L'attaque du 1er corps

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Lattaque du 1er corpsQuelques pistes sur le plan de bataille de Napolon Waterloo

Lattaque du 1er corps, vers 14.00 hrs, est un des pisodes de la bataille de Waterloo qui a suscit le plus de dbats. Il nest pas exagr de dire que ce moment de la bataille a suscit autant de versions quil y a dauteurs. Nous allons ensemble essayer de trier le vrai du faux et, ensuite, tcher de comprendre pourquoi ce vaste mouvement, le plus important de la journe du 18 juin 1815, sest finalement sold par un cuisant chec que rien ne put rattraper.

Par Michel Damiens

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Waterloo : l'attaque du 1er corpsQuelques pistes sur le plan de bataille de Napolon Waterloo

Position de dpart et formationCommenons par voir quels sont les acteurs en prsence. Du ct franais dabord :

1er CORPS (Drouet dErlon) Division Brigade Effec. Rgiment 2 111 54e Ligne (Charlet) 55e Ligne (Morin) Effec. Bataillon 962 1/54 (Guyot) 2/54 (Prieur) 1 149 1/55 (Durand) 2/55 (Delamoussay) 2e Bourgeois 1 881 28e Ligne (Senac) 105e Ligne (Gentry) 2e division Donzelot 1re Schmitz 2 877 13e Lger (Gougeon) 898 1/28 (Senac) 2/28 (Marrens) 983 1/105 (Coste) 2/105 (Bonnet) 1 875 1/13 (Lendormy) 2/13 (Pierron) 3/13 (Maussion) 17e Ligne (Guerel) 2e Aulard 2 200 19e Ligne (Trupel) 1 002 1/17 (Vogt) 2/17 (David) 1 032 1/19 (Garcin) 2/19 (Demannion) Effec. 480 482 580 569

1re division 1re Charlet Quiot

449 449 488 495 643 620 612 552 450 529 503

3

51e Ligne (Rignon) 3e division Marcognet 46e Ligne (Dupr) 2e Grenier 1 997 25e Ligne (Galt) 1e Nogus 2 025 21e Ligne (Carr)

1 168 1/51 (Pernet) 2/51 (Pcheur) 1 137 1/21 (Debar) 2/21 (Chaboux) 888 1/46 (Bonnefoi)

610 558 532 605 461

2/46 (Couturand) 427 974 1/25 (Deshamaux) 2/25 (Paquet) 508

466 514 489 512 471 589 557

45e Ligne (Chapuset) 4e division Durutte 29e Ligne (Rousselot) 1e Pgot 2 129 8e Ligne (Ruelle)

1 003 1/45 (Sivan) 2/45 (Gruard) 983 1/8 (Bertrand) 2/8 (Arbey) 1 146 1/29 (Ressejac) 2/29 (Duquesnoy) 631 1/85 (Filanchier) 2/85 (Verdure) 1 100 1/95 (Bosse) 2/95 (Rullire)

2e Brue

1 731 85e Ligne (Masson) 95e Ligne (Garnier)

321 310 568 532

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Et voici lordre de bataille des units allies de ce ct du champ de bataille : Divisions 2(NL)div Perponcher Eff 7 620 Brigade 1(NL)Bde Eff 2 931 Bataillons 27(NL)Jagers Grunebosch 7(B)Ligne Vandesande 5(NL)Militie Weslenberg 7(NL)Militie Singendonck 8(NL)Militie de Jongh 2(NL)Bde Saxe-Weimar 4 689 1/2 Nassau Bsgen 2/2 Nassau Normann 3/2 Nassau Hegmann 1/28 Orange Nassau von Dressel 2/28 Orange Nassau Schleyer Nassau Jger Bergmann 5(GB)Div Picton 6 724 8(GB)Bde Kempt 1 923 28th Belson 32nd Hicks 79th Douglas 95th Rifles (6 cies) Barnard 9(GB)Bde Pack 1 697 3/1 Campbell 42nd Dick 2/44 Hammerton 92nd McDonald 5(Han)Bde5

Eff 550 701 220 675 566 889 [1] 885 899 893 688 177 [2] 557 503 445 418 453 338 494 412 640

2 604

Gifhorn Landwehr

Vincke

v. Hammerstein Hameln Landwehr v. Strube Hildesheim Landwehr v. Rehden Peine Landwehr Westphalen 689 640 635 677 750 862 498 642 647 680 700

6(GB)Div Cole

5 158

10(GB)Bde [3] 2 289 Lambert

1/4 Brooke 1/27 Hare 1/40 Hayland

4(Han)Bde Best

2 669

2/81 [4] Verden Landwehr De Decken Lneberg Landwehr Rahmdor Munden Landwehr Schmidt Osterode Landwehr Reden

[1] A Hougoumont.[2] A Hougoumont.[3] Sur laile droite.[4] Rest Bruxelles

Une prcision importanteLes auteurs, lorsquils parlent de la 1re division du 1er corps, parlent indiffremment de la division Allix (ou Alix) ou de la division Quiot . Il faut retenir que la 1re division, nominalement commande par le gnral Allix, tait compose de deux brigades : lune commande par le gnral Quiot du Passage, lautre par le gnral Bourgeois. Or, le gnral Allix nayant pu rejoindre temps, fut remplac la tte de la division par le gnral Quiot qui cda lui-mme le commandement de sa brigade au colonel Charlet, chef de corps du 54e de ligne. Ainsi, lorsque les auteurs parlent de la division Allix ou de la division Quiot, veulent-ils dire la mme chose. Dautre part, quoique cela napparaisse pas ou fort peu dans les textes que nous allons parcourir, il est essentiel de retenir que le 1er corps a adopt deux formations diffrentes : sa position primitive vers 11.30 hrs et celle quil adoptera aprs avoir franchi la ligne dartillerie pour monter lassaut de la ligne anglaise vers 14.00 hrs.

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Mise en place du 1er corpsNapolon, dans ses Mmoires, dcrit la position du 1er corps le matin du 18 juin 1815 : La troisime colonne, forme par le premier corps et commande par le lieutenant-gnral comte dErlon, appuya sa gauche la Belle-Alliance sur la droite de la chausse de Charleroi, et sa droite vis--vis la ferme de La Haye o tait la gauche de lennemi. Chaque division dinfanterie tait sur deux lignes ; lartillerie dans les intervalles des brigades. Sa cavalerie lgre qui formait la quatrime colonne, se dploya sa droite sur trois lignes, observant La Haye, Frischermont, et jetant des postes sur Ohain, pour observer les flanqueurs de lennemi, son artillerie lgre tait sur sa droite.1 Thiers n'est pas beaucoup plus prcis : A laile droite, cest--dire de lautre ct de la chausse de Bruxelles, le corps du comte dErlon (1er), qui navait pas encore combattu et qui comptait 19 mille fantassins, vint stablir en face de la gauche des Anglais, ses quatre divisions places lune la suite de lautre, et chacune delles ranges sur deux lignes2 Plus loin, Thiers nous montre le dispositif adopt selon lui par le 1er corps au moment de se mettre en marche : Napolon donna donc au marchal Ney le signal de lattaque. Cette importante opration devait commencer par un coup de vigueur au centre, contre la ferme de la Haye-Sainte situe sur la grande chausse de Bruxelles. Notre aile droite dploye devait ensuite gravir le plateau, se rendre matresse du petit chemin dOhain qui courait mi-cte, se jeter sur la gauche des Anglais, et tcher de la culbuter sur leur centre, pour leur enlever Mont-SaintJean au point dintersection des routes de Nivelles et de Bruxelles. La brigade Quiot de la division Alix (premire de dErlon), dispose en colonne dattaque sur la grande route, et appuyes par une brigade des cuirassiers de Milhaud, avait ordre demporter la ferme de la Haye-Sainte. La brigade Bourgeois (seconde dAlix), place sur la droite de la grande route, devait former le premier chelon de lattaque du plateau ; la division Donzelot devait former le second, la division Marcognet le troisime, la division Durutte le quatrime.1 2

Napolon Mmoires pour servir lHistoire de France t. IX, 2e d. Paris, Bossange, 1830, p. 113 Thiers Histoire du Consulat et de lEmpire, t. XX Paris, Lheureux et Cie, diteurs, 1862, p.187

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Ney et dErlon avaient adopt pour cette journe, sans doute afin de donner plus de consistance leur infanterie une disposition singulire, et dont les inconvnients se firent bientt sentir. Il tait dusage dans notre arme que les colonnes dattaque se prsentassent lennemi un bataillon dploy sur leur front, pour fournir des feux, et sur chaque flanc un bataillon en colonne serre pour tenir tte aux charges de cavalerie. Cette fois au contraire Ney et dErlon avaient dploy les huit bataillons de chaque division, en les rangeant les uns derrire les autres distance de cinq pas, de manire quentre chaque bataillon dploy il y avait peine place pour les officiers, et quil leur tait impossible de se former en carr sur leur flanc pour rsister la cavalerie. Ces quatre divisions formant ainsi quatre colonnes paisses et profondes, savanaient la mme hauteur, laissant de lune lautre un intervalle de trois cents pas. DErlon tait cheval la tte de ses quatre chelons ; Ney dirigeait lui-mme la brigade Quiot, qui allait aborder la Haye-Sainte.3 Le clbre stratgiste, le gnral Jomini nous montre le 1er corps au mme instant : Vers une heure, Ney slance donc la tte du corps dErlon, qui se ploie en colonnes par division pour franchir plus vivement lespace qui le sparait de lennemi 4. Ce mouvement, excut en masses serres et trop profondes sous un feu meurtrier, se fit avec un peu de flottement ; une partie de son artillerie resta derrire, et continua contre-battre de loin celle de lennemi pendant que linfanterie passait le ravin. Bien que la formation en colonnes et laiss entre les divisions des intervalles assez considrables, ils ntaient pas suffisants toutefois pour les dployer. Les relations publies jusqu ce jour diffrent dailleurs beaucoup entre elles sur la manire dont cette premire attaque sexcuta : les unes font marcher les quatre divisions du corps dErlon, ainsi formes en autant de masses, en chelons la gauche en avant, directement sur la position de la de laile gauche allie, mprisant le poste de la Haye-Sainte quelles laissaient derrire elles. Dautres font marcher la 2e division du corps dErlon sur ce poste, et la 4e sur celui de Smohain, presque simultanment avec lattaque de cette position. Quoi quil en soit, jai tout lieu de croire quen effet trois divisions en colonnes profondes sbranlrent en mme temps pour fondre sur la position occupe en premire ligne par les Belges du gnral Perponcher, droite de la chausse de Mont-Saint-Jean, tandis que la division Durutte marchait sur

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Id., pp. 204-206 Note de Jomini : Il parat que chaque division formait une seule masse de huit dix bataillons, marchant lun derrire lautre. On ignore si tous ces bataillons taient forms en colonnes dattaque ou dployes sur huit ou dix lignes, mais ils formaient une masse trs profonde. Il parat aussi que la division Marcognet fit un mouvement de flanc pour se rapprocher du centre, et quil y eut du flottement dont les Anglais profitrent.

