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    La tribu : mode d'emploi

    On aura peut tre devin qu'il ne s'agit nullement sous ce titre d'ajouter une page

    supplmentaire l'indignation vertueuse qui, dans le discours des professionnels - oucandidat la professionnalisation - du politique prend pour cible un mal du pays rputplus ou moins ncessaire et plus ou moins curable. Mon propos se limitera plusplatement l'vocation de quelques indices et lieux de (dis)fonctionnement de la tribudans la socit mauritanienne d'hier et d'aujourd'hui. Peut-tre aidera-t-il adversaires et

    partisans des mdecines tribales se faire une ide plus exacte des potions idologiquesqu'ils (s')administrent.

    1 - Au nom du pre

    La tribu se prsente de prime abord comme une entit unie par un nom, une ralitdfinissant un tat civil. On sait qu'avant de se dsigner par leur nom, formalit laquelle les bizan se livrent toujours de mauvaise grce comme si elle impliquait uneforme brutale de transgression de la pudeur, des personnes qui ont faire connaissancedoivent s'efforcer d'identifier la tribu de leur interlocuteur et dcliner au besoin le nomde la leur.Je ne m'tendrai pas sur la diversit de forme qu'affectent les noms de tribu et sur lesconsidrations anthropologico-smantiques auxquelles elles pourraient fournir matire.On connait la frquence du prfixe berbre "id" dans nombre de ces noms ainsi quecelle de son quivalent arabe "Awld", indiquant clairement une filiation. Cependant,mme l o ce marqueur gnalogique est absent, une lecture "affiliative" du patronymetribal est presque toujours propose : al-Aghll devraient ainsi leur nom leur anctreMuhammad Ghulli, les Smsd leur aieul, Shams al-Dn, les Tajaknit Jakn, etc

    De sorte que la parent, en l'espce la filiation patrilinaire, se trouve pose commefondement essentiel de l'unit de la tribu; ultime horizon de sa lgitimit.L'idiome de la parent fournit donc la tribu "le squelette conceptuel" (Evans-Pritchard) qui lui permet de rendre compte la fois de son unit et de son irrpressibletendance l'clatement : la qabla ne cesse en effet de se subdiviser en ensembles(avkhz), prts leur tour donner naissance, par fission et agrgation, des unitsnouvelles dont les relations de proximit, de distance, de hirarchie, sont lues traversles grilles fournies par la gnalogie. Dans ce dispositif, on l'aura compris, tout lemonde est "cousin" (awld 'amm), mais, si j'ose dire, certains sont encore plus cousinsque d'autres. Tout le monde - ou presque - est "noble" puisque tout le monde est cousin,mais l aussi, une hirarchie de "puret", "d'anciennet", "d'authenticit" gnalogique

    permettra d'tablir une chelle de noblesse, de distinguer dans chaque tribu un "centre"et une "priphrie". Des fictions de parent destines lgitimer les relations decousinage sont sans cesse (r)labores pour ajuster la ralit tribale au moulegnalogique dont elle est suppose tirer sa substance idologique. Contrairement lareprsentation que tend en donner l'illusion gnalogique, le statut des "Awld x",leur "noblesse", leur "arabit" n'est pas un produit de leur gnalogie, c'est leur autoritreligieuse ou militaire qui leur permettait de lgitimer cette imposture.D'autres moyens contribuaient au maintien de l'unit de la tribu la fois comme entitgalitaire et dispositif hirarchis. L'un des plus importants est sans doute l'alliance, lemode de mariage. On sait que sa marque essentielle tait le privilge accord, parmitoutes les conjointes possibles, la cousine parallle patrilatrale, ou, si vous prfrez,

    la fille du frre du pre (mint al-'amm). Si vous n'en trouviez pas une rpondant trsexactement ce critre, on considre que vous ne commettiez pas un grave

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    manquement aux valeurs tribales en pousant une "cousine" plus loigne. Dans tousles cas, il vous tait fortement dconseill de sortir du cercle des "cousines". Une telle

    prescription , mme si elle n'tait pas toujours et partout rigoureusement applique -aucune tribu ne constituait un ghetto matrimonial totalement clos - n'en contribuait pasmoins au renforcement de l'illusion qui tend prsenter la tribu comme une unit

    "parentale".En ralit, la "circulation des femmes" s'accommodait fort bien de la hirarchie quiexistait au sein de la tribu et entre tribus. On sait en effet que la socit maure sesubdivisait horizontalement en tribus "guerrires", "maraboutiques" et "tributaires", etque ces structures recoupaient elles-mmes un ordre hirarchique fond sur laspcialisation professionnelle et la gnalogie o l'on distinguait notamment les"griots", les "artisans", les "anciens esclaves" et les "esclaves". Une seule prescription

    peu prs tablie limitait les changes matrimoniaux entre ces groupes au sein d'unemme qabla (ou entre deux qab'il). Enonce dans le jargon des ethnologues, cettergle est dite de prohibition de l'hypogamie fminine. Cela veut dire qu'une femme derang "suprieur", ne devrait pas pouser un homme qui lui est statutairement infrieurmais que l'inverse tait possible, conformment une reprsentation commune aux

    peuples mditerranens, et qui nonce, dit J. Pitt-Rivers, que "l'honneur se perd par lesfemmes et se gagne par les hommes". L'adage hassni : "il tmssu aj-jld, yitgddu aj-

    jdd" (quand les peaux se touchent, le anctres deviennent gaux) exprime cette ide desparation et de hirarchie lgitime par le nasabqui marque ses deux ples l'unit dela tribu : au ple plus de la gnalogie, l'quivalence des awld al-'amm, au ple moins,l'emboitement stratifi des groupes de statut.La parent, on le voit, n'est donc pas l'unique ciment unificateur de la tribu. Les

    diverses formes d'allgeance des strates domines (tlmd, aznga, m'allmn, ggwin,hrtn), s'exprimant parfois dans le langage de la solidarit et du bnfice mutuel lo elles oprent en fait la plupart du temps comme une association du cheval et ducavalier, rendent compte leur tour d'une part significative de cette unit dans un cadre

    qui ne doit rien , gnalogiquement, au nom du "pre de la tribu".

    2 - Des feux et des lieux

    La tribu n'est cependant pas qu'une ralit idologique ordonne autour du nasab. Ellese manifeste galement comme une entit morale, une personnalit juridique et unestructure conomique.Entit juridique et morale, elle assure, dans la limite de ses moyens, la protection de sesressortissants face aux autres tribus. D'o l'intrt, pour activer en permanence cettecohsion, de ce qu'on pourrait appeler un seuil minimum d'inscurit vitale. La paixcivile ne vaut rien pour la bonne sant de la tribu. Il faut une dette de sang (diya)

    rgler, une rtorsion exercer, une affaire d'honneur solder dans quelque affrontementpour maintenir en activit le sentiment d'appartenance tribale.Et c'est aussi sans doute l'occasion de ces "grands" rglements de compte, de cesgrandes manuvres face au monde extrieur et des impratifs de coordination qu'ellesimposent, que surgissent les "chefs" de tribu. Autorit fragile, souvent phmre,quelques fois plus consistante au point de devenir l'attribut transmissible d'un lignagedtermin, la chefferie tribale avait rarement un rle actif en dehors de cescirconstances de conflit externe. Ne jouissant d'aucune prrogative spciale l'exception de celles qui engagent des comptitions pour l'honneur (avoir plus de"courage", plus de "gnrosit"), le chef tribal n'tait, avant la colonisation, qu'un

    primus inter pares peine plus important, sauf capital charismatique religieux

    individuel, que les membres de sa jam'a. L'intervention coloniale contribuera, de cepoint de vue figer des statuts qui taient en perptuel remodelage.

