L'argent n'a pas d'idées, seules les idées font de l'argent

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L'argent n'a pas d'idées, seules les idées

font de l'argent

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D u même auteur

AUX ÉDITIONS FLAMMARION

La Terre en rond (en collaboration avec Jean-Claude Baudot)

1960

Ne dites pas à ma mère que je suis dans la publicité... elle me croit pianiste dans un bordel

1979

Hollywood lave plus blanc 1982

Fils de Pub 1984

Cache Cache Pub (illustrations de Ralph Taylor)

1986

Demain il sera trop star 1988

Vote au-dessus d'un nid de cocos 1992

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Jacques Séguéla

L'argent n'a pas d'idées,

seules les idées

font de l'argent

Éditions Hoëbeke

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COLLECTION DIRIGÉE PAR NICOLE VIMARD

Une première édition de cet ouvrage a été publiée, accompagnée d'illustrations, par les Éditions Hoëbeke en 1990,

sous le titre C'est gai, la Pub !

EN COUVERTURE :

Photo © EURO RSCG

ISBN 2-02-019942-4

© 1990, Édit ions Hoëbeke .

© 1993, Édit ions du Seuil p o u r l 'avant-propos

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

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A ma mère qui m'a donné la vie et mieux, l'envie.

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« Le temps du monde fini commence. »

PAUL VALÉRY

La France rame dans la crise, s'embourbe dans le scandale et sue la morosité. Tristes nineties. Même si elle doit enterrer son siècle, cette ultime décennie pourrait le faire en chantant. Elle a choisi les couine- ments et les pleurs, l'attentisme et le misérabilisme. Dommage, il n'est qu'un moyen de terrasser la crise, c 'est de hurler « Vive la crise ! ». Le merdier c'est notre

chance. Celle de nous remettre en question. Et d'abord de nous poser la vraie question : quelle crise ? Et si avant d'être économique, elle était tout simplement psychologique ? A se masquer les causes nous ampli- fions le mal. A peine la finance est-elle souffrante que

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l'on accuse les taux d'intérêt des banques, sans nous demander si le fautif n'est pas aussi notre intérêt. J'entends notre intérêt pour la consommation. Consommation, le mot suppôt de tous les anathèmes est lancé. Que ne l'avons-nous ridiculisée, vilipendée, rançonnée cette société de consommation qui pourtant nous faisait vivre. Proie facile pour les socialos, les écolos, les démagos que ce mode de vie où nous ne voulons voir qu'une mode. Et donc une denrée périssable. Hélas, nul n'a compris, ou n'a voulu comprendre, que ce système fragile perdurait seule- ment par le culte de l'envie. Nous avons tué le désir et, ce faisant, tué l'économie. Souvenez-vous, il y a dix ans à peine, l'appétit était notre énergie. En ces temps-là, les politiques voulaient refaire le monde, les hommes d'affaires bâtir des empires, et les consomma- teurs consommer. Qu'avons-nous fait de nos eighties ?

Les sociétés sont toujours suicidaires ; effrayée par la dérive de ses excès, la décennie passée a tenu en fin de règne à s'acheter une bonne conduite. Certes le culte de la conso était allé trop loin. Nous avions perdu toute mesure dans le choix de nos achats comme de nos héros, mais en conscience ils ne méritent pas plus la désaffection que nous leur portons aujourd'hui que le trop-plein d'honneurs que nous leur servîmes hier. Toute notion de valeur perdue, nous nous laissâmes abuser par le tourbillon d'une société du signe qui ne joignait plus que le futile à l'agréable. Perdue, aussi, toute notion d'argent. Un argent devenu trop facile. En

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lait l'argent des autres, que l'on nommait hier prêt et aujourd'hui dette.

L'homme est ainsi fait, qu'il ne maîtrise jamais les ourants qui le portent. Piètre barreur sociologique, il engage toujours des virages de bord si brusques qu'il net perpétuellement son devenir en danger. Regrettant soudain ce trop-plein de vie belle, les sages qui nous gouvernent prônèrent l'interdit. Tout commença par la imitation de vitesse, puis celle de fumer, puis celle de )aiser. A ce rythme de privations la ménagère en est renue à se priver elle-même. Le nouveau consomma- eur est un consommateur hérisson. Tous piquants lehors il se met en boule et attend.

