Langues Societes Numero47 20081212

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Office québécois de la langue française Elke Laur LANGUES SOCIÉTÉS ET Comment se conclut un « deal » en français ? L'état de la francisaon dans cinq grandes entreprises québécoises à l'ère de la mulnaonalisaon économique 47 N o

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Didactique

Transcript of Langues Societes Numero47 20081212

  • Oce qubcois de la langue franaise

    Elke Laur

    LANGUESSOCITS

    ET

    Comment se conclut un deal en franais ?

    L'tat de la francisaon dans cinq grandes entreprises qubcoises l're de la mulnaonalisaon conomique

    47No

  • Oce qubcois de la langue franaise

    Elke Laur

    LANGUESSOCITS

    Comment se conclut un deal en franais ?

    L'tat de la francisaon dans cinq grandes entreprises qubcoises l're de la mulnaonalisaon conomique

  • COMMENT SE CONCLUT UN DEAL EN FRANAIS ?

    Ltat de la francisation dans cinq grandes entreprises qubcoises lre de la multinationalisation conomique

    Elke Laur

  • Mise en page : Carmen Moreau Rvision linguistique : Lise Harou

    Gouvernement du Qubec

    ISBN 978-2-550-54644-3

    Dpt lgal : 2008 Bibliothque nationale du Qubec Bibliothque nationale du Canada

  • AVANT-PROPOS

    La recherche prsente dans cette publication a t effectue au cours des annes 2001 et 2002. Un rapport qui mettait laccent sur lamlioration apporter aux processus de francisation et qui prsentait, entre autres, un indice de francisation a t distribu aux responsables de lOffice qubcois de la langue franaise en 2003. Cette tude reprend ce rapport interne avec certaines modifications. Sa vocation premire reste malgr ces quelques changements celle dorienter une politique linguistique propre lOffice qubcois de la langue franaise.

    La dcision de faire connatre au public aujourdhui ces donnes recueillies depuis plusieurs annes et analyses selon les objectifs mis par des responsables du gouvernement qubcois relve du souci de mettre la disposition de tout le monde des observations qui, dans ce domaine de recherche, restent plutt rares. Ensuite, il est trs probable que certaines des analyses et descriptions de ltude sappliquent encore voire davantage aujourdhui et quelles pourraient servir de point de dpart pour dautres recherches venir.

    Cette tude reprend donc certaines descriptions du rapport interne diffus en 2003, mais il nous semblait quune diffusion publique imposait des efforts supplmentaires pour encore mieux garantir la confidentialit des donnes recueillies. Mme si les entreprises participantes figuraient dj sous un pseudonyme dans le rapport interne, nous avons procd des changements additionnels dans leur prsentation afin deffacer toute trace pouvant permettre de les identifier. Ainsi, nous avons consciemment brouill certaines donnes sans pour autant changer les lments menant aux rsultats obtenus. Les noms des entreprises restent videmment des pseudonymes, et nous avons galement transform certaines dates, le nombre demploys, le pays ou la rgion dorigine ou des filiales tout en respectant la signification de ces emplacements, puisquils se sont avrs trs importants au cours de la recherche. Dautres changements au texte initial portent surtout sur certains lments analysant la francisation, puisque le rapport interne donnait galement des recommandations plus pragmatiques suivre pour amliorer le processus dvaluation.

    Les travaux thoriques et pratiques se sont multiplis et dvelopps dans le domaine depuis le terrain ethnographique de cette tude. Malheureusement, cet encadrement thorique et ces approches mthodologiques en mergence depuis quelques annes nont pas pu servir llaboration de la recherche. Cest--dire que mme si le texte fait quelquefois rfrence des conceptualisations ou des donnes rcentes puisque ces travaux pourraient aider mieux comprendre certains des rsultats la dmarche du projet a nanmoins t dveloppe pralablement avec des objectifs plus pratiques que thoriques. Nous laissons aux lecteurs le soin de faire le lien entre ces dveloppements thoriques et mthodologiques rcents et nous nous contentons de proposer cette recherche dans la lumire de sa raison dtre initiale : celle denquter sur les problmatiques de la francisation des grandes entreprises au Qubec et dindiquer des raisons plausibles dun dcalage persistant entre les objectifs de la Charte de la langue franaise et la ralit de sa mise en application.

    Nous remercions ici encore une fois les entreprises qui ont gnreusement consenti nous accueillir dans leurs locaux. Nous remercions galement toutes les personnes impliques dans ce projet, notamment les organisateurs sur place et les participants qui ont permis de recueillir toute linformation ncessaire la ralisation de cette recherche.

  • SOMMAIRE

    En 2004, 2008 entreprises installes au Qubec employaient plus de 100 personnes. La plupart de ces entreprises sont alors des filiales dentreprises multinationales (Laur, 2003), cest--dire des entreprises qui sont soit nouvellement installes au Qubec soit des entreprises qubcoises issues de fusions ou dacquisitions. Peu importe leur degr dinternationalisation, toutes ces entreprises doivent relever le dfi de la mondialisation des marchs et de celle des langues (Calvet, 1994) affectant les pratiques, comptences et stratgies des employeurs et employs crant des espaces o la connaissance des langues et lidentit deviennent des ressources ayant une valeur marchande (Heller, 2002).

    Aprs avoir effectu une premire analyse quantitative de donnes reprsentatives des grandes entreprises qubcoises (Laur, 2004) mettant en vidence des liens entre le degr dutilisation de langlais et plusieurs aspects organisationnels de ces entreprises, dont la hirarchisation interpersonnelle et interorganisationnelle, le degr de contact avec la clientle et les fournisseurs non qubcois, etc., nous avons adopt une approche qualitative afin dapprofondir ces donnes.

    Cette tude prsente la description et la synthse de cinq tudes de cas cinq entreprises qui se sont installes au Qubec pour des raisons diffrentes, qui ont des propritaires de multiples origines et qui prsentent des structures organisationnelles varies. Recueillies selon une mthode qualitative, les donnes prsentes proviennent dobservations participantes, dentrevues individuelles et de groupe. Cette mthodologie qualitative cherche nuancer et donc complter laperu statistique produit en 2003.

    La premire partie de ltude dcrit cinq filiales qubcoises partir dobservations et de tmoignages. Dans la deuxime partie, une analyse plus gnrale du vcu linguistique dans ces cinq filiales permet de rsumer davantage le rle que jouent la structure organisationnelle et le choix de lemplacement au Qubec dans les comportements linguistiques observs ainsi que dans le processus de francisation prvu par la loi.

  • TABLE DES MATIRES

    Avant-propos .................................................................................................................................................. 3

    Sommaire ......................................................................................................................................................... 5

    Liste des tableaux ............................................................................................................................................ 10

    Liste des graphiques ....................................................................................................................................... 10

    Introduction .................................................................................................................................................... 11

    Remarques mthodologiques ........................................................................................................................ 16

    Les critres de slection ...................................................................................................................................... 16 La dmarche adopte ........................................................................................................................................ 17 Lapproche mthodologique ............................................................................................................................... 18 La confidentialit ............................................................................................................................................. 20

    Premire partie : portraits .............................................................................................................................. 21

    Premier cas : Lafabrique ............................................................................................................................... 21

    Le profil linguistique et organisationnel ............................................................................................................. 21 La hirarchie structurelle et interpersonnelle ....................................................................................................... 22 Le franais, langlais et le bilinguisme ............................................................................................................... 23 La francisation ................................................................................................................................................. 24 Le comportement et lidentit linguistiques ......................................................................................................... 24 En bref ............................................................................................................................................................ 27

    Deuxime cas : Floppyware ........................................................................................................................... 29

    Le profil linguistique et organisationnel ............................................................................................................. 29 La hirarchie structurelle et interpersonnelle ....................................................................................................... 30 Le franais, langlais et le technolecte ................................................................................................................. 30 La francisation ................................................................................................................................................. 36 En bref ............................................................................................................................................................ 38

    Troisime cas : Ellumino .............................................................................................................................. 40

    Le profil linguistique et organisationnel ............................................................................................................. 40 La hirarchie structurelle et interpersonnelle ....................................................................................................... 40 Le franais, langlais et le bilinguisme ............................................................................................................... 41 La francisation ................................................................................................................................................. 42 En bref ............................................................................................................................................................ 43

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  • Quatrime cas : Pharmazeut ......................................................................................................................... 45

    Le profil linguistique et organisationnel ............................................................................................................. 45 La hirarchie structurelle et interpersonnelle ....................................................................................................... 46 Le franais, langlais et le multilinguisme .......................................................................................................... 47 La francisation ................................................................................................................................................. 49 En bref ............................................................................................................................................................ 50

    Cinquime cas : Pelletier ............................................................................................................................... 52

    Le profil linguistique et organisationnel ............................................................................................................. 52 La hirarchie structurelle et interpersonnelle ....................................................................................................... 53 Le franais, langlais et la traduction ................................................................................................................. 58 La francisation ................................................................................................................................................. 59 En bref ............................................................................................................................................................ 59

    Deuxime partie : le Qubec, les langues et lconomie internationale ................................................... 61

    1. La francisation ......................................................................................................................................... 61

    1.1 Linfluence de la structure organisationnelle ................................................................................ 61

    Structures hirarchiques ......................................................................................................................... 62 La structure multinationale ................................................................................................................... 65 Le poids des structures ........................................................................................................................... 66