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    Autre manifestation, autre indice de l'existence de la tribu comme entit collective,l'existence d'un "feu"(nr), d'une marque de btail commune tous les membres d'unemme qabla, trait mettre en rapport avec le mode de vie pastoral dominantantrieurement la rcente vague de scheresse.Enfin, la plupart des tribus exeraient, sous une forme directe ou indirecte, une

    appropriation collective d'un territoire dtermin. C'est--dire en particulier qu'elles encontrlaient les terrains de culture et les points d'eau. Cela veut dire aussi quel'individuation de la proprit, l o elle intervenait, demeurait inscrite dans un cadre

    pralablement dfini par son caractre tribal.Voil, trs schmatiquement rappels, quelques-uns des traits saillants de l'organisationtribale telle qu'elle se manifestait avant les transformations culturelles, institutionnelleset cologiques que la socit maure a connues depuis la colonisation. C'est desrecoupements de ce dispositif, particulirement dans ses dimensions institutionnelles et

    politiques, avec l'embryon d'organisation bureaucratique hrit de la priode colonialeque sont nes les pratiques, largement partages et non moins universellementcondamnes sous le nom de "tribalisme".

    3 - Un Etat sans raison ?

    L'essentiel du jugement port sur le "tribalisme" met en cause la lgitimit d'un modespcifique de gestion des affaires publiques, considr comme non conforme l'espritd'une administration tatique. Je voudrais, pour prciser ce point, faire quelquesobservations pralables inspires de la sociologie politique de Max Weber, avant dehasarder certains rapprochements avec la situation mauritanienne.Weber distingue, on le sait, trois catgories de domination lgitime. Une dominationqu'il appelle "lgale", ou de caractre "rationnel", fonde sur la croyance en la validitet la lgalit des rglements tablis rationnellement et en la lgitimit des chefsdsigns conformment la loi.

    Une domination "traditionnelle", base sur la croyance en la saintet des traditions envigueur et en la lgitimit de ceux qui sont appels au pouvoir en vertu de la coutume.La troisime, la domination "charismatique", repose sur la soumission un individu quien impose par sa saintet, son hrosme, ou son exemplarit.Il s'agit de trois ples essentiels, de trois orientations majeures dans la dlimitation desfondements de lgitimit du pouvoir politique qui n'ont gure t observshistoriquement "l'tat pur", de "types idaux" fournissant des bases commodes pourune classification, mais dont des traits peuvent se retrouver, dans des dosages varis, l'intrieur d'un mme systme politique.Caractrisons sommairement la bureaucratie qui fournit l'exemple type de ladomination lgale. Weber l'associe aux traits essentiels suivants :

    - L'existence de services dfinis et donc de comptences rigoureusement dterminespar les lois et rglements, de sorte que les fonctions sont nettement divises etdistribues ainsi que les pouvoirs de dcision ncessaires l'accomplissement destches correspondantes.- La protection des fonctionnaires dans l'exercice de leurs fonctions au moyen d'unstatut tabli cet effet. Cette protection transforme le service de l'Etat en occupation

    principale, et non en activit annexe.- La hirarchie des fonctions et des services, associe la possibilit pour l'instanceinfrieure de faire appel l'instance suprieure et une tendance marque lacentralisation du pouvoir de dcision aux mains d'une seule autorit chaque niveau dedcision.

    - Le recrutement se fait sur concours, examens ou diplmes, en relation avec uneformation spcialise.

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    - La rmunration du fonctionnaire un niveau qui justifie son attachementprofessionnel exclusif l'administration et l'institution d'une pension de retraite aumoment o il quitte le service de l'Etat. La hirarchie des salaires obit la hirarchieinterne l'administration.- Le droit qu' l'autorit de contrler le travail de ses subordonns.

    - La possibilit d'avancement des fonctionnaires sur la base de critres objectifs et nonsuivant les caprices de l'autorit.- La sparation complte entre la charge et celui qui l'occupe, les moyens del'administration ne pouvant appartenir des individus.En laissant de ct les aspects internes de l'volution de la tribu - je songe notammentaux changes matrimoniaux, la hirarchie des groupes de statut, - dont chacunmriterait lui seul toute une tude, et en ne retenant pour l'instant que lesmanifestations du "tribalisme" , c'est--dire des lgitimits traditionnelle et/oucharismatique dans le champ de la rationalit bureaucratique, on peut risquer lesobservations suivantes.La faiblesse de l'appareil administratif lgu par la colonisation et celle des appareilsspcialiss qui en dpendent (justice, scurit, sant, ducation,) n'avait, aulendemain de l'indpendance de la Mauritanie, qu'un effet limit sur la permabilit decet appareil aux rseaux d'intervention des systmes traditionnels (maures), quin'avaient pour ainsi dire gure besoin de lui. L'administration coloniale avait mis au

    point une sorte degentelmen's agreement destin assurer la fois la participation et lamise l'cart du pouvoir d'une chefferie traditionnelle que Hamid al-Mauritany disait"fidlifie".Les interfrences culturelles avec la rationalit du colonisateur taient restesmarginales : le taux de scolarisation ne dpassait gure 5% en 1960Certes, les sdentaires noirs du Sud de la Mauritanie et les tribus maures voisines, pourdes raisons avant tout gographiques - la pntration coloniale s'est faite par le Sud etnon par l'Est ou le Nord - taient davantage prsents aux niveaux subalternes de

    l'administration que les autres et tiraient aussi probablement un bnfice suprieur d'unescolarisation qui demeurait, comme je viens de le noter, marginale. Mais, le faitessentiel, me semble-t-il, rside en ce que la population, reste rurale plus de 95%,continuait tourner le dos un systme administratif dont elle n'avait pas besoin.Une succession de bonnes annes pluviomtriques, jointes la croissance de la renteminire permettait une administration naine d'oprer, l'abri de comptitions tropaiges, des redistributions suffisantes entre les notables domestiqus du systme tribal.L'acclration d'une arabisation non prpare du systme scolaire partir de la rformede 1971, jointe la pression sur le march de l'emploi de jeunes ruraux issusnotamment des tribus maraboutiques du Sud-Ouest chasss par la scheresse, vontrapidement aboutir transformer l'appareil scolaire, d'ailleurs compltement submerg

    par les premires vagues de la sdentarisation, en une annexe du systme des mahadra,vou corps et me la "lgitimit traditionnelle".Tandis que le flot des migrants continuait grossir les bidonvilles de Nouakchott et descapitales rgionales, paralysant progressivement toutes les infrastructuresadministratives existantes (sant, justice, ducation, scurit,), l'acclration de larotation d'officiers suprieurs, pas toujours trs scrupuleux, et que rien ne prparait cette tche, la tte de l'Etat, au lendemain du putsch de 1978 , enfonait dans unedliquescence toujours plus profonde ce qui restait encore d'administration.

    C'est ce champ de ruines que l'on dit aujourd'hui gangren par le "tribalisme". Ilfaudrait, par des enqutes prcises, sur les procdures de recrutements, de promotion ,

    de rmunration, de gestion dans l'administration, tester l'ampleur des interfrencesentre "lgitimit traditionnelle" et "rationalit bureaucratique". Ce que l'on peut, en

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    guise de conclusion provisoire faire remarquer, c'est que l'accusation de "tribalisme",jete par ses adversaires contre l'actuelle administration, et reprise par cette dernirecontre elle-mme, dsigne bel et bien le lieu de ces interfrences. Elle indique undivorce croissant entre le pays lgal et le pays rel, l'armature bureaucratique etl'adhsion, ou le renouveau d'adhsion des solidarits juges plus efficientes et plus

    lgitimes. Une autre investigation, conduite partir de ce que nous savons descaractristiques de l'organisation tribale et des effets de l'volution rcente qu'elle aconnue, permettrait peut-tre, l'autre bout, de dgager la part de ccit ncessaire quianime le nouvel et enthousiaste retour la solidarit tribaleJe ne rsiste pas, en attendant citer ce mot attribu feu Muhammad Abdallahi O. Al-Hasan : " En partant, Mokhtar o. Daddah laissait derrire lui une administrationdlabre. Depuis qu'il est parti, n'y a plus d'administration. Il n'est rest que ledlabrement."

    Abdel Wedoud Ould Cheikh1993

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    Problmes fonciers.

    Chez les pulaarophones, il convient de distinguer la situation qui prvaut parmi lescultivateurs sdentaires des bords du fleuve des rgles qui rgissaient le rapport laterre chez les peuls nomades bien qu'il ne soit pas rare que des dtenteurs de champs sur

    berges (oualo) soient en mme temps des leveurs.

