LataxeTobin

67
Gymnase de la Cité Travail de maturité 2001-2002 Sous la direction de Agnès-Valérie Bessis La taxe Tobin Point de départ d’une réflexion sur le système monétaire international Antonin Danalet <[email protected]> Lausanne, 2002

Transcript of LataxeTobin

Page 1: LataxeTobin

Gymnase de la CitéTravail de maturité 2001-2002

Sous la direction de Agnès-Valérie Bessis

La taxe TobinPoint de départ d’une réflexion sur le système

monétaire international

Antonin Danalet<[email protected]>

Lausanne, 2002

Page 2: LataxeTobin

Table des matières

1 Introduction 4

2 Qu’est-ce que la taxe Tobin ? 62.1 Le marché des changes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

2.1.1 Historique du marché des changes . . . . . . . . . . . . 82.1.2 Le marché des changes aujourd’hui . . . . . . . . . . . 12

2.2 L’origine de la taxe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192.2.1 Biographie de James Tobin - Sa proposition . . . . . . 192.2.2 La réinterprétation du projet dans les années 1990 . . 22

3 Les limites de la taxe 273.1 Théorie et rôle supposé de la taxe : en quoi la taxe Tobin

pourrait résoudre certains dysfonctionnements du SMI . . . . 273.1.1 Accroissement de l’autonomie de la politique monétaire 283.1.2 Diminution de la volatilité . . . . . . . . . . . . . . . . 283.1.3 Les revenus de la taxe . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29

3.2 Les limites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 323.2.1 Les problèmes de mise en oeuvre . . . . . . . . . . . . 323.2.2 La gestion des recettes . . . . . . . . . . . . . . . . . . 323.2.3 Une efficacité contestée - est-ce vraiment un rempart

contre les crises ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 333.2.4 Les dangers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34

4 Pour aller plus loin... 384.1 Autres possibilités de réforme . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38

4.1.1 La Cross Border Capital Tax (CBCT) . . . . . . . . . 384.1.2 Le dépôt obligatoire chilien . . . . . . . . . . . . . . . 394.1.3 Les réflexions actuelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40

4.2 La taxe Tobin comme symbole . . . . . . . . . . . . . . . . . 414.2.1 Attac et la lutte anti-mondialisation . . . . . . . . . . 42

4.3 Bilan de ma rencontre avec M. Lestiboudois . . . . . . . . . . 44

5 Conclusion 45

2

Page 3: LataxeTobin

TABLE DES MATIÈRES 3

Bibliographie 47

Table des abréviations 49

Table des figures 51

Annexes 52

Page 4: LataxeTobin

Chapitre 1

Introduction

La taxe Tobin est une taxe d’un taux faible sur les opérations d’achatet de vente de devises. Elle a été proposée en 1972 par James Tobin, prixNobel d’économie, et est restée depuis au stade de projet. Elle n’a jamais étémise en place, mais depuis 1997 et suite à un article du monde diplomatique,elle connaît un succès extraordinaire, en particuliers dans la presse et dansles mouvements dits anti-mondialisations, et donne lieu à un débat souventpassionné.

Face à un succès grandissant, on se doit de se demander pourquoi la taxeTobin a créé un tel mouvement, une telle ferveur populaire. Car la taxe Tobinne semble pas révolutionnaire - bien que certains veuillent la faire passer pourtel -, elle est avant tout technique et, dans ses objectifs initiaux, modeste. Ily a donc d’autres raisons.

Tout d’abord, le retour sur le devant de la scène de la taxe Tobin estun phénomène conjoncturel. A partir du début des années 1990, on a vu sedéclencher des crises de change. Cela explique peut-être le regain d’intérêtdes spécialistes, mais pas celui du grand publique. Il y a donc une autre rai-son : la taxe Tobin rapporterait de l’argent, beaucoup d’argent. Le volumedes transactions sur le marché des changes a doublé entre 1989 et 1995 (pourensuite baisser en 2001). En 1998, le volume des échanges était 60 fois su-périeur à celui des opérations du commerce extérieur de biens et de serviceset s’élevait à environ 1500 milliards de dollars. Une taxe, même d’un tauxfaible, rapporterait donc beaucoup d’argent. Le public y a vu une nouvellecorne d’abondance. De plus, elle taxe les spéculateurs, généralement mal vus,et apparaît comme une version moderne de Robin des bois, volant aux richespour donner aux pauvres. On se rapproche donc d’une dernière raison. Lataxe Tobin est vite devenue un symbole, une sorte de mythe fondateur de lalutte contre "les seigneurs du capital mondialisé"1. Elle cristalise des luttes

1Utilisé par J. Ziegler dans son livre. Synonyme de "maîtres du monde", "pirates deWall Street" ou "mercenaires de l’OMC et du FMI", utilisé dans le même livre :

4

Page 5: LataxeTobin

CHAPITRE 1. INTRODUCTION 5

idéologiques profondes et remet en cause certains acquis. Elle s’oppose doré-navant à la mondialisation financière. "Le succès de la taxe Tobin ne vientdonc pas tant de ce qu’elle est mais de ce qu’elle représente : une arme clé,au coeur du dispositif anti-mondialisation"2.

La raison de mon choix quant au sujet de ce travail peut s’expliquer parune sensibilité "de gauche", un intérêt pour l’économie et pour la presse - caril faut bien dire que la taxe Tobin fait avant tout parler d’elle par la presse- mais pas seulement. Les raisons sont plus spécifiques à la taxe Tobin. Elleoffre bon nombre d’intérêt que je me propose d’exposer ici.

Tout d’abord, la taxe Tobin est intéressante à cause des ses multiplesfacettes, qui sont autant de domaines qu’elle touche. Elle est avant tout unproblème économique, mais elle fait aussi parler d’elle dans la sphère poli-tique, dans la presse sans oublier son important aspect social et symbolique.Ensuite, la taxe, peut-être de part le fait qu’elle représente une lutte idéo-logique, est entourée d’un certain flou. En effet, bon nombre d’articles surla taxe Tobin ne font que survoler le problème sans même tenter de l’expli-quer. La taxe Tobin apparaît donc comme une sorte de solution absolue auxproblèmes du monde. L’association Attac n’est guère plus précise dans lesdocuments qu’elle distribue, par exemple à l’entrée du gymnase. Cela m’adonc amené à me demander ce qu’il en était réellement.

Lorsque l’on sait pourquoi il y a un tel soutien derrière la taxe Tobin, onaperçoit deux approches différentes du sujet. En premier lieu, la taxe Tobinpeut être étudiée de manière objective, purement technique, et ensuite, onpeut voir dans la taxe un symbole, un mythe fondateur.

L’aspect emblématique de la taxe du prix Nobel et la controverse à la-quelle elle donne lieu rendent difficile une approche objective. C’est pourtantce que je vais essayer de faire dans un premier temps dans ce travail. Il s’agitavant tout de définir le domaine d’action de la taxe. Ce dernier, le systèmemonétaire international (SMI), mérite une grande attention, car il permetensuite de mieux cerner les objectifs et les mécanismes de la taxe Tobin. En-suite, j’essaierai de situer l’origine de la taxe, puis ses limites. Finalement,je tenterai d’"aller plus loin" et de survoler quelques autres projets prochesdans leurs objectifs ou leur forme de la taxe Tobin.

Mais l’aspect symbolique de la taxe ne doit pas être oublié. C’est à cesujet que sera consacré un des derniers chapitres, lui-même suivi du résuméde ma rencontre avec M. Lestiboudois, professionnel du marché des changes,qui me donnera son avis sur le sujet pour conclure avec une analyse plusconcrète.

ZIEGLER (Jean). - Les nouveaux maîtres du monde, et ceux qui leur résistent. - Fayard,2002.

2JEGOUREL (Yves). - La taxe Tobin. - Paris : La Découverte, 2002.

Page 6: LataxeTobin

Chapitre 2

Qu’est-ce que la taxe Tobin ?

Proposée en 1972 par James Tobin, soit une année après l’abrogation parNixon du système de taux de change fixe instauré par les accords de BrettonWoods, la taxe éponyme est une taxe d’un taux faible (environ 0.003 à 0.25% selon les auteurs, et jusqu’à 1 % pour James Tobin) prélevée de façonuniforme sur les opérations d’achat et de vente de devise sur le marché deschanges.

Cette taxe, inspirée de Keynes, pour qui l’accès à la bourse devait êtrepayant et qui soutenait l’idée d’une "lourde taxe d’Etat frappant toutes lestransactions", ce qu’il considérait être "la plus salutaire des mesures per-mettant d’atténuer aux Etats-Unis la prédominance de la spéculation surl’entreprise", avait pour objectif premier d’accroître l’efficacité des politiquesmonétaires, du fait qu’elle réduirait les mouvements de capitaux provoquéspar les écarts de taux d’intérêt entre les pays et que ses revenus pourraientêtre utilisés par les banques centrales pour défendre leur monnaie.

En 1977, James Tobin, alors conseiller de J. F. Kennedy, y consacra latotalité de son exposé présidentiel. Elle fut pour ainsi dire complètementignorée, jusqu’au début des années 1990, époque à laquelle la succession descrises de change fit prendre conscience que les marchés financiers ne s’auto-régule pas toujours. L’idée d’une taxe de type Tobin ressurgit donc et semblaêtre une solution simple aux problèmes complexes que sont les dysfonction-nements du système monétaire international (SMI) comme la volatilité1 ex-cessive des marchés ou l’instabilité financière internationale. Il semble doncnécessaire, avant d’aller plus loin, d’étudier le fonctionnement du marché deschanges et du SMI, leur évolution, ainsi que leurs faiblesses.

1"Fluctuations d’un cours sur un marché (...)." (Frédéric TEULON. Vocabulaire mo-nétaire et financier. Paris : PUF, coll. "Que sais-je ?", 1991).

6

Page 7: LataxeTobin

CHAPITRE 2. QU’EST-CE QUE LA TAXE TOBIN ? 7

2.1 Le marché des changes

Une des principales origines de l’idée de taxer les opérations de changevient de l’état actuel du marché mondial des changes. Depuis les années1990, ce marché est caractérisé par des crises de change, par une volatilitédes cours et par l’explosion du volume des échanges.

Le marché des changes est, comme son nom l’indique, le marché où l’onéchange des devises étrangères, ou plus précisément des lettres de change2

libellées en monnaies étrangères. Les "prix" de la monnaie, comme sur toutautre marché, fluctuent en fonction de l’offre et de la demande. Les fac-teurs affectant l’offre et la demande sont le commerce international, les tran-sactions sur le capital physique (investissements directs à l’étranger) et lesplacements sur les marchés financiers et dans les banques ou à la bourse.

Ainsi, en prenant l’exemple des échanges entre la Suisse et l’Angleterre,lorsque la Suisse exporte plus qu’elle n’importe, les lettres de changes libellésen francs sont abondantes sur le marché londonien et peu demandées, lesimportateurs anglais étant peu nombreux. Il en résulte que le cours du francbaisse à Londres, il se déprécie. A l’opposé, les lettres de change libellées enlivres sont rares sur le marché suisse. Il en découle que la livre s’apprécie. Onremarque ainsi le lien entre la balance des paiements d’un Etat et le taux dechange de sa monnaie.

Cet exemple est uniquement valable dans un système de changes flot-tants, comme l’est le système monétaire international (SMI) actuel. Le choixd’une monnaie, l’investissement à l’étranger, et donc la création d’une de-mande sur le marché est influencée par les taux d’intérêt, les fondamentaux(les données de base de l’économie : croissance, inflation, déficits publics,coûts de production, politique monétaire, ...) et les anticipations (à courtterme), vraies ou fausses.

Par exemple, lorsqu’une politique monétaire est considérée comme moinsrigoureuse par rapport aux conditions du marché, les opérateurs internatio-naux anticipent une détérioration de la situation économique, comme uneaccélération de l’inflation. Ils vont donc rapatrier une partie de leurs fondset vendre des francs, ce qui va se conclure par une dépréciation de ce der-nier. De même, une baisse des taux d’intérêt est généralement suivie d’unedépréciation de la monnaie, et inversement. Si plusieurs de ces facteurs dé-favorables s’accumulent et que les acteurs du marché perdent leur confiance,le marché entre dans ce que l’on appelle une crise monétaire.

On pourrait croire en lisant cette définition du marché des changes qu’ils’autorégule, ou du moins, que la baisse ou la hausse du cours d’une monnaie

2"Effet de commerce transmissible, par lequel un créancier demande à son débiteur delui régler la somme qu’il lui doit, à son ordre ou à celui d’un tiers." (Ibid.).

Page 8: LataxeTobin

CHAPITRE 2. QU’EST-CE QUE LA TAXE TOBIN ? 8

dépend de facteurs liés uniquement à la situation économique du pays. Cen’est malheureusement pas toujours le cas.

Dans les conditions actuelles, où 1 200 milliards de dollars sont échan-gés chaque jour sur le marché des changes3 et où les informations circulenttrès rapidement, des indices favorables peuvent créer, chez les spéculateurs,une confiance non fondée. Les spéculateurs sont convaincus de l’appréciationd’une monnaie, et comme la demande augmente, la monnaie s’apprécie et lesanticipations sont confirmées, de sorte que la confiance des spéculateurs estrenforcée. Les spéculateurs continuent donc d’acheter, sans changement dansl’économie du pays. On observe un effet "boule de neige", un mouvement demasse, et le taux de change augmente rapidement.

C’est ce qu’on appelle une bulle spéculative, et comme toute bulle, elleest vouée à éclater. Lorsque les investisseurs prennent conscience de la si-tuation, ils vendent précipitamment, et la chute est rapide et, généralement,la monnaie plonge en dessous de sa valeur initiale. Il faut souligner que lesbulles spéculatives sont des phénomènes passagers et ponctuels et que, miseà part lors de ces événements, les spéculateurs ont tendance à stabiliser lemarché, en tendant vers le prix d’équilibre. Ces bulles spéculatives ont aussilieu sur d’autres marchés, comme par exemple lors de la crise asiatique, oùl’on a observé une surélévation des valeurs boursières.

2.1.1 Historique du marché des changes

Le marché des changes a évolué à travers le temps et n’a pas toujours eula forme qu’on lui connaît aujourd’hui : un marché ouvert 24 heures/24, mon-dialisé, complètement dérégulé (sans aucun contrôle de change), fonctionnanten temps réel et dont le volume des transactions est énorme. L’histoire mo-nétaire de l’après-guerre peut être résumée en trois dates-clés.

1944 Les accords de Bretton Woods

Signés aux Etats-Unis en 1944, ils constituent un ensemble cohérent etefficace basé sur un système de parités fixes face à l’or. Chaque pays adhérentdevait définir la parité de sa monnaie soit directement par rapport à l’or, soitpar rapport à une monnaie convertible en or et défendrent cette parité. Ilsavaient donc l’interdiction de laisser fluctuer librement leur monnaie au-delàde marges minimes (1%) de part et d’autre de cette parité déclarée et de mo-difier unilatéralement la parité de leur monnaie. Autrement dit, ils avaientl’obligation, si les cours du marché s’écartaient de ces parités, d’intervenirsur leur monnaie.

3Source : BANK FOR INTERNATIONAL SETTLEMENTS. - Triennal Central BankSurvey, Foreign exchange and derivatives market activity in 2001. - BIS, 2002.

Page 9: LataxeTobin

CHAPITRE 2. QU’EST-CE QUE LA TAXE TOBIN ? 9

Ces mêmes accords prévoient la création d’un organe essentiel au nou-veau système, le Fonds Monétaire International (FMI), destiné à accorderdes prêts aux pays membres et financé par des quotas versés pour un quarten or ou en dollars et pour le reste en monnaie nationale par chaque pays,en fonction de sa richesse. Chaque décision du FMI exige 80 % des voix, cequi donne aux Etats-Unis, représentant 23.1 % des voix car versant 23.1 %des quotas versés, un droit de veto.

Ce système est principalement inspiré des thèses du représentant desEtats-Unis, l’économiste White, qui s’opposa, lors de la conférence, à Keynes,représentant le Royaume-Uni, qui voulait créer une autorité monétaire mon-diale, l’Union de compensation (Clearing Union) et une monnaie internatio-nale, le bancor.

Le système proposé par White avantage les Etats-Unis. En effet, le dol-lar étant une des seules monnaies convertibles (à l’extérieur au taux de 35$ l’once depuis 1934) et en tout cas, l’unique monnaie de réserve possible,il devient dès lors la monnaie internationale par excellence. Mais contraire-ment au bancor, il n’est pas émis par une instance internationale, mais parles Etats-Unis. Ce système finit de consacrer la suprématie de ces derniers,qui après la Guerre (en 1944) détenaient les 2/3 des réserves mondiales d’or,et lie le système de Bretton Woods à la santé du dollar, et donc à la balancedes paiements américaine.

Le choix d’un système de parités fixes s’explique par la volonté d’aiderle commerce international après la Guerre. La confiance était ainsi restauréeaprès les politiques de dévaluation compétitive des années trente et le systèmede Bretton Woods a ainsi fourni de bons résultats pendant quinze à vingtans, où l’on a pu noter une faible inflation et une croissance de la productionet des échanges internationaux, dus en partie à un régime des parités fixesancré à une monnaie américaine saine.