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Smohain, ou du moins contenait lextrme gauche de lennemi de ce ct, de concert avec la cavalerie lgre de Jaquinot. Bravant toutes les difficults quoffraient les terres dtrempes pour mouvoir des masses ainsi agglomres, et le feu dune artillerie formidable, les 1 re et 3me divisions avaient atteint la premire ligne ennemie au point o se trouvait la brigade du gnral Bylandt (Division Perponcher), quelles enfoncrent la suite dun choc vigoureux. Mais loin davoir accompli leur tche, elles se trouvrent assaillies subitement par la division anglaise de Picton, place en seconde ligne, et couche derrire un pli de terrain qui la favorisait 5 Jomini assortit ce commentaire dune longue note : Il rgne une grande confusion dans toutes les relations publies jusqu ce jour sur la bataille de Waterloo. Les uns font attaquer la gauche de la position par les quatre divisions trs rapproches ; dautres disent que celle de Durutte marcha sur Smohain, et celle de Quiot sur la Haie-Sainte. Il parat que lordre de bataille dErlon fut interverti, et que sa 1e division, au lieu dtre droite vers Smohain forma la gauche la Haie-Sainte. Les Victoires et Conqutes parlent dune grande colonne forme des 2e et 3e divisions (Donzelot et Marcognet). Ce serait alors celle de Quiot, cest--dire la premire, qui aurait attaqu la Haie-Sainte. Cependant les auteurs allemands portent autant de colonnes que de divisions ; ils parlent dune brigade de cuirassiers de Valmy ou de Milhaud, qui seconda cette premire attaque, et les relations franaises nen disent mot. On dit que les aigles des 45 e et 105e rgiments furent prises sur la grande colonne ; or un de ces rgiments appartenait la 1re division, et lautre la 3me 6. Enfin, dautres versions feraient croire que Durutte ne marcha qu quatre heures sur Smohain. Il est impossible de se reconnatre dans un pareil chaos.7 Un pareil chaos Nous allons tenter de rtablir lordre. Commenons par ouvrir une parenthse afin dessayer de comprendre ce qui suscite ltonnement de Jomini : Il parat que lordre de bataille dErlon fut interverti. Il faut savoir que daprs la tradition et le rglement en usage depuis 1791, Quelle que soit la place dune brigade dans lordre de bataille, le plus ancien des deux rgiments dont elle sera compose, sera plac la droite, et le moins ancien la gauche. Quelle que soit la place des5 6

Gnral Jomini Prcis de la campagne de 1815 Librairies Anselin et Amyot, 1839, pp. 171 et sq. On voit ici que cest le fait que laigle du 105e ait t prise par les Scots Greys qui instille le doute dans lesprit de Jomini. Comment le 105e, qui fait partie de la 1re division, peut-il avoir perdu son aigle sil tait occup la Haye-Sainte ? Jomini ne tient pas compte (ou ignore) que la 1re division a volu en deux colonnes : les 54e et 55e qui ont attaqu la ferme et les 28e et 105e qui ont remont le long de la chausse pour attaquer la position tenue par le 1/95th Rifles britannique. 7 Jomini, pp 171 et sq.

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rgimens dans leur brigade, le premier bataillon de chacun sera plac la droite, le second la gauche.8 Ainsi donc, mutatis mutandis, Jomini considre que la 1re division aurait d se trouver la droite du dploiement du corps et le 4e gauche. Or, et cest cela qui lui semble trange, ce fut exactement le contraire Cela sexplique pourtant facilement. Si le 1er corps avait march rglementairement, la 1re division aurait march en tte de colonne et la 4e en queue. Or le 1er corps, except la division Durutte, a bivouaqu sur le terrain dans la nuit du 17 au 18 : Le corps dErlon (sauf la division Durutte qui ne rejoignit que le lendemain matin) stablit entre Plancenoit et la ferme de Monplaisir, son front et son flanc droit couverts par la cavalerie de Jacquinot.9 Cela reprsente un front de plus de 3, 5 kilomtres. Bien difficile de dire avec exactitude, dans ces conditions, comment bivouaqurent les trois premires divisions du 1er corps La seule chose qui soit certaine, cest que ctait dans un ordre vraiment dispers. Or, nous dit-on, par un ordre crit par Soult le 18 entre quatre et cinq heures, lempereur prescrivait que tous les corps darme fussent neuf heures prcises sur leurs positions de bataille, prts attaquer.10 Donc, logiquement, Le corps de dErlon serre sur sa droite pour laisser le corps de Reille stablir sur la gauche.11 Tout cela doit se situer vers 09.00 hrs, puisque nous savons que le corps de Reille ne passa devant le Caillou que vers 09.00 hrs. Houssaye nous dit que lempereur prsida lui-mme la disposition des troupes, les passant en revue mesure quelles se forment sur le terrain 12 . On peut donc lgitimement penser que les divisions du 1er corps se placrent en ligne suivant leur ordre darrive et selon les indications de Napolon : la 1re division prs de la chausse, les autres droite au fur et mesure de leur arrive. Quant la 4 me, celle de Durutte, qui avait bivouaqu entre Genappe et Glabais, elle navait pas encore termin sa mise en place quand retentit le premier coup de canon, soit vers 11.30 hrs 13. Elle est donc passe sur le chemin de la Belle-Alliance, dans le dos des trois autres divisions, pour aller se placer la droite du dispositif. Il est une autre question qui se pose et dont aucun auteur si ce nest de Bas et t Serclaes ne nous donne la solution : quelle tait la disposition des divisions du 1er corps avant quil ne sbranle vers 13.30 hrs ? Si nous savons quil se forma en8

Rglement concernant lExercice et les Manuvres de lInfanterie du 1er aot 1791 A Paris, au bureau du Journal Militaire, 1792, p. 1. 9 Houssaye 1815, t. II Paris, Christian de Bartillat, diteur, 1987, p. 266. 10 Id., p. 308. 11 Id., p. 318. 12 Id., ibid. 13 Durutte (Sentinelle de lArme, 1838) cit par Houssaye, p. 309, note 2.

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colonnes de division par bataillon aprs avoir franchi la ligne dartillerie de la grande batterie, nous ne connaissons pas avec certitude sa disposition au dpart. La vraisemblance incite penser que chaque division de chaque brigade sest mise en marche dispose en colonnes dattaque de bataillons par division (deux compagnies) pour traverser le dispositif dartillerie, dont rappelons-le, la plus grande profondeur fourgons, caissons, prolonges et pices est denviron 450 mtres. Il est donc peu prs certain que cest dans cette formation que le 1 er corps a attendu lordre de monter lassaut. Et dune phrase des Mmoires, nous pouvons conclure que cest lempereur lui-mme qui prsida cette disposition : Lempereur parcourut les rangs ; il serait difficile dexprimer lenthousiasme qui animait tous les soldats : linfanterie levait ses schakos au bout des baonnettes ; les cuirassiers, dragons et cavalerie lgre, leurs casques ou schakos au bout de leurs sabres.14

Figure 1 : Position du 1er corps vers 11.30 hrs. La division Durutte est encore occupe prendre position. Les artilleries divisionnaires sont en route pour composer la grande batterie.

Nous pouvons donc sans crainte rassurer Jomini : cest bien la division Allix (ou Quiot) qui a attaqu la Haie-Sainte et la 4e qui sen est pris Papelotte et Smohain. Nous navons trouv ce sujet dans la littrature franaise aucun avis divergent et il ny en avait pas jusqu ce que Barbero publie son livre. Ncrit-il pas :14

Napolon - Mmoires, p. 116.

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Il ntait pas encore tout fait une heure quand la premire des divisions de dErlon, commande par Donzelot, se mit en branle et marcha sur eux [les fusiliers allis stationns la Haye-Sainte].15 ? Plus loin, dans le mme chapitre, le mme auteur attribue cette division la brigade Schmitz et celle dAulard. Or, nous avons beau scruter lordre de bataille du 1 er corps, nous ne voyons quune chose, cest que ces deux brigades sont bien celles de la division Donzelot, soit la 2me division. La 1re division, celle dAllix, dont le commandement avait t repris par le gnral Quiot du Passage lui-mme remplac la tte de sa brigade par le colonel Charlet comptait, outre cette dernire, la brigade Bourgeois. Or toutes les sources franaises, nous disons bien toutes, affirment que cest la 1re division, et plus prcisment la 1re brigade de cette division, qui attaqua la premire le verger de la Haye-Sainte. Comment expliquer une pareille bourde ? Nous n'avons pas d chercher longtemps avant de trouver comment Barbero stait plant . A priori, la tche semblait difficile : Barbero ne cite pas ses sources. Mais il ne faut pas chercher bien longtemps pour les trouver. Il s'agit d'une petite phrase de la bonne vieille Bible : Siborne !... Comme la division de Donzelot, qui tait sur la gauche, approchait de la Haye-Sainte, une de ces brigades se spara pour attaquer cette ferme, pendant que lautre continuait avancer droite de la chausse de Charleroi.16 Mais Barbero ne se contente pas de recopier la sottise mise par Siborne (et sur laquelle celui-ci n'insiste pas) ; il se croit oblig de la justifier : La division Donzelot tait, toutefois, la plus forte, car beaucoup de ces bataillons alignaient six cents sept cents hommes, la place de quatre cents cinq cents en moyenne pour les autres. Or, cest faux. Certes, la 2me division comptait plus dhommes (5 262) que la 1re.(4 183), mais cela ne tenait que fort peu leffectif de chaque bataillon. En moyenne, la 1re division comptait 522, 87 hommes par bataillon ; la deuxime 583, 66 (chiffres moyens). Ce nest pas une diffrence significative. Par contre, la 2me division comptait neuf bataillons au lieu de huit comme les trois autres divisions. Un peu plus loin, lauteur italien se lance dans un trange raisonnement : Mais ce qui comptait le plus, ctait que lune des deux brigades de la division, la brigade Schmitz, comprenait le seul rgiment dinfanterie lgre

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Alessandro Barbero Waterloo Paris Flammarion, 2005., p. 156. Siborne - The Waterloo Campaign, 4e d., 1894 - p. 393.

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assign au 1er corps darme, et quelle tait donc particulirement adapte une attaque de la Haye-Sainte. Voil qui, en soi, nest pas faux : la 2me division comprenait en effet le 13e lger. Nous pouvons mme ajouter que ce rgiment dlite, qui avait combattu Austerlitz, Auerstaedt, Ina et Borodino, entre autres, tait compos Waterloo de trois bataillons. Mais dire quun bataillon ou un rgiment lger ft mieux adapt pour semparer de la Haye-Sainte, voil qui nous parat une affirmation hasardeuse. Peuttre, en thorie, une unit lgre tait-elle mieux instruite au combat en tirailleurs, mais nous savons quen 1815, les rgiments lgers combattaient exactement comme les autres. Ce rgiment, dissous en mai 1814, avait t, comme bien dautres, reconstitu la hte et ses hommes ntaient pas mieux instruits pour le combat en tirailleurs que les autres. Lexplication de Barbero ne tient donc pas ! Mais elle est significative et montre quel point Siborne a t malfaisant : il est revtu d'une telle autorit qu'un professeur d'universit comme Barbero se croit oblig de chercher des explications vaseuses pour justifier ses bourdes...Mais elle nous permet de comprendre la raison pour laquelle Siborne et, sa suite, lauteur italien se sont ramasss . Cen est tellement simple que cen est affligeant : ils

confondent btement les deux assauts principaux contre la Haye-Sainte ; celui de 13.30 hrs dans lequel na t implique que la brigade Charlet et celui de 18.00 hrs o, en plus des dbris de cette brigade, les trois bataillons du 13 e lger au grand complet vinrent attaquer et, finalement, prendre la ferme. Fermons cette pnible parenthse et revenons la formation du 1 er corps, lors de son attaque de 13.30 hrs.