    Les terres dites de oualo, celles qui taient rgulirement inondes par les crues dufleuve Sngal, sont, en rgle gnrale, possdes d'assez longue date par des lignagesdont certains font remonter leurs droits des conqutes ou donations effectues sous lergime des Dniankob qui contrlrent, dans une demi-anarchie, la majeure partie duFouta Sngalo-mauritanien entre le XVII et le XVIII s.

    Il semble cependant que le droit foncier traditionnel des cultivateurs toucouleur desbords du fleuve tel que la colonisation franaise l'a trouv, et tel qu'il imprgne encoreles pratiques foncires actuelles soit surtout un hritage du mouvement rformateurmusulman des tooroob qui institua, partir de la fin du XVIII s., un rgime politiqueinspir des rgles de l'islam.

    Les coutumes issues de cette rforme distinguent deux catgories de terre :- les terres dites "bayti" qui constituent le domaine de la communaut musulmane, et- les terres dites "njeyaandi" ou terres sur lesquelles sont exercs des droits de proprit.

    Ces deux catgories de terre peuvent tre concdes titre prcaire un cultivateurindividuel selon diverses modalits. Dans ce cas, la terre sera dite "leydi njimaandi",c'est--dire terre sur laquelle s'exerce un droit minent qui se superpose celui del'usufruitier.

    Nous ne donnerons pas ici le dtail de tous les droits que les usufruitiers versaient auxmatres des terres ou leurs agents. La plupart des droits attachs au domainemusulman taient d'ailleurs dj privatises et aux mains de quelques notables locauxou bien taient tombs en dsutude au moment de l'occupation franaise.

    Ce qu'il importe de souligner, c'est le caractre demeur jusqu' prsent trs fortementcommunautaire de la gestion de la terre chez les toucouleurs et soninks et l'imbricationde cette gestion avec la hirarchie sociale traditionnelle (de statut, de sexe, d'ge). Acet gard, la tenure foncire traditionnelle prsentait les caractristiques suivantes :

    - chaque membre mle de la communaut a le droit de possder une part du bien

    commun. Sauf le cas exceptionnel de conventions diffrentes, cette part esttransmissible aux hritiers mles; en l'absence d'hritiers mles, elle fait retour au biencommun.

    - personne ne peut aliner la part qu'il possde hrditairement, ou dont il disposecomme chef.

    - la femme sans ressources a droit une part du bien commun, mais titre provisoire.Elle ne peut ni en recevoir ni en transmettre par hritage.

    - les conflits survenant propos de la terre taient rgls, non par les cadis, ni par les

    dlgus du souverain, mais par le chef de la collectivit, assist, s'il y a lieu, par lesnotables.

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    Quant aux Peul nomades de la zone du projet, leur rapport la terre tait empreint de lamme prcarit que celles qui caractrise le systme domanial des pasteurs maures. Eneffet la plupart des groupes peul sur lesquels reposait l'hgmonie des Denyankob aunord du fleuve Sngal, paraissent, la fin du XVIII s., avoir perdu leur cohsion

    politique et militaire. L'inscurit entretenue par la razzia maure les obligeaprogressivement traverser le fleuve. C'est seulement au lendemain de l'installation del'administration franaise ( partir de 1890), quand de nouvelles conditions de scuritfurent instaures, que les Peul, ainsi d'ailleurs que de nouveaux tablissementssdentaires toucouleur purent de nouveau commencer s'tablir au nord du fleuveSngal.

    Cette installation raviva des droits anciens et/ou contribua affermir une emprisefoncire nouvelle au profit de communauts dont la prsence s'tendait ainsi, parddoublement, aux deux rives du Sngal. La ville de Lixeiba a t fonde entre 1890et 1915 par des immigrants en provenance de Dabia (au Sngal). Parfois ce sont desvillages entiers qui ont dmnag de la rive sngalaise vers la rive mauritanienne.Garli, Siv, Koundil-Ro, Diovol, Guiraye-Ro, Sylla-Rindiao, Sinthiou-Boumaka,

    Nr oprent en totalit ou en partie ce dplacement entre 1900 et 1910. Un peu plustard, d'autres communauts s'tablissent dans le proche arrire-pays fluvial du Gorgol :Ouloum-Nr est fond vers 1910 par des immigrants de Nr-Oualo, Diok en 1922

    par des originaires de Ndiafane, Nreyel vers 1940 par des gens issus de Diamel-Ebiab. Timbr-Dyingu, Talhaya, Mafoundou, Leboudou Barogal, Aouinat, etc, sontfonds entre 1903 et 1931 dans le mme mouvement. La remonte des pasteurs peul

    provenant de la rive gauche du Sngal en direction des pturages du nord du Gorgol sepoursuivait encore la fin des annes 1960 lorsqu'elle fut brutalement stoppe par lascheresse et ses consquences.

    Nombre d'habitants de tous ces villages possdaient des terrains de culture au sud du

    fleuve Sngal. En sens inverse, plusieurs centaines de paysans tablis au nord duSngal exploitaient des champs situs sur la rive mauritanienne du Fleuve.

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    ADMINISTRATION ET SOCIETES NOMADES DANS L'ANCIENNE AOFParis 12-13 Juin 1992.

    Abdel Wedoud

    OULD CHEIKH

    L'volution de l'esclavage dans la socit maure.

    La Mauritanie s'est acquise une sorte de notorit de scandale en apparassant, lafaveur d'une mesure officielle d'abolition proclame en 1980, comme un des derniers,sinon le dernier pays au monde o l'esclavage tait encore officiellement tolr.En ralit, ce pays a battu des records d'abolition puisqu'en l'espace de quatre vingts ansil n'en a pas connu moins de trois : celle qui intervient de facto avec la colonisation dela Mauritanie par la France partir de 1903, celle qui dcoule de la ratification en 1961

    par la Mauritanie indpendante de la dclaration universelle des droits de l'homme del'ONU, celle enfin de Juillet 1980.Toutes ces abolitions, et plus particulirement la dernire d'entre elles, tmoignent de lalongue et tenace rsistance de l'esclavage toutes les tentatives institutionnelles visantsa suppression. Les transformations socio-conomiques rcentes de la socit mauredessinent cependant une configuration qui parat avoir srieusement branl les rapportshirarchiques traditionnels.Je dirai d'abord quelques mots de la condition servile avant d'voquer l'volution dustatut des esclaves de la priode pr-coloniale et coloniale nos jours.

    I - La condition servile.

    La socit maure, est traditionnellement subdivise, on le sait, en groupes de statut(hassn/guerriers, zawy/marabouts, lahma/tributaires, ggwin/griots,ma'allmn/artisans, hrtn/anciens esclaves et a'bd/esclaves), inscrits eux-mmes l'intrieur des structures politico-gnalogiques que constituent les tribus.Un nom commun s'applique aux esclaves et anciens esclaves, celui de "sudn" (i. e "lesnoirs") qui les distingue la fois des "maures blancs" (bizn stricto sensu) et descommunaut noires extrieures l'identit culturelle maure, et qui portent enhassniyya le nom collectif de "kwar".L'ensemble form par les hrtin et a'bd constitue l'heure actuelle sans doute prs de lamoiti de la population hassnophone de Mautitanie.

    Je ne m'tendrai pas sur les fondements juridiques et idologiques d'un systme quiprtend tirer sa lgitimit des enseignements de l'islam, religion - avec ses nuances de"classe" ou de "caste" - de la totalit des bizn depuis au moins le XVI s.Bien que le statut d'esclave puisse avoir pour origine, d'un point de vue islamique, lacapture (d'un sujet, en principe, non musulman dans le cadre d'une jihd dmentdclare), la naissance (transmission du statut en ligne utrine), ou l'acquisition gratuiteou titre onreux, et malgr les manipulations que les groupes dominants font subir leurs propres normes lgislatives pour lgitimer les captures illgales, prolonger sousdes formes ouvertes ou dguises un statut de servitude injustifi, c'est, me semble-t-il,au commerce et non, comme on l'entend parfois dire, la razzia, qu'il faut imputer, pourl'essentiel, la prsence au sein de la socit maure d'une large communaut d'esclaves et

    d'anciens esclaves.

