L'appel de la montagne

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Récit d'un voyage en scooter

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Quand la passion de la montagne suscite une aventure hors du commun

Attiré très tôt par la montagne, j’ai commencé à la peindre à l’âge de 13 ans, avant de la voir ! Mon désir de la découvrir devenait de plus en plus fort mais il s’opposait à un autre désir, ce-lui de mes parents de me voir gagner des sous pendant les grandes vacances, seul moment où je pouvais voyager. Dur dur ! La solution était de combiner les deux, ce je fis en me faisant embaucher comme moniteur de service dans une colonie de vacances en montagne, dans le Vercors, pendant deux saisons d’été. Mais mon désir était loin d’être assouvi ; toujours plus fasciné par la montagne et ses hommes, je rê-vais maintenant de faire un grand voyage pour mieux la découvrir.

Mon frère Marco alors âgé de 13 ans, ga-gné lui aussi par la passion de la montagne - comme moi, au même âge, quand je peignis

mon « fameux » tableau de montagnes - rêvait de partager avec moi ce voyage dont nous par-lions souvent. Mais ce voyage était très impro-bable du fait de notre manque d’argent et je craignais de devoir caresser cette chimère en-core bien longtemps !

Mais un jour, une lueur d’espoir m’apparut en lisant une affiche apposée sur la vitrine de l’épicerie de la Rue Charles Dangibeau à Saintes (située en face de la maison de Jean-Claude Pilet où je logeais) qui disait en substance ceci : « La Fondation J offre des bourses pour un voyage d’étude sur un produit alimentaire, d’un montant de 750 francs ; pour cela, il faut présenter un projet qui sera sélectionné par un jury ». C’était l’occasion à saisir car je tenais peut-être là le bon filon pour payer mon voyage… à condition de trouver le bon sujet et d’être sélectionné !

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Quand la passion de la montagne suscite une aventure hors du commun Beaucoup plus motivé et inspiré pour préparer ce concours que je ne l’étais habituellement pour faire un devoir à l’école, je décidais de monter un projet d’étude sur « la fabrication des fromages d’alpages dans les Alpes françaises et suisses ». Je me mis au travail : recherche documentaire, rédaction, planification, itinéraire, un vrai régal de faire un tel « devoir » mais qui ne devait surtout pas laisser transparaître que le « fromage » n’était pas ma seule motivation. Je soumis mon projet à La Fondation. J’obtins la bourse et je dois avouer que la joie de ce succès me permit de relativiser mon échec au bac cette année-là. J’allais parcourir les alpages des Alpes pendant 5 semaines, et bien d’autres endroits (non avoués dans le projet) dans ces altitudes éthérées !

Mes parents m’achetèrent un scooter Lambretta d’occasion (300 F) et l’équipement pour le camping, et me prirent une assurance

à la hauteur des risques (250 F d’assurance) d’autant que mon jeune frère m’accompagnait. Je disposais de 500 F pour le voyage.

Nous partîmes de Segonzac le samedi 25/07 à 6h30 remplis de bonheur et de gra-vité à la fois, sans trop penser aux diffi- cultés qui pourraient nous entraver tant il est vrai que nous avions bien préparé notre projet. Malheureusement les premiers obstacles se dressèrent rapidement sur notre route et allaient vite nous ramener à la réalité, sans entamer pour autant notre détermination.

Voici le récit de ce voyage difficile parfois périlleux mais tissé d’exaltations et de pureté, récit développé autour des moments forts de notre voyage tels que les pannes de mon scooter, la dure épreuve pour Marco, les affres du camping, nos peurs nocturnes, cette nuit d’enfer sous l’orage,

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notre parcours périlleux pour atteindre Zermatt, notre jeûne forcé, ma blessure à la main miraculeusement soignée, notre accident.

Attiré très tôt par la montagne, j'ai commencé à la peindre à l'âge de 13 ans, avant de la voir !

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Un scooter poussif et souffreteux

mais fidèle jusqu'au bout !

Juste après notre départ, les caprices du scoo-

ter me ramenèrent à la réalité. Après ½ h envi-

ron, l’engin se mit à pétarader anormalement

et m’obligea à revenir à la maison. Après avoir

démonté et nettoyé le gicleur et/ou la bougie

(opération DNGB), je repartis. Mais les ennuis

continuèrent me permettant tant bien que mal

d’arriver jusqu’à Saint Junien près de Limoges

où je dus faire réparer. Les problèmes de car-

buration diminuèrent sans pour autant s’arrê-

ter : souvent, et jusqu’au bout du voyage, donc

durant 5 semaines et jusqu’au dernier quart

d’heure (épisode relaté dans le dernier chapitre

« Le chemin du retour : le parcours du com-

battant »), je dus par moi-même procéder à de

nombreux DNG. Mais nos ennuis mécaniques

ne s’arrêtèrent pas là. Toujours ce premier

jour, dans la descente de Clermont-Ferrand,

le câble de frein arrière se rompit, et c’était un

dimanche ! Malgré tout je continuais à rouler

mais je devais redoubler de précautions dans

les descentes pour ne pas faire la culbute en

avant (il vrai que Marco et tout le barda à l’ar-

rière faisaient contrepoids). A Saint-Chamond,

le lendemain, cet unique câble cassa à son tour

; n’ayant plus de frein, j’étais bloqué sur place,

un dimanche de surcroît ! Je fus donc obligé de

tenter une réparation, une réparation de for-

tune qui tint bon jusqu’à notre prochaine étape,

St Marcellin, où j’achetais deux câbles que je

montais moi-même. Enfin, le dernier des pro-

blèmes mécaniques (mais malheureusement

pas la dernière panne) survint à St Marcellin

même, où là, la poignée gauche (de débrayage)

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me resta dans la main : la goupille qui la fixait venait de tomber, mais je ne savais où ! J’étais donc de nouveau en mauvaise posture. Finale-ment, je trouvais dans ma trousse à outils, un petit tournevis qui put faire office de goupille

On voit sur cette photo prise à Avérole en Maurienne,

le tournevis à l'extrémité de la poignée gauche

qui fit office de goupille durant tout le voyage

même si le manche dépassait du guidon, ce qui se voyait bien comme en témoigne la photo ci-dessous. Tout au long de notre périple, cette réparation de fortune tint bon !