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La formation vicieuse du 1er corpsConfusion des mots, confusion des idesPuisque Jomini citait les Victoires et Conqutes, allons-y jeter un coup dil : La troisime colonne, forme par le premier corps, appuya sa gauche la Belle-Alliance, sur la droite de la chausse de Charleroi, et sa droite vis--vis les fermes de Papelotte et la Haye o tait la gauche de lennemi. Chaque division galement sur deux lignes ; lartillerie dans les intervalles des brigades. La cavalerie de ce corps darme qui formait la quatrime colonne se dploya droite des divisions dinfanterie, sur trois lignes, observant la Haye, le hameau de Smohain, le chteau de Frichermont, et jetant des postes sur Ohain, pour observer les flanqueurs de lennemi ; son artillerie lgre tait sur sa droite.17 Dix divisions dartillerie, parmi lesquelles trois se composaient de pices de position du calibre de 12, se runirent la gauche appuye sur la chausse de Charleroi, sur les monticules au-del du btiment de la Belle-Alliance, et en avant de la division de gauche du premier corps. Elles taient destines soutenir lattaque de la Haye-Sainte, que devaient faire deux divisions du premier corps et les deux divisions du sixime, dans le temps que les deux autres divisions du comte dErlon (Durutte et Marcognet) se porteraient sur les fermes de Papelotte et de la Haye. La gauche de lennemi devait se trouver tourne par ce mouvement18 Cest alors [aprs que lon a aperu les Prussiens] que Napolon envoya lordre au prince de la Moskowa de faire commencer le feu de ses batteries, de marcher sur la Haye-Sainte, de sen emparer, dy mettre en position une de ses divisions dinfanterie ; dattaquer ensuite galement les deux fermes de Papelotte et de la Haye, et den dposter lennemi, afin dintercepter toute communication entre larme anglo-hollandaise et le corps de Bulow. Quatrevingt bouches feu firent bientt de grands ravages dans les rangs de la gauche. Le comte dErlon savana sous la protection de ce feu terrible, la

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Victoires, conqutes, dsastres, revers et guerres civiles de Franais, par une socit de militaires et de gens de lettres tome XXIV - Paris, C.L.F. Pancoucke, diteur, 1821, p. 204. 18 Id., p. 207.

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tte dun forte colonne forme des deuxime et troisime divisions de son corps darme, et parvint, la faveur dun ravin, couronner la hauteur.19 Houssaye : Il tait environ une heure et demie. Lempereur envoya Ney lordre dattaquer. La batterie de quatre-vingt pices commena avec le fracas du tonnerre un feu prcipit auquel rpondit lartillerie anglaise. Aprs une demiheure de canonnade, la grande batterie suspendit un instant son tir pour laisser passer linfanterie de dErlon. Les quatre divisions marchaient en chelons par la gauche, 400 mtres dintervalle entre chaque chelon. La division Allix formait le premier chelon, la division Donzelot le deuxime, la division Marcognet le troisime, la division Durutte le quatrime. Ney et dErlon conduisaient lassaut. Au lieu de ranger ces troupes en colonnes dattaque, cest dire en colonnes de bataillons par division demi-distance ou distance entire, ordonnance tactique favorable aux dploiements rapides comme aux formations en carrs, on avait rang chaque chelon par bataillon dploy et serr en masse. Les divisions Allix, Donzelot, Marcognet et Durutte prsentaient ainsi quatre phalanges compactes, dun front de cent soixante files sur une profondeur de vingt-quatre hommes. Qui avait prescrit une telle formation prilleuse en toute circonstance, et particulirement nuisible sur ce terrain accident 20 ? Ney ou plutt dErlon, commandant de corps darme ? En tout cas, ce ntait pas lempereur, car, dans son ordre gnral, de onze heures, rien de pareil navait t spcifi ; il ny tait mme pas question dattaque en chelons. Sur le champ de bataille, Napolon laissait, avec raison, toute initiative ses lieutenants. 21 Arrtons-nous un instant pour nous pencher sur ces formations que nous ont dcrites Thiers, Jomini et Houssaye. Thiers commence par nous dire qu il tait dusage dans notre arme que les colonnes dattaque se prsentassent lennemi, un bataillon dploy sur leur front, pour fournir des feux, et sur chaque flanc un bataillon en colonne serre pour tenir tte aux charges de cavalerie.22 Ou nous nous trompons fort ou voil qui ressemble furieusement lordre mixte, "invent" pendant la rvolution. Rappelonsen le schma :19 20

Id., p. 212. Or, bien regarder, le terrain nest pas cet endroit, particulirement accident, sauf, peut-tre pour Durutte. Tout au plus y a-t-il cet endroit une succession de mamelons et de creux, de plis et de rideaux, de sillons et de renflements, des mouvements onduleux comme la houle de la mer. (Houssaye, p. 299). Certains auteurs parlent de molles ondulations . 21 Houssaye, pp. 337-338. 22 Thiers, p. 204.

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Figure 2 : Colonne d'attaque en ordre mixte. Chaque compagnie, forme sur trois rangs. Le bataillon en noir est dploy ; les compagnies en rouge sont en ordre serr.

Houssaye nous dit quil aurait fallu ranger ses troupes en colonnes de bataillons par division demi-distance ou distance entire . Cela aurait ressembl ceci :

Figure 3 : Division de huit bataillons en colonnes de bataillon par division distance entire.

Or Thiers nous dit que, Waterloo, les huit bataillons de chaque division du 1er corps taient rangs les uns derrire les autres cinq pas de manire quentre chaque bataillon dploy, il y avait peine place pour les officiers et quil leur tait impossible de se former en carr sur leur flanc pour rsister la cavalerie. Cela donnerait quelque chose comme ceci, toujours dans le cas dune division de huit bataillons :

Figure 4 : Colonne de division par bataillon

Cest cette mme formation que donne Houssaye quand il dit que les divisions du 1er corps prsentaient un front de cent soixante deux cents files sur une profondeur de vingt-quatre hommes . En quoi, il commet une petite erreur de calcul puisque le front prsent par chaque bataillon dpendra naturellement de son16

effectif. Ceci dit, notre schma, confectionn laide des symboles conventionnels OTAN, fausse les proportions. En ralit, vu du ciel, une division du 1 er corps devait plutt ressembler la figure 5.

Figure 5 : Colonne de division par bataillon

Si cest bien l la disposition adopte, on admettra que Thiers na pas tort : il est impossible de manuvrer sur les flancs et encore moins de changer de disposition au cours de la progression Nanmoins, quoique notre schma corresponde ce que nous disent Thiers, Jomini, Houssaye et les auteurs des Victoires et Conqutes, est-il conforme la ralit historique ? Interrogeons un historien, professeur lcole royale militaire de Bruxelles, Luc De Vos. En principe, il devrait nous clairer : A 13 heures, Napolon donna Ney lordre dattaquer. La disposition des quatre divisions du 1er corps, 17 000 hommes environ tait remarquable. La division de gauche, commande par Quiot, formait deux colonnes, soit une par brigade. Chaque colonne comprenait quatre bataillons, deux bataillons marchant six pas dintervalle et chaque bataillon formant trois lignes larges de 120 150 mtres. La deuxime colonne, 200 mtres de la premire, tait un peu en retrait de celle-ci. La division de Quiot avait pour objectif la HaieSainte. Les trois autres divisions formaient chaque fois une colonne de huit neuf bataillons qui se prsentaient comme une succession de minces phalanges.

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Jusque-l, pas de problme. Notre schma correspond la description de De Vos, sauf en ce qui concerne la division Quiot qui, si nous comprenons bien, se prsente comme suit :

Figure 6 : Formation de la 1re division (Quiot) du 1er corps

Mais, malheureusement, De Vos continue : Cest ce quon appelait la formation en colonnes de bataillon par division. Toutefois, cette poque, on utilisait la formation bien plus souple, en colonnes de division par bataillon, un damier de colonnes de bataillons, chacun constitu de deux compagnies en front et sur neuf lignes. Lintervalle permettait de se dployer en carr. Le dispositif adopt erronment tait-il d un ordre oral mal compris ?23 Or, cest exactement linverse. De Vos tombe en plein dans le pige tendu sournoisement par le vocabulaire tactique du XIXe sicle et confond la division, grande unit et la division, entit forme par deux compagnies ! La colonne de bataillon par division est bien le bataillon form sur un front de deux compagnies et la colonne de division par bataillon est bien la division (grande unit) dploye sur le front de tout un bataillon, comme le montre notre schma. La division Quiot quant elle, marche en colonnes de brigade par bataillon. Le lecteur de De Vos est donc induit en erreur et on finit par ne plus rien comprendre. Le gnral Desoil, galement professeur lEcole royale militaire en son temps, est plus avare de dtails, mais encore ne commet-il pas derreur : Le 1er corps se porta lattaque, la gauche en avant, par divisions accoles 400 mtres dintervalle ; chaque division tait range par bataillon dploy et serr en masse. Quatre phalanges compactes sur un front de 160 200 hommes et sur 24 rangs de profondeur se portant en avant.24 23 24

De Vos Les 4 jours de Waterloo Bruxelles, Didier Hatier, 1990, , p. 114. Desoil La Chute de lAigle Bruxelles, Editions du Marais, 1956, p. 44. Notons que Desoil parle de quatre phalanges . Or, il ny en a que deux : les divisions Donzelot et Marcognet. Comme dit plus haut, la division

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Il joint un petit schma cette explication :

Figure 7 : Schma de la disposition du 1er corps selon le gnral Desoil

Le commandant Lachouque ne nous en dit gure plus mais il semble tonn par la disposition prise par le 1er corps : Du carrefour Papelotte, larme au bras, hurlant le Chant du Dpart, tambours battant la charge, les quatre divisions de Drouet dErlon, conduites par Ney montent lassaut de la ligne anglaise. Les huit bataillons de chacune delles sont en ligne, serrs en masse les uns derrire les autres. Impossible de se dployer, de se former en carr, de tirer. Qui a ordonn ces dispositions macdoniennes ?25 Jean-Pierre de Potter, dont lexpos est en gnral trs clair, explique : La formation de combat du 1er corps est la chose la plus aberrante de la journe, les divisions vont marcher au canon en masses compactes, ayant un front de 160 200 hommes sur toute la profondeur de la colonne. Aucune chance de passer la formation en carr contre la cavalerie si elle charge, aucune chance dalignement pour un combat de front. Si les colonnes parviennent au sommet dans les mmes positions, elles pourront alors utiliser 160 fusils sur un total de feu de 3 500 environ. Avant lattaque, un chef de bataillon de Durutte commande la formation par compagnies, il reoit lordre formel de reprendre le dispositif initial. Qui a ordonn cette tragique parade ? Napolon, Ney ou dErlon ? Nul ne le sait. Ce qui est certain, cest que cette formation tant critique parQuiot marche en deux colonnes, ainsi que la division Durutte dont la brigade Pgot monte vers le chemin dOhain, tandis que la brigade Brue marche vers la Papelotte et la Haie. 25 Lachouque Waterloo 1815 Paris, Stock, 1972, p. 144.

