LASAINTE-CHAPELLE · 2018-03-15 · LASAINTE-CHAPELLE retrouve son éclat divin GRAND-ANGLE...
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LA SAINTE-CHAPELLEretrouve son éclat divinGRAND-ANGLE Chef-d’œuvreabsolu du gothique rayon-nant, la Sainte-Chapelle,sur l’île de la Cité à Paris,fait l’objet d’une restaura-tion sans précédent portantessentiellement sur ses ex-traordinaires vitraux. Se-crets d’un chantier exem-plaire associant scientifi-ques et restaurateurs.PAR PEDRO LIMA (TEXTE) ET PHILIPPE PSAÏLA (PHOTOS)
Sur la façade nordde la nef, un échafaudageprotège l’accèsaux immenses verrièresde plus de 15 mde hauteur, durantleur restauration. Fin duchantier prévue fin 2014.
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En1242,leroideFranceLouisIX,plustardcanonisépourdevenirSaint Louis, ordonne l’érection,dans l’enceinte de son palais del’île de la Cité, d’une somptueuse chapelle sainte. Elle seradestinée à accueillir les reliques
du Christ, un fragment de la vraie Croix et laSainte Couronne d’épines, acquises à prix d’orauprès de l’empereur de Constantinople. Consacrée en 1248, la SainteChapelle est aujourd’huil’un des monuments les plus célèbres de France,avec près d’un million de visiteurs annuels. Audelà de son architecture audacieuse, fine et élancée, de sa flèche culminant à plus de 30 mètresdans le ciel parisien, ce sont surtout les 15 somptueuses baies vitrées multicolores de la chapellehaute, dans la nef et l’abside, qui enchantent lesvisiteurs du monde entier. Véritable mur de lumière polychrome de plus de 15 mètres de hauteur, ce chefd’œuvre magistral accompli par lesmaîtres verriers parisiens du Moyen Age visaitunbutprécis :«Les1 113panneauxdevitrailcomposant les quinze baies représentent en effet des scènes decouronnement, de croisades, des fleurs de lys, ainsi quedes épisodes bibliques. Elles permirent ainsi à Louis IXdes’inscriredans lacontinuitédesroisde l’AncienTestament, et d’asseoir avec prestige son pouvoir politiqueetreligieux»,décrypteIsabelledeGourcuff,administratrice du monument. Détail étonnant : lareine Marguerite de Provence, épouse deLouis IX, est quant à elle très peu évoquée.
Des vitraux victimes de la pollutionet des agressions atmosphériques
Or, avec le passage des siècles, l’éclat des vitrauxde la SainteChapelle s’est terni. Sur leur face interne, ils ont été victimes de la condensation del’air, et, sur la face externe, de la pollution et desagressions atmosphériques… D’où la nécessitéd’un ambitieux chantier de restauration, initiédès les années 1970. Depuis 2008, la dernièretranche de ce programme concerne les sept verrières du nord de l’abside et de la nef. Budget total, 10 millions d’euros, pris en charge par l’Etatet les fondations Velux.
Pour les équipes engagées dans ce chantierexemplaire,larestaurationd’unebaiedébuteparladéposedesvitraux.Ainsi,aumoisdemai2012,les deux immenses verrières du Livre de Josué etdu Livre des nombres, composées au total de200 panneaux, ont été patiemment démontées,sous le regard curieux des visiteurs. Perchés àplus de 20 mètres de hauteur sur leur échafaudage avec vue plongeante sur la nef, artisans etrestaurateursréalisentcettetâcheavecprécision,marteauetburinenmain.L’opérationestrendue
Les immenses verrières so nt patiemment démontéesJuchés sur leurs échafaudages(en haut), les restaurateursdéposent les verrières du Livrede Josué et du Livredes nombres, composéesau total de 200 panneaux.
Plusieurs échantillonssont analysés au Laboratoirede recherche des monumentshistoriques (ci-contre), afin dedéterminer la nature précise desdépôts qui les recouvrent et demettre au point le bon traitement.
Les restauratrices de l’atelierDebitus, à Tours, nettoientun à un les milliers de fragmentsqui composent les verrières.8 000 heures de travail au total.
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délicate par l’état précaire des structures en fer,appelées barlotières, qui soutiennent les panneaux vitrés. Les artisans, toujours méticuleux,prennent également soin de ne pas détériorer lesfragilesréseauxdeplombmaintenantlesmilliersde fragments de verre coloré entre eux, et formant la structure géométrique complexe del’œuvre : losanges, trilobes ou quadrilatères…Malgré ces efforts et une concentration de tousles instants, ces spécialistes restent sensibles ausavoirfaire de leurs prédécesseurs : « Ils maîtrisaient à merveille la cuisson et la décoration du verre,pour le rendre à la fois coloré et très résistant, ce qui apermis aux vitraux de parvenir jusqu’à nous, admirele maître verrier Claire Babet, coordinatrice duchantier. Ils étaient surtout des artistes accomplis, quiont créé des œuvres parfaites, équilibrées du point devue des couleurs et des dessins quelle que soit l’échelle àlaquelle on les observe, depuis la scène détaillée jusqu’àla composition d’ensemble. » Ainsi, sur les vitrauxdelaSainteChapelle,lesmaîtresverriersontprivilégié une gamme colorée rouge et bleue. Or, lajuxtapositiondescouleurssurlespanneauxproduisait pour le spectateur, d’heure en heure, unchangement de tonalité chromatique générale,en fonction de la lumière extérieure.
