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* Franck Boutaric, politologue, 28, quai de la Loire, 75019 Paris, France ; [email protected]** Pierre Lascoumes, chercheur en sciences politiques, CEVIPOF, CNRS-SciencesPo, 98, rue de l’Université, 75007 Paris, France ; [email protected]
Sciences Socia les e t Santé , Vol . 26 , n° 4 , décembre 2008
L’épidémiologie environnementaleentre science et politique.Les enjeux de la pollution atmosphérique en France
Franck Boutaric*, Pierre Lascoumes**
Résumé. L’objet de cet article est de montrer comment la mobilisation despécialistes de santé publique a pu, en une dizaine d’années (du début desannées 1990 au début des années 2000), reconfigurer radicalement l’en-jeu de la pollution atmosphérique par la prise en compte de son impactsanitaire. Les dimensions de l’enjeu, les instruments de sa mesure, lechamp des acteurs concernés et le type de décision publique ont connudes déplacements majeurs.
Mots-clés : épidémiologie, risque, pollution atmosphérique.
L’évolution du contenu donné à la notion de « pollution atmosphé-rique » comme problème public est exemplaire des processus de cons-truction sociale qui sous-tendent toute l’histoire des régulations publiques
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(Gusfield, 1981). Si la dimension sanitaire est présente dès la loi de 1961,elle était restée très marginale jusqu’au début des années 1990. La défini-tion initiale du problème avait été concentrée sur les émissions polluantesindustrielles et l’essentiel des actions menées visait leur réduction par lerecours à un système de taxe (censé être dissuasif) et l’adoption detechnologies propres. De plus, cette politique s’attachait au contrôle desémissions et beaucoup moins à la mesure de l’out put (l’immission), c’est-à-dire au résultat global en termes de qualité de l’air (Vlassopoulou,1999).
Diverses évaluations menées à partir des années 1980 débouchentsur un jugement d’ensemble quant aux résultats obtenus. Entre 1988 et1995, le bilan de la qualité de l’air réalisé par l’ADEME (1) montre unediminution des SO2, CO et Pb (2), mais une stagnation, voire une aug-mentation, pour les particules atmosphériques et un état stationnaire pourles NO2. Le secteur du transport est de plus en plus explicitement mis encause en raison de sa forte progression de consommation énergétique(+ 40 %, 1978-1997) essentiellement basée sur les produits pétroliers. Parses émissions (NOx et NO2) (3), il contribue aussi fortement à la produc-tion de polluants secondaires, en particulier l’ozone troposphérique. Leschangements intervenus dans les systèmes d’observation (surtout le suivide substances de plus en plus nombreuses et la diversification des lieuxd’observation) (4, 5), vont ainsi conduire à l’attribution de responsabilitésdans la pollution atmosphérique à des secteurs sociaux autres que l’indus-trie (en particulier les transports) et à la mise en évidence de nouveauxfacteurs de risque (notamment ceux à caractère sanitaire). L’attention seporte aujourd’hui particulièrement sur la mesure des particules fines pré-sentes dans l’air (6). Une des propositions phares du « Groupe santé » duGrenelle de l’environnement concerne la forte réduction de ces substances
(1) Agence de la maîtrise de l’énergie et de l’environnement.(2) SO2 : dioxyde de soufre ; CO : monoxyde de carbone ; Pb : plomb.(3) Nox : oxyde d'azote ; NO2 ; dioxyde d'azote.(4) L’ozone troposphérique, les particules atmosphériques, les fumées noires, le ben-zène, les hydrocarbures aromatiques polycycliques, etc.(5) Les réseaux d’observation urbains ont été multipliés et leurs mesures combinentaujourd’hui des enregistrements effectués au niveau micro (proximité), méso(ambiance de semi-hauteur) et macro (ambiance d’altitude). (6) Le rapport de AIRPARIF sur la qualité de l’air en Île-de-France de février 2007indique que le seuil de valeur journalière des particules fines a été dépassé entre 80 et220 jours selon les sites d’observation, alors que le seuil est en principe de 35 jours/an.Voir également Extrapol (2007b).
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et, lors de ces débats, l’épidémiologiste S. Médina (InVS) a indiqué quel’impact de ces éléments sur la santé « était du même ordre que le taba-gisme passif » (7).
Ainsi, la pollution atmosphérique correspond parfaitement à ce queFassin nomme les « nouveaux objets intellectuels » conçus par les analy-ses en termes de santé publique : « Les problèmes sanitaires ne sont passeulement des réalités biologiques que les spécialistes viennent mettre àjour, ils sont aussi des faits épidémiologiques qu’ils construisent »(Fassin, 2005 : 37). L’objet de cet article est de montrer comment la mobi-lisation de spécialistes de santé publique a pu, en une dizaine d’années (dudébut des années 1990 au début des années 2000), reconfigurer radicale-ment l’enjeu de la pollution atmosphérique par la prise en compte de sonimpact sanitaire. Les dimensions de l’enjeu, les instruments de sa mesure,le champ des acteurs concernés et le type de décision publique ont connudes déplacements majeurs. Ce processus est d’autant plus intéressant àanalyser qu’il accompagne assez précisément l’enrichissement de l’épidé-miologie accompli sous une double influence : d’un côté, l’introduction denouvelles méthodes (avec l’influence croissante d’un courant scientifiqueissu des mathématiques et permettant de nouveaux types de modélisationcausale), les études écologiques et temporelles (8) ; d’un autre côté, l’in-fluence des mobilisations associatives environnementalistes soucieusesd’élargir leur cause de la protection des milieux écologiques à celle desconditions de vie humaine. Cette combinaison de méthodologies renfor-cées, de prise en compte de demandes sociales spécifiques et de volontéd’impact politique sur les décideurs a créé une configuration originale auxeffets autant scientifiques que politiques (9). La reformulation de la pol-lution atmosphérique comme problème public a été un des premiers ter-rains de validation de la pertinence de ces nouveaux outils d’analyse (10).Les études d’épidémiologie écologiques ont ainsi été prises entre scienceet politique, contribuant à une meilleure analyse scientifique de situationsà risques, tout en étant appropriées par des acteurs divers. La vive contro-
(7) Cité par Dupont, « Les particules au cœur de la lutte contre la pollution atmosphé-rique », Le Monde, 13/10/2007 : 8.(8) Ces outils d’analyse sont issus des développements de l’économétrie ; ils ont étéconçus aux États-Unis à la fin des années 1980. Le principe de ces études est de com-parer les risques quotidiens de décès ou d’hospitalisation pour les jours plus ou moinspollués. L’unité d’observation n’est plus l’individu, mais la journée.(9) C’est ce type de configuration que Fassin (2005) nomme une « nouvelle épidé-miologie ».(10) Un autre terrain de mise à l’épreuve de cette approche a été le saturnisme.
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verse scientifique relative au lien de causalité entre le niveau de pollutionatmosphérique et les effets de mortalité et de morbidité sur les populationsévoluera à la fin des années 1990 en faveur de la validation de l’hypothèsede causalité et, donc, par la démonstration de la capacité explicative desétudes écologiques et temporelles. Comme le souligne le récent rapport del’Académie des Sciences sur « L’Épidémiologie humaine », ces nouveauxoutils ont aussi une capacité d’orientation politique et sociale particulièredans la mesure où ils raisonnent sur des ensembles (du collectif) et nonplus seulement sur des individus (Valleron, 2006).
La redéfinition de la pollution atmosphérique en tant que problèmede santé publique est particulièrement tangible dans le rapport du Hautcomité de la Santé publique (HCSP) de juin 2000. Il prend acte des résul-tats partiellement positifs des actions menées depuis les années 1960, maissouligne leurs lacunes : « La pollution de l’air, pourtant sensiblementréduite par rapport aux situations qui prévalaient il y a quelques décen-nies (…), continue aujourd’hui à exercer des effets néfastes pour la santéde chacun ». Aucune incertitude ne semble plus porter sur ce facteur derisque. Son impact est d’autant plus important à prendre en considérationque « si certaines personnes, du fait de leur âge (…) ou de leur étatphysiologique (…), sont plus sensibles à l’action des polluants chimiquesou biologiques, notamment à court terme, c’est bien l’ensemble de lapopulation qui peut subir des conséquences d’une exposition chroniqueaux concentrations actuelles des polluants dans l’air » (HCSP, 2000 : 2).