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la suite, na soulev aucun commentaire lors de son excution. Ni des uns, ni des autres.26

Qui est responsable ?Bernard Coppens, dans un article sur son site web www.1789-1815.com , pose franchement la question : Qui a ordonn la formation des colonnes du 1er corps ? Plusieurs historiens ont vu dans la disposition des colonnes de dErlon une des causes dterminantes du dsastre de Waterloo. Il faut remarquer que cette critique des dispositions napparat pas ds le dbut de lhistoire de la bataille. Les tmoins de lvnement ne semblent pas avoir estim que l se trouvait lorigine de la dfaite. Il nest aucunement question de disposition vicieuse, inhabituelle ou maladroite des colonnes dans les premiers rcits, que ce soit dans le bulletin dict par Napolon [du 20 juin] ou dans les rcits faits par Ney, Drouot ou Jrme ou dautres participants dans les jours qui ont suivi la bataille. Le gnral Berthezne, qui appartenait au corps de Grouchy, mais qui a crit sur la bataille en 1816, aprs une enqute qui le mena sur le terrain en compagnie du gnral Lamarque, nvoque pas la formation des colonnes de dErlon. Napolon qui, dans ses rcits de Sainte-Hlne, a rejet la faute de la dfaite sur ses lieutenants, Ney, Grouchy, dErlon, na pas mme voqu la faon dont les colonnes du 1er corps taient disposes. Les auteurs qui ont crit en rponse aux rcits de Napolon nen font pas davantage mention. Et aprs avoir cit le passage de Jomini que nous avons dj lu, Coppens continue : Mais deux ans plus tard [en 1841], dans une Lettre au duc dElchingen , publie dans le Spectateur militaire, (1841, p. 243) Jomini voit dans linconcevable formation du premier corps en masses beaucoup trop profondes une des causes principales qui amenrent le dsastre. A mon avis, poursuit-il, quatre causes principales amenrent ce dsastre : () La formation de masses aussi lourdes et aussi exposes aux ravages du feu fut une erreur incontestable A qui doit-on limputer ? Cest ce qui demeurera longtemps un problme. Y eut-il mprise cause par la double signification du terme de colonne par26

J.P. de Potter 1815, mise mort de lEmpire par Napolon Wezembeek-Oppem, Editions Graffiti, 1981, s.p.

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divisions, qui sapplique indiffremment des divisions de quatre rgiments ou des divisions de deux pelotons ? Fatale confusion de mots dont personne na encore song purger la technologie militaire. Fut-ce bien, au contraire, lintention des chefs de larme franaise de former ainsi la troupe de manire ce que les divisions de quatre rgiments ne formassent quune seule colonne ? Voil ce quil serait intressant de savoir, et quon ne saura sans doute jamais. Voil donc bien confirme la confusion entre colonne de division par bataillon et colonne de bataillon par division Ceci dit, Coppens a beau citer Jomini, Bugeaud, Mauduit ou le lieutenant Martin, il ne rpond pas la question de savoir qui a form le 1er corps en colonnes de division par bataillon, mais laisse entendre que cest Napolon lui-mme : On ne discute pas les ordres de lEmpereur, puisquil sait tout mieux que quiconque. Si cest Napolon qui a ordonn cette formation, nous devrions en trouver la confirmation chez Lenient : cet auteur commence par se demander pourquoi Napolon a ordonn lavance du 1er corps sans lappuyer par de lartillerie. Nous rpondons cette question en traitant de la grande batterie : il la bien fait, mais ce feu na pas t aussi efficace quil le pensait. Nous ny reviendrons pas ici. Ensuite, Lenient sintresse la formation du 1er corps : Dans quel ordre le 1er corps marche-t-il lattaque ? coutons Thiers : Ney et dErlon avaient dploy les huit bataillons de chaque division, en les rangeant les uns derrire les autres distance de cinq pas27, de manire quentre chaque bataillon dploy il y avait peine place pour les officiers, et quil leur tait impossible de se former en carr sur leurs flancs pour rsister la cavalerie. Ces quatre divisions, formant ainsi quatre colonnes paisses et profondes, savanaient la mme hauteur, laissant de lune lautre un intervalle de trois cent pas28. Le colonel Camon 29 nous indique : Le front de chaque colonne est de 150 200 mtres, sa profondeur de douze vingtquatre rangs. M. Houssaye 30 prononce le nom exact : Les divisions Allix, Donzelot, Marcognet et Durutte prsentaient ainsi quatre phalanges compactes, dun front de cent soixante deux cents files sur une profondeur de vingt-quatre hommes.

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Nous ferons remarquer au passage que, selon les auteurs, la distance des bataillons varie de trois six pas. Comme cette diffrence, au bout du compte ne revient qu deux mtres, on peut la ngliger : elle est de toute faon insuffisante pour manuvrer. 28 Moins de 200 mtres. 29 Note de Lenient : Batailles, p. 502. 30 Note de Lenient : M. Houssaye, 1815, p. 347. Dans notre dition de Houssaye, p. 338.

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Le terme est rigoureusement prcis et juste : il sagit de la phalange macdonienne : vingt-quatre hommes de profondeur ! La tactique franaise la fin des guerres de lEmpire revient lan 197 31 avant notre re. Elle recule de deux mille ans. Les boulets de lennemi peuvent labourer leur aise, linfanterie, charger la baonnette, le premier rang seul peut se dfendre. Quant la cavalerie, elle a beau jeu. Abordant le flanc de la colonne, elle ne rencontrera que vingt-quatre serre-files ! Do vient cette aberration ? Le colonel Camon sen prend Ney et dErlon 32, M. Houssaye accuse Ney, ou plutt dErlon 33. Il met lEmpereur hors de cause en affirmant que, sur le champ de bataille, il laisse, avec raison, toute initiative ses lieutenants pour les dtails dexcution . Ce jugement nest pas exact. Le droit dinitiative ne peut aller jusqu labsurde. Mais laffirmation de M. Houssaye est-elle vridique ? Navons-nous jamais rencontr de formations analogues dans les guerres de lEmpire ? En nous racontant la bataille de Wagram, Thiers 34 sextasie sur la formation dune colonne de Macdonald qui ressemble fort celle dErlon : Il [Macdonald] dploie sur une seule ligne une partie de la division Broussier, et une brigade de le la division Seras. Il range en colonne serre sur les ailes de cette ligne, gauche, le reste de la division Broussier, droite, la division Lamarque, et prsente ainsi lennemi un carr long, quil ferme avec les vingt-quatre escadrons des cuirassiers Nansouty. Napolon voulant lui donner un appui, place sur ses derrires, sous le gnral Reille, les fusiliers et les tirailleurs de la Garde impriale, au nombre de huit bataillons. Voil un norme carr long auquel lEmpereur lui-mme donne son approbation complte. Macdonald savance, laissant chaque pas le terrain couvert de ses morts et de ses blesss, serrant ses rangs sans sbranler Napolon ladmire , rpte Thiers. Cette formation annonce la phalange 35 . Toutefois les colonnes places sur les flancs peuvent user du tir. Mais lide a fait du chemin depuis 1809. En somme, nous constatons loubli complet, en tactique, du principe de lconomie des forces, admirablement appliqu sous la Rvolution et au dbut31 32

Note de Lenient : Batailles de Cynocphales. V. DURUY, Histoire romaine, p. 129, p. 130. Note de Lenient : Batailles, p. 503. 33 Note de Lenient : M. Houssaye, p. 647. Il cite Jomini (chap. XXII, p. 229) qui ne se prononce pas nettement, et cite au contraire une prescription pratique de 1813. 34 Note de Lenient : Thiers, t. II, p. 234, col. 2 ; colonel Camon, Batailles, p. 301, 304, 321, 326, 330 (formation de Macdonald trop compacte). 35 Cest trs loin dtre notre avis. Que le lecteur relise ce paragraphe, il ny verra que la description dune division en ordre mixte, appuye par lquivalent dune division de la garde dont on ne prcise dailleurs pas la formation.

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de lEmpire. La formation thtrale, crasante et massive, remplace les lignes de tirailleurs et les souples colonnes dattaque () Personne ne peut prtendre que Napolon ait donn lordre de masser le 1er corps (dErlon) en quatre phalanges, mais il la vu 36 et na formul aucune observation. Cette formation, dans le cas particulier de Waterloo, vu le terrain et lennemi quon attaquait, tait dailleurs la plus absurde quon pt concevoir. Les rsultats ne sen font pas attendre.37 Et Lenient dcrit les pisodes du combat men par le 1er corps et son chec. Mais, pas plus que les autres, il ne nous dit pourquoi cette formation tait absurde. Henri Bernard, cependant, nous explique : Drouet dErlon a pris, pour les quatre Divisions de son Corps, linvraisemblable dispositif indiqu au croquis 17. La Division de gauche est en deux colonnes, par brigade, les trois autres divisions en une seule colonne ; dans chaque colonne, les bataillons sur trois rangs, sont colls les uns derrire les autres. A Austerlitz, les Divisions franaises dattaque taient disposes chacune sur deux ou trois chelons de bataillons en colonnes doubles de compagnies38, lensemble bnficiant de la grande souplesse des distances entires. A Waterloo, cest une lourde phalange, telle linforme masse romaine de Cannes, comprimant plus de 16 000 hommes sur 1 200 mtres de front et atteignant jusqu 27 rangs de profondeur, contre laquelle tous les coups vont porter et qui, faute despace, ne pourra se dployer ni permettre la plupart des combattants demployer leurs armes. Napolon navait rien prescrit de pareil. Il semble que cest un aide de camp, porteur de lordre verbal, qui, employant des termes impropres, aurait t cause de cette interprtation dfectueuse.39 Autrement dit, un aide de camp aurait transmis En colonnes de division par bataillon pour En colonnes de bataillon par division Et Napolon naurait rien remarqu avant de lancer le 1er corps lattaque Hamilton-Williams semble ne pas tre de cet avis. Dans une note, il sen explique :36

Note de Lenient : Pour quiconque a jet un coup dil sur le terrain de Waterloo, il est impossible de prtendre quun mouvement quelconque de troupes ait chapp Napolon, surtout pour le 1er corps (dErlon), plac tout prs de la Belle Alliance. Ce nest pas exact ; si Napolon tait la Belle-Alliance, peut-tre la formation prise par le 1er corps, aprs quil a pass la croupe o se trouvait la grande batterie, lui a-t-elle chappe et ne sen est-il aperu quau moment o le corps remontait la cte au sommet de laquelle se trouvaient les Anglo-Allis ? Nous lavons dit : dune part, Napolon tait sans doute Rossomme et, dautre part, cest deux vallons queut traverser le 1er corps, et non pas un seul. Lenient ne peut envisager cette hypothse puisquil refuse que la grande batterie se soit trouve sur cette croupe. 37 H. Lenient Etudes historiques et stratgiques. La solution des nigmes de Waterloo Paris, Plon, Nourrit et Cie, 1915, p. 457 et sq. 38 Bernard parle bien de bataillon en colonne par division (double compagnie). 39 H. Bernard Le duc de Wellington et la Belgique Bruxelles, Renaissance du Livre, 1983, pp. 224-225.

