L'Angleterre médiévale (J.-Ph. Genêt)

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Monsieur Jean-Philippe Genet L'Angleterre médiévale In: Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public. 20e congrès, Paris, 1989. L'histoire médiévale en France. Bilan et perspectives. pp. 441-453. Citer ce document / Cite this document : Genet Jean-Philippe. L'Angleterre médiévale. In: Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public. 20e congrès, Paris, 1989. L'histoire médiévale en France. Bilan et perspectives. pp. 441-453. doi : 10.3406/shmes.1989.1520 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/shmes_1261-9078_1991_act_20_1_1520

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Monsieur Jean-Philippe Genet

L'Angleterre médiévaleIn: Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public. 20e congrès,Paris, 1989. L'histoire médiévale en France. Bilan et perspectives. pp. 441-453.

Citer ce document / Cite this document :

Genet Jean-Philippe. L'Angleterre médiévale. In: Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignementsupérieur public. 20e congrès, Paris, 1989. L'histoire médiévale en France. Bilan et perspectives. pp. 441-453.

doi : 10.3406/shmes.1989.1520

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/shmes_1261-9078_1991_act_20_1_1520

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L'Angleterre médiévale

Jean-Philippe Genet

Les médiévistes français ont longtemps occupé sur la scène historique anglaise une place de choix. Les œuvres d'H. Wallon (le « fondateur » de la IIIe République n'est-il pas l'auteur d'une biographie de Richard II1?) et les travaux de Ch. Bémont2 ou ceux de toute une série de bons connaisseurs des relations franco-anglaises comme E. Déprez, A. Bossuat, J. Calmette ou G. Périnelle 3 figurent encore en bonne place dans les bibliographies erudites; mieux même, le travail pourtant inachevé d'A. Réville sur la révolte des travailleurs de 1381 4 et les suppléments à l'ouvrage monumental de Stubbs établis par Ch. Petit-Dutaillis5 sont encore, chacun dans leur genre, considérés comme des classiques. Le dernier représentant de cette lignée royale d'historiens français, du moins en France, est sans doute le premier président de notre association, E. Perroy, dont la thèse est sans nul doute restée plus appréciée en Angleterre qu'en France6. Mais sur le sol anglais continue à œuvrer l'infatigable P. Chaplais, auquel sa connaissance inégalée des arcanes de la diplomatique a permis non seulement de construire une œuvre scientifique admirable7, mais aussi de faire découvrir à ses nombreux disciples oxoniens le maniement rigoureux de ces sources aussi bien anglaises que françaises8.

Mais cette gloire est lointaine, chronologiquement ou géogra- phiquement parlant ; et si certains collègues chargés de présenter l'historiographie française des vingt dernières années ont pu parfois prendre des accents triomphalistes, on trouvera plutôt ici

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les accents mélancoliques de la deploratio. Sans doute fallait-il dégarnir les positions les mieux tenues pour avancer sur des fronts nouveaux... Force est de constater que pour l'Angleterre il s'agit d'une véritable désertion : on ne peut guère dénombrer que trois thèses « ancien régime » et, à ma connaissance, une seule thèse « nouveau régime »9. Le sinistre a atteint une telle ampleur qu'il me paraît indispensable, tout en passant en revue les rares témoins de l'activité historiographique française, de s'interroger sur les causes et la signification de ce qu'il faut bien appeler un désastre.

Tout d'abord, il y a deux périodes bien distinctes dans l'histoire de l'Angleterre et d'ailleurs des îles Britanniques ; les archives et les problèmes linguistiques sont bien différents pour l'une et pour l'autre. Jusqu'au début du xme siècle, le roi d'Angleterre est avant toute chose le seigneur d'un immense empire féodal, comprenant entre autres un vaste (et variable) ensemble de domaines continentaux; progressivement, il est ensuite amené, nolens volens, à endosser l'habit du monarque national : une évolution dont l'achèvement est marqué par l'éclatante orchestration faite par les deux premiers Tudors (et surtout Henry VIII) des trois thèmes de la restauration d'une monarchie insulaire, de la réalisation de la Prophetia Merlini et de la couronne impériale de Grande-Bretagne. Il convient donc d'examiner séparément ces deux périodes, qui ne posent pas les mêmes problèmes.