Après avoir rappelé les grandes étapes de l’émergence de la dimen-sion sanitaire dans la problématisation de la pollution atmosphérique,nous préciserons les apports décisifs des nouveaux outils méthodolo-giques qui ont donné des assises autant originales que solides aux enquê-tes épidémiologiques cherchant à évaluer l’impact sanitaire de cettepollution. Enfin, nous conclurons en montrant certains effets politiques decette reproblématisation et les transformations des relations entre acteursqui ont accompagné la dynamique observable en ce domaine (Boutaric etLascoumes, 2008).
L’émergence de la dimension sanitaire
L’émergence de la dimension sanitaire présente un double caractère :d’une part, elle rompt avec la problématisation technico-administrativequi prévalait depuis le XIXe siècle, d’autre part, en tant qu’enjeu de santépublique, elle contribue à rendre tangible la question de l’exposition auxrisques faibles.
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La pollution atmosphérique urbaine : un nouvel enjeu de santé publique
Depuis le début du XIXe siècle (1810) et jusqu’aux années 1990, lapollution atmosphérique a été envisagée, à titre principal, voire exclusif,comme une externalité industrielle. Initialement, on ne s’attache qu’auxaspects les plus visibles, les fumées et les odeurs. Si le texte de réforme dela législation sur les installations classées de 1917 est d’inspiration hygié-niste, il ne change rien de fondamental à l’approche initiale. Une loi sym-bolique est adoptée en 1932 qui interdit « toute diffusion de fumée » ; ellen’aura aucune application. Un texte important de 1948, traitant de l’utili-sation rationnelle de l’énergie, encourage à moderniser les équipementstechniques pour réduire les émissions. L’approche technico-administra-tive prévaut toujours (Vlassopoulou et Lascoumes, 1998). Pourtant, plu-sieurs événements significatifs, prenant souvent la forme de catastrophe,ont révélé l’importance de l’impact sanitaire de la pollution atmosphé-rique chronique dans certains contextes météorologiques particuliers.Ainsi, en 1930, en Belgique dans la vallée de la Meuse, un pic de pollu-tion (oxyde de soufre et d’azote) entraîne une augmentation massive desdécès (multipliés par six). En 1948 à Donora (États-Unis), un épisode depollution mortelle à l’oxyde de soufre suscite une mobilisation sociale etpolitique nouvelle sur les effets sanitaires du smog. Et, en 1952, c’est unecrise liée au fog londonien qui suscite le décès de 4 000 personnes. Unesérie d’échanges scientifiques internationaux se développe à partir de là,et de nombreux pays créent des législations spécifiques pour lutter contrela pollution atmosphérique : Clean Air Act anglais dès 1956, loi sur l’airen France en 1961, Clean Air Act aux États-Unis en 1963, en Italie etSuisse en 1966, etc. Les travaux scientifiques menés en France dans lesannées 1950-1970 sont principalement centrés sur la mesure de quelquespolluants d’origine industrielle avec l’idée d’en réduire l’émission maissans chercher à rendre particulièrement visible l’impact sanitaire. Lapériode des années 1970-1990 voit l’apparition des premiers travauxd’épidémiologie environnementale et de toxicologie. La plus significativeest celle publiée en 1982 : « Pollution atmosphérique et affections respi-ratoires chroniques » (PAARC, 1982). Elle porte sur une évaluation, dansla population générale, de l’impact des facteurs génétiques et environne-mentaux sur les maladies respiratoires obstructives (bronchite chronique,asthme, emphysème). Elle est prolongée par des travaux portant sur despopulations particulièrement exposées (ouvriers, policiers, mineurs ducharbon). Il faut attendre la revue de littérature scientifique d’ERPURS(Évaluation des risques de la pollution urbaine pour la santé) en 1992 (LeMoullec et al., 1992 ; Momas et al., 1993) pour que soit mise au centre de
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la réflexion l’existence d’effets sanitaires de la pollution atmosphérique etque commence à être débattue la question des niveaux d’exposition consi-dérés comme potentiellement dangereux. Ce travail est décisif car il donneune large visibilité à une littérature scientifique étasunienne méconnue quiemploie de nouveaux modèles d’analyse statistique. À la suite des étudesPAARC, différentes situations pathologiques sont attribuées à l’exposi-tion à la pollution atmosphérique. Parmi les plus documentées figurent :un accroissement de la sensibilité des personnes allergiques, une augmen-tation de la proportion de sujets ayant une fonction respiratoire altérée,une réduction de leur survie pouvant aller de 10 à 15 ans. Des hypothèsesnon validées subsistent cependant quant à l’induction par une expositionchronique de maladies asthmatiques et sur l’incidence de cancers. Lesrisques « résultent de l’effet conjugué de toutes les occasions d’expositionà des agents biologiques et chimiques au long de l’existence, dans lesdivers lieux fréquentés par les personnes » (HCSP, 2000 : 2). Les étudesépidémiologiques menées depuis le milieu des années 1990 ont ainsi per-mis d’établir des liens précis entre les composants de la pollutionatmosphérique et certaines pathologies. Ainsi, la progression des allergiesrespiratoires et, plus particulièrement, de l’asthme au cours des vingt der-nières années conduit fortement à suspecter le rôle de la pollutionatmosphérique, même si le lien n’est pas encore directement démontré.Deux composants font l’objet d’observations particulières : les particulesproduites par l’usage du diesel et l’ozone. Dans les deux cas, « la constanteet la cohérence des résultats observés plaident en faveur d’une relationcausale entre l’exposition et la diminution des performances ventilatoiresou l’apparition de symptômes respiratoires » (Plan national santé environ-nement, 2004 : 26). Les effets à long terme sont encore insuffisammentdocumentés, mais des hypothèses sont en cours d’évaluation pour l’impacten termes de mortalité, d’incidence de cancer et d’asthme.
Risques relatifs faibles et enjeu de santé publique
« Pour apprécier l’ampleur d’un problème de santé publique (…) etdiscuter de sa priorité relative, il faut (…) tenir compte de trois paramè-tres » (Gérin et al., 2003 : 305). Le premier est la valeur du risque relatif,le deuxième est la valeur du risque de base dans la population et le troi-sième est la fréquence de l’exposition au facteur de risque considéré.L’application de ce raisonnement au cas de la pollution atmosphériqueconduit à la qualifier de problème de santé publique dans la mesure où,bien que le risque relatif soit faible, l’exposition est subie par un très grandnombre de sujets. Des trois paramètres cités ci-dessus, deux (la valeur du
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risque de base et la fréquence de l’exposition au facteur de risque) nedépendent pas du recours à telle ou telle méthode. En revanche, la mise enévidence d’un risque relatif faible est une réalité sanitaire qui a été mieuxobjectivée grâce à la méthode écologique et temporelle : « “écologique”parce que l’exposition est mesurée au niveau de la population — et nonau niveau de chaque individu — et “temporelle” parce qu’elle met en cor-rélation des séries de polluants et des indicateurs de santé sur un mêmelaps de temps. Sa très forte puissance statistique permet de détecter desrisques individuels faibles que ne pouvaient pas mesurer les études épi-démiologiques classiques » (Dab et Roussel, 2001 : 120). L’histoire del’émergence de la pollution atmosphérique en tant que problème de santépublique présente de grandes similitudes avec l’analyse faite par Fassin dusaturnisme infantile (Fassin, 2005). Dans son étude sur la naissance d’uneépidémie, il observe que, en 1981, une équipe de pédiatres et de toxicolo-gues publie un article sur un cas d’intoxication par le plomb et que, 18 ansaprès, l’INSERM recense 85 000 enfants (de 1 à 6 ans) qui seraient victi-mes de saturnisme. Tout comme pour le saturnisme, le regard porté sur lapollution atmosphérique a été profondément modifié en quelques annéessous l’effet de nouvelles mesures. Les faits sanitaires que construisent lesépidémiologistes produisent, dans un même mouvement, un nouvel objetscientifique et un nouveau domaine d’intervention publique. Alors que lagrande enquête PAARC n’avait pas suscité une véritable réflexion desanté publique, vingt ans plus tard la transformation du regard scientifiquemodifie la représentation politique de cet enjeu. Ce changement s’ex-plique par la capacité des nouvelles méthodes de l’épidémiologie à mettreen évidence des risques relatifs faibles. Et, dans le cas de la pollutionatmosphérique, le fait de montrer que, dans certains cas de figure, cerisque est supérieur à 1, cela signifie que la présence du facteur (le ou lespolluants) augmente le risque d’apparition de la maladie.