1958 Le rétablissement de la convertibilité

La convertibilité d’une monnaie désigne la possibilité, pour les non-résidents,de transférer cette monnaie en monnaie étrangère (convertibilité externe) et,en ce qui concerne les résidents, celle de céder leur monnaie contre des de-vises étrangères pour des opérations commerciales ou financières ou pour desdépenses touristiques (convertibilité interne).

C’est à partir de 1958, favorisé par le bon fonctionnement du système deBretton Woods, que les monnaies des dix pays les plus riches sont à nouveauconvertibles. Concrètement, cela signifie que les banques commerciales nesont plus tenues de céder les devises qu’elles détiennent à leur banque centraleet que les particuliers peuvent se procurer n’importe quelle devise convertible.

Page 10: LataxeTobin

CHAPITRE 2. QU’EST-CE QUE LA TAXE TOBIN ? 10

Cette évolution est indispensable à la libération des échanges et a com-mencé dès 1947 en Europe, par la signature d’accords multilatéraux permet-tant à un pays de compenser le déficit de ses échanges avec un pays à l’aidedes excédents qu’il avait pu réaliser avec un pays tiers, puis, en 1950, par lacréation de l’Union européenne des paiements.

Ensuite, durant les années 1950, la convertibilité s’est établie petit àpetit. Tout d’abord, la convertibilité interne a été limitée aux paiementscourants, puis la convertibilité s’est étendue à toutes les opérations écono-miques, y compris celles en capital. Elle permet ainsi aux résidents de seprocurer librement des devises sur le marché des changes et d’en disposersans contrainte.

De plus, c’est à partir de cette même année 1958 que les Etats-Unisenregistrent un déficit très important de leur balance des paiements, déficitqui ne cessera plus de croître par la suite.

Ce déficit créa un marché fortement spéculatif, celui des eurodollars. Leseurodollars sont des avoirs libellés en dollars circulant à l’extérieur des Etats-Unis, et échappant ainsi à la réglementation bancaire américaine. Ils étaientplacés dans des banques européennes pour profiter de leur taux d’intérêtplus élevé que celui des banques américaines. Ils représentent la plus grandepartie des déficits cumulés des balances globales des paiements des Etats-Unis depuis la guerre, une faible partie de ces déficits étant réglée en or.

La croissance des eurodollars fut extrêmement rapide, et bientôt la va-leur des eurodollars en circulation fut plus élevée que la valeur des stocksaméricains d’or, comme le montre le tableau de la figure 2.1.

1971-73 Abolition des Accords de Bretton Woods

Le système de Bretton Woods était fortement lié à la monnaie américaine.Ainsi, il fonctionna correctement jusqu’à ce que les Etats-Unis enregistrentun déficit de leur budget et de leur balance des paiements, particulièrementpendant la Guerre du Vietnam.

Tout le système était basé sur la confiance qu’inspirait le dollar, et puis-qu’il était convertible en or, sur le rapport entre l’encaisse or des Etats-Uniset la masse des eurodollars. Ainsi, lorsque l’encaisse or des Etats-Unis devintnettement inférieure à la masse des eurodollars en circulation, la confiancebaissa. Tout d’abord, les particuliers et les entreprises détenant des eurodol-lars les convertirent en or au taux légal, ce qui fit baisser l’encaisse métalliqueaméricaine et aggrava la situation. Puis les banques centrales demandèrentla conversion de leur réserve d’eurodollars en or. Les Etats-Unis, n’ayant pasl’encaisse or nécessaire, se virent forcer de suspendre la convertibilité en ordes eurodollars au taux légal.

Le régime de Bretton Woods va se disloquer en deux temps. Le dimanche

Page 11: LataxeTobin

CHAPITRE 2. QU’EST-CE QUE LA TAXE TOBIN ? 11

15 août 1971, Richard Nixon, refusant de dévaluer le dollar, annonce la finde la convertibilité du dollar en or et ainsi la fin de l’étalon de change-or.Désormais, le dollar flotte à la baisse sur les marchés. Il faudra alors attendredeux ans pour que la fixité des changes soit abandonnée. Ce sera le 11 mars1973 que les ministres des Finances des pays européens, les derniers à setenir à des taux de change fixes, décidèrent du flottement commun de leurmonnaie.

Fig. 2.1 – Le gage métallique des eurodollars

Source : J. Bourget, Y. Zenou, Monnaies et systèmes monétaires dans le Monde au 20e siècle4.

En 1976, les accords de la Jamaïque légalisèrent les changes flottants etmodifièrent les statuts du FMI, complètement obsolète dans un système dechanges flottants.

Ainsi, le nouveau système était totalement détaché de l’or, qui n’estplus qu’une marchandise. Les réserves d’or du FMI sont rendues à hauteurd’1/6ème aux banques centrales et les 5/6ème restants sont vendus et utiliséspour l’aide au pays en développement.

Le rôle du FMI, quant à lui, est modifié. Il continuera à accorder descrédits aux pays en difficulté, mais en plus devient l’émetteur des droits detirages spéciaux (DTS), une monnaie de réserve internationale, inventée en1969 et dont la valeur est fixée en référence à un panier de monnaies5. LeFMI commence aussi à prêter aux pays pauvres à des taux avantageux enempruntant aux pays riches, mais en imposant aux pays aidés des politiquesd’austérité (ce qu’on appelle des ajustements structurels), parfois mal sup-portées.

5Pour plus de détails, voir sous DTS dans la table des abréviations, p. 49.

Page 12: LataxeTobin

CHAPITRE 2. QU’EST-CE QUE LA TAXE TOBIN ? 12

2.1.2 Le marché des changes aujourd’hui

Aujourd’hui, le marché des changes, qui n’existait pour ainsi dire pasavant 1958, a pris une place énorme. Il est le plus grand des marchés fi-nanciers, car indispensable au commerce et à la finance internationale. Ilfonctionne 24 heures sur 24 et de gré à gré, c’est-à-dire que les transactionssont effectuées par téléphone, directement entre les intervenants, et que lemarché n’est pas localisé géographiquement.

Le SMI est caractérisé, depuis le début des années 1990, par l’explosiondu volume des échanges, par une instabilité des cours et par une succession decrise de change, et beaucoup d’auteurs d’entendent pour dire qu’une réformeest plus que nécessaire et que, depuis 1971, le système est à la recherched’un nouvel ordre mondial. Nous allons tenter maintenant de comprendreson fonctionnement et surtout ses faiblesses.

Son fonctionnement

Le marché des changes n’est pas localisé géographiquement. Il prend laforme d’un réseau électronique mondial où se rencontre toutes les offres etles demandes. Voici un exemple pour mieux cerner son fonctionnement.

Tout d’abord, un utilisateur final (une entreprise, une multinationale, unexportateur, un importateur, un fonds de pension, etc...) désire acheter (ouvendre) 100 millions de dollars. Il contacte sa banque et demande le coursvendeur pour la quantité désirée. La banque lui offre un prix (p. ex. 1.49$ / FFS) auquel elle est disposée à lui vendre 100 millions de dollars. Latransaction s’effectue.

La banque doit maintenant s’adresser à d’autres banques ou à un courtierpour couvrir sa vente. Elle doit acheter les 100 millions qu’elle s’est engagéeà vendre. Elle va donc acheter par exemple dix fois 10 millions de dollars à 10intervenants différents, en se ménageant une petite marge pour racheter lesdollars qu’ils se sont engagés à vendre à la banque. Chaque courtier, brokerou banque va donc se tourner vers des market makers ou des spéculateursprêts à prendre le risque de contrepartie. La plupart des market makerscouvrent également leurs positions après avoir pris une marge.

Le phénomène est extensif et il n’est pas impossible qu’une somme de 100millions, qui doivent être achetée pour des raisons purement commerciales,génère in fine un volume 10 fois supérieur à la somme initialement traitée. Sice phénomène multiplicatif n’existait pas, l’acheteur (ou le vendeur) initialne trouverait pas de contrepartie, n’aurait aucune liquidité au moment detraiter6.

6Au sujet du fonctionnement du marché des changes, M. Lestiboudois dans son inter-view (Annexe 3, p.62) cite l’explication donnée par un journaliste du journal "Les Echos".

Page 13: LataxeTobin

CHAPITRE 2. QU’EST-CE QUE LA TAXE TOBIN ? 13

Ses activités

Il existe quatre raisons d’intervenir sur le marché des changes : la spécu-lation, l’arbitrage, la couverture et le market making.

L’arbitrage consiste à profiter de la différence entre les cours d’une mêmemonnaie entre deux places financières. Ainsi, en achetant une monnaie surle marché où elle est la moins chère et en la revendant sur celui où son prixest plus élevé, l’arbitragiste fait un bénéfice.

L’activité de teneur de marché, ou market making, est la plus connuedu public. Elle est exercée par les banques et consiste à coter des coursvendeurs et des cours offreurs sur une devise et à offrir la contrepartie auxcours proposés, c’est-à-dire d’accepter tout ordre d’achat ou de vente à ceprix, quelle que soit son ampleur. La banque peut ainsi se retrouver avectrop de devises, en position dite longue, ou peut s’engager à livrer trop dedevise et être en position courte.

L’activité de couverture, ou hedging, consiste à se prémunir contre lerisque de change et fait appel au marché des changes à terme et aux marchésdérivés. Par extension, ne pas se couvrir contre ce risque est une forme despéculation.

La spéculation est une "opération financière (...) reposant sur des achatset des ventes, dans le but d’obtenir un gain, moyennant une prise de risque.La spéculation est nécessaire au fonctionnement des marchés financiers (...),puisqu’elle permet aux non-spéculateurs de se couvrir contre des incertitudesdont ils ne souhaitent pas faire les frais. Les marchés à terme ne supprimentpas les risquent, ils permettent de mieux les répartir sur l’ensemble des in-tervenants, voire de les transférer sur les spéculateurs. Ces derniers assurentla liquidité des marchés à terme. Néanmoins, la spéculation a un caractèredéstabilisant lorsque les anticipations des spéculateurs vont toutes dans lemême sens. Les cours (...) des changes deviennent alors très instables. Sou-vent le mimétisme, l’influence du groupe, la communauté des valeurs finissentpar s’imposer aux dépens d’une analyse plus rationnelle (...)" (Frédéric Teu-lon, Vocabulaire monétaire et financier7).

Ses intervenants

La seule étude précise sur l’état du marché des changes est l’enquête tri-sannuelle de la Banque des règlements internationaux (BRI)8. Elle prend encompte les données des banques centrales de 48 pays et porte sur l’année2001. Elle divise les intervenants en trois types : les opérateurs déclarants(les banques commerciales, les banques d’affaires, ou holdings, les maisons detitres et les banques d’investissement), les autres institutions financières (les

7TEULON (Frédéric). - Vocabulaire monétaire et financier. - Paris : PUF, coll. "Quesais-je ?", 1991.

8BANK FOR INTERNATIONAL SETTLEMENTS. - Triennal Central Bank Survey,Foreign exchange and derivatives market activity in 2001. - BIS, 2002.

Page 14: LataxeTobin

CHAPITRE 2. QU’EST-CE QUE LA TAXE TOBIN ? 14

fonds communs des placements, les fonds de pension, les fonds spéculatifs, ouhedge funds, les fonds du marché monétaire, ou SICAV monétaire en France,les sociétés immobilières, les compagnies d’assurances, etc.) et les clients nonfinanciers (les entreprises et les gouvernements).

Les opérateurs déclarants sont les plus importants sur le marché deschanges. Ils représentent 73.1 % du chiffre d’affaire moyen journalier sur lemarché. Ils opèrent pour le compte de leurs clients, mais aussi pour leurpropre compte pour se couvrir du risque de change, pour résoudre les pro-blèmes de trésorerie et pour effectuer des opérations d’arbitrages ou pourspéculer. Les spécialistes du marché des changes sont appelés cambistes.

Les autres institutions financières représentent 14.1 % du volume journa-lier des échanges, mais ce chiffre ne représente pas réellement leur présencesur le marché, puisqu’elles sont largement présentes sur le marché des dérivésde change de gré à gré, autrement dit, le marché des changes à long terme.

Finalement, les clients non financiers représentent 12.8 % du chiffre d’af-faire moyen journalier sur le marché. Les entreprises n’interviennent querarement directement sur le marché, et passent donc par leur banque. Ainsi,la plus grande partie des ces 12.8 % sont l’oeuvre des banques centrales, quiinterviennent sur le marché pour exécuter les ordres de leur clientèle (que soitdes administrations ou des banques centrales étrangères) et pour influencerl’évolution du cours de change, afin que celui-ci soit compatible avec les ob-jectifs de politique économique et monétaire. L’action sur un cours de changepeut favoriser ou freiner les importations (ou les exportations) et agir ainsisur l’inflation.

Fig. 2.2 – Les intervenants sur le marché des changes

types d’intervenants chiffre d’affaire moyen journaliersur le marché des changes

opérateurs déclarants 73.1%autres institutions financières 14.1%clients non financiers 12.8%

100 %

Source : Rapport trisannuel de la BRI, 20019.

Ces chiffres montrent que les banques commerciales sont les opérateursles plus importants et que les Etats, à travers leur banques centrales, n’ontqu’une influence minime, en tout cas directement.

Un autre type d’intervenants n’est pas mentionné par le rapport, car

Page 15: LataxeTobin

CHAPITRE 2. QU’EST-CE QUE LA TAXE TOBIN ? 15

il n’est pas autorisé à prendre des positions de changes, autrement dit àdétenir des devises, et donc ne représente aucune partie du chiffre d’affairedu marché : les brokers, ou courtiers.

Leur objectif est de trouver une contrepartie à l’offre (autrement dittrouver un acheteur) ou à la demande (donc trouver un vendeur) qui luiest adressée. Il se rémunère en prélevant une commission sur les échanges.Mais le courtage humain est peu à peu abandonné au profit du courtageélectronique, qui représentait en 1998 76 % des opérations de courtage auxEtats-Unis.

Au vu des divers types d’intervenants, on remarque que le spéculateur entant que tel n’existe pas, contrairement à ce que pourrait laisser croire cer-taines théories, comme celles d’Attac. Mis à part le courtier, n’importe quelintervenant peut spéculer sur le marché. Il devient donc difficile d’identifierla spéculation de l’activité purement utile.

Il n’en reste pas moins, comme le rappelle Yves Jégourel10, que certainesinstitutions, et en particuliers les fonds de pension, ou hedge funds, ont, depart leurs stratégies, un effet déstabilisant sur le marché.

"Les actifs gérés par ces institutions financières pourraient, selon l’Alter-native Investment Managment Association (AIMA) atteindre la somme con-sidérable de 400 milliards de dollars ! Lorsque l’on connaît non seulement lacomplexité et l’agressivité des stratégies de gestion de portefeuille de ces or-ganismes, mais aussi le levier d’endettement dont ils bénéficient (ils peuventmoyennant un dépôt de garantie faible emprunter des sommes importantes),leur rôle déstabilisateur ne peut être sous-estimé." (Yves Jégourel, La taxeTobin11

Ses dysfonctionnements

Depuis le début des années 1990, le SMI est caractérisé par une explosiondu volume des échanges, comme le montre le tableau de la figure 2.3. Ainsi,le volume des échanges a été multiplié par 2.5 entre 1989 et 1998, et en 1998,il était 60 fois supérieur à celui du commerce international. Cela montre que,comme nous l’avons déjà vu, chaque transaction commerciale engendre unemultiplicité d’échanges entre acteurs financiers due à la gestion du risque dechange, mais aussi que bon nombre de transactions ne sont motivées que parun intérêt purement financier, sans but commercial.

Le marché souffre de différents maux, dont une très forte volatilité et unegrande instabilité financière sur le plan mondial. Ces problèmes sont liés àl’explosion du volume des échanges, mais aussi à la suppression du contrôle

10JEGOUREL (Yves). - La taxe Tobin. - Paris : La Découverte, 2002.11Ibid.

Page 16: LataxeTobin

CHAPITRE 2. QU’EST-CE QUE LA TAXE TOBIN ? 16

Fig. 2.3 – Volume journalier des échanges sur le marché des changes

Source : Rapport trisannuel de la BRI, 200112.

des capitaux, à l’intensification des mouvements de capitaux entre pays età l’innovation financière, et en particuliers au développement des produitsdérivés13.

La volatilité représente les fluctuations d’un cours sur le marché. Plusles fluctuations d’un cours sont grandes, plus la volatilité est dite forte, etvice versa. La volatilité est souvent présentée comme néfaste, mais elle estpositive lorsqu’elle est liée aux fondamentaux. Seule la partie excessive de lavolatilité, celle non liée aux fondamentaux doit être combattue.

Elle est apparue en 1973, suite à l’avènement des taux de change flottants,et a forcé les utilisateurs sur le marché à se prémunir face au risque de change.Ils ont donc eu recours au marché des changes à termes, aux produits dérivés.

De plus, la volatilité permet la spéculation. Ainsi, il y eut un effet boulede neige : la spéculation et l’usage des produits dérivés ont augmenté lavolatilité du marché ; la volatilité du marché augmentant, la spéculation etl’usage des produits dérivés ont augmenté à leur tour, etc... Le volume deséchanges augmenta donc, et en particuliers le marché des dérivés sur devises,

13Les produits dérivés (les options (cf. note 14), les swaps, etc.) ont été développés pourmieux gérer le risque de change. "Conçu à l’origine pour protéger l’agent économique desconséquences néfastes des variations de change, les produits dérivés sont devenus des ins-truments de spéculation à part entière. (...) Il est à noter aussi que certaines stratégiescomplexes combinant par exemple l’achat et d’une option de vente permettent aux spé-culateurs de tirer profit (...) d’un accroissement de la volatilité du marché des changes"(Yves Jégourel, La taxe Tobin). Outre le risque de change, les produits dérivés permettentaussi de contourner les réglementations. Ainsi, une taxe de type Tobin risque, si elle estappliquée, d’être évitée par une innovation financière quelconque.