Erreur de rendre le chômage seul responsable de notre décrue. C'est la déconsommation et donc son lésamour qui a causé, la première, ce surcroît de icenciements au-delà duquel le ticket de la croissance l'est plus valable. Preuve irréfutable : notre pouvoir l'achat est en hausse, faiblement mais toujours en type="BWD" et notre consommation en baisse, fortement nais toujours en baisse. L'argent dort ailleurs, sous édredon des SICAV ou chaussant le bas de laine des emprunts d'État.

Le crime est collectif. Nous sommes tous et respon- sables et coupables. Les fabricants d'abord. En cessant l'imaginer ils ont, les premiers, cessé de nous tenter. Le jour où l'Amérique s'est démise de sa fonction de premier inventeur du monde, elle a perdu son rang

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de premier industriel du monde. En laissant le Japon créer pour elle, pour se satisfaire de n'être plus qu'un pays de commerce, elle s'est rendue victime de son laxisme. Certes, sont nées de nouvelles navettes, de nouveaux avions, de nouveaux trains à grande vitesse. Certes, les ordi ont été repensés, les programmes renouvelés, mais qu'a-t-on produit de neuf pour notre consommation quotidienne ? Levez les yeux de votre livre et regardez. Tous les objets qui vous entourent ont dix, vingt, cinquante ans. Souvenez-vous de ces seven- ties où le design italien déferla dans nos chambres et nos cuisines, mettant le plastique en fête. Nous fûmes tous pris de fièvre acheteuse. Nous consommions pour le seul plaisir de noyer la banalité quotidienne dans le flot de nouvelles formes, de nouvelles couleurs. Futiles, direz-vous. Non, utiles. Il n'en faudrait pas plus pour reprendre le chemin des dépenses. Il a suffi que Starck redessine la brosse à dents et diffuse son objet de séduction dans toutes les pharmacies pour qu'un peu plus de Français s'adonnent à cette élémentaire hygiène buccale. Et les mêmes se ruent sur la Twingo simple- ment parce que c'est une voiture qui ne ressemble pas à une voiture.

Nous ne pouvons nous développer qu'en société de surconsommation. Ce superflu est le nécessaire du système. Sans surchauffe la machine se grippe. Et nous voilà en panne. Hérétique, vont crier les caciques, et de m'accuser comme à l'accoutumée de provocation infantile. J'appelle à la barre des témoins à décharge

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C r é e r c'est se mondialiser

Ce n'est pas le bout de la route qui compte, c'est la route.

LES GYPSY KINGS

Nous sortons d'une époque où seules l'apparence et les formes avaient leur importance, où la high-tech remplaçait la technologie et la pub la pensée. Temps transparents, dont même les héros furent fatigués. Fini de faire l'autruche. Les eighties, ces tourbillons emportés par leur écume, ont refusé de voir la réalité en face. Chômage, famine, délinquance, terrorisme ont été couverts par les rythmes des clips, aveuglés par les images des spots. Après tant d'occultation comment les nineties ne joueraient-elles pas les extralucides ? Aux années show, succèdent les années froides. Éthique et esthétisme mènent déjà le bal des valeurs retrouvées :

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amour, partage, authenticité, spiritualisme, travail, fa- mille, écologie. Il était temps. Peut-être serons-nous enfin capables d'ajouter de la vie à nos années et non plus des années à notre vie.

Bref, les hommes deviennent sages, à l'heure où les pays sont fous. La dette de l'Amérique va dépasser celle de l'ensemble du tiers-monde, dans le même temps, le Japon a accumulé à lui seul près de la moitié de cette somme en excédent de créances. Qui pourra le rem- bourser un jour ? Seul remède à cette dyspepsie galo-

pante, l'innovation. La seule mine intarissable dui monde est la mine d'idées.