    1.2 Le Qubec : un emplacement de choix ......................................................................................... 67

    Le Qubec en tant que site industriel ..................................................................................................... 67 Premier cas type : Ellumino et le dsengagement linguistique ................................................................... 68 Deuxime cas type : Pelletier et le bilinguisme ancestral ........................................................................... 69 Troisime cas type : Floppyware, nouvelles technologies, nouvelles gnrations, nouveau bilinguisme ............ 69 Quatrime cas type : Pharmazeut et lindustrie biopharmaceutique .......................................................... 70 Cinquime cas type : Lafabrique et les ressources premires ..................................................................... 71

    1.3 Une combinaison de facteurs : la mesure de rtention, le degr de complexit structurelle et la francisation ............................................................................................................................... 72

    La mesure de rtention .......................................................................................................................... 72 Le degr de complexit ........................................................................................................................... 72 La conjonction de deux dimensions ........................................................................................................ 73 Lindice du seuil critique de francisation ................................................................................................. 74 Perspectives ........................................................................................................................................... 76

    1.4 La francisation thmatise ............................................................................................................... 76

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  • 2. Comment dealer avec le fait franais au Qubec ? ......................................................................... 78

    Les territoires linguistiques ........................................................................................................................... 79

    La signification ........................................................................................................................................ 79 Lintrieur et lextrieur ........................................................................................................................... 79 Le zonage linguistique des espaces ............................................................................................................. 81 La transgression ...................................................................................................................................... 82

    Le bilinguisme ou le multilinguisme comme stratgie de gestion ....................................................................... 83

    La place de langlais ................................................................................................................................ 83 La stratgie des entreprises ....................................................................................................................... 83 La valeur des langues ............................................................................................................................... 84 Un bilinguisme unilatral ......................................................................................................................... 86 Un anglais central mais comprim ............................................................................................................ 87

    La convergence linguistique............................................................................................................................ 87

    Lbranlement linguistique ........................................................................................................................... 90

    Conclusion ....................................................................................................................................................... 92

    La langue entre lgislation nationale et conomie mondiale .................................................................. 92 La langue dans un Qubec traditionaliste, moderne ou mondial ? ....................................................... 94 Linternationalisation linguistique .............................................................................................................. 95

    Rfrences bibliographiques .......................................................................................................................... 98

    Annexe ............................................................................................................................................................. 103

    Grille thmatique dentrevue ...................................................................................................................... 103

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  • Liste des tableaux

    Tableau 1 Lemplacement des niveaux dcisionnels ............................................................................ 62

    Tableau 2 Les langues des niveaux intermdiaires de dcision ........................................................... 64

    Tableau 3 Estimation du taux de rtention et du degr de complexit ............................................. 73

    Tableau 4 Estimation de lindice du seuil critique de francisation ..................................................... 75

    Liste des graphiques

    Graphique 1 Organigramme de Lafabrique ......................................................................................... 28

    Graphique 2 Organigramme de Floppyware ....................................................................................... 39

    Graphique 3 Organigramme de Ellumino ............................................................................................ 44

    Graphique 4 Organigramme de Pharmazeut ....................................................................................... 51

    Graphique 5 Organigramme de Pelletier inc. ....................................................................................... 60

    Graphique 6 Mesure de rtention et degr de complexit structurelle ............................................. 74

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  • Introduction

    Le Qubec est la seule parmi les 68 nations non souveraines en Amrique du Nord1 diffrencier autant de rglements concernant la langue. Depuis trente ans, ces rglements sont lgifrs dans une politique linguistique qui est aujourdhui souvent analyse dans un cadre de revitalisation linguistique2 parce quelle reprsente historiquement une rponse une situation de domination linguistique (Bourhis, 1984, 2001). Laccs diffrentiel aux ressources matrielles selon les groupes linguistiques constat dans les annes 603 a abouti une lgislation ayant pour but linstauration dun quilibre de cet accs parmi les groupes sociolinguistiques en prsence. La langue de travail au Qubec se trouvait donc tre une des pierres angulaires de cette revitalisation den haut . Depuis 1977, elle est rgie par la Charte de la langue franaise (la loi 101 ) qui stipule dans le chapitre sur les droits linguistiques fondamentaux que les travailleurs ont le droit dexercer leurs activits en franais (Chapitre II, article 4). La loi institue galement des organismes afin de dfinir et de conduire la politique. Cest au deuxime chapitre du troisime titre de la Charte quil est prcis que lOffice qubcois de la langue franaise veille ce que le franais soit la langue normale et habituelle du travail, des communications, du commerce et des affaires dans lAdministration et les entreprises (article 161) pour que la prdominance du franais au travail soit respecte. Ainsi, il est galement octroy lOffice qubcois de la langue franaise un pouvoir excutif moyennant un ventail de rglements auxquels les grandes et moyennes entreprises doivent se conformer, concernant par exemple la langue utilise dans les nouvelles technologies ou la limitation des postes exigeant la matrise dune autre langue que le franais, entre autres4. La conformit aux exigences de la loi est atteste avec lobtention ou la prolongation dune certification, le certificat de francisation , faute de quoi certaines sanctions sappliquent.

    1 Jacques Leclerc (2007), http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/amnord/amnordacc.htm, consult le 6 octobre 2007. 2 Le Qubec est un des rares cas o la revitalisation linguistique (reversing language shift) est considre comme

    tant russie (Fishman, 2001). 3 La Commission royale denqute sur le bilinguisme et le biculturalisme (Commission Laurendeau-Dunton) de

    1963 1971 tout comme la Commission denqute sur la situation de la langue franaise et des droits linguistiques au Qubec (Rapport Gendron) de 1973 confirment si besoin tait ce que lon pensait dj, savoir que la langue de communication en usage dans les milieux de lindustrie, de la finance et du commerce du Qubec, aux chelons suprieurs et mme moyens, tait langlais . (Gmar, 1983)

    4 Tous ces rglements sont accessibles par le libell de la Charte de la langue franaise, notamment au chapitre V du deuxime titre, voir surtout : http://www.tlfq.ulaval.ca/AXL/amnord/quebeccharte.htm.

    Quant la description du processus de francisation et de certification des entreprises, je renvoie Laur (2004 : 68-71).

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  • Le dbut des dmarches lgislatives du Qubec pour favoriser le franais au travail et dans dautres domaines pendant les annes 60 concide5 avec la naissance du terme mondialisation qui dsigne une ralit nouvelle : celle dun change de services et de biens lchelle du monde. La nouveaut consiste moins dans lchange international en tant que tel (qui sest dj pratiqu des sicles auparavant), mais dans le tissage de rseaux mondiaux de commerce, lexpansion des marchs de produits industriels, la cration de transactions financires, le dveloppement de structures politiques et culturelles vocation internationale, et ceci, par des moyens de transport et de communication indits. la suite de la dcolonisation et en contournant le bloc sovitique aprs la Deuxime Guerre mondiale, la mondialisation sinscrit galement dans la cration dorganisations internationales, telles que lONU, la Banque mondiale, le FMI ou le GATT domines par la premire puissance conomique mondiale depuis 1945, les tats-Unis, ainsi que par sa langue : langlais. La gnralisation des produits culturels la suite de la Deuxime Guerre mondiale, en particulier le cinma et la musique, renforce cette vague conomique et financire de la mondialisation linguistique qui fait de langlais une lingua franca, voire un pidgin, le globish 6. Clbre par les uns dans lidologie dun libralisme conomique en tant que langue mondiale facilitant la communication lchelle globale, ce statut de langlais est dnonc par les autres comme une MacDonaldisation, Disneyification, Walmarting ou en tant que Cocacolonisation, cest--dire une hgmonie culturelle entrane par une dominance conomique et financire sur les marchs mondialiss. Ainsi, lorsque la lgislation linguistique au Qubec entreprend dans les annes 60 de dfendre la prsence franaise en Amrique, langlais accrot sa progression en tant que langue internationale dpassant de loin les limites du Commonwealth. La lgislation nationale connat ainsi ses limites dans leffacement des frontires conomiques.

    Au Qubec, la langue anglaise joue donc un rle double : langue symboliquement et socio-conomiquement dominante dun point de vue historique tout comme langue vhiculaire qui domine les marchs internationaux dun point de vue actuel. La situation linguistique du Qubec relativement la mondialisation nest pas comprhensible sans rfrence ces deux rles que langlais incarne dans le monde du travail aujourdhui au Qubec. Historiquement, cest pour ragir un bilinguisme soustractif7 et une iniquit sociale en faveur de langlais que la lgislation linguistique a enclench tout un amnagement linguistique en faveur du franais et, cest maintenant, trois dcennies plus tard, que la prdominance (et non pas lunilinguisme comme on le lit si souvent) du franais est devenue quasiment un anachronisme dans un march o la puissance conomique dicte lutilisation

    5 Mme si mondial et mondialiser dans leur sens moderne peuvent se retracer jusquau dbut du 20e sicle, leur driv mondialisation nentre que plus tard dans les dictionnaires : en 1964 (Trsor de la langue franaise, 1985 : 997) ou en 1953 (Le Grand Robert de la langue franaise, 2001 : 1595), donc au dbut de la deuxime moiti du dernier sicle.

    6 Dsign comme un anglais lger, un dialecte plantaire du 3e millnaire, solution intgre aux problmes de communication internationale : http://www.jpn-globish.com/, consult le 14 septembre 2006, ni le terme ni le concept ne font lunanimit parmi les spcialistes.