Page 17: LataxeTobin

CHAPITRE 2. QU’EST-CE QUE LA TAXE TOBIN ? 17

les transactions sur options14, qui explosa entre 1995 et 2001 : + 46 %.

Variations journalières des devises atteignant 3 %, cours du dollar s’ap-préciant de 80 % entre 1979 et 1985, pour ensuite se dévaluer fortement : ilest admis par plusieurs auteurs que la volatilité actuelle est excessive. Maiscomment la définir, où est la limite entre la "bonne" volatilité et la volatiliténéfaste ?

De plus, selon Paul De Grauwe, la volatilité du marché des changes n’apas augmenté avec la globalisation financière et l’abandon du contrôle descapitaux. Il semble donc qu’une taxe de type Tobin, dont le concept estproche de l’idée de contrôle des capitaux, ne freinerait pas la variabilité descours.

La montée en puissance de l’instabilité financière internationale et la suc-cession des crises de changes sont des problèmes plus profonds et plus gravesdu SMI. Leur apparition coïncide avec le phénomène de libéralisation finan-cière. Pour certains, l’ouverture aux capitaux étrangers est une suite logiqueà la libéralisation du commerce international, et comme cette dernière, elleest inéluctable et favorable au développement économique. Pour d’autres,par contre, la mondialisation financière est néfaste et privilégie la logique duprofit au détriment de l’équité sociale.

Certes, la mondialisation financière a des aspects positifs. Elle permetpar exemple de délocaliser la production. Deux facteurs de production15 sontprimordiaux pour créer un bien : le travail et le capital. Les pays en dévelop-pement ont un facteur travail abondant, mais manquent de capitaux. Danscette situation, le prix du facteur travail est faible, contrairement au facteurcapital, qui lui est rare et donc cher. Les capitaux des pays industrialisés,abondant, vont être attirés par des facteurs de production moins coûteux etêtre investis. Dans cette situation, les deux parties sont gagnantes, de partle travail créé et le fait que la production est moins chère.

De plus, la mondialisation financière permet aux Etats (comme aux en-treprises) de trouver une alternative au financement bancaire en faisant appelaux marchés financiers.

Mais, en conséquence, les marchés sont les juges des stratégies commer-ciales et financières des entreprises et des Etats. On remarque par exemple lafin des politiques budgétaires conjoncturelles. Les relances budgétaires d’ins-piration keynésienne sont peu à peu remplacées depuis le début des années

14Une option de change est une forme de police d’assurance, qui permet d’acheter ou devendre des devises à un prix fixé à l’avance pendant une période de temps ou à une datedéterminée. Les swaps, autres produits dérivés, sont plus présents dans les opérations surdevises, car leur négoce revient moins cher que pour les options.

15Les quatre facteurs de production sont les ressources naturelles, le travail, le capitalet la créativité.

Page 18: LataxeTobin

CHAPITRE 2. QU’EST-CE QUE LA TAXE TOBIN ? 18

1980 par l’analyse libérale, le contrôle des dépenses publiques. La mondiali-sation financière n’est pas la seule cause de cette évolution, mais elle y estliée. Ce pouvoir ne serait pas dans l’absolu un problème, mais les marchésfinanciers n’ont pas toujours un jugement fiable et leurs sanctions ne sontpas forcément justifiées. Contrairement au marché des biens et des services,les marchés internationaux de capitaux souffrent d’une instabilité récurrente.Ainsi, on peut lire dans des analyses de son fonctionnement des termes telsqu’euphorie, panique, mimétisme, contagion, folie, ... .

Donc, la libéralisation financière, pourvoyeuse de capitaux, devrait enthéorie fonctionner parfaitement, mais dans les faits, on remarque que descrises éclatent, que le système est instable.

Mix et Remix

Tout ceci est dû à l’immaturité du secteur bancaire dans les pays émer-gents, au caractère moutonnier des opérateurs, mais aussi à un manque deresponsabilisation des acteurs financiers. En effet, la prise de risque de cesderniers est soutenue implicitement par le gouvernement, qui ne la sanctionnepas à son coût réel, à travers la loi sur la faillite. C’est ce qu’on appelle l’aléade moralité. Sachant qu’ils ne vont pas payer pleinement en cas de problèmes,les investisseurs sont incités à prendre plus de risque.

Page 19: LataxeTobin

CHAPITRE 2. QU’EST-CE QUE LA TAXE TOBIN ? 19

2.2 L’origine de la taxe

L’idée de taxer les mouvements de capitaux n’est pas nouvelle. Elle futproposée par James Tobin en 1972, et depuis a évolué.

Il existe donc de multiples projets différents, et il devient difficile d’iden-tifier clairement leurs objectifs, mais deux concepts complètement différentspeuvent être clairement identifiés : tout d’abord, l’idée originale, celle de To-bin, dont le projet était d’augmenter l’autonomie de la politique monétaireet de diminuer la volatilité excessive du marché des changes ; ensuite, la réin-terprétation du projet par l’Association pour une taxation des transactionsfinancières pour l’aide au citoyen (Attac) qui donne au projet une vocationplus large, celle d’engendrer des revenus, de lutter contre le pouvoir de lafinance et de prévenir les crises de change, entre autres, et qui s’inscrit dansun mouvement de mobilisation citoyenne contre la mondialisation financière.

2.2.1 Biographie de James Tobin - Sa proposition

James Tobin est né en 1918 aux Etats-Unis. Son père est journaliste etsa mère est assistante sociale. Ils sont plutôt de la gauche modérée. JamesTobin obtient un doctorat à l’université de Harvard et, dès 1936, il lit Lathéorie générale de l’emploi de Keynes qui aura une grande influence sur savision de l’économie. James Tobin sera toute sa vie un keynésien et faroucheopposant des monétaristes qui dès les années 1950 montent en puissance avecl’école de Chicago de Georges Friedmann.

A la fin de la seconde guerre mondiale, il devient professeur d’économieà l’université de Yale et il restera à ce poste jusqu’en 1988. Il arrêta toutde même d’enseigner une année, de 1961 à 1962, pour être l’un des troismembres du conseil économique de la présidence Kennedy. Il participe à lamise au point d’une politique de taxation et de dépenses publiques qui apermis au taux de chômage d’atteindre l’un de ses plus bas niveaux depuisla seconde guerre mondiale.

En 1972, lors d’une conférence à l’université de Princeton, il propose lacréation d’une taxe sur les transactions de devises afin de freiner les mou-vements de capitaux pour augmenter l’autonomie de la politique monétaireet non à des fins tiers-mondistes. Cependant, il avoue dans une interview16

qu’il serait ravi si sa taxe pouvait aider les pays pauvres.

Cette idée est basée sur les idées qu’expose J.-M. Keynes dans La théoriegénérale de l’emploi. Il écrit au chapitre 12 : "Il est généralement admis que,dans l’intérêt même du public, l’accès au casino doit être coûteux et difficile.

16REIERMANN, SCHEISSL. - James Tobin, Prix Nobel d’économie : "Je n’ai rien decommun avec les praticiens de cette révolution contre la mondialisation" : Interview. - DerSpiegel, 11.3.2001, traduit par Sylvette Gleize pour Le Monde.En annexe, p.53.

Page 20: LataxeTobin

CHAPITRE 2. QU’EST-CE QUE LA TAXE TOBIN ? 20

Page 21: LataxeTobin

CHAPITRE 2. QU’EST-CE QUE LA TAXE TOBIN ? 21

Peut-être ce principe vaut-il en matière de bourse. Le fait que le marché deLondres ait commis moins d’excès que Wall Street provient peut-être moinsd’une différence entre les tempéraments nationaux que du caractère inac-cessible et très dispendieux de Throgmorton Street pour un Anglais moyencomparé à Wall Street pour un Américain moyen. Les courtages onéreuxdes brokers, les lourdes taxes d’Etats sur les transferts qui accompagnentles transactions à la Bourse de Londres diminuent suffisamment la liquiditédu marché pour en éliminer une grande partie des opérations qui caracté-risent Wall Street. La création d’une lourde taxe d’Etat frappant toutes lestransactions se révélerait peut-être la plus salutaire des mesures permettantd’atténuer aux Etats-Unis la prédominance de la spéculation sur l’entre-prise".

En 1981, l’Académie suédoise lui décerne le prix Nobel d’économie pourses travaux sur l’offre de monnaie et sa théorie sur le choix des portes-feuilles.

Contrairement à une idée assez répandue, James Tobin ne renie pas sonidée de taxation, mais il pense qu’elle ne verra jamais le jour et tient à sedistancer "des praticiens de cette révolution contre la mondialisation"17, aveclesquelles il n’a rien à voir.

James Tobin est décédé le 11 mars 2002.

Son projet

En 1972, lorsque James Tobin propose pour la première fois sa taxe, lesystème de change fixe de Bretton Woods est à l’agonie. Le SMI s’oriente versun régime de change flottant. Les thèses néoclassiques qui prévalent à cetteépoque prédisent la supériorité du système de change flottant, et affirmentque ce dernier permettra d’assurer l’autonomie de la politique monétaire,contrairement au système de change fixe.

Pour Tobin, en revanche, cette autonomie est utopique tant que la mobi-lité des capitaux n’est pas diminuée. Que le régime fonctionne sous un régimede change flottant ou fixe, l’arme monétaire ne peut être utilisée efficacementsi la mobilité internationale des capitaux est grande.

Pour mieux comprendre l’incompatibilité entre autonomie de la politiquemonétaire et mobilité des capitaux, on peut étudier le triangle du même nom,de Robert Mundell.

Les trois cotés du triangle (parfaite mobilité des capitaux, stabilité dutaux de change et autonomie de la politique monétaire) ne sont pas com-patibles : seuls deux objectifs peuvent être atteints. Ainsi, dans le cas quinous concerne, en situation de forte mobilité des capitaux, les deux autresobjectifs que sont l’autonomie de la politique monétaire et la stabilité dutaux de change ne peuvent être atteint simultanément.

17Ibid.

Page 22: LataxeTobin

CHAPITRE 2. QU’EST-CE QUE LA TAXE TOBIN ? 22

Fig. 2.4 – Le triangle des incompatibilités, R. Mundell

2.2.2 La réinterprétation du projet dans les années 1990

Depuis la proposition de Tobin, le projet de taxation des mouvementsde capitaux a évolué, et cela pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la naturedu marché a profondément été modifiée depuis les années 1970 comme nousl’avons vu précédemment : il est donc normal que la taxe Tobin s’y adapte.

Ensuite, Tobin a rapidement abandonné la défense de son idée et, saproposition étant floue autant dans ses objectifs que dans sa forme en 1978,elle fut rapidement récupérée, modifiée, améliorée par d’autres économistes(ce contre quoi Tobin ne s’est jamais élevé : il semble même que c’est ce qu’ilrecherchait).

Finalement, le contexte historique a remis la taxe Tobin sur le devant dela scène dans les années 1990. En effet, la succession des crises de change etla persistance du problème de la dette des pays les moins avancés (PMA)a relancé la réflexion. Pour certains économistes, la taxe Tobin permettraitde lutter contre les crises de change, pour d’autre, de prévenir l’apparitionde bulles spéculatives ou encore de freiner les entrées de capitaux spéculatifsdans les pays émergents.

Face à eux, une autre interprétation, celle de l’association Attac, a large-ment dépassé le domaine de la théorie économique pour devenir le symboled’une mobilisation citoyenne contre la mondialisation financière.

Page 23: LataxeTobin

CHAPITRE 2. QU’EST-CE QUE LA TAXE TOBIN ? 23

Attac

Lancée en 1997 par un article dans le Monde Diplomatique de IgnacioRamonet intitulé "Désarmer les marchés"18, l’Association pour la taxe Tobind’aide au citoyen, devenue, lors de sa création officielle en 1998, l’Associationpour une taxation des transactions financières pour l’aide au citoyen (Attac),milite pour l’instauration de la taxe Tobin.

Attac est constituée d’un Conseil scientifique, ayant pour but de créer un"mouvement d’éducation populaire tourné vers l’action".

Sous l’impulsion du Conseil scientifique l’association s’est trans-formée en une université populaire à l’échelle du pays. Mais cettesoif d’apprendre, d’appréhender les mécanismes économiques etfinanciers a une finalité bien précise : agir.19

"Comprendre pour agir". Son devoir d’information est une des compo-santes importantes du mouvement. Ainsi, Attac dispose d’un site internet20

et d’un courrier d’information, "Le grain de sable", en hommage à une cita-tion de Tobin sur le rôle qu’il donnait à sa taxe. C’est grâce à ses efforts quela taxe Tobin, et de manière générale une réflexion sur le fonctionnement ac-tuel du marché, sont revenues sur le devant de la scène. Accessoirement, c’estaussi en grande partie grâce à eux, en particulier indirectement à travers lapresse, que j’ai choisi la taxe Tobin comme sujet de ce travail de maturité.

Attac a largement réinterprété les objectifs de la taxe Tobin, dans uncontexte de lutte anti-mondialisation. Ainsi, la taxe deviendrait un moyende lutte contre le pouvoir de la finance.

Combattre en faveur de la taxation des transactions de change,c’est affirmer la nécessité de démanteler le pouvoir de la financeet de réétablir une réglementation publique internationale, (...) ceserait affirmer que l’intérêt général doit l’emporter sur les inté-rêts particuliers et les besoins du développement sur la spéculationinternationale.21

18RAMONET (Ignacio). - Désarmer les marchés. - Le Monde diplomatique, décembre97.En annexe, p.59.

19Source : http://www.attac.org20Plate-forme internationale : http://www.attac.org21Source : CHESNAIS (François). - Tobin or not Tobin ?, Une taxe internationale sur

le capital. - Paris, L’esprit frappeur, n¡ 42.François Chesnais est membre du conseil scientifique d’Attac.

Page 24: LataxeTobin

CHAPITRE 2. QU’EST-CE QUE LA TAXE TOBIN ? 24

On voit donc que les objectifs initiaux de James Tobin sont loin despréoccupations d’Attac. James Tobin lui-même, pourtant très ouvert aux ré-interprétations de son idée, a d’ailleurs condamné cette interprétation dansune interview au journal allemand Der Spiegel en septembre 2001, en décla-rant qu’il n’avait "rien à voir avec les praticiens de cette révolution contre lamondialisation"22.

Logo Attac

Mais Attac ne se limite pas à la défense de la taxe Tobin et a étendu sonaction sur d’autres domaines : la lutte contre la politique menée par l’Orga-nisation mondiale du commerce (OMC), contre les paradis fiscaux, en faveurd’une suppression de la dette des pays en développement, contre la mar-chandisation de la santé, de l’éducation et des services publics et beaucoupd’autres.

Elle existe aujourd’hui dans plus de trente pays, et représente une sorted’alternative à la politique dite classique (un des slogans d’Attac est d’ailleurs"Faire de la politique autrement") et regroupe plusieurs mouvements ci-toyens23.

La première originalité d’ATTAC, à partir d’une proposition duMonde diplomatique, c’est précisément d’avoir, d’emblée, mis au-tour de la même table des composantes d’associations d’éduca-tion populaire, d’organisations du mouvement social et des or-ganisations syndicales, en y adjoignant des organes de presse,autour d’un objectif dans lequel elles pouvaient toutes se recon-naître : reconquérir les espaces perdus par la démocratie au profitde la sphère financière. Sa deuxième originalité est d’avoir bâti

22REIERMANN, SCHEISSL. - James Tobin, Prix Nobel d’économie : "Je n’ai rien decommun avec les praticiens de cette révolution contre la mondialisation" : Interview. - DerSpiegel, 11.3.2001, traduit par Sylvette Gleize pour Le Monde.En annexe, p.53.

23A lire sur ce sujet : CLOT (Philippe). - Le phénomène Attac, les nouveaux utopistes.- L’illustré, 2000, n¡ 28.Présentation de quelques membres d’Attac en suisse romande.

Page 25: LataxeTobin

CHAPITRE 2. QU’EST-CE QUE LA TAXE TOBIN ? 25

une configuration articulant une direction nationale où les "per-sonnes morales" ont un rôle prépondérant et des structures locales- largement autonomes dans le respect de la plate-forme constitu-tive de l’association - surtout composées d’adhérents individuels.Disons-le franchement, cette architecture n’avait pas été entiè-rement théorisée à l’avance : c’est le développement d’ATTACqui l’a "produite". Et tout donne à penser que l’avenir susciterad’autres innovations...24

Constituée dans l’effervescense et l’enthousiasme, Attac est désormaisvictime de son succès, de son expansion et de son pouvoir nouvellementacquis. Englobant des mouvements bien différents (tiers-mondistes, syndi-calistes, écologistes, tous les déçus de la politique : autant de mouvementde gauche, dont les intérêts divergent), Attac peine à se trouver une voie,tiraillée entre les extrêmes. Et comme tous les groupes luttant pour une idée,sorte de mythe fondateur, elle ne peut le renier, et donc elle est incapable dese remettre en cause.