Dix restaurateurs nettoient lesmilliers de fragments avec minutie
Présenteauxcôtésdesrestaurateurssurl’échafaudage, Claudine Loisel est spécialiste des vitraux au Laboratoire de recherche des monumentshistoriques(LRMH).Sonrôle:mettreaupoint, avec sa collègue Fanny Bauchau, le traitementdesverresquiseraappliquéparlesmaîtresverriersdansleursateliersderestauration.Loupe en main, elle observe attentivement unescène de couronnement à peine retirée de la façade par Claire Babet, aux reflets bleus et orcomme recouverts d’un voile noirâtre. « Regardez la face interne du vitrail, sur laquelle les artisansont apposé la peinture, appelée “grisaille”, qui étaitfixée par cuisson. On y voit un dépôt dû à la pollutionet à l’emploi de vernis lors de restaurations passées,qu’il faudra caractériser au microscope afin deconcevoir le traitement approprié », explique lachercheuse.
UnefoislanatureprécisedesdépôtsidentifiéeauLRMH, une équipe de dix restaurateurs réalise lepatient nettoyage des milliers de fragments deverre.Ceminutieuxlabeursedérouledanslesateliers de Claire Babet, en EureetLoir, et d’HervéDebitus à Tours (IndreetLoire), où les baies ontété transportées, conditionnées et numérotéesdans des caisses hermétiques. Employant descompresses, des éponges et des CotonTige imbibés de solvants, les artisans éliminent, centimè
Les immenses verrières so nt patiemment démontées
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tre par centimètre, les dépôts noirs et gris :8 000 heures de travail au total sur les quelque46 000 pièces de verre composant les 200 panneaux des deux baies. Principale difficulté, la présence entre les verres de plombs de casse, des baguettes de plomb utilisées lors de restaurationsantérieures pour ressouder des fragments de verres brisés. « Lorsque nous les enlevons afin de recollerles morceaux avec une résine polymère, nous devonscombler la partie manquante avec une retouche de couleur au pinceau », explique Laurence Cuzange, restauratrice à l’atelier Debitus. Lorsqu’un fragmentaétéperdu,lesmaîtresverriersreproduisentalorslesgestesdeleursprédécesseurs,sélectionnantunverre de la teinte voulue, le découpant finementavantdelepeindreetdelereplacerdanslepuzzlemulticolore. Au terme de cette entreprise de longue haleine, les deux baies restaurées, à nouveauresplendissantes, ont regagné leur écrin magiqueen septembre dernier… Pour le plus grand plaisirdes visiteurs !
De plus, parallèlement à la restauration des vitraux, c’est tout le bâtiment qui retrouve son lustred’antan,souslaconduitedeChristopheBottineau, architecte en chef des Monumentshistoriques : « Sur la façade, nous installons ainsi undouble vitrage externe pour protéger les vitraux quilaisse passer la lumière tout en épousant leurs formes etrestituel’aspectextérieurdumonument.Deplus, les façades sont nettoyées par microsablage, certaines sculptures sont déposées, restaurées en atelier, puis reposéessur l’édifice. » Une tâche délicate qui conduit le
chef de chantier pour la maçonnerie LaurentBouillot, de l’entreprise Lanfry, à évoluer avecson équipe à plus de 50 mètres du sol, sur leséchafaudages extérieurs. Là, il prend des mesures au pied de la flèche, juché audessus des gargouilles, ou remet en place un aigle de pierre quisurplombe le Palais de justice.
Comme dans le cas des vitraux, les artisans enchargedelamaçonnerieetdesstructuresmétalliques bénéficient de l’apport des scientifiquesdu LRMH. Ainsi, la spécialiste Lise Leroux a puétablir, grâce à une collection de 6 000 échantillonslithiquesconservésaulaboratoire, laprovenance des pierres de la SainteChapelle, essentiellement des carrières parisiennes, etconseiller les maçons pour les substitutions depierres nécessaires. Quant à sa collègue AnnickTexier,spécialistedesmétaux,ellen’hésitepasàenjamberleséchafaudagespourscruter, instrument d’analyse métallique en main, les structures en fer qui enchâssent les baies vitrées etconstituent un véritable squelette métallique dumonument…
A la fin de l’année 2014, maîtres verriers, maçons et ferronniers concluront ce chantierexemplaire avec la repose des dernières baiesrestaurées, L’Exode, La Genèse et La Rose occidentale. Monument emblématique du gothique rayonnant, la SainteChapelle retrouveraalors, pour de nombreuses années, l’éclat divinqui a prévalu à sa consécration il y a près dehuit siècles. ■ PEDRO LIMA
Au total : 46 000 pièces de verre !
La façade nordde la Sainte-Chapelleest également rénovéedurant la restauration desvitraux, qui se termineraà la fin de l’année 2014.Durant le chantier, le monumentreste ouvert aux visites.
Les quinze verrièresdu monument, à droite cellesde la nef, représentent desscènes de couronnement, decroisades, des fleurs de lys,ainsi que des épisodes bibliquesà la gloire de Saint Louis.
Après leur patient nettoyageen atelier, les vitraux de laSainte-Chapelle retrouvent toutleur éclat, comme cette Cènedu Christ (ci-dessous), extraitede la verrière de la Passion,située au centre de l’abside.
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