Aussi, suis-je convaincu que l'an 2000 sera la société de l'esprit. De l'automobile à l'ordinateur, le XX siècle a sacré les machines. Des fusées aux télés, nous avons transformé le monde en usine, et les robots en penseurs. Vainqueurs obligés, les peuples mécaniciens : les Amé- ricains, les Japonais, les Allemands. Mais la roue tourne. Le présent n'est plus à la fabrication de nouveaux outils, mais à la découverte de nouvelles utilisations des

technologies existantes. Futurs triomphateurs : les ingé- nieurs, les architectes et les poètes. La chance de la France est peut-être là. Nous n'avons pas conçu l'ordi- nateur, mais nous sommes les premiers inventeurs d e programmes du monde. A nous les rives de la planète soft !

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A nous aussi, fils de com, le grand charivari. Le troisième millénaire propose sa nouvelle donne avec dix ans d'avance. Comme s'il désirait, avant de prendre possession des lieux, faire le ménage des excès du siècle qui s'achève. Notre métier n'évitera pas le grand lessi- vage. Il en sera même l'épicentre. La Troisième Guerre mondiale est commencée. C'est la guerre des marques. Continentale avant d'être planétaire, sectorielle avant d'être générale, elle n'épargnera ni les faibles ni les médiocres.

Le compte est simple à faire. Sur chaque marché de chacun des États de la Communauté existent 2 à 3 firmes leaders et 6 à 7 challengers ; multipliez ce nombre par 12, résultat : 120 compétiteurs en lice. Demain les Douze ne feront qu'un, conséquence les 120 produits d'aujourd'hui, plus que dix. Le grand cimetière de marques ouvre ses portes, et dans le même temps le millénaire les ferme. Le plus meurtrier affrontement économique de l'Histoire s'avance. Petits bras et grippe-sous s'abstenir. Il faudra, pour mériter sa place au hit final, investir autant de courage que de moyens, autant de talent que de communication.

Une communication bien évidemment continentale. J'entends bien continentale et pas mondiale. Trois mondes, l'américain, l'européen et l'asiatique plus affirmés que jamais, plus fermés que jamais, vont désormais s'affronter. Quel fou peut encore parler d'Europe unique et de campagnes multiples ! La mode de la pub nationale, au nom du sacro-saint respect de

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nos identités est, elle aussi, à ranger au grenier des souvenirs. Le cadre sup de Perpignan se brosse-t-il les dents différemment de celui d'Athènes ? La ménagère d'Helsinki lave-t-elle son linge autrement que celle de Lisbonne ? Dans cinq ans, publiciter une marque avec une agence différente par pays apparaîtra aussi risible que si l'on assistait à une campagne Citroën assurée par Publicis en Picardie, Young et Rubicam en Auvergne et Euro RSCG en Roussillon.

Certes il y faudra encore du temps. En Europe, les Sudistes et les Nordistes ne parlent pas encore la même langue publicitaire. Mais ils partagent les mêmes va- leurs, aussi le plus efficace aujourd'hui pour une marque est de faire rayonner le même positionnement partout en acceptant de-ci de-là des exécutions plus locales. Quoi qu'il en soit les ultimes défenseurs des campagnes nationales ne sont que des chevaux d'orgueil. Qui se croient-ils pour être plus sensés que le fils de Dieu ? Jésus-Christ, l'inventeur de la pub, du slogan « Ai- mons-nous les uns les autres » au logo de la croix, n'en a-t-il pas été le premier diffuseur mondialiste ? Deux mille ans plus tard ses concepts ont fait le tour du monde sans adaptation, ni re-création. Change-t-on de personnalité parce que l'on change de frontière ? Michael Jackson revêt le même gant dentelé à Berlin ou Milan et Madonna se dévêt de la même petite culotte de Madrid à Stockholm.

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Pauvres agences franco-françaises, comment pour- raient-elles entrer dans cette guerre planétaire ? Tristes réseaux bidon faits d'alliances forcées ou d'accords incertains. Qui les conviera à ce conflit au-dessus de leurs forces ? Pour avoir cru à l'international avant même d'avoir une crédibilité nationale, nous sommes aujourd'hui le premier réseau européen, le septième mondial. Étrange revanche de la créativité sur l'écono- mie : parmi cette poignée de prétendants à l'eurocom- munication, ni Allemands ni Japonais, pourtant les deux maîtres du commerce interplanétaire.