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Une dure épreuve pour Marco

Si je devais résumer le souvenir laissé chez Marco, après plusieurs décennies, par ce voyage (cette « folle randonnée » comme il le baptisa), ce serait « un ensemble d’intenses émotions entrecoupées par de longs moments d’attente notamment quand je partais pour travailler sur mon projet et qu’il restait à notre camp, des moments heureux mais parfois ennuyeux ou pénibles quand la faim tenaillait, le tout parsemé d’irritations (dont il se souvient peu à vrai dire, mais moi, oui !) ». Voyons successivement, les émotions, les attentes et les irritations de Marco.

Ses émotions furent nombreuses : tant celle du bonheur de découvrir la mon-tagne pour la première fois que l’émoi qui l’étreignit bien souvent comme l’approche de

l’imposante muraille du Vercors, la

tristesse de quitter pour la première fois

ses parents, la peur qui le saisissait quasi-

ment toutes les nuits dans la tente ou durant

les nuits d’orage, l’irrépressible tentation de

rentrer à la maison. Notre première nuit

de camping, ce fut à Noirétable. Là, la

tristesse de la séparation, le stress d’une

journée mouvementée et la peur de la

solitude eurent raison de son endurance : il

pleura et dormit très mal. Ce n’était pourtant

qu’un début ! Il me fallut constamment

déjouer sa peur et le rassurer la nuit en dominant

ma propre peur, le consoler ou le raisonner par

le dialogue, le sermonner le cas échéant

comme ce fameux jour à la Cabane de Moiry

(2825 m d’altitude) au dessus de Grimentz où il

voulut coûte que coûte partir pour prendre le

train et rentrer à la maison.

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Ses longs moments d’attente lui furent certes

quelquefois ennuyeux mais, je sais, souvent

bucoliques ; en effet, de tempérament ouvert,

plusieurs fois il s’organisa pour partager la vie

des montagnards. Sur ce thème des attentes,

je terminerai par celle-ci, unique mais in-

tense et dont il se rappelle le plus, tellement il

eut peur, ne me voyant pas revenir. Voici

l’histoire. En montant au Col de La Madeleine,

j’avais prévu de prendre du carburant dans

le bourg de Saint-Francois-sur-Bugeon (qui

devint Saint-François-Longchamp en 1969),

situé à 1415 m d’altitude au dessus de La

Chambre ; mais je n’en trouvai point et fata-

lement je tombai en panne d’essence ! J’étais

condamné à redescendre à La Chambre

« sans le moteur », 1000 m plus bas, sur plus de

10 km. Je décidai alors de m’alléger de mon

coéquipier et d’une partie de mes bagages.

Je mis beaucoup de temps pour atteindre une

pompe, ayant dû continuer à pied quand le

scooter ne pouvait plus avancer... Tout ceci me

retarda beaucoup et mon frère que j’avais laissé

seul à l’orée d’un bois (je rappelle qu’il n’avait

que 13 ans) m’attendit plus longtemps que pré-

vu. Encore une attente interminable pour lui,

mais cette fois-ci il était très isolé, la nuit appro-

chait et ne me voyant pas revenir, il eut la peur

de sa vie ! Ce fut sans aucun doute pour lui l’at-

tente la plus insolite et la plus angoissante de ce

voyage, que même à ce jour il est loin d’avoir

oublié ! A ce petit malheur (pour moi) que je re-

lativisais bien vite une fois l’épreuve passée, vint

s’ajouter une autre déconvenue : pendant ce

trajet, je perdis une paire de basket, une paire de

souliers et des pellicules photos, ce qui, compte

tenu de nos maigres finances était un coup dur.

Nous continuâmes en direction du col de La

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Marco ici chez M.Mayard, un éleveur d'une grande gentillesse au-dessus de Vevey sur la route de Châtel en Suisse, chez qui nous restâmes 2 jours, et où les vaches nous importunèrent toute une nuit (difficile de dormir quand on craint un coup de corne...)

Madeleine où nous allions passer la nuit, une nuit apocalyptique que je vais relater plus loin.

Les irritations de Marco étaient liées à sa fatigue dont la première cause était l’opération quasi quotidienne du montage et démontage de la tente, comme je l’évoque dans le chapitre suivant, mais en aucune manière je vécus

ces irritations comme une contrainte ; bien au contraire, au-delà de l’aide jour-nalière que m’apportait mon frère rous-péteur (ce dont je parlerai aussi plus loin), quel bonheur pour moi de partager nos ressentis et de le voir souvent émerveillé par le spectacle de la nature, stimulé par nos randonnées et heureux de ses rencontres avec les montagnards !

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Corvée du montage et démontage de la tente

et cauchemar de la pluie

Presque tous les jours, il fallait monter et

démonter la toile de tente (MDTT), dans un

endroit différent, presque toujours en camping

sauvage, et souvent à la nuit tombante quand

ce n’était pas la nuit tombée ! Un de ces soirs

en Suisse, à Gstaad dans la vallée de la Saane,

non loin de Gruyère, il faisait nuit quand nous

frappâmes à la porte d’une ferme. La porte

s’ouvrit mais les gens ne parlaient pas français.

Je réussis cependant à obtenir l’autorisation de

camper dans un pré attenant à leur ferme, et

puis à obtenir du lait pour notre repas du soir.