Dans sa première phase, cette histoire « anglaise » est indissociable de celle de la France de l'Ouest. L'arrivée massive des Français (Normands certes, mais aussi Bretons, Picards, Flamands, Aquitains, Angevins et Poitevins), l'installation magistrale du système féodal et, de façon plus insidieuse mais non moins efficace, de la seigneurie et du servage a brutalement ramené le royaume insulaire au sein d'une civilisation dans laquelle la langue, les coutumes, le droit et les traditions politiques de la France de l'Ouest jouent un rôle capital. C'est précisément ce point que tout un groupe d'historiens français a

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bien mis en évidence dans une série de travaux qui ont fait date : je pense ici à la thèse de J. Boussard 10, mais aussi aux travaux de M. de Boùard sur Guillaume le Conquérant et les ducs normands11, de L. Musset sur l'art roman du sud de l'Angleterre12 et à ceux de R. Foreville sur l'Eglise anglaise du xne siècle. Les livres et les articles qu'elle a consacrés aux tumultueuses relations entre l'Eglise et la royauté sous Henri II, ainsi qu'à Thomas Becket et à saint Gilbert de Sempringham 13, méritent d'être signalés de façon toute spéciale, car ils représentent une contribution essentielle, digne en tous points de figurer aux côtés des œuvres des historiens anglais comme C.R. Cheney et C.N.L. Brooke, à l'élucidation d'une phase de l'histoire particulièrement importante non seulement pour l'Angleterre mais aussi pour l'Europe. Tout un ensemble historiographique englobant Angleterre et France de l'Ouest s'est ainsi développé, et on peut y rattacher la publication de sources importantes, qu'il s'agisse d'actes ou de chroniques 14.

Cela étant dit, force est de constater que la plupart de ces ouvrages ont été écrits avant 1969! L'acquis majeur de cette école française des années cinquante, cette capacité à englober d'un même coup d'œil la France de l'Ouest et l'Angleterre, a été en fait repris aujourd'hui par l'école historique anglaise, que l'on aurait sans doute pu taxer d'insularité excessive à la génération précédente. Je ne citerai ici que l'exceptionnelle synthèse de J. Le Patourel sur l'Empire normand, dont il faut déplorer avec force qu'elle ne soit toujours pas traduite en français * . Les noms de Sir J.C. Holt, que G. Duby a invité à venir professer au Collège de France, de J. Gillingham ou de W. Warren viennent également aux lèvres; l'histoire de la France de l'Ouest n'est jamais perdue de vue par nos collègues anglais, et les Américains ne sont pas en reste. C'est une Anglaise, M. Chibnall, qui a pris, et de superbe manière, le relais d'A. Le Prévost et de L. Delisle pour rééditer l'œuvre du moine de Saint-Evroul, Orderic Vital 16 ; ce sont les Records of Social and Economie History de la British Academy qui ont accueilli les chartes et les coutumiers de la Trinité de Caen17. Or, au même moment, un désintérêt presque complet se produit chez les historiens français, désintérêt dont les Anglais ne sont nullement responsables, puisque

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dans le cadre des conférences de Battle (régulièrement publiées sous le titre d' Anglo-Norman Studies) ils se sont efforcés d'associer des historiens français à leurs travaux. En tout cas, plusieurs thèses ou études récentes traitent de régions ou de provinces vassales des comtes ou ducs-rois en faisant comme si celui-ci n'était qu'un banal seigneur français et non le chef d'un immense empire féodal. Une exception notable est la thèse de R. Favreau sur Poitiers à la fin du Moyen Age, qui comporte un dépouillement systématique des sources anglaises, mais il s'agit d'une thèse portant sur la fin du Moyen Age et qui, de ce fait, appartient plutôt à la seconde de nos périodes.