    7 Le bilinguisme soustractif et socital apparat lorsquune population est contrainte dapprendre la deuxime langue afin davoir accs aux ressources matrielles ou symboliques et que sa langue maternelle nest pas valorise socialement ou symboliquement (pour un modle plus complet des mcanismes du bilinguisme additif ou soustractif au niveau socital, voir Landry et Allard, 1990).

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  • de langlais. Les dfis qubcois sont donc multiples : assimiler le souvenir et les suites dune langue oppressante symboliquement et dominante socio-conomiquement dans le pass tout en admettant sa prsence dans un contexte conomique nouveau. Dans cette mondialisation, langlais est devenu un vernaculaire-ponge aux multiples accents servant une communication avant tout transactionnelle cet anglais reprsente une autre ralit que langlais des deux solitudes autrefois ou que celle des anglophones daprs la Rvolution tranquille. Mais le lien entre le pass et le futur reste : il sagit de la mme langue.

    La lgislation linguistique qubcoise doit donc faire face la ncessit linguistique du march international et la langue quil prconise. Comment est-il possible de rglementer une chelle nationale la langue dentreprises qui transigent sur un march international ? Comment ces grandes entreprises grent-elles les exigences des marchs internationaux lintrieur de la lgislation linguistique en vigueur au Qubec ? Dans quelles contraintes cette lgislation place-t-elle les employeurs et comment agissent-ils pour respecter ces contraintes linguistiques ? Et comment les grandes entreprises et leurs employs ragissent-ils ces dfis ? Comment sarticule la tension entre le choix linguistique, la contrainte juridique et la pression commerciale ? Et quelle est ou quelles sont les langues qui simposent, pourquoi et comment ?

    tablir quelle langue est prdominante dans une entreprise nest pas chose facile des mesures multiples ont rcemment vu le jour (Bourhis, 1994; Comit interministriel, 1996; Chnard et van Schendel, 2002; Bland, 2003; Laur, 2003). Dis-moi quelle langue ton patron parle et je te dirai quelle est ta langue de travail : linfluence de lorigine du propritaire tout comme celle de la composition ethnolinguistique de lentreprise sur la langue de travail est un fait tabli, du moins en ce qui concerne les petites entreprises (van Schendel, 2002 : 10). Dinspiration traditionnelle, ce sont des entreprises o la famille est la cheville ouvrire du succs (McNicoll, 1993 : 247), o la famille largie trouve emploi et o la langue familiale est une des conditions dembauche. Mais cette pratique familiale tombe en dsutude ds que le nombre demploys dpasse le point dune centaine demploys le point partir duquel on parle dune grande entreprise. Mme si la tradition familiale peut par moments pntrer aussi lintrieur de ces grandes entreprises, au moins de celles qui ont pu conserver un certain noyau traditionnel, elles ont toutes des structures organisationnelles plus complexes, ne serait-ce qu cause du nombre de leurs employs. Mais que devient linfluence linguistique patronale dans ces grandes entreprises, des entreprises internationales o le propritaire peut tre un groupe dactionnaires possdant 51 % des actions et o le changement de propritaire peut tre chose courante cause des fusions et des mutations ? Est-ce vraiment, le cas chant, la langue maternelle des actionnaires ou la consonance de leur nom (voir Vaillancourt et Vaillancourt, 2005) qui dtermine une appartenance linguistique de lentreprise ou dtermine la langue des employs ?

    Linfluence que les actionnaires et les administrateurs (Bouchard, 1991), les cadres et les dirigeants (Champagne, 1988), ainsi que dautres paliers hirarchiques dans lorganisation structurelle des entreprises (Laur, 2003), peuvent exercer sur les pratiques linguistiques dans les grandes entreprises semble vidente tout comme le rle de la lgislation en vigueur ou lincidence de la langue internationale. Comment les entreprises agencent-elles ces diffrentes influences et contraintes ? quel niveau hirarchique ou avec quelles politiques la direction peut-elle influer sur le choix de la langue parle et crite au sein dune entreprise ? O se

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  • situent les passerelles linguistiques8 ? Comment est perue lorganisation ou la gestion linguistique ? Avec quel discours et quelle argumentation les employs et les dirigeants amnent-ils cette gestion des langues ? Comment la prsence de langlais et du franais ou du bilinguisme est-elle aborde ? Quelles sont les attitudes par rapport ces situations ? Et comment est abord le programme de francisation ?

    La prsente recherche sur la situation linguistique dans les grandes entreprises vocation internationale tait un projet pilote au moins deux gards : dabord par sa mthodologie et ensuite par sa thmatique. Il est relativement rare quune recherche cible le monde du travail dans une perspective linguistique et plutt ethnographique. Citons tout dabord Heller et autres (1982), qui retracent par observation participante lutilisation des langues dans une grande brasserie montralaise en pleine priode dinstauration de la Charte de la langue franaise; ensuite, les travaux faits par McAll et autres (1993) dans quatre entreprises; puis, Simon (2001) qui tudie le cas dUbisoft et, plus rcemment, un nouveau projet men au CREFO9 (voir entre autres Roy, 2003 et 2005; Lamarre et Lamarre, 2006) qui cible plutt les moyennes entreprises. De telles recherches sont rares parce quelles demandent beaucoup dinvestissement en temps et en nergie. De plus, elles dpendent beaucoup de la collaboration des dirigeants des entreprises qui, eux, sont pour la plupart mfiants et donc trs rticents participer lexprience consistant accueillir lintrieur de leurs murs un espion qui empche les gens de travailler avec leurs questions peu pertinentes pour le march, le marketing ou le budget.

    Pourtant, une mthodologie qualitative permet de complter les quelques aperus quantitatifs existants, elle permet de dtailler des questions qui restent impossibles poser par sondage tlphonique, elle donne chair au squelette statistique et aide donc trouver les morceaux manquants dans le casse-tte quest le monde des grandes entreprises lre de la mondialisation. Ainsi, la perspective de ce projet pilote, au lieu dtre panoramique, est plutt microscopique. On y examine de prs certains cas bien particuliers qui ne peuvent pas tre reprsentatifs, puisque leur nombre est restreint. Nous avons donc limit le choix des entreprises tudier grce certains critres : elles devaient correspondre une situation gnrale du Qubec, mais prsenter tout de mme assez de variation afin de pouvoir procder des comparaisons. De plus, leurs profils devaient tre propices des comportements linguistiques varis dans le monde du travail.

    Pour effectuer ce choix, nous avons consult un aperu statistique de la situation linguistique dans les grandes entreprises (Laur, 2003, 2004). Selon ces tudes, la structure organisationnelle semble avoir un impact sur la situation linguistique lintrieur des

    8 Une passerelle linguistique est dfinie comme suit : Nous entendons par cette expression une nouvelle attribution confie des personnes occupant des postes stratgiques le long de la channe des communications au sein de ltablissement, postes o le passage dune langue lautre peut seffectuer pour permettre lusage gnralis du franais comme langue du travail sans pour autant couper les relations avec le monde anglophone environnant. Le bilinguisme est alors uniquement le fait des titulaires de ces postes, soit un nombre restreint de personnes qui le pratiquent pour des motifs trs prcis (Corbeil, 1980 : 74, cit par Maurais, 1990).

    9 Le CREFO est le Centre de recherches en ducation franco-ontarienne. Il sagit dun projet sur la nouvelle francophonie et le multilinguisme mondialis dirig par M. Heller en tant que chercheure principale. Voir surtout : www.oise.utoronto.ca/crefo/prisedeparoleII.html.

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  • entreprises. De plus, cet impact est d un enchanement dlments, telles les exigences linguistiques de la clientle, la hirarchisation linguistique interpersonnelle entre dirigeants10, cadres et autres employs ou entre les diffrents tablissements ou filiales dune entreprise multinationale. Plus de la moiti des grandes entreprises qubcoises sont des filiales dune autre entreprise dont la maison mre se situe dans 81 % des cas ailleurs quau Qubec. En 2003, 81 % des exportations du Qubec taient destines aux tats-Unis. La problmatique linguistique est souvent la suivante : la lgislation qubcoise prescrit clairement la gnralisation du franais dans les entreprises, mais la ralit conomique et organisationnelle des entreprises empche beaucoup dentre elles de sy conformer entirement sans perdre leur part du march concurrentiel, voire sans remettre en question leur dcision de sinstaller ou de rester au Qubec. Cette dcision dcoule parfois de la prsence dusines qui dpendent de ressources premires ou de loffre de subventions.

    Toutes les entreprises dont il sera fait mention dans ce rapport partagent cette situation : elles sont toutes des filiales dentreprises multinationales insres dans un march mondial. Malgr cette assise commune, nous allons voir que les situations linguistiques lintrieur de ces entreprises filiales varient considrablement selon la politique adopte par les dirigeants, selon les attitudes adoptes par les employs eux-mmes ou selon la raison pour laquelle elles sont au Qubec. Dans la premire partie de cette tude, nous traiterons des entreprises une une afin de rendre compte du cas unique quelles reprsentent. Dans une deuxime partie, que lon pourrait aussi qualifier de synthse, nous allons tracer le portrait de chaque entreprise comme exemple type. Il sagit dune vue densemble qui dtaille davantage certains aspects linguistiques concernant la francisation, le discours port sur les langues ou des stratgies utilises dans les entreprises.