La tente fut rapidement montée et, repus de

fatigue, nous nous endormîmes rapidement

mais pas pour longtemps car nous fûmes réveillés dans la nuit par une persistante et nau-séabonde odeur. Je me levais, sortit et, éclairé de ma lampe de poche, vis que nous avions dressé notre camp non loin d’un tas de fumier (j’avais dû mal comprendre l’endroit qu’on m’avait indiqué). Cette corvée de la toile de tente, je reconnais ne pas l’avoir épargnée au frangin (à ma décharge, je dirai que le soir je devais mettre de l’ordre dans mes documents et rédiger mes notes, et pour cela je me reposais sur mon co-équipier..), corvée contre laquelle il finit par nourrir une osten-sible aversion ! Sur ce sujet de la corvée du MDTT, je terminerai par l’extrait de mon car-net de route, daté du 23/08 : « Nous commen-çons à trouver les nuits inconfortables. Cela

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fait à peu près 20 fois que nous montons et

démontons la tente. Les nuits deviennent

fraîches. La pluie détrempe le sol. Et puis

nous ne savons jamais où nous allons

passer la nuit. Bien que cela ne soit pas le

principal de mes soucis, ces vicissitudes

finissent par me fatiguer. Si je sympathise

avec des gens, c’est toujours avec regret

que je les quitte. Mais tous ces soucis ne

sont rien en comparaison de ceux relatifs

à mes finances… » (À noter que dans mon carnet je m’exprime à la première personne du singulier car vis-à-vis de la Fondation « J », j’étais censé voyager seul).

A cette corvée du MDTT, s’ajoutait l’in- confort de l’humidité, froide, pénétrante et persistante, générée et entretenue par les pluies fréquentes, qui imprégnait habits et duvets qui ne pouvaient pas sécher car

emballés la journée durant. Voici ce que

j’écrivais dans mon carnet de route le 30/08

pour décrire ce cauchemar de la pluie lors

de notre passage de Suisse en France par le

Pas-de-Morgins : « Je passe le Col du Pillon.

Je parcours 50 km avant d’atteindre Aigle.

Le passage du col est très pénible. Un

violent orage s’abat sur la région. Je me mets

à l’abri sous un cabanon très fragile. Une

pluie d’une violence extraordinaire accom-

pagnée d’éclairs rend le spectacle incroyable.

Tout ce qui est sur mon scooter est mouillé.

D’Aigle à Montey, je fais 15 km sous une pluie

régulière mais moins forte. De Montey

(alt 300 m), il me faut atteindre le Pas de

Morgins (alt 1370 m) et par ce temps, c’est

scabreux. Par surcroît aux intempéries qui

rendent la circulation difficile, est venu s’ajou-

ter le mauvais état de la route, complètement

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Notre toile de tente au dessus de Grimentz en Suisse : nous profitions des rares rayons de soleil pour mettre notre duvet au soleil, duvet si précieux, notre havre de quiétude où chaque nuit nous pouvions trouver chaleur

et endroit à peu près sec...

défoncée par des travaux. Que dois-je

faire ? Je ne vais pas rester en bas ! Route

minable, comme celle que j’ai emprun-

tée pour aller à Saas-Fee, dangereuse sur-

tout dans les virages. Au Pas de Morgins, je

franchis la Douane sans difficulté. Je repasse

à la Chapelle d’Abondance. Toujours la pluie.

Après une brève interruption, elle reprend

de plus belle. J’emprunte la N 202, passe

à Taninges et Cluses. De Cluses à

Bonneville la pluie est de nouveau très

violente. Elle me fouette le visage, douloureu-

sement parfois ! J’arrive exténué (je rappelle

que nous sommes deux sur le scooter et qu’il

faut lire « nous ») à la Roche-sur-Foron. Je reste

ongtemps sur un banc pensant dans le vague,

mouillé de toute part. La pluie a cessé. Je n’ai

absolument pas le courage de monter la toile de

tente. Avoir l’air du pauvre type, voila l’impression

que je dois donner… mais de cela je m’en fiche. Rapidement je me ressaisis. En ce moment, il est 18h. Je vais me fourrer dans mon sac de couchage et essayer de dormir ». Nous étions le samedi 30/08/64 et à partir de ce soir-là, nous allions entamer un grand jeûne jusqu’au lundi matin suivant, que je raconte plus loin dans le chapitre « Petites faims et grand jeûne ».

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" Le Montagnard ne craint que Dieu et la foudre "

... idem pour le campeur !

En plus de ces pénibles désagréments quotidiennement répétés, comme je l’ai signalé plus haut, nous connûmes la peur, la peur qui s’emparait de nous la nuit, la peur qui nous effrayait les nuits d’orage ! Nous campions souvent dans des endroits isolés et la nuit, fréquemment, nous entendions des pas….alors je rassurais Marco en lui disant que c’était la terre qui craquait mais en réalité j’avais peur aussi ! Quant aux orages, ils furent nombreux, et une certaine nuit d’orage particulièrement violente est restée gravée dans notre mémoire, celle passée dans l’alpage de M.Montmayeur

au dessus du Col de la Madeleine. Quand nous nous sommes couchés, l’orage menaçait et la peur nous gagna. Le sommeil ne vint pas, et pour cause ! Je sortis mettre une timbale plastique sur l’embout des piquets émer-geant de la toile pour qu’ils ne se transfor-ment pas en paratonnerre…Subitement la foudre se déchaîna et les éclairs fulminants produisaient l’effet d’un décorum de boîte de nuit : obscurité, lumière hachée et vio-lente comme celle d’un stroboscope, visage effrayé de mon frère qui devait penser la même chose en voyant le mien... Ce fut comme un bombardement qui nous figea sur place.

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Une grande partie de la nuit nous fûmes « attaqués » avec une violence inouïe mais jamais atteints, miraculeusement épargnés ! Au lever du jour, je trouvais la cause de ces incessantes et assourdissantes explo-sions : un pylône près duquel nous cam-pions qui faisait office de paratonnerre, et je réalisais que ce pylône nous avait peut être sauvé la vie en attirant vers lui la foudre. Depuis ce jour, j’ai fait mien ce proverbe montagnard : « Le Montagnard ne craint que Dieu et la foudre ».