Seul signe encourageant, le développement de ce qu'il est convenu d'appeler l'histoire des mentalités a amené certains de nos collègues, et non des moindres, à se pencher sur certains textes de l'Angleterre angevine. Plusieurs articles ont été ainsi consacrés (mais surtout par nos collègues littéraires ou philosophes) à Jean de Salisbury et à son Polycraticus1*, ou à Gautier Map et à son De nugis curiaîium 19. G. Duby a élaboré, à partir d'une analyse pénétrante de Y Histoire de Guillaume le Maréchal, la biographie d'un chevalier modèle 20. Bien d'autres auteurs et textes de la période ont ainsi fait l'objet de l'attention de nos collègues, comme ceux de Roger Bacon21 ou de Nicole Bozon, et je ne peux ici tous les signaler, mais je voudrais insister sur une initiative qu'il convient de saluer tout particulièrement : un groupe pluridisciplinaire d'historiens et de littéraires s'est en effet attelé, sur une idée de Ch. Marchello-Nizia, à la réalisation d'un beau dossier de textes sur l'histoire et la légende de Richard Cœur de Lion22. Mais cet accès à la culture anglaise par le biais du texte latin ou français fait progressivement défaut au fur et à mesure que l'on avance dans le temps, et, à partir du xive siècle, le moyen-anglais prend la place du français. A ce propos, il n'est pas inutile de rappeler que, depuis que l'anglais médiéval a disparu des programmes de l'agrégation d'anglais, sa place dans les programmes d'enseignement des UFR d'anglais ou de langues vivantes s'est considérablement réduite et que le nombre des jeunes chercheurs en anglais médiéval semble restreint23.

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Pour la seconde période, nous sommes en effet confrontés à des problèmes différents. Nous sommes dorénavant dans un environnement plus spécifiquement anglais. Les sources changent donc, avec la prolifération des sources de toutes sortes, de plus en plus rédigées en moyen-anglais, mais surtout la problématique change : et le fantastique renouvellement des études sur la fin du Moyen Age anglais est largement nourri d'une inspiration et d'une réflexion purement insulaires. Pourtant, il faut bien être conscient du fait que notre vision de la fin du Moyen Age européen a été fortement infléchie, ces dernières années, par l'apport de l'école historique anglaise. Dans le domaine de l'histoire rurale, par exemple, les recherches de M. Postan ont exercé une influence profonde dont la thèse d'E. Le Roy Ladurie et la synthèse de G. Duby sur La Vie des campagnes portent témoignage ; c'est en Angleterre et chez les marxistes anglais qu'est né le débat sur la « transition » qui a inspiré G. Bois ; et les travaux de R. Hilton sont, grâce à une traduction et à ses visites régulières à Flaran à l'appel du regretté Ch. Higounet, grâce aussi à une série de conférences au Collège de France à l'invitation de G. Duby, bien connus : c'est d'ailleurs avec R. Hilton et le « Cambridge Group on the Study of Populations » que J. Beauroy fait l'essentiel de son travail anglais24. Les articles qu'il a publiés sur la société du Norfolk oriental, aux environs de Norwich et de King's Lynn, au tournant du xme siècle, ont déjà mieux fait connaître l'étonnante richesse des sources villageoises anglaises25. Mais il est, parmi les historiens français, seul, bien seul...

Toutefois, c'est plus encore dans le domaine de l'histoire politique que l'apport de l'école anglaise a profondément renouvelé l'historiographie européenne. Ce sont ici les travaux de K.B. McFarlane sur le bastard feudalism, expression plus légitime, si j'ose dire, dans sa forme anglaise que dans sa traduction française qui est doublement fautive, et qui est d'ailleurs une expression ancienne (elle remonte à Ch. Plummer), qui ont fourni un cadre à la fois théorique et empirique pour repenser les structures socio-politiques de la fin du Moyen Age26. En ce qui me concerne, ma propre vision de la genèse de l'Etat moderne en