Cette prise en compte d’un risque relatif faible en matière de pollu-tion atmosphérique s’est faite par étapes. Un ensemble d’études ont étéréalisées, elles analysaient les relations exposition-risque à court termeentre indicateurs de pollution atmosphérique urbaine et état sanitaire despopulations (11) : d’abord en Île-de-France (ERPURS depuis 1994), puissur un ensemble de villes françaises (PSAS 9 depuis 1997), enfin sur unensemble de villes européennes (APHEIS depuis 1999) (12). Ces résultatscumulés sont venus progressivement étayer la démonstration, comme le
(11) Indicateurs de l’état sanitaire = nombre de visites médicales d’urgence à domicile,d’hospitalisations en urgence, de décès.(12) Air Pollution and Health: an european information system.
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Tableau IChronologie des études
Niveau régional
ERPURS 1994 : évaluation de l’impact de la pollution atmosphérique urbainesur la santé en Île-de-France (1987-1992)ERPURS 1998 : analyse des liens à court terme entre pollution atmosphériqueet santé (1991-1995)ERPURS 2003 : analyse des liens à court terme entre pollution atmosphériqueet santé (1987-2000)ERPURS 2005 : analyse des liens à court terme entre niveaux de pollutionatmosphérique et visites médicales à domicile (2000-2003)
Niveau national
PSAS 9 (mars 1999) : dispositif de surveillance dans neuf villes et étude de fai-sabilité de l’analyse de l’impact à court terme de la pollution atmosphérique surla mortalitéPSAS 9 (juin 2002) : analyse des relations exposition-risque à court terme entreindicateurs de pollution atmosphérique urbaine et hospitalisation ; quantificationde l’impact sanitaire à court terme.PSAS 9 (2004/2005) : analyse des relations température, pollution atmosphé-rique et mortalitéGuides INVS juillet 1999 et juin 2003 : analyse des gains sanitaires potentielsselon différents scenarii ; le second guide prend en compte les effets à court etlong terme (mortalité anticipée et admission hospitalière)
Niveau européen
APHEA 1 : analyse des risques quotidiens de décès ou d’hospitalisation (un anaprès leur revue de littérature, l’équipe ERPURS intègre APHEA en 1993)APHEA 2 (1998) : mise au point de fonctions exposition-risque pour une expo-sition à court terme APHEIS 1 (1999) : définition des indicateurs pour la surveillance épidémiolo-gique et impact sanitaire et mise en place d’un dispositif de surveillanceAPHEIS 2 (2002) : évaluation des impacts sanitaires pour les pm10 (particulesen suspension inférieures à 10 mg) et les fumées noires à court et long termeAPHEIS 3 (2004) : évaluation des impacts sanitaires pour fumées noires, pm10et intégration des pm 2,5 dans 26 villes de 12 pays et stratégie d’informationpour les décideurs
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montre le récapitulatif chronologique des enquêtes (13) (Tableau I). Lapollution a ainsi été redéfinie dans un sens générique qui prend en compteun ensemble très divers de contextes d’exposition. Aujourd’hui, le champd’étude s’est encore étendu avec la prise en compte de contextes d’expo-sition spécifiques, en particulier les lieux de travail et l’habitat (indoor)(14) (Festy, 2002).
Les « nouveaux outils » de l’épidémiologie en action
En épidémiologie, la période 1990-2000 est marquée par l’émer-gence d’une nouvelle approche qui repose sur l’application d’une métho-dologie innovante appliquée au domaine de la pollution atmosphériqueurbaine (les études écologiques et temporelles). Il y a concomitance entrela diffusion de cette méthode et la requalification de la pollutionatmosphérique en enjeu de santé publique. Ce changement d’approche arendu plus tangibles les corrélations entre les indicateurs de pollution etceux de santé, il a aussi intensifié les interrogations sur les liens de causa-lité. Le raisonnement des études écologiques et temporelles diffère, on l’adit, de celui des analyses épidémiologiques dites classiques. « Le principe(…) est de comparer les risques quotidiens de décès ou d’hospitalisationpour des jours plus ou moins pollués. L’unité d’observation n’est doncpas l’individu, mais la journée » (Gérin et al., 2003 : 300). Ce typed’étude implique des travaux préalables de recueil de données et de cons-titution d’indicateurs de pollution et de santé : métrologistes, épidémiolo-gistes et statisticiens y sont associés. L’apport de la statistique est décisifdans l’estimation de la relation dose-réponse et, plus largement, dans lesdifférentes étapes de l’évaluation des risques (Bard, 2004 ; Valleron2006).
La revue de littérature scientifique réalisée par ERPURS (LeMoullec et al., 1992 ; Momas et al., 1993) atteste de la constitution d’unecommunauté scientifique autour de l’application des séries écologiques ettemporelles à la pollution atmosphérique. Depuis, le rythme des étudespubliées est resté soutenu et elles ont diversifié les échelles géographiquesprises en compte (villes, agglomérations, régions, pays et Europe) (15).
(13) Les précisions sont apportées sur chacune dans la deuxième partie de l’article.(14) Voir les études Extrapol : « Moisissures dans l’air intérieur et santé », décembre2005 et « Estimation de l’exposition des populations aux polluants présents à l’inté-rieur des habitations », novembre, 2004, InVS.(15) Voir le Tableau I.
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Cette mobilisation scientifique s’accompagne d’une mobilisation poli-tique (que nous analyserons ultérieurement) aussi bien régionale qu’euro-péenne (ERPURS et APHEA). Elle se manifeste de façon tangible par lesfinancements accordés à ces recherches et par l’attention croissante don-née à leurs résultats. Nous présenterons d’abord une synthèse des princi-pales études engagées pour ensuite mettre en lumière l’évolution desenjeux (de l’existence d’un problème de santé publique à l’évaluation deson impact) et, enfin, son étroite association avec la mise en œuvre de ladémarche d’évaluation des risques.
Synthèse des principales études réalisées
Notre synthèse ne prétend pas à l’exhaustivité, elle se propose demettre en évidence les principales caractéristiques des études engagées.Avec l’évaluation des risques de la pollution urbaine sur la santé(ERPURS) en région Île-de-France, s’opère une approche novatrice del’évaluation des risques de la pollution atmosphérique urbaine sur la santéhumaine. Cette démarche nécessite la constitution d’un réseau d’acteursrelevant de plusieurs disciplines et de différentes institutions. Les colla-borations entre diverses professions (professionnels de santé, épidémiolo-gistes, métrologistes…) sont décisives pour la réalisation des étudesécologiques et temporelles. La diversité des ressources professionnelles etinstitutionnelles mobilisées constituera un des atouts de ce projet(Boutaric, 2003). Le programme ERPURS repose sur un réseau d’épidé-miologistes et de professionnels de santé dont les membres sont engagésactivement dans ce champ de recherche qui renouvelle leur discipline àl’échelle internationale. Il rassemble des spécialistes comme W. Dab,S. Médina, A. Le Tertre, P. Quénel et B. Festy (16). Ils sont, dès le début,associés à l’un des scientifiques américains (J. Schwartz) qui travaille surla méthode d’analyse statistique des études écologiques et temporelles(Schwartz, 1994). Les résultats obtenus lors de la première étude établis-sent une augmentation du nombre journalier de décès en relation avec unaccroissement de certains polluants. Les constats sont similaires concer-nant les relations entre la pollution atmosphérique et les indicateurs de
(16) Lors du premier projet ERPURS dont la responsabilité générale est assurée par ladirectrice de l’ORS Île-de-France, W. Dab est professeur à l’École nationale de lasanté publique, S. Médina, médecin épidémiologiste à l’ORS, A. Le Tertre, statisticienà l’ORS, P. Quénel, médecin épidémiologiste au Réseau national de santé publique etB. Festy, directeur du Laboratoire d’hygiène de la ville de Paris.