De ce fait, le devoir d’information d’Attac est sacrifié sur l’autel des luttesde pouvoir internes et de la volonté de ne pas se renier. Les documents d’At-tac, bien que souvent très intéressant d’un point de vue idéologique, sont, enparticulier sur la taxe Tobin, très flous, imprécis, voire faux sur les aspectstechniques. Il en résulte une espèce de dialectique singulière qui, comme sousle communisme où les bourgeois devenaient "les ennemis du peuple", imposeson vocabulaire : le capitalisme financier devient "la dictature des marchésfinanciers" et les textes deviennent absolument illisibles, ce qui fait dire àLouis Janover dans Voyage en feinte-dissidence (1998) :

Tous ensemble, tous ensemble contre les méchants spéculateurs etles marchés financiers irresponsables ! Après la lutte des classes,la lutte des taxes !

24Source : http://www.attac.org

Page 26: LataxeTobin

CHAPITRE 2. QU’EST-CE QUE LA TAXE TOBIN ? 26

"En l’état actuel, Attac reproduit sous une forme caricaturale le moded’organisation politique qui, dans les "démocraties occidentales", dépossèdeles citoyens de leur souveraineté : d’une part, "l’expertocratie" dominanteavec son cénacle de savants cooptés ; d’autre part, la structure binaire qui,sous la fallacieuse dénomination de "démocratie représentative", oppose dansla société moderne les "obligarques libéraux" à leurs subordonnés, avec la di-chotomie "direction nationale"/comités locaux - grossier avatar de la distinc-tion société politique/société civile. A quoi bon dénoncer et fuir les moeursde la politique si c’est pour les retrouver et les entériner dans le microcosmed’Attac ?"25. Michel Barillion résume ici très bien les incohérences d’un mou-vement qui a le mérite de faire réfléchir, de lutter pour de bonnes causes (cetavis n’engage que moi) et de faire fusionner des mouvements dont les objec-tifs finalement se recoupent, mais qui dans son application fait face à desdifficultés.

Attac a bien compris un enseignement de Marx :

Il n’y a qu’une seule façon de tuer le capitalisme : des impôts,des impôts et toujours plus d’impôts.

Mais ce dernier observait aussi :

L’éducateur a lui-même besoin d’être éduqué.

25BARRILLON (Michel). - Attac, encore un effort pour réguler la mondialisation ! ?. -Castelnau-le-Lez : Climats, 2001.A lire absolument sur ce sujet.

Page 27: LataxeTobin

Chapitre 3

Les limites de la taxe

Au vu du nombre d’objectifs bien différents les uns des autres assignés àla taxe Tobin, elle semble la solution à tous les problèmes. Mais qu’en est-ilréellement ?

Si l’idée de taxer les transactions de change a créé, dans la presse commedans le milieu académique, une vive polémique, c’est parce que d’un coté,elle pourrait, selon certains, résoudre des problèmes graves, profonds du SMI,mais aussi, dans son utilisation, par exemple en réduisant la dette des paysles moins avancés (PMA), aider au développement et donc avoir, mis à partl’aspect technique, un aspect humain, social de premier ordre. Mais d’unautre côté, la mise en place de la taxe implique des difficultés, des risquesque l’on peine à définir. Face à ces avantages et ces inconvénients, personnen’a trouvé de réponse définitive à la question : Faut-il oui ou non instaurerune taxe sur les transactions de change au plan mondial ?

Nous allons donc tenter de comprendre à la fois les avantages que pro-curerait une taxation, mais aussi les inconvénients, voire les dangers de sonapplication. Tout ceci pour être capable de juger, au moins en partie, cequi est réellement la cause de cette lutte parfois violente entre partisans etopposants de la taxe Tobin.

3.1 Théorie et rôle supposé de la taxe : en quoi lataxe Tobin pourrait résoudre certains dysfonc-tionnements du SMI

Quels sont les objectifs de la taxe Tobin ? Il semble qu’il y en ait troisprincipaux : l’accroissement de l’autonomie des politiques monétaires, la di-minution de la volatilité du marché des changes et la création de revenus,de recettes, dont l’utilisation pourrait être multiple. Il s’agit donc mainte-nant de comprendre en quoi une taxe sur les opérations de change pourraitaccroître l’autonomie de la politique monétaire, en quoi elle pourrait dimi-

27

Page 28: LataxeTobin

CHAPITRE 3. LES LIMITES DE LA TAXE 28

nuer la volatilité et finalement, quels seraient ses revenus et à quel usage lesdestiner.

3.1.1 Accroissement de l’autonomie de la politique moné-taire

Lorsque James Tobin propose sa taxe, son but est de réduire la mobi-lité des capitaux pour restaurer une partie de l’autonomie de la politiquemonétaire, suite au passage au système de change flottant.

En effet, dans une situation de forte mobilité des capitaux, tout accrois-sement (ou diminution) du taux d’intérêt se reporte sur le taux de change.Par exemple, si le taux d’intérêt national devient inférieur au taux d’intérêtmondial, les investisseurs vont vendre de la monnaie domestique pour ache-ter des devises étrangères et placer leurs capitaux à l’étranger. Il en résulteune dépréciation du taux de change. C’est ce qu’on appelle la parité des tauxd’intérêt.

Ainsi, plus la mobilité des capitaux est grande, plus les investisseurspourront vendre de la monnaie nationale et plus la baisse du taux d’intérêtsera grande.

En présence de la taxe Tobin, l’effet d’un changement du taux d’inté-rêt sur le taux de change diminue. Lorsqu’il place ses capitaux à l’étranger,l’investisseur subit deux fois la taxe : la première en vendant de la mon-naie domestique contre des devises étrangères et la deuxième en vendantdes devises étrangères contre de la monnaie domestique. Le rendement d’unplacement à l’étranger devient donc plus faible en présence d’une taxe.

Cela implique que le pays domestique pourra abaisser son taux d’intérêtafin de stimuler l’économie sans subir le risque d’une dépréciation de samonnaie. On comprend donc comment une taxe de type Tobin permettraitaux Etats d’être plus libres dans leurs décisions quant aux taux d’intérêt.

3.1.2 Diminution de la volatilité

La volatilité désigne la "variabilité à très court terme des taux de change"1,ou encore, pour ceux qui aiment la précision, "la variation, mesurée parl’écart type, dans la valeur externe d’une monnaie"2.

En 1995, soit 23 ans après avoir proposé sa taxe, James Tobin défend dansl’Economic Journal3 qu’une taxe sur les transactions de change diminueraitla volatilité du marché, en se basant encore une fois sur Keynes.

1PIRIOU (Jean-Paul). - Lexique de sciences économiques et sociales. - Paris : La Dé-couverte, 2002, 5e éd.

2JEGOUREL (Yves). - La taxe Tobin. - Paris : La Découverte, 2002.3EICHENGREEN, TOBIN, WYPLOSZ. - Two cases for sand in the wheels of inter-

national finance. - Economic Journal, n¡ 105, janvier 1995, pp. 162 à 172.Cité dans JEGOUREL (Yves). - La taxe Tobin. - Paris : La Découverte, 2002.

Page 29: LataxeTobin

CHAPITRE 3. LES LIMITES DE LA TAXE 29

Pour Tobin, lorsqu’il n’y a aucune taxe et que la mobilité des capitaux estgrande sur le marché, un spéculateur peut parier sur la dépréciation d’unemonnaie et vendre la monnaie en question pour d’autres devises. Supposonsque tous les spéculateurs présents agissent de la même manière. La monnaieva donc se déprécier, selon la loi de l’offre et de la demande, et le spéculateurva être confirmé dans sa décision.

Cette suite d’événements peut être répétée indéfiniment et crée donc uneforte instabilité, ce qui implique une forte volatilité des cours.

Dans une situation où les transactions sont taxées, le spéculateur vatenter d’éviter des allers-retours trop fréquents pour ne pas subir un surcoûttrop important. La taxe Tobin pénalise ces stratégies spéculatives et doncdiminue la volatilité du marché.

Une autre incidence de la taxe Tobin sur la volatilité réside dans le faitque le spéculateur va rallonger son horizon d’investissement, ce qui, dans lathéorie keynésienne, est considéré comme stabilisant. En effet, en faisant desplacements à long terme, l’opérateur sera plus influencé par les fondamen-taux et sera moins soumis à un effet moutonnier.

Certains ont élargi le domaine d’action de la taxe Tobin en insérant dansla définition de la volatilité les bulles spéculatives et les crises de change.Ainsi, pour eux, la taxe Tobin diminuerait le risque d’attaque spéculative endiminuant les comportements mimétiques.

3.1.3 Les revenus de la taxe

Les revenus de la taxe sont très difficiles à évaluer car ils dépendent debeaucoup de facteurs. Chaque estimation repose donc sur des hypothèses.Quel serait le montant de la taxe, quelle zone pratiquerait la taxe Tobin, àquelle hauteur s’élèverait la fuite des capitaux vers des zones ne pratiquantpas la taxe Tobin, quelle serait l’élasticité du volume du marché : autant dequestions sur lesquelles personne ne s’accorde.

Quel montant donner à la taxe ?

Tobin, dans sa première proposition, préconisait une taxe d’un montantde 1%. Il est généralement compris entre 0.003 % et 0.25 % actuellement.

Une taxe à taux élevé (supérieur à 0.2 %) aurait pour incidence d’éliminerpour ainsi dire la spéculation (et donc de diminuer fortement les revenus),mais elle créerait une forte évasion fiscale dans les zones n’appliquant pas lataxe ou dans les paradis fiscaux. De plus, un taux élevé donnerait lieu à uneconcentration des banques (si le coût de transaction sur chaque opérationnécessaire au maintien de sa liquidité augmente, une banque cherchera àeffectuer des transactions portant sur des montants élevés, ce qui réduira lenombre de banques) et une diminution de la liquidité du marché .

Page 30: LataxeTobin

CHAPITRE 3. LES LIMITES DE LA TAXE 30

Un taux faible (par exemple de 0.05 %) aurait quant à lui une faible in-cidence sur la volatilité des marchés et sur la spéculation. Par contre, il per-mettrait de collecter une recette considérable. C’est vers un taux faible ques’orientent actuellement les réflexions. Actuellement, les propositions vont de0.05 à 0.25 % et Tobin dans son interview au Spiegel en 1999 préconisait unmontant de 0.1 %.

Les estimations

Les estimations sont toutes très différentes. Un grand nombre semblentfort optimistes et ce pour une raison : elles se basent sur deux hypothèsesaussi incompatibles qu’irréelles. En effet, elles utilisent un niveau de taxationélevé sur un volume de transactions inchangé par rapport au niveau actuel.

Il est intéressant de noter que puisque le volume journalier des échangessur le marché des changes varie fortement avec les années (voir fig. 2, p. 14),les estimations sont rapidement dépassées.

Plus réaliste et plus détaillée (car il faut savoir que, à l’instar d’Attac,le détail des calculs n’est que rarement précisé), l’estimation de David Felixet de Ranjit Sau montre l’excès d’enthousiasme des sources citées ci-dessus.En tenant compte de la multiplicité des hypothèses, ils ont conçu un cadred’analyse global complexe permettant de modéliser l’incidence de l’instaura-tion de la taxe. Ainsi, avec leur méthode, les recettes de la taxe dépendentdu taux de celle-ci, du volume total des changes retenu, du pourcentage detransactions exonérées de la taxe , de l’ampleur de l’évasion fiscale, du coûtde transaction avant taxe et de l’élasticité du volume du marché. Pour plusde précision, je renvoie le lecteur à leur livre4 et, pour un résumé, au livrede Yves Jégourel5.

Ce cadre d’analyse a été utilisé en 2000 par le ministère français de l’Eco-nomie et des Finances (MINEFI). En faisant l’hypothèse d’un volume jour-nalier de transactions taxées de 1500 milliards d’euros et d’un taux comprisentre 0.01 % et 0.2 % (ainsi que d’autres hypothèses variantes), ils obtiennentdes recettes annuelles variants de 6 à 134 milliards d’euros. Cela montre doncune grande variabilité des estimations.

4FELIX, SAU. - On the revenue potential and phasing in of the Tobin tax, in GRUN-BERG, HAQ, KAUL. - The Tobin tax, coping with financial volatility. - New York : OxfordUniversity Press, 1996.

5JEGOUREL (Yves). - La taxe Tobin. - Paris : La Découverte, 2002.

Page 31: LataxeTobin

CHAPITRE 3. LES LIMITES DE LA TAXE 31

Un exemple d’utilisation des revenus : réduire la dette des pays lesmoins avancés (PMA)

La taxe rapporterait donc entre 6 et 134 milliards de dollars par an. PourJubilé 20006, 160 milliards de dollars seraient nécessaires pour effacer la detteexterne des "pays du Sud". Selon le Programme des Nations unies pour ledéveloppement (PNUD), il suffirait de 80 milliards de dollars pour éliminerla pauvreté extrême dans le monde, qui touche 1.3 milliards de personnesdans le monde.

Ainsi, il faut savoir que 1/6ème de la population mondiale se partage 78% du revenu mondial, alors que 3/5ème de la population mondiale vit avec6 % de ce revenu. Et le mouvement n’est pas près de s’inverser. Le constatde la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement(CNUCED) est sans appel : "La croissance économique des années 1990 aété trop lente dans la plupart de ces pays pour ouvrir une brèche véritabledans le mur de la pauvreté". Lors de la dernière décennie, le PIB des PMAa augmenté de 0.9 %, alors que dans un même temps, le PIB des autresnations en développement a progressé de 3.6 %.

L’endettement extérieur des PMA est de plus en plus lourd. Le service dela dette les empêche de sortir du cycle de la pauvreté en freinant l’investis-sement interne et en empêchant les importations. Selon la Banque mondiale,la dette des PMA s’élevait en 1998 à 150,4 milliards de dollars, ce qui repré-sente environ 101 % du PNB de ces pays. En Afrique, 38 % des budgets enmoyenne sont toujours consacrés au paiement de la dette. Il semble donc queparmi la multitude de projets, l’annulation ou l’allégement de la dette soitune priorité. Ceci est accentué par la baisse constante de l’aide publique audéveloppement (APD). En 1974, l’Assemblée générale de l’ONU a, à la suitedes revendications des pays en voie de développement, adopté un objectifcommun, le "Nouvel ordre économique mondial", dans lequel plusieurs me-sures étaient envisagées, notamment pour porter l’aide publique à 0.7 % duPNB des pays développés. Actuellement, l’aide des pays développés s’élèveà 0.27 % de leur PNB en moyenne.

Les fonds pourraient être utilisés pour accélérer la liquidation de la dettedes PMA et pour les assister pour une ouverture au marché mondial. Maisdeux problèmes demeurent. L’opinion publique, ou plutôt les classes diri-geantes, politiques comme économiques, des pays développés qui fournirontla quasi-totalité des recettes n’acceptera pas forcément de se séparer d’unemanne financière aussi élevée. Ainsi, selon L’Illustré, une taxe de 1 % enSuisse rapporterait 18 millions de dollars par jour ( !) et paierait au choix 60francs par jour aux 450 000 Suisses survivant sous le seuil de pauvreté, laretraite à la carte en 17 jours ou encore la prime d’assurance maladie de lamoitié de la population . Le raisonnement n’est pas très réaliste, mais il faut

6Jubilé 2000 est un mouvement international pour l’annulation de la dette des pays lesplus pauvres.

Page 32: LataxeTobin

CHAPITRE 3. LES LIMITES DE LA TAXE 32

savoir que certains y croient. De plus, croire que de l’argent pourrait à luiseul faire diminuer la pauvreté en le distribuant aux PMA est une grossièreerreur. L’expérience a montré qu’en Afrique seule 10 % de l’aide atteignaitfinalement la population. Les éléphants blancs, ces grandes constructions peuou pas utilisées en Afrique, sont un autre exemple d’aide financière inefficace.

En conclusion, l’aide financière, condition sine qua non au redressementéconomique des PMA, doit impérativement être accompagnée d’autres me-sures, et ces mesures ne doivent pas attendre l’application de la taxe Tobinpour être mise en place.

3.2 Les limites

3.2.1 Les problèmes de mise en oeuvre

Mis à part les problèmes techniques étudiés dans les chapitres suivants,les problèmes de mise en oeuvre sont avant tout politiques. Les opposants à lataxe Tobin soulignent son irréalisme politique. Pour être efficace, c’est-à-direpour éviter le contournement de la taxe par la délocalisation des activitésdes intervenants, la taxe Tobin devrait être adoptée au niveau mondial ouau moins par les principaux centres d’activités du marché des changes.

On observe que les quatre principaux centres d’activité représentent 60% du marché. Une décision commune de ces quatre centres (décision forteimprobable) suffirait pour l’instauration d’une zone Tobin. Ensuite, l’élargis-sement de cette zone aurait lieu en instaurant une taxe à un taux pénalisateurlors de transactions entre cette zone et le reste du monde. Dès lors, pour At-tac, les pays seront "incités à demander leur adhésion de sorte que, aprèsadhésion des principaux pays de la planète, une seule et même taxe seraitappliquée".

L’Union européenne pourrait selon certains lancer cette démarche, maissi l’on excepte le Royaume-Uni, elle ne représente que 17 % de l’activité dumarché, et on peut se demander si cela serait suffisant pour faire pressionsur les autres pays.