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    Certes, il a d y avoir de nombreux rapts isols, et l'inscurit entretenue par la razziamaure chez les paysans noirs des rgions limitrophes de leurs zones de parcours a laiss cet gard des souvenirs encore vivants. Mais ce ne sont pas, semble-t-il, cescommunauts - les wolof, les sonink, les toucouleur - qui ont fourni les contingents les

    plus nombreux d'esclaves maures. Le substrat de peuplement noir des rgions

    aujourd'hui dsertifies - et probablement parmi eux, surtout les ilts de sdentarit -,ainsi que le commerce transsaharien, ont t les pourvoyeurs les plus importants desnomades maures en esclaves.

    Nous savons, en vrit, trs peu de chose de ce substrat. On peut seulement conjecturerque les populations noires, et parmi elles aussi bien les agriculteurs saisonniers que lesoasiens qui n'ont pas suivi le lent retrait vers le sud - il se poursuivait encore au XIX s. - qui vida le Sahara de la majeure partie de ses habitants, ont d subir le joug de

    populations plus mobiles - les chameliers - qui tendent leur prsence dans l'ouestsaharien partir du IV s. La prsence de hrtn, ainsi appels travers tout le Saharaoccidental, des confins maghrbins la bordure sahlo-soudanienne, parat en tre unindice, comme en est aussi un indice l'anciennet - qui se perd parfois dans la nuit destemps - de certains groupes "d'esclaves de tente" dit "nnma" ou "tild".

    Nous avons une ide nettement plus prcise du rle du commerce trans-saharien dans ladiffusion de l'esclavage au sein de la socit maure puisque les esclaves constituaient

    prcisment une composante essentielle de ce commerce, articul autour de l'changede l'or et des esclaves du Bild al-Sudn contre le sel et les denres "de luxe"maghrbines.Ds le XI s., l'importance de la main d'oeuvre servile est mentionne par al-Bakrcomme une des marques de prosprit du relais commercial transsaharien qu'tait l'oasisd'Awdaghust, et plus particulirement de certains de ses habitants."Ils possdaient de grandes richesses et de nombreux esclaves (raqq kathr). On ytrouvait des individus qui avaient chacun un millier d'esclaves et mme davantage (alfakhdimin wa akthara)".

    Les Portugais qui s'installent Arguin au milieu du XV s., arrivent, nous dit Ca DaMosto, tirer de leur commerce avec Wadn, "tous les ans sept huit cents ttes pourles mener en Portugal.".Un tmoin du XVIII s., Saugnier, constate que la possession d'esclaves est largementrpandu parmi les nomades de l'ouest saharien. "Il faut, crit-il, qu'un arabe soit bien

    pauvre pour ne point avoir au moins un ngre captif."L'abolition de l'esclavage en Europe au XIX s. (1848 pour la France), jointe aux effetsdes guerres d'al-Hj 'Umar et de Samori Tur qui ont jet sur le march ouest africaind'importantes quantits d'esclaves, n'a pas manqu de pousser vers les dbouchssahariens une part importante d'une main d'oeuvre servile qui ne pouvait dsormais

    prendre le chemin des Carabes et de l'Amrique. Je reviendrai un peu plus loin sur un

    indice de ce transfert.

    Quoi qu'il en soit de leurs origines,les a'bd taient surtout utiliss dans l'levage commebergers et puisatiers, et dans l'agriculture, avec, parfois, un statut de mtayers. Il s'agitalors le plus souvent de hrtn, payant des redevances qui pouvaient aller d'une quantitsymbolique de grains la quasi-totalit de leur rcolte.A l'poque du commerce de traite, ils taient aussi utiliss dans la collecte de la gommequi revtait au XVIII et XIX s. une importance majeure dans les changes entre lestraitants europens et les indignes de la cte atlantique du Sahara.Le statut personnel et les conditions de vie des esclaves variaient (en fonction en

    particulier du statut et de la richesse du matre) de l'tat de bte de somme, celui de

    compagnon d'arme, de confident et de conseiller particulier.

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    Proprit de leur matre, ils taient, sur tous les plans, lgalement des mineurs. Leurspossessions, s'il leur arrivait d'en avoir, comme l'ensemble de leur existence civile tait l'entire discrtion de leur possesseur.Celui-ci devait, en revanche, assurer leur entretien, subvenir leurs besoinsvestimentaires et alimentaires. Les thologiens maures ont valu, au XVIII et au

    XIX s., une higga (genisse de trois ans) ou un bellbn (chamelon de deux ans)l'quivalent-btail du cot mensuel de l'entretien (nafaqa) d'un esclave. Ilsrecommandent, en gnral de le traiter avec humanit, de ne lui imposer que destravaux qui sont la mesure de ses moyens physiques, de ne pas lui infliger dechtiment corporelIl va de soi que le tout venant des possesseurs d'esclaves n'obeissait gure cesconsignes et que la vie quotidienne de la plupart des a'bd tait ordinairement faite dednument, de mpris et souvent de brutalit.J'voquais plus haut le report sur les voies sahariennes d'une partie du commerceatlantique de "bois d'bne" aprs les mesures d'abolition prises par la France etl'Angleterre. L'auteur d'al-Wast, Ahmad b. al-Amn al-Shinqt, rapporte desvnements dont la ville de Tijigja a t le thtre, vnements qui semblentdirectement lis l'afflux d'esclaves bambara dans cette petite oasis de la Mauritaniecentrale et qui tmoignent de la frocit avec laquelle les esclaves pouvaient tre traitsdans des circonstances extrmes.Pour enrayer un dangereux dveloppement de la sorcellerie attribu leurs esclavesd'origine bambara, les habitants de Tijigja, aprs avoir recouru vainement aux servicesd'un exorciste spcialement amen des rgions d'importation, rsolurent de passer desmthodes plus radicales. Ils "se mirent alors tuer tous ceux qu'il suspectaient tre dessorciers, ce qui rduisit trs fortement la sorcellerie." Et Ahmad b. al-Amn d'ajouter :"on dit que le mobile principal qui pousse les sorciers tuer, c'est leur dsirobsessionnel de viande, la faim et la haine de leur victime.". Signe donc, l'vidence,d'une situation alimentaire et de conditions de traitement dtestables. Du reste, toutes

    les chroniques du pays maure le disent : en priode de disette, les esclaves sont lespremiers et les plus durement touchs.La pratique de mauvais traitements, et mme parfois de vritables tortures, qui n'a peut-tre pas encore compltemnt disparu dans l'arrire-pays rural mauritanien, tait en toutcas atteste jusque durant les annes quarante, aprs une quarantaine d'annes decolonisation franaise. "En 1942, crit le capitaine Fondacci, au puits d'El Beyed, uncaptif des Laghlal de la rgion de Tintane avait subi de la part de son matre des

    brlures telles qu'il avait d tre amput." C'tait, explique le matre, pour l'empcherde fuirCes quelques lments destins illustrer la svrit extrme qui pouvait caractriser

    parfois les relations matre-esclave ne doivent toutefois pas faire oublier, d'une part, que

    le cours ordinaire des choses tait plus serein et que, d'autre part, la nature des rapportsentre le propritaire et son 'abd variait sensiblement,cela a dj t soulign, en fonctionnotamment du statut du matre.Il convient par ailleurs de nuancer la misre morale - la misre physique constitue

    jusqu' un certain point un lot commun "traditionnel" de la socit maure, toutes classesconfondues - des esclaves, souvent lis leurs matres, surtout pour les plus anciensd'entre eux (tild, nnma) par des liens sentimentaux complexes et ambigs, undvouement et une fidlit que viennent parfois renforcer la parent de lait (rz'a),l'appartenance un mme groupe d'ge ('asr), Les esclaves librs, les hrtn, devenaient quant eux des mawli, des clients lgauxqui partageaient, en principe, tous les droits, et surtout tous les devoirs des hommes de

    leur tribu.