Le lendemain fut un jour faste et je ne puis me rappeler ces instants sans évoquer la Symphonie Pastorale de Beethoven : « Il était dit que la symphonie pastorale après l’orage ne pourrait s’achever que dans la grâce et la sérénité! L’orage est comme un malheur, qui finit par s’apaiser,

et se dissoudre enfin dans l’azur rasséréné : décroquevillés, la nature tout entière et le cœur du poète entament alors un chant de louanges en reconnaissance à Dieu ». Nous passâmes cette journée dans un des chalets de M.Montmayeur. Extrait de mon carnet de route daté du 08/08 : « Très simple chalet en bois, d’une seule pièce. Un chau-dron d’une contenance de 850 l et une table rustique meublent cette pièce. Un petit balcon sert de dortoir. Ici les lits sont remplacés par de simples cases remplies de foin. Pour dormir, les bergers s’enve-loppent dans une couverture. Les employés sont au nombre de 7. Un seul est Français, le fromager, étudiant à l’Ecole laitière de Bourg-St Maurice. Les autres sont Italiens et habitent la Vallée d’Aoste… ».

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Les bergers à table, le jour où nous mangeâmes la polinte avec eux

A midi, nous mangeâmes la polinte en compagnie des bergers, dans une écuelle métallique où nous la mélangeâmes avec du lait froid : un régal ! En fin de journée, nous redescendîmes chez M.Montmayeur qui

nous offrit un verre de vin rouge… Après nos frayeurs de la nuit, un élixir de bonheur ce vin ! Tant par le geste que par le goût, il nous réchauffa le cœur et nous requinqua.

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Quand l'indigence suscite l'héroïsme

Je voulais à tout prix me rendre à

Zermatt cette ville mythique au pied du Cervin.

Je crus bien que je n’y arriverais tant les obs-

tacles sur le parcours furent de taille ! Extrait de

mon carnet de route daté du 20/08 : « Le matin

à 8 h, je quitte à regret Mme Marie Rouvinez et

me dirige vers Zermatt. Apres Stalden, je

prends la route de Saas-Fee, comptant

par cette route arriver à Zermatt. Arrivé à

Saas-Fee, la route est sans issue. Quel

déboire ! Penser que je dois retourner

à Stalden, soit 20 + 20 = 40 km de route

inutile, et dire « route » est faux car au

moins pendant 5 km, j’emprunte un

véritable chemin de terre détrempé par

la pluie de la veille, chemin à forte

déclivité. J’arrive à Stalden à midi. Je suis

vraiment étonné de voir qu’aucune direc-

tion n’indique celle de Zermatt. Arrivé à

St Nicolas, la route est coupée et la

circulation est interdite sur le chemin en

lequel se transforme cette route. Seconde

déception ! Malgré ce second déboire, je

ne veux pas m’avouer vaincu. Je suis bien

décidé à parcourir les 25 km qui me

séparent de Zermatt. A l’heure où j’écris

ceci, je suis content tout de même

d’avoir réussi, mais je dois avouer que

l’entreprise serait rendue encore plus

aléatoire si je devais faire le retour sous la

pluie… ».

Un commentaire de ce passage de mon carnet de route s’impose ici. Zermatt, ville sans voiture, ne pouvait être atteinte que par le train. Ce train transportait

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aussi les véhicules garés ensuite dans un

parking à Zermatt (mais la plupart des véhi-

cules restaient stationnés à St Nicolas) et au-

rait pu acheminer mon scooter à Zermatt,

mais il était hors de question que je prenne

le train, économies obligent ! Je me suis donc

embarqué dans l’aventure sans doute la plus

risquée de mon voyage : emprunter le périlleux

sentier forestier à flanc de montagne qui relie

St Nicolas à Zermatt, avec bien sur notre

scooter et tout son barda. Malgré l’interdic-

tion de circuler en ville, je me rendis en scoo-

ter jusqu’au terrain de camping situé heureu-

sement à l’extérieur de la ville. Mon exalta-

tion de pouvoir atteindre le pied du Cervin me

faisait minimiser ce genre de risque (pas nul,

sachant la Police suisse très sourcilleuse), au

minimum de payer une amende, ce qui n’au-

rait pas été drôle... Et puis, 2 jours après, il a

fallu refaire le chemin dans l’autre sens. Nous

rencontrâmes de grandes difficultés.

Extrait de mon carnet de route du 21/08

(lire « nous » à la place de « je ») : « Ce

matin je me suis levé plutôt tard, très

fatigué de la journée précédente. J’ai eu

excessivement froid durant la nuit

(Zermatt est à 1600 m d’altitude). Par

surcroît, à l’inconfort de la nuit, à mon

réveil, j’ai eu la désagréable surprise

d’entendre tomber la pluie sur ma tente

(commentaire aujourd’hui : je suis étonné

d’avoir écrit « être surpris » tant ce bruit

nous était familier !), tout de suite je

pensais dans quelles conditions je devrais

effectuer le retour, car à tout prix je ne

voulais rester à Zermatt, non que je m’y

déplus mais plutôt parce que je voyais mon

gousset finir plus vite que mon étude ! Je

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Nous prîmes beaucoup de risques pour aller au pied du Cervin ! Nous nous rendîmes tout près du glacier de la face nord (en haut à gauche) après 3 h de marche à partir de Zermatt...

démonte la tente sous la pluie et pars sous la pluie. Heureusement que le « Lambretta » ne demande pas lors de ses arrêts causés par les pannes (encore et tou-jours les pannes), de trop importantes réparations. Aujourd’hui pourtant, j’ai dû changer la bougie en cours de che-min (et non en cours de route). Je suis arri-vé aux environs de 20h à Vevey après avoir parcouru 25 km de chemin boueux et 100 km de route sous la pluie qui n’a eu que d’éphémères interruptions, et qui continua toute la nuit… ».

Plus tard, nous prîmes conscience que ce jour-là, le manque d’argent avait suscité l’héroïsme !