Mais le problème politique ne se résume pas à l’adoption de la taxeTobin. Même en admettant qu’elle le soit, le système nécessiterait encore uneadministration capable de contrôler les fraudes et de prendre le cas échéantdes mesures de rétorsion. Tout cela nécessite une coopération internationalesans faille que l’on a jamais vu jusqu’à présent et qu’on peine à imaginerdans les circonstances actuelles.

3.2.2 La gestion des recettes

Outre les problèmes de faisabilité, la répartition des compétences en ma-tière d’administration et de gestion des recettes semble compliqué. Est-ce lesEtats ou une institution supranationale qui devra gérer les recettes ? Pour les

Page 33: LataxeTobin

CHAPITRE 3. LES LIMITES DE LA TAXE 33

partisans de la taxe Tobin, les fonds doivent servir à la lutte contre la pau-vreté et être verser au pays en développement. L’idée d’affecter ces recettesà la lutte contre le développement des inégalités est bonne, mais dans laréalité aucun gouvernement (a fortiori les Etats-Unis, qui représentent 15.7%7 de l’activité sur le marché des changes et qui sont totalement opposésà une augmentation du pouvoir des organismes internationaux) n’accepterade laisser échapper une manne financière qui lui revient.

Si l’on imagine un impôt mondial, la collecte nécessite un organismeinternational. Il existe trois organismes mondiaux capables de tenir un rôledans la gestion des recettes de la taxe Tobin : le FMI, la Banque mondialeet la BRI.

Chacun de ces organismes a des avantages, mais aucun n’a de réelles com-pétences en matière fiscale. La BRI s’occupe principalement de la stabilitédu système financier et n’a comme interlocuteur que les banques centrales.Elle ne semble donc pas être adaptée à une collecte internationale. Le FMIa une grande expérience avec les pays émergents, mais les remèdes mis enoeuvre ont fait naître des doutes à propos de son indépendance politique etde la compatibilité entre sa politique et les objectifs de la taxe. La Banquemondiale semble par contre assez proche de la proposition de Tobin. Elleest déjà dans une dynamique de lutte contre la pauvreté et est peut-êtrela seule à pouvoir tenir le rôle d’administrateur de la collecte d’une taxeinternationale.

Pour simplifier le problème et pour séduire un peu plus l’opinion publiqueet les dirigeants, certaines personnes proposent que les recettes soient géréesau plan national par chaque Etat. En agissant de la sorte, la taxe Tobin perdune grande partie de son intérêt. Les revenus reviendraient aux pays déve-loppés ayant un marché des changes développé et l’aide au développementserait vite oublié.

3.2.3 Une efficacité contestée - est-ce vraiment un rempartcontre les crises ?

L’efficacité de la taxe Tobin face à une crise de change semble insuffisante.En effet, les niveaux de taxation évoqués, de l’ordre de 0.1 %, sont trèsinférieurs au niveau de dépréciation anticipé par les opérateurs lors de crisesde change, pouvant aller jusqu’à 10 %, voire 30 %. Une taxe ne permettraitdonc pas de stopper les rapatriements de capitaux, et donc les crises dechange.

En ce qui concerne la diminution de la volatilité, rien ne prouve qu’ilexiste un lien entre le coût de transaction et la volatilité. D’après les argu-ments donnés en faveur de la taxe Tobin, son instauration allongerait les

7BANK FOR INTERNATIONAL SETTLEMENTS. - Triennal Central Bank Survey,Foreign exchange and derivatives market activity in 2001. - BIS, 2002.

Page 34: LataxeTobin

CHAPITRE 3. LES LIMITES DE LA TAXE 34

Source : Subito Presto, http ://bombi.net/presto

horizons d’investissements, mais si un placement à court terme offre un ren-dement plus intéressant qu’un placement à long terme malgré la taxe, rienne va pousser les investisseurs à allonger leur horizon d’investissement.

Finalement, l’application de la taxe Tobin pourrait contrairement à ce quiest voulu accroître la volatilité. La taxe Tobin aurait comme effet de baisserle volume de transactions et donc le nombre d’opérations. Ces opérationsayant une valeur informative, la diminution de leur nombre augmenteraitla valeur prédictive de ces dernières et augmenterait ainsi le mimétisme descomportements.

3.2.4 Les dangers

Pour les opposants à une taxation des transactions de change, l’applica-tion de la taxe Tobin est non seulement inefficace, elle est aussi dangereuse.

Une menace sur la liquidité des marchés

Le danger le plus important lors de l’application de la taxe Tobin seraitde diminuer la liquidité. La liquidité "se définit comme la possibilité pour

Page 35: LataxeTobin

CHAPITRE 3. LES LIMITES DE LA TAXE 35

un intervenant sur le marché des changes comme sur tout autre marché,d’acheter ou de revendre une devise sans que cette opération se traduise parune augmentation (dans le cas d’un achat) ou une diminution de son prix" .

Comme on l’a vu précédemment dans le chapitre sur le fonctionnementdu marché des changes, lors d’une transaction, l’échange de devises entrebanques est important. Un ordre de change peut engendrer de 5 à 10 tran-sactions interbancaires. Ces opérations de couverture mutuelle représententjusqu’à 90 % des transactions sur le marché des changes et n’ont rien à voiravec de la spéculation mais sont seulement des opérations de couverture. Sila taxe Tobin est appliquée de manière uniforme et sur tous les types de tran-saction, l’ordre initial, qui sera démultiplié pour couvrir le risque de change,sera taxé autant de fois que d’échanges. Le coût de la taxe sera donc aussidémultiplié. Par conséquent, une taxe dont le taux est a priori minime sera enréalité d’une ampleur considérable et bloquera les opérations de couverturelors des transactions.

De plus, ""la très grande majorité des transactions sur le marché deschanges constitue des opérations d’arbitrage sans risque visant à amélio-rer la liquidité, c’est-à-dire l’efficacité technique du marché, précise Oli-vier Davanne, du Conseil d’analyse économique. Ces opérations d’arbitragen’existent que parce que leurs coûts sont faibles, de l’ordre de 0,02 % . Mul-tiplier ces coûts par cinq ferait chuter le volume des transactions". Or pourcertains économistes, un marché moins liquide pourrait amplifier les varia-tions des prix, et par conséquent l’instabilité financière. Jean Pierre Landeau,professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, illustre cette idée : "le jetde pierres dans un grand lac produit des remous invisibles ; dans une petitemare, il provoque des vagues de grande ampleur".

François Chesnais rejette cette critique dont la pertinence "repose sur unlien supposé entre la liquidité et la stabilité des marchés. Au cours des deuxdernières décennies, on a observé au contraire une augmentation parallèle duvolume des marchés des changes et de leur instabilité"" .

Tout ceci donne lieu à une littérature abondante sur le sujet à laquelle jerenvoie le lecteur pour plus de précision, ce sujet étant complexe.

La fuite des capitaux

Le problème de l’évasion fiscale ramène au problème de la zone d’appli-cation de la taxe Tobin. Si un pays décide d’appliquer la taxe Tobin seul, ilcourt naturellement au suicide économique (ce qui permet à certains chefsd’Etat de se prononcer pour l’application de la taxe Tobin sans prendre derisque, car ils savent que l’application demande une entente internationale.Leur responsabilité dans la non-application de la taxe est donc nulle...). Lespartisans de la taxe Tobin préconisent l’établissement d’une "zone Tobin",par exemple l’Union européenne, assez puissante économiquement pour em-pêcher une trop grande évasion.

Page 36: LataxeTobin

CHAPITRE 3. LES LIMITES DE LA TAXE 36

Le second problème à résoudre, en particulier selon Attac, est les paradisfiscaux. La solution proposée serait de taxer à un taux punitif élevé les fondsprovenant de paradis fiscaux ou, comme le proposait les juges de l’appel deGenève , de déclarer illégales les transactions impliquant un paradis fiscal.

Le seul chiffre disponible est l’estimation de l’enquête du ministère desfinances françaises qui prévoit une fuite des capitaux de 67 %. Je n’ai mal-heureusement pas pu me procurer ce rapport et je ne sais pas sur quelle zoned’application ce rapport se base, mais ces estimations sont élevées, les tauxde fuite des capitaux variant habituellement de 25 % à 50 %.

Le contournement de la taxe par l’innovation financière

En plus de l’évasion fiscale par le recours à des paradis fiscaux ou à despays ne l’appliquant pas, il serait possible de contourner la taxe Tobin enutilisant des instruments financiers non taxés qui remplaceraient une opéra-tion de change classique. Si seules les transactions de change au comptant,c’est-à-dire avec un délai de livraison inférieur à deux jours, sont taxées, ilsera facile d’utiliser des contrats de change à terme avec une échéance detrès court terme (trois jours).

Si les transactions à terme sont aussi taxées, les opérateurs feront appelaux produits dérivés, et si ces derniers sont aussi taxés, ils trouveront unmoyen de s’échanger deux actifs libellés en devises différentes et ayant lamême valeur ou ils utiliseront des swaps , etc... Le marché fait preuve d’unegrande adaptabilité, a fortiori lorsqu’il faut éviter un impôt.

Le débat a lieu car certains éléments manquent pour analyser réellementles retombées d’une taxe, sur la volatilité par exemple. En effet, l’instaurationd’une taxe sur les transactions de change semble devoir faire face à beaucoupd’obstacles. Les problèmes techniques tels que la taxation d’instruments fi-nanciers de plus en plus sophistiqués ou encore l’évasion fiscale, aussi bienque les problèmes politiques mettent en évidence la difficulté d’applicationde la taxe Tobin.

Des outils d’analyses déficients, les rôles de la spéculation ou de la liqui-dité sur le marché mal définis sont autant d’éléments qui rendent difficileune analyse complète du problème. Mais la controverse est plus profonde.En effet, la lutte d’idéologie entre les partisans d’une intervention de l’Etatet ceux qui soutiennent le libre fonctionnement des marchés est ancestrale.Cela explique sûrement pourquoi, dans le milieu académique, ce sujet diviseautant.

Tout ceci s’est étendu à la sphère politique, où un antagonisme exacerbéa pris forme entre les institutions financières, les gouvernements et les mul-tinationales d’un côté, et de l’autre les citoyens et les ONG comme Attac.La controverse basée sur l’économie s’est transformée en polémique sur lesbienfaits et les dangers de la globalisation financière.

Page 37: LataxeTobin

CHAPITRE 3. LES LIMITES DE LA TAXE 37

Les acteurs de cette polémique ont oublié que la taxe Tobin aurait fortpeu, voire pas du tout, d’effet sur la globalisation financière et que ses ob-jectifs sont modestes. Ils y ont vu, à tort ou à raison, une lutte idéologique.Adopter la taxe Tobin, c’est accepter que les marchés ont besoin d’une aideextérieure pour fonctionner.

Page 38: LataxeTobin

Chapitre 4

Pour aller plus loin...

Un des aspects du phénomène qu’est la taxe Tobin est qu’il ouvre despistes de réflexion, tant d’un point de vue économique que politique, voiresocial.

4.1 Autres possibilités de réforme

Le débat sur la taxe Tobin s’inscrit dans une réflexion sur le système mo-nétaire international. Comme on l’a vu précédemment, la taxe Tobin n’estpas une panacée et doit faire face à beaucoup de difficultés si elle veut unjour être appliquée. Les projets de réforme du SMI sont nombreux. Je vaisparticulièrement m’intéresser aux projets de réforme dits hétérodoxes, enopposition aux réformes orthodoxes telles que le renforcement des normesprudentielles imposées aux banques ou le prêteur en dernier ressort interna-tional.

4.1.1 La Cross Border Capital Tax (CBCT)

En 2000, le FMI s’est montré favorable, contrairement à sa position ha-bituelle, à une forme de contrôle des capitaux proposée par Howard Zee,proche dans son fonctionnement de la TVA, la Cross Border Capital Tax(CBCT) .

Howard Zee, observant les limites de la taxe Tobin en matière de faisa-bilité à la fois technique et politique, proposa une taxe aux objectifs plusmodestes : contrôler les mouvements de capitaux à court terme qui peuventêtre néfastes pour une économie, et ainsi limiter l’impact des flux de capitauxtrop volatils.

Contrairement à la taxe Tobin, l’instauration de cette taxe ne nécessitepas de coordination internationale et peut être instaurée unilatéralement.Autre avantage, le mode de collecte et la redistribution de la taxe ne posentplus de problème, car l’utilisation des revenus dépend du gouvernement.

38

Page 39: LataxeTobin

CHAPITRE 4. POUR ALLER PLUS LOIN... 39

La CBCT est une taxe sur les entrées de capitaux. Son fonctionnementse déroule en deux parties. Tout d’abord, tous les flux de capitaux entrantssont taxés et seulement ensuite la taxe est remboursée pour les flux de naturenon spéculative sur présentation de justificatifs attestant que la contrepartiea déjà fait l’objet d’une forme de taxation. Le risque d’évasion fiscale estdonc plus faible puisque la taxe est retenue à la source. L’objectif de ce modede fonctionnement est de pénaliser les capitaux spéculatifs caractérisés parune absence de contrepartie domestique face aux capitaux subissant déjà unimpôt.

La taxe serait remboursée aux exportateurs en adoptant un principe si-milaire au remboursement de la TVA, de même que sur présentation d’unjustificatif attestant que le capital a déjà été taxé par l’impôt sur le bénéficepour les entreprises ou par l’impôt sur le revenu dans le cas de particuliers.Les capitaux provenant de la vente d’un actif réel ou financier à l’étrangerseront aussi exempt de la CBCT.

Finalement, ce sont les opérations d’emprunt à l’étranger qui seront pé-nalisées par ce dispositif.

La CBCT ne nécessite pas de coordination internationale, ni de créationd’un organisme de collecte. Le mécanisme de taxation ne demande pas nonplus de nouvelles compétences car il serait géré par les autorités fiscales et nedemanderait ainsi pas un coût administratif élevé. De plus, la CBCT permetde lutter contre l’évasion fiscale. Mais elle est aussi intéressante au-delà deses caractéristiques techniques, car elle montre qu’il existe une alternative àla taxe Tobin dans le domaine du contrôle des mouvements de capitaux. Ellepermet de prendre du recul face à un débat sur la taxe Tobin immobilisé pardes questions idéologiques et qui fait de la proposition du prix Nobel uneréponse absolue.

En ciblant mieux ses objectifs, la CBCT perd certains points forts de lataxe Tobin, et en premier lieu les revenus qu’elle créerait (en effet, HowellZee précise que l’intérêt de la CBCT n’est pas de créer des revenus et que sontaux ne doit pas dépendre de cela), mais elle semble plus réaliste et mieuxadaptée au fonctionnement actuel du SMI.

4.1.2 Le dépôt obligatoire chilien

A partir de 1991, le Chili a mis en place un système de contrôle descapitaux pour limiter les entrées de capitaux à court terme qui menaçaientla compétitivité de son économie.

A la fin des années 1980, le Chili présentait une économie performante,mais à partir de 1989, il montre des signes de surchauffe : le PIB augmentede 10 %, alors que le chômage est de 6 % (12 % en 1985). L’inflation atteint26 % et les autorités réagissent et décide de monter le taux d’intérêt, quiétait de 5 % en 1988, à 7 %, puis à 8.7 % en 1990. Cette augmentation

Page 40: LataxeTobin

CHAPITRE 4. POUR ALLER PLUS LOIN... 40

engendre l’entrée massive de capitaux et elle crée ainsi un conflit entre lesintérêts internes et externes de la politique monétaire.

Pour lutter contre l’inflation tout en évitant une appréciation du tauxde change (liée à la hausse des taux d’intérêt, comme vu au chapitre surl’accroissement de l’autonomie de la politique monétaire, p. 23), le Chiliinstaure un dépôt d’un an, obligatoire et non rémunéré à 10 %, puis à 30 %,de l’ensemble des capitaux étrangers investis dans le pays, l’encaje. Il fut toutd’abord appliqué aux prêts accordés par les banques, puis à la totalité desentrées de capitaux, à l’exception des investissements directs et des créditscommerciaux.

L’encaje est proche dans ses objectifs de la taxe Tobin, et surtout de laproposition initiale de Tobin. Il vise à restaurer une partie de l’autonomie dela politique monétaire et permet d’éviter l’entrée massive de capitaux à courtterme. On peut aussi noter que la volatilité du taux de change s’est réduiteavec l’instauration de l’encaje, réduction peut-être due à des investissementsencouragés dans le long terme. Mais dans la forme, l’encaje diffère de la taxeTobin. Pour l’investisseur, le dépôt est un manque à gagner, mais pas uneperte, un coût comme dans le cas de la taxe Tobin.

En 1998, la chute importante des entrées de capitaux obligea les autoritésà baisser le taux de dépôt à 10 %, puis à 0 %, sans pour autant abandonner lesystème. Le bilan de l’encaje est mitigé. Le Chili a bel et bien réussi à main-tenir un taux d’intérêt national supérieur au taux d’intérêt international,mais seulement à court terme. De plus, il a dû faire face à un contournementimportant du dépôt, les opérateurs faisant classer leurs capitaux dans la caté-gorie investissements directs. Le Chili a aussi évité les attaques spéculativesdont ont été victime les pays proches, et en particulier le Brésil. Mais ce pointdoit être modéré par le fait que le Chili a appliqué dans le même temps uneréforme du système financier (les obligations émises par les entreprises, parexemple, devaient correspondre à une durée minimale d’émission de quatreans et impliquaient, elles aussi, un dépôt obligatoire et temporaire).