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Plusieurs historiens ont affirm que cette formation tait due, non une discussion entre gnraux franais, mais une erreur de transcription de ltat-major qui aurait interverti les mots division et bataillon . Cest aussi ridicule quabsurde. Il ne fait aucun doute que ces auteurs, ne comprenant pas les formations en usage lpoque, ont essay dlaborer une thorie pour expliquer ce quils ne comprenaient pas.40. Tout dabord, nous pouvons nous tromper en utilisant les expressions et la grammaire dune langue trangre, mais certainement pas des officiers dtat-major expriments dans leur propre langue. Ensuite, les historiens ont affirm que ces masses trop peu maniables navaient pas la moindre chance de se dployer ou de se dfendre contre les charges de cavalerie ; ces deux affirmations sont galement fausses. Premirement, rien ne prouve quil y a eu intention de se dployer en face dunits dont on sattendait ce quelles soient formes en deux rangs. Il ne sagissait en effet pas de colonnes par compagnies cherchant augmenter leur puissance de feu, mais de colonnes de bataillons dj en ligne et prtes faire feu. Trois colonnes se prsentaient ainsi, plus une brigade de la division Quiot. Si nous attribuons 45 mtres entre chaque formation pour manuvrer afin dviter la congestion et si chacune des colonnes se dveloppait sur prs de 180 mtres, nous avons un front de 675 mtres. Si nous ajoutons cela le front des deux colonnes par rgiment de la brigade Quiot, soit peu prs 135 mtres, nous obtenons un front de 810 mtres, ce qui couvre peu prs lensemble de la zone de combat, qui viendrait lide de dployer encore cette masse en ligne ? Deuximement, ces colonnes, larges de 180 hommes et profondes de 24 files pouvaient assez facilement prendre une formation dfensive en raccourcissant les distances entre les trois rangs de chaque bataillon et en ordonnant aux quatre files extrieures une conversion vers lextrieur. Cette procdure complte aurait pris 30 secondes excuter. Les bataillons russes, prussiens et spcialement autrichiens de cette poque utilisaient cette mthode (les masses de bataillon et les colonnes dattaque prussiennes). Les commandants de ce temps connaissaient bien cette procdure trs proche de ce que les Franais appelaient la colonne serre . Depuis 1813, il aurait inconcevable den user autrement41

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Cette remarque est fort pertinente : nous savons que Siborne stait adress au fils du marchal Massna afin de savoir quelle tait la diffrence entre colonne de division par bataillon et colonne de bataillon par division . Le prince dEssling, ironiquement, lui rpondit de sadresser Wellington pour ce genre de dtail 41 Hamilton-Williams Waterloo. New perspectives. The great battle reappraised London, Arms ans Armour, 1993 , p. 387, note 14.

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En dautres termes, Hamilton-Williams suggre quil aurait t facile, pour rsister la cavalerie, de serrer les rangs et de faire se tourner les quatre files extrieures de chaque bataillon vers lextrieur pour se retrouver en moins de 30 secondes dans une formation qui aurait t un immense carr, un plutt un immense rectangle. Nous ne sommes pas daccord du tout avec les calculs de distance et despace de lauteur britannique mais lide gnrale est mieux quintressante. Jacques Logie ne nous apporte pas beaucoup dautres informations mais nous permettra indirectement daffiner nos calculs : Drouet dErlon, qui avait servi au cours de la guerre dEspagne et avait expriment la puissance de feu de linfanterie britannique, avait form ses quatre divisions, soit douest en est Quiot, Donzelot, Marcognet et Durutte en dployant chaque bataillon sur trois rangs de profondeur, ce qui donnait 180 hommes de front. Les autres bataillons suivaient six pas de distance. Cette disposition permettait dutiliser toute la puissance de feu du bataillon de tte et un dploiement rapide par dbotement latral de la colonne. Il pensait ainsi compenser linfriorit de puissance de feu par rapport linfanterie anglaise poste et dploye sur deux rangs. On a reproch cette formation de rendre la colonne vulnrable lartillerie vu la profondeur du dispositif, chaque colonne prsentant un front de cent quarante mtres. A lpoque, la marche en colonne tait la disposition la plus avantageuse pour la redoutable attaque larme blanche. On considrait que les colonnes avaient plus de rapidit et agissaient avec plus de vigueur et densemble que les lignes dployes, quand le terrain tait accident 42. Le risque tait la vulnrabilit aux attaques de cavalerie Les quatre divisions franaises fortes de huit brigades dinfanterie, soit 17 000 hommes, attaqurent en quatre colonnes par chelons.43 Si cest clair, cest clair comme du jus de chique ! Manifestement, Jacques Logie essaye dexpliquer quelque chose quil pas compris lui-mme. Il explique quen dployant chaque bataillon sur trois rangs de profondeur, cela donnait 180 hommes de front. Cest globalement exact, mais lun ne dpend pas de lautre et ce qui fera la dlectation des artilleurs allis, ce ne sera pas ltendue du front mais la profondeur de la division.42

NB : mais, justement, Waterloo, le terrain lest relativement peu. Jacques Logie se laisse piger par son mentor, Henry Houssaye, qui crit justement : Qui avait prescrit une telle formation prilleuse en toute circonstance, et particulirement nuisible sur ce terrain accident ? Or Houssaye parle de la marche en colonne de division par bataillon et non de colonne dattaque 43 Logie Napolon, la dernire bataille Bruxelles, Racine, 1998, p. 96.

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Chaque bataillon franais dploy en ligne comporte toujours trois rangs 44 ; il ny a ici rien dexceptionnel. Le nombre dhommes de front dpend donc de leffectif de chaque bataillon. A Waterloo, en moyenne, chaque bataillon franais comptait 520 hommes. Le bataillon le plus faible, le 3/100e de ligne ne comptait que 246 hommes ; le plus fort, rsultant de la combinaison des 1er et 2e bataillons du 4e chasseurs de la garde, en comptait 841, mais ces units, nappartenant pas au 1er corps, nentrent pas ici en ligne de compte. Le 1er corps comptait 16 951 hommes, rpartis en 33 bataillons. Chaque bataillon comptait donc, en moyenne, 513 hommes. Dploy en ligne sur trois rangs, chaque bataillon offrait donc un front de 171 hommes. Si lon sen tient au rglement, chaque homme occupant en largeur 60 cm, et compte tenu des distances entre compagnies, le front de bataille tait large denviron 120 mtres (et non de 140 m). Mais cela ninfluence pas la profondeur du bataillon en ligne (qui compte toujours trois rangs). Toujours suivant le rglement, chaque homme occupait dans le rang en marche, 65 cm (un pas), et lintervalle entre le sac et la poitrine de lhomme suivant dans la file et le rang tait de 32 cm. Donc la profondeur du bataillon est de 2, 69 m. Chaque bataillon tait, nous dit-on, distant de 6 pas du prcdent 45. Le pas tant, rglementairement, toujours de 65 cm, la distance entre deux bataillons est de 3, 90 mtres. La profondeur dune division de 8 bataillons tait donc de 48,82 m. Disons 50 mtres Naturellement, il ne fait pas de doute que ces calculs tant bass sur le rglement, ils sont thoriques. On peut compter que la profondeur dune division comme celle de Marcognet devait tre dun peu moins de 60 mtres. La 2e division de Donzelot, qui comptait 9 brigades, avait une profondeur de 65 m environ. Les Anglo-Allis auraient donc vu monter lassaut deux vastes rectangles de 120 mtres sur 60. Deux terrains de football en marche !46 La division Quiot, quant elle, montait vers la Haye-Sainte en oblique et en deux colonnes dans la formation que nous avons vue. Quant aux conclusions de Logie, elles ne simposent nullement : si, effectivement, la formation de la division par bataillon dploy permet une grande puissance de feu, la trs courte distance qui spare les bataillons (six pas, moins de quatre mtres) ne facilite nullement un dbotement latral rapide des bataillons en marche derrire le premier. Quant au paragraphe : A lpoque, la marche en colonne tait la disposition la plus avantageuse pour la redoutable attaque larme blanche. On considrait que les colonnes avaient plus de rapidit et44

Malgr une timide tentative de quelques marchaux pour faire admettre Napolon les avantages dun dploiement sur deux rangs en 1806, mais celui-ci leur donnant raison en thorie, sen tint pourtant, de trs rares exceptions prs, la formation en trois rangs. 45 Encore que daprs les auteurs, cette distance change : trois, quatre, cinq ou six pas. 46 Nous disons bien deux : la division Quiot marche en deux colonnes de brigade et, ainsi que le montre la fig. 9, les deux brigades Pgot et Brue marchent sparment.

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agissaient avec plus de vigueur et densemble que les lignes dployes, quand le terrain tait accident. , il pourrait tre intressant si Logie voulait bien nous dire de quelle genre de colonne il parle : la colonne de marche, la colonne de bataillon par division, la colonne de division par bataillon Et si, comme le dit Logie, la marche en colonne tait plus aise que la marche en ligne dploye, pourquoi Drouet aurait-il fait marcher ses bataillons en ligne, les uns derrire les autres ? Dautre part, le combat larme blanche, en 1815, ne reprsentait certainement pas la proccupation majeure du commandement. Relisons ce que le colonel Ptain en pensait lorsquil commentait dans son cours de lcole de guerre le rle de linfanterie au dbut de lEmpire : La bataille dAuerstedt nous fournit quelques exemples de charges dinfanterie : ce sont, dabord, les rgiments de la division Morand, puis, la fin de la bataille, le 48e, de la division Friant, qui a charg les troupes tenant encore dans Echartsberg ; mais en aucun cas, les charges ne se sont termines par un combat larme blanche. La menace de labordage a suffi pour dterminer la retraite de la ligne ennemie ; et cependant, envisager la baonnette comme instrument de destruction, il est trs infrieur au fusil. La baonnette est, par elle-mme, embarrassante et incommode dans le rang. Le rglement napprend pas sen servir ; il ne contient, en effet, que le mouvement de Croisez la baonnette , en appuyant la crosse du fusil la hanche. Do vient donc la rputation que la baonnette sest acquise dans les armes de la Rpublique et du 1er Empire ? Le bnfice des vertus quon attribue larme doit revenir celui qui se dtermine en faire usage. La rsolution de se servir dun moyen extraordinaire, et qui dnote un tel mpris des armes feu, voil ce qui rend formidable celui qui se sert de la baonnette. Il se montre ladversaire dcid tout oser et tout entreprendre. Le dfenseur nattend pas ordinairement larrive de lagresseur ; il est confondu par la dmonstration. Les rapports officiels parlent sans cesse de lemploi de la baonnette et lui consacrent des expressions dithyrambiques. Il faut savoir faire la part de lexagration et ramener les expressions leur juste valeur. Quand il est dit quon la poursuivi la baonnette dans les reins , on doit entendre que lattaque ou la poursuite ont t faites sans tirer un coup de fusil. Il ny a pas, en gnral, de contact rel et le combat corps corps est extrmement rare. Cest donc la rsolution demployer un moyen extraordinaire qui a procur la baonnette sa rputation et qui lui a donn son importance chez les Franais. Une arme, comme celle de 1806, qui professe le culte de la baonnette est, assurment, une arme vaillante capable de faire de grandes27

choses. Le degr de confiance quelle attache cette arme est la manifestation la plus certaine de sa valeur morale.47 Et nous ajouterons que larme de 1815 navait rien voir avec celle de 1806 ce point de vue. Ce qui est la raison primordiale de la formation du 1er corps en colonnes de division par bataillon, cest laugmentation des feux ; lemploi de la baonnette nentre absolument pas en ligne de compte. Bref, les explications de Logie, non seulement ne nous apprennent rien, mais embrouillent encore les choses

La Belle-Alliance au lendemain de la bataille de Waterloo par Evans

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Col. Ptain Confrences sur linfanterie Paris, cole de guerre, 1911 sur www.stratisc.org.