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Petites faims et grand jeûne

Je m’étais imposé cette exigence de tenir

financièrement du premier au dernier jour sans

demander une rallonge à mes parents. Nous

étions donc économes sur tout et en par-

ticulier sur la nourriture. Nos repas étaient

frugaux mais je veillais que nos rations

fussent équilibrées. Beaucoup de lait que nous

quémandions dans les alpages, et dans la me-

sure du possible une tranche de jambon blanc

par repas et pas plus ! A cet égard, je ne résiste

pas à la tentation de raconter cette petite anec-

dote : alors que j’avais passé la journée dans

un alpage et que Marco était resté à la tente,

sur le chemin du retour, sur mon scooter, je

m’imaginais la bonne tranche de jambon qui

m’attendait…Mais une « cruelle » déception

m’attendait : je dus me faire ceinture car Marco - qui avait bien mangé la sienne à midi comme prévu - n’avait pu résister à la tentation de manger l’autre (la mienne) ce qui entraîna une vive réprimande de ma part, aussi vite pardonnée. Mais ces petites faims épisodiques n’étaient rien à coté de la Grande faim qui nous attendait et dont voici le récit.

Malgré notre rigueur financière, des dépenses imprévues épuisèrent notre bourse. Nous étions en Suisse à Gstaad et là à 3 jours du retour nous écrivons une carte postale aux parents pour leur de-mander de nous envoyer 50 F par mandat télégraphique en poste restante à La Roche- sur-Foron (nos parents n’avaient pas le téléphone). C’est ici, à Broc, près de Gstaad, au niveau de la chocolaterie, que nous nous trouvâmes dans une situation bien cocasse

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lorsque nous nous aperçûmes que nous n’avions pas timbré la carte déjà mise dans la boite à lettre ; alors, vu l’importance vitale de celle-ci, nous fûmes contraints d’attendre que le facteur passe faire la levée du courrier pour la récupérer et la timbrer. J’avais suffisamment de carburant pour aller jusqu’à La Roche-sur-Foron où je devais récupérer mon mandat télégra-phique poste restante et possédais seule-ment quelques centimes de francs en poche que je gardais précieusement. Mais nous n’avions rien à manger ! Arrivés à La Roche-sur-Foron, nous allâmes dans une épicerie avec l’espoir de pouvoir nous acheter une petite boite de pâté avec nos maigres sous en poche…mais bernique ! Et là nous nous regardâmes, éberlués, pensant chacun à ce sacré jeûne qui nous attendait… Nous sortîmes et n’avions pas

franchi la porte que nous fûmes pris d’une crise de fou rire qui n’avait d’égale que la faim qui nous tenaillait. Mon souci était de tenir bon au moins 2 jours, de tuer le temps et la lecture m’apparut le meilleur moyen pour cela, mais le hic c’était le coût d’un éventuel livre ou journal ! Passant devant une église, je vis sur le parvis un présentoir de journaux et de livres destinés au public en contre-partie d’une obole dans le tronc. Je pris un journal sans trop regarder le sommaire et versais mes trois sous dans le tronc. Arrivé à la tente, je vis que ce journal était en grande partie consacré à Alain Barrière, un chanteur au début de sa gloire, que je connaissais peu, mais que la lecture répété du journal me fit bien connaître et qui devait devenir un de mes chanteurs pré-férés. Marco lut aussi et là je me demande si cette lecture, au pouvoir apaisant dans

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La carte postale que j'écrivis à mes parents pour leur demander de l'argent à la veille du grand jeûne

un moment aussi moralement et physi- quement pénible chez un adolescent de 13 ans, n’a pas agi sur son conscient et surtout sur son subconscient pour faire émerger plus tard l’idole de sa vie... car Marco voue à cet artiste plus qu’à tout autre, une admiration sans borne !

Je terminerai par un extrait de mon carnet de route relatif à cette épreuve, daté du 31/08, et révélateur de notre souffrance :

« ...Je suis affaibli parce que je mange peu. Au-jourd’hui, je me suis excessivement ennuyé. Il a plu toute la nuit. Je ne suis au sec que dans mon duvet car autour de moi tout est mouillé. »

Tous ces problèmes aussi pénibles furent-ils, ne pouvaient cependant entraîner des conséquences graves, alors que ceux dont je vais parler maintenant faillirent bien nous arrêter net n’eût été la présence de notre bonne fée qui nous protégea.

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Une blessure, une doctoresse et une belle histoire d'amour...

Nous commencions à manger « sur le pouce » dans un pré au-dessus de Bonneval-sur-Arc, petit

village reculé (surtout à cette époque) de Savoie. En ouvrant une boite de conserve, je me suis en-

taillé profondément deux doigts de la main droite : blessure ouverte, forte hémorragie impossible à

juguler, main paralysée et en conséquence impossibilité de conduite le scooter ; en première urgence,

il fallait stopper l’hémorragie. Un paysan descendait, sa faux à l’épaule ; voyant que nous étions en

souci, il s’arrêta pour s’enquérir de notre problème. Nous comprenions difficilement son parler

mais suffisamment lorsqu’il nous dit qu’une doctoresse habitait le village ! Quoi ? Une doctoresse ici

dans ce village de berger, le plus reculé de la Maurienne où l’on ne trouvait qu’un seul café/épicerie

(l’épicerie à même la grange et le café dans la cuisine) ? Plutôt incrédule, je dus lui apparaître très

interrogatif ! Je me tournais vers Marco qui avait bien entendu comme moi le mot « doctoresse » et, si

improbable que cela pût paraître (de trouver ici un médecin), ce mot ne pouvait

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s’inventer ! Il se dessinait alors l’espoir d’un remède à ma blessure, à condition que « cette

doctoresse » fût chez elle. Nous nous y rendîmes sans tarder. Elle existait bel et bien. Je la

revois, la belle parisienne (à ce moment-là je ne savais pas qu’elle était parisienne et ne

connaissais pas son histoire) m’accueillant dans sa maison, l’étable en bas et l’appartement en haut

; elle me dit d’attendre un peu qu’elle finisse de doucher ses enfants (je me suis dit en moi-même

que ce devait être une des rares douches du village, sinon la seule !) ; elle me soigna et me fit un

pansement salvateur ! Plus loin, à Bessans, j’appris l’incroyable et si belle histoire de cette étudiante

en médecine qui avait préféré son berger et la montagne au cabinet médical que lui offrait son père

à Paris! C’était dans les années 1965 dans un petit village de haute montagne où l’on se chauffait

avec les animaux et des briquettes de fumier séché, le bois étant rare à cette altitude !