Le bilan reste difficile à établir. Il n’en demeure pas moins que l’on observeque le contrôle des capitaux permet d’obtenir simultanément la stabilité desprix intérieurs et du cours du change. C’est une voie de réflexion à appro-fondir, ce qui n’a pas échappé à Dominique Strauss-Kahn qui l’a proposé auFMI lors d’un sommet informel de réflexion sur le SMI à Vienne en 1998 .

4.1.3 Les réflexions actuelles

Les propositions actuelles s’orientent principalement vers des réformesorthodoxes. En admettant que les marchés financiers fonctionnent globale-ment de manière efficace, mais qu’ils peuvent connaître certains dysfonc-tionnements temporaires majeures, la réflexion porte sur la manière de lesréduire.

Page 41: LataxeTobin

CHAPITRE 4. POUR ALLER PLUS LOIN... 41

Pour lutter contre la myopie au désastre et freiner les stratégies risquées,il faut renforcer la diffusion de l’information sur les marchés financiers, parexemple en obligeant les banques centrales à rendre publique les opérationsà terme qu’elles entreprennent ou en renforçant l’analyse, par le secteur ban-caire ou par les institutions internationales, des variables macroéconomiquesclés d’un pays lorsque celui-ci attire des capitaux, afin d’inciter les investis-seurs à la prudence.

Mais l’amélioration de la diffusion de l’information n’est pas suffisantepour assurer la stabilité. L’asymétrie d’information fait partie intégrante desrelations entre opérateurs et n’est pas prête de disparaître. Il faut donc allerplus loin dans les dispositifs prudentiels, c’est-à-dire les règlements limitantl’exposition des opérateurs aux risques.

Le deuxième axe d’amélioration du système financier international con-siste donc à imposer des règles prudentielles strictes aux secteurs bancaireset non bancaires sur leurs expositions au risque de change et de crédit, pourempêcher par exemple une banque d’effectuer des prêts au secteur privé sielle ne dispose pas de suffisamment de fonds propre, ce qui mènerait à unefragilisation du secteur bancaire, dont le meilleur exemple est la crise asia-tique de 1997. Ce processus prudentiel peut être renforcé par une meilleureméthode d’évaluation des risques, qui permettrait d’obliger les institutionsfinancières à provisionner en fonction d’un risque bien défini.

Face au renforcement de la réglementation prudentielle, il existe d’autrespistes de réflexion, comme la création d’un prêteur en dernier ressort inter-national, la responsabilisation du secteur privé ou l’ouverture prudente auxcapitaux étrangers.

Toutes ces propositions, de la CBCT au renforcement de la réglementa-tion prudentielle, font partie d’une tentative de réponse face à l’instabilitéfinancière internationale, et non pas de réelles réformes du système. Il fautdonc les prendre comme tels et ne pas voir dans leur tentative d’applicationune sorte de révolution face à l’ordre établi. Il n’en demeure pas moins quela réflexion sur l’application de la taxe Tobin, et a fortiori celle sur les propo-sitions de réformes du SMI, permettent de porter un regard critique sur unsystème imparfait. Elles permettent aussi une évolution théorique en accep-tant que des mesures de restriction des capitaux puissent être dans certainesconditions positives.

4.2 La taxe Tobin comme symbole

Le mouvement de soutien à la taxe Tobin nous amène à nous poser unequestion : Pourquoi une taxe, aux objectifs "modestes" de l’aveu même deTobin et aux implications purement techniques, suscite un engouement aussiimportant ? Ce n’est pas seulement la manne financière que représenteraitson instauration ou une volonté de lutter contre l’instabilité financière. Le

Page 42: LataxeTobin

CHAPITRE 4. POUR ALLER PLUS LOIN... 42

problème est plus profond et a atteint, principalement avec Attac, une di-mension symbolique. La taxe Tobin est désormais un mythe fondateur.

4.2.1 Attac et la lutte anti-mondialisation

Jamais, sans doute, le capitalisme à l’état pur n’a semblé aussitriomphant. Au point que l’on peut se demander s’il n’est pas déjàentré dans une forme de déclin. Partout ses excès suscitent denouveaux contre-pouvoirs. Face à la mondialisation des capitaux,à l’internationalisation des entreprises et aux pouvoirs accrus desinstances supranationales, s’organise une mondialisation de lacontestation. Cela me paraît normal. Et même plus, bénéfique

Jean-Marie Messier, j6m.com, 2000

Le phénomène appelé mondialisation prend sa source à la chute du murde Berlin et lors de l’effondrement de l’Union soviétique. L’effondrement dusystème Est-Ouest déstabilise ceux qui croyaient à une alternative au capi-talisme et donne lieu à une absence de contre-pouvoir face à un capitalismeaméricain victorieux idéologiquement et économiquement.

Après une période de "calme plat idéologique"1 et face à la libéralisationéconomique, peu à peu, une nouvelle forme de lutte apparaît. Après le mar-xisme et la lutte des classes, après avoir voulu faire payer les bourgeois, ons’attaque aux multinationales et aux marchés financiers, à un mal étrangedont on ne connaît pas le visage : la mondialisation. C’est à ce moment-làque ressurgit la taxe Tobin. Que la taxe n’ait pas pour objectifs ses revenuset qu’ils ne soient que d’heureux effets secondaires n’a pas d’importance, quel’idée de James Tobin ait été détournée et résumée à "prendre aux spécula-teurs pour donner aux pauvres" n’en a pas davantage, mais il n’en faut pasplus pour que la taxe Tobin devienne le mythe fondateur de cette lutte. Pourattaquer la mondialisation, il faut créer une lutte à l’échelle de la planète.Il faut créer un ennemi commun et une arme contre cet ennemi : ce serales marchés financiers contre la taxe Tobin. Une idée simple et clairementidentifiable face à un problème, la mondialisation, qu’on peine à définir. Maispas seulement.

Tout d’abord, la taxe Tobin séduit parce que, outre le fait qu’elle rap-porterait de l’argent pour la lutte contre la pauvreté, elle représente unelutte pour l’accroissement du pouvoir de la politique, et contre celui de lafinance. Elle serait, en cas d’application, la preuve que la politique a encoreun certain pouvoir face à la sphère économique, aux "marchés". Elle tend àréinstaurer une politique interventionniste.

1WYPLOSZ (Charles). - L’irrésistible ascension de la taxe Tobin. - Le Temps, 4.7.2000.

Page 43: LataxeTobin

CHAPITRE 4. POUR ALLER PLUS LOIN... 43

Ensuite, la taxe Tobin attire tous ceux qui rêvent d’un gouvernementmondial qui serait capable d’arrêter les guerres et de réduire les inégalités,tous les déçus du consensus de Washington . Ce courant de pensée s’appellele mondialisme. Les mondialistes rejettent le concept d’Etat-nation et militepour une autorité supranationale. "Or l’un des attributs de tout pouvoir poli-tique, c’est le droit de taxer. La mondialisation, ils la veulent, mais organiséeet non pas spontanée et mise en place par les forces privées du marché. Poureux, la taxe Tobin est ainsi un premier pas, un début de reprise en main,la preuve que leur vision n’est pas aussi utopique qu’on ne le dit souvent". Et Bernard-Henry Lévy d’ajouter : "cette idée, pour la première fois dansl’histoire, d’instaurer un véritable impôt mondial, représenterait, du pointde vue du mondialisme, une avancée considérable" .

Pour pouvoir lutter contre la mondialisation, la taxe doit être internatio-nale, mondialisée. Paradoxalement, face à la mondialisation se crée un mou-vement mondialiste. Ce problème de vocabulaire a d’ailleurs inspiré RenéPasset, président du conseil scientifique de l’association Attac, qui a intituléun de ces livres "Eloge du mondialisme par un "anti" présumé" . Dans laquatrième de couverture de ce livre, il écrit : "le vrai mondialisme, loin de sedéfinir par rapport au champ d’action de la finance, vise à réaliser "l’unitéde la communauté humaine" (Robert)". Ainsi, mondialisme contre mondia-lisation, le combat est ouvert et la taxe Tobin fait partie de l’arsenal, avanttout symbolique, de cette lutte.

Autre paradoxe : ce mouvement mondialiste défend d’une part l’Etat-nation face au pouvoir grandissant de la mondialisation financière, mais aussil’idée d’un gouvernement mondial. Ces deux conceptions qui peuvent paraîtreantinomiques sont peut-être les étapes d’une évolution allant dans le mêmesens...

En ce qui concerne Attac, "l’association donne le sentiment d’avoir fait dela taxe Tobin son totem, l’objet sacré qui fonde l’unité du clan. Les adhérentssont supposés lui vouer un culte et, lors des manifestations publiques, porterson emblème à l’emplacement du coeur comme d’autres, à une époque pluslointaine, l’insigne vendéen. Ainsi investie d’une valeur symbolique, la taxeprend l’apparence d’un miroir aux alouettes tout juste capable de faire passerles vessies de la fiscalité pour les lanternes de la démocratie "participative"".

Et je laisse le mot de la fin à Charles Wyplosz : "Peu importe que la taxeTobin ne soit pas vraiment possible au niveau mondial. Peu importe que lesrevenus escomptés soient largement illusoires parce que les marchés sauronts’adapter pour en réduire considérablement sa rentabilité. Peu importe queles gouvernements nationaux ne soient pas prêts à se faire hara-kiri au nomdu mondialisme. On revient vers un schéma classique qui a fait ses preuvesdepuis que le monde existe. Pour les pauvres et les laissés pour compte,

Page 44: LataxeTobin

CHAPITRE 4. POUR ALLER PLUS LOIN... 44

l’ennemi c’est les riches, et il faut les faire payer. Ce mouvement est naturel : àl’époque féodale Robin des Bois bataillait contre le Comte de Nothingam, au20ème siècle ce fut le communisme en lutte contre les monopoleurs nationaux,au 21ème siècle le combat sera mondial contre les riches où qu’ils soient(et donc, en premier lieu, les Etats-Unis). Déjà il est relayé par des formesnouvelles d’organisation telles que les ONG et les groupes ATTAC. C’est,paradoxalement, le triomphe de la mondialisation" .

4.3 Bilan de ma rencontre avec M. Lestiboudois

Il est intéressant après avoir fait un travail de recherche, dans la presseet dans les livres sur la taxe Tobin, de confronter ses idées à la réalité. Larencontre de M. Lestiboudois m’a permis d’avoir l’avis d’un professionnel dumarché des changes .

Il faut tout d’abord savoir que le débat sur la taxe Tobin n’intéresse pasle monde de la finance (sûrement de par le fait qu’elle n’est pas mise enplace).

Pour M. Lestiboudois, la taxe Tobin est inapplicable techniquement. Elledevrait être appliquée mondialement et faire face à des problèmes de gestiondes recettes. De plus, elle ne permettrait pas de diminuer la volatilité dumarché des changes, car elle diminuerait le volume des transactions (voir lechapitre "Une menace sur la liquidité des marchés", p. 30).

Il est intéressant de noter que, finalement, pour M. Lestiboudois, le mar-ché s’autorégule. On revient donc à une lutte plus idéologique, ou en toutcas à la question de l’interventionnisme de l’Etat. En effet, il pense que lesmarchés sont en quelque sorte des miroirs réfléchissants une image exacte dela situation économique. Pour lui, les crises financières ont leurs origines dansdes politiques inadaptées ou des problèmes de l’économie réelle. Le marché seporterait donc mieux sans intervention de l’Etat et les crises financières ne secrée jamais par elles-mêmes, elles sont toujours liées à la réalité économique.

D’ailleurs, sa définition de la taxe Tobin montre bien qu’il est conscientque la taxe Tobin est plus actuellement une lutte politique, une vision uto-pique, avec pour objectif de sauver le monde qu’une réelle question technique.Il parle d’un effet de mode qui consiste à croire que les riches s’enrichissenten dormant, qu’ils ne font pas du travail productif.

Ce point de vue pose aussi une question : le SMI nécessite-t-il réellementune réforme ? Je n’ai pas la réponse, mais bon nombre d’auteurs sont d’accordsur ce point.

Page 45: LataxeTobin

Chapitre 5

Conclusion

Les clichés, les phrases toutes faites, l’adhésion à des codes d’ex-pression ou de conduite conventionnels et standardisés, ont so-cialement la fonction reconnue de nous protéger de la réalité, decette exigence de pensée que les événements et les faits éveillenten vertu de leur existence.

Hannah Arendt, Considérations morales, 1971.

Peut-on réellement conclure sur la taxe Tobin ? Certes, les aspects tech-niques ont été abordés assez en détails pour pouvoir se faire une petite idée,mais l’aspect sociologique nécessiterait d’aller beaucoup plus loin dans l’ana-lyse. Et on ne peut pas avoir de réponse absolue dans ce cas-là.

D’après moi, la taxe Tobin est une mauvaise réponse, ou du moins in-complète, à de bonnes questions. Mais elle a le mérite au moins de les poser.

La taxe Tobin est irréalisable, mais utile. Elle tient de l’utopie, dans lesens qu’elle imagine un monde merveilleux ou l’argent serait mieux distri-bué. Elle est le symbole d’une lutte non moins utopique pour l’instaurationd’un monde meilleur. Parallèlement à son rôle de mythe fondateur, elle re-présente aussi un courant de pensée qui veut instaurer des changements dansle fonctionnement actuel du SMI. Elle permet ainsi une ouverture, une ré-flexion vers d’autres projets de réforme, vers d’autres manières de penserl’économie mondiale.

Il faut bien distinguer les deux cas. D’une part la lutte pour un mondemeilleur et d’autre part, une réflexion sur le SMI. Malgré cela, le débat restebloqué par le symbole, la taxe Tobin ayant pris une dimension emblématiquequi risque bien malheureusement de faire de l’ombre à d’autres mesures moinssymboliques mais certainement plus réalisables.

Un aspect particulier de ce travail réside dans le fait que mon bagage deconnaissances en économie ne me permettait pas de comprendre la probléma-

45

Page 46: LataxeTobin

CHAPITRE 5. CONCLUSION 46

tique de la taxe Tobin. J’ai donc dû me renseigner et apprendre le fonctionne-ment de SMI et quelques notions indispensables d’économie. Parallèlement,j’ai commencé des cours d’économie et j’ai étudié les principaux courantsde la pensée économique. Je me suis ainsi rendu compte que, paradoxale-ment, j’avais appris des notions relativement pointues sans avoir de base enéconomie. De plus, la problématique soulevée par la taxe Tobin s’insère par-faitement dans l’évolution des théories économiques... Ce fut donc une sortede travail pratique sur le sujet des cours, avec parfois un peu d’avance.

Cette recherche m’a permis de comprendre le fonctionnement du SMI etde la taxe Tobin, mais aussi d’avoir une vision d’Attac, de l’économie engénéral. Elle m’a de plus donné la possibilité, une fois dans mes études augymnase, d’approfondir un sujet, ce que j’ai apprécié.

S’il faut retenir quelque chose de ce travail, c’est que la taxe Tobin adeux facettes. Elle n’a pas d’importance en soi, mais d’une part elle pose lesbonnes questions, elle amène à réfléchir, elle permet une ouverture d’espritsur le fonctionnement du SMI et de l’économie en général et d’autre part,elle représente un mouvement sociologique fort qui mérite un grand intérêt.

Page 47: LataxeTobin

Bibliographie

[1] Antoine, Darius, Guillaume, and Sébastien. La taxe tobin.

[2] Attac. Site officiel de l’association attac.

[3] Michel Barillon. Attac, encore un effort pour réguler la mondialisation ! ?Climats, Castelnau-le-Lez, 2001.

[4] Bourget and Zenou. Monnaies et systèmes monétaires dans le mondeau XXe siècle. Bréal, Paris, 1990.

[5] BRI. Site officiel de la banque des réglements internationaux.

[6] Cardoso and Laurens. Managing capital Flows : Lessons from the expe-rience of Chile. IMF, wp/98/168 edition, 1998.

[7] François Chesnais. Tobin or not Tobin ?, Une taxe internationale sur lecapital. L’esprit frappeur, Paris, 1900.

[8] Groupe de réflexion d’Attac Liège. Taxe tobin, spéculation et pauvreté.

[9] Appel des économistes contre la pensée unique. Les pièges de la financemondiale. Syros, Paris, 2000.

[10] Congrès européen citoyen à Liège. Taxe tobin.

[11] FMI. Site officiel du fmi.

[12] Bank for International Settlements. Triennal Central Bank Survey, Fo-reign exchange and derivatives market activity in 2001. BIS, 2002.

[13] André Fourcans. L’économie expliquée à ma fille. Seuil, Paris, 1997.

[14] Francis Gradoux. Dossier mondialisation. L’Illustré, 12 1999.

[15] Grunberg, Haq, and Kaul. The Tobin tax, coping with financial volati-lity. Oxford University Press, New York, 1996.

[16] Yves Jégourel. La taxe Tobin. La Découverte, Paris, 2002.

[17] Christian Losson. Tobin or not tobin, retour de question. Libération,1900.

[18] René Passet. Eloge du mondialisme par un "anti" présumé. Fayard,Paris, 2001.

[19] Jean-Paul Piriou. Lexique de sciences économiques et sociales. La Dé-couverte, Paris, 5 edition, 2002.

47

Page 48: LataxeTobin

BIBLIOGRAPHIE 48

[20] Ignacio Ramonet. Désarmer les marchés. Le Monde diplomatique, 121997.