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dépend étroitement. Or les travaux anglais ont mis un certain temps à être compris et appréciés à leur juste valeur : les comptes rendus dans les revues (ceux de Ph. Contamine notamment) et surtout la synthèse de B. Guenée sur les Etats d'Occident en 1972 ont cependant fini par familiariser les historiens français avec cette problématique, dont ils ont pu mesurer, avec les travaux de P. Lewis et de K. Fowler, mais aussi avec ceux d'une pléiade de jeunes historiens, Ch. Allmand, M.G.A. Vale, M. Jones, J. Palmer, A. Curry, et bien d'autres encore, la fécondité. Malheureusement, nos collègues n'ont que bien rarement passé la Manche pour aller vérifier les thèses de K.B. McFarlane et de ses émules sur leur terrain d'origine. Certes, les livres de B. Guenée, Ph. Contamine ou A. Léguai27 montrent que l'on connaît fort bien l'histoire anglaise en France, mais les thèses sur l'Angleterre ou qui, par le biais gascon ou normand, toucheraient directement à l'histoire anglaise, ne sont pas légion : pour l'Aquitaine, le mauvais sort a interrompu le travail de J.-P. Trabut-Cussac28 et P. Capra29 n'a pas encore eu l'occasion de publier sa thèse sur le Prince noir; quant à l'Angleterre proprement dite, j'étais seul à avoir déposé un sujet la concernant jusqu'à ce qu'une élève de Ph. Contamine, F. Lachaud, vienne me délivrer de ce douteux privilège...

Il est grand temps de s'interroger sur cette situation et notre congrès en fournit une bonne occasion. De toute évidence, les deux systèmes universitaires présentent des différences telles qu'il est difficile d'établir entre eux des passerelles. L'Angleterre suit la logique de l'université « fermée » sur elle-même, c'est-à- dire que la voie normale enchaîne la licence (BA) et le doctorat, alors que nos étudiants interrompent le cursus universitaire proprement dit entre la maîtrise et le doctorat pour préparer les concours de recrutement de l'enseignement secondaire. Il est donc relativement difficile de convaincre et un étudiant de partir en interrompant son cursus, et une université anglaise (où les droits d'inscription, ne l'oublions pas, atteignent des montants astronomiques, surtout pour Oxford et Cambridge) de l'accepter

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à un niveau convenable30. De ce point de vue, Erasmus devrait améliorer les choses, mais il est encore un peu tôt pour en juger.

Les deux systèmes sont différents sur un autre plan encore, celui de la formation à la recherche, et cette différence-là est à son tour génératrice d'une différence de comportement scientifique. Les disciplines d'érudition sont en Angleterre enseignées — et brillamment — dans les départements d'histoire des universités, alors qu'en France elles ne le sont que fort parcimonieusement (Poitiers est peut-être à cet égard une exception remarquable) : le doctorant français doit s'adresser, avec souvent bien des difficultés s'il enseigne déjà loin de Paris ou d'une ville universitaire, aux IVe et Ve sections de l'Ecole pratique des hautes études ou à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, voire à l'Ecole des chartes qui accepte parfois des auditeurs libres. Les équipes du CNRS, souvent en pointe dans des domaines particulièrement novateurs, ne disposent pour le moment d'aucun moyen pour dispenser une formation digne de ce nom. Quant aux chartistes, admirablement formés, les tâches qui les attendent quand ils se retrouvent à la tête d'un dépôt d'archives ou d'une bibliothèque les éloignent trop souvent de tout travail scientifique; ainsi, l'édition des textes ou des documents d'archives, tout comme la réalisation d'instruments de travail de base (dictionnaires, répertoires), traverse une véritable crise en France, alors qu'en Angleterre cela fait partie du travail normal de l'historien. Inversement, la coupure en Angleterre entre histoire et histoire économique (celle-ci étant en général enseignée dans les départements d'économie) n'est pas moins absurde. Après cela, et tout problème linguistique mis à part, on comprend qu'il faille un certain goût de l'exotisme aux historiens anglais et aux historiens français pour se comprendre,.