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morbidité. Par comparaison avec les premiers travaux de 1994, deuxobservations peuvent être formulées aujourd’hui. Les indicateurs sontmodifiés et prennent en compte des critères plus exigeants : ainsi, dansl’indicateur de pollution, les particules de plus petite taille sont prises encompte (pm 2,5) (17). Quant à la dernière étude prenant uniquement enconsidération des indicateurs de morbidité, elle atteste d’une conceptionde la santé de plus en plus soucieuse du bien-être des individus (TableauII). La méthodologie employée par ERPURS a été élaborée au niveaueuropéen dans le cadre d’un programme dénommé APHEA (Air Pollutionand Health: an European Approach) (Tableau III). L’équipe d’ERPURSintègre ce réseau en 1993 et participe à la mise au point d’une méthodo-logie commune aux travaux menés dans quinze villes européennes. L’unedes conclusions majeures d’APHEA I est que la pollution atmosphériqueurbaine a des effets directs sur la santé humaine et constitue, à ce titre, unproblème de santé publique en Europe. À partir de 1998, lors de ladeuxième phase (APHEA II), la détermination de la fonction exposi-tion/risque (l’une des quatre étapes de l’évaluation des impacts sanitaires)atteste des effets à court terme de la pollution atmosphérique urbaine surla santé et définit les populations les plus vulnérables. La mise au pointdes fonctions expositions/risques pour une exposition à court terme, c’est-à-dire la description mathématique de l’association entre une dose d’ex-position et la réponse observée sur une période donnée, est égalementréalisée dans neuf villes françaises avec le Programme de surveillance airet santé (PSAS 9) (Tableau IV).
Les travaux qui ont validé et approfondi les relations expositions/risques du programme de surveillance air/santé ont été réalisés en syner-gie avec le programme européen APHEA, ce qui a renforcé leur robus-tesse. Par la suite, les travaux sur l’impact sanitaire de la pollutionatmosphérique urbaine ont aussi pris en compte les effets à long termeavec l’exploitation d’une étude trinationale (Autriche, France, Suisse)basée sur deux études de cohortes américaines (Künzli et al., 2000). Ainsi,on observe que, en quelques années, le dispositif de surveillance épidé-miologique PSAS 9, initié en 1997, a permis une évaluation des impactsà court terme et à long terme, que les indicateurs sanitaires ont été diver-sifiés et que les pm10 figurent désormais parmi les indicateurs de pollu-tion. Ces études intègrent aussi la quantification des gains sanitaires quepermettrait la réduction des niveaux de pollution. Sur ce plan, PSAS etAPHEIS sont comparables.
(17) Inférieures ou égales à 2,5 microns de diamètre.
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20 FRANCK BOUTARIC, PIERRE LASCOUMES
Les débuts d’APHEIS (Tableau V) sont, comme ceux de PSAS 9,consacrés à la faisabilité de la mise en place d’un système de surveillanceépidémiologique avec la définition des indicateurs et l’identification desstructures indispensables à l’évaluation des impacts sanitaires à court et àlong terme de la pollution atmosphérique dans des villes européennes.Avec APHEIS 3, une nouveauté atteste de la maturité et du développe-ment des recherches : la volonté d’instaurer un dispositif d’informationpour les décideurs locaux et européens. En France, dans le cadre desPRQA (18), les évaluations d’impacts sanitaires sont considérées commedes outils d’aide à la décision ; quant aux évaluations de l’APHEIS, leursrésultats sont aussi amenés à jouer un rôle au niveau européen pour ladétermination des normes des polluants. La portée décisionnelle des éva-luations d’impacts est donc susceptible d’être, à terme, plus importante.
Risques relatifs/risques attribuables
En 1994, avec la première étude ERPURS, la pollution atmosphé-rique urbaine émerge comme un enjeu de santé publique, revenons unmoment sur ce processus. Lors des premiers résultats, les discussions por-tent sur l’importance qu’il faut accorder à la pollution atmosphérique alorsmême que les risques relatifs sont faibles et qu’ils sont élaborés par desméthodes encore peu pratiquées en France. Cette reconnaissance de lapertinence de cet enjeu de santé publique est étroitement associée à l’évo-lution de la réflexion sur la question de la causalité et à la façon dont leschercheurs la construisent. Tout en considérant qu’il existe des zones d’in-certitude dans leurs travaux, leurs conclusions sont à même de justifier lerecours à, ce que l’on appelle aujourd’hui, une démarche de précaution(19). Les études APHEA, PSAS et ERPURS postérieures à 1994 aboutis-
(18) Le Plan régional de la qualité de l’air est introduit par la Loi sur l’air et l’utilisa-tion rationnelle de l’énergie et précisé par le Décret du 6 mai 1998. Il consiste à fixerles orientations à moyen et long terme pour prévenir ou réduire la pollution atmosphé-rique.(19) Le principe de précaution figure à l’article 5 de la Charte constitutionnelle de l’en-vironnement (28 février 2005) : « Art. 5. Lorsque la réalisation d’un dommage, bienqu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manièregrave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par applicationdu principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvrede procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et pro-portionnées afin de parer à la réalisation du dommage ».
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ÉPIDÉMIOLOGIE ENVIRONNEMENTALE 21
sent à des évaluations d’impacts sanitaires. Ces programmes engagés auxplans régionaux, nationaux et européens par des équipes œuvrant dans lechamp d’une communauté scientifique internationale, permettent d’esti-mer le nombre de « cas attribuables » (mortalité, morbidité) aux effets dela pollution atmosphérique urbaine. Ces cas sont exprimés par rapport àun niveau d’exposition de référence et sont donc potentiellement évitablessi les niveaux de pollution sont ramenés en deçà de ce seuil. Dans lesenquêtes épidémiologiques, la question de la causalité est récurrente etelle a été posée avec virulence dès les premiers résultats d’ERPURS.Rappelons que le risque relatif « ne renseigne ni sur la proportion de casparmi les malades, ni sur le nombre total de cas qu’on peut attribuer à cefacteur dans la population » (Goldberg, 2001 : 148). L’établissement d’unlien de causalité peut nécessiter des travaux toxicologiques, mais les dif-férents « critères » établis par Hill constituent des faisceaux d’indices quiprennent en compte la plausabilité biologique, et qui examinent aussi denombreux autres éléments (20) (Bouyer et al., 2001). À la différence durisque relatif, le risque attribuable « permet de connaître la proportion decas de maladie qu’on peut attribuer au rôle d’un facteur de risque, ainsique le nombre de sujets atteints de son fait dans une population »(Goldberg, 2001 : 149). Or, le passage du risque relatif au risque attribua-ble est l’objet de vifs débats et de controverses dans la communauté plu-rielle des épidémiologistes. Dans leur étude « Pollution atmosphérique etépidémiologie en France, une longue maturation » Festy et Quénel signa-lent que, en 1995, la publication des résultats de l’étude menée sur Pariset Lyon dans le cadre d’APHEA « constitue (…) le début d’une évolutionradicale de la part des pouvoirs publics dans la prise en compte desimpacts sanitaires de la pollution atmosphérique » (Festy et Quenel,2003 : 27). Ces résultats épidémiologiques présentés sous forme de risqueattribuable rencontrent également un fort écho médiatique. Nous analyse-rons ultérieurement la controverse soulevée par la publicisation de cetteexpertise, mais une chose est certaine, l’évaluation de l’impact sanitaire dela pollution atmosphérique urbaine acquiert une légitimité croissante. Si,en 1994, de nombreuses interrogations subsistent quant aux effets de lapollution atmosphérique sur la santé, et si l’on débat encore du lien de cau-salité entre pollution atmosphérique urbaine et indicateurs de mortalité oude morbidité, en cinq ans la situation évolue. Et le premier guide métho-
(20) Les critères de Hill sont les principaux critères de causalité. Ils examinent uneliste de critères internes à l’étude (force de l’association, relation de type dose-effet…)et de critères externes (notamment la plausibilité biologique) avant de conclure à unerelation de cause à effet.
