plus gros cabinets franais ont ainsi eu chacun un chiffre daffaires dpassant les 800 MF (Casta & Mikol 1999). Les rseaux mondiaux auxquels ils sont affilis ont chacun plusieurs dizaines de milliers de collaborateurs2.

    Lexistence dintrts propres pour les cabinets a pour consquence que lactivit daudit peut elle-mme tre caractrise en tant que relation dagence entre les utilisateurs des comptes certifis et les cabinets. Dans cette relation, les utilisateurs des tats financiers certifis (principal) confient au cabinet daudit (agent) la responsabilit de la certification des comptes de lentreprise sans avoir accs au systme d'information comptable de l'entreprise, ni au travail d'audit qui sert de support la certification. Les utilisateurs doivent faire confiance aux auditeurs pour raliser un travail de vrification fiable.

    2 Initialement au nombre de huit, puis de six, les grands rseaux mondiaux de cabinets ne sont aujourdhui

    plus que cinq la suite de regroupements : Arthur Andersen, Deloitte Touche Tohmatsu, Ernst & Young,

    KPMG, PricewaterhouseCoopers. On les appelle couramment les Big Five.

  • Introduction

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    Figure 2 Laudit en tant que relation dagence entre le cabinet daudit et les utilisateurs des

    comptes annuels

    Utilisateursdes comptes annuels

    Cabinet d'audit

    Comptabilitde l'entreprise

    Comptes annuelscertifis

    Confiance

    Audit Certification

    En raison de son importance sociale, une question qui se pose est de savoir si le contrle ralis par les cabinets daudit est effectu de manire satisfaisante sous sa forme actuelle. En effet, si le processus de contrle des comptes annuels apparat comme indispensable dans la relation dagence entre dirigeants, actionnaires et tiers, sa matrialisation prsente en tant que contrle ralis par les entits particulires que sont les cabinets daudit relve davantage dune volution historique contingente que dune construction consciente et dlibre (Sikka et al. 1998). En ce sens, laudit financier moderne est le rsultat dune institutionnalisation , cest--dire dun processus par lequel certaines relations sociales en viennent tre considres comme acquises (taken for granted), ce qui amne une situation o ces relations prennent un statut semblable des ralits en apparence inluctables dans la pense et dans laction sociales (DiMaggio & Powell 1991). Elles deviennent des institutions , cest--dire des structures et des activits cognitives, normatives et rgulatrices qui donnent stabilit et signification au comportement social (Scott 1995). Les institutions sont des cadres sociaux incorporant des systmes symboliques, qui construisent et sont construits par les comportements individuels et reposent sur trois piliers (Scott 1995) :

    le pilier rgulateur recouvre la mise en place et le respect de rgles, de systme de contrle et de sanctions ;

    le pilier normatif fait intervenir les normes et les valeurs pour la dtermination des comportements. Ces normes sont imposes aux individus par lenvironnement, mais peuvent faire lobjet dune plus ou moins grande intriorisation ;

    enfin, le pilier cognitif met laccent sur les dimensions constitutives et les cadres de signification de la ralit. Ce pilier insiste sur le rle structurant jou par la construction sociale de systmes communs de signification.

  • Introduction

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    Laudit financier peut tre considr comme une institution dans la mesure o il repose sur larticulation dlments reposant sur les trois piliers pour assurer son fonctionnement et sa lgitimit sociale : il doit son existence lobligation de certification et au monopole lgal dont jouissent les cabinets (pilier rgulateur), mais sa pratique quotidienne et laffirmation de son utilit passent par la structuration de ses mthodes (pilier cognitif) et leur respect par les praticiens (pilier normatif). Malgr leur stabilit, les institutions ne sont pas figes et ncessitent des efforts conscients pour leur maintien au moins par les individus les plus conscients de leurs enjeux (DiMaggio & Powell 1991). Les professionnels de laudit doivent donc affirmer leur lgitimit en construisant des cadres de connaissance cognitifs et normatifs qui dfinissent la zone de comptence quils cherchent contrler (Power 1995). Par ailleurs, la matrise de la connaissance en tant que telle ne peut suffire garantir la russite de ce processus : il leur faut galement crer ou faire crer des structures sociales et politiques et sappuyer sur un support juridique, ce qui passe par l'existence d'organisations professionnelles pour unifier les praticiens et interagir avec l'environnement (Carpenter & Dirsmith 1993).

    Dans une perspective institutionnelle, laudit financier apparat donc non seulement comme une ncessit rationnelle lie la relation dagence autour de lentreprise, mais aussi comme une institution historiquement construite qui bnficie certes dune lgitimit sociale issue dune tradition avre et qui lui donne une stabilit mais qui pourrait nanmoins voluer, voire tre remise en cause, si les acteurs qui en bnficient ne sont plus capables de la faire valoir. Or, on assiste actuellement une remise en cause du travail des auditeurs (Sikka et al. 1998) dont quelques affaires fortement mdiatises (Crdit Lyonnais, BCCI, faillite des caisses dpargne aux Etats-Unis...) sont le symbole le plus visible. De nombreuses questions se posent quant la pertinence de la mission des auditeurs financiers, au point que certains sinterrogent sur lavenir de la profession (Jeppesen 1998).

    Objet de la recherche : le comportement au travail des collaborateurs daudit

    Parmi les raisons qui peuvent expliquer la perte de crdibilit de la profession et les checs daudit, la littrature mentionne le manque dindpendance (Bazerman et al. 1997), lincomptence ou linadquation des mthodes (Sikka et al. 1998), le manque dexprience (Groveman 1995), la pression sur les budgets daudit la suite de la baisse des honoraires... Ces facteurs explicatifs sinscrivent dans le cadre de rflexions plus larges qui soulignent les dfis auxquels la profession d'auditeur est confronte (Jeppesen 1998 ; Hatherly 1999). Plus gnralement, il se pose la question de ce que les Anglo-Saxons appellent lexpectations gap, cest--dire lcart entre ce que la profession pense tre en mesure de fournir comme service et les attentes du public (Sikka et al. 1998).

  • Introduction

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    Dans le cadre de cette thse, nous nous intresserons un facteur qui a fait lobjet dun certain nombre de publications aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, mais qui est, notre connaissance, encore inexplor en France : les comportements de rduction de qualit de laudit , cest--dire les comportements de ngligence professionnelle des collaborateurs salaris de cabinets daudit3. Ces comportements dont la nature et l'impact sont multiples peuvent mettre en pril la qualit des contrles effectus et, dans leurs formes les plus graves, remettre en cause une certification (Groveman 1995). Leur possibilit trouve son origine dans le cadre de la troisime relation dagence intervenant dans le processus daudit financier. Cette relation dagence est lie la production de la certification au sein des cabinets et reflte leur division entre les associs copropritaires du capital et leurs collaborateurs salaris. Face l'augmentation de la complexit et de la taille des missions d'audit, on assiste en effet une division du travail pousse au sein des cabinets : l'excution des travaux d'audit, ralise sur le terrain par des quipes de jeunes collaborateurs salaris, est largement dissocie de la responsabilit de la certification qui incombe aux associs. Dans ce contexte, lassoci daudit (principal) construit sa certification sur la base des dossiers daudit constitus par les collaborateurs (agents) sans avoir de connaissance directe de la constitution des dossiers de travail partir de la comptabilit de lentreprise.

    Figure 3 Laudit en tant que relation dagence entre associs et collaborateurs

    Collaborateurs daudit

    Associ

    Dossiers daudit Rapport daudit

    Contrle

    Certification

    Comptabilit de l'entreprise

    Confiance

    Prparation

    Notre recherche concerne cette troisime relation. Rendue possible par lasymtrie dinformation propos de la bonne excution des travaux de contrle des comptes, elle est issue de la divergence dintrt entre associs et collaborateurs. En effet, seule une faible proportion des collaborateurs parvient au statut dassoci. La plupart dentre eux ne restent que quelques annes en audit. Moins impliqus dans lavenir du cabinet, et confronts

    3 L'expression comportements de rduction de qualit de l'audit reprsente la traduction de audit quality

    reduction behaviors, qui est le descriptif le plus souvent utilis dans la littrature anglo-saxonne sur le sujet.

  • Introduction

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    une charge de travail importante dans des conditions budgtaires strictes, les collaborateurs peuvent tre tents davoir des comportements de rduction de qualit de laudit susceptibles de mettre en pril la certification produite par leur cabinet ou de ternir son image. Depuis ltude de Rhode (1978) effectue la suite de la libralisation du march de la certification aux Etats-Unis et des inquitudes quelle a suscites quant au maintien de la qualit des audits un certain nombre de travaux de recherche ont mis en vidence lexistence de comportements de rduction de qualit de laudit de la part des auditeurs de terrain (e.g. Kaplan 1995 ; Otley & Pierce 1995, 1996a, 1996b ; Malone & Roberts 1996 ; Dalton & Kelley 1997 ; Reckers et al. 1997). Ces travaux soulignent la possibilit pour les cabinets de ne pas obtenir un comportement fiable de leurs collaborateurs en toutes circonstances, ce qui peut sinterprter comme une dfaillance de leur systme de contrle au sens large. Lobjectif de cette thse est danalyser la nature de ces comportements, destimer leur frquence, denvisager certaines hypothses quant leur origine et de rflchir leurs consquences sur la qualit des audits. Plus gnralement, nous nous intresserons aux mcanismes de contrle du comportement des collaborateurs de cabinet.