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Le 1er corps en marcheMais les calculs que Logie nous a permis de faire dmontrent que lhypothse dHamilton-Williams se tient parfaitement. La question est alors de savoir pourquoi les divisions du 1er corps nont pas opr cette manuvre : serrer les rangs et faire se tourner les quatre files extrieures vers lextrieur lorsque la cavalerie britannique les chargea. Nous y reviendrons. Contentons-nous de dire qu' ce moment, la formation des divisions a dj commenc perdre sa cohrence. Ce quil faut retenir ici, cest que Logie, pas plus que Hamilton-Williams, nestime vicieuse la formation du 1er corps. Ce dernier raconte une scne quil dit avoir eu lieu dans la matine du 18 : Tt le matin, un groupe de gnraux avait djeun avec lempereur au Caillou. Aprs quoi, gardant lesprit les remarques inquitantes de Reille propos de larme anglaise, certains de ces gnraux parmi lesquels dErlon, Reille, Lobau et Drouet, avaient dcid de discuter la question en profondeur. Ils parlrent de leurs expriences face aux Britanniques posts. Ils convinrent quil serait avantageux de prsenter leurs bataillons dploys en ligne avant dengager les Anglais. Ils pensaient, avec raison, quessayer de se dployer sous le feu ennemi amnerait infailliblement la dfaite. A la lumire de cette discussion, dErlon dcida de dployer ses 2me, 3me et 4me divisions en Colonnes de division par bataillon 48 : cest dire quune division tout entire serait groupe et prsenterait un front dun bataillon, chacun des autres suivant dans le mme ordre avec un intervalle de trois pas. Cela aurait pour rsultat que chaque division prsenterait un front de cinq compagnies ( lexclusion des compagnies de tirailleurs) ranges sur trois rangs denviron 180 mtres et autorisant donc le feu de 250 350 fusils au lieu de 50 ou 60 dans le cas dune colonne de bataillon par division.49 Lauteur britannique donne une rfrence : Archives du (sic) Historique de ltatmajor de larme. Chteau de Vincennes [Mil. Arch.] n os C 15/22 and C 15/23 . Il ny a aucune raison de mettre en doute cette rfrence et il semble donc bien que cette runion des commandants de corps franais ait effectivement eu lieu et que la disposition du 1er corps en colonnes de division par bataillon en soit le rsultat. Ainsi est-il possible dexonrer Napolon de la faute si faute il y a, ce qui reste prouver. Du reste, nous avons vu quil a prsid personnellement la mise en place des units du 1er corps telle que nous lavons vue la figure 1. Et quand il48 49

En franais dans le texte. Hamilton-Williams, p. 288.

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donne lordre Ney de monter lassaut, ces units sont videmment encore dans la mme disposition. Elles ne prendront laspect que nous avons montr dans la figure 5 quaprs leur passage de la ligne dartillerie. Une fois quelles auront pris cette disposition, il et t impossible Napolon, autant qu un autre, dy changer quelque chose. Hamilton-Williams nous permet daborder une autre notion dont jusquici personne na tenu compte dans les savants calculs que nous avons effectus. Il crit : chaque division prsenterait un front de cinq compagnies ( lexclusion des compagnies de tirailleurs). Cest donc que les compagnies de tirailleurs auraient prcd les colonnes de division, comme cest dailleurs leur rle. Ce que confirme Logie, quand il crit : Vers deux heures, linfanterie franaise sbranla en colonnes prcdes dune nue de tirailleurs50 Si Logie nous expliquait que ces tirailleurs provenaient des compagnies lgres dtaches de chacun des bataillons aligns dans la division, ce serait parfait Ds lors, si lon soustrait les compagnies de tirailleurs du front de chaque bataillon, il faut soustraire environ 20 mtres la largeur de ce front. La colonne naurait alors plus compt que 142 hommes de front sur une centaine de mtres Autrement dit, tous nos schmas sont faux ! Ce serait dsesprant sil ne fallait ajouter une prcision importante : nos schmas reprsentent la formation du 1er corps au moment o il se dploie aprs avoir travers le dispositif de la grande batterie. Mais au moment o les divisions sbranlent, elles changent daspect et prennent cette apparence :

Figure 8 : Formation d'une division du 1er corps aprs qu'elle a envoy ses tirailleurs en avant

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Logie, Dernire bataille, p. 95.

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Confirmation chez Mark Adkin qui ajoute encore quelque chose de capital et dont personne ne parle : le passage de ligne de lartillerie de la grande batterie par linfanterie : Quelque 30 minutes aprs [que la grande batterie a ouvert le feu], quatre divisions dinfanterie se mettaient en marche dans les bls dtremps pour parcourir les quelque 1 100 mtres qui les sparaient de la ligne de Wellington situe lest de la route de Genappe leur objectif prioritaire. Sur les premiers 500 mtres, chacun des trente-trois bataillons marchrent la suite lun de lautre, zigzaguant, tournant, se faufilant dans le fatras dense de centaines dquipages de chevaux dartillerie, de caissons, davant-trains qui sont en support de la grande batterie. Ils excutaient ce que les tacticiens appellent un passage de lignes . Devant, les canons continuaient tirer aussi rapidement que le rechargement le permettait. Linfanterie, sapprochant par derrire, tait assourdie par le grondement de tonnerre, aveugle et napercevant rien de ce qui se passait au-del de la dense fume qui glissait lentement de la gauche vers la droite. Les ordres, mme hurls, taient inaudibles, chaque homme se contentait de suivre celui qui tait devant. A cheval en tte de chaque bataillon, marchait leur commandant. Au moment o le bataillon de tte de chacune des divisions atteignait la ligne des canons, le tir cessa. Chaque division avait viter les canons et se former dans leur formation dassaut. Cela prit du temps peut-tre 10 15 minutes. Chaque bataillon envoya en avant sa compagnie de voltigeurs de manire former une dense chane de tirailleurs denviron 3 000 hommes, soit presque trois hommes par mtre de front. A cet instant, lavance proprement dite commena. A gauche, il y avait la 1re division de Quiot, faisant mouvement et avec de courts intervalles, Donzelot (2e division), Marcognet (3e division) et, enfin, Durutte (4e division). Le corps tait chelonn partir de la gauche et stendait sur 1 000 mtres de ce terrain agricole ondul. On poussait des cris sauvages, seize aigles taient firement brandis, des jeunes gens tapaient de toute leur force sur la peau de leur tambour, et les hommes marchrent en denses colonnes de division, lentement et larme lpaule. Les espaces entre les formations taient rarement suprieurs 150 mtres. Chevauchant sur le front de bataille, se trouvaient le marchal Ney, le commandant du corps, dErlon, et leur tat-major. Aussitt que les colonnes descendirent au fond du vallon peu profond devant la ligne anglo-allie 51, la grande batterie rouvrit le feu. Ctait le feu et le mouvement une grande chelle trs rassurant pour les fantassins qui ne pouvaient savoir que tout cela engendrait bien peu de dommages.51

Marc Adkin est le premier faire remarquer quil y avait deux vallons

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Le plafond invisible de boulets de canon et dobus se prolongea ainsi durant 250 mtres de la progression. Mais, depuis longtemps, leffet mortel des canons ennemis se faisait sentir. Les boulets et les botes balles dchiraient les rangs serrs, balayant des files entires de douzaines dhommes en mme temps. Le seul ordre que lon parvenait entendre tait celui dofficiers ou de sous-officiers qui hurlaient : Serrez les rangs ! Serrez les rangs ! Ceux des premiers rangs des deux divisions du centre qui avaient chapp ce feu denfer ne voyaient pas grand-chose travers les tourbillons de fume lorsquils commencrent gravir la dernire pente. Il ny avait pas de ligne dinfanterie, aucun canon, seulement une fine chane rouge 52 de tirailleurs qui tiraient un coup de fusil puis se retiraient rapidement. Derrire eux, il y avait encore une haie. Peu aprs 14.00 hrs, le gros du 1er corps se trouvait dans la zone de quelques mtres qui prcdait la crte. Au cours des derniers cent mtres, ces fantassins avaient t durement atteints aussi bien par les balles de fusils que par le feu des canons. Beaucoup dhommes seffondrrent, il y eut de lhsitation, les aigles marqurent le pas. Mais les officiers hurlaient, brandissant leur sabre et lavance reprit son cours quoique avec un peu de flottement.53 Ce rcit de la marche du 1er corps, un infime dtail prs, noffre aucune prise la critique. Cest exactement comme cela que cela sest pass. Retenons donc ce stade quaprs avoir pass la ligne dartillerie, les 2e et 3e divisions se forment chacune en colonne de division par bataillon sur un front de six compagnies. Aprs avoir dtach ses compagnies de tirailleurs, chacune de ces divisions offre un front de 5 compagnies, soit 140 hommes environ sur une petite centaine de mtres et sur une profondeur de 24 ou 27 hommes, soit une cinquantaine de mtres. Notre image de terrains de football en marche na donc rien dinsolite puisque, justement, un petit terrain de football fait 100 mtres sur 45 Ainsi pouvons-nous passer directement au stade suivant.

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Cest bien la seule notation dAdkin qui prte le flanc la critique : la chane des tirailleurs tait rouge, bleue et verte 53 Adkin The Waterloo Companion Londres, Aurum Press, 2005, pp. 343-344.

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Lordre de 11.00 hrsNous avons vu que la disposition en colonnes de division par bataillon rsulte de la discussion queurent entre eux les gnraux lissue du petit djeuner quils prirent avec lempereur. Or, il semble bien que lempereur demanda ses chevaux et monta en selle vers 09.00 hrs 54. La discussion entre gnraux eut donc lieu peu aprs. On a vu que, daprs Houssaye, au petit matin, entre 04.00 et 05.00 hrs, lempereur avait dict Soult un ordre ainsi conu : LEmpereur ordonne que larme soit prte attaquer 9 heures du matin. MM. les commandants de corps darme rallieront leurs troupes, feront mettre les armes en tat et permettront que les soldats fassent la soupe. Ils feront aussi manger les soldats afin qu 9 heures prcises, chacun soit prt et puisse tre en bataille, avec son artillerie et ses ambulances, la position de bataille que lEmpereur a indique par son ordre dhier soir.55 Cette dernire prcision tend prouver que lempereur avait dj dict des ordres durant la nuit mais nous navons pas trace de ceux-ci. Houssaye prtend bien quils ont t rdigs entre 8 et 10 heures du soir, il nen apporte aucune preuve 56. Toutefois, le fait que ces ordres aient rellement t donns ne fait aucun doute puisque aucune position nest indique dans ceux crits entre 4 et 5 heures , cest donc que Soult nestime pas devoir les rpter. Entre parenthse, cest bien dommage Nous aurions pu savoir quelles taient les intentions de lempereur dans la soire du 17 Et, plus frustrant encore, nous ne saurons jamais quand il comptait attaquer Wellington. Ctait certainement avant 09.00 hrs, sans quoi il naurait pas t utile de prciser lheure laquelle, vers 05.00 hrs, il esprait mener son attaque. Ce qui est certain, cest que quand il monte cheval, vers 09.00 hrs, Napolon ralise immdiatement que ses espoirs sont dus. Non seulement le terrain boueux ne se prte pas aux manuvres dartillerie et de cavalerie, mais encore aucune de ses troupes nest en place Il prside donc aux mouvements des troupes qui gagnent leur emplacement. Et cela prend du temps Thiers, qui, en gnral, ne tarit pas dloge sur Napolon, et qui suit la lettre ses Mmoires, va jusqu dire quelque chose de trs tonnant :

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Cest du moins lavis dHoussaye, p. 313, note 1. Houssaye, p. 279 56 Id., p. 278.