[21] Reiermann and Scheissl. James tobin, prix nobel d’économie : "je n’airien de commun avec les praticiens de cette révolution contre la mon-dialisation". Der Spiegel, traduit par Sylvette Gleize pour Le Monde, 32001.

[22] Frédéric Teulon. Vocabulaire monétaire et financier. PUF, Paris, 1991.

[23] Charles Wyplosz. L’irrésistible ascension de la taxe tobin. Le Temps, 72000.

[24] Howell Zee. Retarding short-term capital inflows through withholdingtax. IMF, wp/00/40 edition, 2000.

[25] Jean Ziegler. Les nouveaux maîtres du monde, et ceux qui leur résistent.Fayard, Paris, 2002.

Page 49: LataxeTobin

Table des abréviations

ATTAC Association pour la taxation des transactions pour l’aide au ci-toyen. Voir section 2.2.2 "La réinterprétation du projet dans les années1990", p.22.

BIS Bank for International Settlements, voir BRI.

BRI Banque des règlements internationaux. Elle siège à Bâle et organise lacoopération entre banques centrales, la supervision des activités inter-nationales des banques et la détermination de règles prudentielles. Elleavait été crée en 1930 pour gérer le paiement de réparations allemandesprévues par le traité de Versailles.

CNUCED Conférence des Nations unies pour le commerce et le dévelop-pement. Créée en 1964 par les pays en développement qui jugeaient leGATT (ancêtre de l’OMC) trop favorable aux pays développés.

DTS Droits de tirage spéciaux. Créés en 1969 par le premier amendementaux statuts du FMI. Esquisse d’une nouvelle monnaie internationaleémise par le FMI ex nihilo au profit de tous ces adhérents (il s’agit doncde crédits non remboursables) : les "allocations" de DTS ont pour ob-jectif d’augmenter le volume des liquidités internationales (les banquescentrales peuvent les utiliser entre elles). La valeur d’un DTS est fixéeen référence à un panier de monnaies. La création des DTS va dans lesens des thèses de Keynes, mais leur poids dans les liquidités interna-tionales reste très faible.

FMI Fond monétaire international. Créé en 1945, en même temps que laBanque mondiale, en application des décisions de la conférence de Bret-ton Woods en 1944, il conseille les gouvernements dans les domainesmonétaire et financier. Siège à Washington. Les membres du FMI ontdes droits de tirage sur le Fonds, c’est-à-dire le droit d’acheter pourune durée déterminée (c’est donc un crédit) avec leur propre monnaie

49

Page 50: LataxeTobin

BIBLIOGRAPHIE 50

une autre monnaie ; cette procédure permet de faire face à des dés-équilibres temporaires de balance de paiements. Le FMI joue un grandrôle dans le tiers monde ou dans les pays "en transition" en imposantdes programmes draconiens d’ajustement ou en organisant des soutiensfinanciers massifs dont les considérations géopolitiques sont évidentes(Mexique, Russie).

OMC Organisation Mondiale du Commerce. Créée pour succéder au GATTpar l’accord de Marrakech (15 avril 1994) qui a conclu l’Uruguay Round.Existe depuis janvier 1995. Dispose de plus de pouvoir que le GATTpour résoudre les conflits commerciaux, à travers notamment un mé-canisme de règlements des différends (Organe de règlement des diffé-rends, ORD) contraignant à deux niveaux (groupes spéciaux appeléspanels, organe d’appel) ; cela devrait normalement provoquer de sérieuxconflits avec les Etats-Unis, qui considèrent souvent que leur propre lé-gislation commerciale est supérieure aux traités internationaux qu’ilsont signés (ce qui est contraire à ces traités).

PMA Pays les moins avancés. Catégorie définie par l’ONU en 1971 à partirde trois critères : PNB par habitant inférieur à 100 dollars (aux prixde 1968) ; valeur ajoutée de l’industrie inférieure à 10 % du PIB ; anal-phabétisme supérieur à 20 % des plus de quinze ans ; 48 pays en 2000.

PNUD Programme des Nations unies pour le développement. Organismed’assistance technique crée en 1965, publie annuellement le Rapport surle développement humain.

SMI Système monétaire international. Organisation des relations moné-taires entre les pays. Un SMI doit remplir trois fonctions : assurerl’échange et la circulation des monnaies nationales (convertibilité desmonnaies nationales, régime de change fixe ou flexible) ; permettrel’ajustement des balances des paiements (automatiques, dirigé, voireimposé comme dans les "programmes d’ajustements structurels" duFMI) ; assurer l’alimentation en liquidités internationales pour favori-ser la croissance mondiale. Depuis les accords de la Jamaïque en 1976,consacrant l’abandon du SMI né à Bretton Woods, il n’y a qu’un SMIaffaibli et instable.

Source : PIRIOU (Jean-Paul). - Lexique de sciences économiques et sociales. - Paris : La

Découverte, 2002, 5e éd.

Page 51: LataxeTobin

Table des figures

2.1 Le gage métallique des eurodollars . . . . . . . . . . . . . . . 112.2 Les intervenants sur le marché des changes . . . . . . . . . . . 142.3 Volume journalier des échanges sur le marché des changes . . 162.4 Le triangle des incompatibilités, R. Mundell . . . . . . . . . . 22

51

Page 52: LataxeTobin

Annexes

1. Interview de James Tobin : REIERMANN, SCHEISSL. - James Tobin,Prix Nobel d’économie : "Je n’ai rien de commun avec les praticiensde cette révolution contre la mondialisation" : Interview. - Der Spiegel,11.3.2001, traduit par Sylvette Gleize pour Le Monde.

2. Article fondateur de Attac : RAMONET (Ignacio). - Désarmer lesmarchés. - Le Monde diplomatique, décembre 97. http ://www.monde-diplomatique.fr/1997/12/RAMONET/9665

3. Interview de M. Lestiboudois.

4. Chronologie de la proposition de James Tobin.

52

Page 53: LataxeTobin

TABLE DES FIGURES 53

Annexe 1

James Tobin, Prix Nobel d’économie : "Jen’ai rien de commun avec les praticiens decette révolution contre la mondialisation"

Le professeur américain, défenseur d’une taxation des transac-tions sur les devises, rappelle qu’il est favorable au libre-échange,au FMI et à l’OMC. L’organisation Attac s’est "abusivement ser-vie de mon nom pour des priorités qui ne sont pas les miennes",affirme-t-il.

LE MONDE | 11.09.01

James Tobin, quatre-vingt-trois ans, sort de sa retraite confortable dansle New Haven pour qu’on utilise pas son nom à mauvais escient. Ancienconseiller de John Kennedy à la Maison Blanche en 1961-1962, le profes-seur de Yale de 1950 à 1988, est un keynésien. Il a proposé, dans les années70, après l’effondrement du système de Bretton Woods et l’entrée dans uneère de flottement généralisé des monnaies, de taxer les transactions à courtterme sur les devises pour ralentir les "aller-retour" des spéculateurs et ainsistabiliser le système monétaire international. Comme les keynésiens, il estpartisan de l’économie de marché, du libre-échange et, dirait-on aujourd’hui,d’un libéralisme tempéré. Prix Nobel d’économie en 1981, il a écrit seizelivres et des centaines d’articles, bataillant, notamment, contre la politiqueéconomique de Ronald Reagan. Toujours avec son franc parler.

"M. Tobin, vous êtes là tranquillement, imperturbablement as-sis au bord de ce lac, pendant que les opposants à la mondialisationen Europe font la révolution sous votre nom. Cela ne vous incite-t-il pas à quitter votre banc et ce jardin ?

- Certainement pas. Je n’ai rien de commun avec les praticiens de cetterévolution contre la mondialisation.

- L’organisation contestataire Attac a commencé par empruntervotre nom ; les opposants à la mondialisation réclament une taxeTobin. N’est-ce pas pour vous aujourd’hui une satisfaction, trenteans après en avoir fait la proposition, que votre idée de taxe contrela spéculation sur les opérations de changes trouve enfin des dé-fenseurs ?

- J’apprécie l’intérêt qu’on porte à mon idée, mais beaucoup de ces élogesne viennent pas d’où il faut. Je suis économiste et, comme la plupart des éco-

Page 54: LataxeTobin

TABLE DES FIGURES 54

nomistes, je défends le libre- échange. De plus, je soutiens le Fonds monétaireinternational (FMI), la Banque mondiale et l’Organisation mondiale du com-merce (OMC), tout ce à quoi ces mouvements s’en prennent. On détournemon nom.

- Attac veut l’instauration d’une taxe sur les opérations dechanges. Son objectif est d’exercer un contrôle sur le marché descapitaux et d’utiliser les sommes perçues à renforcer l’aide au dé-veloppement dans le tiers-monde. Cela n’a-t-il rien à voir avec vosrecommandations ?

- J’ai effectivement suggéré que les recettes de la taxe soient versées àla Banque mondiale. Cet impôt visait à limiter les fluctuations des taux dechanges. L’idée est simple : il s’agit d’effectuer sur chaque opération un pré-lèvement minime équivalent, disons, à 0,5 % de la transaction. De quoi fairefuir les spéculateurs. Car beaucoup d’investisseurs placent à très court termeleur argent sur les monnaies. Si cet argent est brusquement retiré du marché,les pays doivent relever leurs taux d’intérêt dans d’importantes proportionsafin que la devise reste attractive. Or, des taux d’intérêt élevés sont souventcatastrophiques pour l’économie intérieure, comme le montrent les crises quiont frappé le Mexique, l’Asie du Sud-Est et la Russie dans les années 1990.La taxe Tobin redonnerait une marge de manÏuvre aux banques centralesdes petits pays pour lutter contre la tyrannie des marchés financiers.

- Faire fuir les spéculateurs, lutter contre la tyrannie des mar-chés financiers, n’est-ce pas le langage des adversaires de la mon-dialisation ?

- Je crois que, pour l’essentiel, les recettes de la taxe les intéressent, aveclesquelles ils entendent financer leurs projets de développement. Mais cesprélèvements ne constituent pas mon objectif premier. J’ai voulu ralentir lestransactions financières. Les recettes ne sont, pour moi, que secondaires.

- Quel mal y-a-t-il à employer le produit de la taxe à une bonnecause ?

- Aucun. Je serais heureux si ces sommes parvenaient aux déshérités dela planète.

- Estimez-vous que les adversaires de la mondialisation vous ontutilisé à tort ?

- J’estime être aujourd’hui mal compris. J’estime aussi qu’on s’est abusi-vement servi de mon nom pour des priorités qui ne sont pas les miennes. La

Page 55: LataxeTobin

TABLE DES FIGURES 55

taxe Tobin n’est en rien un tremplin pour les réformes dont ces gens veulent.Mais que faire ?

- Ne créditez-vous pas au moins vos "fans" de bonnes inten-tions ?

- Leurs intentions sont bonnes, j’imagine, mais les propositions qu’ils fontmanquent de réflexion. A moins que, simplement, je ne comprenne pas.

- Qu’est-ce qui vous a poussé à concevoir la taxe Tobin en 1972 ?

- Je suis avant tout un disciple de Keynes, qui, dans le fameux chapitre 12de sa Théorie générale sur le krach de 1929, propose de taxer les mouvementsde capitaux afin de lier plus durablement les investisseurs à leurs actifs. En1972, j’ai appliqué cette taxe aux marchés des changes. Les Etats-Unis quit-taient le système de changes fixes décidé à Bretton Woods. Parallèlement,les transactions électroniques promettaient de considérablement accroître lavitesse et le nombre des transactions. J’ai voulu ralentir ce processus afinde réduire la spéculation et la volatilité des taux de change. Aujourd’hui oùchacun peut à tout moment effectuer des transactions financières sur sonordinateur personnel, les problèmes que je prévoyais se sont multipliés.

- Le Premier ministre français, Lionel Jospin, s’est tout récem-ment prononcé en faveur de la taxe Tobin ; c’est le premier chef degouvernement à le faire. Sur la scène internationale, plus de troiscents parlementaires se sont à ce jour ralliés à l’idée de cette taxe.Sa mise en place, cependant, doit intervenir partout dans le mondeen même temps, si l’on veut éviter que certains n’y échappent etque n’apparaissent des paradis fiscaux. A qui confier une telle pré-paration ? A une instance internationale spécialement créée à ceteffet ?

- Le FMI pourrait en être chargé. Il possède l’expérience du système deschanges. Presque tous les pays y adhèrent.

- Le FMI, vraiment ? Dont on considère qu’il est au service ducapitalisme mondial et qu’il doit être supprimé et pas seulementparmi les adversaires de la mondialisation ?

- Je pense, au contraire, que le FMI doit avoir son pouvoir renforcé etélargi. Il a, certes, commis beaucoup d’erreurs - c’est indiscutable -, mais,comme la Banque mondiale, il dispose de beaucoup trop peu de moyens pouraider ses pays membres, en particulier les économies les plus pauvres et lesmoins développées. La Banque mondiale et le FMI ne font pas partie d’une

Page 56: LataxeTobin

TABLE DES FIGURES 56

conspiration qui a pour nom mondialisation.

- Cela est-il vrai aussi de l’Organisation mondiale du com-merce ?

- Certainement. Son prédécesseur, le GATT, a fait beaucoup pour le dé-veloppement du commerce mondial.

- Ce n’est pas l’avis de tout le monde. En 1999, la réunion del’OMC à Seattle a échoué en raison des pressions exercées par desdizaines de milliers d’opposants à la mondialisation.

- L’OMC a peut-être besoin de pouvoirs accrus, vis-à-vis des Etats-Unis,notamment. Elle devrait, par exemple, avoir les moyens d’interdire aux paysindustrialisés d’instaurer des barrières douanières qui empêchent les impor-tations en provenance des nations en développement.

- Le fait est que les pays industrialisés inondent de leurs pro-duits les marchés du tiers-monde et utilisent ces nations pour leurmain- d’Ïuvre bon marché.

- Je crois que cette idée d’ensemble que le Fonds monétaire internatio-nal, la Banque mondiale et l’Organisation mondiale du commerce sont lesennemis des pays en développement est une erreur. Les problèmes de la mon-dialisation ne seront pas réglés en s’opposant à ce qu’elle aille de l’avant. Tousles pays, comme leurs habitants, tirent profit du libre-échange des biens etdes capitaux.

- Pourquoi, alors, la pauvreté a-t-elle progressé ?

- C’est absolument faux. Prenons la Corée du Sud, qui en 1960 était unpays extrêmement pauvre. Elle fait aujourd’hui partie des grandes nationsindustrialisées. Il en est de même de beaucoup d’autres " tigres", en dépitde la crise que l’Asie du Sud-Est a connue il y a trois ans. Ces pays restentà l’heure actuelle plus prospères qu’ils ne l’étaient il y a trente ans. Et cela,grâce au commerce et aux capitaux étrangers.

- Des nations peuvent, à titre individuel, s’en sortir avantageu-sement, mais d’une manière générale les riches s’enrichissent et lespauvres s’appauvrissent. Le nieriez-vous ?

- La pauvreté peut avoir bien des causes. La plupart de ces causes sontinhérentes aux pays mêmes. Ils n’amélioreront pas leur situation en prenantles mesures que prônent les opposants à la mondialisation, telles que l’adop-

Page 57: LataxeTobin

TABLE DES FIGURES 57

tion partout dans le monde des conditions de travail des nations occidentales.Cela réduirait la compétitivité des produits des pays pauvres sur les marchésdes pays riches.

- Vous accusez donc Attac de mal défendre les pauvres ?

- Je ne connais pas vraiment dans le détail ses propositions. Les ma-nifestations dont vous parliez ont été passablement incohérentes, j’ignorecependant si elles reflètent l’état d’esprit d’Attac. Ces prises de position re-posent, d’une manière générale, sur de bonnes intentions, mais elles ne sontpas suffisamment approfondies. Je refuse tout simplement d’y être associé.

- Avez-vous parlé aux représentants d’Attac ?

- Son président, Bernard Cassen, m’a un jour appelé pour me demanderde venir à Paris. L’idée était que j’apparaisse devant quelques milliers de sespartisans enthousiastes.

- Que lui avez-vous répondu ?

- J’ai décliné l’invitation, pour des raisons familiales et parce que je nevoulais pas que l’on m’assimile aux objectifs d’Attac. Il ne me les avait pasexposés ; je n’avais pas pris part à leur formulation. Je n’ai plus eu aucunenouvelle depuis.

- Comment expliquez-vous que votre taxe ait beaucoup de dé-fenseurs parmi les militants politiques, mais soit condamnée parles experts économiques ?

- Il n’en va pas toujours ainsi. Les économistes, pour la plupart, se dés-intéressent simplement de ma proposition. Beaucoup de livres et d’articlestraitent de la taxe Tobin, certains sont favorables, d’autres hostiles, d’autresencore entre les deux.

- Rudi Dornbusch, qui enseigne au Massachusetts Institute ofTechnology, est critique ; Robert Mundel, Prix Nobel d’économiecomme vous, estime que votre taxe est une idée "sotte".

- J’espère qu’ils font référence à Attac et aux autres mouvements de cetype, pas à la taxe même. Mais je veux bien croire que Dornbusch et Mundelly soient opposés.

- George Soros, par exemple, le plus célèbre des spéculateurs,préconise votre taxe pour lutter contre les spéculateurs justement.

Page 58: LataxeTobin

TABLE DES FIGURES 58

Est-ce qu’ici aussi l’éloge ne vient pas d’où il faut ?