    Problmatique et fondement conceptuel de la recherche

    Comment inscrire thoriquement notre recherche ? Comment caractriser la relation entre un cabinet daudit et ses collaborateurs ? Dans le cadre de ce travail, nous nous appuierons sur la notion de contrat pour dcrire cette relation. Lutilisation de la notion de contrat nest pas indiffrente puisque les contrats, de manire gnrale, constituent un lment fondamental du monde social et conomique tant pour le comportement des individus que pour celui des organisations. Le contrat, sous ses diffrentes formes, constitue la base des transactions entre les entreprises et ses modalits dutilisation peuvent avoir des rpercussions importantes sur les relations conomiques et lorganisation industrielle. Plus gnralement, le fait dtablir des contrats est une norme sociale universelle dont les consquences sont lanticipation des changes futurs, la rduction de lincertitude, la cration de structures sociales et la gestion de linterdpendance entre les individus, les groupes et les organisations (Rousseau & Parks 1993).

    La description de la relation contractuelle employeur-salari peut se faire selon de multiples perspectives et angles dapproche (Shore & Tetrick 1994). Il existe ainsi au moins trois manires de lenvisager : une perspective conomique incarne par la thorie de lagence, une perspective juridique qui sarticule autour de la notion de contrat de travail et une perspective psychosociologique. Dans ce travail, nous nous appuierons sur une perspective psychosociologique base autour de la notion de contrat psychologique , qui nous parat bien rpondre aux proccupations de notre recherche. Avant dclairer lapproche que nous avons choisie, il convient de commenter brivement les limites des deux autres approches.

  • Introduction

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    En conomie, la thorie de lagence est une perspective qui suppose que les individus, situs dans un environnement interindividuel marqu par la concurrence et les intrts contradictoires, agissent pour maximiser lutilit de leurs actions. La thorie de lagence formalise le lien entre lemployeur et le salari comme une relation ou lune des deux parties (le principal, cest--dire lemployeur) donne lautre (lagent, cest--dire le salari) lautonomie dagir pour effectuer une tche. La relation entre le principal et les agents est alors rgie par un contrat qui spcifie les tches accomplir par les agents et la faon dont le principal va les rmunrer. En raison de lopportunisme des agents et de lasymtrie dinformation entre les agents et le principal, la thorie de lagence postule que la relation entre les contractants est caractrise par lexistence dun risque pour le principal : le hasard moral . Ce hasard moral nat du fait que le principal qui confie une tche un agent ne peut lui faire confiance pour fournir un niveau deffort satisfaisant en raison de la propension de lagent minimiser son investissement personnel. Il est rendu possible par le fait que le principal ne peut surveiller activement le comportement de lagent. Les travaux des thoriciens de lagence ont donc tudi les moyens de limiter les consquences de lopportunisme du salari et ont mis en vidence, au point de vue thorique, limpact positif de mesures telles que laccroissement de la surveillance, laugmentation des pnalits et les incitations financires (Eisenhardt 1989).

    Cependant, malgr des rsultats thoriques prometteurs, la validation empirique de la thorie de lagence na pu tre effectue que trs partiellement en raison de facteurs sociaux et environnementaux qui en limitent la pertinence certains contextes spcifiques tels que les commerciaux ou les dirigeants (Rousseau & Parks 1993). Les limites pratiques de la thorie de lagence pour dcrire la relation entre lemployeur et le salari sont en effet nombreuses et, quelle que soit la pertinence thorique de ses dveloppements, rendent difficile son oprationalisation concrte en sciences de gestion pour ltude du comportement au travail de la plupart des salaris :

    la thorie de lagence est centre sur le comportement des agents. Alors que les agents y sont prsents comme manipulateurs ou paresseux, on suppose implicitement que le principal est vertueux. Dans cette vision, seul le salari est susceptible de ne pas respecter le contrat qui lunit lorganisation. Cette vision dcrit mal la ralit du monde du travail o les abus de la part des employeurs sont possibles, tant lors du recrutement (prsentation errone de lentreprise ou du poste pour attirer le salari...) que lors de lemploi (downsizing et augmentation de la charge de travail individuelle...) ;

    la thorie de lagence suppose la fluidit du march du travail et permet en consquence lagent ou au principal de sortir de la relation immdiatement en trouvant dautres partenaires. Une telle conception est clairement en porte--faux avec le fonctionnement rel du march du travail ;

  • Introduction

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    surtout, la thorie de lagence sinscrit dans le paradigme noclassique de lconomie et suppose en gnral que les individus sont des tres rationnels cherchant maximiser leur utilit conomique. En cela, elle ignore les liens normatifs et affectifs qui se dveloppent entre les individus et crent un rseau complexe de loyauts, dengagements et dinterdpendances qui dpassent le lien conomique (Etzioni 1993). Elle ne peut quintgrer difficilement les phnomnes sociaux lis la confiance (Armstrong 1991) ou lthique individuelle (Noreen 1988).

    En droit, la relation entre lemployeur et le salari est caractrise en tant que contrat de travail. Bien que non dfini par le Code du travail, celui-ci peut sanalyser comme la convention par laquelle une personne sengage mettre son activit la disposition dune autre, sous la subordination de laquelle elle se place, moyennant une rmunration (Lyon-Caen et al. 1998). En tant que contrat dit synallagmatique , le contrat de travail met la charge des deux parties des obligations rciproques. Cependant, la faiblesse du contrat de travail reste son incapacit pouvoir dcrire de manire concrte les modalits de lexercice quotidien de la relation de travail. Certes, certaines des obligations de lemployeur qui ressortent de la scurit au travail, du salaire... sont dfinissables. De la mme manire, certaines obligations du salari peuvent tre mises en vidence : obligation de non-concurrence, obligation de discrtion et de rserve, obligation de loyaut des cadres. Mais il est difficile de dfinir prcisment des obligations concrtes au niveau de lexcution du travail en lui-mme en dehors des aspects dits substantiels : lieu de travail, rmunration, type dactivit. Cest dailleurs pourquoi, comme tout contrat, lexcution du contrat de travail se caractrise par la notion de bonne foi (article 1134, Code civil) et oblige non seulement ce qui est exprim, mais aussi toutes les suites que lquit, lusage ou la loi donnent lobligation daprs sa nature (article 1135, Code civil). Il sagit l dune tentative datteindre, au moins virtuellement, une forme dexhaustivit.

    Par rapport lapproche de la thorie de lagence, lapproche juridique par le contrat de travail prsente un caractre potentiellement plus large par lintermdiaire des notions de bonne foi ou dusage. Elle a galement le mrite de sinscrire dans une relation plus symtrique, faisant appel des obligations rciproques. Cependant, le problme quelle pose fondamentalement est celui de la preuve : le droit se doit de pouvoir justifier ses interprtations et ses dcisions. En cela, toute dfinition juridique des obligations rciproques entre employeur et salari doit pouvoir faire lobjet dune forme de consensus et de dmontrabilit. Or, le salari au travail nest pas un tribunal ni un juriste, son comportement mme sil repose sur une interprtation de son emploi en termes dobligations rciproques se base sur des valuations subjectives des promesses et des contreparties, sur des interactions avec des interlocuteurs diversifis, sur des interprtations non dmontrables autant que sur des affirmations formalises. Une comprhension fine du

  • Introduction

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    comportement individuel au travail doit donc reposer sur lintgralit des perceptions individuelles et non pas seulement sur ce qui est dmontrable en droit.

    Afin de tenir compte de cette ralit, lapproche gnrale du contrat retenue dans le cadre de ce travail sera donc celle du contrat psychologique , un concept ancien (Argyris 1960 ; Levinson et al. 1962 ; Schein 1965) mais qui jouit depuis quelques annes dun regain dattention dans la littrature sur le comportement organisationnel. Les thoriciens du contrat psychologique partent dune constatation simple : tout contrat est fondamentalement psychologique dans la mesure o il se forme toujours dans lesprit des contractants. Lintrt de lutilisation du concept de contrat psychologique est de mettre dlibrment en relief ce caractre subjectif et dinviter en tirer les consquences. Il peut se dfinir comme la perception, par un salari, des obligations rciproques entre lui-mme et son employeur (Rousseau 1989). Lutilisation du terme perception souligne non seulement linterprtabilit du contenu du contrat, mais aussi le fait que ce contenu en lui-mme, au-del de sa simple interprtation, dpend pour son tendue de facteurs psychologiques. Le contrat devient psychologique parce que ses lments ne font pas lobjet dune dfinition formalise et prcise, mais se situent avant tout dans lesprit des parties prenantes et peuvent prendre un caractre indtermin (Rousseau & Parks 1993). Le contrat de travail formalis intervient dans le contrat psychologique du salari, mais il ne va plus en constituer quun lment parmi dautres, dont limportance nest pas forcment la plus importante. Nous verrons que lintrt du concept est de fournir un cadre explicatif relativement large, mais bien dlimit, pour la comprhension de la relation dchange entre le salari et lorganisation qui lemploie (Shore & Tetrick 1994).