    10 La hirarchisation linguistique interpersonnelle est, en quelque sorte, la prolongation individuelle des autres [hirarchies], plus institutionnelles. Cette hirarchisation linguistique se passe lintrieur dune unit dentreprise et dans un rapport interpersonnel. Il est connu quune convergence interpersonnelle est en gnral le fait dun employ subordonn par rapport un employ suprieur (cadre ou dirigeant). (Laur, 2004 : 78).

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  • Remarques mthodologiques

    Avant tout, cette tude est descriptive et exploratoire, cest--dire que son but est de recueillir, de dcrire et de colliger des donnes sur la gestion de la prsence de langlais dans une entreprise qubcoise soumise une lgislation qui prescrit lutilisation gnralise du franais. Nous sommes partie de lide que ces deux exigences, lune conomique et lautre lgislative, crent des tensions au sein de lentreprise, mais donnent certainement aussi lieu des solutions ingnieuses pour permettre lentreprise de spanouir conomiquement tout en respectant la lgislation en vigueur. Comme nous lavons dj soulign auparavant, la recherche ciblait lorigine surtout lamlioration apporter aux processus de francisation, cest--dire denquter sur les problmatiques de la francisation des grandes entreprises au Qubec et dindiquer des raisons plausibles dun dcalage persistant entre les objectifs de la Charte de la langue franaise et la ralit de sa mise en application. Ainsi, ce sont principalement les solutions apportes la problmatique linguistique qui nous intressaient, mais galement les difficults rencontres dans la coordination des deux exigences linguistiques. Par consquent, la recherche ne vise pas vrifier des hypothses selon un protocole prcis et prdfini, mais plutt dexplorer dans un processus volutif les comportements et attitudes linguistiques dans les entreprises. Pour ce faire, nous avons opt pour une approche qualitative.

    La mthodologie qualitative se distingue dune approche plus quantitative avant tout par le nombre de cas tudis : la dernire tend cumuler le plus de cas possible afin darriver une analyse reprsentative dune population tudie, tandis que lapprofondissement de lanalyse reste lapanage de la premire. Dans une perspective de complmentarit des deux mthodologies, nous nous sommes, comme soulign auparavant, servi dune tude quantitative (Laur, 2003) afin de bien cibler le nombre trs limit dentreprises slectionner. Voici donc les critres de slection des entreprises et les donnes quantitatives qui les ont motivs.

    Les critres de slection

    Les donnes ayant inspir le choix des entreprises ont t recueillies en 2001 auprs dun chantillon reprsentatif des grandes entreprises inscrites lOffice qubcois de la langue franaise.

    Premier critre : lentreprise devait tre une filiale.

    Ce critre est motiv par le fait que la moiti des entreprises installes au Qubec sont des filiales dune autre entreprise non qubcoise (Laur, 2003 : 28). Il semblait donc important dexplorer les situations linguistiques dans des filiales dune maison mre qubcoise et celles dune maison mre trangre afin de pouvoir faire la comparaison entre les deux.

    Deuxime critre : lentreprise filiale doit faire partie dune structure organisationnelle internationale et complexe.

    Notons que presque la moiti (42 %) des entreprises filiales sont insres dans une structure organisationnelle complexe; 32 % des grandes entreprises qubcoises ont leur sige social lextrieur du Qubec et 52 % ont leur maison mre ailleurs. Un quart des grandes entreprises qubcoises nont ni leur sige social ni leur maison mre au Qubec

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  • (Laur, 2003 : 33). Ces entreprises comptent le plus grand nombre demploys et sont les plus rpandues sur les marchs internationaux.

    Troisime critre : lentreprise filiale doit tre manufacturire.

    Cest le secteur manufacturier qui est le mieux reprsent parmi les grandes entreprises du Qubec (42 %) et qui prsente certaines caractristiques particulires quant leur prsence internationale. En plus, 88 % des entreprises du secteur manufacturier fournissent leurs produits ou services une clientle non qubcoise (Laur, 2003 : 35).

    Quatrime critre : lentreprise devait accepter de participer.

    Il semble vident que la participation de lentreprise est un critre indispensable. Dans les faits, beaucoup dentreprises ont t approches pour faire partie de ltude. La recherche des participants tait longue et ardue. Le fait que lOffice qubcois de la langue franaise soccupe la fois du volet de la recherche et du volet de la francisation a souvent men des confusions et, finalement, des refus de participation. La situation linguistique est une question dlicate, surtout que la francisation est, pour plusieurs entreprises, synonyme de concessions coteuses. Laccueil fait une recherche sur la problmatique linguistique tait donc plutt rserv, voire hostile dans certains cas, mais aussi enthousiaste dans dautres cas, malheureusement plus rares. La question linguistique ne devient intressante pour les entreprises que lorsque leur intrt immdiat est concern, dautant plus que le temps consacrer des affaires non directement relies au chiffre daffaires tait pour tous trs limit, mme pour ceux qui, de prime abord, voyaient un certain intrt participer.

    La dmarche adopte

    La mthode utilise pour slectionner les entreprises ainsi que celle retenue pour prendre contact avec elles ont diffr pour chacune dentre elles. Par contre, le droulement du processus commenait pour toutes avec la consultation des banques de donnes informatises disponibles lOffice afin de slectionner les entreprises dau moins cent employs qui sont en mme temps des filiales. Lentreprise devant faire partie dune organisation internationale, la consultation du dossier de lentreprise ainsi que des rencontres avec les conseillers en francisation responsables des entreprises permettaient de procder une slection plus particularise. Les rencontres avec les conseillers servaient galement dvelopper une dmarche. La prise de contact avec lentreprise se faisait dabord au moyen dune lettre dinformation envoye par le personnel officiel de lOffice au dirigeant et au prsident du comit de francisation, ensuite par tlphone afin dobtenir un rendez-vous avec un des responsables. Ctait la premire tape liminatoire, puisque plusieurs entreprises nont pas consenti recevoir un chercheur de lOffice. Ensuite, les rendez-vous en entreprise se sont pour la plupart drouls dans une atmosphre trs positive et cooprative, et les participants de lentreprise ont souvent montr un intrt prononc. Cette tape franchie, ces participants devaient convaincre leurs suprieurs du bien-fond de notre dmarche, ce qui ne pouvait se faire que dans peu de cas, puisque les dirigeants navaient que peu de temps consacrer ltude du dossier ou les entreprises contactes taient en processus de restructuration ou de dmnagement. Il arrivait que les personnes-ressources quittent entre-temps lentreprise ou que de nouveaux dirigeants entrent en fonction et ne soient donc pas au courant de la recherche; enfin, dautres personnes tombaient en priode de vacances, et ce

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  • sont des collgues qui acceptaient de participer la recherche, ce qui entranait souvent dautres dlais, etc. Bref : cette phase prparatoire tait la plus longue des dmarches entreprises, puisquelle pouvait durer plus dun an dans certains cas.

    ce stade, une fois la participation de lentreprise obtenue, la recherche commenait avec quelques runions, la prise de rendez-vous avec certaines personnes-ressources au sein de lentreprise et occupant des postes diffrents niveaux hirarchiques. Ces premires dmarches servaient souvent faire connatre les chercheurs par le personnel occupant des postes cls afin daccder dautres paliers hirarchiques, dans certains cas pour simplement avoir la possibilit de circuler librement dans lentreprise ou afin de mieux reconnatre, davoir accs ou de participer des situations propices lobservation de comportements linguistiques, bref : dtablir des contacts, des liens de confiance.

    Lapproche mthodologique

    La dmarche mthodologique tait semblable pour les cinq entreprises : les chercheures, toutes diplmes en anthropologie11, se rendaient dans les entreprises et usines afin dobserver des interactions sociales, dy assister ou dy participer dans le milieu de travail et de collecter systmatiquement des donnes sur le comportement et les attitudes linguistiques de diffrents acteurs dans ce milieu. Ces chercheures dclinaient leur identit non seulement aux responsables de lentreprise, mais galement tous les participants de ltude. Il ne sagissait donc pas dune recherche sous couvert . Les chercheures participaient dune faon maximale aux activits (dans la mesure du possible aux activits lies au travail, mais souvent galement lors dactivits sociales) sans pour autant assumer un rle important dans la situation tudie.

    Comme nous lavons dj soulign, la prise de contact et la ngociation de laccs aux entreprises se sont effectu par lentremise du personnel officiel de lOffice et ont t suivies par des visites autorises des chercheures dans les entreprises. Pour chaque entreprise, elles produisaient un rapport de terrain dune vingtaine de pages grce aux entrevues et observations participantes effectues in situ. Des grilles dentrevue ainsi que des carnets et des fiches dobservation permettaient de garder des traces dtailles de ces visites. Ces tmoins crits du terrain ethnographique taient rdigs aprs les visites dans les entreprises (ou dans des moments o les chercheures se retiraient) puisque les entrevues constituaient pour la plus grande part des conversations ouvertes dans lesquelles les chercheures amenaient le sujet vers des thmatiques abordes dans une grille dentrevue pralablement tablie pour la situation particulire de chaque entreprise12. Ces entretiens flexibles et peu directifs pouvaient tre juxtaposs dinterviews davantage structurs selon la situation et le

    11 Il sagit de Catherine Lussier, Nadine Trudeau, Marie-France Mosry et Elke Laur. La planification de la recherche ainsi que le prsent texte nengagent que la dernire qui en assume lentire responsabilit et les erreurs commises ne peuvent en aucune manire tre attribues aux autres chercheures.