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    Avant de voir comment ces liens ont volu au cours des dernires dcennies, disonsdeux mots des transformations engendres par les premires phases de l'interventioneuropenne le long des ctes et de la bordure mridionale de Mauritanie.On sait qu'un des mobiles idologiques les plus importants mis en avant pourl'intervention de Faidherbe dans le Waalo contre l'mirat des Trarza, tait, dans la

    foule de la propagande abolitionniste de la premire moiti du XIX s., de mettre unterme un statut dsormais jug choquant et anachronique.Faidherbe prendra cependant le soin, ds 1855, de limiter, dans la colonie du Waalo, leseffets du decret abolitionniste des constituants de 1848 dont l'application sera restreinteaux seuls "Europens et gens de Saint-Louis". Il ne concerne donc pas les populationsqui viendraient s'tablir dans le comptoir franais. Ces dernires pouvaient d'ailleurslouer leurs esclaves aux victimes du decret d'abolition.Au Sngal cependant, malgr la volont de composer avec les traditions du pays,l'entrave que ces dernires portent la commercialisation d'une force de travail "libre"finit par dcider les autorits coloniales accorder, partir de 1881, la libert toutesclave qui viendrait se rfugier dans un poste administratif.En fait, l'octroi de la libert aux anciens esclaves apparatra souvent davantage li desconsidrations politiques (soustraire ses dpendants un notable qu'on veut "punir")qu' des mobiles essentiellement humanitaires.La cration entre 1887 et 1910 d'une trentaine de "villages de libert" dans l'ensemblede l'Afrique Noire sous domination franaise, l'initiative de la "Socit anti-esclavagiste de France" fonde l'appel du Cardinal Lavigerie en 1888, s'inscrit aussi,

    partiellement au moins, dans cette stratgie, dans la mesure o la plupart de ces villagesavaient surtout l'ambition d'offrir un refuge aux esclaves en fuite de l'arrire paysnomade du Soudan qui n'tait pas encore "pacifi"."Un ordre d'Archinard du 3 Mars 1883 prescrit que les captifs chapps de chez lesMaures et les Touaregs ne soient jamais rendus", crit D. Bouche, qui ajoute :"Ces nomades non seulement sont rputs matres fort cruels, mais ils sont des ennemis

    virtuels et de redoutables agents de dpeuplement des territoires soudanais. Selon unelettre de Trentinian publie dans les docuemnts de Bruxelles, c'est pour cette sorte decaptifs que les villages de libert sont surtout ncessaires."Doubl donc d'une vise politique, voire conomique, l'action humanitaire qui prsideen principe la cration des villages de libert ne connatra cependant qu'un succs fortlimit. Peut-tre la mdiocre rputation de l'institution y est-elle pour quelque choseIls se pourrait bien en effet que les conditions de vie des "captifs du Commandant" -c'est ainsi que les indignes qualifiaient parfois les rfugis des villages de libert -n'aient jamais tellement rien eu envier celle des "esclaves de tente" Toujours est-ilque les demandes de libration, au lendemain de l'occupation par la France du Sudmauritanien (1900-1903), demeurent insignifiantes dans l'ensemble de l'Afrique

    Occidentale Franaise."En 1904, crit D. Bouche, le rapport Poulet estime que dans toute l'AOF, pour2000000 de captifs, le nombre annuel de librations est de 2500 3000 soit o,15%".Il n'empche qu'il y avait l un ferment de changement, un germe de transformation qui,malgr la lenteur de ses effets, devait progressivement conduire un affaiblissementtoujours plus accus de la relation matre-esclave au sein de la socit maure.La colonisation proprement dite de la Maurianie, dfinitivement stabilise partir de1932, donnera, nonobstant le choix en la matire d'une sorte de prudente "indirect rule"

    par l'administration franaise, une timide impulsion au processus d'mancipation desesclaves maures.Son seul impact rapide et visible fut l'arrt de toute opration commerciale ayant pour

    objet des esclaves. Dumoins les caravanes maures ne pouvaient-elles plus en importer

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    des pays noirs limitrophes. Ce qui n'excluait d'ailleurs pas la poursuite de quelques"arrangements" locaux ou familiaux portant sur des transferts de proprit sur des a'bd.En vrit, c'est moins par des mesures directes, concertes et coordonnes, qui ne furent

    jamais prises, que par l'effet dissuasif des positions rputes officiellement anti-esclavagistes de l'administration que le contenu des relations matre-esclave va tre

    lentement affect. Le nouvel environnement global, politique, conomique, social, enMauritanie mme et dans l'ensemble de l'AOF poussait galement dans la voie del'mancipation.

    II - Les transformations rcentes.

    Avec la stabilisation dfinitive de l'occupation coloniale, prend fin l'poque de la razziatribale. L'effet de compartimentage du territoire exerc par la violence guerrire inter-tribale se trouve du coup annihil. Alors qu'il fallait jadis s'assurer des allis pournomadiser hors de son espace tribal, sauf risquer le paiement de lourds tributs oul'enlvement pur et simple de la totalit de ses troupeaux, il devient possible, partirdes annes 30 de se dplacer travers toute la Mauritanie, et mme au-del desfrontires de ce pays, administrativement rattach l'ensemble des colonies de l'AfriqueOccidentale Franaise.Cette mobilit spatiale accrue ne sera pas sans consquences sur les rapportshirarchiques traditionnels. La dcouverte de nouveaux espaces, l'exploration denouveaux contacts offrira des opportunits indites d'vasion des esclaves, en principedsormais protgs, au moins dans le voisinage immdiat du "commandant", dans les

    bourgades cres autour des centres administratifs coloniaux, d'une agressivit tropvisible de leurs anciens matres.La cration de petits ilts de sdentarit autour des postes de commandement tablis parl'administration franaise, outre leur caractre de refuge - pas toujours sr - qui vient

    d'tre voqu, offraient des possibilits d'emploi "urbains" - domestiques, bouchers,boulangers, manoeuvres, - dont les a'bd et hrtn, de part leur statut traditionnel,taient les mieux placs pour tirer parti. Ces bourgades naissantes allaient treessentiellement peuples d'hommes et de femmes de cette couche plus ou moins enrupture de ban.Les coles de villages cres dans la plupart des centres administratifs permettront quelques fils d'esclaves d'acqurir un dbut d'instruction dans un systme ducatifchappant en principe aux exigences de reproduction des statuts traditionnels. Malgr lafaiblesse du nombre d'individus concerns par cette promesse d'mancipation parl'cole - le taux de scolarisation ne dpassait pas 5% au moment de l'accession de laMauritanie l'indpendance (1960), et les esclaves n'taient pas, on s'en doute, les

    premiers en profiter - c'est parmi eux que se recruteront les dirigeants des hartn dela fin des annes 1970.La vague de scheresse qui frappe la Mauritanie partir de 1968-69, en dtruisant parrgions entires les bases cologiques et conomiques sur lesquelles reposait l'dificesocial traditionnel, contribue de manire dcisive acclerer le processus de sparationdes esclaves devenus une charge inutile, de leurs anciens matres, rduits, pour bonnombre d'entre eux, un tat de misre extrme.Au flux migratoire massif en direction des villes (la population urbaine de la Mauritanie

    passe de 33000 en 1950 650000 en 1985) s'est ajoute une vague de sdentarisationsans prcdent. De 2/3 de la population qu'ils taient en 1965, les nomades sont passs 1/3 en 1977, puis 18% en 1988.