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ÉPIDÉMIOLOGIE ENVIRONNEMENTALE 23
dologique de l’InVS, paru en 1999, estime les gains sanitaires potentielsselon différents scenarii. Enfin, de 1999 à 2003, la démarche méthodolo-gique se précise et la validité de cette approche est de plus en plus recon-nue. Elle intègre d’autres indicateurs et s’élargit aux effets à long terme.(Tableau VI). Une véritable évaluation des risques a été opérationalisée.
La démarche de l’évaluation des risques
Nous pouvons approfondir les commentaires précédents en fonctiondu schéma classique d’évaluation du risque qui se décompose en quatreétapes : l’identification du danger, l’évaluation des expositions, l’estima-tion de la relation dose/réponse et la caractérisation du risque.
L’identification du danger décrit, d’une part, « les troubles biolo-giques ou les pathologies susceptibles d’apparaître du fait des propriétésd’un polluant » et, d’autre part, « la vraisemblance de la relation cau-sale » selon l’AFSSE (21). Pour ce qui est de la pollution atmosphériqueurbaine, de nombreuses études attestent de la vraisemblance de la relationcausale pour un nombre accru de polluants. L’éventail de polluants pris encompte s’élargit et quelques-uns sont mesurés avec de plus en plus de pré-cision (notamment les particules).
L’élaboration d’indicateurs d’exposition s’accompagne de dialoguesentre les épidémiologistes et les métrologistes ; ces échanges s’opèrentd’autant plus aisément que les réseaux de surveillance de la qualité de l’airprocèdent de leurs côtés à des travaux de classification et de redéfinitiondes instruments de mesure des polluants utilisés par les stations de sur-veillance (22). Initiée lors de la première étude d’ERPURS, la collabora-tion entre épidémiologistes et métrologistes n’a cessé de s’approfondir etde s’étendre, d’abord au niveau régional puis aux échelons nationaux eteuropéens.
Prévue dans la LAURE (23), la surveillance épidémiologiqueconnaît ainsi des développements avec PSAS 9 puis APHEIS. Elleimplique des indicateurs de pollution, et le système de santé français,
(21) Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement, créée en 2001, ses mis-sions ont été étendues au travail en 2005 (AFSSET).(22) Voir le rapport du Groupe de travail « Classification et critères d’implantation desstations de surveillance de la qualité de l’air », décembre 2001. Quant aux dispositifsd’intéressement mis en place par les réseaux, voir Boutaric (2006).(23) Loi du 30 décembre 1996 sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie.
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jusque-là assez dépourvu d’indicateurs sanitaires, se dote peu à peu dedonnées susceptibles d’être employées pour la recherche. La meilleureappréhension du niveau d’exposition, de sa durée, de sa fréquence, laconstitution et le perfectionnement d’indicateurs sanitaires autorisentalors l’élaboration des relations dose-réponse.
Parmi les objectifs de PSAS 9 figurent la validation des relationsexpositions/risques et la quantification de l’impact sanitaire à court terme.L’étude, publiée en juin 2002, donne lieu à des débats, voire à des contro-verses, révélatrices des évolutions qui s’opèrent dans la communauté deschercheurs et des rapports entretenus avec les décideurs des politiquespubliques. La thèse d’I.Vazeilles a mis au jour les mini-controverses quiont émaillé la rédaction de la deuxième phase de PSAS 9. Celle quiconcerne l’intitulé du chapitre « Évaluation de l’impact sanitaire » est par-ticulièrement intéressante. Une évaluation d’impact sanitaire suppose« l’établissement de l’ensemble des risques liés à des substances identi-fiées, mais seulement si leurs relations de causalité sont clairementdémontrées et définies scientifiquement » (Vazeilles, 2003 : 443). Telle estl’approche préconisée par l’OMS et reprise par le guide méthodologiqueédité par l’InVS en 1999. Des membres de l’équipe de PSAS 9 soulignentalors la nécessité de distinguer l’évaluation de l’impact sanitaire de l’ana-lyse des risques basée sur les facteurs supposés avoir des effets sur lasanté, même si les relations de causalité ne sont pas encore scientifique-ment établies. Les discussions font clairement ressortir que les définitionsdes notions « d’impact » et « d’analyse des risques » ne sont pas stabili-sées et qu’un travail de clarification dans la définition des termes et la pré-sentation des outils employés par les épidémiologistes et de leurs résultatsest indispensable. Les difficultés d’accord sur ces points proviennent entrès grande partie de la diversité d’origine et d’expérience des épidémio-logistes, du fait des problèmes posés par toute recherche qui associe dif-férentes disciplines et par les renouvellements permanents des outils(Vazeilles, 2003).
Une fois encore, se pose la question du mode de construction de lacausalité mais aussi celles de la présentation des résultats, de leur récep-tion et de leur audience auprès du public et des décideurs. Indiquer que lerisque relatif est de 1,003 n’a pas beaucoup de signification pour la plu-part des personnes et ne peut guère susciter l’intérêt des politiques. Enrevanche, la présentation des tableaux sur les taux de décès anticipéspotentiellement évitables en fonction de différentes hypothèses de réduc-tion de la pollution est davantage susceptible de mobiliser les médias etles politiques sur la gestion de ce risque. Deux cas de figure ont été rete-nus par ces programmes : des niveaux d’indicateurs de pollution ramenésà 10 microgrammes par m3, et une réduction de 50 % des niveaux d’indi-
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cateurs de pollution (PSAS, 2002). Si l’insertion de ces tableaux dans lerapport fait débat un moment, il n’y pas de fortes divergences entre leschercheurs quant à leur interprétation.
L’appui sur la démarche d’évaluation des risques de l’Académie dessciences américaine (NRC, 1983) a certainement été déterminante dans lecapital de ressources dont disposent les chercheurs. Leur capacité à struc-turer l’évaluation des risques et donc à influer sur les choix de gestions’avère ainsi importante. Il convient de souligner que, dans l’étape de syn-thèse de plusieurs études épidémiologiques, la caractérisation du risque seprésente sous la forme de nombre de cas attribuables. C’est notamment lecas des études de PSAS 9 et d’APHEIS (en juin et octobre 2002).
La redéfinition sanitaire et ses effets politiques
L’ensemble des travaux analysés ci-dessus démontre que des risquesrelatifs faibles peuvent induire un risque collectif important. Mais la fai-blesse de la toxicologie et de l’épidémiologie environnementale comme lagestion traditionnelle d’enjeux sanitaires basée sur le niveau de mortalitéprovoqué par des pathologies infectieuses, ont longtemps été des obsta-cles, hérités du passé, à la diffusion d’une nouvelle approche de la santépublique (Setbon, 1996). Le renouvellement, en matière de pollutionatmosphérique, s’inscrit dans le mouvement plus vaste de fondation de lasécurité sanitaire (24) (Tabuteau, 2002). La création d’agences en cedomaine, la diffusion de procédures d’évaluation du risque qu’elles assu-rent, et l’autonomisation progressive des enjeux de sécurité sanitaire envi-ronnementale (25) ont transformé le cadre cognitif de l’expertise et de lagestion politique des risques. Ces changements institutionnels ont égale-ment facilité la réception des nouvelles démarches épidémiologiques et ladiffusion de leurs conclusions. Le Réseau national de la santé publique(créé en 1992) devient, en 1998, l’Institut de veille sanitaire. La mêmeannée, sont mises en place l’Agence française de sécurité sanitaire des ali-ments (AFSSA) et l’Agence française de sécurité sanitaire des produits desanté (AFSSAPS). Enfin, en 2001 est créée l’Agence française de sécuritésanitaire environnementale (AFSSE) dont les compétences sont étendues
(24) Voir les numéro et dossier spéciaux de la Revue Française des Affaires Sociales,1997, 3-4, « La sécurité sanitaire, enjeux et questions », et 1999, 1, « Les pouvoirspublics et la sécurité sanitaire ».(25) La Loi 2001-398 du 9 mai 2001 crée l’Agence française de sécurité sanitaire del’environnement.