Page 24: L'appel de la montagne

26

Le chemin du retour :

le parcours du combattant

Le jour du retour, le lundi 1/09, nous quittâmes La Roche-sur-Foron à 9 h après avoir perçu le mandat de 50 F envoyé en urgence par nos parents. Nous en utilisâmes une petite partie pour manger rapidement (après 2 j de jeûne) et gardâmes le reste pour l’achat du carbu-rant pour le retour (et pas question de toucher à cet argent pour manger dans la journée !). Pour rejoindre Segonzac (Charente), j’avais décidé de passer par Nantua, Macon, Digouin, Montluçon, Guéret, une route plus longue mais en meilleur état que celle de Clermont-Ferrand que j’avais prise à l’aller. Mais si la route fut meilleure, le scooter fut au plus mal de sa forme.

A partir de Macon, il a des ratés. De suite,

je change la bougie, cela n’y fait rien car il

aura des les ratés jusqu’au bout ! La jour-

née était belle, j’aurais pu faire un bon

retour, non, il a fallu que sur le chemin du

retour, surviennent maintenant ces problèmes

dans l’allumage ! C’était très désagréable.

Je perdais de la vitesse. Les gens qui nous regar-

daient passer devaient se dire : « Tiens, il n’ira

pas loin celui-là ! ». Parfois, le scooter faisait,

10, 15 voire 20 km sans arrêts, l’espoir reve-

nait, mais c’était éphémère. Mais malgré tout

nous avancions. La nuit est arrivée et dans

la nuit c’était insupportable d’entendre ces

explosions.

Page 25: L'appel de la montagne

27

Il était 0h30 et malgré nos problèmes

mécaniques et notre faim (celle-ci relé-

guée au second plan par ceux-là), une joie

indicible nous gagnait, celle de pouvoir

bientôt embrasser nos parents, de retrouver

le confort douillet de notre maison, de pen-

ser qu’à cette heure-ci Roger était sans doute

en train de se lever pour mettre en route le

pétrin et là nous allions lui faire la surprise

de notre arrivée, le surprendre, car nous

avions entretenu un petit doute sur l’heure

de notre arrivée… Quand tout à coup, dans

une descente, patatras ! Je ressentis un choc

effroyable, et, en l’espace d’une seconde,

je fus éjecté du scooter qui m’est ensuite

tombé sur les jambes. Aussitôt relevé, ne me

sentant pas blessé, mon premier souci fut de

rechercher Marco et de lui parler. Je le retrou-

vais par terre gisant parmi les sacs et ballots

mais toujours le sac à dos accroché à son dos.

Il me répondit que ça allait ; apparemment, il

n’était pas blessé ! Je poussais alors en moi-

même un ouf soulagement ayant craint le pire

pour lui ! En fait, je pense qu’il a dû être pro-

tégé en partie par son sac à dos… Dans un

virage à angle droit, mal éclairé (autre

explication : me suis-je assoupi ?), au lieu

de tourner à gauche, je suis allé droit

devant. Mon deuxième souci, maintenant,

était de savoir si le scooter pouvait repartir,

ce qui semblait peu probable vue la violence

du choc. Je redressais le garde-boue,

remis le guidon d’équerre (enfin à peu près)

et tentais de démarrer le moteur qui finit par

repartir… Bientôt je m’aperçus que j’avais

une main et un genou ensanglantés (mes

mains étaient très sales et pleines de cam-

bouis dû aux nombreuses réparations au cours

Page 26: L'appel de la montagne

28

des 14 h qui ont précédé). Je dus ouvrir ma petite boite à pharmacie, y prendre du coton hydrophile le mettre au fond de la main pour tenter de juguler le saignement. L’autre genou me faisait mal aussi. A Angoulême, je me lavai les plaies à une fontaine ; nous étions à 30 km de chez nous et repar-tîmes avec l’espoir d’en avoir fini avec les embûches. Et bien non ! A 10 km de chez nous, le scooter s’arrête carrément. Je suis désespéré mais pas anéanti, si prêt du but ! Je change de bougie avec difficulté en raison de mes blessures. Le scooter repart. Finalement, je me dis, quelle brave bête cet engin ! Poussif et souffreteux mais, fidèle, je pouvais toujours compter sur lui comme sur une vieille mule qui va jusqu’au bout avec son maître…

Nous arrivâmes à 1h30. Roger est déjà levé. Il travaille dans son fournil et ça doit

sentir bon le pain et la viennoiserie.

J’ai oublié tout mon mal aux mains et aux

genoux. Je donne un coup de Klaxon. Il sort

de son fournil, hésitant, et après un silence, il

pousse une exclamation de joie « Enfin, vous

voilà ! »

Nous sûmes rapidement tout le tourment que

nous avons infligé à nos parents, malgré nous

(mais un peu de notre faute quand même), et

particulièrement à notre maman, qui étaient

sans nouvelles depuis 15 j.

Les jours qui suivirent, je marchais avec peine

car j’avais les pieds enflés mais mon cœur

débordait de joie. Je rédigeais mon rap-

port technique destiné à la Fondation J.

Quant à Marco, il s’installa dans un quasi

mutisme sur ce voyage, et d’une façon générale,

il parlait moins qu’avant notre départ. Au bout

Page 27: L'appel de la montagne

29

A notre arrivée, Roger est déjà levé. Il travaille dans son fournil et ça sent bon le pain et la viennoiserie dont nous avons tant rêvé durant ces 5 semaines...

de plusieurs mois (1 an, d’après nos parents), il commença par s’exprimer sur le sujet, et en bien : la métamorphose avait mis du temps à s’opérer. ….

Page 28: L'appel de la montagne

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Résumé du voyage en quelques chiffres

(extrait du carnet de route)

Carte de l'itinéraire (à partir de la vallée du Rhône)

Distance parcourue :

3300 km dont près de 1500 furent faits en montagne.