    12 Nous avons annex un amalgame de diffrentes thmatiques abordes dans les entrevues ces questions ntaient donc pas poses en tant que telles, mais servaient plutt comme un fil rouge de conversations menes au fur et mesure des visites dans lentreprise avec diffrentes personnes. Ces grilles servaient notamment comme aide-mmoire, mais galement pour noter selon les rubriques des citations ou des situations propices pour la description et lanalyse.

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  • degr daccessibilit des personnes dans les entreprises. Plus les chercheures restaient longtemps dans les entreprises plus les entretiens devenaient souples et faisaient part dune conversation quasi quotidienne. Les participations des formations, des runions ou des prsentations de projets se rvlaient particulirement fructueuses puisque le personnel changeait frquemment sur les interactions ou les contenus linguistiques. En gnral, il ntait pas difficile dobtenir des commentaires linguistiques ou dassister des interactions portant explicitement ou implicitement sur des thmes dordre pilinguistique : la langue est un facteur omniprsent qui guide normment dactions dans les entreprises et qui constitue en plus un sujet mtalinguistique inpuisable tout comme la raison dattitudes et de comportements plus ou moins affirms.

    Par contre, plusieurs aspects du terrain se distinguaient dune entreprise lautre : la dure de la prsence des chercheurs sur place, lampleur de leur implication dans le milieu, le nombre de chercheurs prsents en mme temps et le degr dintensit des contacts tablis variaient considrablement selon les entreprises. Une des entreprises (Ellumino), comme nous le soulignerons plus loin, na pas pu recevoir les chercheures plus de trois journes pour des entrevues plutt diriges ainsi que la participation une formation informatique. Pour les autres entreprises, les prsences (conscutives ou non) stalaient dune semaine trois mois. Nous avons tir ces prsences le plus longtemps possible sachant que certains comportements, voire confidences, ne se manifestent quaprs un certain temps dobservation tout comme la comprhension du fonctionnement de ces comportements ne se dcode que progressivement. Il est vident que le temps limit qui nous tait allou ne nous permet pas de dresser un portrait aussi dtaill ou aussi profond que des conditions plus idales nous lauraient permis. Nanmoins, aprs avoir travaill plusieurs mois avec acharnement pour pouvoir simplement entrer dans une de ces grandes entreprises, nous estimons que notre prsence aussi brve quelle fut nous a pu donner des renseignements peu accessibles et prcieux.

    Lors dentrevues plutt diriges, la slection des participants lintrieur de lentreprise respectait plusieurs critres, dont lappartenance ou les connaissances linguistiques des employs (afin datteindre une assez grande varit), la prsence dans diffrents services, divisions ou autres sous-sections, la place hirarchique dans lentreprise ou le statut dans les passerelles hirarchiques moins officielles, etc. Un chantillon assez diversifi du point de vue linguistique, hirarchique et fonctionnel a t recherch tout en respectant, videmment, la disponibilit des personnes et leur possibilit de collaboration. Il y avait donc pour chaque entreprise une liste prdtermine de personnes types rencontrer ou interviewer. Comme les chercheures ont part des entrevues ou des conversations individuelles ou de groupe de longueur variable particip le plus possible aux runions, prsentations, formations ou assembles organises par lentreprise tout comme des activits sociales, comits, pauses et rencontres plus ou moins informelles, il y avait galement une grande part dimprvu dans certaines rencontres. Ces concours de circonstances taient parfois particulirement fructueux et informatifs.

    Les notes et cahiers des chercheures contiennent les citations des interviews, des schmas dinteractions sociales, des analyses spontanes, des descriptions de situations observes, les rponses certaines questions de la grille, les donnes sociales des personnes interviewes, etc., bref : une multitude dinformations concernant le fonctionnement des interactions linguistiques dans lentreprise. Certaines conversations ont galement pu tre

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  • enregistres. Cette masse de donnes a t classifie et catgorise par chacune des chercheures afin de produire un texte plus succinct, le rapport de terrain. La prsente tude en constitue une synthse.

    La confidentialit

    Les donnes recueillies sont confidentielles. Les entreprises sont dcrites avec un pseudonyme, certaines donnes les concernant ont t changes pour la publication tout comme les renseignements sur les personnes cites (tels que leur position dans lentreprise ou autres) qui ne sont mentionns que lorsquils se sont rvls absolument ncessaires pour la comprhension du contexte.

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  • Premire partie : portraits

    Chaque entreprise tudie dans cette recherche est unique plusieurs niveaux : le domaine dexpertise, lemplacement des lieux de pouvoir, le nombre demploys ainsi que les habitudes linguistiques. Dans cette premire partie, nous allons donc dcrire le profil linguistique et organisationnel, la hirarchie structurelle et interpersonnelle, lusage de langlais (le degr de bilinguisme, les formes de traduction) ainsi que le rapport la francisation de chacune des entreprises.

    Premier cas : Lafabrique13

    Les deux solitudes au XXIe sicle

    Dans le cas de lentreprise Lafabrique, nous avons tudi la situation linguistique dans une usine manufacturire. Laccueil que la direction de lusine a rserv lide de la recherche et aux chercheurs a t idal. Cette collaboration exemplaire a beaucoup facilit la tche. En mme temps, une part de lenthousiasme des participants traduit aussi un certain espoir. Cet espoir semble porter sur les consquences que cette recherche pourrait avoir dans limmdiat, voire long terme, sur lamlioration de la situation linguistique de lusine.

    Le profil linguistique et organisationnel

    Cre en Belgique francophone au XIXe sicle comme entreprise familiale, Lafabrique connat une expansion dabord belge, ensuite nord-africaine et europenne pour finalement, dans les annes daprs-guerre, sinstaller en Amrique du Nord, plus particulirement au Canada. Aprs cette expansion autant europenne que nord-amricaine, Lafabrique franchit le dernier pas vers une internationalisation mondiale : lentreprise cre des tablissements un peu partout en Asie et diversifie ses produits en des marchs connexes. Ce nest que tout rcemment que lacquisition dune firme irlandaise permet Lafabrique doccuper un rang trs lev lchelle mondiale dans son domaine.

    La maison mre de la multinationale se trouve toujours en Belgique. Toutes les autres divisions dans le monde en dpendent hirarchiquement. Aprs la rcente acquisition irlandaise, plusieurs units lchelle internationale, dont la division nord-amricaine de lentreprise, ont t restructures. La division Amrique du Nord a dornavant son sige aux tats-Unis, et cinq sous-divisions gographiques y sont rattaches (voir le graphique 1). Le sige social administratif de la division Nord-Est se trouve aux tats-Unis galement, mais le sige social qui gre la production et la distribution dans cette section se trouve au centre-ville de Montral. Le sige social montralais dirige le centre de distribution ainsi que cinq usines de production, dont une seule se trouve galement en rgion montralaise. Cest cette dernire que nous avons tudie. Lusine a t construite dans la rgion de Montral au cours des annes 60 en raison de la prsence des ressources premires ncessaires la production. Beaucoup demploys travaillent lusine depuis sa construction et 35 % de leffectif de lusine a atteint lge de la retraite. Il y rgne une ambiance familiale.

    13 Rappelons que les noms des entreprises sont des pseudonymes et que certaines des donnes ont t sciemment falsifies afin de conserver la confidentialit des donnes recueillies.

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  • La restructuration organisationnelle, qui a fait suite lacquisition irlandaise, a surtout amen un changement sur le plan du personnel. De nouveaux dirigeants en provenance des tats-Unis et de lOntario soccupent de plus en plus de la direction des siges sociaux nord-amricains dont celui situ Montral. Lusine ltude est dornavant la seule usine francophone au sein de sa sous-division, et les dirigeants du sige social sont devenus majoritairement anglophones. Lacquisition europenne a donc produit un bouleversement de lautre ct de lAtlantique provoquant des changements dans la langue de communication entre lusine et le reste de la multinationale. Les employs (autour de 100) sont tous francophones dans le sens de la langue de communication, mme si quelques rares personnes parlent langlais ou dautres langues comme langue maternelle.

    La prsence de langlais est uniquement lie au rapport de structure hirarchique que les employs entretiennent avec le sige social montralais ou dautres entits de lentreprise. Le changement dclench par la fusion europenne, cest--dire celui au sige social, est clairement repr :

    Avant, tout tait en franais, depuis les changements au sige social, tout est anglais14.

    La hirarchie structurelle et interpersonnelle

    Le franais continue dtre la langue parle lintrieur de lusine, mais les rapports avec les niveaux suprieurs de la structure hirarchique deviennent problmatiques, car ils se font de moins en moins en franais. Ces rapports sont de nature diffrente : le sige social est lunit qui supervise lusine, et les contrematres et autres chefs de service lusine doivent faire rapport directement aux dirigeants du sige social. De plus, les employs disent ne plus recevoir les rapports ou autres documents en franais. Les dirigeants sont maintenant pour la plupart unilingues anglais :

    Autrefois, ctait cent pour cent franais au centre-ville, le prsident, le vice-prsident, les dpartements de comptabilit, informatique, vente, etc., tous franais. Aujourdhui, le prsident est amricain, le directeur manufacturing est allemand et parle anglais, les directeurs des ventes et transport sont amricains; pour la distribution, cest un Anglais de Toronto, la directrice de la comptabilit a un nom franais, mais ne parle quanglais. Cest compltement chang.