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aux enjeux de santé et travail en 2005 (AFSSET). Enfin, d’autres structu-res d’expertise poursuivent leurs activités, comme le Comité de la pré-vention et de la précaution, et produisent des recommandations sur lapollution atmosphérique (26). Cette effervescence institutionnelle attestede la prise en charge accrue des questions liées aux risques sanitaires,mais elle révèle également la concurrence persistante entre ministères surles enjeux de santé environnementale (27). Ces nouvelles réalités institu-tionnelles peuvent être mises en relation, d’une part, avec l’émergenced’une nouvelle conception de la santé publique et, d’autre part, avec ledéveloppement des outils d’évaluation quantitative des risques sanitairesliés à l’environnement.
Évaluation des risques sanitaires : la révolution de l’expertise
Dans « La société du risque », Beck affirme que les pays n’ont pastous les mêmes critères de validité des démonstrations causales ; ainsi, auJapon, on accepte d’établir « un rapport de causalité dès que l’on peutattester des corrélations statistiques entre taux de pollution et certainesmaladies déterminées » (Beck, 2001 : 115). En France, cette conceptionest loin de faire l’unanimité et la preuve biologique est souvent nécessairepour que les scientifiques concluent à l’existence d’un lien de causalité.Les travaux toxicologiques sont mobilisés pour tenter de définir des seuilsde toxicité et, bien que la construction scientifique des taux limites soitl’objet de vives critiques, elle a souvent orienté les études et les représen-tations du risque des scientifiques. L’approche des épidémiologistes« écologiques » participe d’un renouvellement du jugement de causalité.Cette question est récurrente dans les enquêtes épidémiologiques.Aujourd’hui, les ouvrages de référence s’accordent sur les principaux cri-tères de causalité (dits critères de Hill, 1965) avant de conclure à une rela-tion de cause à effet. À propos de ce passage du raisonnement strictementstatistique à une imputation causale explicite, Berlivet (2001) parle decoup de force symbolique. Néanmoins, la façon d’aborder ces critèresdonne lieu à des interprétations qui peuvent varier, notamment entre lesépidémiologistes « classiques » et ceux qui recourent aux séries tempo-
(26) Parmi les recommandations du CPP, celle sur les particules fines dans l’at-mosphère date du 1er juin 1997.(27) Ainsi, la survivance de l’INERIS (Institut national de l’environnement industrielet des risques) lors de la création de l’AFSSE, le ministère de l’Environnement enten-dant conserver sa tutelle exclusive sur cet organisme.
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relles. Dans le domaine de la pollution atmosphérique, ce sont les étudesdites d’intervention (28) et les preuves expérimentales qu’elles apportent(Extrapol, 2004) ainsi que le développement des études toxicologiques quirenforcent la confiance dans l’existence de liens de causalité.
Les travaux épidémiologiques « écologiques » ne sont pas les seulsfacteurs du renouvellement de l’approche du risque. La production puis ladiffusion de la révolution de l’expertise initiée aux États-Unis, ont égale-ment modifié la manière d’évaluer et de gérer les risques sanitaires.Ironiquement intitulé The Red Book, cette appellation, si on en juge par lesmodifications introduites dans le processus de décision en matière envi-ronnementale, paraît méritée. Dès 1983, l’Académie des sciences améri-caine propose une démarche d’analyse des risques et fournit un outilstandardisé d’aide à la décision pour ceux qui doivent gérer les risquesenvironnementaux (Gérin et al., 2003). Ainsi, les quatre étapes de l’éva-luation du risque, partie intégrante d’un processus scientifique, s’inscri-vent dans les composantes du paradigme « Recherche-évaluation durisque-gestion du risque ». En France, comme dans certains pays euro-péens, l’appropriation de cette approche a été plus lente. La consultationde traités ou d’ouvrages de référence en épidémiologie est sur ce plansymptomatique : nombre d’entre eux ne mentionnent pas cette démarche(29). Cela atteste de la faiblesse d’investissement dans l’évaluation et lagestion des risques environnementaux (Zmirou-Navier, 2006). Alors queles scientifiques et les autorités américaines procèdent à des réévaluations,entérinées en 1994 dans l’ouvrage Science and Judgment in RiskAssessment (Comitte on Risk Assessment of Hazardous Air Pollutants,1994), il faut attendre l’année 1993 pour que l’Union européenne com-mence à organiser de façon similaire l’évaluation des risques. Si la démar-che sert explicitement de base à la mise en place du règlement REACH(30), elle inspire aussi clairement APHEIS.
(28) Ces études mesurent l’efficacité sanitaire des interventions et sont intéressantesd’un point de vue épidémiologique. Voir le cas avec la réduction des teneurs en com-posants soufrés des carburants de Hong-Kong. Cette étude, parmi d’autres, offre despreuves expérimentales qui figurent parmi les critères retenus pour établir un lien decausalité (Extrapol, 2004).(29) Dab précise que « cette démarche n’a pas encore pu trouver véritablement saplace dans le contexte français… » (Dab, 1993 : 222).(30) Le règlement REACH sur la régulation de l’usage des produits chimiques a étéadopté le 18/12/2006 et est entré en vigueur en juin 2007. Après un parcours chaotiquequi débute en 1998, le texte final restreint l’évaluation à 30 % des 17 000 substancesproduites chaque année ; entre 1 et 10 tonnes seront concernées.
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Une expertise engagée, l’action vers les décideurs
L’une des caractéristiques politiques des changements observésconcerne la forme de diffusion des résultats obtenus par les nouvellesméthodes épidémiologiques. Une controverse publique éclate en 1996 àl’occasion de la reprise par les grands médias des résultats de l’étude duRNSP (menée dans le cadre du programme européen APHEA) (31). Unéditorial de la revue Natures Sciences Sociétés, en 1996, signé de mem-bres éminents du comité de rédaction (M. Jollivet, J.M. Legay, G. Mégie)met sévèrement en cause ce qu’ils considèrent comme « une formulationqui est de fait de la désinformation » et « le trop facile et dangereuxrecours au catastrophisme et à la dramatisation ». Ils reprochent auxauteurs de laisser croire à de nouveaux résultats mettant « en évidence unerelation directe de cause à effet entre pollution de l’air et mortalité ausein de l’ensemble de la population ». Ils critiquent le fait que ces publi-cations grand public auraient précédé des publications scientifiques etestiment qu’il s’agit d’un « appel aux médias délibéré » visant à créer unlobby de la santé publique pour contrer celui de l’automobile (Jollivet etal., 1996). La réplique est donnée point par point par des auteurs del’étude (W. Dab, P. Quénel et D. Zmirou) dans le n° 4 de la même année(Dab et al., 1996). Ils donnent les références des publications scientifiquesde leurs analyses (32), critiquent plusieurs affirmations de l’éditorial etprécisent que leurs résultats montrent « que la relation entre la pollutionatmosphérique et la mortalité peut être directe et causale » et que « c’estla première fois que (…) des résultats épidémiologiques sont présentéssous forme de risque attribuable ce qui permet d’évaluer l’impact de santépublique des pollutions atmosphériques ». Cette polémique est révélatricede la tension qui existe alors dans tous les domaines d’étude de risqueentre une science dont les résultats sont négligés et celle dont les résultatssont amplifiés. Cette tension est d’autant plus forte que, depuis 1990, pèsesur les autorités publiques une obligation d’information des populationssur les risques environnementaux (33) (Boutaric et al., 2002). Ces deuxdimensions sont particulièrement tangibles s’agissant de la pollutionatmosphérique.