- George Soros s’est exprimé oralement et par écrit en faveur de ma pro-position. Il sait évidemment de quoi il parle. Il a gagné beaucoup d’argentsur les marchés financiers. Ce n’est pas là un péché en soi. Il a, par ailleurs,des idées fort peu orthodoxes en ce qui concerne le système mondial desdevises. Les ministres des finances du monde entier ont plus de raisons dese méfier de lui que de moi, car Soros a les moyens de mener à bien ses projets.

- Croyez-vous que votre taxe sera un jour appliquée ?

- Certainement pas, hélas ! Les décideurs sur la scène internationale ysont opposés.

- Les ministres européens des finances doivent en discuter àLiège fin septembre.

- C’est un faux-semblant, je doute qu’ils songent sérieusement à l’ins-taurer. Ils ne veulent pas s’encombrer d’une taxe de plus. Les ministres desfinances qui comptent dans le monde y sont hostiles, dont le secrétaire amé-ricain au Trésor, de Clinton comme de Bush.

- Pourquoi ne pas protéger notre marché des devises en reve-nant simplement au vieux système des taux de changes fixes, danslequel les banques centrales des pays adhérents maintiennent lastabilité de la monnaie ?

- Le système a été testé et il a échoué. Des spéculateurs comme Sorospouvaient rouler les banques centrales. Voyez ce qui est arrivé à l’Argentine,qui a lié entièrement son peso au dollar américain. Ce qui se passe dans cepays est un désastre, un désastre absolu. Des taux de changes immuablessont une invite à la spéculation. Les opérateurs parient sur la volonté et surla capacité des banques centrales à défendre les taux établis. Le système destaux de changes fixes est passé de mode, et c’est tant mieux."

Propos recueillis par Christian Reiermann et Michaela Scheissl( c© Der Spiegel), traduit par Sylvette Gleize

ARTICLE PARU DANS L’EDITION DU MONDE DU 11.09.01

Page 59: LataxeTobin

TABLE DES FIGURES 59

Annexe 2

Désarmer les marchés

LE MONDE DIPLOMATIQUE | Décembre 1997

Le typhon sur les Bourses d’Asie menace le reste du monde. La mon-dialisation du capital financier est en train de mettre les peuples en étatd’insécurité généralisée. Elle contourne et rabaisse les nations et leurs Etatsen tant que lieux pertinents de l’exercice de la démocratie et garants du biencommun.

La mondialisation financière a d’ailleurs créé son propre Etat. Un Etatsupranational, disposant de ses appareils, de ses réseaux d’influence et deses moyens d’action propres. Il s’agit de la constellation Fonds monétaireinternational (FMI), Banque mondiale, Organisation pour la coopération etle développement économique (OCDE) et Organisation mondiale du com-merce (OMC). Ces quatre institutions parlent d’une seule voix - répercutéepar la quasi- totalité des grands médias - pour exalter les "vertus du marché".

Cet Etat mondial est un pouvoir sans société, ce rôle étant tenu par lesmarchés financiers et les entreprises géantes dont il est le mandataire, avec,comme conséquence, que les sociétés réellement existantes, elles, sont dessociétés sans pouvoir1. Et cela ne cesse de s’aggraver. (Lire, pages 12 à 15,notre dossier sur la crise financière actuelle.)

Succédant au GATT, l’OMC est ainsi devenue, depuis 1995, une institu-tion dotée de pouvoirs supranationaux et placée hors de tout contrôle de ladémocratie parlementaire. Une fois saisie, elle peut déclarer les législationsnationales, en matière de droit du travail, d’environnement ou de santé pu-blique, "contraires à la liberté du commerce" et en demander l’abrogation2.Par ailleurs, depuis mai 1995, au sein de l’OCDE, et à l’écart des opinionspubliques, se négocie le très important Accord multilatéral sur les investisse-ments (AMI), qui devrait être signé en 1998, et qui vise à donner les pleinspouvoirs aux investisseurs face aux gouvernements.

Le désarmement du pouvoir financier doit devenir un chantier civiquemajeur si l’on veut éviter que le monde du siècle à venir ne se transforme en

1Lire André Gorz, Misères du présent, richesse de l’avenir, Galilée, Paris, 1997 ; ainsique la communication de Bernard Cassen au colloque "La social-démocratie à l’heure dela mondialisation", organisé par le Parti québécois (PQ), à Québec, les 27 et 28 septembre1997. Par ailleurs, le Groupe de Lisbonne, présidé par Riccardo Petrella, va prochainementpublier aux éditions Labor, à Bruxelles, une étude intitulée Le Désarmement financier.

2Cf. François Chesnais, La Mondialisation du capital, Syros, Paris, 1997 (nouvelle édi-tion augmentée).

Page 60: LataxeTobin

TABLE DES FIGURES 60

une jungle où les prédateurs feront la loi.

Quotidiennement, quelque 1 500 milliards de dollars font de multiplesallers et retours, spéculant sur des variations du cours des devises. Cette in-stabilité des changes est l’une des causes de la hausse des intérêts réels, quifreine la consommation des ménages et les investissements des entreprises.Elle creuse les déficits publics et, par ailleurs, incite les fonds de pension, quimanient des centaines de milliards de dollars, à réclamer aux entreprises desdividendes de plus en plus élevés. Les premières victimes de cette "traque"du profit sont les salariés, dont les licenciements massifs font bondir la cota-tion boursière de leurs ex- employeurs. Les sociétés peuvent-elles longtempstolérer l’intolérable ? Il y a urgence à jeter des grains de sable dans ces mou-vements de capitaux dévastateurs. De trois façons : suppression des "paradisfiscaux" ; augmentation de la fiscalité des revenus du capital ; taxation destransactions financières.

Les paradis fiscaux sont autant de zones où règne le secret bancaire, quine sert qu’à camoufler des malversations et d’autres activités mafieuses. Desmilliards de dollars sont ainsi soustraits à toute fiscalité, au bénéfice despuissants et des établissements financiers. Car toutes les grandes banquesde la planète ont des succursales dans les paradis fiscaux et en tirent grandprofit. Pourquoi ne pas décréter un boycottage financier, par exemple, deGibraltar, des îles Caïmans ou du Liechtenstein, par l’interdiction faite auxbanques travaillant avec les pouvoirs publics d’y ouvrir des filiales ?

La taxation des revenus financiers est une exigence démocratique mini-male. Ces revenus devraient être taxés exactement au même taux que lesrevenus du travail. Ce n’est le cas nulle part, en particulier dans l’Unioneuropéenne.

La liberté totale de circulation des capitaux déstabilise la démocratie.C’est pourquoi il importe de mettre en place des mécanismes dissuasifs. L’und’entre eux est la taxe Tobin, du nom du Prix Nobel américain d’économiequi la proposa dès 1972. Il s’agit de taxer, de manière modique, toutes lestransactions sur les marchés des changes pour les stabiliser et, par la mêmeoccasion, pour procurer des recettes à la communauté internationale. Autaux de 0,1 %, la taxe Tobin procurerait, par an, quelque 166 milliards dedollars, deux fois plus que la somme annuelle nécessaire pour éradiquer lapauvreté extrême d’ici au début du siècle3.

De nombreux experts ont montré que la mise en oeuvre de cette taxe ne3Rapport sur le développement humain 1997, Economica, Paris, 1997.

Page 61: LataxeTobin

TABLE DES FIGURES 61

présente aucune difficulté technique4. Son application ruinerait le credo libé-ral de tous ceux qui ne cessent d’évoquer l’absence de solution de rechangeau système actuel.

Pourquoi ne pas créer, à l’échelle planétaire, l’organisation non gouverne-mentale Action pour une taxe Tobin d’aide aux citoyens (Attac) ? En liaisonavec les syndicats et les associations à finalité culturelle, sociale ou écolo-gique, elle pourrait agir comme un formidable groupe de pression civiqueauprès des gouvernements pour les pousser à réclamer, enfin, la mise enoeuvre effective de cet impôt mondial de solidarité.

Ignacio Ramonet

ARTICLE PARU DANS L’EDITION DU MONDE DIPLOMATIQUE DE DECEMBRE 97

4Cf. Mahbub Ul Haq, Inge Kaul, Isabelle Grunberg, The Tobin Tax : Coping withFinancial Volatility, Oxford University Press, Oxford, 1996. Lire Le Monde diplomatique,février 1997.

Page 62: LataxeTobin

TABLE DES FIGURES 62

Annexe 3

Interview de M. Lestiboudois

LAUSANNE | 24.10.2002

"Pouvez-vous brièvement me décrire la société dans laquellevous travaillez ?

- Cybel Management est une société basée à Lausanne qui offre aux insti-tutionnels, tels que les fonds de pension, une couverture du risque de change.Par ailleurs, la société a développé un système de gestion quÕelle appliqueà la gestion de fonds de placement en actions.

- En tant que professionnel du marché des changes, quÕelle estvotre définition de la taxe Tobin ?

- Avant de parler de la taxe Tobin, je pense quÕil est nécessaire de parlerdu marché des changes, de son fonctionnement et de son utilité :

Florin Aftalion, dans un article paru dans le quotidien "Les Echos" donneune bonne définition de ce marché un peu particulier.

"Le marché des changes est formé par des centaines de "traders" (oucambistes) travaillant dans la plupart des grandes places financières et re-groupés dans des salles de marché appartenant souvent à des banques. Cestraders exécutent les ordres venant dÕentreprises qui, à la suite dÕopéra-tions industrielles ou commerciales, doivent acheter ou vendre des devises.Ils opèrent également avec les traders dÕautres institutions financières partéléphone ou liaisons informatiques afin dÕajuster leurs positions. En ef-fet, lorsquÕun cambiste estime, par exemple, détenir un excédent des livressterling, il doit le vendre. Pour cela, il appelle un trader dans une autreinstitution et lui demande une cotation. La contrepartie sollicitée répondtoujours (sous peine, si elle ne le fait pas, de se voir exclue du marché) en in-diquant deux nombres. LÕun correspondant au cours auquel elle achète deslivres sterling et lÕautre à celui auquel elle les vend (contre dollars). Fort deces informations, le premier cambiste peut décider dÕacheter ou de vendredes livres sterling à la contrepartie (qui ne peut refuser la transaction souspeine, là encore, de se voir exclue du marché). Deux jours ouvrables plustard notre cambiste disposera des livres sterling achetées dans son comptedans une banque britannique et aura transféré des dollars vers le compte quela contrepartie lui aura désigné dans une banque américaine.

Pour un opérateur, le grand avantage du marché des changes interban-caire est sa liquidité. Elle permet lÕachat ou la vente de montants pouvantaller jusquÕà des centaines de millions de dollars en quelques minutes et à

Page 63: LataxeTobin

TABLE DES FIGURES 63

un coût minime. Le désavantage lié à cette liquidité est lÕobligation danslaquelle se trouve tout opérateur dÕexécuter des opérations même lorsquÕilnÕa pas envie de modifier les montants de devises quÕil détient ou quÕil nepossède pas les devises quÕil doit livrer. Dans un cas comme dans lÕautre ilest obligé, une fois effectuée une opération, de se tourner vers le marché poureffectuer lÕopération inverse (vendre ce quÕil a acheté et acheter ce quÕil avendu). Mais, en général, la contrepartie quÕil trouve a le même problèmeque lui. Elle doit à son tour "ajuster ses positions". Une cascade dÕopéra-tions a ainsi lieu jusquÕà ce que finalement un opérateur soit satisfait de sesnouvelles positions."

Mais revenons au sujet qui nous intéresse, la taxe Tobin est selon moi,une taxe qui avait été initialement envisagée comme un moyen pour luttercontre la spéculation. Il semble aujourdÕhui quÕil sÕagisse plus dÕune opé-ration politique avec un objectif avoué de sauver le monde.

- Actuellement, on parle relativement beaucoup de la taxe To-bin dans la presse, mais aussi dans la sphère académique. QuÕenest-il dans le secteur de la finance ?

- Dans le contexte international actuel, les intervenants financiers neparlent pas de la taxe Tobin. Le débat "pour ou contre lÕinstauration decette taxe ?" revient périodiquement au moment des échéances électorales(et particulièrement en France), mais reste à lÕétat de projet plus ou moinsutopisteÉ

- La taxe Tobin est-elle applicable techniquement ?

- La taxe Tobin est à mon avis inapplicable, car elle repose sur trois idéesfausses :

DÕabord, il est impossible de faire la distinction entre les "bons" et les"mauvais" mouvements de capitaux, cÕest-à-dire entre ceux qui financentet ceux qui déstabilisent (elle toucherait indifféremment la spéculation maisaussi le commerce extérieur).

Ensuite, les mouvements de capitaux déstabilisateurs sont les mouve-ments de capitaux a court terme (or tous les crédits à court terme ne sontnécessairement déstabilisants ; certains arbitrages sur les bourses des paysémergents sont, techniquement, des mouvements de capitaux à long terme).

Enfin, il est possible de les dissuader par une taxe de faible montant,qui ne pénaliserait pas les mouvements de capitaux à long terme (La taxeTobin nÕaurait pas empêché la crise asiatique. Pour freiner des mouvementsde grande ampleur, il faut des mesures plus puissantes sÕapparentant à unvéritable contrôle des changes).

Page 64: LataxeTobin

TABLE DES FIGURES 64

Ajoutons enfin quÕune telle taxe ne pourrait être efficace que si elle étaitmondialement acceptée et appliquée.

- Pensez-vous que taxer les transactions de change diminueraitla volatilité ?

- LÕamoindrissement des profits sur les marchés des devises entraîneraitune baisse de la liquidité et donc une plus forte volatilité (quand il y a moinsde produits, le marché réagit plus brusquement aux variations de lÕoffre etde la demande). Elle pourrait donc déstabiliser le marché dont le but premiernÕest pas la spéculation.

(Entre nous, la spéculation nÕest pas forcément dommageable : quel estle mal à sÕenrichir ?)

- Est-ce que la Taxe Tobin est applicable politiquement ?

- Oui, théoriquement.Mais est-elle vraiment nécessaire ?

Les crises financières et monétaires trouvent leurs origines dans des po-litiques économiques et fiscales inadaptées. Elles sont souvent liées à desproblèmes de lÕéconomie réelle.

Les marchés financiers ne font en fait que répertorier les problèmes, dèsquÕils sont avérés, sur les prix. Comme les prix réagissent plus vite que lesquantités, les marchés réagissent de manière plus volatile et rapide. Les crisesne trouvent pas systématiquement leur source dans les marchés financiers,elles nÕen sont souvent que le reflet !

Ajoutons pour conclure, que de multiples problèmes liés à la redistribu-tion des sommes collectées par cette taxe ne manqueraient pas dÕapparaître.Toute la question est de savoir si cet argent arriverait bien dans les pochesde ceux qui en ont réellement besoin..."

Réponses rédigées par M. Lestiboudois suite à notre rencontre.

Page 65: LataxeTobin

TABLE DES FIGURES 65

Annexe 4

Chronologie de la proposition de James To-bin

1972 Elaboration de la théorie par James Tobin lors d’une conférence àPrinceton.

1995 Proposition de la taxe Tobin par François Mitterrand au sommet deCopenhague.

1995 Inscription au programme présidentiel de Lionel Jospin de la taxe To-bin.

23 mars 1999 La chambre des Communes du Canada passe 164 voix contre83 une motion en faveur de la taxe Tobin. C’est un accord pour fairela promotion de cette taxe en vue qu’elle soit appliquée dans le mondeentier.

11 avril 2000 Le député Peter Defasia et le sénateur Paul Wellstone intro-duisent au Congrès américain le sujet de la taxe Tobin.

Juin 2000 Laurent Fabius se déclare en faveur de la taxe Tobin lors d’unforum de la Banque mondiale.

23 juin 2000 Conférence des Nations-Unies à Genève où une résolution estprise pour une étude de faisabilité dirigée par John Langmore.

1er juillet 2000 Lionel Jospin déclare : "Il est temps de faire avancer cettetaxe dans les instances internationales".

21 août 2000 Communiqué du ministère des finances : la taxe Tobin estimpossible à mettre en Ïuvre pour des raisons techniques et politiques.La France ne luttera pas pour la taxe Tobin sur le plan international.

11 octobre 2000 L’assemblée parlementaire ACP-UE se prononce pour lacréation d’une taxe de type Tobin.

24 octobre 2000 Etude sur la taxe Tobin au parlement européen.

Page 66: LataxeTobin

TABLE DES FIGURES 66

Janvier 2001 Le Premier ministre indien Atal Behari Vajpayeee est offi-ciellement favorable à l’instauration d’une taxe Tobin au niveau inter-national pour lutter contre la pauvreté.

27 mars 2001 La Banque fédérale européenne (regroupant 2900 banques)s’oppose officiellement à une taxe de type Tobin.

Fin mars 2001 Semaine internationale pour relancer la taxe Tobin.

6 avril 2001 Lors d’un voyage à Rio au Brésil, Lionel Jospin se déclare hos-tile à la taxe Tobin qui nécessite une application universelle à l’heureactuelle impossible mais il souhaite que le FMI lutte contre les fluxspéculatifs.

11 mars 2002 Mort de Tobin, "trahi par la gauche comme par la droite"(Le Temps, 13 mars 2002).

Source : http ://www.multimania.com/bonnes/tobin/chrono.html

Page 67: LataxeTobin

TABLE DES FIGURES 67

Dernière mise-à-jour : 8 novembre 2007

Rédigé avec LATEX