Troisième cause du désastre, l'absence d'enseignement spécifique. Aucun cours, aucun séminaire n'est offert à qui voudrait s'initier à l'histoire de l'Angleterre médiévale (cela ne va d'ailleurs guère mieux pour les autres périodes de l'histoire, les mêmes causes produisant les mêmes effets). Le contre-exemple de nos collègues philosophes médiévistes suffit à lui seul à démontrer les effets néfastes d'une telle lacune. Il y a de cela longtemps déjà, P. Vignaux mit au programme de son séminaire,

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après Ockham et Duns Scot, l'étude de Jean de Ripa. De là, il en arriva aux postockhamistes et le séminaire se tourna notamment vers Richard Fitzralph, son commentaire des Sentences et le problème clé des futurs contingents et des modalités temporelles logiques : il apparut alors que Jean de Mirecourt avait emprunté à ces auteurs oxoniens ses propos qui lui valurent une retentissante condamnation. Des textes perdus furent retrouvés ou identifiés31, les sources anglaises diffusées à Paris repérées32, des figures jusque-là ignorées redessinées33. Les interrelations entre les deux universités d'Oxford et de Paris sont telles que l'observation parallèle des deux milieux intellectuels s'est imposée ; on voit qu'elle a abouti, en l'occurrence, à une série de découvertes majeures. Les interrelations sociales, diplomatiques, politiques sont-elles moindres, et une telle observation parallèle ne s'imposerait-elle pas dans de nombreux domaines ? L'exemple de nos collègues philosophes montre en tout cas les effets fructueux que l'on serait en droit d'attendre d'un enseignement lié à la recherche.

Et enfin, quatrième cause du désastre, la difficulté des contacts. Nos amis anglais n'y sont d'ailleurs pour rien : j'ai déjà mentionné les conférences de Battle ; une « Fifteenth-Century Society », assez informelle sans doute mais efficace, a aussi organisé des conférences auxquelles les historiens français ont été régulièrement conviés ; à Oxford, All Souls College a ouvert ses portes prestigieuses à trois des médiévistes français les plus réputés pour des semestres d'étude fructueux, n'en doutons pas. Mais cela ne suffit pas pour rendre le séjour dans les bibliothèques, les archives ou les universités anglaises facile : il faut être introduit, connu, et l'Angleterre est devenue un pays fort cher pour qui veut y séjourner. Côté français, à part les invitations au Collège de France faites par G. Duby et la présence de Ch. Allmand dans le comité de direction de l'ATP « Genèse de l'Etat moderne » qui a favorisé, certes, une participation satisfaisante de nos collègues à cette activité, bien peu de choses. Relancer la collaboration et les contacts à partir du peu qui existe est très difficile. Il est facile pour certains de jouer au dégoûté à l'égard de telle ou telle illustre institution française à l'étranger : mais lorsqu'on se remémore les dizaines de thèses déposées sur

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l'Espagne ou l'Italie, ou que l'on fait le bilan de la fructueuse activité d'intermédiaire de nos collègues responsables des études médiévales à Rome, Madrid (et même maintenant à Gôttingen), force est de constater qu'il doit bien y avoir un lien entre le marasme que j'ai décrit et l'absence d'une institution française spécialisée en Angleterre. Il en existe, sans doute, et qui ont leurs mérites : la Maison française d'Oxford, par exemple, fonctionne à la fois comme un centre culturel français et comme un mini-collège oxonien, et la Maison de l'Institut de France à Londres atténue quelque peu les coûts d'un séjour à Londres. Surtout, deux jeunes historiens, J.-P. Jourdan et Ch. Giry de Loison, tentent de donner à l'Institut français du Royaume-Uni un rôle actif dans les échanges entre historiens français et anglais : ils ont ainsi pu organiser en 1988 une première rencontre consacrée à la guerre au Moyen Age dont il faut espérer qu'elle sera suivie de beaucoup d'autres. Grâce à eux, c'est sur une lueur d'espoir que se termine cette présentation, mais ce qui précède laisse à penser qu'il faudra un effort d'une tout autre ampleur pour remonter la pente34...

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Notes

1. H. Wallon, Richard II. Episodes de la rivalité de la France et de l'Angleterre, Paris, Hachette, 1864, 2 vol.

2. Dans l'œuvre considérable de Ch. Bémont, signalons son Simon de Montfort, comte de Leicester, Paris, Picard, 1884, traduit et réédité en 1930 encore par E.F. Jacob pour les Manchester University Press, et son édition des Chartes de liberté anglaises (1100-1305), Paris, « Coll. de Textes pour servir à l'enseignement de l'histoire », Picard, 1892.