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Cela fait, Napolon, qui avait pass la nuit excuter des reconnaissances dans la boue57, et qui depuis quil avait quitt Ligny, cest--dire depuis la veille cinq heures du matin, navait pris que trois heures de repos, se jeta sur son lit de camp. Il avait en ce moment son frre Jrme ses cts. Il est dix heures, lui dit-il, je vais dormir jusqu onze ; je me rveillerai certainement, mais en tout cas tu me rveilleras toi-mme, car, ajouta-t-il, en montrant les officiers qui lentouraient, ils noseraient interrompre mon sommeil. Aprs avoir prononc ces paroles, il posa sa tte sur son mince oreiller, et quelques minutes aprs, il tait profondment endormi Onze heures venaient de sonner ; Napolon, sans laisser son frre le soin de larracher au sommeil, tait dj debout.58 Donc, Napolon aurait dormi au moment o sa prsence tait sans doute le plus ncessaire : mieux encore, il aurait distrait son frre de ses devoirs au moment mme o sa division tait occupe prendre position. Puisque Napolon pouvait dormir volont, il a bien mal choisi son moment crit Lenient 59. Effectivement, condition que la chose soit exacte Et cela Enfin, quoi quil en soit, que Napolon ait piqu un petit roupillon ou pas, onze heures, il dcide de donner de nouveaux ordres. Au moins, ceux-ci sont-ils connus et archivs A chaque commandant de corps darme. 18 juin 1815, 11 heures du matin. Une fois que toute larme sera range en bataille, peu prs une heure aprs midi, au moment o lEmpereur en donnera lordre au marchal Ney, lattaque commencera pour semparer du village de MontSaint-Jean, o est lintersection des routes. A cet effet, la batterie de 12 du 2e corps et celle du 6e se runiront celles du 1er corps. Ces vingtquatre bouches feu tireront sur les troupes de Mont-Saint-Jean, et le comte dErlon commencera lattaque, en portant en avant sa division de gauche et la soutenant suivant les circonstances par les divisions du 1er corps. Le 2e corps savancera mesure pour garder la hauteur du comte dErlon. Les compagnies de sapeurs du 1er corps seront prtes pour se barricader sur-le-champ Mont-Saint-Jean.60

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Ce qui est fort douteux Thiers, p. 493 et p. 494. 59 Lenient, p. 414. 60 Napolon Correspondance, t. XXVIII, p. 292 n 22060.

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Dans la copie de cet ordre que possdent les Archives de Vincennes, il est mentionn que loriginal portait cette note marginale au crayon signe Ney : Le comte dErlon comprendra que cest par la gauche au lieu de la droite que lattaque commencera. Communiquez cette nouvelle disposition au gnral Reille.61 Inutile de dire que cet ordre et cette petite note ont fait couler des fleuves dencre. La premire question est de savoir pourquoi le marchal Ney a cru utile dajouter une note qui, en somme, ne fait que rpter ce que dit lordre lui-mme. Houssaye offre une explication assez logique : Il semble donc que lempereur avait donn, auparavant, un ordre daprs lequel dErlon devait attaquer avec la droite du 1er corps, soit par Papelotte et La Haye.62 Il sagirait donc pour le marchal Ney de bien faire comprendre que les dcisions qui avaient t prises le matin au cours du petit djeuner taient modifies. Cest donc que le plan auquel lempereur pensait le matin avant 09.00 hrs, ntait pas celui quil comptait mettre en pratique 11.00 hrs. Logique ! Mais quoi pensait-il ? Compte tenu des informations dont nous disposons, il est impossible de le dire. Ce nest certainement pas ce que Gourgaud relate ou ce que Napolon crit dans ses Mmoires qui pourra nous renseigner. Il sagit l d a posteriori sur lesquels on ne peut compter. Jomini a pourtant un avis sur la question : aprs avoir dcrit assez exactement la position des Anglo-Allis, il dit : Mais [larme de Wellington ] se trouvait adosse la vaste fort de Soignes ; or Napolon pensait que si ctait un avantage pour une arriregarde dtre ainsi poste, attendu que le dfil protge sa retraite, il nen est pas de mme pour une grande arme, avec son immense matriel et sa nombreuse cavalerie, nayant pour issue quune chausse troite et deux traverses encombres de parcs, de blesss, etc., etc. ; il croyait donc toutes les chances pour lui.63 Interrompons un instant le gnral Jomini pour faire remarquer quil se base sur ce que dit Napolon dit, cest dire sur une ide fausse : la fort de Soignes naurait nullement reprsent un obstacle une ventuelle retraite de larme de Wellington. Henri Bernard, qui connat bien cette fort, crit : Au nord stend la fort de Soignes, traverse par la seule chausse de Charleroi Bruxelles, mais aussi par de nombreux chemins praticables pour toutes les armes64 A cela, nous pouvons ajouter que la fort de Soignes est une vaste htraie avec trs peu de sous-bois.61 62

Houssaye, p. 324, note 1 ; Barbero, p. 102. Houssaye, p. 324, note 1. 63 Jomini, p. 166. 64 H. Bernard, p. 214.

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Lide que Napolon tenait Wellington accul sur un bois , comme lcrivait Victor Hugo65, est donc une ide fausse. Rendons la parole Jomini : Lopportunit de livrer bataille tant bien reconnue, restait savoir quel systme serait le plus convenable pour attaquer les Anglais. Manuvrer par la gauche pour dborder leur droite tait difficile et ne menait rien de dcisif ; ce ntait pas une bonne direction stratgique, puisque cela loignait entirement du centre dopration, qui se rattachait naturellement par la droite Grouchy et au chemin de Lorraine 66 ; outre cela, laile droite ennemie tait protge par la ferme dHougoumont et par les deux grands bourgs de BrainelAlleud et de Merbe-Braine. Attaquer avec la droite pour craser la gauche des Anglais tait bien prfrable, puisque cela maintiendrait en relation directe ou en ligne intrieure avec Grouchy, et empcherait la jonction des deux armes ennemies ; mais pour gagner en masse cette extrme gauche, il aurait fallu stendre au-del de Frichermont, laisser dcouvert la ligne de retraite, et se jeter dans le pays fourr de Saint-Lambert, o une dfaite et t sans remde. Il restait Napolon un parti moyen prendre, celui de renouveler la manuvre de Wagram et de la Moscowa (Borodino), cest--dire dassaillir la gauche en mme temps quil enfoncerait le centre. Cest un des meilleurs systmes de bataille que lon puisse adopter, et il lui avait souvent russi. Forcer uniquement le centre est difficile et dangereux, moins que le centre ne se trouve un point faible et dgarni, comme Austerlitz, Rivoli, Montenotte ; or, on ne trouve pas toujours des ennemis assez complaisants pour vous procurer un tel avantage, et il serait absurde de lesprer contre une arme qui suit un bon systme, ou plutt qui connat les principes de la guerre. Mais faire un effort sur une aile, la dborder et fondre en mme temps avec une masse sur le point o cette aile se rattache au centre, cest une opration toujours avantageuse quand elle est bien excute. Napolon rsolut donc de la tenter. Toutefois, au lieu de runir le gros de ses masses contre la gauche, comme Borodino, il les dirigea sur le centre ; lextrme gauche ne dut tre assaillie que par la division formant la droite du corps dErlon, qui attaquerait Papelotte et La Haie ; Ney dut conduire les trois autres divisions droite de la Haie-Sainte ; le corps de Reille appuierait ce mouvement gauche de la chausse de Mont-Saint-Jean ; les divisions Bachelu et Foy entre cette chausse et la ferme dHougoumont ; celle de Jrme, conduite de fait par Guilleminot, attaquerait cette ferme, point saillant65 66

V. Hugo Les Chtiments LExpiation, II. Jomini a expliqu prcdemment que, une fois cartes les armes de Wellington et de Blcher, le danger le plus immdiat qui pesait sur la France tait un mouvement ennemi sur la Lorraine.

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de la ligne ennemie, dont Wellington avait fait crneler le chteau et le parc, et o il avait fait placer les gardes anglaises. Le comte de Lobau, avec le 6e corps et une masse de cavalerie, suivrait en troisime et quatrime ligne au centre, droite et gauche de la chausse, pour appuyer leffort de Ney sur la Haie-Sainte ; enfin vingt-quatre bataillons de gardes et les cuirassiers du duc de Valmy seconderaient au besoin ce choc dcisif en cinquime et sixime ligne.67 Et voil expliques de manire lumineuse les trois possibilits qui se sont prsentes lesprit de Napolon et celle qui, finalement, retint son intention. Au cours du djeuner, Napolon avait plus que vraisemblablement retenu lhypothse dune attaque sur la gauche anglaise. Le corps dErlon aurait march, soutenu par Lobau, en chelon, sa division de droite (Durutte) en avant. En mme temps, la brigade Charlet sen serait prise la Haye-Sainte, et les divisions intermdiaires auraient rompu la ligne anglo-allies, lattaque sur Hougoumont et au centre empchant Wellington denvoyer des rserves sur sa gauche. Mais, pour une raison quelconque, entre 09.00 hrs et 11.00 hrs, il change davis. Rappelons qu ce moment, il ne sait pratiquement rien des Prussiens et que, dautre part, rien ne peut lui laisser penser que Grouchy peut arriver aussi tt sur sa droite. Alors pourquoi change-t-il son plan ? Houssaye essaie bien de donner une explication : Cet ordre [de 11.00 hrs] ne laisse aucun doute sur la pense de lempereur. Il veut purement et simplement percer le centre de larme anglaise et le rejeter au-del de Mont-Saint-Jean. Une fois matre de cette position, qui commande le plateau, il agira selon les circonstances contre lennemi rompu : dj il aura virtuellement la victoire Il ddaigne de manuvrer. Sans doute une attaque contre la droite de Wellington, fort nombreuse, couverte par le village de Braine-lAlleud et la ferme dHougoumont et ayant comme rduit le village de Merbe-Braine, exigerait beaucoup de temps et de grands efforts ; mais lextrmit de laile gauche ennemie est trs faible, tout fait en lair, mal protge, facile dborder. Cest par Papelotte et La Haye que lon pourrait oprer dabord. Il semble que lempereur en ait eu un instant lide. Mais le beau rsultat, pour Napolon, que dinfliger une demi-dfaite aux Anglais et de les rejeter sur Hal et Enghien ! Il veut la bataille dcisive, lEntscheidungschlacht. Comme Ligny, il cherche percer larme ennemie67

Jomini, p. 165 et sq. Cette troisime possibilit est celle que, en gros, voque Napolon dans ses Mmoires (p. 118). Il y a cependant de trs grosses nuances : ainsi Napolon dit-il avoir pens faire attaquer la HayeSainte par deux divisions du 1er corps et deux divisions du 6e corps, tandis que les deux autres divisions du 1er corps se seraient portes sur La Haie. Or, dans les faits, une seule brigade attaquera la Haye-Sainte, tandis que lautre brigade de la 1re division foncera tout droit sur la chausse.