(31) Le Monde du 7 février 1996 titre en première page « La pollution de l’air à Pariset à Lyon entraîne plusieurs centaines de décès chaque année » ; Libération du 8février 1996 parle d’un « effet de sidération à coup de morts statistiques ».(32) Notamment Revue de Santé Publique (1995, 6, 4), Journal of Epidemiology andCommunity Health (1996, 50, 1,) et Santé et Société (1996, 8, 1).(33) Première directive EU de 1990 actualisée le 28 janvier 2003, 2003/4/CE.
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Les épidémiologistes engagés depuis les débuts d’ERPURS dans lanouvelle problématique de la pollution de l’air ont parfaitement cons-cience du caractère imbriqué des travaux scientifiques et des enjeuxpublics. Sur des sujets et à des moments différents, Dab et Zmirou ontillustré ce point de vue. Le premier lorsqu’il rappelle que notre sociétédevra faire face à des situations dans lesquelles le risque individuel est peuélevé alors que le risque collectif est préoccupant (Dab et Roussel, 2001) ;le second lorsqu’il mentionne l’intérêt, avec la rigueur que cela impose,du passage du risque relatif au risque attribuable pour la compréhensiondes enjeux d’un débat public (Zmirou, 1994). Pour autant leur réponse deNature, Sciences, Sociétés souligne qu’« aborder frontalement la questiondes rapports entre la recherche et les médias » c’est « prendre desrisques ». Sans nous substituer aux épidémiologistes, il est logique de pen-ser qu’ils connaissaient d’autant mieux ces « risques » que le développe-ment de leurs recherches, l’agenda politique de la sécurité sanitaire et lanécessité dans laquelle ils se sont trouvés de défendre leurs travaux, lesont placés dans une situation où la dissociation entre politique et sciencen’était guère tenable. À vouloir séparer des questions très liées, on setrouve pris dans un dilemme entre le recours à des médias peu fiables oule repli sur une neutralité scientifique absolue et souvent illusoire. Cettesituation inconfortable s’est, de fait, évanouie avec la mise en place et ledéveloppement de mécanismes de veille et d’expertise qui ont transforméles rapports entre science et politique et atténué la vivacité des controver-ses et des incompréhensions.
La situation a évolué dans les années 2000 et, si certaines controver-ses demeurent sur la nature causale des résultats observés (et corrélative-ment sur les méthodologies utilisées), elles paraissent moins polémiqueset s’inscrivent désormais dans la légitime discussion préalable à unconsensus scientifique. Un exemple récent (2003) est fourni par un édito-rial de J. Estève dans la revue Environnement Risques et Santé, intitulé« Combien de décès causés par la pollution atmosphérique : au-delà dela polémique ». Celui-ci considère qu’il y a « un dogme » en santépublique sur le caractère scientifique des évaluations du nombre de décèsanticipés. Il propose de rouvrir le débat : « Serait-il donc impossible des’arrêter de compter les morts et de réfléchir calmement sur la réalité etsur la quantification du risque de la pollution atmosphérique ? ». Onzechercheurs dont S. Cassadou, P. Quénel, S. Médina, A. Le Tertre luirépondent dans le numéro suivant de la revue (Cassadou et al., 2003) etrappellent qu’il y a une forte demande sociale et politique pour l’évalua-tion de ce risque. Ils répliquent également aux interrogations portant surla fiabilité des calculs des risques relatifs et sur la légitimité du calcul desrisques attribuables. Leur conclusion témoigne du caractère moinsconflictuel de ce type d’échange : les chercheurs se déclarent demandeurs
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de tout approfondissement méthodologique et rappellent qu’ils sontcontraints de travailler avec les seuls indicateurs (notamment la mortalité)qui, à un moment donné, sont à leur disposition. Dans ce type de contro-verse, les aspects scientifiques, sociaux et politiques sont difficilementdissociables, mais l’importance et le poids de chacun d’entre eux semblentévoluer en fonction des contextes. Si l’on peut considérer les aspects pro-prement scientifiques pour les soumettre à discussion, les modes de récep-tion et de compréhension des recherches sont dépendants d’une multituded’éléments politiques et sociaux. En 1996, dans le débat de Natures,Sciences et Sociétés, la dimension politique et sociale paraît détermi-nante : les discussions se déploient dans une conjoncture marquée par lesdiscussions préparatoires à l’adoption d’une nouvelle loi sur l’air alors quela nouvelle épidémiologie n’a pas encore la reconnaissance institution-nelle dont elle bénéficie aujourd’hui. C’est sans doute l’une des raisonspour laquelle la controverse paraît plus acerbe. Sept ans plus tard, s’il esteffectivement impossible de gommer le caractère inconciliable des pointsde vue qui s’exprimaient dans Natures, Sciences et Sociétés, la questionqui cristallise alors les discussions est celle de la présentation de résultatsdans lesquels apparaît le nombre de morts causées par la pollutionatmosphérique urbaine. Même si elles s’expriment sous des formes diffé-rentes, les controverses proprement scientifiques ne sont donc pas closes,mais les légitimités de position ont substantiellement évolué : comme entémoigne l’emploi, par Estève en 2003, du terme de dogme quant à la pré-sentation des résultats d’études scientifiques.
La volonté d’une grande partie des experts de publiciser leurs résul-tats afin de mobiliser les décideurs prend appui sur les obligations d’in-formation du public (Boutaric et al., 2002) qui pèsent sur les autoritéspolitiques sous l’influence de la politique communautaire (directivescadre de 1990 sur l’obligation d’information environnementale et de 1992sur l’information en matière de franchissement de seuil pour l’ozone), dela LAURE de 1996 et désormais de la Constitution française via la Chartede l’environnement (34). Le rapport du HCSP de 2000 reprend cet argu-ment en rappelant que le droit à l’information pour les citoyens a fait pro-gresser la surveillance de la qualité de l’air « tant au plan géographiqueque par la gamme de polluants suivis ». Et, selon lui, cette dynamique doitêtre poursuivie en particulier pour les effets peu connus et les lieux d’ex-position encore mal évalués comme les ambiances de travail et l’habitat.Enfin, cet organisme s’adresse directement aux autorités publiques en for-
(34) Voir l’article 7 : « toute personne a le droit, dans les conditions et les limites défi-nies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues parl’autorité publique ».
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mulant un ensemble de recommandations d’action. En particulier, leHCSP plaide pour « une plus grande cohérence des politiquespubliques ». Il prend acte de l’augmentation du nombre d’acteurs (publicset privés) concernés par la lutte contre la pollution atmosphérique, mais ildemande « un effort redoublé de coordination des politiques conduites »et le renforcement d’une expertise de l’évaluation des risques (chimiqueset liés aux environnements professionnels) qui soit « clairement distin-guée des lieux et des moments de leur gestion ». S’agissant des instancesen charge de cette mission, « leur indépendance et leurs moyens (doiventêtre garantis) pour apporter aux décideurs, comme aux citoyens, l’assu-rance d’un éclairage non biaisé ». Comme en témoigne ce rapport, c’estune très grande part des spécialistes de santé publique travaillant sur lapollution atmosphérique qui considère que l’action auprès des décideurset de l’opinion publique comme relais, fait partie intégrante de leur mis-sion. Mais c’est là sans doute un trait générique à la santé publique queFassin désigne en disant que « la santé publique culturalise ses sujets »(Fassin, 2005 : 44) en produisant des énoncés et des actes qui modifientles représentations et les pratiques de leurs destinataires.