Durée du voyage :

5 semaines

La tente fut montée et démontée 25 fois

18 nuits à plus de 1000 m ;

7 nuits à plus de 1600m et 3 nuits à plus de 2000 m

Pertes :

pellicules et chaussures, d'une valeur de 50 F

J'ai dû acheter 2 clefs et un tournevis

pour faire mes réparations moi-même

pour une somme de 25 F

L'itinéraire est surligné en bleu

Retour J39 via Macon et Montluçon

Arrivée J2 via Clermont-Ferrand

Page 29: L'appel de la montagne

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Nous rêvions d’espaces, de découvertes, de la beauté des alpages.

Nous y pensions depuis des années, mais il est difficile de quitter son village.

Nous avions la jeunesse, pas beaucoup d’argent, mais du courage.

Et nous l’avons fait, coûte que coûte, ce formidable et beau voyage.

A mes parents qui m’ont autorisé à partir, je dis toute ma gratitude.

A mon frère Francis qui m’a permis de connaître les altitudes,

Je lui dis un grand merci, car sortir ainsi de nos habitudes,

Lui a demandé beaucoup de préparation, de réflexion, d’organisation et d’études.

J’avais 13 ans. Il en avait 19. Ce voyage il en avait envie. C’était pure folie.

Partir sur les routes de France, braver les dangers et les intempéries,

Gravir les routes des Alpes, camper je ne sais où, la nuit,

Partager le repas du montagnard, connaître la peur, affronter la vie.

Nous sommes partis, dès la levée du jour avec notre scooter.

C’était l’été. Les foins fraîchement coupés embaumaient le fond de l’air.

Malgré leurs mots rassurants, une légère inquiétude gagnait nos père et mère.

Etait ce bien raisonnable qu’ils partent, si jeunes, les deux frères ?

Folle randonnée

Page 30: L'appel de la montagne

32

Notre moyen de transport, un scooter « Lam Bretta », acheté d’occasion.

Destination, les Alpes françaises et suisses, puis retour à la maison.

A vrai dire, le maître d’œuvre, le chef de cette fantastique expédition,

C’était mon frère qui devait étudier les fromages des Alpes,

notamment leur fabrication.

Sous les regards étonnés des gens, nous traversions villes et campagnes,

Champs de blé, vignobles, prairies des vallées et des montagnes.

Nous grimpions les cols et pour apaiser la faim qui nous gagne,

Nous achetions quelques tomates, un peu de jambon, jamais de champagne.

L’argent de poche, mille francs pour un mois d’aventures,

Nous en prenions grand soin pour ne pas à avoir trop à nous serrer la ceinture.

Pourtant, nous avons connu les pannes de moteur, le manque de nourriture,

Les ennuis de santé, la souffrance physique et morale et la perte de chaussures.

J’ai découvert l’aventure, mais j’ai également connu la peur

Quand l’orage déchire les ténèbres et fait trembler le cœur.

Sous le toit de la petite canadienne, je regardais s’abattre ces terribles lueurs

Dans un fracas de tonnerre et de résonance. Véritable cauchemar pour le dormeur.

Page 31: L'appel de la montagne

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Dans le duvet moelleux, je n’étais pas Zorro ou bien Tarzan.

Mon frère me rassurait et me parlait comme à un petit enfant.

C’était mon maître, mon guide, mon protecteur et mon confident.

Sa bonté et sa générosité n’ont jamais eu de prix, je le sais maintenant.

Tous deux, nous avons traversé les moraines et escaladé les pires sentiers,

Partagé la soupe dans les refuges, marché sur les glaciers, respiré tant de fleurs parfumées,

Ramassé le foin et mangé le lait caillé ou la tome sèche avec le fromager,

Surpris le chamois, le bouquetin, la marmotte, tout près d’un névé.

Trente cinq ans après, tout est intact dans ma mémoire,

Et si je voulais rendre vie à chaque instant de cette fabuleuse histoire,

Il me faudrait écrire un livre. Mais qui sortirait son mouchoir

En lisant la destinée d’une doctoresse parisienne devenue la femme d’un berger montagnard

Qui s’extasierait devant les péripéties de ce petit garçon sorti de la Charente !

Qui tant de fois dégonfla les matelas, plia les duvets, monta et démonta les toiles de la tente,

Connut les crevasses bleutées des glaciers, les longues marches vivifiantes,

Et pour finir le voyage, avec son frère, attendit un billet de 50 francs en poste restante.

Page 32: L'appel de la montagne

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Oui, c’est vrai, tout cela est archivé à tout jamais dans les souvenirs de mon cerveau.

Et dans ce monde où les technologies nouvelles font de l’homme un robot, presqu’ un zéro,

Je suis fier d’avoir, à 13 ans, découvert cet univers si riche, si nature et si beau,

Ces montagnes géantes, ces névés blancs, ces torrents intrépides et ces grands troupeaux

Je garde en moi ce passage de mes très jeunes années, tel un trésor que l’on veut préserver.

Et quand je raconte à mes grands enfants des bribes de cette épopée,

Ils sourient. Et ils ont raison, ces chérubins de me traiter de fêlé,

Car, gravir les plus grands cols de France et camper à Zermatt, au pied du Cervin, ça, je l’ai fait.

Merci Francis, de m’avoir fait connaître cette folie, ce voyage qui, pour nous, n’a pas de prix.

Merci de m’avoir fait découvrir les cimes blanches, l’odeur tiède des étables, la montagne et la vie.

J’y pense souvent et me dis, au fond de moi même que la chance m’a sourit.

Marcillac-Vallon, mai 1999Marc GANRY

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Matterhorn (L’appel de la montagne)

Dès que ma plume est en quête d’un souvenir,

Je vais dans les combles de ma mémoire,

Et c’est toujours avec un très grand plaisir

Que j’en extirpe une très belle histoire.