    Le thme gnral de notre recherche sera donc les modalits du respect ou du non-respect, par les collaborateurs daudit, de leurs contreparties dans le cadre du contrat psychologique qui les lie leurs cabinets et, en particulier, de la plus importante dentre elles : le maintien de la conscience professionnelle lors de lexcution des contrles daudit. Notre travail reprsente donc implicitement une analyse des modalits du contrle de cette population. Concrtement, le questionnement gnral auquel nous chercherons rpondre est le suivant :

    Quelle est la nature de la relation entre les jeunes auditeurs et leurs cabinets ? Une conceptualisation sous la forme de contributions rciproques dans le cadre dun contrat psychologique est-elle pertinente ?

    Quels sont les dterminants du maintien ou de la violation des normes de travail ? Lvaluation, par un auditeur, des contributions du cabinet dans le cadre de son contrat psychologique est-elle un facteur entrant en ligne de compte ?

    Quelle est la dimension dysfonctionnelle relle des comportements de rduction de qualit de laudit ? Dans quelle mesure peut-on les qualifier de manquements la contribution des salaris dans le cadre de leur contrat psychologique ?

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    Cette problmatique gnrale sera dcline plus prcisment au cours de la construction de chacune des deux phases de notre recherche empirique. Nous tenterons en effet de rpondre ces questions par lintermdiaire dune approche double : une premire phase quantitative a t ralise laide dun questionnaire envoy un chantillon de jeunes collaborateurs de grands cabinets daudit ; ensuite, une seconde phase qualitative sest base sur des entretiens semi-directifs de recherche avec des rpondants au questionnaire. La mise en jeu successive de ces deux approches devra nous permettre dobtenir un clairage plus complet sur les phnomnes tudis. Il sagira ainsi que le recommandent plusieurs chercheurs du champ de la comptabilit (Covaleski & Dirsmith 1990 ; Baker & Bettner 1997) de tirer profit au mieux de leurs caractristiques complmentaires.

    Notre travail sera prsent en trois temps, correspondant trois finalits distinctes. Dans une premire partie, nous effectuerons une revue de la littrature publie sur le domaine de laudit financier et des auditeurs afin den souligner les enjeux et les contraintes. Il sagira de bien poser les bases du contexte et du sujet de notre tude. Nous situerons en particulier la diversit des moyens de contrle de la performance du collaborateur daudit, tout en soulignant leurs limites. Ensuite, nous nous centrerons plus spcifiquement sur notre sujet et construirons un cadre conceptuel et une problmatique pour analyser les comportements de rduction de qualit des auditeurs. Plus spcifiquement, nous nous intresserons une population particulire de collaborateurs daudit : les auditeurs seniors , cest--dire les jeunes auditeurs avec deux quatre ans dexprience. Dans un souci dhomognit de lchantillon dtude, il nous a en effet paru ncessaire de ne pas disperser notre travail en nous attaquant une population trop diversifie. La deuxime partie posera donc les bases de lapproche de recherche retenue et de sa mise en uvre. Nous introduirons en particulier la notion de confiance dans lexcution du contrat psychologique, ncessaire pour pallier les limites des systmes de contrle. Enfin, dans la troisime partie, nous prsenterons les rsultats de la recherche empirique et en proposerons des interprtations en mesure dclairer notre comprhension du processus daudit financier et des caractristiques organisationnelles des cabinets.

  • 13

    PREMIERE PARTIE

    Laudit financier et le contrle des collaborateurs

    dans les cabinets daudit

    En tant que cadres sociaux qui incorporent des systmes cognitifs, symboliques et rgulateurs, les institutions ont un impact majeur sur les organisations qui les incarnent, sur leurs partenaires et sur lenvironnement. Dun point de vue microsociologique, linstitutionnalisation repose sur le transfert quotidien de cet impact sur les individus lintrieur de chaque organisation composant linstitution. En effet, celle-ci est incarne, la base, par des acteurs qui ont initialement des intrts et des visions du monde propres, ce qui peut leur donner une marge de libert et de distance par rapport aux normes. La situation ncessite en retour une tentative de restriction de cette libert par les acteurs de niveau plus lev, ceux qui bnficient le plus directement de linstitution et de sa prservation par les acteurs de base. Dans le cas de laudit en tant quinstitution, les cabinets et la profession en gnral doivent leur existence et leur fonctionnement quotidien lassimilation, par leurs collaborateurs, des structures et des modes de pense de linstitution.

    Appliquant la conceptualisation institutionnelle de DiMaggio & Powell (1983) la socialisation des auditeurs financiers, Fogarty (1992) met en vidence trois modes de socialisation dterminants faisant appel trois sources dinfluences diffrentes : les forces coercitives, les forces mimtiques et les forces normatives4. Les forces coercitives regroupent le rseau des contraintes lintrieur duquel chaque auditeur doit se situer : contrainte conomique (rentabilit du cabinet), contrainte bureaucratique (intgration dans la structure organisationnelle) et contrainte de lgitimit (mthodes daudit). Les forces mimtiques sont la consquence des interactions entre les individus, en particulier celles des nouveaux venus avec les membres dj prsents dans lorganisation. Enfin, les forces normatives reprsentent les efforts effectus par les cabinets pour transmettre de manire volontariste les valeurs et les normes de la profession.

    4 Ces forces correspondent aux piliers rgulateur, cognitif et normatif de lapproche institutionnelle de Scott

    (1995).

  • Premire partie

    14

    Lensemble des forces luvre peut tre interprt en tant que processus visant le contrle de chaque individu. Le contrle est une notion vaste dont les modalits et les outils sont nombreux (Chiapello 1996). Lobjectif de cette premire partie est de dlimiter le contexte gnral de notre tude les mcanismes de contrle autour des collaborateurs de cabinets daudit afin den situer les enjeux et den tirer des enseignements pour construire notre recherche empirique. Dans le premier chapitre, nous analyserons l'environnement de l'audit financier et mettrons en lumire les relations entre les parties prenantes du processus d'audit. Il sagira de montrer comment les contraintes auxquelles sont soumis les cabinets sont dterminantes pour les modalits du contrle des collaborateurs. Dans le deuxime chapitre, nous nous recentrerons plus directement sur notre sujet de recherche en nous intressant aux modalits concrtes du contrle des collaborateurs daudit dans le cadre de la relation qui les lie leurs cabinets. Nous mettrons en lumire le caractre problmatique et multiforme du contrle exerc sur ces collaborateurs. Celui-ci repose en effet sur des bases multiples, qui prsentent toutefois chacune leurs limites.

    Notre travail se ralisera sous la forme dune revue ordonne de la littrature, constitue pour lessentiel par des articles de recherche publis dans les revues amricaines ou britanniques de comptabilit et daudit. En effet, si les modalits concrtes de lactivit daudit financier nont pas encore fait lobjet de publications nombreuses dans les revues en langue franaise, ce sujet a par contre reu un intrt certain de la part de chercheurs en comptabilit amricains dabord, puis anglo-saxons en gnral. Ceci sexplique probablement par la forte sensibilit de ces pays la notion de qualit de linformation financire. Cette sensibilit les a amens considrer le comportement des cabinets daudit et des collaborateurs de cabinets comme un sujet de recherche devant tre pris en compte pour sassurer de la qualit des comptes certifis et, partant, de lefficience des marchs5.

    5 Un autre facteur explicatif est le niveau lev de collaboration entre les universits et les cabinets daudit

    aux Etats-Unis, qui se manifeste en particulier par le financement de programmes de recherche (Power 1995).

  • 15

    Chapitre I Laudit financier :

    caractristiques et enjeux

    Le contexte gnral de notre travail est laudit financier, ses techniques et ses acteurs. Avant de construire une problmatique et une mthodologie de recherche empirique, il convient den analyser plus prcisment les enjeux pour bien orienter notre investigation. Lobjectif de ce premier chapitre est donc de proposer une prsentation articule des trois niveaux danalyse de lactivit daudit financier : le mtier en tant que tel, les organisations qui lexercent, et les individus qui composent ces organisations. Ce travail prcisera le contexte social et organisationnel de notre recherche.

    Les auditeurs disposent pour lexercice de leur profession de principes et de mthodes daudit affins par un sicle de pratique et de codification (section 1). Leur revue permettra de dgager lenvironnement technique dans lequel voluent les praticiens et dobtenir une comprhension du contenu de leur travail. Nous soulignerons en particulier toutes les dmarches de rationalisation de lactivit. Cette analyse touche essentiellement le pilier cognitif de linstitution daudit, au sens o la conceptualisation et les mthodologies professionnelles simposent au praticien en tant que manire dapprhender les entreprises contrles et la mission de vrification.