    Les dirigeants du sige social qui grent les usines travaillent donc plutt en anglais, le sige social de la division nord-amricaine est aux tats-Unis et son personnel communique uniquement en anglais, les autres usines canadiennes de Lafabrique ne se trouvent pas sur le territoire qubcois cest pourquoi lusine se trouve linguistiquement isole. Tous les documents provenant de lextrieur de lusine ce qui veut dire quils proviennent tout de mme de lintrieur de la multinationale sont rdigs en anglais. Comme plusieurs

    14 Les citations proviennent du rapport de terrain. Il sagit de transcriptions mot mot de la langue parle dans une situation plus ou moins familire avec lintervieweur et les carts entre la langue parle et la langue crite ne sont donc pas corrigs. Certains termes en anglais ou des termes angliciss sont nanmoins crits en italique afin de rendre la lecture plus facile.

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  • subdivisions de lusine touchent sporadiquement la politique intrieure de lusine, les communications se font forcment de plus en plus en anglais. De plus, les formations sont offertes en anglais uniquement, ds quelles se donnent lextrieur de lusine.

    Ainsi, langlais pntre tranquillement dans lusine par le truchement de divers rapports, documents dinformation, courriels, courriers et communiqus provenant de lextrieur de lusine. Depuis les dernires restructurations, cest surtout la langue de travail au sige social situ au centre-ville de Montral qui a chang. Avant cette restructuration, il y avait, sinon une majorit, au moins une importante prsence de francophones dans les postes de direction, et lutilisation du franais comme langue de communication avec lusine tait possible. Ces postes sont maintenant occups par des personnes qui ne connaissent pas le franais, ce qui a eu un impact non ngligeable sur les interactions avec toutes les units lextrieur du sige social montralais, dont lusine en question. Pour lusine francophone, ce changement est donc majeur. Pourtant, il ne sagit que de quelques postes nvralgiques dun sige social relativement modeste au sein dune grande organisation multinationale.

    Du jour au lendemain, tous les communiqus, les messages, les courriels, les avis daugmentation, les films sur la scurit (raliss en Belgique par des Belges), etc. nous ont t envoys en anglais plutt quen franais.

    Cette rorganisation a aussi dplac certains services : la comptabilit tait autrefois sous la responsabilit du sige social du centre-ville de Montral, et se faisait en franais. Le service comptable a t transfr aux tats-Unis et ce transfert a entran un changement de langue :

    Lorsque jai un problme rgler par tlphone propos dune facture ou dun compte, il mest impossible de joindre lemploye francophone [du service comptable], il y avait une entente cet effet mais elle na pas t respecte. Je dois donc communiquer en anglais avec [ce service], mais je ne matrise pas bien le vocabulaire technique requis. Cest un problme.

    Il sagit donc dune pratique linguistique qui trace clairement la ligne entre lextrieur de lusine et lintrieur, lextrieur ntant pas dans ce cas les fournisseurs ou la clientle, mais plutt les diffrentes units de la division nord-amricaine de la multinationale. Remarquons que dans ce cas, le fait que la maison mre se situe en Belgique francophone na plus aucune incidence sur les pratiques linguistiques, puisque la structure organisationnelle coupe tout contact direct. Mais, mme sil y a contact indirect, langlais est privilgi comme on le verra ci-dessous.

    Le franais, langlais et le bilinguisme

    Langlais est donc la premire langue utilise ds que les changes se font avec lextrieur de lusine, mme si le franais est parfois demand galement, lorsque le personnel de lusine fait des prsentations loccasion dune visite des dirigeants du sige social, par exemple.

    Il faut prparer nos prsentations en anglais, souvent il faut les faire dans les deux langues parce que parfois il y a des Belges qui viennent nous visiter et il faut la traduire, la franciser.

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  • Cest ridicule; on samuse franciser les prsentations anglaises et angliciser les prsentations franaises.

    Quand on a des runions dusine, cest tout en franais. Si cest des runions de directeurs dusine, cest sr que cest tout en anglais.

    La distinction entre intrieur et extrieur nous permet de montrer ce que les employs de lusine ont verbalis de diffrentes manires : la frontire dlimitant lextrieur, ressenti comme unilingue anglais, se dplace lintrieur mme de lentreprise avec la fusion et donc linternationalisation de lentreprise. Les travailleurs parlent dune enclave francophone qui rtrcit. Avant la dernire acquisition, la frontire linguistique correspondait grosso modo aux frontires du Qubec : le sige social, situ Montral, tait vu comme une partie intgrante de lintrieur. Maintenant, le sige social fait partie de lextrieur, donc anglophone, aux yeux des travailleurs. Dans cette perspective, la frontire menace galement lusine elle-mme, puisque le bilinguisme est de plus en plus de rigueur, et plusieurs employs commencent suivre des cours danglais, fortement recommands par la direction. Cette transgression des frontires linguistiques lintrieur de lusine, jusqualors exclusivement franaises, se fait dabord ressentir aux niveaux qui sont hirarchiquement les plus proches du sige social : les postes dencadrement et de direction lusine. Pour ces postes, le bilinguisme est devenu un critre dembauche.

    La francisation

    Lusine possde son certificat de francisation depuis 1990 et le personnel en est fier. La plaque est affiche dans le hall dentre parmi dautres prix. lusine, les rpondants sont unanimes sur la question de la francisation. leurs yeux, elle est importante et contribue srement protger le franais.

    On est chez nous et on parle franais !

    Pour nous, cest clair. On acceptera jamais dunilingue anglais, il va tre rejet.

    Les quelques personnes travaillant lusine dont la langue maternelle nest pas le franais, lont appris et ils ont russi sintgrer. Mme les anglophones parlent franais entre eux lusine. En mme temps, face au sige social et ce qui est arriv lors de la rcente restructuration, on peut percevoir un sentiment dinscurit et de rsignation :

    Moi, je me demande cest quoi le pouvoir quun organisme comme lOffice peut avoir contre une multinationale comme Lafabrique.

    Le comportement et lidentit lingu stiques i

    Ainsi, le changement structurel de lusine a dclench le dplacement dune frontire linguistique marquant un intrieur franais et un extrieur anglais. Dornavant, lintrieur , donc les employs de lusine, doivent composer avec plus de contact avec langlais et changer leurs comportements linguistiques. Le personnel de bureau et les contrematres de lusine reprsentent la nouvelle connexion avec lextrieur de lusine et incarnent donc en quelque sorte les bornes de frontires linguistiques. Malgr le fait que les

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  • chefs des diffrents services de lusine se qualifient comme tant soit bilingues, soit assez laise en anglais, leurs ractions sont trs diffrentes.

    Ceux qui ne matrisent pas langlais et qui nont pas lutiliser observent le changement, mais ne le vivent pas. Pour ceux qui matrisent bien langlais et qui occupent un poste qui en ncessite la connaissance dornavant, son utilisation peut mme rjouir :

    Cest bien comme a, je peux pratiquer mon anglais. Cest important aujourdhui dtre bilingue, moi jenvoie mes enfants en classe dimmersion anglaise.

    Dautres employs ne se sentent pas trs laise :

    Quand je fais des prsentations en anglais, cest toujours beaucoup plus stressant quen franais, je ne sais jamais si jarrive faire passer mon message correctement, si jutilise les bons mots.

    Il y a galement les employs qui se sentent tout de mme insults par les nouvelles pratiques en vigueur depuis le changement. Cest surtout le fait quune convergence linguistique15 vers langlais semble tre la pratique courante, qui cre de vives ractions :

    Si un mmo ou courriel est adress cinq personnes et que dans la gang il y en a un qui est anglais, alors le mmo est envoy tous en anglais. Je trouve a quasiment insultant pour les quatre autres.

    Je suis moins bonne en anglais. Des fois, je comprends pas et a me stresse, je perds ma confiance.

    Les travailleurs dplorent que le bilinguisme semble souvent tre une exigence unilatrale pour les francophones :

    Pour moi, que les gens soient bilingues, je nai rien contre a, a ne me drange pas. Mais, par contre, que les gens ne parlent pas franais, a me fait quelque chose.

    Ils trouvent cette situation galement trs frustrante, choquante et stressante en fonction de leur niveau dengagement dans lespace de communication intrieur-extrieur. Un responsable confie quil se sent diminu, en perte de confiance et de pouvoir par rapport son travail et ses suprieurs.

    Une certaine rsignation se fait sentir :

    De toute faon on a pas le choix, cest a qui se passe quand les Amricains dbarquent

    Une certaine rsignation, donc, qui est aussi lie la peur de perdre son poste. Tous les cadres nous confient quils suivraient des cours danglais si ctait exig. Ainsi, il y en a qui ont dj, malgr eux, et aprs une trentaine dannes de service Lafabrique, suivi des cours

    15 La convergence linguistique fait ici rfrence au sens qui lui est attribu entre autres dans Bourhis et autres (2000).

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  • danglais en priv par crainte de perdre leur emploi. Lorsquon demande si le mme poste pourrait tre occup par un unilingue francophone, tous les cadres rpondent :

    Autrefois oui, sans problme. Aujourdhui, non.