3. D'E. Déprez, signalons les Etudes de diplomatique anglaise (1272-1485), t. 1, Paris, Champion, 1908. Restent également utiles « Le trésor des chartes de Guyenne sous Edouard II », in Mélanges d'histoire offerts à Charles Bémont, Paris, 1913, p. 235-242, et surtout « Les ambassades anglaises pendant la guerre de Cent Ans », écrit en collaboration avec L. Mirot et publié « en feuilleton » dans la Bibliothèque de l'Ecole des chartes de 1898 à 1900. J. Calmette et G. Périnelle, Louis XI et l'Angleterre (1461-1483), Paris, Picard, 1930.

4. A. Réville, Le Soulèvement des travailleurs d'Angleterre en 1381, Paris, 1898 (introd. de Ch. Petit-Dutaillis). Son histoire du droit de sanctuaire, « Vabiuratio regni; histoire d'une institution anglaise », Revue historique, 1. 1, 1892, p. 1-42, fait encore autorité.

5. Ch. Petit-Dutaillis et G. Lefèvre, Studies and Notes Supplementary to Stubbs' Constitutional History, Manchester, Manchester University Press, 1908-1929, 3 vol.

6. E. Perroy, L'Angleterre et le Grand Schisme d'Occident, Paris, Libr. J. Monnier, 1933, et The Diplomatie Correspondance of Richard II, Camden Third Series, t. 48, 1933.

7. Les articles de P. Chaplais ont été regroupés dans Essays in Medieval Diplomacy and Administration, Londres, The Hambledon Press, 1981, indispensable pour la connaissance des relations franco-anglaises. Mais son œuvre la plus monumentale est VEnglish Medieval Diplomatie Practice, Londres, Public Record Office, HMSO, 1982, 2 vol. Il se tourne aujourd'hui vers la diplomatique anglo- saxonne à laquelle il a consacré d'importants travaux.

8. Son influence dans les progrès de l'« école anglaise » de l'histoire française a été déterminante : cf. le volume qui lui a été dédié par ses élèves et amis, M. Jones et M.G.A. Vale éd., England and her Neighbours (1066-1453). Essays in Honour of Pierre Chaplais, Londres, The Hambledon Press, 1989.

9. L'une d'entre elles a été soutenue à l'université de Lille-III, celle de C. Despretz, Instabilité et Désordre dans l'Angleterre du XIVe siècle (je remercie Ph. Desportes qui a bien voulu me communiquer cette information). Les deux autres sont celles de J. Beauroy (Les Structures sociales dans l'Ouest du Norfolk, 1250-1350)

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et la mienne (Les Idées sociales et politiques en Angleterre du début du XIVe siècle au milieu du XVIe siècle).

10. J. Boussard, Le Gouvernement d'Henri II Plantagenêt, Paris, Vrin, 1956. Cf. aussi ses « Institutions de l'empire Plantagenêt », in F. Lot et R. Fawtier, Histoire des institutions françaises au Moyen Age, Paris, PUF, 1958, t. 2, p. 35-69.

11. M. de Boùard, Guillaume le Conquérant, Paris, Fayard, 1984. 12. L. Musset, Angleterre romane : le Sud de l'Angleterre, Paris, Ed. du Zodiaque,

1983. 13. R. Foreville, L'Eglise et la Royauté en Angleterre sous Henri II Plantagenêt,

Paris, Bloud et Gay, 1943. — , Le Jubilé de saint Thomas Becketdu XIIIe au XVe siècle, Paris, SEVPEN, 1958. Ses articles sur Thomas Becket ont été rassemblés dans Thomas Becket et la Tradition historique et hagiographique, Londres, Variorum Reprints, 1981. Elle a édité Thomas Becket. Actes du colloque de Sédières 1973, Paris, Beauchesne, 1975. Sur Gilbert de Sempringham, Un procès de canonisation à l'aube du XIIIe siècle (1201-1202) : le Livre de saint Gilbert de Sempringham, Paris, Bloud et Gay, 1943 et, tout récemment, en collaboration avec G. Keir, The Book of St. Gilbert, Oxford, Oxford University Press, 1987, rééd. du texte latin avec traduction anglaise. Sur la place de l'Eglise dans l'Angleterre de la période, cf. aussi J. Beauroy, « La conquête cléricale de l'Angleterre », Cahiers de civilisation médiévale, t. 27, 1984, p. 35-44.