    Les organisations qui ralisent concrtement le contrle des comptes des entreprises sont les cabinets daudit (section 2). Lactivit des cabinets sexerce sur un march complexe puisquils sont la fois des confrres lis par un statut, des intrts communs et des organisations professionnelles, mais aussi des concurrents la recherche de profit. Une telle situation a des consquences importantes sur lexercice de la profession. Dans la mesure o elle montre comment les normes daudit servent de point de rencontre entre les diffrents acteurs du processus, cette deuxime section met surtout laccent sur le pilier normatif de la vision institutionnelle de laudit. Elle soulignera dautre part le rle essentiel de la notion de qualit de laudit.

    Enfin, les cabinets ne sont pas constitus dentits thres, mais sont des univers sociaux dans lesquels voluent des acteurs soumis des processus de socialisation et des relations de pouvoir. Les collaborateurs de cabinets sont insrs dans un rseau relationnel la fois hirarchis et autonomisant, dans lequel apparaissent des divergences de perspectives et dintrts (section 3). La pratique concrte des missions daudit qui repose sur la coordination dintervenants de statut diffrent sen trouve ncessairement influence. Cette troisime section soulignera les lignes de partage de la pratique de laudit contemporain et leurs consquences sur le travail quotidien des collaborateurs de cabinets.

  • Chapitre I Laudit financier : caractristiques et enjeux Section 1

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    Section 1 Principes et mthodes de laudit :

    formalisation et lgitimit

    La protection des intrts des tiers et le rle que linformation financire peut jouer ce niveau sont une motivation essentielle du lgislateur pour instituer les obligations lgales de publication et de certification des comptes annuels des entreprises. La profession comptable elle-mme aime se poser en tant que dfenseur de lintrt gnral (Moizer 1995). La justification de lexistence et de la survie des cabinets daudit passent en effet par la reconnaissance de leur utilit sociale et de leur aptitude remplir leur rle de vrificateurs (Power 1995). Dans nos socits domines par la rationalit et le formalisme, un critre important cet gard est la manifestation de principes et de mthodes qui sy rfrent (Meyer & Rowan 1977). Une des caractristiques majeures de l'audit contemporain est donc sa forte rationalisation tant au niveau de ses principes (encadrement conceptuel) que de sa pratique (encadrement mthodologique). Dans une optique de crdibilit, il est en effet essentiel que lvaluation porte sur des tats financiers donns apparaisse au moins en thorie comme indpendante de la personne de l'auditeur effectuant les contrles, ce qui passe par la dfinition de principes et de mthodes revendiqus par la profession et accepts par lenvironnement conomique (Dirsmith & Haskins 1991).

    Lobjectif de cette section est de montrer comment laudit financier est soumis un puissant formalisme destin augmenter son efficacit et lui fournir la lgitimit attendue socialement. La rationalit apparat tous les niveaux de la dmarche daudit : au niveau de la conceptualisation de lapproche daudit contemporaine, au niveau de la prparation de chaque mission et au niveau de lexcution des travaux par les auditeurs de terrain. Aprs avoir prsent les caractristiques gnrales de laudit (1), nous nous attacherons analyser plus prcisment le formalisme qui pse sur cette activit : dune part au niveau des principes de laudit (2), puis dautre part en ce qui concerne sa pratique (3).

    1. L'audit financier : historique, dfinition, objectif

    La notion d audit connat depuis quelques annes une ferveur croissante et le terme sest progressivement vu appliqu toute une srie de domaines. Outre laudit financier, on parle ainsi daudit marketing, daudit denvironnement ou daudit social. Le point commun toutes ces approches est la vrification du respect de normes ou de critres dfinis dont une dmarche critique dvaluation doit sassurer de la correcte mise en uvre. Cependant, les approches sur lesquelles se basent les divers types daudits apparaissent comme suffisamment diffrentes pour refuser toute assimilation trop troite entre eux (Mikol 1999). Ainsi, laudit financier qui est le domaine dans lequel le terme daudit a t utilis lorigine est le rsultat dune volution historique (1.1) qui a

  • Chapitre I Laudit financier : caractristiques et enjeux Section 1

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    entran lmergence dune activit bien dfinie (1.2) se distinguant dautres activits voisines (1.3).

    1.1 Le dveloppement de l'audit : un aperu historique

    Historiquement, les premires dmarches de normalisation et de contrle des comptes remontent l'Antiquit. Les Sumriens du deuxime millnaire avant J.C. avaient dj compris lutilit dtablir une information objective entre partenaires conomiques. Le fameux code dHammourabi ne se contentait pas de dfinir des lois commerciales et sociales gnrales, mais mentionnait explicitement lobligation dutiliser un plan comptable et de respecter des normes de prsentation afin dtablir un support fiable de communication financire. Plus tard, ds le IIIe sicle avant J.C., les gouverneurs romains ont nomm des questeurs chargs de contrler les comptabilits de toutes les provinces. Cest de cette poque que provient lorigine du terme audit , driv du latin audire qui veut dire couter . Les questeurs rendaient en effet compte de leur mission devant une assemble constitue d auditeurs (Raffegeau et al. 1994).

    Par la suite, le dveloppement des pratiques de contrle des comptes a accompagn lvolution gnrale des structures conomiques et des grandes organisations administratives et commerciales. Ce n'est cependant qu' partir du XIXe sicle que ces pratiques se sont dveloppes de manire systmatique tant dans leur ampleur que dans leurs mthodes en parallle avec l'mergence de l'entreprise moderne. Cest cette poque que remonte lapparition progressive de laudit sous la forme quil connat actuellement. Ce dveloppement sest effectu selon trois grandes phases historiques (Carpenter & Dirsmith 1993) :

    jusqu' la fin du XIXe sicle, la finalit de l'audit tait oriente principalement vers la recherche de la fraude. Les modes de contrle taient donc axs vers la vrification dtaille, voire exhaustive, des pices comptables ;

    partir du dbut du XXe sicle, la ncessit d'mettre un jugement sur la validit globale des tats financiers apparat paralllement la recherche de fraudes ou d'erreurs. Les mthodes de sondages sur les pices justificatives, par opposition leur vrification dtaille, font leur apparition. Cette volution a t impose par la forte croissance de la taille des organisations contrles qui a augment le cot des audits ;

    aprs le milieu du XXe sicle, la finalit affirme de l'audit se limite dsormais l'mission d'un jugement sur la validit des comptes annuels. En outre, l'importance donne la revue des procdures de fonctionnement de l'entreprise s'accrot progressivement pour devenir aujourd'hui primordiale. En effet, face l'augmentation de la taille et de la complexit des entreprises, les auditeurs ont peu peu assimil l'intrt de la qualit des procdures internes pour s'assurer de la fiabilit des informations produites par le systme comptable.

  • Chapitre I Laudit financier : caractristiques et enjeux Section 1

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    Le rle de laudit moderne, rsultat de cette volution historique, est aujourdhui suffisamment stabilis aux yeux de la profession pour quelle puisse en proposer une dfinition prcise la lumire des pratiques constates.

    1.2 Laudit financier : dfinition et objectif

    La dfinition de l'audit telle qu'elle est propose par la profession comptable exprime de faon simple sa finalit : L'audit financier est l'examen auquel procde un professionnel comptent et indpendant en vue d'exprimer une opinion motive sur la rgularit et la sincrit des comptes d'une entreprise donne (Raffegeau et al. 1994). Il consiste en un examen critique des tats financiers qui comprennent le bilan, le compte de rsultat et l'annexe afin d'mettre un jugement leur sujet. Lobjectif attendu du processus d'audit est la certification des comptes annuels de l'entreprise, c'est--dire si l'on se place dans le contexte terminologique franais la reconnaissance de leur rgularit et de leur sincrit afin de fournir une image fidle des oprations de l'exercice coul et de la situation financire la fin de cet exercice (Mikol 1999) :

    la rgularit est la conformit des comptes la rglementation et aux principes comptables gnralement admis. La rglementation se compose des textes lgislatifs ou rglementaires, mais aussi des rgles fixes par la jurisprudence et des normes labores par les organisations professionnelles ;

    la sincrit est l'application de bonne foi des rgles et des procdures comptables en fonction de la connaissance que les responsables des comptes ont de la ralit. Elle implique l'valuation correcte des valeurs comptables et une apprciation raisonnable des risques et des dprciations ;

    le respect de l'image fidle consiste choisir, parmi les mthodes de prsentation ou de calcul envisageables, les mieux adaptes la ralit de l'entreprise et fournir les informations ncessaires leur comprhension, en particulier dans le cadre de l'annexe.