    Le bouleversement de la rpartition spatiale de la population mauritanienne qui sedouble d'une comptition accrue autour des derniers espaces agricoles amnageables a

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    mis, dans une large mesure, un terme au tte tte des esclaves isols avec leurs matresdes petits campements nomades, et engendr d'importantes concentrations de hrtn,notamment Nouakchott, porteuse de la promesse (du risque ?) d'une nouvelle identit.La guerre du Sahara (1975-1979) dont le dclenchement a coincid (ne s'agit-ild'ailleurs que d'une coincidence ?) avec le sommet de la crise climatique a conduit un

    accroissement rapide de l'arme mauritanienne qui passe, en l'espace de trois ans, dequelques 3000 hommes plus de 15000. Il semble - il n'y a bien sr aucune statistique ce sujet - que la couche des hrtn ait constitu une des sphres de recrutement les plusimportantes au cours de ces annes. On note galement, ct de cette prsencesignificative des anciens esclaves dans la base de l'arme, l'mergence de quelquesofficiers hrtn ou apparents aux hrtn, dont au moins un a joui, sous le rgimeHaidalla, d'une influence apprciable.L'instabilit politique conscutive au coup d'Etat de 1978, et la plus grande ouverture du

    jeu politique qu'elle signifie, n'a pas t de son ct sans repercussion sur l'volution dustatut servile en Mauritanie.Le mouvement "El Hor" (i. e "l'homme libre"), n dans la foule de l'agitation gauchistedu dbut des annes 70, et qui se veut le porte-parole des hrtn, s'efforcera, avecquelque succs, d'tendre son audience dans cette conjoncture, et surtout de faireentendre sa voix aux autorits issues du coup d'Etat.Le colonel Ould Haidalla, qui dirige le pays de 1979 1984, prouvera le premier le

    besoin de faire un de dbut de place officielle au mouvement des hrtn dans l'arnepolitique. Accul par le Polisario, dont on l'accuse d'tre tribalement proche, faire lapaix avec les combattants sahraouis, Ould Haidalla est contraint de se rapprocher de cequi passait alors pour "le camp progressiste" : l'Algrie, la Lybie et le Polisario. Le 5Juin 1979, il signe un accord de cessez-le feu conduisant l'vacuation par laMauritanie du morceau de Sahara que les accords de Madrid de 1975 lui avaientattribu. Malgr le sentiment de lassitude l'gard de la guerre, la cause sahraoui ne

    jouit au sein de l'opinion mauritanienne que d'une sympathie mitige. Seules les

    communauts noires du sud du pays qui ressentaient avec inquitude le dsquilibreethnique s'accrotre en faveur des Maures du fait de l'largissement du pays vers lenord, voyaient rellement d'un bon oeil le changement de camp adopt par le rgimeHaidalla. Des lambeaux du mouvement des "Kdihn", dont certains compagnons delutte se trouvaient la tte du Polisario, ainsi que la direction d'El Hor, voil du ctmaure, quoi se rduisait, pour l'essentiel, le soutien politique dont jouissait la juntemilitaire de Haidalla. En politique extrieure, Haidalla s'efforcera de maintenir uneapparence de neutralit entre le Polisario et ses protecteurs "progressistes", et le Marocet ses amis "conservateurs" (pays occidentaux et monarchies du Golfe pourvoyeuses decrdits). Une dmarche qui aura ses repercussions sur les mesures intrieures qu'ilsera amen prendre. Pour rpondre aux attentes de la sensibilit El Hor,

    probalblement autant que pour saper les bases d'une jonction qui se dessinait entre lesrevendications de ce mouvement et la propagande des nationalistes noirs, il promulga,le 5 Juillet 1980, une ordonnance abolissant l'esclavage. Toutefois, cette mesure,assortie d'ailleurs d'une clause d'indminisation des propritaires, tait prsente commeune pice d'un dispositif d'ensemble entrant sous le chapeau de l'application de lashar'a, la loi islamique. Emancipaition des esclaves et application du talionLa mesure d'abolition, qui a le mrite de rompre avec une certaine hypocrisie, apparatdavantage, quant ses consquences, comme un constat portant sur l'volution

    prcdemment dcrite que comme un point de dpart d'un processus nouveaud'mancipation.Cependant la participation des hrtn comme force organise autonome la vie

    politique mauritanienne y a trouv une manire de conscration. Depuis, ils n'ont cessde faire sentir leur prsence aussi bien dans l'ersatz de parti unique verticalis cr par

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    les militaires (les Structures d'Education des Masses) que dans le Gouvernement o ilssont rgulirement reprsents depuis 1980 par trois ou quatre Ministres et ScrtairesgnrauxLe conflit base raciale dclench, ou tout le moins fortement soutenu par lesautorits officielles mauritaniennes et sngalaises en Avril 1989, et o les hrtn ont

    jou le rle d'hommes de mains dans les massacres et pillages perptrs Nouakchott etNouadhibou, est venu (provisoirement ?) rappeler la persistance de leur dpendanceidologique et politique l'gard de leurs anciens "patrons". Car c'est en effet dans unerelation de no-dpendance de type patron-client plutt que dans une vritableauotonomie que les hrtn des villes se trouvent pris avec leurs anciens matres. Dansl'arrire-pays rural, ils ont d'ailleurs tir quelque bnfice du conflit l'instant voquen s'installant sur les terrains de culture et parfois dans les habitations que les paysans

    pulaarophones ont t contraints d'abandonner.

    Je conclurai sur ce dernier trait de la dpendance persistante des anciens esclavesmaures malgr les progrs rcemment accomplis sur le chemin de l'mancipation

    juridique. L'volution que j'ai brivement retrace montre l'vidence que l'adoption demesures lgales ne suffit pas elle seule mettre un terme un statut inscrit dans unrseau complexe de rapports conomiques, idologiques, symboliques Dans lemonde rural, les a'bd, mme mancips, restent largement exclus de la propritfoncire, et donc vous des formes de sujtion peine diffrentes de leur conditionantrieure. En ville, ils exercent, en gnral, des mtiers en continuit directe avec leurancien statut : domestiques, manoeuvres, journaliers dans les divers secteurs desactivits urbaines Les consquences dmographiques des bouleversementscologiques des vingt cinq dernires annes ont cependant engendr une conjoncturesociale nouvelle d'o une nouvelle identit hrtn pourrait merger. J'ai soulign leurinfluence grandissante dans la vie politique. Porte par le populisme millnarisantd'inspiration islamique qui parat tre, pour l'instant, le principal outil de recrutement

    idologique dans les bidonvilles de la scheresse, cette influence a toutes les chances decrotre au cours des prochaines annes.

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    Abdel Wedoud OULD CHEIKHProfesseur de SociologieUniversit de NouakchottBP 18 Nouakchott

    Mauritanie.

    PROPOSITION DE RECHERCHESUR L'ESCLAVAGE EN MAURITANIE

    En 1980, le gouvernement mauritanien proclama solennellement l'abolition del'esclavage en Mauritanie.Cette mesure qui avait le mrite de rompre avec une certaine hypocrisie antrieureconsistant nier purement et simplement l'existence du phnomne, n'tait pourtant pasla premire "abolition" que connaissait ce pays.On peut en effet considrer que, sur un plan juridique formel, l'esclavage fut de factoaboli avec la colonisation de ce territoire par la France (1902-1910). On peut de mme

    juger qu'il fut proscrit une seconde fois, lorsque, devenu un Etat indpendant, laMaurtanie ratifia, en 1961, la Dclaration Universelle des Droits de l'Homme des

    Nations Unies.Toutes ces abolitions, et plus particulirement la dernire d'entre elles, tmoignent de lalongue et tenace rsistance de l'esclavage toutes les tentatives institutionnelles visantsa suppression.Les transformations socio-conomiques rcentes (exode rural, sdentarisation eturbanisation sans prcdant), tout en circonscrivant les lieux d'une rsistance tenace,dessinent cependant une configuration qui parait avoir srieusement branl les rapports

    hirarchiques traditionnels.La prsente proposition de recherche vise dcrire et analyser les formes, les lieux etles conditions de survie des rapports esclavagistes d'une part, elle voudrait d'autre partidentifier les voies et les moyens susceptibles de conduire la vritable mancipationdes anciens esclaves que les autorits mauritaniennes disent aujourd'hui vouloir

    promouvoir.

    I - Dmarche propose.

    Quatre directions principales seront retenues dans le cadre de l'enqute.

    1 - Le travail envisag devra prendre pour point de dpart la situation qui prvalaitavant l'abolition de 1980.Que restait-il cette date de l'escalavage dans la socit mauritanienne ? Sur quelsfondements conomiques, sociaux, juridiques reposait cette institution ? Dans quellesacitvits, groupes sociaux, rgions tait-elle le plus massivement observe ? Quellestaient les composantes matrielles, morales, juridiques du statut de servilit ? Quellestaient les possibilits "traditionnelles" d'mancipation des esclaves ?Cette composante de l'tude revtira un caractre essentiellement historique etanthropologique. Elle fera appel la documentation publie, aux archives et desenqutes de terrain au cours desquelles il sera procd des interviews, des recueils

    de biographie de personnes choisies selon des critres de reprsentativit non passtatistiques mais anthropologiques.