14. Par exemple M. Fauroux, Recueil des actes des ducs de Normandie de 911 à 1066, Caen, Société des antiquaires de Normandie, 1961, et R. Foreville, Guillaume de Poitiers. Histoire de Guillaume le Conquérant, Paris, Les Belles Lettres, 1952.

15. J. Le Patourel, The Norman Empire, Oxford, Oxford University Press, 1976. Ses principaux articles sont réédités dans Feudal Empires, Norman and Plantagenêt, Londres, The Hambledon Press, 1984.

16. M. Chibnall, The Ecclesiastical History of Orderic Vitalis, Oxford, Oxford University Press, 1969-1980, 6 vol.

17. M. Chibnall, Charters and Custumals of the Abbey of the Holy Trinity, Caen, Londres, Oxford University Press (Records of Social and Economic History, t. 5), 1982.

18. Cf. notamment les articles de P. Riche et d'E. Jauneau dans M. Wilks éd., The World of John of Salisbury, « Studies in Church History », Subsidia HI, Oxford, Basil Blackwell, 1984, qui contient une bibliographie à jour jusqu'en 1982. La traduction française faite pour Charles V par D. Foulechat a fait l'objet d'une thèse soutenue à Nancy.

19. E. Turk, Nugae Curialium. Le règne d'Henri II et l'éthique politique, Genève, Droz, 1977. Le texte lui-même a fait l'objet d'une traduction française par M. Pérez (thèse dactylographiée, Paris-III, 1983). L. Harf-Lancner, « L'enfer de la cour : la cour d'Henri II Plantagenêt et la Mesnie Hellequin », in Ph. Contamine. L'Etat et les Aristocraties (France, Angleterre, Ecosse), xif-xvif siècle, Paris, Presses de l'ENS, 1989, p. 27-50.

20. G. Duby, Guillaume le Maréchal ou le Meilleur Chevalier du monde, Paris, Fayard, 1984.

21. P. Bourgain, « Le style de la langue et des langues sous Roger Bacon », à paraître dans Traducteurs et Traductions au Moyen Age (sous presse).

22. M. Brossard-Dandre et G. Besson, Richard Cœur de Lion, Paris, 10/18, 1989. 23. Les anglicistes médiévistes sont regroupés dans une Association, dont le

secrétaire est A. Crépin.

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24. Dont la pièce maîtresse est, avec sa thèse, l'édition pour la British Academy, en collaboration avec W.O. Hassall, des Holkham Records (1250-1350), à paraître, Londres, Oxford University Press, (Records of Social and Economie History).

25. J. Beauroy, « Offices manoriaux et stratification sociale à Heacham », Flaran, 4, 1982. — , « Family Patterns and Relations of King's Lynn Will-Makers in the Fourteenth Century », in The World we have Gained, Oxford, Blackwell, 1986, p. 25- 42. — , « Analyse quantitative d'une seigneurie anglaise ; offices manoriaux, activités marchandes et structure sociale dans le Norfolk occidental à la fin du xme siècle », Histoire et Mesure, t. 3 (4), 1988, p. 515-525.

26. L'essentiel de l'œuvre de K.B. McFarlane se trouve dans trois ouvrages posthumes : The Nobility of Later Medieval England, Oxford, Oxford University Press, 1973; Lancastrian Kings and Lollard Knighst, Oxford, Oxford University Press, 1972 ; England in the Fifteenth Century, Londres, The Hambledon Press, 1981, (reprint de ses principaux articles).