    Dans les pays trangers, les objectifs assigns laudit sont gnralement similaires ceux que nous connaissons en France. Aux Etats-Unis, par exemple, lobjectif de lexamen des tats financiers par lauditeur est la formulation dune opinion sur limage quils donnent de la situation financire, des rsultats des oprations, de lvolution de la situation financire eu gard aux principes comptables gnralement admis (AICPA). On remarque que, dans la plupart des pays, la dtection de la fraude ne fait pas partie des objectifs demands explicitement un audit dans le contexte rglementaire actuel. En particulier, lauditeur ne doit pas supposer la malhonntet des dirigeants de lentreprise contrle. Cependant, on considre souvent au niveau de la profession que les procdures d'audit doivent tre en mesure de dtecter la fraude si elle est significative et a un impact sur les comptes (Carpenter & Dirsmith 1993).

  • Chapitre I Laudit financier : caractristiques et enjeux Section 1

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    1.3 Frontires et limites de laudit financier

    La dfinition habituelle de laudit se limite mentionner la vrification des donnes comptables en tant que rsultat d'un processus de production d'information et nvoque pas explicitement l'apprciation des moyens de production de cette information par l'entreprise. Or, l'volution actuelle de l'audit financier souligne le double aspect de sa dmarche : il s'agit tout la fois d'un contrle sur les comptes de l'entreprise tels qu'ils sont prsents, mais aussi d'un contrle sur la manire dont les comptes sont tablis. Les procdures de leur constitution cest--dire lorganisation et le fonctionnement du systme dinformation comptable et financire de lentreprise sont partie intgrante de la confiance que lon va accorder aux tats financiers. Ceci amne une vision plus large de l'audit financier que l'on peut prsenter comme un examen critique qui permet de vrifier les informations donnes par l'entreprise et d'apprcier les oprations et les systmes mis en place pour les traduire (Raffegeau et al. 1994). Cette dfinition inclut spcifiquement lvaluation de ce que l'on appelle le contrle interne de l'entreprise, cest--dire les mesures, procdures et contrles mis en place dans lorganisation pour assurer la protection du patrimoine et la qualit de l'information comptable (Mikol 1999). Mais elle ne remet pas en cause lobjectif de laudit qui reste la certification des comptes annuels.

    En revanche, certains vont plus loin et affirment par exemple que les objectifs long terme de l'audit doivent tre d'apporter un guide aux dcisions futures de la direction sur toutes les questions d'ordre financier telles que contrles, prvisions, analyse et tablissement des rapports (Holmes, cit par Raffegeau et al. 1994). Cette dfinition dpasse la finalit de certification en incluant un rle de conseil. Elle pose donc le problme de linfluence ventuelle de l'auditeur sur la gestion de l'entreprise. Or, dans le contexte rglementaire franais, limmixtion de lauditeur dans la gestion de lentreprise nest pas autorise, ce qui interdit en principe les recommandations de gestion.

    Il convient donc de bien dlimiter ce que nous entendons par audit financier par rapport dautres activits voisines. Laudit financier est ce que l'on appelle un audit externe lgal , c'est--dire un contrle obligatoire des comptes annuels ralis par une personne indpendante. En cela, il se distingue de laudit externe contractuel et de l'audit interne de la manire suivante (Casta & Mikol 1999) :

    l'audit externe lgal est une activit obligatoire oriente vers l'environnement de l'entreprise. Ses modalits dintervention, sa finalit et sa priodicit sont dtermines par des critres lgaux et rglementaires ;

    laudit externe contractuel est effectu par un cabinet daudit la demande expresse dun client. Les modalits dintervention sont alors dtermines par le cabinet avec le client, en fonction de ses besoins. Par exemple, lors du rachat dune entreprise par une autre, lacheteur peut demander un audit des comptes de la socit rachete ;

  • Chapitre I Laudit financier : caractristiques et enjeux Section 1

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    l'audit interne est ralis par un service d'une grande entreprise ou d'un groupe de socits. Il effectue ses travaux selon les orientations dfinies par la direction de l'entreprise. En outre, il dpasse de plus en plus la stricte dimension comptable et financire pour s'tendre l'ensemble des fonctions de l'entreprise. Ceci implique d'aller au-del des rapports comptables et financiers pour atteindre une pleine comprhension des oprations effectues et proposer des amliorations. En ce sens, un audit interne se rapproche davantage d'un audit oprationnel ou dune mission de conseil et s'loigne des pratiques et des finalits de l'audit externe qui se limite en principe au contrle de la validit des informations fournies par les systmes existants.

    Dans le cadre de cette thse, les termes d'audit et d'auditeur se limiteront au domaine de l'audit externe lgal dans une optique de validation des comptes annuels. Certains des rsultats obtenus seront cependant susceptibles dtre tendus laudit externe contractuel puisquil est ralis par les mmes individus. Cependant, laudit lgal prsente certaines spcificits qui en font un exercice diffrent de laudit contractuel. En particulier, la priodicit annuelle de laudit lgal a un impact fondamental sur les relations entre intervenants (auditeurs / audits) et la nature des contrles raliss, dont le caractre rpt et prvisible amne certains les qualifier de rituel (Mills & Bettner 1992).

    2. Les principes de l'audit financier

    Contrairement la comptabilit dont les rgles sont souvent intimement lies aux contextes nationaux6, l'audit apparat au moins du point de vue conceptuel comme largement indpendant des contingences locales dans ses dmarches, au point que l'on a pu avancer que l'audit a ses principales racines non pas dans la comptabilit soumise son examen, mais dans la logique, o il puise largement pour ses ides et ses mthodes (Mautz & Sharaf 1961). Le dveloppement de laudit contemporain apparat comme le rsultat des efforts des praticiens pour aboutir une conceptualisation rigoureuse de leur approche qui puisse rpondre lexigence de rationalit et de dmontrabilit qui caractrise les socits dveloppes (Carpenter & Dirsmith 1993).

    Depuis les annes 1960, la pratique de contrle des comptes fait en effet lobjet dun processus de formalisation systmatique qui tend assimiler la dmarche de laudit une pratique scientifique (Francis 1994). Dans cette vision, les tats financiers sont des hypothses tester par lapplication des mthodes rationnelles que sont les procdures daudit. Le rsultat dun contrle daudit devient peu ou prou similaire une preuve exprimentale scientifique (Smieliauskas & Smith 1990). Limite initialement aux grands cabinets, cette approche de laudit sest affine conceptuellement et sest tendue

    6 Les efforts de normalisation comptable internationale, sils sont intenses, se heurtent encore de

    nombreuses difficults tant culturelles que techniques (Simon & Stolowy 1999).

  • Chapitre I Laudit financier : caractristiques et enjeux Section 1

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    lensemble de la profession dans les annes 1980, un processus facilit par le dveloppement des rseaux de cabinets nationaux et internationaux. Soucieuses de justifier de la comptence de la profession vis--vis de lenvironnement, les organisations professionnelles ont galement encourag cette volution. Lapproche conceptuelle moderne du contrle des comptes repose ainsi sur une vision dtermine de lentreprise et de la notion daudit (2.1). Elle implique une dmarche structure (2.2) qui sarticule autour de la notion de risque et de matrise du risque (2.3).

    2.1 L'entreprise dans la vision de lauditeur : une imbrication de systmes

    Toute dmarche de vrification repose la base sur la construction dun cadre dinterprtation de lentit contrle, pralable ncessaire une approche rationnelle et dmontrable (Power 1996). L'audit financier repose ainsi sur une vision systmique de l'entreprise. Ses systmes peuvent tre abords trois niveaux (Grenier & Bonnebouche 1998) :

    le systme concret des oprations physiques de l'entreprise ;

    le systme d'information, qui reflte les flux d'oprations physiques. Il contient en son sein le sous-systme d'information comptable qui prsente de faon chiffre et formalise les circulations d'information selon des normes visant lobtention de la qualit comptable : traabilit, chronologie, irrversibilit ;

    le systme de dcision que, dans le contexte rglementaire franais, lauditeur doit ignorer.

    Ces niveaux de systmes sont en relation constante les uns avec les autres. Par exemple, une expdition de produit fini (une opration physique) se matrialisera par l'mission d'un bon de livraison (un document) et se concrtisera par l'enregistrement d'une vente en comptabilit, puis par l'mission d'une facture. L'entreprise consiste alors en un ensemble de systmes, ou cycles , imbriqus les uns dans les autres. En pratique, chaque entreprise est structure de manire spcifique, mais on constate de fortes similarits pour des entreprises ayant la mme activit, la mme taille et le mme environnement. Dans le cas d'une entreprise industrielle, par exemple, les cycles envisags sont gnralement les suivants : le cycle ventes, le cycle achats, le cycle production, le cycle investissements, le cycle personnel, le cycle financement et le cycle trsorerie. Il apparat clairement que cette dcomposition n'est pas le fruit du hasard, mais qu'elle permet une correspondance entre les cycles de l'entreprise et les principaux postes de son bilan et de son compte de rsultat. Si l'on reprend de manire simplifie les grandes masses des comptes d'une entreprise industrielle, on trouve en effet les correspondances suivantes7 :

    7 Dautres organisations, telles que les banques ou les compagnies dassurances, disposent de leurs cycles

    propres. Ceci ne remet pas en cause lapproche gnrale daudit.