Cela me rappelle cette fable exemplaire : il était une fois un Français, un Germain et un Nippon qui marchaient de concert dans la jungle. Sacs au dos et godillots aux pieds ils sifflotaient gaiement, lorsque surgit un lion affamé. Toutes canines dehors le fauve amorce un mouvement tournant. L'Allemand et le Japonais se figent. Notre compatriote, sans s'affoler, pose son équipement, et troque ses Rangers pour des Reebok.

Claquant des dents, ses deux compagnons lui lan- cent :

« Parce que tu crois courir plus vite que le lion ? » « Certes non, répond le Frenchy, mais, de toute

évidence, plus vite que vous. »

Les multinationales publicitaires yankees n'ont jamais été plus créatives que les échoppes frenchies, simple- ment mieux surmultipliées. Elles ne remercieront jamais

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assez leurs annonceurs de les avoir obligées à les suivre dans leur conquête du monde. Sans Coca que serait aujourd'hui Mac Cann, sans Philip Morris où végéterait Leo Burnett ? Les moneymakers de la pub s'accordent au moins sur un thème. Il ne subsistera pas plus de dix grands réseaux publicitaires mondiaux à l'horizon 2 000 et ils régneront sur 70 % du marché des grandes marques. En dehors de ces géants, pas de possibilités d'accéder aux méga annonceurs, et donc aux grandes campagnes. Ah, le temps béni des dieux où deux analphabètes de la pub, comme Bernard et moi-même, avec 50 000 francs en poche pouvaient créer leur agence et narguer le monde en hurlant : « Dans vingt ans nous serons dans le top ten. »

La Com va mener ce bal des vampires, sucera bien qui sucera le premier ! Le départ est donné, malheur aux retardataires ou aux incrédules ! A vos Marques, prêts, partez. Car cette charge des firmes sera justement le grand sacre des labels. Retour aux sources des années 60 qui lancèrent dans le monde, par le génie madisonien, les grandes sagas commerciales, de Pepsi en Omo, de Lux en Camel. Le Vieux Monde à son tour va devoir affirmer ses hérauts. Quelques marques phares, porte-parole communs de nos valeurs continen- tales, traceront l'European Way of Life, aussi sûrement que Coca-Cola la jeunesse, Marlboro la sérénité, ou Mac-Do la praticité ont tressé le rêve américain. Assez d'hypocrisie : ce ne sont pas les discours présidentiels, d'Eisenhower à Bush, ni les écrits des grands littéra- teurs, de Dos Passos à Miller, qui ont fait rayonner la

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bannière étoilée, mais une dizaine de produits trônant les qualités basiques du Nouveau Monde.

Merveilleuse alchimie de l'Histoire en marche. Cette interrogation de la com est le moment choisi par la culture pour nous remettre à son pas. Cette recrudes- cence de la peinture, de la sculpture, de l'architecture influence déjà nos campagnes. Nouveau mot d'ordre de la pub : penser plus, dépenser moins. La notion même d'image de marque va se faire culture de marque. Et cette vieille notion de valeur imaginaire ajoutée, choux gras de nos eighties, va se muer en valeur idéologique ajoutée. L'idéal politique, ou le peu qu'il en reste, est balayé par l'inconscient populaire, donc aussitôt véhi- culé par nos campagnes. A cette simple assertion, je sens à nouveau poindre l'anathème des intellos. Désolé Messieurs les censeurs, la publicité a toujours été le petit vélo des mutations. Elle sera le haut-parleur de nos aspirations nouvelles, comme elle fut le porte-voix de nos motivations passées. Nous ne regardons pas la télévision, c'est elle qui nous regarde. Elle nous sert, à coups de spots, la visualisation de nos désirs. Fâcheuse erreur des artistes que de croire qu'ils façonnent le monde. Seul le public, en nous forçant la main, nous guide. Le seul talent de la pub est de connaître mieux qu'aucun autre moyen d'expression, les envies du consommateur. Combien de milliards se dépensent-ils par an, en prétests, tests, post-tests, sondages ou études de marché. Notre avance ne tient qu'à cette richesse. Nous ne prédisons rien, nous lisons à livre ouvert les

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attentes populaires. Dès lors, les traduire est jeu d'en- fant.