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    2 - On sait que l'esclavage tait avant tout un phnomne du monde rural, li destches domestiques, mais surtout l'levage et l'agriculture.Trois enqutes par questionnaire devront tre menes sur la base d'une stratificationrgionale, tribale, et selon que l'on a affaire des nomades ou des sdentaires sur un

    chantillon d'un millier de familles sur:- l'esclavage domestique- l'esclavage chez les eleveurs nomades,- l'esclavage chez les agriculteurs sdentaires.Cette dernire enqute sera en mme temps une investigation plus large sur les

    problmes fonciers, sur l'volution de la lgislation et des pratiques en la matire, enparticulier dans les espaces amnags (oasis, barrages, cultures irrigues) afin dedterminer les formes d'exclusion (et d'accs ) des anciens esclaves de la propritfoncire.

    3 - Dans les agglommrations rcemment gonfles par l'exode rural, plusparticulirement Nouakchott et les capitales rgionales, une enqute sera mene auprsd'un chantillon statistiquement reprsentatif pour dterminer la nature et les formesd'insertion professionnelle des anciens esclaves.

    4 - L'appareil scolaire, et de manire plus large, le systme ducatif tant considrcomme un moyen essentiel de promotion sociale, une enqute est envisage sur l'accsdes enfants des anciens esclaves l'ducation et sur leur destin dans les diffrentestapes des cursus frquents. Cette investigation sera mene sur un chantillonstatistiquement reprsentatif de l'ensemble de l'univers scolaire mauritanien.

    Les conclusions de ces diffrentes enqutes dgageront des recommandations et despropositions destines assurer une application effective de l'ordonnance d'abolition de

    1980.

    II - Moyens humains requis

    1 - 8 sociologues/mois x 4000 $ = 32 000 $2 - 2 statisticiens/informaticiens/mois x 4000 $ = 8 000 $3 - 60 enquteurs/mois x 400 $ = 24 000 $

    III - Moyens matriels .

    1 - 1 vhicule tout terrain avec chauffeur pour 4 mois = 48 000 $

    2 - 1 vhicule de ville avec chauffeur pour 4 mois = 24 000 $3 - Carburant = 3 000 $4 - 1 Macintosh LC = 3 600 $5 - 1 Macintosh Powerbook 170 = 6 000 $6 - 1 imprimante Stylwriter = 600 $7 - Consommable micro-informatique = 1 000 $8 - Frais d'enqute = 3 000 $9 - Divers et imprvus = 23 000 $

    TOTAL =176 200 $

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    II Note sur les problmes fonciers

    La tenure foncire dans la rgion du Gorgol varie en fonction des groupes ethniques.Elle diffre sensiblement selon que l'on a affaire aux Maures ou aux groupes ngro-africains.

    Chez les Maures, qui taient en majorit nomades, la terre tait gnralementconsidre comme une proprit collective tribale. Seuls, en fait, les endroits utiles del'espace territorial de la tribu (points d'eau, terrains de culture) faisaient l'objet d'uneappropriation directe.

    Dans le cas des point d'eau,il s'agissait le plus souvent de l'affirmation d'un droit d'usageprioritaire qui ne visait que trs rarement une exclusion permanent des non-propritaires.

    D'ailleurs la possession dierecte de ces points d'eau entrait elle-mme dans le jeucomplexe des relations de statut et de hirarchie qui liaient les diverses strates d'unemme tribu ou plusieurs tribus entre elles. Ainsi les tribus dites "maraboutiques" qui ontt historiquement l'origine du dveloppement des activits conomiques au sein de lasocit maure taient gnralement propritaires des puits qu'elles avaient difis.Cependant, les tribus guerrires qui imposaient par les armes leur hgmonie auxmarabouts avaient des droits reconnus sur ces mmes amnagements.

    Notons aussi que l'agriculture tait surtout pratique par les esclaves ou les anciensesclaves noirs (haratin) travaillant en partie pour le compte de leurs matres sur uneterre dont ces derniers se considraient en gnral comme les seuls vrais matres.

    Quant aux ressources naturelles du milieu, elles taient galement accessibles tous,

    bien que l'inscurit endmique de l'poque prcoloniale ait constitu un srieux frein la libre circulation des nomades.

    Chez les pulaarophones, il convient de distinguer la situation qui prvaut parmi lescultivateurs sdentaires des bords du fleuve des rgles qui rgissaient le rapport laterre chez les peuls nomades bien qu'il ne soit pas rare que des dtenteurs de champs sur

    berges (oualo) soient en mme temps des leveurs.

    Les terres dites de oualo, celles qui taient rgulirement inondes par les crues dufleuve Sngal, sont, en rgle gnrale, possdes d'assez longue date par des lignagesdont certains font remonter leurs droits des conqutes ou donations effectues sous le

    rgime des Dniankob qui contrlrent, dans une demi-anarchie, la majeure partie duFouta Sngalo-mauritanien entre le XVII et le XVIII s.

    Il semble cependant que le droit foncier traditionnel des cultivateurs toucouleur desbords du fleuve tel que la colonisation franaise l'a trouv, et tel qu'il imprgne encoreles pratiques foncires actuelles soit surtout un hritage du mouvement rformateurmusulman des tooroob qui institua, partir de la fin du XVIII s., un rgime politiqueinspir des rgles de l'islam.

    Les coutumes issues de cette rforme distinguent deux catgories de terre :- les terres dites "bayti" qui constituent le domaine de la communaut musulmane, et

    - les terres dites "njeyaandi" ou terres sur lesquelles sont exercs des droits de proprit.

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    Ces deux catgories de terre peuvent tre concdes titre prcaire un cultivateurindividuel selon diverses modalits. Dans ce cas, la terre sera dite "leydi njimaandi",c'est--dire terre sur laquelle s'exerce un droit minent qui se superpose celui del'usufruitier.

    Nous ne donnerons pas ici le dtail de tous les droits que les usufruitiers versaient auxmatres des terres ou leurs agents. La plupart des droits attachs au domainemusulman taient d'ailleurs dj privatises et aux mains de quelques notables locauxou bien taient tombs en dsutude au moment de l'occupation franaise.

    Ce qu'il importe de souligner, c'est le caractre demeur jusqu' prsent trs fortementcommunautaire de la gestion de la terre chez les toucouleurs et soninks et l'imbricationde cette gestion avec la hirarchie sociale traditionnelle (de statut, de sexe, d'ge). Acet gard, la tenure foncire traditionnelle prsentait les caractristiques suivantes :

    - chaque membre mle de la communaut a le droit de possder une part du biencommun. Sauf le cas exceptionnel de conventions diffrentes, cette part esttransmissible aux hritiers mles; en l'absence d'hritiers mles, elle fait retour au biencommun.

    - personne ne peut aliner la part qu'il possde hrditairement, ou dont il disposecomme chef.

    - la femme sans ressources a droit droit une part du bien commun, mais titreprovisoire. Elle ne peut ni en recevoir ni en transmettre par hritage.

    - les conflits survenant propos de la terre taient rgls, non par les cadis, ni par lesdlgus du souverain, mais par le chef de la collectivit, assist, s'il y a lieu, par les

    notables.

    Quant aux Peul nomades de la zone du projet, leur rapport la terre tait empreint de lamme prcarit que celles qui caractrise le systme domanial des pasteurs maures. Eneffet la plupart des groupes peul sur lesquels reposait l'hgmonie des Denyankob aunord du fleuve Sngal, paraissent, la fin du XVIII s., avoir perdu leur cohsion

    politique et militaire. L'inscurit entretenue par la razzia maure les obligeaprogressivement traverser le fleuve. C'est seulement au lendemain de l'installation del'administration franaise ( partir de 1890), quand de nouvelles conditions de scuritfurent instaures, que les Peul, ainsi d'ailleurs que de nouveaux tablissementssdentaires toucouleur purent de nouveau commencer s'tablir au nord du fleuve

    Sngal.