  • Chapitre I Laudit financier : caractristiques et enjeux Section 1

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    Bilan

    ACTIF CYCLES PASSIF CYCLES Immobilisations Investissements Capital Stocks Production Dettes Financement Crances clients Ventes Dettes fisc. / soc. Personnel Disponibilits Trsorerie Dettes fournisseurs Achats

    Compte de rsultat

    POSTE CYCLES Chiffre daffaires Ventes < Variation de stocks > Production < Charges externes > Achats < Frais de personnel > Personnel < Amortissements > Investissements < Charges financires > Financement Rsultat

    Lapproche de laudit repose sur cette dcomposition de lentreprise en cycles. Elle se base sur l'examen successif des principaux cycles de l'entreprise et de linformation comptable quils gnrent. Ceci permet d'apprhender le rsultat global de lentreprise tout en le dcomposant de manire permettre un travail dtaill sur chaque lment.

    2.2 La dmarche conceptuelle de laudit

    Le principe gnral de laudit repose sur une approche hirarchise (souvent appele approche top-down), rendue ncessaire par la taille des entits contrles et facilite par leur dcomposition en cycles. La dmarche d'audit pour valider les tats financiers de l'entreprise est la suivante (Mikol 1999) :

    on procde tout d'abord une revue globale des tats financiers pour s'assurer de leur cohrence gnrale ;

    on procde lidentification des cycles significatifs de lentreprise et lanalyse de leur fonctionnement ;

    on effectue ensuite le contrle de ces cycles significatifs, ce qui va permettre de valider les postes du bilan et du compte de rsultat qui leur sont associs ;

    enfin, on passe en revue les postes du bilan et du compte de rsultat qui ne font pas partie des cycles principaux en fonction de leur importance ventuelle dans les comptes.

    Concrtement, le contrle de chaque cycle de l'entreprise se fait par l'intermdiaire de procdures d'audit , cest--dire de tests ou contrles qui doivent permettre de

  • Chapitre I Laudit financier : caractristiques et enjeux Section 1

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    valider les montants dans les comptes. L'objectif de ces procdures est de s'assurer que les montants figurant dans les comptes sont justifis, c'est--dire qu'ils vrifient les assertions suivantes (Raffegeau et al. 1994) :

    exhaustivit : tous les montants devant tre enregistrs en comptabilit l'ont t ;

    ralit : les montants inscrits en comptabilit sont la traduction d'une opration relle ;

    coupure : les montants ont t enregistrs dans le bon exercice comptable ;

    valuation : les critures sont correctement valorises en fonction des principes comptables reconnus ;

    classification : les montants sont enregistrs dans les bons comptes ;

    prsentation : les comptes sont prsents de manire conforme et fournissent l'information ncessaire leur comprhension.

    Dans la vision scientifique de laudit moderne, les assertions reprsentent les hypothses tester par les procdures daudit. Justifier un montant prsent dans les comptes revient effectuer des contrles qui vrifiant chacun une ou plusieurs assertions permettent par leur combinaison de couvrir lensemble des assertions (Francis 1994). Les procdures daudit doivent alors, linstar dune exprience scientifique, runir des preuves daudit , cest--dire des contrles et tests russis pour dmontrer la validit des assertions8. Par exemple, un inventaire physique permettra de vrifier lassertion ralit dun compte dapprovisionnements par rapprochement des listings de stocks avec les pices prsentes en magasin. Lassertion valuation , plus complexe, ncessitera la fois des contrles de factures dachat pour vrifier les valeurs brutes et des tests de dlais de rotation pour dtecter des dprciations ventuelles.

    On peut donc synthtiser lapproche conceptuelle de l'audit financier contemporain de la manire suivante :

    Pour chaque poste des tats financiers, il y a un risque (cf. 2.3) que le montant enregistr soit non correct. L'auditeur va donc appliquer des procdures d'audit aux cycles de l'entreprise pour accumuler des preuves d'audit qui permettent de considrer que le risque est matris, cest--dire que les assertions lies aux montants dans les comptes sont vrifies. Le choix et linterprtation des procdures d'audit utilises lors du contrle d'un cycle donn se font en fonction du seuil de matrialit (cf. 2.3) retenu. Sur la base des preuves daudit accumules sur chaque cycle, ainsi que dune analyse de cohrence gnrale, lauditeur pourra alors mettre son opinion (cf. 2.3).

    8 Selon les fondateurs de cette vision de laudit (Mautz & Sharaf 1961), il existe certes des diffrences

    essentielles entre preuve exprimentale et preuve daudit (concernant en particulier leur disponibilit et leur

    fiabilit), mais ce sont des diffrences de degr et non de nature.

  • Chapitre I Laudit financier : caractristiques et enjeux Section 1

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    2.3 Opinion et risque daudit

    Le produit final du travail d'audit rsultat de plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines d'heures de travail pour les grandes entreprises consiste en un document d'une ou deux pages : le rapport d'audit, qui exprime lopinion de lauditeur sur les comptes annuels9. Le contenu des rapports d'audit fait l'objet d'une dfinition prcise. En raison de leurs consquences potentielles, les diffrentes formes possibles de lopinion formule dans le rapport sont en effet compltement dfinies (Mikol 1999) :

    la certification sans rserve rpond lobjectif initial de lauditeur, qui est de certifier que les comptes annuels sont rguliers, sincres et donnent une image fidle ;

    la certification avec rserve doit tre mise lorsquun dsaccord sur un point comptable ou une limitation dans ltendue des travaux de contrle ne permet pas lauditeur dexprimer une opinion sans rserve, sans que lincidence de cette rserve soit suffisamment importante pour entraner un refus de certifier ;

    le refus de certifier doit tre exprim lorsque leffet dun dsaccord ou dune limitation des travaux est tel que lauditeur considre quune rserve est insuffisante pour rvler le caractre trompeur ou incomplet de linformation comptable. Il est galement exprim en cas dincertitudes trs graves sur les comptes.

    Le cabinet engage sa responsabilit sur son opinion. Pour lui, le risque professionnel est li au fait d'mettre une opinion errone sur les comptes de l'entreprise contrle, avec toutes les consquences ngatives que cela peut ventuellement entraner son niveau (poursuites judiciaires pnales et / ou civiles, poursuites disciplinaires, rputation endommage...) et pour les tiers (mauvaise valorisation des cours boursiers, prt bancaire accord une entreprise insolvable...). En ce sens, le risque et sa matrise sont le souci essentiel de l'auditeur.

    La notion de risque daudit apparat comme complexe et difficilement saisissable (Power 1995). Cependant, le processus de formalisation de laudit contemporain la dcompose en plusieurs lments susceptibles dtre apprhends individuellement et articuls de manire pouvoir tre utiliss par les praticiens. On distingue donc le plus souvent les composantes de risque suivantes (Raffegeau et al. 1994) :

    le risque inhrent est li la position financire plus ou moins saine de lentreprise, l'attitude de sa direction ou au fait d'voluer dans un secteur d'activit particulier. Ce risque est souvent spcifique certains cycles en raison de difficults dvaluation, de leur caractre sensible ou de leur importance dans les comptes ;

    9 Ce rapport, lorsquil a pour but de certifier les comptes annuels, est appel Rapport gnral du

    Commissaire aux comptes en France. Il est soumis lAssemble gnrale qui approuve les comptes de

    lexercice contrl.

  • Chapitre I Laudit financier : caractristiques et enjeux Section 1

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    le risque de contrle interne reprsente la possibilit que les dfaillances intrinsques du systme d'information de lentreprise ne lui permettent pas de produire des comptes fiables ;

    le risque de non dtection est la possibilit que les travaux d'audit soient inefficaces et ne dtectent pas une erreur significative prsente dans les comptes, ce qui revient certifier des comptes faux.

    Le risque d'audit est la rsultante de ces trois composantes, ce que lon reprsente souvent sous la forme mathmatique : RA = RI x RCI x RND (Lesage 1999). Il est dpendant du niveau de ses trois composantes au sens o il sera d'autant plus lev que celles-ci le seront. Le risque daudit est quantifiable par l'intermdiaire de la notion de seuil de signification ou seuil de matrialit . Cette notion reflte le fait que les comptes de chaque entreprise reclent ncessairement des erreurs et des inexactitudes, car ils sont le rsultat d'un processus comptable forcment imparfait et qui, en outre, se base sur des hypothses et des estimations subjectives. L'objectif atteindre n'est donc pas de dire que les comptes sont exacts, mais de faire en sorte que le montant des erreurs soit infrieur un seuil dfini. Dans ce contexte, le risque d'audit devient le fait que le montant cumul des erreurs soit suprieur au seuil de matrialit (par exemple, 5% des capitaux propres), c'est--dire qu'il ait un impact considr comme significatif sur les comptes certifis10. Pour lauditeur, le risque professionnel est alors li la certification de comptes qui prsentent des erreurs cumules suprieures au seuil de signification.