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au centre pour la disloquer et lexterminer. Il emploiera, ainsi quil la fait souvent, lordre parallle, lattaque directe, lassaut par masses au point le plus fort du front ennemi, sans autre prparation quune trombe de boulets.68 Le moins que lon puisse dire, cest que cette explication na rien de convaincant. Comment ? Napolon aurait simplement voulu taper dans le tas ? Point dide de manuvre ! Et Napolon qui, quoi quon en pense, nest quand mme pas totalement incomptent aurait ordonn dattaquer le point le plus fort de la ligne ennemie, alors que cest exactement le contraire de tous les principes Lenient 69 schine pendant quatre ou cinq longues pages essayer de dmontrer que Napolon na seulement jamais song au plan que dcrit Jomini. Or, nous pouvons tre quasiment convaincus du contraire. Il y a certainement pens. Et mme, il la trs certainement ordonn. La petite note de Ney sur lordre de 11.00 hrs en est la preuve la plus convaincante. Barbero met quelques considrations assez intressantes : Cet ordre [de 11.00 hrs] la formulation si expditive et cet ajout sibyllin [de Ney] ont fait couler des torrents dencre. En raisonnant froid, il est cependant possible de donner une interprtation cense des intentions de Napolon. En premier lieu, il est clair que lempereur prvoyait de tenir lennemi engag sur toute la longueur du front, en mettant en mouvement aussi bien le 1 er corps que le 2e, dans lattente de trouver le point o percer. Quel pouvait tre ce point, lordre ne le dit pas, et ne pouvait le dire, puisque lempereur ne le savait pas encore. Avoir dsign Mont-Saint-Jean comme objectif de lavance signifiait simplement que lempereur navait pas lintention de manuvrer pour dborder lennemi sur la droite ou la gauche, mais de lassaillir frontalement. La tche de Reille et de dErlon ntait pas de lancer immdiatement une offensive la baonnette, mais dentrer progressivement en contact avec lennemi et dexercer une pression croissante, qui pouvait se dvelopper pendant des heures, en attendant que se dessinent les conditions pour une pousse dcisive. Une fois le combat engag, ce seraient les ractions de lennemi, le comportement de ses troupes, les mouvements de ses rserves qui rvleraient lempereur le moment et le lieu o dclencher lattaque finale 70. Rester ouvert toutes les possibilits ne voulait cependant pas dire renoncer prvoir lissue la plus probable : il est clair que Napolon sattendait engager plus fond le corps de dErlon que celui de Reille. La68 69

Houssaye, p. 324-325. Lenient, pp. 414 et sq. 70 Jusqu ce point, Barbero est peu prs daccord avec Houssaye.

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formulation de son ordre montre que lempereur rflchit plutt en dtail aux mouvements prescrire au 1er corps, tandis que les indications destines au 2e paraissent bien plus gnriques. Du reste, le village de Mont-Saint-Jean, choisi comme point vers lequel devait converger lattaque, se trouvait sur la ligne davance de dErlon, et cest prcisment l que Napolon donna ordre damasser les batteries de douze livres. On peut donc conclure que lempereur, en rgle gnrale, pour le peu quil pouvait prvoir ce moment, sattendait obtenir des rsultats plus dcisifs de lavance de son aile droite que de celle de son aile gauche. Dans ses Mmoires, Napolon soutient avoir voulu manuvrer de faon sparer les Anglais des Prussiens, en leur coupant la retraite vers Bruxelles et en les repoussant vers la mer. Bien que les affirmations de lempereur ne soient pas toujours prendre pour argent comptant, on ne voit pas, en ce cas, pour quelle raison nous ne devrions pas y croire. Un autre lment dmontre que Napolon, bien que restant prt toute ventualit, prvoyait, en rgle gnrale, de percer laile gauche ennemie 71 : le fait quil ait chang au dernier moment les dispositions de marche destines au 1er corps, modifiant les ordres verbalement donns ses gnraux pendant le djeuner au Caillou. lorigine, la prise de contact de la part dErlon devait venir de droite, dans la zone de la Papelotte, pour ensuite stendre graduellement tout le front. La pression finale, et probablement rsolutoire, aurait ainsi t exerce tout au long de laxe de la route de Bruxelles, quand toutes les divisions du 1er corps jusqu la dernire seraient entres en action dans ce secteur. Mais, un certain moment, Napolon doit avoir eu une des intuitions surnaturelles dont, par le pass, taient nes ses grandes victoires. En observant laide de sa longue-vue le peu que lon voyait des troupes ennemies dployes labri de la dorsale, lempereur sest rendu compte que laile gauche de Wellington constituait la partie la plus faible de son dispositif et que, par consquent, ctait l quil fallait tenter la perce. La preuve de tout ceci, cest lajout griffonn par Ney au dos de lordre : Le comte d'Erlon comprendra que cest par la gauche que lattaque commencera, au lieu de la droite. Communiquer cette nouvelle disposition au gnral Reille. Le changement regarde, de toute vidence, lordre de marche des quatre divisions du 1er corps, il ne pouvait natre que de la dcision dexercer une pousse qui serait alle en croissant, partir du centre, contre laile gauche de Wellington. Menace sur sa droite par lavance de Reille et cloue au centre par loffensive de la premire division dErlon, larme ennemie, perce encore plus gauche, prcisment l o elle tait la plus faible. Aprs71

Et ici, Barbero dit exactement le contraire de ce quil disait auparavant

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quoi les divisions restantes du 1er corps, inflchissant leur avance angle droit auraient investi Mont-Saint-Jean, coupant la route de Bruxelles et enfermant dans une poche le gros de larme de Wellington.72 En somme, Barbero, aprs commenc par dire, comme Houssaye, que Napolon voulait attaquer le centre dabord, nous dit, comme Jomini, le contraire : cest par sa gauche que Napolon comptait dborder Wellington. Mais alors quau dpart, il aurait exerc la pression progressivement de sa droite vers le centre, 11.00 hrs, il dcide de faire le contraire. Ceci dit, Barbero brouille un peu les cartes en nous disant que cest aprs avoir constat que la gauche de Wellington tait faible que Napolon dcide dexercer la plus grande pression sur le centre Et ny a-t-il pas une petite contradiction dans la phrase : En observant laide de sa longue-vue le peu que lon voyait des troupes ennemies dployes labri de la dorsale, lempereur sest rendu compte que laile gauche de Wellington constituait la partie la plus faible de son dispositif et que, par consquent, ctait l quil fallait tenter la perce. ? Si cest droite quil fallait tenter la perce, pourquoi envoyer la division de gauche en tte de lchelonnement. On comprend bien ce que Barbero veut dire. Au fond, toute rvrence garde, cest le coup du dentifrice : en pressant lextrmit du tube, du ct de la Haye-Sainte, la pte sortira de lembouchure, du ct de Smohain. Mais si quelquun vous tape sur les doigts au moment o vous pressez, vous lchez le tube et il ny a plus de pression du tout En attaquant au centre, Napolon sen prenait lendroit du tube o il avait le plus de chance de se faire taper sur les doigts. Quoi quil soit, ce nest pas Barbero qui nous aidera rsoudre le problme : il dit tout et son contraire Le chaos pour parler comme Jomini. Alors pourquoi Napolon change-t-il davis la dernire minute ? Qua-t-il vu ? Quelle information a-t-il reue ? Aucun auteur ne nous relate le moindre incident survenu entre 09.00 et 11.00 hrs et Thiers va mme jusqu affirmer que lempereur piqua un petit roupillon ce moment-l ! Quon ne vienne pas nous parler des intuitions surnaturelles de Napolon On nous dit bien que Ney surgit au cours du petit djeuner pour annoncer que les Anglais se retiraient et que Napolon et tt fait de calmer son subordonn. Dailleurs, ds quil monte cheval, vers 09.00 hrs, il peut voir que les Anglo-Allis nont pas boug dun pouce. Du moins pour ce quil peut en voir, cest--dire la double ligne bleue 73 des hommes de Bijlandt et peut-tre lune ou lautre batterie dartillerie. Peut-tre aussi les hommes de Saxe-Weimar Papelotte, La Haie et Fichermont Mais ce quil peut voir aussi, cest que ses troupes de premire ligne ne sont pas en place. Le 2e corps passe seulement devant le Caillou, Drouet dErlon est occup marcher sur sa droite et Durutte ne sera en72 73

Barbero, pp. 100 et sq. Les fantassins hollando-belges portaient un uniforme bleu Certains auteurs, atteint dun daltonisme inquitant, ont cru que cette double ligne, tout ce quon pouvait voir de larme de Wellington, tait rouge.

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place quaux environs de 11.30 hrs ou midi. Et ces troupes ne seront pas encore en place 11.00 hrs. On en est mme trs loin de compte puisque lordre dict cette heure dit prcisment : Une fois que toute larme sera range en bataille, peu prs une heure aprs midi Donc, lattaque que lempereur esprait pouvoir mener ds 09.00 hrs, daprs ce quil avait dict au petit matin, devait tre report jusqu 13.00 hrs au moins. Mais ce nest pas ce retard, certes regrettable 74[72], qui est susceptible davoir provoqu la modification du plan de Napolon. Ceci dit, lordre de 11.00 hrs ne correspond pas non plus ce qui sest pass dans la ralit. On constate en effet que lordre porte que lattaque commencera 13.00 hrs en direction de Mont-Saint-Jean. Or, en ralit, elle commence vers 11.30 hrs en direction dHougoumont 75. Il concentre 24 pices dartillerie, sans doute sur la crte de Belle-Alliance lordre nen dit rien alors quen ralit, la grande batterie se composera de 80 bouches feu situes sur la croupe qui est 400 mtres en avant. Quoique les auteurs ne soient pas trs prcis, il semble bien que le renforcement massif de la grande batterie ait t ordonn vers 11.30 hrs. Le 2e corps ne marcha jamais la hauteur du 1er pour le soutenir. Quant celui-ci, il lui tait ordonn de marcher, sa division de gauche en avant, les autres le soutenant suivant les circonstances ; dans la ralit, il marcha tout entier sans attendre de voir quelles taient les circonstances et la division de gauche sen prit la Haye-Sainte dont il nest pas fait mention dans lordre. Ce nest pas la peine de venir prtendre que Napolon confondit la Haye-Sainte avec la ferme de Mont-Saint-Jean, ou mme avec le hameau. Sans en tre linventeur, lempereur est le premier grand chef de guerre avoir fait un usage aussi intensif de la cartographie militaire ; dans son tatmajor, il avait sous la main un officier suprieur le colonel Bonne et deux spcialistes M. Dupr, cartographe, et M. Paluchet, dessinateur qui, si lempereur avait eu le moindre doute, laurait trs vite remis dans la bonne voie. Si lon ajoute cela que la carte de Ferraris et sa version tablie par Capitaine ne quittaient pas lempereur, et que ces cartes sont extrmement prcises sur la situation de la HayeSainte, on peut conclure sans avoir peur de se tromper que Napolon na rien confondu du tout. Que lun ou lautre commentateur lait fait, cest possible, mais lempereur lui-mme, certainement pas. Au reste, il tait fix depuis la veille au soir. Il avait en effet pouss jusqu la Belle-Alliance ds le 17 en fin daprs-midi et, cette poque, lauberge portait des enseignes indiquant clairement son nom. Impossible de se tromper mois dtre analphabte74

Et encore, quand nous disons regrettable, est-ce encore un a posteriorisme . Napolon na, ce moment, aucune inquitude et nenvisage mme pas que Blcher puisse surgir sur sa droite : il le croit encore sur la route de Lige 75 Les auteurs ont tous, sans exception, expliqu cette contradiction en affirmant que lattaque sur Hougoumont tait une diversion destine forcer Wellington dgarnir son centre. Or cest absurde : cest sa gauche quil aurait fallu obliger Wellington dcouvrir

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Ajoutons tout cela que, dans cet ordre de 11.00 hrs, Napolon n'impose aucune formation au 1er corps ; ce n'est pas l que nous trouvons la disposition en colonnes de division par bataillon qui sera finalement adopte. Bref, entre lordre de 11.00 hrs et sa ralisation sur le terrain, il existe de telles diffrences que lon est en droit de se demander sil est rellement le dernier que Napolon ait dict et si lon peut se baser sur lui pour dterminer quel tait le