La modification des relations entre acteurs sociaux
Ces changements dans la conception de l’expertise ont évidemmentdes répercussions sur les acteurs concernés. Du côté des « pollueurs », lesindustriels en charge des sources fixes de pollution ne sont plus les seulsconcernés, la responsabilité des constructeurs automobiles et des produc-teurs de carburants est de plus en plus engagée par les réglementationsenvironnementales. Du côté des professionnels de la santé et des associa-tions environnementales, la mobilisation est sans commune mesure aveccelle de la fin des années 1970 et 1980. La communauté de politiquepublique en charge de la pollution atmosphérique urbaine s’est donc subs-tantiellement modifiée. L’expertise ne dépend plus seulement des milieuxindustriels, elle provient aussi des secteurs de la santé et de l’environne-ment. Les points de vue se diversifient et s’étayent, comme en témoignent,par exemple, les discussions au sein du groupe de concertation qui a pré-paré la LAURE (Vazeilles, 2003). Si la diversité des intervenants et desinteractions ne permet pas d’attribuer la paternité des évolutions à un seulacteur, force est de constater que, à plusieurs reprises, l’apport des épidé-miologistes est considérable dans l’évolution de la politique publique. Dela requalification du problème en enjeu de santé publique à l’instaurationde dispositifs nationaux et européens de surveillance épidémiologique, cesspécialistes ont donné des impulsions majeures pour les orientations de la
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politique publique. Ce rôle affecte en retour la communauté des épidé-miologistes. Le renouvellement des méthodes et leur enrichissement pro-gressif d’un côté, le développement du débat social sur la base du résultatdes recherches de l’autre, contribuent à dynamiser ce milieu et à y attirerde nouveaux éléments. En France, les initiateurs et les premiers cher-cheurs d’ERPURS sont partie prenante et responsables d’équipes opérantsur des projets de recherches nationaux et européens. Associés, dès lemilieu des années 1990, au réseau des épidémiologistes environnemen-taux internationaux, l’accumulation de savoirs et d’expériences permet àplusieurs d’entre eux d’exercer d’importantes responsabilités dans lesrecherches phares du secteur. Ainsi, des chercheurs comme A. Le Tertresont associés aux projets APHEA et APHEIS, et S. Médina est coordina-trice de ce dernier projet. W. Dab impulsera, à la Direction générale de lasanté, l’Observatoire des pratiques de l’évaluation des risques sanitairespour les études d’impact. Il est significatif que la LAURE précise lecontenu de l’étude d’impact (35) ; elle a fourni par la suite un point d’ap-pui décisif pour le développement de l’évaluation sanitaire de la qualité del’air. Bien que l’on ait souvent mentionné la faiblesse de la santé publiqueet de l’épidémiologie en France, en matière de pollution atmosphérique lasituation ne correspond pas, ou plus, à cette image négative. La disciplineépidémiologique elle-même s’est renforcée à travers les controverses endépassant les anciens clivages dus aux différentes disciplines d’origine deses membres et à la pluralité des approches possibles. Les tensions appa-rues au moment de l’introduction des premières applications de laméthode des séries temporelles semblent résorbées. Aujourd’hui, lesdébats relèvent davantage des indispensables confrontations de méthodesou des légitimes discussions scientifiques que de polémiques dans les-quelles prévalent les malentendus culturels et les enjeux professionnels etde pouvoirs. Les réagencements ne concernent pas que les différentes« écoles » d’épidémiologie ; plus largement, les professionnels en chargedes questions de santé publique ont souvent vu leurs métiers et leurs inter-ventions légitimés par une nouvelle représentation culturelle du bien-êtreet de la santé. Enfin, en dehors des métiers de la santé, les pratiques inter-disciplinaires liées à la connaissance de la pollution atmosphérique et deses effets ont impliqué des métrologistes, des statisticiens et de nombreu-ses collaborations actives avec des secteurs administratifs et politiquesdiversifiés. Ces pratiques interdisciplinaires et les partenariats institution-nels qu’elles développent sont une des clés du renouvellement de la poli-tique publique dans le domaine de la pollution atmosphérique.
(35) L’article 19 de la LAURE pose les bases juridiques qui exigent que les effets surla santé soient inclus dans les études d’impact.
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Si cet ensemble de facteurs permet de comprendre les transforma-tions observées et l’émergence des nouvelles forces qui ont déstabilisé ununivers maîtrisé en introduisant de nouveaux aléas et incertitudes, d’autresfacteurs s’inscrivent dans une continuité qui participe aussi à la naissancede la nouvelle configuration. Dans les traditions de la santé publiqueaffleure celle qui considère que « l’épidémiologie est, vis-à-vis de lasociété, dans la même position qu’un médecin vis-à-vis de son malade »(Susser, 1989). La question est posée de savoir jusqu’où une pratiquescientifique peut aller dans un sens normatif ? Nous devons constater que,effectivement, la logique professionnelle des épidémiologistes les conduità des actions éminemment politiques, au sens où leur activité a des impli-cations directes sur la politique publique de leur domaine. Ils sont desacteurs politiques au moment de la première étude d’ERPURS par leursaptitudes à faire valoir les aspects décisionnels des connaissances épidé-miologiques ; ils le demeurent lors de la période qui précède l’adoption dela LAURE avec leurs interventions répétées quant à la nécessité de pren-dre en considération les critères de santé publique dans les arbitrages quiseront opérés lors du vote de la loi. Ils sont également politiques par leuranticipation des problèmes sanitaires et sociaux montants, et par leurcapacité à associer d’autres agents sociaux, d’autres disciplines à leurs tra-vaux. C’est le constat établi avec ERPURS en 1994, c’est aussi celui quel’on peut faire quand les auteurs d’APHEIS 3 veulent développer un voletsur les coûts monétaires de la pollution atmosphérique. Plus récemment,la prise de position publique de nombreux chercheurs d’APHEIS à proposde l’adoption d’une nouvelle directive sur la qualité de l’air (projet dedirective CAFE — Clean Air For Europe) atteste de ce rôle politique. Ennovembre 2005, puis en septembre 2006 à l’occasion de la Conférenceinternationale sur la santé et l’environnement, plusieurs sociétés savanteseuropéennes (allemandes et françaises en particulier) ont contesté les cri-tères de qualité de l’air prévus, les estimant laxistes et susceptibles d’en-traîner « des milliers de décès prématurés » (36). La mise à jour de cerisque est de plus en plus intégrée par des acteurs sociaux très différents,à commencer par les acteurs nationaux et locaux de la politique. Ces der-niers semblent prendre conscience du rôle croissant des experts et de leurcapacité autonome à intervenir dans le débat public. La multiplication despoints de vue disciplinaires dans la gestion d’un problème public est sou-vent déstabilisatrice, ce qui pose toujours des problèmes aux décideurs.
(36) La Directive prévoit une norme de 25 microgrammes par m3, alors qu’elle est de15 par m3 aux États-Unis. Le groupe Santé du Grenelle de l’environnement retientaussi cette dernière valeur, cité par Benkimoun, « Polémique sur les critères de qualitéde l’air », Le Monde, 5 septembre 2006.
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On peut émettre l’hypothèse que c’est l’une des raisons qui amène lesautorités européennes à ne pas financer des études sur les coûts monétai-res de la pollution ou les bénéfices attendus d’une amélioration de la qua-lité de l’air. Les transformations qui marquent le domaine de la pollutionatmosphérique depuis une quinzaine d’années correspondent assez bien àl’analyse de Beck lorsqu’il écrit : « La science devient de plus en plusnécessaire mais de moins en moins suffisante à l’élaboration d’une défi-nition socialement établie de la vérité » (Beck, 2001 : 343-344.). Dans saréflexion, il cherche à caractériser une forme d’évolution contemporainedans laquelle la pratique sociale s’émancipe de la science positiviste parle développement d’une activité scientifique consciente qu’elle structure,et véhicule des enjeux qui méritent d’être énoncés scientifiquement etrediscutés politiquement. Cette implication de l’activité scientifique et deses acteurs dans le policy making est tangible dans le domaine que noustraitons ici. Deux grandes dynamiques permettent de synthétiser la recon-figuration de la pollution atmosphérique comme problème de santépublique. Tout d’abord, et à titre principal, c’est l’entrée en scène d’uneépidémiologie renouvelée et de ses promoteurs qui a suscité la premièredynamique. Cette innovation est à double face. D’une part, elle a été ren-due possible par l’introduction de la méthodologie des séries écologiqueset temporelles et leur application à cet enjeu. Nous avons montré l’impor-tance du lien qui existe entre l’introduction d’un nouvel instrument deconnaissance et un changement de politique publique (Lascoumes et LeGalès, 2004). D