    3. La pratique de l'audit financier

    Si laudit a fait lobjet dune formalisation conceptuelle importante permettant de rationaliser ses principes gnraux, la question de la mise en uvre concrte de cette conceptualisation reste pose. Il est facile, en effet, de parler de risque dans labsolu, mais lvaluation et linterprtation de ce risque en situation doivent galement pour viter toute apparence darbitraire tre justifies. La dmarche mthodologique mettre en uvre au cours de chaque mission daudit a donc galement t formalise par la profession. En fait, chaque phase de la mission daudit qui a une finalit et des outils spcifiques a fait lobjet dune tentative de rationalisation grce la mise en place de mthodes structures. Leur articulation a pour objectif de concrtiser en pratique le principe gnral de laudit : lajustement des contrles effectus lvaluation du risque. La littrature sur les pratiques de l'audit dgage trois phases dans la mission de rvision des comptes d'une entreprise : la planification de la mission d'audit (3.1), l'valuation des procdures de l'entreprise (3.2) et le contrle des comptes en tant que tel (3.3). Ces trois

    10 Une analyse de la manire dont les auditeurs oprationalisent le concept de matrialit est propose par

    Carpenter et al. (1994).

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    phases mthodologiques correspondent trois priodes concrtes de la mission d'audit : la planification, l'intrim (intervention en cours dexercice) et le final (intervention postrieure la clture des comptes) mme si lvolution actuelle du mtier tend brouiller la sparation entre ces trois priodes.

    3.1 La planification de la mission d'audit

    La planification a pour objet de prparer lexcution de la mission daudit et se fait en trois tapes : la prise de connaissance gnrale de lentreprise, le plan daudit et la programmation. Ces trois tapes correspondent une construction progressive de la mission daudit : grce la prise de connaissance gnrale de lentreprise on peut laborer lapproche globale de la mission, qui va elle-mme tre dcline en procdures effectuer. Dune certaine manire, la planification reprsente une rptition (rehearsal) du travail daudit qui sera ralis (Humphrey & Moizer 1990).

    La prise de connaissance gnrale de lentreprise a pour but de comprendre le contexte dans lequel elle volue et de la situer dans son environnement conomique, social et juridique. Cette tape est effectue par l'intermdiaire d'entretiens avec les dirigeants, de l'tude de la documentation interne de lentreprise (manuels de procdures, organigrammes, notes de service, etc.), de la revue des comptes annuels des derniers exercices et de la recherche de documentation externe sur l'entreprise et son secteur d'activit. Elle permet l'auditeur d'assimiler les principales caractristiques de l'entreprise, son organisation, ses responsables, ses spcificits de fonctionnement et de dtecter les zones de risque ventuelles (Mikol 1999).

    Le plan d'audit que l'on appelle galement plan de mission ou plan stratgique est le document qui regroupe de manire synthtique l'orientation de travail choisie pour la mission, ainsi que la justification de cette orientation. Il est destin tre lu par tous les intervenants afin quils puissent effectuer leurs travaux en ayant lesprit les caractristiques de lentreprise quils contrlent. Le plan daudit prcise l'identification des risques relevs et l'approche d'audit retenue pour y faire face. La planification est souvent considre comme une phase essentielle de laudit en raison de son impact sur la dtermination des travaux raliser (Humphrey & Moizer 1990). Lvaluation des risques et le choix de lapproche daudit qui en dcoule sont une dcision majeure de lauditeur.

    Sur la base du plan d'audit, on peut alors tablir un programme de travail qui indiquera de manire plus dtaille pour chaque cycle de l'entreprise audite les contrles effectuer en dfinissant la nature et l'tendue des travaux. Ces travaux vont dpendre du niveau et de la nature du risque associ chaque cycle, ainsi que du seuil de matrialit gnral de la mission. Le choix des procdures d'audit spcifiques appliques un cycle va galement tre dtermin par les circonstances de la mission et par les normes

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    de travail des cabinets. Cest sur la base du programme de travail que les auditeurs de terrain effectuent leurs tests de procdures et leurs contrles de comptes.

    Pour chacune des trois phases de la planification, les cabinets ainsi que la profession en gnral ont dvelopp des outils mthodologiques de planification et de programmation des travaux. Ces outils consistent en des manuels daudit, des questionnaires de planification, des plans daudit et des programmes de travail standardiss adapter chaque mission. Laboutissement de cette tendance est le dveloppement de systmes experts daudit censs pouvoir crer des plans daudit et des programmes de travail pertinents partir de questionnaires sur la socit audite (Bdard & Graham 1994). Les supports de planification sont conus pour faciliter la tche de lauditeur et augmenter son efficacit, au prix toutefois dune certaine limitation de son initiative (Francis 1994). Cependant, ils ne doivent pas faire oublier le rle important de lindividu qui les utilise. Quel que soit leur degr de sophistication, les supports daide la dcision laissent une marge de libert : la fois parce que la prise de dcision en audit repose sur des lments situationnels et cognitifs qui les dpassent (Hogarth 1991), mais aussi parce que lauditeur peut contourner leurs rsultats (Mock & Wright 1999).

    3.2 L'valuation du contrle interne

    Premire phase de laudit de terrain aprs la planification, l'valuation du contrle interne de la socit contrle a pour objectif d'identifier les risques lis son fonctionnement et d'adapter les travaux d'audit en consquence. Elle repose sur l'valuation des procdures de lentreprise (circuits de circulation des biens et documents, utilisation de documents normaliss, instauration de systmes de contrle). Elle vrifie en particulier la sparation des tches entre les personnes charges des fonctions oprationnelles, de la dtention des biens, de l'enregistrement comptable et du contrle (Mikol 1999).

    La premire tape de lvaluation du contrle interne est la description des procdures de l'entreprise. Cette tape est ralise par l'intermdiaire d'entretiens avec les responsables et le personnel des diffrents services de lentreprise, ainsi que par ltude de sa documentation interne afin d'obtenir une description des tches et de la circulation des documents. La description des procdures peut se faire soit de manire non guide, soit l'aide guides opratoires ou de questionnaires dont l'objet est double : il s'agit d'une part de servir de support aux entretiens et d'autre part de s'assurer de ne pas avoir oubli d'lment important. Comme tous les instruments formaliss de ce type, ils peuvent tre vcus comme des aides, comme des carcans ou comme des moyens de se couvrir en justifiant son travail par le respect de documents standardiss (Francis 1994).

    Aprs la description des procdures, la deuxime tape consiste en la ralisation de tests de conformit qui doivent montrer que les procdures dcrites sont effectivement mises en uvre dans l'entreprise. Concrtement, l'auditeur va suivre quelques transactions

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    tout au long dune procdure et s'assurer que les contrles et processus dcrits sont effectivement raliss. Il va ainsi pouvoir approfondir sa connaissance de la procdure et vrifier sa bonne comprhension des systmes. Par exemple, lors de la ralisation de tests de conformit sur le cycle ventes dune entreprise, l'auditeur va partir de ventes prises au hasard dans le journal des ventes et vrifier la facturation, la sortie de stock, l'tablissement du bon de livraison, la commande, le rglement du client et tout autre lment pertinent dans le contexte de la socit audite.

    Une fois les deux premires tapes ralises, il est possible de se livrer lvaluation du contrle interne. L encore, outre son bon sens et son exprience, l'auditeur dispose d'outils mthodologiques pour effectuer ce travail, tels que les questionnaires de contrle interne qui ont pour objet d'examiner successivement les lments d'un dispositif de contrle performant. L'auditeur va s'attacher dgager de sa revue les points forts et les faiblesses du contrle interne. Le programme de contrle des comptes sera alors ventuellement modifi pour tenir compte des risques lis aux faiblesses releves. Par exemple, si l'auditeur a relev des faiblesses dans les procdures de suivi des comptes clients de l'entreprise, il renforcera ses vrifications des comptes clients en fin d'exercice pour dceler d'ventuels impays significatifs. Les points forts vont quant eux permettre de diminuer ventuellement les contrles effectus sur un cycle. Par exemple, si l'entreprise dispose d'un bon systme d'inventaire permanent du stock, l'auditeur pourra aprs avoir valid le fonctionnement du systme s'abstenir d'un contrle dinventaire de fin d'anne.

    3.3 Le contrle des comptes

    Le contrle des comptes est la dernire phase de l'audit, celle durant laquelle les quipes effectuent les tests et contrles substantifs jugs ncessaires. Lors de cette phase, lencadrement des travaux des auditeurs de terrain est assur par les programmes labors lors de la planification. En effet, mme sil est suppos devoir sadapter aux situations rencontres, le cadre reprsent par le programme de travail est tel quil constitue ncessairement une rfrence structurante de chaque auditeur (McDaniel 1990). Les tapes dun programme de travail daudit consistent en la ralisation successive de procdures destines recueillir des lments de preuve. Cette collecte de preuves est effectue par les auditeurs de terrain ou de plus en plus pour certaines catgories de preuves par des logiciels daudit informatique qui recherchent linformation directement dans les systmes des clients.