Il était une fois, j’avais juste treize ans,

Mon frangin, à peine sorti de l’adolescence

Me fit vivre un formidable moment,

Un fait marquant dans ma jeune existence.

Il m’entraîna dans une folle randonnée,

Stimulés par l’inconscience de nos âges,

Une aventure que je partageai d’emblée

Tellement était forte mon envie de voyage.

Il y a de ça plus de quatre décennies,

Nous partîmes tôt, un matin du mois d’août

Pour satisfaire une très forte envie,

Saluer le « Matterhorn », ce sommet qui envoûte.

Quand nous embrassâmes père et mère,

Une vive impatience envahit nos corps.

Nous allions découvrir d’autres univers

Fort de cette fraternité qui nous honore.

Instants difficiles empreints d’affection,

Quelques larmes de craintes et de bonheur,

Des boutades pour différer l’émotion,

Des entrailles qui implorent le Protecteur.

Page 34: L'appel de la montagne

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Dans les années soixante, autre époque,

Nous avions la jeunesse et très peu de sous.

Et le souvenir qu’aujourd’hui j’évoque

Me fait dire que nous étions un peu fous.

Le scooter roulait, il avait du métier.

Des voix criaient tout au long des bornes.

« Jusqu’où allez-vous, jeunes aventuriers ?

A Zermatt, en Suisse, voir sa Majesté Matterhorn ! »

Marc GANRY16 décembre 2009

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Coup de foudre Une épaisse fumée noire envahit la campagne.

La locomotive siffle sa joie en ce jour de juillet.

Au revoir, capitale de France. Destination, la montagne.

Vive les vacances pour s’évader et se reposer.

La jeune fille est heureuse. Son cœur est léger.

A Paris, elle étudie la médecine, fierté des parents.

Finis, boulot, métro, dodo. Bonjour, alpages et glaciers.

Chantez les clarines et dansez les torrents.

C’est l’ivresse, le ravissement, presque le paradis.

Un univers de liberté où il fait bon se ressourcer.

Le village n’est que douceur. Il sent bon la vie.

Sur la place, les fontaines ne sont que pureté.

Les animaux broutent la pâture aux milles fleurs.

Le berger savoure sa jeunesse dans cet Eden béni.

Montagnard né, il n’ira nulle part ailleurs.

Un jour une princesse viendra s’asseoir près de lui.

Ce poème se rapporte au récit page 24 «Une blessure, une doctoresse et une belle histoire d’amour...»

Les cimes blanches se détachent dans l’azur.

Les vertes vallées invitent à la détente et au bonheur.

Les chalets font bel effet dans le tableau nature.

Les ruisseaux rafraîchissent dans ce havre de chaleur.

Quand les deux regards dans le soir se croisèrent,

Toutes les fleurs se mirent à danser dans l’alpage.

Puis les cœurs s’unirent et les animaux chantèrent.

Le clocher sonna fort pour annoncer le mariage.

Les vallées aussitôt revêtirent leurs plus fastes habits.

Adieu rêves parisiens. Envolées les illusions de père et mère.

La belle étudiante quitta Panam pour le chalet fleuri.

Aujourd’hui elle est bergère et remercie la terre entière.

Elle garde son troupeau dans cet espace qui est le sien.

Des fois, elle pense à Paris et à sa tendre jeunesse.

Mais une chose est sûre, elle ne regrette rien.

Au côté de son berger, elle est une vraie déesse.

Marc GANRY

Page 36: L'appel de la montagne

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Matterhorn (Beauté et grâce sur fond de bonheur) Le scooter roulait, il avait du métier.

Des voix criaient tout au long des bornes.

« Jusqu’où allez-vous, jeunes aventuriers ?

A Zermatt, en Suisse, voir sa Majesté Matterhorn ! »

Nos cœurs étaient légers, nos âmes pures,

Pétris d’insouciance et de jeunesse.

Nous partions pour une grande aventure,

Guidés par la raison et la sagesse.

Notre fortune était notre enthousiasme,

Nos bagages remplis de tout petits riens.

Et loin d’afficher peine et marasme

Nous quittions Cognac, pleins d’entrain.

Le soir venu, nous dressions la canadienne,

Un repas sommaire calmait nos bedons.

Fallait veiller aux dépenses quotidiennes,

Pas pour nous les restos et les gueuletons !

Au revoir la France, bonjour l’Helvétie,

Ce soir, terminus à Zermatt, au pied du Cervin.

En chemin, nous affrontâmes moult péripéties,

Prîmes des risques, faute de pouvoir prendre le train.

Etape périlleuse sous un ciel d’orages,

La cité mythique nous accueillit discrètement.

Un rayon de soleil égaré raviva nos visages,

Matterhorn était là, magique et éblouissant.

La nuit fut douce sous l’œil du géant Suisse.

Le ciel de plomb de la veille se teinta d’azur,

Matin d’euphorie et un décor où tout ne fut que délices,

Sublime aquarelle, féerique et nature.

Matterhorn, simplement, salua notre prouesse,

Et nous convia sur ses pentes, en guise d’honneur.

A nos parents, nous écrivîmes en express :

« Ici, tout est beauté et grâce sur fond de bonheur »

Marc GANRYMarcillac, le 16 décembre 2009

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Avant-propos 2

Quand la passion de la montagne suscite une aventure hors du commun 3

Un scooter poussif et souffreteux mais fidèle jusqu'au bout ! 7

Une dure épreuve pour Marco 9

Corvée du montage et démontage de la tente et cauchemar de la pluie 12

Le Montagnard ne craint que Dieu et la foudre... idem pour le campeur ! 15

Quand l'indigence suscite l'héroïsme 18

Petites faims et grand jeûne 21

Une blessure, une doctoresse et une belle histoire d'amour.. 24

Le chemin du retour : le parcours du combattant 26

Résumé de ce voyage en quelques chiffres, extrait du carnet de route 30

Folle randonnée (M.G.) 31

Matterhorn (M.G.) 35

Coup de foudre (M.G.) 37

Matterhorn (M.G.) 38

Table des matières 39

Table des matières

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