27. A. Léguai, La Guerre de Cent Ans, Paris, Nathan, 1974. 28. J.-P. Trabut-Cussac, L'Administration anglaise en Gascogne sous Henri HI et

Edouard l" de 1254 à 1307, Genève, Droz, 1972. Cf. aussi G.P. Cuttino et J.-P. Trabut-Cussac, Gascon Register A (Series of 1318-1319), Londres, Oxford University Press, 1975, 2 vol.

29. P. Capra, L'Administration anglaise au temps de la lieutenance du Prince noir (1354-1362). Essai sur une mentalité politique, thèse d'Etat dact., Paris, 1972, 4 vol. Cf. « L'histoire monétaire de l'Aquitaine anglo-gasconne au temps du Prince noir (1354-1378) », Bulletin et Mém. de la Société archéologique de Bordeaux, t. 64, p. 93- 151. — , « Les bases sociales du pouvoir anglo-gascon au milieu du xv* siècle », Le Moyen Age, t. 81, 1975, p. 273-299 et t. 82, 1975, p. 447-473. —, « Pour une histoire monétaire de l'Aquitaine anglo-gasconne », Annales du Midi, t. 87, 1975, p. 405-430.

30. Il y a en plus le mirage de l'université anglaise : qui a goûté aux délices d'Oxford et de Cambridge a bien du mal à s'arracher à ces paradis des bibliothèques ; l'une des rares étudiantes françaises à avoir sérieusement entrepris un travail anglais est ainsi restée outre-Manche : cf. L. Simpson, « The King Alfred/St Cuthbert Episode in the Historia de sancto Cuthberto. Its Significance for mid-tenth-century English History » in G. Bonner, C. Stancliffe et D. Rollason, 5/. Cuthbert, his Cult and Community to A.D. 1200, Woodbridge, Boydell and Brewer, 1989. Espérons que F. Lachaud, à Oxford pour quelques années, repassera la Manche...

31. J.-F. Genest a ainsi redécouvert, dans le manuscrit 505 de la bibliothèque municipale de Troyes, les textes de Bradwardine et de Fitzralph sur les futurs contingents : cf. J.-F. Genest, « Le De futuris contingentibus de Thomas Bradwardine », Recherches augustiniennes, t. 14, 1979, p. 249-336.

32. A partir de Pierre de Ceffons et de Jean de Mirecourt : J.-F. Genest et P. Vignaux, « La bibliothèque anglaise de Jean de Mirecourt », in O. Pluta, Die Philosophie im 14 und 15. Jahrhundert. In memoriam Konstanti Michalski (1879- 1947), Amsterdam, B.R. Gruner, 1988, p. 275-301, et Z. Kaluza et P. Vignaux, « Pierre de Ceffons et l'hypothèse du Dieu trompeur », in Z. Kaluza et P. Vignaux éd., Preuve et Raison à l'Université de Paris. Logique, ontologie et théologie au XIVe siècle, Paris, Vrin, 1984, p. 197-214. A partir aussi de Thomas de Cracovie et de sa collection de manuscrits : Z. Kaluza, « La prétendue discussion parisienne de Thomas Bradwardine avec Thomas de Buckingham. Témoignage de Thomas de Cracovie », Recherches de théologie ancienne et médiévale, t. 43, 1976, p. 219-236.

33. Thomas Felthorpe, Richard Brinkley et Nicholas Aston, « redécouverts » par

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Page 14: L'Angleterre médiévale (J.-Ph. Genêt)

L'ANGLETERRE MÉDIÉVALE

Z. Kaluza, Richard Carew, le « Monachus Niger » et Adam of Ely par J.-F. Genest. Cf., sur le versant anglais des recherches de P. Vignaux et de ses élèves, l'utile article de W.J. Courtenay, « Recent Work on Fourteenth-Century Oxford Thought », History of Education Quarterly, 1985, p. 227-232.

34. Je tiens à remercier ici R. Foreville et J. Beauroy, avec lesquels j'ai eu d'utiles conversations, et surtout J.-F. Genest : grâce à lui, les historiens défaillants ont pu recevoir le secours, sinon de la philosophie, du moins des philosophes...

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