    Cette installation raviva des droits anciens et/ou contribua affermir une emprisefoncire nouvelle au profit de communauts dont la prsence s'tendait ainsi, parddoublement, aux deux rives du Sngal. La ville de Lixeiba a t fonde entre 1890et 1915 par des immigrants en provenance de Dabia (au Sngal). Parfois ce sont desvillages entiers qui ont dmnag de la rive sngalaise vers la rive mauritanienne.Garli, Siv, Koundil-Ro, Diovol, Guiraye-Ro, Sylla-Rindiao, Sinthiou-Boumaka,

    Nr oprent en totalit ou en partie ce dplacement entre 1900 et 1910. Un peu plustard, d'autres communauts s'tablissent dans le proche arrire-pays fluvial du Gorgol :Ouloum-Nr est fond vers 1910 par des immigrants de Nr-Oualo, Diok en 1922

    par des originaires de Ndiafane, Nreyel vers 1940 par des gens issus de Diamel-Ebiab. Timbr-Dyingu, Talhaya, Mafoundou, Leboudou Barogal, Aouinat, etc, sont

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    fonds entre 1903 et 1931 dans le mme mouvement. La remonte des pasteurs peulprovenant de la rive gauche du Sngal en direction des pturages du nord du Gorgol sepoursuivait encore la fin des annes 1960 lorsqu'elle fut brutalement stoppe par lascheresse et ses consquences.

    Nombre d'habitants de tous ces villages possdaient des terrains de culture au sud du

    fleuve Sngal. En sens inverse, plusieurs centaines de paysans tablis au nord duSngal exploitaient des champs situs sur la rive mauritanienne du Fleuve.

    Les remarques qui prcdent ont trait pour l'essentiel l'emprise foncire traditionnelletelle qu'elle prexistait la colonisation franaise. Celle-ci a exerc une influence nonngligeable la fois sur les hirarchies sociales et sur les pratiques juridiques des

    populations colonises. Elle a, en particulier favoris une certaine mancipation desesclaves et contribu l'amorce d'un processus d'individualisation de la propritfoncire agricole. Elle a "libr" le mouvement de nomadisation des entravesscuritaires que l'tat de guerre gnralis antrieur faisait peser sur lui, et accru ainsi lamobilit des pasteurs dans une aire territoriale o la multiplication des foragesadministratifs dpossdait de plus en plus les hgmonies locales de leur principal outild'intervention : le contrle des puits.

    Cette volution a t puissamment acclre par la rcente vague de scheresse qui aboulevers la rpartition spatiale des populations mauritaniennes. Au flux migratoiremassif en direction des villes (la population urbaine de Mauritanie passe de 33000 en1950 650000 en 1985) s'est ajoute une vague de sdentarisation sans prcdent : de2/3 de la population qu'ils taient en 1965, les nomades sont passs 1/3 en 1977, puis 15 % en 1988 La scheresse a aussi largement perturb les circuits traditionnels denomadisation et pouss des groupes entiers, notamment les nomades des rgionsseptentrionales et occidentales compltement desertifies, fuir leur espace detranshumance habituel. Bon nombre de ces groupes se sont retrouvs ou se retrouvent

    priodiquement dans la rgion du Gorgol.

    C'est l'ensemble de ces facteurs que la lgislation foncire mauritanienne post-coloniales'efforce de prendre en compte.

    De 1960, anne de l'indpendance, 1983, cette lgislation s'exprime principalement travers la loi n 60-139 du 2 Aot 1960. Celle-ci reconnat les droits foncierscoutumiers collectifs et individuels l o ils sont confirms par une "emprise vidente et

    permanente" sur le sol. (Art. 3 et 4), juge l'existence de constructions compltementtermines, (de) plantations cultures ou puits" (Art. 6). Les droits coutumiers peuventtre suspendus pour cause d'utilit publique et "une juste compensation" (Art. 9).

    Paralllement la confirmation des droits coutumiers, la loi de 1960 affirme l'existenced'un domaine de l'Etat constitu par les "terres vacantes et sans matre" (Art. 1er).Seront dites vacantes, les terres o il n'y a ni constructions, ni cultures, ni plantations, ni

    puits; mais galement "les terres non immatricules ou non concdes en vertu d'un actede concession rgulier, qui sont inexploites ou inoccupes depuis plus de 10 ans" (Art.1er).

    Les dispositions ainsi fixes ne rompaient en fait gure avec la pratique en vigueur sousl'administration franaise. La rupture appele par les bouleversements conomiques etsociaux prcdemment voqus procdera, dans sa forme lgale, de la rforme foncirede 1983 exprime dans dans l'ordonnance 83 127 du 5 Juin 1983 et ses decrets

    d'application (Decret n84 009 du 19 Juin 1984 modifi par le Decret n 90 020 du 31Janvier 1990).

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    Dans leur vise principale, ces textes s'efforcent la fois de promouvoir uneindividualisation accrue de la proprit foncire et l'ajustement de la lgislationmauritanienne en la matire aux rgles dictes par l'islam.

    L'ordonnance du 5 Juin 1983 stipule (Art. 3) : "Le systme de la tenure traditionnelle dusol est aboli". L'Article 6 prcise, l'encontre des droits collectifs antrieurs, que"l'individualisation est le droit". L'ordonnance s'en prend de manire plus prcise aux

    points d'encrage de la revendication d'appropriation collective dans les zones o dominele nomadisme : les puits. Elle affirme, Art. 22, "Tous puits et forages situs en dehorsdes proprits prives sont dclars d'utilit et d"usage public". Toutes les terres"vacantes et sans matre", soustraites en principe au droit collectif traditionnel, sontaffectes au domaine de l'Etat.

    Il convient en ralit de nuancer trs fortement la porte des transformationsformellement inscrites dans la nouvelle lgislation. Alors que son orientation dominantesemblait vouloir encourager une privatisation juge salutaire, elle n'avait de cesse enmme temps d'ouvrir de nouvelles portes lgales la perptuation de la proprit tribalelorsqu'elle affirme, par exemple, que les "immatriculations foncires prises au nom deschefs et notables sont rputes avoir t consenties la collectivit traditionnelle derattachement" (Art. 5 de l'Ordonnance), ou quand tablit un "espace vital desagglommrations rurales" (Art. 23) qui n'appartient ni au domaine de l'Etat ni audomaine des privs

    Nous avons suggr dans le corps du rapport que cette notion "d'espace vital" devrait,dans le cadre d'un largissement futur des activits du projet CVK, tre mise profit envue de promouvoir une lgislation villageoise en matire de protection du patrimoinesylvicole. L'tude juridique confie par le projet un consultant a par ailleurs indiqu

    les voies actuellement ouvertes aux diverses procdures de cession des lots de la CVKaux bnficiaires. Nous n'y reviendrons pas.

    En guise de conclusion ces quelques observations sur l'volution de la lgislationfoncire mauritanienne, nous aimerions souligner les limites de son application.L'hritage social et historique antrieur continue en fait dterminer, dans une largemesure, le comportement des individus et des groupes. Mme s'il existe un outillgislatif qui peut, au besoin, tre mobilis contre l'hgmonie exclusive desdispositions coutumires, il conviendra de ne pas ngliger, dans chaque cas particulier,l'analyse de la configuration "traditionnelle" qui prvaut localement.Retenons enfin que depuis 1989, anne des affrontements raciaux sanglants

    Nouakchott, l'accroissement des tensions ethniques a rendu encore plus complexe lagestion d'une participation collective des populations la sauvegarde et laregnration de leur milieu. Plusieurs villages peul et toucouleur ont perdu leurshabitants, et ont t parfois entirement repris par des groupes de "rapatris". D'autresont vu quelques-uns de ces mmes groupes s'tablir dans leur voisinage immdiat etleur contester tout ou partie de leurs droits antrieurs sur les espaces naturels qu'ilsexploitaient. D'une manire gnrale, les exactions et pressions dont ont t victimes les

    populations ngro-africaines de la rgion ont contribu fragiliser leur emprise fonciresur les espaces villageois qu'ils estimaient ordinairement relever de leur autorit,comme elles ont rendu plus ardue toute participation collective de ces populations desactions de dveloppement, l o elle doit revtir un caractre multi-ethnique.