La consommation a toujours fonctionné sur un système de choix binaire : notoriété-prix pour les années 60, qualité-prix pour les années 70, imaginaire- prix pour les années 80. Le temps de la simplification s'estompe, nous entrons dans l'âge du toùt-communi- cant : nom du produit, texture, packaging, linéaire, service. Le sempiternel prix est nécessité, mais pas fin.

Point d'ancrage de ces flottements : la Marque, fédérateur de ces forces éparses, et dans le même temps propulseur de l'éclatement de la communication en dix, vingt, demain cent outils spécifiques quasi concurrents. Comment ne serait-elle pas le moteur de toute conquête, même si elle ne fonctionne qu'à l'énergie dégagée par le produit qu'elle incarne ? Aussi lui faut-il, au-delà de la simple notoriété, acquérir une légitimité sur tous les marchés du monde.

Obligation lui est faite d'innover. Pour rester la preuve permanente d'une promesse publicitaire en perpétuelle surenchère. Par ses vertus d'usages, comme par ses engagements, ses services, ses parrainages, ses prises de parole.

Hier simple point de repère, la marque se fait point de mire. D'où sa vulnérabilité au moindre dérapage. La nocivité d'une bouteille de Perrier polluée était égale à celle d'une seule cigarette se consumant à un mètre de vous. De Mère la pudeur à Père fouettard, il n'y a qu'un

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pas pour le consumérisme en folie. Devant ces attaques, qui vont se multiplier, la marque au-delà de défendre sa communication doit aussi révéler les managers, les enjeux, les conquêtes, les espoirs d'une entreprise devenue citoyenne du monde.

Moralité, la pub est une belle au bois dormant. Adulée et nantie, couverte d'or et de lauriers, elle s'est assoupie. A nous, publicitaires, pauvres baladins narcis- siques, plus attachés à nos images personnelles qu'à celles de nos marques, de la ranimer. En poète et non en marchand. Qu'un mac réveille la princesse et la belle renaîtra pute.

Déjà le consommateur, spectateur béat de nos ex- ploits pubards, nous a lâchés. De l'amour à l'opprobre, il n'y a qu'un pas, que nous a fait aveuglément franchir notre matraquage.

Où s'arrêtera notre surenchère suicidaire ? Dès le

troisième spot un écran publicitaire a déjà perdu 50 % de son audience. Le zapping est devenu une hygiène mentale. Qu'attendons-nous pour réagir ? J'avais pro- posé en 1988 à Francis Bouygues et Patrick Le Lay de doubler les prix de TF1 afin de limiter la saturation. Moins de pub mais plus d'efficacité, un rêve. Que pensez-vous qu'ils décidèrent ?

Il va falloir nous battre, redonner à nos spots leur talent d'antan, s'unir pour limiter la boulimie commer- ciale des chaînes, résister à la tentation politique de tuer

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la pub. Et, surtout, repartir en croisade pour à nouveau la faire aimer.

De bateleurs, il nous faudra devenir régulateurs de la consommation. Imaginez un État qui, au lieu de brader ses stocks d'excédents, décidait de nous en donner le goût. Mieux, qui fort de ses mises en garde saurait nous passer l'envie de produits dont l'importation le ruine, ou pis, dont l'excès nous tue. C'est d'évidence l'une des missions de nos gouvernements à venir.

« Nous sommes chimiquement liés au mot », disait Cioran. La pub dans sa ronde les unit aux images. Bon gré mal gré nous sommes mariés avec elle. Pour le meilleur et pour le pire. Aussi longtemps que la publicité se voudra défricheuse de notre avenir et constant témoin de notre présent, elle nous sera indis- pensable. Comment pourrait-elle mourir ?

Pas de panique ! Le monde a connu plus de nouveau- tés au cours de ces quarante dernières années qu'en quarante mille ans. Quatre-vingt pour cent des produits que nous achèterons en l'an 2000 n'existent pas encore. Nous allons plus consommer d'ici à 2020 que depuis l'apparition de l'homme sur la planète. Tout commence demain. D'aucuns prétendent que notre métier est décrédibilisé par cette prise de conscience collective, affaibli par cet éclatement des techniques, vampirisé par la priorité donnée à la crise. Je n'en crois rien. Nous sommes entrés, avec dix ans d'avance, dans le troisième