    Quant lembauche, de nouveaux critres semblent tre dfinis au fur et mesure. Rcemment, un poste de rceptionniste sest ouvert, et il est devenu vident que le bilinguisme cest--dire la connaissance de langlais devenait un nouveau critre de slection des employs. Une candidate francophone a d tre refuse pour manque de connaissances en anglais.

    Elle tait super sharp et avait un beau CV. Elle aurait pu tre une excellente candidate, mais elle avait de la misre comprendre yes pis no. Avant, a naurait pas drang, on laurait pris quand mme, mais aujourdhui, on ne peut plus se permettre a.

    Dans lusine Lafabrique, mme pour les bilingues anglais-franais, cet tat de fait est vcu comme problme (voir la citation par rapport la hirarchie structurelle). Lintrieur de lusine est peru comme un groupe de rfrence, trs majoritairement francophone, qui sidentifie donc aussi partir de la langue majoritaire. Les personnes qui ne sont pas rattaches doffice ce groupe (les non-francophones) devaient apprendre le franais et le parler pour tre acceptes. Les employs de lusine se sont donc construit une identit relativement lentreprise ( chez nous , on ) dont un des piliers est la langue franaise. Lusine est considre comme tant une entit quasi familiale. Cette identit collective trouve son modle dans lidentit francophone qubcoise :

    En tout cas, moi, je pense que cest eux [les anglophones] apprendre le franais sils viennent travailler au Qubec. Ici on est chez nous pis cest pas nous autres de faire leffort pour parler leur langue.

    Ainsi, linfluence et lutilisation grandissantes de langlais sont vcues comme un affront cette identit linguistique cre travers plusieurs dcennies lusine. La raction de certains employs par rapport un film vido distribu par la maison mre belge en tmoigne. La maison mre a produit ce film afin dinformer les employs des changements qui ont eu lieu aprs les acquisitions. Le film vido tait uniquement en anglais, sous-titr en franais. Lors de sa prsentation lusine, ce film a suscit de nombreuses critiques, et quelques employs ont quitt la salle par protestation et frustration. Comble de linsulte, pour certains, des tee-shirts portant linscription We are Lafabrique ont t distribus tous les employs. Ils disent tous ne pas le porter.

    La rsistance est grande pour ceux qui noccupent pas les postes intermdiaires. Certains affirment qu leur niveau, le franais va rester, sinon on va sarranger pour a . Comment ? En parlant franais. Un des employs intermdiaires, dorigine italienne, refuse dailleurs denvoyer des courriels en anglais, mme si les destinataires sont unilingues anglophones. Par contre, il attend souvent longtemps avant dobtenir une rponse et affirme faire quasiment tous les suivis lui-mme.

    Je travaille en franais, cest tout.

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  • On assiste donc une raction identitaire de groupe quon pourrait, dans les termes de la thorie de lidentit sociale, qualifier de renforcement de lendogroupe16. Lattitude trs favorable la francisation des employs en gnral peut donc tre vue comme une raction par rapport la prsence de langlais, vcue comme menace la cohsion endogroupe, en loccurrence le groupe des travailleurs de lusine de Lafabrique.

    En tout cas ici lusine, on ne se laissera pas faire, on est plus nombreux qu la distribution et on va ragir tous ensemble si on se sent menacs.

    Les travailleurs de lusine ont cette raction de dfense devant les changements dclenchs et dirigs de lextrieur de lusine, (mais de lintrieur de la multinationale) et ils prouvent cette situation avec une impuissance dagir accompagne dune certaine frustration, puisquils ne pourront pas ralentir ou contrebalancer le mouvement du dplacement de la frontire linguistique enclench.

    En bref

    La situation linguistique de lusine se situe sur un axe temporel (avec deux ples : celui avant le changement structurel et celui aprs ce changement) et sur un axe spatial (intrieur et extrieur). Ces deux axes opposent leurs ples lutilisation de langlais et celle du franais. Les employs peroivent une progression des comportements linguistiques de lusine du ple franais vers le ple anglais sur les deux axes. Cette situation est vcue comme une menace et mne une construction identitaire forte lintrieur de lusine. Les travailleurs se forgent une identit linguistique et corporative qui se trouve renforce par le contact rapproch de langlais, vcu comme une menace au confort et la scurit procurs par le fait de travailler presque exclusivement en franais. Cette situation nest pas sans rappeler celle vcue au Qubec telle quelle est dcrite dans les commissions denqute avant linstauration de la Charte. Il y a donc, dans ce cas-ci, un certain retour aux deux solitudes : les travailleurs de production sont francophones, fiers de ltre et enclenchs dans une raction identitaire; les dirigeants de haut niveau sont unilingues anglophones ce qui oblige une couche de dirigeants intermdiaires francophones tre bilingues. Cet tat desprit explique galement les grandes attentes que les travailleurs ont dune intervention de lOffice qubcois de la langue franaise afin de mieux franciser leur milieu.

    16 Ce renforcement de lendogroupe reprsente, selon la thorie de lidentit sociale (Tajfel et Turner, 1979, 1986) une raction de dfense la suite du contact de deux groupes. Cette raction se traduit dabord par ce renforcement de la cohsion de lendogroupe par une raction de diffrenciation. Trois consquences sensuivent : 1) la perception dune plus grande homognit de lendogroupe et de lexogroupe afin de mettre en vidence la diffrence (ici : nous, les travailleurs de lusine, les francophones en opposition ( eux, les gestionnaires du sige social, les anglophones ); 2) une valuation plus favorable de lendogroupe, tandis que 3) lvaluation de lexogroupe resterait sans accentuation favorable ou dfavorable. Il y a donc maintien de lidentit sociale positive du groupe de rfrence par diffrenciation lexogroupe.

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  • Deuxime cas : Floppyware

    Le discours sur le bilinguisme

    Lentreprise Floppyware nous a ouvert ses portes sans trop de rticences. Laccueil tait trs professionnel et accommodant, les employs taient librs pour certaines entrevues sans hsitation, les chercheures pouvaient assister aux runions et autres rassemblements sans trop de restrictions.

    Le profil linguistique et organisationnel

    Floppyware est une jeune entreprise du domaine des nouvelles technologies : on y produit des jeux vido et des films anims. Fonde en Suisse francophone en 1987, prsente Montral depuis 1995 (subventions fdrales et provinciales), lentreprise est tablie dans 17 pays sur quatre continents. Son expansion fut rapide et sa structure organisationnelle est trs peu hirarchise. La maison mre se trouve en Suisse, et des les divisions sont pour la plupart organises selon une structure fonctionnelle17, cest--dire non gographique (sauf pour une division en Suisse, une au Canada et une en Chine). Ces divisions regroupent donc plusieurs pays lintrieur dun service spcialis : le service de commercialisation , de production ou dadministration , par exemple, voir le graphique 2.

    Le personnel de la filiale qubcoise, majoritairement masculin, est dans la jeune vingtaine (moyenne dge de 24 26 ans). Moins du tiers des employs ont une autre langue maternelle que le franais, dont quelques-uns qui ne savent pas communiquer en franais. Il y a un roulement constant du personnel, puisque les diffrentes productions sont limites dans le temps et que les quipes se forment partir dune spcialisation technique plus ou moins requise selon le produit en cours de production : infographie (animation), informatique et conception de jeux, conception sonore, etc. Il y a donc aussi un certain roulement dans la composition linguistique de leffectif de lentreprise. Les donnes suivantes ne reprsentent donc quune photographie ponctuelle puisque lentreprise est dans un mouvement constant. Une certaine direction dans ce mouvement se fait nanmoins sentir : bien que la majorit de leffectif soit francophone dans lensemble de lentreprise, le nombre de personnes ne connaissant pas le franais a augment au cours des dernires annes. Une filiale a t ouverte New York, et des Amricains sont venus travailler Montral. Par ailleurs, de faon croissante, Floppyware recrute son personnel spcialis lextrieur, en particulier aux tats-Unis lorsquelle ne trouve pas de recrues au Qubec.

    La premire anne o je suis arriv, il y avait 100 % des employs qui taient francophones, en tout cas 99,99 % francophones et aucun anglophone dans le payroll. Tous les documents internes, les meetings taient en franais. Mais quand les Amricains ont t engags, a a commenc changer.

    17 Lorganisation fonctionnelle dune entreprise repose sur le principe de division fonctionnelle de la gestion, cest--dire que les responsabilits et le travail sont diviss en fonctions (fonction financire, fonction production, fonction vente, fonction ressources humaines, etc.)

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  • [Floppy] is doing aggressive recruiting outside Quebec : in the US, UK, everywhere just to make sure Americans feel comfortable coming here

    La hirarchie structurelle et interpersonnelle

    La structure hirarchique de lentreprise est mondiale et trs horizontale (voir le graphique 2). Deux contraintes linguistiques sont souvent voques dans le discours des employs : la communication avec les autres filiales et la langue des produits, donc le march. lintrieur de lentreprise, le franais semble dominer loral si lon se fie larrire-fond sonore entendu un peu partout dans cet immense loft sous-divis a et l par des cloisons transparentes.

    La langue parle cest le franais avec tout le monde ici, sauf avec un programmateur du 5e tage, on lui parle en anglais, cest plus facile pour lui. Dautres employs sont anglophones, mais ici, il ny en a pas beaucoup. Certaines personnes [francophones] sont bilingues et font un commentaire en anglais si a leur tente.