    En fait, la recherche de preuves fait appel un nombre limit de techniques. Les procdures d'audit peuvent en effet se diviser en six catgories principales (Mikol 1999). Aucune preuve n'tant irrfutable a priori, c'est leur combinaison et leur recoupement qui va produire une dmarche d'audit de qualit :

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    la vrification physique consiste sassurer de l'existence des actifs qui sont inscrits dans les comptes. Cela revient par exemple retrouver dans l'usine une machine figurant dans les comptes d'immobilisations ou contrler des stocks ;

    la vrification sur document consiste valider les mouvements ou les soldes des comptes partir des pices comptables qui les justifient. On peut ainsi valider un mouvement de compte dachat par la recherche de la facture fournisseur correspondante ;

    les confirmations directes, ou circularisations, consistent obtenir de tiers extrieurs l'entreprise la confirmation d'informations. Il s'agit par exemple de demander un fournisseur de confirmer le montant des factures qui lui sont dues la clture ou d'crire aux avocats de l'entreprise pour leur demander leur valuation des ventuels litiges avec des tiers ;

    les demandes d'explication auprs de la direction permettent de juger du caractre raisonnable des options de comptabilisation prises par l'entreprise. Ces explications doivent faire l'objet d'une valuation critique de la part de l'auditeur ;

    les calculs, vrifications arithmtiques, recoupements et rapprochements de documents entre eux consistent, par exemple, contrler un calcul d'amortissement, recadrer un compte de trsorerie avec le relev bancaire correspondant ou vrifier la concordance entre la comptabilit gnrale et la comptabilit analytique ;

    l'examen analytique consiste dterminer le caractre raisonnable des informations contenues dans les comptes. Il se base sur l'tude des tendances, fluctuations, ratios tirs des comptes annuels par comparaison avec les exercices antrieurs, les budgets, les rsultats d'entreprises similaires. Lexamen analytique cherche galement sassurer de la cohrence rciproque des diffrentes informations. On peut ainsi vrifier que l'augmentation du poste Crances clients au bilan par rapport l'exercice prcdent est lie l'augmentation des ventes et non au rallongement du dlai de rglement des clients11.

    L'approche d'audit labore lors de la planification de la mission et applique lors du contrle des comptes consiste dterminer la quantit et la nature des diffrentes catgories de procdures raliser, afin d'viter aussi bien un niveau insuffisant de preuves que ce que l'on appelle le sur-audit , c'est--dire un excdent de contrles effectus coteux en termes dheures de travail. En particulier, la quantit des contrles ralisables, ncessairement faible par rapport au volume global des transactions, impose de procder des sondages, cest--dire de ne contrler que certaines transactions (Demolli 1992).

    11 En tant que procdure daudit la plus labore, la revue analytique a fait lobjet de nombreux travaux de

    recherche dans le monde acadmique (cf. Mulligan & Inkster 1999 pour une revue de la littrature).

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    Une fois les procdures d'audit appliques un cycle de lentreprise, l'auditeur met un jugement sur les rsultats obtenus. S'il n'a pas relev d'anomalie et s'il considre que le niveau des travaux effectus est satisfaisant, il estimera que les lments de preuve recueillis sont suffisants pour couvrir le risque li ce cycle. S'il relve des erreurs ou des anomalies, il va s'efforcer dvaluer leur impact, de rechercher des explications leur sujet et de dterminer si elles sont de nature volontaire ou involontaire. A la lumire de la connaissance gnrale quil a acquise sur l'entreprise, l'auditeur estime alors s'il va devoir procder des travaux de contrle supplmentaires et / ou s'il va demander des ajustements , c'est--dire des corrections dans les comptes de l'entreprise.

    La vrification des diffrents cycles de lentreprise et de leur cohrence permet, en bout de course, de sassurer de la validit globale des tats financiers. Le rsultat dun audit nest cependant jamais certain. En effet, comme la recherche de preuves repose sur la notion de sondage, elle ne peut offrir une garantie absolue malgr toutes les prcautions mthodologiques mises en uvre. De plus, lvaluation des risques et lvaluation du contrle interne sur lesquelles repose largement le choix des procdures appliques peuvent tre insuffisantes. Enfin, les procdures utilises ne sont peut-tre pas les mieux adaptes la situation et linterprtation qui est faite de leurs rsultats laisse malgr les critres formaliss qui peuvent tre dvelopps la mme marge de libert que la planification. En ralit, le but ne peut pas tre de couvrir le risque de manire complte, mais dobtenir un niveau de preuve jug satisfaisant en fonction de la situation : les Anglo-Saxons parlent dtre comfortable avec les rsultats de laudit (Pentland 1993)12. Compte tenu des limites associes au jugement humain, la disponibilit et la qualit de linformation ainsi qu linsertion de lauditeur dans un contexte social laudit ne peut donc pas se concevoir en tant que processus compltement rationnel (Carpenter et al. 1994).

    Conclusion de la section 1

    Compte tenu de ses enjeux, la qualit du contrle des comptes annuels des entreprises est un lment important de la vie conomique. A ce titre, les principes et les mthodes utiliss par les auditeurs financiers doivent prsenter des caractristiques acceptables par lenvironnement et susceptibles daffirmer leur efficacit et leur rationalit. Or, laudit se caractrise par une opposition particulire cet gard. Dun ct, lexcution des contrles de terrain se caractrise par un rationalisme marqu. Les procdures de base en audit (contrles de facture, vrifications physiques...) sont relativement lmentaires raliser et, surtout, quantifiables et formalisables. Les mthodologies structures, la mise en

    12 Malgr le formalisme de la pratique, le contenu intuitif voire affectif de linterprtation dun audit

    apparat alors en pleine lumire. Ce point sera dvelopp lors du chapitre II.

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    place de tests informatiss, lutilisation et la thorisation des sondages (qui peut rassurer par son fort contenu mathmatique) permettent de donner un caractre rigoureux la collecte de preuves et au rsultat produit par laudit.

    Inversement, la planification des travaux en aval et la formulation des conclusions en amont ne peuvent tre instrumentalises aussi facilement. Elles sont le rsultat dune dcision individuelle, cest--dire dun lment qui prsente une certaine forme darbitraire mme sil sappuie sur une exprience et des connaissances antrieures. En particulier, lutilisation de lapproche par les risques est fortement subjective : lapprciation dune situation et le choix des procdures daudit adaptes ne peuvent malgr les supports daide la dcision tre entirement codifis. Le processus daudit doit ce niveau tre considr comme un processus heuristique : lauditeur recherche une conclusion compatible avec un ensemble de principes sans quil puisse tre fait rfrence un ou plusieurs critres doptimisation (Demolli 1992).

    Pourtant, la tentation a t grande pour la profession de donner une rationalit supplmentaire ces phases de laudit de manire les rapprocher de celle associe lexcution des contrles de terrain. Do lapparition du formalisme conceptuel et technique que nous avons prsent dans cette section : modle des risques, assertions, preuves, matrialit, mthodologies structures Mais certains se demandent si cette extension du formalisme lensemble de laudit nest pas une faon de masquer la part darbitraire du jugement daudit tant dailleurs aux yeux des praticiens eux-mmes qu ceux du public : les mthodologies peuvent avoir pour consquence de crer une ralit illusoire qui dforme les dcisions de lauditeur (Francis 1994). Lencadrement conceptuel et mthodologique des auditeurs est donc problmatique et il est ncessaire de sinterroger sur la manire dont il est appliqu en pratique pour tenter de comprendre ses enjeux. Avant de nous intresser aux individus qui pratiquent laudit, ce travail passe tout dabord par une analyse de la situation des acteurs conomiques du march de la certification : les cabinets daudit.

  • Chapitre I Laudit financier : caractristiques et enjeux Section 2

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    Section 2 Laudit en pratique : les cabinets face leur march

    et la qualit

    En tant quentits conomiques, les cabinets daudit prsentent une caractristique spcifique qui en fait des acteurs originaux. Ce sont en effet des organisations qui bnficient du monopole de la certification des comptes, une obligation lgale pour la plupart des socits commerciales. Ceci leur fournit un march captif stabilis en France par la pratique des mandats de six ans et entrane labsence de concurrence externe la profession. Cependant, leur nature de structures prives les soumet une concurrence interne la profession et ses consquences en termes de matrise des cots. En outre, elle les soumet au regard critique du march qui sinterroge de plus en plus sur lutilit des honoraires verss aux cabinets. Le travail daudit se caractrise en effet, pour les tiers, par la difficult voire limpossibilit dobserver le travail ralis (McNair 1991). Comme nous lavons soulign dans la section prcdente, la formalisation daudit ne peut cacher un certain arbitraire qui peut tre dnonc en priode difficile. Or, depuis quelques annes, les checs daudit ont gagn en nombre et en visibilit. Il nest donc pas tonnant