    De toutes les compagnies internationales, on est srement celle qui parle le plus franais.

    Par contre, le franais ne semble pas faire le poids, mme si le nombre de francophones est majoritaire. Plusieurs situations relates concernent un tel rapport de force et donnent lieu une rflexion des employs sur les diffrentes formes de bilinguisme ainsi qu un discours sur les raisons de cet tat de fait. Il y a avant tout le produit lui-mme et un certain parler spcialis, prsent partout, le jargon du milieu informatique, un technolecte.

    Le franais, langlais et le technolecte

    Un technolecte, ce parler spcialis de linformatique, rgne dans lentreprise. Un directeur de production est un producer, les suprieurs hirarchiques des V.P. Pour un des employs, le jargon spcialis des jeux interactifs est plus adquat pour la communication :

    Avec le slang on peut dcrire plus facilement cest quoi le problme. Anim, la map, gamer, a sapprend facilement.

    Quand on dcrit un bug, il faut que tu sois rapide. On ne veut pas de retour du programmateur qui dit je comprends pas ton message.

    Pour ces employs, il sagit donc dune question defficacit et de comprhension :

    Nous, en informatique, quand quelquun parle de dverminage [plutt que dbuger] ou de navigateur [browser], personne ne le comprend.

    La frontire entre lutilisation dun technolecte spcialis, en anglais, qui comprend les termes techniques en informatique et lutilisation de langlais tout court semble plutt floue dans le discours des employs :

    Moi, je travaille beaucoup en anglais, il y a des mots quon connat quen anglais, je ne pourrais pas les utiliser en franais. Comme flatten image, je ne sais pas cest quoi en franais. Chez moi, jai achet Windows 98 en franais, cest capot ben

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  • raide. Le driver, tout est en anglais. Le lexique franais et anglais. Le clavier nest pas adapt Mme les fichiers daide, sils sont en franais on ne sen sert pas.

    En informatique, il faut savoir lire langlais. Quelquun qui ne comprend pas langlais serait limin ds le dpart.

    Outre le langage technique, il y a donc une utilisation de langlais qui est perue comme ncessaire lexercice du travail. Le degr de cette utilisation, tout comme le degr de la ncessit de cette utilisation apparaissent seulement dans les explications que les employs donnent pour la justifier. Nous avons distingu quatre ensembles de justifications dans le discours des employs. Avant tout, cest lurgence et lefficacit qui dominent le discours ce qui ressemble aux noncs sur le langage technique. Par contre, il sagit ici plutt dune juxtaposition des deux langues : le bilinguisme. Les employs disent quil est avantageux pour les francophones dtre bilingues afin de comprendre les messages en anglais puisque personne na le temps de produire des messages crits dans les deux langues. Remarquons que jamais dans le discours des employs il nest envisag que la rfrence au bilinguisme puisse galement inclure des anglophones qui devraient lire ou parler en franais :

    Les mails sont souvent en franais quand le directeur crit et aussi la division Marketing. a cest trs bien. Dans [mon] quipe, la mentalit est diffrente : on na pas le temps de faire bilingue. On le fait en anglais.

    Faire bilingue revient donc crire dans une autre langue que langlais. Bilingue correspond la connaissance de langlais plus une autre langue. Nous reviendrons sur cette perception dune certaine unilatralit du bilinguisme18.

    Lutilisation de langlais est galement et deuximement vue en tant que ncessit pour les personnes embauches par une compagnie internationale telle que Floppyware :

    [] un directeur de studio doit parler anglais couramment, car il doit parler avec les filiales au Japon, au Maroc, etc. Un francophone unilingue va avoir un gros handicap pour faire le travail.

    Le caractre international de lentreprise est souvent relev pendant les entretiens, la fois pour souligner la ncessit daccepter langlais comme lingua franca et pour marquer les avantages du bilinguisme :

    [Floppyware], cest une compagnie internationale et multiculturelle. Il y a des filiales partout en Asie, au Maroc. Au niveau de la communication externe, langlais prdomine, donc il faut se dbrouiller en anglais. Mme si cest pas obligatoire, cest un plus, cest un handicap si tu las pas.

    18 Mme si le terme bilinguisme unilatral nest pas encore entr dans les dictionnaires sociolinguistiques, il est couramment utilis dans la presse ou autres crits publics pour dsigner la situation o la connaissance dune langue en particulier constitue la condition ncessaire pour quon considre quelquun comme tant bilingue . Ici, ce bilinguisme se construit donc autour de langlais.

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  • Ensuite, cette utilisation de langlais est galement vue en tant quoutil de travail notamment en tant quoutil qui permet de faire un travail plus intressant :

    Donc, le bilinguisme aide, lunilinguisme ne pnalise pas, mais ces gens-l vont faire autre chose .

    Un autre exemple. [Floppyware] a des entreprises en Chine ou aux tats-Unis. Si on envoie quelquun, il faut quil comprenne langlais. Pour faire des voyages, pour collaborer avec dautres filiales, le bilinguisme, a aide !

    Outre les raisons voques jusqu prsent pour lutilisation de langlais, il y a aussi une question dtre la mode , dtre hip , dtre in , langlais sert joker entre nous .

    Ici, entre employs francophones, quand on est en pause et quon se taquine, on le fait en anglais.

    Ainsi, lutilit de communiquer en anglais est multiple : accs un travail plus intressant, tre plus efficace et la mode dans une entreprise internationale.

    Langlais nest par contre pas exig ou considr comme ncessaire pour toutes les catgories de mtiers ou pour tous les postes. Les testeurs de jeux, par exemple, peuvent parfaitement faire leur travail en ayant une connaissance trs limite de langlais. On rapporte que certains chefs dquipe se dbrouillent mal en anglais , ce qui ne les empche pas de bien faire leur travail. Certaines fonctions exigent cependant une connaissance assez pousse de langlais. Par exemple, le directeur artistique du son, un anglophone, nous explique quil ne pourrait pas faire son travail sans une bonne connaissance de langlais. Il doit notamment corriger des textes de scnarios mal crits en anglais et enregistrer des dialogues en anglais. Il doit aussi tre en mesure dapprcier et de comprendre lhumour dans sa langue dorigine. Il prcise que le march le plus important est anglophone et quil est fondamental que le produit soit compris. Par contre, son travail exige aussi une connaissance suffisante du franais mais, cette fois-ci, cest pour diriger des collgues francophones et non pas pour travailler avec la bande-son. Ainsi, langlais a ici le statut de la langue ncessaire et indispensable, tandis que le franais est une condition ncessaire, mais non suffisante, voire facultative.

    Dans le cas de la production, il semble y avoir un contraste entre les faibles exigences relies la connaissance de langlais par rapport aux avantages vidents du bilinguisme dans la communication au sein des quipes. Il pourrait sagir dun faux contraste, si lon considre que la connaissance de langlais spcialis du domaine des jeux interactifs nquivaut pas la connaissance dune langue.

    Ctait pas obligatoire de savoir langlais, mais a donne lavantage. Un plus, si on peut dire Mais moi jaurais de la difficult oprer sans bilinguisme. Cest pour a que [Floppyware] offre des cours danglais.

    Ainsi, le bilinguisme devient ncessaire pour les non-anglophones.

    Cest un facteur, mais on peut pas dire quil y a un lien direct. Mais reste que cest un handicap dtre unilingue. Un bilingue va avoir des avantages.

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  • Un unilingue francophone est carrment handicap parce quil a besoin dun intermdiaire pour communiquer.

    Pour tre heureux ici, il faut tre bilingue.

    Comme nous lavons dj remarqu propos dune argumentation pour lutilisation de langlais dans lentreprise, le bilinguisme renvoie souvent la connaissance de langlais plus un . Cette rfrence est souvent implicite, mais se manifeste galement un niveau plus officiel :

    lAssemble gnrale annuelle, on a toujours un systme de traduction simultane pour les anglophones. Mais celle-l, plusieurs personnes sont venues faire leur discours en anglais : 90 % comprenaient, mais les francophones unilingues ne comprenaient pas. Il ny a pas de traduction simultane en franais.

    Les sentiments par rapport ce bilinguisme unilatral ne sont pas unanimes et lutilisation dune ou des autres langues dpend des situations et des personnes. Chez Floppyware, la distinction entre lusage habituel du franais et celui de langlais se fait moins selon une hirarchie structurelle ou interpersonnelle que selon deux modes : le premier tant celui de loral et de lcrit et le deuxime celui de lattitude de certains employs.

    Loral et lcrit

    Questionns sur la langue gnralement utilise lcrit, la plupart des informateurs rencontrs rpondent que la documentation crite est plus souvent rdige en franais quen anglais surtout lorsquil sagit de communications destines linterne transmises par lintermdiaire du courrier lectronique. Par contre, le contact crit avec lextrieur (les autres filiales ou les clients) se passe en anglais et semble de loin le plus frquent et mme la communication crite lintrieur sy conforme plus ou moins :

    La moiti des courriels, des documents, des rapports sont en anglais. Parce que cest trs international comme travail, il y a beaucoup de contacts avec les USA, lEurope. Mme en Suisse, lorsquils communiquent avec nous, ils le font en anglais. Langlais cest une langue passe-partout. Si on fait un document en anglais et quon lenvoie aux tats-Unis ou en Europe, on sait que a ne bloquera pas.

    On fait la programmation directement en anglais pour pouvoir lenvoyer lextr